l’image dans le christianisme - bnf

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L’image dans le christianisme «Qui m’a vu a vu le Père.» (Jean, 14, 9) L’interdit de figuration divine hérité du Décalogue n’a pas été repris par le christianisme qui est à ses débuts une religion plutôt indifférente aux images. À partir du moment où le christianisme devient religion d’État, au IV e siècle, le statut de l’image évolue vers un déploiement progressif des différents modes de représentation de Dieu : figuration symbolique, inspirée de l’art juif, figuration au masculin d’un Dieu patriarcal et omnipotent, et enfin figuration du Christ crucifié ou en majesté. Ce développement de la figuration a favorisé un culte envers les images qui a suscité très tôt un débat doctrinal et théologique au sein de l’Église. D’une manière générale, le christianisme, en dépit des crises iconoclastes qui l’ont affecté, a plutôt été favorable à l’image, qu’elle représente Dieu, la Création ou des épisodes bibliques. Au VI e siècle, avec l’art de l’icône, l’Église d’Orient lui confère une dimension sacrée : l’icône est une fenêtre ouverte sur l’invisible qui manifeste la sainteté de la Présence divine. Elle est considérée par les chrétiens orthodoxes comme l’expression de la Parole de Dieu au même titre que l’Écriture sainte, et devient un élément essentiel du culte oriental. Dans la tradition occidentale, le culte des images s’est développé parallèlement à la dévotion pour le Christ serviteur souffrant, la Vierge Marie et les saints, comme en témoignent les images et les statues qui ornent les chapelles. Christ en majesté, en gloire ou crucifié, pietà, Vierges à l’Enfant ou allaitant, saints accompagnés de leurs attributs symboliques : autant de représentations qui répondent aux croyances et à la ferveur populaires, très vivantes dans la tradition catholique, mais tenues en suspicion dans la tradition protestante. Cependant, la fonction de l’image est aussi pédagogique ; elle préside aux apprentissages et à la mémorisation de séquences bibliques. Le Moyen Âge voit fleurir, à travers les psautiers, les bibles moralisées puis les bibles des pauvres, une très belle imagerie dont les modèles ne cesseront d’être recopiés, tandis que les deux derniers siècles consacrent l’extraordinaire diffusion des objets de piété. Les fonctions de l’image, dont le statut varie sensiblement d’une époque à l’autre, sont donc multiples dans la tradition chrétienne : fonction pédagogique et mnémotechnique, quand elle illustre les épisodes bibliques ou les récits hagiographiques hérités des textes apocryphes ; fonction esthétique quand elle célèbre par la beauté la magnificence de Dieu et de sa Création ; et enfin fonction spirituelle par l’incitation à la prière et au recueillement. Et le Verbe s’est fait chair Seul l’évangéliste Luc donne un récit complet de la Nativité (Luc, 2, 1-20), enrichi au fil des siècles par des légendes héritées des évangiles apocryphes (comme l’âne et le bœuf ou le nom des rois). La Nativité célèbre le mystère de l’Incarnation, selon lequel Jésus serait le Fils de Dieu, né miracu- leusement de la Vierge Marie. Par ce mystère, le christianisme donne à Dieu le visage de Jésus, qui serait à la fois homme et à la fois Dieu. Bible cistercienne Foigny (Aisne), fin du xii e siècle, parchemin, BNF, Manuscrits, latin 15177, f. 11. La tradition des mystères Ce manuscrit à peintures permet de connaître avec précision comment fut jouée la Passion à Valenciennes, en 1547. Chacune des 25 journées que dura ce spectacle est illustrée par une peinture évoquant les scènes principales. Ici, on voit la Cène (le dernier repas de Jésus avec ses disciples), l’Ascension, la Pentecôte et l’évangélisation. Le christianisme eut ainsi recours, non seulement aux images, mais aussi au théâtre comme soutien pédagogique pour évangéliser les populations. Le Mistere par personnaiges de la vie, passion, mort, résurrection et assention de Nostre Seigneur Jesus Christ en 25 journees France (Nord), 1577, papier, 378 f., BNF, Manuscrits, Rotschild 3010, f. 356. L’Histoire sainte en images Les bibles historiales médiévales sont des ouvrages de vulgarisation à vocation pédagogique, écrits en français et abondamment illustrés pour rendre accessibles les textes bibliques. Cette peinture à quatre compartiments tricolores illustre des épisodes de la vie du roi Salomon (l’instruction de son fils Roboam, l’épisode du jugement), destinés à glorifier l’image d’un roi doué de sagesse et d’équité, et modèle du bon gouvernement. Guiard des Moulins, Bible historiale, Paris, vers 1380-1390, parchemin, 408 f., BNF, Manuscrits, français 158, f. 1 Apprentissages Le catéchisme est une pédagogie permettant de prêcher et d’enseigner aux fidèles, et principalement aux enfants, l’Écriture sainte et les vérités essentielles de la foi catholique. Pour transmettre un contenu parfois complexe, les livres de catéchisme ont recours aux images. Ici, le Christ ressuscité, chassant les nuages de la guerre et de la discorde entre les hommes, propose une image triomphante de la foi catholique. Saint-Malo, Louis-Philippe-Claude Hovius, (1764), 88 p., in-12, BNF, Philosophie, Histoire, Sciences de l’homme, D-66951 (1). Tétraévangile arménien Les Églises orthodoxes ont un rapport particulier à l’image, l’icône étant considérée comme une porte ouverte sur le divin. La page ci-dessus sur laquelle on voit Luc offrir son livre à Théophile, annonce le texte de son Évangile. Évangile de Surxat’ (Stary-Krym), Crimée, 1356, parchemin, BNF, Manuscrits orientaux, arménien 17, f. 162 v°-163

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Page 1: L’image dans le christianisme - BnF

L’image dans le christianisme«Qui m’a vu a vu le Père.» (Jean, 14, 9)

L’interdit de figuration divine hérité duDécalogue n’a pas été repris par lechristianisme qui est à ses débuts une religionplutôt indifférente aux images. À partir dumoment où le christianisme devient religiond’État, au IVe siècle, le statut de l’imageévolue vers un déploiement progressif desdifférents modes de représentation de Dieu :figuration symbolique, inspirée de l’art juif,figuration au masculin d’un Dieu patriarcal etomnipotent, et enfin figuration du Christcrucifié ou en majesté. Ce développement dela figuration a favorisé un culte envers lesimages qui a suscité très tôt un débatdoctrinal et théologique au sein de l’Église.D’une manière générale, le christianisme, endépit des crises iconoclastes qui l’ont affecté,a plutôt été favorable à l’image, qu’ellereprésente Dieu, la Création ou des épisodesbibliques. Au VIe siècle, avec l’art de l’icône,l’Église d’Orient lui confère une dimensionsacrée : l’icône est une fenêtre ouverte surl’invisible qui manifeste la sainteté de laPrésence divine. Elle est considérée par leschrétiens orthodoxes comme l’expression dela Parole de Dieu au même titre quel’Écriture sainte, et devient un élémentessentiel du culte oriental. Dans la tradition occidentale, le culte des

images s’est développé parallèlement à ladévotion pour le Christ serviteur souffrant, laVierge Marie et les saints, comme entémoignent les images et les statues quiornent les chapelles. Christ en majesté, engloire ou crucifié, pietà, Vierges à l’Enfant ouallaitant, saints accompagnés de leursattributs symboliques : autant dereprésentations qui répondent aux croyanceset à la ferveur populaires, très vivantes dansla tradition catholique, mais tenues ensuspicion dans la tradition protestante.Cependant, la fonction de l’image est aussipédagogique ; elle préside aux apprentissageset à la mémorisation de séquences bibliques.Le Moyen Âge voit fleurir, à travers lespsautiers, les bibles moralisées puis les biblesdes pauvres, une très belle imagerie dont lesmodèles ne cesseront d’être recopiés, tandisque les deux derniers siècles consacrentl’extraordinaire diffusion des objets de piété. Les fonctions de l’image, dont le statut variesensiblement d’une époque à l’autre, sontdonc multiples dans la tradition chrétienne :fonction pédagogique et mnémotechnique,quand elle illustre les épisodes bibliques oules récits hagiographiques hérités des textesapocryphes ; fonction esthétique quand ellecélèbre par la beauté la magnificence de Dieuet de sa Création ; et enfin fonctionspirituelle par l’incitation à la prière et aurecueillement.

Et le Verbe s’est fait chair

Seul l’évangéliste Luc donne un récitcomplet de la Nativité (Luc, 2, 1-20),enrichi au fil des siècles par deslégendes héritées des évangilesapocryphes (comme l’âne et le bœuf oule nom des rois). La Nativité célèbre lemystère de l’Incarnation, selon lequelJésus serait le Fils de Dieu, né miracu-leusement de la Vierge Marie. Par cemystère, le christianisme donne à Dieule visage de Jésus, qui serait à la foishomme et à la fois Dieu.

Bible cistercienneFoigny (Aisne), fin du xiie siècle, parchemin, BNF, Manuscrits, latin 15177, f. 11.

La tradition des mystères

Ce manuscrit à peinturespermet de connaître avecprécision comment fut jouéela Passion à Valenciennes, en 1547. Chacune des 25journées que dura cespectacle est illustrée par unepeinture évoquant les scènesprincipales. Ici, on voit laCène (le dernier repas deJésus avec ses disciples),l’Ascension, la Pentecôte

et l’évangélisation. Le christianisme eut ainsirecours, non seulement aux images, mais aussi authéâtre comme soutienpédagogique pourévangéliser les populations.

Le Mistere par personnaiges de lavie, passion, mort, résurrection etassention de Nostre Seigneur JesusChrist en 25 journeesFrance (Nord), 1577, papier, 378 f.,BNF, Manuscrits, Rotschild 3010, f. 356.

L’Histoire sainte en images

Les bibles historialesmédiévales sont des ouvragesde vulgarisation à vocationpédagogique, écrits enfrançais et abondammentillustrés pour rendreaccessibles les textesbibliques. Cette peinture àquatre compartimentstricolores illustre des

épisodes de la vie du roiSalomon (l’instruction deson fils Roboam, l’épisodedu jugement), destinés àglorifier l’image d’un roidoué de sagesse et d’équité,et modèle du bongouvernement.

Guiard des Moulins, Biblehistoriale, Paris, vers 1380-1390,parchemin, 408 f., BNF,Manuscrits, français 158, f. 1

Apprentissages

Le catéchisme est unepédagogie permettant deprêcher et d’enseigner auxfidèles, et principalementaux enfants, l’Écriture sainteet les vérités essentielles dela foi catholique. Pourtransmettre un contenuparfois complexe, les livresde catéchisme ont recours

aux images. Ici, le Christressuscité, chassant lesnuages de la guerre et de ladiscorde entre les hommes,propose une imagetriomphante de la foicatholique.

Saint-Malo, Louis-Philippe-ClaudeHovius, (1764), 88 p., in-12, BNF,Philosophie, Histoire, Sciences del’homme, D-66951 (1).

Tétraévangile arménien

Les Églises orthodoxes ontun rapport particulier àl’image, l’icône étantconsidérée comme une porteouverte sur le divin. La pageci-dessus sur laquelle on voit

Luc offrir son livre àThéophile, annonce le textede son Évangile.

Évangile de Surxat’ (Stary-Krym),Crimée, 1356, parchemin, BNF,Manuscrits orientaux, arménien 17,f. 162 v°-163