thouvenot - le christianisme en betique

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BIBLIOTHÈQUE DES ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME fA SCICULE CENT-DUA RANTE-NEUVIÈME ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE RETIQUE PAR R. THOUVENOT ANCIEN ÉLÉVE DE L'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE ANCIEN MEMBRE DES ÉCOLES FRANÇAISES DE ROME ET DE MADRID PARI S :ÉDITIONS E. DE BOCCARD 11. RUE PE MÉDICIS, 11 1973

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  • BIBLIOTHQUE DES COLES FRANAISES D'ATHNES ET DE ROME fA SCICULE CENT-DUA RANTE-NEUVIME

    ESSAI SUR

    LA PROVINCE ROMAINE DE RETIQUE

    PAR

    R. THOUVENOT ANCIEN LVE DE L'COLE NORMALE SUPRIEURE

    ANCIEN MEMBRE DES COLES FRANAISES DE ROME ET DE MADRID

    PARI S :DITIONS E. DE BOCCARD

    11. RUE PE MDICIS, 11

    1973

  • 302 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    deur atteignait le dsir d'imiter les institutions de la grande Rome.

    Mais parlerons-nous d'une lvation religieuse et morale du peuple turdtan par les croyances latines? Le grand nombre de ddicaces Jupiter s'explique-t-il par une tendance ado-rer un dieu unique et tout puissant? Le culte imprial rpon-dait-il autre chose qu'au dsir d'affirmer son loyalisme en-vers la puissance protectrice? Tout ce qu'on peut rpondre, c'est que si les croyances n'avaient pas t en partie sincres, les fidles du Panthon grco-romain auraient dress moins de statues, clbr moins de sacrifices, accompli moins de vux 1). Mais tout comme Rome, la masse du peuple dut s'attacher la religion officielle surtout en raison des ftes et des spectacles qu'elle leur procurait. Il devait en tre autre-ment du christianisme.

    (1) Les mystres de Mithra et de la desse syrienne n'avaient obtenu qu'un mdiocre sQ-ccs prs des populations d'origine smitique de la cte, et le reste de la Bti~ue avait l'esprit trop latin pour rserver un accueil empress aux autres mystres. Une peinture de la ncropole de Carmona (p. 632) montre bien un personnage portant un thyrse et accourant un banquet: ce peut tre un initi aux mystres de Dionysos reu aprs sa mort au festin d'immor-talit. La peinture sujet scabreux d'Alcolea (p. 633) peut se rapporter aux mmes mystres, mais conus'dans un esprit plus grossier. Ces deux tmoignages demeurent d'ailleurs isols.

    CHAPITRE V

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 1)

    Avec la Grande-Bretagne, l'Espagne est le pays d'Occident dont les origines chrtiennes sont les plus obscures. Si la Btique fait une apparition clatante dans l'histoire eccl-siastique au IVe sicle, avec Ossius de Cordoue, la naissance des chrtients btiques et leur vie pendant les trois pre-

    ~-miers sicles nous chappent peu prs compltement.

    L'vanglisation. ---L C'est saint Paul que reviendrait l'honneur d'avoir le premier prch l'vangile en Espagne, mais les preuves certaines de sa venue font dfaut. Nous savons par deux passages de l'Eptre aux Romains qu'il avait l'intention de s'y rendre 2). La prsence de juiveries clans la rgion sud-orientale, les rapports commerciaux suivis

    (1) Les origines chrtiennes de Btique ont t partiellement tudies dans his histoires gnrales. Le livre fondamental demeure celui du Pre augustin H. FLOREZ, Espaiia sagrada. Thealra geographico de la l glesia df Espwla (Ma-drid, 50 vol, in-8, MDCCXLIX, sqq). prcieux surtout par les pices justifi-catives qu'il donne en appendice. L'ouvrage consciencieux de Gams est encore utile consulter: Pius Bonifacius GAMS, O. S. B., Die J{irchengeschichte von Spanien (Regensburg, in-8 o) ; les tomes l (1862) et II (1864) seuls nons int-ressent. L'ouvrage le plus moderne et le plus critique est _~elu.j/du P. ZACARIAS GARCiA VILLADA, S. L, Historia eclesiaslica de Espwla, t. l en 2 vol. (:\Iadrid, 1929). L'auteur, encore Madrid la fin de 1936, n'a plus ds lors donn signe de vie. Il est craindre qu'il n'ait t victime des passions dchanes par la guerre civile. La grande histoire de LAFuENTE, Hisloria eclesiaslica de Espaiia (in-8, Madrid, 1873 et sqq.) n'offre plus gure d'intrt. Le petit volume de H. LECL'ERCQ, L'Espagne chrtienne (Paris, 1906), de lecture agrable, est un peu rapide. La Btique en particulier a fait l'objet d'un subsJantiel articlede A. LA1\!-BERT. ap. BAUDRILLART. Diclionnaire d'hisloire el de/gographie eccl'ilfastiques, fasc. XXXI-XXXII, p. 168-sqq.

    (2) Rom., XV, 24 et 28.

  • 304 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    entre Rome et la province de Btique, la chronologie de la vie de l'Aptre, rendent sa venue possible et probable. La traditon chrtienne y a cru jusqu' St Jrme. Mais le rsultat de sa prdication fut nul : soit que son sj our ait t trop bref, soit que les mes aient t alors mal prpares. Aucune glise par la suite ne le revendiqua pour son fondateur.

    Les premiers missionnaires. - L'vanglisation de la Btique ne commena pas avant le sicle suivant, et on l'attribue aux Sept Missionnaires, Torquatus et ses compa-gnons - les VaTones apost6licos - dbarqus quelque part sur la cte Sud-est entre Carthagne et Malaga 1).

    Les plus anciens documents qui les mentionnent sont les calendriers mozarabes qui, sous leur forme actuelle, datent des xe et XIe sicles 2), seuIle martyrologe de l'Escorial tant de la fin du vme sicle ou du dbut du IXe sicle 3) ; mais leurs l-ments sont antrieurs et remontent peut-tre au vrre sicle. Ils sont unanimes fixer au 1 er mai la fte de saint Torquatus et de ses compagnons, dont deux d'entre eux citent les noms. Il en est de mme de l'Antiphonaire Mozarabe de Lon, dont le manuscrit est du dernier tiers du IXe sicle 4).

    D'autre part, la liste des vques de Grenade conserve l'Escorial dans le Codex Aemilianensis (c'est--dire de San

    (1) Espaila Sagrada, t. III, p.144 sqq. GAlVIS, op. cit., t. l, p. 76 sqq. LA-FUENTE, op. cil., t. l, p. 71 sqq. GARciA VILLADA. op. cil., t. II, p. 147.

    (2) Calendrier de Cordoue de 961, d. Dozy, p. 48, au 27 avril Et christiani nominant hanc diem usque ad septem, septem missos : Torquatum et socios ejus, et dicunt ipsos septem nuncios ... ", p. 51, 1 er mai Festum StL Torquati et sociorum ejus et sunt septem nuncii et festivitas ejus est in monasterio Ge-risset. D. M. FEROTIN. Le liber ordinum en usage dans l'glise wisigothique et mozarabe d'Espagne (Monument a ecclesiae liturgica, V), p. xxx sqq. et p. 450 sqg.

    (3) 1 er mai. In Acci civitate sanctorum Torquati et comitum ejus. H. PL EN-KERS. Das Martyrolog des Cod. Esc., l, III, 13; ap. Quel/en und Untersuchungen zur lateinischen Philologie des Millelallers, herausgegeben von L. Traube, l, 1906, p. 91.

    (4) Antiphonarium Mozarabicum de la Catedral de Leon, editado par los P. P. Benedictinos de Silos, in-4 o, Lon, 1928, p. XXXVI.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 305

    ::Vlill:in de la Cogolla), du xe sicle, dbute par un certain Cae-cilius. Or c'est le nom d'un des compagnons de Torquatus, celui qui on attribue la fondation de l'glise de Grenade. 1), Mme si cette liste ne drive pas des diptyques de ladite glise, elle nous donne nanmoins la preuve qu' la fin du YlIe sicle, le rcit tait solidement tabli, puisque l'une des principales glises d'Andalousie y rattachait son origine et re-vendiquait comme patron, non le chef, mais un comparse dans le groupe des missionnaires.

    Les documents hagiographiques qui nous racontent en dtail l'activit apostolique de ces missionnaires ont presque le mme ge. Le plus ancien est le Martyrologe de Lyon, qui date des dernires annes du Vrrle sicle ou des toutes premires du IXe et peut s'inspirer du rcit primitif des vnements 2). Dans la deuxime moiti du XIIIe sicle le dominicain Manuel Rodrigo de Cerrato crivit une Vie de nos personnages dont le fond diffre peu, mais qui parat driver d'une autre source, car il ajoute un dtail ignor de la prcdente 3). Ces deux rcits localisent les faits Guadix ; ils sont relativement brefs ce qui est un bon point. Le manuscrit d'Alcal de Hnars (Codex Complutensis), est au contraire beaucoup plus prolixe, de mme que l'Office de la liturgie mozarabe et le De missa A.postolica in Hispaniam ducla mis sous le nom des vques de Tolde saint Julien et Flix, et qui en dpendent 4). Le texte cIe l'office mozarabe, il est vrai, a l'intrt de provenir de Guadix mme, comme le prouve dans son rcit des vnements l'em-ploi des termes hujus urbis 5).

    (1) E. S., t. XII, p. 102. Les listes piscopales ont malheureusement t rdi-ges trs tardivement et souvent en vue de justifier une origine apostolique. Mais dans ce cas justement on ne remonte pas au del du ne sicle.

    (2) Dom H. QUENTIN. Les martyrologes historiques du Moyen Age, Paris, 1908, p. 192.

    (3) La construct~'une glise et d'un baptistre. E. S., t. III. App. IV. (4) GARGA VILLADA,Op. cil., p. 154-156. (5) Dom M. FEROTIN. Liber Mozarabicus Sacramentorum, p. 314 sq et P. L.,

    LXXXVI, col. 1220 1sqq. 11

  • 306 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    D'aprs le martyrologe de Lyon, Torquatus et ses compa-gnons Ctsiphon, Secundus, lndalicius, Caecilius, Hesychius et Euphrasius, ordonns vques Rome par les aptres 1) (Pierre et Paul ?), vinrent vangliser l'Espagne. Arrivs prs d'Acci (Guadix), tandis qu'ils prenaient quelque repos, ils envoyrent leurs disciples acheter des vivres la ville. Ceux-ci rencontrrent les paens, qui clbraient alors la fte de Jupiter et Mercure et qui voulurent leur faire un mauvais parti. Recu-lant devant leur attitude menaante, ils se rfugirent de l'autre ct de la rivire (le rio Guadix?) ; le pont se rompit sous le poids de ceux qui les poursuivaient et qui se noyrent tous. Les gens d'Acci en furent fort effrays. Mais une noble dame, nomme Luparia, ayant demand aux missionnaires la raison de leur venue, se convertit et construisit une glise et un baptistre. Cet exemple en entrana d'autres, si bien que les sept missionnaires se dispersrent pour tendre leur prdi-cation. Torquatus resta Acci, Ctsiphon alla Vergi, Secundus Abula, lndalicius Urci, Caecilius Iliberri, Euphrasius Iliturgi, Hesychius Carcesa, dont ils furent les premiers vques.

    Qu'y a-t-il de vrai dans toute cette histoire? Nous obser-vons d'abord que le martyrologe hironymien, le plus ancien de tous, est muet au 1 er mai sur Torquatus et ses compagnons, et c'est fort grave, car il conl;;rt d'autres saints espagnols, notamment les martyrs de l'Espagne mridionale, dont nous nous occuperons par la suite. Il en est de mme d'Usuard ; c'est un auteur srieux qui est all en Andalousie, il accepte dans son Martyrologe bien d'autres saints espagnols - mme

    (1) Romae a Sanctis Apostolis episcopi ordinati. )) H. QUENTIN. Les mar-tyrologes historiques ... , p. 192. Ce terme d'Aptre est souvent pris dans un sens trs large: ainsi saint Csaire d'Arles (470-532) invoquant les quatre disciples des Aptres qui ont fond les glises gauloises, Trophine d'Arles, Paul de Nar-bonne, Saturnin de Toulouse, Daphnus de Vaison. Or, celui-ci a sig au Con-cile d'Arles de 314. (D. GERMAIN MORIN,.ap. Mlanges de littrature et d'histoire religieuses publis l'occasion du ;ubil piscopal de Mgr. de Cabrifres. Paris, 1899, t. I, p. 109).

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 307

    Servandus et Germanus qui sont forts sujets caution, malS il ignore Torquatus. Enfin et surtout, alors que l'poque wisigothique vit s'panouir une floraison d'glises, que beau-coup d'entre elles numrent dans des inscriptions les saints dont elles se glorifiaient de possder les reliques, les noms de Torquatus et de ses compagnons ne figurent nulle part. Ce silence est videmment trs inquitant.

    Pourtant si toute l'histoire avait t invente, on s'explique-rait mal certains dtails. D'abord sa naissance Guadix, et non pas dans une grande glise comme Cordoue, Sville, Gre-nade. Il est exact que le sige de Guadix parat avoir joui d'une certaine prminence l'poque wisigothique, car nous voyons deux fois son vque prsider la ddicace d'une glise Grenade 1). En outre, un faussaire, pour les siges des six compagnons de Torquatus, aurait choisi des villes o des vchs existaient de son temps et non de petites villes dchues ou mme dtruites la fin de l'poque wisigothique. Tout n'est donc peut-tre pas faux dans la rdaction actuelle.

    Du rcit lui-mme, dont l'autorit apparat quand mme bien mince, que pouvons-nous tirer? L'origine romaine de la prdication est possible. Toute la rgion de Malaca Cartha-gne tait en relations avec Rome. Mais elle l'tait aussi avec la cte d'Afrique situe en face .Au me sicle, vers 254, lorsque les glises de Lon-Astorga et de Merida, eurent rgler le cas pineux des vques libellaiici Basilide et Martial, elles s'a-dressrent saint Cyprien 2), recours qui ne s'explique pas forcment par le seul prestige de l'vque de Carthage. Saint Augustin parat bien renseign sur les glises d'Es-pagne 3) et il n'est pas certain que toute sa documentation

    (1) HBNER. 1. H. C., nO 115. Guadix a jou un rle important sous les rois Goths, mais non de premier plan. Elle semble avoir eu en Frodoar un vque remarquable au dbut du VIlle sicle.

    (2) STI CYPRIANI Epistulae, ep. LXVII (d. Bayard, surtout p. 231-232). (3) Il prononce quatre sermons sur saint Vincent de Saragosse.

    manuehoze

  • 308 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    lui ait t fournie par Orose. Enfin le Credo de l'glise moza-rabe prsenterait quelque ressemblance avec celui de l'glise d'Afrique 1). Toutefois, les relations entre la cte mditerra-nenne de la Btique et Rome tant les plus importantes de toutes et en l'absence de preuve contraire, nous admettrons la filiation romaine directe de la chrtient btique. Mais y eut-il de la part de l'vque de Rome un envoi dlibr, semblable celui d'Augustin par Grgoire le Grand, ou de Boniface par Grgoire II, ou au contraire dpart spontan de missionnaires, nous n'avons aucun moyen de le savoir : les termes missi II ou nuntii II ne signifient rien cet gard. Le nombre sept lui-mme appelle quelques rserves. Sept est le nombre parfait ; l'aptre saint Jean avait crit aux sept glises de la province d'Asie. En Gaule, Gr.goire de Tours parle de sept vques envoys de Rome pour prcher le chris-tianisme 2). Il n'est pas impossible que les chrtiens de Btique aient aussi voulu possder leurs sept glises ds l'ge aposto-lique et leur aient lors attribu autant de missionnaires.

    Les noms des Sept ne nous apprennent pas grand'chose non plus. Torquatus et Secundus sont latins et n'ont pas de rap-port particulier avec la Btique. Ctsiphon et Hesychius 3) sont d'origine grecque, mais les Grecs taient nombreux Rome surtout parmi les chrtiens. Caecilius rappelle le nom de Caecilius Metellus qui fut proconsul de l'Espagne Ult-rieure au temps de la guerre de Sertorius et a pu laisser son nom aux nouveaux citoyens qu'il avait crs. Vpitaphe d'un L. Helvius Euphrasius a t dcouverte Jerez de los Cabal-leros 4), ces deux noms ont donc quelque vague attache avec la province. lndalicius, par contre, parait purement espagnol: sa racine se retrouve dans le nom d'Indibilis, l'adversaire des

    (1) F. S. BADCOCK. Le Credo primitif d'Afrique, ap. Rev. Bnd., 1. XLV, 1933.

    (2) Historia Francorum. I, 28. (3) Le mme nom Hispalis et Gads (C. 1. L., nO 1221 et 1804). (4) B. R. A. H., t. XXX, 1897, p. 335.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 309

    Romains pendant la deuxime guerre punique. La prdication aurait donc t en partie l'uvre d'Ibro-romains ?

    Les villes o se seraient fixs dfinitivement, suivant la lgende, nos sept missionnaires, ne sont pas toutes dtermines avec prcision. Acci sige de Torqil-atus, !li berri de Caecilius, !liturgi d'Euphrasius, ne soulvent pas de difficult. U rci, d'lndalicius serait l'actuelle Pechina 1). A bula de Secundus s'identifie non avec Avila de Castille, mais AbIa, l'Alba de l'Itinraire entre Acci et Urci, l"A60U/,;K de ptolme 2). Vergi de Ctsiphon est plac par le P. Fita Albuniel de Cambil, 22 kilomtres au S. E. de Jaen, ce qui correspondrait peu prs la OVp/,c),w'. de Ptolme 3). Nous prfrons, avec le P. Garcia Villada, la mettre Berja, l'Ouest d'Almeria, qui possdait une glise ddie saint Ctsiphon et o on a d-couvert, en 1925, un trs beau sarcophage chrtien du IVe OU v e sicle "'). Quant Carcesa, o se fixa Hesychius, ce n'est ni Carteia, trop loin notre avis de la rgion prcdente, ni Castulo, plus vraisemblable, mais dont la graphie s'en loigne un peu trop. Le P. Fita parat avoir raison de l'identifier avec la KdpKX de Ptolme qu'il met Carchel, une trentaine de kilomtres au Sud de Jaen 5).

    A quelle poque eut lieu l'vanglisation? Rien ne permet de le prciser. Dans l'Espagne citrieure, on avait gard le souvenir d'une prdication tardive. Le prologue de la Passion

    (1) Une translation de reliques attribues il Indalicius eut lieu de l'cchina il S. Juan de la Pea (Aragon) en 10R4. E. S., t. VIII, p. 225.

    (2) Itin. Anlonin ; 404 ; PTOL., II, VI, liO : cf. GARCIA VILLA DA, op. cil .. t. l l, p. 161."

    (:1) F. FIT,\': Vergilia ciudad Basle/ana en Albuniel de Cambil (13. R. A. H., t. LXV (1914), p. 577).

    (4) GARCiA VILLADA ibid., p. 160. 1\1. Carriazo note: que la distance entre Derja et Guadix est comparable celle qui spare Guadix et les autres ychs des missionnaires, qU'on a signal prs de Berj a des ruines antiques non encore explores, enfin que la proximit des mines de plomb a d en faire un centre mportant dans l'Antiquit comme l'poque musulmane. A. E. A. A., 1925, II, App.

    (5) PTOL. II, VI, 60. Cf. F FITA. ibid., p. 581. GAMS voudrait y retrouver le nom de Ad Carceres ?

    manuehozeLnea

    manuehozeComentario en el textoZACARIAS GARCiA VILLADA, S. L, Historia eclesiaslica de Espwla, t. l en 2 vol. (:\Iadrid, 1929)

  • 310 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    de sainte Locadie de Tolde s'exprime ainsi: vangelica eruditio ... sero tendem in Spaniae finibus innotuit, eratque rara fides et ideo magna quia rara 1). )) Mais ce peut tre un effet de style inspir par la Passion de saint Saturnin de Toulouse laquelle il s'apparente, et si la chose est exacte pour le centre de la Pninsule, elle ne l'est pas forcment pour la Btique. A la fin du ne sicle, saint Irne faisant remarquer que, si les glises usent de langues diffrentes, elles ont une mme foi, fait ressortir l'identit des croyances entre les chr-tients des Germanies, des Espagnes, des Gaules, et celles de l'Orient 2). Au dbut du me sicle, Tertullien numrant les lieux o s'est prch le christianisme, cite les diverses tribus des Gtules, de nombreux territoires maures, tous les confins des Espagnes, les diverses peuplades de Gaule, et en Bretagne des lieux inaccessibles aux Romains mais soumis au Christ - tous lieux o on adore le nom de ce Christ qui dj est venu 3) . En faisant la part de son exagration habituelle, on peut admettre quand mme que la Btique tait assez proche de l'Afrique pour qu'il ft renseign avec quelque prcision sur les glises qui s'y trouvaient. D'autre part, le dbut du ne sicle vit le rgne des deux empereurs Trajan et Hadrien, dont la famille tait originaire de Btique ; rien d'tonnant que les rapports entre Rome et la province devenus de plus en plus actifs, aient attir sur celle-ci l'attention de la chrtient de Rome.

    Peut-on prciser davantage ? Le codex Aemilianensis qui, nous l'avons vu, date du xe sicle, nous donne les catalogues des vques de Tolde, Sville et Grenade. S'ils sont copis

    (1) D. H. QUENTIN. Les Martyrologes historiques du M. A., p. 154. (2) Adu. haer., I, x, 2 (P. G. t. VII, coll. 554). (3) Adu. Jud., III (P. L., t. II, col. 610-611) : " ... ut jam Getulorum varie-

    tates et Maurorum multi fines, Hispaniarum omnes termini et Galliarum di-versae nationes et Britannorum inaccessa Romanis loca Christo vero subdita ... in quibus omnibus locis Christi nomen qui jam venit regnat.

    (4) E. S., t. XII, p. 102 sqq. (5) Ibid., p. 139 et 150.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 311

    "ur les diptyques, c'est--dire les listes des vques dfunts qu'on lisait dans les fonctions liturgiques, ils prsenteraient quelque garantie d'authenticit. Ce n'est malheureusement pas le cas de celui de Grenade qui commence ainsi :

    Incipiunt nomina defunctorum episcoporum Eliberitanae sedis. Cecilii, Leuberindi, Ameanti, Ascani, Juliani, Agustuli, Marturi, Gregorii, Petri, Fabiani, Honasteri, Optati, Petri, Zoyli, Joannis, Valerii, Lusidii, Joannis, Item Joannis, Viri, Joannis, Item Joannis, Manti, Respecti, Caritoni, Petri, Vincentii, Honorii, Stefani, Batonis, etc.

    Cette liste n'est sre qu' partir du vingt-neuvime nom: Stephanus a sig au 3e concile de Tolde en 389. Bato, ou Baddo, celui de 597. Pour la priode primitive, elle est pleine de confusions et sans aucune valeur. Si on veut toute force en sauver quelque chose on gardera Fabianus, qui peut tre le Flavianus qui signa au concile d'Iliberri en 311, un Johannes qui apparat la fin du IVe sicle, et Grgoire l'vque du IVe sicle. Mais celui-ci devrait s'insrer entre Flavianus et Johannes. Son omission et t invraisemblable, car en Espagne il a touj ours t rvr comme un saint et il est spcialement nomm dans le calendrier de Cordoue 1), mais il a t mal plac. Le Petrus nO 9 est, notre avis, le mme que le nO 13, car au Ille sicle la coutume n'existait pas encore en Occident de tirer des noms du Nouveau Testament 2). Aussi, aprs Marturius, donnerions-nous le 8e rang Flavianus et Grgoire et Petrus se placeraient entre Optatus et Zoylus. En accordant une moyenne de 25 ans d'piscopat chacun des prdcesseurs de Flavianus, ce qui est beaucoup, Caecilius

    (1) " XXIV. Apr. Festum Sancti Gregorii in civitate Granata. d. Dozy, p. 47.

    (2) Parmi les quatre-vingt-sept vques qui signrent les Actes du concile de 256 Carthage, deux seulement portent des noms tirs du Nouveau Tes-tament (le no 72 Petrus, le nO 47 PUlus). C'est seulement partir du milieu du Ille sicle que les parents donnrent leurs enfants des noms expressment chrtiens tels que Pierre et Paul (P. de LABRIOLLE dans l'Histoire de l'Eglise, sous la direction de A. FLICHE et V. MARTIN, t. IV, p. 585).

  • 312 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    n'aurait pas commenc sa prdication avant le rgne d'Antonin, ceci n'tant naturellement que pure conjecture.

    Quant aux dtails du rcit, nous n'avons aucun moyen d'en contrler l'exactitude. Deux points sont cependant noter: l'irritation des paens devant l'indiffrence que les chrtiens nouveaux venus tmoignent leur fte, et le branle donn par une femme, peut-tre appartenant aux classes dirigeantes, au mouvement des conversions. Ces deux circonstances se retrouvent ailleurs dans le monde romain et rien n'empche de croire qu'elles se soient en effet produites Acci. Quant au sort des missionnaires, le missel mozarabe les considre comme martyrs, mais Rodrigo de Cerrato dit simplement felici obitu ad Dominum migrauerunt )}.

    En rsum, ce que nous pouvons accepter, c'est la haute an-tiquit de la Foi dans cette partie de la cte mditerranenne; peut-tre est-ce aussi par l que, dans la seconde moiti du Ile sicle, elle se rpandit l'intrieur de la Btique, le long de la route qui menait la rgion minire de la Sierra Morena et aux valles adjacentes du Singilis et du Btis. La ville de Guadix j oua probablement un certain rle, et le nom de Tor-quatus d'Acci rest vivant dans la tradition de cette ville, serait le noyau authentique autour duquel se cristallisa tardi-vement l'histoire lgendaire des sept missionnaires.

    Les martyrs. - Le christianisme fit en Btique de lents et obscurs progrs. Mais tandis que dans l'Espagne du Nord l'attention des autorits fut attire de bonne heure, puisque la perscution de Dce provoqua dj une affaire d'vques

    (1) E. S., t. IV, p. 41 64. (2) Le martyrologe lyonnais dit de mme: ... et Torquatus Acci, Tesipholl

    Vergi... quieverunt. )) Quant leur tombeau, l'hymne de l'office gothique s'ex-prime ainsi: (E. S., t. X, p. 10)

    Consepti tumulis urbibus in suis Cette tradition est confirme pour l'un d'eux par Euloge de Cordoue: Ecclesia beati Euphrasii apud Iliturgi urbem super tumulum ejus )) (P. L., t. CXV, col. 859).

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 313

    libellatici, les premires perscutions semblent avoir pargn les chrtients de Btique : soit que les gouverneurs se soient montrs indiffrents, soit que du ct chrtien les gens assez instruits pour prendre la plume et nous raconter les procs des martyrs aient fait totalement dfaut.

    La seule perscution sur laquelle nous ayons quelque dtail est celle de Diocltien. Ossius, dans sa lettre Constance III), lui rappelle qu'il confessa la foi lors de la perscution de Maximien son aeul. Il s'agit vraisemblablement de la grande perscution de 303 ; Lactance en effet, assez proche des vne-ments, nous dit que l'Espagne tait du ressort de cet empe-reur 2). C'est la mme poque qu'il faudrait rapporter la condamnation des saintes Justa et Rufine, si on peut faire fond sur la note de l'ancien brviaire de Sville qui la met en 287 aprs J.-C. 3), mais leur arrestation fut provoque par un tumulte populaire et non par une mesure administrative d'ordre gnral.

    Rien ne permet d'attribuer positivement les autres martyrs cette perscution. Les noms des ~~verneurs mis en cause sont inconnus par ailleurs. Celui qui condamna les saintes Justa et Rufine se nommerait Diogenianus, Eugenius celui qui condamna Faustus, Januarius et Martialis. Le calendrier de Cordoue met la condamnation d'Acisclus sur le compte d'un certain Dion, prfet de Cordoue 4) }), mais un praefec-tus juredicundo )} de cit n'avait pas le jus gladii )} ; les Actes le nomment, avec plus de raison, Praeses et ils ajoutent que la rage des paens svissait per universum tune orbem }). La valeur des Actes est quasi nulle, mais le prologue qui nous donhe ce renseignement pourrait tre authentique. Il s'agirait bien l de la grande perscution la fin du rgne de Diocltien.

    (1) ATHANASE. His/. Arian, ad Monachos, 44 (P. G., t. XXV, col. 743). (2) De mor/. persec., VIII, 3, et XVI, 1. (3) Passae sunt autem temporibus Diocletiani et Maximiani imperatorum,

    circa annum Domini ducentesimum octogesimum septimum ". (4) Calendrier de Cordoue, d. Dozy, p. lOB, au 28 novembre.

  • 314 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    Il est curieux que ces trois fonctionnaires portent des noms hellniques. Dacianus, que le calendrier de Cordoue appelle Prae/ectus Yspaniarum 1) aurait svi en Tarraconaise et en Lusitanie, : nous hsitons en faire un Vicarius Prae/ecii per Hispanias, Vicaire du diocse d'Espagne, car sa rsidence -au moins sous Constantin - est Sville. Il se pourrait que ce fut le nom d'un gouverneur de Citrieure, que sa cruaut envers les chrtiens aurait transform en type gnral de perscuteur, comme Anulinus en Afrique.

    Les sources dont nous disposons sont maigres. Elles se r-d uisent deux vers de Prudence et aux noms que nous donnent les martyrologes 2), le calendrier de Carmona 3), qui ne cite malheureusement que les saints dont les reliques taient dans l'glise prs de laquelle on le trouva, et les calen-driers mozarabes 4). Les Actes des saintes Justa et Rufine con-tiennent des dtails exacts sur les cultes paens, on n'en peut pas rigoureusement conclure que dans leur tat actuel, ils nous prsentent le rcit authentique et primitif des deux Passions. Ceux de Zole, bien que leur brivet parle en leur faveur, sont douteux, ceux d'Acisclus, pure lgende 5), et les offices du Brviaire Gothique inspirs par des sources de faible valeur.

    (1) Ibid., p. 99, au {8 octobre. (2) MARTYROLOGIUM HIERONYMIANUM. (A_cfa Sanctorum Novembris. T. II,

    pars posterior, d. H. DELEHA YE). Ce martyrologe tait connu de Cassiodore et de saint Grgoire le Grand, mais sa forme actuelle date du VIe sicle. C'est probablement alors qu'on y incorpora les saints espagnols. Pour les autres ca-lendriers : H. QUENTIN. Les martyrologes historiques du M. A.

    (3) F. FlTA. Lapidas visig6/icas de Carmona, B. R. A. H., t. LIV (1909), p. 34-35; t. LV, p. 273 sqq et H. DELEHAYE. Le calendrier lapidaire de Car-mona, dans Ana!. Bol!., t. XXXI (1912), p. 319 et suiv.

    (4) DOM MARIUS FEROTIN. Le Liber ordinum en usage dans l'glise wisigo-thique et mozarabe d'Espagne du Ve au XIe sicle (1904) ; sur les calendriers: app., p. 449. - Le MISSEL GOTHIQUE ap. ID. Liber mozarabicus sacramentorum (1912) et P. L., t. LXXXVI, p. 1220 sqq. Sur les martyrs espagnols, H. DE-LEHAYE. Les origines du culte des martyrs, p. 365 sqq.

    (5) Les Actes des saintes Justa et Rufine : E. S., t. IX, p. 342 ; de saint Zolus, ibid., t. X, p. 494, des saints Faustus, Januarius, Martialis, p. 508 ; de saint Acisclus, p. 485. Pour saintes Justa et Rufine, voir E. CUMONT. Les Sy-riens en Espagne et les Adonies de Sville, dans Syria, t. VIII, 1927 p. 330. H. DELEHAYE. Anal. Boil., t. XLVIII (1930), p. 404.

    LE CHRISTIANISME EN BTI

  • 316 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    martyrs de Saragosse, pour reparatre encore le 9 novembre. D'aprs le calendrier de Cordoue, leur spulture tait en dehors de la ville, in vico Turris, le bourg de la Tour, de situa-tion inconnue. Leur fte se clbrait in sanctis tribus, c'est--dire dans une glise urbaine nomme les trois Saints en leur honneur. C'est eux qu'une inscription de Leja appelle les Trois Seigneurs: domini ires. Le Brviaire Gothique qui met leur fte le 19 octobre, donne sur les supplices qu'ils endurrent des dtails probablement inspirs de leurs Actes 1).

    A Astigi nous connaissons les noms de deux martyrs: saint Crispin et sainte Treptes. Le calendrier de Carmona fixe la fte de Crispinus au 13 mai : peut-tre anniversaire de la translation de ses reliques. Le mme nom se re-trouve dans le calendrier de Cordoue et le martyrologe hi-ronymien au 20 novembre, qui serait alors l'anniversaire de la mort. Les autres calendriers mozarabes du XIe sicle le font non seulement martyr, mais vque. Peut-tre est-ce de sa basilique qu'on a retrouv les fondations, non loin d'un sarcophage de marbre, portant les figures d'Abraham et Isaac, du bon Pasteur et de Daniel dans la fosse aux lions 2).

    Quant Treptes, dont le nom se retrouve au masculin sous la forme Treptus dans des inscriptions de Btique 3), sa fte est fixe par le calendrier de Carmona, au 4 mai. Les calendriers mozarabes la nomment en gnral Trepetis, au gnitif ; seul celui de Cordoue donne Treptecis virginis in civitat Estiva)). Le Liber Sacramentorum la cite galement. C'est tout ce que nous en savons.

    A Sville ont survcu les noms du diacre Flix, transmis par le Calendrier de Cordoue et celui de Carmona, qui mettent

    (1) P. L. LXXXVI, p. 1226. MarI. Hier., p. 56 ; 554; 592. Cal. Cord., d. Dozy, p. 96 au 13 octobre. HUBNER. 1. H. C., no 374.

    (2) A. LAMBERT. Ap. Dictionnaire d' His/aire et de Gographie ecclsiastiques s. v. Astigi., t. III, col. 1179-1189.

    (3) C. 1. L. II, 1025 (Threptus) et 1502 (TrepLus). A Rome aussi (N d S 1912). . .. c.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 317

    sa fte le 2 mai, de mme que le Liber Ordinum 1), et surtout des populaires saintes Justa et Rufine, dont la fte est mise au 17 juillet par les calendriers mozarabes, tandis que le marty-rologe hironymien met la fte de sainte Justa seule au 19 juillet. Nous avons dj parl des circonstances de leur martyre. A l'occasion des ftes de la desse Salambo o une procession paenne parcourait les environs de Sville, Justa et Rufine, qui tenaient un commerce de poterie, refusrent de donner quelqu'un des vases de leur magasin aux dvots qui accompagnaient la procession. Il s'ensuivit une bagarre o l'idole fut brise, ce qui amena l'arrestation des deux chr-tiennes. Le gouverneur, nomm Diogne, les fit amener Sville et soumettre la torture. Justa mourut en prison, Rufine fut dcapite. L'vque Sabinus leur fit donner une spulture honorable.

    A Italica, l'hymne du Brviaire mozarabe pour l'office de saint Geruntius nomme celui-ci Antistes et con/essor; elle raconte qu'il aurait t tran par le peuple devant le gouver-neuretsurl'ordre de celui-ci mis auxfers, puis excut 2). Mais le Calendrier de Cordoue ne mentionne pas son supplice et le martyrologe romain use de l'expression : il mourut en prison in car cere quievi{, ainsi qu'U suard, mais peut-tre faut-il entendre aussi que l'glise o reposent ses restes s'intitule ad Carcerem )) 3) ?

    Ces actes, malgr leur peu d'autorit, nous montrent que la procdure, en Btique, ne diffra pas de ce qu'elle fut ailleurs. Zolus. est dnonc par des paens; Fa ustus, Januarius, Mar-tialis se dclarent chrtiens lorsqu'on les a convoqus pour sacri-fier; Justa et Rufine sont arrtes la suite d'une bagarre.

    (1) H. DELEHAYE. Les origines du culle des Martyrs, p. 369. (2) E. S., t. XII, p. 255 : ... Tandem ira gentiliumjad passionem trahitur

    Sed mox praecepto praesidisjnodis gravatus ferreisjhorrendis umbris carcerisj datus in jus carnificis. ))

    (3) Festum Sti Geruncii episcopi in Talica )), p. 82, au 26 aot. Le marty. rologe romain le met au 25 aot; de mme Usuard. P. L. CXXIV, col. 398.

  • 318 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    Enfin, il n'est pas invraisemblable qu'Acisclus ait t arrt, sur le rapport d'un fonctionnaire de l'officium du gouverneur, sans doute le policier charg d'enquter sur les chrtiens, si on peut aj outer foi au prambule de ses Actes. La perscution fut moins violente qu'ailleurs : l'vque de Sville, Sabinus, ne fut pas inquit, puisqu'il signa au concile d'Iliberri. Ossius, sans doute dj vque, confessa la loi, c'est--dire fut emprisonn et tortur, mais non point condamn mort.

    Finalement, de tous ces confesseurs, rien n'a survcu que les noms et la date o l'glise clbrait leur martyre 1). Mais ils furent honors de bonne heure. Leurs noms reviennent dans de nombreuses inscriptions, qui tantt signalent la prsence de leurs reliques, tantt rappellent la construction d'une glise sous leur invocation. Elles sont disperses dans toute la province et aussi dans la Citrieure, ce qui prouve la popularit dont ils ont joui ds l'poque wisigothique 2).

    L'organisation ecclsiastique. - Le christianisme se r-pandit progressivement dans toute la province : au v e sicle on rencontre des inscriptions chrtiennes dans presque toutes les rgions de Btique ce qui laisse supposer une vanglisation totale, en surface tout au moins, et contraste avec l'Espagne. du Nord o l'on gardait le souvenir d'obstacles srieux 3).

    Sville. - Ds la seconde moiti du Ille sicle, des glises taient certainement fondes dans les principales villes. Le codex Aemilianensis donne pour Sville la liste d'vques sui-vante:

    (1) A. LAMBERT. art. cit, p. 70. (2) HUEBNER, J. H. C., no 80 : Justa, Rufine et Flix Salpensa, no 85 :

    Flix, Acisclus, Zolus Medina Sidonia ; nO 89 : Justa, Rufine, Felix Alcala de los Gazules ; nO 140 : Acisclus Hermisga en Asturies; no 374 : Acisclus et Domini tres, prs de Grenade; nO 382 : le mme Acisclus Gradafe dans le Lon. Par reliques il faut d'ailleurs entendre non point toujours des fragments du corps, mais, et peut-tre plus souvent, des brandes c'est--dire des objets ayant touch le corps ou le tombeau. .

    (3) SULPICE SVRE. Chron., II, ch. XXXII et v. sup. p. 310. Cette opinion est pourtant combattue par le P. Garcia Villada, op. cit., I, 2, p. 169.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 319

    1ncipiunt nomina defunctorum episcoporum Spalensis sedis : M arcelli, Sabini (1), Evidi, Deocleti (Deodati ?), Samproniani (Semproniani ?), Gemini, Glauci, Marciani, Sabini (Il), Epiphani, Orontii, Zenonis, etc 1).

    Le P. Florez remarque que Znon nous est connu par les lettres logieuses lui adresses par les papes Simplice (472-483) et Flix; Sabinus (II) selon la chronique d'Idace, tait vque en 441 2), Sabinus (1) serait celui dont parlent les Actes des saintes Justa et Rufine, et qui participa au concile d'Ili-berri. Son prdcesseur, Marcellus, serait donc le premier vque de Sville et aurait exerc son piscopat dans la se-conde moiti du me sicle, et assez tard. La tendance gnrale tant plutt d'allonger les listes pour reculer l'antiquit du sige, nous pouvons accepter cette date. On objectera, il est vrai que de Sabinus (1), dont l'existence est atteste en 287, Sabinus (II) pour qui elle ne l'est pas avant 441, pour sept prlats seulement, on compte 154 ans, soit une moyenne de 22 ans pour chacun, ce qui est beaucoup. Mais Sville mme, saint Landre exera 20, ans de 579 599; saint Isidore 37 ans, de 599 636 et nous sommes encore loin des soixante annes d'piscopat d'Ossius de Cordoue et des trente cinq de Gr-goire d'Elvire.

    Italica. - Nous trouvons un vque d'Italica, Eulalius, au Ille Concile de Tolde (589). L'existence de ce sige avant la conversion des Goths, bien qu'il ne soit pas reprsent au concile d'Iliberri, cte cte avec celui d'Hispalis si proche, laisse supposer qu'il date d'une poque o la grande ville n'avait pas encore clips sa voisine. Peut-tre mme lui est-il antrieur. Son fondateur, en effet, aurait t saint Geruntius dont le martyrologe romain dit la date du 25 aot: 1 talicae

    (1) E. S., XIX, p. 124. (2) Chrono d' !dace. Mon. Germ. Hist., t. XI, p. 1" : p. 24, nO 124. Sabino epis-

    copo de Hispali factione depulsus, in locum ejus Epifanius ordinatur fraude non jure.

  • 320 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE in Hispania. Sancti Geruntii episcopi, qui tempore Apostv-lprum Evangelium in ea provincia praedicans post multos la bores in carcere quievit )). Dans l'hymne de l'office moza-rabe on lit:

    II ie lertur apostolico Vates luisisse tempore Et praedicasse superum Patrem potentis filii 1).

    L'expression: au temps des Aptres signifierait notre avis: au dbut de l'vanglisation. Le calendrier de Cordoue, beaucoup moins explicite, indique seulement au 26 aot la fte de saint Geruntius, vque Italica.

    Cordoue. - A Cordoue, nous ne connaissons pas d'vque avant Ossius, mais il y avait dj des familles chrtiennes depuis au moins deux gnrations, puisque ZoIus a reu une ducation chrtienne.

    Autres vchs. - Au dbut du IVe sicle, la liste des signatures au concile d'Iliberri nous donne un bon tat des glises existant en Btique. On lit en effet 2).

    Cum consedissent sancti et religiosi episcopi in Ecclesia Heli-berritana, id est: Felix episcopus Accitinus, Osius episcopus Cordu-vensis, Savinus episcopus Spalensis, Camerinus Tuccitanus, Sinagius Ipagrensis, Secundinus e. Castolenus, Pardus e. Mentesanus, Fla-vianus e. Heliberritanus, Cantonius e. Corcittanus (ou: Urcitanus), Liberius e. Emeritensis. Valerius e. Casesaraugustanus, Decentius e. Legionensis, Melantius e. Toletanus, Januarius e. de Fiblaria, Vincentius e. Ossonobensis, Quintianus e. Elborensis, Successus e. de Eliocroca, Eutinianus e. Bastitanus, Patricius e. Malacitanus.

    Restitutus presbyter Elehepora, Natalis presbyter Ursona, Mau-rus pro Illiturgi. Lamponianus de Karula, Barbatus de Adjungi, Felicissimus de Ateva, Leo de Acinippo, Liberalis de Eliocroca. Januarius a Lauro, Januarius Barbe, Victorinus Hegabro, Titus

    (1) E. S. XII, p. 258. (2) J. VILLANUEVA. Viage literario a las iglesias de Espana, t. XI, p. 253,

    d'aprs le manuscrit d'Urgel et P. L. LXXXIV, p. 301. Le P. Fl6rez d'aprs d'autres manuscrits adopte un ordre diffrent et qui est peut-tre plus vraisem-blable. (E. S., t. X, p. 162 et XII, p. 186).

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 321

    Avinae, Eucharius Municipio, Silvanus Segalb~nia, Vi~tor Ulia, Le.o Gemella, Luxurius Dedrona, Eumancius Soba, E~tIces C~rthaglniensis, Januarius Urci, Turrinus Castelona, Ementus Bana, Cle-mentianus Ossigi, Julianus Corduba.

    On a identifi sans difficult: Acci (Guadix), Cordova, (Cor-doue), Spalis (Sville)" Tucci (Martos), Ipagru"! (Agui~ar), Castulo (Cazlona), Meniesa (La Guardia), Urn (Pechma), Emerita (Merida), Caesaraugusta (Saragosse), Legio (Leon), Toletum (Tolde), Ossonoba (Faro en Portugal), Elbora (Evora en Lusitanie, plutt que Ebura Cerealis), Eliocroca (Lorca), Basti (Baza), Malaca (Malaga), Elehepora = ~~ora (~on:oro), Urso (Osuna), Iliturgi (prs de La Huesca, a lEst. d Ar]o~~), Karula (C ortij 0 deI Birrete prs de Moron), Adjungl = A~ilgl ? (Ecija), Ateva-Ategua (Teba la Vieja), Acini~po (R~nd~ la Vieja), Lauro (Alora), Barba Singilia (El CastIllon, pres d ~ntequera), l gabrum (Cabra), Segalbinia-Segambina (Salobrena), Ulia (Montemayor), Gemella (Martos), Carthago (Cartha-gne), Baria (Villaricos), Ossigi (Maquiz). . ,.,

    Le municipium, dont vient le prtre EucharIus et qu Il ~ ~ pas prouv le besoin de spcifier, est sans d~ut~ le MU~lClpium Iliberritanum lui-mme. Solia pourrait etre la ~~),(a de Ptolme 1), Avinae, qu'on place Uciese prs d'Arjona, pourrait tre aussi, notre avis, une faute : AVINAE p~ur N Quant Dedrona cette localit est absolument lll-~ AEVA. ' connue; nouS proposerions de couper: de Drona, qui serait Brona ou Ibrona que Pline met quelque part dans le con-ventus de Cadix; peut-tre vers Malaca l'intrieur 2). Fi-blaria seule n'est pas identifie avec prcision 3).

    Si on jette un coup d' il sur la carte, on remarquera que les glises se groupent dans un cercle assez restreint~ au. ~ud: est de la province. C'est assez naturel, puisque le concIle sIege a

    (1) PT. II, IV, 9. (2) PLINE, Hist. nat., III, III, 12. (III, 15, d. Detlefs~n). ,. , _ 3) Il Y a une Fiblaria Lobarre prs de Huesca, malS son eghse n est at

    teste que tardivement.

  • 322 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    Grenade, mais du moment que des vques de Lusitanie et de Citrieure fort loigns se sont dplacs, il est probable qu'il n'yen avait pas davantage en Btique. Si la cte oca-nique et l'Extremadoure du Sud ne sont pas reprsentes, il est permis de croire qu'elles n'ont pas t vanglises avant le IVe sicle. Les vchs les plus nombreux se pressent dans la rgion limitrophe de la Tarraconaise : d' U rei Caslulo, l o la tradition mettait justement le dbut de la prdication chr-tienne. Par contre, un certain nombre d'vchs attribus aux Varones apost6lieos ont disparu, s'ils ont jamais exist: AbIa, Vergi, Carcesa. Iliturgi est reprsent par un prtre, mais comme il n'existe pas non plus l'poque gothique, on peut croire qu'il avait dj disparu cette date. Par contre, l'poque gothique A bdera (qui a peut-tre succd i/ ergi) Asido, Ilipula, auront leur vque, tandis qu'elles ne sont pas reprsentes au concile, mme par un .... simple prtre. Rien sur la cte, de Malaga Huelva; l'pigdphie chrtienne y est d'ailleurs trs pauvre avant l'poque wisigothique 1). Par contre, il y a un vque Ossonoba au fond de la Lusitanie: la communaut chrti-enne y ayant sans doute t fonde par quelque marin ou commerant dbarqu dans le port.

    Le P. Garca Villada a remarqu que ces communauts se placent le long des routes romaines ou proximit 2). Nous di-rions plutt le long des voies naturelles de communication de la mer la valle du Btis :

    - sur la route d'Urci la haute valle: Acci, Basti, Men-tes a, Tucci, Iliturgi, Ossigi, Castulo ;

    - sur la route de Malaga Cordoue: Lauro, Barba, Ge-mella, Igabrum, Ipagrum, Ategua, Ulia ;

    - sur le trajet de Carteia Sville: Acinippo et Karula ; enfin le long de la route ctire: Carthagne, Baria, Urci Selambina, Malaga.

    (1) A. LAMBERT. Ap. Diet. d' Hist. et de Gogr. eeels., s. v. Asido. (2) Op. cit., p. 177 et carte.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 323

    Les fidles. - Nous ne savons comment la pntration se fit, mais les chrtiens au dbut du IVe sicle se recrutaient dans toutes les classes. Zolus parat avoir appartenu une famille en vue; de mme Ossius, qui, nous dit-on, possdait une grande for-tune personnelle 1). Le concile ,d'Iliberri prvoit le baptme des duumvirs et des flamines 2), c'est--dire de l'aristocratie provinciale. Il y avait des commerants 3), puisqu'il prvoit le cas o ils continueraient leur ngoce aprs leur admission dans les ordres. Par contre, Justa et Rufine sont de petites gens, et le mme concile rgle l'admission des affranchis, des cochers, des pantomines et mme d'anciennes courtisanes 4). En tout cas, les chrtiens sont dj nombreux, puisque le concile parle de la foule des jeunes filles: copiae puellarum 5). Le fond des communauts parat avoir t fourni par l'l-ment latin ou ibro-romain. A part Zolus et Acisclus, on ne voit gure de noms grecs : dans les listes d'vques, ils n'ap-paraissent qu'au VIe sicle, Sville par exemple 6).

    Le personnel ecclsiastique. - Au dbut du IVe sicle l'glise de Btique est dj fortement organise. C'est le concile d'Iliberri qui nous fournit naturellement le plus de renseignements cet gard. A la tte des principales glises sont des vques, assists de prtres, de diacres, de sous-diacres, et de lecteurs. Il devait y avoir, en principe, un vque par cit mais certaines glises sont reprsentes au concile par des prtres; sont-ils les mandataires de leurs vques, ou dirigent-ils des communauts autonomes? Le con-cile de Sardique spcifie bien qu'il ne faut pas !instituer d'v-ques dans les villes trop petites 7) mais comme on a peme

    (1) ISIDORE, De viris illustribus, V, 7 : senex et dives. (2) Cano 2, 3, 4, 55-56. (3) Cano 19, 20. L'usure signifie simplement la banque. (4) Cano 44, 62, 80. (5) Cano 15. (6) Encore faut-il tenir compte de la conqute byzantine. (7) Cano 6 lat. Licentia vero danda non est ordinandi episcopum aut in vico

    aliquo aut in modica civitate cui sufficit unus pre sb y ter ...

  • 324 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    admettre qu'il s'en trouve un Eliocroca et non point Car-thagne, l'importance de la communaut devait entrer aussi en ligne de compte. De mme les petites villes qui forment un cercle autour d'Ipagrum pouvaient facilement recourir l'vque tout voisin lorsqu'il en tait besoin, aussi ne sont-elles vraisemblablement fldministres que par des prtres 1). Pourtant Tucci et Mentesa, Acci et Basti, si proches, en poss-dent chacune un. Pour Astigi, le cas est douteux; l'glise est reprsente par un prtre Iliberri, un prtre et un lecteur Arles 2); seul le martyrologe d'Adon donne Crispinus le titre d'episcopus et martyr 3), la liturgie gothique le nomme seulement martyr; le premier vque certain d'Astigi est Gaudentius cit au premier concile de Sville, au milieu du VIe sicle, et au Ille concile de Tolde, en 589, Servandus signe diaconus ecclesiae Astigitahae agens vicem domini mei Pergasi 4). Urso ne dlguera non plus qu'un prtre et un diacre au con-cile d'Arles 2). Mais ces deux glises auraient-elles particip ce concile, si elles n'avaient pas eu d'vque? Pour Astigi et Osuna, nous pensons donc que les prtres reprsentaient les vques empchs.

    Il n'est pas encore question du mtropolitain dans la pro-vince et nous ignorons quelle date il fit son apparition. Tar-ragone sera la premire mtropole d'Espagne, vers 385 5). Sville, bien qu'elle soit la rsidence du Vicaire des Espagnes, n'aura ce rang que plus tard, la fin du IVe OU au v e sicle 6)

    (1) Le cas parat prvu par le' canon 77 du concile d'Iliberri : Si quis dio-conus, regens plebem sine episcopo vel presbytero ... ))

    (2) P. L., t. LXXXIV, p. 242 : " Ex civitate Baetica Sabinus pre sb y ter, ex civitate Urs(ul)entium Natalis presbyter, Cytherius diaconus... ex civitate (B)astigentium Termarius presbyter, Victor lector. )) La civitas Baelica pourrait tre Baecula, la Beteca de Tarraconaise n'est connue que par les Nomina Civi-tatum Hispaniae d'Oviedo (VIlle S.).

    (3) E. S., t. X, p. 84. (4) Ibid., p. 86-87. (5) Lettre d'Himerius de Tarragone Geminus de Sville pour lui commu-

    niquer la lettre du pape Sirice sur les mtropolitains. E. S., t. IX, p. 135. (6) La lettre de Simplice Znon (postrieure 467) suppose que le sige

    est mtropole depuis quelque temps puisqu'il y ajoute la dignit de vicaire du

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 325

    et en 517 seulement le pape Hormisdas confre Sallustius les fonctions de Vicaire du Saint-Sige en Btique et Lusi-tanie 1). Mais il existe une prima cathedra. Ce pourrait tre la ville piscopale elle-mme, distingue ainsi des glises filiales, presbytrales ou diaconales. Peut-tre faut-il plutt la rap-procher de la prima sedes d'Afrique 2) : dans ce dernier pays, sauf pour Carthage, c'est l'vque le plus ancien de la province qui exerait les droits mtropolitains. La prima cathedra se-rait ainsi le sige du doyen dans l'piscopat, place qui l'poque du concile est occupe probablement par l'vque d'Acci qui signe le premier. Cette primaut n'est pas seule-ment honorifique. Le canon 58 du concile d'Iliberri pr-voit que son titulaire interrogera les voyageurs porteurs de lettres de communion, pour vrifier s'ils sont aussi bien en rgle qu'ils le prtendent; il a donc la charge de prot-ger la puret gnrale de la foi dans sa province contre les no-vateurs.

    Dans le peuple chrtien, on distingue les vierges 3), qui for-ment dj un ordre part, les confesseurs, les catchumnes, peut-tre les pnitents.

    Le concile d'Iliberri. - C'est en Btique que se tint la premire runion nous connue d'vques espagnols, le con-cile d' lliberri (Grenade) au dbut du IVe sicle seulement, tan-dis que l'Afrique avait depuis longtemps ses conciles rguliers 4). Sa date est assez incertaine. Les suscriptions qui le mettent

    Saint Sige: congruum duximus vicaria sedis nostrae te auctoritate fulciri. E. S., t. IX, p. 344. Il ne parat pas l'tre encore au moment de l'affaire pris-cillianiste puisque Hyginus de Cordoue s'adresse directement Idatius de Me-rida (vers 380).

    (1) E.S., IX, p. 143 et 346. (2) Cano 58. J. ZEILLER, ap. FLICHE et MARTIN, Histoire de l'Eglise, t. II,

    p. 400-401. Ce doit tre le cas du Paulus piscopus primae sedis provinciae Mauritaniae )) dont la pierre tombale est dans l'glise d'Enfidaville (Tunisie).

    (3) Cano 13. < Virgines quae se deo dicaverunt .. )l (4) HEFELE-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. J, p. 212-264. P. L.,

    t. LXXXIV, col. 301 sq. - FR. LAUCHERT, Die Kanonen der wichtigslen alt-kirchlichen Concilien nebsl den apostolichen Canonen, Fribourg, 1896, p. 13-26.

  • 326 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    au temps de Constantin, l'poque de celui de Nice, sont inexactes sur ce dernier point: ce moment Ossius n'aurait pu y participer, il est Rome prs de Constantin, ds le dbut de 313, si on en croit la lettre de l'empereur Caecilianus. vque de Carthage. Le fait mme qu'il a pu se runir Suppose une priode de paix. Mgr. Duchesne faisant valoir son silence sur les apostasies dues la contrainte, les bons rapports qu'il im-plique entre les matres chrtiens et leurs esclaves idoltres, entre les dames chrtiennes et paennes qui se prtent des vte-ments, la facilit qu'ont les duumvirs et les flamines d'esquiver les sacrifices et les jeux publics, le rapporte la priode que dcrit Eusbe au dbut du VIne livre, vers l'anne 300 1).

    Pourtant, plusieurs canons nous transmettent l'cho d'une perscution; il est question de confesseurs qui donnent des lettres de recommandation, d'apostats, de sacrifices aux idoles, de chrtiens qui ont provoqu eux-mmes le martyre, de dla-teurs qui ont caus la mort de fidles 2). Si on ne parle pas d'apostasies par contrainte, c'est que la question de principe est rgle depuis le trait de Saint Cyprien De lapsis: le grand vque ayant d faire autorit en Espagne, sur ce point comme sur les li bellaiici. Il s'agit donc bien de liquider les derniers restes d'une perscution dj ancienne.

    Il faut, notre avis, rapprocher du concile d'Iliberri celui d'Arles, qui a quelques proccupations communes avec lui. Il prvoit notamment le cas des praesides chrtiens 3). Or, celui d'Iliberri ne prvoit que les duumvirs et les flamines, magis-trats municipaux, et non fonctionnaires impriaux. Pour-quoi? sinon parce qu'aprs la grande perscution il n'y a plus de fonctionnaires chrtiens, tandis qu'en 314, au moment du concile d'Arles, aprs la paix de l'glise, il peut y en avoir.

    (1) L. DUCHESNE. Le concile d'Elvire el les flamines chrtiens. Mlanges Re-nier, p. 169.

    (2) Cano 46, 59, 60, 73, 74, 75. H. KOCH, Die Zeil des Konzils von Elvira. ap. Zeilschritt tr die neutestamenlliche Wissensehafl, 1916, p. 61.

    (3) Cano 4., P. L., t. LXXXIV, p. 238 ; C. KIRSCH, Enchiridion ... , p. 220.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 327

    On a object que Valerius de Saragosse, un des signataires avait pri dans la perscution. Mais les actes de saint Vincent ne parlent que de son exil; il a pu en rchapper tout comme Ossius. Mme s'il tait mort, comme Prudence parle de la damus injulala Valeriarum, outre celui-ci et celui qui signa au concile de Saragosse en 380, il a pu en exister un troisime ce moment 1).

    Parmi les signatures on relve celle de Sabinus, dj vque de Sville en 287, donc un des plus anciens et qui signe en effet en second lieu, celles de Liberius vque de Merida et Natalis prtre d'Osuna qui figurent aussi Arles. Enfin celle d'Ossius qui mourut en 357, g de 101 ans, et comptant plus de soixante ans d'piscopat; lu donc en 296 ; il signa en onzime lieu, ce qui correspondrait bien son rang d'anciennet, tandis que si l'assemble se plaait en 300 il aurait d signer dans les der-niers 2).

    Ainsi nous pensons que le concile se tint suffisamment long-temps aprs la perscution de Diocltien, pour que les bons rapports aient eu le temps de se renouer entre chrtiens et paens. Or, ds 306, l'Espagne est passe avec tout l'Occident sous le gouvernement de l'Auguste Constance Chlore favo-rable aux chrtiens, puis de Maxence qui, au dbut, ne leur fut point hostile 3). Si on en croit le nom de Constantin que donnent certaines suscriptions, ce serait aprs que l'Espagne se fut range de son ct, abandonnant Maxence, donc aprs

    (1) E. S., t. VIII, app. I, p. 233; t. XXX, p. 101,122,317. (2) La prsidence a d tre dvolue au plus ancien et les vques signer

    suivant leur ordre d'anciennet comme c'tait la coutume en Afrique et en Espagne. Posteriores anterioribus deferant ", dit une des rsolutions du con-cile de Milev. Secundum ordinationis suae tempora resideant dit le titre IV du quatrima concile de Tolde (E. S., t. IV, p. 72-73). Flrez numre Felix d'Acci, Sabinus de Sville, Sinagius d'Epagro ... (E. S., t. X, p. 162 et XII, p. 186). VILLANUEVA (Viaje literario ... , t. XI, p. 253) met aussi Felix d'Acci au premier rang. puis Ossius et Sabinus. Il est probable que les signatures taient ranges en deux colonnes, la premire commenait par Felix et Sa-binus, la deuxime par Ossius ; le copiste du manuscrit de Grone aura trans-crit de gauche droite, et non de haut en bas.

    (3) A. PIGANIOL, L'empereur Constantin, p. 81.

  • 328 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    309, un moment o les chrtiens encore en minorit sont tenus de mnager les paens, donc avant les confrences de Milan de 312.

    On lit deux reprises: die iduum maiarum. Rien n'empche de croire que ce soit en effet le 15 mai.

    Le concile s'est tenu Grenade, dans une rgion vanglise depuis longtemps, o les chrtiens devaient tre nombreux, et dans une ville d'accs facile, mais un peu carte: Cordoue, chef-lieu de province, il aurait pris l'air d'une provocation. Il s'est tenu dans une glise: in Ecclesia Heliberriiana. Les diacres et le peuple y assistaient comme spectateurs; l'assemble dlibrante tait forme par les vques et les prtres, mais seuls les vques promulgurent les dcisions, l'unanimit 1).

    Les canons du concile d'Iliberri sont au nombre de 81. Ils ne lgifrent pas pour toute l'glise, bien que plusieurs aient t repris par d'autres conciles ou par la lgislation ecclsias-tique postrieure, mais uniquement pour les provinces es-pagnoles, seules reprsentes d'ailleurs. Ils traitent sans beau-coup d'ordre de matires fort diverses, qui pourtant se laissent ranger sous un petit nombre de chefs 2).

    10 Prcautions contre un retour offensif du paganisme. On prvoit des pnitences gradues contre les fidles coupables d'apostasie (canons 1,46,59), contre les chrtiens qui acceptent les fonctions de flamines (c. 2,3,4,55) ou de duumvirs (c. 56). Il est dfendu de prter des vtements (ou des tentures) pour les ftes paennes (can. 57), de dfalquer des fermages les frais des sacrifices paens (can. 40) ou de garder des idoles dans sa

    (1) Die iduum Maiarum. apud Eliberim residentibus cunctis, astantibus diaconibus et omni plebe, episcopi universi dixerunt . (J. VILLANUEVA, Viage liierario ... , t. XI, p. 253). Le Concile de Saragosse s'est tenu dans la sacristie: in secretario. P. L., t. LXXXIV, p. 615.

    (2) HEFELE-LEcLERcQ. Histoire des Conciles, t. I, p. 212-264. P. GAMS. Die Kirchengeschichte von Spanien, II, p. 1-136. A. HARNACK, Mission und Aus-breitung des Christenlums, p. 530-533. F. GORRES. Die Synode von Elvira ap. Zeitschritl tr wissenschaftliche Theologie, herausgegeben von A. Hilgenfeld, 1903, p. 352. E. GOLLER. Analeklen zur Buszgeschichle der IV. Jahrhunderls., ap. Romische Quartalschritl !r christliche Alterlumskunde, XXXVI, 1928, p. 235.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 329

    maison (can. 41). Il est interdit de peindre des sujets religieux sur les murs des glises (can. 36). On peut considrer aussi comme visant protger la foi les restrictions apportes aux relations avec les juifs (can. 49, 50) 1). Tout cela marque une forte raction contre une tendance la mondanit: peut-tre est-ce la survivance d'un rigorisme antrieur, comme tait celui de la gnration de Tertullien; Pacien de Barcelone, au contraire, reconnatra l'glise un pouvoir de rmission plus grand. Le mot communia n'est pas non plus trs bien dfini encore: tantt il est pris au sens large de communaut chr-tienne, tantt d'eucharistie.

    20 L'homicide est condamn dans quatre canons, notam-ment le meurtre de l'esclave par une matresse trop brutale et l'homicide par malfice (can. 63, 68 et 5, 6).

    30 Dix-neuf canons punissent l'adultre et la fornication. 40 Admission au baptme. Le dlai de probation impos

    aux catchumnes est de deux ans (can. 42). On peut recevoir les courtisanes, cochers, pantomimes, mais seulement s'ils ont renonc leur ancien mtier (c. 44-62) ; les pileptiques ne seront baptiss qu'en danger de mort 2). (c. 29). En cas de ncessit tout fidle peut administrer le baptme (c. 38).

    50 Protection de la moralit gnrale du peuple chrtien. L'exclusion temporaire est prononce contre celui qui est ab-sent de l'glise trois dimanches de suite (c. 21). Celui qui brise les idoles ne sera point reconnu comme martyr (c. 60). Les prescriptions relatives au mariage sont nombreuses: interdic-tion des mariages mixtes (c.15-16-17), dfense de rompre les fianailles sans motif grave (c. 54), dfense au veuf d'pouser sa belle-sur (c. 61), dfense aux femmes maries d'crire ou

    (1) Pour l'importance de l'lment juif en Btique, v. sup., p. 186. (2) DOLGER. Der Ausschluss der Besessenen (Epileptiker) Don Oblation und

    Kommunion nach der Synode Don Elvira dans Antike und Christentum (Mnster, 1933, p. 110). Cf. Revue d' Hisloire ecclsiastique, t. XXX, juillet 1934, p. 709. On croyait la, maladie la fois contagieuse et d'origine dmoniaque. On crai-gnait alors de souiller l'eucharistie par le contact avec le dmon et en mme temps de rpandre l'infection.

  • 330 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    de recevoir des lettres en leur seul nom (c. 81). Il est dfendu d'afficher dans les glises des crits diffamatoires; les joueurs de j eux de hasard, les dlateurs et les faux tmoins sont nergi-quement condamns (c. 73,74,75,79). Enfin il est dfendu aux aux femmes de clbrer les vigiles dans les cimetires (c. 35).

    60 Instructions particulires au clerg. On ne peut tre or-donn prtre que dans la province o on a t baptis (c. 24), les affranchis ne peuvent tre ordonns, non plus que les an-ciens hrtiques (c. 80 et 51). Les diacres, avant leur promo-tion, doivent confesser spontanment leurs pchs graves 1) s'il y a lieu (c. 76). Dfense aux clercs de faire le commerce au loin ou de pratiquer l'usure (c. 19-20). Enfin la continence est impose aux prtres (c. 27-33). Quant aux vques ils doivent viter de reconcilier ceux qu'un de leur collgue a excommunis (c. 53), de donner aux porteurs de lettres de recommandation le titre de confesseur (c. 25). Celui qui occupela prima cathedra, c'est--dire le doyen des vques de la province, interrogera avec soin les voyageurs qui se disent chrtiens pour savoir s'ils sont bien en rgle avec la foi (c. 58).

    70 Quant la clbration du culte il est rappel que le baptme est gratuit (c. 48) que le jene se prolonge jusqu'au samedi soir ( la neuvime heure sans doute) et que la super-positio (prolongation jusqu'au soir) se fait en plus une fois par mois sauf en juillet et aot (c. 23-26), que la Pentecte est fte d'obligation (c. 43). A la messe, les offrandes des catchu-mnes et des pnitents ne doivent pas tre mles celles des fidles qui communient (c. 28). On prvoit le cas des baptiss mourant non confirms (c. 77). Enfin en cas de ncessit tout prtre peur relever de l'excommunication (c. 32).

    Plusieurs de ces canons nous semblent fort rigoureux : par exemple la dfense de peindre les objets des mystres sur les murs des glises. Mais cette prescription s'explique par le dsir d'viter toute rechute dans l'idoltrie, et eUe n'est pas

    (1) Crimen marlis : pch mortel.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 331

    isole dans l'glise antique. Dans une vingtaine de canons on prvoit le refus de la communion mme l'article de la mort, pour des cas d'idoltrie, homicide, adultre. Il faut en-tendre que les coupables demeureront toute leur vie au rang. de pnitents, sans pouvoir participer l'eucharistie.

    Le concile d'Iliberri nous donne l'ide d'une chrtient o les fidles sont encore une minorit en face d'une maj orit de paens, et restent exposs perdre leur foi par le contact journalier avec les incroyants de toute sorte, y compris les juifs et les hrtiques (les gnostiques si on en croit Sulpice Svre 1). La plupart des cas de conscience qui se sont poss aux vques concernent les pchs de la chair : tant donn l'indulgence gnrale de la socit paenne pour ces fautes, le fond sensuel que gardaient ces populations d'origine en partie smitique, la chose n'a rien d'extraordinaire. Mais la svrit par contre dont fait preuve l'piscopat montre qu'il est cons-cient du pril, et que loin d'tre relch, il tend l'austrit. Une preuve du niveau lev qu'i! avait atteint et qu'il garda, c'est qu'il produisit deux vques comme Ossius de Cordoue et Grgoire d'Iliberri.

    Ossius de Cordoue. - Ossius de Cordoue a t en effet la plus grande figure de l'glise espagnole dans l'Antiquit; mais il appartient plutt l'histoire gnrale qu' celle de la Btique. Sa vie elle-mme nous est peu connue: elle n'a tent aucun biographe ancien, bien qu'elle en valt la peine 2).

    Il tait n en 257 ou mme la fin de 256, puisqu' Sirmium en 357, il tait dj plus que centenaire 3). Nous ne savons si

    (1) Nam tum primum infamis illa Gnosticorum haeresis intra Hispanias deprehensa " (Chron. II, 46, 1, d. Halm, C. S. E. L., t. 1, p. 99).

    (2) E. S., t. X, p. 162; GAMS, t. II, 1, p. 137 ; GARciA VILLADA, t. 1, 2, p. 11, LooFs, apud HAUCK, Realeneyc/opadie tr protestantisehe Theologie und Kirehe, t. VIII, p. 476. Sur son nom, driv du grec, cf. C. H. TURNER, Ossius ot Corda ua dans The journal ot theologieal studies, t. XII, 1911, p. 275. Nous crivons Ossius conformment cette tymologie.

    (3) SULP. Sv., Chr., II, 40 ; ATHANASE. Hist. Arian., 54 (P. G., t. XXV, col. 749).

  • 332 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    c'tait Cordoue mme, mais on peut le supposer. Son nergie, son esprit pratique, et aussi son inexprience dans les contro-verses de pure thologie, s'accorderaient assez bien avec la mentalit romaine, telle qu'on peut la supposer dans une fa-mille provinciale descendant de colons romains, dans une des provinces les plus latinises et dans une ville de l'intrieur moins expose qu'Hispalis aux influences trangres. Il aurait possd une certaine fortune 1), venue de sa famille, car ses adversaires ne lui ont jamais reproch de s'tre personnelle-ment enrichi.

    Saint Athanase dit qu'en 356 il avait dj plus de 60 ans d'piscopat 2) : il aurait donc t consacr en 296 au moins. Au concile d'Iliberri, il sigeait parmi les vques; le manus-crit d'Urgel donne sa signature au second lieu, mais ceux de Grone et de Tolde au onzime rang seulement, avec plus de raison, si les assistants ont en effet sign par ordre d'ancien-net 3). Lors de la perscution de Diocltien et de Maximien, en 303-305, il souffrit pour la foi ainsi qu'il le rappelle dans sa lettre Constance II, mais nous ne savons au juste comment. Il en rchappa d'ailleurs ainsi que Valerius de Saragosse.

    Nous ne savons non plus comment il entra en relations avec Constantin. La bizarre histoire que rapporte Zozime 4), de l'gyptien habitant l'Espagne qui aurait converti les prin-cesses de la famille impriale, si elle est vraie, ne s'applique pas lui, tant donn son ignorance visible des controverses alexandrines. En tout cas, il tait sujet de Constantin depuis 309 et se trouvait Rome prs de lui au dbut de 313. Il est le premier vque espagnol qui ait crit, notre connaissance, et son bagage littraire est assez mince: saint Isidore lui attri-bue une lettre sa sur loge de la Virginit )) pulchro ac

    (1) ISIDORE DE SfiVILLE, De Vir. il/., V, 7. (2) ATHANASE, Hist. Arian., 42. (3) Voir note, p. 00. (4) Zozo II, 29, Il place d'ailleurs l'histoire en 326. A. PIGANIOL, L'empereur

    Constantin, p. 78.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 333

    diserlo comptam eloquio et une cc Interprtation des vtements sacerdotaux dans l'Ancien Testament )). Sa longue existence fut donc tout entire tourne vers l'action 1).

    En 313, il est dj l'homme de confiance de Constantin. A ce moment celui-ci donnait ordre Ursus, trsorier en chef de la province d'Afrique, de compter 3000 folles l'vque de Carthage, mais la rpartition en devait tre faite suivant les directives d'Ossius 2). Il tait charg aussi de se documenter sur l'affaire donatiste 3). Les schismatiques, plus tard, incrimi-nrent sa partialit en faveur de l'vque Caecilianus, accusa-tion qui rvoltait saint Augustin, car loin d'avoir fait pression sur eux pour les ramener la communion de Caecilianus, il avait, au contraire, facilit leur dmarche prs de Constantin et fait confier l'instruction de la cause un concile prsid par le pape Miltiade. Il ne parut pas d'ailleurs au concile d'Arles de 314, ce qui rduit nant leurs allgations suivant lesquelles, condamn par des vques espagnols il n'avait russi se faire absoudre que par les vques gaulois, moins qu'il ne s'agisse des derniers temps de sa vie.

    Pendant les annes suivantes, il conserva prs de Constantin son rle de conseiller officieux. C'est lui que fut adresse, en 321, la Constitution qui donnait l'affranchissement des esclaves dans l'glise devant l'vque, la mme valeur juridique que devant les magistrats 4). Il devait tre alors

    (1) ISID. SEV., De Vir. illustr., V, 6. Cf. SCHANZ, Geschichte der romischen Litleratur ap. Handbuch der Klassischen Altertumswissenschaft par Yv. Mller, IV. Teil. I. HaUte, p. 312.

    (2) EUSBE, Hist. eccles, VI (P. G.; t. XX, p. 891). Cet Ursus, ta

  • 334 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    rentr Cordoue, une longue absence tonnerait de la part de celui qui combattit si fort Sardique la non-rsidence des vques.

    Mais la confiance de Constantin lui rservait un rle bien autrement important encore. Les glises d'Orient taient alors troubles par les thories du prtre d'Alexandrie Arius, qui faisant du Christ une crature, ravalait en somme le Christia-nisme au rang d'une simple doctrine philosophique. Constan-tin dsireux de rtablir l'union, envoya d'abord, comme pour l'affaire donatiste,Ossius se renseigner sur place 1) (fin de 324). Ni l'un ni l'autre n'taient bien au courant de la question, si on en juge par la lettre de l'empereur que portait son envoy l'vque d'Alexandrie. Ossius du moins, conscient de son ignorance, se fit aussitt instruire; il vit l'vque Alexandre, assista probablement un synode qui devait rgler quelques cas disciplinaires et revint Nicomdie faire son rapport l'empereur 2).

    Le concile de Nice, qui fut convoqu peu~-tre SDn insti-gation pour rgler le conflit, fut prsid en fait par lui, non point en qualit de mandataire du pape, qui tait reprsent par deux prtres, mais bien comme dlgu de l'empereur et il signa le premier 3). Nous sommes peu instruits sur le rle qu'il y joua 4), mais il dut tre considrable; Eusbe de Csare semble revendiquer le principal rle dans la rdac-tion du symbole 5), saint Athanase au contraire l'attribue

    (1) EUSEBE, Vit. Constant., II, 63, dit. Heikel, p. 66 ; et, d'aprs lui, semble-t-il: SOCRATE, I, 7 (P. G., t. LXVII, col. 53-59). SOZOMNE, I, 15 (ibid., col. 903-908). THODORET, I, 7 (dit. Parmentier, p. 30-33). Socrate souligne que Constantin l'a en particulire affection (ibid., col. 56).

    (2) Cf. en dernier lieu G. HARDY, ap. FLICHE et MARTIN, Histoire de l'Eglise, t. rIl, p. 78.

    (3) Socrate le met avant les prtres dlgus par le pape et les patriarches d'Alexandrie, Antioche et Jrusalem (Hist. eccl., l, XIII, P. G., t. LXVII, col. 108).

    (4) THODORET (l, XII) semble attribuer un rle important Eustathe. confirm par l'acharnement postrieur des Ariens contre lui, mais reconnat aussi celui d'Ossius (d. Parmentier, II, XV, 9, p. 131, P. G., t. LXXXII, p. 1033.

    (5) THODORET, l, 12 (dit. Parmentier, p. 43-54) ; SOCRATE 1, 8 (P. G., t. LXVII, col. 60-72).

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 335

    Ossius, ce qui est exagr, Philostorge le lui fait partager avec l'vque d'Alexandrie, Alexandre, ce qui est plus vraisem-blable 1).

    Aprs le concile de Nice, il rentre dans l'ombre. Il n'en sort qu'en 343 : d'accord avec l'vque de Trves, Maximin, il de-mande l'empereur Constant de s'entendre avec son frre Constance pour runir un nouveau concile qui permettrait Athanase, l'vque d'Alexandrie exil, de se justifier et met-trait fin aux troubles continuels suscits par l'hrsie arienne 2).

    Il est ce moment reconnu comme le premier personnage de l'piscopat occidental. Saint Athanase, alors Milan, vient sa rencontre en Gaule. A Sardique, o il se rend accompagn de l'vque de Castulo, il est lu prsident du concile. Il y fit preuve du plus grand esprit de conciliation, allant jusqu' offrir Ursace et Valens, accusateurs d'Athanase, si celui-ci tait reconnu innocent, de l'emmener en Espagne avec lui pour supprimer une Cause de discorde 3). Le concile choua d'ailleurs, les ariens ayknt refus de siger.

    Mais son influence s~ marqua par le nombre de ses inter-ventions: sur vingt danons promulgus, quinze sont pro-poss par lui: Osius epi~copus dixii 4). Presque tous ont trait l'organisation de l'piscopat: rpression svre de la brigue dans les lections (cano 2), remplacement des vques dcds (c. 6), obligation de les remplacer par des prtres ayant pass par tous les degrs de 1 hirarchie et suffisamment longtemps, pour prouver qu'ils so t dignes de l'piscopat (can. 10), in-terdiction aux vques de passer d'un sige un autre (c. 1),

    1

    (1) ATHANASE, Hist. Arian, 42 (P. G., t. xxv, col. 774) ; PHILOSTORGE. Hist. eccles., J, 9 (P. G., t. LXV).

    (2) Epist. syn. Sardicensis Orientalium, 14 (apud HILAIRE, Fragm. hist., A. IV, 1, dit. Feder, C. S. E. L., t. LXV, p. 58).

    (3) Thodoret marque fortement le prestige dont jouissait alors Ossius (Hist. eccl. (d. Parmentier, II, VIII, 8, p. 103. P. G., t. LXXXII, col. 1001). Sur sa tentative de conciliation, ATHANASE, Hist. Arian, 44 (P. G., t. XXV, col. 743 sqq).

    (4) HEFELJi:-LECLERcQ, Histoire des conciles, t. J, 2, p. 740 sqq.

  • 336 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    d'aller la cour impriale, surtout pour des affaires profanes, ils y enverront un diacre (c. 7, 8, 9), obligation de la rsidence, interdiction de s'absenter plus de trois semaines (c. 11 et 12), interdiction d'exercer les fonctions piscopales dans le do-maine de l'vque voisin sans accord avec lui (c. 13 et 15), rglementation du droit d'appel d'un prtre contre l'vque (c. 14) ou de l'appel d'un synode local au pape (c. 3 et 5), enfin rtablissement de l'ordre dans l'glise de Thessalonique (c. 19).

    Toutes ces propositions tendent prciser l'organisation des glises, - nous dirions fixer le statut des vques - et maintenir la concorde : Ne videamur januam claudere cari-tatis, est-il dit notamment au canon 3: deux traits qui s'ac-cordent bien l'ide que nous nous faisons d'Ossius, adminis-trateur plutt que thologien et amourex de la paix et de l'unit.

    Il passa Cordoue les annes suivantes: peut tre convo-qua-t-il un synode pour mettre ses collgues au courant des dcisions qui venaient d'tre prises? 1). Nous ignorons malheu-reusement tout de son activit proprement piscopale, ce do-maine o il a pu justement exercer sans contrainte ces qualits d'administrateur qui semblent avoir t les siennes propres 2). L'glise de Btique, celle mme d'Espagne lui doivent-elles quelques traits de leur organisation? C'est ce que nous aime-rions savoir. C'est lui qu'crivit le pape Libre quand flt dfection l'vque de Capoue Vincent 3). L'empereur Cons-

    (1) Saint Athanase nous apprend en effet que, aprs celui de Sardique, des conciles se tinrent en Gaule, en Espagne, Rome. (Epist. ad Epicie/um, 1 (P. G., t. XXVI, coL 1052).

    (2) , Quelle glise ne conserve pas les plus beaux souvenirs de sa magnificence? Qui est venu lui afflig et ne s'en est loign consol? Qui s'est trouv dans le besoin, et aprs lui avoir demand ne s'en est retourn pourvu de ce qu'il lui fallait? Ces trois phrases d'Athanase (Apol. de tuga, 5. P. G., t. XXV, p. 649) constituent le plus beau portrait que l'on puisse faire d'un vque: il a secouru les pauvres, consol les affligs, embelli les sanctuaires.

    (3) Apud. HILAIRE, Fragm. his/., B, VII, 6 (dit. Feder, C. S. E. L., t. LXV, p. 167).

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 337

    tance qui aprs sa victoire sur Magnence s'tait arrt Milan, et voulait alors tendre l'Occident la politique proarienne qu'il avait applique en Orient, jugea que le principal adver-saire en tait Ossius : son prestige tait si grand en Occident qu'il faisait lui seul chec toutes les tentatives des ariens, si on en croit saint Athanase 1).

    Constance le fit venir Milan et lui demanda de souscrire la condamnation d'Athanase. Le vieillard, indign, refusa d'abandonner l'intrpide dfenseur de Nice et repartit aus-sitt pour Cordoue. Constance lui crivit plusieurs fois, tantt flatteur, tantt menaant. Ossius lui rpondit par une lettre que nous a conserve saint Athanase 2) et qui, par sa noblesse vraiment piscopale n 3) excite encore notre admiration.

    La premire fois que j'ai confess Jsus-Christ c'tait dans la perscution de Maximien ton aeuL Si tu veux me perscuter toi aussi je suis prt tout souffrir plutt que de faire couler le sang innocent et de trahir la vrit ... Constant a-t-il jamais agi comme toi? Quel vque a-t-il exil? Quand a-t-il assist un jugement ecclsiastique? Quel de ses officiers a us de violence pour obtenir une signature et donner prtexte Valens de parler comme il fait ?,.. Change donc de conduite, songe que tu es mortel, crains le jour du jugement. Laisse l les affaires ecclsiastiques, ne te mle pas de nous dire ce que nous avons faire l o tu dois tre instruit par nous. Dieu t'a donn l'Empire et nous l'glise. Si celui qui attaque ta puissance dsobit Dieu, garde-toi de ton ct de te charger d'un grand crime en te mlant des affaires ecclsiastiques. Il est crit: Rendez Csar ce qui est Csar et Dieu ce qui est Dieu. Il ne nous appartient pas de gouverner sur terre, pas plus que tu n'as de pouvoir sur les choses saintes n.

    C'tait la premire application de la parole du Christ (1) Rist. Arian. ad. mon., ch. XLII (P. G., t. XXV, col. 541). (2) ID., ibid., ch. XLIV (col. 744). (3) LENAIN DE TILLEMONT, Mmoires pour servir l'histoire ecclsiastique,

    t. VII, p. 313.

    12

  • 338 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    Reddite Caesari. .. )) et jamais on n'a si bien affirm l'in-dpendance du spirituel vis--vis du temporel et en mme temps l'obissance au pouvoir civil dans les choses qui sont de son domaine 1). C'tait en ce temps une ide nouvelle et qui n'avait gure de chance d'tre accueillie, surtout par le fils de Constantin. Et pourtant le vieil vque affirmait son attache-ment la dynastie: on le sent l'motion contenue qui perce par endroits lorsqu'il voque le souvenir de l'empereur Cons-tant assassin en 350.

    Constance le fit alors venir Sirmium, o un concile se runit en 357 pour dfinir une fois de plus les rapports entre Dieu le Pre et le Christ. L'assemble, domine par les ariens, subor-donna nettement le second au premier et condamna les termes de substance et consubstantiel. Ce qui se passa alors est assez obscur 1). Le bruit courut qu'Ossius, influenc par Potamius de Lisbonne et cdant aux mauvais traitements 2), avait con-senti signer ces formules qui altraient gravement le sym-bole de N;e et tout au moins accept la communion de leurs auteurs Ursacius et Valens 3). Par contre, il se refusa toujours condamner Athanase 4). Ce n'tait une contradic-tion qu'en apparence, comme l'a expliqu Mgr. Duchesne. Le vieillard n'avait jamais t grand thologien, mais, comme Constantin, il avait toujours dsir l'union. On a pu lui faire croire, la menace aidant, que la formule lui prsen-

    (1) Cf. E. CASPAR, Geschichte des Papsttumes, t. J, p. 180. (2) Cf. SOCRATE, Hist. eccl., t. II, 31 (P. G., t. LXVII, col. 292). (3) Cette chute d'Ossius a t l'objet de controverses passionnes et la m-

    moire du vieil vque a t dfendue avec un dvouement touchant par la plu-part des crivains espagnols, notamment GARciA VILLADA, op. cil., t. l, 2, p. 30 sqq. - Potamius de Lisbonne est reprsent par les auteurs du Libellus precum comme arien et simoniaque; mais il se trouve que le petit trait et la lettre conservs sous son nom dfendent Athanase et l'orthodoxie nicenne. Il semble plutt que, d'accord avec Florentius de Merida, il ait prfr la bataille pour l'homoousios le rtablissement de la paix. Mais on comprend que leur accession la politique impriale ait isol et dcourag Ossius.

    (4) Saint Athanase est formel sur ce point et y revient deux fois (Hist. Arian., 45). P. G., t. XXV, col. 748).

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 339

    te avait l'avantage de rallier tout le monde en abandon-nant des termes sur lesquels on n'avait pu s'entendre et qui d'ailleurs n'taient pas dans l'criture. Mais la personne d'Athanase s'tait si bien associe en son esprit l'orthodoxie, qu'il ne pouvait non plus l'abandonner. Touchante preuve de fidlit survivant dans l'affaiblissement de son intelligence 1).

    Toujours est-il que cette apparente faiblesse fit scandale en Occident. Saint Hilaire de Poitiers la relve avec indigna-tion 2). Les intransigeants du parti, la suite de Lucifer de Ca-gliari lui opposrent dsormais Grgoire vque d'Iliberri. Les auteurs du Libellus precum les mettent tous deux en prsence dans une scne dramatique et font mourir subitement Ossius, comme frapp par le jugement de Dieu, alors qu'il requiert l'appui du bras sculier contre son adversaire 3).

    En ralit, nous ne savons ce que devint Ossius aprs le con-cile de Sirmium. Il tait rest d'abord dtenu dans la ville en exil dguis 4), et il est probable qu'il ne rentra en Espagne que pour y mourir (en 368 probablement). Les auteurs lucifriens du De Triniiate spcifient que lorsqu'il signa, il tait morti perquam vicinus )) 5). Saint Isidore de Sville a compris qu'il tait mort aussitt aprs avoir sign 6). Saint Athanase assure

    (1) L. DUCHESNE. Histoire ancienne de l'Eglise, t. II, p. 283. (2) SAINT HILAIRE, Liber de Synodis, If, Exemplum blasphemiae apud Sir-

    mium per Os sium et Potamium conscriptae . (P. L., t. X, col. 487). De mme au ch. LXIII, ibid., col. 525. Ailleurs il fltrit les deliramentra Ossi. (Contra Cons-tantium, 23, P. L., 1. X, col. 599). De mme Eusbe de Verceil flicite Grgoire d'Iliberri d'avoir rsist Ossius transgresseur (apud HILAIRE, Fragm. hist., A, 2, 1, dit. Feder, C. S. E. L., t. LXV, p. 46). Sulpice-Svre manifeste la mi'me surprise douloureuse. (Chr., II, 40, dit. Halm, C. S. E. L., t. I, p. 56).

    (3) Coll. Avell., dit. Guenther. C. S. E. L., XXXV, 1, p. 32-40. Le texte est repris par le continuateur d'Isidore de Sville, De Vir, 101, 16 (P. L., t. LXXXIII col. 1090-1).

    (4) Saint Athanase est formel: aV'CL ~OP((}'fJ-0u xrJ.'CX.St 'CQU'CO'l oov V(rJ.u'Cov ~v 'C'-!' ~(PfJ-('-!' (His/. Arian, ch. XLV. P. G., t. XXV, p. 749). Socrate (II, 31 ; P. G., LXVII, p. 291) et Sozomne (IV, 6, P. G., LXVII, p. 119) rapportent aussi le fait mais le placent tort aprs sa convocation Milan au lieu de Sirmium.

    (5) L. SALTET, Fraudes littraires des Lucifriens. Bulletin de littrature eccl-siastique, 1906, p. 300.

    (6) De Vir. ill., 6-7, vitam ... cowestim exitus crudelis finivit (P. L., t. LXXXIII, col. 1085-1087).

  • 340 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    qu'avant sa mort, il anathmatisa encore l'arianisme 1) ; si elle avait eu lieu en Espagne, il aurait t moins bien renseign.Enfin seuls les mnologes orientaux en ont gard mmoire 2)' Pour-tant saint Hilaire 3) et Philostorge 4) laissent entendre qu'il signa pour rentrer dans sa patrie. S'il n'en tait pas ainsi, on s'explique mal que les auteurs du Libellus precum, parlant de sa rencontre avec Grgoire, puissent affirmer que toute l'Espagne le saih 5). Gams 6) explique cette histoire par une opposition victorieuse de Grgoire d'Iliberri l'inscription du nom d'Os-sius dans les diptyques de l'Eglise de Cordoue, lors du retour de son corps. Il est plus simple de supposer qu'il revint effec-tivement en Espagne, que le parti imprial se servit de son nom avant sa mort pour perscuter les orthodoxes, qu'un svnode fut runi sous sa prsidence nominale pour imposer l'~adhsion la nouvelle formule, et qu' cette occasion Gr-goire opposa sa propre fidlit au Credo de Nice l'abandon qu'en avait fait Ossius. En tout cas, l'glise d'Espagne ne pardonna jamais au vieillard sa dfaillance passagre et refusa . toujours de le placer parmi les saints.

    Malgr ce dplorable accident, la figure d'Ossius reste de celles qui entranent la sympathie. Sans doute il n'est pas un diplomate. A Nice, Sardique, il a dfendu la vraie foi, ce qui tait bien, mais peut-tre et-il tort de s'en tenir trop obstinment au mot d'homoousios, qui effarouchait beaucoup d'Orientaux, au lieu de chercher, d'accord avec eux, un autre

    (1) Hist. Arian. ibid., La date laquelle saint Athanase r~igea ces trait~s prsente quelques difficults. Il est probable qu'll les remama. Cf. GARCIA VILLADA, t. l, 2, p. 37.

    (2) E. S. X, p. j 95. (3) De Synod., 63 (P. L., t. X, col. 539). .. . . (4) PHILOSTORGE, IV, 3 (dit. Bidez, p. 60), malS II est assez mal renseIgne,

    puisqu'il croit qu'Ossius condamna Athanase. (4) Lenain de Tillemont observe avec raison qu'Ossius n'a pas. ~. jouer un

    rle actif dans cette scne: il savait bien que de sa propre autonte Il ne pou-vait dposer Grgoire, et le pouvoir civil pour frapper Grgoire n'aurait pas fait tant d'histoires, t. VII, p. 318.

    (6) GAMS, t. Il, 1, p. 265-284. F. FITA. La supuesta lapida sepulcral de Osio. B. R. A. H., 1928, t. LXXVIII, 1, p. 389.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 341

    terme qui tout en maintenant le fond, aurait sauvegard leurs susceptibilits. Mais nous ne pouvons souscrire au juge-ment de Mgr Duchesne qu'il n'tait pas l'homme prsi-der les conciles, que c'tait un vritable Espagnol, autori-taire, dur et inflexible )) 1). S'il a t choisi comme prsident Sardique, c'est que nul plus que lui, en Occident, n'avait t ml aux querelles de l'Orient chrtien; s'il a vigoureusement dfendu Athanase, c'est que sa cause tait celle mme de la justice. Loin d'tre intransigeant, il tait Sardique prt toutes les concessions, mme sur la personne d'Athanase. Mais on comprend que, homme sincre et de voie droite, il ait t agac par les finasseries, les rticences et la mauvaise foi de ces Orientaux qui rduisaient la religion de vaines discus-sions d'coles. Les historiens ecclsiastiques, depuis Eusbe jusqu' Thodoret 2), sont d'ailleurs unanimes faire son loge, et l'acharnement mme de ses adversaires le gagner prouve en quelle estime le tenait tout le monde chrtien.

    Grgoire d'Iliberri. - Cet autre vque de Btique nous est connu, comme Ossius, surtout par son rle dans les con-troverses ariennes.

    Il figure parmi les vq1J.es de Grenade une place qui, nous l'avons vu, n'est pas la sienne. Il le fut aprs Flavianus qui assistait au concile de 306 ; il l'tait depuis quelque temps au moment du concile d'Ariminum en 359. Il vcut trs vieux, usque ad extremam senectutem: saint Jrme le croyait en-core vivant au moment o lui-mme composait son livre De Viris Illustribus vers 392, ce qui lui donne 35 ans d'piscopat au moins.

    Nous entendons pour la premire fois parler de lui l'occa-(1) L. DUCHESNE, op. cit., p. 226. (2) EUSBE. Vit. Const., II, 62 et 73 (dit. Heikel, t. l, p. 66 et 71), SOCRATE,

    I, 7 (P. G., t. LXVII, col. 53-60), SOZOMNE, l, 15 (ibid., col. 904-908). THO-DORET, Hist. eccl., t. l, 7 : Il, 7 et 15 (dit. Parmentier, p. 30-33,100,128-131). Il est pourtant curieux que, par une omission qui ne peut tre que voulue, Eusbe taise son nom.

  • 342 ESSAI SUR LA PROVINCE ROMAINE DE BTIQUE

    sion de la lettre que lui crivit Eusbe de Verceil, lettre dont l'authenticit n'est pas, il est vrai, au-dessus de tout soupon, car elle pourrait avoir t forge par les Lucifriens pour les besoins de leur propagande. J'ai reu de ta Sincrit la lettre o, comme il convient un vque et un ministre de Dieu, tu m'apprends ta rsistance au transfuge Ossius, et alors que la majorit a succomb Ariminum et accept de commu-nier avec Valens et Ursace ... ton refus de te joindre elle n. Ainsi, aprs le concile de Sirmium o nous ne savons s'il assista, Grgoire aurait d'abord combattu la politique de concession patronne par Ossius en Espagne comme le rapportent les au-teurs du Li bellus precum. Il aurait ensuite assist au concile d'Ariminum en 359 et refus de signer les formules ariennes et de communier avec Ursace et Valens.

    Nous ignorons si l'empereur Constance prit une sanction contre lui. Il ne le semble pas: les auteurs du Libellus Precum prtendent qu'on n'osa pas l'exiler, et si l'on ajoute foi la lettre d'Eusbe de Verceil, il serait rentr Iliberri o il n'au-rait pas cess de combattre les hrtiques et d'exciter les tides par ses sermons. Lorsque le synode d'Alexandrie, en 362, eut dcid pour ramener la concorde d'user d'indulgence envers ceux qui avaient faibli, -il refusa d'y souscrire et se joignit Lucifer de Cagliari, le chef des intransigeants, ainsi que le rapporte saint Jrme. Aprs la mort de Lucifer, il dut deve-nir le chef du parti, tant donn les termes logieux dont use le Libellus precum son endroit. Il faut croire qu'il rentra dans le giron de l'glise catholique, retour facilit par la rponse favorable de Thodose au Libellus. En tout cas son prestige fut assez grand pour qu'il ft considr comme un saint: il a sa fte marque dans le martyrologe d'U suard, et dans le cal en-

    (1) SAINT JROME. De Vir., III, 105 (P. L., t. XXIII, col. 703). Cf. Chron., a. 370 p. Chr. (dit. Helm, p. 246).

    (2) Apud HILAIRE, Fragm. hist., A, 2, 1, dit. Feder, C. S. E. L., t. LXV, p. 46. L. SALTET, op. cit., p. 326 et La lormation de la lgende des papes Libre et Flix, ibid., 1905, p. 225' sqq.

    LE CHRISTIANISME EN BTIQUE 343

    drier de 961 (au 24 avril) 1). Pareil hommage fut refus Ossius.

    Mais ce qui pour nous donne de l'intrt au personnage, c'est son uvre littraire. Saint Jrme connaissait de lui des sermons (tractatus) crits dans une langue ordinaire et un livre (( La Foi )) d'un style lgant. Ces ouvrages ont t peu peu identifis dans le courant du XIXe sicle et rendus leur lgitime auteur. Le Liber de Fide avait t jusqu'alors attribu saint Grgoire de Nazianze. Les Tractatus sont de plusieurs sortes: d'abord le De Arca No, puis les cinq Tractatus sur le Cantique publis pour la premire fois en 1848, et attri-buspar les manuscrits, sauf celui de Saint-Vincent de Roda (Huesca), saint Grgoire le Grand, enfin les vingt Tractatus Origenis, publis en 1900 par P. Batiffol et dom Wilmart 2).

    Les Tractatus ont tous un air de famille. Ce sont des expli-cations de l'Ancien Testament, dont le commentateur suit le texte verset par verset, voire mme mot par mot. A ct du sens littral il s'essaye en trouver un allgorique, quelque-fois un peu subtil, mais qu'il appuie toujours sur un grand appareil de citations. On lit ainsi dans le Traclatus sur le Can-tique: (( Tes mamelles sont meilleures que le vin )) (Cant., I, 2). La loi ancienne avait deux mamelles dans ses deux tables de pierre, qui presses par le doigt de Dieu, donnaient le pur lait de la religion au peuple isralite encore enfant. Mais main-tenant les mamelles du Seigneur ne sont plus deux, mais quatre: car les quatre vanglistes sont autant de fontaines qui dispensent aux croyants le doux lait de la Sagesse ... Elles

    (1) P. L., t. CXXIII, col. 967 et Calendrier de 961. Edit. Dozy, p. 47. (2) De Fide dans P. L., t. LXII, col. 449-468 ; ARCA NOE, dit. A. Wilmart.

    O. S. B. dans Rev. Bnd., 1909, p. 1-12; Tracta/us Origenis, de libris S. S. Scrip(urarum detexit et edidit. P. BATIFFOL (Parisiis, MDCCCC). A. WILMART. Les Tracta/us sur le cantique attribus Grgoire d'Elvire, dans Bulletin de litt-rature ecclsias/., 1906, p. 233-299. Cf. SCHANZ, Geschich/e der romischen Litte-ratur, t. IV, 1, p. 307: Die Schrifts/ellerei des Gregor von Eliberri ; GARCIA VILLADA, op. cit., t. l, 2, p. 53 sqq. P. BATIFFOL. O en est la question des Trac-talus Origenis ap. Bull. de Litt. eccles., 1905, p. 307. P. LEJAY. L'hritage de Grgoire d'Elvire. R. Bn., t. X