baron d'holbach - le christianisme dévoilé

Upload: bourchak

Post on 08-Apr-2018

221 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    1/69

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    2/69

    1

    Lettre de lauteur

    Monsieur.

    Je reois, monsieur, avec reconnoissance les observations que vous menvoyez sur

    mon ouvrage.

    Si je suis sensible aux loges que vous daignez en faire, jaime trop la vrit, pourme choquer de la franchise avec laquelle vous me proposez vos objections ; je les trouveassez graves, pour mriter toute mon attention. Ce seroit tre bien peu philosophe, quede navoir point le courage dentendre contredire ses opinions. Nous ne sommes pointdes thologiens ; nos dmls sont de nature se terminer lamiable ; ils ne doiventressembler en rien ceux des aptres de la superstition, qui ne cherchent qu sesurprendre mutuellement par des argumens captieux, et qui, aux dpens de la bonne foi,ne combattent jamais que pour dfendre la cause de leur vanit et de leur propreenttement.

    Nous desirons tous deux le bien du genre humain ; nous cherchons la vrit ; nousne pouvons, cela pos, manquer dtre daccord.

    Vous commencez par admettre la ncessit dexaminer la religion et de soumettreses opinions au tribunal de la raison ; vous convenez que le christianisme ne peutsoutenir cet examen, et quaux yeux du bon sens il ne parotra jamais quun tissudabsurdits, de fables dcousues, de dogmes insenss, de crmonies puriles, denotions empruntes des chaldens, des gyptiens, des phniciens, des grecs et desromains. En un mot, vous avouez que ce systme religieux nest que le produit informede presque toutes les anciennes superstitions, enfantes par le fanatisme oriental, etdiversement modifies par les circonstances, les tems, les intrts, les caprices, lesprjugs de ceux qui se sont depuis donns pour des inspirs, pour des envoys de Dieu,pour des interprtes de ses volonts nouvelles.

    Vous frmissez des horreurs que lesprit intolrant des chrtiens leur a faitcommettre, toutes les fois quils en ont eu le pouvoir ; vous sentez quune religion,fonde sur un dieu sanguinaire, ne peut tre quune religion de sang ; vous gmissez decette phrnsie, qui sempare ds lenfance de lesprit des princes et des peuples, et lesrend galement esclaves de la superstition et de ses prtres, les empche de connotreleurs vritables intrts, les rend sourds la raison, les dtourne des grands objets qui

    devroient les occuper. Vous reconnoissez quune religion, fonde sur lenthousiasme,ou sur limposture, ne peut avoir de principes assurs, doit tre une source ternelle dedisputes, doit toujours finir par causer des troubles, des perscutions et des ravages, sur-tout lorsque la puissance politique se croira indispensablement oblige dentrer dans sesquerelles. Enfin, vous allez jusqu convenir quun bon chrtien, qui suit littralement laconduite que lvangile lui prescrit, comme la plus parfaite, ne connot en ce mondeaucun des rapports sur lesquels la vraie morale est fonde, et ne peut tre quunmisanthrope inutile, sil manque dnergie, et nest quun fanatique turbulent, sil alame chauffe.

    Aprs ces aveux, comment peut-il se faire que vous jugiez que mon ouvrage est

    dangereux ? Vous me dites que le sage doit penser pour lui seul ; quil faut une religion,bonne, ou mauvaise, au peuple ; quelle est un frein ncessaire aux esprits simples et

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    3/69

    2

    grossiers, qui sans elle nauroient plus de motifs pour sabstenir du crime et du vice.Vous regardez la rforme des prjugs religieux comme impossible ; vous jugez que lesprinces, qui peuvent seuls loprer, sont trop intresss maintenir leurs sujets dans unaveuglement dont ils profitent.

    Voil, si je ne me trompe, les objections les plus fortes que vous mayez faites, jevais tcher de les lever.

    Dabord je ne crois pas quun livre puisse tre dangereux pour le peuple. Le peuplene lit pas plus quil ne raisonne ; il nen na, ni le loisir, ni la capacit : dun autre ct,ce nest pas la religion, cest la loi qui contient les gens du peuple, et quand un insensleur diroit de voler ou dassassiner, le gibet les avertiroit de nen rien faire. Au surplus,si par hazard il se trouvoit parmi le peuple un homme en tat de lire un ouvragephilosophique, il est certain que cet homme ne seroit pas communment un sclrat craindre.

    Les livres ne sont faits que pour la partie dune nation, que ses circonstances, sonducation, ses sentimens, mettent au-dessus du crime. Cette portion claire de lasocit, qui gouverne lautre, lit et juge les ouvrages ; sils contiennent des maximesfausses, ou nuisibles, ils sont bientt, ou condamns loubli, ou dvous lexcrationpublique : sils contiennent des vrits, ils nont aucun danger courir. Ce sont desfanatiques, des prtres et des ignorans, qui font les revolutions ; les personnes claires,dsintresses et senses, sont toujours amies du repos.

    Vous ntes point, monsieur, du nombre de ces penseurs pusillanimes, qui croyentque la vrit soit capable de nuire : elle ne nuit qu ceux qui trompent les hommes, etelle sera toujours utile au reste du genre humain.

    Tout a d vous convaincre depuis long-tems, que tous les maux, dont notre espceest afflige, ne viennent que de nos erreurs, de nos intrts mal entendus, de nosprjugs, des ides fausses que nous attachons aux objets.

    En effet, pour peu que lon ait de suite dans lesprit, il est ais de voir que ce sonten particulier les prjugs religieux qui ont corrompu la politique et la morale. Ne sont-ce pas des ides religieuses et surnaturelles qui firent regarder les souverains comme desdieux ? Cest donc la religion qui fit clore les despotes et les tyrans ; ceux-ci firent demauvaises loix ; leur exemple corrompit les grands ; les grands corrompirent les

    peuples ; les peuples vicis devinrent des esclaves malheureux, occups se nuire, pourplaire la grandeur, et pour se tirer de la misere. Les rois furent appells les images deDieu ; ils furent absolus comme lui ; ils crerent le juste et linjuste ; leurs volontssanctifierent souvent loppression, la violence, la rapine ; et ce fut par la bassesse, par levice et le crime, que lon obtint la faveur. Cest ainsi que les nations se sont remplies decitoyens pervers, qui, sous des chefs corrompus par des notions religieuses, se firentcontinuellement une guerre ouverte, ou clandestine, et neurent aucuns motifs pourpratiquer la vertu.

    Dans des socits ainsi constitues, que peut faire la religion ? Ses terreursloignes, ou ses promesses ineffables, ont-elles jamais empch les hommes de se

    livrer leurs passions, ou de chercher leur bonheur par les voies les plus faciles ? Cettereligion a-t-elle influ sur les murs des souverains, qui lui doivent leur pouvoir divin ?

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    4/69

    3

    Ne voyons-nous pas des princes, remplis de foi, entreprendre chaque instant lesguerres les plus injustes ; prodiguer inutilement le sang et les biens de leurs sujets ;arracher le pain des mains du pauvre, pour augmenter les trsors du riche insatiable ;permettre et mme ordonner le vol, les concussions, les injustices ? Cette religion, quetant de souverains regardent comme lappui de leur trne, les rend-elle donc plus

    humains, plus rgls, plus temprans, plus chastes, plus fidles leurs sermens ? Hlas !Pour peu que nous consultions, lhistoire, nous y verrons des souverains orthodoxes,zls et religieux jusquau scrupule, tre en mme tems des parjures, des usurpateurs,des adulteres, des voleurs, des assassins, des hommes enfin qui agissent comme sils necraignoient point ce dieu quils honorent de bouche. Parmi ces courtisans qui lesentourent, nous verrons un alliage continuel de christianisme et de crime, de dvotion etdiniquit, de foi et de vexations, de religion et de trahisons. Parmi ces prtres dun dieupauvre et crucifi, qui fondent leur existence sur sa religion, qui prtendent que sans elleil ne peut y avoir de morale, ne voyons-nous pas rgner lorgueil, lavarice, la lubricit,lesprit de domination et de vengeance ? Leurs prdications continuelles, et ritresdepuis tant de sicles, ont-elles vritablement influ sur les murs des nations ? Lesconversions, que leurs discours oprent, sont-elles vraiment utiles ? Changent-elles lescurs des peuples qui les coutent ? De laveu mme de ces docteurs, ces conversionssont trs-rares, ils vivent toujours dans la lie des sicles ; la perversit humaineaugmente chaque jour, et chaque jour ils dclament contre des vices et des crimes, quela coutume autorise, que le gouvernement encourage, que lopinion favorise, que lepouvoir rcompense, et que chacun se trouve intress commettre, sous peine dtremalheureux.

    Ainsi, de laveu mme de ses ministres, la religion, dont les prceptes ont tinculqus ds lenfance et se rptent sans relche, ne peut rien contre la dpravationdes murs. Les hommes mettent toujours la religion de ct, ds quelle soppose leurs desirs ; ils ne lcoutent que lorsquelle favorise leurs passions, lorsquellesaccorde avec leur temprament, et avec les ides quils se font du bonheur. Le libertinsen mocque, lorsquelle condamne ses dbauches ; lambitieux la mprise, lorsquellemet des bornes ses vux ; lavare ne lcoute point, lorsquelle lui dit de rpandre desbienfaits ; le courtisan rit de sa simplicit, quand elle lui ordonne dtre franc et sincere.Dun autre ct, le souverain est docile ses leons, lorsquelle lui dit quil est limagede la divinit ; quil doit tre absolu comme elle ; quil est le matre de la vie et desbiens de ses sujets ; quil doit les exterminer, quand ils ne pensent point comme lui.

    Le bilieux coute avidement les prceptes de son prtre, quand il lui ordonne de

    har ; le vindicatif lui obit, quand il lui permet de se venger lui-mme, sous prtexte devenger son dieu. En un mot, la religion ne change rien aux passions des hommes, ils nelcoutent, que lorsquelle parle lunisson de leurs desirs ; elle ne les change quau litde la mort : alors leur changement est inutile au monde, et le pardon du ciel, que lonpromet au repentir infructueux des mourans, encourage les vivans persister dans ledsordre jusquau dernier instant.

    En vain la religion prcheroit-elle la vertu, lorsque cette vertu devient contraire auxintrts des hommes, ou ne les mene rien. On ne peut donner des murs une nationdont le souverain est lui-mme sans murs et sans vertu ; o les grands regardent cettevertu, comme une foiblesse ; o les prtres la dgradent par leur conduite ; o lhomme

    du peuple, malgr les belles harangues de ses prdicateurs, sent bien que, pour se tirerde la misere, il faut se prter aux vices de ceux qui sont plus puissans que lui. Dans des

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    5/69

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    6/69

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    7/69

    6

    exclusivement de la libert de rgler les murs des nations et de leur parler de lamorale ; que le monarque rprime ces prtres eux-mmes, quand ils enseigneront desmaximes visiblement nuisibles au bien de la socit. Quils enseignent, sil leur plat,que leur dieu se change en pain, mais quils nenseignent jamais que lon doit har, oudtruire ceux qui refusent de croire ce mystere ineffable. Que dans la socit nul inspir

    nait la facult de soulever les sujets contre lautorit, de semer la discorde, de briser lesliens qui unissent les citoyens entreux, de troubler la paix publique pour des opinions.Le souverain, quand il voudra, pourra contenir le sacerdoce lui-mme. Le fanatisme esthonteux quand il se voit priv dappui ; les prtres eux-mmes attendent du prince lesobjets de leurs desirs, et la plpart dentreux sont toujours disposs lui sacrifier lesintrts prtendus de la religion et de la conscience, quand ils jugent ce sacrificencessaire leur fortune.

    Si lon me dit que les princes se croiront toujours intresss maintenir la religionet mnager ses ministres, au moins par politique, lors mme quils en serontdtromps intrieurement ; je rponds quil est ais de convaincre les souverains par unefoule dexemples, que la religion chrtienne fut cent fois nuisible leurs pareils ; que lesacerdoce fut et sera toujours le rival de la royaut ; que les prtres chrtiens sont parleur essence les sujets les moins soumis : je rponds, quil est facile de faire sentir toutprince clair, que son intrt vritable est de commander des peuples heureux ; quecest du bien tre quil leur procure, que dpendra sa propre sret et sa propregrandeur ; en un mot, que son bonheur est li celui de son peuple, et qu la tte dunenation, compose de citoyens honntes et vertueux, il sera bien plus fort, qu la ttedune troupe desclaves ignorans et corrompus, quil est forc de tromper, pour pouvoirles contenir, et dabreuver dimpostures, pour en venir bout.

    Ainsi, ne dsesprons point que quelque jour la vrit ne perce jusquau trne. Siles lumieres de la raison et de la science ont tant de peines parvenir jusquaux princes,cest que des prtres intresss, et des courtisans famliques, cherchent les retenir dansune enfance perptuelle, leur montrent le pouvoir et la grandeur dans des chimres, etles dtournent des objets ncessaires leur vrai bonheur. Tout souverain, qui aura lecourage de penser par lui-mme, sentira que sa puissance sera toujours chancelante etprcaire, tant quelle naura dappui que dans les phantmes de sa religion, les erreursdes peuples, les caprices du sacerdoce. Il sentira les inconvniens rsultans duneadministration fanatique, qui jusquici na form que des ignorans prsomptueux, deschrtiens opinitres et souvent turbulens, des citoyens incapables de servir ltat, despeuples imbcilles, prts recevoir les impressions des guides qui les garent ; il sentira

    les ressources immenses que mettroient dans ses mains les biens si long-tems usurpssur la nation par des hommes inutiles, qui, sous prtexte de linstruire, la trompent et ladvorent. ces fondations religieuses, dont le bon sens rougit, qui nont servi qurcompenser la paresse, qu entretenir linsolence et le luxe, qu favoriser lorgueilsacerdotal, un prince ferme et sage substituera des tablissemens utiles ltat, propres faire germer les talens, former la jeunesse, rcompenser les services et les vertus, soulager des peuples, faire clore des citoyens.

    Je me flatte, monsieur, que ces rflxions me disculperont vos yeux. Je ne prtenspoint aux suffrages de ceux qui se croyent intresss aux maux de leurs concitoyens ; cenest point eux que je cherche convaincre ; on ne peut rien prouver des hommes

    vicieux et draisonnables. Jose donc esprer que vous cesserez de regarder mon livrecomme dangereux et mes esprances comme totalement chimriques.

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    8/69

    7

    Beaucoup dhommes sans murs ont attaqu la religion, parce quelle contrarioitleurs penchans ; beaucoup de sages lont mprise, parce quelle leur paroissoitridicule ; beaucoup de personnes lont regarde comme indiffrente, parce quelles nenont point senti les vrais inconvniens : comme citoyen, je lattaque, parce quelle meparot nuisible au bonheur de ltat, ennemie des progrs de lesprit humain, oppose

    la saine morale, dont les intrts de la politique ne peuvent jamais se sparer. Il me reste vous dire avec un pote ennemi, comme moi, de la superstition : si tibi etc.

    Je suis, etc

    Paris le 4 mai 1758.

    1.- De la ncessit dexaminer sa religion, et des obstacles que lon rencontredans cet examen.

    Un tre raisonnable doit dans toutes ses actions se proposer son propre bonheur etcelui de ses semblables.

    La religion, que tout concourt nous montrer comme lobjet le plus important notre flicit temporelle et ternelle, na des avantages pour nous, quautant quelle rendnotre existence heureuse en ce monde, et quautant que nous sommes assurs quelleremplira les promesses flateuses quelle nous fait pour un autre. Nos devoirs, envers ledieu que nous regardons comme le matre de nos destines, ne peuvent tre fonds quesur les biens que nous en attendons, ou sur les maux que nous craignons de sa part : ilest donc ncessaire que lhomme examine les motifs de ses esprances et de sescraintes ; il doit, pour cet effet, consulter lexprience et la raison, qui seules peuvent leguider ici bas ; par les avantages que la religion lui procure dans le monde visible quilhabite, il pourra juger de la ralit de ceux quelle lui fait esprer dans un mondeinvisible, vers lequel elle lui ordonne de tourner ses regards.

    Les hommes, pour la plpart, ne tiennent leur religion que par habitude ; ils nontjamais examin srieusement les raisons qui les y attachent, les motifs de leur conduite,les fondemens de leurs opinions : ainsi la chose, que tous regardent comme la plusimportante pour eux, fut toujours celle quils craignirent le plus dapprofondir ; ilssuivent les routes que leurs peres leur ont traces ; ils croyent, parce quon leur a dit dslenfance quil falloit croire ; ils esperent, parce que leurs anctres ont espr ; ilstremblent, parce que leurs devanciers ont trembl ; presque jamais ils nont daign se

    rendre compte des motifs de leur croyance. Trs-peu dhommes ont le loisir dexaminer,ou la capacit denvisager les objets de leur vnration habituelle, de leur attachementpeu raisonn, de leurs craintes traditionelles ; les nations sont toujours entranes par letorrent de lhabitude, de lexemple, du prjug : lducation habitue lesprit auxopinions les plus monstrueuses, comme le corps aux attitudes les plus gnantes : tout cequi a dur longtems parot sacr aux hommes ; ils se croiroient coupables, sils portoientleurs regards tmraires sur les choses revtues du sceau de lantiquit : prvenus enfaveur de la sagesse de leurs peres, ils nont point la prsomption dexaminer aprs eux ;ils ne voyent point que de tous tems lhomme fut la dupe de ses prjugs, de sesesprances et de ses craintes, et que les mmes raisons lui rendirent presque toujourslexamen galement impossible.

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    9/69

    8

    Le vulgaire, occup de travaux ncessaires sa subsistance, accorde une confianceaveugle ceux qui prtendent le guider ; il se repose sur eux du soin de penser pour lui ;il souscrit sans peine tout ce quils lui prescrivent ; il croiroit offenser son dieu, sildoutoit un instant de la bonne foi de ceux qui lui parlent en son nom. Les grands, lesriches, les gens du monde, lors mme quils sont plus clairs que le vulgaire, se

    trouvent intresss se conformer aux prjugs reus, et mme les maintenir ; ou bien,livrs la mollesse, la dissipation et aux plaisirs, ils sont totalement incapables desoccuper dune religion quils font toujours cder leurs passions, leurs penchans, etau desir de samuser. Dans lenfance, nous recevons toutes les impressions quon veutnous donner ; nous navons, ni la capacit, ni lexprience, ni le courage ncessairespour douter de ce que nous enseignent ceux dans la dpendance desquels notre foiblessenous met. Dans ladolescence, les passions fougueuses et livresse continuelle de nossens nous empchent de songer une religion trop pineuse et trop triste pour nousoccuper agrablement : si par hasard un jeune homme lexamine, cest sans suite, ouavec partialit ; un coup doeil superficiel le dgote bientt dun objet si dplaisant.

    Dans lge mr, des soins divers, des passions nouvelles, des ides dambition, degrandeur, de pouvoir, le desir des richesses, des occupations suivies, absorbent toutelattention de lhomme fait, ou ne lui laissent que peu de momens pour songer cettereligion, que jamais il na le loisir dapprofondir. Dans la vieillesse, des facultsengourdies, des habitudes identifies avec la machine, des organes affoiblis par lge etles infirmits, ne nous permettent plus de remonter la source de nos opinionsenracines ; la crainte de la mort, que nous avons devant les yeux, rendroit dailleurstrs-suspect un examen auquel la terreur prside communment.

    Cest ainsi que les opinions religieuses, une fois admises, se maintiennent pendantune longue suite de sicles ; cest ainsi que dge en ge les nations se transmettent desides quelles nont jamais examines ; elles croyent que leur bonheur est attach desinstitutions dans lesquelles un examen plus mr leur montreroit la source de la plpartde leurs maux. Lautorit vient encore lappui des prjugs des hommes, elle leurdfend lexamen, elle les force lignorance, elle se tient toujours prte punirquiconque tenteroit de les dsabuser.

    Ne soyons donc point surpris, si nous voyons lerreur presque identifie avec larace humaine ; tout semble concourir terniser son aveuglement ; toutes les forces serunissent pour lui cacher la vrit : les tyrans la dtestent et loppriment, parce quelleose discuter leurs titres injustes et chimriques ; le sacerdoce la dcrie, parce quelle met

    au nant ses prtentions fastueuses ; lignorance, linertie, et les passions des peuples,les rendent complices de ceux qui se trouvent intresss les aveugler, pour les tenirsous le joug, et pour tirer parti de leurs infortunes : par-l, les nations gmissent sousdes maux hrditaires, jamais elles ne songent y remdier, soit parce quelles nenconnoissent point la source, soit parce que lhabitude les accoutume au malheur et leurte mme le desir de se soulager.

    Si la religion est lobjet le plus important pour nous, si elle influe ncessairementsur toute la conduite de la vie, si ses influences stendent non-seulement notreexistence en ce monde, mais encore celle que lhomme se promet pour la suite, il nestsans doute rien qui demande un examen plus srieux de notre part : cependant cest de

    toutes les choses celle dans la quelle le commun des hommes montre le plus decrdulit ; le mme homme, qui apportera lexamen le plus srieux dans la chose la

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    10/69

    9

    moins intressante son bien-tre, ne se donne aucune peine pour sassurer des motifsqui le dterminent croire, ou faire des choses, desquelles, de son aveu, dpend saflicit temporelle et ternelle ; il sen rapporte aveuglment ceux que le hasard lui adonns pour guides ; il se repose sur eux du soin dy penser pour lui, et parvient sefaire un mrite de sa paresse mme et de sa crdulit : en matiere de religion, les

    hommes se font gloire de rester toujours dans lenfance et dans la barbarie.

    Cependant il se trouva dans tous les sicles des hommes, qui, dtromps desprjugs de leurs concitoyens, oserent leur montrer la vrit. Mais que pouvoit leurfoible voix contre des erreurs suces avec le lait, confirmes par lhabitude, autorisespar lexemple, fortifies par une politique souvent complice de sa propre ruine ? Lescris imposans de limposture rduisirent bientt au silence ceux qui voulurent rclameren faveur de la raison ; en vain le philosophe essaya-t-il dinspirer aux hommes ducourage, tandis que leurs prtres et leurs rois les forcerent de trembler.

    Le plus sr moyen de tromper les hommes, et de perptuer leurs prjugs, cest deles tromper dans lenfance : chez presque tous les peuples modernes, lducation nesemble avoir pour objet que de former des fanatiques, des dvots, des moines, cest--dire, des hommes nuisibles, ou inutiles la socit ; on ne songe nulle part former descitoyens : les princes eux-mmes, communment victimes de lducation superstitieusequon leur donne, demeurent toute leur vie dans lignorance la plus profonde de leursdevoirs et des vrais intrts de leurs tats ; ils simaginent avoir tout fait pour leurssujets, sils leur font remplir lesprit dides religieuses, qui tiennent lieu de bonnes loix,et qui dispensent leurs matres du soin pnible de les bien gouverner. La religion nesemble imagine que pour rendre les souverains et les peuples galement esclaves dusacerdoce ; celui-ci nest occup qu susciter des obstacles continuels au bonheur desnations ; par-tout o il rgne, le souverain na quun pouvoir prcaire, et les sujets sontdpourvus dactivit, de science, de grandeur dame, dindustrie, en un mot des qualitsncessaires au soutien de la socit.

    Si dans un tat chrtien on voit quelquactivit, si lon y trouve de la science, silon y rencontre des murs sociales, cest quen dpit de leurs opinions religieuses, lanature, toutes les fois quelle le peut, ramene les hommes la raison et les force detravailler leur propre bonheur. Toutes les nations chrtiennes, si elles toientconsquentes leurs principes, devroient tre plonges dans la plus profonde inertie ;nos contres seroient habites par un petit nombre de pieux sauvages, qui ne serencontreroient que pour se nuire. En effet, quoi bon soccuper dun monde, que la

    religion ne montre ses disciples que comme un lieu de passage ? Quelle peut trelindustrie dun peuple, qui lon rpte tous les jours que son Dieu veut quil prie,quil safflige, quil vive dans la crainte, quil gmisse sans cesse ? Comment pourroitsubsister une socit compose dhommes qui lon persuade quil faut avoir du zelepour la religion, et que lon doit har et dtruire ses semblables pour des opinions ?Enfin, comment peut-on attendre de lhumanit, de la justice, des vertus, dune foule defanatiques qui lon propose, pour modle, un dieu cruel, dissimul, mchant, qui seplat voir couler les larmes de ses malheureuses cratures, qui leur tend des embuches,qui les punit pour y avoir succomb, qui ordonne le vol, le crime et le carnage ? Telssont pourtant les traits sous lesquels le christianisme nous peint le dieu quil hrita desjuifs. Ce dieu fut un sultan, un despote, un tyran, qui tout fut permis ; lon fit pourtant

    de ce dieu le modle de la perfection ; lon commit en son nom les crimes les plus

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    11/69

    10

    rvoltans, et les plus grands forfaits furent toujours justifis, ds quon les commit poursoutenir sa cause, ou pour mriter sa faveur.

    Ainsi la religion chrtienne, qui se vante de prter un appui inbranlable lamorale, et de prsenter aux hommes les motifs les plus forts pour les exciter la vertu,

    fut pour eux une source de divisions, de fureurs et de crimes ; sous prtexte de leurapporter la paix, elle ne leur apporta que la fureur, la haine, la discorde et la guerre ; elleleur fournit mille moyens ingnieux de se tourmenter ; elle rpandit sur eux des flauxinconnus leurs peres ; et le chrtien, sil eut t sens, eut mille fois regrett la paisibleignorance des ses anctres idoltres.

    Si les murs des peuples neurent rien gagner avec la religion chrtienne, lepouvoir des rois, dont elle prtend tre lappui, nen retira pas de plus grandsavantages ; il stablit dans chaque tat deux pouvoirs distingus ; celui de la religion,fond sur Dieu lui-mme, lemporta presque toujours sur celui du souverain ; celui-cifut forc de devenir le serviteur des prtres, et toutes les fois quil refusa de flchir legenou devant eux, il fut proscrit, dpouill de ses droits, extermin par des sujets que lareligion excitoit la rvolte, ou par des fanatiques, aux mains desquels elle remettoitson couteau.

    Avant le christianisme, le souverain de ltat fut communment le souverain duprtre ; depuis que le monde est chrtien, le souverain nest plus que le premier esclavedu sacerdoce, que lexcuteur de ses vengeances et de ses dcrets.

    Concluons donc que la religion chrtienne na point de titre pour se vanter desavantages quelle procure la morale, ou la politique. Arrachons-lui donc le voile dontelle se couvre ; remontons sa source ; analysons ses principes ; suivons-la dans samarche, et nous trouverons que, fonde sur limposture, sur lignorance et sur lacrdulit, elle ne fut et ne sera jamais utile qu des hommes qui se croyent intresss tromper le genre humain ; quelle ne cessa jamais de causer les plus grands maux auxnations, et quau lieu du bonheur quelle leur avoit promis, elle ne servit qu les enivrerde fureurs, qu les inonder de sang, qu les plonger dans le dlire et dans le crime,qu leur faire mconnotre leurs vritables intrts et leurs devoirs les plus saints.

    2.- Histoire abrge du peuple juif.

    Dans une petite contre, presque ignore des autres peuples, vivoit une nation, dont

    les fondateurs, longtems esclaves chez les gyptiens, furent dlivrs de leur servitudepar un prtre dHliopolis, qui par son gnie, et ses connoissances superieures, sutprendre de lascendant sur eux. Cet homme, connu sous le nom de Mose, nourri dansles sciences de cette rgion fertile en prodiges et mere des superstitions, se mit donc latte dune troupe de fugitifs, qui il persuada quil toit linterprte des volonts de leurdieu, quil conversoit particulierement avec lui, quil en recevoit directement les ordres.Il appuya, dit-on, sa mission par des uvres qui parurent surnaturelles des hommesignorans des voies de la nature et des ressources de lart. Le premier des ordres quilleur donna, de la part de son dieu, fut de voler leurs matres, quils toient sur le pointde quitter. Lorsquil les eut ainsi enrichis des dpouilles de lgypte, quil se fut assurde leur confiance, il les conduisit dans un dsert, o, pendant quarante ans, il les

    accoutuma la plus aveugle obissance ; il leur apprit les volonts du ciel, la fablemerveilleuse de leurs anctres, les crmonies bisares auxquelles le trs-haut attachoit

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    12/69

    11

    ses faveurs ; il leur inspira sur-tout la haine la plus envenime contre les dieux desautres nations, et la cruaut la plus tudie contre ceux qui les adoroient : force decarnage et de svrit, il en fit des esclaves souples ses volonts, prts seconder sespassions, prts se sacrifier pour satisfaire ses vues ambitieuses ; en un mot, il fit deshbreux, des monstres de phrnsie et de frocit. Aprs les avoir ainsi anims de cet

    esprit destructeur, il leur montra les terres et les possessions de leurs voisins, commelhritage que Dieu mme leur avoit assign.

    Fiers de la protection de jehovah , les hbreux marcherent la victoire ; le cielautorisa pour eux la fourberie et la cruaut ; la religion, unie lavidit, touffa chez euxles cris de la nature, et sous la conduite de leurs chefs inhumains, ils dtruisirent lesnations chananennes avec une barbarie qui rvolte tout homme en qui la superstitionna pas totalement ananti la raison. Leur fureur, dicte par le ciel mme, npargna, niles enfans la mammelle, ni les vieillards dbiles, ni les femmes enceintes, dans lesvilles o ces monstres porterent leurs armes victorieuses. Par les ordres de Dieu, ou deses prophtes, la bonne foi fut viole, la justice fut outrage, et la cruaut fut xerce.

    Brigands, usurpateurs et meurtriers, les hbreux parvinrent enfin stablir dansune contre peu fertile, mais quils trouverent dlicieuse, au sortir de leur dsert. L,sous lautorit de leurs prtres, reprsentans visibles de leur dieu cach, ils fonderent untat dtest de ses voisins, et qui fut en tout tems lobjet de leur haine, ou de leur mpris.Le sacerdoce, sous le nom de thocratie , gouverna longtems ce peuple aveugle etfarouche ; il lui persuada quen obissant ses prtres, il obissoit son dieu lui-mme.

    Malgr la superstition, forc par les circonstances, ou peut-tre fatigu du joug deses prtres, le peuple hbreu voulut enfin avoir des rois, lexemple des autres nations ;mais, dans le choix de son monarque, il se crut oblig de sen rapporter un prophte.Ainsi commena la monarchie des hbreux, dont les princes furent nanmoins toujourstraverss dans leurs entreprises, par des prtres, des inspirs, des prophtes ambitieux,qui susciterent sans fin des obstacles aux souverains quils ne trouverent point assezsoumis leurs propres volonts. Lhistoire des juifs ne nous montre, dans tous sespriodes, que des rois aveuglment soumis au sacerdoce, ou perptuellement en guerreavec lui, et forcs de prir sous ses coups.

    La superstition froce, ou ridicule, du peuple juif, le rendit lennemi n du genrehumain, et en fit lobjet de son indignation et de ses mpris : toujours il fut rebelle, ettoujours il fut maltrait par les conqurans de sa chtive contre. Esclave tour--tour des

    gyptiens, des babyloniens, et des grecs, il prouva sans cesse les traitemens les plusdurs et les mieux mrits ; souvent infidle son dieu, dont la cruaut, ainsi que latyrannie de ses prtres le dgoterent frquemment, il ne fut jamais soumis sesprinces ; ceux-ci lcraserent inutilement sous un sceptre de fer, jamais ils ne parvinrent en faire un sujet attach ; le juif fut toujours la victime et la dupe de ses inspirs, etdans ses plus grands malheurs, son fanatisme opinitre, ses esprances insenses, sacrdulit infatigable, le soutinrent contre les coups de la fortune. Enfin, conquise avec lereste du monde, la Jude subit le joug des romains.

    Objet du mpris de ses nouveaux matres, le juif fut trait durement, et avechauteur, par des hommes que sa loi lui fit dtester dans son cur ; aigri par linfortune,

    il nen devint que plus sditieux, plus fanatique, plus aveugle. Fiere des promesses deson dieu ; remplie de confiance pour les oracles qui, en tout tems, lui annoncerent un

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    13/69

    12

    bien-tre quelle neut jamais ; encourage par les enthousiastes, ou les imposteurs, quisuccessivement se jouerent de sa crdulit, la nation juive attendit toujours un messie ,un monarque, un librateur, qui la dbarrasst du joug sous lequel elle gmissoit, et quila ft rgner elle-mme sur toutes les nations de lunivers.

    3.- Histoire abrge du christianisme.

    Ce fut au milieu de cette nation, ainsi dispose se rpatre desprances et dechimres, que se montra un nouvel inspir, dont les sectateurs sont parvenus changerla face de la terre.

    Un pauvre juif, qui se prtendit issu du sang royal de David, ignor long-tems dansson propre pays, sortit tout dun coup de son obscurit pour se faire des proslites. Il entrouva dans la plus ignorante populace ; il lui prcha donc sa doctrine, et lui persuadaquil toit le fils de Dieu, le librateur de sa nation opprime, le messie annonc par lesprophtes. Ses disciples, ou imposteurs, ou sduits, rendirent un tmoignage clatant desa puissance ; ils prtendirent que sa mission avoit t prouve par des miracles sansnombre. Le seul prodige, dont il fut incapable, fut de convaincre les juifs, qui, loindtre touchs de ses uvres bienfaisantes et merveilleuses, le firent mourir par unsupplice infamant.

    Ainsi, le fils de Dieu mourut la vue de tout Jrusalem ; mais ses adhrensassurerent quil toit secrtement ressuscit trois jours aprs sa mort.

    Visible pour eux seuls, et invisible pour la nation quil toit venu clairer et amener sa doctrine, Jsus ressuscit conversa, dit-on, quelque tems avec ses disciples, aprs

    quoi il remonta au ciel, o, devenu Dieu comme son pere, il partage avec lui lesadorations et les hommages des sectateurs de sa loi. Ceux-ci, force daccumuler dessuperstitions, dimaginer des impostures, de forger des dogmes, dentasser des mysteres,ont peu--peu form un systme religieux, informe et dcousu, qui fut appell lechristianisme , daprs le nom du Christ son fondateur.

    Les diffrentes nations, auxquelles les juifs furent respectivement soumis, lesavoient infects dune multitude de dogmes emprunts du paganisme : ainsi la religionjudaque, gyptienne dans son origine, adopta les rites, les notions, et une portion desides des peuples avec qui les juifs converserent.

    Il ne faut donc point tre surpris si nous voyons les juifs, et les chrtiens qui leursuccderent, imbus de notions puises chez les phniciens, chez les mages ou les perses,chez les grecs et les romains. Les erreurs des hommes, en matiere de religion, ont uneressemblance gnrale ; elles ne paroissent diffrentes que par leurs combinaisons. Lecommerce des juifs et des chrtiens, avec les grecs, leur fit surtout connotre laphilosophie de Platon, si analogue avec lesprit romanesque des orientaux, et siconforme au gnie dune religion qui se fit un devoir de se rendre inaccessible laraison. Paul, le plus ambitieux et le plus enthousiaste des disciples de Jsus, porta doncsa doctrine, assaisonne de sublime et de merveilleux, aux peuples de la Grce, delAsie, et mme aux habitans de Rome ; il eut des sectateurs, parce que tout homme, quiparle limagination des hommes grossiers, les mettra dans ses intrts, et cet aptreactif peut passer, juste titre, pour le fondateur dune religion, qui, sans lui, neut pu

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    14/69

    13

    stendre, par le dfaut de lumieres de ses ignorans collgues, dont il ne tarda pas sesparer, pour tre chef de sa secte.

    Quoi quil en soit, le christianisme, dans sa naissance, fut forc de se borner auxgens du peuple ; il ne fut embrass que par les hommes les plus abjects dentre les juifs

    et les payens : cest sur des hommes de cette espce que le merveilleux a le plus de droit.

    Un dieu infortun, victime innocente de la mchancet, ennemi des riches et desgrands, dut tre un objet consolant pour des malheureux. Des murs austeres, le mprisdes richesses, les soins, dsintresss en apparence, des premiers prdicateurs delvangile, dont lambition se bornoit gouverner les ames, lgalit que la religionmettoit entre les hommes, la communaut des biens, les secours mutuels que seprtoient les membres de cette secte, furent des objets trs-propres exciter les desirsdes pauvres, et multiplier les chrtiens. Lunion, la concorde, laffection rciproque,continuellement recommandes aux premiers chrtiens, drent sduire des ameshonntes ; la soumission aux puissances, la patience dans les souffrances, lindigence etlobscurit, firent regarder la secte naissante comme peu dangereuse dans ungouvernement accoutum tolrer toutes sortes de sectes. Ainsi, les fondateurs duchristianisme eurent beaucoup dadhrens dans le peuple, et neurent pourcontradicteurs, ou pour ennemis, que quelques prtres idoltres, ou juifs, intresss soutenir les religions tablies. Peu--peu le nouveau culte, couvert par lobscurit de sesadhrens, et par les ombres du mystere, jetta de trs-profondes racines, et devint troptendu pour tre supprim.

    Le gouvernement romain sapperut trop tard des progrs dune associationmprise ; les chrtiens, devenus nombreux, oserent braver les dieux du paganisme,jusque dans leurs temples.

    Les empereurs et les magistrats, devenus inquiets, voulurent teindre une secte quileur faisoit ombrage ; ils perscuterent des hommes quils ne pouvoient ramener par ladouceur, et que leur fanatisme rendoit opinitres ; leurs supplices intresserent en leurfaveur ; la perscution ne fit que multiplier le nombre de leurs amis : enfin, leurconstance dans les tourmens parut surnaturelle et divine ceux qui en furent les tmoins.Lenthousiasme se communiqua, et la tyrannie ne servit qu procurer de nouveauxdfenseurs la secte quon vouloit touffer.

    Ainsi, que lon cesse de nous vanter les merveilleux progrs du christianisme ; il

    fut la religion du pauvre ; elle annonoit un dieu pauvre ; elle fut prche par despauvres de pauvres ignorans ; elle les consola de leur tat ; ses ides lugubres elles-mmes furent analogues la disposition dhommes malheureux et indigens. Lunion etla concorde, que lon admire tant dans les premiers chrtiens, nest pas plusmerveilleuse ; une secte naissante et opprime demeure unie, et craint de se sparerdintrts. Comment, dans ces premiers tems, ses prtres perscuts eux-mmes, ettraits comme des perturbateurs , eussent-ils os prcher lintolrance et laperscution ? Enfin, les rigueurs, exerces contre les premiers chrtiens, ne purent leurfaire changer de sentimens, parce que la tyrannie irrite, et que lesprit de lhomme estindomptable, quand il sagit des opinions auxquelles il croit son salut attach. Tel estleffet immanquable de la perscution. Cependant, les chrtiens, que lexemple de leur

    propre secte auroit d dtromper, nont pu jusqu prsent se gurir de la fureur deperscuter.

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    15/69

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    16/69

    15

    L, occup de sa vengeance, il jouira des tourmens du pcheur ; il coutera avecplaisir les hurlemens inutiles dont il fera retentir son cachot embras. Lesprance devoir finir ses peines ne mettra point dintervalle entre ses supplices.

    En un mot, en adoptant le dieu terrible des juifs, le christianisme enchrit encore

    sur sa cruaut : il le reprsente comme le tyran le plus insens, le plus fourbe, le pluscruel, que lesprit humain puisse concevoir ; il suppose quil traite ses sujets avec uneinjustice et une barbarie vraiment dignes dun dmon. Pour nous convaincre de cettevrit, exposons le tableau de la mythologie judaque, adopte et rendue plusextravagante par les chrtiens.

    4.- De la mythologie chrtienne, ou des ides que le christianisme nous donnede Dieu et de sa conduite.

    Dieu, par un acte inconcevable de sa toute-puissance, fait sortir lunivers du nant ;il cre le monde pour tre la demeure de lhomme, quil a fait son image ; peine cethomme, unique objet des travaux de son dieu, a-t-il vu la lumiere, que son crateur luitend un pige, auquel il savoit sans doute quil devoit succomber. Un serpent, qui parle,sduit une femme, qui nest point surprise de ce phnomne ; celle-ci, persuade par leserpent, sollicite son mari de manger un fruit dfendu par Dieu lui-mme.

    Adam, le pere du genre humain, par cette faute lgere, attire sur lui-mme, et sur sapostrit innocente, une foule de maux, que la mort suit, sans encore les terminer. Parloffense dun seul homme, la race humaine entiere devient lobjet du courroux cleste ;elle est punie dun aveuglement involontaire, par un dluge universel.

    Dieu se repent davoir peupl le monde ; il trouve plus facile de noyer et dedtruire lespce humaine, que de changer son cur.

    Cependant un petit nombre de justes chappe ce flau ; mais la terre submerge,le genre humain ananti, ne suffisent point encore sa vengeance implacable.

    Une race nouvelle parot ; quoique sortie des amis de Dieu, quil a sauvs dunaufrage du monde, cette race recommence lirriter par de nouveaux forfaits ; jamaisle tout-puissant ne parvient rendre sa crature telle quil la desire ; une nouvellecorruption sempare des nations, nouvelle colere de la part de Jehovah .

    Enfin, partial dans sa tendresse et dans sa prfrence, il jette les yeux sur unassyrien idoltre ; il fait une alliance avec lui ; il lui promet que sa race, multipliecomme les toiles du ciel, ou comme les grains de sable de la mer, jouira toujours de lafaveur de son dieu ; cest cette race choisie que Dieu rvle ses volonts ; cest pourelle quil drange cent fois lordre quil avoit tabli dans la nature ; cest pour elle quilest injuste, quil dtruit des nations entieres. Cependant, cette race favorise nen est pasplus heureuse, ni plus attache son dieu ; elle court toujours des dieux trangers,dont elle attend des secours que le sien lui refuse ; elle outrage ce dieu qui peutlexterminer. Tantt ce dieu la punit, tantt il la console, tantt il la hait sans motifs,tantt il laime sans plus de raison. Enfin, dans limpossibilit o il se trouve de ramener lui un peuple pervers, quil chrit avec opinitret, il lui envoye son propre fils. Ce fils

    nen est point cout.

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    17/69

    16

    Que dis-je ? Ce fils chri, gal Dieu son pere, est mis mort par un peuple, objetde la tendresse obstine de son pere, qui se trouve dans limpuissance de sauver le genrehumain, sans sacrifier son propre fils. Ainsi, un dieu innocent devient la victime dundieu juste qui laime ; tous deux consentent cet trange sacrifice, jug ncessaire parun dieu, qui sait quil sera inutile une nation endurcie, que rien ne changera. La mort

    dun dieu, devenue inutile pour Isral, servira donc du moins expier les pchs dugenre humain ? Malgr lternit de lalliance, jure solemnellement par le trs-haut, ettant de fois renouvelle avec ses descendans, la nation favorise se trouve enfinabandonne par son dieu, qui na pu la ramener lui. Les mrites des souffrances et dela mort de son fils sont appliqus aux nations jadis exclues de ses bonts ; celles-ci sontrconcilies avec le ciel, devenu dsormais plus juste leur gard ; le genre humainrentre en grace. Cependant, malgr les efforts de la divinit, ses faveurs sont inutiles, leshommes continuent pcher ; ils ne cessent dallumer la colere cleste, et de se rendredignes des chtimens ternels, destins au plus grand nombre dentreux.

    Telle est lhistoire fidelle du dieu sur lequel le christianisme se fonde.

    Daprs une conduite si trange, si cruelle, si oppose toute raison, est-il doncsurprenant de voir les adorateurs de ce dieu navoir aucune ide de leurs devoirs,mconnotre la justice, fouler aux pieds lhumanit, et faire des efforts, dans leurenthousiasme, pour sassimiler la divinit barbare quils adorent, et quils se proposentpour modle ? Quelle indulgence lhomme est-il en droit dattendre dun dieu qui napas pargn son propre fils ? Quelle indulgence lhomme chrtien, persuad de cettefable, aura-t-il pour son semblable ? Ne doit-il pas simaginer que le moyen le plus srde lui plaire, est dtre aussi froce que lui ? Au moins est-il vident que les sectateursdun dieu pareil doivent avoir une morale incertaine, et dont les principes nont aucunefixit. En effet, ce dieu nest point toujours injuste et cruel ; sa conduite varie ; tantt ilcre la nature entiere pour lhomme ; tantt il ne semble avoir cr ce mme homme,que pour exercer sur lui ses fureurs arbitraires ; tantt il le chrit, malgr ses fautes ;tantt il condamne la race humaine au malheur, pour une pomme. Enfin, ce dieuimmuable est alternativement agit par lamour et la colere, par la vengeance et la piti,par la bienveillance et le regret ; il na jamais, dans sa conduite, cette uniformit quicaractrise la sagesse. Partial dans son affection pour une nation mprisable, et cruelsans raison pour le reste du genre humain, il ordonne la fraude, le vol, le meurtre, et fait son peuple chri un devoir de commettre, sans balancer, les crimes les plus atroces, devioler la bonne foi, de mpriser le droit des gens. Nous le voyons, dans dautresoccasions, dfendre ces mmes crimes, ordonner la justice, et prescrire aux hommes de

    sabstenir des choses qui troublent lordre de la socit. Ce dieu, qui sappelle la foisle dieu des vengeances , le dieu des misricordes , le dieu des armes et le dieu de lapaix , souffle continuellement le froid et le chaud ; par consquent il laisse chacun deses adorateurs matre de la conduite quil doit tenir ; et par-l, sa morale devientarbitraire. Est-il donc surprenant, aprs cela, que les chrtiens naient jamais jusquicipu convenir entreux, sil toit plus conforme, aux yeux de leur dieu, de montrer delindulgence aux hommes, que de les exterminer pour des opinions ? En un mot, cestun problme pour eux, de savoir sil est plus expdient dgorger et dassassiner ceuxqui ne pensent point comme eux, que de les laisser vivre en paix, et de leur montrer delhumanit.

    Les chrtiens ne manquent point de justifier leur dieu de la conduite trange, et sisouvent inique, que nous lui voyons tenir dans les livres sacrs. Ce dieu, disent-ils,

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    18/69

    17

    matre absolu des cratures, peut en disposer son gr, sans quon puisse, pour cela,laccuser dinjustice, ni lui demander compte de ses actions : sa justice nest point cellede lhomme ; celui-ci na point le droit de blmer. Il est ais de sentir linsuffisance decette rponse. En effet, les hommes, en attribuant la justice leur dieu, ne peuvent avoiride de cette vertu, quen supposant quelle ressemble, par ses effets, la justice dans

    leurs semblables. Si Dieu nest point juste comme les hommes, nous ne savons pluscomment il lest, et nous lui attribuons une qualit dont nous navons aucune ide. Silon nous dit que Dieu ne doit rien ses cratures, on le suppose un tyran, qui na dergle que son caprice, qui ne peut, ds lors, tre le modle de notre justice, qui na plusde rapports avec nous, v que tous les rapports doivent tre rciproques. Si Dieu ne doitrien ses cratures, comment celles-ci peuvent-elles lui devoir quelque chose ? Si,comme on nous le rpte sans cesse, les hommes sont, relativement Dieu, commelargille dans les mains du potier, il ne peut y avoir de rapports moraux entre eux et lui.

    Cest nanmoins sur ces rapports que toute religion est fonde : ainsi, dire queDieu ne doit rien ses cratures, et que sa justice nest point la mme que celle deshommes, cest sapper les fondemens de toute justice et de toute religion, qui supposeque Dieu doit rcompenser les hommes pour le bien, et les punir pour le mal quils font.

    On ne manquera pas de nous dire, que cest dans une autre vie que la justice deDieu se montrera ; cela pos, nous ne pouvons lappeller juste dans celle-ci, o nousvoyons si souvent la vertu opprime, et le vice rcompens.

    Tant que les choses seront en cet tat, nous ne serons point porte dattribuer lajustice un dieu, qui se permet, au moins pendant cette vie, la seule dont nous puissionsjuger, des injustices passageres que lon le suppose dispos rparer quelque jour. Maiscette supposition elle-mme nest-elle pas trs-gratuite ? Et si ce Dieu a pu consentirdtre injuste un moment, pourquoi nous flatterions-nous quil ne le sera point encoredans la suite ? Comment dailleurs concilier une justice, aussi sujette se dmentir, aveclimmutabilit de ce dieu ? Ce qui vient dtre dit de la justice de Dieu, peut encoresattribuer la bont quon lui attribue, et sur laquelle les hommes fondent leurs devoirs son gard. En effet, si ce dieu est tout-puissant, sil est lauteur de toutes choses, sirien ne se fait que par son ordre, comment lui attribuer la bont, dans un monde, o sescratures sont exposes des maux continuels, des maladies cruelles, desrvolutions physiques et morales, enfin la mort ? Les hommes ne peuvent attribuer labont Dieu, que daprs les biens quils en reoivent ; ds quils prouvent du mal, cedieu nest plus bon pour eux. Les thologiens mettent couvert la bont de leur dieu, en

    niant quil soit lauteur du mal, quils attribuent un gnie malfaisant, emprunt dumagisme, qui est perptuellement occup nuire au genre humain, et frustrer lesintentions favorables de la providence sur lui.

    Dieu, nous disent ces docteurs, nest point lauteur du mal, il le permet seulement.Ne voyent-ils pas que permettre le mal, est la mme chose que le commettre, dans unagent tout-puissant qui pourroit lempcher ? Dailleurs, si la bont de Dieu a pu sedmentir un instant, quelle assurance avons-nous quelle ne se dmentira pas toujours ?Enfin, dans le systme chrtien, comment concilier avec la bont de Dieu, ou avec sasagesse, la conduite souvent barbare, et les ordres sanguinaires que les livres saints luiattribuent ? Comment un chrtien peut-il attribuer la bont un dieu, qui na cr le plus

    grand nombre des hommes que pour les damner ternellement ? On nous dira, sansdoute, que la conduite de Dieu est pour nous un mystere impntrable ; que nous ne

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    19/69

    18

    sommes point en droit de lexaminer ; que notre foible raison se perdroit toutes les foisquelle voudroit sonder les profondeurs de la sagesse divine ; quil faut ladorer ensilence, et nous soumettre, en tremblant, aux oracles dun dieu qui a lui-mme faitconnotre ses volonts : on nous ferme la bouche, en nous disant que la divinit sestrvle aux hommes.

    5.- De la rvlation.

    Comment, sans le secours de la raison, connotre sil est vrai que la divinit aitparl ? Mais, dun autre ct, la religion chrtienne ne proscrit-elle pas la raison ? Nendfend-elle pas lusage dans lexamen des dogmes merveilleux quelle nous prsente ?Ne dclame-t-elle pas sans cesse contre une raison prophane , quelle accusedinsuffisance, et que souvent elle regarde comme une rvolte contre le ciel ? Avant depouvoir juger de la rvlation divine, il faudroit avoir une ide juste de la divinit. Maiso puiser cette ide, sinon dans la rvlation elle-mme, puisque notre raison est tropfoible pour slever jusqu la connoissance de ltre suprme ? Ainsi, la rvlation elle-mme nous prouvera lautorit de la rvlation. Malgr ce cercle vicieux, ouvrons leslivres qui doivent nous clairer, et auxquels nous devons soumettre notre raison.

    Y trouvons-nous des ides prcises sur ce dieu dont on nous annonce les oracles ?Saurons-nous quoi nous en tenir sur ses attributs ? Ce dieu nest-il pas un amas dequalits contradictoires, qui en font une enigme inexplicable ? Si, comme on le suppose,cette rvlation est mane de Dieu lui-mme, comment se fier au dieu des chrtiens,qui se peint comme injuste, comme faux, comme dissimul, comme tendant des pigesaux hommes, comme se plaisant les sduire, les aveugler, les endurcir ; commefaisant des signes pour les tromper, comme rpandant sur eux lesprit de vertige etderreur ? Ainsi, ds les premiers pas, lhomme, qui veut sassurer de la rvlationchrtienne, est jett dans la dfiance et dans la perplxit ; il ne sait si le dieu, qui lui aparl, na pas dessein de le tromper lui-mme, comme il en a tromp tant dautres, deson propre aveu : dailleurs, nest-il pas forc de le penser, lorsquil voit les disputesinterminables de ses guides sacrs, qui jamais nont pu saccorder sur la faondentendre les oracles prcis dune divinit qui sest explique.

    Les incertitudes et les craintes de celui qui examine de bonne foi la rvlationadopte par les chrtiens, ne doivent-elles point redoubler, quand il voit que son dieuna prtendu se faire connotre qu quelques tres favoriss, tandis quil a voulu restercach pour le reste des mortels, qui pourtant cette rvlation toit galement

    ncessaire ? Comment saura-t-il sil nest pas du nombre de ceux qui son dieu partialna pas voulu se faire connotre ? Son cur ne doit-il pas se troubler la vue dun dieu,qui ne consent se montrer, et faire annoncer ses dcrets, qu un nombre dhommestrs-peu considrable, si on le compare toute lespece humaine ? Nest-il pas tentdaccuser ce dieu dune malice bien noire, en voyant que, faute de se manifester tantde nations, il a caus, pendant une longue suite de sicles, leur perte ncessaire ? Quelleide peut-il se former dun dieu qui punit des millions dhommes, pour avoir ignor desloix secrettes, quil na lui-mme publies qu la drobe, dans un coin obscur etignor de lAsie ? Ainsi, lorsque le chrtien consulte mme les livres rvls, tout doitconspirer le mettre en garde contre le dieu qui lui parle ; tout lui inspire de la dfiancecontre son caractere moral ; tout devient incertitude pour lui ; son dieu, de concert avec

    les interprtes de ses prtendues volonts, semble avoir form le projet de redoubler lestnbres de son ignorance. En effet, pour fixer ses doutes, on lui dit que les volonts

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    20/69

    19

    rvles sont des mysteres , cest--dire, des choses inaccessibles lesprit humain. Dansce cas, qutoit-il besoin de parler ? Un dieu ne devoit-il se manifester aux hommes, quepour ntre point compris ? Cette conduite nest-elle pas aussi ridicule quinsense ?Dire que Dieu ne sest rvl que pour annoncer des mysteres, cest dire que Dieu nesest rvl que pour demeurer inconnu, pour nous cacher ses voies, pour drouter notre

    esprit, pour augmenter notre ignorance et nos incertitudes.

    Une rvlation qui seroit vritable, qui viendroit dun dieu juste et bon, et quiseroit ncessaire tous les hommes, devroit tre assez claire pour tre entendue de toutle genre humain. La rvlation, sur laquelle le judasme et le christianisme se fondent,est-elle donc dans ce cas ? Les lmens dEuclide sont intelligibles pour tous ceux quiveulent les entendre ; cet ouvrage nexcite aucune dispute parmi les gometres. La bibleest-elle aussi claire, et les vrits rvles noccasionnent-elles aucunes disputes entreles thologiens qui les annoncent ? Par quelle fatalit les critures, rvles par ladivinit mme, ont-elles encore besoin de commentaires, et demandent-elles deslumieres den haut, pour tre crues et entendues ? Nest-il pas tonnant, que ce qui doitservir guider tous les hommes, ne soit compris par aucun deux ? Nest-il pas cruel,que ce qui est le plus important pour eux, leur soit le moins connu ? Tout est mysteres,tnbres, incertitudes, matiere disputes, dans une religion annonce par le trs-hautpour clairer le genre humain. Lancien et le nouveau testamens renferment des vritsessentielles aux hommes, nanmoins personne ne les peut comprendre ; chacun lesentend diversement, et les thologiens ne sont jamais daccord sur la faon de lesinterprter. Peu contens des mysteres contenus dans les livres sacrs, les prtres duchristianisme en ont invents de sicle en sicle, que leurs disciples sont obligs decroire, quoique leur fondateur et leur dieu nen ait jamais parl. Aucun chrtien ne peutdouter des mysteres de la trinit, de lincarnation, non plus que de lefficacit dessacremens, et cependant Jsus-Christ ne sest jamais expliqu sur ces choses. Dans lareligion chrtienne, tout semble abandonn limagination, aux caprices, aux dcisionsarbitraires de ses ministres, qui sarrogent le droit de forger des mysteres et des articlesde foi, suivant que leurs intrts lexigent. Cest ainsi que cette rvlation se perptue,par le moyen de lglise, qui se prtend inspire par la divinit, et qui, bien loindclairer lesprit de ses enfans, ne fait que le confondre, et le plonger dans une merdincertitudes.

    Tels sont les effets de cette rvlation, qui sert de base au christianisme, et de laralit de laquelle il nest pas permis de douter. Dieu, nous dit-on, a parl aux hommes ;mais quand a-t-il parl ? Il a parl, il y a des milliers dannes, des hommes choisis,

    quil a rendus ses organes ; mais comment sassurer sil est vrai que ce dieu ait parl,sinon en sen rapportant au tmoignage de ceux mmes qui disent avoir reu sesordres ? Ces interprtes des volonts divines sont donc des hommes ; mais des hommesne sont-ils pas sujets se tromper eux-mmes, et tromper les autres ? Comment doncconnotre si lon peut sen fier aux tmoignages que ces organes du ciel se rendent eux-mmes ? Comment savoir sils nont point t les dupes dune imagination tropvive, ou de quelquillusion ? Comment dcouvrir aujourdhui sil est bien vrai que ceMose ait convers avec son dieu, et quil ait reu de lui la loi du peuple juif, il y aquelques milliers dannes ? Quel toit le temprament de ce Mose ? toit-ilflegmatique, ou enthousiaste ; sincere, ou fourbe ; ambitieux, ou dsintress ; vridique,ou menteur ? Peut-on sen rapporter au tmoignage dun homme, qui, aprs avoir fait

    tant de miracles, na jamais pu dtromper son peuple de son idoltrie, et qui, ayant faitpasser quarante-sept mille isralites au fil de lpe, a le front de dclarer quil est le

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    21/69

    20

    plus doux des hommes ? Les livres, attribus ce Mose, qui rapportent tant de faitsarrivs aprs lui, sont-ils bien autentiques ? Enfin, quelle preuve avons-nous de samission, sinon le tmoignage de six cens mille isralites, grossiers et superstitieux,ignorans et crdules, qui furent peut-tre les dupes dun lgislateur froce, toujours prt les exterminer, ou qui neurent jamais connoissance de ce quon devoit crire par la

    suite sur le compte de ce fameux lgislateur ? Quelle preuve la religion chrtienne nousdonne-t-elle de la mission de Jsus-Christ ? Connoissons-nous son caractere et sontemprament ? Quel degr de foi pouvons-nous ajouter au tmoignage de ses disciples,qui, de leur propre aveu, furent des hommes grossiers et dpourvus de science, parconsquent susceptibles de se laisser blouir par les artifices dun imposteur adroit ? Letmoignage des personnes les plus instruites de Jrusalem neut-il pas t dun plusgrand poids pour nous, que celui de quelques ignorans, qui sont ordinairement les dupesde qui veut les tromper ? Cela nous conduit actuellement lexamen des preuves surlesquelles le christianisme se fonde.

    6.- Des preuves de la religion chrtienne ; des miracles ; des prophties ; desmartyrs.

    Nous avons vu, dans les chapitres prcdens, les motifs lgitimes que nous avonsde douter de la rvlation faite aux juifs et aux chrtiens : dailleurs, relativement cetarticle, le christianisme na aucun avantage sur toutes les autres religions du monde, quitoutes, malgr leur discordance, se disent manes de la divinit, et prtendent avoir undroit exclusif ses faveurs. Lindien assure que le Brama lui-mme est lauteur de sonculte. Le scandinave tenoit le sien du redoutable Odin . Si le juif et le chrtien ont reule leur de Jehovah , par le ministere de Mose et de Jsus, le mahomtan assure quil areu le sien par son prophte, inspir du mme dieu. Ainsi, toutes les religions se disentmanes du ciel ; toutes interdisent lusage de la raison, pour examiner leurs titressacrs ; toutes se prtendent vraies, lexclusion des autres ; toutes menacent ducourroux divin ceux qui refuseront de se soumettre leur autorit ; enfin toutes ont lecaractere de la fausset, par les contradictions palpables dont elles sont remplies ; parles ides informes, obscures, et souvent odieuses, quelles donnent de la divinit ; parles loix bizarres quelles lui attribuent ; par les disputes quelles font natre entre leurssectateurs ; enfin, toutes les religions, que nous voyons sur la terre, ne nous montrentquun amas dimpostures et de rveries qui rvoltent galement la raison. Ainsi, du ctdes prtentions, la religion chrtienne na aucun avantage sur les autres superstitionsdont lunivers est infect, et son origine cleste lui est conteste, par toutes les autres,avec autant de raison quelle conteste la leur.

    Comment donc se dcider en sa faveur ? Par o prouver la bont de ses titres ? A-t-elle des caracteres distinctifs qui mritent quon lui donne la prfrence, et quels sont-ils ? Nous fait-elle connotre, mieux que toutes les autres, lessence et la nature de ladivinit ? Hlas ! Elle ne fait que la rendre plus inconcevable ; elle ne montre en ellequun tyran capricieux, dont les fantaisies sont tantt favorables, et le plus souventnuisibles lespce humaine. Rend-elle les hommes meilleurs ? Hlas ! Nous voyonsque par-tout elle les divise, elle les met aux prises, elle les rend intolrants, elle les forcedtre les bourreaux de leurs freres. Rend-elle les empires florissans et puissans ? Par-tout o elle rgne, ne voyons-nous pas les peuples asservis, dpourvus de vigueur,dnergie, dactivit, croupir dans une honteuse lthargie, et navoir aucune ide de la

    vraie morale ? Quels sont donc les signes auxquels on veut que nous reconnoissions la

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    22/69

    21

    supriorit du christianisme sur les autres religions ? Cest, nous dit-on, ses miracles, ses prophties, ses martyrs.

    Mais je vois des miracles, des prophties, et des martyrs dans toutes les religionsdu monde. Je vois par-tout des hommes, plus russ et plus instruits que le vulgaire, le

    tromper par des prestiges, et lblouir par des uvres, quil croit surnaturelles, parcequil ignore les secrets de la nature et les ressources de lart.

    Si le juif me cite des miracles de Mose, je vois ces prtendues merveilles opresaux yeux du peuple le plus ignorant, le plus stupide, le plus abject, le plus crdule, dontle tmoignage nest daucun poids pour moi. Dailleurs, je puis souponner que cesmiracles ont t insrs dans les livres sacrs des hbreux, long-tems aprs la mort deceux qui auroient pu les dmentir. Si le chrtien me cite Jrusalem, et le tmoignage detoute la Galile, pour me prouver les miracles de Jsus-Christ, je ne vois encore quunepopulace ignorante qui puisse les attester ; ou je demande comment il fut possible quunpeuple entier, tmoin des miracles du messie, consentt sa mort, la demandt mmeavec empressement ? Le peuple de Londres, ou de Paris, souffriroit-il quon mt mort,sous ses yeux, un homme qui auroit ressuscit des morts, rendu la ve aux aveugles,redress des boteux, guri des paralytiques ? Si les juifs ont demand la mort de Jsus,tous ses miracles sont anantis pour tout homme non prvenu.

    Dun autre ct, ne peut-on pas opposer aux miracles de Mose, ainsi qu ceux deJsus, ceux que Mahomet opra aux yeux de tous les peuples de La Mecque et delArabie assembls ? Leffet des miracles de Mahomet fut au moins de convaincre lesarabes quil toit un homme divin. Les miracles de Jsus nont convaincu personne desa mission : S Paul lui-mme, qui devint le plus ardent de ses disciples, ne fut pointconvaincu par les miracles dont, de son tems, il existoit tant de tmoins ; il lui fallut unnouveau miracle pour convaincre son esprit.

    De quel droit veut-on donc nous faire croire aujourdhui des merveilles quintoient point convaincantes du tems mme des aptres, cest--dire, peu de tems aprsquelles furent opres ? Que lon ne nous dise point que les miracles de Jsus-Christnous sont aussi bien attests quaucuns faits de lhistoire prophane, et que vouloir endouter, est aussi ridicule que de douter de lexistence de Scipion ou de Csar, que nousne croyons que sur le rapport des historiens qui nous en ont parl. Lexistence dunhomme, dun gnral darme, dun hros, nest pas incroyable ; il nen est pas demme dun miracle. Nous ajoutons foi aux faits vraisemblables rapports par Tite-Live,

    tandis que nous rejettons, avec mpris, les miracles quil nous raconte. Un homme jointsouvent la crdulit la plus stupide aux talens les plus distingus ; le christianisme lui-mme nous en fournit des exemples sans nombre. En matiere de religion, tous lestmoignages sont suspects ; lhomme le plus clair voit trs-mal, lorsquil est saisidenthousiasme ou, ivre de fanatisme, ou sduit par son imagination. Un miracle est unechose impossible ; Dieu ne seroit point immuable, sil changeoit lordre de la nature.

    On nous dira, peut-tre, que, sans changer lordre des choses, Dieu, ou ses favoris,peuvent trouver dans la nature des ressources inconnues aux autres hommes ; mais alorsleurs uvres ne seront point surnaturelles, et nauront rien de merveilleux. Un miracleest un effet contraire aux loix constantes de la nature ; par consquent, Dieu lui-mme,

    sans blesser sa sagesse, ne peut faire des miracles. Un homme sage, qui verroit unmiracle, seroit en droit de douter sil a bien vu ; il devroit examiner si leffet

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    23/69

    22

    extraordinaire, quil ne comprend pas, nest pas d quelque cause naturelle, dont ilignoreroit la maniere dagir.

    Mais accordons, pour un instant, que les miracles soient possibles, et que ceux deJsus ont t vritables, ou du moins nont point t insrs dans les vangiles longtems

    aprs le tems o ils ont t oprs. Les tmoins qui les ont transmis, les aptres qui lesont vus, sont-ils bien dignes de foi, et leur tmoignage nest-il point rcusable ? Cestmoins toient-ils bien clairs ? De laveu mme des chrtiens, ctoient des hommessans lumieres, tirs de la lie du peuple, par consquent crdules et incapablesdexaminer.

    Ces tmoins toient-ils dsintresss ? Non ; ils avoient, sans doute, le plus grandintrt soutenir des faits merveilleux, qui prouvoient la divinit de leur matre, et lavrit de la religion quils vouloient tablir. Ces mmes faits ont-ils t confirms parles historiens contemporains ? Aucun deux nen a parl, et dans une ville, aussisuperstitieuse que Jrusalem, il ne sest trouv, ni un seul juif, ni un seul payen, quiaient entendu parler des faits les plus extraordinaires et les plus multiplis que lhistoireait jamais rapports. Ce ne sont jamais que des chrtiens qui nous attestent les miraclesdu Christ. On veut que nous croyions, qu la mort du fils de Dieu la terre ait trembl, lesoleil se soit clips, les morts soient sortis du tombeau. Comment des vnemens siextraordinaires nont-ils t remarqus que par quelques chrtiens ? Furent-ils donc lesseuls qui sen apperurent ? On veut que nous croyions que le Christ est ressuscit ; onnous cite pour tmoins, des aptres, des femmes, des disciples. Une apparitionsolemnelle, faite dans une place publique, neut-elle pas t plus dcisive, que toutes cesapparitions clandestines, faites des hommes intresss former une nouvelle secte ?La foi chrtienne est fonde, selon s Paul, sur la rsurrection de Jsus-Christ ; il falloitdonc que ce fait ft prouv aux nations, de la faon la plus claire et la plus indubitable.Ne peut-on point accuser de malice le sauveur du monde, pour ne stre montr qu sesdisciples et ses favoris ? Il ne vouloit donc point que tout le monde crt en lui ? Lesjuifs, me dira-t-on, en mettant le Christ mort, mritoient dtre aveugls. Mais, dans cecas, pourquoi les aptres leur prchoient-ils lvangile ? Pouvoient-ils esprer quonajott plus de foi leur rapport, qu ses propres yeux ? Au reste, les miracles nesemblent invents, que pour suppler de bons raisonnemens ; la vrit et lvidencenont pas besoin de miracles pour se faire adopter. Nest-il pas bien surprenant, que ladivinit trouve plus facile de dranger lordre de la nature, que denseigner aux hommesdes vrits claires, propres les convaincre, capables darracher leur assentiment ? Lesmiracles nont t invents, que pour prouver aux hommes des choses impossibles

    croire ; il ne seroit pas besoin de miracles, si on leur parloit raison. Ainsi, ce sont deschoses incroyables, qui servent de preuves dautres choses incroyables.

    Presque tous les imposteurs, qui ont apport des religions aux peuples, leur ontannonc des choses improbables ; ensuite ils ont fait des miracles, pour les obliger croire les choses quils leur annonoient. vous ne pouvez, ont-ils dit, comprendre ce queje vous dis ; mais je vous prouve que je dis vrai, en faisant vos yeux des choses quevous ne pouvez pas comprendre. les peuples se sont pays de ces raisons ; la passionpour le merveilleux les empcha toujours de raisonner ; ils ne virent point que desmiracles ne pouvoient prouver des choses impossibles, ni changer lessence de la vrit.Quelques merveilles que pt faire un homme, ou, si lon veut, un dieu lui-mme, elles

    ne prouveront jamais, que deux et deux ne font point quatre, et que trois ne font quun ;quun tre immatriel, et dpourvu dorganes, ait pu parler aux hommes ; quun tre

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    24/69

    23

    sage, juste et bon, ait pu ordonner des folies, des injustices, des cruauts, etc. Do lonvoit que les miracles ne prouvent rien, sinon ladresse et limposture de ceux qui veulenttromper les hommes, pour confirmer les mensonges quils leur ont annoncs, et lacrdulit stupide de ceux que ces imposteurs sduisent. Ces derniers ont toujourscommenc par mentir, par donner des ides fausses de la divinit, par prtendre avoir eu

    un commerce intime avec elle ; et pour prouver ces merveilles incroyables, ils faisoientdes uvres incroyables, quils attribuoient la toute-puissance de ltre qui les envoyoit.Tout homme, qui fait des miracles, na point de vrits, mais des mensonges, prouver.

    La vrit est simple et claire ; le merveilleux annonce toujours la fausset.

    La nature est toujours vraie ; elle agit par des loix qui ne se dmentent jamais.

    Dire que Dieu fait des miracles, cest dire quil se contredit lui-mme ; quildment les loix quil a prescrites la nature ; quil rend inutile la raison humaine, donton le fait lauteur.

    Il ny a que des imposteurs qui puissent nous dire de renoncer lexprience et debannir la raison.

    Ainsi, les prtendus miracles, que le christianisme nous raconte, nont, commeceux de toutes les autres religions, que la crdulit des peuples, leur enthousiasme, leurignorance, et ladresse des imposteurs pour base.

    Nous pouvons en dire autant des prophties.

    Les hommes furent de tout tems curieux de connotre lavenir ; ils trouverent, enconsquence, des hommes disposs les servir. Nous voyons des enchanteurs, desdevins, des prophtes, dans toutes les nations du monde. Les juifs ne furent pas plusfavoriss, cet gard, que les tartares, les ngres, les sauvages, et tous les autres peuplesde la terre, qui tous possderent des imposteurs, prts les tromper pour des prsens.Ces hommes merveilleux drent sentir bientt que leurs oracles devoient tre vagues etambigus, pour ntre point dmentis par les effets. Il ne faut donc point tre surpris, siles prophties judaques sont obscures, et de nature y trouver tout ce que lon veut ychercher. Celles que les chrtiens attribuent Jsus-Christ, ne sont point vues du mmeoeil par les juifs, qui attendent encore ce messie, que ces premiers croient arriv depuis18 sicles.

    Les prophtes du judasme ont annonc de tout tems, une nation inquiete etmcontente de son sort, un librateur, qui fut pareillement lobjet de lattente desromains, et de presque toutes les nations du monde. Tous les hommes, par un penchantnaturel, esprent la fin de leurs malheurs, et croyent que la providence ne peut sedispenser de les rendre plus fortuns. Les juifs, plus superstitieux que tous les autrespeuples, se fondant sur la promesse de leur dieu, ont d toujours attendre un conqurant,ou un monarque, qui ft changer leur sort, et qui les tirt de lopprobre. Comment peut-on voir ce librateur dans la personne de Jsus, le destructeur, et non le restaurateur dela nation hbraque, qui, depuis lui, neut plus aucune part la faveur de son dieu ? Onne manquera pas de dire, que la destruction du peuple juif, et sa dispersion, furent elles-

    mmes prdites, et quelles fournissent une preuve convaincante des prophties deschrtiens.

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    25/69

    24

    Je rponds, quil toit facile de prdire la dispersion et la destruction dun peupletoujours inquiet, turbulent, et rebelle ses matres ; toujours dchir par des divisionsintestines : dailleurs, ce peuple fut souvent conquis et dispers ; le temple, dtruit parTitus, lavoit dja t par Nabuchodonosor, qui amena les tribus captives en Assyrie, etles rpandit dans ses tats.

    Nous nous appercevons de la dispersion des juifs, et non de celle des autres nationsconquises, parce que celles-ci, au bout dun certain tems, se sont toujours confonduesavec la nation conqurante, au lieu que les juifs ne se mlent point avec les nationsparmi lesquelles ils habitent, et en demeurent toujours distingus.

    Nen est-il pas de mme des gubres , ou parsis de la Perse et de lIndostan, ainsique des armniens qui vivent dans les pays mahomtans ? Les juifs demeurent disperss,parce quils sont insociables, intolrans, et aveuglment attachs leurs superstitions.

    Ainsi, les chrtiens nont aucune raison pour se vanter des prophties contenuesdans les livres mmes des hbreux, ni de sen prvaloir contre ceux-ci, quils regardentcomme les conservateurs des titres dune religion quils abhorrent. La Jude fut de touttems soumise aux prtres, qui eurent une influence trs-grande sur les affaires de ltat,qui se mlerent de la politique, et de prdire les vnemens heureux, ou malheureux,quelle avoit lieu dattendre. Nul pays ne renferma un plus grand nombre dinspirs ;nous voyons que les prophtes tenoient des coles publiques, o ils initioient auxmystres de leur art, ceux quils en trouvoient dignes, ou qui vouloient, en trompant unpeuple crdule, sattirer des respects, et se procurer des moyens de subsister sesdpens.

    Lart de prophtiser fut donc un vrai mtier, ou, si lon veut, une branche decommerce fort utile et lucrative dans une nation misrable, et persuade que son dieuntoit sans cesse occup que delle. Les grands profits, qui rsultoient de ce traficdimpostures, drent mettre de la division entre les prophtes juifs ; aussi voyons-nousquils se dcrioient les uns les autres ; chacun traitoit son rival de faux prophte , etprtendoit quil toit inspir de lesprit malin. Il y eut toujours des querelles entre lesimposteurs, pour savoir qui demeureroit le privilge de tromper leurs concitoyens.

    En effet, si nous examinons la conduite de ces prophtes si vants de lancientestament, nous ne trouverons en eux rien moins que des personnages vertueux. Nousvoyons des prtres arrogans, perptuellement occups des affaires de ltat, quils surent

    toujours lier celles de la religion ; nous voyons en eux des sujets sditieux,continuellement cabalans contre les souverains qui ne leur toient point assez soumis,traversans leurs projets, soulevans les peuples contreux, et parvenans souvent lesdtruire, et faire accomplir ainsi les prdictions funestes quils avoient faites contreux.

    Enfin, dans la plpart des prophtes, qui jouerent un rle dans lhistoire des juifs,nous voyons des rebelles occups sans relche du soin de bouleverser ltat, de susciterdes troubles, et de combattre lautorit civile, dont les prtres furent toujours lesennemis, lorsquils ne la trouverent point assez complaisante, assez soumise leurspropres intrts. Quoi quil en soit, lobscurit tudie des prophties permit dappliquercelles qui avoient le messie, ou le librateur dIsral, pour objet, tout homme singulier,

    tout enthousiaste, ou prophte, qui parut Jrusalem, ou en Jude. Les chrtiens, dontlesprit est chauff de lide de leur Christ, ont cru le voir par-tout, et lont

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    26/69

    25

    distinctement apperu dans les passages les plus obscurs de lancien testament. forcedallgories, de subtilits, de commentaires, dinterprtations forces, ils sont parvenus se faire illusion eux-mmes, et trouver des prdictions formelles dans les rveriesdcousues, dans les oracles vagues, dans le fatras bizarre des prophtes.

    Les hommes ne se rendent point difficiles sur les choses qui saccordent avec leursvues. Quand nous voudrons envisager sans prvention les prophties des hbreux, nousny verrons que des rapsodies informes, qui ne sont que louvrage du fanatisme et dudlire ; nous trouverons ces prophties obscures et nigmatiques, comme les oracles despayens ; enfin, tout nous prouvera, que ces prtendus oracles divins ntoient que lesdlires et les impostures de quelques hommes accoutums tirer parti de la crdulitdun peuple superstitieux, qui ajoutoit foi aux songes, aux visions, aux apparitions, auxsortilges, et qui recevoit avidement toutes les rveries quon vouloit lui dbiter, pourvuquelles fussent ornes du merveilleux.

    Par-tout o les hommes seront ignorans, il y aura des prophtes, des inspirs, desfaiseurs de miracles ; ces deux branches de commerce diminueront toujours dans lamme proportion que les nations sclaireront.

    Enfin, le christianisme met au nombre des preuves de la vrit de ses dogmes, ungrand nombre de martyrs , qui ont scell de leur sang la vrit des opinions religieusesquils avoient embrasses. Il nest point de religion sur la terre qui nait eu sesdfenseurs ardens, prts sacrifier leur vie pour les ides auxquelles on leur avoitpersuad que leur bonheur ternel toit attach.

    Lhomme superstitieux et ignorant est opinitre dans ses prjugs ; sa crdulitlempche de souponner que ses guides spirituels aient jamais pu le tromper ; sa vanitlui fait croire, que lui-mme il na pu prendre le change ; enfin, sil a limaginationassez forte, pour voir les cieux ouverts, et la divinit prte rcompenser son courage, ilnest point de supplice quil ne brave et quil nendure. Dans son ivresse, il mpriserades tourmens de peu de dure ; il rira au milieu des bourreaux ; son esprit alin lerendra mme insensible la douleur. La piti amollit alors le cur des spectateurs ; ilsadmirent la fermet merveilleuse du martyr ; son enthousiasme les gagne ; ils croyent sacause juste ; et son courage, qui leur parot surnaturel et divin, devient une preuveindubitable de la vrit de ses opinions. Cest ainsi que, par une espece de contagion,lenthousiasme se communique ; lhomme sintresse toujours celui qui montre le plusde fermet, et la tyrannie attire des partisans tous ceux quelle perscute. Ainsi, la

    constance des premiers chrtiens dut, par un effet naturel, lui former des proslytes, etles martyrs ne prouvent rien, sinon la force de lenthousiasme, de laveuglement, delopiniatret, que la superstition peut produire, et la cruelle dmence de tous ceux quiperscutent leurs semblables pour des opinions religieuses.

    Toutes les passions fortes ont leurs martyrs ; lorgueil, la vanit, les prjugs,lamour, lenthousiasme du bien public, le crime mme, font tous les jours des martyrs,ou du moins font que ceux que ces objets enivrent, ferment les yeux sur les dangers.Est-il donc surprenant que lenthousiasme et le fanatisme, les deux passions les plusfortes chez les hommes, aient si souvent fait affronter la mort ceux quelles ont enivrsdes esprances quelles donnent ? Dailleurs, si le christianisme a ses martyrs, dont il se

    glorifie, le judasme na-t-il pas les siens ? Les juifs infortuns, que linquisitioncondamne aux flammes, ne sont-ils pas des martyrs de leur religion, dont la constance

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    27/69

    26

    prouve autant en sa faveur, que celle des martyrs chrtiens peut prouver en faveur duchristianisme ? Si les martyrs prouvoient la vrit dune religion, il nest point dereligion, ni de secte, qui ne pt tre regarde comme vritable.

    Enfin, parmi le nombre, peut-tre exagr, des martyrs dont le christianisme se fait

    honneur, il en est plusieurs qui furent pltt les victimes dun zle inconsidr, dunehumeur turbulente, dun esprit sditieux, que dun esprit religieux. Lglise elle-mmenose point justifier ceux que leur fougue imprudente a quelquefois pousss jusqutroubler lordre public, briser les idoles, renverser les temples du paganisme. Si deshommes de cette espce toient regards comme des martyrs, tous les sditieux, tous lesperturbateurs de la socit, auroient droit ce titre, lorsquon les fait punir.

    7.- Des mystres de la religion chrtienne.

    Rvler quelque chose quelquun, cest lui dcouvrir des secrets quil ignoroitauparavant. Si on demande aux chrtiens quels sont les secrets importans qui exigeoientque Dieu lui-mme se donnt la peine de les rvler, ils nous diront que le plus grand deces secrets, et le plus ncessaire au genre humain, est celui de lunit de la divinit ;secret que, selon eux, les hommes eussent t par eux-mmes incapables de dcouvrir.

    Mais ne sommes-nous pas en droit de leur demander si cette assertion est bienvraie ? On ne peut point douter que Mose nait annonc un dieu unique aux hbreux, etquil nait fait tous ses efforts pour les rendre ennemis de lidoltrie et du polythsmedes autres nations, dont il leur reprsenta la croyance et le culte comme abominablesaux yeux du monarque cleste qui les avoit tirs dgypte.

    Mais un grand nombre de sages du paganisme, sans le secours de la rvlationjudaque, nont-ils pas dcouvert un dieu suprme, matre de tous les autres dieux ?Dailleurs, le destin, auquel tous les autres dieux du paganisme toient subordonns,ntoit-il pas un dieu unique, dont la nature entiere subissoit la loi souveraine ? Quantaux traits, sous lesquels Mose a peint sa divinit, ni les juifs, ni les chrtiens, nontpoint droit de sen glorifier. Nous ne voyons en lui quun despote bizarre, colere, remplide cruaut, dinjustice, de partialit, de malignit, dont la conduite doit jetter touthomme, qui le mdite, dans la plus affreuse perplxit. Que sera-ce, si lon vient luijoindre des attributs inconcevables, que la thologie chrtienne sefforce de luiattribuer ? Est-ce connotre la divinit, que de dire que cest un esprit , un treimmatriel , qui ne ressemble rien de ce que les sens nous font connotre ? Lesprit

    humain nest-il pas confondu par les attributs ngatifs dinfinit, dimmensit, dternit,de toute-puissance, domniscience , etc. Dont on na orn ce dieu, que pour le rendreplus inconcevable ? Comment concilier la sagesse, la bont, la justice, et les autresqualits morales que lon donne ce dieu, avec la conduite trange, et souvent atroce,que les livres des chrtiens et des hbreux lui attribuent chaque page ? Neut-il pasmieux valu laisser lhomme dans lignorance totale de la divinit, que de lui rvler undieu rempli de contradictions, qui prte sans cesse la dispute, et qui lui sert de prtextepour troubler son repos ? Rvler un pareil Dieu, cest ne rien dcouvrir aux hommes,que le projet de les jetter dans les plus grands embarras, et de les exciter se quereller, se nuire, se rendre malheureux.

    Quoi quil en soit, est-il bien vrai que le christianisme nadmette quun seul dieu,le mme que celui de Mose ? Ne voyons-nous pas les chrtiens adorer une divinit

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    28/69

    27

    triple, sous le nom de trinit ? Le dieu suprme gnre de toute ternit un fils gal lui ; de lun et de lautre de ces dieux, il en procde un troisieme, gal aux deuxpremiers ; ces trois dieux, gaux en divinit, en perfection, en pouvoir, ne formentnanmoins quun seul dieu.

    Ne suffit-il donc pas dexposer ce systme, pour en montrer labsurdit ? Nest-cedonc que pour rvler de pareils mystres, que la divinit sest donn la peinedinstruire le genre humain ? Les nations les plus ignorantes, et les plus sauvages, ont-elles enfant des opinions plus monstrueuses, et plus propres drouter la raison ?Cependant les crits de Mose ne contiennent rien qui ait pu donner lieu ce systme sitrange ; ce nest que par des explications forces, que lon prtend trouver le dogme dela trinit dans la bible. Quant aux juifs, contens du dieu unique, que leur lgislateur leuravoit annonc, ils nont jamais song le tripler.

    Le second de ces dieux, ou, suivant le langage des chrtiens, la seconde personnede la trinit, sest revtue de la nature humaine, sest incarne dans le sein dune vierge,et renonant sa divinit, sest soumise aux infirmits attaches notre espce, et mmea souffert une mort ignominieuse pour expier les pchs de la terre. Voil ce que lechristianisme appelle le mystre de lincarnation . Qui ne voit que ces notions absurdessont empruntes des gyptiens, des indiens, et des grecs, dont les ridicules mythologiessupposoient des dieux revtus de la forme humaine, et sujets, comme les hommes, desinfirmits ? Ainsi, le christianisme nous ordonne de croire, quun dieu fait homme, sansnuire sa divinit, a pu souffrir, mourir, a pu soffrir en sacrifice lui-mme, na pu sedispenser de tenir une conduite aussi bizarre, pour appaiser sa propre colere. Cest l ceque les chrtiens nomment le mystre de la rdemption du genre humain.

    Il est vrai que ce dieu mort est ressuscit ; semblable en cela lAdonis de Phnicie, lOsyris dgypte, lAtys de Phrygie, qui furent jadis les emblmes dune naturepriodiquement mourante et renaissante, le dieu des chrtiens renat de ses proprescendres, et sort triomphant du tombeau.

    Tels sont les secrets merveilleux, ou les mystres sublimes, que la religionchrtienne dcouvre ses disciples ; telles sont les ides, tantt grandes, tantt abjectes,mais toujours inconcevables, quelle nous donne de la divinit ; voil donc les lumieresque la rvlation donne notre esprit ! Il semble, que celle que les chrtiens adoptent,ne se soit propos que de redoubler les nuages qui voilent lessence divine aux yeux deshommes.

    Dieu, nous dit-on, a voulu se rendre ridicule, pour confondre la curiosit de ceuxque lon assure pourtant quil vouloit illuminer par une grace spciale.

    Quelle ide peut-on se former dune rvlation, qui, loin de rien apprendre, se plat confondre les notions les plus claires ? Ainsi, nonobstant la rvlation, si vante parles chrtiens, leur esprit na aucune lumiere sur ltre qui sert de base toute religion ;au contraire, cette fameuse rvlation ne sert qu obscurcir toutes les ides que lonpourroit sen former. Lcriture sainte lappelle un dieu cach . David nous dit qu ilplace sa retraite dans les tnbres, que les eaux troubles et les nuages forment lepavillon qui le couvre . Enfin, les chrtiens, clairs par Dieu lui-mme, nont de lui que

    des ides contradictoires, des notions incompatibles, qui rendent son existence douteuse,ou mme impossible, aux yeux de tout homme qui consulte sa raison.

  • 8/7/2019 Baron D'Holbach - Le Christianisme Dvoil

    29/69

    28

    En effet, comment concevoir un dieu, qui, nayant cr le monde que pour lebonheur de lhomme, permet pourtant que la plus grande partie de la race humaine soitmalheureuse en ce monde et dans lautre ? Comment un dieu, qui jouit de la suprmeflicit, pourroit-il soffenser des actions de ses cratures ? Ce dieu est donc susceptiblede douleur ; son tre peut donc se troubler ; il est donc dans la dpendance de lhomme,

    qui peut volont le rjouir ou laffliger. Comment un dieu puissant laisse-t-il sescratures une libert funeste, dont elles peuvent abuser pour loffenser, et se perdreelles-mmes ? Comment un dieu peut-il se faire homme, et comment lauteur de la vieet de la nature peut-il mourir lui-mme ? Comment un dieu unique peut-il devenir triple,sans nuire son unit ? On nous rpond, que toutes ces choses sont des mystres ; maisces mystres dtruisent lexistence mme de Dieu. Ne seroit-il pas plus raisonnabledadmettre dans la nature, avec Zoroastre, ou Mans, deux principes, ou deuxpuissances opposes, que dadmettre, avec le christianisme, un dieu tout-puissant, quina pas le pouvoir dempcher le mal ; un dieu juste, mais partial ; un dieu clment,mais implacable, qui punira, pendant une ternit, les crimes dun moment ; un dieusimple, qui se triple ; un dieu, principe de tous les tres, qui peut consentir mourir,faute de pouvoir satisfaire autrement sa justice divine ? Si dans un mme sujet lescontraires ne peuvent subsister en mme tems, lexistence du dieu des juifs et deschrtiens est sans doute impossible ; do lon est forc de conclure, que les docteurs duchristianisme, par les attributs dont ils se sont servis pour orner, ou pltt pour dfigurerla divinit, au lieu de la