12 leçons sur le christianisme

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12leçonssurlechristianisme

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TextetraduitparFrançoisRossoetréviséparBernardPerret.

Tousdroitsdetraduction,d’adaptationetdereproduction

réservéspourtouspays.

©2015,GroupeArtègeDescléedeBrouwer

10,rueMercœur–75011Paris9,espaceMéditerranée–66000Perpignan

www.editionsddb.fr

ISBN:978-2-220-06641-7ISBNepub:978-2-220-07797-0

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laps de temps étonnamment court après sa naissance. Plusétonnant encore, il ne se passera que très peu de temps avantqu’unbébésoitcapabledereporteràplustardsonimitation:sion lui met une tétine dans la bouche, puis qu’on lui tire lalanguealorsqu’ilnepeutpasnousrendrelapareille,etqueplustardonluienlèvelatétine,onleverraalorsnoustirerlalanguecommes’ilavaitattendu.

C’est très mignon, mais pas seulement : c’est stupéfiant !Car cela signifie qu’en un temps incroyablement bref, lesneuronesmiroirs de l’enfant sontmis en activité demanière àpermettre non seulement l’imitation, mais aussi une imitationéchelonnée dans le temps, ce qui est le commencement de lamémoire. Or, c’est le fait de posséder une mémoire qui ferad’une personne un «moi » viable.Une fois qu’onmaîtrise cereport de l’imitation, qui est lié au langage, aux gestes et auxsons répétés, on commence d’avoir une mémoire, qui est laconditionpourqu’unepersonnepuisseraconterunehistoiresurelle-même.Loind’êtreunpetitindividuquis’amorcelui-même,lebébéestdoncamorcéparcequed’autrespersonnesluifont,ou font devant lui. Et il en sera longtemps ainsi. Comme lesaventtousleséducateurs,ilyaunabîmeentrecequisepassequandunparent,tuteurouenseignantparleàunenfantetcequise passe quand on le laisse devant un écran de télévision. Cesontexactementlesmêmessonsquipeuventêtrediffusésparletéléviseur,maisl’enfantnelesapprendrapas,ilsnemettrontpasen marche ses neurones miroirs. Si extraordinaire que celaparaisse, un enfant, même tout petit, sait faire la distinctionentredesactesetdesparolesidentiquesselonqu’ilssontditsetfaitsàsonintentionounon.C’estseulementcequiestditetfaità son intention, à lui et pour lui, qui fait naître en lui descompétences:lelangageettoutlereste.

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Ledésirselonledésirdel’autre

Ilyaencoreplusincroyable.Jusqu’ici,onpeutpeut-êtresedire : soit, c’est l’autre social qui nous donne un corps, et, siréticentquenoussoyonsà l’admettre,c’estaussi l’autresocialquiproduitennousdesfacultéscommelamémoire,lelangage,etc.Restequ’aufonddenous,toutaufond,ilyanosdésirs.Or,ceux-cinepeuventvenirquedenous,ilsnousappartiennent,etce sont eux qui, le moment venu, envoient promenerl’échafaudagequel’autresocialasilaborieusementconstruitennous. Eh bien, une fois encore, c’est faux !Car ce qui est deplusenplusévident,c’estquel’imitationentantquemoteurparlequell’autresocialnousamèneàl’êtreestaussiuneimitationsur le plan du désir. Il ne s’agit pas ici des instincts, qui sontbiologiquementdéterminés,maisdudésir,quiestlafaçondontcesinstinctssontreçus,gérésetvécussocialementdelapartdecet animal malléable que nous sommes. Ce que lesneurosciences ont pu observer, c’est que le jeune enfant peutfaire la distinction (et, une fois encore, de très bonne heure)entre un adulte qui accomplit un acte et un adulte qui neparvient pas à l’accomplir. Imaginons un adulte qui, sous lesyeux d’un bébé, introduit lentement et délibérément un bâtondansunanneauencaoutchouc.Puisimaginonslemêmeadulteessayantdefairelemêmegeste,maissansréussiràintroduirelebâton. Ce qui est stupéfiant, c’est que l’enfant imiteral’opérationréussie,nonsonéchec.End’autrestermes,cequ’ilimiten’estpaslemouvementmécanique.Ilimitel’intention,quiestinvisibleetentièrementnonmécanique.

C’est là un fait que René Girard a établi en termesphilosophiques il y a une quarantaine d’années, et c’estmaintenant que la « science dure » le rattrape : l’intention est

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empruntée à l’autre. Ou, dans les termes de Girard, nousdésirons selon ledésirde l’autre. Jeveux faireceque tuveuxfaire.Jeveuxêtreceluiquetues.C’esttoi,parsuggestion,quimeconduisàêtreenm’amenantàt’imiter.Cequiestessentielici est l’interaction du désir de l’autre avec nos neuronesmiroirs,carc’estcetteinteractionquinouspermetdedévelopperl’empathie ; or, c’est celle-ci qui nous amène à l’être dans letemps, nous donne le sens de qui nous sommes. Qui noussommesnous est donnépar le regardd’un autre.Commentunbébécommence-t-ilàapprendrequiilest?Ensevoyantréfléchidans quelqu’un qui est autre que lui (et nous avons tousremarqué combien les bébés sont excités par les parents quiportent des lunettes, car ils voient leur reflet dans les verres).Selonlafaçondontilesttraitéparl’adulte,c’estainsiqu’ilseconsidérera.Sil’adulteestterrifiépartoutecetteaffaired’avoirunenfantet le tientdanssesbrasavec frayeur,ceque lebébéapprendra est : « Je suis une source de frayeur. » Il seconsidérera lui-même avec frayeur. Si le parent est détendu, lebébépercevraqu’il est heureuxd’être parent, et il apprendra :« Je suisune sourcedebonheur.»Quinous sommesnousestdonné par le regard des autres, et cette réalité purementanthropologique sera fondamentale dans tout ce que nousapprendronssurnous-mêmesaufildecetouvrage.

Un autre exemple corrobore les affirmations qui précèdentvoulantquel’autresocialnousdonnel’êtreet,sil’onveut,nousanime : celui du langage. Il ne faut pas croire que nousapprenons lesmotsen imitant les sonsproduitspar les autres,mêmesic’estunepartdelaréalité.Enfait,nousnoustrouvons«insérés»dansunelangue.Lalangueexistaitavantnous.Onaparlé anglais ou français pendant des siècles avant notrenaissanceetlemomentoùnousavonscommencéàbredouiller.

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enceinte » ou « Je suis gay » que d’une annonce sur lapopulation de la ville de Mexico. Nous parlons du genre detremblement de terre produit par un événement hors de notrecontrôle, mais qui va modifier toutes nos relations et nousemmenerdansunprocessusdedécouvertes surnous-mêmes etsurlesautres.Etcesréalitésquenousignorionsjusqu’ici,nouslesdécouvrironsaufildutempsetàmesurequenosrelationssemodifient.

La raisonpour laquelle il est important de le souligner estque,souvent,sinoussommescoincésdansnotrebullementale,nous pensons à la révélation comme si c’était Dieu qui nouscommuniquait une information sur la population de Mexico,sansnousrendrecomptequelacommunicationdivineimpliqueun processus de découverte. Or, « découverte » est le corrélâtanthropologiquede«révélation».Quesepasse-t-ilquandunerévélation se produit parmi les humains ? Un processus dedécouverteestenclenché.Quesepasse-t-ilquandunemétéoriteheurte la terre ? Elle laisse un cratère. À partir de ce cratère,nouspouvonsdéduirebeaucoupdechosessurlamétéorite.S’iln’yavaitpasdecratère,nouspourrionsdirequ’ilnes’agissaitpas d’une vraiemétéorite, qu’elle était en papier, ou virtuelle.C’estpareilpour lavieille scie au sujetde l’enseignement : sirienn’a été appris, c’est que rienn’a été enseigné. Il n’y a eud’enseignement que s’il a produit des effets. Le corrélâtanthropologique d’« enseignement » est « apprentissage ».Pareillement, répétons-le, le corrélât anthropologique de«révélation»est«découverte».

Unehistoirequin’estpasmorale,transmisepardesgensquinesontpasdesgensdebien

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Communément, quand les gens entendent desmots comme«foichrétienne»,«théologie»etainsidesuite,lesvoilàquisecouvrent d’unpernicieuxvoilemoraliste, comme s’il s’agissaitd’entrerdansungroupedegensdebienquiserassemblentpourdiscuterdevertu.

Détrompons-nous.Il fautpartirduprésupposéquenousnesommes pas des gens de bien, que nous ne savons pas bienparler, et que cela n’a pas vraiment d’importance car c’estl’affairedequelqu’und’autredenousbonifier.Sonaffaireaufildu temps. L’histoire de l’Évangile, le cratère dans notrehumanitéquenousdésignent les témoignagesapostoliques,estune histoire racontée par des narrateurs qui n’étaient pas desgensdebien,ausujetd’unévénementsurvenuparmieuxetquiasecouéleursconceptionsdubien,quileurafaitaspireràuneautresortedebiendontilsontdécouvertqu’ilsapprenaientàlevivre, nonpar leurs efforts,mais entre lesmains dequelqu’und’autre,toutcelaaugrandscandaledesexpertsenvertu.

Il est vital que nous nous le rappelions : notre présupposéestquenoustoussommes,mêmesinousessayonsdelecacher,desmenteurs,desaffabulateurs,desvoleurs,descharlatans,desmanipulateurs, des amateurs de réputations falsifiées et dechantage émotionnel, des adeptes de l’auto-tromperie et de laconfusion, parfois même franchement méchants. Notreprésupposé est que c’est à ce genre de gens, ceux qui sontembourbés dans la tromperie d’eux-mêmes et la tromperie desautres,c’estàcesgens-làquel’adresseestfaite.Telsquenoussommes, nous nous trouvons appelés à recevoir unecommunication de la part de quelqu’un qui sait tout cela denous, qui n’est pas dupe, qui d’ailleurs ne se soucie pas quenousne soyonspasdesgensdebien,maisveutpourtantnousemmenerailleurs.

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Pour beaucoup d’entre nous, c’est très difficile àcomprendre et à assimiler, car non seulement nous sommesagrippésàune«théorie»biensolidequinousdictelapratiqued’une « morale », mais notre auto-identification au statut de« gens de bien » est une de nos idoles les plus sacrées.C’estaussiunedeschosesquinousrendleplusdangereuxàl’égarddes autres et de nous-mêmes. C’est pourquoi il nous est sidifficiled’êtrepardonnés.Seulsceuxquinesontpasdesgensdebienàleurspropresyeuxpeuvents’offriraupardon.

L’important n’est doncpasde savoir si nous sommesbonsoumauvaismaisdesavoirquenoussommesaimés.

1.Lescitationsbibliques sont extraitesde la traductiondeLaBibledeJérusalem.

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personnepour les interpréter,et Joseph leurdit :«C’estDieuquidonnel’interprétation;maisracontez-moidonc!»

Comprenez-vous ce que fait Luc ici ? Il place un voyantrouge dans son texte, comme pour nous dire : « Attention,attention,cequi s’annonceestunehistoired’interprétation !»En réalité, Luc considère que ses auditeurs connaissent et serappellent laSeptante,ets’yréfèresouvent.Parendroits, ilenimitesoigneusementlestyle,cequidonneàsonévangile(etauxActes)unstyleplus«artistique»queceuxdeMatthieu,MarcetJean,oùdestracesdesmotssémitiquesoriginaux(enhébreuouenaraméen)apparaissentfréquemmentsouslegrecunpeuplusguindédutexte.Donc,quandLucintroduitunmotassezraredela Septante dans un récit néo-testamentaire, il convient de leremarquer.Or,qu’est-cequisepassedansl’histoiredeJoseph?Deux hommes discutent de choses qu’ils sont incapablesd’interpréter et un troisième apparaît pour leur proposerl’interprétation définitive, celle deDieu.Exactement ce qui vase produire sur la route d’Emmaüs ! On va nous offrir uneinterprétation.

Continuons:

Prenantlaparole,l’und’eux,nomméCléophas,luidit:

Avant d’examiner la réponse de Cléophas, posons-nous laquestionsuivante:comments’appellel’autre,lecompagnondeCléophas?C’estunequestionquiadonnélieuàbeaucoupdethéories. Certains ont imaginé qu’il pouvait s’agir de MmeCléophas,mais c’est improbable, car un peu plus loin dans letexte les deux parlent de « quelques femmes qui sont desnôtres ». Il semble plutôt que de même qu’Emmaüs est un

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toponyme délibérément vague et que le lieu peut être au fondn’importe où, Luc s’abstient volontairement de donner le nomdu personnage. Ainsi l’auditeur peut-il introduire la personnequi est désignée dans nos livres liturgiques par la lettre N –«nousprionspournotrepapeN,pournotreévêqueNetpournosdéfuntsNetN»–làoùlalettreNsupposelelatinnomenou une expression comme « nom à préciser ». En d’autrestermes, ajoutons notre nom : ce pourrait être n’importe quid’entrenous.

Remarquons comment Luc construit astucieusement lascène:ilnousprésentedeuxpersonnages,l’unquiestnommé,qui appartient à l’équipe apostolique B, auquel il est faitd’autres références dans leNouveauTestament et qui a été unauthentiquetémoinoculairedesévénements;etunautre,N,cequiveutdirel’und’entrenous,quin’estpasnécessairementuntémoinoculaire.Bref,noustous,quiparunechaîned’individusnommésavonsun lienhistoriqueavecdesgensquiontété lestémoinsoculairesde l’existencehistoriquede Jésus.La raisonpourlaquellececiestimportantestqueLucétablitainsilecadredel’expérienceinterprétativequecesdeuxpersonnesvontvivrecomme quelque chose de structuré, mais qui n’est pas unequestion d’autorité. Cet épisode, le compte rendu définitif del’interprétation chrétienne, se produit entièrement hors desregardsde l’équipeapostoliqueA,Pierreet lesdixqui restentaprèsqueJudasestallésependre.

Certainspourraientcroirequelechristianismeimpliqueuneséried’événementsmiraculeuxauxquelsassistentdespersonnesdétenantl’autorité,ceuxquenousappelonsicil’équipeA,c’est-à-dire ceux qui « savent vraiment », et que l’interprétation estcelle que ces gens ont transmise et qui est en quelque sorte

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l’interprétation « d’en haut ». Pas du tout ! nous dit Luc.L’expériencedel’interprétationdéfinitiveestquelquechosequipeut arriver à N, à n’importe qui, à toute personne« accompagnée » d’un lien historique avec les véritablesévénements historiques du ministère, de la mort et de larésurrectiondeJésus.C’estlerabbicrucifiéetressuscitéquiestlaseuleautorité.Àlafindel’histoire,CléophasetNretournentàJérusalemetcomparentcequeditl’équipeapostoliqueAàcequi leur est arrivé. Le fait que Luc nous offre ce texte est lesigne que l’équipe A a confirmé leur histoire, et que laconfirmationestlaformequeprendsonautorité.

Voyez-vousavecquelartLucétablitlastructurenarrativedecequi,chezMatthieu,donne«vousn’avezqu’unrabbi,ettousvousêtesdesfrères»?Ilprendtrèsausérieuxlelienhistorique,et la différence entre l’équipe apostolique A et l’équipeapostoliqueB–affirmantdonciciquecequenousappellerionsaujourd’hui une structure d’Église est impliqué dansl’interprétation – laquelle n’est pas un self-service anarchique.Mais il affirmeaussi clairementque l’expérience interprétativecentralen’estpasunequestiond’autoritédel’Église:ellearriveàn’importequi,n’importeoù,selonlavolontédurabbicrucifiéet ressuscité. Curieusement, certains théologiens protestantsallemandsdudix-neuvièmesiècleontremarquécelachezLucetl’ontaccusédecequ’ilsconsidéraientcommeunegravehérésie,appelée par eux Fruhkatholizismus, c’est-à-dire catholicismeprématuré. S’il s’agissait pour eux d’une hérésie, c’est parcequ’ils voulaient interpréter l’ordre ecclésiastique comme uneinvention plus tardive, imposée par-dessus l’Évangile dans sapureté,maisavaientobservéqueLucn’étaitpasvraimentdeleurcôtésurcepoint,cariltenaitvisiblementàmontrercommentlesstructures fonctionnent et combien elles sont intrinsèques à la

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À cette heure même, ils partirent et s’en retournèrent àJérusalem. Ils trouvèrent réunis lesOnze et leurs compagnons,quidirent:«C’estbienvrai!LeSeigneurestressuscitéetilestapparuàSimon!»

Malgré l’heure tardive, ils se lèvent et retournent àJérusalem,etlà,ilstrouventl’équipeA,lesOnze,réunisavecungroupe d’autres personnes, les camarades de Cléophas dansl’équipe B. Ce sont eux qui leur disent : « Le Seigneur estressuscité et il est apparu à Simon ! » Cette phrase, nous lesavons par d’autres passages du Nouveau Testament, est lepremier « kérygme », c’est-à-dire l’annonce officielle del’Évangile : « Le Seigneur est ressuscité et il est apparu àCéphas ! » Telle est l’annonce de l’équipe A, celle qui faitautorité.Etpuis,ilyacequel’équipeBpartageavecelle:

Eteuxderacontercequis’étaitpasséenchemin,etcommentilsl’avaientreconnuàlafractiondupain.

End’autrestermes,leurexpérienceestsurvenueentièrementen dehors de celle de l’équipe A, mais elle est confirmée parcelle-ci.Lucnousadonnélecadredel’expérienceordinairedece qu’est être chrétien, c’est-à-dire voir notre texte, notrehistoireetdoncnotre«moi»interrompusetréinterprétéspournousparleSeigneurcrucifiéetressuscité.

Unmortquiparlesansressentiment

J’espèrequevousvoyezmaintenantlastructuregénéraledurécit.Étudionsmaintenantletondevoixdeceluiquiparle.Plushaut, nous avons vu que l’une des premières caractéristiquesremarquées par Cléophas au sujet du troisième homme non

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reconnaissable était le ton de sa voix, qui lui indiquait qu’iln’étaitpas«l’undenous»etdoncnepourraitriencomprendreà ce qui était arrivé. Ce que cela signifie pour chacun d’entrenous,c’estbiensûrquenotreouïen’estpasadaptéeàlavoixduSeigneur,etque,s’ilnousparle,ilvafaireirruptiondansnotreorgueilleuse certitude d’être « ceux qui comprennent » et ymettreunterme.

Mais j’aimerais attirer votre attention sur quelque chosed’encore plus étrange au sujet du ton de voix du troisièmehomme non reconnaissable : Cléophas et son compagnon Nmarchent en écoutant la voix d’un mort ! Pensons-ysérieusement. C’est tout à fait étrange, parce que nous quiconnaissonsl’histoire,noussavonsqueJésusaétémisàmortleVendredi saint, mais nous savons aussi qu’il est ressuscité lematindePâques;c’estpourquoinouspensonsqu’iln’estplusmort.Erreur!

Réfléchissons-y en d’autres termes. Supposons que Jésusavait trente-trois ans le Vendredi saint, et que son trente-quatrièmeanniversairetombaitleSamedisaint.Maisilaétémisà mort le Vendredi saint, en sorte qu’il n’atteint jamais cetanniversaire. Dans ces conditions, quel âge a-t-il le jour dePâques ? Pas trente-trois ans, puisqu’il est mort. Pas trente-quatrenonplus,puisqu’iln’apasatteintcetâge.IlestvraimentmortleVendredisaint.Iln’apassouffertd’unemauvaisegrippeavantdeseremettreledimanche.Saviesurterres’estachevéeàunedate spécifique,commece sera lecaspourchacund’entrenous. Le Seigneur ressuscité n’est pas un Seigneur qui s’estremisd’unviolentaccèsde«mort».LeSeigneurressuscitéestcethommequiavécutrente-troisansetaétémisàmort;ilesttoutelavieet toute lamortdecethommemortetmaintenuenviedemanièrequelamortnesoitpaspourluiunachèvement.

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Pour nous, c’est très difficile à saisir, car nous pensons engénéralqu’êtreenvieetêtremortsontdeuxréalitéssymétriquesetmutuellementexclusives:onnepeutêtrequel’unoul’autre,vivantoumort,jamaislesdeuxenmêmetemps.Etnousavonsleplusgrandmalàcomprendreun«êtrevivant»quipeutassumerenlui,contenirenluiun«êtremort»sansêtreenrivalitéaveclui.Pourtant,c’estcequeLucnousmontre.

C’estdoncunhommemortquimarcheaucôtédenosdeuxcamarades et s’adresse à eux. J’espère que vous percevezcombien c’est absurde. Nous pouvons imaginer une personnequinousparleaprès,parexemple,plusieursjoursdecomadontelleestsortie.Ouunemprisonnementdeplusieursannées.MaisCléophasetNn’entendentpaslesparolesd’unhommesortiducoma. Ils entendent les paroles d’un mort. Or, aucun d’entrenous n’a jamais entendu un mort parler. D’ailleurs, quesignifierait être mort si l’on pouvait parler ? Pourquoi lestémoins gênants seraient-ils assassinés par la Mafia si cetassassinatneleurfermaitpaslaboucheunefoispourtoutes?Sil’ontuedesgensetsil’onfaitd’euxdesmorts,c’estparcequelesmortsneracontentplusd’histoires.Pourtant,lascènedécritepar Luc nous montre un mort qui en raconte une. C’est trèsétrange.

À vrai dire, nous ne possédons pas d’antennes adéquatespourcapterleshistoiresdesmorts.Leparallèleleplusproche,ce sont les paroles de fantômes. Eux sont la forme la plustraditionnelle d’hommes ou de femmesmorts et qui racontentdes histoires. Mais leurs histoires sont assez ennuyeuses etrépétitives. Ils se montrent, font cliqueter leurs chaînes,poussentdes«Ououououh !»pour fairepeur auxgens, puis,quand ils ont fini ce préambule de cliquetis et de plaintes, ils

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personnen’estpassoulagée(ainsi,biensûr,quesafemmeetsesenfants,mais ceux-ci ne comptent pas et ne sont pas vraimentdes«personnes»).Onvoitcequis’estpassédanscemomentsacré : une immense sensation de soulagement s’est répandue,accompagnéed’unrespectprofondpourleprocessusquiaréunitout lemondeet restauré lemoralcollectif.Lesoulagementdene pas s’être fait prendre. Que quelqu’un d’autre se soit faitprendre,etpasmoi.

Mais ces loteries sont des procédés assez fragiles etfaillibles.D’abord,ellesnedoiventpasincriminerparaccidentquelqu’un d’important. Le sort doit tomber sur un personnagequin’aurapasgrandmondepourledéfendre.Ladernièrechosequevise lesystèmeest l’équivalentdu recomptagedesvoixenFloride lors de la première élection deGeorgeW.Bush : uneéminencegrisecommeJamesBakerIIIenvoyéepourinverserlesrésultatsduscrutinets’arrangerpourquesonfavorisoitélu.Cegenre d’accident détruirait la confiance en la légitimité dusystème. Il est au contraire essentiel de s’assurer que le sortdésignera un individu dont personne ne regrettera beaucoupl’élimination, et non quelqu’un dont le puissant entouragepourrait tenter de convaincre la populationque la loterie a ététruquée et exiger qu’on la recommence jusqu’à ce qu’elleaboutisse au « bon » verdict. Il est d’ailleurs troublant deconstater combien ces loteries ont une manière bien à ellesd’épargnerlesvictimespotentiellementproblématiques.

Quoiqu’ilensoit,danslecasquinousoccupe,lesystèmeabienfonctionné:ilafaitofficedefiltreet,auboutducompte,ledoigt du sort adésignéquelqu’undontpersonnen’a jamaisentendu parler et dont plus personne n’entendra jamais parler,Akân,quibiensûrsaitparfaitementcommentcetteliturgiedoit

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finir.Legénéralluiditalors:«Monfils,rendsgloireàYHWH,Dieud’Israël, et fais-luihommage.»Cequineveutpasdire :« Lève-toi et danse gaiement en frappant dans tes mains. » Ils’agitenréalitéd’uneformulelégalepourindiqueràquelqu’unqu’ilparlemaintenantsouslafoiduserment.Commedanstoutprocèsmédiatiséoùl’onveutfairecomprendreàtoutlemondeque l’accusé est non seulement coupable, mais reconnaîtpleinement ses actes, il doit être conduit à se joindre àl’unanimité du groupe, fût-ce à son propre détriment. Unindividuquiparlesoussermentaucoursd’une loterieoud’unprocèsdecegenreestcensédire lavéritéofficielle,convaincuque même s’il ne la dit pas les archives seront faussées pourfaire comme s’il l’avait dite. L’exemple le plus fameux en estpeut-être les grandes purges staliniennes des années trente, oùles accusés étaient contraints d’avouer non des crimes qu’ilsavaient commis, car ils n’en avaient commis aucun, mais descrimesqu’ils auraient commis si on leur avait permisdevivre,commelemontraitladirectionqueprenaitleurpenséeenosants’opposer à celle de Staline, dont la doxa personnellereprésentait la vérité historique objective. Un cercle totalitaireparfait.

L’unanimité est une excellente chose, mais l’unanimité-moins-un est encore meilleure, car cet « un » est voué àl’élimination. Ainsi l’unanimité des survivants aura-t-elle étéprouvée par un procès et apparaîtra-t-elle comme unaccomplissementfondateur.Mais,pourpeuquecesoitpossible,il faut que la victime approuve son propre sacrifice. C’estpourquoi, dans le monde grec ancien, un chœur était présentpourchantertrèsfortpendantlesritessacrificiels.Quandc’étaitunhumainquidevaitêtresacrifié,lafouledespleureursdevaitpleurer de manière particulièrement bruyante au cas où la

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victime oublierait le rôle qui lui était assigné. Il n’était pasimpossible qu’au lieu de marcher noblement à la mort enchantantdeshymnesexaltantl’honneurd’êtreofferteauxdieux,celle-cidûtêtreamenéeà l’auteldeviveforce,encriant,ensedébattantetenprotestantcontre l’injusticequi luivalaitd’êtreassassinée. L’écran sonore dressé par le chœur protégeaitl’unanimité nécessaire au cas où il y aurait un risque quel’histoirenonofficielleserépandît.

Voilàpourquoi legénéralobligeàprêtersermentceluiquele doigt du sort, dans son objectivité et son impersonnalitéapparentes,vientdedésigner commecoupable.Akân saitqu’ilnevautpaslapeinederésister,carpeuimportequ’ilsesoitounon rendu coupable de pillage : des commissaires seront detoute façon envoyés dans sa tente et on y trouvera un butin.Autant dire à l’assistance ce qu’elle désire entendre sur cequ’elle désire voir arriver. L’affaire ressemble beaucoup auxopérations de police où des argousins, désireux d’arrêterquelqu’un,découvrentcommeparhasardunpaquetdecocaïnedanssapoche.Akân«crachelemorceau»,ouc’estdumoinsceque prétend le procès-verbal, et l’affaire est entendue. Nemanquequel’élémentfinal,celuidurite,pourqueleprocessusaboutisseaurésultatsouhaité.Toutlemondeestréconciliédansunaccordgénéral,onavuquejusticeétaitfaiteetqueletraîtreétaitdémasqué;ilneresteaugénéralqu’àapposersasignaturepourquel’exécutionaitlieu.Legénéralemmènedoncl’accusédansunlieuspécialetprononcesasentenceavectoutelagravitérequise : «Tunous asportémalheur, queYHWH t’apporte lemalheur!»Cequirevientàdonnerlesignaldelalapidation.Ettout legroupe,excitépar lesentimentdesaproprevertu(et lesoulagement d’avoir échappé au pire), se joint comme un seulhommeàcettepartiedeplaisir.

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aucoursdesdeuxmillénairesetdemiquiviennentdes’écouler:selon la façondontonassemble les textes, l’ordredans lequelonleslitetlescirconstancesdanslesquellesonlestransmet,lesens qu’on leur donne pourra varier.En d’autres termes, il estimpossibledelesliresansuneclefinterprétative.Quelquesoitnotrepointdedépart, nous en avons forcémentun, et c’est enfonction de lui que nous raconterons l’histoire. La conscienceque nous en avons, le sens critique que nous manifestons àl’égarddecepointdedépartetdecequinousaconduitsàlirele texte de telle ou telle manière sont, bien sûr, une autrequestion. Quoi qu’il en soit, la raison de ces rappels est queparfois les gens traitent le Nouveau Testament, les texteschrétiens, comme s’il s’agissait d’un ensemble d’histoiressupplémentaires, ajoutées à un ensemble d’histoirespréexistantes.Or,ilfautavoirconsciencequecen’estnullementle cas : le récit chrétien rapporte des actes et des paroles qui,ensemble,fournissentuneclefinterprétative.Onpourraitpenserque les anciens textes hébreux ne constituent pas une seulehistoire,maisunemultiplicitéd’histoiresdifférentesetsujettesaux interprétations personnelles ; mais cela équivaudrait àprétendre que Dieu n’y parle pas dans un acte unique decommunication.On pourrait penser aussi, par exemple, que levéritableprincipeinterprétatifdanslesÉcritureshébraïquesestle Temple de Jérusalem, sa construction initiale et sadestruction,sareconstructionultérieureetsaredestruction,etlafaçon dont le peuple hébreu considère tout cela en imaginantunefutureTerresainteetunfuturTemple.Maisd’unemanièreoud’uneautre,toutelecturedesÉcrituresestuneinterprétation.

Ilestimportantdelesouligner,carsinousjetonsunregardsurcequenousvenonsdefaireenrapprochantAkânetlarouted’Emmaüs, nous devons comprendre qu’il n’y a rien làd’artificiel.Toutepersonnequidécidedelire l’histoired’Akân

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l’expliquera comme une partie de quelque chose qui vient dequelque part et pointe le doigt vers encore autre chose. Latrajectoire historique et textuelle qui, dans l’univers culturelforméparlestexteshébreux,arendupossiblel’existencemêmedel’épisoded’Emmaüs,estdoncunregardenarrièreàpartirdel’histoire d’Emmaüs. Il n’est possible de voir la mort d’AkâncommeprophétiquedusacrificeduChristqu’àlalumièredecequisemanifestecommel’accomplissementdelaprophétie.Laclefherméneutiquedétermine laprophétie.C’est ellequinousguidedansnotrelecture,quiattirenotreattentionsurcertainesparoles et certains actes du passé en tant qu’ils annoncent uncertainaccomplissementau-delàd’eux-mêmes,voireuncertainaccomplissementau-delàetendépitd’eux-mêmes.

L’exercice,répétons-le,n’ariend’étrange.Iln’existepasdelieunoninterprétatifd’oùnouspourrionsproclamer:«Oh,cequ’ilditn’estqu’unajoutchrétien(oujuif,ouséculier),maisenréalitélestextesontunesignificationbienàeuxetétrangèreàtoute interprétation. » Ce n’est pas vrai ! Quand nous lesabordons,noussommesconfrontésàdestextesincroyablementflexibles et malléables, qui peuvent être lus de plusieursdizainesde façons.Les lirepar lesyeuxduMessie crucifié etressuscité est une option particulière – qui a d’ailleurs sonpouvoirdevéridicité.Et iln’estpaspossiblede lireautrementqu’àpartir d’unpoint devue interprétatif particulier. Il faut lerappeler, car de temps à autre des gens en appellent auxÉcrituresendisant:«Maisletexteditceci,letexteditcela!»Il ne dit rien. Ou plutôt, ce qu’il dit est comment nousl’interprétons,lereconstruisonsdulieud’oùnouspartons,àlalumièredel’ordredanslequelnouslelisonsetducontextedontnous le nourrissons. Comme tout conteur pourra le confirmer,onpeutprendrelesmêmesélémentsnarratifset lesarrangerde

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façonslégèrementdifférentespouraboutiràdeshistoiresquineserontpluslesmêmes.C’estaussivraidestextesscripturaires.

Nous pourrions donc ne plus vous représenter la Biblecommeungros livre avecuncommencement,unmilieuetunefin suivis d’une sorte d’appendice ajouté, mais plutôtcomprendrequ’ellepossèdeuncentre interprétatifunique,quetoutes ses parties rédigées à différentes périodes et que nouspourrions lancer en l’air pêle-mêle, convergent vers ce centreselon des angles différents. Rappelons-nous ensuite que cecentre interprétatif est contemporain, au sens où il est pourmaintenant,aumomentoùnouslisons;etque,surgissantdeluiets’écoulantverslui,ilyatouslesrécitsdestempsanciensquenouslironstoujourssurlemodecontemporain.C’estcommesi,au lieu d’avoir un Ancien et un Nouveau Testaments, nousavionsunTestamentqui« seconstruit endirectionde l’ici-et-maintenant », avec sa clef interprétative qui est le Testamentd’«ouverturede l’ici-et-maintenant».Si j’insistesurcepoint,c’est parce que beaucoup de gens se sentent écrasés par lesÉcritures, comme si Dieu nous rendait moins libres à traverselles ; or, les lecteurs juifs savent quelque chose souventbeaucoup mieux que nous : lire les Écritures constitue unexercicepluslibre,plusintéressantetplusrichequenousnelepensons. Mais c’est un exercice où nous, les interprètes,devenons de plus en plus conscients de notre responsabilité,parceque la façondontnous racontons l’histoireest l’histoirequenousracontons.

L’interprétationdanslesÉcritures

Le genre de désaccord autour de l’interprétation que nousvenonsd’évoquernes’estpasseulementproduit«endehors»

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Jusqu’à une date assez récente, en effet, les scripturistesacceptaient engénéral l’idéequ’il existaitunehistoire linéaired’Israël et que cette histoire correspondait en gros à lachronologie suggérée par les livres hébraïques. Mais il estapparuclairementquenousn’avonspasdepreuves suffisantespour soutenir cette opinion. Nous avons en outre prisconscience du fait que les grandes secousses de l’histoire quenousconnaissonsvraiment–commeladéportationàBabyloneet la destruction du Temple – ont eu un effet sur toute laproduction et la transmission des textes. Enfin, nous sommesplus à l’aise avec l’idée que les textes tels que nous lesconnaissonsmanifestentdessignesdecequenousappellerionsaujourd’hui un processus de remaniement « ecclésial » : end’autres termes, unprocessuspar lequel lesHébreux,désireuxdeseraccrocheràcequ’ilyavaitdeplusvraietdeplusprofonddans le legs qu’ils avaient reçu, n’ont cessé de vouloirréimaginerl’ensembledeleurappartenanceenrecréantunrécitquidonnâtunsensnonseulementàleursorigines,maisaussiàleurdestinsupposé.Etnaturellement,cesréimaginationsétaientvivementcontestéespard’autres,aunomd’unevisiondifférentedeladirectionfutureduprojetappelé«Israël».

Endonnantrapidementàvoircommenttoutcelafonctionne,noustenteronsderetracer,àtraversleprocessusdésordonnédelavie,del’écriture,delatransmissionetdesremaniementsdontlestextesportenttémoignage,quelquesélémentsdel’émergencedanslesÉcritureshébraïquesdel’«autreAutre»:Dieu.

L’éditionfinale

Siquelqu’unajamaisétéenrelationaveclapresseouavecdesgensdepresse,unedesréalitésdontilaconscienceestque

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lerécitinitialementproposéparlejournalisten’estpaslemêmeque celui qu’on lira sur la page imprimée. Dans un premiertemps,lejournalisterédigeetenvoiesonpapier,puisunéditeurlerévise,lecoupe,l’augmentedecontributionsvenantd’autresjournalistesets’assurequesataillecorrespondàl’espacedontildispose.Enfin,quandtoutestprêt,l’éditeurdenuitluidonneungrostitre.Maisquandonachètelejournal,c’estcegrostitrequel’onvoitenpremier.Autrementditl’élémentleplusrécentduprocessusd’édition,celuiqui révèle le jugementdudernieréditeur,sespréoccupations,sondésirdepublierunscoop,etc.Pour autant, c’est cet élément le plus récent qui colorera laperceptionde l’histoirequ’on lira sous le titre.Onpeutmêmeavoir fait l’expérienced’uneapparentedivergenceentre le titreet l’histoire : il arrivequ’en lisant celle-ci,on sedemande s’iln’yapaseuuneerreur,carcequeletitreannonceàcoretàcrietcequedécrit l’articlenesemblentpascorrespondre.Et l’onpeut parfois imaginer quelles doivent être la colère etl’humiliation du journaliste d’origine en voyant que sesrecherches et ses nuances ont été traduites par un titreaccrocheur. Ce que je voudrais faire comprendre est simple :nous ne lisons pas l’histoire dans l’ordre où elle a été écrite.Nous lisonsd’abord ledernierétatde l’édition,etc’estcequid’abordguidenotreinterprétationduprocessusquiaconduitàcedernierétat.

Or,cen’estpasmoinsvraidesÉcrituresquedesjournaux.Nouslisonslestextesparlesyeuxdeséditeurslesplusrécents.Ce qui signifie quemieux nous connaîtrons ces éditeurs et ladate de leurs interventions, mieux nous comprendrons lesdifférentsfragmentsquiconstituentletout.Ilsetrouvequenouspossédonsuneinformationutilesurunmomentimportantdeceprocessus d’édition sous la forme d’un temps délibérément

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inscrit et s’étendant sur quatre mille ans (d’où la longévitéfantaisiste de certains personnages) d’Adam à la date deconsécrationduNouvelAutelen164avantJ.-C.,àl’époquedesMaccabées.Ils’ensuitqu’unepartconsidérabledecequenousappelons les Écritures, dont certains textes sontconsidérablement plus anciens, nous a été transmise dans un«emballage» représentant les intérêtset lespointsdevuedeséditeursdel’époquedesMaccabées.Cequenousvoyons,c’estenquelquesortel’éditeurdenuitapportantladernièretoucheàlaprésentationdel’histoire.

Ce qui est également intéressant dans ce moment del’édition est qu’il trahit l’idée que ses contemporains sefaisaientdeleurstextessacrés:letravailéditorialmontrequ’ilsyvoyaientune«préface»auNouvelIsraël,quicommencerait,pensaient-ils, avec la réinauguration du Temple. En d’autrestermes,deuxbons siècles avantqu’aucundes textesde cequenousappelonsleNouveauTestamenteûtétérédigé,lesÉcritureshébraïques apparaissaient déjà plus ou moins comme un«AncienTestament»,commesil’onnousdisait:«Telleaétél’histoire des relations du Seigneur avec le peuple d’Israëljusqu’àce jour,unehistoirededéfaiteetdedésastreponctuéeseulementdequelquesmomentsdestabilité.Maistoutcelaestmaintenant arrivé à sa conclusion, et nous inaugurons lanouvelle période pour laquelle les Écritures ont servi deprologue. »Un autre aspect intéressant du processus d’éditionestquelesystèmededatationutiliséàl’époquedesMaccabéesetquiperduredansletextejuifofficieldesÉcritureshébraïques(cequ’onappelleletextemassorétique), lastructuremêmedesnombres utilisés, nous fournissent un aperçu des priorités deséditeurs : les deux tiers du laps de temps de quatremille ans,donc deux mille six cent soixante-six ans à partir d’Adam,correspondent à l’établissement de l’alliance sur le Sinaï.

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sacrilège,mais, quand Jérusalem tomba auxmains des arméesbabyloniennes, ilapparut,àsongranddésespoir,qu’ilavaiteuraisondepuis ledébut.Luiet sonécole semblentavoireuuneimportance particulière dans le développement de ce qu’on aappelé le récit « deutéronomiste » de l’histoire d’Israël,minimisant radicalement les éléments cultuels, leur substituantla notion d’alliance légale et racontant l’histoire d’un peuplefrappéparlemalheurenchâtimentdesespéchésetdespéchésde ses pères. Au demeurant, ce glissement vers une histoiremorale ne visait pas à imposer une sorte de fatalisme, maisplutôtàpousserIsraëlàredevenirlepeupledel’alliancevivante.Une curiosité : tard dans sa vie (Jérémie 44), nous voyons leprophète, désormais exilé en Égypte, rencontrer un groupe deprêtresexilésdeJérusalemnonparlesBabyloniens,maisparlaréformedeJosiasquelquesdécenniesplustôt.Illesréprimandeen leur disant que s’ils n’avaient pas péché en offrant dessacrificesàlaReineduciel,ladivinitéfémininealorsvénéréeàJérusalem,aucundesdésastresquiontfrappélavilleneseseraitproduit. Eux, raisonnablement, lui objectent qu’il racontel’histoireà l’envers.Tantqu’ils rendaientunculteà ladéesse,toutallaitbien.C’estseulementaprèslasuppressiondececultequeledésastres’estabattu.Àquiétaitdestinélechâtiment?

EnfinÉzéchiel,leprêtreduTemple,leconservateur.Luiestconcentré sur la vision deDieu dans le sanctuaire duTemple.Nous pouvons percevoir combien, avant l’exil, la religion àJérusalemétaitcomplètementdifférentedecequ’elledevintauretour de Babylone : les visions de Dieu d’Ézéchiel, dont onvoitqu’ellesappartiennentaumêmemondequecellesd’Isaïeunsiècle plus tôt, comportent unmélange de genre et de nombreintraduisible (et d’ailleurs les difficultés du texte d’Ézéchielsonténormes).IlracontedeuxPâquesdifférentesduSeigneuràJérusalem,maisaucunedesdeuxnefaitlamoindreréférenceà

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cequ’évoquepournouslemot«Pâque»,quiestliéàMoïseetà l’Exode hors d’Égypte. Ézéchiel fut emmené en exil, et, entantqueprêtre,réussit l’exploitextraordinaired’avoirlavisionde Dieu quittant le sanctuaire, le Temple et même Jérusalem,ouvrantainsilapossibilitéquelaréalitédelaprésencedeDieufût vécue indépendamment d’un lieu saint particulier et qu’oncommençât d’imaginer un nouveau Temple. Le fait de garderentièrelavisionsacerdotaleenuntempsd’exiletdedéportations’est avéré une des forces structurantes définitives del’expériencehébraïque.Et,assezparadoxalementpourunesprittypiquement « moderne », cette inclination fortementsacerdotale, non moins que l’inclination fortement laïque etlégaledeJérémie,futunevoieverscequenousappellerionsunetendanceàlasécularisation:c’estenÉzéchiel(chapitre18)quela responsabilité éthique individuelle est enseignée pour lapremière fois, rompant avec l’idée que Dieu punit les enfantspour les péchés de leurs pères. Le sentiment sacerdotal de lanature perpétuellement et contemporainement vivante deDieu,qui se soucie désormais de chacun de ses enfants, refused’emprunter la voie qui ferait deDieu le soutien du fatalismemoral.

Troisprophètes,donc,représentésicicommedesaxesclefsdesmouvementsd’interprétation,d’adaptationetdedécouverte,d’invention au sens le plus riche de ce terme, dans l’espoirqu’avec chacun d’eux nous pourrons conduire plus loin notreexploration.

Exil,retourdisputé,MoïseetlejudaïsmeduSecondTemple,sagesse

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Nous ignorons quelle proportion de la populationhiérosolymitaine fut déportée à Babylone entre 597 et 587.Certainement un nombre considérable des personnagesimportantsdelacouretdesleaderspolitiqueetreligieux,sinontous.Bref, laclasselettrée.Ilsemblequel’exilàBabylonefutce qui donna l’élan et les instruments pour le développementd’une culture religieuse fondée sur les textes, telle qu’elles’épanouitaucoursdessièclessuivants.Destextesclefsfurentécrits, des fragments édités et remaniés, des insistancesmodifiées. Beaucoup de ce que le royaume du Nord avaitproduitetquin’étaitpasagréableaugoût judéenfutgrefféaurécitdeJudaetsanaturechangea.Toutcequis’étaitproduitautemps de la réforme de Josias, dans les décennies qui avaientimmédiatement précédé l’effondrement de Jérusalem, fut aussiremaniéetamalgaméàl’histoirequiémergeait.IlsepeutquelafiguredeMoïseaitacquissonimportanceaucoursdelaréformede Josias, comme une sorte d’alternative à l’idéologie royaleassyrienne. Plus important : à mesure que le temps passa, etaprèsqueCyruseutpermisauxexilésderetourneràJérusalem,un récit se développa sur ce grand leader, donneur de loi etprophète,Moïse,dontl’alliance,lesécritsetletabernacleerrantfurent représentés comme antérieurs aumonde des rois et destemples. Aussi imagina-t-on – et mit-on en œuvre – unprogramme de création du vrai Israël en Terre sainte. Sespartisans furent appelés les Judaïtes : leshommesde Judaquiavaient connu l’exil à Babylone et développé ce nouveaucompendium centré sur Moïse de ce qu’avait été l’histoired’Israëlauparavant.

Pourtant, commechaque foisquedesexilés reviennent surleurterrenataleaprèsunepérioded’absence,laversionpurifiéequ’apportentcesgensdecequ’ilsont laisséderrièreeuxetde

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compassionpourungroupedegensquisetrouvedanslesaffresd’une situation historique et politique particulière. C’estbeaucouppluschoquantqu’iln’yparaîtànosoreillestropbienaccoutumées !Qu’un dieu fût lié aux intérêts d’un peuple, enharmonie avec ses structures de pouvoir et d’autorité etprotecteur de ses lieux sacrés, ç’aurait été dans l’ordre deschoses.Maiscequiéclateiciaugrandjourestlamanifestationd’un amour pour un peuple sans feu ni lieu, ni sanctuaire,caractériséparsonabsenced’attacheàquelqueterrequecesoit,subversif des structurespolitiques et activement impliquédansla venue à l’être de quelque chose de neuf à partir desprofondeurs de l’histoire. Immédiatement, il devient clair quel’adressepersonnelledeDieuàMoïsen’estpasunsimpleactedecommunicationdefaits,maisbienplutôtunappelinaugurantunprocessus,quiengageraetlapersonnedeMoïseetlepeuplequ’ildoitconduireàdevenirunenouvelleréalité.

Moïsedit àDieu : «Qui suis-je pour aller trouverPharaon etfairesortird’ÉgyptelesIsraélites?»

La réponsedeMoïse est extrêmement raisonnable : il veutêtreassuréqu’ilyaenlui,Moïse,quelquechosequifaitdeluilabonnepersonnepourentreprendreunetelle tâche.Unesortedesécurité.Etbienentendu,Dieunejouepasavecluiàcejeu.Au vrai, la non-réponse de Dieu est en elle-même un petitmiraclededélicatesse:

Dieudit:«Jeseraiavectoi,etvoicilesignequitemontreraquec’est moi qui t’ai envoyé. Quand tu feras sortir le peupled’Égypte,vousservirezDieusurcettemontagne.»

LeprotagonismedeDieusuffiraàMoïse,mêmesicelui-ci

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nepeuts’yagripper.Enoutre,lesignequ’ilrecevraneviendraquedanslefutur:c’estseulementàlafin,quandilauraconduitlepeuplesurlamontagnepourl’Alliance,qu’ilauralacertitudequec’étaitbienYHWHquiœuvraitàtraverslui.Aulieud’uneassurance à laquelle il puisse s’accrocher, quelque chose quiprocéderait de son passé ou de sa personne, Moïse devra secontenterdel’assurancequ’ons’emparedeluietqu’ildeviendraquelqu’unqu’ilnepeutencoreimaginer,quelqu’unqu’ilrecevrad’unfuturquin’estpasencorelesien.

MoïseditàDieu:«Voici,jevaistrouverlesIsraélitesetjeleurdis:"LeDieudevospèresm’aenvoyéversvous."Maisilsmedisent:«Quelestsonnom?»Queleurdirai-je?»

Moïse, avecbon sensencore, se faitunpeuprier.Unnomest une source de pouvoir, quelque chose à quoi on peuts’accrocher,un« lui», un« cela»dontonpeutparler, qu’onpeut conjurer, qu’on peut brandir à la face de divers ennemis.S’il faut convaincre le peuple d’Israël en Égypte d’affronterPharaon, Moïse se verra demander quels atouts il a dans samanche.

DieuditàMoïse:«Jesuisceluiquiest.»

Voilà ! La réponse des réponses. Et en même temps, uneabsolue non-réponse. Car le même Dieu qui n’est en rivalitéavec rien de ce qui est, et qui se propose d’amener à l’êtrequelque chose de nouveau en offrant des moyens aussi peuprometteurs que possible et sans rien de commun avec lesformesclassiquesdecomportementdivin,refuseaussid’êtreun«lui»ouun«cela».«Jesuis.»Oupeut-être«Jeseraiceluique je serai » (ce qui pourrait être une traduction plus juste

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d’une phrase très mystérieuse). Quelque chose qu’on ne peutsaisir,quivientversvous,etcet insaisissableestessentielàcequisepasse.«Jesuis»serévèlelevraiprotagoniste,celuiquiamène toutes choses à l’être, et c’est seulement en cessant detenterd’êtreun«Jesuis»enfacedeDieu,etdoncdefairedelui un « il » ou un « cela », qu’une personne ou un groupecommenceraderecevoirson«soi»réel,son«jesuis»réelbienque subsidiaire en tant quegroupeouqu’individu.En facede« Je suis », pur protagonisme sans hâte et souverain, créant etagissant, nous sommes tous des symptômes périphériques, des«cela»etdes«il(s)»quideviennentdes«nous»etdes«je»par l’effet d’un processus historique de relation où nous noustrouvonsappelésàservirleSeigneur.

Et il dit : «Voici ce que tu diras aux Israélites : "Je suism’aenvoyéversvous."»

Une instruction peu encourageante ! Observons d’abord lagrammaire.L’essentielestque«Jesuis»n’estniun«il»niun« cela », en sorte qu’un verbe à la troisième personne dusingulier n’a pas de sens. Moïse n’a qu’un moyen decommuniquerauthentiquementlefaitque«Jesuis»l’envoie:devenirlui-même,toujoursplusvisiblement,unsignevivantde«Jesuis».

Dieu dit encore àMoïse : « Tu parleras ainsi aux Israélites :"YHWH, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieud’Isaac et le Dieu de Jacobm’a envoyé vers vous. C’est monnompourtoujours,c’estainsiqu’onm’invoqueradegénérationengénération"»(Exode3,1-14).

Àcetteinformation,Dieuajoutequelepeupled’Israëldevra

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à l’être, et, comme il n’est en rivalité avec rienni personne, ilpeut défaire de l’intérieur les distorsions qui nous poussent ànousprojeteretànoustromper.

Aussi,quandnousparlonsdelafoienDieu,ilnes’agitpasd’une information sur un être extra-terrestre, mais de notreinduction – grâce à un acte de communication de la part d’unautreAutrequin’estenrivalitéavecriennipersonne–ànousprêter à l’immense volte-face psychologique que nous avonscommencéd’évoquerdanslechapitreprécédent,quandleregarddeMoïseestattiréversunbuissonardent.

Cequ’ilyad’étrangedanslacentralitédela«croyance»

En gardant cela en mémoire, nous pouvons souligner unaspect de l’emploi que nous faisons des mots « foi » et«croyance» :n’est-ilpasétrangequenousensoyonsvenusàestimerque les religionssontcentréessur lanotiondefoi?Àvrai dire, c’est une forme bizarre d’impérialisme chrétieninvolontairequedeparlerd’autres«fois»etde«dialogueentreles fois ». Il n’est tout simplement pas vrai que la plupart desformes de vie sociale et culturelle que nous appelons«religions»soientcentréessurlanotionde«foi»,niquecettenotionsoitimportantedanslamanièredontlaplupartdecelles-cisecomprennent.

Pourunmembrerespectable,pieuxetdévotdessociétésdela Rome ou de la Grèce antiques, la piété consistait dansl’offrandedesacrificesauxdivinitésdomestiques, lesdieuxdesa famille. Elle consistait à l’occasion en participations à desmanifestations cultuelles publiques dans les temples, peut-être

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enhommagesàl’empereurouàlacité.Etsapiétésemanifestaitdansl’imitationdesesancêtres,carelleesttrèsspécifiquementunevertuderespectetdedocilitéàl’égarddespères.Enmêmetemps,savieétaitnourried’histoiresmettantenscèneJupiteretHéra,MinerveetPoséidon,bref, lesdieuxde l’Olympe,qu’onappelleparleursnomsgrecsoulatins.Audemeurant,personnen’accordait d’importance au fait qu’à titre personnel il croyaitounonquecesêtresfolâtraientvraimentsurlemontOlympe.Ilne subissait aucun examen d’orthodoxie sur son degréd’engagement personnel envers Apollon ou Zeus, et onn’attendait de lui qu’il ait une relation étroite, personnelle etsubjectiveavecaucunedecesdivinités.

À vrai dire, si tel avait été le cas, les gens l’auraientprobablement pris pour un fou, et certainement pour unpersonnage dangereux, car avoir une relation personnelle avecunedivinité signifiait être aspirédansune frénésiecultuelle etpossédéparl’espritdeDionysosoudeteloutelautredieuquiseseraitemparédelui.Lesmembresrespectablesde lasociétégrecqueouromainesavaienttrèsbienqueleshistoiresdesdieuxontunefonctionquirelèvedumaintienduliensocial. IlssontcommelapetitesourisdesdentsdelaitoulePèreNoël:iln’estpas nécessaire de croire en eux,mais il est important que lescadeaux soient posés sous le sapinou ailleurs et qu’on trouveunepiècesoussonoreiller.Enrevanche,onn’apasunerelationpersonnelleétroiteaveclapetitesouris.

Sinousnouspenchonsplusattentivement surnotreproprehistoirereligieuse,nousconstateronsquelareligionquinousadonnénaissancen’étaitpascentréesurlafoi,maissurlaTorah.Lanotionfondamentalequidéfinitlejudaïsmeestunmotquisetraduitd’ordinairepar«loi».Lemot«loi»,toutefois,nedoitpas être entendu dans un sens légaliste : il s’agit plutôt d’un

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chemin de vie dynamique et légalement structuré. Mais il estclairquec’estl’obéissanceàlaTorah,plusquelesouciconstantde ce queDieu pense ou fait, qui est important pour le dévotjuif. Dans les cercles rabbiniques, une opinion communémentexpriméeestqu’une foisqueDieuadonné laTorah,c’estauxhumains qu’il incombe de l’interpréter : le Tout-Puissant aperdu le droit dedonner son avis oude semêler de tel ou telsujet.

Pareillement,lanotioncentralequirassemblelesadeptesdeMahometestcelled’islam,unmotqu’ontraduithabituellementpar « soumission ». Des voix musulmanes se demandentd’ailleurssicemotestlemeilleurpourrendrelanotiond’islamenfrançais.Sansprendrepartàcedébat,ilestsûrqueletermepossèdedesconnotationsquidiffèrentdecellesdumot«foi»,dont la moindre n’est pas que pour la majorité sunnite del’islam,unefoisquel’onestentrédanslegroupeetquel’onaaccomplisonactedesoumission,onyestpourtoujours.Parlasuite,ledegréd’engagementpersonneletlegenredevieadoptéest une question secondaire. Il y a, certes, des pratiques àrespecter, mais il suffit de s’y conformer et d’accomplir lesgestesvoulus.Àl’intérieurdel’islam,c’estmoinsvrai,biensûr,dans la tradition soufie, où la subjectivité est de la plus hauteimportance ;mais rappelons-nous qu’il ne s’agit là que d’unetoute petite minorité, qui, de surcroît, a longtemps été tenuepour suspecte par l’islam majoritaire, notamment parce quecertaines de ses caractéristiques sont perçues comme tropprochesduchristianisme.

Nous pouvons, vraisemblablement, nous réjouir qu’iln’existe pas de « dialogue entre les soumissions »,mais nouspayonsunprixtrèsélevépouravoirfaitdumot«foi»unquasi-synonymedumot« religion», car le christianismen’aqu’une

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«contre»quiquecesoitou«àl’affût»pourlepiéger:toutcequ’ilveut,c’estquenousvivionsdesviesbeaucoupplusriches.Desviesbeaucoupplusépanouissantesquecellesque,bonanmal an, nous menons aussi longtemps que la survie parl’exclusion de boucs émissaires est notre plan de route pardéfaut.End’autrestermes,cedontJésusavoulufairepournousuneréalitétridimensionnelle,c’estqueDieunousaime.

Commentnoussommesamenésàl’êtreparlaparoledeceluiquinousaime

Abordons maintenant certains effets de cette irruption del’« autreAutre » dans l’autre social. L’autreAutre est devenuprésent en tant que protagoniste au niveau humain, et nousdécouvronsquepeuàpeusaparolenousamèneàl’être.Etqueceluiquinousparlepournousameneràl’êtreestaussiceluiquinousaime.Normalement,biensûr,c’estl’autresocialquinousparle pour nous amener à l’être, lui qui nous confère uneidentité.Et, commenous l’avonsvu, il y a en celaunélémentd’amouretunélémentdestabilité.Maissansriendedéfinitif.Noussavonscombienilnousestfacilededépendreentièrementde l’autre social pour obtenir l’approbation, l’identité, lesentimentdequinoussommesetdecequenousvalons.Etnoussavons aussi combien il nous est facile de nous perdre et denousvendrepouracquérirouconserver l’approbationd’autrui.Or, le regard de cet autrui est hautement ambivalent : il nouspermet souvent d’éprouver un sentiment d’importance etd’appartenance, mais seulement temporairement et quand celaluiconvient. Ilsembleavoiràcœurnotre intérêt,maiscen’estpasvraimentlecas.

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UnepartiedecequinousarrivedufaitqueJésusaoccupépour nous l’espace de la mort, en présence des témoinsapostoliques,estquenousnoustrouvonsconduitsàoserignorernotrebesoind’un«shoot»rapided’approbationimmédiate.Cequenousdécouvrons,c’estquenoussommesamenésàl’êtreparl’amour de quelqu’un qui n’a pas d’autre motif, ni d’autreintérêt que cet amour. Une parole m’amène à l’être sans êtrecontraintparlamort,etmeconfèreunmoibeaucoup,beaucoupplusgrandqueceluiquej’auraispuconstruireparmespropresmoyens,parcequecemoiestcapabled’accorderfoiàlaréalitésuivante:quelqu’unquineconnaîtpaslamortm’amèneàl’êtreàpartirderien,ensortequejen’aiaucuneraisond’avoirpeurden’êtrerien.End’autrestermes,lafoiestcequimepermetdeme détendre dans cette extension de mon être, qui devientbeaucoupplusquejen’auraispuimaginer.

L’unedesétrangesconséquencesdecetévénement,lorsqu’ilfait irruptiondansnotrevie, estqu’il cessed’être si importantd’êtrebon.Parrapportaumondedesreligionsengénéral,c’estunaspect très troublantduchristianisme.Sonprésupposé, sonpointdedépartestquenoussommessensdessusdessous.Nousnecommençonspasparêtrebonspournousdétériorerensuite.Nouscommençonsdétériorés.Puis, ennousdécouvrant aimés,nous pouvons abandonner nos efforts pour être bons, qui sontengénéraltrèsdangereuxetfontdumalauxautres.Àvraidire,ennousdécouvrantaimés,etdonccapablesd’abandonnernotremanipulation des autres pour qu’ils nous aiment, nous nousdécouvrons en même temps capables d’accomplir des actesauthentiquement bons par générosité plutôt que par besoin denousrendreprésentables,denousjustifier.

Souvenons-nous de tante Hortense et de l’entretiend’embauche!C’estceque laRéformeprotestanteavouludire

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en affirmant quenousne sommespas justifiés par lesœuvres,maissousl’effetdelagrâceetparlafoi.Sinousavonsbesoinde nous justifier, c’est le signe que nous ne sommes pasdétendus en nous sachant aimés, autrement dit que nous nesavonspasl’amourquenotreinterlocuteurapournous.Quandon a besoin de se justifier, c’est un signe sûr de manqued’amour, d’ignorance que nous sommes aimés tels que noussommes.Aucontraire,lesignesûrqu’onsesaitaiméestqu’onn’éprouveaucunbesoindesejustifier.LesRéformateursonteutoutàfaitraisond’insistersurlefaitque,sinoussommesaimésgratuitement,nouspouvonsrelativiserl’exigenced’accomplirdebonnes actions. Ce qui est dommage, d’un point de vuecatholique, c’est qu’ils ne sont pas allés assez loin. C’estjustementquandoncessededevoirfairedebonnesactionsquel’onpeut avoir enviede répondreà l’amouren faisant lebien.Quandonn’aplusàoffrirdesfleursàquelqu’unpardevoir,onpeut sentir en soi un désir de faire une grande déclarationd’amouràcettepersonneenluioffrantdesfleurs.

L’écroulementdenotreauto-présentationforcée,lachutedenotremasque, sont aussi le début de notre capacité de donnerparcequenouslevoulons,parcequ’unmoidontnousignorionsjusqu’à l’existence le veut. Ainsi nous surprenons-nous àaccomplirdesactesentièrementparamour,etcesactessontlessortesd’«œuvres»quimontrentquelafoiestvivante.

Accepterpaisiblementqu’onn’aitpasditlavérité

Continuons dans cette veine un peu déroutante. Ce quesuggèrentlesobservationsprécédentes,c’estqu’encommençantànousdétendredans ledonde lafoi,nousdevenonsdesgensapparemment moins recommandables. Pourquoi ? Parce que

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Seprêteràl’expiation

LESACRIFICEÀCONTRE-COURANT

Introduction:troisexercicesd’imaginationpourtroisapprochesdusensdel’expiation

Cesixièmechapitreeststructurédefaçonunpeudifférentedesprécédents.Nousallonsnouspenchersurcequ’onappelleparfois l’expiation.Ou, en d’autres termes, sur ce que signifieune proclamation centrale de la foi chrétienne :Le Christ estmortpournous,ouleChristestmortpournospéchés.Commenouslesavonspourlaplupartd’entrenous,onpeutabordercethème de plusieurs façons différentes, dont toutes ne sont pasd’un grand secours. Il en est même bon nombre qui sontcarrémentscandaleuses,etfontdeDieuquelqu’undontlacolèredevaitêtresatisfaiteauprixdusang,sibienquecefutJésusquipaya ce prix. En d’autres termes, il existe des théories quicommencentparposerl’imaged’unDieuenquêtedevengeanceet trouvent ensuitedes façonsd’intégrer lamortde Jésusdansl’assouvissementdecettevengeance.

J’ail’intentiondememontrerbeaucoupplusconservateuretpasséiste que ces prétendues « théories de l’expiation ».Revenonsversquelquechosedontilestdifficiledeserappeler,carnousn’avonspasbeaucoupd’imaginationsurcessujets:le

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fait que bien avant que l’expiation devienne une théorie, elleétaituneliturgie.Etquetoutlebutdecetteliturgieétaitquelesgenss’yprêtent,commeàquelquechosequiestaccomplidansleurdirection,etpoureux.

C’est pourquoi nous pourrions occuper trois différentespositions imaginairesà l’intérieurde troishistoiresdifférentes,pourpouvoirnous enfoncerdans le très étrange sentimentquequelquechoseestfaitpournousetenversnous.Classiquement,quandnouscommençonsàpenseretàthéoriser,nousimaginonsune réalitédumondeextérieur, et nous cherchons à construireune structure abstraite permettant de la saisir comme un toutcohérent. Imaginons-nous maintenant dans une situation oùquelque chose vient vers nous, au-devant de nous. C’est trèsdifférentdelasituationoùnousessayonsdesaisirmentalementquelquechose.Celaconsisteàpermettreàquelquechosedesedéployer vers nous, et de nous affecter en se déployant ou ennousenveloppant.

Voicidonc troisexercicesd’imagination.Danschaquecas,je vous demanderai de vous représenter que vous faites partied’un groupe ethnique différent. Dans le premier cas, nousréfléchironsàunmouvementliturgiquedirigéversnous;dansledeuxième,àunmouvementpolitique;etdansletroisième,àunmouvement personnel. Ce que cela pourrait nous aider àpercevoir, en tant que résultat cumulé de ces trois exercices,c’est comment Jésus, enmarchant vers lamort, rassemblait cequi est liturgique, ce qui est éthico-politique et ce qui estpersonnelpourenfairelamiseenœuvrehautementcréativedequelque chose qui se déploie pour nous et envers nous. Et àpercevoiraussiquecettemiseenœuvreesttotalementétrangèreàtoutenotiondevengeancedivine.

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LesanciensHébreux(lesensduritedel’expiationàl’époqueduTempledeSalomon)

LepremiergroupeethniqueauquelvousappartenezestceluidesanciensHébreux.Les trèsanciens,de l’époqueduPremierTemple de Jérusalem, celui de Salomon, donc d’avant ladestruction de ce Temple en 587 avant Jésus-Christ. Imaginezquevousassistezaurited’expiationcélébrédansleTemplelorsdelafêteannuelleportantcenom.Cen’estpastrèsfacile,carnousnesavonspasoùs’élevait lePremierTempleniàquoi ilressemblait.Touteslesréférencesettoutel’imagerieàsonsujetsonthéritéesdelapériodeduSecondTemple,doncpostérieuresàenviron500avantJésus-Christ;etnouslestenonsdegensquinegardaientquedesbribesdesouvenirsduriteancien,et,toutens’enréclamant,tentaientdemettresurpiedpourleurépoqueuncérémonialqui succéderaitdignement à cequi s’étaitpassédansleTempledeSalomontelqu’ilssel’imaginaient.

Car le rite de l’expiation tel qu’il était pratiqué dans leSecondTemple,etpourlequelnousavonsdesdescriptionsdansles textes, était déjà à cette époque une tentative pour seremémorer une tradition remontant à des temps beaucoup plusanciens,destempsoùlesgensestimaientquelecérémonialétait« réellement réel », si l’on peut dire, à la différence de leurépoque où tout cela avait dégénéré. Tous les catholiquescomprendront:nouscroisonsdesjeunesgenspersuadésquelamesse tridentine, autorisée par le pape Pie V, était à maintségardsplusréelleetplussaintequeleriteautoriséparPaulVIàla suite du concileVatican II, qu’ils considèrent comme de lacameloteencomparaison.Peuimportesi lesplusâgés,quiontbienconnulamessed’avantleConcile,nepartagentpasdutout

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soir de la Cène. Il y a une distinction, dans le récit del’institution,entre«moncorpslivrépourvous»et«monsangversépourvousetpourlamultitude».Endonnantdesportionsà tous ses disciples, ainsi que la coupe, Jésus indique quedésormaisilssonttousprêtres.Àvraidire,toutchrétienbaptisél’estdanslaprêtrisesuprêmeduChrist,carlebaptêmeestuneordinationsacerdotale,ettoutchrétienquicommunieetreçoitlecorpsduChristestunprêtrequiprendpartaurituelsacerdotaldel’expiation.Donc,tousceuxquireçoiventdesportionssontdesprêtres.Ils’ensuitqu’iln’yapas,danslechristianisme,delaïcs au sens strict de ce terme, puisque tout chrétien baptisépartage la prêtrise. Notre système d’ordination et de statutclérical,avectouteslesquerellesettouslesproblèmesposésparles façons dont il est vécu, se situe à un différent niveau designification par rapport à cette réalité sous-jacente et plusimportante:noussommestousessentiellementdesprêtres.

Reprenons.Lesprêtresontreçuleursportions,etàprésentlegrandprêtre,entourédesesaides,commenceàarroseravecdegrandsmouvements diverses parties de la cour duTemple – etdoncnousaussi–aveclesangdel’agneau.Nousattendionscegeste avec impatience.Nous désirons être couverts du sang del’agneau. En fait, le mot hébreu que nous traduisons par«expiation»tiresonorigined’unmotsignifiant«couverture»;l’idée est donc que les prêtres lancent sur le peuple unecouverture protectrice, pour les préserver de toute possiblecolèredeDieu.Toutcommecertainsd’entrenoussontheureuxde recevoir quelques gouttes d’eau bénite au cours du ritepascal,quandleprêtreaspergelepeuple,ilauraitétéimportantpournousentantqu’anciensHébreuxd’être«couverts»parlesangdel’agneau.

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À ce sujet, on trouve un grand moment d’ironie dansl’évangile deMatthieu, quandPilate présente Jésus à la foule.D’abord, dans ungeste complètement sacerdotal, il se lave lesmains,ensedéclarant:«Jenesuispasresponsabledecesang;àvousdevoir!»Ettoutlepeuplerépond:«Quesonsangsoitsur nous et sur nos enfants ! »Ce passage a généralement étéinterprété dans un sens antisémite, comme si les « juifs »appelaient une malédiction sur eux-mêmes. Mais il prendbeaucoupplusdesenssinouslecomprenonscomme ironique.Cequisepassedanscettescène,quinousapparaîtaupremierabordcommeunmarchandagepolitique,estenréalitéleritedel’expiation.Lesprésentssontdefaitdesparticipantsvolontairesàcerite,etappellentunebénédictionsureux-mêmesetsurleursenfants:ilsveulentêtrecouvertsdusangdel’agneau!

Revenons dans le Premier Temple. Nous désirons êtrecouverts du sang de l’agneau, c’est-à-dire par le grillageprotecteur qu’entremêle pour nous YHWH. À ce stade, il estprobable que le grand prêtre s’avance vers l’autre agneau : cesecondagneauouchevreauidentique,sanstarenitache,quiestunsubstitutd’Azazel,ledémon.Ilposesesmainssurlui,cequiveutdirequ’illuitransfèretouslespéchésetlestransgressionsdupeuple,etl’animaldoitensuiteêtreconduitàcoupsdebâtonhors de l’enceinte du Temple et probablement jusqu’au bordd’unprécipice,oùilestpousséàsejeterdanslevide.C’estluil’agneau ou chevreau que la langue anglaise, depuis latraduction de Tyndale au début du seizième siècle, appellescapegoat, et la française bouc émissaire : le bouc que l’onexpulse.Ilestprobablequ’aprèsquelegrandprêtreavaitposésesmainssurlui,pluspersonnenedevaitletoucher,carilétaitdevenu un animal tabou. Ce qui se passait était donc trèsdifférentdecequ’onconnaîtdanscertainescitésgrecquesàla

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même période, avec le rite dupharmakos. Chez lesGrecs, unjeunenoblecapturédansuneautrecitéétaitgardéenrésidencesurveillée, dans des conditions agréables, jusqu’au jour où ildevaitêtresacrifié.Alors,quandsurvenaitunmomentdecrise,cejeunehommeétaitrevêtudebeauxatoursetpromenédanslesrues de la cité et tout le monde s’efforçait de toucher sesvêtements pour que toutes lesmauvaises vibrations de la villesoient absorbées par sa personne. On le conduisait ensuitejusqu’au bord d’un précipice, et les citoyens s’attroupaient endemi-cercle autour de lui, s’avançant de plus en plus près, leserrantdeplusenplusétroitement, jusqu’àcequ’ilsoitobligéde sauter. Si possible, personne ne devait alors le toucher, sibien que ce n’était personne – et donc tout le monde – quil’avait poussé, ou qu’il s’était d’une certaine façon transforméenvictimevolontaire.

ChezlesHébreux,ils’agissaitd’unevictimeàquatrepattes,etl’animalétaitconduitàl’extérieurdelacitéouducamppourmourir.Biensûr,c’estaussienpartiecequis’estpassédanslesrécitsévangéliquesdelacrucifixion,oùJésusestsimultanémentles deux agneaux : YHWH qui s’offre et la bête torturée etchassée.Leriteestalorsaccomplietterminépourtoujours.

Aprèsl’expulsiondel’agneauquiétaitlesubstitutd’Azazel,legrandprêtre,revêtumaintenantdesarobed’apparatetdesatiareportantleNom,etparmidesflotsdemusiqueetlebruitdela liesse, conclut ce grand rite en se tenant devant nous, lepeuple, et lui-mêmeentonne,oupsalmodie,oucrie leNom. Ilest la seule personne qui a le droit de prononcer leNom, unefoisparan,àl’occasiondecettefête;etaumomentoùillefait,tous lesprésentss’inclinentet levénèrent, lui, legrandprêtre,en qui le Nom a pu s’incarner liturgiquement : YHWH a puvenir parmi son peuple pour expier ses péchés, le libérer etrestaurerlaCréation.Ainsis’achèvelerite.

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comptes. La famine ne prend pas fin tout de suite. Ripça, laconcubine de Saül et la mère de deux des sept fils sacrifiés,manifeste un amour et une douleur authentiques, et dénoncepubliquementl’horreurdel’actecommisencampantsurlelieudel’exécutionpendantplusieursmoispourempêcherlescorpsd’être dévorés par les animaux. La honte pousse finalement leroiDavid à comprendre qu’il ne doit pas se contenter d’avoirfait ce qui lui semblait expédient, si bien qu’il rassemble lesossementsdeSaületde Jonathan,quiavaientétédispersésendifférents lieux, et les honore, ainsi que les fils récemmentexécutés,pardesfunéraillesdécentes.C’estalorsseulementquelafamines’achève.

Maislaconclusiondel’histoireestsansrapportavecnotresujet.Laquestionànousposer,nousquiavonsétéprésentsentant que Gabaonites, est celle-ci : dans notre histoire, quisacrifie qui à qui ? Quelle est la transaction qui est décrite ?J’espère qu’il est assez clair que c’estDavid quinous fait unsacrifice.C’estluiquieffectuel’expiation,etnousquirecevonsl’offrande.Ce sacrifice, assez commodément, est celui des filsde quelqu’un d’autre, mais le but de l’offrande est d’assouvirnotre colère, qui est la conséquence d’une dette de sangcontractéeparSaülauprèsdenous,lesGabaonites.Nousavonsdroitàcesacrifice:c’estnotrebesoindevengeancequidoitêtresatisfait.

Attardons-nous un instant sur ce point : il y a bien unedivinitéencolèredanscettehistoire,unedivinitéquiréclameunsacrifice,et c’est nous, qui recevons réparation et satisfaction.Ladivinitéencolèren’estpasYHWH,quiseborneàdonnerunconseil au début et d’ailleurs n’arrête pas immédiatement lafamine une fois que l’exécution a eu lieu. Dans ce passage,David doit nous convaincre qu’il est bien intentionné et ne

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cherchepasànouspiéger,afindepouvoiroffrirunsacrificeàladivinitéencolèreconstituéeparnousetnotresoifdevengeance.David, le roi bien intentionné, vient à notre rencontre ennousoffrantunsacrificepourapaisernotrecolère.

On s’en étonnera peut-être, mais cette curieuse petitehistoire apparaît deux fois dans le Nouveau Testament, et cesmentionspeuventnousfairemieuxcomprendrecommentlamortdeJésusyestperçuecommeledondequelquechose,pournousetànotreégard.LapremièresetrouveenRomains8,31-32,oùPaulécritcequisuit:

Que dire après cela ? Si Dieu est pour nous, qui sera contrenous ? Lui qui n’a pas épargné son propre Filsmais l’a livrépour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pastoutefaveur?

Très longtemps, on a cru que les mots « lui qui n’a pasépargnésonpropreFils»contenaientuneréférenceàl’histoiredusacrificed’Isaac,autermedelaquelleAbrahamépargnesonfils. Mais le texte grec de l’épître aux Romains ne fait pasallusionà laGenèse tellequ’elleest traduitedans laSeptante,oùdetoutefaçonl’accentestmissurlefilsuniqued’Abraham.En revanche, le texte s’accorde parfaitement à la version de laSeptantedusecondLivredeSamuel,etnouspouvonsavoirunbonaperçudelafaçondontPaullitlepassagequenousvenonsd’examiner.

Cequ’ilnousditeneffet,c’estceci:«VousvousrappelezDavid, et vousvous rappelezque lorsde sa rencontre avec lesGabaonites, ceux-ci ne savaient pas s’il était vraiment biendisposéàleurégardousiaucontraireilneprojetaitpasdelescirconvenirparquelqueruse.Ehbien,illeuramontréqu’ilétait

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vraiment pour eux en leur livrant des fils ; certes, les fils dequelqu’und’autre,cequiluirendaitlachoseplusfacile.Lefaitdeleur livrercesgarçonsétaitsamanièredeleurprouverqu’ilétait bien intentionné à leur égard, qu’il ne comptait pas lestromper. Or, Dieu est plus grand que David. Alors que Davidagissait en politique, en offrant les fils de quelqu’un d’autre,Dieu, pour nous prouver qu’il nous aime et qu’il ne veut pasnous tromper, nous offre son propre Fils : en d’autres termes,pour un bon Juif monothéiste, lui-même. (Car c’est ce quesignifie le fait qu’El-Elyon permet l’auto-sacrifice de YHWHpour nous.) Aussi, cessez d’être méfiants ! Dieu est vraimentpourvousdetouteslesfaçonspossibles,ilnecherchevraimentpasàvouspiéger,etsagénérositéestau-delàdetoutearrière-pensée.»

Remarquonsmaintenantcequeprésupposecette lecturedePaul.Elleprésupposequ’ila lu lepassagedusecondLivredeSamuelcommenousl’avonsfait:demêmequeDavidasacrifiélesfilsdeSaülauxGabaonites,DieunoussacrifielepropreFilsdeDieu,c’est-à-direlui-même.Ainsi,ilyabiendanstoutcelaunedivinitéencolère,etc’estnous.Ilyaégalementunesourcede générosité entièrement non violente, non exigeante et nonambivalentedanscetteéquation,etc’estDieu.Pouremployerlelangage sacrificiel de manière appropriée, nous devons nousrappeler qu’avant toute chose c’est Dieu qui nous offre unsacrifice,nonlecontraire.

Voyons maintenant comment tout cela est semblable à laliturgie du Temple telle que nous y avons assisté dans notrepremièreincarnationenanciensHébreux?NousavonsvualorsleTrès-SaintsortirduSaintdesSaintsetoffrirunsacrificesurl’autelpour le peuple. Ici, au lieud’un arrière-plan liturgique,

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cegenredemaltraitancenesontguèreconscientesdecequ’ellesfont, il ne faut y voir aucune animosité personnelle, rien n’estfait de propos délibéré. Dire qu’ils sont innocents serait allertroploin,maisonal’impressionqu’ilsobéissentàunenorme,voilà tout. Ces garçons sont ceux qui peuplent l’autreperspective de l’histoire : ceux pour qui Fernando compte àpeine, existe à peine, même s’ils se moquent de lui et lerudoient.

Mais entre ces deux extrêmes – Fernando d’un côté, lesmeneursdelaclassedel’autre–existentunautregroupeetunautre angle sur l’histoire. Il s’agit des gens que j’appelle le« gros de la troupe » : ceux qui sont vaguement conscients,commebeaucoupd’entrenousautempsdulycée,qu’uneespècedemain invisibleplaneau-dessusdenous,dont ledoigt tenduest fatalement sur le point de désigner quelqu’un. Et sij’appartiensàcegrosdelatroupe, je tiensàfairecequ’ilfautpourquecequelqu’unnesoitpasmoi.

Pour toutdire,quandledoigtadésignéquelqu’und’autre,Fernandoparexemple,jem’empressedefairelenécessairepourqu’il continuede le désigner, car cettemainqui plane est trèsinstableetledoigtpourraittrèsbiensedéplacerdesacibledumomentetsepointerversmoi.Aussisuis-jetrèstentéd’agirenboute-feu idéologique, pour que le doigt ne bouge pas. Alorsquelesmeneursdelaclassesefichentqueleursouffre-douleursoitFernandoouunautre,ilesttrèsimportantpourlesmembresdugrosdelatroupedeflagornerleurscamaradespluscostaudset plus admirés pour fournir du carburant et toutes sortes debonnesraisonsàleurenviedeharcelerFernando,autrementditpour que le doigt tendu ne change pas de direction. D’où lespersiflages, les blagues humiliantes, en somme la constructiond’une solidarité aux dépens de Fernando. Opter pour cetteattitudeaidelegrosdelatroupeàs’assurerqu’ilsetrouveradu

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boncôtéquandleschosestournerontmal.

Ce lieuétrange–celuioù l’onsait toutennesachantpas,ou en préférant ne pas savoir –, ce lieu où l’on louvoie pourassurer sa survie sur les terrains de jeu du lycée, est, pourchacundenous,lelieudenaissancedelaviemorale,dumoinspourunepartimportante.Ilformelegenredepersonnequenousdevenons. C’est en apprenant à survivre à cette sorte dedynamiquequenousnoussocialisons.Nosbulletinsscolaires,àladifférencedeceluideFernando,nousdécriventcomme«bienadaptés, sociables, de contact facile avec les autres ». Ce quiveut dire : « a survécu » ; « n’est pas devenu la cible desmoqueriesetdelacolèredugroupe»;«aapprisàdanseraveclesautresautourdulieudelahonte,assezprèspourbénéficierdu fait qu’un autre s’y trouve, mais pas assez pour être celuiqu’onmettra à saplace».Ainsi sommes-nouséquipéspour lasurvie dans unmonde adulte où l’on jouera lemême jeu dansdescontextestrèsdifférents.

Voilàpourletroisièmeangledel’histoire:celuidugrosdelatroupe.Cequej’aiproposéàmonamiduVenezuela,etquejevous propose, c’est que nous imaginions un étrangedéveloppement à cette histoire. Quelque six mois après avoirquitté le lycée, soudain, sans explication, Fernando revient.Nous ne savons pas où il était passé dans l’intervalle, maisimaginonsquelquesscénariosdifférentspoursonretour.

D’abord celui que j’appellerai le scénario de la « grossematraque ». Entre le départ et le retour de Fernando, il s’estproduit au Venezuela une révolution ou un coup d’État.Naguère, il n’appartenait pas à une famille distinguée nisocialement importante. Mais imaginons qu’un coup d’État

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inspiréparungrandpaysmythiqueettrèsgourmandenpétrole,quelquepartplusaunord,aitrenversélegouvernementd’HugoChávezFrias.Quand lenouveaugouvernement s’installe,voilàquelafamilledeFernandodevientdepremierplan,aupointquesonpèreestnommégouverneurdel’Étatoùsetrouvelelycée.Alors, devinez quoi, Fernando revient visiter son ancien lycéedans la Cadillac du gouverneur, accompagné d’une escorte àmoto.Aumoment où il s’approche, nous pouvons imaginer laréaction de ses anciens condisciples : « Merde alors. » Ilsconnaissent très bien la logique de ce qui va se produire :« Quand nous avions une grosse matraque, nous nous enservions pour le frapper ;maismaintenant, c’est lui qui a unematraquebeaucoupplusgrosse,etc’estnousqu’ilvafrapper.»

Les condisciples envoient donc des ambassadeurs. Ilss’arrangent pour les trouver parmi les plus acceptables dugroupe pour aller souhaiter la bienvenue à Fernando : « SalutFernando, c’est chouette que tu sois revenu ! Sacrée voiture,splendides motos, magnifiques uniformes. J’aimerais bien enavoirdepareils!Etpuis,désolépourtouslesproblèmesqu’ilyaeusdansletempsavectoi.Pourtouttedire,encachette,nousessayions de trouver un moyen pour que tout ça s’arrête,dommage que nous n’ayons pas réussi, mais ça n’a plusd’importance, hein ? Tu es revenu et nous allons tous bienrigoler!»Enquelquesorte,labrigadedesflatteursestenvoyéeen force.Quand la grossematraque était entre d’autresmains,tout ce petit monde a su s’allier avec celui qui la tenait, et,maintenantquelamenaceestdetouteévidenceentrelesmainsdeFernando,chacunveutêtreduboncôté.Rienn’aétéappris.

Voiciunautrescénariopour leretourdeFernando.Malgrétousleseffortsdudépartementd’Étatdugrandpaysmythiqueettrèsgourmandenpétrolequelquepartplusaunord,iln’yapas

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Inductionàdevenirunpeuple

L’ÉGLISECOMMEÊTRE-ENSEMBLEQUIN’EST«CONTRE»PERSONNE

Introduction:commentdire«nous»sansexclure?

Auchapitreprécédent,nousavonsréfléchià l’expiation,etenimagination,nousavonscheminéversplusieursmouvementsquipouvaients’effectuerdansnotredirection,ànotreintention:unmouvement liturgique où le grand prêtre sortait de derrièresonvoile,offraitunsacrificeetnouséclaboussaitdesang.Puisunmouvementpolitiqueoù lepouvoirnoussacrifiaitplusieurspersonnescommodes,afind’assouvirlacolèreprovoquéeparunacte sanglant non résolu. Enfin, nous avons vu comment lamême dynamique pouvait se révéler personnelle quand Jojo lefouetlesGérasénienssesonttransformésenFernando,lafolledelaclassequirevenaitdanssonlycée,etensescondisciples.

Vousvousrappelezpeut-êtrequeceque lesGéraséniensetles condisciples de Fernando avaient en commun, avant d’êtrebrusquement dérangés, était une façon de préserver leur unité.Ils savaient se rassembler parce qu’ils étaient confrontés àquelqu’unquin’étaitpaseux.JojolefouétaitutileauxgensdeGerasa parce qu’il n’était pas eux. En n’étant pas eux, il leurpermettait de savoir qui ils étaient, et ce que cela voulait dire

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d’êtresageetsaind’esprit.Ilenallaitdemêmepourlaclassedelycée.Toutlemondepouvaitsecomporternormalementtantquelafolledelaclasseétaitdanslesparages.Etdanslesdeuxcas,c’étaitlefaitderendrehumainceluiquin’était«pasnous»quisecouaitce«nous».QuandonretrouvaitJojovêtu,assisetsaind’esprit,toutleprocessusunificateurdesGéraséniensétaitmisen doute. Et nous avons laissé les condisciples de Fernandocoincésquantàlafaçondontilsdevaientréagiràsaprésenceaumilieud’eux,uneprésencepaisibleetsansressentiment.

Les membres de ces groupes naguère unis et maintenantperturbéssetrouventfaceàdeuxpossibilités.L’uneestdes’enaller, dépités et dégoûtés, en disant : « Je n’aime pas cetteincertitude.Jepréfèrel’ancienmondeoùlebienetlemal,lepuret l’impur, l’intérieuret l’extérieursontdesréalitésstables,oùdevraiesdécisionssurnotreidentité,surquinoussommes,sontprisesquanddesgenssontdésignéscommen’étantpasnous.Etjesuisprêtàmebattrepourquecemondesoitceluiquenousgarderons. »L’autre possibilité est de dire : «En toute bonnefoi, nous ne pouvons retourner à notre ancienne façon demaintenir notre unité, parce que nous avons vu qu’en réalitéceluidontnouspensionsqu’iln’était"pasnous"était"nous"àbien des égards et nous avons pu entrevoir la possibilitéd’apprendregrâceàluiàjouerunjeutoutdifférent.»

Ces deux options ont ceci en commun que le moyen derester unis dépend d’une victime. Seule la perspective sur lavictimeestdifférente.Dansuncas,legroupeseréconciliepar-dessusetcontreelle.C’estunefaçondeconstruirel’unité:vousvoussouvenezsansdoutequedansnotretroisièmeséance,nousavons traité de la lente et progressive édification de l’unitéréalisée par-dessus et contre Akân aumoyen d’un système deloterie. Dans l’autre cas, il y a le commencement d’uneréconciliation qui vient de la générosité d’une victime

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pardonnante. Celle-ci déclare : « Oui, j’ai occupé cet espacepour vous ; c’est pourquoi il vous est possible de ne plusreplonger dans votre comportement sacrificatoire. Ne craignezpaspourautantdeneplussavoirquivousêtes.Vousserezquivous êtes en vous fondant d’abord sur moi, et ce sera uneexpériencebeaucoupplusrichequevousnepouvezl’imaginer.»

Au cours de ce chapitre, nous explorerons l’espace trèsétrange créé par l’induction à devenir un peuple. Car c’estl’expérienceradicalequifondeleprojetqu’onaappeléÉglise.

L’appelà«êtreensemble»:1Pierre2,4-10

Penchons-nous sur un fragment des Écritures, dans lapremièreépîtredePierre.Danscepassage, rienne saurait êtreplus clair sur cette affaire de perspective sur la victime et sacentralitédansl’ensembleduprojet:

Approchez-vousdelui,lapierrevivante,rejetéeparleshommes,maischoisie,précieuse,auprèsdeDieu.

Donc, Pierre (par commodité, nous garderons l’attributiontraditionnelledutexte)commencepardésignerJésus,lavictimepardonnante, comme celui qui est au cœur de ce qui doitadvenir. Mais c’est pour introduire immédiatement les deuxcaractéristiques contraires de la victime : d’un côté, elle est« rejetée par les hommes » ; de l’autre, elle est « choisie,précieuseauprèsdeDieu».

Vous-mêmes,commepierresvivantes,prêtez-vousàl’édificationd’un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint, en vue d’offrirdessacrificesspirituels,agréablesàDieuparJésusChrist.

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qu’à une vitesse vertigineuse, on devient soi-mêmeemblématiquedetoutes lesvaleursdugroupe.Nondesvaleursvéritables, bien sûr, car celles-ci sont difficiles à acquérir, etpouryparvenir il fautdutemps.Orcedontonnedisposepasdansnotrequêted’identité,c’estjustementletemps!Non:aulieudesvaleursvéritablesdugroupe,cequenousacquérons,cesont ce qu’on pourrait appeler ses valeurs frontières : nousdevenons un expert dès qu’il s’agit de chanter la chansontribale.

Ainsi donc, si nous nous enrôlons dans la Marine, nousapprendrons trèsviteànous lierànosnouveauxcamaradesenrépétant avec eux ce qui fait des marins des soldats trèsdifférents du reste des forces armées. En devenant catholique,j’aipersonnellementététrèstentéparuneidentitéàbonmarchéfondée sur le rejet du protestantisme dans lequel j’avais étéélevé ; et plus tard, en rejoignant un ordre appelé lesdominicains,j’aicherchécommentmarquerdespointscontrelesjésuites.Nonquelesjésuitessoienthaïssables,maisparcequ’àmaints égards ils sont les plus proches des dominicains parmilesordrescatholiquesmasculins.Naturellement,unepartiedelachanson tribaleque j’ai alors trèsvite apprisedisait « enquoinous sommesdifférentsdes jésuites».C’est le chemin lepluscourtversunesorted’appartenance:«Quesuis-jecensénepasêtre?»Onpeutimaginerunindividuquin’ajamaiséprouvélemoindre sentiment hostile à l’égard des juifs, mais qui, endevenantmusulman,s’imprègnerapidementd’unecaricaturedesdiatribes antijuives, peut-être sans même avoir sciemmentrencontré lemoindre juif ; ouqui découvre le christianismeetintègrelacommunautédesAmish,oùlesboutonsdesvêtementsdoiventêtreremplacéspardescrochets,etpourquicequ’ilpeutyavoirdepireserabientôtd’êtreundecesAmishsicontaminésparlamodernitéqu’ilsseserventdeboutons.

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Quel que soit le nouveau groupe, il s’y trouvera desmembresplusanciensetplussagesquireconnaîtrontnotrefaimd’identité pour ce qu’elle est en souhaitant qu’elle se calmebientôt.Maisilpeutsepasserdenombreusesannéesavantquenous découvrions ce qui, dans notre nouveau groupe, estréellement central et créatif, et dépassions le stade où l’on seforge une identité à partir de valeurs frontières. Et,naturellement, nous ne serons pas d’un grand secours dans laréconciliationavecnosennemisapparentssinousavonsbesoinde croire aux caricatures que nous nous sommes fabriquées àleursujetpoursavoirquinoussommes.

Donc, puisque lemécanisme classique de la formation desgroupesestceluiquisefondesurcesraccourcis–«Àquisuis-jecensém’opposer?»ou«Donnez-moideladifférence!»–,àquoi pourra ressembler le début d’une unité qui ne sera pasfondée sur le fait d’être « contre » quelqu’un ? À quoi celapourra-t-ilressemblerdecommencerparladécouvertedeceparquoil’autreestsemblableànous,plutôtquedenousaccrocheràunepseudo-différencedanslebutdenoussentirunpeumieuxdans notre peau ? Un tableau nous est dressé pour nousexpliquerexactementcequisepassedanslepassagesurlequelnousallonsmaintenantnouspencher.

Actes10

LepassageenquestionestledixièmechapitredesActesdesapôtres.C’est,souslaplumedeLuc,lerécitd’unextraordinaireséisme anthropologique. Peut-être le jour le plus important del’histoireendehorsdujudaïsme.Carc’estlejouroùlareligiondesHébreuxestdevenueuniverselle,etoùcequenousappelonscatholicisme,c’est-à-direjudaïsmeuniversel,estnéentantque

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réalitéhistorique.Lisonscepassage:

IlyavaitàCésaréeunhommedunomdeCorneille,centuriondela cohorte Italique.Pieuxet craignantDieu, ainsique toute samaison,ilfaisaitdelargesaumônesaupeuplejuifetpriaitDieusanscesse.

Nousavonsdoncunsoldatromainenposteloindechezlui.Ilestdécritcomme«pieuxetcraignantDieu,ainsiquetoutesamaison », ce qui contient une expression technique : les juifsreconnaissaientunecatégoriedepaïensqu’ilsappelaient«ceuxqui craignent Dieu ». C’étaient des non-juifs qui en étaientvenus à croire dans le Dieu unique d’Israël, se rendaientrégulièrement au culte dans les synagogues, écoutaient lesprédicationsmosaïquesetdéveloppaient legenredeviemoraleinspiréepar lemonothéisme,maisn’étaientpasprêtsàsefairecirconcire, à se convertir formellement au judaïsme et prendresur eux tout le joug de la Loi et de ses six cent treizecommandements.

Il s’agissait donc d’un groupe de gens tout à faitrespectables,quiétaient,enquelquesorte,pourpartieadhérentsetpourpartieétrangersà la foi juive.Descitoyensdesecondeclasse assurément, mais sincèrement bienvenus dans lessynagogues, où une partie de l’espace leur était réservée. Ildevait être très compliqué pour un centurion romain de seconvertirpourdebonaujudaïsme,maisadhérerà l’éthiquedumonothéisme n’était nullement considéré comme répréhensibleetlaplupartdecesgens«quicraignaientDieu»prenaientsansdoute leurs devoirs religieux très au sérieux. Rappelons-nousl’épisode de Luc où Jésus guérit le serviteur d’un autrecenturion22:quandilestinterpellé,lesgensdeCapharnaüm,oùsedéroulelascène,luidisentquececenturionméritesonaide:

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commeuneperte n’en est en fait pas une.C’est la douleur derecevoirunenouvelleidentité,dedécouvrirquijesuisvraiment,dedevenir«Tuesmonpeuple»plutôtque«Celuiquin’estpasmon peuple ». C’est une chose de voir l’autre comme non-porteurd’unemenacequipourraitconduireàmadésintégration.Maisvoirl’autrerépugnantcommecequimepermetdedevenircelui que je suis vraiment ? Pourtant, c’est bien cela, ce quifonde l’Église : unevictimecrucifiéedans lahonte.Et c’est àpartir de cet autre répugnant que commence le rassemblementd’un peuple issu de toutes les nations, tribus et langues ;autrement dit, le rassemblement d’individus qui, tous,découvrentpourlapremièrefoisquiilssontenabandonnantlesfrontièresquilesdressaientlesunscontrelesautres.

Universalitéetcontingenceduprocessus

Nous venons de voir comment un seul séismeanthropologique, un acte de communication qui renverse del’intérieur tous les repères normaux de la culture humaine, ainstauréunnouvelêtre-ensemble,etunêtre-ensemblequin’esten principe contre rien du tout. Cela signifie que cet être-ensembleestuniversel,oucatholique,cequiestsimplementunmot grec qu’on peut traduire par « selon la totalité », ou« universel ». Nous avons bien sûr l’habitude de voir le mot«catholique»véhiculerlesenstribalqu’ilaacquisaucoursdel’histoireetquisignifiequelquechosecomme«loyalaupape»,ou « opposé à "protestant" », ou qui évoque certainescaractéristiques spirituelles ou liturgiques à l’intérieur duchristianisme.Mais c’est une dépréciation de ce terme.Car lanotiondecatholicitén’estpasunajoutàl’Évangile,unsurplusoptionnel une fois qu’on amis au point son christianisme de

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base. C’est une dimension essentielle du sens de l’action deJésus.

CequeJésusainauguréestlapossibilitéd’unêtre-ensembleoù,enprincipe,iln’existepasd’autresocial.Iln’existepasdegroupe,nidenation,nid’ethnie,nidegenre,nid’aucunedecesidentités que nous construisons de façon binaire (esclave ouhomme libre, juif ou Grec, homme et femme, blanc ou noir,homoouhétéro, etc.)quinepuisseenprincipe fairepartiedurassemblement, de l’ekklêsia, du nouveau peuple deDieu.Cartouscesgensviventréconciliésgrâceàlavictimepardonnanteetvivante. Il s’ensuitque lacatholicitéde l’Églisenesauraitêtreen aucun cas une affaire de politique identitaire. La politiqueidentitaire est issue des plus profondes et plus primitivesnotionstribalesd’identitéconstruitecontrel’autre,etonnepeutimaginerplusgrandetrahisondelacatholicitéqu’unetentativede créer un groupe à part appelé les catholiques. Quelledéfinitionpourraitsubsisterpourcegroupe,attenduqu’iln’yenaplusenfacecontrelequelsedéfinir?Ilestbondeserappelerque nous sommes censés vivre le signe de cette abolition, etcombien de fois nous le trahissons en échangeant leRoyaumeauquelnoussommesappeléspournousjetersurdes«shoots»bonmarchédepolitiqueidentitaire.

Ainsidonc,c’estunactequiainauguréunenouvellefaçond’être ensemble, qui implique l’effacement de toute identitécontre, l’effacement de l’autre social. Et donc, la chance del’universalité.Ilfauttoutefoissoulignerquel’universaliténesedécrète pas. Il n’y a pas quelqu’un pour proclamer : « Oh,maintenant nous sommes universels. Nous devons doncdésormais traiter tout le monde avec une universellebienveillance. » Cela transformerait le séisme anthropologique

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enuneaffaireprincipalementmorale,ouintellectuelle.CeseraitunpeucommeleschefsdelaRévolutionfrançaisequandilsontdécrété l’égalité, comme s’il suffisait d’un décret pour qu’elleexiste.Non:l’universalité,quifaitpartiedel’essencedelafoichrétienne,opèredemanièrebeaucouppluscontingente.

Elle survient dans tous les lieux particuliers où un groupe«interne»s’opposeàungroupe«externe»,parledépassementsouvent sanglant de la guerre entre ces deux groupes, et,habituellement, parce que quelqu’un a porté témoignage de lavérité.Autrementdit,qu’ilaétésupplicié.D’autresassistentausupplice. Et d’autres encore commencent à comprendre que lapartie est finie. En d’autres termes, la catholicité n’est pas undécret : c’est un processus, et un processus de réconciliationproduitpardestémoinsdelavérité.Ilpeutsurvenirentoutlieuoù un groupe se définit contre un autre groupe, c’est-à-direabsolument partout, et à l’intérieur de n’importe quel groupe.Onneconnaîtàlasurfacedelaplanèteaucungroupeethnique,aucunebandedanslesbanlieuesdesgrandesvilles,quinesoitenclin à construire sonunité auxdépensd’un autre social.Cequisignifiequelacatholicitéestpartout latente.Sapossibilitéest là, présente, partout où des gens se conduisent de cettefaçon.Partoutoùdesgenssacrifient, ilestpossibleausacrifiédedevenirleChrist.

Ainsidonc,danstoutgroupe,enquelquelieuquecesoit,ilestpossiblededevenirletémoindecequeJésusaaccompli,lemartus de ce que Jésus a accompli, en étant prêt à occuper laplacedelahonteetainsiàfaired’unconflitparticulierunsignedu dépassement universel de la conflictualité. Les murscommencent à tomber. Mais c’est un processus chaotique etsanglant,quin’ariend’automatique.Nousneparlonspasd’ungrand coup de balai dans l’histoire à la suite duquel une

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hommequi avait lamain desséchée.Et ils l’épiaient pour voirs’il allait leguérir, le jourdusabbat, afinde l’accuser. Ildit àl’hommequiavaitlamainsèche:«Lève-toi,là,aumilieu.»Etil leurdit :«Est-ilpermis, le jourdusabbat,de fairedubienplutôt que de faire dumal, de sauver une vie plutôt que de latuer?»Maiseuxsetaisaient.Promenantalorssureuxunregardde colère, navré de l’endurcissement de leur cœur, il dit àl’homme:«Étendslamain.»Ill’étenditetsamainfutremiseenétat.Étantsortis,lesPharisienstenaientaussitôtconseilaveclesHérodienscontrelui,envuedeleperdre.

Lapremièrefoisqu’onentendcepassage,onatoutlieudepenser : «L’histoire est tout à fait claire : Jésus accomplit unmiracle le jour du sabbat, ce qui est interdit par laLoi, et lesPharisiens sont en colère. »Mais en réalité, si on la lit ainsi,l’histoireestassezétrange,carlaréactiondesPharisienssembleexcessive. Ils sortent et tiennent aussitôt conseil avec d’autrespersonnagesimportants,pourperdreJésus.Maispourquoisont-ilsdansunetellefureur?Souscejour,ilsapparaissentcommedes gens vraiment très méchants, dont le rôle est d’épier lesabbat comme des traîtres demélodrame jusqu’à ce que Jésusaccomplisse unmiracle, puis de grincer des dents et de courirventre à terre préparer un autre piège : une version antique etbarbue de Bip Bip et Vil Coyote. Leur réaction estcomplètement disproportionnée… du moins si nous prenonsl’histoire comme le simple récit d’unmiracle. Dit autrement :bienquedesrestrictionssoientenvigueursurleschosesqu’ona le droit de faire tel ou tel jour, si quelque chosed’indéniablementbénéfiquecommelaguérisond’unepersonnevisiblementmaladeseproduitce jour-là,onhausse lesépaulesetontrouveunaccommodementaveclaLoipourseréjouir.

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Maisvoyonsdonccequisepassevraimentdanscettescène,pourquoic’estbeaucoupplusintéressantqueleshistoiresdeVilCoyote, et quelle est la source véritable de la rage desPharisiens.

[Jésus]entradenouveaudansunesynagogue,etilyavaitlàunhommequi avait lamain desséchée.Et ils l’épiaient pour voirs’ilallaitleguérir,lejourdusabbat,afindel’accuser.

Ici, les Pharisiens se préparent pour une célébrationliturgique et observent Jésus.Est aussi présent unhommeà lamain desséchée. Celui-ci ne demande pas à être guéri, il setrouvequ’ilestlà,peut-êtredansl’espoird’uneguérison,peut-être pas. Les Pharisiens attendent avec impatience de voircomment Jésus réagira à cette situation. Il est intéressant desouligner que le verbe « accuser » est la traduction d’unmotgrecqui adonné«catégorie» : cequeveulent lesPharisiens,c’estlecatégoriser,lemettredansuneboîte,leplacerdansunecatégorie de leur histoire.Or, c’est précisément ce qui va leurexploserauvisage.

Il dit à l’homme qui avait la main sèche : « Lève-toi, là, aumilieu.»

Jésusrelèveledéfiimplicitequ’ilpeutliredanslasituationetappellel’hommeàlamaindesséchée.Commes’illuidisait:« C’est affreux que ces gens se servent de toi comme d’uneespèced’accessoirepourmetester.Maissoispatientavecmoisitupeux.Jeveuxfairequelquechosepourtoi.Situacceptesdedevenir mon projecteur, ma présentation en Power Point, tut’apercevras que tu es beaucoup plus qu’une utilité théâtraledansunescènededispute.J’acceptequ’ilexistedescatégories

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pourtoiettesfrères,desboîtesdanslesquellescertaineschosesapparemment ne rentrent pas, et je sais que je risque d’êtreaccusépouravoirenfreintcesrègles.Maisavectonaide,jevaistransformer cette incompatibilité en une occasiond’enseignement.Est-cequecen’estpascequidoitsepasserlejourdusabbatàlasynagogue?»

Etilleurdit:«Est-ilpermis,lejourdusabbat,defairedubienplutôt que de faire dumal, de sauver une vie plutôt que de latuer?»

Il se tourne doncmaintenant vers l’assemblée et fait subirauxPharisienscequ’ilscroyaient luifairesubir : il lesmetaupieddumur.Etillefaitenleurposantunequestiondifficile,àlaquelle une réponsemenacerait de lesmettre dans des boîtescontradictoiresetdelesplacerensituationd’accusés.Voyonscequ’ils ont pu comprendre de sa question-piège. Dans leDeutéronome, un texte fondamental du projet juif où Moïseexplique et enseigne la Loi au peuple hébreu, on trouveplusieursmoments clefs de ponctuation oùMoïse reprend sonsouffle, dirait-on, et exhorte tous les présents à donner leurassentimentàcequ’il leurenseigne.Deuxdecespassagestrèsconnus, avec lesquels un adulte de sexe masculin, à tout lemoins,devaitêtrefamilier,setrouventàpeuprèsaumilieuetàlafindugrandrassemblementliturgiquequiestlafaçondontleDeutéronome représente le sermon de Moïse. Voyons doncDeutéronome11,26-28:

Vois ! Je vous offre aujourd’hui bénédiction et malédiction.Bénédiction si vous obéissez aux commandements de YHWHvotreDieuquejevousprescrisaujourd’hui,malédictionsivousdésobéissezauxcommandementsdeYHWHvotreDieu,sivous

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danstousleursétatsenlevoyantagir?Aprèstout,ilétaitbienconnu par la littérature rabbinique que pour les questions desanté et de blessures, la priorité devait être de sauver les vies,nond’observer lesabbat.Etqu’est-cequipousseici lafouleà« être dans la joie de toutes les choses magnifiques » quiarriventparJésus?Luc,commetoujours,semontregénéreuxenindices et nous emmène tout droit au royaume de l’histoireanciennedupeupleisraélite:versunépisodedont,sansdoute,peud’entrenoussontfamiliers,maisquifaitpartiedeshistoiresquelesenfantsdevaientadorer,pourdesraisonsquenousallonsdécouvrirtrèsvite.

La première allusion de Luc, c’est que la femme dans lasynagogueest affligéeparunesprit qui la rend infirmedepuisdix-huit ans. Les nombres sont toujours un bon indice. Vousdevezvousdemander:qu’est-cequis’estpasséd’autrependantdix-huitansdanslesÉcritureshébraïques?LaréponsesetrouveenJuges331,etnous imagineronssanspeinequelsuccèscettehistoirepouvaitavoirdansuneclassedecatéchismeenvuedelabar-mitzvah:

LesIsraélitesrecommencèrentàfairecequiestmalauxyeuxdeYHWH et YHWH fortifia Églôn, roi de Moab, contre Israël,parce qu’ils faisaient ce qui était mal aux yeux de YHWH.Églôn s’adjoignit les fils d’Ammon et Amaleq, marcha contreIsraël, le battit et prit possession de la ville des Palmiers. LesIsraélitesfurentasservisàÉglôn,roideMoab,pendantdix-huitans.

Les voici, nos dix-huit ans ; et le roi deMoab est devenuunesortedesymboledumalopprimantlepeupled’Israël.Israëlasubi l’oppressionpendantdix-huitans,exactementcommela

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femmedanslasynagogue.

AlorslesIsraélitescrièrentversYHWH,etYHWHleursuscitaunsauveur,Éhud,filsdeGéra,Benjaminite,quiétaitgaucher.

Ainsidonc, lepeuple finit par crier au secours etDieu luidonneunsauveur.Ilestintéressantdenoterquec’estpresquelaseule fois dans l’Écriture où il est question d’une personnegauchère.Nousallonsvoirenquoic’estimportant.

ParsonintermédiairelesIsraélitesenvoyèrentuntributàÉglôn,roideMoab.Éhudsefitunpoignardàdouble tranchant, longd’un gomed, et il l’attacha sous son vêtement, sur sa hanchedroite.

Souvenons-nous qu’à l’époque, les contrôles de sécuritéauraienttenupouracquisquetouthommeétaitdroitier,etqu’enconséquenceunvisiteurauraiteu lahanchegauchepalpée,carc’estlàqu’undroitierauraitattachésonarme.MaispasÉhud:il pouvait se laisser palper la jambe gauche et garder sonpoignardcachéducôtédroit.

IloffritdoncletributàÉglôn,roideMoab.CetÉglônétaittrèsgros.

De mieux en mieux ! Voilà un méchant roi gras etbedonnant:Églôn,quenouspouvonsimaginersouslestraitsdeJabbaleHuttdansLaGuerredesétoiles.

Une fois le tribut offert, Éhud renvoya les gens qui l’avaientapporté. Mais lui-même, arrivé aux Idoles qui sont près deGilgal,revintetdit:«J’aiunmessagesecretpourtoi,ôroi!»Le roi répondit : « Silence ! » et tous ceux qui se trouvaient

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auprèsdeluisortirent.Éhudvintverslui;ilétaitassisdanslachambrehauteoùl’onprendlefrais,quiluiétaitréservée.Éhudluidit:«C’estuneparoledeDieuquej’aipourtoi,ôroi!»Etcelui-ciselevaaussitôtdesonsiège.AlorsÉhudétenditlamaingauche,pritlepoignarddedessussahanchedroiteetl’enfonçadansleventreduroi.Lapoignéemêmeentraaveclalameetlagraisse se referma sur la lame, car Éhud n’avait pas retiré lepoignarddesonventre;alorslesexcrémentssortirent.

Vousimaginezàquelpointlesenfantsontpuserégalerdecettescène :c’est lemélanged’horreuretdegrotesquequi lesmetenjoie!

Éhudsortitparlevestibule,ilavaitferméderrièreluilesportesdelachambrehauteetpousséleverrou.Quandilfutsorti,lesserviteursrevinrentetilsregardèrent:lesportes de la chambre haute étaient fermées au verrou. Ils sedirent:«Sansdouteilsecouvrelespieds32dansleréduitdesachambrefraîche.»

Commen’importequelconteur l’imagineraaisément,cenesontpasseulementlesportesferméesquidonnentauxserviteursl’impressionqueleroiestauxtoilettes:l’odeurdesexcréments,passant à travers la porte, leur suggère qu’il est saisi d’uneviolenteattaquedeflatulences.

Ilsattendirentjusqu’àenêtreinquiets,cariln’ouvraittoujourspaslesportesdelachambrehaute.

Ouparcequ’ilsprirentconsciencequemêmeJabbaleHuttnepouvaitavoiruneattaquedeflatulencesaussiterrible…

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Commevous l’imaginez, leNouveauTestamentnemanquepasd’autrespassagesqu’onpeut lirede lamêmefaçon,cequinousoffrechaque foiscequ’onpeutappelerdes«aperçusduMaîtreàl’œuvre»ainsiquedessuggestionsrelativesauxsortesdechangementetdedéplacementquenouspourrionsvivreensaprésence.Concluonsensoulignantquecettefaçond’habiterlestextesetdeselaisserretournerpareuxn’estpasseulementunetechnique que des gens très intelligents et postérieurs à Jésusont inventéepournousrappelerqui ilétaitetcequ’ilestvenufaire.Cen’estpasnonplusunexercicequeseulJésuspratiquaitparcequ’ilétaitungrandmaître.C’estquelquechosequ’ilnousenjointsolennellementde fairepournous-mêmes,commenousallonslevoir.

Dans l’évangile de Matthieu, on trouve deux épisodes oùJésus cite le même passage des Écritures hébraïques, dans lemêmebut.LepassageenquestionestOsée6,6:

Car c’est l’amour qui me plaît et non les sacrifices, laconnaissancedeDieuplutôtquelesholocaustes.

Certaines traductions disent « miséricorde » plutôtqu’«amour»,mais le sentimentest lemême.Lapremière foisqueJésusseréfèreàcepassage35,c’estquandils’adresseauxPharisiens,quiprotestentcontrelegenredepersonnesavecquiilslevoienttraîner:

«Allez donc apprendre ce que signifie :C’est la miséricordeque je veux, et non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venuappelerlesjustes,maislespécheurs.»

Jésusne leurditpas :«Allezdonc jeteruncoupd’œilau

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Livred’Osée.»Illeurditplutôt:«VoussaveztousquecequeDieu dit dans les Livres des prophètes, c’est "je veux lamiséricordeetnonlesacrifice."Maisilnes’agitpasseulementd’un commandement particulier. C’est une instruction delecture,uneclefherméneutique.Chaquefoisqu’oninterprèteuntexte, on peut le lire de deux façons : l’une qui rendra notreinterprétation créatrice de miséricorde, l’autre qui la rendracréatricedesacrifice.Danstouteinterprétationmorale,danstoutacte de discrimination religieuse, comme votre désapprobationdesgensquejefréquente,obéissez-vousàcesmots,"jeveuxlamiséricorde et non le sacrifice" ? Il est parfaitement possibled’interpréter la loi de telle façon qu’elle demande le sacrifice,créeungroupede"gensdebien"etrejettequelqu’und’autre.Demême,ilesttoutàfaitpossibledel’interprétercommequelquechosequidoit toujoursêtre rendu flexiblepour lebénéficedeceuxquiontbesoinqu’onaillevers euxet qu’on les amèneàunevieplusriche,enlaissantlesgensdebiens’occuperd’eux-mêmesetenpartantàlarecherchedelabrebiségarée.Maisuneseuledecesdeuxapprochesobéitàl’oracleduLivred’Osée.»

Aussi, quand Jésus dit aux Pharisiens : « Allez doncapprendre ce que cela signifie », c’est comme s’il disait :« Laissez-vous pénétrer de cette parole, et faites qu’elledevienne la clef interprétative de votre approche de vos frèreshumains.»«Miséricorde»et«sacrifice»nesontpas icidesgestes religieux discrets. Chacun d’eux fonde toute uneanthropologiedudésirdeDieu,et ils sont incompatiblesentreeux. C’est encore plus clair la seconde fois où Jésus cite laparoleduLivred’Osée36:

«Etsivousaviezcompriscequesignifie:C’estlamiséricordequejeveux,etnonlesacrifice,vousn’auriezpascondamnédesgensquisontsansfaute.»

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Cequerecouvreicilemot«sacrifice»n’estpasseulementcequisepassedansleTemple,maisl’actedecréerdelavertucontre d’autres, qui sont ensuite jugés, condamnés commecoupablesettraitéscommedespécheurs.End’autrestermes,ilyatouteuneanthropologiederrièrelemot«sacrifice»,etJésusexpliqueàsonauditoire:«Oséevousdonneuneinstructiondelecture;laissez-larenverserdefondencombletoutcequevousfaites, tout votre enseignement, toute votre entreprise morale.Monactionest-elleunefaçondedécouvrirmonégalitédecœuravecd’autres,potentiellementgênants,etainsidelesaccueillir,ou de faire de moi-même "quelqu’un de bien" aux dépensd’autrui?Cenepeutêtrequel’unoul’autre,ettoutdépenddenotreresponsabilitéparrapportànotreinterprétation.Necroyezpas qu’en vous conformant aux règles, vous obéissez aucommandement. C’est seulement en méditant cette parole, enexplorant votre perception de ce qui rend les deuxanthropologies contraires, que vous pourrez vivre ce que ditOsée.»

JésusnesemontrepasagressifenverslesPharisiens.Illeuroffre simplement une leçon de technique de lecture, ce quidevaitleurêtreassezfamilier.Onpourraitdirequ’illeurfournitla grammaire brute d’un critère qui ne vient pas d’eux-mêmes,mais qui leur est constamment accessible pour mettre enquestionleuraction:laformeducritèreparlequell’autreAutrenous est accessible au milieu de nous. Dans tous les cas surlesquelsnousnoussommespenchés,c’estcequenousavonsvuJésusfaire;etici,ilexpliquecequenousl’avonsvufaire.

Nous commençons à distinguer combien de façons nouspouvonstrouverdemettreenœuvrepournous-mêmescettemiseenquestion,enprenantdespassagescélèbresdesÉcritures,de

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appelonslatentation:lerisqued’êtreleurréparl’autresocialetentraîné vers un schéma de désir qui se présente sous ledéguisementdubien,maisn’estpaslebien.Aussia-t-ilbesoindepasserdutempsàlaisserserenforcerson«je»enrecevantsonschémadedésird’unautreAutre.UnexempleclassiqueoùJésusesttentéetrefusedeselaisserséduireestl’épisodeoùildit à Pierre : « Passe derrièremoi, Satan42 ! » Il repousse leseffortsdePierrequitentedeledissuaderd’emprunterlecheminde souffrance qui le conduira à la mort. Pierre est associé auTentateur, à la pierre d’achoppement, et s’entend dire que sonespritestdisposéenfonctiondelaculturedeshommes,nondelaculturedeDieu.

Cela posé, penchons-nous sur l’enseignement explicite deJésusausujetdelaprière,toutparticulièrementtelquenousletrouvonsenMatthieu6,maissansoublierquelquesréférencesàLuc.

La première chose que nous constatons, c’est que lescommentaires de Jésus sur la prière sont mêlés à unenseignementsurlesschémasdudésir.

« Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes,pour vous faire remarquer d’eux ; sinon, vous n’aurez pas derécompenseauprèsdevotrePèrequiestdanslescieux.Quanddonctufaisl’aumône,nevapasleclaironnerdevanttoi;ainsifont leshypocrites,danslessynagogueset lesrues,afind’êtreglorifiéspar leshommes ; envérité jevous ledis, ils tiennentdéjà leur récompense.Pour toi,quand tu fais l’aumône,que tamain gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que tonaumône soit secrète ; et tonPère,quivoitdans le secret, te lerendra43.»

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Avant d’aborder le sujet de la prière, Jésusmanifeste déjàune compréhension du désir. Son présupposé est que noussommestousdesgensextrêmementnécessiteux,quiaspironsàl’approbation et aux récompenses. Il ne dit pas : « Vraiment,vousêtespuérils.Vousnedevriezpasattendred’approbationniderécompenses.Grandissezunpeuetsoyezdeshommesetdesfemmes autonomes, maîtres de vous-mêmes et héroïques, quiagirezsurdesbasesentièrementrationnelles.»Aucontraire, iltient pour acquis que nous avons désespérément besoind’approbation. La question est : de qui viendra l’approbationquinousagira?Ledangerdechercherl’approbationauprèsdel’autre social est qu’on a de grandes chances de l’obtenir, etensuite d’en être dépendant. Elle nous donnera littéralementd’être qui nous sommes et ce que nous deviendrons. Et nousagironsselonleschémadedésirquenousdonnel’autresocial.

Onpourraitpenserque laphrase«envérité jevous ledis,ils tiennent déjà leur récompense », surtout prononcée d’unevoix tonnanteparunprédicateur calviniste à l’accent écossais,estuneuphémismequirevientàenvoyerlesgensenenfer.Maiselle prend un sens beaucoup plus fort si l’on y voit uneobservation anthropologique : le problème, quand nouscherchonsl’approbationdel’autresocial,c’est(répétons-le)quenous l’obtiendrons ! Nous agirons de manière à obtenir cetteapprobation, et nous deviendrons le jouet de la foule.Et pourcetteraison,nousnousvendronsàbonprix.Nousnevoudronspasassez,nousn’auronspasassezdedésir.Notremoiserauneombredecequ’ilpourraitêtresinouslaissionsleCréateurnousappeleràl’être.

(Unepetitedigression : il est intéressantde remarquerquel’exempleoffertpar Jésussur la façondedonnerdesaumônes

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soitphysiquementimpossible.Quetamaingaucheignorecequefait ta main droite : qu’est-ce que cela veut dire, dans lapratique ? Cela suggère surtout le manque de coordinationtypique d’une personne qui n’a pas unmoi bien stable. Je nesais pas exactement ce que Jésus nous recommande ici, maisj’enaieuunaperçuiln’yapaslongtemps.Aprèsavoirsupportépendant un certain temps les demandes d’argent apparemmentsansfind’unamiàquijevenaisenaide,j’aiététentédefaireunpeudecomptabilitéetdecalculercequeje luiavaisdonnéaufildutemps,pourmettreenplacecertainsparamètressurledevenir de notre relation. Par bonheur, je ne suis pas très boncomptable;etquoiqu’ilensoit,àmi-chemindemonexerciced’additions et de soustractions, j’ai pris conscienceque j’étaisenquelquesorteentraindem’accrocheràmapropregénérosité,tentant d’en faire quelque chose qui me définissait contre cetami, de telle façon que j’introduisais dans notre relation unélémentdemarchandage.Aumêmemoment,j’aiprisconscienceaussi que ce que je faisais avait cessé d’être un acte degénérosité, et que j’avais cessé d’être une personne à traverslaquellelagénérositéd’unautreAutrepouvaitcouler.)

QuandJésusabordelaprière,lacompréhensiondudésirestlamême : ceque leshommeset les femmesdésirentvraiment,c’estl’approbation,uneréputationauprèsdesautres,etcelalesconduitàagirdemanièreàobtenircetteapprobation;or,c’estjustement là que se situe le problème. Ils obtiennentl’approbation,etavecelleun«je»quiestfonctiondudésirdugroupe. Appartenir et être approuvé vont ensemble.Incidemment, il s’ensuit que nous sommes par la suiteextrêmement peu susceptibles de pratiquer l’autocritique parrapport à notre appartenance au groupe. Nous accepterons decouvrircequiabesoind’êtrecouvert,ennous-mêmeseteneux

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Toutes ces expressions – étranger à la mort, abondance,audace,quelquechoseàpartirderien–nesontquequelques-unesparmitoutescellesdumêmegenrequel’Écritureemploiepour exciter notre imagination à s’offrir à un regard qui n’estpasceluidel’autresocial:unregardquiestpleind’unvouloir,d’uneaspiration,d’uncœur,toutcelapournousbeaucoupplusque nous ne le sommes nous-mêmes. Un regard en qui nouspouvonsavoirconfiancepouravoiràcœurnotre intérêtà longterme.Etdans tous les cas, passerdu tempsdans le regarddel’autreAutretravailleraàproduireennousunefaçond’êtredansnotre vie publique qui semblera aller directement à l’encontredes expectatives des schémas de désir produits en nous parl’autre social. Nos retraits temporaires de la vie publique nenous auront pas rendus « privés ». Ils nous auront donné lepouvoird’êtrepublicsd’uneautrefaçon,dontlaprécaritéet lavulnérabilitéreposerontsuruneinimaginablesécurité.

NepasquitterLasVegas

Revenons pour finir à Matthieu et à la conclusion desobservationsdeJésussurlaprière.Ellessonnerontcertainementunpeudifféremmentàprésent:

« Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens : ilss’imaginentqu’enparlantbeaucoupilsseferontmieuxécouter.N’allezpas fairecommeeux ; carvotrePère saitbiencequ’ilvousfaut,avantquevousleluidemandiez48.»

Jeme rappellem’être trouvé sur une hauteur au-dessus dulacTiticacaetavoirregardélesYatirislocaux–deschamanesoudes prêtres – qui exerçaient leurs talents.On pouvait aller lestrouver et, moyennant une offrande, ils allumaient des

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chandellesautourdepetitssanctuairesportatifs,faisaientbrûlerdel’encensetrécitaientlesprièresouincantationsvouluesdansun incroyable mélange de latin, de quechua, d’aymara etd’espagnol.Cesprièresetcesincantationsvisaientàobtenirdesfaveurs assez répétitives : la protection contre le mauvais œild’unvoisin,unenrichissementrapide,lamortd’unebelle-mèreodieuse, l’amour d’un homme ou d’une femme récalcitrants,diversesformesdevengeance.

Le schéma semblait simple : Dieu, ou les dieux, sont unesortedemachineà sousdansunLasVegas céleste,détenteursd’unbutinstupéfiant,maisenclinsàlarétention.Aussilaprièreest-elle l’art de conjurer la capricieuse divinité en prononçantexactementlesphrasesqu’ilfautetenlesrépétantexactementlenombredefoisrequispourobtenirunepartiedutrésor.Commesileprêtreétaitpassémaîtredanslemaniementdesmanettesdelamachine et pouvait faire en sorte que trois citrons ou troisbarres apparaissent côte à côte, ce qui aurait pour effet demanipuler la divinité jusqu’à ce qu’elle cède un peu de sarichesse.

Ce qu’une telle conception présuppose, c’est que noussommes des sujets détenteurs d’un contrôle, et Dieu un objetqu’ilconvientdemanipuler:nousvoilàramenésaudésirselonledessindelabouleetdesflèches.AlorsquecequeJésusnousenseigneestexactement l’inverse :dans sondessinà lui, c’estDieu qui est le sujet, Dieu qui a un désir, une intention, uneaspiration,quisaitcequenoussommesetcequiestbonpournous ; et c’est nous qui sommes des machines à souscapricieuses et quelque peu inertes, et qui faisonsmanier nosmanettes par les mauvais joueurs. Dans ce dessin, c’estprécisémentparcequenotrePèresaitdequoinousavonsbesoinavantquenousleluidemandions,quenousdevonsapprendreàprier:leseulmoyendeluidonneraccèsànous,auxmanettesde

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notremachine à sous, est de lui demander d’entrer dans notreschémadedésir.

Rappelons-nous : dans la compréhension du désir selon lemodèledelabouleetdesflèches,laphrasedeJésussur«votrePère [qui] sait bien ce qu’il vous faut, avant que vous le luidemandiez»apoureffetderendrelaprièreinutile.Maisdanslacompréhensionmimétiquedudésir,quiestàl’œuvreaulongdecepassage,lamêmephraseprendunsensexactementcontraire,carelledevientlaraisonurgentedenotrebesoindeprier:pourpermettreàceluiqui,ànotredifférence,saitcequiestbonpournous – dont le désir est pour nous et pour notreaccomplissement,àladifférencedel’autresocialavecsespiègesviolents –, d’avoir accès au lieu de notre recréation del’intérieur,ennousdonnantunmoi,unmoidudésirquiseraenréalitéunfluxconstantdetrésors.Auvrai,nousluidemandonsdedevenirunsymptômedesonschémadedésir,plutôtquedeceluide l’autresocialqui,ennousentravant,nousfaitdevenirtellementmoinsquecequenouspouvonsêtre.

LeNotrePère

C’estsurcesparolesqueJésusenvientànousenseignerleNotrePère.

«Vousdonc,priezainsi:NotrePèrequiesdanslescieux,quetonNomsoitsanctifié,quetonRègnevienne,quetaVolontésoitfaitesurlaterrecommeauciel.Donne-nousaujourd’huinotrepainquotidien.

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neplusêtreagispar l’«autre social»etd’acquérir lepouvoird’être agis par l’« autreAutre ». En d’autres termes, voici, aumoyen de quelques images, une entrée vers un vivre-en-Égliseétranger à l’idolâtrie, caractérisé par une imagination vaste etunecomplèteabsencederivalitédansl’appartenance.

Lerestaurant

Iln’estpasd’imagequisoitunguideentièrementfiableversune réalité,mais laissons-nousporterpar chacuned’ellespourdécouvrirenquoiellespeuventêtreutiles.Lapremièreestcelled’unrestauranttrèschic.Etnoussommesdesclientstoutàfaitaristocratiques de ce restaurant.Nous y avons été invités pourundînermagnifique,undecesfestinsdeLuculluspourlesquelsmême les papilles d’authentiques aristocrates comme nous nesont pas vraiment préparées, en sorte que la soirée constitueraunapprentissageenmêmetempsqu’uneexpériencegustative.

Nous avons entendu parler du chef, bien que personne nel’ait vu depuis l’inauguration de son établissement. Il se peutmême,commel’ontsuggérélesbrillantsdétectivesdelasociétéd’animationPixardansleurexposéRatatouilleen2007,quelechefsoitunrat–lacréativitéquiprocèdedel’occupationd’uneplacedelahonteavecgénérositéaétéremarquablementrenduepar ce portrait de l’« autre répugnant » comme force agissantederrièrelasplendeurdubanquet.Quoiqu’ilensoit,lechefestoccupé en cuisine, derrière ces portes battantes à traverslesquelleslesserveurspeuventpasserentenantenéquilibreunnombreimprobabledeplateaux.

Nousavonsétéinvitéspourdeuxraisons,quienréalitén’ensontqu’une:parcequelechefnousaimebien,etparcequ’ilaenviedenousnourrir.Àvraidire,c’estsafaçondemontrerqu’il

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nous aime : en nous nourrissant de ce qu’il a demeilleur, ensorte que nous serons plus conscients encore d’être desaristocratesprivilégiésetbénisparlafortune.Lanourritureestle signe que nous sommes des personnes qui l’enchantons, etelle est faite pour nous plonger dans une merveilleuse bonnehumeur.Ainsi nous permettra-t-elle de penser demanière plusimaginative, et nous donnera-t-elle de surcroît l’énergie deréaliser ce qu’une bonne humeur croissante nous donne envied’accomplir.

Ici,commedanstouslesrestaurantsdepremièreclasse,ilya des maîtres d’hôtel, des serveurs et des sommeliers dont letravailestdecourirentrelacuisine,lacaveetlestablesennousapportant des menus, des couverts, des serviettes, en nousprodiguant de savoureuses suggestions et, pour finir, en nousservantlerepasetlesvinsquenousdégusteronsavecleplusdeplaisir.À ceci près que dans celui dont nous parlons, quelquechosen’estpasbienenplace.Lesmembresdupersonnel sontatteints d’un sérieux problème de perspective : ils semblentpenserqu’ilssonttoutcequicomptedanslerestaurant,commesicelui-cin’existaitquepoureux.Etnaturellement,cetteerreurprovoqueuneambianceetdessituationsquiconfinentàlafarce.Parceque,franchement,quivaaurestaurantpourlesserveurs?

Maisvoilà : dans celui-ci, alors que le chef travaille dur àsesfourneauxetquelesclientsaristocratiquescommencentàsedétendre à leurs tables en se sentant vraiment trèsaristocratiques,lesserveurs,dontlatâcheestdeservirlechefenservantceuxquelechefveutnourrir,necessentdesequerelleret se prendre le bec comme des volailles dans une basse-cour.Parfois,ils’agitdesavoirquiestceluiquicommande,etmêmes’ilfautvraimentquequelqu’uncommande.Ilyadesdisputessurlegenre,lestatutmarital,etmême(JésusMarieJoseph!)surl’orientationsexuellede telou tel.Puisdeschamailleries sans

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finpour savoirquiporte leplusbeluniforme,qui soutient lesamisdequi,quines’estpasmontréassezattentifàladignitédequi,etainsidesuite.Enoutre,toutcepetitmonde,parcequ’ilestquelquefoisentrédans lacuisine, sembles’êtremisen têtequ’il est une sorte d’émanation du chef, et, qui plus est, saitmieux que lui qui sont vraiment les clients et ce qui leurconvient le mieux. Il s’ensuit qu’on propose à ceux-ci desversionstrèsexcentriquesdumenu,généralementfondéessurcequicoûteaupersonnellemoinsd’efforts.Enparticulier,celui-ciatendanceàrétrécirlatrèslonguelistedespécialitéspourn’enconserverqu’unchoixbeaucoupplus limité,quimetenvaleursacompréhensiondecequedoitêtrecerestaurantetdelaplacequ’il y occupe. La plupart proposent aussi de curieusestraductionsdumenu,sicurieusesqu’ellesfontpasserl’enviedemanger.

Parfois,ilslèventlesyeuxaucielpoursignifierqu’ilsn’ontaucunesympathiepourcertainsdesclientsetjugentqu’ilsn’ontrienàfaireici.Ilsrefusentdelesservir,ouneleurserventquedesportionsminuscules,oudanslesquellesilsontcrachéentrelacuisineetlatable.Miraculeusement,ilsnepeuventpasallerjusqu’à empoisonner la nourriture. Mais ils peuventempoisonner l’atmosphère au point que le plus hardi desconvivesauradefortssoupçonssurcequ’ilavale.Parfois,parsimple effet de leurmauvaise humeur, ils retirent certains descouverts,nonsanssepersuaderquec’estpour lebiendeceluioucellequ’ilsservent.Ensomme,ilssemblententièrementagispar leurs propres préoccupations, conduits par ce qui se passedansleurdynamiquedegroupe.Lesinvitésduchefsont,deleurpoint de vue, des personnes superflues et dont la présence estfortuite, un simple arrière-plan au feuilleton existentiel qu’ilsjouentetsejouentsanspouvoirs’endéprendre.

Quelcirque!Heureusementquelesconvivessontvraiment

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porche sous lequel une autre réalité commence à s’instancierparminous,mais le troudans lemurpar lequelnouspouvonsnousfaufilerjusqu’enunlieumeilleur.Ilyadoncrupture,maisnoncontinuitéréelle.

Pour autant, si nous nous en tenons assez longtemps à laperception de l’assaut de la prison et du portail, nouscommençons à remarquer quelque chose d’assez curieux : uneprison avec un trou bien présent et qui reste ouvert n’est plusvraiment une prison. Une prison avec un trou temporaire, untunnelcreuséparlesprisonnierspours’évaderouparleursamisde l’extérieur pour les y aider redevient une prison dès lemoment où le chemin d’évasion est obstrué par les autorités ;mais toute prison où s’ouvre un trou impossible à rebouchercesse d’être une prison et devient un collectif tout à faitdifférent. Certains de ceux qui s’y trouvent préféreront lastabilitéetl’ordrequirégnaientavantqueletrounes’ouvrît,etagiront comme s’il n’y en avait aucun ; mais le fait est quel’entièreté du système aura été altérée. Il sera devenu nonseulement possible, mais normal de reconceptualiserl’«intérieur»:cequiétaitunsystèmeclossansmêmelesavoirdevient une réalité satellite, dépendant d’un « extérieur »immenseetmassivementsain,dont jusqu’ici l’existencen’étaitmêmepassoupçonnée.

C’estquandcetteperceptionsedéveloppeetsestabilisequel’imageducentrederéadaptationprendtoutsonsens.Lechocdelarupturelaisseplaceàlaprisedeconsciencedelaprésencecontinue de l’« ailleurs » qui s’instancie parmi nous par lemoyen du portail. Vient aussi une autre prise de conscience :celle de la petitesse de notre réalité satellite au regard del’« ailleurs » qui commence à nous attirer dans son orbite. Etpourfinirsedéveloppeunetroisièmeprisedeconscience:celleque le porche est habitable, qu’il nous exerce à commencer

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d’êtrevraiment cequenous avons toujours étédestinés à être,sans le savoir. Ainsi pouvons-nous commencer à comprendrel’Églisecommeunefonctiontoutàfaitnormaledelaprésenceimmédiate du portail, comme un signe stable d’une socialitésaine venue de l’au-delà et qui fait irruption parmi nous pournous attirer hors de notre culture diminuée (celle d’un être-ensemblemarquéparlamort)etcommenceràfairedenouslescréateursviablesdenouvellesformesd’être-ensembleexemptesdemort.

C’estici,hélas!quelescatholiquesonttendanceàdevenirprésomptueux.Noussommessisûrs(avecraison)delaprésenceimmédiatequisedéploieparminous,ilnoussemblesiclairqueles humains ne sont pas vraiment des prisonniers mais sontaccidentellement nés en prison et ont été accidentellementformés par la prison, tout en recevant désormais le pouvoir dedevenir des citoyens d’ailleurs, que nous oublions que tous,nousrestonsconstruitsdel’intérieurparleschémadedésirquisemblait normal en prison. Il s’ensuit que nousminimisons larupture que le portail a provoquée dans notre manière d’êtreensemble,ettenonstropfacilementpouracquisquelastableetrégulière objectivité de la présence immédiate est comme lastableet régulièreobjectivitéquenousconnaissionsenprison.Aussi sommes-nous beaucoup trop souvent inattentifs à notrepropensionàtraitercommesiellesappartenaientàlastabilitéetà l’ordre d’« ailleurs » des réalités qui appartiennent en fait àl’ordreoppressifetmortifèreetàlafaussestabilitéquenousontimposésenprisonlesgardiensetlesadministrateursdusystèmedésormaisenpassededisparaître.

Le défi auquel nous sommes confrontés consiste à êtresensiblessimultanémentàlaruptureetàlacontinuité.Etc’estun défi considérable. Mais y parvenir, c’est, pour une bonnepart,nouséveilleràlavivacitéetàlavariété,ausensduplaisir,

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au désir de nous voir heureux, à la fondamentale absenced’esprit de sérieux par lequel l’autre Autre est enclin àscandalisernospetitscœursétroits.

L’ambassade

Voicimaintenantunenouvellerupturedeperceptionliéeaumodèleinadéquat–ettoujoursmouvantetévolutif–del’Églisecomme centre de réadaptation. Au bout d’un temps, ce quiressemblaitàuncentrederéadaptationprendpeuàpeulaformed’autrechose:uneambassade.L’imageestfacileàcomprendre.Uneambassadeestleportaild’unautrepaysaumilieudunôtre.Dèslorsqu’unepersonneafranchilesgrillesdel’ambassadedeteloutelpays,nousadmettonsqu’ellesetrouvesurleterritoiresouveraindecepays,mêmesicetteambassadeestphysiquementbâtie en plein milieu de notre capitale. Nos forces de l’ordren’ont plus le droit de l’arrêter comme elles le feraient, parexemple,d’unbraqueurdebanqueréfugiédansunentrepôt.Desurcroît,lesemployésdel’ambassadesontdescitoyensdupaysqu’ellereprésente,et,parmiceuxdunôtre,ilssontporteursdesvaleursetdes intérêtsde leurpays. Ilsnoussignifientpar leurprésence qu’« ailleurs » n’est pas seulement un lieugéographiquement lointain, mais se trouve aussi au milieu denous. Quand ils nous regardent, c’est un regard formé par«ailleurs»quiseposesurnous;etceregard,sinoussommesattirés vers lui, peut nous enseigner à considérer notre proprepaysetsesvaleurssousunjoursoudaintoutàfaitdifférentdeceluiauquelnoussommesaccoutumés.Celuiquilescommandeestbiensûrl’ambassadeur,maistoussontambassadeursausensoùchacun,enétantcequ’ilest,constitueune instanciationdel’ambassade.

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cruellementrebondir:un«eux»condamnéàlasphèreséparéed’unsérieuxencoreplusopiniâtreetenkysté.

Savoir habiter la tension entre comique et pathétique (toutenétantchatouillésparleséclatsdegaietéquinousappellentaubanquet)estunélémentessentieldelavieenÉglise.C’estcettetensionquinousdonnelepouvoirdenepasêtreenrivalitélesunsaveclesautres,denepasnousindignerlesunsdesautres,derésisteràl’appeldessirènesquiconsisteànousscandaliserles uns des autres ; et cette tension sera vitale si nous devonsdonnerchairauprojetdeDieu.

Pensons, par exemple, aux mots qui émanent du banquet.Celui qui parle semble très bien savoir combien nous sommesenclinsàabandonnerlatensionsoitpourlerirecruel,soitpourla vertu cruelle.Et je soupçonneque cesmots – desmots quidurent toujours – ne nous ont pas été donnés comme unsarcasmecritiquepournouspousserànousregarderlesunslesautresd’unœiltorveoucynique.Plusprobablement,c’estparceque la présence qui ouvre le portail sait combien il nous estdifficiledenepasnousblesser lesuns lesautresqu’ellenousdonnecesmots.Ilssontlàpournousprotégerlesunsdesautresàmesurequenousgrandissonshorsde lapenséecarcérale. Ilsnousrappellentcombienleprojetquichercheànouslibérerestplus grand et plus vaste que nos imaginations effrayées etforméesparlaprisonsontportéesàlepermettre.

Considéronsceci:

« Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles enmaîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il n’endoit pas être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudradevenirgrandparmivousseravotreserviteur,etceluiquivoudra

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êtrelepremierparmivousseravotreesclave.C’estainsiqueleFilsdel’hommen’estpasvenupourêtreservi,maispourserviretdonnersavieenrançonpourunemultitude51.»

Voilà pourquoi les titres, les costumes, le ton solennel, lagravité des attitudes ne sont que du kitsch pur et simple, desvestiges en déréliction de la vie carcérale, à moins qu’ils nesoientamenésàlavieparquelqu’unquisejetteànotreservicesans pesanteur aucune, ce qui signifie trouver quels sont nosvraisbesoinsetysubvenir,etnonsubveniràcequeluinousditque nos besoins doivent être. Seuls ceux qui sont préparés àn’êtrepersonneetàl’accepterlecœurlégerdécouvriront,àleursurprise,qu’ilssontdevenusquelqu’un!

Ouceci:

«Commentpouvez-vouscroire,vousquirecevezvotregloirelesunsdesautres,etnecherchezpaslagloirequivientduDieuunique…52»

Sommes-nous, nos ministres sont-ils, enfermés dans ladépendancede l’approbationmutuelle, qui fait partiede laviecarcérale,aulieudenouscomportercommedesfilsetdesfillespourquil’approbationvientd’ailleurs,etd’agird’au-delàdelapeur,duchantageetdelahonte?

Ouceci:

« Méfiez-vous du levain – c’est-à-dire de l’hypocrisie – desPharisiens. Rien, en effet, n’est voilé qui ne sera révélé, rienn’estcachéquineseraconnu53.»

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Nous sommes donc encouragés à apprendre l’autocritiquesystématique.Iln’yapasunseulfruitpourriquicachelereste:lafaussevertus’imposecommeunsystème,unlevain,quiagittoutlemonde,àcommencerparnous-mêmes,ensortequenousdevonstoujoursêtresurlequi-vive.

Ouceci:

«VousannulezainsilaparoledeDieuparlatraditionquevousvousêtestransmise54.»

Il y a donc une différence réelle, à laquelle nous sommesencouragés à toujours nousmontrer attentifs, entre l’apparenteincorrigibilité de nos systèmes idéologiques de vertu et laprésence immédiate et immuable, qui est un acte decommunication vivant et réjouissant, et qui produit deschangementsimmensesetconstantsdansnosmanièresdenouscomprendre lesuns et les autres et de comprendrenotrevivre-ensemble.

Ouceci:

« Ils lientdepesants fardeauxet les imposentauxépaulesdesgens,maiseux-mêmesserefusentàlesremuerdudoigt55.»

«Lesystèmenousconvient.Àvousdevousyajustersivousvoulezluiappartenirselonnostermes,quisontlesseulstermesréels.»

Ouceci:

« Guides aveugles, qui arrêtez au filtre le moustique et

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bien. De ce que nous voyons autour de nous, nous sommescapablesdedéduirebeaucoupdechosessurlamarchedenotrepetit monde et sur ce qu’elle devrait être, et, puisque noussavonstoutcela,noussommesdevenus,pournotreplusgrandesatisfaction,lesmaîtresdetout.

Imaginons maintenant qu’au fond lointain de l’espaceapparaisse un petit point. D’abord, rien de très spectaculaire.Maiscepetitpointgranditdeplusenplus.Etcequin’étaitaudépartqu’unobjetdecuriositépournousetnosastronomessetransformeenquelquechosedeplusimportant.Àmesurequesatailles’accroît,iloccupedeplusenplusnotrechampdevisionetfinitparleremplir.Maisenréalité,l’objetnegranditpas:ilest beaucoup plus grand que notre planète, c’est une étoiled’une dimension inimaginable qui semble avancer vers nous àunevitesseàpeinecalculable.Ellesemblevenirdenullepartets’approcherdeplusenplusdenotreplanète.

Mais en réalité, ce n’est pas du tout cela qui se passe.Cen’est pas l’étoile qui s’approche de nous : au contraire, c’estnous qui sommes progressivement attirés par elle ! Elle est sigrandequesonmouvementn’estguèredétectable,bienquenoussoyonsattirésparsa forcegravitationnelle.Àmesurequenousnous en approchons, cette force gravitationnelle place notreplanètedanssonorbite.Cequiconduitl’axedenotreplanèteàs’incliner, très légèrement, mais assez pour anéantircomplètement ce que nous prenions pour la stabilité et lasécurité. À présent, les habitants de la planète commencent àchanger de façons qui, de notre point de vue autosatisfait etbureaucratique,semblentaussiinattenduesqu’imprévisibles.

Àmesurequenotreplanètesubitcettenouvelleattiranceetse trouve entraînée dans une nouvelle direction, nous et, bienentendu, nos sujets « reconnaissants » commençons à prendreconscience,enregardantoùnousnoustrouvionsprécédemment,

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quetoutcequijusqu’icisemblaitsistableetsinormal,sifermeetsiprévisible,nel’étaitenréaliténullement.Jusqu’aumomentoù s’est exercée l’attirance de l’orbite de l’énorme étoile, etbien, bien avant que nous ne commencions de nous rendrecompte de ce qui se passait, toute notre planète était déjàdangereusement déséquilibrée.D’unemanière qui dépassait debeaucoupcequenospouvoirsautosatisfaitsetbureaucratiquesétaientàmêmedecontrôler,elles’étaitdéjàmiseàpencherdeplus en plus vers le gouffre d’un trou noir. Mais nous nepouvonsnousenapercevoirquemaintenant,parcequ’elleestensécuritédansl’orbitedel’immenseétoile,etquenouspouvonsregarder derrière nous pour voir ce qui se passait réellement :quelquechosequeninousniaucundeshabitantsdelaplanète,excepté quelques esprits dérangés dont nous avions écartél’opiniond’unreversdemainetquenousavionsmaintenushorscirculation,n’avionssuneserait-cequecommenceràpercevoir.

Aufuretàmesurequel’attirancedel’énormeétoileaspiredeplus enplus lapetiteplanètedans samarche,unenouvellesortedenormalitécommenced’émergerdansnotremodedevie,entièrement dépendante d’une étoile dont, jusqu’à une daterécente,nousignorionsmêmel’existence.Imaginonsnotrechoc,stableset autosatisfaits commenous le sommes,endécouvrantque la fermeté, la durabilité, l’ordre auquel nous avons cruprésidern’étaientenréalitéqu’illusion!Carlavraiefermeté,lavraie sécurité apparaissent maintenant n’être rien d’autre quecettefolleaventure:êtreattirédansl’orbitedecettegigantesqueétoile. Ni nous, ni aucune des personnes qui comptaient surnotrepetiteplanèten’avionsapprochéde la compréhensiondece qui nous agissait tous jusqu’alors, quand la fixité semblaittoutetquelemouvementparaissaitsimenaçant.Lepouvoirdutrou noir nous restait entièrement invisible, même s’il avaitcommencéànousabsorber.

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Donc, un choc. Surtout pour nous, qui étions tellementinvestis dans le maintien de la stabilité, de l’ordre, de ce quijusqu’ici avait passé pour le bien. Mais aussi une exaltation,surtout pour nos inférieurs, dont beaucoup considéraient notreprétentieuse vertu comme un fardeau. Nous pouvons lesimaginer,nonsansmalaise,quiseréjouissentdedécouvrirdesparamètres d’existence et de façons d’être dont notre loi nesavait rien, et qu’elle aurait fortement désapprouvés si elle lesavait connus. Pendant que nous restons en état de choc, euxs’adaptent avec une rapidité remarquable au bonheur dedécouvrir qu’ils sont un projet inachevé attiré dans lemouvementd’uneétoileimmensémentpuissante,etd’apprendrelespremiersrudimentsdecequ’ilssontappelésàdevenir.Pournotrepart,enrevanche,noussommesplusoumoinsparalysés:nous ne savons pas s’il faut verrouiller la situation et fairecommesi rienn’avait changéen réaffirmantnotre contrôle, ousi, d’une manière ou d’une autre, et de préférence en évitantd’êtretropgravementhumiliés,nousdevonsprendrenotrepartidunouveautraindeschoses,rabattrenosprétentionsetaccepterde nous joindre à ceux que nous tenions pour nos sujets enconsentant à nous laisser redéfinir avec eux par l’arrivéeinattenduedel’étoile.

Cette image illustre d’abord le changement de perspectivequi se produit quand ce qui semblait un objet peu significatifdans notre champ visuel s’avère être moins un objet qu’uneimmenseforcequinousattirevers lui.End’autres termes,elleillustrelaruptureentreuneperspectivedu«toutcommenceavecmoi»àunaperçudela«secondarité»quenousavonstentédedéfinir.

Mais aussi, plus spécifiquement, elle contient un momentparticulierdeprisedeconsciencequenousavonsdécritcomme

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D’abord, il annonce la paix ; puis il révèle ses mains et soncôté:c’estluilavictimepardonnante,l’agneauimmoléavantlafondation du monde. De nouveau, il annonce la paix. Puis ildit :«CommelePèrem’aenvoyé,moiaussi jevousenvoie.»Le commencement est devenu contemporain, la Création c’estmaintenant.Etpour leprouver, Jésus souffle sur sesdisciples.Le mot employé est le même qu’en Genèse 2,7, quand leSeigneur Dieu souffle dans les narines de sa créature, quidevientainsiunêtrevivant73.Ici,toutefois,cesoufflen’estpasdécrit comme un « souffle de vie », mais comme « l’EspritSaint » ; et avec lui vient la capacité de « remettre » ou de«maintenir»lespéchés.End’autrestermes,exactementcommeenLuc,ils’avèrequel’EspritdelaCréationestenfaitl’Espritdelavictimepardonnante;etc’estdanslamesureoùnousnouslaissonsvivifierparl’Espritdelavictimepardonnantequenousparticiponsdel’intérieuràl’ouverturedelaCréation.

Cette idée que nous sommes à la pointe où se rencontrentl’ancienmoded’être,quis’efface,etlenouveauapparaîtdansleparallélismeentreMarieMadeleine,quinereconnaîtpasJésusclairement, puis entend sa voix, l’appelle « mon Maître » etreçoitl’ordredenepasletoucherencore,etThomas,qui,touteune semaine après le début de la nouvelleCréation, le voit, lereconnaîtclairementauxblessuresdanslesmainsetlecôtédelavictimepardonnante, est invité à le toucher et l’appelle «monSeigneuretmonDieu».Desurcroît,cecontactprendlaformedugestedeThomasquimetsamaindanslecôtéblessé.EtdanslaGenèse,aucasoùnousl’aurionsoublié,c’estducôtéd’Adamqu’uneportionestpriseethabilléedechair.Ceuxquireçoiventle souffle et vivent selon l’Esprit de la victime pardonnantedeviennent ainsi la chair du nouvel Adam : la Création eststrictementcontemporaine.

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Ces textes chrétiens fondamentaux sont loin de voir laCréation comme un événement remontant à des tempsimmémoriaux,et loindevoirDieucommeceluiqui,plus tard,intervientparminousdefaçonmoralisteparlemoyendelamortde Jésus pour résoudre le problème du péché. Les premierstexteschrétiensnousmontrentuneréalitébeaucoupplusriche:levrairécitdelaCréationsetrouvedanslerécitdelamortdeJésus etde sa résurrection,où l’Adamdéfinitif émergeen tantque victime pardonnante et nous ouvre ainsi la possibilité dupartagedansquelquechosequiestà l’opposéde lavanité : laCréation.Enmêmetemps,nousvoyonstoutcequiaprécédésereplier dans la vanité, la planète déséquilibrée être absorbéedanslegouffredutrounoiralorsquedepuisledébutsetendaitvers elle l’espoir d’un futur dont elle n’avait aucune idée. Lepardondespéchés,loind’êtred’aborduneaffairedemorale,estl’aspectqueprendpournous cette réalité : celui qui ignore lamortaouvertlacultureobsolèteetferméequifinitparfairedetoutlemondedesexclus;etlavictimepardonnantenousinciteàdevenirdevaleureuxparticipantsà l’aventurede laCréation,encommençantàlaplaceoùnousnoustrouvons:àlapointedel’axe qui se déplace. Dans la perspective de Mme Michu,pardonneràJeannotn’étaitguèrecequilapréoccupait,tantelleétait inquiète pour lui et aspirait à ce qu’il partageât avec ellequelque chosedebeaucoupplus grand.Pour Jeannot, enfermédans la peur et le ressentiment après ce qu’il avait fait, êtrepardonnéétait laconditionsinequanonpourêtreà l’intérieurd’unnouveau«nous».

Ladouceurdelavision,lagrandeurduquotidien

Ilyaquelquechosedepacifiantdansl’immenseperspective

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qui entre dans notre champde vision.Comme le sentiment depaixetdemajestéqu’éprouventceuxquisedémènentpourgréerun petit voilier quand un énorme paquebot s’approche de leurminuscule embarcation. Toutefois, la faiblesse de l’imageplanétaire est celle-ci : la paix y est donnée par l’énormitéimperturbabled’unobjetimpersonnel,aulieudefairepartiedece que nous recevons de l’imperturbable immensité de « Jesuis»quivientversnous.

Retournons en esprit au moment qui, dans l’évangile desaintJean,redéfinit laCréation:celuioùlaprésenceapparaît,ou plutôt fait irruption dans la salle fermée où les discipleseffrayéssontréunis.Laprésenceannoncelapaixavantetaprèss’êtremanifestée.Inondéedecettepaixdelaquelleelleasurgi,ellemontresesmainsetsoncôté.Ensemontrantainsi,surunmode non verbal, « Je suis » s’identifie comme la victimeressuscitée,vivantdanslapaix,émergeantdelapaixetdonnantlapaix:toutelapaixquivientd’avantlafondationdumonde.«Jesuis»soufflealorslaviedanssesdisciples:l’EspritSaint,quis’avèreêtrelacontagiondupardonjaillissantdelavictimeressuscitée,quiestelle-mêmepardon.

Ici,insistonssurl’étrangeconfluenceentrel’immensitéetlabanalitédecequisepasse.Lathéophaniesuprême,celleoùlaprésencemêmedeYHWH,leCréateur,sepermetd’êtreaperçuesousuneformefinementaccordée–c’est-à-direentantque«Jesuislavictimepardonnanted’avantlafondationdumonde»–,la vision la plus pleine de toute la puissance, la splendeur, lepoids,lagravité,l’immensitéetlamajestédelaprésencecélestecréant les humains, ont lieu non sur unemontagne grandiose,nonmême dans le sanctuaire d’un temple glorieusement paré,maisdansunecachette,unesallefermée«parpeurdesJuifs»

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volontéchancelanted’obéiràdesrèglespréétablies.Au stade où nous en sommes, il est évident qu’une

présentationdecegenren’apporterien.Uneinterprétationdelafoi postulant qu’un événement mystérieux dans le passé nousconduitàunemoralepénibleetcoercitivedansleprésentrévèlesa distance avec la réalité en rendant le christianismemortellementennuyeux.Etc’estlepiègequenousnoussommesefforcésd’éviterplusquetoutautre.J’aiplutôttentéd’exposeruneautrevisiondesmêmesévénements.Unevisionoùceluiquiest vivant – et impétueusement vivant –, celui que nous avonsappelé l’autre Autre, effervescent au-delà des mots, vient versnous avec enthousiasme et nous saisit par surprise pour nousdélivrer de chaînes dont nous ne sentions même pas qu’ellesnousentravaient.Etainsinousameneràlavie.

Dans ce tableau, c’est le Vivant, celui qui se révèle nousattireràlui,quinousouvreàlaprisedeconsciencequelelieud’existence où nous nous trouvions auparavant étaitdangereusement déphasé. La Création, loin d’être une«donnée»ennuyeusequelquepart à l’arrière-plandu tableau,est quelque chose vers quoi nous nous trouvons attirés sur unmodefascinant.Attirésversun«pasencore»quinousestàlafoisdonnéetresteau-delàdenous,paroppositionàun«déjàfixé»quiseraitdéfinitivementderrièrenous.Etnotrechemindecelieudangereusementdéphasé,oùtouttendconstammentàsefermer sur lui-même, vers le « pas encore » riche, fascinant etsolidequis’ouvrepournouspasseparlafracturedenotrecœur.Carcettefracturedenotrecœur,quidonneplaceàuncœurplusvaste,estl’effetdansnosviesdupardondespéchés.

Danscetableau,c’estaussiunnouveaumoded’êtrequi,envenant à nous, nous conduit à un nouveau mode decomportement.Etc’estbienl’approchequenoustrouvonsdans

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leNouveauTestament.DanslesépîtresdePaul,l’auteurnenousdit pas : « Faites X, et vous deviendrez Y. » C’est plutôt :« Parce que vous découvrez être X, faites Y. » Ainsi, parexemple:

Du moment, donc, que vous êtes ressuscités avec le Christ,recherchezleschosesd’enhaut,làoùsetrouveleChrist,assisàladroitedeDieu.Songezauxchosesd’enhaut,nonauxchosesdelaterre.Carvousêtesmorts,etvotrevieestdésormaiscachéeavecleChristenDieu:quandleChristseramanifesté,luiquiestvotrevie,alorsvousaussiserezmanifestésavecluipleinsdegloire82.

Lesensestassezclair :quelquechoseseproduitquinousemmène en un lieu de vie tout à fait nouveau. À mesure quenous découvrons que nous sommes à l’intérieur de cettenouvelle vie, en permettant à nos imaginations d’êtreréamorcées, les modes de comportement jaillissant de cettenouvelle vie nous deviennent une seconde nature, et nouspouvonsenterrerceuxquin’enjaillissentpas.C’estcequenousdevenons qui est premier, et la transformation de notrecomportementquienprocède.

En somme, c’est enme découvrantmoi-même à l’intérieurd’un nouveaumode d’être que je découvre aussi le sens et larichessedemodesdecomportementdifférents.Ainsipercevons-nous de l’intérieur pourquoi ces nouveaux modes decomportement correspondent à la plus riche et plus profondeintentiond’amourduCréateurpournous.End’autrestermes,ily a quelque chose d’authentiquement exaltant à apprendre ànous laisser fasciner par une bonté que nous ne connaissionspas.

Et c’est bien sûr la teneur essentielle de cet ouvrage :

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comment il se fait que quelqu’un, venant vers nous et parminous, nous saisit par surprise et nous met en capacité dedevenir… nous-mêmes-les-uns-pour-les-autres, ce qui estbeaucoupplusricheetplusenthousiasmantquenousn’aurionspuledevinerquandnouscroyionssavoirquinousétions.Toutlecontraired’ennuyeux!

WWJD

Pour lancernotre explorationde la formequeprend laviebonnejaillissantdelafoichrétienne,nousallonsbousculerunpetit sloganqui est souvent utilisé commeune sorte deguide-express de la moralité chrétienne. Ce slogan estWhat wouldJesus do ?, c’est-à-direQue ferait Jésus ? Beaucoup d’entrenous enont entenduparler. Il y amêmeeuunepériodeoùdenombreuses personnes portaient des bracelets en tissu surlesquels étaient imprimées ces quatre lettres : WWJD. Cesbracelets étaient très populaires aux États-Unis avant lesévénements du 11 septembre 2001, mais leurs ventes ontrapidementpériclitéparlasuite.Probablementparcequ’ilétaitassez clair que la vengeance aveugle, la guerre préventive, lalégitimation de la torture et les mensonges sur les armes dedestructionmassiven’étaientpasdu tout«cequeJésusauraitfait».

Mais pour en revenir à la phrase elle-même, « Que feraitJésus?»,ellepossèdeunecertainevaleurpositive,car,entantque guide moral, sa première exigence est que nous nousrappelions certaines histoires. Toute réponse à ce «Que feraitJésus?»ramèneceluiquiseposelaquestionàdesépisodesoùJésusinteragitavecd’autrespersonnes.«Jésusferaitcequ’ilafait quand il a été confronté à la femme adultère, ou aux

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Saformulation,notons-le,esttrèssuggestive.Lelégisteluiademandé : «Qui estmonprochain ?», impliquantque lemot« prochain » se référait à l’objet passif de la bienveillancecommandéeparlesÉcritures:«Sinouspouvonsdéfinirquiestmon prochain, alors je saurai envers qui j’ai le devoir de mecomporter en manifestant ma proximité. » Mais la phrase deJésus prend la question à rebours : le mot « prochain » nedésigne pas l’objet passif de la bienveillance, commandée ounon,maislecréateuractifdelaproximité.Unsignedeplusquela question à laquelle il répond est : « Qu’est-ce qu’être àl’intérieurdelaviedeDieu?»

Le légiste lui répond avec beaucoup d’exactitude, et sansmentiondesproblèmesethniquesinhérentsàlasituation:

Ildit:«Celui-làquiaexercélamiséricordeenverslui.»

Remarquons toutefois que pour être amené à faire cetteréponsetrèsexacte,lelégisteadûselaissertraîneràtraverstoutl’inconfort d’apprendre à découvrir la véritable bonté du pointde vue de quelqu’un qui était a priori très suspect. Il a dûtraversersaproprehostilité,saproprerépugnance,pouraccéderàlaclarté.

EtJésusluidit:«Va,ettoiaussi,faisdemême.»

En d’autres termes : si tu veux avoir la vie de Dieu enhéritage, il n’y a pas de définition imperturbablementcirconscritedequiestton«prochain».Tudevrasbienplutôttelaisseremporter,parmitouteslescontingencesvictimairesdelaviehumaine,àl’intérieurd’unecréationdeproximitéinfinimentattentive. Et cette attention se raffinera à mesure que tuapprendrasànepascéderàlaséductiondesformessacrificielles

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devertureligieuse,etquetutelibérerasdetonformatageparlacultured’hostilitéquienrésulte.

LetémoignagedeLuc:lacourbed’apprentissageduSamaritain

Maintenant que nous avons réfléchi à cette parabole dupoint de vue du légiste, explorons-la dans la perspective duSamaritain.Aprèstout,c’estluiquisetrouveàl’intérieurdelaviedeDieu.Àquoicelaressemble-t-il,desonpointdevue?

Parmilesfaitsquelaparaboletientpouracquisaumilieudela contingence, il y a la centralité des victimes. Dans notrehistoire, les victimes apparaissent avec deux valences : il y acelles qui sont sacrées, autrement dit celles qu’on trouve danslestemples,etquisuscitentcertainesattitudesàl’égarddusangetdescadavres;etcellesquisontcontingentes,etqu’ontrouveau cœur des interactions humaines violentes. En nous fondantsur le passage d’Osée86 étudié au cours du huitième chapitre,nouspourrions appeler l’attitudehumaineenvers lespremièresle « sacrifice », et l’attitude humaine envers les secondes la« miséricorde ». Concentrer notre attention sur la premièrecatégorie de victimes nous conduit à un certain aveuglementhabituel à l’égard des secondes ; alors que concentrer notreattention sur la seconde catégorie nous conduit à certainesintuitions sur les premières. Mais dans les deux cas, nousconstatons que ceux qui sont impliqués dans l’une ou l’autredes valences, le prêtre et le lévite d’une part, le Samaritain del’autre, sont agis par un schémade désir intimement lié à unevictime.

Telleestlapremièreindicationsurlaformequeprendlefaitd’être à l’intérieur de la vie deDieu, sur ce que c’est qu’être

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sensible au lieu où Jésus se trouve et à ce qu’il fait en cemoment : ilyaquelquechosed’inéluctabledanscequiestaucentre. Le schéma humain de désir est tel que nous créons du«bien»prétenduendésignantdesvictimes,ou,àl’inverse,quenous nous trouvons rendus bons en nous approchant d’elles.Maisuneformedebontéquiseraitentièrementsanslienaveclafaçon de traiter les victimes est inaccessible à notre espèce.C’est si vrai que René Girard s’est demandé ce qui ainitialement conduit les proto-humains à découvrir lesdistinctions entre « bien » et « mal », entre « inclus » et« exclus », entre « nous » et « pas nous », alors que cesdistinctionssontinscritesdanslesocledetouteculturequel’onpeutdéfinircommehumaine.

Girardpostuleque laculturehumaineémerged’unactedelynchage (maintes fois répété) au sein de groupes de proto-humains ayant existé avant notre construction des notions debien et demal. « Bien » et «mal », « inclus » et « exclu »,« nous » et « pas-nous » et toutes les polarités fondatrices deculture qui leur sont associées n’ont pu apparaître dans notreespècequ’enconséquencedelafureurd’un«touscontretous»laissantbrusquementplaceàun«touscontreun»parlequellesgroupes d’anthropoïdes se sont découverts humains.L’indifférenciation propre à la horde a ainsi cédé devantl’apparitiond’uneculturenorméelorsqu’aémergélasourcedusens et de la structure : est identifié et désigné celui qui n’est«pas-nous», celuiqui, enétant«exclu»,nouspermetd’être«inclus»,celuiqui,donc,nouspermetdevoirquecequenousavons fait est « bien » et que ce qu’il a fait est « mal ». Lathéorie girardienne illustre brillamment en quoi la différenceémergente de celui que, plus tard, il est devenu possibled’appelerune«victime»estàlaracinedenotrehominisation.Et en quoi la victimation est une réalité inéluctable de notre

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J’emploie délibérément le verbe « plaire », alors que nousutilisons plutôt le verbe « aimer » quand nous parlons de lafaçon dont Dieu imagine le monde.Mais « aimer » comportesouvent des connotations coercitives, comme quand les gensnous disent qu’ils nous aiment et que pour cette raison nousdevonsdevenirquelqu’und’autre.Ainsi,leur«amour»leursertd’excuse pour justifier que la personne en face d’eux ne leurplaît pas. Le verbe « plaire » se prête beaucoup moins aumensonge.Nous voyons bien si nous plaisons à quelqu’un ounon.Lelangagecorporelde lapersonne,safaçondenousêtreprésente parlent plus haut que son discours. Quelqu’un à quinousplaisons se réjouitd’êtreavecnous,auprèsdenous,veutpartagernotretempsetnotrecompagnie,necherchepasànouscontrôler. Il éprouve de la curiosité à voir ce que nous allonsfaire,ets’endélecteraavecnousquelquesoitnotrechoix.

Ainsi, avec ce«mmmmmm»deDieu, la bontéde tout cequi est n’est-elle ni un décret ni une définition. C’est unerelation qui consiste à plaire vraiment beaucoup à celui quiamènecettebontéà l’être,etdont le regardestunravissementtransportédevantcequenoussommesetcequenouspouvonsdevenir.Ce à quoi nous avons réfléchi dans cet ouvrage, c’estcommentceregard,àquinousplaisons,estdevenuvivantparminous, occupant un espace dans notre monde – l’espace de lavictime – dont l’existence est notre triste tribut à notreincapacitédenouscroiresourcesdeplaisiretdebonheurpourDieu. Cette venue parmi nous s’est faite pour tenter de nousprouverlaplusdifficiledesvérités:qu’aumilieuduchaos,dela peur, de la violence et de la haine qui abondent en notremonde,noussommesirrépressiblementetgratuitementdesbien-aimés, avec lyrisme, avec gaieté, avec le cœur léger, avecprodigalité,etbien-aiméstelsquenoussommes.Uneparoledemoralitéjaillissantd’uncœurquin’aimepas,àquionneplaît

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pas, relève de la vanité. Car créer et aimer sont une seule etmêmechose.Etcesyeuxaimants,quinoussontrendusencoreplus vivants d’avoir partagé notre histoire de l’intérieur, nousregardentetnousdisent:«Gardezcourage!Moi,j’aivainculemonde94.»

82.Col3,1-5.PaulemploielamêmeargumentationenRm6,3-14.83.Lc10,25-37.84.Lv19,18.85.Lv19,33-34.86.Os6,6.87.Rm12,1-2:«λoγικήλατρεíα».88.1Co1,22-29.89.Jn13,34.90.Jn15,12-14.91.Jn15,15-17.92.Jn3,16.Laplupartdestraductionsproposent:«CarDieuatant aimé le monde », et suggèrent donc que le mot Oὔτως(Oútôs,«ainsi»)exprimel’emphaseoulaforcepsychologique.Maisengrec,lemêmemotpeutprendreunsensdémonstratif:«Dieuaaimélemondedecette façon,àsavoirqu’ilaenvoyésonFils.»Cesensdémonstratifsembleplusenaccordaveclavisiondelarévélationdonttémoignel’évangiledeJean.93.1Co13,4-7.94.Jn16,33.

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Tabledesmatières

1-Larévélationcommeactedecommunication

«Neparlezpasavantqu’onvousparle»

2-Emmaüsetl’eucharistie

RelirenotrehistoireparlesyeuxduRessuscité

3-Quiapeurdugrandméchantlivre?

LirelaBibleàlalumièredelarésurrection(1/2)

4-Larévélationprogressivedel’«Autreautre»

LirelaBibleàlalumièredelarésurrection(2/2)

5-Dressez-vousetsoyezsansdieux!

Surlaréceptiondudondelafoi

6-Seprêteràl’expiation

Lesacrificeàcontre-courant

7-Inductionàdevenirunpeuple

L’Églisecommeêtre-ensemblequin’est«contre»personne

8-Habiterlestextesetselaisserdécouvrir

Desrécitsquicherchentànousdéplacer

9-Lesensdelaprière

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Entrerdansledéplacementdudésir

10-Êtreàl’aisedansl’Église

Quelquesimagespourcomprendrecequ’estl’Église:Centrederéadaptationetporchesurlapelouse,largeurdevueetdécontractionaristocratique

11-Unpetitbouleversementfamilial

Simplicitéetgrandeurdelanouvellecréation

12-Prochainsetparticipants:qu’est-cequ’habiteruncommandementnonmoralisant?

L’amourduprochaincommeparticipationàlaviedeDieu