hegel : le christianisme et l'histoire

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THÉOLOGIQUES COLLECTION DIRIGÉE PAR

RÉMI BRAGUE ET JEAN-YVES LACOSTE

RÉINTÉGRER A LA CULTURE UNIVER- SITAIRE LE DOMAINE THÉOLOGIQUE EST UNE TÂCHE DONT IL NOUS RESTE A NOUS ACQUITTER. C'EST UNE SINGULARITÉ DE LA FRANCE, DONT IL REVIENT A L'HIS- TOIRE D'ASSIGNER LES RAISONS, QUE D'AVOIR EXPULSÉ TOUTE QUESTION "THÉOLOGIQUE" HORS DU CHAMP DU SAVOIR QUI PRÉTEND A L'UNIVERSEL.

TOUT CE QUI FAIT INTERVENIR L'AB- SOLU ET REQUIERT UNE DÉCISION ULTIME ÉTANT AINSI ÉVACUÉ, LES AUTRES DOMAI- NES DE LA CULTURE PERDENT DU POIDS QUE LEUR COMMUNIQUAIT SON INFLU- ENCE OU, AU CONTRAIRE, SE VOIENT CHARGÉS D'UN FARDEAU QUI NE LEUR CONVENAIT PAS ET QUI LES DÉFORME.

IL IMPORTE DONC DE MESURER QUELLE INFLUENCE LA THÉOLOGIE A EXERCÉE ET CONTINUE D'EXERCER SUR TOUT CE QUI, AU COURS DE L'HISTOIRE, A ÉTÉ DIT ET PENSÉ - EN PHILOSOPHIE, EN SCIENCES, EN LITTÉRATURE, EN DROIT - COMME SUR CE QUI A ÉTÉ FAIT - EN POLITI- QUE COMME EN ART.

IL IMPORTE ÉGALEMENT DE MANI- FESTER QUE LA PERSPECTIVE THÉOLOGI- QUE SUR LA RÉALITÉ RESTE ÉCLAIRANTE EN PUBLIANT DES CONTRIBUTIONS CONTEMPORAINES FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.

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THÉOLOGIQUES

COLLECTION DIRIGÉE PAR RÉMI BRAGUE ET JEAN-YVES LACOSTE

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HEGEL, LE CHRISTIANISME

ET L'HISTOIRE

GASTON FESSARD

Textes et documents inédits présentés par Michel Sales

Presses Universitaires de France

Page 7: Hegel : le christianisme et l'histoire

ISBN 2 13 042598 4

Dépôt l éga l -1 édition : 1990, avril © Presses Universitaires de France, 1990 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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Avertissement de l'éditeur

Bien connu des milieux hégéliens de France et de l'étranger, G. Fessard ( 1897-1978) appartient à cette pléiade de philosophes qui, avec Raymond Aron, Georges Bataille, Pierre Klossowski, Jacques Lacan, Maurice Merleau- Ponty, Raymond Queneau, Raymond Polin, Eric Weil et quelques autres, participèrent, entre 1934 et 1939, au célèbre séminaire d'Alexandre Kojève sur la Phénoménologie de l'Esprit à l'Ecole pratique des Hautes Etudes (5 section).

Les textes rassemblés dans ce volume, dont le plus important était resté en grande partie inédit, ont été rédigés par le P. Gaston Fessard entre 1960 et 1973. Si l'on y ajoute, outre certaines analyses publiées dans ses ouvrages majeur les

1. Pax nostra (Paris, 1936) ne cite explicitement Hegel qu'une seule fois (p. 334) et le mentionne p. 23, 227 et 232, mais est fortement marqué par la pratique de sa pensée. Le dialogue catholique-communiste est-il possible ?, Paris, Grasset, 1937, contient plus d'un développement important sur les racines hégéliennes de la pensée du jeune Marx, en parti- culier : sur la critique et la reprise de la conception de l'Homme nouveau développée dans le Savoir absolu (p. 103-111), le mépris du déisme ou du théisme et l'interprétation que suggère Hegel de la mort du Christ dans sa Phénoménologie (p. 125-126), la critique et la transposition de la théorie hégélienne de l'Etat du politique au social (p. 160-161), l'impor- tance de l'étude et de la compréhension de la Phénoménologie de l'Esprit plus que de la Logique ou de l' Encyclopédie pour comprendre la pensée de Marx (p. 143-144, n. 1), enfin et surtout le vice symétrique, quoique inverse, de la pensée tant de Hegel que de Marx par rapport à la fin véritable de l'Histoire et la correction autant que la réconciliation qu'introduit la conception chrétienne de l'Histoire (p. 241-244). Voir aussi la reprise, méthodologiquement très importante, de la critique hégélienne du faux infini (p. 120-124). On trouvera dans G. Marcel - G. Fessard, Correspondance (Paris, Beauchesne, 1985), la recension du livre de G. Fessard destinée par Alexandre Kojève aux Recherches philosophiques (op. cit., p. 510-516) et restée inédite. Sous le pseudonyme de J. E. Mabinn (anagramme de son propre nom), Walter Benjamin a aussi donné du livre de G. Fessard une pénétrante recension dans le

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premières et les dernières pages qu'il ait consacrées à Hegel dans le dernier ouvrage qu'il ait publié de son vivant on peut considérer qu'elles constituent la somme d'une lecture et d'une réflexion sur l'œuvre de Hegel s'étendant sur près d'un demi-siècle. La rédaction tardive de ces travaux s'explique par deux raisons. La première et la plus obvie, c'est que lorsqu'il découvrit pour la première fois en 1926 la Phénoménologie de l'Esprit, G. Fessard réalisa qu'il fallait commencer par comprendre Hegel en lui-même et pour lui-même, sans vain

Zeitschrift für Sozialforschung, n° 7, 1938, p. 463-466 (Schriften, Bd III, p. 552). Dans la deuxième édition de France, prends garde de perdre ta liberté ! (Paris, 1946), on trouve égale- ment d'importants développements sur Hegel et Marx, notamment une application de la critique hégélienne du progrès indéfini au marxisme et à l'existentialisme (cf. p. 135-139). Sur cet ouvrage, voir les articles de Kojève dans Critique, juillet-août 1946, p. 308-312 et 339-366. Pour les deux tomes de De l'actualité historique (Paris, 1960) et les trois tomes de La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola (Paris, 1956, 1966 et 1984), on pourra se reporter aux Index nominum. Pour le dernier de ces ouvrages, voir ci-après n. 7.

On trouvera par ailleurs dans La philosophie historique de Raymond Aron, rédigée à peu près à la même époque que le Dialogue théologique avec Hegel, plusieurs références à Hegel, en particulier p. 105-106, 111-113, 166-173, 186, 201, 314-315, 331-332. G. Fessard y donne plus d'une précision intéressante sur le séminaire d'A. Kojève à l'Ecole des Hautes Etudes (p. 51-52. Corriger p. 51 : Raymond Polin), l'influence du livre d'I. Iljin (1918) sur celui-ci, notamment en ce qui concerne la dualité linéarité-circularité dans la Phénoménologie de l'Esprit (p. 123) et surtout la priorité et le primat de la dialectique du dieses et du meinen sur celle du maître et de l'esclave indûment privilégiée par Kojève (p. 166-167, n. 1). Il se montre là particulièrement sévère par rapport à la thèse de doctorat d'Herbert Marcuse sur Hegel (p. 111-112, 123, 167, n. 1).

2. Dans son article publié par les Recherches de Science religieuse, 1935, p. 129-158 et 292-328, G. Fessard prend prétexte de l'analyse qu'il fait de la phénoménologie de l'exis- tence de René Le Senne pour initier ses lecteurs à l'intérêt et aux limites de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel, en particulier p. 144-148, 325-327. Ces pages sont antérieures à la fré- quentation par G. Fessard du séminaire d'A. Kojève.

3. Chrétiens marxistes et théologie de la libération, Paris, 1978. Voir en particulier la troi- sième partie de cet ouvrage, p. 249-334. Ces pages débordent très largement l'occasion du livre où elles sont recueillies, comme dans tous les ouvrages du P. Fessard suscités par l'actua- lité historique internationale au sens journalistique de l'expression. Le P. Fessard apporte là, textes à l'appui, ignorés, inaperçus ou méconnus des spécialistes même de Marx, des preuves explicites de sa dépendance par rapport à Hegel, notamment en ce qui concerne la dialectique domination-servitude de la Phénoménologie de l'Esprit. Mais, comme il l'avait remarqué dès le début, Marx inverse ces deux moments de la dialectique hégélienne, sans prendre garde à leur rigoureuse articulation ni à leur vérité propre. Analysant la genèse du concept de prolétariat dans les textes de Marx, le P. Fessard montre que le ressort dialectique qui préside à la création même de ce concept n'est autre que « l'exinanivit paulinien (de Philippiens, 2, 6) repris à Hegel et inversé ». Non content de montrer que la conception marxiste du prolétariat dérive du christianisme spéculatif de Hegel, G. Fessard ne se contente pas de mettre en évidence l'antichristianisme foncier qui provient de cette dérivation. Il indique en outre ses conséquences dommageables sur le langage, attirant d'ailleurs l'attention à cette occasion sur un texte de Marx aussi remarquable et d'un intérêt analogue à celui qu'il avait exhumé dès 1937 sur le rapport de l'homme à la femme (p. 285 sq.).

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désir de le réfuter Or il n'y a pas, pour ce faire, de moyen court, surtout si l'on ajoute qu'au moment où G. Fessard étudiait Hegel, il n'existait en français à peu près aucune traduction ni aucun travail d'approche capables de l'aider. La seconde raison pour laquelle ces textes fondamentaux ne furent que tardive- ment rédigés tient à la fois aux circonstances de la vie de leur auteur et aux grands événements historiques de l'époque auxquels il se trouva mêlé par la force des choses, tant dans l'Eglise que dans le monde : tension européenne suscitée par la montée des fascismes et du Nazisme jusqu'en 1939, déclenchement de la seconde guerre mondiale et résistance à l'occupant nazi, libération et montée du Commu- nisme et du progressisme chrétien, tensions de la guerre froide provoquées par le partage du monde opéré à Yalta, débats théologiques et philosophiques internes à

4. En 1929, G. Fessard avait non seulement étudié la Phénoménologie de l'Esprit au point de pouvoir proposer à la Revue philosophique, par l'intermédiaire de Jean Wahl, un commen- taire complet de la Préface, mais il avait en outre traduit une part substantielle de l'œuvre de Hegel. Il avait alors trente-trois ans et se trouvait dans l'avant-dernière année de ses études de théologie à la Faculté jésuite de Lyon-Fourvière. Son supérieur provincial s'opposa dans une lettre du 10 mars 1930 à la publication de ses travaux sur Hegel dans les termes suivants :

« Les réviseurs font remarquer au sujet de votre article : 1° que voulant seulement exposer le processus de la pensée de Hegel, il paraît suffisamment objectif ; 2° on déconseille absolument la publication dans la Revue philosophique ; 3° on trouve mal à propos la publi- cation actuelle avant que l'auteur n'ait terminé sa théologie.

« Je trouve ces conclusions fort sages et je m'y tiens. Elles m'étaient du reste de suite venues à l'esprit en lisant votre lettre.

« J'ajouterais peut-être (ce dont ne parlent pas les réviseurs) : exposer sans réfuter n'est-ce point passer aux yeux de beaucoup pour accepter le contenu de ce que l'on expose ? Ce n'est peut-être pas légitime de conclure de la sorte, mais cela est fréquent.

« Au revoir. Je pense aller peu après Pâques au début de mai à Fourvière. « Votre tout dévoué in Christo.

F. Mollat s.j. »

Le P. Fessard obéit et ses travaux ne furent jamais publiés, pas plus que la traduction à peu près intégrale qu'il fit de la Phénoménologie de l'Esprit conservée dans ses archives. La première traduction française publiée de la Phénoménologie, celle de Jean Hyppolite, ne devait paraître qu'en 1941. Remarquons encore à ce propos que les travaux dont nous parlons sont antérieurs de près d'une dizaine d'années à la fréquentation par G. Fessard du séminaire d'Alexandre Kojève à l'Ecole pratique des Hautes Etudes. La confrontation avec Kojève (confrontation féconde et d'ailleurs réciproque, si l'on en juge d'après les comptes rendus que fit Kojève des œuvres de G. Fessard. Cf. surtout l'article de Critique, 1946, n° 3-4, p. 339-366 (cf. p. 308-312) qui prend prétexte du livre d'H. Niel pour discuter en réalité les thèses expo- sées par G. Fessard dans France, prends garde de perdre ta liberté !) a plutôt confirmé G. Fessard concernant l'importance qu'il apportait à l'étude de Hegel, en même temps qu'elle l'amenait à un approfondissement de l'œuvre de Marx dont il devait mettre particulièrement en lumière les racines hégéliennes. On sait que G. Fessard fut le premier commentateur français des Manuscrits de 1844 dans La main tendue. Le dialogue catholique-communiste est-il possible ? (Paris, 1937).

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l'Eglise préludant à la convocation du second concile du Vatican, pour ne parler que des vingt-cinq années au cours desquelles il intervint publiquement dans divers livres, brochures ou articles d'actualité pour éclairer les consciences en des problèmes majeurs multiples et angoissants pour l'avenir même de l'huma- nité Ces circonstances et l'engagement dans ces événements mondiaux ne furent pas cependant, loin s'en faut, sans expliquer l'opiniâtreté avec laquelle le P. Fessard poursuivit pendant plus de cinquante ans l'étude rigoureuse de Hegel en lui-même et pour lui-même, afin de déceler les racines de son influence et de sa postérité, en particulier marxiste et existentialiste.

En même temps qu'il étudiait Hegel et ses épigones, G. Fessard élaborait peu à peu une œuvre personnelle qui apparaîtra de plus en plus, avec celle de Maurice Blondel, comme celle d'un des plus grands philosophes catholiques du XX siècle. Si comprendre Hegel (mais aussi Marx et Kierkegaard) en eux-mêmes et pour eux-mêmes était bien la première tâche que s'était fixée et que n'a cessé de mener à bien le P. Fessard, une seconde ne lui tenait pas moins à cœur, qu'il n'a égale- ment cessé de poursuivre : faire profiter de cette compréhension une fois acquise la vérité chrétienne, représentée dans la foi de l'Eglise catholique. Aussi n'est-ce point un hasard si le dialogue de G. Fessard avec Hegel, visant non à réfuter, mais plutôt à intégrer les lambeaux de vérité épars en ce système majeur de la philosophie moderne, comme en sa postérité en particulier marxiste et kierke- gaardienne, porte sur des questions tenant en définitive aux origines protestantes de la pensée de l'auteur de la Phénoménologie et de l'Encyclopédie. C'était là un point sur lequel, par-delà Hegel, la pensée chrétienne affrontée au marxisme qui s'y enracine ne pouvait manquer de s'expliquer. Dans une étude où il évoquait l'effort spéculatif de saint Thomas d'Aquin dont la pensée chrétienne devait récolter les fruits dans les siècles suivants, G. Fessard indiquait comment seul un travail analogue au sien permettrait au christianisme d'assimiler à son plus grand profit la problématique nouvelle issue de Hegel et de ses héritiers de droite comme de gauche. Etre fidèle à la méthode même que saint Thomas a mise en œuvre au XIII siècle, écrivait-il, implique d'admettre que devant des problèmes nouveaux, comme ceux apparus en notre siècle, celle-ci exige à tout le moins une étude qui s'efforce de pénétrer jusqu'à leur origine et cherche ensuite à les résoudre en fonction moins d'une théologie ou d'une philosophie particulières

5. On trouvera une bibliographie complète de ses publications à la fin de ce volume. Nous avons tracé une esquisse de biographie dans Eglise de France, prends garde de perdre la Foi, Paris, 1979, p. 285-298. On trouvera de nombreux compléments dans l'annotation de la Correspondance G. Marcel - G. Fessard. Voir aussi H. de Lubac : Résistance chrétienne à l'antisémitisme, Paris, Fayard, 1988, notamment chap. III, VIII, IX et p. 230-231.

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que de la foi chrétienne considérée en son cœur comme dans tout le développement de sa tradition. Pour vaincre les erreurs d'Avicenne et d'Averroès, saint Thomas ne s'est point contenté d'assimiler vitalement le platonisme d'Augustin et des Pères, mais il s'est astreint à l'étude d'Aristote, parce que le Philosophe était la source immédiate où ses adversaires avaient puisé le meilleur de leurs arguments. Et c'est en ne perdant jamais de vue les enseignements de l'Ecriture et de la Tradition qu'il réussit à baptiser Aristote et à édifier la doctrine sacrée en une synthèse nouvelle dont nous vivons encore. « Quand on aura saisi à quel point l'historicité se trouve, dans la Phénoménologie de l'Esprit et dans la Logique de Hegel, réfléchie d'une manière originale et jusque-là inédite, ajoutait-il alors, c'est encore à l'Ecriture et à la Tradition qu'il faudra demander le moyen de dépasser les erreurs dont le protestantisme de son créateur est la source ul t ime. »

G. Fessard n'a pas eu le temps, avant sa mort subite le dimanche 18 juin 1978, de publier lui-même le couronnement de cette synthèse nouvelle de la pensée chrétienne intégrant la problématique de l'histoire et de ses trois niveaux d'histo- ricité que constitue en particulier le troisième tome de La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola Une fois cette publication

6. De l'Actualité historique, Paris, 1960, t. II, p. 293. 7. La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola, t. III : Symbolisme

et Historicité, Paris, 1984. Voir en particulier dans ce volume p. 449-475 : « L'Histoire et ses trois niveaux d'historicité ». Sur la composition de ce volume posthume, cf. p. 514-516.

ADDENDUM A LA TABLE ONOMASTIQUE de La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola

T. III

Gaston Fessard, La dialectique des « Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, t. III : Symbo- lisme et Historicité. Addendum à l'index des noms propres, p. 519.

Hamann J. C., III, 236, 250. Hammacher Kl., III, 108. Harl M., III, 487. Havet L., III, 12, 53. Hegel, I, 6, 7, 17, 26, 71-72, 88, 99-101, 108, 131, 153, 160, 164-165, 167, 169, 171-173, 176, 209, 212-

213, 222-226, 228-231, 247-248, 252, 291, 293, 304, 318-321; II, 16, 29-30, 33, 48, 58-59, 65-67, 112, 114, 120-121, 127, 144, 147, 149-157, 167, 182-183, 188-199, 204-209, 227, 230, 234, 242, 244, 251-252, 254-258 ; III, 4-5, 23-25, 29, 33-34, 44, 48-49, 52-53, 60, 63, 82, 91, 93-94, 98, 110-125, 130, 136, 138-139, 141, 145, 148-149, 155, 168, 177, 184, 217, 235-238, 241, 253-254, 304, 309-318, 321-323, 327-328, 343, 349, 354-355, 367-372, 397, 411-412, 419, 421, 430, 438, 450-451, 455, 460, 467-468, 473, 475, 478-481, 500-505.

Heidegger M., I, 6, 203, 227-228, 230 ; III, 411. Helyar John, I, 187-189; II, 13, 100. Hérodote, III, 452. Hersch J., III, 14, 27.

( Voir suite de la note 7, page 12.)

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faite en priorité, il convenait d'offrir au lecteur le témoignage de son dialogue philosophique et théologique avec Hegel, pour qu'il en mesure le labeur, en évalue la rigueur et l'acuité, en éprouve la vérité et la fécondité.

Que bien des thèses de la philosophie hégélienne soient incompatibles avec la foi catholique, le P. Fessard en était bien conscient et il ne s'était pas privé de l'écrire à l'occasion dans des textes bien antérieurs à ceux que nous publions ic i Il

( Suite de la note 7.) Hésiode, III, 452. Heurtin Marie, III, 71, 458. Heusch L. de, III, 209. Hevenesi G., I, 308-363 ; III, 11. Hitler, II, 153 ; III, 285-286, 436-437. Hölderlin Fr., I, 164, 167-173, 176, 206, 358 ; III, 55. Homère, III, 452. Hostie R., I, 8. Houtisse F., III, 280. Hugo Victor, II, 52. Hugueny Et., I, 212 ; II, 178. Husserl Ed., I, 227. Hyppolite J., III, 498.

8. « Tous ces maîtres à penser de notre temps (Hegel, Marx, Kierkegaard) ont grandi dans le protestantisme, écrivait-il déjà en 1949, c'est-à-dire dans une Eglise où le mystère du Verbe incarné manquait de l'organe social vivant capable de rendre présent hic et nunc son actualité prophétique et historique » (« L'actualité prophétique de Hamann », dans Etudes, octobre 1949, p. 119). De Hegel, notait-il peu après, « on peut dire que toute sa philosophie de l'Esprit a été un essai pour expliciter et traduire en langage rationnel le corps des notions théologiques (chrétiennes). Sa dialectique, on le sait, s'enracine dans une réflexion sur la Trinité, et l'idée de médiation, capitale en cette philosophie, se réfère à l'action qui fait passer l'homme vers le dieu en réalisant le dieu dans l'homme. Finalement, sans nul doute, la réflexion hégélienne est rationaliste. Le Savoir absolu est le type même du rationalisme rêvant de son achèvement, et elle mène à l'athéisme et au modernisme. Ce n'est pas que Hegel ait été personnellement athée, comme d'aucuns l'ont prétendu [G. Fessard vise ici Kojève]. Mais, protestant, et par le fait même libéré de toute autorité ecclésiastique, il était fatal que sa réflexion ne trouvât plus de limites à son effort de rationalisation du dogme et en vînt finalement à le supprimer. Ainsi s'explique que sa philosophie ait donné naissance d'une part au naturalisme de Feuerbach, puis à l'athéisme de Marx, d'autre part à l'existen- tialisme de Kierkegaard qui, par réaction contre le système achevé de l'Encyclopédie, remet en relief l'attitude religieuse du jeune Hegel. Du seul fait qu'un catholique reconnaît l'Eglise et notamment son autorité dogmatique, il doit être protégé, pourvu que la réflexion use de quelque rigueur, contre les déviations soit athées, soit irrationnelles, auxquelles peut mener la philosophie hégélienne. S'il se familiarise avec sa dialectique, il se préparera au mieux, me semble-t-il, à reconnaître les éléments chrétiens que charrient encore, tout en les séparant et en les pervertissant, l'existentialisme et le marxisme contemporains. Et dans la notion de personne, médiatrice entre la nature et le surnaturel, il trouvera aisément le moyen de faire la synthèse de ces éléments pour retrouver la vérité de l'histoire chrétienne où la liberté du moi peut s'accomplir, sans sombrer ni dans l'irrationalisme ni dans le natu- ralisme » (Recherches et Débats du Centre catholique des Intellectuels français, avril-mai 1950). Par « rationalisme », G. Fessard entend la prétention à la suffisance de la raison humaine pour

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n'est d'ailleurs pour s'en convaincre que de lire les écrits du philosophe recueillis et discutés ici par l'auteur dans le chapitre intitulé « Dialogue théologique avec Hegel ». Par-delà les critiques formulées dans le premier et le deuxième tome de La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola, il fallut toutefois au P. Fessard toute la réflexion linguistique à laquelle il consacra les quinze dernières années de sa vie pour mettre le doigt sur le déficit le plus grave à son sens d'une philosophie du langage d'une extrême pénétration par

juger de tout et n'être jugée par personne (cf. Pax nostra, Paris, Grasset, 1936, p. 220-221). Il a mis en évidence les avatars historiques du rationalisme et sa responsabilité sinon dans l'avènement du moins dans l'impuissance des démocraties en face du double irrationalisme nazi et communiste (cf. De l'Actualité historique, Paris, DDB, 1960, t. I, p. 57-76) ou en a montré les limites en critiquant le scepticisme idéologique de son ami Raymond Aron (Etudes, juin 1962, p. 359-361). En ce qui concerne le protestantisme, c'est dès avant les années 40, dans La méthode de réflexion chez Maine de Biran, Paris, 1938, p. 109-110, et surtout dans deux importants articles des Etudes consacrés aux mouvements œcuméniques (5 juillet 1937, p. 62-75, et 20 juillet 1937, p. 231-248) qu'il avait eu l'occasion de mettre en lumière l'origine des contradictions de la conscience protestante. Au terme d'un important développement (op. cit., p. 245-248), il concluait que pour résoudre vraiment l'antinomie de la raison et de la foi comme de l'autorité et de la liberté, et « pour que l'opposition de la lettre et de l'esprit pût vraiment la surmonter en une dialectique vivante et soustraite néanmoins à l'arbitraire du jugement individuel, il faudrait que le protestant en reconnût tout d'abord le moyen terme dans l'Eglise, Corps du Christ, objet non seulement visible, mais sujet présent comme une personne peut l'être à une autre, c'est-à-dire parlant et parlant avec l'autorité infaillible de Dieu ». G. Fessard montrait également pourquoi et comment l'organisme ecclésial tel qu'il se représente dans l'Eglise catholique déborde vraiment l'Etat totalitaire et par suite est seul capable de s'opposer efficacement à ses entreprises, quand celui-ci tente de juguler la conscience religieuse (op. cit., p. 75-76). On verra la continuité de sa pensée en ce domaine, notamment dans les dernières pages du chapitre sur « les relations familiales dans la philosophie du droit de Hegel ». Dans le tome I de La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola, p. 209-211, G. Fessard montrait comment et pourquoi la mystique intellectualiste de Hegel est l'exacte antithèse de la mystique chrétienne développée par saint Ignace de Loyola. Ce n'est pas seulement par l'intellectualisme de sa mystique qu'Hegel diffère d'Ignace : car, en ce cas, il suffirait de le ranger dans le courant des mystiques intel- lectualistes, même orthodoxes, qu'il distingue de celle de l'auteur des Exercices spirituels. Mais la contradiction est bien plus profonde, radicale même, puisque, « interprété à la lumière du schéma des Exercices, il est clair que le mouvement d'où naît la mystique hégélienne reproduit exactement cet élan orgueilleux de l'esprit qui se veut être-comme-Dieu. Elan qui constitue aux yeux d'Ignace le principe du péché, et dont toute sa première Semaine entend dévoiler le vrai sens et la direction réelle » (op. cit., p. 209). C'est par ignoratio elenchi que des théologiens comme Hans Urs von Balthasar (Glaubhaft ist nur Liebe, Einsiedeln, 1963, p. 47, n. 1) ou Yves Congar (Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques, octobre 1979, p. 624) ont pu soupçonner G. Fessard, l'un, d'hégélianiser les Exercices de saint Ignace, l'autre de prôner un « christianisme hégélien » « pervertisseur de la foi apostolique ». Notons d'ailleurs, pour être juste, que la traduction française de L'amour seul est digne de foi (Paris, Aubier, 1966, p. 89) ne reprend pas la note que nous incriminons. Dans une conférence intitulée « Pourquoi je ne suis pas hégélien » au Centre catholique des Intellectuels français le 17 janvier 1958, dont le texte a été conservé dans ses archives, G. Fessard a esquissé la plupart des vues développées dans le volume que nous publions.

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ailleurs, à savoir la supériorité du Signe sur le Symbole. Ce point est, à n'en pas douter, celui qui permettait à ce philosophe et théologien, qu'on peut considérer comme l'un des meilleurs spécialistes de Hegel en notre siècle, de s'exclamer sans aucun paradoxe : « Je suis tout à fait anti-hégélien. » C'est que l'historicité de l'obéissance du Christ à son Père (cf. Philippiens 2, 6-11 ) et sa pratique comme son enseignement de la voie d'enfance spirituelle (cf. Matth. 18, 1-5 et Jean 3, 4-5) représentées hic et nunc dans l'Eglise hiérarchique, son Epouse et notre Mère, constituaient à ses yeux l'unique fondement véritable d'une herméneutique chrétienne du Christianisme comme d'une philosophie chrétienne et même catholique de l'Histoire.

M. S.

Noux exprimons toute notre reconnaissance à Martine Macquin- Sales qui nous a si généreusement et si intelligemment assisté tout au long de la préparation de ce volume. Nous remercions également le P. Louis Bouligand et M. Vincent Carraud, le premier pour la présentation de la bibliographie, le second pour la relecture des épreuves et l'établissement de l'index des noms, qui enrichissent ce volume. Rémi Brague a tenu à effectuer une dernière lecture des épreuves. Qu'il en soit remercié.

9. « Le fondement de l'herméneutique selon la XIII règle d'orthodoxie des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola », dans Archivio di Filosofia, Roma, 1963, n° 1-2, p. 222. G. Fessard a développé le contenu de cette communication dans les tomes II et III de La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola. On se reportera toutefois avec intérêt à la discussion de 1963, ibid., p. 220-229, entre G. Fessard, S. Breton et P. Ricœur. Une lecture attentive de l'œuvre de G. Fessard montrerait à quel point elle est dominée par le texte de Philippiens II, 6-11. Pour ce qui est de La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola, voir notamment t. I, p. 12, 53, 55, 103, 114-115, et t. II, p. 106-107.

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SOURCES DES TEXTES PUBLIÉS

Inédits ou publiés sous le nom de l'auteur ou encore sous le couvert d'un autre nom, les textes réunis dans ce volume ont été rédigés par Gaston Fessard entre 1960 et 1973.

Le texte intitulé L'herméneutique hégélienne du christianisme, dialogue théologique avec Hegel est la version intégrale, inédite jusqu'à ce jour, d'une étude rédigée en vue d'une communication au congrès organisé par la Hegel-Vereinigung à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Hegel. Cette communication, très abrégée et sans les appendices édités ici, a fait l'objet d'une publication sous le titre « Dialogue théologique avec Hegel » (Stuttgarter Hegel-Tage 1970, herausgegeben von H. G. Gadamer, Bonn, Bouvier, Verlag Herbert Grundmann, 1974, p. 231-246). Longuement mûri, ce texte a été rédigé pour l'essentiel dans la première moitié de l'année 1970 et terminé au mois de juin de cette même année. Sauf le premier appendice, G. Fessard avait fait reproduire à la machine par une secrétaire profes- sionnelle la totalité de son manuscrit, comme il avait l'habitude de le faire quand il considérait que la rédaction d'une de ses études était complète- ment au point. Il devait seulement par la suite (sans doute en 1973) allonger légèrement la légende accompagnant la figure reproduite dans son manuscrit (cf. ici p. 38).

Les trois chapitres composant la deuxième partie de cet ouvrage, rédigés successivement en 1961, 1967 et 1973, ont déjà fait l'objet d'une publication en France ou en Allemagne.

Le chapitre I : « Attitude ambivalente de Hegel en face de l'Histoire », a été publié simultanément dans le Hegel-Jahrbuch, 1961, I, p. 25-61, et dans les Archives de Philosophie, vol. XXIV, 1961, p. 207-241.

Le chapitre II : « Les relations familiales dans la Philosophie du Droit de Hegel », a été publié dans le Hegel-Jahrbuch, 1967, p. 34-63. Voir aussi G. Fessard, La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola, t. II : Fondement. Péché. Orthodoxie, Paris, 1966, p. 254-256.

Le chapitre III : « L'analyse hégélienne du langage. La supériorité du Signe sur le Symbole », reproduit les pages 206-228 du livre de Nguyen Hong Giao, Le Verbe dans l'Histoire. La philosophie de l'historicité du

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P. Gaston Fessard, « Bibliothèque des Archives de Philosophie », Paris, Beauchesne, 1974. L'ouvrage dont ces pages sont extraites reprend pour l'essentiel le manuscrit de la thèse de doctorat présentée par Nguyen Hong Giao à l'Université de Louvain en 1970. Avec l'accord de l'auteur, G. Fessard travailla deux mois entiers à la préparation de la publication de ce livre, corrigeant minutieusement l'ensemble du manuscrit de 1970 et y ajoutant quelques compléments importants (cf. en particulier les p. 141-153 et 198- 220), sans d'ailleurs toucher aux critiques que lui faisait Giao.

Nous remercions Mlle M. Cadic, directrice des Editions Beauchesne (72, rue du Bac, 75007 Paris), le P. Marcel Régnier, directeur des Archives de Philosophie, M. W. R. Beyer et les responsables de l'Athenäum Verlag Anton Hain (Savignystrasse, 503, Postfach 170101 D-6000 Frankfurt am Main) de nous avoir autorisé à reproduire ces textes.

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GASTON FESSARD (1897-1978) UN PHILOSOPHE CHRÉTIEN ENGAGÉ

DANS L'HISTOIRE DE SON TEMPS

Né le 28 janvier 1897 à Elbeuf-sur-Seine, Gaston Fessard entra au noviciat de la Compagnie de Jésus à l'automne de 1913, en même temps que son aîné et ami l'anthropologue Marcel Jousse. Sa première formation religieuse fut rapidement interrompue par la première guerre mondiale qu'il fit comme sous-officier, au plus fort du front, dans les tranchées du Chemin- des-Dames. Démobilisé à Constantinople en septembre 1919, il reprend alors le long cycle d'études philosophiques et théologiques requis pour sa formation dans la Compagnie de Jésus. Lors de ses études de philosophie au scolasticat de Jersey, fortement marquées par la lecture de Maine de Biran, d'Octave Hamelin et surtout de Maurice Blondel, il se lie d'amitié avec le futur cardinal de Lubac avec lequel il rédige, entre septembre et décembre 1922, une « Esquisse » de philosophie où se profile l'orientation de leur pensée. De 1923 à 1926, G. Fessard poursuit des études de droit et de philosophie à l'Université de Paris. Il présente alors à la Sorbonne, sous la direction de Léon Brunschvicg, un mémoire sur La méthode de réflexion chez Maine de Biran (1923). La publication de cet ouvrage, amorcée dans le premier numéro des Archives de Philosophie, ne pourra se faire que quinze ans plus tard en raison de l'opposition des PP. Descoqs et Picard. Ses études de philosophie avaient donné l'occasion à G. Fessard de lire quelques grands auteurs classiques, en particulier Platon, Descartes, Leibniz et surtout Kant dont, fait assez rare à l'époque pour mériter d'être signalé, il avait lu les trois Critiques. De son travail sur Maine de Biran, G. Fessard était sorti avec l'intuition qu'il devait parfaire sa connais- sance des grands philosophes et surtout poursuivre l'étude de l'histoire de la philosophie dans l'ordre chronologique d'apparition des grandes pensées dans l'histoire du monde. Dans le courant des années 1925-1926, il lit donc ce qui existe en traduction française des œuvres de Fichte et de Schelling. C'est alors qu'au cours de l'été 1926 va se produire une rencontre décisive dans son itinéraire intellectuel pour toute la suite de ses travaux et de ses engagements. Pendant les vacances, au cours d'une banale prome- nade dans les rues de Munich, il trouve chez un bouquiniste un exem- plaire de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel. En parcourant la table des matières, il aperçoit d'un coup l'importance et l'intérêt de cet ouvrage, sinon ignoré, du moins méconnu par presque tout le monde philosophique

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en France à cette époque. Ce livre, dont il entreprend alors la traduction, ne quittera plus sa table de chevet. Il commencera par meubler le temps que lui laisseront les études de théologie qu'il fera à la Faculté s.j. de Lyon- Fourvière de 1926 à 1930. Il noue là ou continue d'entretenir de solides amitiés avec des hommes de sa génération comme Henri de Lubac et Yves de Montcheuil ou des aînés comme P. Teilhard de Chardin et Auguste Valensin qui le mettra en contact avec Jean Wahl et lui demandera bientôt de colla- borer à l'édition française de la thèse latine de M. Blondel sur le Vinculum substantiale dans la pensée de Leibniz. Ces années, au cours desquelles il réfléchit notamment sur la nature de l'histoire à propos d'affirmations dogmatiques comme celle de l'Enfer éternel ou du Péché originel, contribue- ront beaucoup à la détermination et à l'affermissement d'une pensée à la fois fondant et fondée philosophiquement sur l'intégration intrinsèque du Mystère chrétien. De cette période, il faut particulièrement retenir un mémoire sur Connaissance de Dieu et Foi au Christ selon saint Paul, d'ins- piration blondélienne, mais dont la thématique, la méthode de réflexion et surtout le plan esquissent la dialectique, centrale dans l'œuvre de G. Fes- sard, du Païen, du Juif et du Chrétien (rédigé en 1926-1927, ce texte ne devait être publié qu'en 1966, bien que son auteur lui attribuât toujours une grande importance). G. Fessard fut ordonné prêtre le 28 septembre 1928. Il termina sa formation de jésuite par une année de retraite à Münster (1930- 1931). C'est là qu'il rédigera le noyau central d'une œuvre majeure : La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola, qui ne sera publiée que vingt-cinq ans plus tard, à l'occasion du quatrième centenaire de la mort du fondateur de la Compagnie de Jésus.

Les travaux de G. Fessard lui valent les soupçons plutôt que les encou- ragements de ses supérieurs religieux qui lui interdisent notamment de publier, dans le numéro spécial de la Revue philosophique en l'honneur du centenaire de la mort de Hegel, une étude et une traduction de la Préface de la Phénoménologie de l'Esprit suivies d'un appendice sur les rapports de la Phénoménologie et de la Logique. Après trois ans d'activités spirituelles auprès d'enfants et de jeunes dans les collèges jésuites de Poitiers et de Paris, il est nommé rédacteur à la revue Etudes et secrétaire des Recherches de Science Religieuse à Paris. Il y restera près de trente ans (1934-1962). Il renoue alors avec ses études hégéliennes en suivant, de 1935 à 1939 à l'Ecole des Hautes Etudes, le séminaire que dirige Alexandre Kojève sur la Phénoménologie de l'Esprit, où se retrouvent quelques-uns des plus grands noms de la pensée française des décennies suivantes : Maurice Merleau- Ponty, Eric Weil, Jacques Lacan, Raymond Polin, Pierre Klossowski, Georges Bataille et Raymond Aron avec lequel il se lie spécialement d'amitié. Il fait aussi la connaissance de Gabriel Marcel, dont il devient le directeur spirituel et, par lui, entre en relation avec la partie la plus vivante de la phi- losophie française. Les événements politiques mondiaux des années 30 vont cependant infléchir le tour de sa réflexion et lui donner l'occasion de déployer toutes ses virtualités dans l'ordre social et politique, sans lui retirer, au contraire, la dimension existentielle qui faisait de lui un directeur

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de conscience hors pair et un interlocuteur particulièrement apprécié de nombre de philosophes incroyants, d'origine juive pour la plupart. En 1936, tandis qu'Hitler a, quelques mois auparavant, décidé le réarmement de la Rhénanie, déclenchant en France de graves divisions entre pacifistes et nationalistes, il publie son premier grand livre de philosophie politique : Pax nostra. Examen de conscience international. Centré sur la notion chrétienne de personne et, par analogie, de personnalité morale, cet ouvrage développe la dialectique de la justice et de la charité qu'a introduite dans l'histoire mondiale la venue du Christ en Israël et qui se poursuit hic et nunc dans les relations de l'Eglise et des chrétiens avec les mouvements idéo- logiques divers qui sollicitent les hommes. A peine les premières menaces de guerre écartées, la France de 1936 est secouée de graves troubles sociaux qui aboutissent au Front populaire. Le Parti communiste français cherche alors à séduire les catholiques pour les entraîner dans son sillage. Le P. Fessard publie un ouvrage dont bien des analyses de fond dépassent largement l'occasion qui l'a fait naître : Le dialogue catholique-communiste est-il possible ? (Paris, 1937). Il y examine en particulier l'étroite dépendance de Marx par rapport au Hegel de la Phénoménologie et donne là le premier commentaire paru en France de certains textes des Manuscrits de 1844 récemment exhumés par Riazanov. G. Fessard s'attarde longuement sur le texte extraordinaire, qui constitue d'ailleurs un hapax dans son œuvre, où Marx analyse en termes rigoureusement personnalistes avant la lettre les rapports de l'Homme et de la Femme. Ce texte constituera l'amorce de la dialectique de l'Homme et de la Femme qu'élaborera G. Fessard près de dix ans plus tard et dont il montrera qu'antérieure et supérieure dans la genèse de l'être social à la dialectique hégélienne du Maître et de l'Esclave, elle ne lui cède en rien en rigueur dialectique (cf. « Esquisse du Mystère de la Société et de l'Histoire », 1948. Repris dans De l'Actualité historique, I, 1960).

Les menées d'Hitler et les menaces que les progrès du Nazisme font peser sur l'Europe vont cependant, durant près de six ans, occuper une bonne part du champ de sa réflexion. Après les Accords de Munich, il publie Epreuve de force (1939), livre interdit par les autorités allemandes après l'occupation de la France. Mobilisé en 1939, il fait la seconde guerre mondiale, puis revient à Paris, après quelques mois passés à Lyon où il rédige, sous le titre France, prends garde de perdre ton âme !, le premier Cahier clandestin du Témoignage chrétien destiné à dénoncer les périls spirituels de la collaboration avec le Nazisme. Dès le mois de décembre 1940, il l'avait d'ailleurs également fait oralement dans une conférence donnée en l'église Saint-Louis de Vichy. En février 1944, il échappera de justesse à la Gestapo venue l'arrêter à son domicile. De ces années tragiques où G. Fessard continue de travailler à des publications clandestines ou restées inédites que lui inspire la situation de la France et du monde, sortira un petit chef-d'œuvre de philosophie politique, qui trouvera, après les évé- nements de mai 1968 en France, un regain inattendu d'actualité : Autorité et Bien commun (1945. Réédition avec une Postface inédite : 1969).

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A partir de 1945 et pendant un peu plus d'une quinzaine d'années, s'ouvre, dans la vie du P. Fessard, une période d'active production intel- lectuelle dans deux registres fort différents : l'un lié à l'actualité immédiate de l'histoire du monde et de l'Eglise, le second, à l'approfondissement spéculatif, théorique et pratique, de sa propre pensée. L'actualité, c'est, en France, au sortir de la seconde guerre mondiale et jusqu'au début des années 60, la fascination du Communisme sur toute l'Intelligentsia, catho- liques y compris. C'est aussi, étroitement liés à la crise des prêtres-ouvriers, l'idéologie des chrétiens progressistes et l'aveuglement, dans cette situation, de nombre de théologiens d'inspiration thomiste. Un nombre impression- nant d'articles et de livres a été consacré par le P. Fessard à ces débats, dont il fut un acteur majeur. Les travaux de fond qui jalonnent cette période depuis la seconde édition de France, prends garde de perdre ta liberté ! (1946), sont réunis, sauf exception (tels l'important article de 1961 sur « L'attitude ambivalente de Hegel en face de l'histoire » et l'étude de 1962 intitulée « Image, Symbole et Historicité », première version du texte fondamental sur l'Histoire et ses trois niveaux d'historicité), dans le premier tome de De l'Actualité historique (1960) et dans les deux premiers volumes de La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola (Temps, Liberté, Grâce, 1956 ; Fondement, Péché, Orthodoxie, 1966). Certains de ces textes ont, malgré leur importance, peu retenu l'attention des commenta- teurs, telle l'étude d'épistémologie historique sur « La division de la théologie et la dialectique du Païen et du Juif » (De l'Actualité historique, I, p. 243-291), ou celle concernant le rôle de la pudeur (vergüenza) dans les Exercices spirituels d'Ignace publiée dans La dialectique (II, p. 127- 249).

En 1962, sans préavis, ses supérieurs religieux le retirent de la maison des Etudes et l'envoient à Chantilly où se trouve, à ce moment-là, la Faculté de Philosophie de la Compagnie. Coupé d'un jour à l'autre de la majeure partie de ses relations, il mettra à profit ce temps de quasi-retraite entre- coupé de quelques voyages à l'étranger pour des conférences ou des congrès (Allemagne, Etats-Unis, Israël, Suisse, Tchécoslovaquie), pour poursuivre ses études de fond sur Hegel Marx, Kierkegaard, le Christianisme, l'Histoire et la Société. Ses travaux s'enrichissent alors des apports de l'anthropologie de C. Lévi-Strauss et développent surtout, à la lumière de la linguistique moderne (spécialement celle de Gustave Guillaume), une philosophie du langage, plus ou moins implicitement présente dès ses pre- miers écrits. Dispersés dans diverses revues ou publications collectives parues de son vivant, ces travaux ont été consignés dans des ouvrages posthumes (La philosophie historique de Raymond Aron : rédigé en 1970-1971 et publié en 1980 ; La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola, t. III : Symbolisme et Historicité : rédigé en 1964-1965 et publié

1. Au milieu des années soixante, G. Fessard saluait la parution des premiers travaux de son confrère le P. P.-J. Labarrière. Cf. La philosophie historique de Raymond Aron, p. 123, et Chrétiens marxistes et théologie de la libération, p. 277.

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en 1984) ou que nous publions ici (ainsi l'important Dialogue théologique avec Hegel rédigé dans la première moitié de 1970).

Le concile de Vatican II, dont son ami H. de Lubac fut un des plus zélés artisans, fut une grande joie pour G. Fessard. Mais peu de temps après, il fut à nouveau sollicité par l'actualité historique pour défendre l'Action catholique ouvrière dans l'Eglise de France et l'Eglise d'Amérique latine contre l'illusion spirituelle qui leur laissait croire à la compatibilité, sinon théorique, du moins pratique, de la Foi chrétienne et du Marxisme. Ce fut l'objet de ses deux derniers ouvrages : Eglise de France, prends garde de perdre la Foi ! (posthume, 1979. Edité par H. de Lubac) et Chrétiens marxistes et Théologie de la Libération, dont il corrigea les dernières épreuves quelques jours avant de mourir à sa table de travail à la Trinité de Porto Vecchio (Corse), le dimanche 18 juin 1978.

Indissolublement théorique et pratique, l'œuvre philosophique de G. Fessard s'est élaborée dans un constant dialogue avec les adversaires, non seulement théoriques mais pratiques, de la foi chrétienne et de l'Eglise du Christ, au cœur des grands conflits politiques et idéologiques du XX siècle. La réalité historique et l'actualité, au sens journalistique, du dialogue qu'il a mené affectent nombre de ses écrits, y compris les plus techniques, en ralentissant parfois laborieusement le cours de la pensée. Mais c'est là l'effet d'une exigence de rigueur et de loyauté dans une œuvre philosophique qui, pour mieux mener à bien la critique des idées, s'est tou- jours interdit les facilités illusoires et provisoires de la polémique (cf. De l'Actualité historique, II, p. 396). L'unité foncière de la pensée de G. Fessard empêche, d'autre part, qu'on dissocie certains de ses ouvrages, plus théo- riques, de ceux qui témoignent de son engagement dans l'actualité de son temps. Cette dissociation, qu'ont tenté d'accréditer certains de ses inter- prètes immédiatement après sa mort, va à l'encontre des déclarations les plus formelles de G. Fessard lui-même, notamment à propos du caractère, à ses yeux indissociable, des deux tomes d'un livre comme De l'Actualité historique. Elle aurait surtout pour effet, particulièrement dommageable, d'écarter les lecteurs et les interprètes de cette œuvre difficile de précisions et de développements spéculatifs importants qui ne se trouvent parfois que dans les écrits suscités par l'actualité immédiate

2. Mentionnons, par exemple, le remarquable commentaire des Manuscrits de 1844 de Marx dans Le dialogue catholique-communiste est-il possible ?, p. 211-244 ; l'analyse philosophique du terme, si complexe, de « Nature » dans France, prends garde de perdre ta liberté !, 2 éd. 1946, p. 139 sq. ; le schéma de la dialectique du Païen et du Juif et les précisions importantes données à ce sujet dans De l'Actualité historique, t. II, p. 55 et passim ; l'analyse de l'éducation, par l'apprentissage du langage et l'interdiction du mensonge, dans Chrétiens marxistes et Théologie de la Libération, p. 301-312, et, dans le même ouvrage, les longs développements sur les rapports de la pensée de Marx et de ses disciples avec la philosophie de Hegel, chap. X et XI, ou encore la réflexion de Marx sur le langage, p. 287-292, etc.

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Das Niedrigste ist zugleich das Höchste ; das ganz an die Oberfläche herausgetretene Offenbare ist eben darin das Tiefste (PhG, 529, à propos de l'Incar- nation ).

« Non coerceri maximo, contineri tamen a minimo, divinum est » (sentence choisie par Hölderlin pour l'épigraphe de Hyperion)*.

* Selon Hölderlin, cette sentence est « gravée au tombeau d'Ignace » ; en réalité, il n'en est rien (sur son origine, cf. G. Fessard, La dialectique des « Exercices spirituels » de saint Ignace de Loyola, Paris, Aubier, 1956, I, p. 167-173). Mais l'explication qu'il en donne dans le fragment de Hyperion publié dans la Thalia, dès 1794, montre qu'elle répondait à l'esprit de Hegel, son co-chambriste avec Schelling, à Tübingen. En effet, les trois amis venaient de « se quitter sur ce mot de ralliement : Royaume de Dieu » (Hölderlin à Hegel, 10 juillet 1794. — Correspondance, trad. D. Naville, 93). De son côté, Hegel évoque le même souvenir dans une lettre à Schelling de la fin janvier 1795 ; voir p. 35, n. 14.

Cette double épigraphe a été mise par G. Fessard en tête du texte qui constitue la seconde partie de cet ouvrage.

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Première partie

L'herméneutique hégélienne du Christianisme

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Dialogue théologique avec Hegel*

Mon premier contact avec Hegel remonte à 1926 et coïncide avec le début de mes études théologiques. Parce que j'avais connu auparavant le P. Teilhard de Chardin et lu nombre de ses inédits au fur et à mesure de leur production, je m'intéressai alors spécialement au problème du péché originel et à saint Paul, en même temps que j'essayais de pénétrer la Phénoménologie de l'Esprit.

Durant l'année 1930-1931, sous l'influence de ces premières études, je rédigeai un travail sur les Exercices spirituels de saint Ignace où je crus trouver, comme en filigrane, une « analyse du Temps et de l'His- toire » — découverte qui orienta désormais tout le cours de mes réflexions. Enfin, entre 1935 et 1939, je suivis les leçons de A. Kojève aux Hautes Etudes sur la Phénoménologie, en même temps que je publiai Pax Nostra (1936) et Le dialogue catholique-communiste est-il possible ? (1937). A l'occa- sion du premier de ces livres où je tentai de définir l'attitude du chrétien face au conflit international imminent, Hegel me fit apercevoir chez saint Paul une dialectique du Païen et du Juif, pendant que Kojève contribuait à me faire saisir l'importance de la dialectique Maître-Esclave et, à travers

* Aux notes de l'auteur, normalement numérotées en chiffres arabes, nous avons ajouté quelques notes complémentaires renvoyant à des travaux de G. Fessard capables d'éclairer plus avant le lecteur. Ces notes complémentaires sont soit entre crochets, soit précédées d'une lettre minuscule (a, b, c, etc.) (Note de l'éditeur).

1. Malgré la difficulté du travail pour qui sait assez mal l'allemand et doit avancer sans traduction ni guide, j'avais au bout de quatre ans traduit début et fin de ce livre, notamment la Préface et rédigé un court commentaire de celle-ci qui, approuvé par Jean Wahl, aurait dû paraître à l'occasion du centenaire de la mort de Hegel (1931).

2. Augmenté et développé, ce travail parut plus tard sous le titre La dialectique des « Exer- cices spirituels » de saint Ignace de Loyola, Aubier, t. I : Temps, Liberté, Grâce, 1956 ; t. II : Fondement, Péché, Orthodoxie, 1966 ; t. III : Symbolisme et Historicité [1984].

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elle, la dépendance de Marx par rapport à Hegel en fonction de la fin de l'histoire ; en outre, par son recours au symbolisme du cercle, il confir- mait mes propres réflexions sur la polyvalence de ce symbole hégélien qui, dès le début, avait retenu mon attention.

Telles sont, en bref, les circonstances au milieu desquelles s'est engagé mon dialogue avec Hegel. Comme il eut ensuite pour toile de fond la lutte à mort que Libéralisme, Communisme et Nazisme ont poursuivie à travers deux guerres mondiales et poursuivent encore aujourd'hui, je dois à Hegel d'avoir aperçu dès le début que leur querelle était aussi, en son fond, théo- logique Mais parce qu'il me fallut participer, en pratique comme en théorie, à ces débats belliqueux autant que pacifiques, je n'ai jamais eu — hélas ! — le loisir de me livrer à une étude de Hegel pour lui-même. Aussi je m'excuse du peu d'intérêt que la présente communication pourra offrir à ceux qui s'adonnent avant tout à l'interprétation scientifique et objective de son œuvre. J'ai dû me contenter de tirer le meilleur parti de ses idées, ou du moins de ce que j'en saisissais, pour guider ma réflexion, quitte à tenter de les corriger en vue de les accorder avec l'intelligence de ma foi.

Ces corrections peuvent être groupées sous trois chefs principaux concernant : 1 / d'abord, l'analyse de l'historicité quant à sa forme ; 2 / puis quant à son contenu qui ne peut se réduire, à mon sens, à la dia-

lectique Maître-Esclave, mais en exige d'autres, notamment celles de l'Homme et de la Femme et du Païen et du Juif ;

3 / enfin, le rapport de ces dialectiques avec le langage, sous l'angle en particulier de la distinction entre symbole et signe comme entre repré- sentation et concept.

3. En composant sur le même plan d'abord France, prends garde de perdre ton âme ! (1941), premier Cahier du Témoignage chrétien clandestin, dirigé contre le Nazisme, puis contre le Communisme, France, prends garde de perdre ta liberté ! ( 1 éd., 1945 ; 2 1946), je montrai ainsi qu'entre ces deux conceptions du monde, issues du Libéralisme, existait malgré leur inimitié un rigoureux parallélisme. Non seulement les événements, depuis lors et jusqu'à la récente occupation de la Tchécoslovaquie, n'ont pas démenti ce diagnostic, mais la définition même du « culte de la personnalité » par Khrouchtchev, dans son fameux Rapport secret de 1956, a confirmé de manière indubitable la raison théologique d'un tel parallélisme. Cf. la Postface de la réédition d'Autorité et Bien commun (1944), Aubier, 1969, où je cite cette défi- nition et analyse ce Rapport en montrant qu'un tel « culte... surnaturel » est si essentiel à « l'esprit du marxisme-léninisme » que sa dénonciation ne peut avoir d'autre motif ni d'autre effet que d'en camoufler la perpétuation au profit du Parti.

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I

Bien qu'il ait inauguré l'analyse de l'être-historique, Hegel n'en a pas fait cependant l'objet d'une réflexion proprement thématique. Preuve en est la rareté du terme Geschichtlichkeit, dans son œuvre Aussi, pour pénétrer sa pensée sous cet angle, il me parut nécessaire de tenir compte non seulement de sa genèse propre, mais aussi de ce qu'elle était devenue. D'abord dans sa postérité immédiate, en particulier chez Marx et Kierke- gaard qui lui opposent des critiques contraires et plus lointainement,

4. Dans « Geschichtlichkeit », Wege und Irrwege eines Begriffs, 1963, Gerhard Bauer relève, p. 23, que ce mot a été employé pour la première fois par Hegel dans ses Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie pour caractériser l'existence des Grecs qui, à tous égards et sous les rapports « physique, civique, juridique, éthique et politique », avaient le sentiment d'être chez eux dans leur monde — Heimatlichkeit — qui constitue « le caractère de la libre et belle Geschichtlichkeit » et par suite « le germe de la liberté qui pense », donc « de la philo- sophie » (WG, XVII, 189-190).

En 1966, Leonhard von Renthe-Fink, dans son livre intitulé aussi Geschichtlichkeit, signa- lait un second emploi de ce mot, avec un sens différent et plus proche du nôtre. En effet, dans ses mêmes Leçons, Hegel loue les Pères grecs d'avoir défendu et maintenu contre les gnostiques la réalité effective du Christ sous forme objective. Ils ont ainsi conservé « cette intime liaison de l'Idée et de la figure historique. C'est donc la véritable Idée de l'Esprit et en même temps dans la forme déterminée de la Geschichtlichkeit » (ibid., XIX, 137 ; pour la discussion critique de ces deux textes, cf. op. cit., 22 et s.). Passage capital, car Hegel y défend aussi contre les Sociniens de son temps la réalité historique et la divinité du Christ pour la raison suivante : « Or, dès qu'est écartée la divinité du Christ, il n'y a plus de Trinité, et par suite le fondement de toute la philosophie spéculative disparaît » (ibid., 138). Il est dif- ficile de marquer plus clairement l'origine théologique de la spéculation hégélienne.

Enfin, dans le premier tome de l' Esthétique, éd. Lasson, on trouve une troisième fois ce mot, mais dans le titre d'une sous-section : III, Geschichtlichkeit und Anachronismus (362). Mais, si ce second terme se rencontre à plusieurs reprises dans le texte du paragraphe, le premier au contraire en est absent. Ce qui laisse croire qu'il doit être mis au compte de l'éditeur plutôt que de Hegel.

5. Pour avoir compris mieux que personne avant lui l'importance de la Phénoménologie et de son ambition : « comprendre l'histoire », le jeune Marx n'en reprochait pas moins au Système de se contenter d'embrasser seulement le passé d'un « regard rétrospectif » (Enc., § 573) ; de sorte que le philosophe, même s'il avait ainsi atteint l'Eternel, restait face à un avenir indéterminé et sans prises sur lui. De là sa volonté de « réaliser la vérité » du Système, de la faire « devenir-monde » au moyen d'une suppression réciproque de la philosophie et du prolétariat, qui, par l'assomption supprimant l'un et l'autre, rendrait effectif le Savoir absolu et atteindrait du même coup « la fin véritable... de l'Histoire » (Oekonomisch- philosophische Manuskripte aus dem Jahre 1844, MEGA, I, III, 114 ; Doktordissertation Anmerkungen, MEGA, I, I, I/I, 64 ; Zur Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie, MEGA, I, I, I/I, 607-621). A l'inverse, Kierkegaard opposait au « système historico-mondial » la revendication du « penseur subjectif » dans l'existence, et à l'anthropologie feuerbachienne, issue de la théologie spéculative, le paradoxe de la foi dont le religieux B doit se rendre contemporain. Miettes philosophiques et Postscriptum aux « Miettes », trad. Petit, 380 et s.

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en fonction de la Critique de la Raison historique qui, après Dilthey et Yorck, devait susciter en Allemagne les néo-kantiens et déboucher finalement sur les philosophies de l'existence de Jaspers et de Heidegger, en même temps que donner lieu en France à l' Introduction à la Philosophie de l' Histoire (1938) de Raymond Aron

Ces objections opposées et une postérité aussi diverse n'avaient-elles pas pour origine une relation ambiguë entre le Système et l'Histoire, qu'attestait le changement survenu du vivant même de Hegel, dans la place que devait y occuper la Phénoménologie? En 1807, celle-ci se pré- sentait « comme première partie du système de la science » lequel devait comprendre une seconde partie se subdivisant, semble-t-il, en Logique, Nature et « Histoire comprise » (563-564). Mais en 1812 cette bipartition paraît se réduire à un « rapport extérieur » avec le Système dont le troisième terme n'est plus Histoire, mais Esprit ( Wissenschaft der Logik, éd. Lasson, I, 8). Et si, en 1817, la Phénoménologie a encore droit au titre de « première partie », en tant qu' « histoire scientifique de la conscience » que présuppose la pure science, « parce que s'y engendre son concept » (Enc., § 36 ; WG, VI, 48), par contre, en 1827, elle devient, après une mention purement historique de ce titre, une simple « introduction » (Enc., § 25 Rm). Quelle portée attribuer à un pareil changement où la dualité devient triade? A-t-il quelque rapport avec le fait que dans la dialectique, âme du Système, on peut « compter trois ou quatre moments » (PG, 538 ; L, I, 497-498) et que le Sein-für-anderes s'insère parfois dans l'an-sich, le für-sich et l'an- und-für-sich ? Et comment interpréter le cercle qui, par opposition à « la ligne droite, image du progrès indéfini » ou mauvais infini, est au contraire le symbole du « vrai infini, du Concept » (L, I, 138-139) et aussi du syllo- gisme ? Symbole polyvalent, puisqu'il devient triple, sinon quadruple, pour figurer les « trois syllogismes qui n'en font qu'un », sommet de l' Encyclopédie, et même « cercle de cercles » pour décrire le Système (Enc., § 15, et L, 504). Et comment se représenter les mouvements variés dont Hegel se sert constamment pour construire ce symbole et figurer à travers lui « l'auto- mouvement du Concept » : « scission et expansion », « contraction et réunion », « marche-avant vers une détermination ultérieure » et « marche- arrière pour fonder le début » (L, II, 503) du cercle qui, bien que « sans

6. « ... als der erste Teil des Systems derselben », PhG, éd. Hoffmeister. Mots supprimés par Hegel lors de la correction des épreuves, en 1831, pour une seconde édition (26 et 284).

a. Cf. G. Fessard, La philosophie historique de Raymond Aron, Paris, Julliard, 1980.

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A LA DERNIÈRE SÉANCE DE SON CÉLÈBRE SÉMINAIRE SUR HEGEL A L'EPHE (1933-1939), SUIVI PAR LACAN, BATAILLE, MERLEAU-PONTY, ETC., ALEXANDRE KOJÈVE DEMANDA LES CRITIQUES DE DEUX DE SES ÉLÈVES : L'UN D'EUX ÉTAIT RAYMOND ARON.

L'AUTRE ÉTAIT LE P. GASTON FESSARD, S.J. ( 1897-1978). IL FUT PEUT-ÊTRE LE PLUS CRÉATEUR DES NOUVEAUX LECTEURS DE HEGEL, QU'IL FIT DIALO- GUER AVEC IGNACE DE LOYOLA, CHEZ LEQUEL IL DÉGAGEA DES DIALECTI- QUES QUI ANNONCENT HEGEL, VOIRE LE COMPLÈTENT OU LE CORRIGENT.

CE LIVRE CONDENSE CINQUANTE ANS D'UNE CONFRONTATION CONSTANTE AVEC HEGEL ET SA POSTÉRITÉ CHEZ MARX ET KIERKEGAARD. LE P. FESSARD Y MÉDITE QUATRE ASPECTS CENTRAUX : L'HISTORICITÉ, LE LANGAGE, LES RELATIONS FAMILIALES, ET L'HERMÉNEUTIQUE DU CHRISTIA- NISME - QUE HEGEL VOULAIT TRADUIRE EN LANGAGE RATIONNEL.

LE RATIONALISME DE HEGEL EST LIÉ A SON PROTESTANTISME. SON REFUS DU MAGISTÈRE DE L'ÉGLISE, DE LA PERMANENCE DE LA PRÉSENCE RÉELLE DANS L'EUCHARISTIE, ET DES VŒUX DE RELIGION PROCÈDE D'UNE PENSÉE DU LANGAGE OÙ LE SIGNE PRÉVAUT SUR LE SYMBOLE.

LA MISE EN CAUSE DE CE PRIMAT PERMET UNE CONFRONTATION DE HEGEL AVEC LA PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE DANS SON RAPPORT AUX SCIENCES DE L'HOMME.

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