le christianisme et les femmes

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  • Introduction

    Visages de femmes. Dici et dailleurs, de prs ou de trs loin, dans le temps ou lespace. Visages de la grce ou visages du malheur. Visages inonds de douceur ou visages de souffrantes. Visages durcis par des combats sans bont. Visages cachs sous le voile des tchadors. Visages nis par limpudeur dun corps exhib. Visages de mres tourns vers le secret du monde, penchs sur lenfant naissant ou sur celui qui meurt. Visages de femmes dans la guerre, patientes, endurantes, obstines plus que lobstination folle des armes. Visages dorantes qui se livrent au mystre de Dieu... Tant de visages de femmes o converge toute la condition humaine.Au milieu de grandes tourmentes, le xxe sicle aura t, dans lhistoire des cultures, ce moment o tous ces visages de la fminit moiti si souvent cache et anonyme de lhumanit ont impos leur prsence la conscience commune, comme jamais encore par le pass. Que les femmes existent, qui en aurait dout ? Mais quelles existent part gale avec les hommes, dotes dune gale dignit, en charge de rles

  • aussi essentiels... cette vidence est toujours demeure bien plus problmatique.Ainsi, notre monde contemporain sest mis parler dune cause des femmes dfendre comme une des grandes causes de civilisation. Pour autant, certes, en bien des points du globe, les femmes ne sont pas moins enfermes que leurs anes, moins humilies par des murs ancestrales, soumises la tyrannie des hommes, asservies aux basses tches. Mais ce qui tait vcu par les socits avec un naturel paisible est devenu aujourdhui moins naturel et moins supportable. Lvnement est considrable. Cette prise de conscience sest vcue et se vit, prsentement encore, dans les pays occidentaux, avec une bonne dose de passion, parfois daveuglement.Mais on ne peut traiter froid des ralits aussi sensibles : celle du face--face, o un tre apprend qui il est, en reconnaissant cet autre, proche et diffrent, dans le sexe oppos ; celle de lhistoire immmoriale des hommes et des femmes qui, tout la fois, sattirent et se combattent.Lvidence est que, en ce combat, ce sont les

  • femmes qui, non moins immmorialement, ont tenu la place des vaincus ou du moins des domins. La force physique des hommes nest pas tout, mais elle autorise lide simple dune supriorit. cela se sont ajoutes dautres ides moins simples, mais redoutablement efficaces : la misogynie se nourrit dlaborations subtiles o la peur de lautre a dailleurs une place majeure.Les cultures ont tiss un rseau de justifications raffines. Les religions ont apport leur contribution zle dans bien des cas. La gographie des asservissements les plus rigoureux correspond aujourdhui en partie des sphres dinfluence religieuse. Mais il ne faut pas tre simpliste. Un Mao Ts-Toung, qui ne fut pas spcialement religieux, pouvait traiter les femmes, quil tenait pour la moiti du ciel , avec une perversit terrifiante. La Russie sovitique, qui se dclarait favorable aux femmes, dfigura bien plus quelle ne libra la condition fminine : on ne libre pas les femmes en leur faisant partager avec les hommes des tches de terrassier. Quelque chose dans cette affaire touche aux racines de la condition humaine. Et il est poignant de voir, au sein mme des combats

  • actuels, que les leurres et les illusions ne manquent pas. On peut dfendre les femmes dune manire qui trahit le meilleur de la vie fminine et qui, du coup, trahit aussi lhumanit.Dans nos socits occidentales, celui qui sintresse aux sources de lantifminisme interroge naturellement le fondement judo-chrtien des murs et des mentalits. Un lieu commun cet gard consiste incriminer les sources bibliques de notre histoire. Tous les malheurs des femmes viendraient dune tradition qui dclare que tous les malheurs du monde viennent des femmes. Lalination des femmes, dans notre Occident, aurait pour origine linfluence dune glise, institution massivement masculine, hostile aux femmes ou mfiante leur gard.Cette pense est rpte aujourdhui par beaucoup, y compris dans les rangs dun fminisme qui se rclame de la foi chrtienne. Et coup sr, elle trouve des preuves tout au long de notre histoire ! Qui nierait, par exemple, quil y a une ralit gnante voir les femmes bien moins souvent canonises que les hommes, tout spcialement jusquau XIXe sicle ? Comment se

  • fait-il que la majorit de celles qui furent leves sur les autels furent des vierges consacres, laissant dans lombre peu prs systmatiquement celles qui avaient enfant ? Ou encore, comment se fait-il quune collection pornographique ait nagure vu, dans un manuel de confession ancien, un texte suffisamment piquant pour dcider den entreprendre la publication ? Incontestablement, la relation entre lhomme et la femme est demeure, au long des vingt sicles passs de christianisme, difficile ngocier.Elle dessine en fait une histoire mlange qui ne se rduit ni aux ombres que recense un procs passionnel du christianisme, ni ce quune apologtique trop presse veut retenir seulement. Car si, en son rgime prsent dexistence, lglise se connat comme lieu de la conversion, du passage de lobscurit la lumire, de la mort la vie, comment aussi stonner que les chrtiens aient ttonn, parfois err en ce domaine ? Un vieil apophtegme des Pres du dsert dcrit assez bien la difficult entrer ici dans une relation juste : un moine chemine dans le dsert, il croise soudain un groupe de moniales et se dtourne

  • alors de son chemin pour les viter; retrouvant lune delles plus loin, il sentend reprocher : Si tu avais t un moine parfait, tu ne te serais mme pas rendu compte que nous tions des femmes ! Lhistoire nest que partiellement difiante... Car le problme est de voir dun regard droit et clair, et non de fermer les yeux. Dans un certain nombre de cas, les chrtiens nauront su faire mieux que dluder le face--face complexe et forcment non dnu de prils de cette relation, o les penses saccompagnent souvent darrire-penses, o le jeu du dsir se glisse l o lon croit le tenir distance. Le cur nouveau, dont parlent les prophtes, existe certes. Il est la source de la saintet de lglise. Mais il ne va pas sans combat ou, si lon prfre, sans conversion une grce qui gurit les maux que lhumanit ne sait quamnager. Or cette conversion du regard et du cur comprend des dlais, lchelle de lhistoire comme lchelle des vies individuelles.Les pages que lon va lire sinscrivent dans cette situation subtile. Nul ncrit, en ce domaine, quen engageant son histoire personnelle. Et nul ne lit dailleurs qu partir de la sienne. Le projet

  • que lon forme ici est de reparcourir lhistoire de notre monde europen avec ses obscurits, mais aussi ses avances. Il est de retrouver la trace des chrtiennes qui y vcurent, y uvrrent, y tissrent la vie, peut-tre un niveau ignor ordinairement par un regard masculin centr sur ses valeurs, mais qui pourrait tre, en revanche, la vrit la plus profonde de lhumanit. Il est enfin de se laisser porter par une conjoncture indite, celle de notre prsent, o un homme minent, un chrtien, a su, avec un regard clair et un cur duqu par la foi, regarder les femmes quil croisait, tre touch par leur dignit et la dclarer haut et fort aux socits de ce temps. Que cet homme soit un pape, Jean-Paul II, auteur dune lettre apostolique, qui a pour titre prcisment Mulieris dignitatem, La dignit de la femme , suggre que nous vivons, en ce domaine comme en dautres, un moment important de lhistoire.Ainsi, mme si un climat souvent passionnel rend lentreprise dlicate, lheure prsente est certainement propice identifier enfin la part qui revient aux femmes dans la vie de lhumanit. Saisie dans lpaisseur de la tradition biblique, celle-ci est plus subtile et plus grande que ce

  • quen disent beaucoup de discours dopinion ou mme de combat. Cest pourquoi les mots du psaume de la Bible o un lvite dIsral voque la part qui me revient (Ps 16, 5-6) et sen merveille, pourraient bien, paradoxalement, convenir aussi lexistence fminine, en sa ralit essentielle, envers et contre toutes les vidences dune histoire douloureuse.

  • Chapitre premier

    Au commencement, la lecture des critures

    Lhistoire des femmes dans le monde chrtien nous renvoie tout dabord aux textes des critures. Celles-ci constituent la rfrence premire travers quoi, en Occident, des reprsentations se sont labores, une anthropologie et un imaginaire se sont construits, des prjugs aussi parfois ont cherch leurs appuis. Parce que la rvlation biblique est coextensive la vie dun peuple, aux travaux et aux jours, et parce que la vie dun peuple est tout instant associe des femmes qui aiment, enfantent, dfendent la vie, parce que, enfin, luvre de Dieu porte ici le nom dAlliance, cest toute la Bible quil faudrait interroger pas pas. Nous nous contenterons de quelques arrts en des points stratgiques.Les textes voqus appartiennent videmment un monde quune grande distance spare de nous. Quoi de commun entre nos socits modernes avec leurs savoirs, leur matrise de la vie, leurs

  • exigences dgalit plus ou moins honores, et les socits du Proche-Orient ancien quvoquent lAncien et le Nouveau Testament, qui pratiquent le lvirat, la polygamie, reposent sur des structures rsolument patriarcales ? Le risque dinterprter trop vite, en projetant anachroniquement nos questions, en jugeant laune de nos rponses, est videmment grand. Lire est toujours entreprise difficile. Cest pourquoi dailleurs ces textes qui touchent des ralits anthropologiques particulirement sensibles ont t normment sollicits, interprts au long des sicles, mais nont peut-tre pas toujours t vraiment lus. Lexgse moderne, utilise sans passion partisane, peut nous faire redcouvrir toute lintelligence dont, par-del un monde rvolu, ils sont porteurs. Notre prsent pourrait en recevoir quelques lumires. On va en juger.

    Le monde du Premier Testament.

    Reines et servantes, prostitues et chastes, souveraines et domines, femmes violentes et figures de douceur, anonymes et femmes

  • clbres, le Premier Testament foisonne de figures fminines. Il est essentiel de ne pas rduire trop vite cette belle diversit. La femme selon la Bible ne se confond ni avec la figure diabolise dune certaine tradition de lecture du chapitre 3 de la Gense, ni avec la figure du chapitre 31 des Proverbes, trop htivement interprte comme loge dune femme industrieuse voue aux soins domestiques. Il est tout aussi essentiel de se souvenir que le fminin est impliqu, dans la Bible, travers toute la thologie de lAlliance dont la mditation des Pres de lglise aussi bien que lexgse moderne discernent le dpart ds les premiers chapitres de la Gense.

    La bont des commencements.

    Les trois chapitres inauguraux du livre de la Gense mritent, plusieurs titres, une mention spciale. Clbres entre tous, ils ont model les reprsentations et inspir les comportements. En voquant lorigine, la Gense dit ce qui fonde et organise la vie. Ainsi, cest bien une anthropologie qui snonce mystrieusement en

  • ces pages qui, interminablement cites, commentes, invoques, ne cessent de hanter notre littrature et notre art jusqu lpoque moderne. Mais le problme est que lon ne peut parler de lorigine comme on raconte les faits dune vie ou les vnements de lhistoire vcue. Toute naissance est un mystre. Cela, les anciens le savaient fort bien, qui mobilisrent prcisment des langages dont leurs successeurs perdirent la cl. Le fait que la Bible ait maintenu deux textes de cration, impossibles concilier tant quon leur prte une vise raliste, devrait au moins nous alerter. Mais beaucoup de gnrations de lecteurs prfrrent, de fait, taxer de maladresse ou de navet les rdacteurs bibliques, plutt que de renoncer lide que le monde avait matriellement commenc sous la forme dun jardin, o une femme, faible comme le sont les femmes, avait trop bavard avec un serpent et avait entran en sa chute un mari innocent. En fait, ce texte est dune subtilit redoutable et il aborde avec autant dintelligence que de gnrosit la question du couple. Mais il nouvre son sens quau lecteur qui dpose ses prjugs et est prt entendre du neuf.

  • On remarquera dabord que la scne de la tentation (chap. 3), qui occupe une place si forte dans notre imaginaire, ne vient quau terme de deux chapitres qui prsentent sous un jour rsolument positif le couple humain, et la femme en particulier. Ainsi, le chapitre 1 sarrte longuement sur la cration de lhumanit, demble articule par la diffrence entre homme et femme, gaux dune mme dignit souveraine, puisquelle est celle dtres crs limage de Dieu (1, 27). Tout tre venant en ce monde est pris dans ce face--face avec lautre, o se joue aussi quelque chose du visage de Dieu. Quelle que soit la suite de lhistoire, rien ne pourra rendre caduc le commentaire divin prononc au soir du sixime jour : Dieu vit que cela tait trs bon (Gn 1, 31).Le chapitre suivant, qui reprend lvocation de la cration sur un tout autre mode, soffre le luxe dun rcit spcifique de cration de la femme, sans quivalent dans les littratures anciennes voisines dIsral. De surcrot, il prsente celle-ci comme une ncessit vitale : Il nest pas bon que lhomme soit seul. Faisons-lui une aide qui lui soit assortie (Gn 2, 18). Il est vrai que

  • lexpression employe ici peut tre dtourne, et elle na pas manqu de ltre. En fait, le mot aide qui figure dans le texte (ezer en hbreu) est loin davoir un sens banal. Il est employ ordinairement dans la Bible pour dsigner un secours que Dieu apporte lhomme en des moments de pril. Stricto sensu, la femme, est donc prsente comme secours vital, octroy par Dieu, et sans lequel la cration chouerait, sabmant dans le vis--vis narcissique, donc mortel, de lAdam avec lui-mme. La mise en scne de la cte, do la femme est tire, nest quune manire dexprimer, loin de tout langage spculatif, une mme et identique nature. Il nest que de continuer lire pour le vrifier. Mis en prsence de la femme, lhomme ouvre la bouche pour la premire fois, et il dit son admiration, reconnaissant en cette autre une proche, os de mes os, chair de ma chair . Naissance de la femme, naissance du langage, donc naissance de lhomme. Le chapitre sachve sur la vision dun homme qui quitte son pre et sa mre pour sattacher sa femme. Et ils deviennent une seule chair . Le rcit poursuit : Et ils taient nus et ils navaient pas honte lun devant lautre (Gn

  • 2, 25). L est bien pour la Bible le plus originel de lhumanit, ce qui ne cessera de commander quoi quil arrive ensuite les qutes les plus profondes comme les rves les plus tenaces de lhistoire humaine.

    La relation blesse.

    La lecture du chapitre 3 introduit une priptie qui rend compte dun autre pan, ngatif cette fois, de notre exprience prsente. Mais cette suite du rcit nannulera pas redisons-le le message que lon vient dentendre. La scne du serpent est connue entre toutes. Elle est aussi recouverte dinnombrables interprtations systmatiquement occupes tirer parti de ces versets pour accabler la femme, argumenter les faiblesses dune nature fminine responsable de tous les malheurs du monde. Certes, le texte est redoutable, plein de silences et dellipses dans lesquels le lecteur sengouffre, dvoilant sans sen rendre compte les prjugs quil porte, les intrts quil veut servir. Ainsi, pourquoi le serpent interroge-t-il la femme et non lhomme qui a reu, seul, le double commandement divin concernant lusage des

  • arbres du jardin ? En fait, tous les dtails comptent ici, si lon veut rejoindre la subtilit du rdacteur qui dpasse souvent celle du lecteur. Ainsi, cest une intention pleine de sens qui campe la femme face un homme muet dans le rle dune mre nourrissant un enfant. Aprs le couple dcrit en Gense 2, et qui rapparatra dans la seconde partie du chapitre 3, le rcit fait le dtour par une figure maternelle, dont les traits seront dailleurs confirms par la sentence suivant la transgression ( Dans la douleur tu enfanteras ) et par le titre que lhomme donnera sa femme ( Mre des vivants ). Comment comprendre cette introduction dune note maternelle ? Peut-tre en constatant que ce rcit na pas simplement pour objet de dire comment le mal entre dans le monde, mais quil est occup autant par cette grande et sombre solidarit qui fait que tout homme venant au monde est complice du mal. Ds lors, on voit lintrt de mettre en scne une femme, non pas identifie comme une pouse tentatrice et dangereuse comme on laffirme au long des sicles, dans la littrature moderne aussi bien que dans celle du Moyen ge , mais une femme-mre, qui, de

  • gnration en gnration, est le relais dune condition humaine dsormais blesse. Nous sommes loin de laccusation qui ferait de la femme la seule responsable du mal. Dailleurs, lorsque le texte rend la parole Dieu, il est clair que celui-ci ne ratifie nullement la dclaration de lhomme dnonant la femme ( Cest la femme que tu as place ct de moi... ). Lun et lautre sont mis la porte du paradis terrestre, lun et lautre sont privs de laccs larbre de vie, lun et lautre entrent dans le temps dune vie o la violence fera loi : Vers ton homme se portera ton dsir et lui dominera sur toi (Gn 3, 16). Ce bref demi-verset rend compte lapidairement dune interminable histoire recommence sous toutes les latitudes et en tous les temps. Mais il est capital de se souvenir que le rgime de relation qui est ainsi typ nest, pour la Bible, que la forme dgrade, non originelle, en cart avec le plan de Dieu, de ce que hommes et femmes ont vivre ensemble. Ainsi, au terme du chapitre 3 de la Gense, se formule une question pressante : quand et comment lhumanit pourra-t-elle rejoindre la plnitude dharmonie que dsignait le chapitre 2 ?

  • Enfin, ce texte livre un autre enseignement essentiel. Si dsormais, cest--dire dans le prsent de la condition humaine, la relation de lhomme et de la femme inclut mconnaissance et rivalit, cela signifie aussi que toute spculation, tout projet pour amnager ce face--face, risquent, un moment ou un autre, dtre rejoints par les effets du drame que le vieux rcit de la Gense vient de dsigner de manire symbolique. Tout regard de lun sur lautre contient provisoirement une part dobscurit. Lavertissement mrite dtre entendu par quiconque entreprend de dbattre du sujet ou simplement de revisiter lhistoire des rapports mutuels entre hommes et femmes.

    Femmes de lhistoire biblique.

    Lenseignement recueilli dans ces premiers chapitres vient immdiatement clairer la suite du texte biblique. Linventaire des femmes de la Bible met en prsence des figures tour tour positives et ngatives. Il ramne aussi le souvenir de femmes dont la personnalit associe ce que nous appelons le meilleur et le pire. Ainsi du livre

  • de la Gense, au-del des pages consacres la cration. On y rencontre en priorit les matriarches qui dominent le texte de leur grande silhouette ancestrale et de leur solide humanit. Elles sont, selon les moments, des pouses aimables, des femmes dvoues ou jalouses, ventuellement des ruses au service de leur progniture. Cette trs ancienne mmoire dIsral a port jusqu nous lhistoire damours pleines de fracheur et de belle passion, comme celle de Jacob, poux de La et de Rachel. Mais on y rencontre aussi la femme de Loth, change en statue de sel pour prix de sa dsobissance (Gn 19, 26), celle de Putiphar, la femme du vizir gyptien, qui cherche sduire Joseph. Certaines ont des comportements que notre morale rprouve alors que lhistoire biblique reste plus ambivalente leur gard. Les filles de Loth enivrent leur pre pour sunir lui : mais cest ce qui permettra aux Moabites et aux Ammonites dexister. Tamar sduit son beau-pre Juda par un stratagme trs douteux (Gn 38, 6-30), mais elle assurera ainsi la suite de lhistoire dIsral en sa descendance davidique, qui conduit au Messie. Et, bien faire les comptes, en ce dbut de

  • lhistoire dIsral, les hommes veules, violents, immoraux, sont largement aussi nombreux que les femmes douteuses, mme si limaginaire a pu se fixer plus volontiers sur la femme de Loth que sur Sichem qui viola Dina (Gn 34, 2).Au-del du livre de la Gense dfilent dinnombrables femmes : femmes dIsral courageuses et fortes (comme Anne, lpouse dElcana et la mre de Samuel), trangres et dangereuses (comme Dalila, Jzabel), exemplairement fidles (comme Ruth), sans parler de Rahab qui vient en aide Isral lors de lentre en Terre promise. Ce sont encore des femmes intgres opposes des hommes pervers (telle Suzanne), des femmes dont le courage sauva le peuple des plus grands prils (telles Dborah, Judith ou Esther). Certes, il est peu de prophtesses parmi elles, bien que soit mentionne Hulda, que le roi Josias va consulter aprs la dcouverte du rouleau de la Loi. Ce sont des hommes (un Mose, un David, un. Salomon, un zchias) qui sont aux avant-postes de la vie religieuse et de la politique. Mme les reines restent gnralement dans lombre des hommes. Mais le miracle est bien quen cette socit aux

  • structures patriarcales, les grands aiguillages de lhistoire relvent, malgr tout, des femmes. Non seulement elles mettent des enfants au monde, mais elles rusent, en cas de besoin, pour dfendre la vie : que lon songe la conjuration fminine laquelle Mose doit davoir exist (les sages-femmes dIsral dsobissent Pharaon qui a donn lordre de mettre mort les enfants mles, la fille du mme Pharaon recueille lenfant). L o la vie dIsral est menace par lennemi, des femmes surgissent, raniment le courage et rouvrent lavenir. En un mot, ces femmes ne sont pas simplement des mres silencieuses. Elles savent sortir de la pnombre de leur vie anonyme quand il faut confondre un tyran. LOccident chrtien, par sa foi aussi bien que par les images de son art, na cess dinterroger ces figures de femmes.

    La tradition des prophtes.

    On la dj suggr, le fminin biblique trouve dans la thologie de lAlliance lun de ses lieux essentiels. Mme si, au sortir du chapitre 3 de la Gense, la relation de lhomme et de la femme est

  • blesse et altre, elle conserve assez de poids et de lgitimit pour servir de rfrence la rvlation du lien que Dieu met entre lui et le peuple de son choix. poux et pouse se dit, dans la Bible, autant de la relation entre Dieu et Isral quentre lhomme et la femme. La rinterprtation dune alliance initialement calque sur les contrats entre vassal et suzerain en alliance damour reprsente une tape capitale de lhistoire de la foi dIsral. On sait que le premier tmoignage en est le livre dOse o Dieu dnonce linfidlit du peuple par le truchement dun prophte qui vit dans sa propre existence le drame de linfidlit. La femme aime qui se prostitue en courant aprs ses amants devient figure du peuple aim qui se dtourne de Dieu pour sacrifier aux idoles. On ne peut contester que cette manire didentifier le peuple, non seulement une figure fminine ce qui est banal dans le monde ancien mais une femme infidle, contribue charger trs ngativement la partie fminine du couple. La mtaphorisation de la fidlit et de linfidlit lAlliance par le masculin et le fminin instaure ncessairement, dans limaginaire, une redoutable dissymtrie.

  • tout moment en effet, le lecteur risque de perdre de vue que le fminin ici est son tour mtaphore du peuple qui runit hommes et femmes dans une infidlit, o ces derniers ont au moins autant de part que les femmes. Isae le rappelle : ce sont les prtres, les chefs dfaillants du peuple qui conduisent le grand nombre la ruine de linfidlit (voir chap. 3). Et cest le peuple, hommes et femmes, se prostituant et errant loin du Dieu de lAlliance, que celui-ci, dans le livre dOse, dcide de reconqurir en renouvelant les jours du dsert. Il est sr que ce langage biblique, si rigoureux soit-il, expose de dangereux dtournements dans un monde o, daprs Gense 3, lhomme passe son temps renvoyer la faute de lui vers la femme.Cependant, ces dispositions ont une contre-partie : lorsque vont saffermir les perspectives dun salut, une figure fminine va apparatre, remarquablement lumineuse. Ce sera celle de la sainte Sion : reprsentation du peuple recr par Dieu dans la justice et la saintet, dans la tendresse et dans lamour (Os 2, 21), pouse jubilant devant son Dieu, revtue des vtements du salut, drape dans le manteau de la justice (Is

  • 61, 10), qui le prophte annonce : Tu seras une couronne brillante entre les doigts de Dieu, un turban royal dans la main de ton Dieu (62, 3). Le fminin biblique est insparable de ces images qui clbrent une femme dans la splendeur dune beaut qui rjouit le cur dun Dieu poux. Et les oracles du livre dIsae, prcisment, vont suggrer plus encore, en associant au mystrieux serviteur, qui sera la gloire dIsral et qui justifiera les multitudes, cette sainte Sion, partenaire en quelque sorte de luvre de salut que Dieu va raliser. En ce point sopre un extraordinaire renversement : alors que le masculin apparat si souvent inclusif du fminin dans le texte biblique, ces textes suggrent que le masculin ne pourra entrer dans la perfection de lAlliance quen accomplissant les figures fminines de la saintet.

    Dans les livres sapientiaux.

    Enfin, une dernire contribution la reprsentation biblique du fminin doit tre mentionne. Elle est celle des sections de la Bible appartenant la littrature de sagesse. Pour partie,

  • il faut ladmettre, cette littrature livre surtout de mauvaises penses sur les femmes. Contamine par une veine populaire traditionnellement trs dfavorable aux femmes, elle recueille nombre de proverbes dune mchancet cinglante, qui dnoncent la femme acaritre, importune, querelleuse, plus irritante quune gouttire qui fuit (Pr 19, 13). En ces textes, les femmes sont tout la fois le mauvais gnie de lhomme et la source de ses tourments. On pensera, en ce sens, la femme de Job, qui conseille son mari prouv de maudire Dieu avant de mourir (Jb 2, 9) ou celle de Tobie qui tourmente son mari (Tb 2, 14). En retour, il est vrai, les mmes textes font de la femme sage le plus grand des biens (Pr 18, 22; 19, 14). En fait, Qoheleth sait dire la fois : Je trouve plus amer que la mort : la femme (Qo 7, 26) et Prends la vie avec la femme que tu aimes (Qo 9, 9). Dailleurs, lune des figures les plus lumineuses de la Bible est tout de mme bien celle de la reine de Saba, dune sagesse gale celle de Salomon, puisquelle fait le voyage de Jrusalem pour tester sa sagesse, et quelle sait en reconnatre, non seulement ltendue, mais aussi la source : elle bnit le Dieu dIsral, entrant elle-

  • mme par l dans la bndiction des nations promise Abraham.On noubliera pas non plus que la Bible comprend une ample et forte pense dune fminit place proximit immdiate de Dieu. Certes, la figure de la Sagesse reste en partie mystrieuse. Elle rappelle, au point de dpart, une desse honore dans le monde paen. cause de cela, Isral aurait d lcarter. Pourtant elle na pas t conduite, mais au contraire rinterprte et valorise aprs lExil. Signe dune promotion de la femme dans la socit biblique qui aurait gliss une rfrence fminine dans la reprsentation du divin ? La Bible ne se laisse normalement pas influencer par les volutions sociologiques quand la rigueur du monothisme est en cause. Il semble plutt que ce soit lapprofondissement du mystre de Dieu et de son plan qui conduise, aux derniers sicles avant le Christ, donner son ampleur la figure de la Sagesse.

    Le Cantique des cantiques, gloire de lamour.

    Au point le plus avanc de cette inspiration figure

  • le Cantique des cantiques. Un verset, un mot, peut sembler voquer, un instant, une preuve passe, une infidlit (Ct 1, 5 : Je suis noire, mais/et belle, filles de Jrusalem ). Mais, en ralit, tout ce petit livre se situe rsolument du ct de la beaut exalte, de ladmiration rciproque, dune parit sans rserve. Cest le monde de Gense 2 qui resurgit. La lecture littrale du texte, chre aux modernes, met en valeur ce regard foncirement positif que la Bible pose ici sur le couple humain, et sur la femme en particulier. On ne trouve l aucune rticence clbrer le bonheur daimer et dtre aim, exprimer la beaut des corps et la connivence de la nature avec eux. La lecture spirituelle, pratique par la tradition, applique cette bont jubilante la relation entre Dieu et son peuple, ou encore entre Dieu et le cur de cet homme que le psaume dsigne comme l amant du nom de Dieu (Ps 5, 12). On doit considrer comme une grce que la Bible accueille ce texte qui manifeste, comme aucun autre, une si parfaite confiance dans la bont de la cration, en premire place de laquelle figure le couple humain.

  • La femme dans le Nouveau Testament.

    Dans la proximit de Jsus.

    On souligne volontiers aujourdhui, et juste titre, la place qui est faite aux femmes dans les vangiles. Cette lecture nouvelle rompt heureusement avec de vieux partis pris. Elle appelle cependant certaines prcautions. Car, de la mme faon que ces textes ont t invoqus au long des sicles par des argumentations ingalitaires, ils deviennent facilement aujourdhui les appuis de discours partisans : un Jsus rvolutionnaire sy montrerait le dfenseur des droits des femmes, anticipant sur une volution qui aurait d attendre notre sicle pour toucher les consciences. France Qur mettait en garde nagure contre ces relectures intempestives, qui noircissent volontiers la socit des temps vangliques pour mieux faire ressortir laudace de prtendues transgressions libratrices de Jsus. Certes, celui-ci ignore ostensiblement les tabous qui psent sur les femmes quil rencontre au cours de son ministre : il se laisse toucher par la femme qui perd son sang (Mt 9, 20 s.), il accepte

  • lhommage aux accents tellement sensuels de la pcheresse que dcrit lvangile de Luc (7, 36-50), il demande de leau une Samaritaine, ltrangre infrquentable (Jn 4, 1-42). Mais tout cela nempche pas que larrire-plan des rcits vangliques reste celui dune socit o la femme demeure une mineure, juridiquement parlant, confine dans une partie rserve du Temple, ou encore dispense de la clbration des ftes annuelles comme de la prire publique.Ces dispositions dfavorables demeurant intactes, il est vrai que, au dire des vangiles, de nombreuses femmes accompagnent lhistoire de Jsus et lannonce de la Bonne Nouvelle. Ds louverture de lvangile de Luc, cest autour de Marie, bien sr, mais aussi dlisabeth, que se noue luvre du salut, reconnue et clbre par Anne, la prophtesse attendant dans le Temple, comme Symon, la ralisation des promesses. lautre bout du rcit, la fin des vangiles, des femmes, de nouveau, se htent vers le tombeau, au matin de Pques, devanant les aptres. Dans lintervalle, dautres se pressent, nombreuses et diverses, tout au long du ministre de Jsus. Il y a les femmes dont les synoptiques rapportent

  • quelles le suivaient depuis la Galile et montrent avec lui Jrusalem, lheure de sa Passion (Lc 8, 2-3; Mt 27, 55-56; Mc 15, 40-41). Mais il y a aussi celles qui ne croisent quun instant son chemin. Ainsi de la rencontre avec la Samaritaine qui fournit une scne majeure lvangile de Jean (Jn 4, 1-42). Ainsi de la femme adultre, dans le mme vangile, o le Christ dvoile crment le pch de ceux qui sabritent derrire la Loi (Jn 8, 1-11). Il y a aussi les prostitues qui sont dclares plus proches du Royaume de Dieu que les justes retranchs dans leur suffisance. Il y a les figures de veuves, telle celle qui va enterrer son fils unique au moment o elle rencontre Jsus la sortie du bourg de Nam (Lc 7, 11-17). Il y a la femme courbe quil gurit un jour de sabbat (Lc 13, 10-17). Il y a la femme qui perd son sang depuis douze ans et qui se glisse dans la foule pour toucher la frange de son manteau (Mt 9, 20-22). Il y a la Cananenne qui implore la dlivrance de son enfant sans craindre daffronter le refus de celui qui est venu dabord pour les brebis perdues dIsral (Mt 15, 21-28). Il y a Marthe et Marie, les surs de Lazare, qui reoivent Jsus dans leur maison et enseignent au

  • lecteur, outre les gestes de lhospitalit, lcoute de lunique essentiel (Lc 10, 38-42). Ce sont elles qui sollicitent Jsus pour leur frre Lazare : Seigneur, celui que tu aimes est malade (Jn 11, 3). Et il y a les femmes qui, la premire heure aprs le sabbat de la Passion, se rendront au tombeau pour embaumer un corps mort, en portant dans leur cur, mystrieusement, la question de la bien-aime du Cantique des cantiques : Avez-vous vu celui que mon cur aime ? elles toutes, ces femmes de lvangile composent finalement une figure bien plus complexe de la condition fminine quon ne sy attendrait. On ne peut sen tenir limage dune femme confine lespace domestique et qui serait tenue distance des grands vnements qui se jouent en ces jours. Certaines de ces femmes sont des itinrantes, comme les disciples masculins, qui suivent Jsus sur son chemin. Au rebours des strotypes, laudace et linitiative caractrisent nombre dentre elles. La Cananenne associe de manire unique humilit et intrpidit. Plusieurs sont des modles dintelligence spirituelle, qui devancent bien des

  • hommes de lentourage de Jsus. Ainsi de Marthe qui, alors que son frre Lazare vient de mourir, savance trs loin dans la confession de foi. Cest encore le geste dune femme, pourtant de mauvaise vie , qui est loccasion pour Jsus denseigner le pharisien Simon sur cette vrit vitale : la mesure de lamour est la mesure du pardon dont on consent demander la grce. Cest pourquoi aussi Jsus ne manque pas de dire son admiration, devant la foi de la Cananenne ( O femme, grande est ta foi ! ), ou devant le geste de Marie Bthanie rpandant le parfum de lonction ( En vrit, je vous le dis, partout o sera proclam cet vangile, dans le monde entier, on redira aussi, sa mmoire, ce quelle vient de faire [Mt 26, 13]).La fidlit jusquau plus obscur du chemin est aussi un des traits caractristiques de la fminit vanglique. Des femmes, rputes faibles et frileuses, sont les uniques accompagnatrices du condamn au Golgotha, quand il ne reste plus en scne que les soldats chargs de la crucifixion. Les synoptiques disent quelles suivirent de loin. Jean les dcrit entourant Marie, au pied de la croix. Les rcits du matin de Pques sattardent

  • ensuite sur les visites des femmes au tombeau, tout en concluant de manire ambigu : le tombeau vide est un signe quivoque et la joie est mle de peur dans le cur des myrrophores. Repartant vers les disciples avec peur et grande joie chez Matthieu, elles rencontrent Jsus qui leur renouvelle la consigne de lange : quelles disent aux frres de partir pour la Galile, o ils le verront. Le rcit de Marc se referme de faon abrupte sur la peur et le silence : et elles ne dirent rien personne (Mc 16, 8). Les femmes en Luc entrent probablement plus avant dans la foi, en se remmorant lannonce que Jsus avait faite de sa passion et de sa rsurrection, mais leurs rcits aux disciples parurent du radotage, et ils ne croyaient pas en elles (Lc 24, 10). Ce que confirme lpisode dEmmas qui mentionne le rcit des femmes comme un troublant bavardage : Quelques femmes qui sont des ntres nous ont, il est vrai, stupfis [...] quelques-uns des ntres sont alls au tombeau et ont trouv les choses tout comme les femmes avaient dit ; mais lui ils ne lont pas vu (Lc 24, 22.24). En Jean cependant, la toute premire attestation de la foi de Pierre et du disciple que

  • Jsus aimait est enchsse dans lpisode de Marie de Magdala, dcouvrant dabord le tombeau vide, puis reconnaissant son Seigneur en celui quelle avait pris pour le jardinier. La mmoire chrtienne reviendra avec prdilection sur cet pisode du jardin de la Rsurrection, o rsonne discrtement toute la dure des temps, depuis le premier jardin dden, en passant par celui du Cantique des cantiques.

    lunisson du Messie-serviteur.

    En fait, on se rappellera que, dans les vangiles, le partage ne passe pas entre les sexes, mais entre des pauvres qui confient leur dtresse ou leur indigence au Christ et ceux qui, se disant justes ou se croyant justifis, sont indiffrents ou hostiles au salut quil apporte. Des hommes tout aussi bien que des femmes sont ainsi montrs, qui entrent dans la suite du Christ. Les lpreux qui invoquent Jsus, laveugle Bartime Jricho ou le centurion romain qui vient demander la gurison de son fils nont rien envier la foi des femmes que lon mentionnait plus haut. Pourtant, on ne peut sempcher de penser quil y a, en ces

  • textes, comme une aisance suprieure des femmes entendre ce que dit Jsus et reconnatre le don quil apporte. Quelle explication donner de cela ?Il serait videmment trs quivoque dargumenter que les femmes sont plus ouvertes au pardon ou la gurison, parce quelles seraient plus pcheresses que les hommes... Ce qui est vrai, en revanche, cest que ces femmes ont une conscience toute spciale davoir besoin de Dieu, quelles reconnaissent prsent dans les uvres du Christ. Cest cette disposition qui doit nous retenir, sachant que, pour un familier de la Bible, elle renvoie la grande tradition de prdication prophtique, martelant cette vrit que le grand obstacle la conversion du cur est lorgueil spirituel. Que lon songe Isae tout spcialement, qui na de cesse dannoncer labaissement des montagnes dorgueil comme prodrome de luvre du salut. Or, il se trouve que, par la situation mme qui leur est faite dans la socit du temps, les femmes sont beaucoup plus prserves que les hommes de lorgueil spirituel qui prcisment va tenir loigns de Jsus nombre de ses auditeurs. Femmes sans pouvoir, qui, devenues veuves,

  • perdent leur identit sociale avec leurs moyens de subsistance, prostitues mprises, adultres condamnes sans que les hommes, leurs complices obligs, soient passibles de rprobation, elles sabritent moins facilement que leurs vis--vis masculins derrire les grandeurs dtablissement et dautorit. Elles se crispent moins facilement queux sur une fidlit rituelle la Loi qui dispense de vrifier les dispositions du cur. Aussi les femmes de lvangile ont-elles une capacit daccueil et de fidlit privilgie. De mme, probablement, leur habitude du service leur permet-elle dtre moins vite effarouches par le mystre dun Messie venu pour servir et non pour tre servi. Et puis, on le sait, le pouvoir encombre toujours, dune manire ou dune autre, il comporte des prils. Aussi la situation de non-matrise des femmes leur permet-elle de se vouer plus exclusivement lessentiel, cest--dire la vie, lamour, sans oublier la mort. Moins distraites que les hommes, moins leurres aussi, elles sont plus accessibles ce savoir fondamental : le pouvoir nest puissant que sil lest de la puissance de lamour. Oui, ces femmes qui savent tre audacieuses, insistantes,

  • encombrantes par leurs requtes ou les gestes de leur pnitence, dsignent dans les vangiles une humilit qui nest pas valeur de faibles qui inversent des signes quils ne peuvent changer , mais sagesse qui dcouvre la part de folie qui habite ce qui est rput fort ou puissant selon le monde. La logique des vangiles est celle dont parle Paul aux Corinthiens : Ce quil y a de fou dans le monde, voil ce que Dieu a choisi pour confondre les sages; ce quil y a de faible dans le monde, voil ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est sans naissance et ce que lon mprise, voil ce que Dieu a choisi; ce qui nest pas pour rduire rien ce qui est, afin quaucune chair naille se glorifier devant Dieu (1 Co 1, 27-29). Voil pourquoi, probablement, les femmes sont ici tellement importantes. Ce faisant, nous nous retrouvons ainsi un niveau danalyse qui engage une autre profondeur que celle des dbats, par ailleurs intressants, sur les positions occupes par les femmes lorigine de linstitution ecclsiale.Cest aussi pourquoi, dans ces mmes vangiles, des femmes deviennent facilement figures de lglise : telle la belle-mre de Simon qui, releve

  • de sa fivre par Jsus (Mc 1, 29-31), se met le servir, ou la veuve qui dpose dans le trsor du Temple les deux picettes qui lui restaient pour vivre et na plus dautre subsistance dsormais que celle que Dieu lui donnera (Lc 21, 1-4). Figures de lglise, donc figures de ce que tous, hommes et femmes, sont invits vivre sils sont du Christ. Certes, il ny a pas de femmes qui soient convies la Transfiguration dans les vangiles. Et cest le tmoignage des apparitions des hommes qui fondera, dans la prdication chrtienne, la foi en la Rsurrection (voir en particulier 1 Co 15, 3-8). Mais il est essentiel de se souvenir que lacte dattestation confi ici des hommes nest nullement une fin en soi. Il na de sens quau service de la foi et dune saintet, dont les modles sont donns cette fois, de faon privilgie, par des femmes. Cest en se laissant enseigner par des femmes que les hommes sont convis tre disciples du Christ, tre serviteurs bons et fidles, pour parler avec les mots de la parabole. On pourra objecter que cet enseignement confi aux femmes na pas forcment t trs entendu des gnrations chrtiennes, qui ont souvent prfr faire du

  • service une spcialit fminine avantageusement exploitable par des pouvoirs masculins. Mais ces mauvais usages ne changent rien la vrit vanglique. Ils montrent seulement ce qui sapprend dj en regardant le Christ, savoir que le service et lamour exposent plus de vulnrabilit que le pouvoir en ses divers exercices.

    Marie, quand vint la plnitude des temps...

    Tout ce qui vient dtre dit culmine en celle quon ne peut ngliger plus longtemps de regarder : la Vierge Marie. En fait, les textes restent son sujet dune grande discrtion. La pit populaire supplera avec plus ou moins de rigueur aux silences des vangiles canoniques. Mais pour qui connat les critures, les versets parcimonieux du Nouveau Testament suggrent beaucoup. Car la figure de la mre de Jsus , comme la dsigne exclusivement lvangile de Jean, sinscrit dans le droit fil de la tradition dIsral. Cest dailleurs en mditant cette continuit et cette cohrence que la tradition chrtienne, en Orient comme en Occident, tissera autour delle un ample savoir

  • thologique. Relie lhistoire totale qui souvre dans la Bible avec la Gense, Marie apparat comme laccomplissement de lhumanit voulue et cre lorigine, en relation dcoute et de confiance avec son crateur. Relie lhistoire dIsral, la ligne des matriarches, de Myriam, de Deborah ou dEsther, mais aussi restitue lhistoire de lAlliance, Marie apparat comme la figure ultime de lpouse, efflorescence et perfection de la saintet patiemment duque au cur dIsral. En elle saccomplissent les oracles prophtiques qui dessinaient par avance les traits de la sainte Sion.Cette densit thologique de la figure de Marie invite, on le sent, dpasser les seules considrations psychologiques qui lont, en certains temps, rduite un type fminin douteux ou mme charge de traits quasi mythiques. En retrouvant lenracinement de Marie dans lAncien Testament, on redcouvre ainsi que lcoute nest pas leffet dune passivit proprement fminine, mais laccomplissement de la vocation dIsral : Shema Isral. On saperoit que le fait de garder dans son cur la mmoire des vnements, des paroles et des commandements

  • de Dieu nest autre que la tche et la mission dIsral (Dt 11, 18 s.). De mme, la dsignation de Marie comme servante revient lassocier troitement Isral, serviteur du Trs-Haut. Grce lAncien Testament encore, on redcouvre que la parole de Marie aux serviteurs, Cana, tout ce quil vous dira, faites-le (Jn 2, 5) nest pas simplement signe dattention fminine aux dtails de lintendance. En redisant les mots mmes de Pharaon intronisant Joseph comme intendant des biens de lgypte (Gn 41, 55), Marie, en ce texte inaugural, soulve le voile de lidentit de Jsus comme intendant des biens de la vie vritable. Ce qui est videmment de plus grande consquence que de veiller sur le bon droulement dun banquet de noces. En fait, la fonction de Marie est aux dimensions du mystre de lIncarnation et de lhistoire humaine totale. Elle est au commencement que dsigne la Gense. Elle est, au terme, la Nouvelle ve, figure de lhumanit nouvelle : Quand vint la plnitude des temps. Dieu envoya son Fils n dune femme , souligne Paul en crivant aux Galates (4, 4). Il ny a vritablement de salut, au sens chrtien du terme, que parce quen la

  • personne dune femme le plan de Dieu est ratifi et accueilli par un acte de foi humain. Ce que lvangile de Matthieu dit sa manire en dsignant avec insistance, dans ses chapitres douverture, lenfant et sa mre . Ce que confirme encore la scne majeure de lvangile de Jean dcrivant Jsus, sur la croix, qui confie le disciple quil aimait sa mre : Femme, voici ton fils , puis sa mre celui-ci : Voici ta mre (19, 26-27). En cet ultime geste de pit filiale. il y a lacte dengendrement dun peuple qui accomplit la mystrieuse vision, en finale du livre dIsae, de la sainte Sion enfantant une nation en une fois ... On peut valuer diversement le rle de la rfrence Marie dans le discours occidental sur la femme. On peut y dplorer, certains instants, des glissements mythologisants qui font delle une sorte de desse, en cart profond avec lesprit de la Bible, ou encore la caution dun ternel fminin aux caractristiques douteuses. Mais on ne peut nier quen elle la foi chrtienne associe de manire royale la femme au plus central de ce quelle croit. Aucun homme parmi ceux qui accompagnent lhistoire de Jsus ne pse dun

  • poids gal, qui est un poids rsolument thologique. Ainsi, cest lannonciation Marie, fille dIsral, dans lobscure bourgade de Nazareth, et non lannonciation Zacharie, prtre dIsral, officiant dans le Temple, qui introduit lhistoire biblique dans les temps nouveaux . On note dailleurs que le texte mme des vangiles rcuse une intelligence simplement anecdotique ou psychologique de Marie. Dune faon qui a souvent paru brutale, il rapporte la raction de Jsus tandis quon lui annonce larrive de sa mre et de ses frres : "Qui est ma mre ? Et qui sont mes frres ?" [...] "Celui qui fait la volont de mon Pre des cieux, celui-l mest un frre et une sur et une mre" (Mt 12, 48.50). Ainsi donc, si Marie est au cur de lvangile, ce nest pas dabord au titre de celle qui engendre physiquement le Messie dIsral, comme seule une femme pourrait le faire. Cest parce quelle est la perfection dIsral, qui fait la volont de Dieu, selon une vocation qui est celle de tout le peuple de Dieu. Cest pourquoi elle est, dans la tradition chrtienne, la fois la mre de lglise et son miroir, icne de lglise, en sa totalit masculine et fminine.

  • Le mariage... des temps nouveaux l aussi.

    Enfin, on ne peut quitter les vangiles sans voquer un instant la nouveaut quils introduisent propos du mariage et du divorce. Un texte et ses parallles (Mt 19, 1-9) a concentr beaucoup de spculations et de dbats. Beaucoup de malentendus aussi probablement, dans la mesure o on le lit spontanment comme un texte simplement disciplinaire : divorce dsormais interdit ! On sait qu lpoque de Jsus la rpudiation de la femme par son mari est admise au nom dune permission donne par la loi mosaque, le dbat restant ouvert nanmoins propos de la gravit des fautes qui la lgitime. Dans la majorit des cas, ce texte vanglique est lu comme sil tait une simple contribution ce dbat, quitte plonger le lecteur dans ltonnement de voir ici Jsus en champion dun lgalisme intransigeant. Manque de recul en fait, manque de mmoire : Malachie dj, au Ve sicle, approfondissant le sens de lAlliance divine, dclarait la rpudiation contraire aux penses de Dieu. Manque dattention surtout la manire

  • dont Jsus renvoie ici au projet initial de Dieu sur lhumanit : Au commencement il nen tait pas ainsi [...]. Ce texte est dabord une annonce sur les temps, et plus prcisment sur la personne de Jsus. Il est lannonce qu travers lui, en communion avec lui, les penses divines du commencement redeviennent accessibles, praticables, non comme une loi qui serait une violence au rel ou un dni de la faiblesse humaine, mais comme la vrit, un temps perdue, de lhomme et de la femme, le chemin de leur bonheur.

    Les lettres de Paul.

    La question de la femme et de la condition fminine nous renvoie enfin une autre section des critures chrtiennes, celle des lettres que Paul adresse aux diverses communauts quil a fondes ou quil visite. Ces textes voquent les premires annes, qui suivent la Passion de Jsus, au moment o lglise simplante et stend dans le Bassin mditerranen. Paul aborde de nombreuses reprises des problmes touchant la femme, les usages qui la concernent, la thologie

  • qui prend appui sur le symbolisme du fminin. Mais il le fait dans un contexte bien prcis quon ne saurait oublier. Ce contexte est dabord celui, bien sr, du monde mditerranen ancien, model par le droit et les valeurs de la culture grco-romaine qui rencontre, en Palestine, lhritage biblique. Mais il est aussi et dabord celui de la confession de foi laquelle Paul a vou sa vie et dans la lumire de laquelle il prche, exhorte, ragit aux problmes du quotidien qui lui sont soumis, labore une manire chrtienne de vivre dans la socit et dans lhistoire. Ainsi la conviction qui sous-tend chacune de ses penses est que, dans le Christ, saccomplit la promesse dune cration nouvelle, le don dun cur nouveau, grce quoi, dsormais, quel que soit son statut, son sexe, son origine, quiconque est dans le Christ est une crature nouvelle (2 Co 5, 17). Ce qui signifie, en particulier, un remaniement fondamental des relations humaines au sein dune humanit qui retrouve accs aux dispositions originelles voulues par Dieu et que le pch avait brouilles. Ainsi dclare-t-il que dsormais il ny a plus ni homme ni femme, ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre ,

  • puisque, baptiss dans le Christ, tous dsormais ne font quun (Ga 3, 28). Il est clair que cette rvolution ne saurait tre pour Paul leffet dune libration comprise la manire dont nos socits scularises pensent et promeuvent lmancipation des minorits opprimes. La voie de la libration est ici fondamentalement constitue par la suite du Christ, ce Messie crucifi qui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui lgalait Dieu, mais, sanantissant lui-mme, prit la condition desclave (Ph 2, 6-7). Ce Messie, qui obit au Pre dune obissance damour, donne sa vie pour lautre, manifeste enfin, dans la rsurrection, la force de cette logique du don et de lamour de lennemi. Tel est le prsuppos qui commande tout ce que Paul crit, en particulier, sur la relation de lhomme et de la femme. Cest cette foi, si paradoxale et au fond inacceptable, malgr leffet de banalisation de vingt sicles de christianisme, qui prcde et claire tout ce que Paul peut crire en rponse aux problmes divers que lui soumettent les jeunes communauts dAsie Mineure ou de Grce. Cest de cette foi encore que surgit la vision dune

  • glise o saccomplissent les promesses de lAlliance, donc dune glise qui se pense dans une perspective nuptiale, engageant par l une forte rfrence thologique au fminin. Cest partir de cette foi enfin qui donne un sens neuf aux mots et aux ralits de la vie en les arrachant la logique du pch au quil faut tenter de comprendre les formules ingalitaires du discours paulinien qui nous choque tellement aujourdhui : Le chef de tout homme, cest le Christ, le chef de la femme, cest lhomme [...] ce nest pas lhomme qui a t cr pour la femme, mais la femme pour lhomme (1 Co 11, 3.9), ou encore le conseil : que ceux qui ont une femme vivent comme ceux nen ayant pas (1 Co 7, 29), ou la recommandation adresse dans la lettre aux phsiens : Femmes soyez soumises vos maris (Ep 5, 22). Coups de leur contexte, ces phrases sont incontestablement une redoutable rsonance et laisse craindre bien des mauvais usages. Car on peut douter que, dans les socits o elles ont t lches, quoi quil en soit de lvanglisation, tous les curs taient touchs en profondeur par le ministre du Messie humili, venu pour servir et non pour tre servi, sauvant

  • des homicides par la puissance de lamour. L o continuent rgner les rapports de forces traditionnelles, on peut parier que les formules de Paul servent simplement les intrts du plus fort. Lhistoire de lOccident chrtien illustre, au moins en partie, un tel usage. On doit reconnatre que certains textes de Paul concernant les femmes auront fourni une caution sacre aux simples prjugs de nos socits. Do la rputation de misogynie souvent associe aujourdhui au nom de Paul, auquel on reproche davoir verrouill pour des sicles toute volution en ce domaine. Lhonntet pourtant veut que lon vrifie ce que Paul dit, par-del ce quon lui a fait dire o ce que lon voudrait quil dise.Un examen serein du dossier, tenant compte de lensemble de la prdication paulienne, oblige reconsidrer cette accusation porte contre un aptre que sa mission mit en relation constante et harmonieuse avec des femmes. preuve les diverses mentions qui jalonnent ces lettres. Dans la lettre aux Romains, il rend hommage Phb, diaconesse de lglise de Cenches , propos de laquelle il exhorte : offrez-lui sans le Seigneur un accueil digne des saints ; assistez-la

  • en toute affaire o elle aurait besoin de vous (Rm 16, 1-2). Dans cette mme lettre, il salue encore [sa] chre Persis, qui sest beaucoup fatigue dans le Seigneur (Rm 16, 12). Dans celle aux Philippiens, il mentionne vodie et Syntich qui lont assist dans la lutte pour lvangile (Ph 4, 3). Ailleurs, ce sont ses relations avec le couple que forment Priscille et Aquila, ses cooprateurs dans le Christ , qui sont voques. Par le livre des Actes des Aptres, nous connaissons Lydie, la ngociante en pourpre qui laccueillit dans sa maison Philippes.Mais cest la thologie de Paul elle-mme qui rcuse tout mpris de la femme. Certes il repasse par le chapitre 3 de la Gense pour clairer le mystre du Christ, mais il est loin den faire une lecture littrale qui reporterait toute la responsabilit du mal sur la partie fminine de lhumanit : par un seul homme [anthropos], crit-il, le pch est entr dans le monde et par le pch la mort [...] (Rm 5, 12). Cest lhumanit en son identit masculine et fminine, qui est ainsi incrimine et non une femme prtendument plus faible et plus accessible que lhomme aux sollicitations du tentateur. De mme, il devient

  • clair, pour qui lit in extenso le dbut du chapitre 11 de la premire lettre aux Corinthiens, que lon citait instant, que Paul ne prche pas un effet linfriorit de la femme, puisque finalement dans le Seigneur, la femme ne va pas sans lhomme, ni lhomme sans la femme; car si la femme a t tire de lhomme, lhomme son tour nat par la femme, et tout vient de Dieu (1 Co 11, 11). Et on a pu montrer que ce mme texte de lptre aux Corinthiens, qui souvre avec le dbat un peu laborieux sur le voile des femmes, comprenait un prsuppos fort novateur par rapport aux traditions du judasme : celui dune participation au culte liturgique dsormais ouverte aux femmes.Cest parce que Paul a cette vision dune mme et unique dignit de lhomme et de la femme, et parce quil honore le mariage, quil peut faire, de ce dernier, le sacrement de la relation qui est entre le Christ et lglise. Tel est le sens du texte fameux de la lettre aux phsiens au chapitre 5 culminant, propos du mariage, sur laffirmation : Ceci est un grand mystre, ceci est dit du Christ et de lglise (5, 32). Certes, ce mme texte peut susciter le malaise des femmes,

  • qui y lisent de faon abrupte, quelles doivent tre soumises leurs maris comme au Seigneur (5, 22). Une conception infantilisante de la femme, assujettie lhomme comme son matre et seigneur, peut videmment semparer de ce verset, et elle na pas manqu de le faire. Ce faisant, cette interprtation oublie que, avant dassocier la femme lglise et lhomme au Christ, Paul commence par dclarer leur unique et commune vocation : suivre lamour lexemple du Christ qui leur dit-il vous a aims et sest livr pour nous (5, 2). Dailleurs, Paul a les yeux fixs sur une glise faite dhommes et de femmes. Si donc les femmes ont porter de faon privilgie le signe de lglise, cest bien ultimement pour que les hommes apprennent delles les penses et les attitudes qui leur permettront daccomplir leur vocation de baptiss, dans sa dimension fminine et sponsale. En ce sens, il nest probablement pas abusif daffirmer que, pour Paul, au bout du compte, est de lglise et du Christ lhomme qui reoit de la femme le sens de sa vie baptismale.

    Pour conclure avant dentrer dans lhistoire.

  • Ainsi entrevoit-on la complexit du dossier scripturaire qui est la source de lhistoire des femmes en rgime chrtien. Cette complexit fait toute la richesse de la problmatique biblique de la question. Mais on ne peut ignorer quelle ait pu tre source de malentendus et de tragiques mprises qui marquent cette histoire. La difficult des textes du Premier Testament, comme de ceux du Second, nest pas simplement quils manent de socits qui ne connaissent pas nos exigences modernes de justice et dgalit entre les sexes. Elle est bien plus encore de se formuler dans des langages symboliques subtils (cest le cas de la Gense, mais comment parler de lorigine sans emprunter les ressources du mythe ?) ou qui ont une densit thologique (cest le cas des textes pauliniens) que les lecteurs ont souvent t incapables de dchiffrer, dautant plus que leurs prjugs trouvaient leur compte dans une lecture littrale paresseuse.Cest ainsi que le caractre rsolument positif de lanthropologie du livre de la Gense a t le plus souvent masqu ou ignor. Mme sil a pu se trouver des commentateurs juifs attentifs, par

  • exemple, la belle unit que suggre le jeu de mots qui, en hbreu, relie lhomme (ish) la femme (ishah) et qui ont not que la diffrence des deux mots libre les lettres du nom mme de Dieu. Mme si des lecteurs chrtiens ont reconnu dans cette diffrence ontologique comme un cho de la diffrence qui, en Dieu, fonde la relation des personnes, par laquelle Dieu est amour et rciprocit absolue. Pour lessentiel, il faut le reconnatre, on a surtout retenu de ces textes des lments charge pour la femme : toujours seconde dun homme toujours premier et unique dpositaire lgitime de lautorit, toujours cense tre plus faible devant la tentation et y attirer lhomme. Lus selon la mme orientation dprciative, les textes du Nouveau Testament ont confort limage dune femme pcheresse, dchue, ayant besoin, plus que lhomme, de la gurison du Christ. Les textes pauliniens ont servi tablir des usages un peu drisoires, mais dont le poids symbolique a pu tre considrable : ainsi de lobligation nagure faite aux femmes de se voiler la tte pour entrer dans une glise ou encore de linterdiction de pntrer dans le chur, espace sacr incompatible avec une obscure

  • impuret attache la fminit. Par l, on peut penser que les hommes ont souvent vit de considrer autrement que comme symbole esthtique le signe de la Femme dont parle lApocalypse, signe de la victoire sur lantique serpent remporte prcisment par la femme couronne dtoiles qui ouvre les temps messianiques (Ap 12, 1 s.). Ils ont peu souvent appris auprs delles les valeurs minemment bibliques, qui sont le chemin spirituel propos tous les chrtiens, hommes et femmes, indistinctement. Mais dailleurs, comment se sentir concern par la soumission dont Paul dit quelle doit rgler les rapports mutuels de tous les disciples du Christ, quand on prend lhabitude dentamer la lecture du chapitre 5 de la lettre aux phsiens au point o elle nonce : Que les femmes soient soumises leurs maris , en omettant la proposition qui commence par recommander : Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ ?Dans ces conditions, une premire tche consiste certainement aujourdhui dsencombrer ces textes des prjugs qui les ont surchargs. Mais on se gardera doublier que lentreprise reste

  • toujours subtile : on peut remplacer les illres des gnrations passes par celles du moment prsent. Car le prsent, bien sr, a ses illusions et ses obscurits. Une autre tche, aussi subtile et ncessaire, consiste valuer ce qua pu tre la fonction de cet hritage scripturaire dans lOccident chrtien. Ces textes ont-ils dabord contribu opprimer les femmes ou, tout le moins, les maintenir dans une situation de domines, comme on le dit beaucoup ? Ou bien ont-ils aussi contribu faire avancer leur cause, en promouvant de nouveaux comportements, une conscience de leur identit inconnue du monde paen ? Ce nest probablement pas un hasard si ce sont des socits, dont lhritage est chrtien, qui ont vu natre, au sicle dernier, les premires requtes du fminisme.

  • Chapitre 2

    La condition fminine aux premiers sicles de lglise

    Les cinq premiers sicles de lglise, qui correspondent ce que lon appelle lpoque patristique, constituent un moment dcisif de notre histoire. Parti de Palestine dans les annes 30, le message vanglique rejoint progressivement les confins de lEmpire romain, donc du monde alors connu. De plus, ces sicles voient se succder une srie dvnements et de bouleversements qui engageront pour longtemps le destin de la civilisation en cette partie du monde. De nouveau, le regard historien, qui se porte plus de quinze sicles de distance, doit consentir faire une exprience dpaysante. Lvaluation de ces temps et de leurs murs doit se garder de la hte et de rflexes projectifs.

    De grandes mutations.

    Rappelons brivement les grandes phases qui

  • articulent lhistoire de cette priode. Durant les deux premiers sicles, Rome confirme sa suprmatie politique et culturelle sur un monde qui va de lEspagne au Danube et lEuphrate. Au IIIe sicle pourtant, les fragilits de cet empire vont commencer apparatre : sans que se produise encore lirrparable, les Germains se font de plus en plus entreprenants et menaants. Une pause suit, au IVe sicle. Elle permettra, sous lgide en particulier de Constantin, empereur dOrient et dOccident, une vritable et brillante renaissance, que lon dsigne aujourdhui du nom dAntiquit tardive. Mais le sicle ne rsistera pas, du moins dans la partie occidentale, la formidable pousse des Barbares qui aboutit vnement colossal et dune puissance de traumatisme incomparable la ruine de Rome prise par les troupes dAlaric en 410. La partie orientale de lempire, quant elle, poursuivra son histoire distance de ce dsastre et de ses suites. Constantinople prolongera, en lui donnant un nouvel essor et de nouveaux visages, la civilisation ancienne augmente dsormais de la greffe chrtienne.Les premiers sicles du christianisme sont

  • indissociables de cette histoire et des faits de socit qui la dominent. Le message chrtien prchant Jsus, Messie crucifi et ressuscit, scandale pour les Juifs et folie pour les Grecs , trouve l son cadre initial et son lieu dexpansion. Surgissant dans un monde paen dont les valeurs vacillent et dont la religion native nest plus quun ritualisme instrumentalis par le pouvoir politique, il rejoint incontestablement des aspirations latentes et profondes. Mais par son exigence morale, il heurtera aussi de plein fouet les dpravations de la socit du temps. Toutes les classes de la socit et non, comme on le dit htivement, les couches les plus dmunies de pouvoir et de biens vont tre rapidement touches par le tmoignage des chrtiens. Ceux-ci vivent la manire de tous , mais affichent en mme temps quelques refus hautement significatifs, comme en tmoigne la Lettre Diognte, prcieux document datant du IIe sicle. Les perscutions, sporadiques et limites dabord, puis systmatiques et massives pendant plusieurs dcennies du IIIe sicle, en particulier sous les rgnes de Valrien et de Diocltien, obligeront les chrtiens vivre des dbuts discrets, en marge de

  • toute officialit : ce sont des maisons prives qui, jusqu lapparition des premires basiliques, serviront de lieu de rassemblement et de culte. Mais les mmes perscutions produiront de grands tmoignages publics, visibles de tous, rendus par des chrtiens, hommes et femmes confondus, tenant ferme dans la confession de la foi, jusquau martyre. On noubliera pas non plus que cette vie de lglise primitive est le fait tout autant de la partie orientale de lempire. L, plus quailleurs, le christianisme a travaill en profondeur les mentalits, tout en tant en symbiose avec la culture intellectuelle hrite de lAntiquit grecque.Enfin, on se souviendra que ces sicles dexpansion et de croissance sont aussi traverss, dans lglise, par de trs nombreux dbats qui concernent le contenu de la foi et le sens de la vie chrtienne. En une histoire o les jeunes communauts connaissent une vie prcaire, o les conditions matrielles portent plus au repli quaux changes, ces premiers sicles voient se multiplier diverses tendances en comptition, alimentes dinfluences qui sont loin de consonner toujours avec le contenu du message

  • vanglique. Gnostiques, montanistes, marcionites, encratistes, puis plus tard donatistes, ariens, plagiens, pour ne citer que les plus clbres, vont rinterprter la confession de foi chrtienne diversement, mais toujours dune manire qui cherche ramener au simple le mystre de la foi. Cest ainsi quune partie des textes dont on fera tat comprennent une dimension polmique qui ne doit pas tre mconnue. Une rhtorique de combat tend forcer le trait, durcir les positions, argumenter avec une vivacit qui limine les nuances. Cest pourquoi toute relecture contemporaine de ces textes, si elle a elle-mme une vise polmique, risque de simplifier son tour, tout particulirement bien sr quand elle enqute sur une question comme celle de la condition fminine. Sans compter les risques danachronisme... : comment une socit comme la ntre, o laccession des femmes au march du travail est un signe de leur promotion, comprendra-t-elle une socit antique o la libert qui spare hommes libres et esclaves consiste prcisment chapper au travail et son labeur ?

  • Quen est-il donc, autant que lon puisse en juger, de la femme telle que la reprsentent les textes qui nous viennent de ce temps ? Quen est-il de la condition fminine concrtement vcue ? On ne peut clairer un peu ces questions quen affrontant une srie de paradoxes, comme celui qui fait voisiner des textes, modles de misogynie, avec dautres pleins de finesse et dintelligence ; en dcouvrant comment, sur fond dune incontestable malveillance, des progrs ont t accomplis dans lexistence sociale des femmes.

    Les voix de la malveillance.

    On naura gure de peine runir des textes qui parlent charge des Pres en donnant de la femme une image ngative, mprisante, indigne pour ceux qui sexpriment autant que pour celle qui est dnigre. On ne peut ni ne doit passer sous silence ces tmoignages dun mpris qui continue parfois habiter les esprits. Tribut pay laveuglement dont on a vu quil collait lexprience de lhumanit en cette matire. La premire condition pour en tre libr est

  • videmment de reconnatre que lon y est expos. Les Pres, qui furent esprits minents entre tous, nous prviennent, par les faiblesses quils manifestent ici, combien la clairvoyance se gagne chrement contre le prjug, cest--dire contre la peur de lautre en sa singularit si proche.

    Partant de Gn 2-3.

    Le discours misogyne en fait nest que variations sur quelques thmes strotyps qui se cristallisent autour de la conviction que la femme est dune nature infrieure lhomme. Par un effet de la sagesse divine, lhomme, apte aux grandes choses, savre, dans les petites, gauche et emprunt. Sa maladresse justifie ainsi la prsence dune femme , nonce de manire assassine une homlie de Jean Chrysostome sur le mariage. De multiples textes renchrissent sur le thme en ltayant de la rfrence aux chapitres 2 et 3 de la Gense. ve, crit encore Jean Chrysostome, a t forme la seconde et soumise lhomme, tout son sexe doit donc observer la mme soumission. Les commentaires ad litteram du livre de la Gense proposent ainsi des

  • explications consternantes, psychologisant de faon trs douteuse un texte rsolument symbolique. De cette faon, ils justifient thologiquement le prjug commun, familier tant de cultures, dune ingalit entre lhomme et la femme. Ds le IIe sicle, Tertullien avait port un point maximal linterprtation misogyne du rcit de la Gense : Elle vit encore en ce monde, la sentence de Dieu contre ton sexe. Vis donc, il le faut, en accuse. Cest toi la porte du diable ; cest toi qui as bris le sceau de lArbre; cest toi qui la premire a dsert la loi divine; cest toi qui as circonvenu celui auquel le diable na pu sattaquer, cest toi qui es venue bout si aisment de lhomme, limage de Dieu. Cest ton salaire, la mort, qui a valu la mort mme au Fils de Dieu (Sur la toilette des femmes, I, 1).Augustin, pourtant lun des plus gniaux interprtes chrtiens de lcriture, fait son tour la preuve quaucun lecteur du texte biblique na les promesses dune intelligence infaillible. Il commente Gense 3 : quand sa femme [la femme dAdam] eut mang de larbre dfendu et lui en eut donn pour quils en mangent ensemble, il ne voulut pas lui faire de peine; il la

  • croyait capable, sil ne laidait pas, de se laisser dprir; il craignait, sil la chassait de son cur, que cette dsunion ne finisse par la tuer. Non certes quil fut vaincu par la concupiscence de la chair : il nprouvait pas encore en lui que la loi des membres rsistt la loi de lesprit, mais il fut vaincu par cette disposition bienveillante de lamiti qui fait que, si souvent, on offense Dieu dans la crainte de se faire un ennemi dun ami humain (La Gense selon le sens littral, XI, 42).La leon allait tre retenue, imposant lide que la femme porte un poids de culpabilit plus grand que lhomme. Cette pense sera reverse subtilement dans la mditation thologique des dispositions de lIncarnation . Le point de dpart semble cette fois positif : il sagit de justifier la prsence de Marie au cur de lacte de Rdemption, le fait que ce soit en la personne dune femme, Marie, que lhumanit participe son salut. Ds le IIe sicle, Irne commente en ces termes : Ce fut cause dune vierge dsobissante que lhomme fut frapp et, aprs sa chute, devint sujet la mort; de mme, cest cause de la Vierge docile la parole de Dieu que

  • lhomme a t rgnr au foyer de la vie [...]. En effet, il tait juste et ncessaire quAdam ft restaur dans le Christ, afin que ce qui est mortel fut absorb et englouti par limmortalit, quve ft restaure par Marie, afin quune Vierge devenant lavocate dune vierge, la dsobissance de lune ft efface et dtruite par lobissance de lautre (Dmonstration de la prdication apostolique, 33).LOrient fait cho ce thme sous la signature cette fois de Pierre Chrysologue commentant les rcits de la rsurrection : La femme court la premire aux larmes, qui la premire a couru la chute. Elle arrive la premire au tombeau, qui la premire arriva la mort. Elle devient messagre de rsurrection, qui tait linterprte de la perdition. Elle avait annonc lhomme sa ruine, elle lui rapporte aujourdhui la nouvelle dun salut dfinitif. On voit comment linterprtation se construit. On nglige le caractre symbolique du rcit de la Gense, o la femme est figure de lhumanit, et ainsi on dcharge lhomme de la culpabilit dont on accable la femme.

  • Des discours dgradants.

    Progressivement, le discours misogyne acquiert une cohrence de plus en plus prilleuse. Si la femme est cet tre fragile, prompt au mal en son premier mouvement, on conoit que la juste conduite de lhomme (mle) son gard soit de lencadrer solidement, de la tenir dans une obissance et une soumission aussi commodes pour lui que bnfiques pour sa faiblesse elle. Cest ainsi que slabore un discours qui, dune part, invite les hommes au dressage des femmes, dautre part, exhorte celles-l endosser, sans rechigner, des conduites humblement serviles. Paroles trs dplaisantes : lhomme ne se grandit jamais dabaisser la femme; cest mme le contraire qui est vrai. Ces textes humiliants ne peuvent tre ignors si lon veut dbusquer ce qui, en langage thologique, sappelle le pch, qui dfigure lhumanit, et qui toujours vient rder pour imposer ses fausses vidences. titre de spcimen, ces conseils un homme qui vient de convoler : Quel temps pourrait tre mieux choisi pour lducation dune femme, que celui, o, encore mue, elle rougit devant son mari et ne

  • cesse de le craindre ? Tracez-lui alors tous ses devoirs et, bon gr mal gr, elle vous obira (Jean Chrysostome). Ainsi, pris ds le dpart, ce bon pli garantira un ordre sain la vie conjugale dans la suite du temps, sachant que ses hautes fonctions font respecter lhomme tandis que ses modestes tches empchent la femme de se rvolter contre son mari (Jean Chrysostome, de nouveau).Enfin, l mme o la femme semblerait possder une dignit propre, dans le fait dengendrer des enfants, la malveillance refait inexorablement surface. Une partie des textes ne voit dans la maternit que reproduction de lespce, sur le versant le plus animal de la condition humaine, celui o se tiennent prcisment les femmes. Jrme crira ainsi : Aussi longtemps que la femme est asservie ses grossesses et ses enfants, elle se diffrencie autant de lhomme que le corps de lme. La tradition asctique qui se dveloppe spcialement en Orient autour des Pres du dsert, et qui contient tant de richesses spirituelles de grand prix, trbuche, elle aussi, dans sa vision de la femme. Les formules les plus contestables

  • de cette belle mmoire chrtienne que forment les apophtegmes sont certainement celles qui concernent les femmes. On se rappellera bien sr que, mises part quelques figures de Mres du dsert , probablement en partie mythiques, ce monde est masculin, engag dans une ascse o la chastet ne va pas sans combat. Il nest pas trop tonnant que la femme y intervienne du ct de Satan, comme instrument de tentation pour faire tomber le moine. La rserve qui est ici exige dans les rapports avec les femmes (ne pas introduire de femme dans sa cellule, ne pas coucher l o il y a une femme) est une sagesse pratique, qui relve du ralisme et du bon sens... Cest l au fond, tout simplement, ce quexplique larchevque Thophile une grande dame romaine, venue de bien loin pour rencontrer le moine Arsne et que celui-ci avait conduite sans mnagement : Ne sais-tu pas que tu es femme et que, par les femmes, lEnnemi combat les saints ? En ce sens, le lecteur moderne sera dailleurs moins choqu par cette littrature, issue dune pratique de la vie quotidienne, quil ne lest par les commentaires bibliques mentionns plus haut et qui argumentent, eux, une vision

  • ontologique de la femme. Du reste, il ne manque pas non plus, parmi les apophtegmes, dexemples difiants, en particulier, de femmes pcheresses qui se convertissent avec une gnrosit qui en remontre aux saints moines et ermites. Mais il reste incontestable que linsistance avec laquelle cette littrature dsigne des figures de femmes pcheresses a contribu renforcer, dans le monde chrtien, lide dune vulnrabilit de la femme la tentation et au pch, confortant de nouveau les lieux communs de la misogynie plus spculative. Pourtant, on va le voir, le christianisme de ces premiers sicles va tre au dpart de transformations positives dont les femmes, en particulier, vont bnficier.

    Des perspectives pourtant meilleures.

    La femme sous la loi de Rome.

    Pour mesurer les progrs raliss, il nous faut de nouveau nous reporter la socit du Ier sicle de notre re. Quelles que soient les vertus civilisatrices de Rome exportes dans tout lempire la faveur de la pax romana, il est clair

  • que la socit paenne dans laquelle retentit le message chrtien connat bien des faiblesses. La condition fminine y est certes moins mauvaise que dans la Grce ancienne. Sous lempire, la femme jouit incontestablement dune grande indpendance : elle est dclare lgale de lhomme dans le mariage (Ubi Gaius, ego Gaia) ; elle bnficie dun rgime juridique qui est celui de la sparation des biens , donc elle peut administrer la fortune dont elle a hrit ( La femme bien dote domine son mari , crit Horace). Les filles frquentent lcole, comme les garons, jusqu lge, il est vrai, trs prcoce de leur mariage. Devenues mres, elles ont un rle important dans lducation des enfants, garons et filles. partir du Ier sicle, la loi les autorise prendre linitiative du divorce, mme sil semble bien que la dcision soit le plus souvent affaire du mari. Dans une socit o le mariage, simple contrat, peut tre rompu aisment, tandis que les femmes demeurent des mineures juridiques, il y a videmment plus de prcarit tre femme qu tre homme. Comme ailleurs, le devoir de fidlit nest juridiquement sanctionn qu lencontre de la femme, le droit ignorant ladultre du mari.

  • Enfin, lavortement est pratique banale ainsi que lexposition des enfants : jusquen 390, les pres ont droit de vie sur leurs enfants et peuvent les vouer labandon, sils ne les reconnaissent pas. En dehors de quelques prises de position venues du stocisme, il ny a gure dthique conjugale.

    La mme femme sous inspiration chrtienne.

    Quapporte donc le christianisme cette socit ? Avant tout, la ralit du mariage indissoluble, relie la nouveaut que lon rappelait prcdemment en commentant le chapitre 19 de lvangile de Matthieu. Vcu en milieu chrtien, le mariage se colore, de la rfrence lAlliance du Christ et de lglise. Mme si sa finalit dclare est systmatiquement rapporte la procration, la relation conjugale est vcue par les chrtiens avec une rigueur thique qui frappera les contemporains. Le christianisme va exhorter la pratique de la chastet dans le mariage, lutter contre la bigamie, linceste, interdire le concubinage pour lhomme mari et modifier la lgislation concernant ladultre. La dissymtrie

  • qui excuse lhomme, l o la femme est sanctionne, est dnonce avec force par Grgoire de Nazianze : Lpouse qui dshonore le lit nuptial subit les dures sanctions de la loi. Mais lhomme trompe impunment sa femme. Je nadmets pas cette lgislation, je hais cette coutume. Ce sont des hommes qui ont rdig notre code, aussi les femmes sont-elles dfavorises. Autre est la volont de Dieu (Discours, 37, 6). Outre lindissolubilit de lunion, loriginalit chrtienne, en continuit avec le judasme dailleurs, est dans la trs ferme condamnation de lavortement ainsi que de l exposition des nouveau-ns. La Lettre Diognte en tmoigne : Ils [les chrtiens] se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils nabandonnent pas leurs nouveau-ns. Ils partagent tous la mme table, mais non la mme couche. Ainsi, quoi quil en soit des propos dfavorables aux femmes, prtendument cautionns par les critures, que lon voquait plus haut, le christianisme apporte la reconnaissance dune dignit inalinable, parce que fonde en Dieu, de lhomme, de la femme, de lenfant en sa toute

  • premire vulnrabilit. Plus tard, lapprofondissement de la notion de personne confirmera ce regard nouveau qui ne simposa certainement pas au monde paen sans rencontrer des rticences. Les facilits dun droit permettant de casser une union sur un simple caprice taient trop commodes pour quon y renonce de bon gr. En tmoigne ce texte dAstre dAmase, crivain chrtien du VIe sicle, quil nous faut citer un peu longuement. Il commence en affirmant : Le mariage, institution souveraine, nest pas une plaisanterie; on ne peut le contracter on le dissoudre que selon des lois strictes. Puis, rappelant la parole de Jsus sur lindissolubilit du mariage, il poursuit :

    Aujourdhui, vous, coutez-moi, vous les marchands de mariage, qui changez de femmes comme de manteaux, vous qui btissez des foyers aussi facilement que des baraques de foire, vous qui pousez les richesses et trafiquez des femmes, vous qui, au moindre grief, crivez lacte de rpudiation ; vous enfin qui, encore vivants, laissez des veuves [...]. Comment te sparer sans tourment de celle que tu as noue ta vie, non

  • point servante doccasion, mais sur, mais pouse ? Sur selon la cration et les origines. Vous tes tous deux faits du mme limon, de la mme argile. pouse, par le lien conjugal et le code du mariage. Quel nud vas-tu trancher, toi quattachent la loi et la nature ? Comment oseras-tu trahir les serments que tu as prononcs le jour de tes noces ? Jai une femme insupportable, dis-tu : elle parle tort et travers, grogne toujours, nglige la maison. Sans doute, je te plains et je compatis... Mais, dis-moi, au premier jour, quand tu lpousas, ignorais-tu que tu te liais un tre humain ? Ne savais-tu pas que tout homme est riv au pch, Dieu seul tant exempt de faute ? Ne pches-tu toi-mme ? Nimportunes-tu jamais ta femme par tes colres ? Es-tu sr de navoir aucun tort et de ne jamais manquer tes devoirs ? [...] Ne fais pas fi de cette longue intimit et de tant dhabitudes communes [...] Ne rvons plus, mes frres. Restons fidles nos membres. Que les bonts de ta femme te couvrent de honte. [Homlie 5 sur Mt 19, 3.]

    On reste certes dans lambiance dun monde

  • marqu par une certaine ide de la socit dont les valeurs suprmes sont de hirarchie et dintgration un ordre global. Mais des horizons nouveaux souvrent qui renouvellent profondment le sens de la vie et de la relation personnelle. Le fait de connatre lhomme et la femme issus dun mme amour de Dieu, sauvs dun mme salut, ne pouvait tre sans retentissement. Le sens du, baptme, en particulier, est central dans cette glise des Pres. Ils prchent sans se lasser les mots de laptre Paul : Il ny a quun seul Seigneur, une seule foi, un seul baptme, un seul Dieu et Pre de tous (Ep 4, 6). Ce savoir de foi associ une forte mditation sur lglise, qui implique ncessairement la relation du masculin et du fminin travers celle du Christ et de lglise, devait rejaillir en penses et en attitudes nouvelles lgard de la femme.

    Hommages aux femmes et la vie conjugale.

    Voil pourquoi certainement la littrature patristique prsente dtranges contrastes. Ceux-ci ne sexpliquent pas simplement par les

  • diffrences de sensibilit ou de temprament qui sparent les Pres de lglise. Curieusement, ces contrastes sont intrieurs aux uvres de chacun. Ainsi, les penses les plus rticentes sur la femme peuvent cohabiter, chez un mme auteur, avec une franche estime et une intelligence rsolument positive de la diffrence des sexes.

    Des paroles pour honorer les femmes, malgr tout...

    Lexemple de Tertullien est bien connu. On la vu, plus haut, vilipender la femme de la pire manire en rfrence Gense 3. Or le mme a su crire des lignes admirables sur le mariage chrtien. Rien de plus heureux, dit-il, que ce mariage qui unit deux fidles dans un seul corps et un seul esprit. Ensemble ils prient, ensemble ils se prosternent, ensemble ils observent les jenes; ils sinstruisent mutuellement, sexhortent mutuellement, sencouragent mutuellement [...]. Ils sont lun et lautre galit dans lglise de Dieu, galit au banquet de Dieu, galit dans les preuves, les perscutions, les consolations [...] Le Christ se rjouit cette vue et ce

  • concert. Il leur envoie sa paix. L o deux sont runis, il est prsent lui aussi. L o il est prsent, le Mauvais na point de place ( ma femme, VIII, 7-8).On pourra objecter que plusieurs annes sparent ma femme du trait Sur la toilette des femmes que lon citait prcdemment. Le temps pour Tertullien de passer au montanisme et des thses extrmes qui sortent en partie de lorthodoxie de la foi. On aimerait videmment que le bon texte soit le dernier et non linverse. Mais il est des volutions qui se font dans le mauvais sens.Lexemple dAugustin est plus classique. On la vu commenter, lui aussi, de faon dplaisante, la cration de la femme, et son immense uvre contient dautres prises de position semblables. Le mme pourtant crit du mariage : Un homme et une femme [...] voil la premire alliance que la nature ait noue parmi nous. Dieu ne les a pas crs sparment puis runis comme des trangers, mais il a tir la femme de lhomme, scellant leur invincible unit dans cette cte dont la femme a surgi. Unis cte cte, ils marchent ensemble et ensemble scrutent un mme

  • horizon (Du bien du mariage, I, 1).Le mme encore, pour prendre un exemple dans le vif de la vie, crira une longue lettre sur la prire Proba, grande dame romaine, exactement comme il crirait un homme. Cest un membre du Christ quil parle en fait. Et le Christ nest pa