interview l'echo - jeudi 31 décembre 2015

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L’ECHO JEUDI 31 DÉCEMBRE 2015 7 Économie & Politique Un Nouvel an à la maison pour les Bruxellois Les festivités, dont le feu d’arti- fice, prévues à la place De Brouckère, à Bruxelles, ont été annulées hier. Le risque d’atten- tat sur l’événement est jugé im- portant par le centre de crise. NATHALIE BAMPS Bruxelles ne fera pas la fête ce 31 dé- cembre 2015. Le traditionnel feu d’artifice de la Saint-Sylvestre, avec les festivités qui l’entourent, a été an- nulé. La place de Brouckère restera vide. De nombreuses villes de par le monde, de Paris à New York en pas- sant par Moscou, ont aussi mis leurs festivités en mode mineur, ou sous haute sécurité. Les Bruxellois, eux, sont donc ap- pelés à réveillonner à la maison, au restaurant, mais pas dans la rue. C’est le caractère de rassemblement de masse (l’an dernier, le feu d’arti- fice avait attiré 100.000 personnes) qui a guidé la décision du bourg- mestre de Bruxelles Yvan Mayeur. «On ne peut pas garantir que l’on pourra contrôler tout le monde», a-t-il déclaré, après s’être entretenu avec le ministre de l’Intérieur Jan Jambon et les responsables de la cellule de crise. «Des opérations sont encore en cours, l’Ocam doit encore affiner ses analyses, il vaut mieux ne pas prendre de risque», a encore dit le bourgmes- tre de la Ville, qui précise que la dé- cision ne touche pas les lieux publics comme les hôtels et restaurants. Pour le petit monde de l’horeca bruxellois, la catastrophe est déjà d’actualité. Avant même que la déci- sion ne soit connue, les restaura- teurs de la ville avaient enregistré une chute dramatique des réserva- tions. D’après la fédération du sec- teur, 50% des restaurants n’ouvriront pas leurs portes pour le réveillon, faute de convives. Depuis les atten- tats de Paris, le chiffre d’affaires des restaurateurs a baissé de 40%. Chasse à l’homme Depuis mardi, la ville de Bruxelles a replongé dans une ambiance de chasse à l’homme, après que deux individus ont été arrêtés pour «me- naces d’attentats» et «participations aux activités d’un groupe terroriste». Le profil des deux suspects est à pré- sent connu: membres tous les deux (et même fondateurs) d’un groupe de bikers bruxellois, les Kamikaze Riders, Saïd Souati et Mohamed Ke- rai doivent passer jeudi devant la Chambre du Conseil de Bruxelles. Leurs activités ne seraient pas direc- tement liées aux attentats de Paris. Mais le nom de Saïd Souati a été cité dans le procès de Sharia4Belgium. Ni armes ni explosifs n’avaient été découverts lors des perquisitions. Les enquêteurs ont en revanche trouvé «du matériel informatique, des tenues d’entraînement de type militaire et du matériel de propagande de l’Etat islamique». L’enquête devra détermi- ner s’il y a eu un lien direct avec le groupe EI, a rapporté une source proche du dossier. «Le but des enquê- teurs est de démanteler un maximum de cellules ou groupuscules terroristes», a expliqué hier soir le Premier minis- tre Charles Michel sur le plateau du JT de la RTBF. L’enquête ne se limite donc pas à la recherche des suspects toujours en fuite. Les forces de police tirent donc (façon de parler) dans tous les sens: lancement d’un avis de recherche de quatre djihadistes dans le cadre de l’exécution du jugement du procès de Sharia4Belgium (sans que l’on sache si cela a un lien avec Paris ou l’arrestation des deux bikers bruxel- lois), nouveau coup de filet à Molen- beek, dans la maison où Salah Ab- deslam s’était retranché avant de s’échapper au nez et à la barbe de la police belge. Les policiers ont inter- pellé un individu dans le cadre de l’enquête sur les attentats de Paris. L’homme, dont on saura au- jourd’hui s’il doit être inculpé, aurait un lien avec le drame parisien. Hier enfin, nos confrères du jour- nal «Le Monde» ont également ré- vélé que les auteurs des attentats de Paris avaient été directement coor- donnés depuis Bruxelles, par des personnes encore non-identifiées. De quoi maintenir les enquêteurs sur les dents. Salah Abdeslam est loin d’être le seul terroriste encore en fuite... INTERVIEW BENOÎT MATHIEU A nthropologue et socio- logue de formation, Paul Jorion passe pourtant le plus clair de son temps à causer finance et économie. Mem- bre du Haut comité pour l’avenir du secteur financier belge – qui vient, après huit mois de travail, de remet- tre ses conclusions au ministre des Finances –, Paul Jorion a enseigné l’économie à Bruxelles, Paris ou Cambridge. Auteur de plusieurs ou- vrages, dont un, prémonitoire, sur la crise des subprimes, il revient sur le chemin de croix budgétaire et la ré- forme fiscale made in Belgium. La Belgique court derrière l’équi- libre budgétaire. Est-ce un objectif souhaitable? Dans nos pays démocratiques, les gouvernements évoluent selon le vote des électeurs. Mais les institu- tions européennes, elles, pour les- quelles personne ne vote, sont em- preintes d’une idéologie particu- lière, qui s’est inscrite au fil des années. Qui découle du fait que l’in- tégration européenne s’est fondée essentiellement sur l’idée d’un mar- ché – et l’idéologie spontanée des milieux d’affaires c’est le libéralisme, voire le néolibéralisme. Vous évoquez aussi le plan Mar- shall. C’est l’autre aspect auquel on ne pense pas souvent. Ces institutions se sont développées dans un cadre particulier: celui du plan Marshall. Dès le départ, elles ont dû se couler dans un moule, celui de la société américaine. Pour contrôler l’utilisa- tion de l’argent de ce plan, les Américains ont demandé que cela se fasse dans les catégories compta- bles qui étaient les leurs, et ces caté- gories sont devenues le moule dans lequel nous avons commencé à fonctionner. Catégories qui ont été essentiellement mises au point par la Chambre de commerce améri- caine. C’est toujours cela que l’on retrouve à la Commission. Tout ça pour dire que ce qui provient de la Commission est issu d’un moule ultralibéral et délibérément anti- keynésien. On impose une rigueur budgétaire qui empêche de mettre l’accent sur l’État-providence. Vous dénoncez cette idéologie? Oui. Tout comme ces normes SEC 2010 qui exigent que l’on comptabi- lise l’entièreté d’un projet l’année où il est mis en route. Résultat, on consi- dère qu’un emprunt n’est pas une rentrée et constitue uniquement un passif. On ne peut pas dire: «Cette année, on a emprunté donc on peut faire des choses.» Ce n’est pas par ha- sard. Il y a des gens qui ont écrit ça. Pas des imbéciles, ils l’ont fait délibé- rément. C’est anti-keynésien. Et si- gnifie que durant les périodes de difficultés, on ne considère pas qu’il y ait une sorte de solidarité natio- nale. Pas de répartition de l’effort, qui doit être porté uniquement par les salaires. Une logique élitiste, d’aristocratie de l’argent, qui joue contre celui qui gagne sa vie en tra- vaillant. Revenir à l’équilibre en 2018 n’est pas primordial, alors. Il n’y a aucune nécessité à aller si vite! Au contraire. Les États devraient tirer parti du fait que les taux sont extrê- mement bas et emprunter. Même s’il mène une politique plus à gauche qu’en France, c’est le côté libéral du gouvernement belge: il est d’accord avec la politique de Bruxelles. Et sa réforme fiscale, vous en pen- sez quoi? Diminuer les charges pa- tronales va-t-il doper l’emploi? Il n’existe pas de mécanisme pour transformer cela automatiquement en emplois. Déjà, il y a un problème général que personne ne veut voir: c’est la question de la disparition du travail, le remplacement du travail manuel par des robots et du travail intellectuel par des logiciels. Qu’est- ce qu’on fait? On laisse la charge du travail à l’individu; il a perdu son job, il faut qu’il en trouve un autre. C’est ridicule. Ensuite, ce que l’on peut dire, c’est que diminuer les charges, cela rime simplement avec augmentation des profits pour l’en- treprise. Est-ce que cela conduit à un réinvestissement? Uniquement s’il existe une demande pour les pro- duits. S’il n’y en a pas, cela passe di- rectement en augmentation des di- videndes et du salaire des patrons – on l’a vu en France. Et comment stimuler la demande? C’est très simple: en augmentant les salaires. Or que font les gouverne- ments, quand ils sont en difficulté? On fait de l’austérité, on baisse les sa- laires. Parce que l’idéologie libérale profère qu’il ne faut surtout pas tou- cher aux profits et qu’il faut baisser les salaires. Tout ça est inscrit dans les normes comptables; sur les feuilles de salaire, il est apposé la mention «coût pour l’entreprise». Mais les bonus et la distribution de dividendes, c’est aussi un coût pour l’entreprise. C’est évident. Hausser les salaires, cela ne va pas affecter la compétitivité? La compétitivité, c’est formidable. Pour l’augmenter, il faut diviser par deux les salaires des patrons et les dividendes. Avec ça, elle va sauter au plafond. Pourquoi ne le fait-on pas? Parce que personne ne veut y penser. Les salaires sont une variable d’ajus- tement, les dividendes non. Quelle est la loi qui dit cela? C’est une chose que nous admettons, qui va de soi. Taxer la spéculation, c’est moins évident. La Belgique veut le faire, mais de manière accessoire. C’est une excellente idée. Et il faut l’étendre à tous les investisseurs: on l’applique uniquement aux particu- liers et pas aux entreprises. Il n’y a aucune raison. Ce ne sont pas les particuliers qui sont en position de manipuler les marchés boursiers, mais les grandes entreprises. C’est le mode d’application de cette taxe qui est gadget, pas son principe. J’ai même l’impression que ceux qui ont proposé cette taxe ne comprennent pas très bien le mécanisme de la spé- culation. «Le but des enquêteurs est de démanteler un maximum de cellules ou groupuscules terroristes.» CHARLES MICHEL PREMIER MINISTRE Paul Jorion ne voit pas pourquoi les salaires seraient la seule variable d’ajustement. © DIETER TELEMANS 2015 vue par… Paul Magnette Mon meilleur souvenir Peut-être la COP21. Un mois après la barbarie en France, 200 états réussissent à s’en- tendre, à Paris, pour signer le premier accord universel pour le climat. Je me réjouis que, durant le sommet, l’ONU ait cité la Wallonie en exemple, parmi une poignée d’États comme la Suède ou l’Alle- magne. Le moins bon Comme tout le monde, j’ai été terriblement touché par les at- tentats qui ont frappé la France. L’attentat de Charlie Hebdo a été un choc terrible. Mais on ne savait pas encore qu’il préfigurerait d’autres actes atroces d’une plus grande ampleur encore. Mon «coup de cœur» culturel La pièce de théâtre «Revue Ravage» de Tom Lanoye. Ma bonne résolution pour 2016 Mon emploi du temps est chargé. Comme père de fa- mille nombreuse, je tente de m’organiser aux mieux pour m’occuper de mes enfants. Ma bonne résolution est simple: passer plus de temps avec eux. Ministre-président de la Région wallonne. © BELGA LA BELGIQUE D’UNE CRISE À L’AUTRE Comment la Belgique s’est- elle comportée par rapport à quatre crises majeures surve- nues en 2015 et qui feront en- core l’actualité en 2016? Nous avons pris un peu de hauteur en sollicitant l’avis d’experts reconnus. Aujourd’hui, nous nous penchons sur la course derrière le sacro-saint retour à l’équilibre budgétaire et les sacrifices qu’elle impose. LES PHRASES CLÉS «Tout ce qui provient de la Commission est issu d’un moule ultralibéral et délibé- rément anti-keynésien«Il y a une logique élitiste, d’aristocratie de l’argent, qui joue contre celui qui gagne sa vie en travaillant.» «Les États devraient tirer parti du fait que les taux sont ex- trêmement bas et emprun- ter.» «Il n’existe pas de mécanisme pour transformer automati- quement les baisses de charges en emplois«Taxer la spéculation est une excellente idée. Et il faut l’étendre à tous les investis- seurs.» «Il n’existe pas de mécanisme pour transformer baisse de charges en emplois.» PAUL JORION ÉCONOMISTE Paul Jorion «Pour augmenter la compétitivité, il faut diviser bonus et dividendes» CRISES BELGES 3/4

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Interview L'Echo - Jeudi 31 décembre 2015 - Paul Jorion

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L’ECHO JEUDI 31 DÉCEMBRE 2015 7

Économie&Politique

UnNouvelanàlamaisonpourlesBruxelloisLes festivités, dont le feu d’arti-fice, prévues à la place DeBrouckère, à Bruxelles, ont étéannulées hier. Le risque d’atten-tat sur l’événement est jugé im-portant par le centre de crise.

NATHALIE BAMPS

Bruxelles ne ferapas la fête ce 31dé-cembre 2015. Le traditionnel feud’artifice de la Saint-Sylvestre, avecles festivitésqui l’entourent,aétéan-nulé. La place de Brouckère resteravide.Denombreuses villes depar lemonde, de Paris àNewYork enpas-santparMoscou,ontaussimis leursfestivités enmodemineur, ou soushaute sécurité.

LesBruxellois, eux, sontdoncap-pelés à réveillonner à lamaison, aurestaurant, mais pas dans la rue.C’est le caractèrede rassemblement

demasse (l’an dernier, le feu d’arti-fice avait attiré 100.000personnes)qui a guidé la décision du bourg-mestre de Bruxelles Yvan Mayeur.«On ne peut pas garantir que l’onpourra contrôler tout lemonde», a-t-ildéclaré, après s’être entretenu avecleministrede l’Intérieur Jan Jambonet les responsables de la cellule decrise. «Des opérations sont encore encours, l’Ocam doit encore affiner sesanalyses, il vautmieux ne pas prendrede risque», a encoredit lebourgmes-tre de la Ville, qui précise que la dé-cisionnetouchepas les lieuxpublicscomme les hôtels et restaurants.

Pour le petit monde de l’horecabruxellois, la catastrophe est déjàd’actualité.Avantmêmeque ladéci-sion ne soit connue, les restaura-teurs de la ville avaient enregistréune chute dramatique des réserva-tions. D’après la fédération du sec-

teur,50%desrestaurantsn’ouvrirontpas leurs portes pour le réveillon,faute de convives. Depuis les atten-tats de Paris, le chiffre d’affaires desrestaurateurs a baissé de 40%.

Chasse à l’hommeDepuismardi, la ville de Bruxelles areplongé dans une ambiance dechasse à l’homme, après que deuxindividus ont été arrêtés pour «me-nacesd’attentats» et «participationsauxactivitésd’ungroupeterroriste».Leprofildesdeuxsuspects est àpré-sent connu:membres tous les deux(etmême fondateurs) d’un groupede bikers bruxellois, les KamikazeRiders, Saïd Souati etMohamedKe-rai doivent passer jeudi devant laChambre du Conseil de Bruxelles.Leursactivitésne seraientpasdirec-tement liées aux attentats de Paris.Mais lenomdeSaïdSouati a été cité

dans le procès de Sharia4Belgium.Ni armes ni explosifs n’avaient étédécouverts lors des perquisitions.Les enquêteurs ont en revanchetrouvé «dumatériel informatique, destenuesd’entraînementde typemilitaireet dumatériel de propagande de l’Etatislamique». L’enquêtedevradétermi-ner s’il y a eu un lien direct avec legroupe EI, a rapporté une sourceprochedudossier. «Lebutdes enquê-teurs est de démanteler unmaximumdecellulesougroupuscules terroristes»,aexpliquéhiersoir lePremierminis-tre CharlesMichel sur le plateau duJT de la RTBF. L’enquête ne se limitedoncpasà la recherchedes suspectstoujours en fuite.

Les forces de police tirent donc(façondeparler) dans tous les sens:lancementd’unavisderecherchedequatre djihadistes dans le cadre del’exécution du jugement du procès

de Sharia4Belgium (sans que l’onsache si cela a un lien avec Paris oul’arrestationdesdeuxbikersbruxel-lois),nouveaucoupdefiletàMolen-beek, dans la maison où Salah Ab-deslam s’était retranché avant des’échapper aunez et à la barbede lapolice belge. Les policiers ont inter-pellé un individu dans le cadre del’enquête sur les attentats de Paris.L’homme, dont on saura au-jourd’hui s’ildoitêtre inculpé,auraitun lien avec le drameparisien.

Hierenfin,nosconfrèresdu jour-nal «Le Monde» ont également ré-véléque les auteursdes attentatsdeParis avaient été directement coor-donnés depuis Bruxelles, par despersonnes encore non-identifiées.De quoi maintenir les enquêteurssur les dents. Salah Abdeslam estloin d’être le seul terroriste encoreen fuite...

INTERVIEWBENOÎT MATHIEU

A nthropologue et socio-logue de formation, PaulJorion passe pourtant leplus clair de son temps à

causer finance et économie. Mem-breduHautcomitépour l’avenirdusecteur financier belge – qui vient,aprèshuitmoisde travail, de remet-tre ses conclusions auministre desFinances –, Paul Jorion a enseignél’économie à Bruxelles, Paris ouCambridge.Auteurdeplusieursou-vrages,dontun,prémonitoire, sur lacrise des subprimes, il revient sur lecheminde croixbudgétaire et la ré-forme fiscalemade in Belgium.

La Belgique court derrière l’équi-librebudgétaire.Est-ceunobjectifsouhaitable?Dans nos pays démocratiques, lesgouvernements évoluent selon levote des électeurs. Mais les institu-tions européennes, elles, pour les-quelles personne ne vote, sont em-preintes d’une idéologie particu-lière, qui s’est inscrite au fil desannées.Quidécouledu faitque l’in-tégration européenne s’est fondéeessentiellement sur l’idéed’unmar-ché – et l’idéologie spontanée desmilieuxd’affairesc’est le libéralisme,voire le néolibéralisme.

Vous évoquez aussi le plan Mar-shall.C’est l’autre aspect auquel on nepense pas souvent. Ces institutionsse sont développées dans un cadreparticulier: celui du plan Marshall.Dès le départ, elles ont dû se coulerdans un moule, celui de la sociétéaméricaine. Pour contrôler l’utilisa-tion de l’argent de ce plan, lesAméricains ont demandé que celase fassedans les catégories compta-blesqui étaient les leurs, et ces caté-gories sontdevenues lemouledanslequel nous avons commencé àfonctionner. Catégories qui ont étéessentiellement mises au point parla Chambre de commerce améri-caine. C’est toujours cela que l’onretrouve à la Commission. Tout çapour dire que ce qui provient de laCommission est issu d’un mouleultralibéral et délibérément anti-keynésien. On impose une rigueurbudgétaire qui empêche de mettrel’accent sur l’État-providence.

Vous dénoncez cette idéologie?Oui. Tout comme ces normes SEC2010quiexigentque l’oncomptabi-lise l’entièretéd’unprojet l’annéeoùilestmisenroute.Résultat,onconsi-dère qu’un emprunt n’est pas unerentréeet constitueuniquementunpassif. On ne peut pas dire: «Cette

année,onaempruntédonconpeutfairedeschoses.»Cen’estpasparha-sard. Il y a des gens qui ont écrit ça.Pasdes imbéciles, ils l’ont faitdélibé-rément. C’est anti-keynésien. Et si-gnifie que durant les périodes dedifficultés, onneconsidèrepasqu’ily ait une sorte de solidarité natio-nale. Pas de répartition de l’effort,qui doit être porté uniquement parles salaires. Une logique élitiste,d’aristocratie de l’argent, qui jouecontre celui qui gagne sa vie en tra-vaillant.

Revenir à l’équilibre en 2018 n’estpas primordial, alors.Iln’yaaucunenécessitéàallersivite!Aucontraire.LesÉtatsdevraienttirerparti du fait que les taux sont extrê-mementbasetemprunter.Mêmes’ilmène une politique plus à gauchequ’en France, c’est le côté libéral dugouvernement belge: il est d’accordavec la politiquedeBruxelles.

Et sa réforme fiscale, vous en pen-sezquoi?Diminuer leschargespa-tronales va-t-il doper l’emploi?Il n’existe pas de mécanisme pourtransformercelaautomatiquementenemplois.Déjà, il y aunproblèmegénéral que personne ne veut voir:c’est laquestionde ladisparitiondutravail, le remplacement du travailmanuel par des robots et du travailintellectuelpardes logiciels.Qu’est-

cequ’on fait?On laisse la chargedutravail à l’individu; il a perdu sonjob, il faut qu’il en trouve un autre.C’est ridicule. Ensuite, ce que l’onpeut dire, c’est que diminuer lescharges, cela rime simplement avecaugmentationdesprofitspour l’en-treprise.Est-cequecelaconduitàunréinvestissement? Uniquement s’ilexiste une demande pour les pro-duits. S’il n’y en a pas, cela passe di-rectement en augmentationdes di-videndes et du salaire des patrons –on l’a vu en France.

Etcommentstimuler lademande?C’est très simple: enaugmentant lessalaires. Or que font les gouverne-ments, quand ils sont en difficulté?Onfaitde l’austérité,onbaisse les sa-laires. Parce que l’idéologie libéraleprofèrequ’ilne faut surtoutpas tou-cher aux profits et qu’il faut baisserles salaires. Tout ça est inscrit dansles normes comptables; sur les

feuilles de salaire, il est apposé lamention «coût pour l’entreprise».Mais les bonus et la distribution dedividendes, c’est aussi un coût pourl’entreprise. C’est évident.

Hausser les salaires, cela ne va pasaffecter la compétitivité?La compétitivité, c’est formidable.Pour l’augmenter, il faut diviser pardeux les salaires des patrons et lesdividendes.Avecça, elleva sauterauplafond.Pourquoine le fait-onpas?Parcequepersonneneveutypenser.Les salaires sontunevariabled’ajus-tement, les dividendes non. Quelleest la loiquidit cela?C’estunechosequenous admettons, qui va de soi.

Taxer la spéculation, c’est moinsévident. La Belgique veut le faire,mais de manière accessoire.C’est une excellente idée. Et il fautl’étendre à tous les investisseurs: onl’appliqueuniquementauxparticu-liers et pas aux entreprises. Il n’y aaucune raison. Ce ne sont pas lesparticuliers qui sont en position demanipuler les marchés boursiers,mais lesgrandesentreprises.C’est lemoded’applicationdecette taxequiest gadget, pas son principe. J’aimêmel’impressionqueceuxquiontproposécette taxenecomprennentpas trèsbien lemécanismede laspé-culation.

«Le but desenquêteurs est dedémanteler unmaximumde cellulesou groupusculesterroristes.»

CHARLES MICHELPREMIER MINISTRE

Paul Jorion ne voit pas pourquoi les salaires seraient la seule variable d’ajustement. © DIETER TELEMANS

2015 vuepar…PaulMagnetteMon meilleur souvenirPeut-être la COP21. Un moisaprès la barbarie en France,200 états réussissent à s’en-tendre, à Paris, pour signer lepremier accord universel pourle climat. Je me réjouis que,durant le sommet, l’ONU aitcité la Wallonie en exemple,parmi une poignée d’Étatscomme la Suède ou l’Alle-magne.

Le moins bonComme tout le monde, j’ai ététerriblement touché par les at-tentats qui ont frappé laFrance. L’attentat de CharlieHebdo a été un choc terrible.Mais on ne savait pas encorequ’il préfigurerait d’autresactes atroces d’une plusgrande ampleur encore.

Mon «coup de cœur» culturelLa pièce de théâtre «RevueRavage» de Tom Lanoye.

Ma bonne résolution pour2016Mon emploi du temps estchargé. Comme père de fa-mille nombreuse, je tente dem’organiser aux mieux pourm’occuper de mes enfants. Mabonne résolution est simple:passer plus de temps aveceux.

Ministre-présidentde la Régionwallonne. © BELGA

LA BELGIQUED’UNE CRISEÀ L’AUTRE

Comment la Belgique s’est-elle comportée par rapport àquatre crises majeures surve-nues en 2015 et qui feront en-core l’actualité en 2016? Nousavons pris un peu de hauteuren sollicitant l’avis d’expertsreconnus. Aujourd’hui, nousnous penchons sur la coursederrière le sacro-saint retourà l’équilibre budgétaire et lessacrifices qu’elle impose.

LES PHRASESCLÉS

«Tout ce qui provient de laCommission est issu d’un

moule ultralibéral et délibé-rément anti-keynésien.»

«Il y a une logique élitiste,d’aristocratie de l’argent, quijoue contre celui qui gagne sa

vie en travaillant.»

«Les États devraient tirer partidu fait que les taux sont ex-trêmement bas et emprun-

ter.»

«Il n’existe pas de mécanismepour transformer automati-

quement les baisses decharges en emplois.»

«Taxer la spéculation est uneexcellente idée. Et il faut

l’étendre à tous les investis-seurs.»

«Il n’existe pas demécanisme pourtransformer baisse decharges en emplois.»

PAUL JORIONÉCONOMISTE

Paul Jorion

«Pouraugmenter lacompétitivité,il fautdiviserbonusetdividendes»

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