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Page 1: Interview L'Echo - Jeudi 31 décembre 2015

L’ECHO JEUDI 31 DÉCEMBRE 2015 7

Économie&Politique

UnNouvelanàlamaisonpourlesBruxelloisLes festivités, dont le feu d’arti-fice, prévues à la place DeBrouckère, à Bruxelles, ont étéannulées hier. Le risque d’atten-tat sur l’événement est jugé im-portant par le centre de crise.

NATHALIE BAMPS

Bruxelles ne ferapas la fête ce 31dé-cembre 2015. Le traditionnel feud’artifice de la Saint-Sylvestre, avecles festivitésqui l’entourent,aétéan-nulé. La place de Brouckère resteravide.Denombreuses villes depar lemonde, de Paris àNewYork enpas-santparMoscou,ontaussimis leursfestivités enmodemineur, ou soushaute sécurité.

LesBruxellois, eux, sontdoncap-pelés à réveillonner à lamaison, aurestaurant, mais pas dans la rue.C’est le caractèrede rassemblement

demasse (l’an dernier, le feu d’arti-fice avait attiré 100.000personnes)qui a guidé la décision du bourg-mestre de Bruxelles Yvan Mayeur.«On ne peut pas garantir que l’onpourra contrôler tout lemonde», a-t-ildéclaré, après s’être entretenu avecleministrede l’Intérieur Jan Jambonet les responsables de la cellule decrise. «Des opérations sont encore encours, l’Ocam doit encore affiner sesanalyses, il vautmieux ne pas prendrede risque», a encoredit lebourgmes-tre de la Ville, qui précise que la dé-cisionnetouchepas les lieuxpublicscomme les hôtels et restaurants.

Pour le petit monde de l’horecabruxellois, la catastrophe est déjàd’actualité.Avantmêmeque ladéci-sion ne soit connue, les restaura-teurs de la ville avaient enregistréune chute dramatique des réserva-tions. D’après la fédération du sec-

teur,50%desrestaurantsn’ouvrirontpas leurs portes pour le réveillon,faute de convives. Depuis les atten-tats de Paris, le chiffre d’affaires desrestaurateurs a baissé de 40%.

Chasse à l’hommeDepuismardi, la ville de Bruxelles areplongé dans une ambiance dechasse à l’homme, après que deuxindividus ont été arrêtés pour «me-nacesd’attentats» et «participationsauxactivitésd’ungroupeterroriste».Leprofildesdeuxsuspects est àpré-sent connu:membres tous les deux(etmême fondateurs) d’un groupede bikers bruxellois, les KamikazeRiders, Saïd Souati etMohamedKe-rai doivent passer jeudi devant laChambre du Conseil de Bruxelles.Leursactivitésne seraientpasdirec-tement liées aux attentats de Paris.Mais lenomdeSaïdSouati a été cité

dans le procès de Sharia4Belgium.Ni armes ni explosifs n’avaient étédécouverts lors des perquisitions.Les enquêteurs ont en revanchetrouvé «dumatériel informatique, destenuesd’entraînementde typemilitaireet dumatériel de propagande de l’Etatislamique». L’enquêtedevradétermi-ner s’il y a eu un lien direct avec legroupe EI, a rapporté une sourceprochedudossier. «Lebutdes enquê-teurs est de démanteler unmaximumdecellulesougroupuscules terroristes»,aexpliquéhiersoir lePremierminis-tre CharlesMichel sur le plateau duJT de la RTBF. L’enquête ne se limitedoncpasà la recherchedes suspectstoujours en fuite.

Les forces de police tirent donc(façondeparler) dans tous les sens:lancementd’unavisderecherchedequatre djihadistes dans le cadre del’exécution du jugement du procès

de Sharia4Belgium (sans que l’onsache si cela a un lien avec Paris oul’arrestationdesdeuxbikersbruxel-lois),nouveaucoupdefiletàMolen-beek, dans la maison où Salah Ab-deslam s’était retranché avant des’échapper aunez et à la barbede lapolice belge. Les policiers ont inter-pellé un individu dans le cadre del’enquête sur les attentats de Paris.L’homme, dont on saura au-jourd’hui s’ildoitêtre inculpé,auraitun lien avec le drameparisien.

Hierenfin,nosconfrèresdu jour-nal «Le Monde» ont également ré-véléque les auteursdes attentatsdeParis avaient été directement coor-donnés depuis Bruxelles, par despersonnes encore non-identifiées.De quoi maintenir les enquêteurssur les dents. Salah Abdeslam estloin d’être le seul terroriste encoreen fuite...

INTERVIEWBENOÎT MATHIEU

A nthropologue et socio-logue de formation, PaulJorion passe pourtant leplus clair de son temps à

causer finance et économie. Mem-breduHautcomitépour l’avenirdusecteur financier belge – qui vient,aprèshuitmoisde travail, de remet-tre ses conclusions auministre desFinances –, Paul Jorion a enseignél’économie à Bruxelles, Paris ouCambridge.Auteurdeplusieursou-vrages,dontun,prémonitoire, sur lacrise des subprimes, il revient sur lecheminde croixbudgétaire et la ré-forme fiscalemade in Belgium.

La Belgique court derrière l’équi-librebudgétaire.Est-ceunobjectifsouhaitable?Dans nos pays démocratiques, lesgouvernements évoluent selon levote des électeurs. Mais les institu-tions européennes, elles, pour les-quelles personne ne vote, sont em-preintes d’une idéologie particu-lière, qui s’est inscrite au fil desannées.Quidécouledu faitque l’in-tégration européenne s’est fondéeessentiellement sur l’idéed’unmar-ché – et l’idéologie spontanée desmilieuxd’affairesc’est le libéralisme,voire le néolibéralisme.

Vous évoquez aussi le plan Mar-shall.C’est l’autre aspect auquel on nepense pas souvent. Ces institutionsse sont développées dans un cadreparticulier: celui du plan Marshall.Dès le départ, elles ont dû se coulerdans un moule, celui de la sociétéaméricaine. Pour contrôler l’utilisa-tion de l’argent de ce plan, lesAméricains ont demandé que celase fassedans les catégories compta-blesqui étaient les leurs, et ces caté-gories sontdevenues lemouledanslequel nous avons commencé àfonctionner. Catégories qui ont étéessentiellement mises au point parla Chambre de commerce améri-caine. C’est toujours cela que l’onretrouve à la Commission. Tout çapour dire que ce qui provient de laCommission est issu d’un mouleultralibéral et délibérément anti-keynésien. On impose une rigueurbudgétaire qui empêche de mettrel’accent sur l’État-providence.

Vous dénoncez cette idéologie?Oui. Tout comme ces normes SEC2010quiexigentque l’oncomptabi-lise l’entièretéd’unprojet l’annéeoùilestmisenroute.Résultat,onconsi-dère qu’un emprunt n’est pas unerentréeet constitueuniquementunpassif. On ne peut pas dire: «Cette

année,onaempruntédonconpeutfairedeschoses.»Cen’estpasparha-sard. Il y a des gens qui ont écrit ça.Pasdes imbéciles, ils l’ont faitdélibé-rément. C’est anti-keynésien. Et si-gnifie que durant les périodes dedifficultés, onneconsidèrepasqu’ily ait une sorte de solidarité natio-nale. Pas de répartition de l’effort,qui doit être porté uniquement parles salaires. Une logique élitiste,d’aristocratie de l’argent, qui jouecontre celui qui gagne sa vie en tra-vaillant.

Revenir à l’équilibre en 2018 n’estpas primordial, alors.Iln’yaaucunenécessitéàallersivite!Aucontraire.LesÉtatsdevraienttirerparti du fait que les taux sont extrê-mementbasetemprunter.Mêmes’ilmène une politique plus à gauchequ’en France, c’est le côté libéral dugouvernement belge: il est d’accordavec la politiquedeBruxelles.

Et sa réforme fiscale, vous en pen-sezquoi?Diminuer leschargespa-tronales va-t-il doper l’emploi?Il n’existe pas de mécanisme pourtransformercelaautomatiquementenemplois.Déjà, il y aunproblèmegénéral que personne ne veut voir:c’est laquestionde ladisparitiondutravail, le remplacement du travailmanuel par des robots et du travailintellectuelpardes logiciels.Qu’est-

cequ’on fait?On laisse la chargedutravail à l’individu; il a perdu sonjob, il faut qu’il en trouve un autre.C’est ridicule. Ensuite, ce que l’onpeut dire, c’est que diminuer lescharges, cela rime simplement avecaugmentationdesprofitspour l’en-treprise.Est-cequecelaconduitàunréinvestissement? Uniquement s’ilexiste une demande pour les pro-duits. S’il n’y en a pas, cela passe di-rectement en augmentationdes di-videndes et du salaire des patrons –on l’a vu en France.

Etcommentstimuler lademande?C’est très simple: enaugmentant lessalaires. Or que font les gouverne-ments, quand ils sont en difficulté?Onfaitde l’austérité,onbaisse les sa-laires. Parce que l’idéologie libéraleprofèrequ’ilne faut surtoutpas tou-cher aux profits et qu’il faut baisserles salaires. Tout ça est inscrit dansles normes comptables; sur les

feuilles de salaire, il est apposé lamention «coût pour l’entreprise».Mais les bonus et la distribution dedividendes, c’est aussi un coût pourl’entreprise. C’est évident.

Hausser les salaires, cela ne va pasaffecter la compétitivité?La compétitivité, c’est formidable.Pour l’augmenter, il faut diviser pardeux les salaires des patrons et lesdividendes.Avecça, elleva sauterauplafond.Pourquoine le fait-onpas?Parcequepersonneneveutypenser.Les salaires sontunevariabled’ajus-tement, les dividendes non. Quelleest la loiquidit cela?C’estunechosequenous admettons, qui va de soi.

Taxer la spéculation, c’est moinsévident. La Belgique veut le faire,mais de manière accessoire.C’est une excellente idée. Et il fautl’étendre à tous les investisseurs: onl’appliqueuniquementauxparticu-liers et pas aux entreprises. Il n’y aaucune raison. Ce ne sont pas lesparticuliers qui sont en position demanipuler les marchés boursiers,mais lesgrandesentreprises.C’est lemoded’applicationdecette taxequiest gadget, pas son principe. J’aimêmel’impressionqueceuxquiontproposécette taxenecomprennentpas trèsbien lemécanismede laspé-culation.

«Le but desenquêteurs est dedémanteler unmaximumde cellulesou groupusculesterroristes.»

CHARLES MICHELPREMIER MINISTRE

Paul Jorion ne voit pas pourquoi les salaires seraient la seule variable d’ajustement. © DIETER TELEMANS

2015 vuepar…PaulMagnetteMon meilleur souvenirPeut-être la COP21. Un moisaprès la barbarie en France,200 états réussissent à s’en-tendre, à Paris, pour signer lepremier accord universel pourle climat. Je me réjouis que,durant le sommet, l’ONU aitcité la Wallonie en exemple,parmi une poignée d’Étatscomme la Suède ou l’Alle-magne.

Le moins bonComme tout le monde, j’ai ététerriblement touché par les at-tentats qui ont frappé laFrance. L’attentat de CharlieHebdo a été un choc terrible.Mais on ne savait pas encorequ’il préfigurerait d’autresactes atroces d’une plusgrande ampleur encore.

Mon «coup de cœur» culturelLa pièce de théâtre «RevueRavage» de Tom Lanoye.

Ma bonne résolution pour2016Mon emploi du temps estchargé. Comme père de fa-mille nombreuse, je tente dem’organiser aux mieux pourm’occuper de mes enfants. Mabonne résolution est simple:passer plus de temps aveceux.

Ministre-présidentde la Régionwallonne. © BELGA

LA BELGIQUED’UNE CRISEÀ L’AUTRE

Comment la Belgique s’est-elle comportée par rapport àquatre crises majeures surve-nues en 2015 et qui feront en-core l’actualité en 2016? Nousavons pris un peu de hauteuren sollicitant l’avis d’expertsreconnus. Aujourd’hui, nousnous penchons sur la coursederrière le sacro-saint retourà l’équilibre budgétaire et lessacrifices qu’elle impose.

LES PHRASESCLÉS

«Tout ce qui provient de laCommission est issu d’un

moule ultralibéral et délibé-rément anti-keynésien.»

«Il y a une logique élitiste,d’aristocratie de l’argent, quijoue contre celui qui gagne sa

vie en travaillant.»

«Les États devraient tirer partidu fait que les taux sont ex-trêmement bas et emprun-

ter.»

«Il n’existe pas de mécanismepour transformer automati-

quement les baisses decharges en emplois.»

«Taxer la spéculation est uneexcellente idée. Et il faut

l’étendre à tous les investis-seurs.»

«Il n’existe pas demécanisme pourtransformer baisse decharges en emplois.»

PAUL JORIONÉCONOMISTE

Paul Jorion

«Pouraugmenter lacompétitivité,il fautdiviserbonusetdividendes»

CRISESBELGES3/4

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