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24
Comment construire l’avenir ? Les médias vous ont rebattu les oreilles de l’élection législative partielle dans le Doubs pendant la semaine qui a précédé le premier tour du 1er février. C’est au lendemain de ce premier tour que j’écris cet édito. Vous trouverez quelques échos de la campagne à l’inté- rieur de La Feuille Verte. Cette élection s’est vue percuter par les attentats de début janvier. De l’élection on retiendra un taux d’abstention écrasant, plus de 60 % : notre démocratie est malade. Le Front national arrive en tête, avec une candidate qui n’a pas fait de campagne de terrain, qui habite à 120 km du Pays de Montbéliard et qui n’a aucune proposi- tion concrète : les votes qui se portent sur elle sont des votes de refus des autres partis, pas des votes d’adhésion. Le candidat socia- liste se qualifie pour le second tour mais en perdant 55 % de ses voix de 2012. Ces 9 000 voix perdues forment l’essentiel des nouveaux abstentionnistes. J’ajouterai que de nombreuses personnes rencon- trées pendant la campagne disait « Je voterais bien pour vous mais j’ai peur du Front National ». Alors bien sûr, on pourra retrouver un peu de baume au cœur : le candidat écologiste est le seul qui conserve ses électeurs. Il voit son score passer de 1,99 % à 3,11 %. Cela n’effacera pas que le désarroi est grand. Les votes d’adhésion, les votes constructifs sont très minoritaires. Les attentats de début janvier commencent à s’effacer de l’actualité. Ils sont encore très présents dans cette Feuille Verte. Normal, parce que les victimes de Charlie sont nos amis, nos compa- gnons de route. Normal aussi parce qu’ils ont provoqué un vrai choc parmi nos concitoyens. Normal enfin parce que l’élan des manifesta- tions qui ont suivi ont créé un espoir : l’espoir d’une unité nationale qui permet de trouver la force nécessaire à changer notre société ; toutes proportions gardées, un élan comparable à celui qui est né à la sortie de la seconde guerre mondiale. Mais cet élan n’aura sans doute été qu’un feu de paille. Ces évènements omniprésents dans les premiers jours de la campagne ont été très vite récupérés par les candidats. Alors oui, comme je le disais au début, notre démocratie est malade. Nous sommes sans doute un des seuls espoirs, c’est en tout cas ce que nous avons observé pendant cette campagne. Nous pou- vons être un point de cristallisation des femmes et des hommes qui ont envie de changer le monde, des hommes et des femmes qui sont proches de nous dans leurs engagements politiques, proches de nous dans leurs engagements associatifs, proches de nous dans leur vie de tous les jours. Ouvrons notre parti, ne craignons pas la dilu- tion de nos idées, créons des convergences, c’est sans doute comme cela que nous construirons l’avenir. Je terminerai par notre slogan de campagne : J’ose croire que nous pouvons changer le monde ! FÉVRIER 2015 / n°204 / 1,70 € Bernard Lachambre Cosecrétaire EELV-FC Candidat à l’élection législa- tive partielle du Doubs

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Comment construire l’avenir ?

Les médias vous ont rebattu les oreilles de l’élection législative

partielle dans le Doubs pendant la semaine qui a précédé le premier

tour du 1er février. C’est au lendemain de ce premier tour que j’écris

cet édito. Vous trouverez quelques échos de la campagne à l’inté-

rieur de La Feuille Verte. Cette élection s’est vue percuter par les

attentats de début janvier.

De l’élection on retiendra un taux d’abstention écrasant, plus

de 60 % : notre démocratie est malade. Le Front national arrive en

tête, avec une candidate qui n’a pas fait de campagne de terrain, qui

habite à 120 km du Pays de Montbéliard et qui n’a aucune proposi-

tion concrète : les votes qui se portent sur elle sont des votes de

refus des autres partis, pas des votes d’adhésion. Le candidat socia-

liste se qualifie pour le second tour mais en perdant 55 % de ses voix

de 2012. Ces 9 000 voix perdues forment l’essentiel des nouveaux

abstentionnistes. J’ajouterai que de nombreuses personnes rencon-

trées pendant la campagne disait « Je voterais bien pour vous mais

j’ai peur du Front National ».

Alors bien sûr, on pourra retrouver un peu de baume au

cœur : le candidat écologiste est le seul qui conserve ses électeurs. Il

voit son score passer de 1,99 % à 3,11 %. Cela n’effacera pas que le

désarroi est grand. Les votes d’adhésion, les votes constructifs sont

très minoritaires.

Les attentats de début janvier commencent à s’effacer de

l’actualité. Ils sont encore très présents dans cette Feuille Verte.

Normal, parce que les victimes de Charlie sont nos amis, nos compa-

gnons de route. Normal aussi parce qu’ils ont provoqué un vrai choc

parmi nos concitoyens. Normal enfin parce que l’élan des manifesta-

tions qui ont suivi ont créé un espoir : l’espoir d’une unité nationale

qui permet de trouver la force nécessaire à changer notre société ;

toutes proportions gardées, un élan comparable à celui qui est né à

la sortie de la seconde guerre mondiale. Mais cet élan n’aura sans

doute été qu’un feu de paille. Ces évènements omniprésents dans

les premiers jours de la campagne ont été très vite récupérés par les

candidats.

Alors oui, comme je le disais au début, notre démocratie est

malade. Nous sommes sans doute un des seuls espoirs, c’est en tout

cas ce que nous avons observé pendant cette campagne. Nous pou-

vons être un point de cristallisation des femmes et des hommes qui

ont envie de changer le monde, des hommes et des femmes qui sont

proches de nous dans leurs engagements politiques, proches de

nous dans leurs engagements associatifs, proches de nous dans leur

vie de tous les jours. Ouvrons notre parti, ne craignons pas la dilu-

tion de nos idées, créons des convergences, c’est sans doute comme

cela que nous construirons l’avenir. Je terminerai par notre slogan

de campagne :

J’ose croire que nous pouvons changer le monde !

FÉVRIER 2015 / n°204 / 1,70 €

Bernard Lachambre

Cosecrétaire EELV-FC

Candidat à l’élection législa-

tive partielle du Doubs

LÉGISLATIVE PARTIELLE QUELQUES RÉSULTATS

Sommaire

2

P 1 : Edito

P 2 : Pays de Montbéliard. Législative partielle

P 3-4-5 : Législative partielle : paroles d’écologistes

P 6 : Ciao, oncle Bernard !

P 7-8 : Y-a-t-il une recrudescence de l’antisémitisme ?

P 9-10-11 : Laïcité

P 12 : Lettre à Mme Latifa Ibn Ziaten

P 13 : Syriza entre rêve et réalités

P 14 : La victoire de Syriza fait renaître l’espoir en Europe

P15-16 : Drôles de drones

P 16-17 : Une abeille royale et une Royal pas piquée des

hannetons

P 18-19 : Big brother, usine du futur, coopération et révolu-

tion photovoltaïque

P 20-21 : Un mois, émois, et moi

P 22-23 : J’essuie Charlie

P 24 : Bulletin d’adhésion

Pays de Montbéliard

Participation : 39,56 % Abstention : 60,44 %

Frédéric BARBIER PS 28,85 % 7416 voix

Charles DEMOUGE UMP 26,54 % 6824 voix

Sophie MONTEL FN 32,60 % 8382 voix

Vincent ADAMI FDG 3,66 % 941 voix

Bernard LACHAMBRE EÉLV 3,11 % 799 voix

Discours d’Emmanuelle COSSE lors

du meeting du 26 janvier 2015 à

Seloncourt.

De gauche à droite :

Daniel FEURTEY, Anna MAILLARD,

Alain FOUSSERET, Bernard

LACHAMBRE, Éric ALAUZET,

Odile JOANNES

Photos : [email protected]

3

Pays de Montbéliard

LÉGISLATIVE PARTIELLE : PAROLES D'ÉCOLOGISTES

Les élections législatives partielles ne mobilisent

généralement pas les foules. Mais celle-ci a un retentisse-

ment important, par son rapport avec les événements

récents - c’est la première après l’attentat contre

Charlie Hebdo (1) -, par son origine (la démission de Pierre

Moscovici), mais aussi du fait de la situation locale. So-

chaux, deuxième site industriel de France avec encore

11 000 employés, n’est plus en mesure de fournir un em-

ploi à tous les habitants du Pays de Montbéliard. Le chô-

mage dépasse les 13 %. Les questions du chômage et de

l’emploi auront été omniprésentes dans nos rencontres

avec les habitants ; il en a sans doute été de même pour

les autres candidats … du moins ceux qui sont allés à la

rencontre des électeurs !

D’autres questions nous ont été aussi fré-

quemment posées, tournant autour de l’environne-

ment. Le Doubs, qui arrose Audincourt, est malade. Au

printemps dernier, le préfet a interdit la pêche dans le

Dessoubre, un affluent du Doubs, classé il y a quelques

années seulement comme l’une des plus belles rivières de

France. 1 500 habitants de notre région se sont mobilisés

le 17 mai 2014 à Saint-Hippolyte pour dénoncer des règle-

mentations trop laxistes ou non appliquées dans les do-

maines de l’agriculture, de l’assainissement, de la filière

bois, etc.

Autre question environnementale : la pollution de

l’air. L’Aire Urbaine Belfort-Montbéliard est un des

25 territoires français qui ont dû mettre en place un Plan

de Protection de l’Atmosphère pour lutter contre les pics

de pollution. Une pollution due pour une part importante

au trafic routier. Au pays de l’automobile, la question est

sensible et la pollution par les véhicules diesel inquiète.

Enfin, troisième thème abordé : le bien-vivre

ensemble et la défiance envers le monde politique. Sept

quartiers ANRU (2) parsèment le Pays de Montbéliard,

dont quatre dans notre circonscription. Ils ont été cons-

truits à la va-vite il y a 40 ans pour répondre au besoin de

main-d’œuvre de la filière automobile.

Aujourd’hui, les opérations de rénovation urbaine ne

suffisent pas à panser les plaies ouvertes par la dégrada-

tion du bâti, la hausse des charges de chauffage, le

manque d’équipements publics dans certains lieux, le

manque de perspective pour des habitants en proie aux

difficultés économiques, etc. Et à ces problèmes concrets

rencontrés par une part croissante de la population

s’ajoute une inquiétude plus sourde pour l’avenir, inquié-

tude renforcée par le manque de lisibilité du message

donné et par le défaut d’analyse de la crise qu’offre la

majeure partie du monde politique. Nos concitoyens per-

çoivent plus ou moins clairement que notre modèle so-

cial, basé sur la croissance et l’exploitation irraisonnée

des ressources naturelles, va dans le mur. Alors, bien sûr,

il va falloir changer, il va falloir faire des efforts ; mais

quel est l’objectif et comment cet effort sera-t-il réparti ?

Nos propositions, elles, sont ancrées dans le réel et

peuvent apporter dès maintenant des solutions aux diffi-

cultés rencontrées par nos concitoyens ; elles s’appuient

sur une analyse de notre modèle social et économique

pour proposer des solutions viables sur le long terme.

Penser globalement, agir localement !

La Feuille Verte reproduit ci-après de larges extraits des allocutions prononcées, lors du meeting du

26 janvier (en présence d'Emmanuelle Cosse et d'Éric Alauzet), par nos deux candidats, Bernard Lachambre

et Anna Maillard.

Le dérèglement climatique ne fait plus débat.

Nous savons que l'augmentation des températures

moyennes sera au mieux de 2°C en 2100, au pire de 6°C, ce

qui serait une catastrophe. Nous avons vécu cette année en

France un nombre d’ « épisodes cévenols » sans précédent.

En 2015, se tiendra à Paris la conférence mondiale pour le

climat (COP21). Des engagements seront pris à l’échelle

mondiale, et certains le sont déjà au niveau européen et en

France dans le cadre de la loi pour la transition énergétique

- loi largement travaillée et enrichie par les députés écolo-

gistes. Concrètement, sur notre territoire, cela doit se tra-

duire par des économies d’énergie dans le chauffage des

bâtiments, par le développement des transports en com-

mun et des modes doux de déplacement, par la production

d’énergies renouvelables. Au cours de mon mandat comme

vice-président de PMA (Pays de

Montbéliard Agglomération), j’ai pu mettre en place un

guichet unique pour la rénovation énergétique des bâti-

ments, et cela avant l’adoption de la loi ALUR, conduite par

Cécile Duflot, alors ministre de l’Égalité des territoires et du

Logement. Le respect de l’engagement pris par le Conseil

régional ramené à notre territoire, c’est au moins 750 em-

plois directs par an pendant 30 ans et, en bonus, la réduc-

tion des charges de chauffage, donc plus de pouvoir

d’achat. Les aides des pouvoirs publics doivent être en co-

hérence avec ces objectifs.

J’ai aussi œuvré pour un ambitieux programme de

pistes cyclables. Ce n’est pas encore parfait, loin de là, mais

ces six dernières années, de gros progrès ont été faits. J’ai

argumenté pour une extension de la plage horaire de fonc-

tionnement des bus urbains et j’ai obtenu gain de cause.

Citons encore l’étude que j’ai pilotée sur le potentiel

d’énergie hydroélectrique de notre territoire. Ces diffé-

rentes actions sont bonnes pour la planète, bonnes pour

l’emploi et bonnes pour le porte-monnaie de chacun.

Parlons du nucléaire. La centrale de

Fessenheim est à moins de 60 km de chez nous à vol d’oi-

seau. Elle est construite sur une faille sismique. Un accident

nucléaire n’est pas exclu et même les autorités nucléaires

ne le contestent plus. En cas d’accident similaire à celui de

Fukushima, le Pays de Montbéliard, mais aussi Belfort, Bâle,

Colmar, Fribourg devraient être évacués pour des années,

voire des dizaines d’années. L’association de scientifiques

Négawatt propose un scénario de sortie progressive du

nucléaire, sans recours massif aux énergies fossiles produc-

trices de gaz à effet de serre. Citons un exemple très

concret : la création, il y a quatre ans, d’une coopérative

citoyenne (ERCISOL) de production d’énergie renouve-

lable en Franche Comté, une des premières de France.

Nous soutenons ce scénario créateur d’emploi et bon

pour l’environnement. Sortir du nucléaire, c’est pos-

sible !

La demande d’aliments bio augmente et la

production française ne suit pas. Notre horizon dans le

domaine de l’agriculture : rétablir une alimentation

saine, redonner sens au métier d’agriculteur, protéger

les ressources naturelles et revivifier les territoires ru-

raux. Le Pays de Montbéliard est au départ un pays agri-

cole, il a vu naître la vache montbéliarde et, il y a moins

de 50 ans, des maraîchers entouraient notre aggloméra-

tion. Si l’on s’éloigne un peu, on sait que les agriculteurs

produisaient bien sûr du fromage, mais qu’ils élevaient

aussi quelques cochons avec le petit lait et diversifiaient

leur production. Les soutiens à l’agriculture doivent être

orientés en direction de la production bio, qui crée plus

d’emplois et préserve l’environnement. Les aides doi-

vent être données en fonction du nombre d’emplois et

non en fonction du nombre de litres de lait ou de tonnes

de céréales produits.

Terminons par les questions de sécurité :

c’est d’actualité après les attentats de début janvier. La

réponse du tout-sécuritaire est souvent la plus facile à

mettre en œuvre. C’est aussi celle qui répond directe-

ment à la demande de nombre de nos concitoyens.

Cette demande est légitime et des réformes doivent être

entreprises pour éviter que ne se reproduisent des actes

terroristes. Dans nos communes aussi, le sentiment

d’insécurité existe et la tentation de la réponse sécuri-

taire est grande. Nous savons que, si elle peut être effi-

cace à court terme, elle ne l’est pas à long terme. Pour

répondre sur le long terme, il faut aussi mener des ac-

tions d’éducation, remettre des concierges dans les im-

meubles, qui connaissent les habitants, qui sont les plus

à même de lutter contre ces petites incivilités qui nui-

sent au bien-vivre ensemble. Il faut donner plus de

moyens aux conseils de quartier et mieux écouter la pa-

role des habitants.

J’ose croire que nous pouvons changer le monde !

Bernard Lachambre

(1) « Ces actes immondes portent atteinte aux valeurs

fondamentales de notre démocratie et de la République,

notamment la liberté d’expression, la liberté de la presse

et la liberté de pensée. » (Communiqué de presse d'EÉLV)

(2) Agence nationale pour la Rénovation urbaine.

4

5

Pays de Montbéliard : suite

Toute mesure gardée, je suis un peu un résumé

de l'histoire de l'Aire urbaine.

Je suis issue de la rencontre des immigrations

ukrainienne, polonaise, allemande et suisse. J'ai 33 ans.

Je suis née à Belfort, ai grandi à Hérimoncourt. J'ai tra-

vaillé à Montbéliard, Belfort, Béthoncourt, Audincourt.

Je vis près d'Héricourt pour ensuite m'installer à Écot.

Je prône depuis longtemps la protection de la

nature mais j'ai choisi de rejoindre l'écologie politique

quand j'ai compris que l'on ne peut pas mettre la nature

sous cloche, comme dans un sanctuaire.

Les hommes ont besoin de vivre, de produire, de

consommer avec mesure, de façon « soutenable » par

notre terre. Car, quand nous le faisons mal et trop fort,

cela nous revient dans la figure comme un boomerang :

changement climatique, pollution, maladies, misère...

Je sais que des

gisements d'emplois

importants existent

pour produire mieux et

donner du travail à

tous ; je collabore d'ail-

leurs bénévolement à

deux structures de

l'économie sociale et

solidaire :

- À Bavans,

nous produisons des

légumes en agriculture

biologique, en accompagnant des chômeurs vers un

nouvel emploi.

- Près de Valentigney, les équipes en parcours

d'insertion traitent, dépolluent, chaque mois, 700

tonnes de déchets d’équipements électriques et élec-

troniques. Une partie des composants pourront être

réutilisés : c'est ce qu'on appelle l'économie circulaire.

On le voit, une société plus écologique est

possible, et elle constitue un vivier d'emplois de

transition industrielle, avec des postes de tout ni-

veau de qualification, ici et maintenant ! À condi-

tions que les pouvoirs publics soutiennent notre

tissu de l'économie sociale et solidaire et nos PME.

Ce soutien, nous pouvons le souhaiter et l'attendre ;

nous pouvons aussi le créer nous-mêmes.

J'ai choisi de rejoindre et de soutenir EÉLV

afin que de plus en plus d'élus écologistes entrent

dans les conseils municipaux, les conseils régionaux,

les agglomérations et, bien sûr, soient encore plus

nombreux à l'Assemblée nationale pour écrire les

lois !

Alors, les écolos au pouvoir ? « Nous ne

savions pas que c'était impossible, alors nous l'avons

fait ! » (Mark Twain)

Anna Maillard

Suppléante de Bernard Lachambre

Photos :

credit@

SimonDaval.fr

6

Hommage à un économiste critique

CIAO, ONCLE BERNARD !

Bernard Maris était

économiste, professeur,

mais aussi chroniqueur à

France-Inter et à Charlie

Hebdo, où il signait sa ru-

brique « Oncle Bernard ». Il

est mort le 7 janvier assassi-

né avec ses copains de

Charlie, tous victimes de la

haine et de l'obscurantisme.

Aussi bien à Charlie

qu'à France-Inter, où il croi-

sait le fer avec Dominique

Seux qui, lui, défendait la doxa libérale, Bernard a été un

résistant à la vague néolibérale qui a déferlé sur le monde

à partir des années 80.

Pour contrer le TINA (There is no alternative) de

Thatcher et Reagan, repris ensuite par Chirac, Sarkozy et

maintenant par Hollande, il s'appuyait en partie sur les

théories de Keynes, l'inspirateur de l'État providence, du

New Deal d'après la crise de 1929 et de la régulation.

C'était un pédagogue, un vulgarisateur de l'éco-

nomie qui savait aussi utiliser l'humour et la dérision. Il

contestait le caractère scientifique des théories écono-

miques, considérant que c'était avant tout des idéologies.

Il avait écrit un livre en deux tomes, l'Antimanuel d'écono-

mie, pour contrer les théories libérales.

Ce que l'on sait

moins, c'est qu'il était

écolo et qu'il avait été

candidat des Verts aux

élections législatives de

2002, dans le 10e arron-

dissement de Paris, réali-

sant un joli score de plus

de 10 %. Dans ses chro-

niques sur France-Inter, il

dénonçait souvent le

mythe du retour à la crois-

sance et il était partisan

de la semaine de 32 heures.

Encore merci pour ta contribution à la vulgarisa-

tion d'une économie au service de l'humain. Ciao,

oncle Bernard !

Gérard Mamet.

Europe Ecologie Les Verts de Franche-Comté

(14, rue de la République, 25000 Besançon)

Directeur de publication : Gérard Roy

Comité de lecture : Michel Boutanquoi, Gérard Mamet,

Gérard Roy, Suzy Antoine, Françoise Touzot

CPPAP: 0518 P 11003

Maquette : Corinne Salvi Mise en page : Suzy Antoine

7

Après les odieux assassinats de 2012 dans une

école juive et ceux de janvier 2015 à l'Hyper Cacher à

Paris, la question se pose. Au moment où l'on commé-

more le 70e anniversaire de la libération des camps de

concentration, il est nécessaire de rappeler, encore et en-

core, les horreurs absolues engendrées par le racisme et

l'antisémitisme. Il faut néanmoins se garder des interpré-

tations erronées et des comparaisons simplistes.

L'antisémitisme classique est en net recul

Voici ce que dit le sociologue Michel Wieviorka :

« L'antisémitisme classique, nationaliste, catholique, a

régressé. La France de droite est beaucoup moins antisé-

mite qu'il y a cinquante ans. Et l'État français condamne

tout acte qui s'en réclame, sans hésitation ni faiblesse. Je

ne crois pas que nous assistions à une vague généralisée

d'antisémitisme, mais il ne faut pas minimiser son expan-

sion dans certains secteurs de la société. »

Globalement, dans la société française, il n'y a

plus grand monde pour assimiler les Juifs au « peuple déi-

cide », comme ce fut longtemps le cas dans les milieux

catholiques conservateurs. Dans les années 60, Vatican II a

permis à l'Église catholique de rompre définitivement avec

cet enseignement.

Le discours de De Gaule du 27 novembre 1967,

après la guerre des Six Jours, parlant des Juifs (1) comme

d' « un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur »,

serait aujourd'hui tout simplement impossible. On peut

donc dire que la société français s'est très largement dé-

barrassée de son antisémitisme « historique ».

Et même dans les milieux de l'extrême-droite

française, les relents d'antisémitisme deviennent de plus

en plus marginaux autour de Jean-Marie Le Pen et d'Alain

Soral. La cible « bouc émissaire », ressort traditionnel de

l'extrême droite et des populistes, s'est déplacée vers

l'immigration et les musulmans.

Un islamisme obsessionnellement antisé-

mite

Cette formule est aussi de Michel Wieviorka.

Dans l'immigration arabo-musulmane, « certains

membres s'identifient à la cause palestinienne, avec

le raccourci : les Palestiniens sont opprimés par

Israël, et Israël c'est les Juifs. Une frange minoritaire

verse dans l'islamisme radical, obsessionnellement

antisémite. »

Internet joue un rôle considérable dans le dé-

veloppement de cet antisémitisme-là, en permet-

tant aux auteurs de ce genre de discours d'échapper

à la loi, qui traite les propos antisémites comme des

délits. Et il ne s'agit pas de minimiser ce phénomène

qui a conduit encore récemment à des assassinats

de juifs parce qu'ils étaient juifs. Il faut sans cesse

réaffirmer que rien ne peut justifier ces crimes et les

idéologies qui les sous-tendent.

L'étrange complicité de Netanyahou avec

les islamistes

Mais nous sommes devant une grave difficulté

pour faire reculer cette nouvelle forme d'antisémi-

tisme, parce qu'il y a une complicité, de fait, entre

les islamistes et la droite dure israélienne de Neta-

nyahou et ses correspondants français du CRIF (2).

Ils font le même amalgame : juif = sioniste ou sio-

niste =juif (3), et participent à une forme d'escalade

qu'il est difficile de contrer.

On l'a bien vu au moment des bombarde-

ments de l'armée israélienne sur Gaza au cours de

l'été 2014. Délibérément, toute critique de l'attitude

Après les attentats de Paris

Y A-T-IL UNE RECRUDESCENCE DE L'ANTISÉMITISME ?

8

criminelle de Tsahal envers les civils palestiniens était

assimilée, par Israël ou par des gens comme Arno Klars-

feld, à de l'antisémitisme. Pire, le CRIF a organisé des ma-

nifestations de soutien à l'armée israélienne et donc à ses

exactions. Pas étonnant dans ces conditions que certains

jeunes des cités se retrouvent empêtrés dans cette confu-

sion, si savamment et si délibérément entretenue.

D'ailleurs les discours pro-israéliens irrespon-

sables de Hollande et de Valls à propos de Gaza, pendant

l'été 2014, portent aussi une lourde responsabilité dans

le développement de cette confusion. La solution était

pourtant simple : rappeler le droit, pas simplement celui

d'Israël de se défendre, mais aussi celui des Palestiniens à

disposer d'un État, et l'affirmation que l'occupation des

territoires palestiniens et le blocus de Gaza sont illégaux

au regard des lois internationales. Le massacre de civils

par des tanks et des avions serait-il moins criminel que

celui utilisant des roquettes artisanales ou des kalachni-

kovs ? Il a fallu des centaines de victimes civiles pour que

Hollande reviennent en partie sur son soutien à Netanya-

hou. Méfions-nous donc des pompiers pyromanes…

Comme cela a été dit ailleurs, l'islamisme radical,

antisémite et criminel se développe sur le terreau favo-

rable de la pauvreté, de l'échec scolaire, des ghettos, du

rejet, des discriminations, de l'islamophobie ambiante.

Mais l'absence de solution de la question palestinienne

joue aussi son rôle, par cette impression de deux poids,

deux mesures qui contribue au sentiment d'injustice et

de frustration dans la population française d'origine

arabe, spécialement chez les jeunes.

Une des clés est donc l'application de la justice

internationale, avec la création d'un État palestinien dans

les frontières de 1967. À nous aussi de faire le travail pé-

dagogique nécessaire contre tous les amalgames, en dé-

nonçant sans relâche tous les racismes et en particulier,

avec la même fermeté, l'antisémitisme et le racisme anti-

musulman.

Gérard Mamet

(1) La citation complète est : « Certains redou-

taient même que les Juifs, jusqu'alors dispersés, mais qui

étaient restés ce qu'ils avaient été de tout temps, c'est-à-

dire un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur,

n'en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur

ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et

conquérante les souhaits très émouvants qu'ils formaient

depuis dix-neuf siècles. »

(2) Conseil représentatif des Institutions juives de

France. À l'origine Conseil représentatif des Israélites de

France. D'où le sigle. Le CRIF, qui ne peut pas prétendre

représenter tous les Juifs français, fonctionne trop sou-

vent comme une officine de propagande de l'État d'Israël.

(3) Rappelons que le sionisme est une idéologie

politique de type nationaliste, qui est à l'origine de la

création de l'État d'Israël. Cette idéologie est contestée,

par exemple, par l'UJFP, l'Union juive française pour la

Paix, qui la considère comme raciste et qui pense que les

idées sionistes sont à l'origine de la colonisation des terri-

toires palestiniens et des formes d'apartheid qui en dé-

coulent. Sur ce sujet, on peut lire le livre de Pierre

Stambul, de l'UJFP : Le Sionisme en question, éditions

Acratie, septembre 2014.

9

Laïcité

Question du voile au début des années 2000, éga-

lité hommes-femmes, laïcité, intégration : toutes ces

questions s’entrecroisent. Puisqu’il faut bien partir de

quelque part, je choisis l’intégration ; pour faire simple :

entre communautarisme et assimilation, peut-on trouver

une voie médiane ?

Sur cette question, deux attitudes s'oppo-

sent :

Celle de la fermeture, autour du repli identitaire

« français-républicain » ; je veux parler ici non pas des

communautarismes, sur lesquels je reviendrai, mais de

celui qui cherche à identifier une communauté

« dominante » dans la société française. Communauté qui

se serait fabriquée au fil des siècles, autour d'éléments

culturels partagés, y compris la valeur « laïcité », cette

quasi-exception française ; dans cette perspective, on

demande, gentiment ou pas, à tous ceux qui viennent

d'ailleurs de bien vouloir se plier à cette identité. Con-

signe : l’étranger, celui qui arrive, doit s’adapter.

L'autre attitude est celle de l'ouverture, plutôt

choisie par les écologistes, qui permet, voire valorise, l'ex-

pression des différences culturelles, sources d'enrichisse-

ment et considérées comme autant de supports à l’inté-

gration : la République française s’enrichit des apports

successifs. Consigne : pour accueillir les nouveaux, il faut

aussi adapter au préalable la société pour leur faire une

place.

La difficulté, assez française encore une fois,

est que nous valorisons en même temps deux principes :

l'idée qu’il existe des valeurs universelles, parta-

gées par tous, qui conduisent donc

« naturellement » à des formes d’uniformisation,

avec tous les risques que cela comporte si on

pousse l’exigence au delà des seuls principes et

qu’on l’applique aux comportements. Le risque,

c'est le totalitarisme ;

et par ailleurs, l'hyper-valorisation des parti-

cularismes. Certains qui affirment parfois ne pas

aimer le « communautarisme » sont les mêmes qui

défendent (de mon point de vue, à raison) le res-

pect et le droit à l’existence des communautés-

ethnies-peuples-nations (comme on parle de na-

tion cheyenne et pas de nation française)-

nationalités-tribus-etc., surtout quand elles appa-

raissent très homogènes, et par ailleurs qu’elles

ont disparu ou qu’elles sont en danger. Exemples :

- Qui n’a pas le souvenir de Tristes

Tropiques, ou des Derniers Rois de Thulé ou même

du Cheval d’orgueil, et de ce sentiment extraordi-

naire de découvrir l’existence de mondes différents

et de s'en enrichir ?

- Qui n’a pas été fasciné par les

150 nationalités « redécouvertes » avec la fin de

l’URSS, et pour certaines (les Tchétchènes par

exemple) objets de combats néo-coloniaux ?

- Qui ne rêve pas de voir reconnue

la réalité des ethnies (c’est un mot consacré mais

ambigu) en Afrique et ailleurs pour démonter le

partage de territoires selon le modèle de l’État-

nation ?

J’arrête là cette liste, qu’il faudrait compléter

d’une mosaïque bigarrée de Gagaouzes, Cris, Tou-

couleurs, Aborigènes, Maorais, Corses, etc., pour

montrer la richesse infinie de nos appartenances et

Cette contribution est la reprise d’un texte rédigé en 2004 autour des débats liés à la loi sur le voile. Proviseur-

adjoint dans un lycée de province, je voulais d’abord affirmer que les perspectives d'application de la loi sur le voile ne

me réjouissaient pas du tout. Pour ne pas en rester à un simple sentiment, je voulais donc mettre en débat deux ou trois

choses que je pense sur le sujet et qui trouvent dans les événements du début janvier une prolongation à la fois tragique,

si on pense au drame des 7 et 9 janvier, et presque encourageante, si on pense aux mobilisations des 10 et 11.

10

pour défendre une sorte de droit à la diversité sociopoli-

tique.

Tout cela paraît peut-être éloigné de la laïcité,

mais c’est tout le contraire. Parce que tout le problème

consiste, dans la situation qui est la nôtre, à faire vivre tout

ce petit monde ensemble et sur un même territoire, alors

même que, dans nos têtes, par facilité intellectuelle (mais

pas seulement), nous avons pris l’habitude de concevoir

chacun de ces territoires comme autant de surfaces homo-

gènes. De là vient la folie de la purification ethnique : un

peuple (je fais l’impasse sur la définition), une organisation

(État ou autre), un territoire. Je n’oublie pas ce que je viens

de dire plus haut : cette homogénéité a quelque chose de

fascinant. Mais depuis longtemps, les hommes bougent et

doivent s’arranger entre eux sur une même surface, le plus

souvent limitée par des frontières qu’ils ont tracées eux-

mêmes. Pour vivre ensemble, il faut se respecter, accepter

des compromis ; tout cela est d’ailleurs ressenti de façon

variable selon que l’on fait partie du groupe des dominants

ou des dominés…

En France, ce vivre-ensemble est plutôt fondé sur le

principe de ce qu’on appelle, faute de mieux, l'intégration.

Dans beaucoup d’endroits dans le monde, on juxtapose,

selon des formules et des fortunes diverses. Je ne déve-

loppe pas cet aspect, mais de ce point de vue, les empires

ont quelquefois des avantages... Notre problème, c’est la

prise en compte de la durée, qui dépend pour une large

part du degré de différence entre ceux qui sont « déjà là »

et ceux qui arrivent ; mais c’est aussi la mauvaise prise en

compte des contextes particuliers de chaque vague d’immi-

gration (contextes coloniaux et/ou économiques, par

exemple pour les immigrés les plus récents). On a tous en-

tendu dire que l’intégration était une question de généra-

tion et qu’il suffisait d’attendre… Je pense pour ma part

qu’il faut commencer à accepter que plusieurs identités

peuvent et doivent coexister simultanément et sur une

longue période. Commencer à accepter aussi que ceux qui

viennent d’arriver peuvent et doivent vivre plusieurs identi-

tés superposées. Physiquement, ça peut paraître impos-

sible, mais mentalement, la géographie des individus peut

comporter plusieurs territorialités recomposées. Pour le

dire simplement : on vit à la fois dans sa banlieue et dans le

village de ses parents ou arrière-grands-parents.

En marquant les territoires de façon tran-

chée, on empêche la confrontation par frottement, par

empathie progressive. J’ai connu un lieu et une époque

où l’École permettait l’expression des identités, y com-

pris religieuses, et cela dans le respect de la laïcité. Mais

il fallait pour cela que les uns et les autres aient accepté

de ne pas pratiquer une laïcité « anti-cléricale », mais

une laïcité « tolérante ». Ce n’est pas facile, parce

qu’intellectuellement, l’idée même de religion, peut

paraître inacceptable. C’est l’opium du peuple, c’est le

refus du monde réel, etc.

Mais il faudra aussi revenir sur « l’émotion reli-

gieuse » elle-même, parce qu’aujourd’hui un grand vide

existe pour les jeunes sur cette inévitable question du

sens de la vie. Je propose donc qu’on tempère un peu ce

combat ultra-positiviste qui voudrait que cette aliéna-

tion disparaisse ici et maintenant. Notre boulot, me

semble-t-il, est d’engager le débat, sur ce terrain, avec

plusieurs objectifs :

- démonter les mécanismes de peur, qui nour-

rissent les intégrismes et qui donnent du poids aux agi-

tateurs dont le projet politique est dangereux ;

- proposer d’autres discours, montrer d’autres

pistes, identifier, en les analysant, les processus de l’alié-

nation.

Mais, dans le cadre de ce débat, pas d’ana-

thèmes. Tous les professeurs et éducateurs savent faire

ça, pour peu qu’on les rassure sur la légitimité de l’entre-

prise. Combien d’instituteurs anticléricaux, combien de

professeurs d’histoire-géographie incroyants ont su,

dans le respect des consciences des élèves, non seule-

ment expliquer l’histoire des religions (ce qui est bien,

mais insuffisant), mais aussi montrer les éventuels

risques et impasses de telle ou telle position dogma-

tique. J’ai pu mesurer professionnellement combien on

peut dédramatiser une situation créée par des de-

mandes manifestement ostensibles d’élèves musulmans

(sur le ramadan, sur les fêtes, sur la piscine…) parce que,

dans la discussion, on peut introduire quelques connais-

sances (même modestes) sur l’islam. Quelle surprise, et

souvent quelle reconnaissance de leur part lorsque

11

quelqu’un, pourtant non musulman de culture, a simple-

ment accepté, à l’école, de parler de religion. Il n’en suffit

pas plus pour que, souvent, le soufflé retombe de lui-

même. Attention, je ne suis pas naïf ; face à une volonté

affichée de perturber, plus massive, plus construite, il faut

aussi envisager d’autres solutions, mais qui seront globale-

ment de même nature.

Un mot encore sur ce point. La religion catholique,

qui a dû s’adapter, s’est en quelque sorte laïcisée : elle a

cessé globalement en France d’être messianique et de vou-

loir évangéliser à toute vapeur ; pour la religion protestante

et la religion juive - et l’association n’est pas fortuite -, on

pourrait dire que les choses étaient fixées au départ : la

pratique religieuse est une affaire privée (bien sûr je ne

parle pas du judaïsme en Israël) et la religion se construit

aussi à travers la rationalité (pardon pour les caricatures). Il

en va autrement pour l’Islam qui, entre autres différences,

ne s’est jamais confronté à la notion de laïcité. (Sans doute

quelque spécialiste trouvera-t-il des exceptions, Tunisie ou

Turquie, mais l’exemple de l’Irak sera à manipuler avec pré-

caution.)

Séparer le public et le privé ne se fait pas en un

tour de magie, surtout quand on a terriblement envie de

montrer qu’on existe, qu’on commence à sortir la religion

des caves et des ghettos, et qu’on veut exprimer aussi un

peu de liberté.

Si l’on n’admet pas que, pour un certain temps

au moins, le religieux et le non-religieux seront structu-

rellement liés, non seulement chez les musulmans

croyants, mais aussi chez les non-croyants de culture

islamique, alors on aura du mal à avancer. Pour appro-

cher cette réalité, j’invite les uns et les autres à regarder

le fonctionnement des orthodoxes, pourtant chrétiens

eux aussi, pour comprendre la difficulté d’une sépara-

tion entre le religieux et le non-religieux, au moment

même où ils sortent, dans l’ex-monde communiste,

d’une situation théorique de non-reconnaissance et de

laïcité imposée. Je souligne enfin que cette association

des deux, cette confusion « sphère publique-sphère

privée » affichée au grand jour, remue (interpelle !) de

nombreux chrétiens : ils peuvent légitimement se dire

qu’ils sont battus sur leur propre terrain, non seulement

celui de la foi, mais peut-être surtout celui de la pratique

et des règles de vie qui en découlent. Dans une époque

et une société à la recherche de repères, il y a en effet

de quoi douter…

Claude Mercier

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bonner à La Feuille Verte. C’est le moment !

12

En ces jours de tristesse et de deuil, parmi

tous ces visages qui ont pu incarner quelque chose

d'une République que nous célébrons autant que nous

la cherchons, j'ai retenu le vôtre.

Vous faisiez face au père de Yoav Hattab,

jeune juif mort dans l'attaque sanglante de la porte de

Vincennes. Vous ne lui avez pas témoigné de cette

compassion un rien de circonstance, un rien condes-

cendante ; vous avez partagé sa douleur, qui était aussi

la vôtre, au-delà de toute appartenance religieuse.

Mère, française, républicaine et musul-

mane, ainsi vous êtes-vous présentée : mère meur-

trie, à jamais inconso-

lable d'un fils lui aussi

assassiné (1) ; française

et républicaine jusqu'au

bout du voile, si j'ose

écrire, ce voile porté

sans ostentation qui

encadre votre visage et

souligne votre regard

lumineux ; musulmane

ensuite, sans colère,

attentive à cette souf-

france insupportable

qu'engendrent la

violence et la folie. Comment ne pas entendre votre

désarroi et votre espérance ? Comment ne pas se lais-

ser saisir par votre profond désir de république ?

Par votre témoignage, par la douceur des mots,

par la force de vos convictions énoncées dans le respect

de ceux qui vous écoutent, j'ai été saisi d'une émo-

tion vive et intense : je vous ai vue en cet instant symbo-

liser à votre manière quelque chose de la République.

Je ne suis pas antireligieux, même si le bour-

rage de crâne de l'enfance aurait pu me rendre anticléri-

cal jusqu'à la caricature, mais les religieux m’insuppor-

tent lorsqu'ils prétendent m'imposer leur manière de

vivre, de penser et d'aimer ; les religieux m'exaspèrent

lorsqu'ils ambitionnent de faire de leur vérité la vérité

de tous.

Loin des fanatiques de tous bords prêts au nom

de Dieu à dénier à autrui le droit de penser par lui-

même, vous avez su rappeler que votre croyance vous

aidait à faire face au monde sans en faire une arme de

combat, ce que je respecte infiniment. Quand d'autres

plantent leur déraison, leurs assurances divines, leurs

vérités révélées dans le pacte républicain, vous avez par-

lé avec le cœur et la raison, sans haine, sans chercher à

abolir le point de vue d'autrui.

Je sais votre patience à expliquer dans les écoles

une approche apaisée de l'islam et je vous admire pour

cette démarche si loin des évidences.

Ici, certains se montrent pour le moins circons-

pects envers les caricaturistes, mais restent silencieux

face aux propos scandaleusement discriminatoires des Le

Pen, Tesson et autres Zemmour, qui se complaisent dans

le fumier de leurs idées nauséeuses. Comme si ces des-

sins - qui ne sont que des

dessins - portaient plus

atteinte à la dignité que

l'islamophobie rampante,

l'antisémitisme congénital

de ces hordes qui cons-

puent l'idéal républicain. À

croire que ce sont les jour-

nalistes de Charlie qui ont

ordonné l'abandon de la

construction de lieux de

culte dans deux villes con-

quises par le FN.

Ailleurs, pour laver ce

qu'ils perçoivent comme une insulte, d'autres en vien-

nent à brûler des églises au Niger, Boko Haram et l'État

islamique poursuivent leur œuvre purificatrice dans les

larmes et le sang, et des anti-balaka massacrent, en

Centrafrique, des musulmans au nom sans doute de la

chrétienté.

La tâche est immense et vous paraissez bien

seule. Et vous comprendrez sans doute, sans multiplier

les exemples, qu'on puisse douter des religions, voire

s'en défier.

Mais je n'oublie pas non plus que quatre mil-

lions de personnes dans les rues n'effacent pas du jour

au lendemain les manquements de notre république à

l'égard des victimes de la discrimination.

Nous n'avons pas seulement besoin de manifester,

nous avons besoin de femmes de courage comme vous

pour redonner du sens au vivre-ensemble.

Respectueusement.

Michel Boutanquoi

(1) Par Mohamed Merah.

Après les rassemblements du 11 janvier

LETTRE À MME LATIFA IBN ZIATEN

À en croire certains, la victoire de Syriza en Grèce

devrait beaucoup à la France plus ou moins radicale. Co-

corico ! Et les prophètes (bien laïques)

de nous annoncer qu'après

l'Espagne (re-cocorico !)

viendra le tour de la France

(le coq en reste sans voix).

Il faut quand même

se demander, face à cette

« libération » qui doit tant

à la radicalité bien fran-

çaise, pourquoi elle n'a pas

commencé son épopée par notre beau pays. Serait-ce que

notre Tsipras apparaîtrait moins entraînant que l'original ?

Ou plus prosaïquement que nos augures tendent à oublier

que, pour s'entendre, il faut d'abord accepter de discuter

et de s'écouter ?

On peut certes espérer que la victoire de

Syriza (entachée d'une alliance guère compréhensible

avec un parti nationaliste) secoue l'Europe, secoue la poli-

tique européenne engoncée dans des choix sans avenir

plus que ne l'a fait François Hollande qui, malgré ses enga-

gements, a cédé trop rapidement devant l'obstination

allemande. Notre voisin oublie un peu trop facilement ce

qu'il doit à l'Europe, justement.

Mais la situation grecque n'est pas la situation fran-

çaise. Et si l'Europe a prodigué à la Grèce des soins pires

que le mal, provoquant dans ce pays un appauvrissement

sans précédent, si cela doit être condamné avec force, nul

ne peut oublier que le mal n'était pas européen, mais ins-

crit dans la déliquescence même de l’État grec, organisée

par les deux grands partis qui se sont régulièrement suc-

cédé au pouvoir. Syriza apparaît alors porteur d'un double

espoir : celui d'un renouveau politique (en finir avec

Nouvelle Démocratie et le Pasok) et celui d'une possible

nouvelle voie face à l'austérité, tout en restant au sein de

l'Europe, pour enfin émerger des années de douleur. C'est

ce que nous pouvons souhaiter de mieux au peuple grec.

La situation française et la politique gouver-

nementale, pour critiquable que soit cette dernière, ne

relèvent pas de la même faillite. Dès lors, comparer les

situations grecque et française confine à l'escroquerie

intellectuelle en renvoyant à l'usage de raccourcis raco-

leurs. Les hérauts de ces lendemains qui chantent sem-

blent vouloir ignorer que la gauche ne se reconstruira

pas à coup d'incantations, d'effets de manche, de bons

mots ou de condamnations.

Localement, nous avons pu constater combien les

écarts demeuraient importants avec la gauche dite radi-

cale : refus quasi maladif de toute discussion avec le PS,

refus de choisir entre le FN et le PS, propension à n'ac-

cepter l'échange qu'à la condition de signer une déclara-

tion qu'on ne pourra amender… qu'une fois signée ! Au-

trement dit, il n'y a d'autre choix que de se rallier sans

condition ou d'être renvoyé au rang de traître. L'échec

de candidatures de rassemblement à Besançon s'ex-

plique en partie par cette attitude, qui semble intransi-

geante mais qui relève surtout d'un enfermement, d'un

aveuglement (1).

Nous sommes nombreux à penser que la re-

construction à gauche ne se fera pas sans tout ou partie

du PS - quels que soient nos profonds désaccords actuels

avec lui et sans préjuger de son devenir – et qu'il faut

laisser ouverts les fils de discussion, sans préalable, avec

tous ceux qui sont prêts à s'engager à assurer des res-

ponsabilités. Emmanuelle Cosse le dit à sa manière: « Je

n’ai pas de problème à discuter avec l’ensemble des par-

tis, y compris le PS. Ne demandons pas de tickets d’en-

trée à la table de négociation. Je n’ai jamais cru à la

guerre des gauches. Nous ne construirons rien sur l’ago-

nie et les cendres d’une partie de la gauche. » (2)

Construire un espoir semblable à celui suscité par

Syriza suppose le renoncement à toute tentative hégé-

monique, d'où qu'elle vienne, et aux postures plé-

béiennes qui sonnent comme autant d'artifices pour

masquer l'échec et l'impuissance.

Michel Boutanquoi

(1) Nous y reviendrons le mois prochain.

(2) Libération du 29 janvier

13

On a gagné

SYRIZA ENTRE RÊVE ET RÉALITÉS

Depuis le 25 janvier, Syriza, coalition de la

gauche radicale, est le premier parti du berceau de la

démocratie. Avec 149 députés sur 300, il a raté de peu

la majorité absolue au Parlement grec. C'est un refus

indiscutable des politiques d'austérité qui ont imposé

tant de souffrances inutiles dans ce pays, sans diminuer

les dettes publiques. Mais c'est aussi une occasion pour

redéfinir la politique européenne en matière écono-

mique, sociale et écologique.

Un refus clair des politiques d'austérité

En remportant les élections générales en Grèce,

Syriza met un grand coup de pied à la politique euro-

péenne d'austérité d'inspiration libérale. Le peuple

grec qui a beaucoup souffert depuis 4 ans, a voulu en

finir avec la baisse des salaires, les restrictions budgé-

taires, la dégradation dramatique du système de santé

et la braderie des infrastructures grecques par leur

privatisation. Voilà déjà de quoi nous réjouir.

Mais, la victoire de Syriza, c'est aussi la défaite

d'un système gangréné par le clientélisme et la corrup-

tion et qui était aux mains de deux partis, le PASOK (un

peu l'équivalent du PS) et la droite conservatrice de

Nouvelle Démocratie. Ces partis ont achevé de se dis-

créditer en mettant en œuvre la logique financière et

comptable imposée par la Troïka (BCE, Commission

Européenne, FMI)

Et il y a parfois des gestes symboliques qui font

plaisir, par exemple, quand le leader de Syriza, Alexis

Tsipras, rejette la cravate et refuse que ce soit sur la

bible qu'il prête serment comme Premier Ministre.

Mais ce sont d'abord les mesures sociales d'urgence

qui s'imposent : l'augmentation du Smic et des pen-

sions, la restauration du système de santé etc.

Vers une politique européenne plus

juste ?

Syriza a montré aussi sa volonté de faire le mé-

nage dans son propre pays en luttant contre le clienté-

lisme, la fraude fiscale et la corruption et il faut être

prudent dans les comparaisons entre la France et la

Grèce (lire à ce sujet l'article de Michel Boutanquoi :

Syriza entre rêves et réalités).

Mais les Grecs ne veulent pas pour autant

abandonner l'euro. La victoire de Syriza réouvre donc

le débat sur la politique économique européenne. On

voit bien que l'austérité ne marche pas. Elle n'est pas

efficace pour faire diminuer la dette et a un grave effet

récessif avec son cortège de millions de chômeurs sup-

plémentaires. L'Europe est maintenant au bord de la

déflation. « On ne peut pas continuer à pressurer des

pays qui sont en pleine dépression » vient de déclarer

Barack Obama en ce début février 2015.

L'Europe est donc à un tournant. Soit elle per-

siste dans des politiques économiques libérales né-

fastes, basées sur une logique comptable, soit elle met

la priorité à la stimulation de l'activité économique, la

création d'emplois et la réduction des inégalités, et cela

implique de ne plus faire de la dette et des équilibres

budgétaires la priorité. Pour les écologistes, la relance

de l'activité économique doit se faire autour de la lutte

contre le changement climatique et par la transition

écologique. L'enjeu c'est la création de millions d'em-

plois utiles et durables.

La victoire de Podemos en Espagne, à l'au-

tomne 2015, pourrait être la prochaine étape de ce

changement de rapport de force en Europe. Après l'oc-

casion ratée de 2012 et la capitulation en rase cam-

pagne de Hollande puis le tournant libéral de Valls, la

gauche française est au pied du mur. A nous de travail-

ler, avec une partie au moins des militants PS, ceux du

Front de Gauche et de Nouvelle Donne, et la mouvance

associative, pour constituer en France, cette nouvelle

majorité alternative. Et la tâche s'annonce ardue…

Gérard Mamet.

14

Résultat des élections en Grèce

LA VICTOIRE DE SYRIZA FAIT RENAITRE L'ESPOIR EN EUROPE

De la mi-octobre à fin novembre 2014, on a re-

censé une trentaine de survols de sites nucléaires par des

drones : 15 centrales, 3 usines de combustible nucléaire

et un centre de recherche (1).

Aucune image de drone en survol de centrale n’a

été rendue publique. Cependant les médias et la gendar-

merie ont fourni des témoignages suffisamment inquié-

tants pour que l’on prenne ce phénomène au sérieux.

L’envergure des appareils varierait entre 20 ou 30 cm et

deux mètres, ce qui tendrait à prouver que certains ne

sont pas des jouets. De plus, des survols simultanés de

sites éloignés de centaines de kilomètres indiqueraient

une opération concertée (Cf. la revue Sortir du nucléaire

n°64, février 2015).

Les faits n’ont jamais été revendiqués. Green-

peace, qui avait envoyé un drone au-dessus de la Hague

en 2012, et donc mis en cause, a clamé son innocence et

a réclamé une enquête.

La mise en place de systèmes de radars mobiles

militaires pour détecter des drones approchant les cen-

trales, tout comme le déploiement d’hélicoptères Gazelle

pour intercepter ceux-ci et leurs pilotes, ont été une pre-

mière réponse cohérente à ces intrusions, mais elle est

restée insuffisante puisque ces dispositifs n’ont permis ni

de « capturer »les drones, ni d'interpeller leurs pilotes.

La loi française encadre, par deux arrêtés du

11 avril 2012, « l’utilisation de l’espace aérien par les

aéronefs qui circulent sans personne à bord » et « la con-

ception des aéronefs civils qui circulent sans aucune per-

sonne à bord, [les] conditions de leur emploi et [...] les

capacités requises des personnes qui les utilisent ». Mais

force est de constater que cette loi ne suffit pas à enca-

drer l’utilisation de tels drones, puisque leur identifica-

tion est impossible si son pilote n’est pas intercepté rapi-

dement.

Or, ces survols représentent un risque réel. En

effet, équipé d’une caméra, un drone pourrait repérer

des points de vulnérabilité des équipements ou de l’or-

ganisation du site. La France dispose de 58 réacteurs

nucléaires fonctionnels (sans compter les réacteurs de

recherche), répartis sur 19 centrales à travers le terri-

toire. Parmi ceux-ci, 34 réacteurs de 900 MW disposent

d’enceintes de confinement à paroi unique, constituées

d’une paroi cylindrique d’une épaisseur de 90 cm et d’un

dôme d’une épaisseur de 80 cm. N’ayant pas été cons-

truites en béton armé, ces protections sont les moins

résistantes de notre parc nucléaire. Ce bâtiment a pour-

tant fonction de résister aux accidents aussi bien qu’aux

agressions externes et résisterait prétendument à une

chute d’avion - tout dépendrait de sa taille et de son

chargement, notamment en kérosène (2).

Par ailleurs, d’autres éléments aussi vulnérables

que stratégiques – comme les piscines de désactivation

des combustibles irradiés ou les transformateurs élec-

triques – sont à la portée de n’importe quelle attaque

menée par ou à l’aide d’un drone. Il faut savoir qu’une

défaillance du système de refroidissement de ces pis-

cines mènerait en quelques heures à un risque de fusion,

avec relâchement d’iode radioactif.

Mais il n’y a pas que le risque d’un accident

nucléaire majeur. Le survol de différentes centrales

peut laisser à imaginer une attaque simultanée des

transformateurs électriques. Un tel scénario n’aurait

certes pas de conséquences radiologiques, mais des ré-

percussions catastrophiques. Le remplacement d’un

transformateur se fait en quelques jours, et la perte

d’électricité induite par l’arrêt d’une seule centrale pour-

rait facilement être compensée par la mise en marche

d’autres moyens de production d’électricité. Mais si plu-

15

Sécurité des sites nucléaires

DRÔLES DE DRONES

16

sieurs transformateurs étaient visés simultanément, leur

remplacement rapide ne serait pas acquis : il faudrait en

construire de nouveaux. Cela signifierait que le réseau

électrique pourrait être brutalement et durablement af-

fecté : un black-out serait possible à l’échelle régionale,

voire nationale. Et un black-out en France pourrait avoir

des conséquences sur l’Europe entière.

Non seulement les particuliers seraient affectés

dans leur quotidien, mais les entreprises et l’industrie

aussi : sans électricité, l’économie s’arrêterait brutale-

ment. Et notre société en paierait le prix fort, avec une

panique généralisée dont les conséquences sont inimagi-

nables car l’ensemble de nos systèmes de protection et de

surveillance repose sur notre système électrique.

Le 24 novembre dernier, Greenpeace France a re-

mis aux autorités françaises un rapport « Confidentiel

France » sur la vulnérabilité des centrales nucléaires face

aux drones et sur les risques induits par l’utilisation de ces

derniers. En parallèle, des députés européens, dont

Michèle Rivasi, ont interpellé le gouvernement sur ce qu’il

prévoit pour mettre fin à cette menace. Ces mises en

garde ne semblent pas ébranler les autorités. Pourtant, si

un certain nombre de gens ont déjà réfléchi à ces scéna-

rios catastrophes, on peut imaginer que d’autres, animés

d’intentions malveillantes, l’ont fait également.

Le risque d’attentat est donc réel. Il convien-

drait, dans l’urgence, de réviser la loi pour une traçabili-

té accrue des détenteurs de drones, avec notamment

un recours à l’immatriculation des drones pour con-

naître l’identité de leurs détenteurs. L’État devrait éga-

lement s’attaquer à la sécurisation des piscines de dé-

sactivation et des transformateurs électriques. Cepen-

dant, le risque zéro n’existe pas et les conséquences,

dans le domaine du nucléaire, ne sont jamais négli-

geables. C’est pourquoi il serait temps que la France

développe massivement l’usage des énergies renouve-

lables. Un drone survolant une éolienne fera certaine-

ment moins peur aux agents chargés de la sécurité !

Suzy Antoine

(1) Ainsi que, plusieurs fois en janvier, le site militaire

nucléaire de l'Île-Longue, dans la rade de Brest.

(2) Drones et sécurité nucléaire : http://tinyurl.com/

m49ms6b)

Trophées

UNE ABEILLE ROYALE ET UNE ROYAL PAS PIQUÉE DES HANNETONS

Connaissez-vous Laurence Abeille ? Avec un

nom pareil, me direz-vous, elle ne peut être qu'écolo. Bin-

go ! Laurence est en effet, depuis les législatives de 2012,

députée EÉLV de la 6e circonscription du Val-de-Marne

(Fontenay-sous-Bois, Saint-Mandé, Vincennes). Une cir-

conscription pas très rurale, donc (y a-t-il encore un bout

de campagne dans le 9-4 ?) et encore moins méridionale.

Ce qui n'empêche pas Laurence de se montrer particuliè-

rement attentive à la biodiversité (elle préside le groupe

d'études « Préservation et reconquête de la biodiversité »

de l'Assemblée nationale) et de s'opposer farouchement à

la corrida, prétendue « tradition » du Midi : elle est l'une

des trois parlementaires (1) qui ont déposé l'an dernier

une proposition de loi pour l'abolition de la corrida en

France. Proposition qui demande l’abrogation de l’alinéa 7

de l’article L521-1 du Code pénal, lequel permet de faire

de la corrida une exception (!!) à l'interdiction légale des

sévices graves et des actes de cruauté sur les animaux.

Rien d'étonnant à cela,

puisque Laurence,

membre du groupe

Protection des ani-

maux, est une des élues

les plus actives pour

défendre les droits de

ces derniers : elle s'op-

pose à la chasse, à

l' « industrie » de la

fourrure, aux expérimentations sur l'animal, à la pêche

intensive, etc.

En outre, Laurence Abeille, membre de la com-

mission du Développement durable, vient de voir adop-

ter un texte qui portera son nom et qui inscrit dans la

loi les principes de sobriété dans l’exposition aux ondes

électromagnétiques, d’information et de protection des

utilisateurs face aux risques et de concertation lors de

17

l’installation d’antennes-relais. L'ASPAS (2) a tout récem-

ment décerné à Laurence le Trophée de Plume 2014, qui

« honore la qualité d'une action en faveur de la nature »,

et souligné « ce précieux soutien d'une élue, si rare dans

les combats pour la protection de la nature ».

Le Trophée de Plomb de la même association, qui

dénonce « une attitude anti-écologique », a par la même

occasion récompensé l'ineffable Christian Estrosi, l'hyper-

sarkozyste député-maire de Nice et (un comble !) admi-

nistrateur du Parc National du Mercantour. Estrosi, le

maniaque qui voit des loups partout…

Une qui aurait pu prétendre au même Trophée

de Plomb, vu tout le bien qu'elle fait à l'écologie, c'est

Ségolène Royal ! Manque de bol, l'ASPAS ne décerne

chaque année qu'un seul trophée de ce métal (il faut bien

choisir !) et de toute façon, notre chère ministre de l'Éco-

logie (on ne rigole pas !), du Développement durable et de

l'Énergie a d'office été déclarée... hors concours ! Il faut

dire que, depuis son arrivée à l'hôtel de Roquelaure en

avril 2014, elle a été royale, Ségolène (3) : l'ASPAS, dans le

n°120 (janvier 2015) de son magazine Goupil, croit pou-

voir d'ores et déjà affirmer qu'on tient en elle « un spéci-

men unique qui passera à la postérité comme le ministre

de l'Écologie le plus désastreux de la cinquième Répu-

blique ». Pire que Bachelot ? Noooon ! Si, si !

À la fois incompétente, stupide (4), inapte, mé-

chante, nocive (c'est toujours Goupil qui parle), la

Walkyrie du PS (là, c'est moi) a jusqu'à présent été capable

(entre autres et en vrac)) d'enterrer, au nom du refus de

l' « écologie punitive » (5), une écotaxe votée par tous les

parlementaires ; de proposer la gratuité des autoroutes le

week-end ; de réclamer plus de centrales nucléaires ; de

déclarer que l'ours n'a pas sa place dans les Pyrénées ; de

prétendre faire abattre 400 bouquetins, espèce protégée ;

de promettre des mesures contre le vautour fauve

(protégé aussi) en Ariège ; de se réfugier dans le silence

et/ou la langue de bois au sujet de la surpêche ; d'ouvrir

grandes les écoles au prosélytisme des chasseurs, dont

elle souligne le « rôle essentiel dans le maintien de la bio-

diversité » ; et bien sûr de réclamer aux Parcs nationaux

qu'ils organisent des battues pour « les nettoyer des

loups ». Loups dont elle déclarait au Monde, l'été der-

nier, qu' « il y en a beaucoup trop ! […] Même les en-

fants ont peur, ça les empêche de dormir. » Et au mo-

ment où je m'apprête à boucler cet article, voilà que

j'apprends la dernière royalerie : Ségolène et sa copine

Sylvia Pinel (6) lancent le Grand Prix d'Aménagement :

« Comment mieux bâtir en terrains inondables construc-

tibles » !

Bon, je n'ai aucune compétence en psychiatrie,

mais notre Ségo, manifestement piquée par une autre

bestiole qu'une abeille, faudrait peut-être envisager de

la soigner, non ?

Gérard Roy

(1) Les deux autres sont un socialiste et... Damien

Meslot, député UMP de Belfort ! Ma foi, ça lui fait au

moins un bon point...

(2) Association pour la Protection des Animaux sau-

vages – BP 505 – 26401 CREST Cedex – Tél. 04 75 25 10

00 – [email protected] – www.aspas-

nature.org

(3) J'ai honte...

(4) Avant de juger cet adjectif abusif ou inutilement

blessant, lisez plutôt la suite.

(5) Je ne sais pas pourquoi, mais « écologie punitive »,

ça me file les mêmes boutons que « laïcité positive ».

(6) Ministre du Logement, de l'Égalité des Territoires et

de la Ruralité.

Science et écologie

BIG BROTHER, USINE DU FUTUR,

COOPERATION ET REVOLUTION PHOTOVOLTAÏQUE

Comment se protéger de Big Brother ?

C'est Edward Snowden, un consultant en informa-

tique, qui a rendu public le programme de surveillance

de masse de la NSA (1). Celle-ci collecte et stocke des

quantités considérables de données sur des serveurs

clandestins, sans contrôle d'une autorité judiciaire. C'est

la porte ouverte à des atteintes à la vie privée et aux

libertés individuelles. Pour limiter les risques d'abus, un

article paru dans Pour la Science propose trois prin-

cipes : répartir les données dans des centres séparés,

sécuriser la transmission et le stockage, notamment par

le chiffrement, et actualiser les adaptations au fur et à

mesure des évolutions techniques. (Pour la Science

n° 447, janvier 2015, pp. 64-67)

Commentaire : Ce sont les pratiques elles-

mêmes, sans contrôle démocratique ni même judiciaire,

qui doivent être refusées. Il faut d'autant plus s'en mé-

fier qu'on assiste à un retour inquiétant des idéologies

sécuritaires. Au fond, ces pratiques secrètes de collecte

de données personnelles et leur utilisation pourraient

présenter un danger mortel pour la démocratie, par le

contrôle politique qu'elles permettent, par l'intoxication

des opinions qui pourrait en résulter. Elles décupleraient

les risques de manipulation des citoyens, en particulier

en période de crise. Offrir l'asile politique en France à

Edward Snowden signifierait clairement aux États-Unis

(2) que ces pratiques sont inacceptables.

2. En route vers l'usine du futur

L'usine change. L'informatique permet de mieux

adapter les lignes de fabrication à la demande et à la

gestion des stocks. Les unités de production deviennent

davantage modulables. De nombreux capteurs connec-

tés permettent d'optimiser les procédés. Pour la fabrica-

tion de certains objets, on envisage de remplacer l'usi-

nage – enlèvement de matière – par le principe des im-

primantes 3D : adjonction successive de couches, à par-

tir de poudre de métal fondu par laser. Les robots colla-

boratifs ou cobots sont promis aussi à un bel avenir. Les

cobots assistent l'opérateur et réduisent son effort mus-

culaire. Airbus utilise des cobots depuis 2013. (Pour la

Science - supplément innovation- n° 447, janvier 2015,

pp. 55-59)

Commentaire : L'auteur de l'article l'affirme :

« L'usine tout automatique est stérile par nature, car la

créativité reste l'apanage de l'homme. » Certes ! Il y a

dans ces perspectives d'usine du futur des économies de

matières premières et d'énergie, une diminution de la

pénibilité des tâches dont nous ne pouvons que nous

féliciter. Reste une question-clé : à qui profiteront les

gains de productivité ? Soit nous allons vers une réduc-

tion globale de la durée du travail pour tous, soit les

innovations vont encore une fois profiter aux 1% les plus

riches, avec le « chômage technologique » comme hori-

zon pour les autres.

La science pour éclairer les choix de l'écologie politique.

La réflexion politique pour développer la critique de la science.

18

3. La coopération comme outil d'innovation

Le modèle proposé est celui de logiciels libres et

les sites et réseaux collaboratifs. Ce domaine de coopéra-

tion semble poser bien peu de problèmes, parce qu'il

n'est pas basé sur l'échange d'argent mais sur l'échange

d'informations. Une information est un bien que l'on peut

donner tout en le conservant. Un groupe qui coopère en

sait plus que l'un quelconque de ses membres aupara-

vant. Une des difficultés, c'est d'assembler des informa-

tions complémentaires, qui sont libellées généralement

dans des langages distincts, propres à chaque commu-

nauté. (Pour la Science - supplément innovation- n° 447,

janvier 2015, pp. 10-11)

Commentaire : Voilà qui change du discours ha-

bituel sur la concurrence, la compétitivité, le secret bien

gardé des affaires que l'on trouvait dans la première ver-

sion de la loi Macron. Le diable est dans les détails… On

voit bien quels pourraient être l'intérêt et la force d'une

coopération scientifique et technique renforcée au ni-

veau européen pour faire face au dérèglement climatique

et engager la transition écologique.

4. Une révolution pour le photovoltaïque

Les cellules photovoltaïques à pérovskites (2) cons-

tituent une alternative aux cellules en silicium : elles sont

transparentes et fines (elles peuvent s'appliquer sur un

vitrage ou une carrosserie de voiture), cinq fois moins

coûteuses et plus faciles à fabriquer. Pour l'instant, le

rendement reste inférieur à celui des cellules en silicium,

mais il atteint déjà 17,9 %, avec une limite théorique à

30 %. (La Recherche n° 495, janvier 2015, pp. 30-33)

Commentaire : Il y a encore des obstacles à

l'industrialisation des cellules à pérovskites du fait de leur

sensibilité à la chaleur et à l'humidité. On voit bien, néan-

moins, qu'un développement conséquent de la recherche

peut permettre de trouver des solutions techniques, facili-

tant les alternatives aux énergies fossiles. Le problème,

c'est qu'en France, dans le domaine de l'énergie, c'est en-

core le nucléaire qui consomme l'essentiel des crédits de

recherche.

Gérard Mamet

(1) NSA : National Security Agency, l'Agence de Sécurité

nationale des États-Unis. Snowden a révélé qu'elle enregis-

trait les conversations téléphoniques (dont celles d'Angela

Markel) et les données sur le trafic Internet, dans le monde

entier.

(2) Les pérovskites, du nom du minéralogiste russe

Perovski, sont des minéraux formés d'oxydes métalliques

qui sont très répandus dans l'écorce terrestre.

19

20

UN MOIS, ÉMOIS, ET MOI

Pas d'Émois, ce mois. Ou plutôt un seul, un gros, très gros...

D'abord, la stupéfaction, l'incrédulité, en entendant à la

radio, dans la matinée du 7 janvier, qu'une fusillade a

éclaté dans les locaux de Charlie Hebdo et qu' « il y au-

rait » (à ce moment-là, le conditionnel représente en-

core un espoir) des

victimes. Quand, au

fil des minutes et

des flashes d'info, le

conditionnel cède

la place à l'indicatif

- « il y a » quatre,

cinq victimes... -, on

se surprend à faire

des choix, à

émettre des préfé-

rences (ben oui,

c'est idiot, mais

c'est comme ça, on ne le contrôle pas) : pourvu que ce ne

soit pas Charb ! pourvu qu'il n'y ait pas Bernard Maris !

pourvu que... Et puis il y aura Charb, il y aura Bernard

Maris, et Cabu, et Wolinski, et Tignous, et Honoré, et Elsa

Cayat, et les autres, et à ce moment-là, c'est la colère,

sourde, rentrée, et l'émotion, le chagrin, comme rare-

ment. Et dans les jours et les semaines qui suivent, le reste

– Sarkozy, Valls, les socialistes, Poutine, le bon roi Abdallah

et tous les minables guignols de la politique, du showbiz

et des médias qui suscitent les mensuels Émois, bof, on

s'en tape un peu, hein…

Après le temps de la sidération, de la stupeur, de la

rage (bien loin d'être passé chez moi) qui a suivi ce mas-

sacre, la recherche des responsabilités, c'est normal, a

commencé. Au premier rang des accusés, l'école : cible

facile, sur laquelle tirent à boulets rouges tous ceux qui n'y

ont plus jamais mis les pieds depuis la terminale, voire le

Certificat d'études, et qui pensent que les enseignants

sont de tels branleurs (eh ! oui, il y en a, bien sûr, comme il

y a des journalistes qui ne sortent pas leur cul de leur bu-

reau et des élus qu'on ne voit jamais dans leur assemblée)

qu'ils passent leur temps à raconter aux élèves leurs va-

cances au lieu de les faire réfléchir. Mais passons…

Ce que j'attends, moi, c'est qu'on revienne

aussi (pas seulement) sur la responsabilité indirecte de

tous ceux, à gauche et à l'extrême gauche surtout, mais

pas seulement - politiques, journalistes, éditorialistes,

leaders d'opinion, responsables syndicaux ou médiatiques,

penseurs plus ou moins autoproclamés, etc. - qui, de-

puis des années, par ignorance ou par couardise, par

complicité ou par lâcheté, par désintérêt ou par stupi-

dité, ont au mieux cultivé la cécité et l'ambiguïté, au

pire systématiquement choisi le refuge mensonger de

la langue de bois et du politiquement correct (1) et

refusé d'appeler les choses par leur nom. Sous le très

généreux prétexte de ne pas « stigmatiser l'islam » et

de ne pas frois-

ser les musul-

mans, on n'a pas

non plus su ou

voulu voir venir,

chez un certain

nombre de fi-

dèles, les dérives

de l'islam, leurs

exigences de

plus en plus in-

supportables (y

compris et sur-

tout pour la très

grande majorité des musulmans), dérives qui culmi-

nent sous la forme d'un véritable fascisme islamiste

(Malek Boutih parle même d' « islamo-nazisme »), pas

plus d'ailleurs qu'on n'a élevé de réelles digues contre

toutes les autres formes de totalitarisme religieux.

(Quoi d'étonnant à cela dans un pays dont les diri-

geants vont régulièrement baiser la mule du pape (2),

voire assister à de ridicules cérémonies vaticanesques

sans que cela ne provoque un haut-le-cœur dans ledit

pays ?)

Laissant à une extrême droite ravie de l'au-

baine le soin de propager ses amalgames nau-

séabonds, on a benoitement suivi le boulevard

qu'elle traçait : l' « islamophobie » de cette dernière

n'étant que le cache-sexe de son racisme (il faut vrai-

ment être bien naïf pour croire qu'elle s'en prend plus

à la religion musulmane qu'à sa cible préférée, les

Arabes), on s'est mis à pousser des cris d'orfraie à la

moindre critique de l'islam et de ses dérives. On a fait

semblant de croire (mais on s'est bien gardé de le dire)

que les musulmans étaient bien trop limités intellec-

tuellement, ou que leur culture n'avait pas atteint le

stade nécessaire, pour comprendre que ce n'est pas

eux qu'on vise quand on défend la laïcité, la laïcité

tout court (quel est le premier salaud qui lui a collé l'éti-

quette de « positive » ?...) et qu'on refuse de se plier, et

de voir les autres se plier, aux diktats d'énergumènes

exaltés. Énergumènes qui voudraient nous ramener - et

ramener les musulmans au premier chef ! - aux temps

bénis d'un islam « des origines » fantasmé par leur dé-

sespérante ignorance, aux franges d'un moyen-âge où

l'obscurantisme le plus obtus pactise allègrement avec

les merveilleux joujoux de la technologie moderne (3) :

téléphone portable, caméra GoPro, pick-up et kalachni-

kov. Salman Rushdie, Taslima Nasreen, Robert

Redeker, Malala Yousafzai, Asia Bibi, Raef Badaoui et tant

d'autres, célèbres ou anonymes, assassinés, mutilés ou

condamnés à vivre cachés, sont passés par profits et

pertes, au grand soulagement d'un petit confort rabou-

gri, pétri de mauvaise conscience post-coloniale et préfé-

rant s'aveugler plutôt que voir la réalité (4).

Tous ces beaux esprits ont leur part de res-

ponsabilité dans la tragédie de Charlie, qu'ils ont,

chaque fois que l'hebdoma-

daire a été menacé ou atta-

qué (par l'extrême droite,

par des cathos, par des

représentants plus ou

moins officiels de l'islam),

défendu du bout des lèvres

et en tortillant du popotin,

quand ils ne l'ont pas carré-

ment démoli pour cause de

« vulgarité » ou de

« provocation ». Le fana-

tisme s'en prenant de préférence aux plus faibles, c'est

aussi de ce manque de solidarité que sont morts Charb

et ses potes. C'est bien d'ailleurs ce qu'ont souligné les

survivants du massacre, appréciant qu'on les sou-

tienne aujourd'hui, mais regrettant qu'on ne l'ait pas

fait plus tôt et plus franchement.

Est-il normal, est-il admissible que, depuis de

trop longues années, ce soient des humoristes, des

cartoonistes, des amuseurs publics (oh ! pas tous,

certes, et même, pas la majorité) qui disent tout haut

ce que politiques et médias ont renoncé à dire même

tout bas ? Que ce soient eux, en particulier, qui affir-

ment, envers et contre toutes les petitesses timorées

et les insolentes fatwas, qu'il y a des fascistes musul-

mans comme il y a des fascistes chrétiens, juifs, in-

croyants, etc. ? Et qu'on a le droit, que cela plaise ou

non à leurs fidèles, de se payer la tête des religions, de

toutes les religions (5) ? Le délit de blasphème n'existe

pas dans la plupart de nos sociétés : c'est pour l'avoir

inlassablement rappelé que nos copains sont tombés

dans une mare de sang ; c'est pour cela, parce qu'ils dé-

fendaient des libertés dont ceux qui applaudissent les

frères Kouachi ne sont même pas capables d'envisager

l'importance, qu'ils ont été flingués. À qui le tour, mainte-

nant ? (6)

J'espère que certains de ceux qui montrent leur

affliction aux caméras après avoir été plus que tièdes

dans leur défense de la liberté d'expression éprouvent

aujourd'hui quelques remords ; et j'aimerais être bien sûr

qu'il n'y a pas, chez quelques autres, comme un lâche

soulagement...

Gérard Roy

1) Attention : je ne suis pas pour autant un fanatique du

« politiquement incorrect » sous lequel une bonne partie

de la droite tente maladroitement de camoufler ses

idées les plus antipathiques !

(2) Ne vous méprenez surtout pas sur le sens de cette

expression : on parle bien là d'une pantoufle !

(3) Moderne et, qui plus est, fruit de l'Occident honni !

(4) Toutes proportions gardées, cette façon de considérer

que les musulmans, en quelque sorte, ne sont « pas en-

core » aptes à comprendre la laïcité, me rappelle la rai-

son pour laquelle, il n'y a pas si longtemps, on excusait

largement la dictature de Pékin : les Chinois n'étaient

pas culturellement prêts pour la démocratie !

(5) Au risque d'ailleurs d'être sans cesse menacés de

mort, comme Sophia Aram, par cette lie de l'humanité

qui grouille sur Internet.

(6) S'il arrivait quelque chose à Caroline Fourest, nul

doute qu'on verrait pleurnicher l'extrême gauche qui la

voue aujourd'hui aux gémonies !

21

J'essuie Charlie, mais la tache tient et ne s'effacera

pas si facilement. Des fêlés ont assassiné des dessina-

teurs qui m'aidaient depuis longtemps, avec d'autres, à

interroger le réel, à en rire ou à le supporter avec déri-

sion. Et aussi un analyste qui m'aidait à porter un regard

critique sur la pensée économique unique en vigueur de

nos jours. Sans compter ceux que je ne connaissais pas,

qui permettaient à cette équipe de travailler et qui sont

morts avec elle. Les nettoyeurs du vide ont fait leur

œuvre et me voilà un temps bien seul. Du coup, les pro-

pos qui suivent pourront paraître au lecteur quelque peu

décousus...

Comment ce pays a-t-il pu produire de tels fous ?

Ils ne sont pourtant pas venus d'ailleurs, ils sont bien

d'ici et cette barbarie est bien issue de notre culture, qui

en est venue peu à peu à casser toutes les solidarités et,

dans notre pays, à détruire tout ce qu'avait su introduire

le Conseil national de la Résistance au niveau écono-

mique et social.

Au sortir de la manif à Besançon, j'ai vu une

femme qui rentrait avec ses enfants, la tête baissée, l'air

fataliste, portant une grande affiche sur laquelle était

écrit : « Nous ne sommes pas des terroristes. » Affli-

geant ! Comment a-t-on pu en arriver là et laisser mon-

ter ce malaise identitaire ? Que va-t-il arriver désormais

dans notre « beau pays », qui refuse l'inhumation d'un

bébé étranger, où des maires mettent des bancs en cage

et où trouver du travail n'est pas facile quand on a un

nom arabe ? Arabe, comme l'écrit Éric-Emmanuel

Schmitt, « ça veut dire ouvert la nuit et le dimanche dans

l'épicerie »… Pour ce qui est de l'ascenseur social, t'as

qu'à prendre l'escalier ! Malek Boutih le reconnaît lui-

même La République s'occupe de ses Français d'origine

contrôlée mais... « dans une pièce à côté ». Au mieux ils

ont accédé un temps au statut condescendant de

« potes » et maintenant ?

De la Marche des Beurs à Charlie Hebdo :

que comprendre ?

Que pensent aujourd'hui ceux qui ont créé la

Marche des Beurs, en octobre 1983, marche pour

l'égalité et contre le racisme ? Que pensent aujour-

d'hui ces « Français d'origine contrôlée » (1) ? Pour-

quoi cette désillusion ? Et plus récemment, que s'est-il

passé de positif permettant de reprendre espoir de-

puis l' « affaire » Merah ?

Il est clair que l'humour de Charlie n'était pas

toujours compris dans un tel contexte par ceux qui se

sentent humiliés d'être nés en France et d'être cepen-

dant sans cesse traités de bougnoules, tout comme

l'avaient été leurs pères. Ne se sentant chez eux nulle

part, ni en France, ni en Algérie, ni ailleurs, certains

ont donc vraiment pété les plombs.

Beaucoup sont depuis en deuil de façon pro-

fonde mais pas tous. Chaque génération a sa culture

et visiblement des relais n'ont pas été transmis et si

quelque chose de positif doit sortir de ce « sursaut »

des Français méfions-nous cependant de certains im-

posteurs qui brandissent un très opportuniste Front

républicain. N'oublions pas en effet qu'en tête du cor-

tège unitaire à Paris, on a vu quelques personnages

qui faisaient plutôt désordre quant au respect de la

liberté d'expression dans le monde.

S'il y a eu un temps social pour le recueillement

depuis les massacres des 7 et 9 janvier, il est à craindre

que « je suis Charlie » se noie dans l’inextricable con-

fusion intellectuelle et politique dans laquelle nous

nous trouvons actuellement. C'est pourtant cette lutte

pour l'égalité et contre le racisme qui devrait rebondir

aujourd'hui, avec un gros effort culturel global, car la

République sera métissée ou disparaîtra. Heureuse-

ment, notre Président va aller prendre le pouls des

banlieues !!! Un sentiment de déjà vu mais l'espoir fait

vivre.

J'ESSUIE CHARLIE....

22

Un immigré héros de la République

Paradoxalement Lassana Bathily, employé dans le

super marché casher où 4 clients ont été assassinés,

obtient la nationalité française pour en avoir protégé

6 autres... c'est bien mais que devrons faire les pro-

chains candidats à la nationalité ? Dans son discours lors

de la cérémonie du 20 janvier, B.Cazeneuve n’a éludé ni

le rejet de la demande de régularisation de Lassana en

2009 ni la réception d'une obligation à quitter le terri-

toire (OQTF), évoquant à ce sujet l’erreur manifeste

d’appréciation de la préfecture, ni l’aide apportée à Las-

sana par « les associations » après plusieurs années de

galère et l'obtention d'un titre de séjour. Depuis ces

événements Lassana Bathily est allé se reposer parmi

les siens au Mali et signale qu'à son retour il créera une

association d'aide aux sans papiers. Les membres de

RESF qu'il avait invités ont interpelé le ministre au sujet

des lycéens jeunes majeurs dans le futur projet de loi de

l'immigration.

Un problème culturel, social et économique

Puissent nos concitoyens et politiques, c'est-à-

dire chacun d'entre nous, comprendre en profondeur ce

qui se passe depuis 30 ans dans notre société, sans ou-

blier certes la situation internationale, mais en pensant

qu'il est atterrant de voir que notre société et son école

n'ont pas donné à chacun de leurs enfants les outils

nécessaires pour se construire, sans se cacher hypocri-

tement derrière l'égalité des chances... Force est de

constater que les enfants défavorisés socialement font

les frais de notre système d’instruction et d’éducation

français inégalitaire, alors que pour les autres, les pa-

rents se substituent à l’école défaillante parce qu'ils en

ont les moyens. Le problème est surtout culturel, social

et économique, la religion en étant l'habillage. Or

comme la laïcité , qui n'est pas un bréviaire anticlérical,

reste encore mal comprise dans notre pays, on s'attaque

à tort à une religion.

Quand, dans Charlie, un dessin de Cabu a montré

Allah se lamentant devant ce qui se passait, débordé par

les intégristes,

criait « c'est dur

d'être aimé par

des cons », il y a

eu des jeunes

pour croire que

les cons étaient

les musulmans !

Tous les caricatu-

ristes sont con-

frontés aux

risques du

second degré. On peut toujours dire qu'il faut être con

pour ne pas comprendre et alors.... le fossé ne fait que

se creuser et notre société continue à fabriquer de la

« distinction » au sens de Bourdieu. Aujourd'hui, le des-

sin en question a été transformé par Carali dans Siné

mensuel et me paraît bien rendre compte de notre si-

tuation. Au fait, la lecture de l'image, cela s'apprend ;

mais où ? Cette capacité n'est pourtant pas évidente et

n'appartient pas à toutes les cultures.

Donner du sens au Vivre ensemble laïc: à

nous d'agir

J'approuve Shlomo Sand (2) quand il dit :

« Bien sûr, il faut être un assassin cruel et pervers

pour tuer de sang-froid des personnes innocentes et

désarmées, mais il faut être hypocrite ou stupide pour

fermer les yeux sur les données dans lesquelles s’inscrit

cette tragédie. C’est aussi faire preuve d’aveuglement

que de ne pas comprendre que cette situation conflic-

tuelle ira en s’aggravant si l’on ne s’emploie pas en-

semble, athées et croyants, à œuvrer à de véritables

perspectives du vivre-ensemble sans la haine de

l’autre. »

Que fera-t-on de de cette injonction : « Je suis

Charlie » ? Car en tant qu'injonction, elle pose aussi

problème à la liberté d'expression car elle contraint et

empêche de réfléchir.

Je retiens surtout du propos de Shlomo Sand

l’ambiguïté dans laquelle l'occident se trouve, et à quel

point nous devrions cesser de nous mentir surtout à

nos propres yeux, car à l'heure d'Internet, les méthodes

machiavéliennes de conservation du pouvoir éclatent

en morceaux. Le dialogue nécessaire est préférable aux

décrets verticaux.

A nous de créer de nouvelles conditions favori-

sant un Vivre Ensemble laïc effectif , chacun là où il vit

et où il se bat. L'initiative récente à Vesoul de créer un

lieu de dialogue, un « café Charlie » pour « panser les

fractures de l'après Charlie », va dans ce sens , mais la

voie sera longue car selon le Monde les jeunes se réu-

nissent ailleurs et ne se sentent pas invités par « les

gens de la ville » malgré leur besoin de dialoguer. « Ici

on n’est pas Charlie, mais tous on condamne ce qui s’est

passé à Charlie ».

Thierry Lebeaupin

( 1) Français d'origine contrôlée

part 1 : http://tinyurl.com/lah9ydf

Français d'origine contrôlée part 2 : http://tinyurl.com/

po7fv88

(2) Shlomo Sand : http://tinyurl.com/l46sbs4

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