droit des obligations

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Synthèse du cours de droit des obligations 2006-2007 Professeur : P.A. Foriers Par Hélène Volkova

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Page 1: Droit Des Obligations

Synthèse du cours de droit des obligations2006-2007

Professeur : P.A. Foriers

Par Hélène Volkova

Page 2: Droit Des Obligations

Tome 1er

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TITRE PRÉLIMINAIRE : NOTIONS – GÉNÉRALITÉS

1. La notion d'obligation

a. L'obligation civile

Elle n'est pas définie par le Code civil.

Selon la définition classique issue du droit romain (Institutes de Justinien), il s'agit du lien de droit par lequel une (ou plusieurs) personne(s) peu(ven)t contraindre une (ou plusieurs) personnes autre(s) à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.

L'obligation suppose donc trois éléments : (1) un lien entre un (des) CRÉANCIER (s) (sujet(s) actif(s)) et un (des) DÉBITEUR (s) (sujet(s) passif(s)) ;(2) un pouvoir de CONTRAINTE ; (3) un OBJET (donner, faire ou ne pas faire quelque chose).

(1) Il existe un autre concept, les devoirs généraux, qui sont des “obligations” de comportement imposées à tous par la loi et les usages ou la bonne foi et la prudence qui caractérisent le comportement du bon père de famille (ex. devoir de rouler à droite, de ne pas commettre d'infraction pénale...). Il n'y a donc pas de créancier ni de débiteur déterminé. Certains auteurs y voient toutefois une forme d'obligation dont tous seraient à la fois créanciers et débiteurs, mais cela semble artificiel. En revanche, la méconnaissance de pareil devoir peut donner naissance à une obligation, l'obligation de réparer le dommage causé (art. 1382 C. civ.). N.B. Selon certains, le principe de l'exécution de bonne foi des obligations (art. 1134 al. 3 C. civ.) ressemblerait davantage à un devoir général qu'à une obligation (en effet, l'idée de cette disposition est assez proche de celle de l'article 1382 C. civ. puisqu'on se demande comment se serait comporté un débiteur normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances)

(2) >< obligations naturelles, engagements sur l'honneur (gentleman's agreement), engagements mondains.Ce pouvoir de contrainte va induire plusieurs principes :

− art. 1174 C. civ. : nullité de l'obligation sous condition suspensive purement potestative dans le chef du débiteur ;

− nullité de l'obligation dont l'objet n'est ni déterminé ni déterminable (ex. si je m'engage à vous livrer du vin sans autre précision, le Code civil indique que dans ce cas le vin doit être de qualité loyale et marchande ; mais le problème n'est pas résolu car reste la question de savoir combien de vin je dois livrer. Vous n'avez pas de pouvoir de contrainte sur moi puisque je pourrais me libérer en vous livrant une goutte de vin) ;

− nullité des clauses d'exonération de responsabilité en cas de manquement intentionnel ou volontaire (ce principe est aussi justifié par le principe de bonne foi).

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(3) L'objet de l'obligation peut être extrêmement variable : elle peut consister à − “donner” quelque chose (= constituer ou transférer un droit réel), − “faire” quelque chose (l'objet est une prestation), ou − “ne pas faire” quelque chose (l'objet est une abstention).

Il doit être − déterminé ou déterminable et− possible en fait et en droit.

b. L'obligation morale et l'obligation naturelle

Obligation civile (sanctionnée juridiquement) >< OBLIGATION MORALE (pas sanctionnée juridiquement)

Mais cette distinction n'est pas si nette. En effet, il se peut que le droit positif prenne indirectement en compte des obligations

morales au travers de diverses notions légales (bonus vir, bonne foi, bonnes moeurs...)

aux confins des obligations civiles et des obligations morales se trouvent les OBLIGATIONS NATURELLES , qui peuvent avoir des effets juridiques si elles sont exécutées volontairement, voire même si elles sont reconnues volontairement.

2 catégories d'obligations naturelles :

• OBLIGATIONS MORALES RENFORCÉES : ce sont des obligations morales particulièrement fondamentales et que l'on juge dignes de protection juridique en cas d'exécution volontaire ou de reconnaissance volontaire. On en rencontre beaucoup en droit de la famille (obligation d'établir les enfants, obligation des concubins de contribuer aux charges du ménage...) et dans le cadre des relations de travail (pensions pour d'anciens administrateurs / employés en dehors de toute obligation légale ou contractuelle...). Selon certaines décisions, celui qui répare un dommage qu'il n'est pas tenu juridiquement de réparer exécuterait une obligation naturelle (ex. rupture non fautive de fiançailles).

• OBLIGATIONS CIVILES DÉGÉNÉRÉES : ce sont des obligations civiles privées en raison de certaines circonstances du droit d'action en justice qui les sanctionne.On a cité 2 hypothèses :

✗ Les obligations nulles de NULLITE RELATIVE pour vice de consentement. Un arrêt de la cour de cassation de 1950 a exclu cette idée. En réalité, c'est un problème de CONFIRMATION de la nullité.

✗ Les obligations PRESCRITES : − En effet, on enseigne classiquement que celui qui paie

volontairement une dette prescrite ne peut agir en répétition.− Un arrêt de la cour de cassation de 1970 a condamné l'analyse

selon laquelle l'obligation prescrite serait une obligation naturelle : “la prescription (...) ne porte pas atteinte à l'existence de la dette, mais seulement à son exigibilité” ; par conséquent, le “ paiement volontaire même par ignorance , d'une dette prescrite, ne donne pas ouverture à répétition, ne se fondant en ce cas, ni sur la non existence, ni sur l'absence de cause de la dette” (alors que si on considérait que l'obligation prescrite était une obligation naturelle, seul le paiement en connaissance de cause ferait obstacle à la répétition).

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Cette solution était satisfaisante d'un point de vue juridique mais pouvait avoir des conséquences inéquitables si le débiteur payait par erreur une dette prescrite, voire si le créancier utilisait la contrainte pour obtenir le paiement. C'est sans doute pour cette raison qu'un arrêt de la Cour de cassation de 1981 opère un revirement. En l'espèce, le créancier avait usé de la contrainte pour obtenir le paiement de la dette. La Cour estime que l'obligation prescrite est une obligation naturelle et “qu'il s'ensuit que lorsque le paiement de la dette a été effectué sous l'effet de la contrainte, ce paiement donne ouverture à un droit à remboursement”. Dans cette analyse, seul le paiement libre et conscient fait obstacle à la répétition.

Dans la mesure où l'efficacité de l'obligation naturelle suppose la volonté du débiteur de l'exécuter, on s'est interrogé sur l'utilité de ce concept, alors que le droit positif reconnaît aujourd'hui pleinement l'engagement par déclaration unilatérale de volonté comme source d'obligations. Il est vrai que la reconnaissance de la déclaration unilatérale de volonté comme source d'obligations a eu pour effet de diminuer considérablement l'utilité de la notion d'obligation naturelle, mais celle-ci n'en a pas pour autant perdu toute utilité. En effet, puisque l'obligation naturelle préexiste, sa reconnaissance ne constitue pas une libéralité. ll ne faut donc pas respecter les règles de forme propres aux libéralités et on échappe aux conséquences fiscales de celles-ci.

2. La vie de l'obligation

a. NAISSANCE -----------------------------------------------------------------> MORT

a. La naissance de l'obligation

Toute obligation suppose un acte ou un fait générateur qui lui donne naissance : − contrat− quasi-contrat− délit / quasi-délit engendrant un dommage− engagement par déclaration unilatérale de volonté− le cas échéant, une autre source (ex. pour certains, une apparence).

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b. La mort normale résulte du paiement volontaire = exécution volontaire de l'obligation

c. Parfois l'obligation s'éteint par son exécution forcée

d. Dans certains cas, l'obligation s'éteint autrement que par son exécution volontaire/forcée

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b. L'exécution volontaire de l'obligation

C'est la situation normale.

c. L'exécution forcée de l'obligation

En cas d'inexécution [fautive], le créancier peut poursuivre l'exécution forcée de l'obligation en cause.

PRINCIPE DE L'EXÉCUTION EN NATURE : l'exécution en nature constitue le mode normal d'exécution forcée tant des obligations de dare que de facere et de non facere, et ce, en dépit des termes de l'article 1142 du Code civil1.

C'est un DROIT DU CRÉANCIER et le juge ne pourrait la lui refuser au motif que l'exécution par équivalent serait plus appropriée. Toutefois, il ne la lui accordera pas

• si elle est impossible ;• si elle procéderait d'un abus de droit (ex. un maître de l'ouvrage a commandé des châssis

de 4 cm de largeur ; on livre des châssis de 4,5 cm de largeur ; le maître de l'ouvrage veut les faire remplacer alors qu'ils ont déjà tous été installés : c'est abusif),

• si elle impliquerait une contrainte physique2 (ce principe connaît toutefois des limites : ex. l'expulsion est possible, notamment par la force).

C'est aussi un DROIT DU DÉBITEUR , sauf si elle est devenue impossible ou insatisfactoire pour le créancier. Tel pourrait être le cas à l'expiration d'un certain délai (livrer des sapins de Noël après le 25 décembre) ou si le créancier a à juste titre perdu confiance en l'entrepreneur débiteur etc.

d. L'extinction de l'obligation en dehors de son exécution volontaire ou forcée

Ce mode exceptionnel d'extinction des obligations découle des dispositions de la convention ou du Code civil. Ex. condition résolutoire, impossibilité non fautive d'exécution, remise de dette...

1 Voir chapitre 4.2 Mais il y a toutes sortes de manières d'obliger quelqu'un à exécuter quelque chose sans utiliser la contrainte

sur sa personne : • les astreintes ;

• la contrainte indirecte (ex. si un vendeur d'immeuble refuse de passer l'acte authentique, l'acheteur peut demander au juge de décider que si dans tel délai le vendeur ne signe pas l'acte authentique, le jugement tiendra lieu d'acte authentique) ;

• le remplacement judiciaire.

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3. Classifications des obligations

a. Les obligations de facere / non facere / dare

(i) Généralités

L'OBLIGATION DE FAIRE est la plus répandue. Elle porte sur toutes sortes de prestations, à l'exception de la constitution ou de la transmission d'un droit réel.

L'OBLIGATION DE NE PAS FAIRE porte sur une abstention. L'OBLIGATION DE DARE a pour objet le transfert ou la constitution d'un droit réel (et plus

spécialement, du droit de propriété).

(ii) L'obligation de dare

C'est une obligation très étrange, une espèce d'OBLIGATION MORT – NÉE . En effet, dans le système du Code civil, une telle obligation s'exécute en principe à sa conclusion .La règle se déduit de l'article 1138 C. civ. : “L'obligation de livrer la chose est parfaite par le seul consentement des parties contractantes.Elle rend le créancier propriétaire et met la chose à ses risques dès l'instant où elle a dû être livrée, encore que la tradition n'en ait point été faite, à moins que le débiteur ne soit en demeure de la livrer ; auquel cas la chose reste aux risques de ce dernier.”3

ORIGINE HISTORIQUE : cette règle est le produit d'une erreur historique commise par les auteurs du Code civil.− Dans le DROIT ROMAIN (Justinien), le transfert ne propriété n'opérait jamais solo consensu.

La vente donnait essentiellement naissance à des obligations de faire : 1) livrer la chose et 2) garantir contre l'éviction. Sans doute y avait-il obligation de transférer la propriété, si le vendeur était propriétaire ; mais même dans ce cas, il fallait au moins la tradition de la chose pour que le transfert de propriété opère.

− En revanche, les risques étaient à charge de l'acheteur dès la conclusion du contrat, ce qui était complètement dérogatoire au droit commun des contrats synallagmatiques (selon lequel si l'un ne s'exécute pas, l'autre ne doit pas s'exécuter non plus). La raison en était économique : les vendeurs de blé ne voulaient pas supporter les risques du transport des provinces jusqu'à Rome. La jurisprudence a donc accepté de considérer que l'acheteur supportait les risques, ou en tout cas, les risques ordinaires (tempête, pirates...).Rien n'empêchait donc de vendre la chose d'autrui, et si le propriétaire se manifestait, l'acheteur pouvait mettre en jeu le système de la garantie d'éviction.

− L'ANCIEN DROIT FRANÇAIS faisait application des mêmes principes.Mais EN PRATIQUE , les choses se passaient différemment : en matière civile (>< commerciale) le transfert de propriété intervenait le plus souvent dès la conclusion du contrat. En effet, il y avait 2 grands types de vente : immobilières / au comptant. Dans les ventes au comptant d'une part, la propriété était transmise immédiatement car la tradition et le paiement du prix intervenaient tout de suite après l'accord des parties. Dans les ventes immobilières, d'autre part, s'était répandue la pratique des clauses de “constitut possessoire” et de “tradition feinte” (=clauses de saisine-dessaisine) (par lesquelles les parties assuraient la remise juridique de la chose et le vendeur était constitué possesseur pour le compte de l'acheteur).

− D'autre part, à la fin du XVIIe siècle se répandent des idées philosophiques, dont celle que le droit serait abstrait, et que donc rien n'empêcherait qu'il y ait transfert de propriété du seul consentement des parties.

3 Le principe est confirmé par les articles 938 (en matière de donation) et 1583 (en matière de vente) du Code civil.

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− Les auteurs du Code civil discutent de cela et disent qu'il est évident qu'en droit français le transfert de propriété s'opère par consentement. Ils ont donc été TROMPÉS PAR LA PRATIQUE . Sur le plan pratique, il y avait transfert de propriété immédiat, mais pas sur le plan théorique.

Le régime qui en résulte est assez étrange et INCOHÉRENT : • La vente de la chose d'autrui est nulle puisqu'elle est impossible quant à l'objet (il

est impossible de transférer la propriété si on ne l'a pas). Mais le Code civil place parmi les obligations du vendeur la garantie d'éviction et retient expressément comme cas d'éviction, le dépossession par l'effet de la revendication du vrai propriétaire4.

• Le transfert de propriété n'opère par l'échange de consentements qu'entre parties. A l'égard des tiers, en revanche, la propriété ne se transfère pas solo consensu5. Or, les droits réels sont opposables aux tiers. Il est donc contradictoire de dire qu'il y a transfert d'un droit réel entre parties seulement.

• Il y a de NOMBREUSES EXCEPTIONS au transfert de propriété entre parties solo consensu : rien n'interdit de convenir du contraire (clauses de réserve de propriété) ; en cas de vente d'une chose future, le transfert de propriété n'opère que

lorsque la chose vient à existence (car un droit réel sans assiette réelle est inconcevable) ;

en cas de vente de choses de genre, le transfert opère au plus tôt lorsque les choses sont spécifiées (même justification) ;

en matière commerciale, en cas de vente de marchandises, le transfert de propriété (et des risques) opère à la délivrance, c'est-à-dire à la tradition de la chose, en vertu de l'usage.

Donc même entre parties, le transfert de propriété à la conclusion du contrat n'a qu'une portée restreinte.

Finalement, les articles 1138 et 1586 C. civ., lorsqu'ils sont applicables, ne présentent de réel intérêt pratique qu'en ce qui concerne la RÉPARTITION DE LA CHARGE DES RISQUES entre parties. Ils reproduisent la règle d'origine romaine res perit emptori en lui conférant une portée générale.

b. Obligations de moyens / de résultat / de garantie

Il y a une espèce de gradation : obligations de moyensobligations de résultatobligations de garantie

Dans l'OBLIGATION DE RÉSULTAT , le débiteur s'engage à un résultat bien déterminé. Il s'ensuit que le créancier de l'obligation inexécutée est dans une situation aisée, puisqu'il lui suffit de démontrer que l'obligation existait et que le résultat n'a pas été atteint. Le débiteur peut toutefois échapper à la responsabilité en prouvant une cause exonératoire de responsabilité (force majeure...).

4 V. aussi l'article 1635 C. civ. : “Si le vendeur avait vendu de mauvaise foi le fonds d'autrui, il sera obligé de rembourser à l'acquéreur toutes les dépenses, même voluptuaires ou d'agrément, que celui-ci aura faites au fonds.“ On envisage celui qui a vendu la chose d'autrui, ce qui est contradictoire.

5 En matière immobilière, c'est la transcription de l'acte de vente à la conservation des hypothèques qui rendra le transfert opposable aux tiers. Dans les ventes de meubles corporels, c'est en principe la possession de la chose par le propriétaire qui le rendra propriétaire à l'égard des tiers (art. 1141 et 2279 C. civ.).

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~ les plus faibles

~ les plus fortes

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Autrement dit, il doit démontrer qu'il n'a pas commis de faute.Ex. obligation de restitution du dépositaire, obligation de délivrance de l'acheteur...

Dans l'OBLIGATION DE MOYENS , le débiteur s'engage à faire diligence pour arriver à un certain résultat. Le créancier devra donc démontrer, outre l'existence de l'obligation et le fait que le résultat escompté n'est pas atteint, le fait que le débiteur a manqué à son obligation de diligence , en d'autres termes, qu'il ne s'est pas comporté comme se serait comporté un débiteur normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. Autrement dit, il doit démontrer l'existence d'une faute. Ex. obligation du médecin de guérir le malade, obligation des courtiers immobiliers de trouver des amateurs...

La distinction entre obligations de résultat et de moyens a donc une importance considérable sur le plan de la charge de la preuve.

Comment déterminer si une obligation est de résultat ou de moyens? Il faut d'abord vérifier si la question n'est pas réglée par une disposition légale particulière. Si tel n'est pas le cas, la Cour de cassation considère que c'est au juge à trancher ce problème in specie. Celui-ci se référera à l'intention des parties (les parties peuvent expressément ou implicitement qualifier une obligation de résultat ou de moyens), à la précision de l'obligation et à l'aléa que le débiteur a raisonnablement accepté d'assurer. N.B. S'il y a plusieurs obligations, elles ne sont pas nécessairement toutes de moyens ou de résultat (ex. l'obligation de l'avocat de garantir le succès d'un procès est une obligation de moyens ; toutefois, son obligation d'introduire un recours dans le délai légal est une obligation de résultat). N.B.2 La tendance est de réduire le champ des obligations de moyens au profit des obligations de résultat, sans doute dans un souci de protéger le créancier, qui sera favorisé sous l'angle de la charge de la preuve.

L'OBLIGATION DE GARANTIE est une super obligation de résultat. Le débiteur ne peut en principe pas y échapper, même en démontrant une cause exonératoire de responsabilité Ex. (un des rares cas du Code civil) : la garantie des vices cachés du vendeur, qui joue même en cas d'ignorance invincible du vendeur.

SITUATION INTERMÉDIAIRES : à défaut de disposition légale indiquant si une obligation est de résultat, de moyens, de garantie..., les parties peuvent prévoir ce qu'elles veulent. De même, la loi peut, bien entendu, créer des situations intermédiaires. Il peut donc y avoir des situations intermédiaires entre les 3 catégories décrites ci-dessus. • OBLIGATIONS DE MOYENS AMOINDRIES : le manquement à de telles obligations s'apprécie non

pas in abstracto par rapport au critère du bonus vir (comme c'est normalement le cas dans les obligations de moyens), mais in concreto Ex. l'obligation de garde du dépositaire à titre gratuit ; la responsabilité du mandataire à titre gratuit s'apprécie plutôt in concreto, ou en tout cas, moins sévèrement.

• OBLIGATIONS DE RÉSULTAT AMOINDRIES (très nombreuses en pratique) : le débiteur pourra se libérer en démontrant qu'il n'a commis aucune faute. Tel est le cas notamment lorsqu'une obligation de résultat est adossée à une obligation de moyens. Ex. : l'obligation du dépositaire de conserver la chose est de moyens, tandis que son obligation de restituer la chose est de résultat. De même, en matière de bail, l'obligation du preneur de jouir des lieux en bon père de famille est de moyens, tandis que son obligation de restituer le bien loué est de résultat. A priori il y a une contradiction. Si la chose déposée/louée a été endommagée, le bailleur ou le déposant attendra donc la fin du bail pour intenter un procès?? En réalité, on admet que le débiteur puisse échapper à sa responsabilité en démontrant qu'il s'est comporté comme un dépositaire/preneur moyennement prudent et diligent (l'appréciation s'effectuera même in concreto dans le chef du dépositaire à titre gratuit).

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c. Les obligations réelles et les obligations se transmettant “propter rem”

Une OBLIGATION RÉELLE est une obligation intimement liée à l'usage et à la propriété d'une chose. Elle passe à l'acquéreur du bien en cause en même temps que la propriété.Ex. clause d'habitation bourgeoise.

Il existe des OBLIGATIONS “ordinaires” qui se transmettent en même temps qu'une chose (“PROPTER REM ”) à titre d'accessoire juridique (art. 1615 C. civ. en matière d'obligation de délivrance du vendeur)6. Ex. : l'action en garantie d'éviction ou en garantie des vices cachés en cas de ventes successives, l'action en garantie décennale contre l'entrepreneur en cas d'aliénation d'un immeuble récemment construit. La raison de cette transmission est que le commerçant qui a vendu l'objet, l'ex-propriétaire qui a vendu l'immeuble... n'est normalement plus intéressé à intenter cette action, tandis que l'acheteur final l'est. Dans cette logique, il est fait exception à la transmission de l'action si le vice s'est manifesté avant la vente et que le vendeur a déjà intenté l'action. Dans ce cas, en effet, l'existence du vice s'est normalement répercutée sur le prix de la vente.

d. Les obligations pécuniaires (ou dettes de somme)

Elles portent sur une somme d'argent dès l'origine.

Elles présentent certaines caractéristiques et sont soumises à certaines règles particulières : − elles sont toujours exécutables en nature ;− leur retard d'exécution ne peut donner lieu qu'à des intérêts moratoires ;− elles sont soumises au principe du nominalisme monétaire, ce qui signifie que

l'on ne tient pas compte de la dévaluation monétaire ;− on leur appliquera, en principe, la règle “ genera non pereunt ” .

4. Les modalités des obligations (voir infra)

a. Obligations à sujets multiplesb. Obligations à objets multiplesc. Obligations assorties d'un terme ou d'une condition

6 “L'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel.” : il y a notamment des accessoires juridiques, et parmi eux il peut y avoir des actions en justice.

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TITRE I – LES CONTRATS

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE : NOTIONS ET PRINCIPES FONDAMENTAUX

A. DEFINITION

a. Généralités

L'article 1101 C. civ. donne une définition assez singulière du contrat : “Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.” S'il est vrai que pour les auteurs du passé convention et contrat ne recouvraient pas véritablement la même chose, aujourd'hui ce sont des synonymes.

On préfère par conséquent la définition de DE PAGE suivant laquelle le contrat est un accord entre deux ou plusieurs volontés dans le but de produire des effets juridiques, c'est-à-dire créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. Cette définition met en lumière deux éléments : • b. l'existence de deux parties au moins• c. l'exigence de la volonté de produire des effets en droit (d. ceux-ci doivent se situer sur

le plan patrimonial)

b. L'existence de deux parties au moins

Tout contrat suppose donc deux parties ou plusieurs parties qui échangent leur consentement >< engagement par déclaration unilatérale de volonté.

Sur un plan conceptuel, rien n'empêche qu'une partie contracte avec elle-même en double qualité (d'une part, en son nom et pour son compte personnel, d'autre part, au nom et pour le compte d'une autre partie, par exemple, en qualité de mandataire). En effet, le mécanisme de représentation repose sur une espèce de fiction selon laquelle le représentant exprime la volonté du représenté.

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Néanmoins, une telle situation est vue avec méfiance en raison du conflit d'intérêts aigu qui pèse sur le représentant. C'est pourquoi, il est EN PRINCIPE INTERDIT au représentant DE SE PORTER CONTREPARTIE . Diverses dispositions légales font une application expresse de cette règle (art. 1596 C. civ. en matière de vente, art. 450 C. civ. à propos du tuteur...) et la Cour de cassation l'a élevée au rang de principe général de droit, sanctionné de NULLITÉ RELATIVE (le mandant peut la confirmer).Exceptions et limites de cette règle :

• Cette interdiction ne relève pas de l'ordre public, sauf dans certains cas. Si elle n'est pas d'ordre public, les parties peuvent conventionnellement y déroger.

• Il y a des exceptions légales (ex. dans le domaine des services financiers, les intermédiaires en instruments financiers peuvent se porter contrepartie de leurs clients pour les transactions à exécuter sur un marché réglementé car ils ont reçu un ordre de la part de ces clients et parce qu'il n'y a pas de véritable négociation).

• Cette interdiction ne crée pas une véritable incapacité, contrairement à ce que la formulation de l'art. 1596 C. civ. laisse penser.

L'hypothèse de la contrepartie se distingue de celle du DOUBLE MANDAT (très fréquent en matière commerciale et sur les marchés boursiers), où le mandataire conclue aussi avec lui-même, mais cette fois-ci pour le compte de deux mandants. Il n'a donc pas d'intérêt personnel opposé à ses mandants ; ce sont ces derniers qui ont des intérêts contradictoires. Le double mandat est INTERDIT en dehors

• d'usages particuliers (ex. le procédé est autorisé pour les commissionnaires en marchandises à condition que les ordres des deux commettants soient suffisamment précis quant à la quantité et au prix) ou

• de l'accord exprès ou implicite des parties.Cette interdiction est sans doute plus faible que celle de se porter contrepartie.On considère que la sanction de cette interdiction est la NULLITÉ POUR EXCÈS DE POUVOIR . Mais est-ce vraiment la solution la plus adéquate? En effet, dans le cas du représentant qui s'est porté contrepartie, la nullité constitue une sorte de réparation en nature de la faute qu'il a commise. Or, ici, le situation n'est pas pareille, et il serait plus approprié d'allouer des dommages et intérêts, en considérant que le mandataire qui accepte un double mandat à l'insu de ses mandants manque de loyauté vis-à-vis de chacun d'eux et est tenu de réparer le dommage éventuellement subi par eux du chef de ce manquement, mais qu'il est pour le reste demeuré dans les limites de son double pouvoir de représentation.

Des auteurs défendent l'idée qu'il existerait un PRINCIPE GÉNÉRAL DE DROIT QUI IMPOSERAIT UNE OBLIGATION D'ABSTENTION EN CAS DE CONFLIT D'INTÉRÊTS (ex. cette idée a été soulevée dans le cadre de l'affaire Suez-Tractebel). En réalité, la véritable question est celle de savoir s'il existe un tel principe général de droit imposant de s'abstenir EN DEHORS DU PROBLÈME DE LA CONTREPARTIE ET DU DOUBLE MANDAT . Par exemple, un consultant est consulté par deux firmes du même secteur. Doit-il s'abstenir? Il suffit d'examiner les textes qui règlent les conflits d'intérêts pour s'apercevoir qu'il n'existe PAS DE PRINCIPE GÉNÉRAL D'OBLIGATION D'ABSTENTION . Par exemple, l'article 523 C. soc. n'impose une abstention dans le chef de l'administrateur sous l'empire d'un conflit d'intérêts que dans les sociétés cotées en bourse. La règle ne s'applique donc pas aux sociétés fermées. Il faut plutôt considérer que le PRINCIPE DE BONNE FOI impose au prestataire de services en situation de conflit d'intérêts de prendre une certaine attitude, qui n'est pas nécessairement l'abstention (parfois, il suffira d'informer le client pour s'assurer qu'il n'a pas d'objection).

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c. Exigence de la volonté de créer des effets juridiques

Les parties doivent avoir l'intention de véritablement s'engager en droit, d'accorder à l'autre le droit d'exiger l'accomplissement de ce qui est promis.

Ne constituent donc pas des contrats : • un engagement mondain• un “gentleman's agreement”• de simples lettres d'intention dans le cadre de la négociation d'une convention (pour

autant qu'il ne résulte pas de ces lettres que les parties aient entendu s'engager sur tel ou tel point).

d. Les effets juridiques doivent être d'ordre patrimonial

Le contrat doit tendre à créer des effets juridiques dans la sphère patrimoniale. Ni l'adoption, ni le mariage... ne constituent donc des contrats.

B. CLASSIFICATIONS DES CONTRATS

1. Contrats nommés >< innommés

Les CONTRATS NOMMÉS sont ceux que la loi réglemente (Code civil ou dispositions particulières).

Les CONTRATS INNOMMÉS sont par opposition ceux que la loi ne régit pas. Ils procèdent de l'invention des parties ou constituent des contrats bien connus dans certains secteurs, mais que la loi ne réglemente pas. A noter que dans ce dernier cas, ils sont souvent organisés de manière assez précise par les usages, ce qui les rapproche des contrats nommés (ex. contrat d'ouverture de crédit, de compte courant).

Il ne faut pas abuser de la notion de contrat innommé. En effet, • certains contrats apparemment innommés sont en réalité des contrats nommés ex. le bail

de carrière s'analyse aujourd'hui comme une vente ou un bail (alors que le locataire “abîme” la chose) ;• d'autres sont une combinaison de contrats nommés (= contrats complexes) ex. contrats

d'hôtellerie.

Exemples de vrais contrats innommés : location-financement (mais certains de ces contrats font l'objet d'une réglementation), factoring, contrat d'occupation précaire (ex. le propriétaire d'un immeuble vétuste souhaite le rénover mais consent à un bail au profit d'un vendeur de tapis qui souhaite l'occuper pour la Noël. La jurisprudence considère que c'est un contrat sui generis d'occupation précaire et non un bail car le bail suppose une certaine stabilité).

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INTÉRÊT PRATIQUE de cette distinction : • celui-ci a fort diminué par rapport aux périodes anciennes du droit romain, où il n'était pas évident que l'on

puisse faire des contrats innommés (N.B. Jusqu'en 95 il n'existait pas de sociétés innommées puisque s'appliquait la théorie des cadres légaux obligatoires, en matière commerciale en tout cas. C'est un système qui peut exister pour les contrats en général. Il faut un certain degré de sophistication du droit pour estimer que l'on puisse faire n'importe quel contrat s'il n'est pas contraire à la loi et aux bonnes moeurs).

• L'intérêt pratique se situe essentiellement au niveau du régime applicable aux contrats : • le régime des contrats nommés est déterminé par la loi ;• le régime des contrats véritablement innommés sera déterminé par le juge en

fonction des principes généraux des obligations et de la convention des parties, ainsi que, le cas échéant, des usages.A noter que même si les parties se rattachent conventionnellement à des fins de facilité au cadre contractuel d'un contrat nommé (ce qui est souvent le cas en matière de location-financement immobilière), elles peuvent déroger aux règles même impératives gouvernant ce contrat nommé, puisqu'elles se trouvent en dehors de leur champ d'application. Ex. Des sociétés pétrolières locataires de stations service en vertu de contrats de location-financement, qui avaient été qualifiés “baux commerciaux” par les parties, souhaitant se dégager de ces conventions en raison de la crise pétrolière, ont prétendu avoir un droit de résiliation triennale, droit que la loi accorde au preneur en matière de baux commerciaux. Toutefois, les juges ont considéré qu'il s'agissait de contrats sui generis et non de baux commerciaux et que le droit de résiliation triennale ne s'appliquait pas en l'espèce.

2. Contrats à titre onéreux >< à titre gratuit

Les CONTRATS À TITRE ONÉREUX sont ceux qui impliquent une contrepartie.

Les CONTRATS À TITRE GRATUIT (ou contrats de bienfaisance) sont ceux qui impliquent un avantage gratuit, sans contrepartie. Ils se composent des libéralités (qui se caractérisent par l'animus donandi de leur auteur) et des autres contrats à titre gratuit.

3. Contrats synallagmatiques >< unilatéraux

Le CONTRAT SYNALLAGMATIQUE PARFAIT crée, dès le moment de sa formation, au moins une obligation dans le chef de chaque partie contractante. Les parties ont dès l'origine des obligations réciproques qui doivent, dans leur pensée, s'exécuter trait pour trait. Ex. vente, bail, échange.

Le CONTRAT UNILATÉRAL ne fait naître, au moment de sa formation, d'obligations que dans le chef d'une seule partie contractante.Ex. dépôt gratuit, prêt à usage, prêt de consommation, mandat gratuit, nantissement.

Entre les deux se trouvent les CONTRATS SYNALLAGMATIQUES IMPARFAITS . Ceux-ci sont originairement unilatéraux mais font naître en cours d'exécution des obligations dans le chef de l'autre partie. Cette catégorie n'a pas d'intérêt fondamental.Ex. dans le mandat à titre gratuit, le mandant doit rembourser les dépenses éventuelles du mandataire ; dans le dépôt à titre gratuit, le déposant devra rembourser au dépositaire les dépenses qu'il aura éventuellement faites en vue de la conservation de la chose déposée.

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INTÉRÊT de cette distinction : certaines règles sont spécifiques aux contrats synallagmatiques parfaits :

• la résolution pour inexécution fautive (art. 1184 C. civ.) ;• l'exception d'inexécution ;• la règle des originaux multiples.

La question de l'application de ces institutions aux contrats synallagmatiques imparfaits, ainsi qu'aux contrats unilatéraux en raison de leur caractère réel (ex. le prêt à intérêt) est controversée.

4. Contrats commutatifs >< aléatoires

Dans le CONTRAT COMMUTATIF , la contrepartie est vue comme l'équivalent économique de la prestation. En d'autres termes, les parties connaissent dès l'origine quelles seront leurs prestations.

Dans le CONTRAT ALÉATOIRE , la prestation et la contrepartie consistent en une chance de gain ou de perte d'après un événement incertain (en d'autres termes, ils dépendent d'un aléa). La contrepartie ne sera donc pas nécessairement l'équivalent économique de la prestation.

L' iNTÉRÊT PRATIQUE de cette distinction est plutôt limité. • Certaines règles ne s'appliquent qu'aux contrats aléatoires. • La théorie de la lésion ne concerne, en principe, que les contrats commutatifs. • L'application de l'article 1184 C.civ. aux contrats aléatoires est controversée.

5. Contrats consensuels, réels, solennels

Un CONTRAT est CONSENSUEL lorsqu'il est entièrement et valablement formé par le seul échange des consentements des parties. Ex. Vente, bail, mandat. Les contrats consensuels sont la règle. Ils sont l'expression du principe du consensualisme.

Un CONTRAT est RÉEL lorsque sa formation nécessite, outre l'échange des consentements, la remise effective de la chose qui en est l'objet. C'est un résidu de l'histoire. Ex. Prêt, gage, dépôt, don manuel, la vente à tempérament y ressemble aussi dans la mesure où il faut un début d'exécution pour que le contrat sortit ses effets. − En principe, rien n'empêche de conclure une promesse de contrat réel (ex. promesse de

prêt, de dépôt, de gage...).Le caractère réel du contrat a cependant une importance quant à la détermination de sa date. Il prend date à la remise de la chose.Exceptionnellement, la promesse de contrat réel est nulle ou sans effet, ce dans un but de protection (ex. promesse de vente à tempérament, promesse de don manuel).

− Une partie de la jurisprudence a estimé que le caractère réel de certains contrats leur conférait un caractère artificiellement unilatéral (ex. le prêt à intérêt) et a considéré qu'économiquement, dans la réalité des faits, il s'agissait de contrats synallagmatiques.

Le CONTRAT SOLENNEL est le contrat dont la formation nécessite, outre l'échange des consentements, le respect de certaines formalités.Les exemples sont rares dans le Code civil mais sont en train de se multiplier dans un but de protection de certaines catégories de contractants (protection de la partie faible).

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Ex. donation, hypothèque, textes plus récents : résiliation amiable des baux commerciaux et des baux à ferme (doit être passée devant notaire ou constatée dans une déclaration devant le juge de paix), loi Breyne, crédit à la consommation, législations protectrices des consommateurs.N'est véritablement solennel que le contrat dont la validité dépend de formalités, donc lorsque ces formalités tendent à protéger le consentement de l'une ou l'autre des parties, et non lorsque

− les formalités sont imposées à titre de preuve (ex. assurance, bail, transaction) ;

− les formalités sont imposées à titre de publicité (ex. vente immobilière).Dans ces deux cas, la méconnaissance des formalités n'a pas d'incidence sur la validité du contrat des parties mais se répercute respectivement sur la preuve du contrat ou sur son opposabilité aux tiers.

6. Contrat principal >< contrat accessoire

Le CONTRAT PRINCIPAL est le contrat qui existe et s'exécute indépendamment de tout autre contrat.

Le CONTRAT ACCESSOIRE est un contrat qui suppose l'existence d'une obligation principale.Ex. cautionnement, gage, hypothèque.

INTÉRÊT PRATIQUE de cette distinction : l'existence et l'exécution du contrat accessoire sont liées au contrat principal.

7. Contrats intuitu personae

Un CONTRAT INTUITU PERSONAE est un contrat dans lequel la considération de la personne de l'un des contractants est pour l'autre partie l'élément déterminant de son consentement.

Même si la loi confère un caractère intuitu personae à certains contrats (ex. le mandat), la détermination du caractère intuitu personae d'un contrat apparaît comme une question de fait qu'il faudra résoudre à partir de l'analyse de la volonté des parties.Ex. de contrats qui ont été considérés comme intuitu personae :

− les contrats conclus avec les représentants de professions libérales, dans le chef de ces derniers en tout cas ;

− les contrats de mandat dans le chef des parties ;− les contrats d'emploi, dans le chef de l'employé ;− les contrats d'ouverture de crédit bancaire, dans le chef des deux parties ;− les contrats de sociétés de personnes.

En réalité, il y a des DEGRÉS dans l'intuitus personae : − il y a de cas où l'intuitus personae est tellement fort qu'il y a une véritable

identification de la personnalité du débiteur avec l'objet de la prestation (ex. commande d'un portrait à un peintre de renom) ;

− dans d'autres cas, la personnalité du débiteur apparaît plutôt comme une garantie de la bonne exécution de la prestation (ex. convention passée avec un avocat de renom) ;

− souvent, le contrat est en réalité conclu en fonction des qualités d'une entreprise (intuitu firmae).

Il en résulte d'un aménagement nuancé des règles généralement appliquées à ce type de contrat (ex. l'avocat de renom a une possibilité de substitution beaucoup plus large que le peintre de renom).

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Le caractère intuitu personae d'un contrat entraîne sa soumission à un RÉGIME PARTICULIER qui est l'expression technique de l'importance de la personne en considération de laquelle la convention est conclue.

− Un tel contrat est en principe DISSOUS DE PLEIN DROIT EN CAS DE DÉCÈS, FAILLITE OU D'INCAPACITÉ de la personne dans le chef de laquelle il a ce caractère et n'est pas, en principe, cessible. Mais la règle doit être nuancée : par exemple, en cas de fusion, les contrats intuitu personae sont en principe transmis à la société absorbante car il s'agit en réalité en règle de contrats conclus intuitu firmae.

− INTERDICTION DE SUBSTITUTION : le débiteur d'une obligation contractée en fonction de sa personne ne peut en principe se substituer un tiers dans l'exécution de ses obligations. Mais le principe doit être nuancé en tenant compte de l'objet du contrat et de l'intention des parties : le débiteur en question pourrait se substituer un tiers pour l'exécution de certains aspects de ses obligations qui ne devaient pas raisonnablement, dans l'esprit des parties, être exécutées par lui (ex. on ne demande pas à un artiste qu'il prépare sa toile lui-même).

− L' ERREUR SUR LA PERSONNE constitue un vice de consentement dans ce type de contrat.

− On admet assez facilement que de tels contrats puissent être RÉSILIÉS UNILATÉRALEMENT POUR MOTIF GRAVE , à savoir dans tous les cas où la convention devient objectivement impossible à exécuter en raison d'une perte de confiance due à des éléments imputables à la personne en fonction de la personnalité de laquelle le contrat a été conclu.

8. Contrats successifs >< instantanés

C'est une distinction claire à priori mais complexe en pratique.

Un CONTRAT est SUCCESSIF lorsque les parties ou l'une d'entre elles s'engagent à des prestations périodiques.Ex. le bail.

Un CONTRAT est INSTANTANÉ lorsqu'il s'exécute en une seule fois ou, plus exactement, lorsque sa prestation caractéristique s'exécute en une seule fois Ex. la vente (il importe peu que le cas échéant le paiement du prix soit échelonné sur plusieurs mois).

INTÉRÊT PRATIQUE de cette distinction : certaines institutions auront des effets différents selon qu'elles s'appliquent à un contrat successif ou à un contrat instantané : • l'annulation et la résolution d'un contrat instantané produiront leurs effets

rétroactivement,• à la différence de l'annulation et de la résolution d'un contrat successif, qui produiront

leurs effets rétroactivement.C'est ce qu'on enseigne traditionnellement, mais en réalité il s'agit plutôt d'une problème de divisibilité ou indivisibilité du contrat dans l'esprit des parties.

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9. Les contrats civils, commerciaux, administratifs

Les CONTRATS COMMERCIAUX sont soumis aux usages commerciaux.

Les CONTRATS ADMINISTRATIFS sont des contrats conclus par l'administration dans l'exercice de la puissance publique (ex. marchés publics). Ils restent, pour une part importante, soumis aux règles du droit commun, mais sont soumis à certains principes de droit administratif.

C. LES GRANDS PRINCIPES DU REGIME CONTRACTUEL

• Principe de la convention-loi (art. 1134 al. 1 et 2 C. civ.)• Principe du consensualisme• Principe de la liberté contractuelle• Principe de l'exécution de bonne foi (art. 1134 al. 3 C. civ.)

1. Le principe de la convention-loi

a. Notion et fondements

Art. 1134 al. 1 C. civ. : “Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.”

FONDEMENT HISTORIQUE ET PHILOSOPHIQUE : − L'idée que les parties puissent s'engager par leur seul consentement, sans

formalités, et en dehors de tout cadre légale organisant un “contrat nommé”, ne constitue d'un point de vue historique nullement une évidence et est le produit d'une longue maturation.

− Une première approche, qui s'est particulièrement développée au 19ème siècle (époque du libéralisme), explique la force obligatoire des conventions par le principe de l'AUTONOMIE DE LA VOLONTÉ . [Ce principe s'est d'abord développé dans la philosophie de Kant (2ème moitié du 19ème siècle) et a ensuite été récupéré par les juristes à un moment où ce principe connaissait justement de fortes limites]. Cette approche soulève des OBJECTIONS :

− le principe d'autonomie de la volonté est postérieur au Code civil ;− il s'est réduit au cours du siècle dernier à un régime de liberté

contractuelle surveillée ;− le contrat n'est pas le pur produit de la volonté subjective des parties. Il

suffit pour s'en convaincre de se référer aux règles d'interprétation des conventions. Si le juge doit rechercher la commune intention des parties, dans le doute, il doit interpréter la convention en faveur de celui qui a contracté l'obligation ; de plus, l'interprétation sur base de l'intention

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commune des parties trouve une limite dans la foi due aux actes. L'interprétation subjective sur base de la volonté des parties est donc limitée par deux règles objectives.

− Une 2ème approche, fort ancienne, explique la force obligatoire des contrats par l'idée de sécurité juridique ou de RESPECT DÛ À LA LÉGITIME CONFIANCE. En d'autres termes, les contrats seraient obligatoires parce que chaque cocontractant devrait pouvoir avoir confiance dans la parole de l'autre. X. Dieux a récemment défendu cette thèse dans son ouvrage Le respect dû aux anticipations légitimes d'autrui. Mais dans ce cas c'est bien encore une règle de droit objectif extérieure à la seule volonté des parties qui fonde l'effet contraignant des contrats. Cette approche soulève une OBJECTION , à savoir qu'historiquement le respect dû à la parole donnée ne semble pas constituer la préoccupation dominante.

− Il faut partir du constat que la force obligatoire des conventions puise sa source dans le droit objectif, en l'occurrence dans la loi. L'accord de volontés des parties n'est pris en compte sur le plan juridique que dans la mesure et les conditions fixées par la loi. L'art. 1134 al. 1 C. civ. ne vise d'ailleurs que les “conventions légalement formées”. Le contrat légalement obligatoire suppose que les parties aient la volonté de produire des effets en droit et de se lier sur le plan juridique. L'échange de consentements doit par ailleurs être exempt de vices et le contrat doit comporter un objet certain en une cause. Il doit émaner de personnes capables de s'engager et être licite. Le cas échéant, les parties doivent observer les formalités prévues par la loi (dans les contrats formels), voire remettre la chose faisant l'objet du contrat (dans les contrats réels).Mais encore faut-il rechercher le fondement que le droit objectif attribue à la force obligatoire des conventions.

− Une 3ème approche basée sur le concept d'UTILITÉ colle de beaucoup plus près à l'histoire de l'article 1134 du Code civil. La doctrine moderne française et une partie de la doctrine belge expliquent à nouveau que les conventions ne sont obligatoires que parce que et dans la mesure où cela est utile. Utile aux parties, d'une part, à la société, d'autre part. C'est pourquoi LA LOI NE PROTÈGE PAS , au contraire, LES CONTRATS NUISIBLES À LA SOCIÉTÉ (en tant que contrats contraires à la loi ou aux bonnes moeurs). Cette idée d'utilité se retrouve chez les auteurs du Code civil et chez de grands auteurs (Laurent, Demogue, De Page...). Elle est très ancrée et constitue quelque chose de tout à fait constant.Elle explique par ailleurs certaines choses.

− Par exemple, elle explique le DROIT DE RÉSILIATION UNILATÉRALE DU CLIENT DU PRESTATAIRE DE SERVICES , dans l'entreprise, le mandat, le dépôt et les autres contrats de service. En effet, en principe, seul le client a un intérêt à l'exécution en nature de la convention, le prestataire n'y ayant qu'un intérêt financier7. Le client devra bien entendu indemniser le prestataire de services. En revanche (contre-épreuve), le mandat d'intérêt commun (ou dans l'intérêt d'un tiers)8 est irrévocable, et ce, en dépit du texte qui indique que

7 Le Code civil prévoit ce principe en matière de marchés à forfait (art. 1794 C. civ. : “Le maître peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait, quoique l'ouvrage soit déjà commencé, [...]”), de mandat ainsi qu'en ce qui concerne le dépôt. On a par conséquent développé l'idée que le principe de l'article 1794 C. civ. s'appliquait à tous les contrats de prestations de services. Ainsi que le prévoit la deuxième partie de l'art. 1794 C. civ. (“ [...] en dédommageant l'entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise”), le client devra indemniser le prestataire de services (mais l'indemnisation du lucrum cessans ne se retrouve pas en matière de mandat et de dépôt).

8 C'est-à-dire un mandat dans lequel le mandataire ou un tiers a un intérêt autre que purement financier. Exemple de mandat d'intérêt commun : il y a deux propriétaires indivis, l'un d'eux, se trouvant à l'étranger, donne mandat à l'autre de vendre le bien (des décisions ont estimé que dans pareil cas le mandat ne cessait pas par la mort du copropriétaire mandant).

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le mandant peut résilier unilatéralement le contrat, parce que le mandant n'est pas le seul à avoir un intérêt à l'exécution en nature de la convention.

− On peut se demander si, de manière générale, il y a une limite à la force obligatoire des conventions par le fait qu'elles ne seraient obligatoires que dans la mesure de l'intérêt des parties à l'exécution en nature. En réalité, la théorie de l'ABUS DE DROIT aboutit exactement à cela. Celle-ci est dominée par le critère de proportionnalité : abuse de son droit non seulement celui qui en use avec l'intention de nuire ou sans intérêt mais aussi celui qui en use sans intérêt raisonnable et suffisant, notamment lorsque le préjudice causé est sans proportion avec l'avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit.Si l'on garde à l'esprit que l'abus de droit n'est autre que le reflet de la limite de ce droit, la théorie de l'abus de droit confirme que la force obligatoire du contrat trouve son fondement et, par conséquent, ses limites dans l'intérêt que les parties ont à l'exécution en nature des obligations découlant de celui-ci.

Dernière remarque : le contrat n'est utile socialement que parce qu'il est utile à la vie économique, donc parce qu'il est utile aux parties, mais ce qui est utile aux parties n'est pas nécessairement utile à la société.

b. Portée (quels sont les effets concrets de l'art. 1134 al. 1 C. civ.?)

1) OBLIGATION D'APPLIQUER LE CONTRAT : le principe de la convention-loi implique que le contrat lie les parties dans toutes ses dispositions. En principe, le juge ne pourrait refuser d'appliquer une clause au motif qu'elle serait inéquitable. Même en cas de survenance de circonstances imprévisibles? En principe oui, car la théorie de l'imprévision est en tant que telle rejetée en droit positif. Mais l'art. 1134 al. 3, qui contient le principe d'exécution de bonne foi et constitue dans la jurisprudence de la Cour de cassation la base de la théorie de l'abus de droit, peut trouver à s'appliquer dans pareille situation.

2) INTERDICTION D'AJOUTER AU CONTRAT DES CLAUSES QU'IL NE COMPORTE PAS : le juge ne peut, en principe, ajouter à une convention des clauses qu'elle ne contient pas ; mais il peut, bien entendu, la compléter par des dispositions légales supplétives et interpréter la convention sur base de la commune intention des parties.

3) INTERDICTION POUR LE JUGE DE RÉVISER UNE CONVENTION : il ne pourrait par exemple réduire les prestations de l'une ou l'autre des parties. A fortiori ne pourrait-il pas se substituer aux parties pour combler une lacune qui affecte la validité du contrat (par exemple pour déterminer avec précision son objet). • Mais la loi peut l'y autoriser (ex. l'art. 1907 ter C. civ. permet au juge de réduire un taux

d'intérêt excessif dans un prêt). • De même, il y a des exceptions traditionnelles à ce principe (ex. la Cour de cassation

déduit de la gratuité traditionnelle du mandat un principe permettant au juge de réduire le salaire du mandataire).

Exemple de mandat intéressant un tiers : mandat de constituer hypothèque (la banque qui octroie un prêt y est intéressée).

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4) INTERDICTION DE RÉSILIATION UNILATÉRALE : art. 1134 al. 2 : “Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.” En principe donc, les conventions ne peuvent être résiliées unilatéralement. Mais ce principe connaît tellement d'EXCEPTIONS que d'un point de vue statistique il y a un droit de résiliation unilatérale dans la majorité des cas.• En vertu d'une règle d'ordre public, chacune des parties à un contrat à durée

indéterminée peut y mettre fin moyennant un préavis raisonnable (le droit positif interdit de s'engager indéfiniment, pour des considérations d'utilité générale) ;

• Dans les contrats intuitu personae, la résiliation peut intervenir pour motif grave lorsque la poursuite de la relation contractuelle s'avère objectivement impossible en raison d'une perte de confiance ;

• Dans tous les contrats de services, le client peut mettre fin unilatéralement au contrat ;

• Des lois particulières consacrent un droit de résiliation unilatérale (c'est fréquent, notamment en matière de bail, où le preneur a souvent le droit de résilier unilatéralement le bail).

c. Les tempéraments au principe de la convention-loi, indépendamment du principe selon lequel la convention n'est contraignante que dans la mesure de l'utilité que présente son exécution pour les parties :

Le principe de la convention-loi connaît de sérieux tempéraments : • les uns résultent de la nature des choses, en l'espèce de l'idée d'impossibilité

d'exécution (notamment art. 1184 C. civ. et caducité des obligations par disparition de leur objet) ;• les autres résultent du principe d'exécution de bonne foi des conventions contenu

dans l'art. 1134 al. 3 du Code civil, qui constitue la base de la théorie de l'abus de droit dans la jurisprudence de la Cour de cassation.

2. Le principe du consensualisme

Pour de grands auteurs, l'origine de la convention-loi, du consensualisme et de la liberté contractuelle résiderait dans l'autonomie de la volonté, alors que cela est une impossibilité historique, puisque le concept d'autonomie de la volonté est apparu bien plus tard. Quoi qu'il en soit, le principe du consensualisme est rattaché depuis la fin du 19e siècle au principe d'autonomie de la volonté.

Il exprime l'idée que le contrat est valablement formé par le seul échange des consentements, pour autant qu'il ait un objet et une cause licites et que les parties soient capables de s'engager. La loi peut déroger au principe du consensualisme (ex. contrats solennels et contrats réels).

N.B.1 Le principe du consensualisme n'exclut pas un régime de preuve réglementée.N.B.2 L'exigence d'une cause était le prix à payer pour accepter le principe du consensualisme.

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3. La liberté contractuelle

Le principe de liberté contractuelle a un double aspect :• il implique que les parties sont libres de choisir leur cocontractant et de contracter ou non• il implique que les parties sont libres de fixer le contenu de leurs conventions à leur

guise.

Ce principe connaît toutefois beaucoup de LIMITES , à tel point que les zones de liberté se sont rétrécies à l'extrême :• en ce qui concerne le 2ème aspect, les parties ne peuvent porter atteinte à l'ordre public

et aux bonnes moeurs. A cet égard, depuis la fin du 19e siècle, se sont multipliées les dispositions d'ordre public ou à tout le moins impératives venant réduire considérablement la liberté des parties ;

• en ce qui concerne les 1er aspect, il connaît des limites classiques (droit administratif) des restrictions découlant du droit économique (lois antitrust, règles de

droit communautaire...) une limite du fait que de manière constante, le refus de contracter dans

des cas extrêmes constitue un abus de droit.

4. Le principe de l'exécution de bonne foi

a. Notion et fonctions

Art. 1134 al. 3 C. civ. : “[Les conventions légalement formées] doivent être exécutées de bonne foi.”

Cette disposition est traditionnellement rapprochée de l'art. 1135 C. civ. selon lequel “Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature.”

On s'accorde aujourd'hui sur le fait que la bonne foi visée à l'art. 1134 al.3 C. civ. ne se résume pas à l'absence de mauvaise foi subjective, donc de fraude, qui est par ailleurs sanctionnée par un principe spécial dont la Cour de cassation a consacré l'existence : “fraus omnia corrumpit”.Le principe de bonne foi doit aussi s'entendre dans un sens objectif. Dans son sens sens objectif, le principe de bonne foi apparaît comme l'expression d'un devoir général des cocontractants de se comporter comme des cocontractants normalement prudents et diligents se comporteraient dans la même situation. Il est mis en oeuvre dans des conditions semblables à l'article 1382 du Code civil.

Traditionnellement , les articles 1134 al. 3 et 1135 du Code civil ont été compris essentiellement comme des règles interprétatives. Cependant, suite à un développement extraordinaire au cours des 50 dernières années, le principe d'exécution de bonne foi comporte deux autres aspects : un aspect complétif et un aspect dérogatoire.

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Le principe d'exécution de bonne foi a donc, à l'heure actuelle, 3 GRANDES FONCTIONS , qui se recouvrent en partie et se complètent :

1. FONCTION INTERPRÉTATIVE :

C'était la fonction la plus développée au moment de la rédaction du Code civil. Le principe de bonne foi impose au juge de rechercher la volonté réelle des parties plutôt que de s'arrêter aux termes de la convention pour empêcher une partie de s'abriter de mauvaise foi derrière le texte, par exemple en en exploitant les lacunes accidentelles. Plus encore, il lui impose de compléter la convention en se demandant ce qu'auraient raisonnablement convenu des cocontractants normalement diligents, prudents et de bonne foi.

2. FONCTION COMPLÉTIVE OU NORMATIVE :

Elle constitue une amplification de la fonction interprétative. Elle consiste à dire que les parties à un contrat ont des DEVOIRS IMPOSÉS PAR LA BONNE FOI :

i. DEVOIR DE LOYAUTÉ ET D'INFORMATION : le devoir de loyauté a de nombreuses facettes.

• Les parties ont des devoirs de conseil, de renseignement et d'information en cours d'exécution des contrats, qui sont à la mesure de la complexité du contrat et de la qualification des parties. A cet égard, la jurisprudence a particulièrement mis l'accent sur le devoir d'information des “professionnels” face aux profanes (ex. un garagiste répare ma voiture et s'aperçoit qu'il faut remplacer le moteur. Il a le devoir de m'en informer pour voir ma réaction).

• Le devoir de loyauté interdit à un cocontractant de surprendre l'autre en résiliant une convention de manière intempestive, même s'il est parfaitement en droit de le faire en vertu d'une clause expresse.

• Le devoir de loyauté impose aux parties de s'abstenir de toute attitude qui pourrait soit priver l'autre partie des avantages découlant du contrat, soit aggraver les charges résultant pour l'autre de l'exécution de la convention (ex. un cafetier qui a souscrit à une clause d'approvisionnement exclusif ne pourrait vendre une bière concurrente dans une caravane installée sur le parking de la brasserie ; une partie à une convention de vente sous seing privé ne pourrait retarder infiniment la passation de l'acte authentique au motif qu'aucun délai n'est prévu dans le compromis de vente à ce propos ; une compagnie pétrolière qui vient de conclure un contrat d'exclusivité avec un pompiste ne pourrait installer en face de celui-ci une autre station service, même si le contrat ne contient aucune clause de non-concurrence).

• Le principe de bonne foi impose des obligations au prestataire en cas de conflit d'intérêts (voir ci-dessus).

ii. DEVOIR DE MODÉRATION : ce devoir interdit au créancier d'exiger l'exécution à la lettre de la convention alors qu'en réalité le débiteur exécute ses obligations de manière globalement satisfaisante. Il se retrouve notamment dans le choix des sanctions contractuelles (ex. une partie ne pourrait pas suspendre l'exécution de l'ensemble de ses obligations au titre de l'exception d'inexécution alors que l'autre partie n'aurait commis qu'un manquement mineur).

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iii. DEVOIR DE COLLABORATION : OBLIGATION DE FACILITER L'EXÉCUTION DU CONTRAT, INTERDICTION D'AGGRAVER LA SITUATION DU COCONTRACTANT :

• par exemple, le maître de l'ouvrage a l'obligation de faciliter l'exécution de l'entreprise en donnant à l'entrepreneur les informations nécessaires, l'accès aux lieux, en coordonnant ses travaux avec ceux d'autres intervenants, etc. ;

• la victime d'un manquement contractuel a l'obligation de prendre loyalement des mesures raisonnables pour limiter son préjudice ;

• ...

iv. COLLABORATION À LA CHARGE DE LA PREUVE : renvoi.

3. FONCTION DÉROGATOIRE :

• Elle conduit à écarter l'application de dispositions contractuelles dans les hypothèses où objectivement il serait manifestement inconcevable, compte tenu des circonstances, qu'elles puissent recevoir application.

• La Cour de cassation rattache la théorie de l'ABUS DE DROIT au principe d'exécution de bonne foi. En revanche, elle a rejeté les théories de l'imprévision, de la “rechtsverwerking”, du bouleversement de l'économie contractuelle ou de la caducité des obligations par disparition de leur cause, qui pourraient également prendre appui sur le principe de bonne foi.Cependant, il convient de souligner que la théorie de l'abus de droit est dégagée de toute idée d'intention malicieuse puisqu'elle interdit non seulement d'user d'un droit dans une intention malicieuse, mais fait aussi obstacle à l'utilisation d'un droit sans intérêt ou sans intérêt suffisant au regard des inconvénients qui en résultent pour l'autre partie. Elle permet donc de résoudre nombre de difficultés. Il est notamment possible d'appréhender par son biais certaines situations qui pourraient être résolues par les théories de l'imprévision, de la rechtsverwerking, etc. si ces théories n'avaient pas été rejetées. La théorie de l'abus de droit offre par ailleurs une gamme de remèdes particulièrement souples passant de la non application d'une disposition contractuelle à sa réduction ou à des dommages et intérêts. Elle va ainsi jusqu'à permettre un certain réaménagement des contrats.

• La fonction dérogatoire est intimement liée à la fonction interprétative du principe d'exécution de bonne foi des conventions. D'un certain point de vue, elle pourrait être abordée sous l'angle de l'interprétation de la volonté des parties, puisqu'il s'agit de déterminer les limites de leur accord. Par exemple, un assureur a intenté une action récursoire contre un assuré qui avait causé un accident en plein jour, au motif qu'il n'avait pas au moment de l'accident de certificat de visite au contrôle technique, ce qui constituait selon le contrat d'assurance une faute lourde obligeant l'assuré à rembourser l'assureur. Or, le certificat de visite avait été refusé au conducteur uniquement parce qu'il n'était pas en possession du certificat de conformité et parce qu'il avait un phare mal réglé. Le juge du fond donne raison au conducteur au motif que la circonstance qu'il n'avait pas de certificat de visite n'avait en l'espèce pas eu d'incidence sur l'accident. La Cour de cassation a pour sa part estimé qu'il y avait abus de droit de la part de l'assureur. Les deux juridictions ont donc abouti à la même solution, le juge du fond par le biais de la fonction interprétative du principe de l'exécution de bonne foi, la Cour de cassation, en utilisant sa fonction dérogatoire. Ce qui est tout à fait normal.

• N.B. Sur le plan conceptuel la notion d'abus de droit est inutile, puisque l'abus de droit n'est autre que le dépassement de la limite d'exercice de ce droit imposée par le principe de bonne foi ; mais il est utile sur le plan pratique. [De même, le concept de force majeure est inutile sur le plan conceptuel parce qu'il reflète en réalité la limite du devoir de diligence des contractants, mais il est utile sur le plan pratique.]

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b. Le principe de l'exécution de bonne foi comme principe général de droit

Au fur et à mesure qu'il s'étendait en matière contractuelle, on a vu le principe de l'exécution de bonne foi déborder le cadre strict de l'exécution du contrat

• vers le STADE PRÉCONTRACTUEL , où il a été invoqué à l'appui de l'idée de loyauté dans les négociations, de devoir d'information, etc., ce qui est conforme aux idées des auteurs du Code civil, pour lesquels il allait de soi que les contrats devaient aussi être conclus de bonne foi ;

• EN DEHORS MÊME DU CHAMP DES CONTRATS , vers la responsabilité extra-contractuelle : le principe de l'exécution de bonne foi est appliqué à l'exécution de toutes les obligations.

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CHAPITRE 1 : LA FORMATION DES CONTRATS

A. LA FORMATION DES CONTRATS D'UN POINT DE VUE STATIQUE

Art. 1108 C. civ. : “Quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention : Le consentement de la partie qui s'oblige ; Sa capacité de contracter ; Un objet certain qui forme la matière de l'engagement ; Une cause licite dans l'obligation.”Cette disposition peut paraître très claire mais en réalité elle est source d'ambiguïtés, faisant référence à la convention, à l'engagement et à l'obligation comme s'il s'agissait de synonymes.

4 éléments sont nécessaires à la formation d'un contrat : • le consentement des parties (c'est logique) ;• la capacité des parties (c'est logique, c'est en quelque sorte le prolongement de

l'exigence des consentements) ;• un objet (c'est logique car un contrat sans objet ne se conçoit pas) ;• une cause (= le pourquoi de la convention) (cet élément ne s'impose pas

rationnellement, il est imposé par le droit objectif) (elle est tantôt liée à l'utilité des contrats (son but est alors de mesurer l'utilité du contrat), tantôt au consentement (elle sert alors à apprécier si le consentement était réel)).

1. Le consentement

a. Généralités

En dépit des termes de l'article 1108 C. civ. (“le consentement de la partie qui s'oblige”), la naissance d'un contrat suppose un ACCORD DE VOLONTÉS , exprès ou tacite.La PROTECTION DU CONSENTEMENT est assurée par− la théorie des vices du consentement ;− l'obligation précontractuelle de renseignement ;− des lois impératives ou d'ordre public qui comportent des mesures préventives tendant à

éclairer le consentement (ex. formalisme de protection).

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b. Les vices du consentement

L'ABSENCE TOTALE DE CONSENTEMENT (ce n'est pas à proprement parler un vice de consentement) (ex. une partie est ivre morte ; dans l'erreur obstacle il y a absence totale de consentement).

SANCTION : l'absence totale de consentement devrait conduire à constater l'inexistence de la convention. Toutefois, la réticence de la doctrine et de la jurisprudence à l'égard du concept d'inexistence a conduit à sanctionner l'absence de consentement par la NULLITÉ , absolue au départ (car elle se rapproche le plus de l'inexistence), puis RELATIVE . Cette analyse a été consacrée par un arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 1971 : “le défaut de consentement ne rend pas la convention inexistante, mais simplement nulle” ; cette nullité “qui ne protège que des intérêts privés est relative et... est [dès lors] susceptible de confirmation”).

L'ERREUR : c'est une sorte de discordance entre la volonté réelle et la volonté déclarée.

On distingue 2 catégories d'erreurs :

• l'ERREUR OBSTACLE n'est pas à proprement un vice de consentement. Il y a un malentendu à tel point fondamental entre les parties que leurs consentements ne se sont pas rejoints. On distingue 3 sortes d'erreurs obstacles :

• l'ERROR IN CORPORE : c'est le malentendu fondamental sur l'objet du contrat. C'est un cas d'école. Ex. le vendeur croit vendre le lot I et l'acheteur acheter le lot II.

• l'ERROR IN NEGOTIO : c'est le malentendu fondamental sur la nature du contrat. De nouveau il s'agit d'un cas d'école. Ex. l'un croit louer, l'autre croit acheter.

• l'ERREUR SUR LA CAUSE ESSENTIELLE : c'est un cas de figure plus fréquent. Une partie s'engage pour une raison déterminante qui apparaît inexistante ou erronée (ex. le fils d'un père très catholique qui a soutenu une oeuvre catholique reçoit la visite de la mère supérieure du couvent, qui l'informe que celui-ci souhaitait donner le couvent à la congrégation. Le fils se conforme à la demande de la mère supérieure, mais ensuite il s'aperçoit qu'en réalité son père avait finalement décidé de garder le couvent dans la famille. Il y a eu erreur sur la cause essentielle : le mobile du fils était d'exécuter ce qu'il croyait être la volonté de son père ; or, en réalité, celui-ci avait changé d'avis).

SANCTION : l'erreur obstacle comme l'absence totale de consentement est sanctionnée de NULLITÉ RELATIVE .

• l'ERREUR SUR LA SUBSTANCE :

NOTION :

• Art. 1110 C. civ. : “L'erreur [vice de consentement] n'est cause de nullité que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet”.En d'autres termes, une des parties s'est trompée sur une qualité substantielle de l'objet, c'est-à-dire sur un élément qui l'a déterminée principalement à contracter “de telle sorte que, sans cet élément, le contrat n'aurait pas été conclu” (selon la Cour de cassation).

• L'erreur substantielle peut porter soit directement sur la nature de l'objet (je crois acheter un tableau ancien mais il s'agit d'une copie moderne) soit sur l'aptitude de l'objet à réaliser tel but (j'achète de la peinture que je crois pouvoir résister aux intempéries mais tel n'est pas le cas).

• L'erreur substantielle peut être de fait ou de droit. Toutefois, la loi écarte dans certains cas l'erreur substantielle de droit en raison de la nature même de la convention ou

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de l'acte. Tel est le cas de l'aveu et de la transaction.

CONDITIONS REQUISES POUR QUE L'ERREUR SUBSTANTIELLE ENTRAÎNE LA NULLITÉ (3) :

1) L'ERREUR DOIT ÊTRE COMMUNE : cela signifie que les qualités substantielles sur lesquelles a porté l'erreur doivent être entrées dans le champ contractuel,• soit parce qu'il s'agit de qualités normalement et objectivement

considérées comme substantielles dans l'opinion commune (ex. une personne qui achète un tapis d'Orient s'attend normalement à ce que ce tapis provienne d'Orient),

• soit parce qu'elles ont été expressément mentionnées par l'une des parties lors de la négociation et la conclusion du contrat (ex. j'achète un pot de peinture en précisant clairement au vendeur qu'elle devra résister aux intempéries car elle sera appliquée à l'extérieur).

2) L'ERREUR DOIT ÊTRE EXCUSABLE : elle aurait été commise par toute personne de même qualité normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances.Le principe est constant. Son fondement est toutefois controversé.

• Selon une première explication, qui est classique, le rejet de l'erreur inexcusable se fonderait sur l'article 1382 du Code civil. La partie qui a commis l'erreur inexcusable a commis une faute, il faut donc refuser l'action en nullité en guise de réparation en nature. Cette thèse est défendable, si ce n'est dans certains cas limites. Si l'on suit cette thèse, l'erreur-obstacle doit être excusable aussi.

• Toutefois, la Cour de cassation considère qu'il résulte de la conception française de l'erreur substantielle qu'elle doit être excusable. Il semble donc que l'on ne puisse transposer la théorie de l'erreur excusable aux autres types d'erreur. La question est actuellement posée à la Cour de cassation de savoir si l'erreur sur la cause peut être inexcusable.

Selon la Cour de cassation, le caractère inexcusable de l'erreur doit s'apprécier en se référant au caractère de l'”homme raisonnable” et non pas “in concreto”. Toutefois, le standard de l'”homme raisonnable” ou du “bon père de famille” est à contenu variable : il est fonction de la qualité du contractant. Par exemple, si le contractant est un professionnel, le caractère excusable de son erreur sera apprécié plus sévèrement.

3) L'ERREUR DOIT AVOIR EXISTÉ À LA FORMATION DU CONTRAT : elle ne peut résulter d'un événement ultérieur à la formation du contrat.

ERREUR SUR LA SUBSTANCE ET PRISE EN CHARGE DU RISQUE D'ERREUR : les parties peuvent convenir de la prise en charge par l'une ou l'autre d'entre elles du risque d'erreur. Ex. il arrive que des vendeurs antiquaires indiquent dans les conditions générales de vente qu'ils ne garantissent pas l'authenticité. Si l'acheteur accepte ces conditions générales, il ne pourra pas se plaindre. La prise en charge peut être tacite. Elle peut aussi résulter des usages et, a fortiori, de la loi.

ERREUR SUR LA SUBSTANCE. ERREUR SUR LA PERSONNE. ERREUR SUR LA VALEUR. ERREUR MATÉRIELLE OU DE CALCUL.

• L' ERREUR SUR LA PERSONNE n'est cause de nullité que dans les contrats intuitu personae.

• L' ERREUR SUR LA VALEUR n'est pas en elle-même cause de nullité. En effet, il

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n'y a pas de théorie générale de la lésion dans le système du Code civil. Elle peut toutefois être révélatrice d'une erreur sur la substance, d'un dol, d'une lésion qualifiée.

• L'ERREUR MATÉRIELLE OU DE CALCUL n'est en principe pas cause de nullité mais donne normalement lieu à rectification. L'erreur matérielle est celle qui apparaît à la seule lecture d'un document. L'erreur de calcul est une erreur dans le calcul. Faut-il redresser la convention si les parties ont commis une erreur de calcul en cours de négociation et ont marqué leur accord sur un chiffre global? Par exemple, si deux personnes ont transigé sur les dommages et intérêts à la suite d'un accident de la route en se mettant d'accord sur un montant global (6 millions de francs belges) auquel elles ont abouti en commettant une erreur de calcul (en réalité la somme était de 16 millions de francs belges), serait-il raisonnable que le juge corrige le montant global alors que le décompte ne se trouve pas dans la transaction? Selon P.A. Foriers, dans un tel cas en vérité il y a une erreur-obstacle, les parties ne se sont pas mises d'accord.

SANCTION :

L'erreur substantielle donne lieu à une action en NULLITÉ RELATIVE. Le demandeur en nullité ne peut obtenir des dommages-intérêts complémentaires que s'il prouve que l'erreur est le produit d'une culpa in contrahendo (il s'agira de dommages-intérêts à caractère quasi-délictuel).Il incombe au demandeur en nullité de prouver l'erreur qu'il invoque, preuve qu'il peut rapporter par toute voie de droit.

ACTIONS EN NULLITÉ POUR ERREUR, GARANTIE DES VICES CACHÉS ET OBLIGATION DE DÉLIVRANCE EN MATIÈRE DE VENTE : en pratique, il est parfois difficile de distinguer une erreur substantielle d'une erreur de la part du vendeur (vices cachés, manquement à l'obligation de délivrance).

Le DOL (art. 1116, al. 1 C. civ.) :

NOTION : Le dol consiste en une tromperie commise par une partie à l'égard de l'autre qui conduit à provoquer une erreur. Il implique en principe des manoeuvres malicieuses et se distingue en cela de la simple négligence dans des pourparlers. Toutefois, ces manoeuvres ne doivent pas nécessairement être actives. En réalité, elles sont souvent passives : dans ce cas on parle de réticence dolosive. La réticence dolosive suppose, outre une intention malicieuse, une obligation de parler résultant soit de la loi, soit de la qualité de professionnel d'une des parties, soit des circonstances (donc du principe de l'exécution de bonne foi), soit du devoir de répondre aux questions posées (devoir de loyauté).

SANCTIONS – CONDITIONS MISES À LA NULLITÉ POUR DOL :

(1) DOL PRINCIPAL ET DOL INCIDENT : • Le DOL PRINCIPAL est celui sans lequel la victime n'aurait pas contracté.

Il est sanctionné de NULLITÉ RELATIVE . Le demandeur peut obtenir des dommages-intérêts complémentaires dans le cas où les restitutions résultant de la nullité ne répareraient pas totalement son dommage. Ces dommages-intérêts présentent un caractère quasi-délictuel, voire délictuel9.Le demandeur en nullité a la charge de la preuve du dol, preuve qu'il peut

9 Alors que dans l'erreur sur la substance, il n'y a en principe pas de dommages-intérêts, puisque normalement il n'y a pas de faute extracontractuelle, sauf en cas de faute non intentionnelle in contrahendo.

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rapporter par toute voie de droit.• Le DOL INCIDENT est celui sans lequel la victime aurait contracté, mais à d'autres

conditions.Il donne lieu à des dommages-intérêts.

(2) L'ERREUR CAUSÉE PAR LE DOL NE DOIT PAS PORTER SUR LA SUBSTANCE DE LA CHOSE. (3) LE DOL EST RÉPRIMÉ MÊME SI L'ERREUR QUI EN RÉSULTE EST INEXCUSABLE . C'est ce que considère à juste titre la Cour de cassation. Car fraus omnia corrumpit.Mais le dol par réticence dolosive peut-il en traîner une erreur inexcusable? La jurisprudence n'est pas très claire à ce sujet. En réalité, souvent il s'agira non d'un dol mais d'un autre genre de faute : une partie sait que l'autre commet une erreur inexcusable mais se tait. Dans pareil cas le risque est grand que le juge applique le principe Fraus omnia corrumpit.(4) LE DOL DOIT ÉMANER D'UNE DES PARTIES : la règle résulte de l'article 1116 C. civ. et est issue d'une vieille tradition romaine qui n'a pas de véritable raison. Le dol émanant d'un tiers ne donne en principe lieu qu'à des dommages-intérêts contre ce tiers...

• à moins que la victime du dol ne puisse se prévaloir d'une autre cause de nullité (ex. une erreur substantielle) ;

• encore faut-il que ce soit un vrai tiers et non un représentant ;• le dol d'un tiers peut évidemment emporter la nullité d'un

contrat si une des parties s'en est rendue complice ;• les donations entre vifs et les engagements par déclaration

unilatérale de volonté peuvent être annulés pour cause de dol émanant d'un tiers.

La VIOLENCE (art. 1111 et s. C. civ.) (rare en pratique) :

NOTION : la violence est le fait d'inspirer à une partie la crainte d'exposer sa personne, ou sa fortune, ou celle de ses proches, à un mal considérable et présent. Elle peut être physique ou morale.

LES CONDITIONS DE LA VIOLENCE :

(1) LA VIOLENCE DOIT ÊTRE INJUSTE : la violence doit être injuste et illicite. Elle ne saurait résulter de l'usage normal d'un droit ou de la seule différence de puissance économique des parties. [Si la violence physique est toujours injuste, la violence morale ne l'est pas toujours].

(2) VIOLENCE PRINCIPALE OU INCIDENTE : – Seule la violence déterminante du consentement peut entraîner la NULLITÉ .– La violence incidente qui n'a influencé que les conditions du contrat ne peut

donner lieu qu'à des dommages et intérêts.

(3) LA VIOLENCE NE DOIT PAS NÉCESSAIREMENT ÉMANER DE LA PARTIE : à la différence du dol, elle peut émaner d'un tiers ou simplement des circonstances, par exemple, d'un état de nécessité dont une partie profite injustement. Il s'agit d'une solution romaine et il n'est pas logique qu'il n'en aille pas de même dans le dol.

(4) L'ACTE OU LE FAIT CRITIQUÉ DOIT OBJECTIVEMENT ET COMPTE TENU DES CIRCONSTANCES POUVOIR ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UN ACTE, UN FAIT DE VIOLENCE : l'acte ou le fait dénoncé doit être de nature à peser sur la volonté d'une personne normalement raisonnable.

(5) LA VIOLENCE DOIT ÊTRE CONTEMPORAINE DE LA CONCLUSION DE L'ACTE : c'est en ce sens que l'article 1112 parle d'un mal “présent”. Ce mal peut être futur, mais il doit être brandi au moment de la conclusion du contrat.

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LA SANCTION :

La violence principale est sanctionnée de NULLITÉ RELATIVE , sans préjudice, le cas échéant, de dommages-intérêts complémentaires. La charge de la preuve de la violence incombe au demandeur, qui peut la rapporter par toute voie de droit.

La LÉSION (art. 1118 C. civ.) (à noter que pour beaucoup d'auteurs, la lésion ne constitue pas un véritable vice du consentement) :

NOTION :

La lésion s'analyse en un grave déséquilibre économique des prestations des parties existant au moment de la conclusion du contrat.En principe, le simple déséquilibre d'un contrat, même important, ne justifie pas sa remise en cause si ce déséquilibre ne provient pas d'un autre vice de consentement (ex. dol, violence). Toutefois,

• le Code civil connaît la lésion des mineurs et certains cas de lésion objective ;• la doctrine et la jurisprudence ont développé une théorie de la lésion qualifiée.

LA LÉSION DES MINEURS : les actes accomplis par les mineurs sans l'assistance de leur tuteur (pour autant qu'il ne s'agisse pas d'actes soumis à une autorisation spéciale, auquel cas l'acte accompli sans ladite autorisation est nul de droit) sont susceptibles d'être annulés pour lésion s'ils sont lésionnaires en eux-mêmes ou hors de proportion avec les moyens du mineur.

LA LÉSION OBJECTIVE : elle n'est en principe pas cause de nullité, sauf si la loi le prévoit (ex. lésion de plus de 7/12èmes dans les ventes immobilières).

LA LÉSION QUALIFIÉE :

• Elle consiste en une disproportion grave des prestations des parties à la suite de l'abus par une des parties du besoin, des faiblesses, des passions ou de l'inexpérience de l'autre partie. Le juge pourra intervenir dans cette hypothèse marginale.

• L'art. 1907 C. civ. fait application de ce principe en matière de prêt à intérêts en permettant au juge de réduire l'intérêt à l'intérêt légal.

• La théorie de la lésion suppose en principe un contrat commutatif et ne peut s'appliquer en règle aux contrats aléatoires.

• DEUX FONDEMENTS sont en général retenus pour justifier la théorie de la lésion qualifiée : • Selon un arrêt de la Cour de cassation de 1936, la convention porteuse d'une

lésion qualifiée doit être annulée car elle est entachée d'une cause illicite. Cet semble avoir consacré pour la première fois la théorie de la lésion qualifiée, mais sous cet angle particulier. La sanction de la lésion qualifiée est dans ce cas la NULLITÉ ABSOLUE , sans préjudice d'éventuels dommages-intérêts complémentaires.Cette sanction est sans doute démesurée. En outre, on peut douter du fait que l'auteur de la lésion serait animé par une cause illicite. En effet, son but est de s'enrichir, ce qui n'est pas illicite en soi. Ce sont les moyens qu'il utilise qui sont critiquables.

• La majorité de la doctrine et de la jurisprudence des juges du fond préfère donc rattacher la lésion qualifiée à l'idée de culpa in contrahendo ou d'abus de droit : commet une faute quasi-délictuelle ou un abus de droit celui qui exploite abusivement la position de faiblesse de son cocontractant. La SANCTION de la lésion est alors MODULABLE (nullité, réduction, dommages-intérêts).

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2. La capacité (renvoi au cours de droit des personnes)

3. L'objet

a. Notion – généralités

OBJET DE L'OBLIGATION ET OBJET DU CONTRAT : les dispositions du Code civil relatives à l'objet ne sont pas limpides parce qu'elles parlent indifféremment de l'objet de l'obligation et de l'objet du contrat.

L'objet de l'obligation correspond à ce sur quoi porte l'obligation, à ce à quoi s'oblige le débiteur.

L'objet du contrat est une notion ambiguë car elle peut couvrir deux choses : • au sens technique, l'objet du contrat correspond à l'objet de toutes les

obligations qui découlent du contrat ;• au sens courant, ce terme désigne l'objet de la prestation caractéristique

de ce contrat, c'est-à-dire la prestation qui permet de définir un contrat par rapport aux autre ex. la chose vendue.

CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES QUE DOIT REVÊTIR L'OBJET : pour être valable, l'objet doit être déterminé, possible et licite.

b. L'objet doit être possible et réalisable

L'OBJET DOIT ÊTRE POSSIBLE – GÉNÉRALITÉS : “A l'impossible, nul n'est tenu”. • L'objet d'une obligation ne peut être impossible en fait ou en droit (impossibilité

matérielle – impossibilité juridique).• Les cas d'impossibilité matérielle sont exceptionnels et les exemples cités relèvent

souvent du cas d'école (ex. toucher la lune du doigt).• Les cas d'impossibilité juridique sont plus fréquents en pratique. Il s'agit des cas où

l'exécution de l'obligation est impossible en raison d'une règle de droit que les parties n'avaient pas aperçue ex. vente d'un bien hors commerce.

• L'impossibilité de l'objet est appréciée strictement parce que si les parties se sont engagées à une prestation, c'est qu'elles l'estimaient possible (en revanche, l'impossibilité d'exécution qui survient après la conclusion du contrat est appréciée moins strictement).

• Sanction : − NULLITÉ ABSOLUE dans les cas où l'impossibilité de l'objet trouverait son

origine dans une règle d'ordre public ou un principe touchant aux bonnes moeurs ;

− en principe, NULLITÉ RELATIVE dans les autres cas.

L'OBJET DOIT ÊTRE POSSIBLE ET RÉALISABLE : LE CAS DE CHOSES FUTURES – PACTES SUR SUCCESSION FUTURE : • Les obligations peuvent porter sur des choses futures. Deux hypothèses :

• le contrat qui porte sur une chose future, qui devient caduc si cette chose ne vient pas à existence ;

• le contrat qui porte sur une espérance (rare), qui est un contrat aléatoire qui sort ses effets même si la chose espérée ne vient pas à existence (ex. vente d'un coup de filet).

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• Toutefois, le Code civil prohibe les pactes sur succession future, qui sont contraires à l'ordre public et aux bonnes moeurs. Le pacte sur succession future est la stipulation qui attribue un droit sur tout ou partie d'une succession non encore ouverte. Il se distingue des conventions à terme de décès (qui ne sont pas prohibées). La loi déroge parfois à l'interdiction des pactes sur succession future.

c. L'objet doit être certain

• GÉNÉRALITÉS : l'objet doit être certain, donc déterminé ou déterminable. • L'objet est déterminé lorsqu'il est désigné complètement par les parties.• L'objet est déterminable lorsque le contrat comporte des éléments objectifs

permettant de le déterminer sans qu'un nouvel accord des parties soit nécessaire.

• FONDEMENT : • L'exigence d'un objet certain est sans doute liée à l'idée d'UTILITÉ DE L'ACTE JURIDIQUE ,

selon laquelle tout acte juridique doit avoir une utilité pour pourvoir bénéficier d'une protection en droit. En effet, quelle utilité y a-t-il pour le créancier si le débiteur, qui s'est engagé à livrer du vin, peut se libérer en livrant quelques gouttes de vin.

• Toutefois, l'exigence d'un objet certain est sans doute plus liée au concept de CONTRAINTE : si l'objet est indéterminable, le créancier n'a aucun pouvoir de contrainte sur le débiteur puisque celui-ci peut définir à sa guise l'étendue de son obligation.

• Par contre, l'exigence d'un objet déterminé n'est pas au premier chef justifiée par l'idée qu'il faut que les parties sachent à quoi elles s'engagent. Certes, elle peut être utilisée par une partie en vue de se protéger contre l'arbitraire de l'autre partie, mais il s'agit d'une fonction dérivée.

• MODES DE DÉTERMINATION DE L'OBJET :

• LA DÉTERMINATION DE L'OBJET PAR LES PARTIES : en principe, il appartient aux parties de déterminer l'objet des obligations essentielles ou substantielles de leur convention. Il convient cependant de nuancer ce principe.

• DÉTERMINABILITÉ DE L'OBJET PAR LA LOI OU PAR LES USAGES : la loi peut venir au secours des parties ex. le Code civil précise que le débiteur qui s'est engagé à délivrer une chose de genre dont la qualité n'a pas été précisée ne doit pas la délivrer de la meilleure espèce mais ne peut non plus la délivrer de la plus mauvaise espèce. On peut considérer que de manière générale toutes les règles supplétives et impératives, lorsqu'elles s'appliquent, complètent l'accord des parties. De même, les usages peuvent venir au secours des parties (ex. le prix du courtage est, à défaut de précision, fixé conformément aux usages).

• DÉTERMINATION DE L'OBJET PAR LE JUGE : en principe, le juge ne peut se substituer aux parties dans la détermination de l'objet. Toutefois, la loi l'y autorise dans certains cas ex. en matière de renouvellement des baux commerciaux ou de révision triennale du loyer dans les baux commerciaux et dans les baux de résidence principale. Enfin, même en dehors de ces hypothèses, il convient de nuancer le principe selon lequel le juge ne peut intervenir dans la détermination de l'objet de la convention, puisqu'il lui appartient d'interpréter celle-ci, et donc de rechercher la commune intention des parties.

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• MODALITÉ PARTICULIÈRE DE DÉTERMINATION DE L'OBJET (DU PRIX) : LA DÉTERMINATION DE L'OBJET (DU PRIX) PAR UN TIERS :

(a) PRINCIPES :

✗ L'objet de l'obligation (en particulier : le prix) est déterminable si les parties sont convenues de charger un tiers de le fixer. Il s'agit d'une règle traditionnelle qui trouve une application dans les articles 159210 et 1854 du Code civil.

✗ Selon P. A. Foriers, il suffit que le tiers désigné par les parties soit déterminé ou déterminable. Toutefois, on a beaucoup discuté sur la question de savoir si et dans quelle mesure la convention doit, outre l'identité du tiers, indiquer des éléments objectifs sur base desquels le tiers devra décider.

✗ Il convient d'examiner deux arrêts de la Cour de cassation de 1953 et de 1972, qui sont en apparente contradiction. En réalité, l'arrêt de 1953, qui semble indiquer que la convention doit comporter les éléments objectifs sur lesquels le tiers devra se fonder, a été rendu dans le cadre d'une vente à dire d'experts, sans autre précision, donc en dehors du champ d'application de l'article 1592 du Code civil. La Cour déduit au contraire la règle selon laquelle la convention doit indiquer les éléments objectifs en vue de la détermination du prix par le tiers de l'article 1591 du Code civil, selon lequel le prix de la vente doit être déterminé ou déterminable. Quant à l'arrêt de 1972, il est étrange : il (1) reproduit la règle de l'arrêt de 1953 mais en se fondant sur l'article 1592 du Code civil et (2) estime qu'il ne faut pas appliquer cette règle dans le cas d'espèce (il s'agissait d'une promesse de vente qui constituait l'accessoire d'une convention d'une autre nature). Cet arrêt a été critiqué (2) tout d'abord sous ce dernier angle : pourquoi le caractère accessoire d'une vente (ou promesse de vente) aurait-il une incidence sur la détermination du prix? (1) En outre, l'arrêt comporte vraisemblablement une erreur matérielle puisque, semble-t-il, c'est à l'article 1591 du Code civil qu'il aurait fallu se référer, et non à l'article 1592.

✗ Aujourd'hui on considère que : − si le nom de l'expert est indiqué dans la convention , l'article 1592 du Code

civil s'applique et il ne faut pas lui donner de critères d'évaluation du prix ;− en revanche, la vente “à dire d'experts” (où l'expert n'est pas désigné) est

soumise non à l'article 1592 du Code civil, mais à l'article 1591 et la convention doit donc indiquer les éléments objectifs sur lesquels les experts devront se fonder pour déterminer le prix (c'est ce qu'a dit l'arrêt de 1953) ;

− les parties pourraient en principe aussi prévoir que le prix sera déterminé par un tiers à désigner de commun accord et qu'à défaut d'accord, il sera désigné par telle autorité.

✗ Selon P. A. Foriers, ces principes s'appliquent à toutes les clauses qui confient à un tiers la mission de délimiter l'objet d'une obligation.

(b) INCIDENCE DE L'ABSENCE DE L'INTERVENTION DU TIERS :

Selon l'article 1592 du Code civil, si le tiers chargé de l'estimation ne veut ou ne peut faire l'estimation, il n'y a point vente. Quelle est dès lors la nature juridique de la convention? (1) Selon une première explication, la vente dont le prix serait laissé à l'appréciation d'un tiers serait conclue sous condition suspensive de la détermination du prix par le tiers. Cette thèse méconnaît la notion de condition qui doit présenter un caractère extérieur à l'obligation. (2) Selon une deuxième opinion, il s'agirait d'une convention sui generis (ceci n'est pas une bonne

10 Art. 1591 C. civ. : “Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties.” Art. 1592. C. civ. : “Il peut cependant être laissé à l'arbitrage d'un tiers; si le tiers ne veut ou ne peut faire l'estimation, il n'y a point vente”.

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explication). (3) Selon P.A. Foriers, la vente est parfaite mais si le tiers ne détermine pas le prix la vente devient caduque (disparition d'un élément essentiel).

(c) L'ERREUR GROSSIÈRE ET LA FRAUDE DU TIERS :

La décision du tiers lie les parties (= mécanisme de la tierce décision obligatoire), sauf erreur grossière ou fraude commise par le tiers. Dans ce cas, l'objet (le prix) devient indéterminable et il n'y a pas vente (caducité – voir point précédent). Les parties pourraient agir en dommages-intérêts contre le tiers en guise de réparation du dommage résultant de la perte des avantages qui auraient résulté pour elles de la conclusion de l'opération à des conditions normales.

• MODALITÉ PARTICULIÈRE DE DÉTERMINATION DE L'OBJET (DU PRIX) : LA DÉTERMINATION DE L'OBJET (DU PRIX) PAR UNE DES PARTIES : en dehors du domaine de la vente, on tend aujourd'hui à considérer que les parties peuvent en principe convenir que l'une d'elles sera chargée de préciser l'étendue exacte de l'objet de certaines obligations de leur convention. La règle ne suscite pas de difficulté fondamentale lorsque c'est le créancier qui se voit investi de ce pouvoir, puisqu'il a le pouvoir de contrainte. Ex. En matière d'entreprise, de mandat et de dépôt, on admet que le prestataire de services puisse se voir confier le soin de fixer le prix du service. Le seul problème qui se pose dans ce cas est celui de la nécessité de protéger le débiteur contre les excès du créancier. Les cours et tribunaux assurent cette protection par le biais du principe d'exécution de bonne foi des conventions, qui leur permet d'exercer un contrôle marginal sur le prix fixé.Selon P. A. Foriers, dès lors que les parties ne peuvent agir que dans les limites du principe d'exécution de bonne foi, rien n'empêche que le débiteur soit chargé de fixer le quantum exact de ses obligations. Tel est d'ailleurs en pratique le cas, par exemple, du garagiste chargé de réparer une voiture, qui doit déterminer de bonne foi l'importance des travaux à réaliser et qui doit avertir son client si ceux-ci lui semblent plus importants que ce qui était normalement prévisible.

• SANCTION : l'obligation qui n'est pas déterminée ou déterminable est frappée de NULLITÉ RELATIVE . Toutefois, par la nature des choses, il est impossible de couvrir la nullité.

4. La cause

a. Généralités

La notion de cause forme l'un des domaines les plus obscurs en droit des obligations. En effet, rationnellement, un contrat ne suppose qu'un échange de consentements éclairé sur un objet déterminé ou déterminable. Certains (les anticausalistes) estiment dès lors que la cause est une notion inutile. Toutefois, en droit belge toute obligation doit avoir une cause et cette cause doit être licite (v. cass. 13 novembre 1969 et 5 novembre 1976). Les auteurs du Code civil ont imposé l'exigence d'une cause (licite) pour assurer que les conventions soient utiles, pour les parties d'une part, pour la société d'autre part.

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b. La notion de cause

Les thèses sur la cause sont innombrables. On peut dégager deux grands courants :

• LA CONCEPTION CLASSIQUE : L'APPROCHE OBJECTIVE : c'est la conception issue des écrits de Domat et consacrée au 19ème siècle par les commentateurs du Code civil. Elle distingue 2 types de cause :

(1) la CAUSE ILLICITE : pour déterminer si un engagement est entaché d'une cause illicite, donc mesurer l'utilité sociale d'une convention, la cause est appréciée de manière subjective. Il s'agit des mobiles déterminants qui ont conduit les parties à contracter (ex. louer un bureau pour y organiser un trafic de drogues) ;

(2) la CAUSE – ELEMENT CONSTITUTIF : pour déterminer si un engagement a une cause, donc mesurer l'utilité de la convention pour les parties, la cause est appréciée en principe de manière objective. Domat part des contrats synallagmatiques, où, selon lui, les obligations d'une des parties constituent la cause des obligations de l'autre. C'est la même idée dans le prêt (qui n'est un contrat unilatéral que parce qu'il est un contrat réel). Mais que se passe-t-il pour les donations, qui se caractérisent par l'absence de contrepartie économique? Domat dit que dans les donations il n'y a pas de cause mais quelque chose qui tient lieu de cause, qui est l'intention libérale (c'est en réalité le mobile déterminant, la cause est appréciée de manière subjective pour les donations).

La théorie de Domat a été critiquée pour plusieurs raisons : − elle fait une distinction entre deux causes alors que

− l'article 1108 du Code civil ne fait pas une telle distinction lorsqu'il pose une cause licite comme condition de validité d'une convention ;

− comment défendre que l'article 1131 (qui énonce que “L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet”) ait utilisé le mot “cause” en deux sens différents ;

− elle devient subjective pour les donations ;− quelle est son utilité si dans les contrats synallagmatiques l'absence de cause (ou l'erreur

sur la cause) correspond de toute façon à une absence d'objet (ou à une erreur sur l'objet).

• LA CONCEPTION MODERNE DE P. VAN OMMESLAGHE : L'APPROCHE SUBJECTIVE : P. Van Ommeslaghe a défendu en 1970 une approche subjective de la notion de cause qui définit la cause de manière uniforme comme étant le ou les mobiles qui ont déterminé les parties à s'engager et qui sont entrés dans le champ contractuel, - en tout cas pour les actes à titre onéreux (il semble en aller autrement pour les libéralités). En principe, n'entreront dans le champ contractuel que les objectifs normalement poursuivis par la conclusion de telle ou telle convention. Toutefois, les parties peuvent introduire un mobile particulier (il faut que ce mobile soit accepté au moins tacitement par l'autre partie).Cette opinion a fortement influencé la doctrine et la jurisprudence belges, mais ne fait pas l'unanimité en Belgique. En France, la doctrine et la jurisprudence conservent une conception très largement objective de la cause.

• LES APPROCHES SUBJECTIVES ET OBJECTIVES – ESSAI D'UNE RÉCONCILIATION : il ne faut pas exagérer la différence entre ces deux conceptions de la cause, qui ont des points de contact. En effet,

− dans la plupart des contrats à titre onéreux, la contrepartie économique est justement la cause subjective de l'obligation ;

− en ce qui concerne les actes à titre gratuit, leur cause réside dans des éléments subjectifs pour les deux théories. A cet égard, la Cour de cassation estime que “la cause d'une libéralité ne réside pas

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exclusivement dans l'intention libérale du disposant, mais dans celui des mobiles qui l'a inspiré principalement et qui l'a conduit à donner ou léguer”.

La seule nuance entre les deux conceptions se manifeste dans les cas où une partie à un contrat à titre onéreux est animée non seulement par un mobile objectif (la contrepartie) mais aussi par un mobile déterminant spécifique qui est entré dans le champ contractuel, qui se superpose au mobile objectif. Dans pareil cas, seule la conception subjective permet de tenir compte de ce mobile subjectif. Ex. Un tel accepte de payer tel prix pour acquérir telle maison à Aix-en-Provence car il pense y être nommé.

• CAUSE DE L'ENGAGEMENT CONTRACTUEL OU CAUSE DU CONTRAT : traditionnellement, la cause est envisagée dans le chef de chacune des parties (= cause de l'engagement contractuel). Toutefois, dans la mesure où il faut que les mobiles des parties soient entrés dans le champ contractuel pour qu'on puisse en tenir compte, on peut parler de cause du contrat. La cause du contrat serait sa raison d'être objective et subjective, résultant de la combinaison des mobiles des parties.

• EXCLUSION DES MOBILES SECONDAIRES OU ACCESSOIRES : il est constant que seuls les mobiles

déterminants (en principe entrés dans le champ contractuel) s'incorporent à la cause de l'engagement, à l'exclusion des mobiles secondaires ou accessoires.

c. La cause comme élément constitutif du contrat (à l'exclusion de la cause illicite) – applications

• ABSENCE TOTALE DE CAUSE : elle relève du cas d'école.

• ERREUR SUR LA CAUSE OU FAUSSE CAUSE : elle se rencontre dans de nombreuses hypothèses. Ex. j'achète telle maison car je crois que j'ai été nommé dans telle ville, mais ma nomination est annulée avec effet rétroactif.

• SANCTION : l'absence de cause ou la fausse cause sont sanctionnées de NULLITÉ RELATIVE . Il appartient au demandeur de prouver l'absence de cause.

d. Les actes abstraits de leur cause

• NOTION : tout acte doit en principe avoir une cause, mais la pratique connaît des actes dits abstraits de leur cause. Il s'agit d'actes qui tout ayant une cause sont dans une certaine mesure détachés dans leur cause en sorte que les avatars de cette dernière ne retentissent en principe pas sur eux.

• TYPOLOGIE DES ACTES ABSTRAITS :

(1) LES ACTES ABSTRAITS ISSUS DE LA LOI : − le cautionnement : le contrat de cautionnement a une double cause :

− objective (il a pour objet de garantir une obligation principale)− subjective (déduite de la relation de la caution avec le débiteur :

amicales, parentales, d'affaires...). Le cautionnement est abstrait de sa cause subjective mais non de sa cause objective : on dit qu'il présente 1 degré d'abstraction 11 (N.B. la

11 Cependant, il présente un début de 2ème degré d'abstraction puisque la caution ne peut invoquer les exceptions purement personnelles au débiteur principal.

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garantie à première demande, est quant à elle, abstraite à double degré).

− la délégation : opération par laquelle un débiteur (déléguant) obtient d’un tiers (délégué) qu’il s’engage dans les mêmes termes que lui envers un créancier (délégataire). Elle présente deux degrés d'abstraction : l'engagement du délégué vis-à-vis du délégataire est abstrait à la fois des relations entre le délégué et le déléguant et des relations entre le déléguant et le délégataire.

− les titres négociables abstraits : lettre de change (le tiré accepteur d’une lettre de change ne peut opposer au tiers porteur des exceptions liées au contrat qui a justifié la création de la lettre de change entre le tireur et le tiré), billets à ordre, chèques.

(2) LES ACTES ABSTRAITS ISSUS DES USAGES OU DE LA PRATIQUE : Les usages sont à l'origine d'actes abstraits ex. garanties bancaires abstraites (abstraites de toute cause), crédit documentaire (par lequel le banquier s’engage à payer un exportateur moyennant présentation de certains documents).

(3) LES ACTES ABSTRAITS CONVENTIONNELS : doctrine et jurisprudence belges admettent la création d'actes abstraits par la voie conventionnelle, alors qu'en France un tel procédé est en général rejeté en raison du fait que la cause serait un élément essentiel du contrat. En effet, même si la Cour de cassation estime qu'un acte ne peut être abstrait de sa cause que si la loi l'admet, la majorité de la doctrine interprète cette jurisprudence en ce sens qu'il suffit, pour qu'il soit possible de créer un acte abstrait, que la loi ne s'y oppose pas, parce que les articles 1108 et 1131 du Code civil ne seraient pas d'ordre public en tant qu'ils subordonnent la validité d'un acte juridique à l'existence d'une cause. Ainsi, la jurisprudence belge a admis la validité des garanties bancaires abstraites avant qu'elles ne soient devenues de pratique courante. Il est à noter que le problème de la validité des actes abstraits ne se pose que si le détachement est total, puisque si elle ne l'est pas, l'acte conserve une cause qui peut sortir ses effets.

• ACTES ABSTRAITS ET BILLET NON CAUSÉ : il ne faut pas confondre les actes abstraits avec les billets non causés visés à l'article 1132 du Code civil (“La convention n'est pas moins valable, quoique la cause n'en soit pas exprimée”). Le billet non causé a une cause et n'est pas détaché de celle-ci, seulement, sa cause n'est pas exprimée. L'article 1132 se borne à présumer l'existence d'une cause.

• ACTES ABSTRAITS – PORTÉE DE L'ABSTRACTION : • L'abstraction d'un acte ne saurait avoir pour effet de valider un engagement inspiré

par une cause illicite ni de couvrir une fraude ou un abus de droit manifestes. • L'abstraction peut-elle tenir en échec une règle impérative?

--------------------à compléter-----------------------------------------------------------• L'abstaction est destinée à assurer l'exécution des obligations rapidement et avec

sécurité mais n'exclut pas nécessairement l'existence d'un recours parallèle ou d'un recours ultérieur. Ex.− le tiré d’une lettre de change amené à payer le tiers porteur peut se retourner contre le tireur sur

base de l’acte de vente q'il s'avère que les marchandises délivrées n'étaient pas conforme ;− le donneur d'ordre d'une garantie à première demande pourrait agir contre le bénéficiaire s'il

s'avérait que celui-ci avait appelé la garantie à mauvais escient.• Le degré d'abstraction est variable selon les cas.

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5. Les obligations illicites : l'objet et la cause illicites

a. Généralités

Les obligations doivent avoir un objet et une cause licites (art. 6, 1131 et 1133 C. civ.).

b. Ordre public – bonnes moeurs – lois impératives

LES BONNES MOEURS : il 'agit d'un ensemble de règles de conduite ou d'ordre moral découlant des traditions, pratiques et usages du corps social et qui sont jugées à ce point importantes qu'elles sont sanctionnées par le droit. Elles peuvent évoluer dans le temps et dans l'espace.

L'ORDRE PUBLIC :

(a) L'ORDRE PUBLIC PROPREMENT DIT ET LES LOIS IMPÉRATIVES :

• Les RÈGLES D'ORDRE PUBLIC proprement dites sont les dispositions qui touchent aux intérêts essentiels de l'Etat ou de la collectivité ou qui fixent dans le droit privé, les bases juridiques sur lesquelles repose l'ordre économique ou moral de la société. Elles sont sanctionnées de NULLITÉ ABSOLUE .

• Les RÈGLES IMPÉRATIVES , en revanche, n'ont pour but que le protection d'intérêts privés et non de l'intérêt général. Elles sont sanctionnées de NULLITÉ RELATIVE .

• La distinction n'est pas toujours aisée. Exemples : − Les lois sur les baux commerciaux ou sur les baux à ferme sont impératives (protection des

preneurs). Par contre, la Cour de cassation a estimé que les dispositions relatives à la modération des loyers étaient d'ordre public parce qu'elles visaient à combattre l'inflation.

− Affaire Wagons-Lits : l'article 41 de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 [en vertu duquel lorsqu'une personne physique ou morale a acquis des titres d'une société ayant fait ou faisant publiquement appel à l'épargne (OPA), qui lui confèrent le contrôle exclusif ou conjoint de celle-ci et que le prix payé ou la contrepartie attribuée pour l'acquisition des titres était supérieur au prix du marché lors de ladite acquisition, elle doit offrir inconditionnellement au public la possibilité de céder tous les titres qu'elle possède], même s'il tend à protéger les actionnaires minoritaires de OPA, est d'ordre public parce qu'il vise à garantir un bon fonctionnement des marchés boursiers.

− La garantie décennale des architectes et entrepeneurs est d'ordre public parce qu'elle vise à protéger la sécurité publique.

(b) EXEMPLES DE DISPOSITIONS D'ORDRE PUBLIC : sont d'ordre public :

− la plupart des dispositions de droit public− les lois fiscales− les lois pénales− les lois relatives à l'organisation judiciaire et administrative− la règlementation de la concurrence− la règlementation des prix− la règlementation applicable à l'accès à certaines professions− les règles relatives à l'état et à la capacité des personnes− les principes fondamentaux du droit des successions− l'article 815 du Code civil− le principe du respect des droits de la défense en procédure civile− le régime général de la faillite et du concordat judiciaire− la garantie décennale des architectes et des entrepreneurs− l'interdiction de s'engager à perpétuité− etc.

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(c) EXEMPLES DE DISPOSITIONS IMPÉRATIVES : sont impératives : − la loi sur les baux commerciaux, la loi sur les baux à ferme, ainsi que le régime applicable aux baux

de résidence principale comprennent de nombreuses dispositions impératives en faveur du preneur et du bailleur ;

− la plupart des dispositions de la loi Breyne sont impératives en faveur du client du promoteur ou de l'entrepreneur ;

− le régime du contrat de travail est impératif en faveur du travailleur (parfois en faveur des deux parties) ;

− la loi de 1961 sur la résiliation des concessions de vente exclusive à durée indéterminée est impérative en faveur du concessionnaire ;

− la loi sur le contrat d'agence est impérative en faveur de l'agent ;

− etc.

ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL BELGE : il s'agit d'un concept de droit international privé qui fait échec à l'application ordinaire des règles de conflits de lois lorsque l'application par le juge ou les autorités belges d'une disposition de la loi étrangère heurte des principes fondamentaux. En d'autres termes, l'ordre public international belge constitue le noyau dur de l'ordre public auquel il ne peut être dérogé même si selon les règles de droit international privé, telle règle étrangère devrait régir la situation. Ainsi, un officier d'état civil belge ne pourrait prêter son concours à un mariage polygamique même si la loi nationale des futurs époux permet un tel mariage.

ORDRE PUBLIC : AUTRES NOTIONS : la notion d'ordre public reçoit des acceptions spéciales dans certains domaines particuliers. Ex. en matière judiciaire, concernant les pouvoirs du ministère public en matière civile.

c. La sanction de l'ordre public et des bonnes moeurs

• PRINCIPES : − Les dispositions contractuelles contraires à l'ordre public ou aux bonnes moeurs sont

frappées de NULLITÉ ABSOLUE .− L'exception de nullité doit être élevée d'office par le juge.− La nullité ne peut être couverte par voie de confirmation.− L'action en nullité est soumise à la prescription de droit commun.− Tout tiers intéressé (ex. parfois le fisc) et le Ministère public peuvent agir en nullité (ce

dernier ne peut toutefois agir d'office en matière civile que “dans les cas spécifiés par la loi et en outre chaque fois que l'ordre public exige son intervention”).

− Lorsque seule une clause d'un contrat est illicite, faut-il annuler la clause ou le contrat tout entier? Il est admis aujourd'hui que si ni la loi (ex. clause réputée “non écrite”) ni les parties n'ont réglé la question, il conviendra d'annuler la convention si la clause est dans l'esprit des parties et l'économie de leur convention inséparable de celle-ci (au contraire, il faudra annuler seulement la clause illicite si celle-ci est accessoire ou dissociable).

• ILLÉCÉITÉ COMMUNE AUX PARTIES OU NON : • De ce point de vue, aucun problème ne se pose si l'objet de la convention est illicite,

chacune des parties pouvant (normalement) apprécier la licéité de cet objet. En revanche, la question est plus délicate si la cause de la convention est illicite tandis que l'objet de celle-ci est licite.

• [Il est constant aujourd'hui qu'en cas de pluralité de mobiles déterminants il suffit qu'un des mobiles soit illicite pour que le contrat soit affecté.]

• Les deux parties doivent-elles être au courant de l'intention illicite pour que la nullité soit prononcée?

✗ Pour les libéralités, on admet que le mobile illicite entraîne la nullité de l'acte même s'il n'est pas entré dans le champ contractuel.

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✗ Pour les autres actes, plusieurs systèmes ont été envisagés, parmi lesquels les deux suivants :

− Selon P. Van Ommeslaghe, sauf dans les actes à titre gratuit, le mobile illicite doit être entré dans le champ contractuel pour que la nullité soit prononcée, à défaut de quoi il ne constituerait pas une cause au sens technique du terme.

− Selon la Cour de cassation de France, la convention peut être annulée même si une seule des parties était animée d'un mobile illicite. La Cour de cassation de Belgique a suivi cette thèse dans deux arrêts récents (2000 et 2004).Cette solution n'est pas déraisonnable mais elle pose le problème de la protection de la partie de bonne foi.

− Si la convention a été exécutée, celle-ci pourra se prévaloir de la règle Nemo auditur propriam turpitudinem allegans.

− La partie de bonne foi victime d'une nullité pourrait demander des dommages-intérêts en raison de la culpa in contrahendo commise par l'autre partie.

− Selon P. A. Foriers, l'on pourrait soutenir que la partie en faute serait privée du droit d'invoquer la nullité, en raison de sa faute précontractuelle, en guise de réparation en nature de celle-ci. Mais cette solution est critiquée par une partie de la doctrine.

• LES ADAGES “ NEMO AUDITUR... ” 12 ET “ IN PARI CAUSA... ” 13 : ces adages complètent la sanction de la

nullité absolue.

(a) L'ADAGE “ NEMO AUDITUR... ” (RAPP. ART. 1965 C. CIV.) En Belgique, cet adage n'a pas de contenu propre puisqu'il est interprété en ce sens qu'il fait obstacle à ce qu'une partie poursuive en justice l'exécution d'une convention contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs. Il ne fait pas obstacle à ce qu'une des parties à un acte illicite en pousuive la nullité. Cet adage n'est donc qu'une application de l'article 1131 du Code civil et ne constitue pas un principe général de droit autonome.

(b) L'ADAGE “ IN PARI CAUSA... ” (RAPP. ART. 1967 C. CIV.) Cet adage a en revanche un contenu propre. Il fait obstacle à ce que la nullité de la convention contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs donne lieu à des restitutions si la turpitude est partagée, par dérogation au droit commun, selon lequel la nullité emporte une obligation de restitution de ce qui a été exécuté en vertu de la convention. L'application de cet adage consolide donc la situation illicite qui a été consommée, ce qui peut conduire à des situations paradoxales ou inéquitables. C'est pourquoi la jurisprudence lui reconnaît aujourd'hui un caractère facultatif (v. cass. 24 septembre 1976). Le juge appréciera s'il convient ou non de l'appliquer au regard des nécessités de la sanction du comportement illicite et des nécessités de l'ordre public.Pourquoi cet adage est-il devenu une exception au principe de la restitution? La règle In pari causa... a une connotation morale évidente. Or, aujourd'hui les règles impératives et d'ordre public sont tellement nombreuses que beaucoup de cocontractants ne les violent que parce qu'ils les ignorent ou en ignorent la portée impérative. Serait-il justifié, dans une telle situation, de privilégier la partie qui n'a pas exécuté ses obligations mais qui a déjà bénéficié des paiements ou prestations de son cocontractant?

12 Nemo auditur propriam turpitudinem allegans.13 In pari causa turpitudinis cessat repetitio.

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d. La sanction des dispositions impératives

• PRINCIPES : − Les lois impératives sont sanctionnées de NULLITÉ RELATIVE .− Cette nullité est donc susceptible de confirmation lorsque la protection légale est

acquise.A cet égard, on enseigne souvent que la confirmation peut intervenir lorsque la contestation est née. Toutefois cette règle n'est pas absolue et il convient, en réalité, de rechercher dans chaque cas quand la protection légale est acquise. Parfois la loi elle-même précise quand la confirmation peut intervenir (ex. loi Breyne).Par exemple,

− les parties à un contrat de travail ne peuvent à l'avance convenir d'un délai de préavis mais après que le congé soit donné elles peuvent valablement convenir sur ce délai ou sur l'indemnité compensatoire de préavis ;

− les parties ne peuvent convenir d'un bail à ferme d'une durée inférieure à 9 ans mais elles peuvent le résilier de commun accord (moyennant toutefois certaines formalités) ;

− une demande de renouvellement d'un bail commercial formée hors délai est nulle et le bailleur ne peut par avance renoncer à cette nullité, mais saisi d'une demande de renouvellement irrégulière, il peut valvablement renoncer à invoquer cette irrégularité.

− Seule la partie protégée peut invoquer la nullité relative.− En ce qui concerne l'étendue de la nullité, on appliquera les mêmes principes que ceux

applicables à la nullité absolue.

• RAPPROCHEMENT DES SANCTIONS DES DISPOSITIONS D'ORDRE PUBLIC OU IMPÉRATIVES : sous réserve de cette différence de sanctions, le régime des lois d'ordre public et des lois impératives est proche.A cet égard, il est de jurisprudence constante que la violation d'une disposition légale impérative peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation, à l'instar d'une disposition d'ordre public. Comment expliquer cette solution si l'on considère que le juge ne peut soulever d'office la violation d'une règle simplement impérative parce que la partie concernée peut renoncer à la protection? Comment soutenir que la juge a commis une illégalité alors qu'il ne pouvait soulever d'office la nullité? Selon P.A. Foriers, l'explication de cette règle est que le simple fait que les parties n'aient pas élevé en conclusions une contestation relative à une règle impérative n'implique pas nécessairement que la partie protégée par cette règle ait entendu y renoncer 14 . Le juge, qui doit appliquer aux faits de la cause les règles de droit nécessaires à sa solution, doit donc en principe élever la contestation et s'il ne le fait pas, la partie protégée peut invoquer le moyen pour la première fois devant la Cour de cassation. En revanche, si le défaut de contestation des parties implique de manière certaine une renonciation à la protection légale, le juge ne pourrait élever une contestation sur celle-ci et la partie protégée ne pourrait plus invoquer la violation de la disposition en cause devant la Cour de cassation.

6. La forme comme condition de validité des contrats

La forme est une condition de validité des contrats solennels. Cette forme est sanctionnée tantôt de NULLITÉ ABSOLUE , tantôt de NULLITÉ RELATIVE .

14 En effet, la renonciation ne peut se déduire que de faits non susceptibles d'une autre interprétation.

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7. Les éléments essentiels à la formation du contrat : condition de subsistance du contrat valablement formé?

Le contrat peut-il subsister en cas de disparition d'un des éléments essentiels à sa formation (consentement, capacité, objet, cause)? Une réponse nuancée s'impose en fonction de chacun de ces 4 éléments. En bref, il n'existe aucun principe général selon lequel la disparition de l'un des éléments essentiels à la formation d'un contrat aurait pour effet de frapper celui-ci de caducité.Toutefois, − ce principe connaît une exception importante en ce qui concerne l'objet ;− la jurisprudence montre que la disparition de la cause n'est pas totalement sans effet sur

le rapport contractuel ;− il en est de même parfois de la capacité.

a. La disparition de l'objet de l'obligation

LE PRINCIPE :

La disparition de l'objet de l'obligation entraîne la caducité de celle-ci. Divers textes du Code civil consacrent ce principe (art. 172215, 174116, 1865, 2°, 2036 C. civ., voy. aussi art. 1592 C. civ.).La Cour de cassation l'a clairement admis dans un arrêt du 28 novembre 1980, qui aborde le problème de la caducité dans toute sa pureté (en effet, souvent une autre cause de dissolution est applicable). Les faits étaient les suivants : un bail à ferme portait sur une exploitation agricole composée de bâtiments et de terres. Les bâtiments étaient composés de bâtiments d'exploitation et d'un corps de logis. La bailleresse avait à tel point manqué à son obligation d'entretien que les bâtiments d'exploitation étaient tombés en ruine. Les locataires avaient néanmoins continué à habiter dans le corps de logis et avaient sous-loué les terres. Le tribunal de première instance de Gand, statuant en degré d'appel, avait prononcé, sur demande de la bailleresse, la résolution du bail en raison notamment de la perte des bâtiments d'exploitation qui avait rendu impossible la poursuite de l'exploitation agricole. Les fermiers se pourvoient en cassation, soutenant que ni l'article 1722 ni l'article 1741 ne sont applicables en l'espèce. En effet, la Cour de cassation avait énoncé dans des arrêts antérieurs que

− l'article 1722 suppose une destruction par cas fortuit (or, en l'espèce, la destruction avait été causée par la faute de la bailleresse) ;

− l'article 1741 constitue une application de l'article 1184 du Code civil, et dès lors, celui qui a commis la faute ne pourrait s'en prévaloir contre la victime (en l'espèce, la bailleresse ne pourrait s'en prévaloir contre les fermiers).

La Cour de cassation admet que effectivement les articles 1741 et 1722 ne sont pas applicables en l'espèce. Toutefois, “en raison de la perte matérielle totale du bien donné à bail, le contrat de bail devient sans objet ; [...] en effet il devient impossible dans ce cas pour le bailleur de fournir la jouissance du bien loué, de sorte que la convention est résolue”. Le jugement attaqué, dans la mesure où il avait constaté que les bâtiments d'exploitation avaient été détruits, avait donc pu légalement déclarer la résolution du bail à la suite de cette perte totale et de l'impossibilité qui en découlait de continuer l'exploitation agricole. L'auteur de la faute contractuelle peut donc se prévaloir de la perte de l'objet du bail qu'il a provoquée pour demander la dissolution de celui-ci, ce qui ne manque pas de frapper.

15 Art. 1722. : “Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement.”

16 Art. 1741. : “Le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée, et par le défaut respectif du bailleur et du preneur, de remplir leurs engagements.”

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LE FONDEMENT ET LA GÉNÉRALISATION DU PRINCIPE :

La Cour donne une justification précise et concrète à sa décision : par la perte de la chose louée qui en est l'objet, le bail devient impossible à exécuter ; en nature, ajoute P. A. Foriers. Sur base de ce fondement, on peut généraliser le principe de la dissolution d'un contrat pour disparition de son objet et en préciser les limites. ✗ La disparition de l'objet d'une obligation en rend l'exécution impossible, du moins en

nature. La nature des choses impose donc de constater la dissolution du lien obligatoire.✗ Dans la mesure où c'est une impossibilité d'exécution qui est à l'origine de la dissolution

du lien contractuel, cette dissolution a un effet limité. Elle est à la mesure de l'impossibilité d'exécution, et n'exclut pas, dans le cas où la disparition de l'objet résulterait de la faute d'une des parties, le droit de l'autre partie de lui réclamer des dommages et intérêts.

✗ L'impossibilité d'exécution survenue en cours de contrat doit être appréciée de manière relative. En effet,

− il est logique de considérer moins strictement l'impossibilité de l'objet de l'obligation lorsqu'elle est survenue en cours de contrat que lorsqu'elle était présente à la formation même du contrat, où il faut partir du principe que si une partie s'est engagée à une prestation, c'est qu'elle l'estimait possible ;

− l'impossibilité d'exécution est à la mesure des obligations des parties. Ainsi, dans l'arrêt du 28 novembre 1980, la Cour de cassation a pu estimer que l'exécution du bail était devenue impossible parce que le bailleur n'a pas l'obligation de recontruire le bien loué en cas de perte de celui-ci.

✗ La théorie de la caducité des obligations par disparition de l'objet de l'obligation s'applique tant à la disparition matérielle qu'à la disparition juridique.

✗ On ne peut apprécier la perte de l'objet de manière abstraite et dans l'absolu – au contraire, il faut avoir égard à l'économie générale de la convention. Ainsi, dans l'affaire des fermiers, les juges du fond avaient pu considérer que la perte était totale et non partielle parce qu'il s'agissait d'un bail à ferme (qui a pour objet une exploitation agricole) et non d'un bail d'habitation.

✗ La Cour de cassation a, depuis l'arrêt de 1980, admis le principe dans une série d'hypothèses. Récemment elle a dit qu'il s'agissait d'un principe général de droit.

✗ La disparition de l'objet de l'obligation provoque sa caducité (dissolution pour l'avenir), tandis que le contrat ne deviendra normalement caduc que s'il s'agissait d'une obligation essentielle de celui-ci. Exceptionnellement, la convention disparaîtra rétroactivement, s'il ne se justifie pas de maintenir le début d'exécution, qui ne serait pas satisfactoire pour les parties (ex. la vente où le prix est laissé à l'arbitrage d'un tiers et où celui-ci n'exécute pas sa mission).

b. La disparition de la cause

CAUSE OBJECTIVE (la contrepartie dans les contrats synallagmatiques) :

La perte de la cause objective correspond à la perte de l'objet. On retombe dans la théorie de la disparition de l'objet.

CAUSE SUBJECTIVE (la cause d'une libéralité ou d'un acte à titre gratuit ou le mobile déterminant subjectif spécifique d'un acte à titre onéreux) :

La situation est plus délicate. Quelques réflexions : − Si une partie à un contrat à un titre onéreux est animée par un mobile subjectif spécifique

qui vient à disparaître, l'obligation n'en conserve pas moins une cause objective.− En toute hypothèse, s'il fallait admettre que la disparition de la cause devait entraîner la

caducité de l'obligation, encore faudrait-il limiter cette règle aux cas où la disparition de la

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cause serait due à des raisons objectives. En effet, admettre la caducité de l'obligation en raison de la disparition volontaire de la cause d'une des parties reviendrait à lui accorder un droit de résiliation unilatérale.

− La disparition de la cause subjective d'un acte juridique n'emporte en règle aucune impossibilité d'exécution (sauf dans des cas limites comme le décès de la partie en considération de la personne de laquelle la convention a été conclue dans les contrats intuitu personae).

La Cour de cassation a abordé le problème dans 3 arrêts.

DISPARITION DE LA CAUSE SUBJECTIVE ET PRINCIPE DE BONNE FOI – ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 1989 (SOMMAIRE) En l'espèce, la Poste avait conclu un contrat de leasing avec un fournisseur américain. Ce contrat comprenait une clause d'indexation par rapport cours du dollar (logique à cause des coûts de change). La société américaine fait reprendre ce contrat par une société belge. Le temps passe, le cours du dollar monte, mais la société belge ne pense pas à réviser le prix (ce qui était de bon sens). Puis, lorsque le cours du dollar baisse, la Poste demande de réviser le prix! Sa demande est rejetée en première instance et en appel. La Cour d'appel de Bruxelles se base sur plusieurs raisons, dont le principe de bonne foi. Le pourvoi de la Poste a critiqué tous ces motifs, sauf celui tiré de la bonne foi. Le défendeur a donc soulevé une fin de non-recevoir basée sur le fait que l'arrêt attaqué avait décidé que les prétentions de la Poste étaient contraires au principe de bonne foi et que cette motivation n'avait pas été critiquée par le pourvoi. La Cour de cassation suit cette argumentation. Le sommaire (rédigé par le ministère public et non par la Cour) va un peu plus loin lorsqu'il énonce que le principe d'exécution de bonne foi peut faire obstacle à ce qu'une partie poursuive envers et contre tout l'exécution d'une disposition contractuelle qui a perdu sa raison d'être. En d'autres termes, dans pareil cas, il y a abus de droit.

DISPARITION DE LA CAUSE SUBJECTIVE – ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 1989 : important arrêt relatif à la

caducité d'une donation.

Une donation avait été consentie à un époux parce que l'opération présentait un intérêt fiscal tant qu'il était marié. Or le donataire a ensuite divorcé et l'intérêt fiscal a disparu par voie de conséquence. La Cour d'appel de Liège refuse de constater la caducité de la donation au motif que les cas de caducité des donations seraient limitativement prévus par la loi. M. Van Ommeslaghe soutient dans le pourvoi que l'arrêt aurait violé les articles 1108 et 1131 du Code civil et un principe général de caducité des obligations par disparition de leur cause ou de leur objet “consacré notamment par les articles 1108, 1592, 1722, 1741, 1865 et 1867 du Code civil” (il s'agit de dispositions soit générales, soit relatives à des contrats à titre onéreux, à l'exclusion de tout texte spécifique aux libéralités). Contre toute attente, la Cour casse l'arrêt. Elle énonce tout d'abord que la cause d'une libéralité “ne réside pas exclusivement dans l'intention libérale du disposant, mais dans celui des mobiles qui l'a inspiré principalement et qui l'a conduit à donner ou à léguer”. Ensuite elle dit que “lorsque par l'effet d'un événement indépendant de la volonté du donateur, la raison déterminante de la donation vient à défaillir ou à disparaître, le juge du fond peut constater la caducité de cette libéralité, si, d'après les termes mêmes de cette disposition ou l'interprétation de la volonté de son auteur, il est impossible de la séparer des circonstances qui l'ont amenée et sans lesquelles elle n'aurait pas de raison d'être”.Quelques observations :

✗ Cet arrêt a provoqué une grande émotion chez les notaires puisqu'il admet que la disparition de la cause puisse entraîner la caducité d'une libéralité alors qu'elle a déjà sorti tous ses effets! (Alors que normalement, la caducité s'applique à des actes en cours d'exécution, notamment à des contrats à prestations successives).

✗ La portée de cet arrêt était discutée : la règle qu'il énonçait était-elle propre aux libéralités ou était-elle au contraire applicable à tout contrat?• D'une part, certains ont soutenu que la règle énoncée par l'arrêt était générale en

tirant argument du libellé du moyen, qui était général (voir supra) ;• D'autre part, le libellé de l'arrêt permet de penser que seules les libéralités sont

visées. Deux arguments supplémentaires plaident en faveur de cette thèse

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restrictive : (1) le caractère gratuit d'un acte conduit souvent à admettre plus facilement sa remise en cause et (2) dans les actes à titre onéreux, la cause ne peut disparaître complètement que si la contrepartie objective disparaît, mais dans ce cas il ne se pose aucun problème puisqu'il y a disparition de l'objet (donc caducité par disparition de l'objet).

✗ Les termes “le juge du fond peut constater la caducité de cette libéralité, si [...]” telles conditions sont remplies signifient-ils que dans ce cas, le juge a le pouvoir de prononcer la caducité de la donation, ou qu'il a un pouvoir d'appréciation? Selon P. A. Foriers, le juge a un pouvoir d'appréciation dans la mesure où il doit examiner si la libéralité et sa cause sont inséparables dans l’esprit du donateur.

✗ P.A. Foriers explique la solution adoptée par la Cour par l'idée de condition résolutoire implicite : en effet, rien n'empêche de prévoir dans une convention que celle-ci prendra fin si sa cause disparaît.

DISPARITION DE LA CAUSE SUBJECTIVE – ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2000 (REVIREMENT) :

S. De T., fils unique, est impliqué dans une affaire internationale importante d'escroquerie et de recel. Après son placement en détention préventive, en 1980, son père le déshérite au profit de ses trois petits-enfants pour faire échapper le patrimoine familial aux poursuites des créanciers de son fils. Celui-ci est acquitté en première instance puis condamné en appel à 5 ans de prison ferme (1982). Peu après, le père décède et S. de T. renonce à sa succession. Mais un certain temps après, il introduit une procédure en révision, qui aboutit effectivement à un arrêt d'acquittement (1989)! Il demande dès lors à ses enfants de lui restituer la succession, mais l'un d'eux refuse. S. de T. décide donc, avec deux de ses enfants, d'agir pour contester la validité (a) du testament de son père et (b) de ses actes de renonciation. Les juges du fond ont accueilli la demande au motif que le testament et les actes de renonciation seraient devenus caducs. (P. A. Foriers : ne pouvait-on pas prétendre qu'il y avait nullité pour erreur sur la cause?). L'un des petits-enfants introduit un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel, où il remet en cause la jurisprudence de l'arrêt du 16 novembre 1989. Contre toute attente, la Cour de cassation accueille de pourvoi.

(a) DISPARITION DE LA CAUSE SUBJECTIVE ET LIBÉRALITÉS (à propos du testament) : la Cour rappelle qu'une libéralité peut être frappée de caducité par suite de la disparition de sa cause si “d'après les termes mêmes de cette disposition ou l'interprétation de la volonté de son auteur, il est impossible de la séparer des circonstances qui l'ont amenée et sans lesquelles elle n'aurait pas de raison d'être” mais énonce ensuite que “la disparition de la cause ne peut entraîner la caducité [d'une] libéralité [testamentaire] que pour autant qu'elle survienne avant le décès du testateur”. Elle précise à cet égard que la loi présume que la volonté du testateur a persisté jusqu'à son décès et que cette présomption implique que la cause de la libéralité testamentaire subsiste jusqu'à ce moment.Cet arrêt marque donc un revirement par rapport à celui du 16 novembre 1989. En effet, il n'y aurait aucune raison de traiter différemment les libéralités testamentaires et les donations sur ce plan : − les donations sortent tous leurs effets et deviennent irrévocables comme les

testaments au moment du décès de leur auteur ;− peu importe que le donateur survive à la donation puisque les donations sont

irrévocables et que, bien entendu, la volonté du donateur ne doit pas subsister jusqu'à son décès.

Selon P. A. Foriers donc, si la Cour de cassation devait se prononcer aujourd'hui à propos d'une donation, elle abandonnerait sa jurisprudence du 16 novembre 1989, ou du moins la circonscrirait dans de strictes limites (P. A. Foriers : dans le cas où les parties auraient implicitement, mais certainement, entendu faire de la disparition de la cause de leur acte une véritable condition résolutoire casuelle).

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(b) DISPARITION DE LA CAUSE SUBJECTIVE ET AUTRES ACTES JURIDIQUES (à propos de la renonciation à la succession)

L'arrêt du 21 janvier 2000 semble exclure la caducité pour disparition de la cause pour les autres actes, fussent-ils à titre gratuit. En effet, après avoir relevé que d'après les énonciations du juge du fond, les renonciations litigieuses ne constituaient pas des libéralités, la Cour rappelle que la cause est en règle une condition de validité d'un acte juridique mais poursuit en énonçant que “sa disparition ultérieure demeure, en règle, sans effet sur la validité de l'acte”.Cette solution doit être approuvée, tellement il est vrai qu'il n'existe aucune disposition légale ni aucun principe général de droit dont on pourrait déduire que les éléments nécessaires à la formation d'un contrat sont aussi nécessaires à sa survie.

DISPARITION DE LA CAUSE – CONCLUSION :

En règle donc, la disparition de la cause d'une acte ne devrait pas l'affecter. Toutefois, il existe des EXCEPTIONS à ce principe :

− lorsque la disparition de la cause entraîne une impossibilité d'exécution (tel est notamment le cas si c'est la cause objective qui est affectée ou en cas de décès ou faillite de la partie en considération de la personne de laquelle le contrat a été conclu dans les contrats intuitu personae ) ;

− lorsque la poursuite de l'exécution d'une convention qui a perdu sa raison d'être serait constitutive d'un abus de droit ;

− si les parties ont entendu de manière certaine assortir leur convention d'une condition résolutoire consistant dans la disparition de ce mobile. Dans ce cas, toutefois, il ne s'agira pas de caducité. Selon, P.A. Foriers, c'est la seule explication que l'on peut donner à l'arrêt du 16 novembre 1989.

Par ailleurs, rien en opportunité ne justifierait d'aller plus loin. En effet, dans de nombreux cas la disparition du mobile déterminant n'affecte pas à tel point la raison d'être de la convention que celle-ci ne puisse raisonnablement être maintenue, spécialement lorsque la convention a sorti tous ses effets.

c. La disparition du consentement

La disparition du consentement d'une des parties ne pourrait affecter la validité d'un contrat sauf si elle a un droit de résiliation unilatérale, mais dans ce cas il ne s'agit pas à proprement parler d'un cas de caducité.

d. La disparition de la capacité

La disparition de la capacité d'une des parties n'entraînera la caducité de la convention que si elle entraîne une impossibilité d'exécution, ce qui est plutôt exceptionnel (tel est notamment le cas en principe dans les contrats intuitu personae).

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B. LA FORMATION DES CONTRATS DU POINT DE VUE DYNAMIQUE

Ici, nous aborderons la question de savoir quand un contrat se forme. Le contrat se forme lorsque les volontés des parties se rencontrent sur les éléments essentiels et substantiels de celui-ci.Le plus souvent, la conclusion d'un contrat est précédée d'une phase de négociations, et ce n'est qu'exceptionnellement qu'il est le produit de deux volontés concomitantes.− Traditionnellement , on considère qu'une partie formule une proposition (l'offre), et que le

contrat se forme lorsque l'autre partie accepte cette proposition (acceptation).− Mais cette analyse est en général assez artificielle vu qu'en réalité, dans de nombreux

cas (spécialement lorsqu'il s'agit d'opérations complexes), la formation du contrat s'opère de manière progressive, par une succession d'accords partiels.

1. Les pourparlers préliminaires

a. Généralités

Souvent, la conclusion d'un contrat est précédée de pourparlers durant lesquels les parties formulent des propositions exploratoires sans volonté de s'engager définitivement (qui ne constituent donc pas des offres). Ex. ne constituent pas des offres, une proposition “sans engagement”, ni, a fortiori, un simple appel d'offres.En règle, les pourparlers préliminaires sont étrangers à la responsabilité contractuelle. Ils peuvent en revanche donner lieu à la culpa in contrahendo sanctionnée sur base des articles 1382 et 1383 du Code civil.Les pourparlers préliminaires peuvent présenter un intérêt sous l'angle de l'interprétation du contrat qui sera conclu.

b. Structuration des pourparlers préliminaires

Les pourparlers préliminaires sont souvent structurés lorsqu'ils sont complexes.• Les parties peuvent signer un accord de confidentialité, un accord d'exclusivité... De tels

accords constituent de véritables accords qui lient les parties.• Les parties peuvent aussi s'adresser des “lettres d'intention” et signer des “memorandum

of understanding”, des “protocoles d'accord” ou des “accord de principe”... La portée de ces documents peut être variable et selon les cas, ils peuvent avoir un caractère obligatoire ou non :

− ils peuvent contenir une véritable offre ou constituer un véritable contrat dont il ne reste plus qu'à négocier les éléments accessoires ;

− il peut aussi s'agir de documents destinés uniquement à encadrer la négociation, les parties réservant leur accord sur l'opération à conclure ;

− enfin, il peut s'agir d'accords définitifs sur certains éléments du contrat à conclure. Dans ce cas, on dira que le contrat se forme progressivement.

Si ces conventions revêtent un caractère obligatoire, elles peuvent donner lieu à une culpa in contrahendo de nature contractuelle.

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2. L'offre

a. Notion

L'offre implique l'émission d'une volonté définitive par l'une des parties, de sorte que cette volonté puisse être immédiatement acceptée par l'autre partie en vue de former le contrat.L'offre suppose donc 3 éléments essentiels :

1. L'offre doit contenir tous les éléments essentiels et substantiels du contrat à conclure.2. Elle implique la volonté du pollicitant de se lier définitivement par le seul fait de l'acceptation de l'autre partie.3. Elle doit être volontairement portée à la connaissance de l'autre partie.

b. La force obligatoire

En droit positif belge, l'offre trouve sa force obligatoire dans un engagement unilatéral de volonté (arrêt de la Cour de cassation de 1980).N.B. L'engagement par déclaration unilatérale de volonté comme source autonome d'obligations a dans un premier été rejeté, ce qui a eu pour conséquence que :− dans un premier temps, on a contesté le caractère obligatoire de l'offre en tant que telle (ce qui était

illogique) ;− rapidement, on a tenté de chercher un fondement le fondement obligatoire de l'offre et on l'a trouvé

− dans l'article 1382 du Code civil (cette analyse procède d'un raisonnement circulaire puisque pour que l'offrant commette une faute en retirant son offre, il faut que cette offre le lie)

− ou dans une sorte de contrat tacite distinct du contrat à conclure (cette analyse est artificielle, surtout en cas d'offre au public).

En France, les auteurs continuent à chercher le fondement de la force obligatoire de l'offre.

c. Les effets de l'offre

• L'OFFRE À UNE PERSONNE DÉTERMINÉE constitue un acte unilatéral réceptice qui lie son auteur lorsque le destinataire en a eu connaissance ou lorsqu'il a raisonnablement pu en avoir connaissance.Elle peut donc être révoquée pour autant que la révocation parvienne au destinataire au plus tard en même temps que l'offre elle-même.

• L'OFFRE AU PUBLIC constitue un acte unilatéral non réceptice qui lie l'offrant dès qu'il s'est extériorisé.

• DURÉE DE LA FORCE OBLIGATOIRE : l'offre lie le pollicitant − pendant le délai qu'elle indique− ou à défaut, pendant un délai raisonnable, qui sera apprécié par le juge, le cas

échéant suivant les usages propres à tel type de profession.

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3. L'acceptation

a. Principes

En principe, l'accepation ne forme le contrat que si elle est pure et simple .En revanche, si elle s'accompagne d'une contre-proposition, il s'agit d'une nouvelle offre, qui doit être acceptée par l'autre partie pour que le contrat se forme.

L'acceptation peut être expresse ou tacite.• Le simple silence ne constitue cependant pas en soi une acceptation, sauf texte légal

ou usage particulier contraire. Seul le silence circonstancié peut avoir un effet. Ex. :− tacite reconduction d'un bail en matière civile ;− en matière commerciale, la non protestation au reçu d'une facture ou d'un décompte relatif à une

opération implique en général un accord sur cette opération ;− l'exécution du contrat par l'autre partie au reçu de l'offre implique bien entendu son acceptation ;− dans certains secteurs, le défaut d'opposition dans un certain délai vaut acceptation de l'offre (en

vertu des usages).• Les parties peuvent convenir de la nécessité d'une acceptation expresse.

b. Eléments sur lesquels l'acceptation doit porter

Dans une conception classique, l'acceptation doit porter sur tous les éléments de l'offre, qu'ils soient essentiels ou accessoires.

Mais aujourd'hui on considère généralement que pour que le contrat se forme il suffit qu'il y ait un accord sur les éléments essentiels et substantiels de celui-ci.

− Les éléments essentiels sont les éléments sur lesquels l'accord des parties est requis par le droit (ex. le prix et la chose dans la vente).

− Les éléments substantiels sont les éléments qui sont accessoires ou secondaires en droit mais qui sont considérés comme essentiels aux yeux des parties (ex. le délai de livraison des sapins de Noël).

c. Les conditions générales

Elles se recontrent fréquemment dans la vie des affaires.

Elles peuvent être propres à une entreprise ou élaborées par une association professionnelle. Dans cette deuxième hypothèse, il peut qu'elles ne fassent que codifier les usages propres à un secteur d'activité. En ce cas, elles ont une force obligatoire qui n'est pas purement contractuelle.

Deux principes s'appliquent en matière de conditions générales (sauf si elles ne font que reproduire des usages) :

1°/ Les conditions générales ne lient les parties que pour autant qu'elles aient été ACCEPTÉES .

• Ce qui suppose tout d'abord qu'elles aient été PORTÉES À LA CONNAISSANCE de l'autre partie au plus tard au moment de la conclusion du contrat.

− Tel est le cas de conditions générales lisibles figurant au verso d'une offre si une mention du recto y renvoie.

− Mais en règle on ne pourrait tenir compte de conditions figurant au verso d'une facture (la question est toutefois controversée), sauf si les parties étaient en

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relation d'affaires et ont implicitement convenu de soumettre l’ensemble de ces relations à ces conditions, ou si les conditions ne font que reproduire le droit commun ou les usages.

• Les conditions générales doivent ensuite être ACCEPTÉES par l'autre partie.Tel n'est pas le cas si l'acceptation se réfère elle-même à des conditions générales qui excluent les conditions de l'autre partie.En effet, en Belgique, on considère généralement qu'en cas de conflit de conditions générales, les conditions générales contradictoires s'annulent réciproquement.

2°/ Les conditions générales doivent CÉDÉR DEVANT LES CLAUSES SPÉCIALES QUI Y DÉROGENT .

La loi règle parfois l'opposabilité de certaines conditions générales.Ex. l'article 39 de la loi sur les pratiques du commerce établit que “les énonciations du bon de commande obligent celui qui l'a établi, nonobstant toutes conditions générales ou particulières, autres ou contraires”.

4. La formation du contrat entre parties non présentes

• Selon la Cour de cassation de Belgique, le contrat naît au moment et à l' endroit où l'offrant a pris ou a pu prendre connaissance de l'acceptation émanant du bénéficiaire de l'offre : il s'agit de la THÉORIE DE LA RÉCEPTION .C'est la solution la plus logique. Elle part de l'idée que l'acceptation est un acte unilatéral réceptice.L'acceptation émise pourrait donc être retirée pour autant que l'acte de retrait parvienne à l'offrant au plus tard en même temps que l'acceptation.

• Ce système n'est pas d'ordre public et les parties pourraient donc convenir d'une autre formule.

• Un autre grand courant s'oppose à la théorie de la réception, aussi bien sur le plan interne qu'en droit comparé : il s'agit de la THÉORIE DE L'ÉMISSION , selon laquelle en règle, il suffit que l'acceptation se soit exprimée pour que le contrat naisse, sans qu'elle ne doive toucher l'offrant.

5. La culpa in contrahendo (faute commise dans le cadre des pourparlers préliminaires)

a. La responsabilité précontractuelle – fondement

• Selon l'opinion généralement admise en Belgique et en France, les éventuelles fautes commises lors des pourparlers préliminaires ne peuvent en principe être que de nature extra-contractuelle.Certains estiment toutefois que la responsabilité précontractuelle serait de nature contractuelle en raison d'un contrat tacite de négociation, ce qui semble artificiel.

• Les parties peuvent toutefois entourer leurs négociations de conventions (“avant-contrats”) dont la violation donne lieu à la responsabilité contractuelle de la partie en tort.

• Il faut distinguer la problématique de la culpa in contrahendo de celle du retrait abusif d'une offre.

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b. Cas d'application principaux

− RUPTURE TARDIVE DE NÉGOCIATIONS : cette faute consiste à tirer des négociations en longueur en laissant croire à l'autre partie que le contrat sera conclu et ensuite à rompre les pourparlers pour un motif qui aurait pu être invoqué plus tôt.Remarques :

− Dans la jurisprudence, il y a souvent une confusion entre la rupture tardive de négociations et le refus par une des parties à la négociation de reconnaître la naissance d'un contrat valablement formé suite à un accord sur les éléments essentiels et substantiels de celui-ci (par exemple parce les parties ne sont pas d'accord sur certains éléments accessoires du contrat). Dans ce dernier cas, il y a une inexécution du contrat, qui relève de la responsabilité contractuelle.

− La rupture tardive de négociations n'est pas nécessairement fautive. Ex. on annonce que le contrat ne sera conclu que si le conseil d'administration donnera son aval ; celui-ci ne l'accorde pas ; il n'y aura pas de faute si on l'annonce sans tarder.

− Les dommages-intérêts seront en général limités. Le reproche est d'avoir exposé l'autre partie à certains frais pour les besoins de la poursuite de la négociation et éventuellement de l'avoir empêchée de négocier plus rapidement avec une autre partie.

− CONCLUSION D'UN CONTRAT NUL : le fait de provoquer le conclusion d'un contrat affecté d'une cause de nullité peut, dans certains cas, être constitutif d'une faute (en cas de dol, parfois de défaut d'information, ou si l'on provoque la conclusion d'un contrat contraire à des dispositions impératives ou d'ordre public).

− DÉFAUT D'INFORMATION – MANQUEMENT AU DEVOIR DE CONSEIL : même si le contrat n'est pas frappé de nullité.

− DEVOIR DE CONFIDENTIALITÉ : constitue une faute, le fait de divulguer des informations confidentielles communiquées dans le cadre d'une négociation. Mais si les parties ont conclu des accords de confidentialité, les manquements à celui-ci donnent lieu à la responsabilité contractuelle de la partie en tort.

− EXCLUSIVITÉ : si les parties n'ont pas conclu un contrat d'exclusivité (dont les manquements donnent lieu à la responsabilité contractuelle), en principe, rien n'empêche de négocier avec plusieurs parties pour conclure la même opération. Toutefois, dans certaines circonstances, il se peut qu'il soit sous-entendu que les parties ont un devoir d'exclusivité.

− NON RENOUVELLEMENT BRUTAL D'UN CONTRAT (ALORS QUE RIEN NE LAISSAIT PRÉSAGER CE NON RENOUVELLEMENT) : dans certaines circonstances, la bonne foi impose au cocontractant d'avertir en temps utile l'autre partie de son intention de ne pas renouveler un contrat en cours (en cas de relation d'affaires de longue date, ou si les circonstances peuvent légitimement faire penser à l'autre partie qu'il y aura renouvellement).

− AUTRES HYPOTHÈSES : il y a culpa in contrahendo si une partie manque à la bonne foi qui doit présider aux négociations.

c. Sanction

En règle, si le contrat n'est pas conclu, la victime ne peut demander la perte du bénéfice du contrat escompté. Elle ne pourrait que demander la réparation d'un autre préjudice, tel que les frais des négociations rompues tardivement, la perte de la chance d'avoir pu contracter avec une autre partie parce que le négociation impliquait une certaine exclusivité, etc.

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Page 53: Droit Des Obligations

6. Le contrat obligatoire – le refus de contracter

a. Principe : liberté contractuelle et liberté du commerce et de l'industrie (décret d'Allarde des 2-17 mars 1791)

Le principe de la liberté contractuelle, lié au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, implique le droit de contracter ou de ne pas contracter. Ce principe connaît toutefois de très nombreuses exceptions.

b. Les limites légales spécifiques au droit de ne pas contracter

• PROTECTION SPÉCIFIQUE DE CERTAINES CATÉGORIES SOCIALES : ex. : renouvellement quasi automatique du bail à ferme.

• ENTREPRISES EXPLOITANT UN SERVICE PUBLIC : ÉTAT D'OFFRE PERMANENTE : il s'agit d'un principe traditionnel de droit administratif.

• DROIT ÉCONOMIQUE : (a) DISPOSITIONS LIÉES À LA RÉGLEMENTATION DES PRIX

On peut citer à cet égard la loi sur la réglementation économique et les prix (arrêté-loi du 22 janvier 1945 modifié par la loi du 30 juillet 1971), qui interdit de vendre à des prix anormalement élevés (= principe du “prix normal”), permet au ministre de l'Economie de conclure des contrats de programme et de fixer des prix maximaux, et instaure l'infraction pénale de refus de vente.

(b) DROIT ANTITRUST (droit européen et droit belge) Le refus de vente est illicite− s'il procède d'un accord ou d'une pratique concertée contraires à la loi du 5 août

1991 sur la protection de la concurrence économique ou à l'article 85 du traité CE− s'il procède d'un abus de position dominante réprimé par la loi du 5 août 1991 ou

l'article 86 du traité CE.

c. Le refus de contracter et le droit commun : art. 1382 du Code civil, abus de droit, acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale

Le refus de vente peut dans certaines circonstances être constitutif − d'un abus de droit− ou d'une faute : tel est le cas s'il constitue un acte contraire aux usages honnêtes en

matière commerciale (articles 93 et 94 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce ; une action en cessation est alors ouverte).

Ainsi,

− divers actes de boycott ont été condamnés lorsqu'ils avaient pour but d'éliminer un concurrent ou une entreprise gênante sur le marché ;

− le refus de contracter individuel peut aussi être illicite dans certaines conditions, par exemple s'il tend à éliminer une entreprise du marché, s'il tend à causer un préjudice à un concurrent en procédant à une discrimination totalement injustifiée, ... ;

− la brusque rupture d'une relation d'affaires peut être abusive.

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7. La promesse unilatérale de contrat

a. Notion – cas d'application – pacte de préférence

DÉFINITION : convention par laquelle une personne (le promettant) s'engage vis-à-vis d'une autre (le bénéficiaire) à conclure avec cette dernière, à son option, un contrat dont tous les éléments essentiels et substantiels sont déterminés ou déterminables.

QUELQUES OBSERVATIONS : − Les parties stabilisent donc une offre dans le cadre d'un engagement contractuel (la

promesse de contrat est un contrat à la différence de l'offre).− Ce type de convention est en principe licite, mais il peut poser des problèmes en cas de

contrats réels ou solennels si le caractère réel ou solennel du contrat vise à protéger le promettant (ex. promesse de don manuel, d'hypothèque...).

− Le contrat final naît à la levée de l'option sans effet rétroactif.

CAS D'APPLICATION : options d'achat et de vente, promesse d'hypothèque, promesse de bail, promesse de prêt.

LE PACTE DE PRÉFÉRENCE : • Il s'agit d'une convention par laquelle une partie (le promettant) propriétaire d'un bien

s'engage vis-à-vis d'une autre personne (le bénéficiaire) à lui offrir ce bien en vente à telles conditions déterminées ou déterminables au cas où elle déciderait de le vendre, en sorte qu'elle serait préférée à un autre acquéreur. Exceptionnellement, le pacte de préférence peut porter sur un autre contrat qu'une vente (par exemple un bail).

• Le pacte de préférence est souvent l'accessoire d'un autre contrat (ex. un bail).• La nature du pacte de préférence est controversée. En général on considère qu'il

s'agit d'une promesse unilatérale de contrat assortie d'une condition suspensive simplement potestative.M. Van Ommeslaghe objectait à cette analyse que le droit sur l'objet du pacte de préférence était doublement éventuel, puisqu'il supposait (1) une volonté de vendre et (2) la levée de l'option. Mais il ne faut pas confondre le contrat lui-même, qui est conditionnel, et le droit sur la chose objet du droit de préférence, qui est éventuel.

b. Régime de la promesse unilatérale de contrat

CONDITIONS DE VALIDITÉ, DURÉE ET MODALITÉS DE LA PROMESSE DE CONTRAT :

− Les conditions de validité de la promesse de contrat sont celles de tout contrat. Il faut notamment qu'elle comprenne tous les éléments nécessaires pour que le contrat puisse valablement se former au moment de la levée de l'option.

− La durée de la promesse est généralement fixée par les parties. A défaut de durée expresse ou implicite, P.A. Foriers estime qu'il convient d'appliquer les principes relatifs aux contrats à durée indéterminée (le promettant pourra donc résilier unilatéralement la promesse moyennant un préavis raisonnable).

− La promesse unilatérale de contrat peut être assortie de modalités.− Elle peut être consentie à titre gratuit ou onéreux.

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Page 55: Droit Des Obligations

EFFETS DE LA PROMESSE DE CONTRAT ENTRE PARTIES :

(a) EFFETS AVANT LA LEVÉE DE L'OPTION :

• Le promettant est tenu d'une obligation de faire : maintenir la promesse aux conditions convenues.

• Cette obligation de faire engendre en général une obligation dérivée de ne pas faire : ne rien faire qui puisse empêcher l'exécution du contrat promis lors de la levée de l'option (ex. ne pas vendre le bien faisant l'objet d'une option d'achat).

• La promesse unilatérale de contrat peut donc porter sur la chose d'autrui et il suffit, dans l'hypothèse d'une option d'achat, que le promettant ait la propriété du bien lors de la levée de l'option.

• Les risques sont à charge du promettant, même en cas d'option d'achat.• Le bénéficiaire a un droit de créance cessible sauf convention contraire.

En principe, sauf controverse, le cédant ne doit pas garantir la solvabilité du cessionnaire vis-à-vis du promettant. Le promettant a donc tout intérêt à interdire la cession ou subordonner celle-ci à l'engagement solidaire du cédant.

(b) EFFETS À LA LEVÉE DE L'OPTION :

• Si la levée de l'option est régulière, un contrat parfait se substitue à la promesse de contrat mais sans rétroactivité. C'est à ce moment que la validité du contrat devra être appréciée.

• Le promettant ne peut empêcher la naissance du contrat promis, même si celui-ci peut être frappé de nullité. Ceci a amené des auteurs français à enseigner que la promesse de contrat ferait naître un droit potestatif au profit du bénéficiaire, puisque l'inexécution de la promesse serait inconcevable. Toutefois, cette analyse est inexacte (v. cours de contrats spéciaux).

• En cas d'inexécution de la promesse, le bénéficiaire pourra le plus souvent• soit agir sur base de la promesse inexécutée pour demander ne principe

des dommages-intérêts,• soit lever l'option et agir sur base du contrat né et inexécuté (demander

son exécution en nature si elle est possible).

(c) EFFETS SI LA PROMESSE N'EST PAS LEVÉE DANS LE DÉLAI :

Dans ce cas, la promesse de contrat est caduque et le promettant est délié de son obligation.

(d) EFFETS DE LA PROMESSE DE CONTRAT À L'ÉGARD DES TIERS :

En vertu de l'article 1165 du Code civil, la promesse de contrat ne produit aucun effet interne à l'égard des tiers, qui demeurent donc libres de contracter avec le promettant sauf tierce complicité.Si le tiers est de bonne foi, le bénéficiare n'aura donc en principe qu'un recours en dommages et intérêts contre le promettant. S'il est de mauvaise foi, le bénéficiaire pourra agir contre le promettant et le tiers pour faire déclarer inopposable le contrat conclu avec ce dernier, en guise de réparation en nature de la fraude ou de la faute du tiers.

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Page 56: Droit Des Obligations

C. QUESTIONS PARTICULIERES A LA FORMATION DU CONTRAT

1. La théorie de la représentation

a. Notion de représentation

DISTINCTION ENTRE REPRÉSENTATION PARFAITE, IMPARFAITE ET EN DEUX TEMPS :

• La REPRÉSENTATION PARFAITE est un mécanisme permettant à une personne (le représentant) d'accomplir un acte juridique qui produira directement ses effets à l'égard d'une autre personne (le représenté). Elle suppose que le représentant (1) ait le pouvoir de représentation et (2) agisse au nom du représenté (et en principe pour le compte du représenté17), en sorte que l'acte conclu par le représentant puisse naître directement dans le chef du représenté.

• La REPRÉSENTATION IMPARFAITE ,en revanche, ne fait naître, en droit positif belge, aucune représentation (sauf controverses – voir ci-après). Cette notion est le plus souvent appliquée au commissionnaire, au prête-nom ou à l'associé gérant d'une association en participation. Sauf controverses (voir ci-après), il n'y a pas d'actions directes entre le mandant et le tiers cocontractant du mandataire non représentatif et le bénéfice de l'acte sera certes transféré au mandant, mais par un mécanisme étranger à celui de la représentation.

• Enfin, il est des cas où la REPRÉSENTATION opère EN DEUX TEMPS . Il s'agit en quelque sorte d'une situation intermédiaire entre représentation parfaite et imparfaite. On peut citer principalement la ratification et la clause de réserve d'élection de command.

DISTINCTION ENTRE REPRÉSENTATION CONVENTIONNELLE, LÉGALE ET JUDICIAIRE :

Cette distinction traditionnelle se fonde sur la nature de la source de la représentation. On peut citer respectivement le mandat, la représentation légale des incapables et l'administrateur provisoire d’une société désigné par le juge des référés. On soulignera le caractère très relatif de cette distinction. En effet,

− si les parties peuvent attacher un effet de représentation au mandat, c'est parce que la loi a consacré ce concept ;

− les organes des personnes morales sont-ils des représentants légaux ou conventionnels??

− certains “mandataires de justice”, comme les curateurs de faillite, sont certes désignés par le juge, mais voient leurs pouvoirs définis par la loi.

17 Dans de rares cas, le mandataire n'agit pas pour le compte du mandant. On a, dans ces cas, une procuration dans l'intérêt personnel du mandataire (en droit romain, cette institution, la procuratio in rem suam, était utilisée pour réaliser des cessions de créance ; récemment, le tribunal de commerce de Bruxelles a estimé qu'il y avait une telle procuratio in rem suam dans une espèce où une mère avait ouvert un carnet de dépôt en banque au nom de sa fille, carnet sur lequel elle déposait de l'argent mais sur lequel elle avait aussi un mandat grâce auquel elle pouvait utiliser cet argent).

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b. La représentation parfaite

MÉCANISME GÉNÉRAL :

La représentation parfaite suppose(1) un pouvoir de représentation (conventionnel, légal ou judiciaire) (2) que le représentant agisse au nom du représenté, en sorte que le tiers cocontractant accepte de conclure avec ce dernier.

Classiquement, on enseigne que la représentation ne peut avoir pour objet que des actes juridiques. Mais cette thèse est très discutable (voir ci-après).L'acte accompli par le représentant lie directement le représenté, tandis que le représentant s'efface de la relation juridique et n'est donc pas, sauf convention contraire, garant de la bonne exécution des obligations du représenté.Le représentant semble donc être un tiers au contrat conclu par son entremise. Toutefois, ceci n'est pas tout à fait exact (voir ci-après). En réalité, le contrat est conclu par sa volonté à lui (le représentant) et c'est dans son chef que les vices de consentement seront appréciés. Le représentant est une partie au contrat, mais une partie particulière, puisqu'il n'est pas lié par celui-ci.

Cette analyse est cohérente sachant qu'il semble qu'il faille assimiler le mandataire qui intervient dans l'exécution d'une obligation contractuelle au nom du mandant à un substitué ou à un agent d'exécution du mandant, de sorte qu'il ne serait pas “un tiers au regard de l'exécution du contrat en cause” (v. jurisprudence relative aux agents d'exécution). Par conséquent, il pourrait se prévaloir de l'interdiction jurisprudentielle du cumul des responsabilités contractuelle et extracontractuelle à l'égard du tiers cocontractant qui envisagerait d'agir contre lui sur la base quasi-délictuelle18. P.A. Foriers déduit cette règle de l'arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 1997, qui assimile l'organe d'une société qui exécute une obligation contractuelle au nom de la société qu'il représente au sous-traitant, au préposé ou à l'agent d'exécution : en effet, selon lui, si cette règle s'applique à l'organe, elle devrait aussi s'appliquer au mandataire. Il en résulte que le mandataire jouit d'une certaine immunité, mais celle-ci est due non à un mécanisme de représentation, mais aux règles des cumuls de responsabilités, qui ne sont pas à l'abri de toute critique.

Si le représentant agit en dehors de ses pouvoirs ou sans pouvoir, − le représenté n'est pas lié, sauf pouvoir apparent de représentation ou ratification ;− le représentant n'est pas non plus lié sur le plan contractuel, puisqu'il a agi au nom

d'autrui. Mais il pourrait voir sa responsabilité aquilienne engagée s'il a induit le tiers cocontractant en erreur sur l'étendue de ses pouvoirs.

REPRÉSENTATION PARFAITE ET FAITS JURIDIQUES : LA QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ DU REPRÉSENTÉ DU CHEF DES MANQUEMENTS COMMIS PAR LE REPRÉSENTANT :

C'est une question controversée. Classiquement, on considère que le représentation ne peut avoir lieu que pour des actes juridiques et non pour des faits juridiques. Il ne pourrait donc pas avoir de représentation du chef des délits ou quasi-délits commis par le représentant dans le cadre de ses fonctions. Il en résulte que le tiers cocontractant du représentant ne pourrait demander des dommages-intérêts au représenté en raison d'un dol ou d'une culpa in contrahendo du représentant. Il pourrait néanmoins demander la nullité du contrat en cas de vice de consentement19.Mais en réalité, si on examine le droit positif, il n'en est pas ainsi : en effet, dans de

18 En l'absence d'une infraction pénale, le tiers cocontractant devra donc démontrer non seulement que le manquement contractuel commis par l'intermédiaire du mandataire constitue aussi une faute aquilienne, mais encore qu'il a subi un dommage pas purement contractuel.

19 A cet égard, M. Grégoire et M. Von Kuegelgen ont soutenu que le tiers cocontractant ne pouvait demander la nullité du contrat pour dol que si l'erreur qu'il avait provoquée était substantielle et excusable. En effet, comment le tiers cocontractant pourrait-il se prévaloir du dol (en tant que tel) alors qu'il provient du mandataire et ne peut être imputé au mandant (sachant que le dol n'est cause de nullité que s'il émane d'une partie au contrat)? Toutefois, cette analyse ne convainc pas P.A. Foriers qui souligne que le mandataire n'est pas un tiers au contrat – il est une partie au contrat, même s'il est une partie particulière puisqu'il stipule non pour soi-mêm,e mais pour autrui, et n'est donc pas lié par le contrat.

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nombreux cas, le représenté répond des manquements contractuels ou extra-contractuels du représentant, par le biais de divers détours (ces détours entretiennent néanmoins d'étroites relations avec l'idée de représentation). Les “zones claires” sont bien plus vastes que les “zones d'ombre”.

(a) LES SITUATIONS CLAIRES :

(i) Les manquements du mandataire à ses obligations vis-à-vis du mandant :

Le plus souvent, si le mandataire exécute mal ses obligations à l'égard de son mandant, le tiers cocontractant ne sera pas concerné (souvent, d'ailleurs, le fait que le mandataire aura mal servi les intérêts de son mandant lui sera favorable). A défaut de dommage, le tiers ne pourra donc agir en responsabilité contre le mandataire ou le mandant.

Si néanmoins la faute du mandataire retentit sur le tiers (ce qui est rare), il sera très largement protégé. En effet :

(1) Il est constant que le mandant, ou plus généralement le représenté, ne saurait se prévaloir du fait fautif de son mandataire à titre de cas de force majeure ou de cause étrangère. Pourquoi?

− Si le représentant est un organe, cette règle découle du fait que les actes ou les faits de l'organe sont réputés être les actes ou les faits de la personne morale.

− Dans les autres cas, la règle s'explique par l'idée que le débiteur qui se substitue en tout ou partie un tiers pour l'exécution d'une obligation est tenu des manquements de son substitué. Mais la règle ne concerne pas seulement les obligations contractuelles, elle s'applique aussi par exemple au respect d'un délai de procédure. Ainsi, si l'avocat ou l'huissier laisse passer un délai de procédure, le mandant ne pourrait s'en prévaloir comme cas de force majeure.

(2) Si le mandataire excède ses pouvoirs, le mandant ne pourrait s'en prévaloir à l'égard du tiers de bonne foi. Cette solution se déduira dans la plupart des cas des dispositions relatives au mandat, ou, parfois, de la théorie générale de l'apparence.

Le mandant doit donc supporter les manquements du mandataire à son égard, sauf son recours contre celui-ci. Il semble que la solution puisse, en principe, être étendue aux autres cas de représentation.

(ii) Les représentants chargés de l'exécution d'une convention conclue ou non par leur entremise : responsabilité du représenté du chef de leur manquement au contrat :

Si le mandant (représenté) charge son mandataire (représentant) de l'exécution d'une convention conclue ou non par son entremise, il répond de ses manquements.

S'agissant des organes des personnes morales, la solution s'explique par le fait que l'organe s'identifie à la personne morale qu'il représente.

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S'agissant du mandat, la solution peut s'expliquer de deux manières, mais nous préférons la deuxième :

• selon une explication artificielle, elle découlerait du mécanisme de la représentation puisque le paiement, au sens d'exécution volontaire d'une obligation, est (en général) considéré comme un acte juridique ;

• elle peut s'expliquer par la responsabilité d'une partie à un contrat à l'égard de l'autre du chef des manquements de son sous-traitant, de son substitué ou de son agent d'exécution (responsabilité contractuelle pour autrui – article 1384 alinéa 3 du Code civil).

(iii) Les fautes délictuelles ou quasi-délictuelles des organes des personnes morales :

Il est constant que la règle classique selon laquelle la représentation ne vaut que pour les actes juridiques ne s'applique pas à la représentation organique, en raison du principe de l'identification de l'organe à la personne morale qu'il représente.N.B.

− La personne morale peut intenter une action récursoire contre son organe dans la mesure autorisée par le contrat ou le régime statutaire qui les lient. Si l'organe est dans les liens d'un contrat de travail, cette action récursoire pourrait être limitée par l'article 18 de la loi sur le contrat de travail. Si l'organe est un magistrat, ce recours peut être limité par les règles relatives à la prise à partie.

− L'organe est personnellement responsable de ses fautes quasi-délictuelles. Encore faudra-t-il que les règles de concours de responsabilités contractuelle et extra-contractuelle ne s'opposent pas à l'action en responsabilité du tiers (cass. 7 novembre 1997). A nouveau, des règles spéciales peuvent apporter des limites à cette responsabilité, tels l'article 18 de la loi sur le contrat de travail ou les règles relatives à la prise à partie des magistrats.

− Si l'organe bénéficie d'une immunité personnelle, cela n'empêche pas d'agir contre la personne morale qu'il représente.

(iv) Les représentants préposés au sens de l'article 1384, al. 3 du Code civil :

Si le représentant a la qualité de préposé du représenté, celui-ci est responsable de ses fautes en vertu de l'article 1384, al. 3 C. civ. (responsabilité des commettants du chef des fautes de leurs préposés).

Remarque : la responsabilité des commettants pour les fautes de leurs préposés

Nous avons vu que si le représentant a la qualité de préposé du représenté ou est chargé par celui-ci de l'exécution d'une convention, ce dernier répond des manqements du représentant sur base de l'article 1384, al. 3 C. civ.A cet égard, il faut noter que le mécanisme de responsabilité contractuelle pour autrui a parfois été expliqué par l'idée de représentation (le préposé représenterait le commettant). Toutefois, cette analyse est contestable et il vaut mieux y voir une responsabilité objective du commettant (objective puisque le commettant ne peut y échapper en démontrant par exemple qu'il aurait parfaitement exécuté son obligation de surveillance).

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(b) LES ZONES D'OMBRE :

(i) Thèse classique :

Reste à analyser l'hypothèse des fautes extra-contractuelles commises par des représentants ni organes, ni préposés dans le cadre de l'accomplissement de leurs fonctions. Il s'agit essentiellement de mandataires indépendants.Si l'on suit la thèse classique selon laquelle la représentation ne vaudrait que pour les actes juridiques, ces fautes ne pourraient lier le mandant (représenté) et n'engageraient que le mandataire (représentant). Le tiers cocontractant du mandataire ne pourrait donc demander des dommages-intérêts au mandant en raison d'un dol ou d'une culpa in contrahendo du mandataire. Tout au plus pourrait-il demander la nullité du contrat en cas de vice de consentement.Néanmoins, un sérieux tempérament doit être apporté : la responsabilité du mandant peut être engagée directement s'il a lui-même commis une faute. Ex. parce qu'il est complice du dol, parce qu'il l'a encouragé à commettre un fait illicite, parce qu'il n'a rien fait pour ramener son mandataire à la raison alors qu'il savait qu'il s'engageait sur une voie critiquable... Mais ce tempérament est étranger à toute idée de représentation.

(ii) Le droit positif – appréciation :

Le droit positif se démarque de la doctrine classique .

En droit français, le mandant est en règle responsable des fautes accomplies par le mandataire dans le cadre de sa mission (dol, fraude, détournement, simple faute...). L'immunité est l'exception (dépassement du mandat ou infraction pénale).

La Cour de cassation de Belgique s'est engagée dans la même voie, mais avec plus de prudence, dans deux arrêt de 1985 et 1987, selon lesquels le mandant est responsable de la faute extra-contractuelle du mandataire si celle-ci est intimement liée à l'objet qu'il accompli t .

• Dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 22 avril 1985, le secrétaire du syndicat d'un employé avait envoyé au nom de ce dernier une lettre injurieuse à son employeur, suite à quoi celui-ci avait licencié l'employé pour motif grave, en raison des termes injurieux de la lettre. La Cour du travail de Gand a considéré que l'envoi de la lettre constituait l'exécution d'un mandat conféré par l'employé et a décidé que le congé n'était pas valable parce que la faute émanait du mandataire (le syndicat) et ne pouvait engager la responsabilité du mandant (l'employé). La Cour de cassation casse l'arrêt aux motifs que “les fautes commises par le mandataire dans l'exécution de sa mission sont imputables au mandant” et que l'arrêt n'a pas constaté que le mandataire avait outrepassé ses pouvoirs.L. Simont a montré que malgré les termes généraux de cet arrêt, sa portée semble devoir limitée à l'hypothèse où le mandataire a, dans les limites de son mandat, accompli un acte juridique qui constitue en même temps un quasi-délit à l'égard des tiers.

• L'arrêt du 21 septembre 1987 confirme cette analyse. Il décide que le mandant est responsable des actes du [mandataire] accomplis dans le cadre de sa mission, et notamment “pour les actes illicites que le [mandataire] a commis lors de la conclusion de son contrat avec le cocontractant et qui sont inhérents à l'acte juridique [...]”20. En d'autres termes, le mandant est tenu des délits et quasi-délits indissociables de l'acte juridique sur lequel le mandat porte. En effet, s'ils ne sont pas indissociables de l'acte juridique à accomplir, le mandataire qui les a commis a dépassé les limites de son pouvoir et le mandant ne peut donc être tenu – et vice versa (dixit De Page). Dans ce système, le tiers cocontractant victime d'un dol du mandataire pourrait non seulement demander la nullité de l'acte pour vice de

20 En réalité, dans cette espèce, un tiers avait ratifié une convention de porte-fort, suite à quoi il était devenu mandant.

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consentement, mais aussi réclamer des dommages-intérêts au mandant.• Cette jurisprudence a été confirmée de manière très claire est 2000.

• A ce jour, la Cour de cassation ne semble pas avoir été plus loin, mais la voie est ouverte...

De manière générale, on peut par ailleurs s'interroger sur le fondement même de la règle selon laquelle la représentation ne se conçoit que pour des actes juridiques.

• La représentation organique et l'exemple français montrent qu'il n'y a pas d'obstacle de principe à un mécanisme de représentation pour des faits juridiques.

• En matière de représentation conventionnelle, le motif qui conduit à l'affirmation que la représentation ne vaut que pour des actes juridiques est qu'on conçoit mal que le mandant donne le pouvoir au mandataire d'accomplir un délit ou un quasi-délit (d'ailleurs, s'il le faisait, il commettrait lui-même une faute de sorte que le tiers lésé pourrait agir directement contre lui sur base de sa faute personnelle). Les fautes extra-contractuelles du mandataire excèdent normalement l'objet de sa mission, en sorte que le mandant ne pourrait en principe être lié. Il s'agit donc d'une question de pouvoir et non d'une impossibilité conceptuelle.

• Il s'ensuit qu'on conçoit que des dérogations puissent être apportées au principe, d'autant plus que les tiers (1) peuvent se fier aux termes de la procuration et (2) le cas échéant se prévaloir des pouvoirs apparents du mandataire (théorie du mandat apparent) (il ne s'agit donc dans ces cas pas de tenir compte des pouvoirs réels du mandataire).

• Pour P.A. Foriers, l'affirmation selon laquelle la représentation ne vaut que pour les actes juridiques n'a pas de fondement rationnel. Selon lui, il faut considérer qu' aux yeux des tiers, en principe, les actes illicites commis par le mandataire dans l'accomplissement de son mandat entrent dans les limites de celui-ci , même s'ils ne sont pas inséparables de l'acte juridique que le mandataire conclut. Mais ce, dans les limites du raisonnable : il faut apprécier de manière raisonnable si le quasi-délit du mandataire est apparu à la victime comme s'inscrivant dans le mandat. Ce n'est qu'à cette condition qu'il pourra lier le mandant. Ainsi,

– il serait excessif de rendre le mandant responsable des infractions pénales que le mandataire accomplirait à l'occasion de sa mission et qui ne consisteraient pas en des manquements contractuels ou ne s'identifieraient pas à des actes juridiques ;

– le mandataire (à la différence du préposé ou de l'organe, qui occupent des fonctions permanentes) est souvent chargé d'une mission spéciale, ce qui fait qu'il ne s'identifie que rarement aux teux des tiers à son mandant. ex. il serait déraisonnable de considérer que le mandant serait tenu de réparer les conséquences d'un accident de circulation causé par son mandataire alors qu'il accomplissait sa mission.

• Dans un tel système, ce n'est qu'assez rarement que le représenté pourra échapper aux conséquences des fautes de son représentant qui se rattachent aux yeux des tiers à sa mission.

(iii) Représentation en matière aquilienne et responsabilité personnelle du représentant :

Classiquement, la circonstance que le représenté puisse être tenu des quasi-délits de son représentant n'exclut pas la responsabilité personnelle de ce dernier sur base de l'article 1382 du Code civil. En effet, on n'aperçoit pas a priori pourquoi le représentant qui commet un délit ou un quasi-délit devrait échapper à l'application de l'article 1382 du Code civil. La solution est traditionnelle pour les organes (même si elle est critiquée notamment par V. Simonart en raison de l'identification de l'organe à la personne morale) et vaut a fortiori pour les mandataires.

Un important arrêt de la Cour de cassation du 5 avril 1921 se prononce en ce sens : “le mandataire qui, même dans l'exécution de son mandat, commet un quasi-délit causant à autrui un dommage, tenu personnellement de le réparer, sans préjudice du point de savoir si le tiers n'a pas, en outre, le cas échéant, un recours contre le mandant”.

L'arrêt du 7 novembre 1997 apporte un tempérament à ces principes en assimilant

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l'organe qui exécute une obligation contractuelle au nom de la société qu'il représente à un agent d'exécution ou un substitué, ce qui entraîne l'application à son égard des règles relatives au concours de responsabilités contractuelle et extra-contractuelle : “lorsqu'une partie contractante agit par un organe, un préposé ou un agent pour l'exécution de son obligation contractuelle, celui-ci ne peut être déclaré responsable sur le plan extra- contractuel que si la faute mise à sa charge constitue un manquement non à une obligation contractuelle mais à l'obligation générale de prudence et que si cette faute a causé un dommage autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat”. Selon P.A. Foriers, cette règle vaut aussi pour les mandataires.

Cette solution n'est pas dénuée de pertinence parce que dans la pratique, la distinction entre agent d'exécution, substitué et sous-traitant, d'une part, et représentant, d'autre part, lorsqu'ils exécutent une obligation contractuelle, est ténue et qu'il peut paraître inéquitable de traiter les mandataires plus sévèrement que de simples agents d'exécution. Mais elle conduit aussi à cette conséquence surprenante que si des administrateurs (organes) commettaient des fautes de gestion qui constituent un quasi-délit, les créanciers impayés ne pourraient agir contre eux, puisque leur dommage serait nécessairement contractuel.

L'arrêt (révolutionnaire) du 16 févier 2001 va encore plus loin, mais la Cour de cassation opère un revirement et revient en quelque sorte à sa jurisprudence de 1921 dans un arrêt du 20 juin 2005. En revanche, selon P.A. Foriers, ce dernier arrêt ne semble pas remettre en cause la solution de l'arrêt du 7 novembre 1997.

• L'arrêt du 16 février 2001 décide que “lorsqu'un organe d'une société ou un mandataire agissant dans le cadre de son mandat commet une faute ne constituant pas un délit au cours de négociations donnant lieu à la conclusion d'un contrat, cette faute, engage non pas la responsabilité de l'administrateur ou du mandataire , mais celle de la société ou du mandant ”.Quelle est la portée de cet arrêt?

✗ Selon certains, il étendrait la solution de l'arrêt de 1997 à la phase précontractuelle. Cette analyse semble inexacte puisqu'il est constant que la phase précontractuelle donne lieu, en principe, à des rapports extra-contractuels et non contractuels, et qu'il ne saurait donc être question de concours de responsabilités contractuelle est extra-contractuelle.

✗ Selon la seconde interprétation, qui semble la plus probable, cet arrêt opère un revirement total par rapport à l'arrêt de 1921.

Cet arrêt a été critiqué et on peut notamment lui reprocher le fait qu'on n'aperçoit pas en quoi il serait opportun de considérer que le fait pour une personne d'agir comme mandataire ou comme organe la dispenserait de son devoir général de prudence à l'égard des tiers et la ferait ainsi échapper, en l'absence d'un texte le prévoyant, à l'application de l'article 1382 du Code civil.• Heureusement, l'arrêt du 20 juin 2005 décide que “si la faute commise par

l'organe d'une société au cours de négociations préalables à la conclusion d'un contrat engage la responsabilité directe de cette personne morale, cette responsabilité n'exclut pas, en règle, la responsabilité personnelle de l'organe mais coexiste avec celui-ci”.L'arrêt du 20 juin 2005 doit être approuvé. Notons qu'il ne semble pas remettre en cause l'enseignement de l'arrêt du 7 novembre 1997.

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c. La représentation imparfaite ou l'absence de représentation

GÉNÉRALITÉS : Cette notion est le plus souvent appliquée au commissionnaire, au prête-nom ou à l'associé gérant d'une association en participation. Dans ces institutions, le mandataire agit en nom personnel pour compte de son mandant. Le commissionnaire accomplit en son propre nom mais pour le compte d'une autre personne, le commettant, des opérations juridiques intéressant la circulation des biens. Il a l'obligation de ne pas indiquer le nom du commettant, mais ne doit pas dissimuler sa qualité d'intermédiaire, à la différence du prêt-nom, qui doit non seulement taire le nom du mandant, mais aussi dissimuler son propre rôle.En droit positif belge, la relation contractuelle se noue en principe entre le mandataire personnellement et son cocontractant et il n'existe en principe (sauf controverses) pas de recours directs entre le mandant et ce dernier et vice-versa. En d'autres termes, la représentation imparfaite se caractérise par... l'absence de représentation.

LA QUESTION DE L'ASSOCIÉ GÉRANT D'UNE ASSOCIATION EN PARTICIPATION : cette absence de recours directs résulte de la loi, qui prévoit que seul l'associé-gérant est tenu à l'égard des tiers avec lesquels il contracte en son nom propre, à l'exclusion des associés occultes.

LA QUESTION DU COMMISSIONNAIRE : – En France, une partie de la doctrine estime que le commettant pourrait agir directement contre le tiers

cocontractant du commissionnaire.– Le droit suisse admet que le commettant agisse directement contre le tiers cocontractant du

commissionnaire. – Enfin, une partie de la doctrine française (mais cette idée a été condamnée par la Cour de cassation

française) estime que le tiers cocontractant du commissionnaire pourrait agir contre le commettant s'il était amené à apprendre son identité.

– Mais la règle selon laquelle la commission ne fait pas naître de recours directs entre le commettant et le tiers cocontractant du commissionnaire est constante en Belgique. Le contrat de commission ne fait naître aucune représentation.

– Il en découle que dans la commission à l'achat et à la vente (comme dans les autres mandats sans représentation), le transfert de propriété ne s'opère pas directement entre le tiers vendeur et acheteur et le commettant. La propriété transite par le patrimoine du commissionnaire, ne fût-ce qu'une nanoseconde (en effet, en réalité, la propriété est en principe transmise immédiatement du tiers cocontractant au commettant dans la commission à l'achat, du commettant au tiers cocontractant dans la commission à la vente, mais suite à une double mutation puisqu'elle transite d'abord par le patrimoine du commissionnaire – v. syll. p. 172).

LA QUESTION DU PRÊTE-NOM : les mêmes principes s'appliquent à la convention de prête-nom, qui, par ailleurs, est en principe licite.Certains auteurs analysent toutefois l'opération de prête-nom comme une simulation par interposition de personnes et considèrent dès lors que le tiers cocontractant du prête-nom pourrait agir en déclaration de simulation et après avoir obtenu gain de cause, se prévaloir de l'existence d'un mandat représentatif. P.A. Foriers conteste cette analyse en droit et en opportunité :

1. Cette thèse repose sur une conception extensive de la simulation qui aboutit à confondre simulation et dissimulation, ce qui est contestable. La simulation par interposition de personnes suppose en effet un accord entre les trois parties en présence. Or par définition le tiers cocontractant du prête-nom ignore que celui-ci agit pour le compte d'un tiers et il ne participe à aucun accord simulatoire.2. L'on n'aperçoit pas pourquoi, en opportunité, il faudrait distinguer le régime des prête-nom de celui du commissionnaire (ou de l'associé d'une association en participation). A cet égard, on souligne que le commissionnaire n'a l'obligation de taire que le nom de son commettant, mais non sa qualité de commissionnaire, tandis que le

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prête-nom doit non seulement dissimuler l'identité de son mandant, mais aussi sa qualité de prête-nom. Mais cette distinction est artificielle. Certes, les commissionnaires de profession apparaissent comme tels aux yeux des tiers. Mais faut-il faire une distinction entre des marchands qui font en général des opérations pour leur propre compte et agissent de manière occasionnelle comme commissionnaires, tout en estimant peu opportun de dévoiler leur qualité de commissionnaire (et rien ne les y oblige puisqu'il n'existe aucune obligation pour le commissionnaire de dévoiler sa qualité), et le prête-nom qui dissimule son rôle parce qu'il le doit? Pourquoi donner un recours au tiers contre la mandant dans le deuxième cas, alors qu'il n'en a pas dans le premier?N.B. En cas de prête-nom illicite, les principes de droit commun, et notamment la règle Fraus omnia corrumpit, suffisent à protéger le tiers cocontractant du prête-nom.

L'HYPOTHÈSE DU MANDATAIRE REPRÉSENTATIF QUI AGIT EN NOM PERSONNEL : le mandataire représentatif qui par accident agirait en nom personnel s'engage personnellement, et ne lie pas le mandant.Il est admis en Belgique et en France que le mandant n'a dans pareille hypothèse aucune action directe contre le tiers cocontractant du mandataire. Comment la doctrine française qui admet une action directe du commettant contre le tiers pourrait-elle justifier qu'il n'y ait pas d'action directe ici? Une explication serait que le tiers saurait qu'il contracte avec un commissionnaire en sorte qu'il accepterait l'éventualité d'un recours du commettant.Il est en outre admis en Belgique que le tiers ne pourrait agir directement contre le mandant.En revanche, certains auteurs français admettent un recours du tiers contre le mandant aux motifs (1) que le tiers pourrait se prévaloir de la situation réelle et (2) que le mandant a de toute façon accepté d'être le débiteur et le créancier des prestations qui font l'objet du contrat. Mais P.A. Foriers écarte cette analyse aux motifs que

− en dehors des règles de la simulation, il n'existe aucun principe permettant au contractant d'une partie d'agir directement contre le bénéficiaire économique ultime de la convention qu'il conclut ;

− “se prévaloir de la situation réelle”? Le tiers cocontractant du mandataire occulte n'a pas l'intention de contracter avec son mandant mais bien avec le mandataire!

− l'on ne pourrait supputer que le mandant se serait engagé à reprendre les contrats conclus à l'intermédiaire de son mandataire, car cela aurait pour conséquence qu'il serait tenu vis-à-vis du tiers cocontractant sans toutefois bénéficier des avantages de la représentation, et donc d'un recours direct contre le tiers.

d. Représentation imparfaite et représentation en deux temps

OBSERVATIONS LIMINAIRES : le représentation imparfaite ne donne donc lieu à aucun mécanisme de représentation. En revanche, le droit positif connaît des hypothèses de représentation en deux temps.

LA RATIFICATION :

(a) MÉCANISME DE LA RATIFICATION :

• La ratification est l'acte unilatéral par lequel une personne approuve, et accepte donc de reprendre à son compte, une convention qui a été conclue en son nom,

✗ soit par un mandataire qui a excédé ses pouvoirs,✗ soit par un tiers qui a agi sans mandat,

– soit en se présentant comme mandataire alors qu'il ne l'était pas,– soit en se portant fort avec promesse de ratification).

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• Il est constant que la ratification opère avec effet rétroactif, sous réserve des droits acquis par des tiers. On dit que ratihabitio mandato aequiparatur, la ratification a pour effet de conférer un pouvoir de représentation à titre rétroactif à l'intermédiaire. Cette rétroactivité s'impose – au cocontractant du mandataire et– aux tiers, sauf acquisition par ces derniers, dans l'intervalle, d'un droit préférable.

• Par l'effet de la ratification, le contrat naît-il? Ou est-ce autre chose qui se passe? Quel est le statut de l'acte avant sa ratification?

(b) STATUT DE L'ACTE ACCOMPLI SANS POUVOIR AVANT RATIFICATION – UNE APPROCHE DE LA REPRÉSENTATION :

• On pourrait penser qu'en approuvant l'acte, le ratifiant le ferait naître, puisque c'est à ce moment qu'il exprime son consentement, et que donc apparaît l'accord de volontés nécessaire à la formation d'un contrat.

• Or, il est constant que la ratification opère avec effet rétroactif. Certes, on pourrait expliquer cet effet rétroactif par la combinaison de l'accord du mandant de reprendre l'acte ratifié à sa date et de l'accord implicite de l'autre partie de l'avoir conclu à celle-ci. Mais cette explication, qui présume la volonté des parties, est artificielle.

• De plus, avant la ratification, la convention a une existence et si, en principe, elle est sans effet à l'égard du représenté, elle est, en revanche, génératrice d'obligations dans le chef du tiers cocontractant. Celui-ci ne peut, en effet, se dégager de la convention avant l'expiration du délai prévu pour sa ratification (la solution contraire serait illogique). Telle semble la solution qu'il faut déduire d'un arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 1964.

• On peut donc conclure que l'acte est le produit de la volonté du tiers cocontractant et de celle du représentant, et non celle du représenté. La volonté de ce dernier n'est nécessaire que pour que l'acte sorte des effets à ses égards.

• Cette analyse rejoint les théories modernes en matière de représentation, selon lesquelles le contrat conclu à l'intervention d'un représentant n'est pas le simple produit de la volonté du représenté censée exprimée par le représentant, mais, au contraire, est le produit de la volonté du représentant. Celui-ci est une partie au contrat, même s'il est une partie particulière, puisqu'il stipule pour autrui. La différence avec le mécanisme de la ratification est que si la représentation est parfaite, elle intervient instantanément au moment de la conclusion du contrat.

• N.B. Le mécanisme de la ratification n'est donc pas sans rapport avec la théorie de l'après-acte, qui permet dans certaines conditions à un tiers à un contrat de devenir partie à celui-ci en y adhérant. N.B.2. Si le tiers cocontractant de l'intermédiaire ne peut remettre le contrat en cause avant l'expiration du délai prévu pour sa ratification, il n'est pas, bien entendu, tenu de l'exécuter.

(c) L'EFFET RÉTROACTIF DE LA RATIFICATION ET LES DROITS ACQUIS PAR LES TIERS :

Rappel : traditionnellement, on affirme que la ratification opère avec effet rétroactif, mais ne peut porter préjudicé à des droit acquis par des tiers dans l'intervalle.

Nous examinerons ci-après deux hypothèses où les tiers pourraient ou non se prévaloir de droits acquis.

1ère hypothèse : arrêt de la Cour de cassation du 6 février 1953 : une opposition au renouvellement d'un bail commercial formulée par un organe incompétent de la société bailleresse ne pouvait être valablement ratifiée après le délai légal d'opposition.Le locataire était bien un tiers, puisque le bail renouvelé constitue un nouveau bail et que le locataire n'est ni partie au nouveau bail à naître, avant sa naissance, ni partie à l'acte unilatéral à ratifier.

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2ème hypothèse : le congé pour motif grave. Une décision de congé pour motif grave prise par un cadre de la société employeur sans pouvoir pour prendre une telle décision peut-elle être ratifiée en dehors du délai de 3 jours? Oui selon P.A. Foriers.Un arrêt de la Cour de cassation du 7 mars 1969 semble répondre par l'affirmative. Il rejette le pouvoi formé par un travailleur qui avait été licencié pour motif grave par un cadre qui agissait en dehors de ses pouvoirs, cette décision ayant par la suite été ratifiée par le Conseil d'administration (compétent), mais en dehors du délai de 3 jours. Contrairement à ce qu'il affirmait, le travailleur ne pouvait se prévaloir d'une rupture irrégulière du contrat d'emploi pour réclamer l'indemnité qui est due dans pareil cas.Selon P.A. Foriers, cette solution se justifie par le fait que le travailleur n'est pas un tiers au contrat auquel il est mis fin pour motif grave, même s'il est un tiers par rapport au congé21. N'étant pas un tiers par rapport à ce contrat, il ne pourrait se prévaloir de droits acquis pour s'opposer à l'effet rétroactif de la ratification.

Un arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 2003 semble confirmer la jurisprudence de 1969, mais dans une espèce qui se distingue nettement de l'hypothèse du congé pour motif grave ensuite ratifié. Dans cette affaire, la cour du travail de Liège avait admis la rétroactivité de la ratification d'un congé donné à un travailleur moyennant préavis, alors que celui-ci prétendait que cette rétroactivité le privait de droits qu'il aurait acquis en vertu de la loi du 3 juillet 1978 (dispositions qui accordent au travailleur licencié avec préavis le droit de s'absenter pour chercher du travail...). La Cour rejette son pourvoi au motif que

✗ le congé moyennant préavis donné à un travailleur au nom de l'employeur par un mandataire qui excède ses pouvoirs ne lie pas l'employeur ;

✗ aussi longtemps qu'il n'est pas ratifié, le congé avec préavis ne sort aucun des effets que la loi sur le contrat de travail attache au congé avec préavis;

✗ donc, le travailleur n'a pas pu acquérir de droits sur base de cette loi!Ce raisonnement est curieux puisque s'il est vrai que le congé donné sans pouvoir ne lie pas l'employeur, il lie en revanche le travailleur, qui ne pourrait se prévaloir de l'excès de pouvoir. Il fait donc naître dans le chef de celui-ci une situation nouvelle sous réserve d'un refus de ratification par l'employeur.

Deux arrêts de la Cour de cassation abordent la question de la possibilité de se prévaloir de droits acquis, mais sous un autre angle.• Dans l'affaire de l'arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 1964, un travailleur

protégé est licencié, suite à quoi son syndicat demande sa rétégration (cette demande doit être introduite dans un certain délai). L'employeur ne réagit pas et puis un beau jour il prétend que la demande est irrégulière parce que le syndicat était sans pouvoir pour l'introduire. Le travailleur ratifie la demande, mais l'employeur prétend qu'il ne pourrait porter atteinte à ses droits acquis. La Cour de cassation rejette le pourvoi de l'employeur au motif que l'employeur ne peut pas contester de sa propre initiative les pouvoirs du représentant alors qu'il a accepté de traiter avec lui et que ni le mandant, ni le mandataire ne contestent le mandat. Cela semble logique.

• Un arrêt du 6 février 2006 confirme cette jurisprudence en matière de licenciement pour motif grave : le travailleur peut demander la production de la procuration pour se convaincre de l'existence du mandat ; s'il s'en abstient et ne se présente plus au travail, comme il le ferait en cas de licenciement, il ne peut plus nier ultérieurement l'existence du mandat, sauf dans un délai raisonnablement court, lorsque ni le mandant, ni le mandataire ne contestent celui-ci.

Aujourd'hui, en tout cas, la ratification des congés pour motif grave ne pose plus de difficultés.

21 La question ici est de savoir qui sont les tiers susceptibles d'acquérir un droit acquis auquel la ratification ne pourrait porter atteinte.- En tout cas, si l'acte en question est un contrat, le tiers cocontractant du pseudo-représentant n'est, à l'évidence, pas un tiers.- Qu'en est-il des tiers destinataires d'un acte unilatéral réceptice? La situation est plus délicate. Par définition, le destinataire subit les effets de l'acte, sans qu'il y ait besoin qu'il les accepte. Selon P.A. Foriers, si un tel acte s'inscrit dans le cadre d'un contrat, l'autre partie du contrat n'est pas un tiers au regard de l'acte unilatéral en question.

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En réalité, cette jurisprudence s'explique par plusieurs idées : – les règles sur l'excès de pouvoir sont protectrices du représenté et non du tiers

représenté– le mandat peut être tacite– ...

En conclusion, le ratification ne se résume pas à une simple renonciation par le ratifiant à se prévaloir de l'absence de pouvoir du mandataire ou du porte-fort. Elle s'impose au tiers cocontractant qui, dans l'hypothèse où il était en mesure de se prévaloir de l'absence de pouvoir de l'intermédiaire (ce qui est exceptionnel), est privé de ce droit. Ex. la ratification de la vente de la chose d'autrui par le vrai propriétaire prive l'acheteur de son droit de poursuivre la nullité de la vente sur pied de l'article 1599 du Code civil.

LA CLAUSE DE RÉSERVE D'ÉLECTION DE COMMAND :

La vente avec réserve d'élection de command est la vente dans laquelle l'acheteur, le commandé, se réserve la faculté de se substituer, dans un certain délai, un tiers, le command, qui prendre sa place, comme cocontractant direct du vendeur, à défaut de quoi le commandé sera censé avoir acheté pour son propre compte.

Il s'agit d'une institution issue des usages dont le but est de permettre aux acquéreurs de dissimuler leur identité, notamment dans les ventes publiques, afin d'éviter que les prix ne grimpent. Elle n'est pas réglementée par le Code civil. Cependant,

✗ une disposition du Code des droits d'enregistrement s'y rapporte : il s'agit de l'article 159, qui prévoit que le commandé a 48 heures pour payer le command, sinon l'élection de command sera considérée comme revente sur laquelle sera par conséquent prélevé un droit de mutation. Le but de cette disposition est d'éviter un détournement de l'institution dans des buts fiscaux, qui consisterait à acquérir un bien avec élection de command pour trouver ensuite un sous-acquéreur, tout en évitant de payer un double droit de mutation grâce au fait qu'il y a eu un seul transfert de propriété. Cette disposition a pour conséquence qu'en pratique, il n'y a guère de ventes immobilières avec élection d'un command découvert après la vente ;

✗ l'article 1590 du Code judiciaire autorise, en matière de saisie exécution immobilière, l'adjucataire à “élire command à la condition d'en faire la déclaration devant le notaire commis ou de la lui signifier au plus tard le premier jour ouvrable qui suit celui où expire le délai légal de surenchère”.

Dans l'esprit original de l'institution, le commandé agit sur ordre de son command. Mais dans une sortre de détournement de l'institution, il est possible de trouver un command entre la vente et l'élection.

A l'exception de l'hypothèse de l'article 1590 du Code judiciaire, il est constant que la clause de réserve d'élection de command doit être acceptée par le vendeur. En effet, en cas d'élection de command, tout se passe comme si le command avait été le véritable acquéreur dès le départ. Le commandé, lui, disparaît de l'opération, et le vendeur est donc en principe dépourvu de tout recours contre ce dernier. Le commandé ne garantit pas l'exécution par le command de ses obligations, sauf dans l'hypothèse de l'article 1590 du Code judiciaire.

La vente avec élection de command se distingue donc de la vente à un prête-nom en ce que dans la première, le vendeur a accepté le risque de se retrouver avec un autre cocontractant, mais pas dans la seconde, où le prête-nom a dû dissimuler qu'il agissait pour le compte d'autrui.

Si le commandé agit en son nom propre sur ordre d'un commandé (mais non s'il découvre un command sur le tard), il est une sorte de mandataire non représentatif, ou plus précisément une sorte de commissionnaire qui dévoile sa qualité, mais non le nom de son mandant. En cas d'élection de command, tout se passera comme si le command

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avait dès l'origine agi comme mandataire au nom et pour compte d'autrui. Il y a donc dans ce cas représentation parfaite avec effet rétroatif. Un mandat non représentatif se transforme en mandat représentatif. En revanche, le commettant ne pourrait transformer la commission en mandant représentatif parce que le tiers cocontractant du commissionnaire n'a pas accepté de prendre le risque de se retrouver avec un autre contractant, dont la solvabilité pourrait être moindre.

REPRÉSENTANT AGISSANT AU NOM D'UN TIERS À DÉSIGNER :

Selon P.A. Foriers, rien n'empêche qu'un représentant contracte au nom d'une personne à désigner ultérieurement. L'opération fait penser à la vente avec réserve d'élection de command si l'on supprime la possibilité du commandé d'acquérir en nom propre s'il n'élit pas command.Il faut évidemment que le tiers cocontractant accepte cette formule, qui lui fait courir un double risque :

– celui de la solvabilité de la personne qui sera désignée (comme dans la vente avec réserve d'élection de command) et

– celui du défaut de ratification. En effet, le représentant ne pourrait être tenu responsable d'un défaut de ratification, sauf promesse de porte-fort. Néanmoins, il pourrait engager sa resposabilité s'il savait ou devait savoir que son donneur d'ordre ou la personne q'il a désignée était manifestement insolvable ou incapable (on pourrait lui reprocher une culpa in contrahendo, s'il a agi sur ordre d'un mandant insolvable ou incapable, ou un manquement à la bonne foi qui doit présider à la désignation du tiers, s'il n'a pas agi sur ordre d'un mandant).

ESSAI DE SYNTHÈSE :

En droit positif belge, la représentation imparfaite ne donne lieu à aucun mécanisme de représentation. Le bénéfice de l'opération conlue par le mandataire non représentatif est certes transféré au mandant, mais par un mécanisme étranger à toute idée de représentation.

Mais il peut y avoir représentation en 2 temps. • Dans ces hypothèses, le fait générateur de la représentation est l'acceptation du

représenté, soit antérieure à l'acte (mandat ou engagement de ratifier), soit postérieure à l'acte (ratification).

• Le représentation opère avec effet rétroactif.• Ce mécanisme n'est possible que si le représentant a déclaré agir au nom

d'autrui ou s'est expressément réservé la possibilité d'agir au nom d'autrui. En effet, il faut que le tiers cocontractant ait accepté de traiter non avec le représentant, mais avec le représenté.

• Il n'est pas nécessaire que le représenté soit nommément désigné lors de l'acte, pour autant que le tiers cocontractant du représentant l'ait accepté.

• Sauf dérogation légale (ex. art. 1590 C. jud.) ou conventionnelle, si la représentation est acquise, le représentant s'efface et n'est nullement garant de la bonne exécution de la convention. Tout au plus pourrait-il voir sa responsabilité engagée s'il a désigné comme représentant une personne manifestement insolvable ou incapable.

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2. La théorie de la simulation

a. Généralités

NOTIONS :

La notion de simulation est controversée. Certains la définissent de manière très large, tandis que d'autres la définissent de manière restrictive.

Pour une partie de la doctrine et de la juriprudence françaises, la simulation est en quelque sorte synonyme de dissimulation volontaire d'une situation réelle derrière une situation réelle ostensiblement différente. Cette notion dépasse donc le droit des obligations conventionnelles ex. mariage simulé,sociétés fictives.Définie de manière aussi large, cette notion perd tout intérêt parce qu'il est impossible de rassembler un ensemble de règles communes à tous les cas qu'elle peut couvrir.

La jurisprudence et la doctrine belges définissent dès lors la simulation de manière plus restrictive. C'est la définition de De Page qui est en général retenue : il y a simulation lorsque les parties font un acte apparent dont elles conviennent simultanément de modifier ou de détruire les effets par une autre convention demeurée secrète. Cette définition restrictive a été adoptée par la Cour de cassation depuis son arrêt du 6 juin 1961. Par ailleurs, selon la Cour de cassation, l'article 1321 du Code civil ne constitue pas l'expression d'un principe général de droit.

CONDITIONS DE LA SIMULATION :

La simulation suppose(1) l'existence de deux conventions contemporaines l'une de l'autre (la convention apparente et la convention secrète) ;(2) l'identité des parties à l'acte apparent et à l'acte secret, ou plus exactement, l'identité des parties à l'accord simulatoire ;

La simultanéité de l'acte apparente et de l'acte secret doit être au moins intellectuelle : l'accord simulatoire a pour but de masquer la réalité sous les dehors d'un acte apparent (élément intentionnel).On ne sera donc pas en présence d'une simulation :

✗ si les parties modifient une convention par un accord subséquent ;

✗ si les parties à une convention unique la qualifient mal ;

✗ si par acte séparé, les parties précisent l'interprétation à donner à certaines clauses, pour autant que cet acte interprétation ne s'écarte si loin de ces clauses qu'il puisse être considéré comme une contre-lettre.

On considère généralement que la simulation ne saurait s'appliquer aux actes unilatéraux. En effet, dans ce cas l'acte secret s'apparente à une réserve mentale sans effet.

LICÉITÉ :

La simulation est licite dans son principe. Toutefois, elle est illicite lorsqu'elle tend

✗ soit à frauder les droits des tiers, ✗ soit à échapper à des dispositions impératives ou d'ordre public.

Dans pareil cas, l'acte apparent constituera le plus souvent un faux intellectuel pénalement sanctionné.

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SIMULATION ET FRAUDE À LA LOI :

• La simulation se distingue fondamentalement d'une autre institution, la fraude à la loi. Cette dernière théorie est contestée par certains des plus grands auteurs.

• Selon P.A. Foriers, il y a fraude à la loi lorsque dans le but d'échapper à une disposition d'ordre public ou impérative, les parties, sans recourir à aucune simulation, suivent une voie juridique formellement légale, mais qui les place dans une situation à ce point proche en fait de la situation interdite que le juge ne peut se dispenser d'intervenir.

• La Cour de cassation a décidé qu'en matière fiscale, s'il n'y a pas de simulation il n'y a pas de fraude possible à la loi.

• Partant de cet arrêt, M. Van Ommeslaghe a dit que la théorie de la fraude à la loi est inutile et dangereuse.

✗ Elle serait inutile car on pourrait utiliser d'autres concepts pour sanctionner ce type de convention (cause illicite, abus de droit, fraude aux droits des tiers, le cas échéant, simulation...). Selon P.A. Foriers toutefois, un argument est très relatif en droit puisqu'il existe de nombreux cas en droit où une situation peut être abordée par le biais de notions différentes, ce qui ne signifie pas que certaines d'elles seraient inutiles en pratique.

✗ Elle serait dangereuse car elle impliquerait une appréciation très subjective quant à la réunion ou non de ses conditions d'application. Toutefois, selon P.A. Foriers, la notion de fraude à la loi n'est pas plus floue que d'autres mécanismes, comme l'abus de droit, et d'ailleurs, on pourrait l'envisager de façon tout à fait objective : il suffit de comparer le résultat obtenu avec la situation prohibée. Par exemple, selon P.A. Foriers, il est évident que la cession de créance à des fins de garantie constitue une fraude à la loi parce qu'elle- place le créancier exactement dans la même situation que le créancier gagiste d'une créance- tout en contournant l'interdiction du pacte commissoire exprès du gage (à défaut de paiement, le créacier gagiste ne peut s'appropier ou disposer de l'objet du gage sans recourir au juge : = contrôle judiciaire de la résolution du gage)Il n'y a pas fraude à la loi seulement si la situation nouvelle dans laquelle les parties se placent pour éviter l'application d'une loi qui les gêne est véritablement différente de la situation prohibée ; sinon, l'autorité de la loi est bafouée. La fraude à la loi tend finalement à protéger la volonté du législateur, qui entendait régir une situation de fait et non une présentation juridique.

• La théorie de la fraude à la loi est consacrée par le droit positif :✗ en matière civile, la Cour de cassation a utilisé plusieurs fois la notion de

fraude à la loi ;✗ la théorie de la fraude à la loi est classique en droit international privé. Elle

sanctionne les comportements tendant à se placer artificiellement en dehors de la loi du for normalement applicable.

b. Degrés de la simulation

GÉNÉRALITÉS :

• La SIMULATION est TOTALE lorsque l'acte secret détruit totalement les effets de l'acte apparent. Ex. vente fictive entre deux parents en vue de faire échapper un bien à des poursuites.

• La SIMULATION est PARTIELLE si l'acte secret ne détruit pas complètement les effets de l'acte apparent. Tel est le cas du déguisement, total ou partiel.

• Il y a déguisement total lorsque le contre-lettre modifie la nature juridique de l'acte apparent. Ex. donation déguisée sous la forme d'une vente.

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• Il y a déguisement partiel lorsque la contre-lettre se limite à modifier le contenu de certaines clauses de l'acte apparent. Ex. dans une vente immobilière, le prix convenu en secret est plus élevé que le prix mentionné dans l'acte authentique.

• Enfin, la SIMULATION peut intervenir PAR INTERPOSITION DE PERSONNE .Ex. un patient mourant qui souhaite gratifier son médecin frappé d'incapacité spéciale de recevoir donne un bien à sa nièce pour que celle-ci le lui remette. Pareille simulation suppose que les 3 personnes soient parties à l'accord simulatoire : dans l'exemple, le patient, le médecin et la nièce.

SIMULATION PAR INTERPOSITION DE PERSONNES, PRÊTE-NOM, FIDUCIE ET ASSOCIATION EN PARTICIPATION (voir supra) :

• Selon certains, le prête-nom serait un cas de simulation par interposition de personnes. Tel n'est pas le cas, selon P.A. Foriers, ✗ d'abord, parce que la simulation par interposition de personnes suppose un accord

simulatoire entre les trois acteurs. Or, le tiers cocontractant du prête-nom n'est pas partie à un accord simulatoire ;

✗ ensuite, parce qu'il ne serait pas cohérent de considérer que le prête-nom serait un cas de simulation, alors qu'il est constant que tel n'est pas le cas de la commission et de l'association en participation.

Par ailleurs, le prête-nom est licite en soi.• Ces observations valent aussi pour le contrat de fiducie.• Dans ces institutions, il y a bien une volonté de dissimulation, mais non une simulation.

c. Effets de la simulation

EFFETS ENTRE PARTIES :

• En principe, seule la convention réelle lie les parties .• Si la convention réelle est contestée par une des parties, l'autre peut donc intenter une

action en déclaration de simulation. • Mais parfois, la loi interdit pareille action.• Parfois, l'acte réel dépend quant à sa validité de la validité de l'acte apparent.

Ex. la donation déguisée n'est valable que si l'acte apparent est lui-même valable. Ainsi, une donation entre époux ne pourrait être déguisée sous la forme d'une vente en raison de la prohibition de la vente entre époux.

EFFETS À L'ÉGARD DES TIERS :

• Les tiers peuvent s'en tenir à l'acte apparent et ne peuvent se voir opposer l'acte secret (art. 1321 C. Civ.)22 s'ils n'ont pas eu, ou n'ont pas pu avoir, connaissance de l'acte secret au moment où il est intervenu (“bonne foi”).

• Les tiers peuvent aussi, s'ils le souhaitent, agir en déclaration de simulation pour se prévaloir de l'acte secret. Il leur suffit de démontrer un simple intérêt à agir sans qu'ils doivent se prévaloir d'un préjudice.

• Si plusieurs tiers agissent en des sens contradictoires , les uns préférant se prévaloir de la convention secrète et les autres, de la convention apparente, la solution est controversée. Aujourd'hui, on fait le plus souvent prévaloir l'acte apparent en se basant sur l'article 1321 du Code civil (alors que dans le passé on faisait prévaloir l'acte réel).

22 Art. 1321. C. civ. : “Les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu'entre les parties contractantes; elles n'ont point d'effet contre les tiers.”

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d. La preuve de la simulation

Entre les parties, application de l'article 1341 du Code civil en matière civile.

Les tiers peuvent faire la preuve de la simulation par toute voie de droit.

e. Conséquences d'une simulation illicite

■ Si une convention apparente dissimule une opération illicite, tant la convention apparente que la convention réelle sont illicites et ne peuvent sortir leurs effets.

■ Mais il se peut aussi que seul l'accord simulatoire soit illicite. Ex. dans une vente immobilière, le prix convenu secrètement est supérieur au prix mentionné dans l'acte authentique en vue de réduire le montant des droits d'enregistrement. Selon un arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 1949, cet accord simulatoire n'affecte pas la validité de la vente elle-même. Un arrêt du 18 mars 1988 semble confirmer cette solution, même s'il a été interprété dans des sens divers.

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CHAPITRE 2 : INTERPRÉTATION DES CONTRATS

A. INTERPRETATION – NOTION – DISTINCTION AVEC LA QUALIFICATION

Interpréter une convention, c'est rechercher le sens et la portée des dispositions de celle-ci , qu'elles soient écrites (ce qui est le plus souvent le cas) ou verbales. Le juge doit interpréter soit parce que les parties se sont mal ou incomplètement exprimées, soit, de manière plus générale, parce que tout texte nécessite une interprétation. Le but est de déterminer le portée réelle de l'accord des parties.

Il faut veiller à ne pas confondre l'interprétation avec la qualification. La qualification intervient après l'interprétation : après avoir déterminé la portée de l'accord des parties, le juge doit déterminer la catégorie juridique à laquelle appartient la convention.

Si l'interprétation relève, en principe, du pouvoir souverain du juge du fond car l'article 1156 impose de rechercher la commune intention des parties (donc un élément de fait), la qualification, elle, touche directement une question de droit. La Cour de cassation exerce donc son contrôle sur la manière dont le juge a qualifié les faits qu'il a constatés.

Dans la pureté des principes, l'interprétation et la qualification sont deux moments distincts. Toutefois, en pratique, il y a une certaine interaction entre ces deux procédés :

• l'interprétation peut avoir une incidence décisive sur la qualification ;• lorsqu'il interprète, le juge ne peut pas faire abstraction des catégories juridiques :

✗ si les parties n'ont pas qualifié leur convention, le juge en interprétera la portée en ayant à l'esprit les deux ou trois qualifications possibles ;

✗ si les parties ont qualifié leur convention, le juge aura tendance à interpréter la convention en fonction de cette qualification.

B. LES PRINCIPES DIRECTEURS RELATIFS A L'INTERPRETATION

1. Règles applicables

Les principes d'interprétation des conventions sont énoncés aux articles 1156 à 1164 du Code civil. On retrouve également des règles d'nterprétation dans la réglementation de certains contrats particuliers (ex. Art. 1602 C. civ. en matière de vente, qui déroge

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partiellement à l'article 1162).Longtemps, la Cour de cassation a considéré que ces dispositions constituaient de simples conseils adressés au juge du fond, qui pouvait s'en écarter. Mais depuis une dizaine d'années, la Cour reconnaît au contraire à ces dispositions le statut de règles de droit à part entière, même si certains de ces articles laissent une grande latitude au juge.

2. Principe de base : l'article 1156 du Code civil

a. Recherche souveraine en fait de la commune intention des parties

Article 1156 C. civ. : “On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes”.

En vertu de ce principe de base, le juge doit rechercher la commune intention des parties pour faire prévaloir leur volonté réelle sur leur volonté déclarée.

Aujourd'hui, on considère que ce principe s'oppose au concept de la “barrière du verbe”, qui voudrait que le juge ne pourrait pas interpréter les conventions claires.

Pour rechercher l'intention des parties, le juge peut se fonder sur des éléments intrinsèques ou extrinsèques à l'acte (ex. le contenu des pourparlers préliminaires ou l'exécution donnée au contrat)

C'est la volonté commune des parties que le juge doit rechercher, et non pas la volonté de l'une d'elles. Il faut que cette volonté se soit exprimée d'une manière ou d'une autre. L'intention secrète d'une des parties ne peut avoir d'effet en droit. Il faut spécialement avoir ce principe à l'esprit lorsqu'on interprète un contrat multipartite (ex. dans les sociétés anonymes, l'intention des fondateurs n'est pas nécessairement connue de ceux qui ont rejoint la société par la suite).

La recherche de la commune intention des parties est en principe souveraine en fait.

b. Les limites aux pouvoirs du juge du fond

Le pouvoir souverain d'interprétation du juge connaît toutefois certaines limites :✗ Le juge du fond doit observer les articles 1156 et s. du Code civil, qui

constituent des règles de droit à part entière.✗ La décision du juge sur une question d'interprétation doit, comme toute

décision de justice, être motivée et la Cour de cassation exerce son contrôle sur la régularité de cette motivation.

✗ La foi due aux actes (art. 1319, 1320 et 1322 C. civ.) interdit au juge qui interprète une convention écrite de conférer à celle-ci une portée inconciliable avec ses termes (ce qui ne signifie pas que le juge ne pourrait s'écarter du sens normal des mots en s'appuyant sur des éléments intrinsèques ou même extrinsèques à l'acte).

✗ L'article 1134, al. 1 (principe de la convention-loi) permet parfois de censurer un juge qui ajoute à un contrat une clause qu'elle ne comporte pas. Comment concilier cette jurisprudence avec les articles 1135 et 1156 et suivants du Code civil, dans la mesure où ils peuvent conduire le juge à combler les lacunes de l'accord des parties?

✗ Le juge du fond ne peut admettre la preuve d'une disposition contractuelle outre ou contre l'acte écrit lorsque la loi s'y oppose (art. 1341 et 1353 C. civ.).

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3. Article 1162 du Code civil (comp. art. 1602 C. civ. en matière de vente)

Article 1162 C. civ.: “Dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé, et en faveur de celui qui a contracté l'obligation”.En vertu de cette disposition, le juge ne peut, en cas de doute, donner à la convention un sens défavorable au débiteur.

Cette règle constitue plus un principe d'équité qu'une application de l'article 1156. La Cour de cassation a précisé que cet article n'est applicable qu'en cas de doute sur la

portée de la convention. Il faut que le juge ne parvienne pas à déterminer la volonté des parties pour recourir à cette disposition.

Comment appliquer l'article 1162 aux les contrats synallagmatiques et aux conventions comportant des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité ? En réalité, il faut appliquer l'article 1162 non pas globalement au contrat, mais obligation par obligation.En ce qui concerne les clauses limitatives de responsabilité, la Cour de cassation estime que puisqu'au regard de cette clause, c'est le débiteur de l'obligation qui stipule et le créancier de l'obligation qui s'oblige, il faut l'interpréter contre le débiteur de l'obligation (c'est-à-dire celui qui a limité sa responsabilité). La clause limitative de responsabilité stipulée par un transporteur s'interprète donc, en cas de doute, contre le transporteur.

4. Les autres préceptes légaux d'interprétation

Le Code civil contient des règles particulière d'interprétation qui sont souvent de bon sens.

a. Art. 1157 C. civ.

Article 1157 C. civ. : “Lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun”.Le jurisprudence fait une application extensive de cette disposition lorsqu'elle en déduit que quand une clause est valable dans un sens, nulle dans l'autre, il faut l'interpréter dans le sens où elle est valable.Cet article ne signifie pas que le juge doive toujours entendre une clause dans un sens où elle est susceptible d'avoir quelque effet. Il peut, en se fondant sur les éléments de la cause, choisir une autre interprétation.

b. Art. 1160 C. civ.

Art. 1160 C. civ. : “On doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d'usage, quoiqu'elles n'y soient pas exprimées”.Cette disposition est une application de l'idée selon laquelle l'usage est une source de droit supplétif.

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c. Art. 1161 C. civ.

Art. 1161 C. civ. : “Toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier”.En d'autres termes, il vaut mieux interpréter une convention en considérant l'ensemble de ses clauses et non ses dispositions prises isolément, de manière à ce que la convention forme un tout cohérent.

d., e., f. et g. Art. 1158, 1159, 1163 et 1164 C. civ. (lire ces textes)

5. Les autres préceptes d'interprétation dégagés par la jurisprudence

Les clauses exorbitantes au droit commun sont d'interprétation restrictive. Il en est de même des clauses d'exonération de responsabilité, qui ne s'étendent pas à la

faute lourde, sauf stipulation expresse. La jurisprudence dénote une tendance à passer de l'interprétation contre le créancier à

l'interprétation en défaveur du rédacteur de la convention, spécialement en matière des contrats d'adhésion et des contrats d'adhésion. Cette tendance est parfois critiquée par la doctrine.

6. L'incidence des usages et des coutumes

Selon les articles 1135 et 1160 du Code civil, les conventions doivent s'entendre non seulement des clauses que les parties y ont insérées, mais aussi des suites que les coutumes et les usages imposent.

La Cour de cassation a décidé qu'un usage ne s'incorpore à la convention, en vertu d'une volonté tacite des parties, que s'il présente dans la région un caractère général et est reconnu par tous comme applicable à défaut de stipulation contraire, aux conventions de cette nature.On en a déduit une curieuse distinction entre

• les règles coutumières proprement dites, qui s'appliqueraient en tant que telles, et• les usages dits conventionnels, qui n'auraient d'effet qu'en raison d'une référence

implicite des parties.Selon P.A. Foriers, c'est à tort que l'on fait cette distinction. Et en réalité, les conditions auxquelles est subordonnée l'existence d'un usage conventionnel ou d'une règle coutumière sont les mêmes (ils doivent avoir un caractère général et être reconnus par tous comme applicables à défaut de convention contraire).

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7. Remarques générales

Le juge peut rectifier les erreurs matérielles, indépendamment de l'interprétation de la convention.

La jurisprudence belge n'applique pas des règles d'interprétation différentes aux conditions générales ou aux clauses de style.

L'exécution que les parties ont donnée à la convention avant la naissance du litige peut être un indice de la portée qu'elles ont entendu donner à la convention.

8. Appendice : la qualification et les pouvoirs du juge du fond

Il est constant que le juge du fond n'est pas tenu par la qualification que les parties ont donnée à leur convention. Au contraire, il doit le cas échéant l'écarter pour donner à la convention sa qualification légale.

Mais cela ne signifie pas que la qualification donnée par les parties n'ait aucune utilité. • En effet, tout d'abord, le juge ne peut la redresser que s'il constate que la convention

comporte des éléments inconciliables avec cette qualification. Dans un premier temps, la Cour de cassation a fondé cette solution sur la foi due aux actes. Or, lorsqu'il qualifie une convention, le juge tranche en droit. Il ne peut donc être question de foi due aux actes. C'est pourquoi, aujourd'hui, la Cour de cassation se fonde sur les règles organiques des actes en cause.

• Ensuite, les parties ont intérêt à qualifier leur convention dans les cas limites. Ex. un marchand de journaux dans une gare est-il un mandataire, un entrepreneur ou un employé? Si les parties n'ont pas qualifié le contrat, le juge décidera qu'il s'agit d'un contrat de travail (pour protéger le marchand). Mais si les parties ont mentionné expressément qu'il s'agissait d'un mandat ou d'un contrat d'entreprise, le problème sera plus délicat.

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CHAPITRE 3 : EFFETS DES CONTRATS

A. POSITION DU PROBLEME : ARTICLE 1165 C. CIV.

Art. 1165 C. civ. : “Les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point aux tiers et elles ne leur profitent que dans le cas prévu à l'article 1121”.

Cet article est à la base du principe de la relativité des conventions, qui veut que ces dernières ne lient que les parties contractantes.

En réalité, il faut distinguer les effets internes et les effets externes des conventions. Le principe de la relativité des conventions ne s'applique qu'aux effets internes des contrats.

• Les effets internes sont directement liés aux droits et obligations générés par le contrat.

– Seules les parties sont tenues des obligations dérivant du contrat.– Seules, en principe, les parties peuvent directement puiser des droits dans

un contrat.• Les effets externes découlent de l'existence même du contrat, qui, en tant que

telle, s'impose aux tiers.

B. PARTIES ET TIERS – NOTION

Se pose donc la question de base : qui sont les parties, et qui sont les tiers? Il s'agit d'une question très controversée.Certains auteurs ont une conception réductrice des parties : pour eux, seules les parties à la procédure contractuelle sont des parties. Mais ces auteurs sont obligés de faire des distinctions dans les tiers. Finalement, c'est une question de mots. P.A. Foriers préfère avoir une vision large des parties.

1. Les parties

a. Les parties sensu stricto ou les parties à la “procédure contractuelle”

Sont parties, les parties qui ont participé à la convention en leur nom personnel, ainsi que, selon P.A. Foriers, les représentants (ceux-ci sont néanmoins dans une situation particulière puisqu'ils ne sont pas tenus par les effets essentiels de la convention).

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b. Les ayants cause universels ou à titre universel

En principe, par application de l'article 1122 du Code civil, les ayants cause universels ou à titre universel doivent être considérés comme des parties aux conventions conclues par leur auteur.

Toutefois, ils cessent d'être parties aux conventions conclues par leur auteur lorsqu'il invoquent un droit propre = un droit qu'ils ne tiennent pas d'une convention conclue par leur auteur, mais d'une autre source, la loi par exemple. Ex. un héritier, tenu d'exécuter les engagements de ses parents, se prévaut de sa réserve pour réduire une donation.

c. Les parties représentées

Les personnes représentées forment aussi une catégorie de parties.

d. Les parties qui adhèrent au contrat postérieurement à sa formation

Il s'agit – des cessionnaires d'une position contractuelle ;– des personnes qui s'ajoutent comme partie à un contrat multipartite ouvert ;– du tiers qui ratifie un acte passé en son nom (mais n'est-il pas une partie représentée?).

e. Créanciers agissant par voie oblique (art. 1166 C. civ.)

Il s'agit des créanciers qui agissent l'action oblique contre les créanciers de leur débiteur inactif, au nom et pour le compte de ce dernier. Ils doivent être considérés comme parties aux conventions conclues par leur débiteur inactif.

2. Les “tiers”

Sont des tiers, toutes les personnes qui ne sont pas considérées comme parties à la convention. Ils ne peuvent se voir imposer ni profiter des effets internes de la convention.

Mais parfois il y a des tiers particuliers. Par exemple,

• les tiers au sens de la loi hypothécaire : les tiers que la loi hypothécaire entend protéger sont ceux qui ont acquis des droits sur l'immeuble concerné.

• les tiers au sens de l'ancien article 1690 du Code civil, en matière de cessions de créance, auxquels celle-ci n'était opposable que moyennant l'accomplissement de certaines formalités.

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C. OPPOSABILITE AUX TIERS DES EFFETS EXTERNES DES CONVENTIONS

1. Généralités :

a. Principe

Rappel : la règle de l'article 1165 du Code civil concerne les effets internes des conventions, mais non leurs effets externes qui sont liés à l'existence même de la convention, existence qui s'impose aux tiers.

Ce principe a été consacré par la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 27 mai 1909, qui a décidé que les tiers pouvaient constater l'existence d'une convention et tirer argument de cette existence, non pour réclamer à leur profit l'exécution des obligations qu'elle stipule, mais pour en déduire des conséquences favorables ou défavorables pour les parties.

b. Cas d'application

RECONNAISSANCE DES EFFETS EXTERNES :

On trouve de nombreuses applications de ce principe dans la jurisprudence.Ainsi,

• l'auteur d'un accident de la circulation peut invoquer le contrat d'emploi conclu par la victime pour obtenir une diminution dans l'évaluation de la réparation du dommage parce que la victime percevra des indemnités en vertu de ce contrat ;

• la victime peut invoquer la convention liant un exploitant de taxis à un taximan pour établir que l'exploitant est le commettant de celui-ci et le faire déclarer civilement responsable des actes commis par le taximan ;

• une partie à une convention de vente peut se fonder sur une convention conclue par son cocontractant avec le tiers pour en déduire que ce cocontractant a renoncé à la vente et ne peut par conséquent en poursuivre l'exécution ;

• les tiers peuvent se prévaloir non seulement de l'existence du contrat, mais aussi des effets qu'il produit entre les parties contractantes, soit pour justifier le fondement de l'action qu'ils intentent contre une de ces parties, soit pour se défendre contre l'action qui leur est intentée par l'une d'elles ;

• la Cour de cassation a affirmé dans un arrêt de 1950 que les parties peuvent aussi se prévaloir à l'égard des tiers des effets externes de la convention qu'ils ont conclue, sans toutefois qu'ils puissent leur opposer les effets créateurs de droits ou d'obligations de cette convention.En l'espèce, un propriétaire avait donné en location un immeuble en mauvais état. Le locataire s'était engagé à le remettre en état, moyennant une dispense de payer le loyer pendant deux ans. Devenu insolvable, il ne peut payer l'entrepreneur, qui se retourne alors contre le propriétaire, en prétendant que celui-ci s'est enrichi sans cause. Celui-ci répond qu'il ne s'est pas enrichi sans cause, puisqu'il n'a pas perçu de loyers. Son raisonnement est suivi par le juge du fond, et la Cour de cassation rejette le pourvoi de l'entrepreneur.

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CLAUSES D'EXCLUSIVITÉ OU DE PRIX IMPOSÉS : EFFET INTERNE :

De telles clauses sont licites dans la mesure où elles ne se heurtent pas au droit interne ou européen de la concurrence. Elles ne créent pas d'obligations à l'égard des tiers, sauf application de la théorie de la tierce complicité.

2. La théorie de la tierce complicité dans la violation d'une obligation contractuelle : cas d'application des effets externes des contrats

L'existence d'une convention s'impose aux tiers mais ceux-ci ne sont pas directement tenus des obligations qui découlent d'une convention. Toutefois, le tiers qui se rend tiers complice de la violation par une des parties au contrat de ses obligations contractuelles commet une faute extra-contractuelle.

Ex. un cafetier conclut un bail commercial avec une brasserie et signe avec elle un contrat d'approvisionnement exclusif. Un brasseur concurrent n'est a priori pas tenu par cette disposition contractuelle. Toutefois, il pourrait engager sa responsabilité extra-contractuelle s'il encourageait le cafetier à violer son devoir d'exclusivité.

La théorie de la tierce complicité a connu une certaine évolution.• Au départ , la Cour de cassation considérait qu'on ne pouvait déduire qu'un tiers s'était

rendu tiers complice du seul fait qu'il connaissait l'existence de la convention dont les obligations ont été violées avec sa participation :✗ Arrêt du 24 novembre 1932, à propos d'un brasseur qui avait fourni des bières à un

cafetier alors qu'il savait que celui-ci était lié à un autre brasseur par une clause d'approvisionnement exclusif : “il faut en outre et nécessairement qu'il ait agi en vue d'aider [le débiteur] à violer ses engagements”.

✗ Arrêt du 17 juin 1960 : l'arrêt attaqué ne pouvait décider que les tiers sont tenus de s'abstenir d'importer et de vendre des produits dont ils savent qu'un commerçant en a obtenu d'un cocontractant le monopole d'importation et de vente car cela aurait pour effet, au mépris de l'article 1165 du Code civil, de lier en toutes circonstances les tiers. Le juge du fond aurait dû rechercher notamment si les tiers en question “ne s'étaient pas rendus tiers complices d'une faute contractuelle commise par la firme à laquelle ils avaient acheté les produits”.

• Cette jurisprudence de la Cour de cassation a été critiquée par une partie de la doctrine et de la jurisprudence qui estimait que le simple fait de prêter sciemment son concours à la violation d'une obligation contractuelle constituait une faute aquilienne.Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont consacré cette thèse, notamment les arrêts du 21 avril 1978 et du 22 avril 1983. Ce dernier rejette le pourvoi formé contre un arrêt qui avait considéré que le demandeur en cassation, qui avait collaboré à la violation d'une clause de réserve de propriété, avait commis une faute parce qu'il savait ou devait savoir qu'il plaçait la défenderesse dans l'impossibilité de faire valoir son privilège : “l'arrêt déduit par conséquent la faute quasi-délictuelle du demandeur de la connaissance qu'il avait ou devait avoir de la situation existante et de la collaboration qu'il a néanmoins apportée à la violation des obligations contractuelles ; [...`] ces considérations sont suffisantes pour en déduire la responsabilité de la demanderesse fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil”.Depuis cet arrêt, on enseigne généralement qu'il y a tierce complicité dès lors que le tiers sait ou doit savoir que le contrat qu'il conclut implique la violation par son cocontractant d'une obligation contractuelle.

• Mais en réalité, selon P.A. Foriers, tout est question d'espèce. Il faut voir dans chaque cas s'il y a eu violation de l'article 1382 du Code civil, donc se demander ce qu'aurait fait un bon père de famille. D'ailleurs, si l'on admet que dans tous les cas, le tiers qui participe à la violation d'une obligation contractuelle qu'il connaît se rend tiers complice de cette violation, cela revient en réalité à imposer les effets internes de ce contrat.✗ Ainsi, selon P.A. Foriers, une personne qui acquiert un immeuble libre d'occupation, alors qu'elle sait

que cet immeuble est loué, ne se rend pas normalement pas tiers complice des obligations du bailleur parce qu'elle peut raisonnablement penser que ce dernier a l'intention de résilier la bail à l'amiable.

✗ Les verriers belges se fournissent en carbonate de soude auprès de Solvay. Puis, suite à la chute du

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dollar, ils prennent des engagements à l'égard de fournisseurs américains, devenus compétitifs. Solvay, pour qui cela est catastrophique, puisqu'il sera obligé de fermer ses usines, se tourne alors vers le ministre des affaires économiques, qui parvient à convaincre les verriers de traiter avec Solvay. Les fournisseurs américains se retournent contre Solvay en lui reprochant de s'être rendu tiers complice des violations des obligations des verriers. Mais la Cour d'appel rejette leur action parce que compte tenu des circonstances, aucune faute ne pouvait être reprochée à Solvay.

La tierce complicité suppose une coopération directe à la violation d'une obligation contractuelle. Ainsi, un importateur parallèle qui se fournit légalement à l'étranger chez un distributeur peut vendre les produits en Belgique même s'il existe en Belgique un concessionnaire exclusif pour ce type de produits.

3. Les exceptions à l'opposabilité des effets externes

a. Conventions sans effets externes

– Les contre-lettres sont inopposables aux tiers (mais ceux-ci peuvent s'en prévaloir).– Les actes frauduleux sont inopposables aux tiers (Fraus omnia corrumpit les rend

inopposables).– ...

b. Effets externes soumis à formalités

– L'ancien article 1690 c. civ. subordonnait l'opposabilité de la cession de créance aux tiers intéressés à l'accomplissement de certaines formalités.

– La publicité hypothécaire protège les tiers au sens de la loi hypothécaire. (Pour les autres tiers, on applique les principes de droit commun.)

– ...

D. INOPPOSABILITE DES EFFETS INTERNES DES CONTRATS

1. Principe

En vertu de l'article 1165 du Code civil, – seules les parties sont tenues des obligations dérivant du contrat ;– seules, en principe, les parties peuvent directement puiser des droits dans un contrat.

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2. Les exceptions

Ce principe connaît toutefois des exceptions assez nombreuses.

a. La stipulation pour autrui

NOTION :

Article 1121 C. civ. : “On peut pareillement stipuler au profit d'un tiers, lorsque telle est la condition d'une stipulation que l'on fait pour soi-même ou d'une donation que l'on fait à un autre. Celui qui a fait cette stipulation, ne peut plus la révoquer, si le tiers a déclaré vouloir en profiter”.

La stipulation pour autrui est l'opération par laquelle une partie à un contrat (le stipulant) impose à une autre partie, qui accepte (le promettant), de faire ou ne pas faire ou donner quelque chose au profit d'un tiers (le tiers bénéficiaire) qui puisera, par l'effet de cette stipulation, un droit direct dans le contrat en cause.

Sauf controverse, on considère que le promettant s'engage à l'égard du bénéficiaire par déclaration unilatérale de volonté. Cet engagement est toutefois particulier puisqu'il dérive d'un contrat, dont il est l'accessoire.

Exemples :

• la stipulation pour autrui est fréquente en matière d'assurance (ex. assurance vie au profit d'un tiers : la société de l'assuré, un ami, un frère...) ;

• charge au profit d'un tiers (ex. rente viagère) dans le cadre d'une donation ;

• disposition d'un contrat d'entreprise réservant au sous-traitant le droit d'obtenir paiement directement du maître de l'ouvrage, en dehors de toute action directe ;

• clauses insérées dans les contrats passés entre une administration communale et des sociétés de distribution d'eau, de gaz, d'électricité... en vertu desquelles ces sociétés contractent des obligations vis-à-vis des habitants de la commune.

CONDITIONS DE LA STIPULATION POUR AUTRUI :

La stipulation pour autrui suppose tout d'abord que soient réunies toutes les conditions de validité des contrats en général.

Elle n'est soumise à aucune exigence de forme. Toutefois, elle doit respecter les conditions de forme qui s'appliquent le cas échéant au contrat principal.

En outre, la stipulation pour autrui doit respecter trois conditions spécifiques.

1. LA STIPULATION POUR AUTRUI EST L'ACCESSOIRE D'UN CONTRAT ENTRE LE STIPULANT ET LE PROMETTANT :

• Cette condition est prévue expressément par l'article 1121 C. civ. • Il s'agit d'une règle traditionnelle qui n'a pas de fondement rationnel. Dès lors, la

jurisprudence l'interprète très libéralement. En France, on semble même admettre que la stipulation pour autrui ne soit pas l'accessoire d'un contrat entre le stipulant et le promettant.

• Toujours est-il que la stipulation est l'accessoire du contrat principal. Par conséquent, la nullité ou la résolution de ce dernier entraîne la nullité ou la résolution de la stipulation.

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2. INTENTION DE STIPULER POUR AUTRUI ET NON POUR SOI-MÊME :

• Le stipulant doit être animé de la volonté de stipuler pour autrui et de créer un droit direct et propre au profit du tiers bénéficiaire, qui ne s'exerce pas par l'intermédiaire du patrimoine du stipulant.

• Les créanciers du stipulant ne pourraient donc effectuer une saisie-arrêt sur les droits du tiers bénéficiaire.

• Avant la loi du 25 juin 1992, la jurisprudence considérait qu'il n'y avait pas de stipulation pour autrui en cas d'assurance responsabilité civile parce que l'assuré entendait se couvrir lui-même des conséquences de sa condamnation, et non conférer un droit direct à la victime.

• L'assurance-vie au profit des héritiers légaux de l'assuré constitue-t-elle une stipulation pour autrui? Il faut examiner si l'assuré a voulu conférer un droit propre et direct ou s'il a stipulé pour lui-même et donc ses ayants droit. Si l'assurance-vie revient à conférer des capitaux aux héritiers légaux dans la mesure de leurs droits légaux, il ne s'agit pas d'une stipulation pour autrui.

3. LE TIERS DOIT ÊTRE DÉTERMINÉ OU DÉTERMINABLE :

• Parfois, la loi vient au secours du stipulant pour préciser le bénéficiaire désigné avec une certaine ambiguïté (ex. art. 107 et s. de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre).

• Le tiers doit être déterminé ou déterminable au moment où le droit s'ouvre. En revanche, ✗ il ne doit pas exister au moment de la conclusion du contrat ex. un enfant à naître

dans quelques années ou une société à constituer peuvent être bénéficiaires ;✗ il ne doit pas être déterminé ou déterminable au moment de la conclusion du

contrat. La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre fait application de ces principes lorsqu'elle prévoit qu'il est possible de stipuler une assurance au profit d'un tiers, tiers qui ne doit pas être désigné ni même conçu au moment de la conclusion, mais doit être déterminable au jour de l'exigibilité des prestations d'assurance.

Par ailleurs, le tiers bénéficiaire ne doit pas être au courant de la stipulation.

LES EFFETS DE LA STIPULATION POUR AUTRUI :

(a) PRINCIPE DE BASE :

La stipulation pour autrui a pour effet de faire naître au profit du tiers bénéficiaire un droit direct et immédiat contre le promettant. Le tiers ne doit pas accepter, ni même être au courant de la stipulation pour acquérir ce droit. Il en résute qu'il ne doit en principe pas être capable ou doté d'une volonté capable de se manifester. Ce principe connaît une seule exception : la stipulation pour autrui sera nulle si le tiers bénéficiaire est frappé d'une incapacité spéciale de recevoir (ex. assurance vie contractée par le malade mourant au profit de son médecin).

L'acceptation du bénéficiaire a pour effet d'empêcher la révocation de la stipulation.

(b) RAPPORT ENTRE STIPULANT ET PROMETTANT :

Le stipulant et le promettant sont liés par le contrat principal qui prévoit la stipulation. Le stipulant peut donc agir contre le promettant en exécution de la stipulation, et l'inexécution de la stipulation peut faire l'objet d'une clause pénale au profit du stipulant.

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(c) RAPPORT ENTRE LE STIPULANT ET LE TIERS BÉNÉFICIAIRE :

En principe , le stipulant et le bénéficiaire ne sont liés par aucun lien de droit. Le stipulant peut révoquer la stipulation aussi longtemps qu'elle n'a pas été acceptée par

le bénéficiaire. Si le bénéficiaire accepte la stipulation, le stipulant ne peut en principe plus révoquer la

stipulation, sauf application d'une règle spéciale, comme la révocabilité des donations entre époux si la stipulation tend à réaliser une donation indirecte entre conjoints.

(d) RAPPORT ENTRE LE PROMETTANT ET LE TIERS BÉNÉFICIAIRE :

Par dérogation à l'article 1165 C. civ., le tiers a un droit direct contre le promettant, dont il devient le créancier direct.

Cependant, le droit direct du bénéficiaire demeure l'accessoire du contrat principal qui prévoit la stipulation pour autrui. Par conséquent,

• si le contrat principal est résolu, le droit du bénéficiaire disparaît. Il s'ensuite que si le promettant a exécuté la stipulation, il peut agit en répétition de l'indu ;

• si le promettant peut se prévaloir de l'exception d'inexécution en ce qui concerne le contrat principal, il peut aussi suspendre l'exécution de la stipulation pour autrui.

En revanche, IL EST EXCLU QU'UNE CONVENTION IMPOSE DES OBLIGATIONS À UN TIERS .

b. L'action directe

NOTION : Il y a action directe (au sens technique du terme) lorsque la loi confère à une personne,

en dehors de toute cession à titre d'accessoire, ou de toute stipulation pour autrui, le droit d'exercer un recours contre un cocontractant de son débiteur sans passer par le patrimoine de ce dernier.

Il s'agit d'une dérogation à la relativité des conventions puisque d'une certaine manière, le titulaire de l'action directe peut exiger à son profit l'exécution des obligations découlant du contrat conclu par son débiteur et le débiteur de celui-ci.

L'action directe a, en principe, effet de privilège puisque son produit est acquis à son titulaire sans passer par le patrimoine du débiteur, et donc sans devoir subir un concours avec les autres créanciers de celui-ci.

L'action directe produit par ailleurs des effets analogues à ceux d'une saisie-arrêt. L'action directe est un concept d'origine entièrement doctrinale (au contraire de l'action

oblique). Elle est née dans notre droit au départ de trois dispositions légales :• Art. 1753 al. 1 C. civ. : “Le sous-locataire n'est tenu envers le propriétaire que

jusqu'à concurrence du prix de sa sous-location dont il peut être débiteur au moment de la saisie, et sans qu'il puisse opposer des payements faits par anticipation”. On a déduit de cet article une action directe du bailleur contre le sous-locataire.

• Art. 1798 ancien C. civ. : “Les maçons, charpentiers et autres ouvriers qui ont été employés à la construction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages faits à l'entreprise, n'ont d'action contre celui pour lequel les ouvrages ont été faits, que jusqu'à concurrence de ce dont il se trouve débiteur envers l'entrepreneur, au moment où leur action est intentée”. On a déduit de cette disposition que certains sous-traitants dans le domaine de la construction avaient une action directe contre le maître de l'ouvrage.

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• Art. 1994 al. 2 C. civ. : “Dans tous les cas, le mandant peut agir directement contre la personne que le mandataire s'est substituée”. On en a déduit que le mandant avait un recours direct contre le substitué de son mandataire.

• Toutefois, si l'on se penche sur le texte de ces dispositions et leur histoire, on s'aperçoit qu'aucune d'elles n'établit une action directe :

✗ L'article 1753 C. civ. est intimement lié au privilège du bailleur sur les biens garnissant les biens loués (peu importe en principe qu'ils appartiennent ou pas au locataire), auquel il apporte en réalité une limite. A l'image de la jurisprudence du Parlement de Paris, au XVIIe siècle, cette disposition protège le sous-locataire contre un exercice trop large du privilège du bailleur. Par ailleurs, l'article 1753 de parle pas de recours...

✗ L'article 1798 ancien, en réalité, ne créait pas une action directe, mais plutôt un autre type d'action. Toutefois, pour des raisons d'opportunité (par souci de protection des sous-traitants en question), on a considéré qu'il en établissait une.N.B. Depuis qu'il a été modifié, il prévoit expressément une action oblique.

✗ Quant au recours prévu à l'article 1994 al. 2 C. civ., il peut en réalité s'expliquer autrement :

- en cas de substitution autorisée, il existe une relation contractuelle, née par la représentation, entre le mandant et le mandataire substitué ;- en cas de substitution non autorisée, selon P.A. Foriers, la solution s'explique par le fait que le substitué serait un tiers qui adhèrerait au contrat de mandat originaire. Cette analyse correspond à une certaine jurisprudence de la Cour de cassation belge.

• Curieusement, sous l'impulsion de certains auteurs, on a déduit le concept d'action directe de ces dispositions. Ce concept a été consacré par la Cour de cassation française. Ensuite, le législateur en a créé de véritables.

En Belgique, le législateur a créé des actions directes (modification de l'article 1798 C. civ. et textes particuliers).

TYPOLOGIE : la doctine a fait une distinction entre• les actions directes parfaites : celles-ci confèrent à leur titulaire un véritable

droit autonome, d'origine légale. Elles sont prévues par des textes particuliers (spécialement en matière d'assurance responsabilité).

• les actions directes imparfaites, où le titulaire de l'action directe s'emparerait de l'action de son débiteur contre son sous-débiteur défendeur à l'action au moment de l'introduction de celle-ci (ex. action directe de l'article 1798 C. civ.). L'action directe imparfaite serait ainsi paralysée au cas où le débiteur intermédiaire aurait fait faillite. En effet, le concours cristallise son patrimoine.

• Les types d'exceptions que le défendeur à l'action peut opposer au demandeur diffèrent selon qu'il s'agit d'une action directe parfaite ou imparfaite (voir ci-après).

CAS D'ACTIONS DIRECTES :

(a) ACTIONS DIRECTES DU CODE CIVIL :

– Action du bailleur contre le sous-locataire (art. 1753 C. civ.)– Action du sous-traitant contre le maître de l'ouvrage (art. 1798 C. civ.)– Action du mandant contre le mandataire sunstitué (art. 1994, al. 2 C. civ)

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(b) ACTIONS DIRECTES RÉSULTANT DE TEXTES PARTICULIERS :

Le législateur a créé des actions directes (spécialement en matière d'assurances, au profit des victimes) dans un double souci de simplification de procédure et de protection de certains types de créanciers.Exemples :

– loi du 25 juin 1992 : droit propre au profit du du propriétaire sur l'indemnité due par l'assureur de la responsabilité locative, tant en cas de location que de sous-location ;

– loi du 25 juin 1992 : droit propre au profit de la personne lésée sur l'indemnité due par l'assureur de la responsabilité ;

– loi sur les accidents de travail : droit propre au profit des victimes contre l'assureur accidents du travail ;

– loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs : droit direct au profit de la victime de l'accident contre l'assureur de l'auteur de celle-ci.

CONDITIONS DE L'ACTION DIRECTE (3) :

1. Un texte légal qui l'organise.

2. Une créance certaine et exigible du demandeur contre le débiteur intermédiaire. En principe donc, il n'y a pas d'action directe si cette créance est éteinte par prescription ou par paiement.

3. Une créance du débiteur intermédiaire contre le défendeur à l'action.

EFFETS DE L'ACTION DIRECTE :

(a) EFFET GÉNÉRAL :

Le demandeur obtient condamnation du débiteur de son débiteur à son profit propre et exclusif sans passer par le patrimoine du débiteur intermédiaire (donc, effet de privilège).

(b) OPPOSABILITÉ DES EXCEPTIONS :

(i) Le droit commun (actions directes imparfaites) :

En principe, le défendeur à l'action directe peut opposer au demandeur une double série d'exceptions : – toutes les exceptions que le débiteur intermédiaire aurait pu opposer au demandeur

ex. si le sous-traitant agit contre le maître de l'ouvrage sur base de l'article 1798 C. civ., celui-ci peut lui opposer la prescription de la créance de l'entrepreneur à l'égard du sous-traitant, la nullité du contrat qui lie l'entrepreneur au sous-traitant, ...

– toutes les exceptions que lui, le défendeur, aurait pu opposer au débiteur intermédiaire ex. le sous-traitant ne peut agir contre le maître de l'ouvrage qu'à concurrence de ce que celui-ci doit à l'entrepreneur ; le maître de l'ouvrage peut opposer l'exception d'inexécution dont il peut se prémunir à l'égard de l'entrepreneur ; ... En ce qui concerne cette deuxième série d'exceptions, on considère généralement en Belgique qu'elles doivent être nées avant l'exercice de l'action directe ex. le maître de l'ouvrage ne peut faire obstacle à l'action du sous-traitant en payant sa dette vis-à-vis de l'entrepreneur après l'intentement de l'action.

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(ii) Régimes dérogatoires (actions directes parfaites) :

La loi déroge parfois à l'opposabilité des exceptions liées à la créance du débiteur intermédiaire à l'égard du sous-débiteur.Tel est le cas dans les assurances obligatoires de la responsabilité civile, pour lesquelles la loi du 25 juin 1992 prévoit que l'assureur ne pourra opposer à la victime aucune exception liée au contrat d'assurance sauf l'annulation, la résiliation, l'expiration ou suspension du contrat intervenues avant l'accident.

La loi déroge parfois au principe suivant lequel seules les exceptions antérieures à l'intentement de l'action sont opposables au demandeur.Tel est le cas dans les autres catégories d'assurances de la responsabilité civile, pour lesquelles la loi du 25 juin 1992 prévoit que l'assureur ne pourra opposer à la victime que les exceptions trouvant leur cause dans un fait antérieur au sinistre (mais le Roi peut soumettre certaines catégories d'assurances responsabilité civile non obligatoires au régime des assurances responsabilité civile obligaroires en ce qui concerne ce problème d'opposabilité des exceptions).

La loi peut détacher la prescription directe de la prescription des actions liées au contrat qui y donne naissance.

Il faut examiner les actions directes au cas par cas. Toutes doivent être instituées par un texte, et ces textes peuvent être rédigés et interprétés différemment.

c. La promesse de porte-fort (pas une véritable exception)

NOTION :

• Par dérogation à l'article 1119 C. civ., selon lequel “On ne peut, en général, s'engager, ni stipuler en son propre nom, que pour soi-même”, l'article 1120 C. civ. dispose que “Néanmoins on peut se porter fort pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci ; sauf l'indemnité contre celui qui s'est porté fort ou qui a promis de faire ratifier si le tiers refuse de tenir l'engagement”.

• La convention de porte-fort est la convention par laquelle le porte-fort s'engage vis-à-vis de son cocontractant à rapporter soit l'engagement, soit la ratification d'autrui, à défaut de quoi il sera tenu de dommages-intérêts.

• On y recourt notamment en cas d'urgence ou lorsque le tiers est inaccessible, voire n'existe pas encore (société à constituer).

• Classiquement la promesse de porte-fort peut – soit consister dans la promesse de l'engagement ou du fait d'un tiers,– soit consister dans la promesse d'un acte accompli sans pouvoir au nom d'un

tiers. En cas de ratification, tout se passera, en principe, comme s'il y avait eu un mandat valable dès l'origine.

Le porte-fort sera tenu de dommages-intérêts si le tiers ne s'engage pas, n'accomplit pas le fait ou ne ratifie pas l'acte.

• Mais en pratique (par dérogation au droit commun du porte-fort), il arrive que le porte-fort s'engage à exécuter l'acte lui-même au cas où il ne serait pas ratifié ou repris par le tiers. Tel est le cas, sauf convention contraire, pour les engagements pris au nom d'une société en formation (art. 60 du Code des sociétés). Les parties peuvent convenir d'un tel système.

• L'obligation du porte-fort est une obligation – de faire – de résultat – personnelle , en ce sens qu'elle ne lie que le promettant et non le tiers concerné.

• Puisque la promesse de porte-fort ne lie pas le tiers concerné, elle peut en principe porter sur tout type d'obligation (de faire, de ne pas faire ou de donner) et sur tout type de convention (consensuelle ou solennelle).

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EFFETS :

(a) AVANT L'ENGAGEMENT OU LA RATIFICATION DU TIERS :

• Entre parties à la convention de porte-fort : le porte-fort a une obligation de faire qui, en cas d'inexécution, se résoudra en dommages-intérêts, sauf dérogations légales ou conventionnelles en vertu desquelles le porte-fort sera tenu personnellement.

• A l'égard du tiers visé , la convention ne produit aucun effet (donc il n'y a pas de véritable exception à l'article 1165 du Code civil).

(b) APRÈS L'ENGAGEMENT DU TIERS OU LA RATIFICATION :

• Si le tiers conclut l'acte promis, il prend naissance à sa date et le porte-fort est délié.• Si le tiers ratifie l'acte accompli avec promesse de ratification, l'acte est censé avoir

été conclu comme s'il y avait mandat dès l'origine. Le porte-fort est délié et est dans la même situation qu'un représentant.La rétroactivité de la ratification ne peut toutefois porter atteinte à des droits acquis par des tiers dans l'intervalle (art. 1338 C. civ.).

d. La promesse pour autrui

L'article 1119 C. civ. prohibe les promesses pour autrui. On a parfois vu des promesses pour autrui dans des mécanismes tels les actes collectifs

où une majorité peut lier la minorité. En réalité, il s'agit

– soit de mécanismes légaux dérogatoires au droit commun,– soit de mécanismes prévus par un contrat qui organise une procédure de

décision de la partie (“partijbeslissing”).

e. Les exceptions liées à la transmission d'un bien : les obligations réelles et propter rem (pas une véritable exception)

Certaines obligations peuvent se transmettre activement et passivement avec un bien :

– la transmission d'un bien peut emporter cession à titre d'accessoire de certaines créances qui se rattachent à ce bien et qui n'ont d'utilité que pour son propriétare. Ex. cession à titre d'accessoire de l'action en garantie des vices cachés ou de la garantie décennale.

– certaines obligations, dites réelles, se transmettent en même temps que le bien auxquelles elles sont liées. Ex. clause d'habitation bourgeoise.

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f. La théorie de l'après-acte

Cette théorie, développée par Demogue, consiste à reconnaître que, dans certaines conditions, un tiers puisse bénéficier d'une convention et être tenu de ses charges en y adhérant expressément ou même tacitement.

Exemples : – Arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 1975 : un assuré avait prêté sa voiture à

un ami, qui avait causé un accident. La Cour de cassation a admis que la compagnie d'assurance puisse se retourner contre le conducteur, alors qu'il n'était pas partie au contrat d'assurance, parce que celui qui prend le volant adhère implicitement aux stipulations de la convention d'assurance qui le concernent.

– La ratification est, selon P.A. Foriers, une application de la théorie de l'après-acte.– Cette théorie explique les effets du contrat de transport à l'égard du destinataire qui n'y

est pas partie au sens de la substitution non autorisée du mandataire.– V. cession des contrats synallagmatiques.

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CHAPITRE 4 : LE CONTENU DE L'EFFET DES CONTRATS ENTRE PARTIES

A. L'EXECUTION DES OBLIGATIONS DECOULANT DU CONTRAT

1. Principes de la convention-loi et de l'exécution de bonne foi. Exécution en nature

Les obligations découlant des conventions doivent être exécutées de bonne foi en nature. Normalement, sauf abus de droit, il est possible de contraindre à l'exécution en nature. Deux institutions peuvent apporter des tempéraments à ces principes, en dehors de la

théoride l'abus de droit : la théorie de l'imprévision et la théorie des sujétions imprévues.

2. La théorie de l'imprévision

a. Notion

Cette théorie consiste à admettre qu'un contrat puisse être modifié ou résilié au cas où des circonstances inexistantes à la conclusion de celui-ci et totalement impévisibles viendraient par la suite en bouleverser l'économie en alourdissant de manière considérable les obligations des parties.

Il peut s'agir de circonstances économiques, politiques, technologiques, voire naturelles. Cette théorie se distingue donc

– de la théorie de la force majeure, en ce que l'exécution de la convention ne devient pas impossible, mais exceptionnellement lourde ;

– de la théorie de la lésion, en ce que le contrat est équilibré au départ.

b. L'imprévision en droit comparé

– En Allemagne, ce genre de problème est réglé à l'aide de la théorie du Wegfall der Geschäftsgrundlage et du principe d'exécution de bonne foi.

– En Italie, le Code civil permet la résolution ou la révision du contrat en cas d'excessiva onerosita.

– En Suisse, le phénomène est appréhendé au travers de la théorie de l'abus de droit et de la bonne foi.

– Dans les droits du common law, le concept de frustration vise tant des hypothèses de force majeure que d'imprévision.

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c. Droit positif belge

En Belgique (et en France), la théorie de l'imprévision, qui n'est prévue par aucun texte général, est généralement rejetée comme telle en DROIT PRIVÉ : le contrat est la loi des parties. (En revanche, le droit canon permettait la révision des conventions en cas de modification des données de base).

En revanche, la théorie de l'imprévision est assez largement admise en DROIT ADMINISTRATIF en vertu de la loi de continuité du service public (en effet, ce principe s'oppose à ce qu'un cocontractant de l'administration ait de telles difficultés financières qu'il risquerait de faire défaut).A cet égard, l'article 16 § 2 du cahier général des charges relatif aux marchés de l'Etat prévoit expressément que l'adjucataire peut demander

– une prolongation des délais d'exécution, – ou, s'il a subi un préjudice très important, la révision ou la résiliation du marché,

en cas de circonstances exceptionnelles (événements raisonnablement imprévisibles et inévitables – cas de force majeure, sujétions imprévues, imprévision...) le mettant dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations.

De plus, la jurisprudence aborde des cas d'imprévision par le biais d'AUTRES NOTIONS (à tel point qu'on peut d'ailleurs se demander s'il n'y a pas de théorie de l'imprévision sans le nom).

• La jurisprudence tourne autour de l'idée de CADUCITÉ PAR PERTE DE LA RAISON D'ÊTRE de la convention.

• La théorie de l'ABUS DE DROIT peut faire obstacle à ce qu'une partie exige envers et contre tout l'exécution d'une convention devenue ruineuse pour l'autre partie.

• La théorie de la FORCE MAJEURE pourrait intervenir dans certains cas, la force majeure devant s'apprécier de manière raisonnable.

Rien n'interdit aux parties d'introduire dans leur convention une CLAUSE D'IMPRÉVISION permettant la résiliation ou la révision du contrat dans certaines circonstances. On rencontre de telles clauses dans la pratique contractuelle internationale. Peut-on considérer, dans certaines circonstances, qu'il y aurait une clause d'imprévision implicite? Il faut être très prudent à cet égard, parce que peut-être que les parties ont justement voulu supporter le risque de l'imprévision... Pour résoudre la question, il faut vérifier si celui qui se prévaut des circonstances imprévisibles aurait dû insérer une telle clause. Sur ce point, l'appréciation dépendra de la qualité de cette partie (spécialiste des contrats internationaux? jeune ménage?) et des rapports de force.

3. La théorie des sujétions imprévues

a. Notion

Cette théorie est née en matière d'entreprise, mais elle peut s'appliquer à d'autres domaines. Elle tend à remédier au bouleversement de l'économie d'un marché à forfait en raison de la

découverte en cours d'exécution de celui-ci d' éléments préexistants mais raisonnablement imprévisibles qui entravent la réalisation de l'ouvrage .

Il s'agit souvent d'éléments géologiques.

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b.La théorie des sujétions imprévues en droit positif

En matière de MARCHÉS PUBLICS , la question est expressément abordée par l'article 16 § 2 du cahier général des charges de l'Etat. La jurisprudence requiert en général la réunion des conditions suivantes :

1. Les difficultés rencontrées (d'ordre technique ou géologique) doivent avoir existé au moment de la conclusion du contrat. Jugé que tel n'est pas le cas de la brusque montée inattendue d'une nappe aquifère (événement de force majeure).

2. Elles doivent avoir été “normalement” imprévisibles lors de la conclusion du contrat.

3. Leur origine doit être totalement étrangère au fait ou à la faute de l'entrepreneur, qui doit notamment veiller à réaliser ou faire réaliser les études du sol requises.

4. Elles doivent avoir aggravé sérieusement les charges de l'entrepreneur.

EN DROIT PRIVÉ , la théorie des sujétions imprévues a été assez aisément admise.– Traditionnellement, on considère que dans pareille hypothèse il y a eu ERREUR SUR

LA SUBSTANCE (excusable) (erreur sur l'objet du marché), ce qui permet d'annuler la convention.

– Or, parfois, l'annulation de la convention ne se justifie pas. Dans pareil cas, on pourrait réviser la convention sur base du principe de l'EXÉCUTION DE BONNE FOI .

B. L'INEXECUTION DES OBLIGATIONS CONTRACTUELLES

1. Principes

En cas d'inexécution fautive, le créancier de l'obligation contractuelle inexécutée

– peut poursuivre l'exécution en nature, si elle est possible, et le cas échéant, demander des astreintes ou l'application des articles 1143 et 1144 du Code civil ;

– peut, par ailleurs, demander la réparation du dommage que lui a causé l'inexécution du contrat en cause (responsabilité contractuelle) (voir tome II) ;

– peut parfois opposer un droit de rétention ;

– s'il s'agit d'un contrat synallagmatique, il peut se prévaloir de l'exception d'inexécution ou demander la résolution pour inexécution fautive.

La théorie des risques dans les contrats synallagmatiques s'applique à l'inexécution non fautive de ces contrats.

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2. Le principe de l'exécution en nature de l'obligation – rappel et précision

Le principe de l'exécution en nature s'applique à toutes les obligations, qu'elles soient de donner, de faire ou de ne pas faire, et ce, en dépit des termes de l'article 1142 C. civ.Sur ce point, la jurisprudence de la Cour de cassation est claire :

• Arrêt du 27 avril 1962 : rejet d'un pourvoi contre une décision qui ordonnait certains travaux en guise de réparation en nature de l'obligation de ne pas nuire à des propriétés voisines par l'exploitation d'un établissement insalubre et incommode (obligation de ne pas faire). L'exécution en nature est de droit, tandis que l 'exécution par équivalent n'a lieu que “ s ubsidiairement, notamment dans les cas où l'exécution en nature n'est pas ou n'est plus possible ” .

• Arrêt du 30 janvier 1965 : rejet d'un pourvoi contre une décision qui avait annulé une vente conclue en violation d'une promesse de vente, avec un tiers, complice de la violation de l'obligation du promettant ; “l'exécution en nature constitue le mode normal d'exécution forcée tant des obligations de faire que de celles de ne pas faire” ; “lorsque l'exécution en nature n'est pas ou n'est plus possible, l'exécution par équivalent s'impose”.

Il résulte de ces arrêts que le créancier n'a aucun choix entre l'exécution forcée en nature et l'exécution par équivalent.

Mais quelle est donc la portée de l'article 1142 C. civ.? On a beacoup discuté sur les articles 1142 à 1145.

• “SECTION III. - DE L'OBLIGATION DE FAIRE OU DE NE PAS FAIRE.Art. 1142. Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur.Art. 1143. Néanmoins le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l'engagement, soit détruit; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts, s'il y a lieu.Art. 1144. Le créancier peut aussi, en cas d'inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même l'obligation aux dépens du débiteur.Art. 1145. Si l'obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention.“

• L'article 1142 semble dire que le créancier de l'obligation inexécutée n'a d'autre solution que de demander des dommages et intérêts, ce qui

– est contraire au principe de l'exécution en nature, qui s'applique en principe à toutes les obligations, selon la Cour de cassation ;

– est incompatible avec les articles 1143 et 1144. • En effet, les articles 1143 (dans le cas d'une obligation de ne pas faire pas

exécutée) et 1144 (dans le cas d'une obligation de faire non exécutée) donnent précisément des illustrations d'exécution nature (remplacement judiciaire).

• L'article 1145, qui concerne les obligations de ne pas faire, semble faire une espèce de retour en arrière. En réalité, selon P. A. Foriers, l'article 1145 énonce simplement qu'en cas de non-exécution d'une obligation de ne pas faire on peut exiger des dommages et intérêts immédiatement, sans qu'il soit nécessaire de mettre le débiteur en demeure (c'est logique puisqu'une mise en demeure n'aurait pas de sens avec des obligations de ne pas faire).

• Comment combiner ces textes? En droit belge, on considère que cette section du Code civil est la traduction du droit commun : il est possible de poursuivre l'exécution forcée en nature, sauf quand elle est impossible ou implique une véritable contrainte sur la personne (sauf exception) ; dans ce cas, on peut réclamer des dommages et intérêts. L'art. 1142 C. civ. ne serait donc que l'expression d'une règle dont le contenu est très précis : il est interdit, sauf exception, de contraindre physiquement quelqu'un à exécuter quelque chose (Nemo praecise cogi ad factum).

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Donc, le principe de l'exécution est nature est limité par la règle selon laquelle en principe, n emo praecise cogi ad factum . Toutefois,

• parfois la loi déroge à ce principe en autorisant l'exécution forcée en nature avec contrainte sur la personne (ex. procédure d'expulsion) ;

• le créancier peut, lorsqu'il ne s'agit pas d'une condamnation à payer une somme d'argent, demander au juge d'assortir son injonction d'une astreinte ;

• le créancier peut demander au juge d'appliquer les articles 1143 et 1144 C. civ. (remplacement judiciaire), en vertu desquels le juge peut aurtoriser à titre subsidiaire, ou même principal, le créancier d'une obligation de faire ou de ne pas faire, fautivement inexécutée, à s'adresser à un tiers pour exécuter l'obligation aux frais du débiteur fautif. Il s'agit d'une forme d'exécution en nature facultative pour le juge.

• On admet par ailleurs que la victime du manquement puisse, dans des cas exceptionnels, procéder à un remplacement sans demander l'autorisation du juge (remplacement extrajudiciaire).

✗ Il est permis de recourir à un remplacement judiciaire à des conditions analogues à celles qui autorisent l'anticipation sur la résolution d'un contrat synallagmatique :

– il faut en principe qu'il y ait urgence ;– le créancier doit s'efforcer de faire constater, si possible

contradictoirement, la situation ;– il doit mettre le débiteur défaillant en demeure ;– le remplacement doit intervenir sans retard à l'expiration du

délai prévu par la mise en demeure ;– le créancier doit procéder au remplacement de bonne foi.

✗ Le remplacement intervient aux risques et périls du créancier et le juge pourra en vérifier a posteriori le bien-fondé et les conditions.

✗ Parfois, le faculté de remplacement unilatéral est organisée par les usages (ex. dans les ventes commerciales, manquement total à l'obligation de délivrance).

✗ Dans certains cas limites, la bonne foi pourrait obliger le créancier à procéder au remplacement unilatéral pour sauvegarder les intérêts du débiteur (ex. le locataire doit faire effectuer les travaux urgents nécessaires à la conservation du bien loué si le bailleur est absent).

Il faut veiller à ne pas confondre le droit à l'exécution en nature du droit à en obtenir l'exécution forcée.Cette distinction a une importance en ce qui concerne l'immunité d'exécution de l'Etat. Celle-ci, en effet, n'interdit pas au juge de condamner l'Etat à l'exécution en nature de ses obligations à l'égard d'un particulier, mais fait obstacle à ce qu'il autorise la victime à se substituer à L'Etat pour procéder à l'exécution de la condamnation aux frais de celui-ci (arrêt de la Cour de cassation du 26 juin 1980). En réalité, un problème d'exécution forcée ne se poserait que si l'Etat refusait de rembourser le coût du remplacement.

3. Les règles propres aux contrats synallagmatiques

Dans les contrats synallagmatiques, les obligations des parties sont liées par un rapport de connexité, en ce sens qu'il ne se conçoit pas que l'une des parties exécute ses obligations sans que l'autre exécute les siennes à son tour. On parle d'”exécution trait pour trait”, même si celle-ci ne doit pas nécessairement être simultanée.

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Cette nature particulière des contrats synallagmatiques entraîne l'application de 3 principes en cas d'inexécution de ces contrats, outre les sanctions de droit commun :

a. la théorie des risques dans les contrats synallagmatiques ;b. la résolution pour inexécution fautive ;c. l'exception d'inexécution.

a. L'inexécution non fautive des contrats synallagmatiques : la théorie des risques

PRINCIPES :

• Lorsqu'une partie à un contrat synallagmatique se trouve dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations suite à un cas de force majeure ou d'un cas fortuit, elle est libérée (au moins temporairement) de cette obligation (effet libératoire de la force majeure23).

• Le créancier de l'obligation inexécutée est également libéré (au moins temporairement), dans la mesure où l'on ne peut admettre qu'il soit obligé de s'exécuter, alors que son cocontractant est libéré et que leurs obligations se trouvent dans un rapport étroit de connexité.

• Si l'impossibilité d'exécution est définitive, le contrat est dissout.Si l'impossibilité d'exécution est temporaire, le contrat est suspendu.

LES RÈGLES “RES PERIT DEBITORI” ET “RES PERIT DOMINO” OU “CREDITORI” :

Malheureusement, ces règles sont traduites dans deux adages latins qui créent des confusions :

1. Res perit debitori : règle de droit commun (“la chose périt pour le débiteur” de l'obligation impossible à exécuter en nature en raison d'un cas de force majeure) qui, en réalité, ne s'applique pas seulement aux obligations portant sur une chose (il peut aussi s'agir d'une prestation). Elle signifie qu'en raison de la libération réciproque des parties, c'est le débiteur de l'obligation impossible en raison du cas de force majeure qui supporte la charge économique de celui-ci. En effet, bien que libéré, il ne sera pas payé.Ex. le bailleur qui ne peut fournir la jouissance des lieux en raison de leur perte par cas fortuit sera privé du loyer ; l'entrepreneur qui ne peut exécuter son marché en raison d'un cas fortuit sera privé de rémunération.

2. Res perit creditori ou domino : règle qui déroge à la première dans les contrats synallagmatiques translatifs de propriété. Elle signifie que si le débiteur de l'obligation de délivrance (ex. vendeur) ne peut exécuter cette obligation en raison d'un cas de force majeure, le créancier de cette obligation (ex. l'acheteur) ne sera pas pour autant délié de ses obligations (en cas de vente, il devra quand même payer le prix) : ici, res perit creditori.Cette règle est la conséquence de l'article 1138 du Code civil, selon lequel la

23 Celui-ci résulte de (1) l'impossibilité d'exécution en nature et (2) de l'absence de faute du débiteur, qui exclut toute exécution par équivalent. N.B. On dit souvent que le cas de force majeure doit non seulement être insurmontable mais aussi imprévisible. Ce n'est pas tout à fait vrai. En réalité, il faut se référer au caractère exempt de faute. Souvent, si l'événement était prévisible, le débiteur est en faute. Mais ce n'est pas toujours le cas. A vrai dire, l'absence de faute est le coeur même de la force majeure. La force majeure se situe à la limite de l'obligation de diligence du débiteur. D'un point de vue conceptuel donc, c'est une notion inutile.

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propriété de la chose et les risques y attachés se transfèrent solo consensu, sauf clause contraire.Historiquement, cette règle est toutefois issue du droit romain, où le transfert de propriété ne se transférait pas solo consensu. La jurisprudence avait considéré que res perit emptori ou creditori parce que les exportateurs ne voulaient pas supporter les risques du voyage des provinces jusque Rome.Depuis que le transfert de propriété s'opère solo consensu, l'adage Res perit domino traduit aussi cette idée.

CONSÉQUENCES :

(a) IMPOSSIBILITÉ DÉFINITIVE D'EXÉCUTION :

Dissolution du contrat. On dit souvent qu'elle n'a lieu que pour l'avenir. Tel est bien le cas dans les contrats successifs. Mais la règle est contestable et connaît de fréquentes dérogations en cas de contrats instantanés.Sur ce point, il faut, selon P.A. Foriers, appliquer les mêmes règles qu'en cas de résolution pour inexécution fautive. En effet, dans les deux cas, la dissolution a le même fondement : l'interdépendance des obligations réciproques des parties.

(b) IMPOSSIBILITÉ TEMPORAIRE D'EXÉCUTION :

Suspension du contrat.

(c) PERTE PARTIELLE DE L'OBJET DU CONTRAT :

Le créancier de l'obligation inexécutée pourra selon les circonstances demander la résolution du contrat ou demander une adaptation de ses obligations en conséquence (art. 1722 C. civ.).

(d) ABSENCE DE DOMMAGES-INTÉRÊTS À DÉFAUT DE FAUTE

RENVERSEMENT DE LA CHARGE DES RISQUES :

• L'un des effets de la mise en demeure est de renverser la charge des risques. Par conséquent, en cas de mise en demeure antérieure à la survenance du cas fortuit ou de force majeure,

– la règle “res perit debitori” ne s'appliquera pas , de sorte que la partie qui a fait l'objet de la mise en demeure ne sera pas libérée ;

– le règle“res perit domino (ou creditori)” ne s'appliquera pas , de sorte que le créancier de l'obligation de délivrance ne devra plus payer le prix de la chose.

• Toutefois, il est fait exception à ce principe et on applique le droit commun dans l'hypothèse où l'événement de force majeure se serait de toute façon produit avec les mêmes conséquences en l'absence de la défaillance ayant donné lieu à la mise en demeure. En effet, cette défaillance est alors sans lien de causalité avec l'événement de force majeure.

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b. L'inexécution fautive des contrats synallagmatiques

L'ARTICLE 1184 DU CODE CIVIL ET LA RÉSOLUTION POUR INEXÉCUTION FAUTIVE :

(a) PRINCIPES :

Selon l'article 1184, “La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances”.

Cette disposition ouvre une option au profit du créancier de l'obligation inexécutée :– soit poursuivre l'exécution forcée en nature, si elle est possible, et le cas échéant

demander le remplacement judiciaire, sans préjudice de dommages et intérêts complémentaires ;

– soit poursuivre la résolution du contrat (le maintien de ses obligations n'étant plus justifié en raison de l'inexécution des obligations de l'autre) et le cas échéant demander des dommages-intérêts complémentaires (couvrant le dommage éventuel non réparé par les restitutions découlant de la résolution).

C'est le “pacte commissoire tacite”. En principe , l'art. 1184 C. civ. s'applique à tous les contrats synallagmatiques, même

innommés, et notamment aux contrats de travail. Toutefois...– Traditionnellement, des doutes ont été émis quant à son application à la

transaction. La Cour de cassation a tranché la question en faveur de l'application de l'article 1184 à la transaction.

– L'application de l'article 1184 à l'emphytéose est controversée en raison de la nature spéciale de ce contrat et des sanctions spécifiques prévues par la loi de 1824.

– L'application de l'article 1184 aux contrats aléatoires (ex. contrat d'assurance, bail à nourriture) est également controversée, certains auteurs considérant qu'il faut appliquer l'article 1978 C. civ. prévu en matière de rente viagère24. Ils considèrent en effet que la résolution avec effet rétroactif serait incompatible avec la nature aléatoire du contrat, puisqu'il serait impossible de supprimer rétroactivement les bonnes ou mauvaises chances courues par les parties. Toutefois, à la supposer exacte, cette analyse ne pourrait être retenue qu'à l'égard des contrats aléatoires à prestations successives. Selon P.A. Foriers, rien n'empêche d'appliquer l'article 1184 aux contrats aléatoires, seulement, il faudra le cas échéant tenir compte de leur caractère successif.

– L'article 1184 ne s'applique pas au partage. En revanche, l'article 1184 ne s'applique pas aux contrats unilatéraux. Toutefois, il existe

une controverse quant à son application au prêt à intérêt, vu que celui-ci n'est uniléral que parce qu'il est réel.

L'application de l'article 1184 aux contrats synallagmatiques imparfaits est controversée. L'article 1184 n'est ni d'ordre public, ni impératif.

Les parties peuvent donc y déroger, soit pour supprimer l'action en résolution, soit pour supprimer le recours au juge (pacte commissoire exprès).

24 Art. 1978 C. civ. : “Le seul défaut de payement des arrérages de la rente n'autorise point celui en faveur de qui elle est constituée, à demander le remboursement du capital, ou à rentrer dans le fonds par lui aliéné; il n'a que le droit de saisir et de faire vendre les biens de son débiteur, et de faire ordonner ou consentir, sur le produit de la vente, l'emploi d'une somme suffisante pour le service des arrérages”.

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(b) MISE EN OEUVRE DE L'ARTICLE 1184 C. CIV.

(i) L'option appartient au créancier de l'obligation inexécutée :

En principe, le créancier, et lui seul, peut choisir entre l'exécution forcée et la résolution, et ce choix ne peut lui être imposé par le débiteur ou le juge. Le débiteur ne pourrait agir en résolution que si l'autre a lui-même fautivement manqué à ses obligations. Dans ce cas, il pourrait y avoir résolution aux torts réciproques des parties.

(ii) L'option et sa mise en oeuvre : l'intervention du juge :

En principe, le créancier, et lui seul, peut choisir entre l'exécution forcée et la résolution de la convention. Toutefois, le juge peut intervenir dans trois séries de cas :

− “A L'IMPOSSIBLE, NUL N'EST TENU” :

L'article 1184 ne permet de poursuivre l'exécution forcée que si elle est possible. Si en revanche l'exécution en nature est impossible, seule la résolution sera en principe possible, si le manquement est suffisamment grave (voir ci-dessous). Tout au plus, le créancier pourra-t-il poursuivre l'exécution forcée par équivalent.

− DÉLAI DE GRÂCE :

Le résolution est une mesure grave. C'est pourquoi, l'article 1184 impose l'intervention du juge pour lui prononcer et lui permet de donner un délai au débiteur pour s'exécuter.Le pouvoir du juge est ici plus large qu'en matière de délai de grâce en général. Le débiteur ne doit pas nécessairement être “malheureux et de bonne foi”.

− L'ABUS DE DROIT :

1°/ Gravité du manquement :Selon une jurisprudence ancienne, le juge doit vérifier si le manquement invoqué est suffisamment grave pour justifier la résolution (principe de proportionnalité) (application de la théorie de l'abus de droit : le juge vérifie si le demandeur a un intérêt suffisant). On constate une certaine réticence des juges à l'égard de la résolution, vue comme une mesure grave.La gravité du manquement ne doit pas s'apprécier in abstracto en fonction de la disposition violée, mais in concreto en fonction des conséquences de cette violation et notamment du dommage causé. Ex. la conclusion d'une sous-location partielle en violation flagrante d'une clause d'interdiction peut-elle justifier la résolution du bail, alors qu'a priori, on ne voit pas quel préjudice en résulterait pour le bailleur? Selon P.A. Foriers, il faut que le demandeur ait subi au moins un dommage minime pour que la résolution puisse lui être accordée.

2°/ Abus de l'exercice du droit de poursuivre l'exécution forcée :

De même, l'exercice du droit de poursuivre l'exécution forcée et non la résolution peut être abusif.Ex. la Cour de cassation a admis qu'un bailleur puisse, dans certaines circonstances, abuser de son droit de poursuivre l'exécution du bail jusqu'à son terme (alors que, par exemple, lui n'aurait pas de difficultés pour trouver un autre locataire, tandis que le locataire aurait des difficultés financières et aurait proposé une résiliation amiable à des conditions raisonnables).

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(iii) Nécessité d'une mise en demeure préalable :

Le créancier de l'obligation inexécutée doit mettre son débiteur en demeure avant de demander la résolution du contrat. Toutefois,

– la mise en demeure n'est pas nécessaire si l'exécution de l'obligation a cessé d'être utile pour le créancier ;

– la citation introductive vaut mise en demeure, ce qui vide en réalité l'exigence d'une mise en demeure préalable de son contenu.

(c) LA DISPENSE DE RECOURIR AU JUGE :

(i) L'anticipation sur la résolution judiciaire :

• Même si l'article 1184 C. civ. impose de recourir au juge pour prononcer la résolution du contrat, la jurisprudence admet depuis longtemps que dans certains cas de manquements particulièrement graves, la victime de ce manquement puisse notifier elle-même la résolution pour, le cas échéant, conclure avec un tiers un contrat de remplacement.

• Cette jurisprudence est liée à la jurisprudence permettant à la victime d'un manquement contractuel d'anticiper sur la résolution judiciaire. Mais conceptuellement, les deux hypothèses sont distinctes puisque le remplacement est une forme d'exécution en nature qui exclut donc la résolution.

• La doctrine justifie cette solution par la considération que si le recours au juge est imposé, c'est dans le but de lui permettre de donner un délai de grâce au débiteur. Cela n'a donc pas de sens si un délai de grâce serait inconcevable

• Parfois, l'usage permet le remplacement en cas de manquement grave (ex. en matière

commerciale).• En dehors de tout usage, le créancier peut à ses risques et périls provoquer la résolution

en cas de manquement patent, dans tous les cas où un délai de grâce serait inconcevable ou sans objet, donc chaque fois que l'intervention du juge n'aurait pas de sens. Telle est la tendance actuelle de la jurisprudence. Ex. :

✗ urgence

✗ impossibilité d'exécution

✗ perte de confiance réciproque empêchant objectivement l'exécution

✗ disparition de l'intérêt du créancier dans l'exécution de l'obligation après le terme convenu

Parfois, l'obligation qu'a la victime du manquement de réduire son dommage l'oblige même de cesser la relation contractuelle.

• Cette jurisprudence relative à l'anticipation sur la résolution judiciaire a vocation à s'appliquer à tous les contrats synallagmatiques.

• La Cour de cassation a consacré cette tendance jurisprudentielle dans un arrêt du 2 mai 2002, toutefois dans des termes étranges. En effet, il fonde la nécessité de recourir au juge pour prononcer la résolution sur la sécurité juridique et l'équité (!) et ne précise pas dans quelles conditions une anticipation sur la résolution judiciaire peut intervenir.

(ii) Le pacte commissoire exprès :

• Normalement, rien n'empêche les parties de déroger à l'article 1184 du Code civil en supprimant le recours au juge en cas de survenance d'un manquement qu'elles précisent. Une telle clause s'appelle “pacte commissoire exprès”.

• Toutefois, la loi s'oppose parfois à une telle clause (ex. art. 1762 bis C. civ. qui interdit les clauses

résolutoires expresses en matière de bail).

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• Les pactes commissoires exprès peuvent présenter des degrés divers.✗ Parfois, le contrat se borne en réalité à reproduire l'article 1184 C. civ. Le juge

considérera que tel est le cas si le pacte n'est pas assez précis.Dans ce cas, c'est le droit commun qui s'applique.

✗ Les parties peuvent prévoir que le contrat sera résolu de plein droit en cas de manquement à telle ou telle obligation précisée.Dans ce cas, le créancier victime du manquement ne doit pas recourir au juge pour résoudre le contrat. Il doit mettre son débiteur en demeure et si le manquement persiste, il lui suffit de faire connaître sa volonté de résoudre la contrat. Le débiteur peut saisir le juge pour contester le fondement de la résolution. Dans ce cas, le juge se bornera à vérifier l'existence du manquement, tel que celui-ci a été défini dans le contrat. S'il estime que le manquement est établi, il se bornera à constater la résolution, sans devoir la prononcer, et ne pourra pas accorder de délai de grâce.

✗ Les parties peuvent prévoir que le contrat sera résolu de plein droit et sans mise en demeure préalable dans telle ou telle hypothèse.

• Quelle que soit sa formulation, le pacte commissoire exprès demeure en principe une sanction d'un manquement contractuel, ce qui a pour conséquence que...

– Le créancier peut donc y renoncer pour poursuivre l'exécution forcée, sauf dans des cas exceptionnels (ex. dans les ventes commerciales de marchandises à fluctuations rapides de prix, en cas de défaut total de délivrance dans le délai conventionnel).

– En principe, la partie en tort ne pourrait se prévaloir de sa propre faute pour provoquer la résolution.

(d) LES EFFETS DE LA RÉSOLUTION : voir plus loin.

L'EXCEPTION D'INEXÉCUTION (EXCEPTIO NON ADIMPLETI CONTRACTUS) :

(a) NOTION :

L'exception d'inexécution est un principe général de droit qui s'applique à tous les contrats synallagmatiques, et même aux situations synallagmatiques25, même s'il n'est consacré par aucun texte général. Elle résulte de la nature même du contrat synallagmatique, qui en règle s'exécutent trait pour trait.

Elle permet à une partie de suspendre l'exécution de ses obligations jusqu'à ce que l'autre s'exécute. Elle constitue une arme rapide, simple et efficace.

(b) CONDITIONS D'APPLICATION :

1. EXÉCUTION TRAIT POUR TRAIT :

L'exception d'inexécution suppose que les obligations des parties doivent s'exécuter trait pour trait et que les parties n'aient pas modifié leur ordre d'exigibilité. Ex. si un contrat de vente prévoit que la paiement doit s'effectuer avant la livraison, l'acheteur ne pourrait refuser de payer le prix au motif que le vendeur n'aurait pas encore exécuté son obligation de délivrance.

2. INEXÉCUTION CONSOMMÉE :

En principe, la défaillance doit être consommée et l'exceptio timoris (exception sur base de la crainte de la défaillance future de l'autre partie) est rejetée. Toutefois, ce principe connaît des exceptions et est appelé à évoluer.

25 Résultant par exemple de l'annulation d'un contrat synallagmatique entraînant des restitutions réciproques.

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– Ainsi, certains textes dérogent à ce principe. Tel est le cas de l'article 1655 C. civ. en matière de vente (résolution de la vente d'un immeuble en cas de crainte de non-paiement - on craint pour les intérêts du vendeur). D'autre part, en matière de garantie d'éviction, même si le trouble doit être actuel, on admet que l'acheteur puisse mettre en oeuvre la garantie d'éviction s'il a de justes craintes d'être troublé.

– Des textes internationaux prévoient des hypothèses où l'exception d'inexécution peut être opposée en cas de crainte d'un manquement. Ex. convetion de Vienne sur la vente internationale des marchandises.

– Même si on adopte une conception traditionnelle, il faut s'entendre sur ce qu'est un manquement acquis. Selon P.A. Foriers, l'exception d'inexécution peut être invoquée à chaque fois que le manquement apparaît comme certain, même si en raison d'un délai il n'est pas actuel. Ex. le débiteur dit qu'il ne s'exécutera pas à la date prévue mais plus tard. En revanche, un simple risque d'inexécution ne suffit pas.

– Sous l'influence des textes internationaux notamment, nous sommes en train d'assister à une évolution, et il est probable que dans quelques années, on acceptera que l'on puisse se prévaloir de l'exception d'inexécution en cas de justes craintes d'inexécution.

3. PRINCIPE DE L'EXÉCUTION DE BONNE FOI :

L'exception d'inexécution doit être à la mesure du manquement (proportionnalité).Ex. un locataire n'a pas le droit de retenir tout le loyer parce que le bailleur n'a pas remplacé quatre tuiles qui percent.Il va de soi que ne pourrait invoquer l'exception d'inexécution la partie qui a en réalité été à l'origine du manquement.Ex. le maître de l'ouvrage ne peut pas se plaindre d'un retard si c'est lui-même qui n'a pas remis les plans. Une partie qui s'est vu opposer l'exception d'inexécution ne peut elle-même opposer à son tour l'exception d'inexécution.

4. ABSENCE DE RENONCIATION À L'EXCEPTION :

Les parties peuvent conventionnellement exclure l'exception d'inexécution.Il se peut qu'in specie le créancier de l'obligation inexécutée y ait renoncé.

(c) LA CHARGE DE LA PREUVE :

Qui doit prouver le manquement ou l'absence de manquement? Cette question n'est pas claire.

Selon deux arrêts de la Cour de cassation de 1947 et 1949, en principe c'est à celui qui soulève l'exception d'inexécution qu'il incombe de prouver que l'autre partie ne s'est pas exécutée et que les obligations sont réciproques. Il s'agit d'une application de l'adage Reus in excipiendo fit actor et de l'article 1315, al. 2 C. civ., en vertu duquel “Celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation”.

Toutefois, la doctrine et la jurisprudence ne sont pas toujours convaincus par cette solution. Certains considèrent que c'est celui qui exige le paiement qui devrait prouver qu'il ne pouvait y avoir exception d'inexécution26. Mais ce n'est pas la solution généralement acceptée par la Cour de cassation.

26 Leur raisonnement se fonde aussi sur l'article 1315 al. 2 C. civ. Il est le suivant : dans les contrats synallagmatiques, les obligations doivent s'exécuter trait pour trait dans leur ordre d'exigibilité. Or, le créancier qui poursuit son débiteur en exécution de son obligation doit avoir exécuté sa propre obligation. Il doit donc prouver qu'il a exécuté celle-ci.

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(d) EFFETS DE L'EXCEPTION :

(i) Entre parties :

L'exception d'inexécution permet la suspension des obligations de celui qui s'en prévaut, aussi longtemps que l'autre partie ne s'exécute pas.

(ii) A l'égard des tiers :

• Dans une certaine mesure et à certaines conditions, l'exception d'inexécution a des effets à l'égard des tiers.

• Le problème de base qui se pose est celui de savoir dans quelle mesure des sanctions contractuelles peuvent être opposées aux tiers. Nous prendrons l'exemple d'un vendeur n'a pas été payé. L'acheteur fait faillite. Le vendeur peut-il échapper au concours en opposant l'exception d'inexécution aux créanciers de l'acheteur?

• S'il s'agit d'un immeuble, l'opposabilité est liée à l'inscription du privilège à la conservation des hypothèques. Si le privilège n'a pas été inscrit (ce qui est fréquent, car l'inscription limite la possibilité d'hypothéquer) et qu'il y a concours, le vendeur ne pourra pas récupérer l'immeuble.

• En matière de meubles, en cas de vente au comptant, le vendeur peut introduire pendant un bref délai une pseudo-action en revendication. En cas de vente à terme, par contre, il n'y a pas d'action en revendication, et il s'ensuit que pour rendre l'exception d'inexécution opposable, le vendeur faut être resté possesseur de la chose (car possession vaut titre). Si tel est le cas, il peut refuser la livraison du bien et échapper ainsi au concours. Certains se sont demandé si cela n'était pas contraire au principe “Pas de privilège sans texte”, mais la Cour de cassation a écarté cette objection dès 1935. Elle est même allée plus loin en 1973, lorsqu'elle a décidé que le bénéfice de l'exception d'inexécution demeurait acquis même s'il résultait de la faillite du débiteur que l'inexécution de ses obligations revêtait un caractère définitif. Ainsi, l'exception d'inexécution peut se transformer de mesure temporaire en une espèce de mesure de garantie.

• L'exception d'inexécution que le débiteur aurait pu opposer au créancier cédant peut être opposée au cessionnaire d'une créance (voir plus bas).

(e) CONVENTIONS DÉROGATOIRES :

Elles sont licites.

4. Le droit de rétention : principe applicable à tous les contrats susceptibles d'y donner ouverture

a. Notion

Il s'agit du droit en vertu duquel une personne, obligée de livrer une chose à une autre personne, peut, en retenant la chose, refuser d'exécuter cette obligation en vertu de sa qualité de créancier d'une obligation inexécutée liée à la chose même, qualité dont elle est titulaire à l'encontre de la personne qui réclame la livraison de la chose.

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Plusieurs dispositions du Code civil consacrent l'existence d'un droit de rétention27. P. Van Ommeslaghe y voit l'expression d'un principe général de droit qui s'applique à toutes sortes de contrat, à certaines conditions.

Le droit de rétention se distingue de la compensation, qui constitue une forme d'extinction des obligations et suppose des obligations réciproques fongibles.

L'exception d'inexécution constitue un cas classique de droit de rétention. Mais le droit de rétention peut s'appliquer à d'autres types de contrats et porte nécessairement sur une chose.Le droit de rétention et l'exception d'inexécution se confondent chaque fois que l'exception d'inexécution permet de ne pas délivrer une chose.

b. Conditions d'application du droit de rétention

1. DÉTENTION DE LA CHOSE PAR LE RÉTENTEUR : détention réelle, effective et permanent.

2. L'OBJET RETENU : objet corporel (mobilier ou immobiler) et aliénable.

3. CRÉANCE CERTAINE, EXIGIBLE ET LIQUIDE impayée.

4. LIEN DE CONNEXITÉ ENTRE LA CRÉANCE DU RÉTENTEUR ET LA CHOSE RETENUE “DEBITUM CUM REJUNCTUM” : c'est ici que commencent les discussions. Il s'agit d'une condition certaine, mais quelle doit être l'intensité et quelle doit être la nature de ce lien?

• En tout cas, il est unanimement admis que ce lien peut être objectif et matériel : – créance d'impense ;– créance d'indemnité due au rétenteur ensuite d'un dommage que lui a

causé la chose retenue ;– ...

• L'on admet des cas de connexité juridique découlant d'un contrat : ✗ lien résultant d'un contrat synallagmatique (ex. le garagiste retient la voiture qu'il a réparée

jusqu'à paiement du prix) ou d'un rapport synallagmatique ;✗ connexité juridique prévue par la loi ex. gage, dépôt.

✗ On s'est demandé s'il y avait connexité juridique en cas de contrats successifs conclus dans une relation d'affaires. Ex. : le cas des filatures. Une partie donne de la laine à la filature, qui lui rend des fils. Les parties procèdent par contrats successifs. La filature peut-elle retenir des fils relatifs au dernier contrat car l'autre partie n'exécute pas une obligation découlant d'un contrat antérieur? Selon le procureur général Krings, il convient de faire la distinction suivante :

✗ ou bien , chaque contrat est conclu après que le précédent soit exécuté, ou du moins, la conclusion et l'exécution des différents contrats sont indépendants (juxtaposition de contrats) : dans ce cas, le droit de rétention ne peut pas s'exercer sur des marchandises relatives à un autre contrat que celui qui a été inexécuté ; tel est le cas dans l'exemple 2 ;

27 Il y a des textes qui se situent en dehors de tout mécanisme contractuel : article 570 C. civ. (accession mobilière : la jurisprudence considère que l'artisan qui doit restituer une chose faite à partir d'une matière ne lui appartenant pas a un droit de rétention tant que sa main-d'oeuvre n'a pas été remboursée), art. 867 C. civ (droit de rétention lié aux impenses). Certains textes constituent des applications de l'exception d'inexécution ou de mécanismes contractuels connus : art. 1612 C. civ., 1613, 1749 en matière de bail, relatif à l'indemnité en cas d'expulsion du locataire qui a accepté une clause d'expulsion (le locataire peut rester dans les lieux tant qu'il n'a pas reçu l'indemnité), 1948 concernant le droit de rétention jusqu'à paiement de ce qui est dû pour le dépôt, droit de retenir la chose mise en gage jusqu'à paiement.

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✗ ou bien , l'ensemble des relations contractuelles procède, d'un point de vue économique, d'un seul contrat (les contrats forment un tout indivisible) : dans ce cas, le droit de rétention peut s'exercer sur toutes les marchandises en possession de la partie impayée. On part donc de l'idée d'un contrat cadre implicite. On applique souvent cette solution dans les contrats de travail à façon (filage de laine, teinture de tissus, etc.). Souvent, dans ces domaines, les usages justifieront le droit de rétention.

• Dans quelle mesure les parties peuvent-elles créer conventionnellement une connexité artificielle entre certaines choses et certaines créances? Ex. : clause par laquelle les parties prévoient que toutes les marchandises se trouvant dans la possession du créancier seront affectées au paiement de ses créances et que l'ensemble des commandes sera censé former un tout indivisible, même si ces commandes procèdent de rapports juridiques distincts.✗ Entre parties , les clauses créant une connexité juridique sont valables.✗ Le problème se pose en cas de faillite, donc concours. Cette clause sera-t-elle

opposable aux tiers participant au concours?– Selon M. Van Ommeslaghe, oui, ces clauses sont licites et opposables

aux tiers, pour autant qu'elles aient été conclues de bonne foi et non en fraude des droits des tiers. En effet, les effets externes des contrats sont opposables aux tiers.

– Cette thèse a été rejetée par la Cour de cassation. Une clause créant une connexité juridique entre des biens et des créances n'aura de valeur à l'égard des tiers que si l'on peut considérer que dans la réalité des faits, il n'y a qu'un seul contrat. Mais si les parties créent une connexité artificielle dans le cadre d'opérations distinctes, elles ne pourront pas l'opposer aux tiers. En effet, il est vrai que les effets externes des conventions sont opposables aux tiers, mais ceux-ci pourront dire : cette connexité ne correspond pas à la réalité28.

5. BONNE FOI DU RÉTENTEUR : comme dans l'exception d'inexécution.

c. Les effets du droit de rétention

• Entre parties, le droit de rétention crée une situation d'attente en ce sens que le rétenteur peut refuser d'exécuter son obligation de livraison ou de restitution de la chose tant que son cocontractant n'a pas exécuté ses obligations.

• Le droit de rétention est en principe opposable aux tiers, en dépit de la règle “pas de privilège sans texte”.Toutefois, l'opposabilité du droit de rétention aux créanciers hypothécaires ou bénéficiant d'un privilège spécial est controversée.

• Le rétenteur doit, sous peine de perdre son droit (cf. condition de la rétention : détention réelle, effective et permanente), maintenir la possession de la chose et ne peut la réaliser à son profit. Il aboutit donc à une impasse si son débiteur tombe en faillite. Il n'a plus qu'à espérer que le curateur trouve une solution. Entretemps, il reste coincé avec les fils, la chaise...

• Il vaudrait donc mieux reconnaître un privilège au bénéfice du rétenteur, mais cela serait difficilement conciliable avec la règle “pas de privilège sans texte”.

• Selon P. Van Ommeslaghe, en pratique, il arrive souvent que les rétenteurs réalisent quand même la chose à leur profit.

28 Le même problème se pose en cas de compensation. Il peut y avoir compensation après concours en cas de connexité. On se demande dès lors dans quelle mesure les parties peuvent créer une connexité. Réponse : impossible sauf si les dettes sont économiquement liées.

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CHAPITRE 5 : LES MODES DE DISSOLUTION ET LES CAUSES DE SUSPENSION DES CONTRATS

A. LES CAUSES DE SUSPENSION DES CONTRATS

– Exception d'inexécution et théorie des risques dans la contrats synallagmatiques– Parfois, la loi prévoit des causes spéciales de suspension (ex. art. 26 et s. de la loi relative au

contrat de travail).– La suspension peut résulter de clauses conventionnelles expresses (ex. suspension d'une

police d'assurance à défaut de paiement de la prime dans telle et telle condition).

B. LES CAUSES DE DISSOLUTION DES CONTRATS

1. Les divers modes de dissolution

a. La résiliation unilatérale ou bilatérale

NOTION :

Il y a résiliation lorsque les parties mettent fin soit de commun accord soit unilatéralement à une convention en dehors de toute idée de manquement contractuel.La résiliation opère ex nunc.

RÉSILIATION DE COMMUN ACCORD (ART. 1134 AL. 2 C. CIV.) :

Tout contrat peut, en principe, être résilié de commun accord.Parfois, la résiliation est soumise à certaines formes, même lorsque la convetion résiliée est consensuelle. Ex. baux à ferme, baux commerciaux.

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RÉSILIATION UNILATÉRALE :

En principe, la résiliation unilatérale devrait être exceptionnelle, vu qu'elle déroge au principe de la convention-loi. Toutefois, statistiquement, les cas de résiliation unilatérale sont très nombreux.

(a) LA RÉSILIATION UNILATÉRALE DU CONTRAT À DURÉE INDÉTERMINÉE :

• Dans ces contrats, chaque partie a un droit de résiliation unilatérale, moyennant le respect d'un préavis raisonnable (sauf motif grave).

• Cette faculté tient à l'ordre public. Elle est liée à la prohibition des engagements perprétuels.

• Cependant, rien n'empêche de modaliser contractuellement la résiliation ex. en la

subordonnant au respect d'un préavis déterminé ou en ne l'autorisant qu'à certaines échéances. Mais ces clauses ne pourraient pas supprimer le droit de résiliation.

(b) LA RÉSILIATION UNILATÉRALE DES CONTRATS DE SERVICES :

• Plusieurs dispositions prévoient un droit de résiliation unilatérale au profit du client des prestations, en matière de marché à forfait, mandat et dépôt.✗ Selon l'article 1794 C. civ., “Le maître peut résilier, par sa seule volonté, le

marché à forfait, quoique l'ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l'entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise”.

✗ En matière de mandat, il est constant que le mandant peut révoquer le mandat (art. 2004 C. civ.).

✗ Le déposant peut en tout temps résilier le dépôt et reprendre sa chose même si un terme a été prévu (art. 1944 C. civ.).

• Ces dispositions s'expliquent par le fait que dans les contrats de services, seul le client a, en principe, intérêt à l'exécution en nature du contrat, le prestataire n'y ayant normalement qu'un intérêt financier.C'est pourquoi, d'ailleurs, l'on considère que le mandant ne peut révoquer un mandat d'intérêt commun, même si cela n'est prévu par aucun texte légal.

• Le client qui résilie le contrat doit couvrir son cocontractant – du travail fourni– le cas échant, de ses frais (damnum emergens) – et de son manque à gagner (lucrum cessans), sauf dans le mandat (cette

règle s'explique par le caractère en principe gratuit du mandat).• On peut donc se demander si le principe de la convention-loi n'est pas à la mesure de l'intérêt que les

parties ont à l'exécution du contrat.

(c) AUTRES CAS DE RÉSILIATION UNILATÉRALE :

Divers autres textes organisent des droits de résilation unilatérale :– droit de renonciation du mandataire ;

– droit des parties de résilier un contrat de travail ;

– droit du prêteur de reprendre la chose donnée en commodat en cas de besoin urgent ;

– etc.

(d) CLAUSES AUTORISANT LA RÉSILIATION :

Rien n'empêche les parties d'organiser conventionnellement la résiliation de leur convention.

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(e) RÉSILIATION POUR MOTIF GRAVE DES CONTRATS INTUITU PERSONAE OU IMPLIQUANT UNE COLLABORATION ÉTROITE (dans certains cas, à la limite de la résiliation et de l'anticipation sur la résolution judiciaire) :

• Dans beaucoup de contrats intuitu personae ou impliquant une collaboration étroite, chaque partie a le droit de mettre fin à la convention pour motif grave.Tel est le cas en matière de contrat de travail et de contrat d'agence commerciale.La même idée de motif grave se retouve dans la loi sur les baux à ferme comme motif justifiant le non renouvellement du bail.

• On assimile souvent le motif grave au manquement grave. En réalité, il s'agit d'une notion plus large qui vise tous les cas où en raison d'un fait imputable à une des parties la poursuite de la relation contractuelle s'avère impossible (ex. infraction pénale grave étrangère à l'exécution du contrat, injures, menaces ne constituant pas de véritables manquements au contrat).

• La résiliation est donc justifiée par une impossibilité d'exécution. Si le motif grave est aussi un manquement contractuel, il s'agit d'une anticipation sur la résolution judiciaire.

(f) LA RÉSILIATION DES CONTRATS INTUITU PERSONAE EN CAS DE DÉCÈS, FAILLITE OU INCAPACITÉ (en réalité, il ne s'agit pas d'une résiliation) :

• En réalité, cette cause de dissolution ne s'analyse pas une résiliation, mais procède d'une impossibilité d'exécution. En effet, le contrat intuitu personae doit être exécutée personnellement par la partie choisie en raison de ses qualités personnelles. Si elle ne peut plus exécuter ses obligations personnelles en raison de son décès ou d'une cause d'incapacité, le contrat doit donc prendre fin.

• Il faut plutôt considérer que le contrat est frappé de caducité suite à la perte de sa cause subjective entraînant une impossibilité d'exécution. C'est un des rares cas où le perte de la cause entraîne une impossibilité d'exécution.

LES EFFETS DE LA RÉSILIATION :

• La résiliation opère pour l'avenir : ex nunc.• Elle est parfois subordonnée au respect d'un préavis ou au paiement d'une

indemnité, laquelle ne saurait, suivant la Cour de cassation, recevoir la qualification de clause pénale (= clause fixant forfaitairement les dommages-intérêts résultant d'un manquement contractuel) (il est donc impossible de la réduire).

b.La résolution

PRINCIPES :

• La résolution résulte techniquement✗ soit de l'effet d'une condition résolutoire ✗ soit de l'effet d'un pacte commissoire (art. 1184 C. civ. ou pacte commissoire

exprès).• La résolution opère en règle avec effet rétroactif. Toutefois, le principe est écarté pour

les contrats à prestations successives lorsqu'ils sont divisibles (voir ci-après).

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PRÉCISIONS QUANT À LA RÉSOLUTION JUDICIAIRE :

(a) L'ÉTENDUE DE LA RÉSOLUTION DANS LE TEMPS, DANS L'ESPACE CONTRACTUEL ET QUANT AUX PARTIES :

(i) Etendue dans le temps :

GÉNÉRALITÉS :

✗ La résolution pour inexécution fautive opère en principe avec effet rétroactif.✗ D'un point de vue littéral, la solution résulte de l'assimilation par les auteurs du Code

civil du pacte commissoire tacite de l'article 1184 à la condition résolutoire de droit commun, qui opère avec effet rétroactif. Mais la pertinence de cet argument est discutable tant le pacte commissoire (exprès ou tacite) se distingue de la véritable condition résolutoire29.

✗ Selon P.A. Foriers, c'est l'idée de “cause” qui explique la rétroactivité de la résolution prononcée sur pied de l'article 1184 C. civ. Ainsi que l'a dit X. Dieux, s'il est normal que la nullité d'un contrat, par exemple pour fausse cause ou absence de cause au moment de la conclusion du contrat, sortisse ses effets à ce moment, puisque le contrat était affecté d'un vice fondamental, il est tout aussi naturel que la déception ultérieure de l'attente qui a déterminé le créancier à contracter conduise au dénouement du lien contractuel ab initio . En d'autres termes, si une partie commet un manquement justifiant le résolution du contrat, cela signifie que la cause objective de l'engagement de l'autre partie, qui consistait en les prestations de son cocontractant, ne s'est pas réalisée. Et on ne voit pas pourquoi il faudrait réserver un sort différent au contrat selon que la cause était inexistante dès le départ ou ne s'est pas réalisée.

✗ On pourrait aussi expliquer cette rétroactivité par la volonté commune des parties de créer un rapport d'interdépendance entre leurs obligations réciproques. Pour les parties, le contrat n'a de sens que s'il est pleinement exécuté. Il n'y aurait donc aucun sens à maintenir un début d'exécution. Ex. Il n'y aurait aucun sens à maintenir l'acompte payé en vue d'une livraison qui n'interviendra pas.

CONTRATS À PRESTATIONS SUCCESSIVES :

✗ Ces principes connaissent une exception classique en matière de contrats à prestations successives (ex. bail), où l'on admet généralement que la résolution opère ex nunc.

✗ Traditionnellement , on explique cette exception par le fait qu' (1) il est impossible de restituer des prestations déjà accomplies (2) et qui, jusqu'au jour du manquement en tout cas, s'équilibreront le plus souvent. Ex. dans le bail, jusqu'au jour du manquement, le loyer versé correspondra à la jouissance des lieux aux yeux des parties et d'ailleurs cette jouissance ne pourrait pas être restituée en nature.– Toutefois , ce raisonnement est inexact parce que (1) l'impossibilité de restituer en

nature n'est pas en soi un obstacle à la résolution rétroactive puisque l'on admet classiquement, dans ce cas, que les restitutions puissent être réalisées par équivalent, et ce, non seulement dans les contrats instantanés, mais aussi dans les contrats à prestations successives comme le bail. En effet, la Cour de cassation considère en général que la date précise de la résolution ex nunc en matière de bail se situe à la date d'introduction de la demande, ce qui pourrait

29 En effet, la condition résolutoire doit être extrinsèque tandis que la résolution résultant d'un pacte commissoire est liée à un manquement.

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donner lieu à des restitutions par équivalent30.– Ensuite, plus fondamentalement encore, la question de la possibilité ou de

l'impossibilité de procéder à des restitutions en nature est indépendante du caractère instantanté ou successif du contrat. Elle dépend en réalité de la nature de l'obligation en cause.Ex. il est tout à fait possible de procéder à des restitutions par équivalent dans l'hypothèse d'une rente périodique ou de livraisons successives pendant un certain temps.

– (2) Enfin, s'il est vrai qu'il y a équilibre des prestations en ce sens que les parties, en concluant le contrat, ont estimé que leurs prestations étaient équivalentes, il n'y a pas nécessairement un équilibre objectif des prestations. Ex. le loyer équivaut à la jouissance du locataire en raison de la seule volonté des parties, mais en réalité il n'est nullement certain que le loyer équivaut exactement à la valeur locative objective des lieux loués.

✗ Comment expliquer rationnellement la dérogation à la rétroactivité?Il faut partir du fondement même de la rétroactivité, qui se base sur l'idée de cause objective ou d'indivisibilité de la convention dans son économie voulue par les parties (voir ci-dessus). A la lumière de ces idées, la rétroactivité ne se justifie pas dans les contrats à prestations successives divisibles dans le temps. En effet, leur inexécution poue le futur n'affecte normalement pas l'équilibre contractuel pour le passé. Le contrat ne sera donc dissout que pour l'avenir, dans l'exacte mesure où sa cause est affectée.C'est donc plus le caractère divisible ou indivisible du contrat qui importe, que son caractère instantané ou successif. La résolution ne devrait être rétroactive que si le manquement affecte l'économie de l'ensemble de la convention. En revanche, la rétroactivité ne se justifierait pas si le manquement ne remet pas en cause l'équilibre des prestations effectuées dans le passé.Ce critère, outre qu'il est exact, a l'avantage de permettre d'éviter de discuter sur ce qu'est un contrat instantané ou un contrat à prestations successives. En effet, cette distinction n'est pas du tout claire puisqu'en réalité, beaucoup de contrats dits instantanés ne s'exécutent pas immédiatement. Ex. vente avec paiement d'un acompte ou délai pour la délivrance ne s'exécute pas immédiatement ; il en est de même, en principe, pour un contrat d'entreprise (ex. construction d'une maison) ; ...

✗ La jurisprudence de la Cour de cassation confirme-t-elle cet analyses?Oui, selon P.A. Foriers, même si elle reste marquée de la tradition.– (1) Il est vrai qu'en règle, la Cour de cassation ne fait pas remonter, en règle, la

résolution d'un contrat à prestations successives à la date du manquement justifiant la résolution, mais à la date d'introduction de la demande.

– Il est vrai aussi qu'elle paraît attacher quelque importance à la possibilité de procéder à des restitutions en nature puisqu'elle décide que

– (2) la date de la résolution peut remonter à une date antérieure “lorsqu'aucune prestation de nature à être restituée n'avait plus été effectuée dès ce moment” (ex. la résolution peut sortir ses effets à la date où le locataire a arrêté de payer le loyer et a quitté les lieux)

– (3) la date de la résolution peut remonter à une date postérieure lorsque des prestations effectuées en exécution de la convention après l'introduction de la demande ne sont pas susceptibles d'être restituées en nature (ex. le locataire a continué d'occuper les lieux après l'introduction de la demande).

– Mais (1) en général, la date de l'introduction de la demande en résolution correspond effectivement au moment où la partie demanderesse en résolution

30 La date précise de la résolution ex nunc en matière de bail est controversée. Faut-il la fixer au moment du manquement, de la citation, du jugement ou du moment où le locataire quitte les lieux? Si l'on veut être cohérent, il faudrait la fixer non à la date de l'introduction de la demande comme le fait la Cour de cassation, mais à la date du jugement prononçant la résolution, voire à la date de son exécution, si le locataire est resté dans les lieux.

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Page 111: Droit Des Obligations

manifeste sa volonté de ne plus poursuivre la relation contractuelle parce que l'équilibre en est rompu. (2) Si dès avant la demande, l'exécution du contrat a été stoppée, il n'est pas illogique de faire remonter la date de la résolution à ce moment puisque le contrat n'était plus exécuté de manière satisfactoire.

– (3) Seuls les arrêts faisant remonter la résolution à une date postérieure à l'introduction de la demande en raison d'une impossibilité de restitution en nature sont plus difficiles à justifier et semblent empreints de la tradition. Toutefois, il est vrai que cette solution semble commode (si le locataire a continué d'occuper les lieux, n'est-il pas commode de maintenir le bail jusqu'à son départ ou jusqu'au prononcé de la résolution et donc de le condamner au loyer, qui est par définition satisfactoire?).

– La jurisprudence examinée ci-dessus concernait par ailleurs des contrats successifs manifestement divisibles (il s'agissait essentiellement de baux). La question de l'indivisibilité du contrat ne se posait donc pas.Par ailleurs, il se déduit d'un arrêt de la Cour de cassation de 1996 que la simple circonstance que la construction d'un ouvrage s'effectue de manière successive n'implique pas qu'il soit dérogé à la règle de la rétroactivité. Cet arrêt a en effet cassé une décision qui avait prononcé la résolution ex nunc d'un contrat d'entreprise portant sur des travaux d'aménagement dont seulement 51 % avaient été effectués (ce qui avait pour conséquence que ces travaux devaient être payés au prix prévu par la convention).

(ii) Etendue de la résolution dans l'”espace contractuel” :

La doctrine classique affirme que la résolution s'étend à la totalité du contrat.Toutefois, ceci n'est pas tout à fait vrai. ✗ Tout d'abord, le contrat subsiste dans la mesure où il est générateur de

dommages et intérêts.✗ Ensuite, certaines clauses subsistent à la résolution :

– les clauses arbitrales ou d'élection de for ;– les clauses de droit applicable ;– les clauses pénales applicables en cas de résolution ;– de manière générale, toutes les clauses qui organisent la résolution.

En effet, dans l'esprit des parties et par leur nature, ces clauses sont divisibles du “coeur” du contrat résolu.

(iii) Etendue quant aux parties - le problème des contrats multiparties :

Ex. si un associé n'effectue pas ses apports etc., y aura-t-il résolution de toute la société ou seulement à l'égard de l'associé défaillant?C'est une question obscure car peu analysée par la doctrine.Tout d'abord, les parties pourraient convenir d'une résolution limitée ne valant qu'à l'égard de la partie en faute.Ensuite, le Code des sociétés semble dire que tout le contrat tombe si un associé est défaillant. Cela s'explique par le fait que pour les auteurs du Code civil, les parties dans une société sont indispensables car il s'agit d'un contrat intuitu personae. Cette solution n'est donc pas applicable à tous les contrats multipartites. Selon P.A. Foriers, il faut examiner si l'exclusion de la partie en faute ne rend pas impossible l'exécution du contrat en cause ou ne bouleverse pas son économie, autrement dit, si le contrat est divisible quant à ses parties.

(b) LES RESTITUTIONS :

Les restitutions découlant de la résolution s'effectuent si possible en nature , sinon par équivalent.

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c.La révocation des contrats

La révocation est une cause de dissolution propre aux libéralités . Elle recouvre (1) la résolution pour inexécution fautive (ex. révocation d'une donation pour inexécution des charges et art. 953 et 955 C. civ.) et (2) la résiliation unilatérale ou bilatérale lorsqu'elle est permise (ex. révocation d'une donation entre époux).

d. La théorie des risques

La théorie des risques dans les contrats synallagmatiques peut conduire à la dissolution du contrat. Selon De Page, cette dissolution opère pour l'avenir uniquement. Toutefois, selon P.A. Foriers, cela est inexact et en réalité il faut appliquer les mêmes principes qu'en cas de résolution pour inexécution fautive. Si le contrat est successif et divisible, ce qui sera le plus souvent le cas, la dissolution opèrera donc ex nunc, mais dans les autres cas elle doit avoir lieu rétroactivement. Mais cette question est controversée.

e.La rescision

La rescision est un mode exceptionnel de dissolution en cas de lésion (ex. art. 1674 et s. C. civ.). Elle se rapproche de la nullité. Toutefois, elle peut donner lieu à une réadaptation du contrat qui fera obstacle à la nullité (cf. art. 1681 et 1682 C. civ.).

f. Les nullités

NOTION : La nullité sanctionne les vices affectant la formation d'un contrat.Distinguer

– de la caducité ;– de l'inopposabilité, qui n'affecte pas la validité de l'acte entre parties, mais ses

effets à l'égard de tiers (ex. art. 1167 C. civ. action paulienne).

LES CATÉGORIES DE NULLITÉS :

(a) NULLITÉS TEXTUELLES ET VIRTUELLES :

La reconnaissance d'une nullité ne suppose pas un texte exprès sanctionnant un vice grave particulier.Les nullités textuelles sont prévues par un texte de loi. Les nullités virtuelles résultent des travaux de la doctrine, de la jurisprudence et de l'esprit de la loi.

(b) NULLITÉ DU NEGOTIUM ET DE L' INSTRUMENTUM :

La nullité de l'instrumentum qui ne répondrait pas à certaines formalités (ex. acte authentique signé par un notaire incompétent) n'a en règle pas de conséquence sur la validité du negotium.

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Page 113: Droit Des Obligations

(c) INEXISTENCE, NULLITÉ ABSOLUE, NULLITÉ RELATIVE :

• Jadis, – l'inexistence sanctionnait l'absence totale d'un élément essentiel à la formation

d'un contrat (ex. absence totale de consentement ou d'objet) ;– la nullité absolue sanctionnait en principe les conventions contraires à l'ordre

public ;– la nullité relative sanctionnait en principe les simples vices affectant la formation

du contrat (ex. vice de consentement).• Assez rapidement, le concept d'inexistence a été limité à certains cas limites.

Parallèlement, on a assisté à – une large admission des nullités virtuelles ;– la propagation de l'idée que même si un contrat était inexistant, il fallait quand

même que le juge en prononce l'inexistence ;– l'élargissement de la notion de nullité absolue, qui sanctionnait des défauts

graves à la formation du contrat (ex. absence d'objet ou objet indéterminable).• Depuis les travaux de De Page, la matière a été réorganisée. Aujourd'hui,

– l'inexistence a pratiquement disparu en droit civil comme sanction d'un défaut affectant la formation du contrat (ex. l'assureur peut opposer à la vitcime qui agit contre lui l'exception tirée de l'inexistence du contrat d'assurance) ;

– la nullité absolue frappe les conventions qui violent des dispositions d'ordre public ou qui sont contraires à l'ordre public ;

– la nullité relative sanctionne les autres vices touchant la formation du contrat ainsi que les violations des règles impératives ne protégeant que des intérêts privés.

RÉGIME DES NULLITÉS :

(a) GÉNÉRALITÉS :

• En principe , la nullité opère avec effet rétroactif.Toutefois,

– des textes particuliers dérogent à ce principe (ex. nullité d'une société anonyme) ;– le principe est généralement écarté pour les contrats à prestations

successives divisibles.• La nullité d'une clause n'entraîne pas nécessairement la nullité de toute la

convention. En l'absence de disposition légale ou de clause conventionnelle réglant expressément la question, il faut rechercher si dans l'intention des parties la clause est ou non indivisible de l'ensemble de la convention. Ce n'est que si elle est indivisible de la convention que celle-ci tombera dans son ensemble.

• Si le contrat est nul, certaines clauses pourraient, le cas échéant, subsister (clauses arbitrales, clauses d'élection de for...).

(b) NULLITÉ ABSOLUE :

Les nullités absolues sanctionnent la violation de l'ordre public et des bonnes moeurs. Il en résulte quatre règles spécifiques :

(1) Absence de confirmation positive de l'acte nul :

Tout au plus les parties pourraient-elles procéder à la réfection ou à la réitération de l'acte nul, si la cause de nullité venait à exister (ex. par l'effet d'une modification législative).

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(2) La nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d'un intérêt.

(3) La nullité absolue doit être prononcée d'office...

et peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation. Le juge doit veiller à respecter les droits de la défense.

(4) La nullité absolue était soumise à un régime spécial de prescription :

A l'origine, l'action en nullité absolue était soumise à la prescription trentenaire, alors que les nullités relatives se prescrivaient par dix ans (art. 1304 C. civ.), mais cette différence a été supprimée (donc prescription décennale), sous réserve des dispositions transitoires.

(c) NULLITÉS RELATIVES :

La nullité relative ne protège que des intérêts privés. Il en découle trois principes essentiels.

(1) La nullité relative peut être confirmée par la partie protégée :

• La partie protégée peut renoncer à invoquer la nullité = confirmer l'acte nul de nullité relative.

• Comme toute renonciation, la confirmation peut être expresse ou tacite, mais elle ne peut se déduire que de faits ou d'actes ne permettant pas une autre interprétation. La renonciation tacite doit donc être certaine. L'exécution d'un contrat nul ne peut donc valoir confirmation que s'il résulte des circonstances de l'espèce qu'elle est intervenue en connaissance de cause avec l'intention de confirmer.

• La confirmation suppose une volonté libre et non affectée d'un vice de consentement.• Elle suppose que son auteur soit au courant du vice.• Elle suppose que son auteur ne soit plus sous l'emprise du vice. Ex. si la contrat est nul

en raison de l'incapacité d'une des parties, cette partie ne peut en règle confirmer la nullité que lorsqu'elle sera reconnue capable. La nullité découlant d'une violation d'un texte impératif ne pourra être confirmée que lorsque la protection légale sera acquise.

• La confirmation doit être prouvée par celui qui s'en prévaut.• Elle ne peut porter atteinte aux droit acquis par des tiers dans l'intervalle (art. 1338 al.

3 C. civ.). La règle est la même qu'en matière de ratification.

(2) La nullité relative ne peut être invoquée que par la partie protégée.

(3) La nullité relative ne peut être soulevée d'office par le juge.

Mais un arrêt de la Cour de cassation de 2005 oblige le juge à rechercher d'office les règles de droit nécessaires à la résolution du litige. Le juge peut donc soulever la question de savoir s'il y a eu confirmation. Cette jurisprudence est conforme à celle qui autorise à invoquer devant pour la première fois devant le Cour de cassation une disposition impérative.

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Page 115: Droit Des Obligations

(4) Particularités de la nullité d'un contrat faute d'objet ou d'objet déterminable :

Il semble qu'un contrat nul faut d'objet ou d'objet déterminable ne puisse être confirmé parce qu'un nouvel accord des parties devrait intervenir quant à l'objet. Dans ce cas il y aurait “réfection” et non simple renonciation à se prévaloir de la nullité.

(d) DEUX INSTITUTIONS QUI PERMETTENT DE SAUVER LA NULLITÉ :

• LA CONVERSION DES ACTES NULS : On ne pourrait pas dire que la théorie de la conversion des actes nuls constitue un principe général de droit, mais la jurisprudence en porte la marque dans certaines hypothèses classiques.Il arrive que des juges modifient la qualification d'un acte nul pour le sauver.Ex. un acte authentique nul pour avoir été passé par un notaire incompétent territorialement peut valoir comme acte sous seing privé. Un chèque ou un billet à ordre nuls en la forme peuvent valoir reconnaissance de dette, comme un aval nul en la forme pourrait valoir comme cautionnement.Selon certains, le juge pourrait aussi renoncer à prononcer la nullité d'un acte et le convertir s'il constatait que cet acte correspond aux conditions de validité d'une autre opération licite et susceptible de répondre aux objectifs que les parties s'étaient fixés.Ex. on a parfois admis la conversion d'une société commerciale nulle en raison de son objet désintéressé en ASBL (ce qui est peut-être contestable).

• LA RÉGULARISATION DES ACTES NULS : Elle permet de sauver avec effet rétroactif un acte nul en le corrigeant.Ex. une vente avec lésion de plus de 7/12èmes peut être sauvée si l'acheteur paie le prix complet.

g. La caducité des actes par disparition de leur cause ou de leur objet ou par la survenance d'une cause d'incapacité rendant leur exécution impossible

La caducité est le mécanisme par lequel un contrat tombe , en principe de plein droit, à la suite de la disparition d'un élément qui était essentiel à sa formation et sans lequel il ne pourrait survivre.Elle opère en principe pour l'avenir (ex nunc).

2. Les effets de la dissolution des contrats

a. Dissolution ex nunc

• La dissolution ex nunc ne pose en principe pas de difficultés puisque le contrat ne prend fin que pour l'avenir.

• Toutefois, elle peut impliquer certaines restitutions en nature ou par équivalent. Tel est le cas

– si une des parties avait anticipativement exécuté une de ses obligations,– ou si la dissolution remontait à l'introduction de la demande, ce qui est le cas de

la résolution pour inexécution fautive d'un contrat à prestations successives.Ces restitutions sont régies par le principe de l'enrichissement sans cause.

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Page 116: Droit Des Obligations

b. Dissolution ex tunc

PRINCIPE :

• La dissolution rétroactive de la convention suppose que chaque partie doive restituer ce qu'elle a reçu en vertu de la convention.

• Les restitutions se font si possible en nature, sinon par équivalent.• La Cour de cassation, faisant application de l'enrichissement sans cause, considère à

juste titre qu'en cas de restitution par équivalent, la restitution doit être limitée aux choses et services qui ensuite du contrat ont été consommées ou dont une partie a bénéficié alors que l'autre partie n'en avait pas eu de contrepartie. La résolution d'un contrat d'architecture ne permet donc pas à l'architecte d'obtenir une allocation pour des plans que le maître de l'ouvrage n'a pas utilisés.

TEMPÉRAMENTS À LA DISSOLUTION EX TUNC :

(a) CAS OÙ LES RÉPÉTITIONS PEUVENT ÊTRE REFUSÉES EN CAS DE NULLITÉ (TEMPÉRAMENT PROPRE À LA NULLITÉ) :

– au titre de l'adage “ In pari causa... ” ;– en guise de réparation en nature d'une culpa in contrahendo causée par la partie

demanderesse en nullité qui aurait provoqué la conclusion d'un contrat nul.

(b) LIMITES AUX RÉPÉTITIONS :

En principe, les fruits ne se restituent pas, ni l'intérêt du prix, qui est réputé se compenser avec les fruits.

(c) IMPENSES :

La théorie des impenses s'applique à la partie qui doit restituer une chose à laquelle elle a apporté une amélioration (remboursement du coût des travaux pour les impenses nécessaires, de la plus-value plafonnée au coût pour les impenses utiles, rien pour les impenses somptuaires ou voluptuaires).

(d) SITUATION DES TIERS : SITUATION DES SOUS-ACQUÉREURS :

La nullité et la résolution s'imposent aux tiers, et notamment aux sous-acquéreurs, sous réserve de l'application de l'article 2279 C. civ. et des règles particulières en matière immobilière découlant de la prescription acquisitive ou de la loi hypothécaire.

(e) NULLITÉ RELATIVE À LA REPRÉSENTATION DES INCAPABLES :

Application de l'article 1312 C. civ.

(f) LES ACTES D'ADMINISTRATION (TEMPÉRAMENT PROPRE À LA RÉSOLUTION) :

La résolution ne porte pas atteinte aux actes d'administration. Ex. la résolution d'une vente ne porte pas atteinte aux baux conclus par l'acheteur avec des locataires de bonne foi.

(g) LIMITES AUX EFFETS DE LA RÉSOLUTION À L'ÉGARD DES TIERS :

V. cours de contrats spéciaux à propos de la résolution de la vente.

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Page 117: Droit Des Obligations

TITRE II – LES AUTRES ACTES JURIDIQUES

CHAPITRE 1 : LES ACTES JURIDIQUES COLLECTIFS

A. NOTION

La notion d'actes juridiques collectifs regroupe des situations, à vrai dire disparates, dans lesquelles un groupe de personnes prend des décisions liant l'ensemble de celles-ci ou la personne morale aux organes desquelles elles participent, et ce en principe à la faveur d'une décision majoritaire.

Ce processus décisionnel découle en général de dispositions légales particulières.Il en est ainsi pour les

– décisions des assemblées générales des sociétés anonymes

– décisions des assemblées générales d'obligataires

– décisions des assemblées des créanciers en matière de faillite et de concordat

– conventions collectives de travail

– etc.

Parfois, il résulte d'une convention (forme de “partijbeslissing”).Ex. selon P.A. Foriers, rien n'empêcherait de prévoir que des associés prennent des décisions à la majorité.

Ces situations sont tellement disparates qu'il n'existe aucune théorie générale complète des actes collectifs.

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Page 118: Droit Des Obligations

B. EFFETS

Les actes collectifs ne sortent pas nécessairement leurs effets de plein droit, comme c'est le cas, en principe, des décisions des assemblées générales des sociétés commerciales. Parfois, ils nécessitent l'intervention d'une autorité, soit d'une juridiction (ex. procédure concordataire), soit d'une autorité administrative (ex. conventions collectives de travail : rendues obligatoires par arrêté royal).

En principe, rien ne s'oppose à la transposition aux actes collectifs des principes relatifs aux contrat, mais– cette transposition doit être opérée avec prudence compte tenu des particularités de ces

actes ;– des mécanismes correcteurs sont nécessaires (abus de majorité, de minorité...).

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CHAPITRE 2 : L'ENGAGEMENT PAR DÉCLARATION UNILATÉRALE DE VOLONTÉ – ACTES UNILATÉRAUX

A. NOTION

1. Position du problème

La question de savoir si, en dehors des cas expressément prévus par la loi, une personne peut s'engager par déclaration unilatérale de volonté, a été très controversée.

Arguments :

Les opposants disaient que... Mais les partisans répondaient que...

• L'engagement par déclaration unilatérale de volonté n'a pas été consacré par l'ancien droit et n'est pas prévu de manière générale par le Code civil.

• Il faut protéger celui qui s'engage (on n'osera plus promettre quelque chose de peur d'être engagé).

• Il serait inconcevable qu'une personne devienne créancière à son insu.

• Pareil acte pourrait être révoqué unilatéralement, puisque c'est unilatéralement qu'il est né.

• Ce concept est inutile dans la mesure où les différents cas envisagés pourraient être expliqués différemment.

• Et alors? Ce rejet reposait sur un présupposé doctrinal et n'impliquait nullement que de tels engagements n'aient pas existé ou aient été privés d'effet, spécialement dans le domaine commercial.

• Oui mais l'engagement implique évidemment une intention réelle de s'engager.

• Non, rien n'empêche qu'une personne acquière des droits à son insu. D'ailleurs c'est se qui se passe dans la stipulation pour autrui.

• Non, s'il est source d'obligations, il ne peut être révoqué unilatéralement sans conditions.

• Non, par exemple, les autres explications de la force obligatoire de l'offre sont artificielles.

En France, la jurisprudence et la doctrine sont prudentes quant à cette source.En Belgique, la doctrine commercialiste a constaté que beaucoup d'institutions commerciales ne pouvaient s'expliquer autrement (ex. souscription à une augmentation de capital d'une société anonyme, garantie à première demande, billet à ordre...).

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Page 120: Droit Des Obligations

M. Van Ryn estimait que de tels engagements étaient valables en cas d'adhésion à une institution préexistante (ex. souscription à une augmentation de capital, crédit documentaire, etc.).Ces discussions ont cessé depuis que la Cour de cassation (arrêt du 9 mai 1980) a reconnu l'engagement par déclaration unilatérale de volonté comme source d'obligations, sans qu'elle doive adhérer à une institution préexistante.

2. Engagement par déclaration unilatérale de volonté et acte unilatéral

L'engagement par déclaration unilatérale volonté constitue une variété d'acte unilatéral.L'acte unilatéral est une manifestation unilatérale de volonté entraînant des effets juridiques. Ex. résiliation unilatérale, renonciation pure et simple : sont des actes unilatéraux mais non des engagements par déclaration unilatérale de volonté.La validité des actes unilatéraux qui ne constituent pas des engagements par déclaration unilatérale de volonté a toujours été admise, même s'ils peuvent indirectement générer des obligations (ex. la résiliation unilatérale d'un contrat peut obliger au paiement d'une indemnité).

3. Cas d'application

Constituent des engagements par déclaration unilatérale de volonté, notamment : – l'offre

– la garantie bancaire à première demande

– l'engagement du banquier vis-à-vis du bénéficiaire d'un crédit documentaire irrévocable

– la promesse de récompense

– la souscription à une augmentation de capital d'une société anonyme.

Constituent des actes unilatéraux, la renonciation, la résilation unilatérale...

B. FORMATION – ACTES RECEPTICES ET NON RECEPTICES

L'engagement unilatéral se forme en règle par la seule volonté de celui qui s'engage (principe du consensualisme).Toutefois, en pratique, un certain formalisme (engagements cambiaires) ou un certain littéralisme (crédit documentaire, garantie à première demande...) s'imposent souvent.

On distingue... – Les actes unilatéraux réceptices, qui sont adressés à une personne déterminée et ne

produisent leurs effets que pour autant que le destinataire en ait eu ou pu avoir connaissance (théorie de la réception) (ex. offre, souscription à une augmentation de capital).

– Les actes unilatéraux non réceptices, qui concernent la généralité des sujets de droit et qui produisent leurs effets dès que la volonté s'est extériorisée (ex. promesse de récompense).

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Page 121: Droit Des Obligations

Du point de vue statique, la formation des actes unilatéraux est soumise mutatis mutandis au régime des conventions (vices de consentement, objet, cause, capacité).Toutefois, il faut tenir compte des particularités de l'acte unilatéral :

– l'erreur sur la substance ne doit pas être commune (mais ce point est discutable) ;– le dol émanant d'un tiers est cause de nullité ;– en ce qui concerne la cause, on discute de la question de savoir si les mobiles

déterminants de celui qui s'engage peuvent entrer en ligne de compte s'ils ne sont pas connus de l'autre partie ;

– la théorie de la simulation est en principe inapplicable, puisque s'il y a un acte caché, il s'agit d'une réserve mentale.

C. INTERPRETATION

On applique le droit commun des contrats mutatis mutandis . Il faut se rappeler que si l'on peut tenir compte de la volonté implicite d'une partie, elle doit, d'une certaine manière, s'être extériorisée.

D. EFFETS

1. Irrévocabilité (condition de l'utilité)

L'acte est irrévocable dès qu'il a sorti ses effets, sauf exceptions légales ou réserve expresse d'un droit de résiliation moyennant certaines conditions.Différence entre les actes réceptices et non réceptices : voir ci-dessus.En vertu du droit commun, l'engagement à durée indéterminée peut être révoqué moyennant un préavis raisonnable.N.B. La révocabilité des testaments ne déroge pas à cette règle, le testament ne sortant ses effets qu'au décès du testateur.

2.Indivisibilité

Le bénéficiaire ne l'acte ne peut retirer de l'acte ce qui lui plaît et écarter ce qui ne lui plaît pas.

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Page 122: Droit Des Obligations

3.Effets internes et effets externes

Actes réceptices : application de l'article 1165 C. civ.Actes non réceptices : la question est délicate.

4.Effets quant aux obligations engendrées

L'acte unilatéral peut avoir pour objet toutes sortes d'obligations, qu'elles soient de faire, de ne pas faire ou de donner.Toutefois, on semble considérer que sauf exception (ex. testament), il ne saurait à lui seul avoir un effet translatif de droits réels (art. 711 et 1138 C. civ.). Cette exception se justifie-t-elle, alors que par ailleurs le transfert de propriété opère solo consensu (ce qui est critiquable)?

E. DISSOLUTION

En principe, application mutatis mutandis du régime applicable aux contrats.

CHAPITRE 3 : L'OBLIGATION NATURELLE (RENVOI)

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TITRE III – LES QUASI-CONTRATS

A la différence des contrats, les quasi-contrats ne procèdent pas d'un accord de volontés. Ils résultent d'une situation de déséquilibre de deux patrimoines qui apparaît comme injuste et anormale. Ils reposent tous sur l'idée d'enrichissement sans cause.

CHAPITRE 1 : LA GESTION D'AFFAIRES

A. NOTION

Il y a gestion d'affaires lorsqu'une personne (le gérant) accomplit de manière spontanée et volontaire dans l'intérêt et pour le compte d'une autre personne (le maître de l'affaire) un acte matériel ou juridique, en dehors de toute obligation légale ou conventionnelle, sans en avoir été chargée, mais parce que son intervention est nécessaire aux intérêts du maître de l'affaire.

Dispositions légales applicables : art. 1372 et s. C. civ. Le régime de la gestion d'affaires répond à un double souci :

– indemniser celui qui rend un service indispensable ;– éviter les immixtions injustifiées ou intempestives dans les affaires d'autrui.

La gestion d'affaires peut intervenir– alieno nomine (au nom du maître)– non alieno nomine (pour le compte du maître mais au nom du gérant).

Ex.

– recueillir un animal perdu ;

– faire procéder en l'absence prolongée du voisin à des travaux conservatoires à son immeuble endommagé par une tempête ;

– certains actes de sauvetage.

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Page 124: Droit Des Obligations

B. LES CONDITIONS DE LA GESTION D'AFFAIRES

1. Conditions négatives

1. ABSENCE D'OBLIGATION LÉGALE OU CONVENTIONNELLE D'AGIR :

Ex. ne font pas une gestion d'affaires : – le dépanneur qui agit sur ordre de la police ;

– le service des pompiers qui intervient dans sa commune pour éteindre un incendie ;

– l'hôpital qui reçoit des indigents ;

– l'équipe médicale du service des urgences d'un hôpital.

Cependant, on admet assez généralement que l'article 422 du Code pénal (non assistance à personne en danger) ne constitue pas une norme assez précise pour écarter la gestion d'affaires. La gestion d'affaires s'applique donc assez fréquemment à des actes de sauvetage, notamment lorsque le sauveteur a subi un préjudice.

2. ABSENCE D'OPPOSITION OU DE DÉFENSE DE LA PART DU MAÎTRE DE L'AFFAIRE :

Cette absence d'opposition n'implique pas un mandat tacite. Elle peut d'ailleurs résulter de l'ignorance de l'acte de gestion.

3. ABSENCE D'INTENTION LIBÉRALE DANS LE CHEF DU GÉRANT :

La preuve de l'intention libérale incombe au maître de l'affaire.

2. Conditions positives

1. INTENTION DE GÉRER L'AFFAIRE D'AUTRUI :

La gestion implique une certaine bienveillance, la volonté de gérer l'affaire d'autrui et non d'agir dans son propre intérêt.Ex.– l'entrepreneur qui, pour éviter un retard dans ses travaux, procède au déplacement de canalisations

électriques appartenant à une intercommunale ne gère pas l'affaire de cette dernière mais agit dans son propre intérêt ;

– la concubine qui organise les funérailles de son concubin dans son propre intérêt, sans même faire mention du nom des enfants de ce dernier dans le faire-part, ne gère pas l'affaire des héritiers.

La jurisprudence se montre stricte lorsque le gérant est mu par une intention mixte.Ex. jugé que ne gère pas l'affaire d'autrui, le curateur qui consent à des frais de chauffage et d'électricité dans un immeuble abritant un stock de marchandises qu'il était chargé de vendre, ces frais n'ayant pas été exposés exclusivement dans l'intérêt d'autrui, mais aussi dans l'intérêt de la masse.Selon P.A. Foriers, il y a gestion d'affaires si le but essentiel est de gérer les affaires d'autrui, même si le gérant y puise aussi un certain intérêt personnel.

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2. LA GESTION D'AFFAIRES DOIT ÊTRE NÉCESSAIRE :

Cette condition s'apprécie au moment de l'acte et non en fonction du succès de la gestion. Elle tend à éviter des immixtions injustifiées dans les affaires d'autrui.Le plus souvent, cette condition implique que le maître de l'ouvrage soit dans l'impossibilité d'agir, mais ce n'est pas toujours le cas dans l'hypothèse de situations urgentes et graves.

C. LES EFFETS DE LA GESTION D'AFFAIRES

1. Relations entre gérant et maître

a. Obligations du gérant31

• Art. 1372 al. 2 C. civ. : mêmes obligations que celles du mandataire (bien exécuter sa gestion et rendre des comptes au maître).

• Art. 1374 al. 1 C. civ. : apporter à la gestion tous les soins d'un bon père de famille.Toutefois, l'alinéa 2 permet au juge de modérer les dommages-intérêts compte tenu des circonstances qui ont conduit à la gestion d'affaires.

• Le gérant est tenu de “continuer la gestion qu'il a commencée, et de l'achever jusqu'à ce que le propriétaire soit en état d'y pourvoir lui-même : il doit se charger également de toutes les dépendances de cette même affaire” (art. 1372 al. 1 C. civ.). L'art. 1373 ajoute que le gérant “est obligé de continuer sa gestion, encore que le maître vienne à mourir avant que l'affaire soit consommée, jusqu'à ce que l'héritier ait pu prendre la direction”.

b. Obligations du maître de l'affaire

• Le maître doit couvrir les dépenses nécessaires ou utiles (cette condition s'apprécie au moment où la dépense est faite et non en fonction du succès de la gestion).

• La ratification du maître implique en principe reconnaissance de ce que les dépenses étaient utiles.

• Art. 1378 C. civ. : le maître dont l'affaire a été bien administrée doit remplir les engagements que le gérant a contractés en son nom (alieno nomine), l'indemniser de tous les engagements personnels qu'il a pris, et lui rembourser toutes les dépenses utiles ou nécessaires qu'il a faites.

• En principe, le gérant n'a pas droit à une rémunération. Toutefois, on admet qu'il puisse être indemnisé du temps, de la science et de l'habileté professionnelles qu'il a consacrées aux affaires d'autrui.

31 Il est intéressant de les comparer à celles du mandataire. En fait, le Code civil a transposé, en matière de gestion d'affaires, les règles applicables au mandataire.

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2. Relations entre le gérant, le maître et les tiers

a. Gestion “alieno nomine”

Le gérant ne contracte aucune obligation personnelle et les tiers avec lesquels il contracte ne peuvent se retourner que contre le maître, et ce, à condition que celui-ci ait ratifié ou que les conditions de la gestion d'affaires soient réunies.

b. Gestion “non alieno nomine”

Le gérant est tenu à l'égard de ses cocontractants et la ratification pourrait tout au plus donner lieu à un recours supplémentaire contre le mandant.

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CHAPITRE 2 : LE PAIEMENT DE L'INDU

A. NOTION

Art. 1235 C. civ. : “Tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition”. En effet, pareil paiement aboutirait à enrichir injustement l'accipiens.Dispositions légales applicables : art. 1235 et 1376 à 1381 C. civ.

B. CONDITIONS REQUISES

1. UN PAIEMENT (exécution d'une obligation supposée).

2. LE PAIEMENT DOIT ÊTRE INDU : 3 cas de figures possibles :

− ABSENCE DE TOUTE DETTE (art. 1235 al. 1 C. civ.) :

Paiement d'une dette déjà payée / paiement excédentaire / paiement d'une obligation sous condition suspensive si la condition ne s'est pas réalisée / paiement en vertu d'un contrat par la suite annulé / ...mais non le paiement d'une dette prescrite, même dans l'ignorance de la prescription.

− PAIEMENT À PERSONNE QUI N'EST PAS CRÉANCIÈRE :

La dette existe mais est payée à la mauvaise personne.

− PAIEMENT PAR ERREUR PAR UNE PERSONNE QUI N'EST PAS DÉBITRICE :

Une personne qui a payé parce qu'elle pensait par erreur être débitrice peut agir contre le créancier.En revanche, le paiement volontaire par un tiers n'est pas indu s'il répond aux conditions de l'article 1236 C. civ.

3. L'ACCIPIENS DOIT NE PAS AVOIR DÉTRUIT SON TITRE (art. 1377 al. 3)

C'est une règle d'équité. En effet, si l'accipiens a détruit son titre, il ne peut agir contre le vrai débiteur.Cette règle est interprétée largement. Elle s'applique à

– l'accipiens qui a libéré ses sûretés ;– l'accipiens qui a laissé prescrire son action contre le vrai débiteur à la suite du

paiement indu ;

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– à l'accipiens qui, à la suite du paiement d'une lettre de change par un tiré non accepteur, ne peut plus exercer son recours contre le tireur.

Dans ces cas, l'auteur du paiement indu ne pourra agir que contre le vrai débiteur sur base de l'enrichissement sans cause.

4. L'ERREUR COMME CONDITION DE L'INDU ?

On a beaucoup discuté sur la question de savoir si l'erreur était une condition distincte du paiement indu.Aujourd’hui on considère en Belgique que l'erreur n'a qu'un rôle probatoire, suite à un arrêt de la Cour de cassation de 1970 suivant lequel “celui qui répète le montant d'un paiement indu ne doit prouver qu'il a fait ce paiement par erreur que si un doute existe quant à la cause dudit paiement, et partant, du caractère indu de celui-ci”. En d'autres termes, il faudra démontrer l'erreur pour prouver le caractère indu du paiement dans des cas limites où des doutes planent quant à son caractère indu.Ex.– paiement fait par un tiers au créancier d'une dette existante ;

– lorsqu'un assureur responsabilité civile fait un paiement à la victime d'un accident en pensant que son assuré est responsable. Dans ce cas, en effet, on se demande s'il a agi sous l'emprise de l'erreur ou s'il a souhaité régler la situation transactionnellement.

On assimile à l'erreur les autres vices de consentement qui altèrent la liberté du solvens (ex. la violence).L'erreur inexcusable peut-elle être admise? Selon P.A. Foriers, oui, dans la a mesure où l'erreur ne joue qu'un rôle probatoire de l'indu.

C. LES EFFETS DU PAIEMENT INDU

1. Principe

L'accipiens doit restituer le paiement indu, qu'il ait été de bonne ou de mauvaise foi. Mais s'il était de mauvaise foi, sa situation est aggravée (art. 2268 C. civ.).

2. Obligations de l'accipiens

a. Accipiens de bonne foi

• Obligation de restituer dès qu'il s'aperçoit du paiement indu.• Pas tenu des intérêts et peut conserver les fruits.• Si la chose corporelle (mobilière ou immobilière) reçue en paiement a été détruite, il n'est

tenu que de sa faute.• S'il l'a revendue, il devra seulement en rembourser le prix.

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b. Accipiens de mauvaise foi

• Il doit restituer le ce qu'il a reçu.• Il doit restituer les intérêts et les fruits.• Il est tenu de la destruction de la chose reçue même par cas fortuit.• Il peut être tenu de dommages-intérêts complémentaires.

3. Obligations du solvens : art. 1381 C. civ.

Le demandeur à l'action doit payer les impenses nécessaires ou utiles même à l'accipiens de mauvaise foi.

D. PRESCRIPTION

Application du droit commun sauf texte dérogatoire.

E. EFFETS SUR LES TIERS SOUS-ACQUEREURS

C'est une question controversée. Le sous-acquéreur devrait cependant être protégé par l'article 2279 C. civ. en matière mobilière.Ex. lorsqu'une somme payée indûment a été transmise sans fraude par l'accipiens et en paiement d'une créance légitime à un tiers, la répétition ne peut pas être demandée à ce dernier (cass. 8 décembre 1994).

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CHAPITRE 3: L'ENRICHISSEMENT SANS CAUSE (ACTIO DE IN REM VERSO)

A. NOTION

• Il y a enrichissement sans cause lorsqu'une personne, par un fait personnel, procure à autrui en s'appauvrissant, un enrichissement sans que ni cet enrichissement ni cet appauvrissement corrélatif n'aient de cause les justifiant.

• L'enrichissement sans cause n'est pas consacré de manière générale par le Code civil. Néanmoins, il a été admis de longue date pour des considérations d'équité. La Cour de cassation lui reconnaît la qualité de principe général de droit.

• Les applications de ce principe sont rares.Ex. généalogistes, recours contributoire entre débiteurs solidaires in solidum.

B. CONDITIONS D'APPLICATION

1. UN ENRICHISSEMENT DU DÉFENDEUR ET UN APPAUVRISSEMENT CORRÉLATIF DU DEMANDEUR .

2. ABSENCE DE CAUSE À L'ENRICHISSEMENT DU DÉFENDEUR ET À L'APPAUVRISSEMENT DU DEMANDEUR :

• Absence de cause signifie absence de justification.• Il y a cause lorsque l'enrichissement trouve son origine dans... – la loi (ex. art. 549, 599 C. civ. et 8 de la loi du 10 janvier 1824 sur l'emphytéose), à condition qu'elle

soit la cause concrète de l'enrichissement (ex. un généalogiste découvre une succession ; l'héritier ne peut lui opposer le fait qu'il puise son enrichissement dans la loi alors que, sans le service de ce généalogiste, il ne se serait pas découvert héritier) ;

– une convention entre l'appauvri et l'enrichi ;– un contrat conclu avec un tiers, qu'il s'agisse d'un contrat entre un tiers et l'appauvri ou

l'enrichi (ex. l'entrepreneur qui a été chargé de certains travaux par un locataire ne peut, en cas de défaillance de ce dernier, demander remboursement des travaux au bailleur propriétaire qui en profite) ;

– la faute de l'appauvri (ex. il a négligé d'introduire un recours dans le délai légal, ou dans le délai de

prescription, ou manqué à certaines obligations contractuelles) ;– la volonté même de l'appauvri (tel est le cas s'il a agi dans une intention libérale, dans son intérêt

personnel ou dans un but spéculatif : ex. celui qui expose des frais pour soigner un parent malade en vue de capter son héritage ; mais il n'en va pas de même du généalogiste, qui escompte seulement la rémunération de son service).

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3. LIEN DE CAUSALITÉ ENTRE L'APPAUVRISSEMENT ET L'ENRICHISSEMENT :

On appliquera la théorie de l'équivalence des conditions.Ex. dans le cas du généalogiste, il n'y a pas de lien de causalité si l'héritier aurait de toute façon découvert sa qualité.

4. SUBSIDIARITÉ DE L'ACTIO DE IN REM VERSO :

Elle ne peut être introduite qu'à défaut d'un autre recours et d'une cause justifiant l'enrichissement.

Traditionnellement, on considère qu'il s'agit d'une condition spécifique distincte de l'enrichissement sans cause. Dès lors, si l'appauvri a laissé s'écouler le délai de prescription de l'action qui lui aurait permis d'être compensé, il ne peut pas y remédier en agissant sur base de l'enrichissement sans cause. La jurisprudence de la Cour de cassation est aujourd'hui fixée en ce sens (arrêts du 11 septembre 1970 et du 25 mars 1994).

Selon une autre thèse, développée par M. De Bersaques, le caractère subsidiaire de l'enrichissement sans cause ne serait que l'expression procédurale des autres conditions de l'institution, de l'absence de cause. Le seul intérêt pratique de cette théorie est que l'appauvri qui a laissé s'écouler le délai de prescription de son action sans qu'un négligence ne puisse lui être imputée pourrait recourir à l'enrichissement sans cause (hypothèse étrange). Mais cette thèse a été rejetée par la Cour de cassation.

C. EFFETS DE L'ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

• L'enrichi doit rembourser à l'appauvri le montant de son appauvrissement, sans que ce montant puisse excéder l'enrichissement.

• Aucune distinction n'est faite selon que l'enrichi est de bonne ou de mauvaise foi.• En principe, c'est au moment de l'introduction de la demande que le juge se place pour

apprécier le montant de l'indemnité.• Parfois le législateur intervient pour régler les modalités de la compensation (art. 548 et 555

C. civ.).

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