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Droit des obligations (DROI 1212) P. JADOUL - Y. NINANE *USLB152501* FACULTÉ DE DROIT Edition 2017-2018

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Droit des obligations

(DROI 1212)

P. JADOUL - Y. NINANE

*USLB152501* FACULTÉ DE DROIT

Edition 2017-2018

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Université Saint-Louis - Bruxelles Faculté de droit

Droit des obligations (DROI 1212)

Syllabus du cours

Pierre JADOUL & Yannick NINANE

Année académique 2017-2018

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Avertissement Le présent syllabus ne constitue qu’un des éléments servant de base à l’évaluation des étudiant(e)s. I l doit donc être complété par les développements effectués, les transparents présentés et les décisions de jurisprudence analysées au cours. Les étudiant(e)s consulteront utilement le document de présentation qui est à leur disposition sur le site de l’Université.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Bibliographie générale

- M. COIPEL, Éléments de théorie générale des contrats, Ed. Story-Scientia, 1999. - H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, 3e éd., Bruylant, Bruxelles,

T. II, 1964, pp. 389-1157 et T. III, 1967, pp. 1-1143. - J. HANSENNE, Introduction au droit privé, 3e éd., Ed. Story-Scientia, 1997. - S. STIJNS, Verbintenissenrecht (Boek 1), Die Keure, 2005. - S. STIJNS, Verbintenissenrecht (Boek 2), Die Keure, 2009. - S. STIJNS, B. TILLEMAN (Ed.), Verbintenissenrecht, Die Keure, 2012. - S. STIJNS, D. VAN GERVEN, P. WÉRY, « Chronique de jurisprudence : Les

obligations : les sources (1985-1995), J.T., 1996, pp. 689-752. - S. STIJNS, D. VAN GERVEN, P. WÉRY, « Chronique de jurisprudence : Les

obligations : le régime général de l’obligation (1985-1995), J.T., 1999, pp. 821-853.

- S. STIJNS, P. WERY (Ed.), Les sources d’obligations extracontractuelles – De bronnen van niet- contractuele verbintenissen, La Charte - Die Keure, 2007.

- P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence : les obligations (1974-1982), R.C.J.B., 1986, pp. 33-259 et 1988, pp. 33-199.

- X., Obligations – Traité théorique et pratique, Ed. Kluwer. - P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations (3 tomes), Bruylant, 2010. - P. WERY, Droit des obligations, Vol. 1 : Théorie générale du contrat, 2e éd.,

Larcier, 2011.

1. DÉFINITION DE L’OBLIGATION Aucune disposition du Code civil [burgerlijk wetboek] ne définit la notion d’obligation. Seul l’article 1101 dudit Code dispose :

« Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ».

Cette disposition suscite de nombreuses critiques : - Elle constitue tout d’abord une tautologie en définissant le contrat

[overeenkomst] comme une convention [overeenkomst], alors qu’il s’agit indéniablement de synonymes.

- En outre, elle confond manifestement les notions de contrat et

d’obligation [verbintenis]. Le premier doit en effet être considéré

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comme une des sources possibles de l’obligation, tandis que la seconde constitue un effet du contrat.

Dès à présent, on peut souligner que l’obligation peut trouver son origine dans une autre source qu’un contrat (cfr Partie 1 : Les sources des obligations). Par ailleurs, un contrat n’a pas toujours pour effet de créer une ou plusieurs obligations.

Il est communément admis que l’obligation se définit comme un lien de droit entre deux ou plusieurs personnes en vertu duquel l’une(les unes) peu(ven)t exiger de l’autre(des autres) l’accomplissement d’une prestation consistant à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose. Les parties à ce rapport juridique, qui peuvent être des personnes physiques ou des personnes morales [rechtspersoon], sont respectivement qualifiées de créancier(s) et de débiteur(s). Toute obligation présente en conséquence un volet actif qu’on appelle créance [schuldvordering] et un volet passif qui coïncide que l’on appelle dette [schuld].

2. CARACTÉRISTIQUES DE L’OBLIGATION L’obligation (ou le droit de créance [vorderingsrecht]) répond aux caractéristiques suivantes : - L’intervention de deux personnes (physiques ou morales) au minimum :

le créancier [schuldeiser] et le débiteur [schuldenaar]. - La relativité du rapport juridique créé : seul le débiteur est en effet tenu

de fournir la prestation au profit du créancier qui, seul, est en mesure de l’exiger.

En règle générale, un tiers ne peut dès lors être contraint de fournir la prestation qui fait l’objet de l’obligation. Il ne pourra davantage exiger l’exécution de celle-ci de la part du débiteur.

- L’obligation implique un pouvoir de contrainte permettant au créancier

d’exiger l’exécution par son débiteur de la prestation dont il lui est redevable.

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Le cas échéant, l’exécution forcée [gedwongen uitvoering] de l’obligation peut être requise sur le patrimoine du débiteur, pour autant que le créancier dispose d’un titre exécutoire [uitvoerbare titel] confirmant l’existence, le contenu et l’exigibilité de sa créance.

- L’obligation revêt enfin un caractère temporaire. Elle s’éteindra

nécessairement par son exécution (qualifiée de paiement [betaling]) ou par un autre mode d’extinction.

3. CLASSIFICATIONS DES OBLIGATIONS À l’inverse des droits réels [zakelijke rechten], aucun numerus clausus n’a été instauré par le Code civil et les lois subséquentes pour les obligations (c.à.d. droits personnels ou de créance). Il n’est dès lors pas possible de procéder à une énumération exhaustive de celles-ci, eu égard à leur nombre illimité. Une classification peut être effectuée sur base de différents critères qui peuvent évidemment être superposés. A. Selon le contenu de l’obligation Ce critère permet de distinguer les obligations de dare, de facere et de non facere. • L’obligation de dare [iets te geven] (donner) a pour objet la constitution

ou le transfert d’un droit de propriété [eigendomsrecht] ou de tout autre droit réel sur une chose mobilière [roerend] ou immobilière [onroerend]. Elle peut traduire une intention libérale [vrijgevige bedoeling] dans le chef du débiteur (contrat de donation), mais ne la requiert pas nécessairement (contrat de vente).

L’obligation de donner quelque chose se caractérise par la transmission solo consensu de la propriété, ce qui a pour conséquence que la chose est immédiatement mise aux risques du créancier (Article 1138 du Code civil). Rien n’empêche cependant les parties de différer contractuellement le transfert de propriété et/ou des risques.

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• L’obligation de facere [iets te doen] (faire) requiert dans le chef du débiteur une prestation positive qui ne consiste pas dans l’établissement ou la transmission d’un droit réel.

Cette catégorie regroupe la majeure partie des obligations.

• L’obligation de non facere [iets niet te doen] (ne pas faire) implique

dans le chef du débiteur une prestation négative ou, en d’autres termes, une abstention.

B. Selon la source de l’obligation La théorique classique distingue à cet égard les obligations contractuelles, les obligations quasi-contractuelles, les obligations délictuelles, les obligations quasi-délictuelles et les obligations légales. • Les obligations contractuelles [verbintenissen uit overeenkomsten],

dont le régime est organisé par les articles 1101 à 1369 du Code civil, sont issues d’un contrat, c’est-à-dire d’un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes en vue de créer des effets juridiques (droits et obligations).

Il s’agira tantôt d’un contrat nommé [benoemd overeenkomst] dont le régime particulier est organisé par les articles 1582 et suivants du Code civil (la vente, l’échange, le louage, la société, le prêt, le dépôt,…), tantôt d’un contrat innomé [onbenoemd overeenkomst].

• Les obligations quasi-contractuelles [verbintenissen uit quasi-contracten] sont issues de quasi-contrats, c.à.d. d’actes « purement volontaires de l’homme, dont il résulte un engagement » (Article 1371 du Code civil).

Le quasi-contrat se distingue dès lors du contrat en ce qu’il ne naît pas d’un accord de volontés. On range parmi les quasi-contrats la gestion d’affaires [zaakwaarneming] (Articles 1372 à 1375 du Code civil), le paiement d’indu [onverschuldigde betaling] (Articles 1376 à 1381 du Code civil) et l’enrichissement sans cause [verrijking zonder oorzaak].

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• Les obligations délictuelles [verbintenissen uit misdrijf] trouvent leur origine dans la commission d’une infraction au sens pénal du terme.

• Les obligations quasi-délictuelles sont issues d’une faute [fout], c.à.d.

d’un « fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage » (Article 1382 du Code civil) et oblige dès lors l’auteur de celle-ci à réparer ledit dommage [schade].

• Les obligations légales [verbintenissen uit de wet] sont directement

issues de la loi (Article 1370 du Code civil), considérée comme une source spécifique d’obligations entre particuliers, plutôt que comme fondement des autres sources évoquées ci-avant.

C. Selon l’étendue de l’obligation Cette classification d’origine prétorienne oppose les obligations de moyen [inspanningsverbintenis] aux obligations de résultat [resultaatsverbintenis]. Elle détermine le contenu et la portée de l’obligation mise à charge du débiteur, ainsi que l’objet de la preuve [bewijs] à apporter par le créancier impayé. • L’obligation de résultat : le débiteur s’est engagé et est dès lors tenu

d’atteindre un résultat déterminé.

Le créancier impayé n’aura dès lors à prouver que l’existence de l’obligation incombant à son débiteur et le fait que le résultat n’a pas été atteint. Seule la survenance d’une cause étrangère exonératoire [vreemde oorzaak] serait donc susceptible de permettre au débiteur d’échapper à la mise en cause de sa responsabilité contractuelle.

• L’obligation de moyen : le débiteur est tenu de se comporter en « bon

père de famille » et de mettre en œuvre tous les moyens raisonnables pour exécuter adéquatement l’obligation qui pèse sur lui.

Il appartiendra au créancier impayé d’établir non seulement l’existence de l’obligation et l’inexécution de celle-ci, mais également la faute du débiteur dans l’inexécution [niet-nakoming] de l’obligation. Cette faute sera établie lorsque le débiteur ne se sera pas comporté comme un bon

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père de famille, notamment en ne faisant pas un bon choix dans les moyens mis en œuvre.

La distinction entre obligation de résultat et obligation de moyen n’est pas toujours évidente 1. L’examen de la jurisprudence révèle que la volonté commune des parties constituera souvent le critère retenu 2. La jurisprudence a ainsi été amenée à considérer comme obligations de résultat : - L’obligation du garagiste de conserver et de restituer le véhicule qu’il a réparé3 ; - L’obligation de l’exploitant d’un car wash de restituer les véhicules sans dégradation4 ; - L’obligation de l’entrepreneur spécialiste de livrer un travail exempt de malfaçons5 ; - L’obligation du médecin de ne pas oublier des objets intolérables dans le corps humain6 ; - L’obligation du fournisseur d’ordinateurs de livrer le matériel informatique7 ; - L’obligation de l’éditeur d’un annuaire téléphonique des données concernant les personnes raccordées aux services de téléphonie vocale de base8 ; - L’obligation d’un constructeur de meubles de produire le meuble conçu9 ; - L’obligation d’exécuter des travaux de carrosserie confiés à un spécialiste10 ;

1 Comm. Mons, 17 avril 2008, R.G.D.C., 2009, p. 103. 2 Cass., 3 mai 1984, Pas., 1984, I, p. 1081 ; Cass., 18 mai 1990, Pas., 1990, I, p. 1068 ; Cass., 15 janvier 2010, R.C.J.B., 2010, p. 507 ; Mons, 13 septembre 2011, J.L.M.B., 2012, p. 759. 3 Liège, 17 novembre 1992, R.R.D., 1993, p.249 ; Civ. Tournai, 23 mai 2007, J.T., 2007, p. 584. 4 Civ. Bruxelles, 25 janvier 1985, Bull. Ass., 1985, p.287. 5 Comm. Mons, 17 avril 2008, R.G.D.C., 2009, p. 103. 6 Cass., 28 septembre 1995, Pas., 1995, I, p.857. 7 Comm. Bruxelles, 18 février 1980, J.C.B., 1980, p.377. 8 Liège, 7 mars 2006, J.L.M.B., 2006, p. 834. 9 Liège, 2 septembre 2010, J.L.M.B., 2011, p. 467. 10 J.P. Charleroi IV, 25 mars 2003, J.J.P., 2006, p. 367.

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- L’obligation du bailleur de remédier au vice qui affecte les lieux loués 11 ; - L’obligation de l’avocat de respecter l’aspect formel de son intervention (comparution à l’audience, introduction des voies de recours, …) 12. Ont, par contre, été considérées comme des obligations de moyen : - L’obligation de l’agent immobilier de trouver un acquéreur ou un vendeur pour un bien déterminé 13 ; - L’obligation du comptable envers son client14 ; - L’obligation de conseil du gestionnaire de fortunes ou du conseiller en placements 15 ; - L’obligation du propriétaire de veiller à ce que le trottoir et l’accès à son immeuble ne soit pas glissant 16 ; - L’obligation du fournisseur d’ordinateurs quant au développement et à l’installation de logiciels 17 ; - L’obligation des pouvoirs publics de veiller à la sécurité des voiries situées sur leur territoire 18. - L’obligation de l’instructeur de saut en parachute19 ; - L’obligation des organisateurs de compétitions sportives de prendre les mesures de sécurité adéquates 20 ; - L’obligation d’information et de conseil de l’avocat 21. 11 Civ. Bruxelles, 8 mai 2006, R.G.D.C., 2008, p. 40. 12 Anvers, 14 décembre 2004, R.G.D.C., 2008, p. 348. 13 Anvers, 8 février 1977, Entr. et Dr., 1978, p.194. 14 Liège, 25 février 2010, R.R.D., 2009, p. 178 15 Comm. Bruxelles, 2 février 1995, R.D.C.B., 1996, p.1072 ; Voir également : Sent. Arb., 29 mars 1996, R.D.C.B., 1996, p. 1078. 16 Liège, 25 juin 2009, R.R.D., 2009, p. 169. 17 Comm. Bruxelles, 2 février 1976, J.C.B., 1976, p.222. 18 Bruxelles, 24 novembre 1988, R.W., 1990-1991, p.367. 19 Liège, 31 mai 2012, J.L.M.B., 2013, p. 1566. 20 Bruxelles, 15 septembre 2000, R.G.A.R., 2003, n° 13734 ; Civ. Bruxelles, 8 décembre 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14146. 21 Civ. Charleroi, 12 septembre 2006, J.L.M.B., 2008, p. 246 ; Bruxelles, 10 novembre 2006, J.L.M.B., 2008, p. 229 ; Anvers, 15 septembre 2008, R.G.D.C., 2010, p. 220.

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Notons que le même débiteur peut assumer à la fois une obligation de moyen et une obligation de résultat. On peut citer à cet égard : - L’obligation de l’avocat qui est une obligation de moyen en ce qui concerne le fond de son intervention22 (stratégie de défense, rédaction de conclusions, communication d’un avis, plaidoiries, …) et une obligation de résultat lorsqu’il s’agit d’un aspect plus formel de son intervention (comparution à l’audience, introduction d’un recours, respect de délais de procédure, …)23 ; - Dans le cadre d’une vente d’immeuble, l’obligation de délivrance du vendeur est une obligation de résultat, tandis que l’obligation de conservation de la chose jusqu’à sa délivrance est une obligation de moyen24 ; - L’obligation de soins d’un hôpital est une obligation de moyen qui coexiste avec une obligation de sécurité accessoire qui consiste à ne pas causer au patient des dommmages s’ajoutant à son mal initial25 ; D. Selon la protection judiciaire On parle tantôt d’obligation civile [civiele verbintenis], tantôt d’obligation naturelle [natuurlijke verbintenis] 26. • L’obligation civile permet au créancier d’en obtenir l’exécution par le

biais d’une action [vordering] tendant à l’exécution forcée [gedwongen uitvoering] de l’obligation convenue.

Le créancier peut par ailleurs opposer l’exception de paiement au débiteur qui a exécuté l’obligation convenue. Le débiteur sera dès lors débouté de la demande judiciaire qu’il formulerait en vue d’obtenir la restitution de la prestation exécutée par lui.

22 Civ. Charleroi, 12 septembre 2006, J.L.M.B., 2008, p. 246 ; Cass., 28 septembre 2007, J.L.M.B., 2008, p. 228. 23 Anvers, 14 décembre 2004, R.G.D.C., 2008, p. 348. 24 Liège, 14 janvier 2014, J.T., 2014, p. 373. 25 Civ. Liège, 18 janvier 2011 et 23 octobre 2012, J.L.M.B., 2013, p. 792; Liège, 15 novembre 2012, J.L.M.B., 2013, p. 788; Civ. fr. Bruxelles, 19 mai 2014, J.L.M.B., 2016, p. 1942. 26 Pour une critique de la notion d’obligation naturelle, voir H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, Bruylant, Bruxelles, 1964, T. III, pp. 68-83, n° 55 à 63. L’auteur situe cette espèce d’obligations « aux régions-limites de la morale et du droit ».

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• L’obligation naturelle : le créancier d’une telle obligation ne dispose pas

de la possibilité d’introduire une action en exécution forcée. Si le débiteur d’une obligation naturelle n’entend dès lors pas exécuter celle-ci, le créancier est dépourvu d’action judiciaire [gerechtelijk] 27.

Le régime de l’obligation naturelle n’est pas organisé de manière exhaustive par le législateur. Seul l’article 1235 du Code civil dispose qu’aucune répétition n’est admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées [betaalde] 28. En d’autres termes, le débiteur d’une obligation naturelle ne pourrait obtenir la condamnation de son créancier à la restitution de la prestation exécutée par lui, pour autant que cette exécution ait eu lieu volontairement et en pleine connaissance de cause 29.

On range traditionnellement parmi les obligations naturelles le paiement d’une dot 30, le paiement de certaines dettes alimentaires entre parents à un degré très proche non prévues par une disposition légale (entre grands-parents et petits-enfants 31, entre frère et sœur 32, entre partenaires cohabitants 33, …), l’indemnisation [schadevergoeding] d’une rupture réalisée sans faute d’une promesse de mariage ou le paiement d’une dette prescrite 34.

4. DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES L’essentiel du droit des obligations est déposé aux articles 1101 à 1386bis du Code civil qui forment les titres III (des contrats ou des obligations conventionnelles en général), IV (des engagements qui se forment sans convention) et IVbis (de la réparation du dommage causé par les anormaux) du livre III du Code civil intitulé « Des différentes manières dont on acquiert la propriété ». Il convient toutefois d’y ajouter le titre XX du même livre qui traite de la prescription [verjaring] (Articles 2219 et suivants du Code civil). 27 Cette caractéristique amène DE PAGE à écrire : « Obligation naturelle signifie donc, dans le monde du droit, ABSENCE D’OBLIGATION » (op. cit., p. 70, n° 57). 28 Cass., 6 mars 2006, R.G.D.C., 2008, p. 343. 29 Cass., 24 septembre 1981, Pas., 1982, I, p.152. 30 Cass., 9 novembre 1855, Pas., 1856, I, p. 65 ; Cass., 8 mai 1890, Pas., 1890, I, p. 197. 31 Civ. Bruxelles, 15 mars 1978, R.W., 1979-80, Col. 2660. 32 Liège, 3 avril 1973, J.L., 1974-1975, p.105. 33 Anvers, 1er février 2006, R.W., 2007-2008, p. 1816. 34 Cass., 14 mai 1992, Pas., 1992, I, p.798.

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Un fort petit nombre de ces articles ont fait l’objet de modifications depuis la promulgation du Code Napoléon de 1804. Cette apparente stabilité ne doit toutefois pas faire perdre de vue le rôle considérable de la doctrine [rechtsleer] et de la jurisprudence [rechtspraak] qui, à de multiples reprises, ont été amenées à interpréter, parfois de manière déterminante, certaines dispositions légales. Par ailleurs, le législateur [wetgever] est intervenu à de multiples reprises pour instaurer un régime spécifique régissant notamment certains contrats nommés. On songe, par exemple, à : - La loi [wet] du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux ; - La loi du 4 novembre 1969 relative aux baux à ferme ; - La loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail ; - La loi du 9 juillet 1971 relative à la construction d’habitations et à la

vente d’habitations à construire ou en voie de construction, dite « loi Breyne » ;

- La loi du 20 février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer ;

- La loi du 25 février 1991 sur la responsabilité du fait des produits ; - La loi du 13 avril 1995 sur le contrat d’agence commerciale (contrat

régi, à présent, par les articles X.1 à X.25 du Code de droit économique) ;

- La loi du 1er septembre 2004 relative à la protection des consommateurs en cas de vente de biens de consommation ;

- La loi du 4 avril 2014 relative aux assurances. Par ailleurs, le législateur a promulgué différentes dispositions qui ne sont pas sans incidence sur la matière. Tel est notamment le cas de : - L’arrêté-loi du 22 janvier 1945 sur la réglementation et les prix, ainsi

que le livre V du Code de droit économique ; - Différents livres (IV, VI, VII, …) du Code de droit économique qui ont

intégré d’anciennes législations parmi lesquelles la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation, la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique, la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur, …

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PARTIE 1

LES SOURCES DES OBLIGATIONS

Pour en savoir plus : - P. WÉRY, « L’article 1370 du Code civil et la nomenclature des sources des

obligations », in S. STIJNS et P. WÉRY (Ed.), Les sources d’obligations extracontractuelles, La Charte, 2007, pp. 1-18.

S’agissant des sources possibles de droits et obligations, l’article 1370 du Code civil établit une classification tripartite :

- Les engagements conventionnels (le contrat), - Les engagements qui résultent de l’autorité seule de la loi, - Les engagements qui naissent d’un fait personnel à celui qui se

trouve obligé (les quasi-contrats, les délits et les quasi-délits). L’élaboration doctrinale se centre plutôt sur la division consistant à distinguer l’acte juridique, le fait juridique et le fait juridiquement non pertinent ou irrelevant. Dans cette classification, l’acte juridique est conçu comme celui qui engendre volontairement des droits et obligations. Le fait juridique est tout fait à la réalisation duquel la loi attache des conséquences juridiques. L’élément volontaire devient ici non pertinent. Enfin, le fait juridiquement non pertinent ou irrelevant est celui auquel ne s’attache aucune espèce de conséquence juridiquement obligatoire. Il convient toutefois de préciser que cette classification doit être conçue dans une perspective « relativiste », c’est-à-dire en fonction du point de vue de l’un ou l’autre sujet de droit. Dans la pratique, une distinction essentielle doit être opérée entre les obligations contractuelles et les obligations délictuelles. Encore convient-il de noter que cette classification doctrinale a été complétée par les apports de la jurisprudence confirmant qu’il fallait écarter toute interprétation de l’article 1370 du Code civil comme constituant une « enveloppe fermée » des sources de droits et obligations

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entre particuliers et considérant comme source de droits et obligations l’engagement par volonté unilatérale 35 et l’apparence 36.

TITRE 1 : LE CONTRAT

Pour en savoir plus : - X. DIEUX, « Tendances générales du droit contemporain des obligations. “Réforme et

contre-réforme” », in X., Les obligations contractuelles, Ed. Jeune Barreau, Bruxelles, 2000, pp. 1-41.

- M. FONTAINE et P. WÉRY, « Libres propos sur le droit des obligations contractuelles au lendemain du bicentenaire du Code civil », Ann. dr. Louvain, 2003, pp. 357-375.

- L. SIMONT, « Observations sur l’évolution du droit des contrats », J.T., 1982, pp. 285-291.

- P. WÉRY, « Le contrat : sa modification, sa transmission, sa suspension et son extinction », in X., Guide juridique de l’entreprise, Kluwer, 2e éd., Titre III, Livre 31bis.

- P. WÉRY (Ed.), Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, Ed. La Charte, 2004.

- P. VAN OMMESLAGHE, « La Cour de cassation et le droit des obligations conventionnelles », J.T., 2007, pp.656-660.

- C. DELFORGE, « Le contrat aujourd’hui », in I. HACHEZ, Y. CARTUYVELS, H. DUMONT, P. GERARD, F. OST & M. van de KERCHOVE, Les sources du droit revisitées – Vol. 2 : Normes internes et infraconstitutionnelles, Anthemis-USL-B, 2012, pp. 799-845.

- R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, Bruylant, Bruxelles, 2014. Une des principales sources des obligations est indéniablement le contrat. Tout sujet de droit est en effet amené à conclure quotidiennement de nombreuses opérations qui relèvent de cette catégorie, que ce soit à des fins privées ou professionnelles. La théorie générale des obligations contractuelles fait d’ailleurs l’objet du plus grand nombre de dispositions du Code civil relevant de la matière des obligations (Articles 1101 à 1369 du Code civil et articles 2219 à 2280 du Code civil).

35 Cass., 9 mai 1980, Pas., 1980, I, p.1120 et p. 1127 (2 arrêts). 36 Cass., 20 juin 1988, J.T., 1989, p.547.

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Chapitre 1. Définition et classifications

Section 1. Définition Il convient tout d’abord de rappeler que l’article 1101 du Code civil, bien qu’annonçant une définition du contrat, cerne davantage la notion d’obligation, le législateur ayant manifestement confondu le contrat comme source d’obligation et cette dernière. La doctrine définit dès lors le contrat comme un accord de deux ou plusieurs volontés en vue de produire des effets juridiques, c.à.d. de faire naître des droits et/ou obligations ou de modifier, transmettre ou éteindre des droits et/ou obligations qui existaient avant sa conclusion. Il n’est actuellement plus guère contesté que « contrat » et « convention » sont à considérer comme des synonymes. Par contre, il y a lieu de ne pas confondre l’acte juridique (negotium) et le document qui en est la preuve (instrumentum), pour lesquels le même vocable de « contrat » est utilisé dans le langage courant. La définition du contrat met en évidence les deux éléments essentiels qui caractérisent cette notion, à savoir : • La nécessité de deux parties au minimum

Le contrat est souvent qualifié d’acte juridique bilatéral, en ce qu’il requiert, à tout le moins au stade de sa formation, la présence de deux sujets de droit, ce qui l’oppose à l’acte juridique unilatéral par lequel une seule personne peut avoir l’intention de créer des effets juridiques. Au point de vue de ses effets, le contrat pourra être bilatéral ou unilatéral, en ce qu’il entraînera des droits et/ou obligations à charge des deux parties contractantes ou de l’une d’entre elles. On peut déduire de cette première condition que la conclusion d’un contrat avec soi-même ne peut se concevoir. Tel n’est évidemment pas le cas lorsqu’un même sujet de droit intervient avec deux qualités juridiques distinctes, en agissant d’une part en son nom personnel et d’autre part en qualité de représentant d’un autre sujet de droit.

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Il n’en demeure pas moins que notre droit appréhende avec méfiance ce genre de situation, eu égard à l’opposition d’intérêts qui peut exister 37.

• La volonté de produire des effets juridiques.

Le contrat exige l’animus contrahendae obligationis dans le chef de tous les cocontractants. Si l’une des parties n’a pas eu l’intention de créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations, aucun contrat n’a pu se former. A cet égard, il est admis qu’un accord conclu se situe en dehors du droit, pour autant que telle ait été la volonté des parties. Le cas échéant, il y a lieu de considérer que celles-ci ont renoncé à toutes possibilités de recours d’ordre juridique en cas d’inexécution de l’accord souvent qualifié de « gentlemen’s agreement » 38.

Section 2. Classifications Les articles 1102 à 1107 distinguent différentes sortes de contrats. La doctrine a complété cette classification sur base de critères complémentaires.

A. Contrats nommés et contrats innomés Les contrats nommés font traditionnellement l’objet d’une réglementation – totale ou partielle – par la loi, peu importe que celle-ci soit constituée par des dispositions du Code civil ou par une législation particulière. Lorsque les parties font choix d’un contrat nommé pour organiser le « commerce » entre elles, certaines dispositions légales particulières déterminent, complètent ou dérogent aux règles générales applicables aux obligations contractuelles (l’examen de plusieurs de ces contrats fera l’objet d’enseignements au cours du troisième baccalauréat et des maîtrises en droit (droit des contrats, droit du travail, droit commercial,…)). Il faut cependant observer que le principe de l’autonomie de la volonté [wilsautonomie] autorise bien évidemment les parties contractantes à organiser leurs rapports sur un mode « original », c’est-à-dire en ne se 37 Cfr, article 450 du Code civil, article 1596 du Code civil, articles 259, § 1, 523, § 1 et 524ter, § 1 du Code des sociétés. 38 Cass., 11 janvier 1978, Pas., 1978, I, p.530.

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référant pas explicitement à une catégorie de contrats réglementée par la loi. Le droit des contrats ne connaît en effet pas de phénomène de « numerus clausus » 39. En outre, certains contrats ne font l’objet d’aucune réglementation [regelgeving] légale, à tout le moins au niveau de la détermination des droits et obligations des parties (contrat de factoring, contrat de franchise, contrat de leasing,…). Dans ces hypothèses, on parlera de contrats innomés ou contrats sui generis. L’intérêt de la distinction réside dans le rôle et le pouvoir du juge saisi d’un litige. En présence d’un contrat innomé, il aura davantage à définir les droits et obligations de chacune des parties contractantes, lorsque celles-ci seront demeurées en défaut de déterminer avec précision les droits et obligations de chacune d’elles.

B. Contrats synallagmatiques [wederkerig] et contrats unilatéraux [eenzijdig] (articles 1102 et 1103 du Code civil)

Le contrat synallagmatique fait naître des obligations et droits réciproques [wederzijds] à l’égard de toutes les parties contractantes. Dès la conclusion du contrat, chacune d’elles acquiert dès lors la qualité de créancière et de débitrice à l’encontre de l’autre. Tel est notamment le cas du contrat de vente (Article 1582 du Code civil) ou du contrat de louage de choses (Article 1709 du Code civil). Par contre, le contrat est unilatéral s’il ne fait naître d’obligations qu’à charge de l’une des parties et, réciproquement, de droits qu’au profit de l’autre. On songe au contrat de donation simple (Article 894 du Code civil), au contrat de dépôt à titre gratuit (Article 1915 du Code civil). Le caractère synallagmatique ou unilatéral d’un contrat se détermine au moment de la conclusion de celui-ci. Par conséquent, si les rapports des parties se modifient en cours d’exécution, il n’en résultera aucune altération de la nature juridique du contrat en question 40. 39 L’expression est empruntée au Professeur COIPEL, Éléments de théorie générale des contrats, Story-Scientia, 1999, p.81. 40 On rencontre parfois le vocable de « contrat synallagmatique imparfait [onvolmaakt wederkerig overeenkomst] » qui vise le contrat unilatéral au moment de sa formation, mais au cours de l’exécution duquel des droits et obligations vont apparaître au profit et à charge de toutes les parties contractantes. En l’occurrence, seul un fait postérieur à la conclusion du contrat est à l’origine des « nouvelles obligations ».

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L’importance de la distinction entre les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux est essentielle à un triple niveau :

- Les sanctions applicables en cas d’inexécution : dans un contrat synallagmatique, l’inexécution par une des parties de l’une de ses obligations est à l’origine d’une rupture de l’équilibre contractuel. Certaines sanctions sont dès lors réservées exclusivement aux contrats synallagmatiques, à savoir l’exception d’inexécution (exceptio non adimpleti contractus) ou l’action en résolution judiciaire [gerechterlijke ontbinding] (Article 1184 du Code civil).

Ces deux mécanismes seront examinés plus en détail au niveau de l’inexécution du contrat. Signalons dès à présent que l’exception d’inexécution consiste dans la possibilité pour le créancier impayé de refuser, à son tour, d’exécuter ses propres obligations et aura pour conséquence de suspendre, voire de paralyser, momentanément le contrat, tandis que l’action en résolution judiciaire autorisera le même créancier impayé à demander au juge de prononcer la résolution du contrat litigieux.

On trouve une application de ces deux sanctions spécifiques aux contrats synallagmatiques aux articles 1612 et 1610 du Code civil.

- L’application de la théorie des risques : la question de la survenance d’un cas fortuit ou d’une cause de force majeure rendant impossible l’exécution d’une obligation ne se pose pas véritablement dans le cas d’un contrat unilatéral. L’impossibilité d’exécuter l’obligation convenue met la perte à charge du créancier. Ainsi, en cas de dépôt, la chose périt aux dépens du déposant.

Par contre, le problème se pose dans un contrat synallagmatique, dans lequel le cas fortuit [toeval] ou la force majeure [overmacht] n’affectent généralement que l’obligation d’une seule des parties. Le problème est dès lors de savoir si le cocontractant est encore tenu de ses propres obligations.

A cet égard, le principe est que l’impossibilité pour une partie d’exécuter ses obligations libère l’autre des siennes.

L’exemple-type est le mandat gratuit. Un tel contrat peut, en cours d’exécution, devenir générateur d’obligations à charge du mandant (voy. les art. 1999 et 2000 du Code civil).

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- Les règles de preuve : certaines règles ne s’appliquent qu’aux contrats synallagmatiques qui doivent notamment être rédigés en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct (Article 1325 du Code civil). La rédaction d’un seul original suffit par contre pour les contrats unilatéraux, même si d’autres formalités sont prévues pour l’écrit faisant preuve d’un contrat unilatéral (Article 1326 du Code civil).

Ces dispositions seront examinées dans la partie relative à la preuve des obligations.

C. Contrats à titre onéreux [onder bezwarende titel] et contrats à titre gratuit [uit vrijgevigheid] (articles 1105 et 1106 du Code civil)

L’article 1106 du Code civil n’énonce pas une définition satisfaisante du contrat à titre onéreux, mais décrit plutôt le contrat synallagmatique. Le caractère synallagmatique réside dans la réciprocité des obligations des parties, tandis que le caractère onéreux se fonde sur l’équivalence économique subjective entre les prestations des parties contractantes. Ainsi, le contrat de transaction requiert-il l’existence de concessions réciproques en vue de mettre un terme au litige. Cette équivalence ne doit dès lors être ni absolue, ni objective : l’essentiel est qu’elle ait été considérée comme telle par la partie qui s’engage et que la perspective d’une contre-prestation équivalente ait été déterminante pour la conclusion du contrat. Il en résulte que les contrats synallagmatiques sont également des contrats à titre onéreux, mais les contrats unilatéraux ne sont pas pour autant conclus à titre gratuit41. L’article 1105 du Code civil définit le contrat de bienfaisance (ou contrat à titre gratuit) comme « celui dans lequel l’une des parties procure à l’autre un avantage purement gratuit », c’est-à-dire sans que cette dernière doive fournir une contrepartie de cet avantage. Le contrat de donation constitue évidemment un bel exemple. L’intérêt pratique de la distinction entre contrat à titre onéreux et contrat à titre gratuit se situe essentiellement au niveau de l’appréciation moins

41 Pour une illustration de contrat unilatéral (qui n’est pas à titre gratuit) : Cass., 26 mai 2014, R.G. C.13.0450.F.

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sévère de la responsabilité du cocontractant lorsqu’il agit à titre gratuit (Article 1928, 2° du Code civil ; article 1992, al.2 du Code civil). De même, l’exercice de l’action paulienne [pauliaanse vordering] sera simplifié dans l’hypothèse où le débiteur aura conclu un contrat à titre gratuit. Enfin, un contrat à titre gratuit est présumé avoir été conclu intuitu personae.

D. Contrats commutatifs [vergeldend] et contrats aléatoires [kanscontract] (article 1104 du Code civil).

Dans un contrat commutatif, la valeur des prestations à charge de chacune des parties contractantes peut être appréciée dès la conclusion du contrat (Ex. : le contrat de vente). Le contrat commutatif est nécessairement conclu à titre onéreux, les parties considérant qu’il existe une certaine équivalence entre leurs prestations réciproques. Par contre, la valeur des prestations revenant à chacune des parties ou à l’une d’entre elles ne peut être appréciée au moment de la conclusion d’un contrat aléatoire. En effet, la prestation qui incombe à l’une des parties consiste dans une chance de gain ou de perte qui dépendra de la réalisation d’un événement incertain (Ex. : le contrat d’assurance). Il n’y a pas lieu de confondre le contrat aléatoire avec un contrat conclu sous condition (suspensive ou résolutoire). Tous deux font sans doute intervenir un élément d’incertitude. Dans un contrat aléatoire, l’événement incertain ne va toutefois affecter que la valeur ou l’importance des prestations, mais ne portera pas atteinte à la formation du contrat. Dans le cas d’un contrat conditionnel, l’événement incertain affecte l’efficacité même du contrat : la réalisation ou non de la condition entraînera l’efficacité juridique définitive du contrat (condition suspensive) ou, au contraire, son extinction avec effet rétroactif (condition résolutoire). Dans certains cas, il y aura lieu d’avoir égard à l’intention des parties pour déterminer la nature du contrat conclu entre elles. L’exemple classique est celui du contrat de vente du produit d’une récolte. En vertu de l’adage « l’aléa chasse la lésion », seuls les contrats commutatifs sont rescindables pour lésion. Il est de la nature même des

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contrats aléatoires que les parties assument des risques et, donc, la possibilité d’une lésion.

E. Contrats consensuels [consensueel], solennels [plechtig] et réels [zakelijk]

Le contrat consensuel se forme par le seul échange des consentements des parties. Il ne requiert dès lors aucune formalité. Le contrat solennel requiert, quant à lui, outre l’échange des consentements des parties, l’accomplissement de certaines formalités. Tel est notamment le cas du contrat d’hypothèque qui ne peut être conclu « que par acte authentique ou par acte sous seing privé reconnu en justice ou devant notaire » (Article 76 de la loi hypothécaire). La formation d’un contrat réel implique, quant à lui, outre l’échange des consentements des parties, la remise effective de la chose qui en est l’objet. Ainsi, un contrat de gage ne se forme que lors de la remise de la chose donnée en gage. L’intérêt de la distinction se manifeste au niveau des conditions requises pour la formation régulière du contrat, ainsi qu’au niveau de la détermination du moment exact de celle-ci.

F. Contrats principaux [hoofdcontract] et contrats accessoires [bijkomend]

Le contrat principal trouve sa raison d’être juridique en lui-même. Il existe et s’exécute indépendamment de tout autre contrat. Par contre, le contrat accessoire suppose nécessairement l’existence d’un contrat ou, à tout le moins, d’une obligation principale qui lui donne sa raison d’être. L’existence même du contrat accessoire dépend dès lors de l’obligation principale sur laquelle il vient se greffer. Sont à ranger dans la catégorie des contrats accessoires : le gage [pand], l’hypothèque [hypotheek] ou encore le cautionnement [borgstelling]. L’intérêt pratique de la distinction se manifeste au niveau de la détermination des conséquences de l’anéantissement d’un contrat. Ainsi, le

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contrat accessoire disparaît nécessairement en cas d’extinction du contrat principal, alors que l’inverse ne se vérifie pas.

G. Contrats intuitu personae et contrats non intuitu personae Le contrat intuitu personae est conclu en considération de la personne de l’un des cocontractants : celle-ci constitue en effet un élément déterminant de la volonté de l’autre de conclure ce contrat42. Par contre, la considération de la personne du cocontractant est indifférente dans le cadre d’un contrat non intuitu personae. Il faut préciser qu’un contrat peut parfaitement n’être intuitu personae que dans le chef d’une des parties contractantes. Tel est notamment le cas du contrat d’entreprise (Article 1795 du Code civil). Le cas échéant, les conséquences du caractère intuitu personae du contrat ne trouvent à s’appliquer qu’à l’égard de la personne qui justifie l’intuitu personae et non à l’égard de l’autre partie contractante. Le caractère intuitu personae d’un contrat entraîne différentes conséquences au niveau du régime qui lui est applicable : - Il prendra fin par la mort, la faillite [faillissement] ou l’incapacité de la personne qui justifie ce caractère du contrat (Article 1795 du Code civil). - Il sera annulable pour cause d’erreur sur la personne de ce même cocontractant (Article 1110, al.2 du Code civil). - Le contrat intuitu personae ne pourra être exécuté par un tiers (Article 1237 du Code civil). - Il ne sera pas davantage cessible par celui dans le chef duquel existe l’intuitu personae (Article 249 et suivants du Code des sociétés). - Sans que cela ne constitue une règle générale absolue, le contrat intuitu personae sera enfin souvent résiliable ad nutum (Article 2004 du Code civil), parfois moyennant le respect de certaines conditions (Article 1794 du Code civil). 42 Le cas échéant, il appartient au juge d’apprécier en fait si un contrat qui, par sa nature, ne revêt pas un caractère intuitu personae, a été conclu en considération de la personne de l’un des cocontractants (Cass., 3 février 2013, R.G.D.C., 2016, p. 412).

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H. Contrats instantanés [dadelijk of aflopend contract] et contrats successifs [duurcontract]

Le contrat instantané est celui dont les obligations s’exécutent en une seule fois, peu importe que le paiement soit échelonné sur plusieurs mensualités. Tel est évidemment le cas du contrat de vente ou du contrat d’échange. Le contrat successif (ou à prestations successives ) est celui dont les obligations s’exécutent pendant une certaine période. On range notamment dans cette catégorie le contrat de louage, le contrat d’entreprise et le contrat de travail. Il faut préciser que le caractère successif d’un contrat n’affecte nullement l’unité de celui-ci. En d’autres termes, les obligations incombant aux parties naissent toutes au moment de la formation du contrat. Seule leur exécution est donc successive. Cela justifie que l’on utilise davantage la terminologie de contrat à exécution successive ou à prestations successives. Le seul véritable intérêt pratique de la distinction se manifeste dans l’hypothèse de l’annulation ou de la résolution d’un contrat qui produisent en principe leurs effets ex tunc, c.à.d. rétroactivement. En cas d’annulation ou de résolution d’un contrat successif, les prestations des parties contractantes ne pourront souvent pas être « effacées ».

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Chapitre 2. Les grands principes de notre régime contractuel

Pour en savoir plus : - J.-L. FAGNART, « L’exécution de bonne foi des conventions : un principe en expansion

(Note sous Cass., 19 septembre 1983) », R.C.J.B., 1986, pp. 285-316. - J. GHESTIN, « Le principe de l’égalité des parties contractantes et son évolution en

droit privé », in C. PERELMAN et L. INGBER (Ed.), L’égalité, Bruylant, Bruxelles, 1982, pp. 30-53.

- J. GHESTIN, « Réflexions sur la liberté contractuelle et l’ordre public », in Liber amicorum Lucien Simont, Bruylant, Bruxelles, 2002, pp. 405-416.

- D. PHILIPPE, « Le point sur … l’imprévision », J.T., 2007, pp. 738-741. - H. JACQUEMIN, Le formalisme contractuel. Mécanisme de protection de la partie

faible, Larcier, 2010. - J.-Fr. ROMAIN, Théorie critique du principe général de bonne foi en droit privé,

Bruylant, Bruxelles, 2000. - A. VAN OEVELEN, B. CATTOIR, A. COLPAERT, M. VAN LOON, R. VINCKX & L. VAN

VALKENBORGH, « De nietighied van overeenkomsten wegens strijdigheid met de openbare orde of de goede zeden : algemene beginselen en een grondslagenonderzoek », T.P.R., 2011, pp. 1355-1414.

- I. VEROUGSTRAETE, Slotwoord : « De wilsautonomie, een algemeen rechtsbeginsel », in R. FELTKAMP & F. VANBOSSELE (Ed.), Wilsautonomie, contractvrijheid en ondernemingescontracten : welke toekomst beschoren ? – Autonomie de la volonté, liberté contractuelle et contrats d’entreprise : Quel avenir ?, Interscientia-Anthemis, 2011, pp. 449-457.

- P. WERY, « L’essor du droit impératif et ses rapports avec l’ordre public en matière contractuelle », R.G.D.C., 2011, pp. 145-156.

- P. BAZIER, « Abus de droit, rechtsverwerking et sanctions de l’abus de droit », R.G.D.C., 2012, pp. 393-403.

- S. STIJNS & S. JANSEN, « De basisbeginselen van het contractenrecht : kroniek van de recente evoluties », R.G.D.C., 2013, pp. 2-30.

- P. WERY, « L’équité et le droit belge des obligations », in I. 2 Y. CARTUYVELS, H. DUMONT, P. GERARD, F. OST & M. van de KERCHOVE, Les sources du droit revisitées – Vol. 3 : Normativités concurrentes, Anthemis-USL-B, 2013, pp. 67-109.

Véritable pierre angulaire du Code civil, l’article 1134 énonce trois grands principes du régime contractuel en droit belge. Il dispose :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

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Ces principes sont : • La liberté contractuelle ; • La convention-loi ; • L’exécution de bonne foi. Il convient d’y adjoindre un quatrième grand principe découlant du régime de droit commun des obligations contractuelles, à savoir le principe du consensualisme. Sous l’influence de l’évolution sociologique et économique depuis l’époque napoléonienne, ces principes ont cependant vu fleurir différents tempéraments ou exceptions qu’il importe évidemment d’examiner. La logique du législateur de 1804 repose en effet sur un postulat, aujourd’hui contesté : celui de l’égalité absolue des contractants. M. WALINE écrit à ce sujet :

« La liberté des contrats paraît, à l’époque du Code civil, conforme à l’intérêt général, d’abord parce qu’elle permet leur multiplication ; or, plus les hommes contractent, plus ils échangent ; et plus ils échangent, plus ils contribuent à la prospérité générale. La liberté des contrats sert l’intérêt général, en second lieu, parce qu’elle permet aux hommes de déterminer eux-mêmes les bases de leurs échanges, et de laisser ainsi jouer la loi de l’offre et de la demande qui doit déterminer, d’après la doctrine libérale alors en faveur, non seulement l’adéquation des prix généralement pratiqués à la valeur d’échange des différents objets ou services, mais aussi l’adéquation de la production aux besoins et l’utilisation optimum des richesses, les biens étant infailliblement dirigés, par le jeu des lois naturelles, vers ceux qui sauront le mieux les utiliser » (M. WALINE, L’individualisme et le droit, Paris, 1949, p.175, n°93).

La clé de voûte de ces grands principes est donc davantage économique que juridique. Ce fondement théorique a été démenti dans les faits : l’égalité juridique n’est que façade lorsque l’égalité économique ne peut être atteinte.

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Section 1. Le principe de la l iberté contractuelle [contractvrijheid]

A. Portée Consacrant la toute puissance de la volonté des parties contractantes, ce principe présente différentes facettes qui se superposent : • La liberté de contracter ou non : chaque sujet de droit est donc libre de

contracter ou de ne pas contracter. Sous son aspect négatif, le principe de l’autonomie de la volonté implique par conséquent la liberté de s’abstenir de contracter et, dès lors, de refuser de se voir lié à autrui ou de poursuivre des relations contractuelles au-delà de l’échéance convenue 43.

• La liberté du choix du cocontractant : lorsqu’il fait le choix de s’engager

dans un lien contractuel, tout sujet de droit dispose de la possibilité de choisir celui à l’égard duquel ou envers lequel il souhaite s’engager.

• La liberté du choix du contrat : le sujet de droit dispose encore de la

liberté de déterminer le cadre contractuel, c.à.d. le moule, dont il souhaite faire usage avec le cocontractant qu’il a préalablement déterminé. Pour ce faire, la palette qui s’ouvre à lui est infinie : il peut en effet décider de recourir à un contrat nommé, mais a également la possibilité de conclure un contrat innomé ou sui generis.

• La liberté de la détermination des conditions du contrat : que le choix se

soit porté sur un contrat nommé ou sur un contrat innomé, les parties contractantes conservent la possibilité de déroger à la majeure partie des dispositions légales qui déterminent les droits et obligations dans un contrat nommé. Elles peuvent par ailleurs bien évidemment convenir des

43 Bruxelles, 5 septembre 1983, R.D.C.B., 1984, p. 353 ; Prés. Comm. Bruxelles, 31 janvier 1983, R.D.C.B., 1984, p. 382. Nous ne pouvons examiner dans le cadre du cours les développements de la jurisprudence sanctionnant le refus de contracter tantôt sur base de l’article 1382 du Code civil, tantôt sur base du livre IV du Code de droit économique, tantôt sur base du livre VI du Code de droit économique. Sur la question de savoir si le refus de contracter peut être constitutif d’un abus de droit, voy. et comp. : Cass., 7 octobre 2011, Pas., 2011, I, p. 2148 ; S. STIJNS et S. JANSEN, « De basisbeginselen van het contractenrecht : kroniek van de recentste evoluties », R.G.D.C., 2013, pp. 4 et s., n° 7 à 16 ; TH. LEONARD, « L’abus de la liberté de ne pas contracter : une application excessive de la théorie de l’abus de droit », note sous Cass., 7 octobre 2011, R.C.J.B., 2013, p. 542 et s.

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droits et obligations qui résulteront pour l’une ou pour chacune d’entre elles dans le cadre d’un contrat innomé.

Les parties contractantes ont dès lors en principe la possibilité de définir leurs engagements comme bon leur semble, d’autant que la très grande majorité des dispositions légales applicables aux obligations contractuelles relève de la catégorie des lois supplétives. Celles-ci ne trouvent dès lors à s’appliquer qu’à défaut de volonté formellement exprimée par les parties, c.à.d. en cas de silence ou de carence de celles-ci 44.

B. Limites • Les deux limites fondamentales sont énoncées à l’article 6 du Code civil

qui dispose :

« On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public [openbare orde] et les bonnes mœurs [goede zeden] ».

Nous examinerons ces notions dans le chapitre relatif à la formation du contrat, spécialement à propos des notions de « cause » et « objet » qui constituent deux « conditions essentielles pour la validité d’une convention » (Article 1108 du Code civil). Soulignons dès à présent que la notion d’ordre public touche aux intérêts vitaux de l’Etat et/ou de la société sur un plan économique, social ou philosophique45, tandis que le concept de bonnes mœurs fait écho aux principes de loyauté, de correction, de dignité et d’honnêteté qui sont acceptés par les citoyens. Ces limites ont actuellement trouvé un prolongement dans différentes lois impératives [dwingend recht] qui traduisent généralement la volonté de rétablir un équilibre que l’évolution économique a compromis46. Tel fut notamment le cas de certaines dispositions en matière de contrat de travail47, de bail commercial48, de bail à ferme49, de bail de résidence 44 Cass., 27 mai 1960, Pas., 1960, I, p.1104. 45 Voy. par exemple : Cass., 29 avril 2011, R.G. C.10.0183.N. La circonstance que la règle violée soit assortie de sanctions pénales ne constitue pas un critère révélateur de l’ordre public (voy. Cass. 3 novembre 2011, R.G. C.11.0060.N ; Cass., 6 décembre 2013, R.G. C.12.0112.F). Sur la notion d’ordre public, voy. A. VAN OEVELEN, et al., « De nietigheid van overeenkomsten wegens strijdigheid met de openbare orde of de goede zeden : algemene beginselen en een grondslagenonderzoek », T.P.R., 2011, pp. 1355 à 1415. 46 Cass., 9 décembre 1948, Pas., 1948, I, p. 699 ; Cass., 23 décembre 1977, Pas., 1978, I, p. 480.

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principale50, d’agence commerciale51, de concession exclusive de vente52, ainsi que de la loi « Breyne »53. L’augmentation du nombre de dispositions impératives est sans aucun doute de nature à restreindre le domaine de l’autonomie de la volonté. Elle n’en abolit cependant pas le principe. • Certaines interventions du législateur ont pour objectif d’interdire de

contracter. Ainsi, l’article 1595 du Code civil n’admet-il la vente entre époux que dans quatre cas limitativement énumérés.

• D’autres prohibent la conclusion d’un contrat selon certaines modalités

ou conditions. Ainsi, l’article VI.116 du Code droit économique interdit-il la vente à perte, tandis que l’article VI.25, §1 du Code de droit économique interdit les ventes en solde en dehors des périodes qu’il fixe.

• En outre, le libre choix du cocontractant n’échappe pas à toute limite : le

refus de contracter avec une personne déterminée ne peut être discriminatoire. A cet égard, il convient de tenir compte des différentes lois du 10 mai 2007 adoptées par le législateur en vue de combattre toute discrimination directe ou indirecte : loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination54, loi tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes55, loi modifiant la loi du 30 juillet 1981tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme

47 Loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. 48 Loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux en vue de la protection du fonds de commerce. 49 Loi du 4 novembre 1969 modifiant la législation sur le bail à ferme et sur le droit de préemption en faveur des preneurs de biens ruraux. 50 Loi du 20 février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer. 51 Articles X.1 à X.25 du Code de droit économique (contrat antérieurement régi par la loi du 13 avril 1995 relative aux contrats d’agence commerciale, M.B., 2 juin 1995 et abrogée depuis le 31 mai 2014). 52 Articles X.35 à X.40 du Code de droit économique (antérieurement régi par la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive). 53 Loi du 9 juillet 1971 réglementant la construction d’habitations et la vente d’habitations à construire ou en voie de construction. 54 M.B., 30 mai 2007. En vertu de l’article 3, est interdite toute discrimination fondée « sur l’âge, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, la conviction religieuse ou philosophique, la conviction politique, la conviction syndicale, la langue, l’état de santé actuel ou futur, un handicap, une caractéristique physique ou génétique ou l’origine sociale ». 55 M.B., 30 mai 2007.

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et la xénophobie56. Cette législation « anti-discrimination » contient un large appareil de sanctions, tant civiles (nullité des stipulations contraires, dommages et intérêts, action en cessation) que pénales57.

• Dans d’autres cas, le législateur va par contre imposer la conclusion d’un

contrat. On songe évidemment à l’obligation pour le propriétaire d’un véhicule automobile de souscrire une assurance de responsabilité civile 58.

• L’arrêté-loi [besluitwet] du 22 janvier 1945 sur la réglementation

économique et les prix 59 avait à l’origine pour buts de permettre au gouvernement d’assurer le rétablissement de l’économie, ainsi que de garantir le ravitaillement de la population par une politique réprimant le stockage et le commerce illicite des intermédiaires en dehors des circuits réguliers de distribution.

Cet arrêté-loi a été partiellement abrogé et remplacé par l’article,V.2 du Code de droit économique, aux termes duquel « les prix des biens et des services sont déterminés par le libre jeu de la concurrence ». Il accorde cependant toujours au Ministre des Affaires économiques le pouvoir de fixer un prix maximum, soit à l’égard de l’ensemble des entreprises d’un secteur économique déterminé, soit à l’encontre d’une seule entreprise (article 2).

• Le livre VI du Code de droit économique tend notamment à prémunir le

consommateur contre l’insertion de clauses abusives [onrechtmatige bedingen] dans les contrats qui lui sont proposés. L’article VI.82 du Code de droit économique détermine les critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, tandis que l’article VI.83 du même Code énumère 33 clauses qui doivent a priori être considérées comme abusives.

56 M.B., 30 mai 2007. 57 S. STIJNS et S. JANSEN, « De basisbeginselen van het contractenrecht : kroniek van de recentste evoluties », R.G.D.C., 2013, p. 11. 58 Loi du 21 mars 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs. 59 Mon.b., 24 janvier 1945.

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C. Tempérament

Dans certains cas, l’autonomie de la volonté peut encore se retrouver étranglée par l’état du marché ou par le rapport de forces (souvent économiques) qui existe entre les cocontractants potentiels. On parle alors de contrats d’adhésion [toetredingscontract], dont l’article 1379 du Code civil du Québec donne la définition suivante :

« Ceux dont les stipulations essentielles ont été imposées par l’une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, et qui ne peuvent être librement discutées ».

Ignorés du Code civil belge, les contrats d’adhésion sont cependant fréquents dans la pratique. La seule liberté offerte à l’un des candidats cocontractants est en réalité d’accepter ou de refuser « en bloc » les conditions contractuelles qui lui sont « proposées ». A titre d’exemple, on peut citer la majeure partie des contrats d’assurance ou de transport. Nonobstant l’entorse que ces contrats présentent à l’égard du principe de l’autonomie de la volonté, la jurisprudence continue à leur appliquer avec rigueur le principe de la convention-loi, ainsi que les règles qui gouvernent les effets, l’inexécution ou la dissolution du contrat 60. Les cours et tribunaux ont cependant cherché à protéger la partie faible : - en examinant avec rigueur si celle-ci avait réellement adhéré aux conditions du contrat et en écartant dès lors du champ contractuel celles qui n’étaient pas connues et n’avaient pas été acceptées au moment de la conclusion du contrat, ainsi que celles introduites postérieurement à cette conclusion61. - en ayant recours au régime applicable aux clauses abusives, tel qu’il est organisé par le livre VI du Code de droit économique, pour écarter du champ contractuel essentiellement certaines clauses restrictives de responsabilité. - en interprétant, conformément à l’article 1162 du Code civil, les clauses ambiguës ou obscures en défaveur de la partie qui a rédigé celles-ci. 60 Anvers, 20 janvier 1987, R.W., 1986-87, Col.2722. 61 Mons, 19 novembre 2014, J.T., 2015, p. 19.

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Section 2. Le principe du consensualisme

A. Portée Ce principe renvoie à une approche en termes de forme et ne concerne dès lors pas le contenu du contrat. Il désigne le fait qu’en règle générale, les contrats sont légalement formés solo consensu, c.à.d. par le seul échange des consentements, sans que d’autres formalités soient nécessaires pour en assurer la validité. Dès que les volontés des parties se sont rencontrées et accordées, l’acte juridique appelé contrat existe. Les obligations sont donc valablement souscrites et la force obligatoire de la convention-loi s’y attache : les obligations naissent et les droits se transfèrent par le seul échange des consentements. Le principe du consensualisme repose sur la confiance réciproque entre les parties contractantes. Il n’est toutefois pas d’ordre public, ce qui autorise lesdites parties à l’aménager au gré de leurs intérêts 62.

B. Exceptions Les exceptions au principe du consensualisme ont déjà été envisagées à propos de la classification des contrats. Il s’agit : - Des contrats dits solennels dont la validité passe par l’accomplissement d’une forme particulière ; - Des contrats dits réels, dont la validité est déterminée par la transmission de la chose. L’idéologie individualiste et libérale du Code Napoléon a partiellement cédé le pas. Corrélativement, on doit constater un recul certain du principe du consensualisme, plusieurs législations ayant été promulguées ou, à tout le moins, contenant des dispositions dont l’objectif est de protéger la partie la plus faible. Pour ce faire, le législateur a souvent recours à la technique imposant une dose de formalisme. 62 Bruxelles, 28 octobre 1959, Pas., 1961, II, p.70 ; Bruxelles, 5 juin 2014, R.G. 2013/AR/1038 (Inédit).

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On peut songer : - A l’article 7 de la loi du 9 juillet 1971 réglementant la construction d’habitations et la vente d’habitations à construire ou en voie de construction ; - A l’article VII.78 du Code de droit économique Ces deux législations imposent non seulement la rédaction d’un écrit, mais également l’insertion de diverses mentions.

C. Distinction On n’insistera jamais assez sur le fait que le principe du consensualisme ne concerne que la validité d’une convention. Il n’y a pas lieu de confondre cette question avec la problématique de la preuve du contrat, ni avec celle de son opposabilité aux tiers. Ces notions juridiques doivent être clairement distinguées l’une de l’autre. En vertu du principe du consensualisme, un contrat peut en principe être parfaitement valable, même lorsqu’il a été conclu de manière purement verbale. L’échange des consentements est intervenu : les parties sont dès lors tenues d’exécuter les obligations mises à charge de l’une ou de chacune d’entre elles. Tout autre est la question de savoir si le créancier impayé pourra obtenir du juge saisi d’un éventuel litige la reconnaissance de son droit. Ainsi que nous le verrons ultérieurement, le Code civil réglemente en effet les modes de preuve admissibles et n’autorise dès lors le juge à faire droit à une prétention qu’à la condition que la preuve de celle-ci lui soit présentée conformément aux dispositions légales qui régissent la preuve. A défaut, le juge devra débouter le créancier impayé de ses prétentions au motif qu’il n’est pas en mesure de lui fournir la preuve de son droit conformément aux règles qui régissent les modes de preuve admissibles. La prudence impose dès lors aux parties contractantes de se ménager une preuve des engagements souscrits, spécialement dans l’hypothèse où le contrat n’est pas immédiatement et complètement exécuté. La question de l’opposabilité du contrat aux tiers est encore différente. Dans certains cas, cette opposabilité est en effet soumise à l’accomplissement de formalités. Tel est notamment le cas de la vente d’un

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immeuble. L’acheteur de celui-ci ne pourra se prévaloir de son droit de propriété à l’égard des tiers qu’après avoir transcrit le contrat à la Conservation des hypothèques (Article 1 de la loi hypothécaire). L’absence de respect de cette formalité ne porte cependant pas atteinte à la pleine validité du contrat de vente entre les parties contractantes.

Section 3. Le principe de la convention-loi

A. Portée Consacré par l’alinéa 1er de l’article 1134 du Code civil, ce principe consacre la force obligatoire [verbindende kracht] du contrat qui, pour les parties et pour le juge saisi d’un éventuel litige entre elles, a la même force obligatoire qu’une loi. L’alinéa 2 de l’article 1134 du Code civil précise d’ailleurs que seul un nouvel accord de volontés entre les parties contractantes ou une cause que la loi autorise pourrait modifier ou révoquer l’accord initial. Alors que le principe de l’autonomie de la volonté concerne l’élaboration du contrat, celui de la convention-loi régit dès lors les effets de celui-ci et constitue pour les parties le gage de la sécurité juridique à laquelle elles aspirent légitimement. Sans doute, l’article 1135 du Code civil dispose-t-il :

« Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».

A de multiples reprises, la Cour de Cassation [Hof van cassatie] a toutefois rappelé que des considérations d’équité [billikheid] ne sauraient autoriser les juges à modifier la teneur d’une convention 63. En application du principe de la convention-loi, la jurisprudence a notamment été amenée à consacrer : - L’interdiction pour le juge de délier une partie des obligations qui découlent pour elle d’une convention en dehors des cas prévus par la loi 64 ; 63 Cass., 15 octobre 1987, Pas., 1988, I, p.177. 64 Cass., 19 novembre 1982, R.W., 1984-85, Col.2086.

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- Le refus d’admettre que le caractère « économiquement faible » d’une partie contractante pourrait constituer, à elle seule, une cause de nullité du contrat 65 ; - L’impossibilité pour le juge de modifier les termes du contrat, quelle qu’en soit la sévérité pour une des parties, en dehors des cas exceptionnels où la loi en dispose autrement 66 ; - Le rejet de l’application dans notre droit de la théorie de l’imprévision67 consistant à permettre au juge de résilier ou de modifier les termes d’un contrat lorsque les conditions économiques, que les parties avaient envisagées comme fondement de leur rapport contractuel au moment de la conclusion du contrat, se trouvent bouleversées de manière totalement imprévisible et rendent la poursuite de l’exécution de la convention par l’une des parties, non complètement impossible, mais exceptionnellement lourde 68. - L’impossibilité pour le juge d’écarter l’application d’un usage aux motifs que cet usage n’a pas été expressément convenu entre parties et qu’à ses yeux il ne se conçoit plus69.

B. Exceptions Certaines dispositions légales exceptionnelles octroient au juge le pouvoir d’intervenir dans la phase d’exécution d’un contrat pour modifier les droits et obligations qui en découlent. - Tel est notamment le cas du régime mis en œuvre par les articles 18 à 20 de la loi du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux qui permet au juge de fixer les « prix et conditions » du renouvellement de bail dont le principe a été admis. - Dans le même ordre d’idées, l’article 1907ter du Code civil autorise le juge à réduire le taux d’intérêt d’un prêt dans le cadre duquel « le prêteur s’est fait promettre, pour lui-même ou pour autrui, un intérêt ou d’autres

65 Cass., 2 mai 1969, Pas., 1969, I, p.781. 66 Bruxelles, 20 décembre 1971, Pas., 1972, II, p.47 ; Cass., 15 juin 2006, R.W., 2008-2009, p. 1322. 67 Il faut toutefois signaler que l’article 11 de la loi 17 mai 2016 relative aux marchés publics, entrée en vigueur le 30 juin 2017, constitue le fondement légal de l’application de la théorie de l’imprévision dans le cadre des marchés publics. 68 Cass., 14 avril 1994, Pas., 1994, I, p.365. 69 Cass., 11 septembre 2008, J.T., 2008, p. 621.

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avantages excédant manifestement l’intérêt normal et la couverture des risques du prêt ». - Plus récemment, la loi du 23 novembre 1998 a modifié l’article 1231 du Code civil en octroyant au juge le pouvoir de réduire la clause pénale « lorsque cette somme excède manifestement le montant que les parties pouvaient fixer pour réparer le dommage résultant de l’inexécution de la convention ».

C. Tempéraments La rigueur du principe de la convention-loi n’a pas laissé la jurisprudence sans réaction. Par le biais de différentes théories, les cours et tribunaux ont ainsi eu recours à diverses institutions juridiques pour entraver, de manière plus ou moins prononcée, le caractère intangible des conventions. Sans prétendre à la moindre exhaustivité, on peut citer à cet égard :

• La consécration de l’exécution de bonne foi des conventions comme principe général de droit.

Ce principe a fait l’objet d’applications diverses dont les conséquences sur le principe de la convention-loi sont évidentes. Nous y reviendrons ultérieurement.

• L’acceptation de la théorie de la lésion qualifiée [gekwalificeerde benadeling] 70.

D’origine doctrinale, elle appréhende les situations dans lesquelles une partie a abusé de la position de faiblesse de son cocontractant pour obtenir le bénéfice de prestations contractuelles manifestement plus avantageuses que celles de celui-ci, ce qui entraîne une disproportion flagrante entre les obligations incombant à chacune des parties contractantes.

Les conditions de la théorie de la lésion qualifiée sont au nombre de trois et s’apprécient au moment de la formation du contrat 71 :

70 N. RESIMONT, « Le point sur … la lésion qualifiée », J.T., 2007, pp. 524-525. 71 Cass., 29 avril 1993, J.T., 1994, p. 294 ; Cass., 9 novembre 2012 (2 arrêts), Pas., 2012, I, p. 2178 et 2183 ; Civ. Tournai, 3 avril 2008, J.L.M.B., 2010, p. 1054.

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- Une faute consistant dans l’abus des passions, de la faiblesse, de l’imprudence, de l’inexpérience ou des besoins du cocontractant ; - Une disproportion manifeste entre les prestations des parties contractantes ; - Un lien de causalité entre le comportement fautif identifié et la disproportion des prestations réciproques.

• L’application de la théorie de l’abus de droit [rechtsmisbruik].

L’abus de droit consiste en l’exercice de droits qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ces droits par une personne prudente et diligente 72. Au fil du temps, la jurisprudence a identifié plusieurs critères constitutifs de l’existence d’un abus de droit, à savoir : - L’exercice du droit dans l’intention exclusive de nuire au cocontractant ; - L’exercice du droit en causant, sans intérêt ou motif légitime, au cocontractant un préjudice que l’on aurait pu éviter ; - L’exercice du droit alors que l’avantage qu’on en retire est hors de toute proportion avec le préjudice que l’on cause au cocontractant ; - Le choix par le titulaire du droit, entre plusieurs manières d’exercer celui-ci, de la manière la plus dommageable pour le cocontractant sans que ce choix ne soit justifié par un intérêt suffisant dans son chef 73.

Amenée à préciser la sanction de l’abus de droit, la Cour de Cassation n’a pas retenu la déchéance totale du droit, mais seulement la réduction de celui-ci à son usage normal ou la réparation du dommage que son abus a causé 74.

72 Cass., 1er février 1996, Pas., 1996, I, p.158. 73 Cass., 1er octobre 2010, R.G.D.C., 2012, p. 387. 74 Cass., 16 décembre 1982, Pas., 1983, I, p.472 ; Cass., 6 janvier 2011, R.G.D.C., 2012, P. 388.

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D. Distinction La rigueur du principe de la convention-loi ne porte nullement atteinte au pouvoir du juge d’interpréter une convention en vue de dégager la volonté réelle des parties, ni de lui donner une qualification autre que celle adoptée par les parties, ni encore de suppléer aux causes ambiguës, omises ou insuffisamment précises. En agissant de la sorte, le juge ne porte pas atteinte au contrat, mais le confirme en lui donnant tous ses effets utiles. Nous y reviendrons ultérieurement. Précisons cependant dès à présent que le juge ne pourrait, par le biais de son travail de contrôle de la qualification du contrat ou d’interprétation de celui-ci, donner dudit contrat une interprétation qui serait inconciliable avec les termes de celui-ci.

Section 4. Le principe de l’exécution de bonne foi [uitvoering van goede trouw]

A. Portée Quasiment ignoré durant le XIXe siècle, le principe de l’exécution de bonne foi a depuis lors fait couler beaucoup d’encre, spécialement depuis que la Cour de Cassation l’a érigé en principe général de droit 75. Consacré aux articles 1134, al.3 et 1135 du Code civil, il a longtemps été considéré comme un simple principe devant guider le juge dans l’interprétation qu’il faisait d’un contrat en l’autorisant à rechercher la volonté réelle des parties. En application de l’article 1135 du Code civil, on considérait en effet que tout contrat comportait, sans que les parties aient eu besoin de s’exprimer à ce sujet, toutes les suites que l’équité ou l’usage lui donnaient, d’après sa nature 76.

75 Cass., 19 septembre 1983, Pas., 1984, I, p.55. 76 Cass., 29 mai 1947, Pas., 1947, I, p.217 ; J.P. Gand (2ème Canton), 28 septembre 2009, J.J.P., 2012, p. 413.

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Il en résultait que les usages s’incorporaient donc de droit aux conventions, pour autant évidemment que le caractère de généralité et de certitude desdits usages soit incontestable. Dans un arrêt du 6 avril 1976, la Cour d’Appel [Hof van beroep] de Mons a cependant souligné :

« La volonté des parties de se conformer à un usage ne peut se présumer que lorsque cet usage revêt, dans une région déterminée, le caractère général d’une règle reconnue par tous comme applicable aux conventions de même nature » 77.

Qualifiés de longue date « d’enfant terrible de la grande famille juridique » 78, les usages sont des règles de droit établies par une pratique ancienne et constante. Progressivement, la doctrine et la jurisprudence ont toutefois déduit du principe de l’exécution de bonne foi l’exigence d’une collaboration indispensable entre le créancier et le débiteur79, voire d’une certaine solidarité en vue de conduire le contrat à bonne fin80. Récemment, le législateur n’a pas manqué de suivre … La loi du 21 décembre 2013 relative à diverses dispositions concernant le financement des petites et moyennes entreprises dispose, en son article 4, de manière étonnante :

« Le prêteur, l’intermédiaire de crédit et l’entreprise se comportent de bonne foi et équitablement dans leurs relations juridiques réciproques. Les informations qu’ils fournissent doivent être correctes, claires et non trompeuses » (sic !).

Quoi qu’il en soit, il résulte du principe d’exécution de bonne foi que les parties contractantes assument des devoirs qui peuvent compléter ou accroître les obligations nées du contrat, les restreindre ou encore permettre au juge de vérifier la manière dont les droits sont exercés et/ou les obligations exécutées. Une analyse de la jurisprudence permet de rassembler les normes objectives de comportement qui découlent du principe de l’exécution de bonne foi autour de trois axes :

77 Pas., 1977, II, p. 71 ; En ce sens : Civ. Neufchâteau, 26 novembre 2004, R.R.D., 2005, p. 19. 78 J. ESCARRA, De la valeur juridique de l’usage en droit commercial, 1910, p.4. 79 Liège, 2 novembre 2006, J.L.M.B., 2007, p. 1223. 80 Pour un cas de refus d’application de l’abus de droit, voir : Mons, 17 juin 2009, R.R.D., 2009, p. 87.

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• Le devoir de loyauté [loyauteitsplicht] : Il implique une obligation positive de communiquer des informations loyales au cocontractant et une obligation négative visant à s’abstenir de toute attitude qui pourrait soit priver l’autre des avantages découlant du contrat, soit aggraver les charges résultant pour l’autre de l’exécution de la convention.

• Le devoir de modération [gematigheidsplicht] : Il interdit au créancier d’exiger l’exécution scrupuleuse du contrat, alors que le débiteur exécute ses obligations dans des conditions objectivement satisfaisantes, et s’oppose à l’application par le créancier de sanctions sans commune mesure avec le préjudice subi.

• Le devoir de collaboration [medewerkingsplicht] : Il a pour conséquence d’empêcher toute entrave par une partie à l’exécution par l’autre de ses obligations81.

À l’heure actuelle, ces devoirs ne concernent plus seulement les obligations contractuelles, la jurisprudence n’ayant pas hésité à en faire application tant dans la phase précontractuelle qu’en matière de responsabilité extra-contractuelle [buitencontractueel aanspraakelijkheid].

B. Fonctions Le principe de l’exécution de bonne foi, tel qu’appliqué par les cours et tribunaux, remplit différentes fonctions qui peuvent être résumées comme suit :

• Une fonction interprétative [interpretatieve functie] : Ainsi qu’il a déjà été souligné, le juge doit interpréter le contrat en recherchant la « commune intention » des parties (Article 1156 du Code civil), ce qui l’amène à devoir parfois deviner les effets qu’elles ont voulu réserver de bonne foi à leur convention.

• Une fonction complétive [aanvullende functie] : En dépit du silence des parties contractantes, de la loi ou des usages, le juge peut être

81 Pour un cas d’application : Liège, 1er décembre 2016, J.T., 2017, p. 176.

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amené à compléter la convention des parties par référence aux « normes objectives de comportement » qui se traduisent par les trois devoirs (loyauté, modération et collaboration) identifiés ci-dessus82.

• Une fonction modératrice [matigende functie], limitative ou restrictive : elle s’exprime pleinement à travers l’application de la théorie de l’abus de droit, lorsque le juge réduira le droit du créancier en le ramenant dans les limites normales de l’exercice de ce droit.

Les développements qui précèdent mettent en évidence le caractère éminemment évolutif du principe de l’exécution de bonne foi, dont les ressources n’ont probablement pas été épuisées par les praticiens.

82 J.P. Gand (2e Canton), 28 septembre 2009, J.J.P., 2012, p. 413.

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Chapitre 3. La formation [totstandkoming] du contrat La formation du contrat constitue la première phase du rapport contractuel qui sera, normalement, suivie par la phase de l’exécution du contrat. Elle doit être envisagée sous un double angle :

- Au point de vue statique : Il s’agit de déterminer les conditions de validité auxquelles doit satisfaire tout contrat au moment de sa formation83.

- Au point de vue dynamique : L’objectif est d’appréhender les

« contacts » qui peuvent avoir lieu entre deux ou plusieurs sujets de droit avant la formation d’un contrat, ainsi que le régime juridique applicable à ces contacts, et de déterminer le moment exact de la formation du contrat.

Section 1. Au point de vue statique

Pour en savoir plus : - C. JASSOGNE, « Réflexions à propos de l’erreur », R.G.D.C., 1994, pp. 102-113. - J.-P. MASSON, « Les fourberies silencieuses (Note sous Cass., 8 juin 1978) », R.C.J.B.,

1979, pp. 527-542. - P. VAN OMMESLAGHE, « Observations sur la théorie de la cause dans la jurisprudence

et dans la doctrine moderne », R.C.J.B., 1970, pp. 328-367. - P. VAN OMMESLAGHE, « Actualité du droit des obligations. L’objet et la cause des

contrats », in Ub3, Actualité du droit des obligations, Bruylant, Bruxelles, 2005, pp. 39-123.

- N. RESIMONT, « Le point sur … la lésion qualifiée », J.T., 2007, pp. 524-525. - F. DEGUEL, « La loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d’incapacité et instaurant

un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine : vers une simplification ? », R.G.D.C., 2013, pp. 290-316.

- A. LENAERTS, « Le principe général fraus omnia corrumpit : une analyse de sa portée et de sa fonction en droit belge », R.G.D.C., 2014, pp. 98-115.

L’article 1108 du Code civil dispose :

« Quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention : Le consentement de la partie qui s’oblige ; Sa capacité de contracter ;

83 Cass., 28 novembre 2013, R.G.D.C., 2015, p. 477.

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Un objet certain qui forme la matière de l’engagement ; Une cause licite dans l’obligation ».

Nous examinerons successivement chacune de ces conditions de validité [voorwaarden voor de geldigheid] des conventions, avant de traiter le régime des sanctions applicables lorsqu’une des conditions de validité identifiées fait défaut. Il faut toutefois préciser que ces conditions doivent être réunies au moment de la naissance de l’acte juridique. La disparition ultérieure de l’une de ces conditions est, en règle, sans incidence sur la validité de l’acte 84.

A. Les conditions de validité

1. Le consentement [wilsovereenstemming] Le Code civil est muet sur le cahier de charges d’un « vrai » consentement. Il procède par la négative en identifiant les vices susceptibles d’affecter le consentement. Par hypothèse, seul un consentement qui ne serait affecté par aucun des vices ainsi définis sera un consentement valide. Les articles 1109 à 1118 du Code civil identifient quatre vices de consentement. L’intérêt réside dans le fait que le législateur, d’abord, et la jurisprudence, ensuite, ont, pour chacun des vices [gebrek] identifiés, à faire une balance entre les deux pôles que constituent :

- d’une part, la protection de la volonté libre, c.à.d. d’un consentement aussi éclairé que possible ;

- d’autre part, l’exigence de sécurité juridique.

84 Cass., 14 mars 2008, R.C.J.B., 2011, p. 329 ; Cass., 12 décembre 2008, J.T., 2010, p. 335.

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a) L’erreur [dwaling] 1°) Définition L’erreur consiste dans une discordance entre la volonté réelle [werkelijke wil] et la volonté déclarée [wilsverklaring], non provoquée et involontaire dans le chef de celui qui la commet. Elle est une représentation fausse ou inexacte de la réalité. Il n’est pas requis que l’erreur existe dans le chef de toutes les parties contractantes : l’erreur d’une seule peut donc aboutir à l’annulation du contrat. 2°) Typologie On distingue généralement deux types d’erreur qui sont susceptibles d’affecter la validité de la convention : l’erreur-obstacle et l’erreur sur la substance. Toutes les autres hypothèses d’erreur demeurent sans incidence.

• L’erreur-obstacle : Ignorée du Code civil, l’erreur-obstacle est à ce point fondamentale qu’elle doit être assimilée au défaut de rencontre des consentements.

Trois hypothèses sont traditionnellement répertoriées par la doctrine : - L’erreur in negotio porte sur la nature juridique du contrat ; - L’erreur in corpore est relative à la chose qui constitue l’objet du

contrat ; - L’erreur in causa a trait à tout élément qui a déterminé principalement

la partie victime de l’erreur à contracter. Dans ces différentes hypothèses, l’erreur est fondamentale, dans la mesure où il ne peut y avoir eu échange de consentements.

• L’erreur sur la substance : Au départ, la notion est entendue dans le sens restrictif d’une erreur sur la substance objective, à savoir la matière même de ce qui fait l’objet de l’engagement. Cette conception fait évidemment prévaloir le souci de sécurité juridique.

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Au fil du temps, la doctrine et la jurisprudence ont assoupli la notion d’erreur sur la substance pour l’étendre à l’erreur sur les qualités substantielles de la chose, c.à.d. l’erreur sur tout élément ayant déterminé l’engagement contractuel de l’une ou l’autre des parties 85. Cette conception met davantage l’accent sur l’importance du caractère éclairé que doit revêtir le consentement86. Il est néanmoins requis que l’erreur « substantielle » présente deux caractéristiques : - Elle doit être « commune [gemeen] », c.à.d. portée à la connaissance de l’autre partie ou telle que l’autre ne puisse pas l’ignorer 87. En d’autres termes, il n’est nullement requis que l’erreur ait été commise par toutes les parties contractantes, mais il est à tout le moins requis que la qualité litigieuse soit communément considérée comme substantielle ou, à tout le moins, qu’elle ait été identifiée comme telle dans le cas d’espèce.

- Elle doit être excusable [verschoonbaar], ce qui implique qu’elle aurait été commise par toute partie contractante normalement prudente, diligente et/ou raisonnable88.

Le caractère excusable ou non de l’erreur s’apprécie donc par rapport au comportement du bon père de famille (in abstracto), tout en ayant égard aux caractéristiques de l’espèce 89. En pratique, les tribunaux recourent souvent au critère de l’inexcusabilité de l’erreur pour refuser de faire droit à l’action en nullité fondée sur celle-ci et sanctionner dès lors l’attitude « légère » d’une partie contractante90.

85 Mons, 26 septembre 2005, J.L.M.B., 2006, p. 813 ; Cass., 24 septembre 2007, R.G.D.C., 2009, p. 216 ; Mons, 8 janvier 2008, J.L.M.B., 2008, p. 1465 ; Liège, 18 février 2014, J.T., 2014, p. 234. 86 Liège, 3 janvier 2008, J.L.M.B., 2008, p. 1186. 87 Bruxelles, 5 novembre 1980, J.T., 1981, p.77 ; Cass., 24 septembre 2007, J.L.M.B., 2008, p. 1171. 88 Mons, 9 mars 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1049. 89 Cass., 6 janvier 1944, Pas., 1944, I, p.133 ; Liège, 7 juin 2011, J.L.M.B., 2012, p. 1433. 90 Liège, 17 juin 2010, R.G.D.C., 2011, p. 344.

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3°) Preuve [bewijs] Conformément au droit commun [gemeen recht] (Article 1315 du Code civil), la partie qui se prétend victime d’une erreur devra établir l’existence de celle-ci au moment de la formation du contrat. Cette preuve pourra être rapportée par toutes voies de droit [met alle rechtens toelaatbare middelen], étant donné qu’elle porte sur un élément de fait. La règle de la prééminence de la preuve écrite (Article 1341 du Code civil) ne trouve donc pas à s’appliquer.

b) Le dol [bedrog] 1°) Définition Tout comme l’erreur, le dol entraîne une discordance entre la volonté réelle et la volonté déclarée. Il se distingue toutefois de l’erreur dans la mesure où cette discordance doit être la conséquence directe du comportement intentionnel du cocontractant. On peut donc définir le dol comme une(ou des) manœuvre(s) malicieuse(s) émanant de l’une des parties contractantes et par laquelle(lesquelles) cette partie circonvient l’autre jusqu’à obtenir son consentement. Il en résulte que le dol induit en erreur, mais que l’élément qui le caractérise est que cette erreur a été provoquée par les agissements du cocontractant91. 2°) Conditions [voorwaarden] L’article 1116, al. 1er du Code civil identifie trois conditions : • L’existence de manœuvres [kunstgrepen], ce qui implique un

élément matériel et un élément intentionnel. 91 Le dol peut être vu comme un cas d’application de l’adage fraus omnia corrumpit. Il en résulte que l’auteur du dol, qui commet une faute intentionnelle (fraus), ne peut invoquer une négligence de son cocontractant afin de faire obstacle à l’action en nullité ou en vue d’obtenir un partage de responsabilité (comp. avec l’erreur). A cet égard, voy. Cass., 23 septembre 1977, Pas., 1978, I, p. 100 ; A. LENAERTS, « Le principe général fraus omnia corrumpit : une analyse de sa portée et de sa fonction en droit belge », R.G.D.C., 2014, pp. 100 à 102 ; A. LENAERTS, « Over de algemene rechtsbeginselen fraus omnia corrumpit en het verbod op rechtsmisbruik : een zoektocht naar hun onderlinge afbakening in het privaatrecht, R.G.D.C., 2015, pp. 2-22.

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- L’élément matériel peut se concrétiser par un comportement actif (mensonges, comportement,…), mais également passif (silence circonstancié ou réticence dolosive), le fait de ne pas communiquer certaines informations pouvant être considéré comme dolosif lorsqu’il existe une obligation de divulguer celles-ci à l’autre partie et lorsque cette omission tend à l’induire en erreur 92. - L’élément intentionnel implique une intention de tromper93. Il faut dès lors que l’auteur des manœuvres ait connaissance du caractère mensonger des manœuvres ou affirmations incriminées. A cet égard, on admet que les artifices usuellement admis en matière de publicité commerciale (dolus bonus) ne peuvent être constitutifs de dol.

• Le dol doit émaner d’une des parties contractantes pour pouvoir

entraîner la nullité de la convention.

Le dol émanant d’un tiers ne peut dès lors aboutir à une telle sanction, sauf à établir que ce tiers a été complice d’une des parties contractantes ou si celle-ci a tiré profit des manœuvres dolosives dudit tiers94.

• Le dol doit avoir été la cause déterminante du consentement de la

partie victime.

L’appréciation de ce caractère déterminant se fait in concreto, c.à.d. en ayant égard aux caractéristiques personnelles de la victime, parmi lesquelles son âge, son expérience, sa formation, ses compétences,… La Cour de Cassation a toutefois admis l’existence du dol incident [incidenteel of bijkomend bedrog] qui n’a eu pour conséquence que d’amener une partie à contracter à des conditions moins favorables, étant entendu qu’elle se serait engagée même à défaut de manœuvre(s) malicieuse(s) 95.

92 Cass., 8 juin 1978, R.C.J.B., 1979, p.525 ; Civ. Liège, 26 mars 2014, J.L.M.B., 2014, p. 1104. 93 Bruxelles, 28 avril 2009, R.G.D.C., 2013, p. 517. 94 Liège, 6 juin 2011, J.L.M.B., 2012, p. 1428. 95 Cass., 23 septembre 1977, Pas., 1978, I, p.100 ; Cass., 29 mai 1980, Pas., 1980, I, p.1190 ; Civ. Bruxelles, 8 mai 2006, R.G.D.C., 2006, p. 438, Liège, 30 novembre 2009, J.L.M.B., p. 1029.

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Le dol incident ne sera sanctionné que par l’octroi de dommages et intérêts.

3°) Preuve L’article 1116, al.2 du Code civil ne constitue qu’une application du droit commun en matière de preuve. Il incombe à la partie qui entend se prévaloir du dol d’en établir l’existence, ce qui implique la preuve des conditions identifiées ci-dessus. Cette preuve pourra être rapportée par toutes voies de droit.

c) La violence [geweld of dwang] 1°) Définition La violence est le fait d’inspirer à une personne la crainte d’un mal considérable de nature à affecter la liberté de son consentement. Elle a pour conséquence de contraindre cette partie à contracter, en manière telle qu’apparaît une discordance entre la volonté déclarée et la volonté réelle. La violence peut évidemment être physique, mais également morale. Elle peut notamment résulter des conditions dans lesquelles l’acte juridique a été accompli ou le contrat a été conclu96. 2°) Conditions Pour constituer un vice de consentement sur base duquel l’annulation du contrat pourra être obtenue, la violence doit répondre à cinq conditions : • Elle doit être injuste et ne peut donc reposer sur l’exercice normal

d’un droit, la seule existence d’un rapport d’autorité entre parties

96 Cass., 24 mars 2003, J.T.T., 2003, p. 360 ; C.T. Mons, 26 mars 2010, J.T.T., 2010, p. 430.

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contractantes ou un simple déséquilibre entre les positions économiques de celles-ci 97 n’étant pas constitutive de violence.

La seule « crainte révérencielle » ne suffit donc pas, pour autant qu’elle n’ait pas été exploitée.

• La violence doit être de nature à peser sur la volonté d’une

« personne raisonnable ». L’article 1112, al.2 du Code civil précise que l’appréciation de cette condition par le juge se fait à partir de critères concrets, tels que l’âge, le sexe et la condition de la victime.

• La violence doit faire naître la crainte d’un « mal considérable et

présent », c.à.d. que la crainte en résultant doit avoir été contemporaine à la conclusion du contrat.

• La violence ne doit pas nécessairement s’exercer sur la personne du

cocontractant. Elle peut être dirigée contre le conjoint, les descendants ou les ascendants de celui-ci. La jurisprudence a toutefois admis que l’énumération de l’article 1113 du Code civil n’était guère limitative, pour autant qu’un lien d’affection suffisant puisse être identifié.

• La violence doit enfin avoir été déterminante du consentement de la

partie victime. On admet toutefois qu’une simple violence incidente puisse donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts.

3°) Preuve Du point de vue de la charge de la preuve, la violence doit être établie par celui qui s’en prétend victime. Pour ce faire, il pourra avoir recours à tous les modes de preuves, sans que la règle de la prééminence de l’écrit ne soit applicable.

97 Cass., 2 mai 1969, Pas., 1969, I, p.781.

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d) La lésion [benadeling] 1°) Définition La lésion consiste dans une disproportion [onevenwicht] flagrante dans les prestations réciproques des parties lors de la formation du contrat. Elle se distingue dès lors de l’imprévision, dans laquelle un déséquilibre n’apparaît que dans le cadre de l’exécution d’une convention. Souvent analysée comme une présomption de vice de consentement, la lésion tempère quelque peu la rigueur de l’article 1134 du Code civil. 2°) Cas d’application L’article 1118 du Code civil met en évidence le caractère restrictif de ce vice de consentement qui ne trouve à s’appliquer « que dans certains contrats ou à l’égard de certaines personnes ». Deux situations doivent être distinguées : • La lésion à l’égard d’un mineur [minderjang] : Elle est admise « contre

toutes sortes de conventions » (Articles 1305 et suivants du Code civil). Elle apparaît dès lors comme une institution complémentaire de la protection du mineur98.

• La lésion à l’égard d’un majeur : Elle ne trouve à s’appliquer « que dans

les cas et sous les conditions spécialement exprimées » dans le Code civil (Article 1313 du Code civil), à savoir notamment :

- La lésion de plus de la moitié en matière successorale : l’héritier [erfgenaam] peut attaquer l’acceptation qu’il a faite d’une succession s’il vient à découvrir l’existence d’un testament qui diminue de plus de la moitié la succession acceptée par lui (Article 783 du Code civil).

98 Il est néanmoins admis que le mineur est doté d’une « capacité juridique restreinte », notamment pour poser des actes de la vie courante. Dans cette hypothèse, il est requis que le mineur soit pourvu de la capacité de discernement et que son consentement ne soit pas vicié (H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil, t. II, 4e éd par J.-P. Masson, vol. 2, Bruxelles, Bruylant, 1990, p. 1125, n° 1211).

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- La lésion de plus d’un quart en matière de partage : si l’un des copartageants obtient un lot inférieur de plus d’un quart à ce à quoi il pouvait prétendre, le partage pourra être rescindé (Articles 887 et 1079 du Code civil). - La lésion du vendeur d’un immeuble lorsqu’elle dépasse les 7/12e du prix (article 1674 du Code civil)99. L’article 1676 du Code civil prévoit par ailleurs que l’action du vendeur d’immeuble doit être intentée dans les deux ans. Le cas échéant, l’acheteur désireux de maintenir ses effets au contrat de vente dispose de la faculté « de garder le fonds en payant le supplément du juste prix, sous la déduction du dixième du prix total » (Article 1681 du Code civil). Il faut par ailleurs observer que le législateur n’ouvre la possibilité d’invoquer la lésion qu’au vendeur d’un immeuble. L’acheteur ne pourrait donc s’en prévaloir. - L’hypothèse de la société léonine dans laquelle un ou plusieurs des associés s’approprie(nt) tous les bénéfices ou s’exonère(nt) de toute participation aux pertes (Article 32 du Code des sociétés).

3°) La lésion qualifiée La doctrine et la jurisprudence ont élaboré à partir de l’article 1907ter du Code civil une théorie dite de la lésion qualifiée, destinée à sanctionner les situations dans lesquelles il existe une disproportion manifeste entre les prestations des parties contractantes, lorsque cette disproportion résulte de l’exploitation de la faiblesse de l’une des parties, de son inexpérience, de sa légèreté, de ses besoins ou de ses passions100. Cette théorie déjà évoquée 101, dont le fondement est controversé, permet d’aboutir à la rescision pour lésion en dehors des cas expressément prévus par la loi. 4°) Preuve La preuve de la lésion incombe à la partie qui l’invoque. Elle devra prouver qu’elle se trouve dans une des hypothèses prévues par le législateur et que les conditions d’application prévues par la disposition légale invoquée sont réunies. 99 À propos du calcul à opérer, voir Cass., 4 mai 2015, J.L.M.B., 2016, p. 3. 100 Civ. Bruxelles, 11 juin 2013, J.T., 2013, p. 611. 101 Partie 1, titre 1, Chapitre 2, Section 3.

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Si l’autre partie contractante entend justifier le déséquilibre dans les prestations réciproques par une intention libérale, il lui appartiendra d’établir celle-ci. A cet égard, l’article 1674 du Code civil dispose expressément que la clause par laquelle le vendeur aurait déclaré faire donation de la plus-value ne fait pas, en soi, preuve d’une intention libérale.

2. La capacité [handelingsbekwaamheid] La capacité est l’aptitude de toute personne physique ou morale à être sujet de droit. Dans notre système juridique, la capacité est, en règle, reconnue à toute personne physique ou morale.

a) La capacité des personnes physiques [natuurlijke personen] La portée de cette condition doit dès lors être circonscrite à partir des exceptions à ce principe. Ces exceptions se situent à deux niveaux. 1°) Les incapacités de jouissance La capacité de jouissance touche à l’attribution de la qualité de sujet de droit, c.à.d. d’attributaire de droits à la personne. Il subsiste actuellement quelques exceptions à la règle de la capacité de jouissance. Ces exceptions sont toujours partielles en ce qu’elles ne portent pas sur l’ensemble des droits civils ou politiques. Elles sont généralement inspirées par une idée de sanction. On peut citer à cet égard : - les articles 31 et suivants du Code pénal ; - la déchéance du droit de conduire un véhicule automoteur ; - l’indignité successorale (Article 727 du Code civil) qui tantôt peut s’appliquer de plein droit, tantôt peut être prononcée par le juge civil sur réquisition du Procureur du Roi, tantôt peut être prononcée par le juge pénal102. 102 La notion d’indignité successorale a été revue par la loi du 10 décembre 2012 modifiant le Code civil, le Code pénal et le Code judiciaire en ce qui concerne l’indignité

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2°) Les incapacités d’exercice La capacité d’exercice permet au titulaire d’un droit de l’exercer lui-même. Elle constitue également la règle. Les incapacités d’exercice sont donc des exceptions qui, toutes, sont instaurées par la loi et sont d’interprétation restrictive. Le plus souvent, elles reposent sur une idée de protection de l’incapable. La loi du 17 mars 2013103 réformant les régimes d’incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine a mis un terme à la diversité des statuts antérieurement admis : minorité prolongée, administration provisoire, interdiction, conseil judiciaire. L’ampleur de l’incapacité d’exercice des personnes protégées est à géométrie variable. Il incombe, en effet, au juge de paix qui ordonne une mesure de protection judiciaire des biens de décider, « en tenant compte des circonstances personnelles, de la nature et de la composition des biens à gérer ainsi que de l’état de santé de la personne protégée, quels sont les actes ou catégories d’actes en rapport avec les biens que celle-ci est incapable d’accomplir »104. Il en résulte que la personne protégée accomplit valablement les actes qui ne sont pas frappés d’une mesure d’incapacité. En vertu de l’article 493, §2, du Code civil, les actes posés en violation des limites de la capacité de la personne protégée sont, dans certains cas visés par le législateur105, sanctionnés par une nullité de droit106. Dans les autres hypothèses, les actes irréguliers sont « nuls en cas de lésion ».

successorale, la révocation des donations, la déchéance des avantages matrimoniaux et la substitution (M.B., 11 janvier 2013, p. 997). 103 Mon. B., 14 juin 2013. Cette loi est entrée en vigueur le 1er juin 2014. 104 Art. 492/1, §2, du Code civil. Cette disposition précise que le juge de paix doit, dans son ordonnance, se prononcer expressément sur la capacité de la personne protégée d’aliéner ses biens, de contracter un emprunt, de consentir un bail de plus de neuf ans, etc. 105 Voy. art. 493, §2, al. 1 et 3. Cette disposition renvoie aux articles 499/7, § 2, 905, 1397/1 et 1478, al. 4, du Code civil. Il s’agit d’actes pour lesquels une autorisation préalable du juge de paix est nécessaire. Sont ainsi notamment visés les actes suivants : aliéner, emprunter, hypothéquer ou donner en gage les biens de la personne protégée, conclure un bail à ferme, un bail commercial ou un bail à loyer de plus de neuf ans, acheter un bien immeuble, consentir une libéralité, conclure un contrat de mariage, etc. 106 Pour les actes accomplis par la personne protégée en violation de son incapacité à l’égard de sa personne (par exemple, se marier, reconnaître un enfant, introduire une demande en divorce), voy. les articles 492/1, §1er et 493, § 1er du Code civil. La nullité « de droit » doit être prononcée par le juge mais elle ne peut être invoquée que par la partie en faveur de laquelle elle a été édictée (voy. F. DEGUEL, « La loi du 17 mars 2013

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L’article 493, §2, alinéa 2 poursuit en ces termes :

« la nullité est appréciée par le juge compte tenu des droits des tiers de bonne foi. Toutefois, le juge peut également, en cas d'excès, réduire les obligations que la personne protégée aurait contractées par voie d'achats ou autrement; à cet égard, le juge prend en considération la fortune de la personne protégée, la bonne foi des personnes qui ont contracté avec elle, ainsi que l'utilité ou l'inutilité des dépenses ». La nullité de l’acte posé par un incapable est relative. Elle ne peut être invoquée que par la personne protégée et son administrateur107 et est susceptible d’être couverte par ce dernier108.

L’action en nullité se precrit par cinq ans109.

b) La capacité des personnes morales [rechtspersonen] Les personnes morales jouissent en principe de la même capacité que les personnes physiques110. Leur spécificité justifie toutefois que diverses restrictions résultent : - Tantôt de la nature même de la personne morale : celle-ci ne pourra notamment pas avoir la qualité d’employé, ni être titulaire des droits liés à l’état des personnes ou des droits qui résultent de l’âge, du sexe,… - Tantôt de la loi (principe de la spécialité légale) 111 : l’objet des sociétés commerciales étant de faire des bénéfices, il leur est en principe interdit de faire valablement des donations ou libéralités, à moins que celles-ci n’aient un but de promotion commerciale 112.

réformant les régimes d’incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine : vers une simplification », R.G.D.C., 2014, p. 307, n° 58). 107 Voy. l’art. 493, §3, du Code civil. Sur les restitutions consécutives à la nullité du contrat, voy. en particulier l’art. 493, §3, al. 2 du Code civil. Justifiée par un souci de protection de l’incapable, cette disposition limite la restitution due par ce dernier, aux fins d’éviter qu’il ne soit redevable d’une prestation qui ne se trouve plus dans son patrimoine. Ainsi, le cocontractant ne peut exiger le remboursement de ce qu’il a payé à la personne protégée, à moins de prouver que ce qui a été payé a tourné au profit de celle-ci. 108 Voy. l’article 493, § 3, alinéa 1er. 109 Art. 493/1 du Code civil. 110 Cass., 31 mai 1957, Pas., 1957, I, p.1176 ; Cass., 13 avril 1989, Pas., 1989, I, p.825. 111 Cass., 1er décembre 1994, Pas., 1994, I, p.1028. 112 Bruxelles, 10 mars 1982, R.P.S., 1984, p.265 ; Liège, 4 décembre 2009, J.L.M.B., 2010, p. 1371.

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- Tantôt des statuts (principe de la spécialité statutaire) : la capacité d’une personne morale est limitée aux opérations entrant dans le cadre de l’objet social déterminé par ses fondateurs. L’acte juridique accompli par les organes qui excède cet objet social ne peut en principe ni lier la société, ni créer des droits en sa faveur.

3. L’objet [voorwerp]

a) Notion Les articles 1126 à 1130 du Code civil mettent en évidence le caractère polyvalent de la notion d’objet. Il y est tantôt fait allusion à l’objet du contrat (Articles 1126 à 1128 du Code civil), tantôt à l’objet de l’obligation (Articles 1129 et 1130 du Code civil). Il convient de distinguer ces deux acceptions : - L’objet du contrat s’entend des obligations qui vont découler de l’existence de celui-ci ; - L’objet de l’obligation est la prestation attendue de la part du débiteur. La suite de l’exposé se place à ce niveau.

b) Caractères Le principe de l’autonomie de la volonté permet aux parties contractantes de déterminer librement l’objet de leurs obligations. Il est toutefois admis que celui-ci doit répondre à trois caractéristiques, à savoir : - Etre possible ; - Etre déterminé ou, à tout le moins, déterminable ; - Etre licite. 1°) Etre possible Cette condition implique tout d’abord que l’objet soit « dans le commerce [in de handel] » (Article 1128 du Code civil). Tel n’est notamment pas le cas des biens du domaine public dans la mesure nécessaire pour assurer leur affectation au service public ou à l’usage du public. Ces biens ne

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peuvent faire l’objet de conventions emportant la création de droits réels, ni de contrats de location 113, mais pourront faire l’objet de concessions dont le régime est déterminé par le droit administratif. Elle n’exclut par contre pas que l’objet n’existe pas au moment de la conclusion du contrat. L’article 1130 du Code civil admet en effet que des « choses futures » fassent l’objet de prestations contractuelles. Tel serait, par exemple, le cas en cas de vente d’une maison à construire ou d’une récolte à attendre. L’article 1130, al.2 maintient toutefois une exception à la validité de la convention sur chose future en prohibant les pactes sur succession future. Aucun engagement n’est dès lors possible à propos d’une succession non encore ouverte, ce qui est d’ailleurs confirmé par les articles 791 et 1600 du Code civil. Ni le de cujus, ni les héritiers potentiels de celui-ci ne peuvent dès lors disposer de la future succession. 2°) Etre déterminé [bepaald] ou déterminable [bepaalbaar] Cette exigence découle de l’article 1129 du Code civil. Elle exclut la possibilité de conclure une convention dépourvue d’un minimum de précision. L’interdiction des conditions purement potestatives (Article 1174 du Code civil) relève de la même logique. Il est bien entendu satisfait à cette condition lorsque les parties ont fixé de manière précise dans le contrat qui les lie la nature et l’objet des prestations qui forment la matière de leur engagement. On parle dans ce cas d’un objet déterminé. Elle peut également l’être lorsque les parties ont fixé dans la convention conclue entre elles les éléments qui permettront de déterminer la nature et l’étendue de leurs prestations sans qu’il soit besoin d’un nouvel accord. On parle dans ce cas d’un objet déterminable. Dans cette dernière hypothèse, l’objet sera déterminé, le moment venu, soit par un tiers, soit même par l’une des parties. Il est toutefois requis que la détermination intervienne sur base de critères objectifs au plus tard au moment de l’exécution du contrat114.

113 Cass., 4 janvier 1974, Pas., 1974, I, p.455. 114 Cass., 31 octobre 2008, J.L.M.B., 2011, p. 72.

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La vente à dire d’expert (article 1592 du Code civil) constitue l’exemple-type de la convention dans laquelle la détermination de l’objet, c.à.d. en l’espèce du prix de la vente, est laissée à l’appréciation d’un tiers. La Cour de Cassation a admis cette technique, pour autant que le contrat comprenne, dès sa conclusion, les éléments de base du calcul du prix ou les éléments dont le prix pourra être déterminé 115. Dans un contrat d’entreprise, il n’est pas rare que le prix soit fixé par l’entrepreneur après l’exécution des travaux116. Cette détermination ne pourra être purement arbitraire et pourra, le cas échéant, faire l’objet d’un contrôle marginal a posteriori du juge et/ou des autorités disciplinaires117. On parlera de détermination de l’objet du contrat par décision unilatérale de partie (partijbeslissing). De telles hypothèses demeurent toutefois limitées aux situations où la loi, les usages ou la convention elle-même autorisent un tel mécanisme, la règle demeurant qu’une partie ne peut en principe remédier unilatéralement à l’absence de caractère déterminé ou déterminable de l’objet de la convention. 3°) Etre licite [geoorloofd] Il est admis que la combinaison des articles 6 et 1131 à 1133 du Code civil met en évidence l’exigence d’un objet et d’une cause licites, c.à.d. conformes à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Ces concepts ne font l’objet d’aucune définition légale et sont rarement distingués par la jurisprudence. Il s’agit de notions évolutives, éminemment liées au contexte sociétal dans lequel elles doivent trouver à s’appliquer. A la suite de De Page, la Cour de Cassation a considéré qu’est d’ordre public toute disposition « qui touche aux intérêts essentiels de l’Etat ou de la collectivité ou qui fixe, dans le droit privé, les bases juridiques

115 Cass., 5 juin 1953, Pas., 1953, I, p.769. 116 Bruxelles, 13 novembre 1997, J.L.M.B., 1998, p. 1823 ; Gand, 30 mai 1997, A.J.T., 1997-1998, p. 199 ; Gand, 11 juin 2010, J.T., 2011, p. 606 (+ Obs. J.-F. GERMAIN, « Fixation unilatérale du prix (partijbeslissing) et contrat d’entreprise : un mécanisme à portée générale ». 117 Pour un cas d’application (où il est question du budget d’honoraires d’architecte) : Cass., 10 octobre 2003, Pas., I, 2003, p. 1579 ; Pour un cas d’application (où il est question de la détermination des suppléments d’honoraires appliqués par les médecins non conventionnés) : Civ. Bruxelles, 15 mai 2014, J.T., P. 431.

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fondamentales sur lesquelles repose l’ordre économique ou moral d’une société déterminée » 118. Les bonnes mœurs constituent par ailleurs un ensemble de règles de conduite ou d’ordre strictement moral, résultant des habitudes, des usages et des traditions communément acceptées par les citoyens, quelles que soient leurs opinions religieuses et/ou philosophiques119. Cette exigence de licéité se retrouvera à propos de la dernière condition de validité, à savoir la cause.

4. La cause [oorzaak]

a) Définition L’utilité de la cause comme condition spécifique de validité des contrats a fait l’objet de longues controverses, auxquelles il a été mis fin de manière positive 120. Cette condition de validité a toutefois été appréhendée de deux manières différentes au fil du temps : - Certains auteurs ont soutenu que la cause d’un engagement n’était rien d’autre que l’objet de l’obligation de l’autre partie contractante. Si je m’engage à acquérir un bien, c’est parce que je veux devenir propriétaire de l’objet que le vendeur aura pour obligation de me livrer. De même, celui-ci accepte de s’en défaire parce qu’il souhaite percevoir le prix que je me suis engagé à lui payer. Cette conception objective ne présente guère d’utilité. - D’autres auteurs ont voulu donner à la notion de cause une extension considérable en voyant dans ce facteur « les mobiles déterminants » qui amènent une partie à contracter. Cette conception subjective est de nature à poser un problème de sécurité juridique lorsque les mobiles déterminants d’une partie n’ont pas été portés à la connaissance du cocontractant. A l’heure actuelle, il est toutefois admis que le juge peut scruter les mobiles déterminants [determinerende of beslissende beweegredenen] des 118 Cass., 9 décembre 1948, Pas., 1948, I, p.699. Pour un cas d’application : Civ. Bruxelles, 19 mai 2015, R.G.D.C., 2016, p. 133. 119 Anvers, 13 décembre 2007, R.G.D.C., 2012, p. 187. 120 Cass., 13 novembre 1969, Pas., 1970, I, p.234.

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parties et prononcer dès lors non seulement la nullité des conventions par lesquelles celles-ci poursuivent un but contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, mais également en cas d’erreur sur les mobiles déterminants121.

b) Caractères La cause doit répondre à deux conditions, à savoir exister et être licite (Article 1131 du Code civil). 1°) Exister Il n’est actuellement plus contesté que la cause constitue une condition de validité de tout contrat, voire même de tout acte juridique. Répondant à un souci d’une plus grande sécurité juridique, la jurisprudence a admis l’existence d’actes abstraits de leur cause, c.à.d. d’actes « qui ne sont pas dépourvus de cause, mais qui en sont détachés » 122. Cette abstraction résultera : - Tantôt de la loi : Ainsi, la caution ne peut invoquer à l’égard du créancier des exceptions déduites de ses rapports avec le débiteur principal, lesquels constituent la cause de son engagement. De même, l’obligation du tiré de payer à l’échéance le montant de la lettre de change au porteur de celle-ci est inconditionnelle. 121 C.T. Mons, 23 décembre 1991, J.L.M.B., 1992, p. 1200 ; Cass., 14 mars 2008, R.G.D.C., 2010, p. 195 ; Cass., 12 décembre 2008, J.T., 2010, p. 335. Voy. toutefois Cass., 14 janvier 2013, J.L.M.B., 2015, p. 776 : « La convention dont le motif déterminant est fondé sur une représentation involontairement erronée de la réalité n’est pas une convention dénuée de cause ou fondée sur une cause erronée mais une convention dont le consentement est entaché d’erreur. L’erreur n’est une cause de nullité que si elle est excusable ». Par cet arrêt, la Cour semble détacher l’erreur sur le mobile déterminant de la notion de cause pour l’envisager exclusivement sous l’angle de l’erreur vice de consentement. Elle considère, en effet, qu’une telle erreur n’entraine pas la nullité de la convention en raison de l’absence de cause ou d’une cause erronée. L’erreur sur le mobile déterminant doit ainsi répondre aux conditions de l’erreur sur la substance, en particulier son caractère excusable. En l’espèce, des parents souhaitaient consentir une donation au profit de leur fils, à l’exclusion de l’épouse de ce dernier. Cependant, à l’époque de la libéralité, le fils était marié sous le régime matrimonial de la communauté universelle, de sorte que l’immeuble donné bénéficia tant au fils qu’à son conjoint. Se posait dès lors la question de l’excusabilité de l’erreur : une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances que les parents et mue par les mêmes intentions aurait-elle commis la même erreur ? Ne se serait-elle pas davantage renseignée sur le régime matrimonial du fils ? 122 Cass., 13 novembre 1969, Pas., 1970, I, p.234.

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- Tantôt des usages : Le bénéficiaire d’une garantie « à première demande » pourra obtenir la libération de celle-ci à son profit sans avoir à établir les manquements éventuels de son cocontractant. Il n’y a pas lieu de confondre l’hypothèse de l’acte abstrait avec celle du billet non causé (Article 1132 du Code civil). Dans cette hypothèse, la cause existe mais elle n’est pas exprimée. Tel est notamment le cas de la reconnaissance de dettes. Le cas échéant, il appartiendra à celui qui conteste l’existence d’une cause d’établir ce défaut123. 2°) Etre licite Comme l’objet, la cause ne peut contrevenir à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Ainisi, la clause d’un contrat qui impose une limitation excessive de la concurrence en violation de la liberté du commerce et de l’industrie a été déclarée nulle124. L’acceptation de la conception subjective de la cause pose la question de savoir si le mobile illicite doit être commun aux deux parties. Statuant à l’opposé de la thèse généralement admise par la doctrine, la Cour de Cassation a considéré qu’il suffit que l’une des parties ait contracté à des fins illicites et qu’il n’est pas nécessaire que ces fins soient connues du cocontractant 125. La primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers du cocontractant de bonne foi est ainsi consacrée.

B. Les sanctions : la théorie des nullités

1. Définition Un contrat qui ne satisfait pas aux quatre conditions de validité examinées au moment de sa formation est susceptible d’être frappé de nullité126. On parlera donc plutôt d’annulabilité du contrat. Cette sanction doit être

123 Liège, 16 décembre 2013, J.L.M.B., 2014, p. 1101. 124 Cass., 23 janvier 2015, J.T., 2015, p. 734; Cass., 25 juin 2015, R.C.J.B., 2016, p. 379. 125 Cass., 12 octobre 2000, Pas., 2000, I, p. 1531. 126 Cfr Article 1117 du Code civil.

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distinguée des autres modes de dissolution d’un contrat qui seront examinés ultérieurement 127. L’annulation du contrat entraîne la mise à néant de celui-ci dès le moment de sa formation. Il y a dès lors lieu de replacer les parties dans la situation qui était la leur avant la formation du contrat annulé et de procéder à la restitution de tout ce qui a été accompli en exécution de celui-ci. La doctrine et la jurisprudence ont progressivement distingué la nullité absolue et la nullité relative. La première intervient en cas d’atteinte à l’intérêt général, c.à.d. essentiellement en cas de violation de l’ordre public ou des bonnes mœurs. La seconde sera d’application lorsqu’il s’agit de sanctionner une atteinte à un intérêt particulier. En pratique, elle s’applique essentiellement dans l’hypothèse d’un vice de consentement ou d’une incapacité.

2. Régimes La nullité absolue [absolute nietigheid] pourra être soulevée par toute personne qui justifie d’un intérêt, en ce compris d’office [ambtshalve] par le juge, tandis que seule la personne protégée pourra invoquer le bénéfice de la nullité relative. On ne peut donc exclure qu’un contrat susceptible d’être frappé de nullité relative subsiste, le juge ne pouvant se substituer à une demande qui doit émaner de la personne protégée128. Seule la nullité relative [relatieve nietigheid] peut faire l’objet d’une confirmation, c.à.d. d’une renonciation par la personne protégée de se prévaloir de cette sanction. Aucune confirmation n’est dès lors envisageable dans une hypothèse de nullité absolue129. Depuis la loi du 10 juin 1998, la prescription de l’action en nullité est de 10 ans tant pour la nullité absolue que pour la nullité relative. 127 Cfr Partie 1, Titre 1, chapitre 6. 128 A la suite de la jurisprudence développée par la Cour de justice de l’Union européennes dans les matières consuméristes (par exemple, les clauses abusives), il est acquis que le juge est tenu de prononcer d’office la nullité d’une clause contraire à une disposition impérative au bénéfice de laquelle la partie protégée n’a pas renoncé. Partant, la nullité relative – pour atteinte aux normes impératives – ne se distingue plus guère de la nullité absolue en ce qui concerne l’office du juge. Voy. ég. P. WERY, « L’essor du droit impératif et ses rapports avec l’ordre public en matière contractuelle », R.G.D.C., 2011, pp. 145 et s., spéc. n° 18. 129 Bruxelles, 20 novembre 2008, R.G.D.C., 2011, p. 97 ; Cass., 30 janvier 2015, R.G. C.14.0285.N.

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A l’expiration de ce délai, l’exception de nullité pourra toutefois encore être opposée à celui qui réclamerait l’exécution d’un contrat frappé de nullité absolue.

3. Effets [gevolgen] La nullité du contrat revêt un caractère rétroactif. Il y a donc lieu de procéder à la restitution de tout ce qui a été presté en exécution du contrat annulé. La restitution en nature ne s’avérera pas toujours possible. Le cas échéant, une restitution par équivalent trouvera à s’appliquer. Deux adages complètent toutefois la sanction de la nullité absolue pour contrariété à l’ordre public ou aux bonnes mœurs : - nemo auditur turpitudinem suam allegens empêche une partie de demander en justice l’exécution d’une telle convention. Toute action qu’elle introduirait à cette fin se heurterait en effet à la nullité absolue qui frappe la convention et que le juge doit soulever d’office130. Il en résulte que le juge ne pourrait faire usage de son pouvoir d’appréciation pour accueillir une telle action. - in pari causa turpitudinis cessat repetitio a trait aux effets de la nullité de la convention illicite. A cet égard, le juge du fond dispose d’un pouvoir d’appréciation afin de sanctionner le plus adéquatement l’illicéité au regard des impératifs de l’ordre social et de l’équité 131. Le juge pourrait donc refuser d’ordonner la restitution des prestations pour éviter les effets contraires aux objectifs du législateur et assurer une plus grande efficacité de la sanction132. Enfin, on constate une évolution de la jurisprudence et la doctrine récentes, manifestement soucieuses d’aménager adéquatement la sanction à réserver à une clause violant l’ordre public ou les bonnes moeurs133. 130 Liège, 15 juin 2010, R.G.D.C., 2012, p. 495. 131 Cass., 8 décembre 1966, Pas., 1967, I, p.434 ; Cass., 24 septembre 1976, Pas., 1977, I, p.101 ; Liège, 24 juin 2010, R.G.D.C., 2011, p. 510 ; Civ. Bruxelles, 30 juin 2011, R.G.D.C., 2013, p. 241. 132 Bruxelles, 28 novembre 2008, R.G.D.C., 2010, p. 521. 133 A ce propos, voir : P. WERY, « Une nouvelle application de la flexibilité des sanctions dans le contentieux contractuel : la nullité partielle d’une clause illicite (Note sous Cass., 25 juin 2015) », R.C.J.B., 2016, pp. 387-433.

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Section 2. Au point de vue dynamique

Pour en savoir plus : - B. DE CONINCK, « Le droit commun de la rupture des négociations

contractuelles », in X., Le processus de formation du contrat, Bruylant, L.G.D.J., 2002, pp. 17-137.

- Y. SCHOENTJES-MERCHIERS, « Propositions, pourparlers et offres de vente. (Note sous Cass., 23 septembre 1969) », R.C.J.B., 1971, pp. 224-234.

- Fr. ‘T KINT, « Négociation et conclusion du contrat », in X., Les obligations contractuelles, Ed. Jeune Barreau, Bruxelles, 1984, pp. 7-51.

- J.-M. TRIGAUX, « L’incidence de plusieurs législations récentes sur le droit commun des obligations en matière de formation des contrats », Ann. dr. Louvain, 1997, pp. 189-238.

- M. VANWIJCK-ALEXANDRE, « La réparation du dommage dans la négociation et la formation des contrats », Ann. dr. Liège, 1980, pp. 17-84.

- M. VANWIJCK-ALEXANDRE et A. MAHY-LECLERCQ, « Le processus de la formation du contrat : aspects juridiques », in X., La négociation immobilière : l’apport du notariat, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 103-194.

- M. VANWIJCK-ALEXANDRE et P. WÉRY (Ed.), Le processus de formation du contrat, C.U.P., Larcier, 2004.

- P. KILESTE et A. SOMERS, « L’information précontractuelle dans le cadre d’accords de partenariat commercial », J.T., 2006, pp. 253-266.

- M. BERLINGIN, « La formation dynamique du contrat de vente », Manuel de la vente, Waterloo, Kluwer, 2010, pp. 36-96.

- M. FONTAINE, « La théorie de la formation du contrat et la pratique du ‘closing’ », R.G.D.C., 2015, pp. 136-143.

Ce qui a été évoqué dans la section 1 concerne les exigences « structurelles » qui président à la validité d’une convention. Il s’agit à présent de sortir de cette vision « photographique » pour envisager le déploiement dans le temps de cette convention.

A. Les relations précontractuelles [onderhandelingen] ou pourparlers [besprekingen]

1. Notion Il s’agit de la période pendant laquelle les parties ne sont pas encore engagées dans les liens d’un contrat, mais procèdent à différentes discussions ou contacts destinés à examiner la possibilité d’aboutir à un accord et, le cas échéant, à déterminer les bases de celui-ci.

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2. Effets A priori, les pourparlers sont sans conséquence sur le plan juridique : les parties n’émettent en effet que des propositions caractérisées par une volonté conditionnelle. On ne peut toutefois en conclure que les parties se situent « hors droit ».

a) La liberté de contracter Sauf si les parties en ont convenu autrement, le principe de la liberté des négociations s’impose à elles. Il en résulte qu’aucune obligation de conclure un contrat n’est mise à charge des négociateurs, la liberté de ne pas conclure restant entière pour chacun d’eux. Les parties conservent dès lors la pleine liberté de jauger l’opportunité du contrat envisagé et, en conséquence, de renoncer à la conclusion de celui-ci. La rupture des négociations ne constitue dès lors pas en soi une source de responsabilité 134. Au surplus, il est admis que le refus de contracter opposé par une des parties à l’autre ne permet pas automatiquement à cette dernière d’exiger le remboursement des frais supportés et des dépenses engagées en vue de voir aboutir les négociations, tels que frais de déplacement, de recherches, de conseil,… pour autant qu’un accord n’ait pas été conclu entre les parties à ce sujet.

b) L’obligation d’information

Il faut toutefois mettre l’accent sur l’obligation d’information qui pèse sur les parties en présence pendant les pourparlers. Celui qui s’engage dans la négociation d’un contrat est en effet soumis, dès la fin des pourparlers préliminaires, à une obligation de bonne foi en vertu de laquelle il doit informer loyalement l’autre partie sur toutes les circonstances déterminantes pour la conclusion du contrat 135.

134 Liège, 20 octobre 1989, R.D.C., 1990, p. 521 ; Civ. Bruges, 17 janvier 1995, R.W., 1996-97, p. 1065 ; Comm. Liège, 26 avril 2012, R.G.D.C., 2014, p. 273. 135 Mons, 13 janvier 2003, J.L.M.B., 2004, p. 54.

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En s’abstenant de communiquer les informations détenues, une partie peut se rendre coupable de culpa in contrahendo136. Le problème du contenu ou de la limite de cette obligation est complexe, dans la mesure où l’appréciation d’un grand nombre de circonstances de fait rencontrées par les parties sera généralement primordiale. On peut citer à cet égard la nature du contrat envisagé, la compétence personnelle des négociateurs, l’intervention pour eux d’un ou de plusieurs conseils,… Il faut néanmoins souligner la prolifération d’obligations d’information imposées par différentes législations, notamment lorsque le contrat est conclu entre un professionnel est un consommateur137. L’article 5, § 1er de la directive 2011/83/UE du parlement européen et du conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs138 énonce les informations qui doivent être fournies « d’une manière claire et compréhensible » par le professionnel au consommateur « avant qu’il ne soit lié par un contrat autre qu’un contrat à distance ou hors établissement », à savoir : les principales caractéristiques du bien ou du service, l’identité du professionnel (raison sociale, adresse géographique, numéro de téléphone), le prix total du bien ou du service et , s’il y a lieu, tous les frais supplémentaires de transport, de livraison ou d’affranchissement, les modalités de paiement, de livraison et d’exécution, le rappel de l’existence d’une garantie légale ainsi que, le cas échéant, l’existence d’un service après-vente ou de garanties commerciales, la durée du contrat, s’il y a lieu, ou, s’il s’agit d’un contrat à durée déterminée ou à reconduction automatique, les conditions de résiliation, les fonctionnalités139 du contenu numérique, l’interopérabilité140 pertinente du contenu numérique avec certains matériels ou logiciels.

136 Civ. Bruxelles, 9 mai 2014, J.T., 2014, p. 504. 137 On peut citer également d’autres dispositions légales prévoyant des obligations particulières d’informations telles que l’article 152 du Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine et de l’énergie (CWATUPE), les articles 280 et 281 du Code bruxellois de l’aménagement du territoire (COBAT) ou celles du titre II du livre X du Code de droit économique relatif à l’information précontractuelle dans le cadre d’accords de partenariat commercial (Pour un cas d’application de l’ancienne loi du 19 décembre 2005 ayant le même objet : Comm. Hasselt, 3 décembre 2010, R.G.D.C., 2012, p. 328). 138 Cette directive a été transposée dans le livre VI du Code de droit économique par la loi du 21 décembre 2013, entrée en vigueur le 31 mai 2014. 139 Par « fonctionnalités », on entend les différentes façons d’utiliser le contenu numérique, par exemple l’absence ou la présence de restrictions techniques (Projet de loi portant insertion du livre VI "Pratiques du marché et protection du consommateur" dans le Code de droit économique et portant insertion de définitions propres au livre VI, et des dispositions d’application de la loi propres au livre VI, dans les livres I et XV du Code de droit économique, Exposé des motifs, Doc. Parl., Ch. repr., Sess. ord. 2012-2013, n°53-3018/001, p. 26).

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L’article 5, § 1er de la directive précise par ailleurs que ces informations doivent être fournies par le professionnel au consommateur « pour autant qu’elles ne ressortent pas du contexte ». Ainsi, à titre d’exemple, en se rendant dans un magasin, le consommateur tire du contexte l’adresse géographique de l’établissement. De même, lorsqu’un prix toutes taxes comprises est affiché sur un produit en rayon ou qu’une fiche explicative exposée à côté d’un produit reprend ses caractéristiques principales, le contexte permet aux consommateurs de disposer, sans l’intervention directe du professionnel, de quelques informations listées à l’article 5141. L’article VI.2, 1° à 6°, 8° et 9° du Code de droit économique assure la transcription littérale de l’article 5, § 1er de la directive. Faisant usage de la possibilité qui lui était accordé par l’article 5, § 4 de la directive de « maintenir ou adopter des exigences supplémentaires en matière d’information précontractuelle » pour les contrats autres qu’un contrat à distance ou hors établissement, le législateur a en outre inséré un article VI.2, 7° qui reprend mutatis mutandis le texte de l’article 4 de la loi (abrogée) du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur. L’obligation d’information du consommateur par le titulaire d’une profession libérale est, quant à elle, consacrée à l’article XIV. 3 du Code de droit économique. Cette disposition assure une transposition littérale de l’article 5, § 1er de la directive. En ce qui concerne cette obligation générale d’information, le projet de loi contenant le livre XIV précise que « lorsqu’elle fournit ces informations, la personne exerçant une profession libérale doit tenir compte des besoins spécifiques des consommateurs qui sont particulièrement vulnérables en raison d’une infirmité mentale, physique ou psychologique, de leur âge ou de leur crédulité, d’une façon que la personne exerçant une profession libérale puisse raisonnablement prévoir. Cependant, la prise en compte de ces besoins spécifiques ne doit pas aboutir à des niveaux différents de protection des consommateurs »142. 140 Par « interopérabilité », on entend « les informations relatives au matériel standard et à l’environnement logiciel avec lesquels le contenu numérique est compatible », comme par exemple la version du système d’exploitation nécessaire ou la nécessité de disposer d’une connexion internet (Ibidem). 141 E. Cruysmans, C. Delforge, Y. Ninane et al., « La directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs », R.G.D.C., 2013, p. 192, n°45. 142 Projet de loi portant insertion du Livre XIV « Pratiques du marché et protection du consommateur relatives aux personnes exerçant une profession libérale » dans le Code de droit économique et portant insertion des définitions propres au livre XIV et des dispositions d’application au livre XIV, dans les livres I et XV du Code de droit économique. Exposé des motifs, Doc. Parl., Ch. Repr., sess.ord. 2013-2014, n°053-3423/001, p. 24.

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c) Valeur interprétative Selon les circonstances, les documents préparatoires échangés au cours des relations précontractuelles pourront également être utilisés pour rechercher la volonté des parties et l’interprétation qu’il convient dès lors de donner du contrat ultérieurement conclu.

3. La rupture fautive

Si le droit de rompre les négociations précontractuelles ou pourparlers ne peut être contesté, les circonstances de cette rupture ou le comportement de l’auteur de celle-ci peuvent toutefois lui conférer un caractère fautif qui engagerait la responsabilité quasi-délictuelle de son auteur. Les négociateurs sont en effet tenus par l’obligation générale de prudence dans l’initiation, la poursuite et la rupture des négociations. Le droit de rompre les relations précontractuelles doit donc être limité par l’obligation générale de prudence qui s’impose aux négociateurs. Tout manquement à cette obligation pourra être considéré comme source de responsabilité au sens des articles 1382 et suivants du Code civil. La jurisprudence a ainsi été amenée à retenir l’existence d’une faute : • lorsqu’une partie rompt brutalement et sans motif valable les

négociations poursuivies jusqu’à leur terme final en laissant croire par déloyauté ou par imprudence que le contrat serait conclu 143 ;

• lorsque l’auteur de la rupture a fait naître chez le partenaire l’espoir légitime qu’un contrat serait finalement conclu 144 ;

• lorsque le candidat acheteur avait laissé croire au vendeur qu’il était décidé à traiter avec lui puisqu’il l’avait incité à exposer des frais pour trouver un appareil 145 ;

• lorsque la rupture intervient de façon imprudente et brutale, sans indication de motif, alors que les parties s’étaient accordées sur des éléments essentiels de la collaboration future et que d’importants frais de publicité avaient été engagés 146 ;

143 Comm. Bruxelles, 19 janvier 1990, R.D.C., 1990, p. 556 ; Liège, 26 juin 2008, J.L.M.B., 2011, p. 442. 144 Comm. Bruxelles, 30 juin 1983, R.D.C., 1984, p. 451. 145 Comm. Liège, 20 décembre 1984, J.L., 1985, p. 149. 146 Bruxelles, 5 février 1992, J.T., 1993, p. 130.

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• lorsque des négociations ont été poursuivies en laissant l’autre partie exposer inutilement des frais, alors que la vente avait déjà été conclue avec un tiers 147 ;

• lorsque la rupture de longues négociations intervient pour des motifs étrangers aux modalités de distribution d’un produit qui font l’objet des négociations 148 ;

• lorsqu’une partie a rompu les pourparlers brutalement et sans motif sérieux 149 ;

• lorsque les négociations ont été rompues alors qu’elles étaient sur le point d’aboutir et qu’un accord existait sur des points essentiels 150 ;

• lorsqu’une des parties a poursuivi des pourparlers en sachant qu’ils ne pourraient pas ou plus aboutir 151 ;

• lorsqu’une partie met fin aux négociations à un moment où le développement du produit a atteint un stade très avancé, alors que l’autre a été amenée à exposer des frais de recherche importants et n’a pas été avertie qu’elle se trouvait en compétition avec d’autres candidats fournisseurs 152.

En d’autres termes, la victime d’une rupture fautive des négociations précontractuelles pourra, le cas échéant, exiger la réparation du préjudice subi par elle. Elle se verra généralement allouer des dommages et intérêts, lorsqu’elle aura établi l’existence et l’ampleur de son dommage, ainsi que le lien causal qui existe entre celui-ci et la faute commise par l’autre partie. Pour la fixation de ces dommages et intérêts, les cours et tribunaux ont généralement égard :

! aux frais exposés par la victime de la rupture fautive : frais de publicité, investissements, déplacements, études et projets, … 153 ;

! à la perte de temps subie à cause des négociations 154 ; ! à la perte de loyers subie 155 ; ! à la perte de la chance de conclure le contrat 156, pour autant que

cette chance soit sérieuse 157 ;

147 J.P. Namur, 27 juin 1990, J.J.P., 1992, p. 7. 148 Anvers, 19 mars 2001, R.D.C., 2002, p. 120. 149 Comm. Bruxelles, 30 juin 1983, R.D.C., 1984, p. 452 ; Bruxelles, 29 septembre 1979, Entr. et dr., 1980, p. 220. 150 Bruxelles, 5 février 1992, J.T., 1993, p. 130. 151 Comm. Courtrai, 11 avril 1963, R.G.A.R., 1965, n° 7364 ; Anvers, 22 mars 1994, R.W., 1994-95, p. 296. 152 Comm. Liège, 27 septembre 2002, R.D.C., 2004, p. 298. 153 Bruxelles, 5 février 1992, J.T., 1993, p. 130. 154 Comm. Courtrai, 11 avril 1964, R.G.A.R., 1965, n° 7364. 155 Civ. Bruxelles, 21 février 1995, J.T., 1995, p. 522. 156 Comm. Bruxelles, 24 juin 1985, J.T., 1986, p. 236 ; Liège, 28 février 1997, J.T., 1997, p. 392.

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! à l’utilisation par le partenaire fautif du « savoir-faire », d’informations confidentielles ou de secrets obtenus par le biais de la négociation 158.

B. L’offre [aanbod] L’offre constitue une hypothèse d’application de l’engagement par volonté unilatérale, dont la consécration par le droit belge ne fait actuellement plus guère de doute. Nous traiterons ultérieurement de la théorie de l’engagement par volonté unilatérale 159.

1. Notion Pour qu’une proposition de contracter dépasse le stade des relations précontractuelles et soit dès lors considérée comme une véritable offre au sens juridique, il est traditionnellement admis que trois conditions doivent être réunies : o la volonté de l’offrant de s’engager juridiquement doit être ferme 160 : on

peut en effet parfaitement concevoir que l’émetteur d’une proposition n’ait pour objectif que d’amorcer les négociations et souhaite par conséquent demeurer « en dehors du droit ».

Aucune ambiguïté n’existera quant aux intentions de l’émetteur d’une proposition, lorsque celui-ci aura pris la précaution d’indiquer qu’il se réservait le droit de revenir sur celle-ci ou que la conclusion d’un éventuel contrat devra encore faire l’objet d’une confirmation de son approbation 161. La volonté de l’offrant n’est cependant pas toujours exprimée de manière aussi claire, les cours et tribunaux devant rechercher au cas par cas la volonté des parties 162.

157 M. VANWIJCK-ALEXANDRE, « La réparation du dommage dans la négociation et la formation des contrats », Ann. Dr. Liège, 1980, p. 33. Pour un cas d’application qui refuse l’indemnisation de ce poste : Comm. Liège, 27 septembre 2002, R.D.C., 2004, p. 298. 158 Cass. fr., 7 janvier 1997 et 22 avril 1997, D., jurisprudence, 1998, p. 49. 159 Cf. Partie 1, Titre 4. 160 Liège, 5 janvier 1996, J.L.M.B., 1996, p. 518. 161 Comm. Bruxelles, 1er mai 1928, J.C.B., 1928, p. 240. 162 Cass., 27 mai 2002, Pas., 2002, I, p. 1216. Pour un cas d’application : Mons, 26 janvier 1993, Rev. not. b., 1993, p. 309.

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Il est généralement admis que l’offre adressée « au public », notamment par le biais d’annonces ou d’affiches, ne satisfait pas à la condition de la volonté de s’engager juridiquement163.

o l’offre doit être complète : Pour pouvoir aboutir à la conclusion d’un

contrat, l’offre doit porter sur les éléments essentiels de celui-ci.

Le cas échéant, il incombe à l’offrant d’indiquer avec précision les éléments qu’il considère comme déterminants de son accord de conclure ou non le contrat proposé 164. L’offrant doit dès lors préciser les éléments ou modalités normalement accessoires dont il entend toutefois qu’ils fassent partie intégrante de l’éventuel futur contrat. La jurisprudence considère en effet qu’une partie ne peut valablement considérer, de manière unilatérale, comme essentiels, certains éléments normalement accessoires, sans que l’autre partie ait pu en être préalablement informée. Le défaut de toute indication à propos de ces éléments ou modalités sera généralement interprété comme l’absence de volonté de l’offrant de les considérer comme des éléments déterminants du contrat envisagé165.

o l’offre doit être portée à la connaissance du bénéficiaire par l’offrant ou

par son mandataire : l’acceptation par le bénéficiaire d’une offre dont il n’aurait eu connaissance que par une voie détournée ne pourrait dès lors avoir pour conséquence d’aboutir à la conclusion du contrat 166.

2. Effets

a) L’effet obligatoire de l’offre L’offre a pour conséquence de lier celui qui l’a émise dès qu’elle est parvenue à son destinataire. Elle doit être maintenue au profit de celui-ci : 163 Civ. Bruxelles (réf.), 24 octobre 1991, R.G.D.C., 1992, p. 81 ; Civ. Bruxelles (réf.), 31 mai 1995, R.G.D.C., 1996, p. 68 ; Liège, 25 mars 2011, J.L.M.B., 2012, p. 221. 164 Civ. Huy, 24 juin 1961, J.L., 1961-1962, p. 190 ; Liège, 6 mai 1999, R.D.C., 2000, p. 378. 165 À propos de la distinction entre les éléments essentiels, substantiels et accessoires, voir : Liège, 4 octobre 2012, J.L.M.B., 2013, p. 2087. 166 Cass., 27 janvier 1971, Pas., 1971, I, p. 128.

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- soit pendant le délai expressément mentionné dans l’offre ;

- à défaut, pendant un délai « raisonnable » 167, dont il est admis que la durée est soumise à l’appréciation souveraine du juge du fond.

L’auteur de l’offre ne peut donc révoquer celle-ci tant que le délai visé ci-dessus n’est pas expiré. L’effet obligatoire de l’offre prendra fin lorsque ce délai – qu’il ait été expressément prévu par l’offrant ou qu’il s’agisse du délai raisonnable – est écoulé168 ou lorsque le destinataire de l’offre aura notifié son refus 169. Conformément au principe exposé ci-dessus, il est admis que l’offrant procède à une rétractation de son offre avant que celle-ci ne prenne effet, c.à.d. avant qu’elle ne parvienne à la connaissance de son destinataire 170.

b) La conclusion du contrat par le biais d’une acceptation [aanvaarding] Avant tout, il faut rappeler que le destinataire d’une offre demeure totalement libre d’accepter ou de refuser celle-ci, sans avoir même à communiquer les motifs qui l’amènent à prendre sa décision 171. L’acceptation de l’offre par son destinataire aura par contre pour effet de parfaire la conclusion du contrat, pour autant :

- que l’acceptation soit pure et simple : lorsque l’acceptation est modalisée, c.à.d. que le destinataire ajoute certains éléments auxquels il entend soumettre la conclusion du contrat, celui-ci ne voit pas automatiquement le jour. L’acceptation modalisée sera généralement considérée comme une nouvelle offre.

- qu’elle intervienne pendant le délai de validité de l’offre172.

167 C. Trav. Liège, 29 juin 1989, Chr. Dr. Soc., 1990, p. 129 ; Mons, 10 décembre 1985, J.L.M.B., 1987, p. 1122 ; Civ. Mons, 15 mars 2000, J.L.M.B., 2001, p. 1309 ; Civ. Bruges, 24 mars 1997, T. Not., 1998, p. 54 ; Liège, 7 janvier 2013, J.L.M.B., 2013, p. 2091. 168 Comm. Nivelles, 12 juin 2008, J.T., 2008, p. 625; Liège, 14 février 2012, J.L.M.B., 2014, p. 158. 169 Bruxelles, 28 avril 1987, J.L.M.B., 1987, p. 868. 170 Civ. Mons, 30 janvier 1987, J.L.M.B., 1987, p. 889 ; Liège, 2 juin 2003, J.L.M.B., 2004, p. 706. 171 Cass., 13 septembre 1991, Pas., 1992, I, p.33. 172 Liège, 15 mai 2014, J.L.M.B., 2017, p. 7.

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Il est admis que l’acceptation peut être expresse ou tacite 173. Elle ne doit répondre à aucune forme particulière, pour autant qu’elle soit certaine174. Le silence du destinataire de l’offre ne peut cependant valoir acceptation que s’il est « circonstancié », c.à.d. que la seule interprétation qui peut en être donnée, eu égard aux circonstances de l’espèce, est celle-là 175.

3. Les conditions générales [algemene voorwaarden] L’expression vise les stipulations contractuelles élaborées généralement par un commerçant ou pour un secteur professionnel. Deux problèmes doivent être distingués :

• la validité des conditions générales : le contenu des stipulations contractuelles est-il conforme aux lois en vigueur et ne contrevient-il dès lors pas à certaines dispositions impératives. On peut songer aux clauses abusives visées par les articles VI.82 et suivants du Code de droit économique (contrats conclu entre une entreprise et un consommateur)176 et aux articles XIV.49 et suivants du Code de droit économique (contrats conclus entre un titulaire de profession libérale et un consommateur).

• l’opposabilité des conditions générales : Les stipulations

contractuelles concernées font-elles partie intégrante du champ contractuel qui liera les parties. A cet égard, il est admis que les conditions générales doivent avoir été portées à la connaissance du futur cocontractant avant la conclusion du contrat et qu’elles doivent avoir été acceptées, même tacitement, par celui-ci177.

173 Cass., 17 octobre 1975, Pas., 1976, I, p.224 ; Comm. Mons, 6 novembre 2008, J.T., 2008, p. 727 ; Liège, 25 juin 2012, J.L.M.B., 2014, p. 164. 174 Liège, 8 mai 2012, J.L.M.B., 2013, p. 396; Dans un jugement du 23 décembre 2014, le Tribunal de première instance de Bruxelles considère adéquatement que « les offres d’achat étant suffisamment fermes et précises, leur acceptation a eu pour conséquence que les ventes des appartements étaient parfaites » (Civ. Bruxelles (76ème ch.), 23 décembre 2014, R.G. 13/1222/A (Inédit). 175 Cass., 16 juin 1960, Pas., 1960, I, p.1190. 176 Cass., 21 décembre 2009, R.G. C08.0449.F. 177 J.P. Tournai (2ème canton), 24 avril 2012, J.L.M.B., 2013, p. 2107.

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C. La promesse (unilatérale) de contrat

1. Notion La promesse unilatérale constitue un véritable contrat sui generis en vertu duquel une des parties s’engage envers l’autre à conclure le contrat définitif dès que celle-ci lui confirmera son accord. Il s’agit donc d’un contrat unilatéral, en vertu duquel une seule des parties contracte une obligation : l’auteur de la promesse est définitivement engagé à l’égard du destinataire de celle-ci, étant évidemment entendu que les parties ne sont pas encore liées par le contrat qui fait l’objet de la promesse. La survenance du terme de validité de la promesse a pour effet d’éteindre le droit du bénéficiaire. Toute levée d’option par celui-ci au-delà de cette échéance demeurerait inopérante et ne pourrait avoir pour conséquence d’entraîner la conclusion du contrat définitif. Cela n’empêche évidemment pas les parties concernées de conclure néanmoins le contrat si telle est à ce moment leur volonté. Si la durée de validité de la promesse n’a pas été précisée, elle sera déterminée par le juge en tenant compte des circonstances de l’espèce.

2. Effets Deux effets juridiques découlent de la conclusion d’une promesse de contrat :

- l’engagement définitif et irrévocable du promettant de conclure le contrat aux conditions contenues dans la promesse. Le promettant est en effet tenu de maintenir les effets de la promesse à l’égard du destinataire de celle-ci jusqu’à l’expiration du délai d’option stipulé dans la promesse. Dans son arrêt du 26 mai 2014178, le Cour de casssation considère que, lorsque la promesse de contrat ne fixe aucun délai, le droit du bénéficiaire de lever l’option se prescrit par dix ans. Elle admet cependant que le juge du fond peut être amené à déduire des circonstances que la promesse a été consentie pour un délai inférieur au délai de prescription. Il est cependant admis qu’à défaut de précision d’un délai de validité de l’option, le destinataire de celle-ci doit disposer d’un délai suffisant pour pouvoir lever cette dernière.

178 Cass., 26 mai 2016, R.G. C.13.0450.F.

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Endéans ce délai, toute renonciation de l’auteur de la promesse serait sans effet, la seule acceptation de celle-ci entraînant la conclusion du contrat définitif et donc la possibilité pour le destinataire de la promesse de solliciter l’exécution forcée du contrat définitif.

- le droit pour le bénéficiaire de conclure ou non le contrat aux conditions proposées 179. Il faut rappeler que le bénéficiaire de la promesse unilatérale de contrat n’est jamais tenu de lever l’option. S’il décide d’agir dans cette voie, le contrat définitif se substitue à la promesse unilatérale de contrat au moment de l’échange des consentements.

D. Le contrat entre absents

1. Problématique La question de savoir quand le contrat est formé prend une importance particulière lorsque les négociations se font entre personnes qui ne sont pas simultanément présentes. C’est le cas, par exemple, de la vente par correspondance. La détermination de la formation du contrat présente de l’intérêt à un double niveau :

• le moment de la formation : celui-ci aura en effet des conséquences au niveau de l’appréciation de la capacité des parties, du point de départ ou de l’expiration d’un délai de prescription ou autre, de la détermination de la loi en vigueur et du transfert des risques.

• le lieu de la formation du contrat : celui-ci sera susceptible de déterminer tant la compétence juridictionnelle que la loi applicable.

2. Solutions Différentes théories ont été émises, à savoir :

179 Civ. Bruges, 6 février 1998, J.J.P., 1999, p. 113 confirmant J.P. Torhout, 3 décembre 1996, J.J.P., 1999, p. 116.

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- théorie de l’émission : le contrat existe dès qu’il y a un accord de volontés, peu importe que l’offrant ignore encore l’existence de l’acceptation de son offre. - théorie de l’expédition : l’acceptation de l’offre par le destinataire n’entraîne la conclusion du contrat qu’au moment où il se dessaisit de son acceptation pour la transmettre à l’offrant. - théorie de la réception : la conclusion du contrat intervient lorsque l’offrant a la possibilité de prendre connaissance de l’acceptation de l’offre qu’il a émise, qu’il en prenne effectivement connaissance ou non. - théorie de l’information : la possibilité pour l’offrant de prendre connaissance de l’acceptation de l’offre ne suffit pas à former le contrat. Encore faut-il que l’offrant ait effectivement connaissance de cette acceptation. Le droit belge consacre la théorie de la réception 180, ce qui ne prive cependant pas les parties de fixer à un autre moment la formation du contrat qui les lie 181. Le contrat se forme dès lors à l’endroit et au moment où l’acceptation de l’offre parvient à celui qui a initialement émis cette dernière.

180 Cass., 16 juin 1960, R.C.J.B., 1962, p. 301 ; Cass., 22 octobre 1976, Pas., 1977, I, p. 229 ; Cass., 25 mai 1990, Pas., 1990, I, p.1087 ; Cass., 19 juin 1990, Pas., 1990, I, p. 1182 ; J.P. Tournai (2d Canton), 27 mars 2012, J.J.P., 2015, p. 378. 181 Cass., 25 mai 1990, Pas., 1990, I, p. 1087 ; Cass., 19 juin 1990, Pas., 1990, I, p. 1182.

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Chapitre 4. Les effets du contrat

Pour en savoir plus : - M. FONTAINE et J. GHESTIN (Ed.), Les effets du contrat à l’égard des tiers.

Comparaisons franco-belges, L.G.D.J., Paris, 1992. - S. STIJNS, « Les contrats et les tiers », in P. WERY (Ed.), Le droit des obligations

contractuelles et le bicentenaire du Code civil, La Charte, 2004, pp. 189-240. - C. ALTER et S. BAR, Les effets du contrat, Coll. Pratique du droit (Vol. 23), Kluwer,

2006. - Y. MERCHIERS, « La tierce complicité de la violation d’une obligation contractuelle – Fin

d’une incertitude », R.C.J.B., 1984, pp. 366-384. - B. DUBUISSON, « L’action directe et l’action récursoire », in B. DUBUISSON et P.

JADOUL (Ed.), La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre : Dix années d’application, Académia-Bruylant, 2003, pp. 147-177.

- X. DIEUX, « Développements de la maxime « fraus omnia corrumpit » dans la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique », Actualités de droit des obligations, coll. UB3, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 125-154.

- J.-F. VAN DROOGHENBROECK, « Le juge et le contrat », Recyclage en droit : Quelques aspects de droit judiciaire, F.U.S.L., 2006.

- A. LENAERTS, « Over de pauliaanse vordering : draagwijdte van de anterioriteitsvoorwaarde en rechtsgevolgen », R.G.D.C., 2009, pp. 494-507.

- D. MOUGENOT, « Actualités en matière d’office du juge. Quelques réflexions d’un magistrat », R.R.D., 2009, pp. 26-34.

- J.-F. VAN DROOGHENBROECK, « La requalification judiciaire du contrat et des prétentions qui en découlent », R.G.D.C, 2014, pp. 294-331.

- P. WERY, « L’action paulienne : sa nature juridique et ses rapports avec la réparation en nature en matière extracontractuelle », R.C.J.B., 2015, pp. 66-102.

Tout contrat a nécessairement pour effet de faire naître, modifier, transmettre ou éteindre des droits et/ou obligations à charge de l’une, de l’autre ou des deux parties contractantes. Ces droits et/ou obligations constituent les effets du contrat avenu entre deux ou plusieurs parties. Les différents alinéas de l’article 1134 du Code civil, analysés ci avant, contiennent les principes généraux de la « convention-loi », dont résulte la force obligatoire du contrat. On ne peut toutefois faire abstraction de deux difficultés susceptibles de compliquer quelque peu cet énoncé qui relève a priori de l’évidence. - D’une part, la détermination exacte des droits et obligations des parties est de nature à poser problème pour différents motifs, parmi lesquels les lacunes ou imprécisions au niveau de la rédaction du contrat, la violation d’éventuelles dispositions légales impératives, la nécessaire interprétation

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du contrat ou de la loi, voire encore la détermination des exigences de la bonne foi ; - D’autre part, il n’y a pas lieu de perdre de vue que les droits et obligations nés d’un contrat peuvent, à tout le moins indirectement, concerner d’autres personnes que les parties contractantes. Il s’impose dès lors de s’écarter d’une vision trop simplificatrice des effets du contrat, selon laquelle les droits et obligations issus de celui-ci seraient toujours déterminés de manière claire et complète par la convention conclue qui ne serait au surplus susceptible de produire des effets qu’à l’encontre des parties contractantes.

Section 1. Les droits et obligations des parties La question de la détermination précise des droits et obligations des parties constitue évidemment un préalable indispensable à l’examen de l’inexécution des contrats. Il n’est en effet pas envisageable de conclure à l’existence d’une telle inexécution tant que les droits et obligations des parties n’ont pas été clairement identifiés. Tel est l’objet de la présente section, les conséquences d’une inexécution de ces droits et obligations faisant l’objet du chapitre 5. A priori, on pourrait penser que le contenu des droits et obligations des parties contractantes dépend exclusivement des termes du contrat. Pareille affirmation doit être relativisée par les constats suivants : - à de nombreuses reprises, il doit être fait application de dispositions légales destinées à combler les lacunes du contrat conclu entre parties. De même, il est particulièrement fréquent que les parties contractantes se réfèrent, à tout le moins implicitement, aux dispositions légales régissant un contrat déterminé, de manière à faire l’économie d’une description intégrale des droits et obligations des parties. - il faut rappeler que, selon l’article 1135 du Code civil, « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ». Le juge aura dès lors un rôle certain à jouer dans la détermination des suites évoquées par cette disposition légale. Il en ira d’ailleurs de même pour les exigences de la « bonne foi » dont il est question à l’article 1134, alinéa 3 du Code civil.

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- le rôle des juges va plus loin : ils auront en effet à interpréter tantôt la loi, tantôt les dispositions contractuelles.

A. La distinction entre contrats nommés et contrats innommés Pour remplir adéquatement son office, le juge aura égard à cette première distinction 182.

1. Application de la théorie générale des contrats Les articles 1101 à 1369 du Code civil correspondent au titre III du troisième livre du Code civil intitulé « des contrats ou des obligations conventionnelles en général ». Il est classiquement admis que ces dispositions constituent le « standard » applicable à tous les contrats, nommés ou innommés. En d’autres termes, les solutions mises en place par ces dispositions légales trouveront à s’appliquer dans tout rapport contractuel, sauf dérogation expresse et, au surplus, admissible.

2. Application des dispositions légales spécifiques Selon que les parties contractantes auront fait le choix d’un contrat nommé ou non, leurs droits et obligations respectifs seront en outre déterminés par les dispositions légales régissant le type de contrat dont il a été fait choix. Nous citerons à cet égard : - Contrat de vente : articles 1582 à 1701 du Code civil. - Contrat de bail : articles 1708 à 1762bis du Code civil. - Contrat d’entreprise : articles 1779 à 1799 du Code civil. - Contrat de concession exclusive de vente : titre III du livre X du Code de droit économique. - Contrat de travail : loi du 3 juillet 1978. - Contrat d’assurance: loi du 4 avril 2014.

182 Voir à ce propos : Partie 1, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, A.

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- Contrat d’agence commerciale : titre I du livre X du Code de droit économique.

B. La qualification du contrat La qualification du contrat correspond au « moule » dont les parties entendent faire choix dans l’organisation de leurs rapports contractuels, et donc dans la détermination de leurs droits et obligations. Nul n’est toutefois à l’abri d’une erreur commise dans le choix de cette qualification.

1. Importance de la qualif ication exacte Il relève du truisme de considérer que les obligations légales d’un employeur ne sont pas celles d’un bailleur ou d’un maître de l’ouvrage. Les parties ont dès lors à faire choix de la qualification du contrat qu’elles envisagent de conclure. Pareille détermination peut s’avérer complexe, voire discutable 183. On peut citer à cet égard le contrat portant sur la fourniture d’un meuble à fabriquer : s’agira-t-il d’un contrat de vente ou d’un contrat d’entreprise ? Il faut constater que les obligations du vendeur diffèrent de celles de l’entrepreneur. Sans doute, la question demeure-t-elle d’un intérêt purement théorique dans l’hypothèse où le contrat avenu entre les parties est parfaitement exécuté et où chacune a obtenu les prestations auxquelles elle estimait pouvoir prétendre. Tel n’est cependant pas toujours le cas. En cas de litige, les parties contractantes pourraient avoir intérêt à opter pour des qualifications distinctes, eu égard aux obligations résultant de chacune de ces qualifications.

183 Voir, par exemple, D. DUMONT, « Le bénévolat : contrat de travail, contrat civil ou non-droit ? Enquête sur la qualification juridique de l’engagement à titre gratuit », in M. DAVAGLE (Dir.), La nouvelle législation relative aux volontaires, Les dossiers d’ASBL Actualités - Dossier n° 1, 2007, pp. 76-105 ; Comm. Dinant, 14 mars 2011, R.G.D.C., 2014, p. 417.

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On peut songer à cet égard à l’intervention d’un agent immobilier chargé de vendre un immeuble pour le compte du propriétaire de celui-ci. Selon que la mission de l’agent immobilier emportera ou non l’obligation pour celui-ci d’accomplir des actes juridiques (ex. : la conclusion du contrat de vente) au nom et pour compte du vendeur, il y aurait lieu de faire application des règles régissant le contrat de mandat ou de celles relatives au contrat d’entreprise. Dans le premier cas, la Cour de cassation a reconnu au juge le pouvoir de contrôler — et donc de réduire — la rémunération du mandataire184. Pareil pouvoir n’a jamais été admis à l’égard de l’entrepreneur.

2. Contrôle de la qualif ication par le juge Le « moule » dont les parties contractantes ont fait choix ne constitue toutefois pas un carcan dont le juge saisi d’un litige ne pourrait sortir. Il appartient en effet aux cours et tribunaux de contrôler la qualification donnée par les parties au contrat qui les lie185, ainsi que de modifier éventuellement cette qualification si elle leur paraît non conforme186. Lorsque les éléments soumis à son appréciation ne permettent pas d’exclure la qualification donnée par les parties à la convention qu’elles ont conclue, le juge du fond ne peut y substituer une qualification différente187. De longue date, la Cour de cassation 188 a considéré que le juge du fond peut déterminer la nature juridique exacte d’une convention sur la base des éléments intrinsèques et extrinsèques qui lui ont été soumis, pour autant qu’il respecte le principe dispositif et celui du contradictoire, qu’il ne viole pas la foi due à la convention et qu’il n’admette pas de preuve outre ou contre le contenu de celle-ci lorsque la loi s’y oppose. La Cour de cassation considère même à présent que, lorsque le juge constate que l’habillage juridique donné par les parties à leur accord ne correspond pas à la réalité des faits soumis à son appréciation, la

184 Cass., 6 mars 1980, R.C.J.B., 1982, p. 519. 185 Cass., 23 décembre 2002, J.T.T., 2003, p. 271 ; Pour un cas d’application : J.P. Messancy, 20 septembre 2006, R.G. n° 05A151, inédit. 186 Liège, 8 janvier 1981, R.P.S., 1982, p. 134 ; Bruxelles, 18 décembre 1981, Rev. banq., 1982, p. 99 ; Cass., 25 mai 2009, J.T., 2010, p. 28. 187 Cass., 17 décembre 2007, J.L.M.B., 2008, p. 1174 ; Cass., 9 juin 2008, R.G.D.C., 2010, p. 196. 188 Cass., 22 octobre 1982, Pas., 1983, I, p. 256.

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requalification du contrat constitue une obligation pour le juge et non une simple faculté189. Dans la matière du bail, on peut faire écho à un jugement prononcé par le Tribunal de première instance de Tournai en date du 20 février 1991190.

C. L’interprétation de la loi La doctrine et la jurisprudence jouent indéniablement un rôle d’interprète des dispositions légales et réglementaires. L’interprétation de la loi191 peut parfois conduire à une solution que la lecture du texte légal n’annonce pas explicitement. Tel est notamment le cas de ce qu’on appelle fréquemment, mais de manière parfois critiquée, la « présomption de mauvaise foi du vendeur professionnel » (Article 1645 du Code civil ) 192. On peut songer également à la réductibilité du salaire du mandataire (Article 1986 du Code civil) 193.

D. Les exigences de la bonne foi En se fondant sur l’article 1134, alinéa 3 du Code civil, le juge peut avoir à apprécier l’exécution par une partie de ses obligations au regard du principe de l’exécution de bonne foi du contrat 194. La jurisprudence s’avère particulièrement abondante en la matière, notamment lorsqu’il s’agit d’examiner dans quelle mesure l’une ou l’autre des parties a satisfait à l’obligation d’information, de conseil, de collaboration ou de diligence que son cocontractant était raisonnablement en droit d’attendre de sa part.

189 Cass., 14 avril 2005, J.L.M.B., 2005, p. 856; Cass., 16 mars 2006, Pas., 2006, I, p. 615. 190 R.G.D.C., 1991, p. 662. Voir également : J.P. Wavre, 22 juin 2004, J.J.P., 2006, p. 138. 191 À ne pas confondre avec l’interprétation du contrat dont nous traiterons au chapitre 7. 192 Cass., 4 mai 1939, Pas., 1939, I, p. 223 ; Cass., 13 novembre 1959, Pas., 1960, I, p. 313. 193 Cass., 6 mars 1980, R.C.J.B., 1982, p. 519. 194 J.-L. FAGNART, « L’exécution de bonne foi des conventions : un principe en expansion », R.C.J.B., 1986, p. 285.

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De très nombreuses décisions ont été prononcées à ce propos dans la matière des contrats informatiques, la jurisprudence ayant considéré que le fournisseur assumait — et devait assumer indépendamment de toute stipulation contractuelle — un devoir de conseil, tandis que l’utilisateur s’est vu imposer une obligation d’informer son cocontractant des besoins auxquels la fourniture envisagée devait satisfaire 195.

Section 2. La relativité [relativiteit] des droits et obligations des parties

A priori, le contrat ne peut faire naître des droits et obligations qu’au profit ou à charge des parties contractantes. Ce principe est d’ailleurs consacré par l’article 1165 du Code civil. Il connaît toutefois certaines exceptions, dont la bonne compréhension requiert une distinction préalable entre ce qu’il est convenu d’appeler les « effets externes » et les « effets internes » des contrats. • Les effets externes [externe gevolgen] des contrats : il s’agit d’admettre que l’existence d’une convention est opposable aux tiers qui doivent dès lors en respecter l’existence et s’abstenir d’agir comme si elle n’avait pas été conclue. • Les effets internes [interne gevolgen] des contrats : il s’agit des droits et obligations [rechten en plichten] qui sont véritablement créés au profit ou à charge des parties contractantes dès la conclusion d’une convention. Il résulte de la distinction opérée que les tiers ne pourront normalement pas exiger à leur profit l’exécution d’une obligation résultant d’une convention à laquelle ils ne sont pas parties. Ils ne pourraient pas davantage être tenus d’exécuter une obligation résultant d’une telle convention. Seuls les effets externes d’une convention seront en effet opposables à ces tiers. 195 Comm. Bruxelles, 2 février 1976, J.C.B., 1976, p. 222 ; Bruxelles, 19 avril 1985, J.T., 1986, p. 162.

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A. La distinction entre « parties [partijen] » et « tiers [derden] » Classiquement, ces deux notions sont définies l’une par rapport à l’autre. Eu égard à la plus grande facilité de déterminer les « parties », la catégorie des « tiers » est généralement circonscrite par opposition aux « parties ».

1. Les parties Il faut ranger parmi celles-ci : • les parties proprement dites, c’est-à-dire les co-contractants qui ont conclu la convention en leur nom et pour leur propre compte. • les personnes qui, bien que n’étant pas intervenues au moment de la conclusion d’une convention, deviennent parties à celle-ci par le biais du mécanisme de la représentation. Celle-ci se caractérise par l’effet de substitution, lorsqu’une personne (le représentant) traite au nom et pour le compte d’une autre (le représenté) et que seule cette dernière sera juridiquement liée par les actes accomplis par le représentant. Ce dernier peut tenir son pouvoir soit de la loi, soit d’un contrat, soit d’une décision judiciaire. • les ayants cause universels [algemene rechtverkrijgenden] ou à titre universel [rechtverkrijgenden ten algemene titel] des parties. Le vocable d’« ayant cause » correspond à une personne qui a reçu un droit d’une autre personne que l’on qualifie d’auteur. On distingue classiquement trois catégories d’ayants cause : - l’ayant cause universel reprend l’ensemble du patrimoine de l’auteur. - l’ayant cause à titre universel reprend une fraction de ce patrimoine. - l’ayant cause à titre particulier [rechtverkrijgenden ten bijzondere titel] reprend les droits de l’auteur sur un ou plusieurs biens identifiés. La désignation d’un ayant cause universel ou à titre universel sera la conséquence du décès d’une personne physique ou d’une fusion ou scission d’une personne morale.

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2. Les tiers Cette catégorie comprend tous ceux qui ne sont pas parties à l’un des titres ou pour un des motifs rappelés ci-dessus. On pourrait certes distinguer différentes catégories de tiers, sans que cela ne revête cependant un intérêt pour la suite du présent exposé.

B. La relativité des effets internes du contrat Ce premier principe, inscrit à l’article 1165 du Code civil, confirme qu’un contrat ne peut créer de droits et/ou d’obligations qu’au profit ou à charge des parties à ce contrat. Les tiers ne peuvent dès lors devenir titulaires de droits ou d’obligations en vertu d’un contrat auquel ils n’ont pas pris part. Il existe toutefois diverses exceptions à ce principe, parmi lesquelles on range la stipulation pour autrui et l’action directe.

1. La stipulation pour autrui [beding ten behoeven van een derde]

a) Notion La stipulation pour autrui constitue sans doute l’exception la plus remarquable à l’article 1165 du Code civil qui y fait d’ailleurs référence, lorsqu’il dispose « elle ne lui profite que dans le cas prévu à l’article 1121 ». Dans la stipulation pour autrui, une personne (le promettant [de belover]) s’engage envers une autre personne (le stipulant [de bedinger]) à exécuter une obligation au profit d’une tierce personne (le tiers bénéficiaire [begunstigde]) qui est étrangère au rapport contractuel entre le stipulant et le promettant. Le tiers bénéficiaire va dès lors devenir titulaire d’un réel droit résultant d’une convention à laquelle il est étranger.

b) Cas d’application Quoi que la stipulation pour autrui constitue une exception au principe de la relativité des conventions, il faut constater que les hypothèses d’application de ce mécanisme sont fort nombreuses.

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On peut relever à cet égard : • le contrat d’assurance sur la vie, lorsqu’il prévoit le paiement d’une somme déterminée au décès d’une personne en faveur d’un tiers qui n’a ni la qualité d’héritier, ni celle d’ayant cause universel ou à titre universel du preneur d’assurance 196. • le contrat de donation avec charges au profit d’un tiers. • la clause insérée dans un contrat de vente en vertu de laquelle l’acquéreur s’engage à recourir aux services d’un tiers pour exécuter l’une ou l’autre prestation (transformation, réparation, …) sur le bien vendu197.

c) Conditions Avant tout, il convient de rappeler que la stipulation pour autrui doit évidemment répondre aux exigences prescrites par les articles 1108 et suivants du Code civil. S’agissant en effet d’un acte juridique, les conditions de validité requises par ces dispositions trouvent évidemment à s’appliquer. Au-delà de ces conditions « de base », la stipulation pour autrui doit en outre répondre à quatre conditions : • la volonté du stipulant d’obtenir un engagement au profit du tiers bénéficiaire et de créer dès lors au profit de celui-ci un droit direct et propre. • l’adhésion du promettant à cette stipulation. • la stipulation pour autrui doit être accessoire : l’article 1121 du Code civil prévoit en effet qu’elle doit être « la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre ». La stipulation pour autrui ne peut dès lors exister seule, mais seulement comme accessoire d’un contrat principal.

196 En effet, lorsque le capital est payé à un héritier ou à un ayant cause universel ou à titre universel, le bénéficiaire ne peut être considéré comme un tiers au contrat d’assurance souscrit par l’auteur. 197 Bruxelles, 8 février 1961, Pas., 1962, II, p. 154.

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• la désignation d’un tiers bénéficiaire, dont l’identité ne doit pas être déterminée. Il suffit qu’elle soit déterminable sans ambiguïté lorsque la stipulation en sa faveur devra être exécutée. Remarquons dès à présent que l’acceptation de la stipulation pour autrui par le tiers bénéficiaire ne constitue nullement une condition de validité de celle-ci198.

d) Effets La stipulation pour autrui crée indéniablement au profit du tiers bénéficiaire un droit direct et immédiat contre le promettant. Ce droit direct pourra cependant être révoqué par le stipulant, tant que le tiers bénéficiaire n’aura pas accepté le bénéfice de la stipulation pour autrui. Il faut dès lors admettre que le stipulant a la possibilité de révoquer la stipulation pour autrui tant que le tiers bénéficiaire n’a pas accepté celle-ci199. Il convient toutefois d’examiner plus en détail les rapports que la stipulation pour autrui fait naître entre les trois personnes qu’elle met en cause : • entre le promettant et le stipulant : la stipulation pour autrui oblige le promettant à effectuer une prestation en faveur du tiers bénéficiaire. Dans l’hypothèse où le promettant ne se conformerait pas à cette obligation, le stipulant dispose d’une action à l’encontre du promettant. Entre le promettant et le stipulant, la stipulation pour autrui constitue un véritable engagement contractuel susceptible de donner lieu à application des règles de la responsabilité contractuelle200. • entre le promettant et le tiers bénéficiaire : il s’agit de la véritable originalité de la stipulation pour autrui, dans la mesure où le tiers bénéficiaire est titulaire d’un droit en vertu d’une convention à laquelle il n’est pas partie.

198 Nous reviendrons ci-dessous sur les conséquences de cette acceptation. 199 Cass., 13 janvier 1967, Pas., 1967, I, p. 571. 200 Cf. à ce propos, chapitre 4 : l’inexécution du contrat.

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Il s’agit d’un droit propre et direct que le tiers bénéficiaire peut dès lors faire valoir à l’encontre du promettant en exigeant de la part de celui-ci l’exécution de la prestation convenue. • entre le stipulant et le tiers bénéficiaire : aucun lien juridique ne naît entre ces intervenants dans le cadre de la stipulation pour autrui, même si cette dernière résulte vraisemblablement d’une intention libérale du stipulant au profit du tiers bénéficiaire.

2. L’action directe [rechtstreekse vordering]

a) Notion L’action directe permet à une personne de se prévaloir d’un contrat conclu entre son débiteur et le débiteur de ce dernier pour exercer un recours direct contre le débiteur de son débiteur. Il faudrait davantage parler des actions directes, dans la mesure où celles-ci constituent une matière plus disparate que la stipulation pour autrui.

b) Cas d’application • L’article 1798 du Code civil reconnaît aux ouvriers et sous-traitants201 de l’entrepreneur une action directe contre le maître de l’ouvrage, afin de leur permettre d’obtenir le paiement de leurs rémunérations respectives. • L’article 1994 du Code civil établit dans le chef du mandant une action directe à l’encontre de la personne que le mandataire s’est substitué dans l’exécution de sa mission. • L’article 150 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances permet à la victime d’agir directement à l’encontre de l’assureur de la responsabilité de l’auteur du dommage.

201 Depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 2 février 2012 (J.T., 2012, p. 331), il y a lieu de considérer que cette action directe est accordée à tous les sous-traitants à l’égard du débiteur de leur débiteur et pas seulement au sous-traitant du premier degré à l’égard du maître de l’ouvrage et au sous-traitant du second degré à l’égard de l’entrepreneur principal.

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c) Conditions • L’existence d’un texte légal : il faut nécessairement qu’un texte légal organise l’action directe dans une matière déterminée, afin que le créancier bénéficie de la possibilité d’agir directement à l’encontre du débiteur de son débiteur. • L’existence d’une créance dans le chef du titulaire de l’action directe à l’encontre de son débiteur : il faut évidemment que le titulaire de l’action directe bénéficie d’une créance exigible à l’encontre de son débiteur, dans la mesure où le mécanisme de l’action directe a pour objectif essentiel de faciliter l’exécution de la prestation dont le titulaire de l’action directe est créancier.

• L’existence d’une créance du débiteur (intermédiaire) à l’encontre du débiteur de celui-ci : en l’absence d’une telle créance, il ne peut évidemment pas être question d’action directe.

d) Effets Le titulaire de l’action directe se voit reconnaître le droit d’exiger le paiement de sa créance de la part du débiteur de son débiteur, pour autant que les conditions rappelées ci-dessus soient réunies. Dans certains cas, le titulaire de l’action directe bénéficie en outre d’un régime préférentiel que l’on qualifie « d’inopposabilité des exceptions » 202, dont l’intensité varie d’ailleurs suivant que l’assurance est obligatoire ou non. Il en résulte, par exemple, que l’assureur automobile doit indemniser la victime de l’accident, même si l’assuré était demeuré en défaut de payer les primes dues au susdit assureur. Le cas échéant, il appartiendra à cet assureur d’agir ensuite à l’encontre de son propre assuré pour obtenir le remboursement des montants qu’il aura été amené à décaisser au profit de la victime.

202 Voir notamment l’article 16 de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs. Comparez avec le droit du maître de l’ouvrage d’opposer au sous-traitant toutes les exceptions dont il dispose au moment de l’introduction de l’action directe (Cass., 27 février 2015, R.G. C.14.0344.N).

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C. L’opposabilité [tegenwerpelijkheid] des effets externes du contrat Les tiers sont tenus d’accepter l’existence du contrat et, dès lors, de subir les conséquences de cette existence sur leur propre patrimoine. En d’autres termes, un débiteur demeure entièrement libre de disposer de ses biens. S’il agit dans cette voie, un bien peut quitter son patrimoine sans que ses créanciers puissent s’émouvoir, ni s’ériger contre la diminution de leur gage qui en résulte. Ce principe connaît toutefois diverses exceptions parmi lesquelles nous examinerons l’action paulienne, l’action oblique, l’action en déclaration de simulation et la théorie de la tierce complicité. Dans les trois premiers cas, il s’agit d’une action au sens judiciaire du terme, c’est-à-dire de l’introduction d’une procédure devant les cours et tribunaux. La théorie de la tierce complicité constitue, quant à elle, le fondement d’une véritable responsabilité quasi-délictuelle d’un tiers lorsqu’il se rend sciemment complice de la violation d’une obligation contractuelle d’autrui.

1. L’action paulienne [pauliaanse vordering] Si les créanciers sont normalement tenus de supporter les conséquences d’un acte accompli par leur débiteur ou d’une abstention de celui-ci, pareille règle peut cependant amener à redouter une « organisation » destinée à nuire aux droits desdits créanciers. L’action paulienne permet dès lors aux créanciers203 d’une personne d’attaquer les actes que celle-ci ferait en fraude des droits de ses créanciers204. Cette action, organisée par l’article 1167 du Code civil, a pour but de permettre aux créanciers ou à l’un d’entre eux d’obtenir que les actes faits en fraude de ses (leurs) droits lui (leur) soient déclarés inopposables [niet tegenstelbaar] 205.

203 Après la faillite du débiteur, le curateur dispose cependant du monopole d’action : une action paulienne ne peut dès lors plus être introduite, ni poursuivie par un créancier individuel (Cass., 13 mars 2015, J.T., 2015, p. 616). 204 Liège, 21 mars 2011, J.L.M.B., 2011, p. 1830. 205 Liège, 23 décembre 2003, J.T., 2004, p. 384 ; Civ. Namur, 27 avril 2004, J.T., 2004, p. 929.

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La mise en œuvre de l’action paulienne requiert la réunion de quatre conditions d’application : l’antériorité de la créance par rapport à l’acte frauduleux206, l’existence d’un préjudice dans le chef du créancier, la fraude du débiteur207 et la complicité du tiers. Il faut admettre que les conditions d’application de l’action paulienne sont relativement strictes, en manière telle que l’action paulienne est rarement exercée en matière civile 208. Le créancier peut en outre diriger l’action paulienne contre le tiers sous-acquéreur, à qui le tiers complice a transmis la chose, pour autant que les conditions de l’action paulienne soient réunies tant dans le chef du tiers complice que dans celui du tiers sous-acquéreur209.

2. L’action oblique [zijdelingse vordering] Au même titre qu’ils sont tenus de supporter les conséquences des actes accomplis par leur débiteur, les créanciers doivent, en principe subir son inaction. Il n’appartient en effet pas au créancier de s’immiscer dans les affaires du débiteur et de se substituer à celui-ci dans la gestion de son patrimoine. Toutefois, lorsqu’un débiteur demeure inactif et s’abstient d’exercer ses droits et actions à l’égard de ses propres débiteurs, l’article 1166 du Code civil permet à ses créanciers d’ « exercer tous les droits et actions de leur(s) débiteur(s), à l’exception de ceux qui sont liés à sa personne »210. 206 Gand, 15 septembre 2008, R.G.D.C., 2009, p. 529. Voy. ég. A. LENAERTS, « Over de pauliaanse vordering : draagwijdte van de anterioriteitsvoorwaarde en rechtsgevolgen », R.G.D.C., 2009, pp. 494 et s. Selon l’auteur, la condition d’antériorité fait l’objet d’une interprétation large puisqu’il suffit que la cause de la créance soit antérieure à l’acte frauduleux, même si la créance n’est pas exigible à ce moment-là ; Mons, 23 juin 2014, D.A.O.R., 2015, p. 124. 207 Bruxelles, 24 septembre 2008, R.G.D.C., 2011, p. 239; Civ. Dinant, 22 mai 2009, J.L.M.B., 2011, p. 475; Cass., 19 février 2015, J.L.M.B., 2015, p. 786. 208 Liège, 6 février 2002, inédit (R.G. n° 1999/RG/1416). Pour une application récente, voy. Liège, 21 mars 2011, J.L.M.B., 2011, p. 1830. 209 Cass., 9 février 2006, R.W., 2007-2008, P. 1496. 210 A propos de l’application (ou non) de cette exception aux contrats intuitu personae conclus par un débiteur, Ph. Bossard suggère un critère restrictif de la notion de droits et actions “liés à sa personne” en les limitant aux droits de l’homme, aux droits de la personnalité et aux droits relatifs à l’état des personnes, ainsi qu’aux actions qui en garantissent le respect ou en sanctionnent la violation (Ph. BOSSARD, « Le périmètre de l’action oblique», R.G.D.C., 2015, pp. 347-358).

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L’action oblique, permet donc au créancier d’agir au nom de son débiteur inactif en vue de reconstituer le patrimoine de celui-ci, avant de pouvoir ensuite exercer ses propres recours sur le susdit patrimoine. Contrairement à l’action directe, l’action oblique n’est donc pas exercée au nom du créancier, lequel se contente d’agir au nom du débiteur uniquement en vue de garantir la solvabilité de ce dernier.

3. L’action en déclaration de simulation [vordering tot geveinsdverklaring]

Elle a pour objectif de déjouer le « mensonge concerté » par les parties contractantes au préjudice des droits des tiers. En réalité, les parties contractantes peuvent créer l’apparence d’une situation juridique pour cacher une situation réelle différente 211. On aura, le cas échéant, affaire à un acte apparent [openlijke overeenkomst] (ou ostensible) et à un acte secret [verborgen overeenkomst] (ou contre-lettre [tegenbrief]). Ce dernier a pour effet, selon l’intention des parties, de détruire ou de modifier la nature ou certains effets de l’acte apparent212. Tel sera notamment le cas lorsque les parties envisagent de procéder à une donation, mais simulent celle-ci sous l’apparence d’une vente. En l’espèce, il ne s’agit nullement d’une erreur de qualification dans le chef des parties contractantes, mais d’une simulation « volontaire ». L’article 1321 du Code civil régit l’action en déclaration de simulation : - en faisant prévaloir la contre-lettre dans les rapports entre les parties

contractantes ; - en ouvrant aux tiers une option particulièrement favorable, puisqu’elle

leur permet soit de s’en tenir à l’acte apparent, soit d’invoquer la contre-lettre.

Nous n’entendons évidemment pas examiner ici en détail les conditions de l’action en simulation 213. 211 Cass., 27 septembre 2012, R.G. C.11.0322.F. Pour un cas d’application : Mons, 29 mars 1996, F.J.F., n° 97/247, p. 535. 212 Bruxelles, 5 décembre 2013, J.T., 2014, p. 42. 213 Voir à ce propos : P. VAN OMMESLAGHE, « La simulation en droit des obligations », in X., Les obligations contractuelles, Ed. Jeune Barreau, Bruxelles, 2000, pp. 147-219.

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4. La théorie de la tierce complicité [derde- medeplichtigheid]

Le principe de l’opposabilité des effets externes du contrat impose au tiers de tenir compte de celui-ci et de s’abstenir d’agir comme s’il n’existait pas. Il en résulte qu’un tiers ne peut, au risque d’engager sa responsabilité extracontractuelle (Articles 1382 et 1383 du Code civil), concourir sciemment à la violation de l’obligation contractuelle d’autrui. Ce principe, admis de longue date par la doctrine, a été consacré par la Cour de cassation214. Pour que la faute du tiers complice puisse être retenue, on considère généralement que cinq conditions doivent être réunies, à savoir : - une obligation contractuelle préexistante et valable ; - la connaissance215 de l’obligation contractuelle par le tiers ; - la violation par le débiteur de cette obligation contractuelle ; - la participation du tiers à la violation, par le débiteur, de son obligation

contractuelle ; - la conscience du tiers de participer à une telle violation.

Si le créancier parvient à établir son préjudice en relation causale avec cette faute du tiers complice, ce dernier sera tenu à réparation, in solidum216 avec le débiteur de l’obligation contractuelle.

214 Cass., 22 avril 1983, R.C.J.B., 1984, p. 359 ; Cass., 28 novembre 2002, Pas., 2002, I, p. 2293. 215 La doctrine et la jurisprudence assimilent à cette connaissance la circonstance que le tiers ne pouvait ignorer l’existence de l’obligation contractuelle violée. 216 Sur cette notion, voir infra : Partie 2, Titre 3, Chapitre 4.

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Chapitre 5. L’inexécution [niet-nakoming] du contrat

Pour en savoir plus : - M. FONTAINE et G. VINEY (Ed.), Les sanctions de l’inexécution des obligations

contractuelles, Bruylant, L.G.D.J., 2001. - P.-A. FORIERS et Ch. DE LEVAL, « Force majeure et contrat », in P. WERY (Ed.), Le

droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, La Charte, 2004, pp. 241-286.

- P. WERY, « L’exécution en nature des obligations contractuelles », in Les obligations contractuelles, Bruxelles, C.J.B., 2000, pp. 341-373.

- S. STIJNS, « La résolution pour inexécution des contrats synallagmatiques, sa mise en œuvre et ses effets », in Les obligations contractuelles, Bruxelles, C.J.B., 2000, pp. 375-459.

- P. WERY, « Les sanctions de l’inexécution des obligations contractuelles », in P. WERY (Ed.), Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, La Charte, 2004, pp. 287-352.

- J.-F. GERMAIN, « L’appréciation de la gravité du manquement en matière de résolution de contrats synallagmatiques », R.G.D.C., 2006, pp. 456-466.

- P. WERY, « L’inexécution des obligations contractuelles et les « moyens » dans le projet de cadre commun de référence », J.T., p. 2011, pp. 333-341.

- O. MIGNOLET, « L’astreinte : Chronique de jurisprudence (2007-2011) », J.T., 2012, pp. 853-859.

- - P. BAZIER, « La champ d’application de l’article 1244, alinéa 2, du Code civil en droit des obligations et en matière d’impôts directs », R.G.D.C., 2014, pp. 243-260.

• Le langage juridique utilise le vocable de « paiement » pour définir l’exécution d’une obligation dont on est débiteur. Le « paiement » constitue dès lors le mode par excellence d’extinction d’une obligation 217. Au sens juridique, le « paiement » ne peut dès lors être réduit au seul transfert ou à la seule remise d’une somme d’argent. • Le paiement constitue l’aboutissement normal d’un contrat, en ce que chaque partie exécute parfaitement les obligations qui pesaient sur elle. Tel n’est cependant pas toujours le cas. • Les parties contractantes possèdent évidemment la liberté d’aménager conventionnellement les problèmes liés à l’inexécution d’un contrat par l’insertion de clauses diverses : - clause de dispense de mise en demeure ; - clause limitative ou exonératoire de responsabilité ; - clause relative à la réparation du dommage ; - clause pénale ;

217 Cf. Partie 4, Titre 1 (Articles 1234 et suivants du Code civil).

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- clause résolutoire expresse ; - … Ces aménagements conventionnels ne pourront toutefois pas être examinés dans le cadre du cours.

Section 1. Notion L’inexécution du contrat fait écho au manquement par une des parties contractantes à ses obligations. Ce manquement peut être de divers ordres : - tantôt il s’agira d’un défaut total d’exécution de l’obligation convenue ; - tantôt l’exécution de cette obligation sera partielle ou défectueuse ; - tantôt encore l’exécution de l’obligation aura été tardive. Ces différentes hypothèses sont susceptibles d’engager la responsabilité contractuelle du débiteur, nonobstant les termes apparemment restrictifs de l’article 1147 du Code civil. Il est en effet admis que cette disposition vise tant l’inexécution (totale ou partielle) que l’exécution tardive. L’appréciation de ces hypothèses s’avérera parfois délicate, spécialement lorsque la portée exacte des obligations assumées par l’une ou l’autre des parties contractantes aura été imprécise. Après avoir tenté de cerner le préalable à la responsabilité contractuelle que constitue la mise en demeure, nous examinerons successivement les moyens d’action du créancier impayé et les moyens de défense du débiteur de l’obligation inexécutée.

Section 2. La mise en demeure [ingebrekestell ing] 218

A. Définition La mise en demeure est un acte unilatéral émanant du créancier ou de son mandataire ayant pour objectif d’indiquer au débiteur qu’il doit exécuter la

218 À ce sujet : P. WERY, « La mise en demeure en matière d’obligations contractuelles », in X., Les obligations contractuelles, Ed. Jeune Barreau, Bruxelles, 2000, pp. 285-340.

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prestation dont il est redevable et que tout retard dans l’exécution sera fautif219. Elle comporte donc un double aspect : - d’une part, elle est destinée à constater l’inexécution totale,

l’inexécution partielle ou le retard dans l’exécution des obligations contractuellement mises à charge d’une partie.

- d’autre part, elle constitue une sommation de ce même débiteur

d’exécuter les obligations mises à sa charge. Aucune disposition légale ne détermine le contenu exact de la mise en demeure, le Code civil n’ayant réglé que les formes de celle-ci à l’article 1139 du Code civil. Il n’en demeure pas moins qu’elle constitue, sauf disposition contractuelle contraire, un préalable indispensable à la possibilité de se prévaloir de l’inexécution contractuelle. La Cour de cassation a toutefois été amenée à préciser que « la mise en demeure ne doit pas contenir plus que l’expression claire et non équivoque de la volonté du créancier de voir exécutée l’obligation principale » 220.

B. Formes L’article 1139 du Code civil fait preuve d’une rigueur importante quant au formalisme à respecter lorsque le créancier de l’obligation inexécutée souhaite mettre le débiteur de celle-ci en demeure. Il prévoit en effet le recours à « une sommation [aanmaning] ou un autre acte équivalent », ce qui laisserait supposer l’intervention d’un huissier de justice et entraînerait dès lors un coût supplémentaire. La jurisprudence a toutefois très nettement assoupli cette rigueur 221, en abandonnant le recours au formalisme prévu par l’article 1139 du Code 219 Mons, 19 décembre 2006, J.L.M.B., 2007, p. 32; Liège, 31 janvier 2012, J.L.M.B., 2013, p. 41. 220 Cass., 16 septembre 1983, Pas., 1984, I, p. 48. A contrario, on peut en déduire que le créancier de l’obligation inexécutée n’est pas tenu d’aviser son cocontractant des conséquences juridiques qui pourraient résulter de la persistance du défaut d’exécution. 221 L’article 5 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, c’est-à-dire « toutes transactions entre entreprises ou entre des entreprises et des pouvoirs publics qui conduit contre rémunération à la fourniture de biens ou à la prestation de services », déroge toutefois à l’exigence de mise en demeure et prévoit que le débiteur en retard de paiement est redevable de plein droit (et donc sans mise en demeure) d’un intérêt de retard. Cette disposition revêt cependant

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civil et en admettant dès lors toute forme d’interpellation suffisamment claire du débiteur quant à l’intention du créancier de le mettre en demeure. La Cour de cassation a ainsi admis que la mise en demeure peut résulter de « tout acte contenant une interpellation dont le débiteur a dû nécessairement induire qu’il était mis en demeure » 222. Il faut — mais il suffit dès lors — que le débiteur puisse prendre conscience de la volonté de son créancier d’obtenir l’exécution du contrat avenu entre les parties. Cette volonté peut s’exprimer soit par lettre recommandée, soit par simple lettre, soit par fax, soit par courrier électronique, sous réserve des difficultés de preuve susceptibles de se poser quant à l’existence et au contenu de la mise en demeure. En matière commerciale, il est même admis que la mise en demeure ne doit pas nécessairement se faire par écrit 223.

C. Effets D’une manière générale, la mise en demeure est un préalable nécessaire à la mise en œuvre de toute sanction de l’inexécution d’une obligation contractuelle. Le premier effet de la mise en demeure sera donc, du point de vue du créancier, de franchir l’étape liminaire du processus d’exécution forcée engagé contre son débiteur.

La mise en demeure entraîne également des effets particuliers à l’égard du débiteur : le transfert des risques [overdracht van het risico] et la débition des intérêts moratoires [moratoire schadevergoeding]. Une loi du 23 mai 2013 a par ailleurs complété l’article 2244 du Code civil en attribuant un effet interruptif de prescription à la mise en demeure envoyée par l’avocat du créancier, par l’huissier de justice désigné à cette fin par le créancier ou à la personne pouvant ester en justice au nom du un caractère supplétif, le juge disposant du pouvoir de réviser les clauses contractuelles dérogatoires lorsque celles-ci constituent un abus manifeste à l’égard du créancier. A l’inverse, la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur renforce le formalisme de la mise en demeure dans le but de protéger le consommateur, partie dite « faible » dans le rapport contractuel. L’article 6 de cette loi énonce en effet une série d’éléments qui doivent obligatoirement figurer dans le texte de la mise en demeure, sous peine de sanctions. 222 Cass., 28 mars 1994, Pas., 1994, I, p. 317 ; Cass., 20 novembre 2008, R.G.D.C., 2010, p. 458. 223 Cass., 20 novembre 2008, R.G.D.C., 2010, p. 458.

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créancier en vertu de l’article 728, §3, du Code judiciaire. Nous y reviendrons lorsque nous traiterons de la prescription exctinctive ou libératoire224.

1. Transfert des risques La mise en demeure opère un transfert des risques du créancier sur son débiteur. Par la mise en demeure, l’obligation se trouve, selon les termes du droit romain, « perpétuée » : elle n’est plus susceptible de subir des modifications en raison des circonstances ; elle devient figée, définitive. Le débiteur assume par conséquent tous les risques relatifs à son obligation, non seulement ceux qui résultent de son fait, mais aussi ceux qui résultent de toutes circonstances généralement quelconques comme le cas fortuit ou la force majeure. Ainsi, si l’obligation porte sur un corps certain, la perte ou la destruction de celui-ci sera à charge du débiteur (article 1302 C. civ.). La règle du transfert des risques s’applique quelle que soit l’obligation concernée, tant de facere que de dare. Toutefois, le débiteur peut échapper aux conséquences de ce transfert des risques par le recours à la cause étrangère libératoire, s’il parvient à établir que le préjudice résultant, par hypothèse, de sa faute, serait aussi survenu sans cette faute. L’article 1302 du Code civil fait application de ce principe dans le cas de la livraison d’un corps certain.

2. Intérêts moratoires La mise en demeure fait courir les intérêts moratoires. Il résulte en effet des articles 1153 et 1155 du Code civil que dès le moment où le débiteur est sommé d’exécuter une obligation pécuniaire, il doit les intérêts dus suite au retard de paiement225. Les cours et tribunaux

224 Partie 4, Titre 7. Précisons que la Cour constitutionnelle a, par son arrêt du 12 décembre 2014, rejeté le recours en annulation de la loi du 23 mai 2013 (C.C., n° 181/2014). 225 Pour l’année 2015, le taux d’intérêt légal s’élève à 2,5% (M.B., 2015, p. 8318).

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rappellent régulièrement que la mise en demeure est une condition sine qua non à la débition des intérêts moratoires 226.

Section 3. Les moyens d’action du créancier Au-delà de la mise en demeure qui constitue le préalable indispensable, le créancier de l’obligation inexécutée pourra avoir recours à trois moyens d’actions, dont il faut toutefois souligner que le premier n’implique aucun recours au juge, tandis que les deux derniers requièrent l’intervention des cours et tribunaux.

A. L’exception d’inexécution [Exceptie van niet-uitvoering] Ce moyen d’action constitue en quelque sorte une possibilité pour le créancier impayé de se faire justice à lui-même, en n’étant dès lors pas contraint de saisir un tribunal du litige l’opposant au débiteur de l’obligation inexécutée.

1. Notion L’exception d’inexécution (exceptio non adimpleti contractus) constitue un moyen de pression dont dispose le créancier de l’obligation inexécutée, afin de tenter d’obtenir que le débiteur de celle-ci respecte l’engagement souscrit par lui227. Il s’agit dès lors pour le susdit créancier de faire en quelque sorte application de l’adage « œil pour œil, dent pour dent », en faisant valoir à son cocontractant : « Vous n’exécutez pas l’obligation qui vous incombe. Je m’abstiens à mon tour d’exécuter l’obligation qui pèse sur moi ». Aucune disposition du Code civil ne consacre en tant que tel ce moyen d’action du créancier impayé. Plusieurs articles du Code civil en font toutefois une application à propos de contrats nommés, à savoir notamment : - l’article 1612 du Code civil applicable au contrat de vente ; - l’article 1704 du Code civil applicable au contrat d’échange. 226 Cass., 15 juin 2000, C.97.0118.N., publié sur www.juridat.be; Cass., 28 mars 1994, Pas., 1994, I, p.317 ; Cass., 19 juin 1989, Pas.,1989, I, p. 132. 227 Cass., 24 septembre 2009, R.G.D.C., 2012, p. 158.

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En outre, la Cour de cassation a clairement considéré que l’exception d’inexécution constituait bien un « principe général de droit [algemeen rechtsbeginsel] » 228, dont les cours et tribunaux ont dès lors à faire application.

2. Conditions de mise en œuvre Avant d’examiner les conditions à respecter par le créancier impayé désireux de se prévaloir de l’exception d’inexécution, il nous faut souligner que, dans un arrêt du 13 janvier 2017229, la Cour de cassation a considéré qu’il n’est pas en principe requis que l’exercice de ce moyen d’action soit précédé d’une notification au co-contractant. • L’exception d’inexécution ne concerne que les contrats synallagmatiques, dont les obligations doivent au surplus s’exécuter simultanément. En d’autres termes, le créancier impayé ne pourrait se prévaloir de ce moyen de droit dans l’hypothèse où il aurait été expressément convenu entre les parties contractantes que son débiteur n’était tenu de s’exécuter qu’après la survenance d’un terme non encore échu, voire même qu’après que ledit créancier ait exécuté l’obligation qui pesait sur lui. La jurisprudence a toutefois voulu venir au secours du créancier impayé, dans l’hypothèse où celui-ci était tenu de l’exécution d’une obligation à l’encontre de son débiteur en vertu d’un autre contrat, apparemment indépendant de celui en vertu duquel ledit débiteur était lié à l’encontre du créancier impayé. On a dès lors vu parfois apparaître la notion de « rapports synallagmatiques [wederkerige rechtsverhoudingen] » 230, consistant à admettre le recours à l’exception d’inexécution, lorsque deux conventions formaient un tout indissociable dans l’intention des parties 231. 228 Cass., 2 novembre 1995, Pas., 1995, I, 977. À propos de cette notion, voir : A. BOSSUYT, Les principes généraux du droit dans la jurisprudence de la Cour de cassation, J.T., 2005, pp. 725-736. 229 Cass., 13 janvier 2017, J.T., 2017, p. 483. En l’espèce, la Cour fait cependant droit au moyen fondé sur l’omission par la Cour d’appel d’Anvers de l’examen de la question de savoir si les exigences de la bonne foi ne requéraient pas en l’espèce une notification prélable. 230 Cass., 8 septembre 1995, J.L.M.B., 1995, p. 1602. 231 Bruxelles, 7 mars 2003, J.T., 2003, p. 663. Tel n’est évidemment pas toujours le cas. Voir Gand, 22 décembre 2000, R.D.C.B., 2002, p. 112.

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• La créance doit être certaine et exigible. Le créancier ne peut se prévaloir de son droit alors que l’obligation de paiement ne serait pas encore certaine quant à son existence, ni exigible232. Le droit de rétention n’a par ailleurs qu’un effet suspensif et non extinctif. Il peut donc s’appliquer même si la créance sur laquelle il se fonde n’est pas encore déterminée dans sa quantité233. • Une connexité doit exister entre les obligations réciproques des parties. La connexité s’entend du lien nécessaire entre l’obligation suspendue et la créance contre le débiteur. En l’absence d’un tel lien, l’exception d’inexécution n’existe pas234. L’exigence de connexité ne signifie pas que l’exception d’inexécution se cantonne aux seuls contrats synallagmatiques. Elle s’étend à tout rapport synallagmatique, c’est-à-dire à toute situation où les obligations des parties sont liées entre elles par une connexité qui les rend interdépendantes 235. • L’exception d’inexécution doit être mise en œuvre de bonne foi au regard de l’importance du défaut de paiement. Il en découle notamment que son exercice ne doit pas être constitutif d’abus de droit, ce qui signifie qu’une proportionnalité doit exister entre le défaut de paiement et le dommage résultant de la suspension par le créancier de ses propres obligations236.

232 Il faut toutefois donner écho à l’exceptio timoris, parfois qualifiée d’exception de contravention anticipée, qui, bien que traditionnellement non admise en droit belge, fait néanmoins l’objet d’un courant doctrinal et jurisprudentiel favorables à sa reconnaissance; Voir à ce propos : P. Gillaerts, « Exceptio timoris : to fear or not to fear? », R.G.D.C., 2016, pp. 478-505. 233 J. HERBOTS, « L’exception d’inexécution et la mesure à garder dans le contrat de bail », R.C.J.B., 1990, pp. 579-580. 234 Cass., 7 octobre 1976, Pas., 1977, I, p. 154 ; Cass., 5 avril 1979, Pas., 1979, I, p. 935 ; Gand, 25 janvier 1995, R.D.C., 1995, p. 892 ; Liège, 7 juin 1996, J.L.M.B., 1997, p. 633 ; Comm. Anvers (réf.), 8 août 1990, J.P.A., 1992, p. 54. 235 Bruxelles, 27 janvier 2011, J.T., 2011, p. 420. 236 Civ. Bruxelles, 2 avril 1992, J.T., 1992, p. 459 ; Civ. Tournai, 30 octobre 2001, J.L.M.B., 2002, p. 1333.

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La jurisprudence condamne en effet l’exception d’inexécution invoquée en considération d’un manquement mineur de l’autre partie237. Ainsi, le locataire d’un immeuble dont une infime partie est rendu inhabitable en raison d’un sinistre localisé (incendie, inondation, …) ne pourrait légitimement invoquer l’exception d’inexécution pour s’abstenir du paiement du moindre euro de loyer. Cela signifie-t-il pour autant que le manquement doit nécessairement être grave ? La question est controversée, plusieurs décisions considérant que l’exception d’inexécution ne peut être admise qu’en cas de « manquement grave aux obligations essentielles du contrat »238. Plusieurs auteurs estiment cependant que l’exception d’inexécution peut être invoquée quelle que soit l’importance du manquement reproché, pourvu que la proportion entre les inexécutions soit respectée239. Ils considèrent que l’exception d’inexécution ne met pas fin au contrat, mais en suspend simplement les effets. Elle ne doit donc pas être soumise à la même rigueur que la résolution au niveau de la gravité du manquement requis240. Au contraire, l’exception d’inexécution doit, pour conserver son efficacité, permettre au créancier impayé de rétablir, à moindre coût et avec souplesse, l’équilibre du rapport synallagmatique. Le fait qu’elle puisse s’inscrire hors du cadre d’une crise contractuelle grave lui confère le statut d’instrument de sauvegarde du contrat plutôt que de véritable sanction. • L’exception d’inexécution ne peut causer un dommage définitif. Elle ne fait que suspendre l’exécution par le créancier de ses propres obligations. Lorsque le débiteur aura régularisé la situation, il faudra encore que le créancier soit en mesure de s’exécuter.

3. Effets L’exception d’inexécution ne produit qu’un effet provisoire. Lorsque le débiteur de l’obligation inexécutée satisfera à son engagement, le créancier sera payé et ne pourra dès lors plus invoquer l’exception d’inexécution.

237 Comm. Bruxelles, 6 septembre 1991, R.D.C., 1992, p. 541 ; Mons, 17 mars 1992, J.T., 1992, p. 818; Mons, 16 décembre 1996, J.T., 1997, p. 436. 238 Cass., 8 décembre 1960, Pas., 1961, I, p. 382 ; Cass., 15 juin 1981, Pas., 1981, I, p. 1179 ; Bruxelles, 7 octobre 2004, RG n° 1997/AR/2371, www .juridat.be. 239 S. STIJNS, D. VAN GERVEN & P. WERY, , « Chronique de jurisprudence : Les obligations : les sources (1985-1995) », J.T., 1996, p 746. 240 Cass., 24 septembre 2009, R.G. C.08.0346.N.

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Il sera tenu d’exécuter, à son tour, l’obligation mise à sa charge.

B. L’action en exécution forcée [dwanguitvoering of gedwongen uitvoering]

L’article 1184, alinéa 2 du Code civil dispose :

« La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts ».

Cette disposition reconnaît dès lors le droit pour le créancier impayé de choisir entre l’une des deux voies annoncées. Soulignons dès à présent que l’option conférée au créancier lui appartient souverainement sous réserve bien évidemment de l’abus de droit241 : ni le débiteur, ni le juge ne peuvent lui imposer de faire le choix d’une branche de l’option plutôt que de l’autre242. Il a au surplus été admis que le créancier impayé dispose de cette option aussi longtemps qu’une décision n’est pas acquise : le choix d’une branche ne peut donc être interprété comme une renonciation à l’autre243. L’exécution en nature [uitvoering in natura] est l’exécution in specie de l’obligation du débiteur. Pour les obligations de donner (dare), elle se traduit :

- pour les choses de genre, par une obligation de livrer et par une obligation de transférer la propriété ; - pour les corps certains, par une obligation de livrer, le transfert de propriété s’opérant immédiatement dans ce cas.

Pour les obligations de faire (facere), l’exécution en nature consiste à accomplir toute prestation convenue entre les parties. Pour les obligations de ne pas faire (non facere), l’exécution en nature connaît un champ d’application limité puisque l’irréparable est consommé en cas de violation d’une telle obligation. L’article 1143 du Code civil prévoit toutefois la possibilité de détruire ce qui a été fait en violation 241 Cass., 5 septembre 1981, Pas., 1981, I, p. 17 ; Cass., 13 décembre 1985, Pas., 1986, I, p. 561 ; Cass., 6 janvier 2011, Pas., 2011, I, p. 44 ; Mons, 10 octobre 2005, R.G.D.C., 2007, p. 443. 242 Cass., 30 janvier 2003, C.00.0632.F, www.juridat.be; M. FONTAINE, « La mise en œuvre de la résolution des contrats synallagmatiques », R.C.J.B., 1991, p. 12. 243 Liège, 27 juin 2013, R.G.D.C., 2014, p. 184.

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d’une obligation de ne pas faire, quitte pour le créancier à solliciter une réparation complémentaire par le biais de l’exécution par équivalent.

1. Prééminence de l’exécution en nature Si le créancier impayé réclame l’exécution du contrat, celle-ci interviendra généralement en nature, ce qui signifie que le débiteur accomplira l’obligation promise. Lorsque cela n’est plus possible, le créancier impayé devra réclamer l’exécution par équivalent consistant dans l’octroi de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice causé par l’inexécution. Il serait dès lors faux de croire que le créancier impayé dispose d’une option entre l’exécution en nature et l’exécution par équivalent. Le recours à cette dernière n’est autorisé que si l’exécution en nature s’avère impossible ou si exiger celle-ci constitue un abus de droit dans le chef du créancier impayé244.

2. « Garantie » de l’exécution en nature : l’astreinte [dwangsom] Lorsque le créancier sollicite l’exécution en nature d’une prestation qui ne consiste pas dans le paiement d’une somme d’argent, il peut en outre demander au juge de condamner le débiteur au paiement d’une astreinte dans l’hypothèse où celui-ci ne satisferait pas à la condamnation principale. L’astreinte est organisée par les articles 1385bis à 1385nonies du Code judiciaire. Elle consiste en une condamnation pécuniaire que le juge impose au débiteur de devoir payer au créancier si ce débiteur n’exécute pas volontairement une obligation que le même juge lui a enjoint d’exécuter 245. L’astreinte ne peut être prononcée en cas de condamnation principale au paiement d’une somme d’argent. Dans ce cas, le créancier dispose en effet de toutes les procédures de saisie-exécution (Articles 1494 à 1626 du Code judiciaire). Au rang des exclusions, on notera également l’interdiction faite par l’article 1385bis du Code judiciaire d’assortir d’une astreinte l’exécution forcée d’un contrat de travail. L’astreinte ne peut être prononcée d’office par le juge, mais requiert toujours une demande préalable du créancier impayé. 244 Cass., 13 mars 1998, J.L.M.B., 2000, p. 136 ; Civ. Huy, 16 janvier 2012, R.G.D.C., 2015, p. 109. 245 Civ. Bruxelles (réf.), 1er mars 2001, J.T., 2001, p. 250.

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Elle revêt par ailleurs un caractère « définitif », en ce qu’elle sera due au créancier même si celui-ci obtient l’exécution en nature de la prestation convenue après l’écoulement d’un délai. Le législateur apporte toutefois un correctif raisonnable à ce caractère « définitif » en permettant au débiteur de solliciter du juge la suspension ou la suppression de l’astreinte dans l’hypothèse où il établit qu’il est dans l’impossibilité temporaire ou définitive d’exécuter le jugement (Article 1385quinquies du Code judiciaire).

3. « Pall iatif » à l’exécution en nature : le remplacement [vervanging] du débiteur

Les articles 1143 et 1144 du Code civil permettent au créancier impayé de solliciter le remplacement du débiteur, lorsque celui-ci se dérobe à l’exécution en nature. Le juge pourrait dès lors autoriser le créancier impayé à faire appel aux services d’un débiteur de substitution pour exécuter l’obligation convenue avec le débiteur originaire. Le cas échéant, un décompte devra être établi entre l’exécution initialement attendue de la part du débiteur originaire et l’exécution par le débiteur de remplacement. Exceptionnellement, il est admis que l’intervention préalable du juge ne soit pas requise. Ces cas dérogatoires sont apparus dans les usages en matière de ventes commerciales de marchandises et dans le contrat d’entreprise246. Ils ont été étendus à d’autres types de contrat sous la pression d’une doctrine et d’une jurisprudence enclines à faire une application plus large de cette sanction civile efficace247. Ces situations dérogatoires sont cependant soumises à plusieurs conditions248 : - l’urgence : la situation doit être telle que le recours préalable au juge

ferait perdre au remplacement tout intérêt ; - la constatation contradictoire de l’état des choses, et spécialement du

manquement du débiteur avant le remplacement ; 246 A. VAN OEVELEN, « Actuele jurisprudentiële en legislatieve ontwikkelingen inzake de sancties bij niet-nakoming van contractuele verbintenissen », R.W., 1994-1995, p. 799. 247 Liège, 27 mai 1986, J.L.M.B., 1987, p. 1017. 248 Liège, 9 janvier 2014, J.T., 2014, p. 153.

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- une mise en demeure ; - le respect des exigences de la bonne foi impliquant que le

remplacement reste dans les limites des prestations initialement mises à charge du débiteur originaire.

4. L’exécution par équivalent [uitvoering bij equivalent] Lorsque l’exécution en nature n’est pas ou plus possible, le créancier devra se contenter d’une exécution par équivalent qui lui assure « une compensation le dédommageant du préjudice subi par l’absence d’exécution directe »249. L’exécution par équivalent consiste donc à réparer le dommage résultant pour le créancier impayé de l’inexécution de l’obligation convenue. Cette réparation consiste généralement dans l’octroi d’une somme d’argent exigible de la part du débiteur dont la responsabilité contractuelle a été mise en cause250. La responsabilité contractuelle requiert la réunion de trois conditions 251, d’ailleurs identiques à celles applicables en matière de responsabilité quasi-délictuelle, à savoir : • l’existence d’une faute : celle-ci consiste à ne pas avoir exécuté une obligation résultant du contrat conclu entre les parties252. Il est dès lors requis de déterminer avec précision l’obligation qui pèse sur le débiteur, ainsi que l’intensité de cette obligation. On renvoie à cet égard à la distinction entre les obligations de résultat et les obligations de moyens253. • le créancier impayé doit établir l’existence d’un dommage, en préciser l’étendue et justifier le montant des dommages et intérêts qu’il postule. 249 Cass., 27 avril 1962, Pas., 1962, I, p. 938 ; Cass., 30 janvier 1965, Pas., 1965, I, p. 538 ; Cass., 18 mars 1986, Pas., 1986, II, P. 84 ; Cass., 30 janvier 2003, RG. C.00.0632.F., www.juridat.be . 250 La réparation du préjudice du créancier pourra prendre une autre forme dans certains cas exceptionnels. On peut citer, par exemple, la publication d’une décision judiciaire ordonnée par le tribunal. 251 Nous ne ferons qu’évoquer ici les conditions essentielles de la responsabilité contractuelle, sans pouvoir évidemment nous livrer à un examen détaillé de chacune d’elles. 252 À propos de la détermination de ce contenu, voir le chapitre 4 ci-avant. 253 Voir à ce sujet : Introduction générale.

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L’octroi de dommages et intérêts n’est en effet jamais destiné qu’à réparer un dommage dont l’ampleur a été préalablement précisée et admise par le juge. Les parties peuvent déterminer dans la convention qui les lie un montant forfaitaire censé représenté le préjudice potentiel en cas de manquement contractuel. Ce type de clause, appelée clause pénale, peut être réduit par le juge sur la base de l’article 1231 du Code civil, si le montant stipulé apparaît excessif254. • le lien de causalité entre la faute et le dommage : en d’autres termes, il est requis que la faute du débiteur apparaisse comme décisive dans la survenance et l’étendue du dommage subi par le créancier impayé.

5. Le cumul de l’exécution en nature et de l’exécution par équivalent Il peut arriver que le créancier impayé sollicite pour l’avenir l’exécution en nature de l’obligation convenue et, pour le passé, des dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice subi par lui en raison de l’inexécution totale ou partielle des obligations convenues. Tel sera notamment le cas du créancier d’une somme d’argent qui demandera au juge la condamnation du débiteur au paiement de celle-ci, mais également au paiement de dommages et intérêts moratoires depuis la date à laquelle ladite somme aurait dû être réglée.

6. Règles particulières en matière d’obligations pécuniaires : les dommages et intérêts de retard

Remarque préalable : les règles décrites dans les lignes qui suivent forment le régime de droit commun des dommages et intérêts de retard tel que défini par les articles 1153 et suivants du code civil. Ce régime connaît d’importantes dérogations en matière commerciale compte tenu de l’application de la loi 2 août 2002 relative à la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. 254 Cass., 28 avril 2011, R.G.D.C., 2013, p. 88.

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1) Principe L’article 1153 du Code civil détermine le régime légal propre à l’inexécution des obligations pécuniaires. Ces obligations présentent en effet la particularité de porter dès l’origine sur une somme d’argent de sorte qu’on ne parlera jamais dans leur cas d’exécution par équivalent donnant droit à des dommages et intérêts compensatoires : lorsque l’obligation initiale porte sur une somme d’argent, les dommages et intérêts compensatoires (qui consistent également en une somme d’argent) ne se conçoivent pas ; l’inexécution de cette obligation ne peut donner lieu qu’à des dommages et intérêts moratoires. C’est le sens de l’article 1153 du Code civil. 2) Champ d’application Sont seules visées les obligations qui, dès l’origine, portent sur une somme d’argent. Tel n’est pas le cas d’une obligation prévue par un contrat d’assurance de payer une indemnité constituant la réparation d’un dommage à des biens qui doit encore fait l’objet d’une évaluation avant la survenance de celle-ci255. L’article 1153 du Code civil ne s’applique en outre pas indifféremment à toutes les sources d’obligations. Sont ainsi exclues les obligations nées d’un délit ou d’un quasi-délit, ou encore les dettes de sommes dues au titre de dommages et intérêts compensatoires résultant de l’inexécution d’une obligation contractuelle256. 3) Conditions Trois principes se dégagent de l’article 1153 du Code civil :

• Le créancier qui poursuit des dommages et intérêts dus en raison d’un retard dans l’exécution d’une obligation pécuniaire ne doit pas établir son dommage257.

• Ces dommages et intérêts de retard sont limités, quant à leur

montant, au taux légal, sauf en cas de dol du débiteur.

255 Cass., 11 juin 2009, R.G.D.C., 2012, p. 344; Cass., 29 septembre 2011, R.G.D.C., 2012, p. 348. 256 Cass., 18 juin 1981, Pas., 1981, I, p. 1200. 257 Le retard dans l’exécution de l’obligation cause un dommage qui est présumé par la loi (H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, 2ème éd., t. III , p. 165).

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• Ils sont dus à partir de la sommation de payer258, exceptés les cas où la loi les fait courir de plein droit.

4) L’anatocisme Les articles 1154 et 1155 du Code civil règlent quant à eux l’anatocisme259, c’est-à-dire l’opération consistant à incorporer au capital les intérêts échus sur ce capital, en manière telle que ces intérêts produisent à leur tour des intérêts260. L’opération doit résulter soit d’une convention spéciale conclue après l’échéance des intérêts et portant sur au moins une année entière d’intérêts261, soit d’une sommation adressée au débiteur dans les mêmes conditions, ratione temporis, et visant spécialement la capitalisation des intérêts262.

C. La résolution [ontbinding] du contrat

1. Notion Comme annoncé, l’article 1184, alinéa 2 du Code civil permet également au créancier impayé de demander au juge de prononcer la résolution du contrat avenu avec son débiteur, sans préjudice de l’allocation de dommages et intérêts si la résolution ne suffit pas à réparer les conséquences dommageables du manquement. Dans la mesure où le débiteur n’exécute pas l’obligation convenue, le créancier peut préférer obtenir la mise à néant de ce contrat, afin de pouvoir être également libéré des obligations qui pesaient sur lui et, le cas échéant, conclure le même contrat avec un autre débiteur. Il existe trois mécanismes de résolution : - la résolution judiciaire procède d’une application pure et simple de

l’article 1184 du Code civil ; 258 Cass., 8 mai 2009, R.G.D.C., 2012, p. 350. 259 C. ALTER, « Le point sur … l’anatocisme », J.T., 2007, p. 459-462. 260 Pour un cas d’application : Cass., 6 janvier 2006, J.T., 2007, p. 462. 261 Cass., 28 novembre 1985, Pas., 1986, p. 391. 262 Cass., 7 septembre 1978, Pas., 1979, p. 17.

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- A côté de celle-ci, deux mécanismes s’inscrivent en dehors du cadre judiciaire sous réserve du contrôle que le juge peut bien évidemment toujours exercer a posteriori. Il s’agit de la résolution unilatérale fondée sur le pacte commissoire exprès inséré par les parties dans leur convention et de la résolution unilatérale « dans des circonstances exceptionnelles » qui justifient que l’auteur de la résolution se dispense du recours préalable au juge même en l’absence de tout pacte commissoire exprès 263.

2. La résolution judiciaire (régime légal)

1) Principe L’article 1184 du Code civil énonce que la résolution pour inexécution fautive n’opère pas de plein droit et doit être demandée en justice. Le juge intervient pour accorder éventuellement un dernier délai au débiteur défaillant et pour apprécier si la résolution est justifiée au regard du manquement invoqué.

2) Conditions • Il faut un contrat synallagmatique, ce qui exclut le recours à l’action en résolution judiciaire dans le cadre d’un contrat unilatéral. • La résolution judiciaire doit être demandée par le créancier 264 au juge. Ce dernier n’est pas tenu de faire droit à la demande qui lui est adressée. Il dispose en effet d’un pouvoir d’appréciation pour accorder ou non la résolution du contrat 265, ainsi que décider de l’existence d’un abus de droit au niveau de l’option exercée par le créancier en application de l’article 1184, al. 2 du Code civil 266. Le juge examine également si le débiteur défaillant peut se voir accorder un dernier délai pour s’exécuter.

263 M. DUPONT, « La résolution unilatérale : (encore) une occasion manquée pour la Cour de cassation », J.T., 2010, pp. 341-345. 264 Cass., 30 janvier 2003, Pas., 2003, I, p. 227. 265 J.P. Grâce-Hollogne, 28 janvier 2003, Ech. Log., 2003, p. 47. 266 Cass., 26 septembre 2003, J.J.P., 2006, p. 323 ; J.P. Tournai (1e Cant.), 25 mai 2005, J.T., 2005, p. 524.

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Dans ce cadre, le juge prendra en considération le maintien d’un intérêt à l’exécution du contrat pour le créancier, le caractère sérieux de l’offre d’exécution éventuellement formulée par le débiteur, la gravité de la faute de celui-ci, l’évolution de la confiance entre les parties, … • L’inexécution du débiteur doit être fautive, la détermination de la faute s’opérant comme il a été exposé ci-dessus dans le cadre de l’exécution par équivalent. Le juge dispose à cet égard du pouvoir souverain267 d’apprécier s’il convient d’accorder la résolution en fonction de l’intensité de la faute du débiteur. Pour ce faire, il devra rechercher si le manquement est « suffisamment grave » pour justifier la résolution268.

3. La résolution non judiciaire [buitengerechteli jke ontbinding] fondée sur un pacte commissoire exprès

L'article 1184 du Code civil étant une disposition supplétive, les parties au contrat peuvent y insérer une clause résolutoire expresse - ou pacte commissoire exprès - aux termes duquel le contrat sera résolu sans intervention préalable du juge en cas de défaut de paiement269.

En agissant ainsi, les parties évitent le double inconvénient d’une application de l'article 1184 du Code civil : le contrôle préalable270 du juge (inconvénient de temps puisque la résolution du contrat ne pourra être prononcée que plusieurs mois, voire plusieurs années, après l'introduction de la demande) et l'appréciation par celui-ci de la gravité du manquement (incertitude quant à l’issue de la procédure et, donc, quant au sort du contrat). L’insertion d’une telle clause garantit, en outre, l’exécution efficace du contrat, chaque partie sachant désormais que tout défaut d’exécution risque d’être sanctionné par la résolution. Par ailleurs, encore faut-il que le pacte commissoire soit correctement rédigé pour atteindre un tel objectif. Si les parties se contentent d’insérer 267 Cass., 13 mars 1981, R.W., 1982-1983, col. 1050. 268 Cass., 9 juin 1961, Pas., 1962, I, p. 1104 ; Cass., 9 septembre 1965, Pas., 1966, I, p. 47 ; Cass., 8 avril 1976, Pas., 1976, I, p. 880 ; Cass., 12 novembre 1976, Pas., 1977, I, p. 1991 ; Cass., 5 mars 1982, Pas., 1982, I, p. 800 ; Cass., 31 janvier 1991, Pas., 1992, I, p. 116 ; Cass., 11 octobre 1991, Pas., 1992, I, p. 116 ; Cass., 15 avril 1993, Pas., 1993, I, p. 361 ; Cass., 6 novembre 1997, Pas., 1997, I, p. 455 ; Cass., 23 juin 2005, C030450F, www.juridat.be ; Cass., 28 octobre 2013, J.L.M.B., 2016, p. 826. 269 Sur le pacte commissoire exprès, voy. notamment DE PAGE, Traité, 2ème éd., t. II, n° 892 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, « Les obligations. Examen de jurisprudence (1974 à 1982) », R.C.J.B., 1986, n° 134 et s. 270 Bien entendu, le juge conserve son pouvoir de contrôle a posteriori. Pour un cas d’application : Cass., 11 mai 2012, J.L.M.B., 2013, p. 1018.

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une clause prévoyant uniquement qu’en cas de non-paiement, la résolution du contrat pourra être poursuivie, sans préciser qu’elles seront par ailleurs dispensées du recours judiciaire préalable, une telle clause sera dépourvue de toute utilité pratique puisqu'elle se borne à reproduire les termes des articles 1184 du Code civil271. Les parties doivent donc veiller à mentionner clairement qu’elles seront dispensées d’un recours judiciaire préalable. Il n’existe toutefois aucun terme sacramentel, de sorte que l’on doit accepter toute clause révélant la volonté des parties d’obtenir la résolution motu proprio272. Dès lors que la licéité et l’interprétation d’une clause résolutoire expresse ne posent pas de problème, il n’appartient pas au juge d’apprécier la gravité du manquement273, sous réserve toutefois de la possibilité qu’il conserve de constater que la mise en œuvre la clause résolutoire expresse constitue un abus de droit274.

4. La résolution non judiciaire (de la vente) en dehors d’un pacte commissoire exprès

En dehors de l’hypothèse conventionnelle de résolution extrajudiciaire, les parties ont-elles la possibilité d'obtenir la résolution du contrat sans recours au juge ? Notre législateur est intervenu çà et là pour organiser, dans des contrats particuliers, un mécanisme de résolution non judiciaire (comme par exemple l'article 1657 du Code civil qui autorise le vendeur de denrées et effets mobiliers à prononcer la résolution de la vente de plein droit et sans sommation après l’expiration du terme convenu pour le retrait des marchandises).

En dehors de ces hypothèses légales, c’est la construction prétorienne de la résolution non judiciaire dans des « circonstances exceptionnelles » qui pourra être amenée à jouer275. 271 H. DE PAGE, Traité, 2e éd., t. II, n° 893 ; P. VAN OMMESLAGHE, « Les obligations. Examen de jurisprudence (1974 à 1982) », R.C.J.B., 1986, n° 135 ; S. STIJNS, D. VAN GERVEN, P. WERY, « Chronique de jurisprudence. Les obligations : les sources (1985-1995) », J.T., 1996, p. 15. 272 S. STIJNS, D. VAN GERVEN, P. WERY, « Chronique de jurisprudence. Les obligations : les sources (1985-1995) », J.T., 1996, n° 51 et références citées. On peut citer, à cet égard, l'exemple de la clause selon laquelle le vendeur ou l’acheteur a le pouvoir « de réputer la vente nulle et non avenue ». Voy. Liège, 14 avril 1989, J.L.M.B., 1990, p. 470. 273 Liège, 8 mars 2012, J.L.M.B., 2013, p. 1021. 274 Cass., 8 février 2010, R.G. C.09.0416.F ; Bruxelles, 22 novembre 2013, J.L.M.B., 2016, p. 165. 275 Cass., 16 février 2009, J.T., 2010, p. 352 ; Civ. Marche-en-Famenne, 23 juin 2011, J.L.M.B., 2012, p. 768.

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Pour être mise en œuvre, celle-ci requiert, outre les conditions classiques liées à la mise en demeure ou à tout le moins à la notification de la résolution, ainsi qu’au constat objectif du manquement (très théorique en matière de défaut de paiement), que le défaut de paiement constitue un manquement grave276. En ce sens, le critère d'appréciation ne diffère pas de celui retenu en cas de résolution judiciaire. Cette première condition est invariablement rappelée par la jurisprudence277. Il faut également, selon le critère proposé par S. STIJNS278, souligner que le pouvoir du juge d'accorder un dernier délai doit être devenu inutile ou sans objet. Quant à l'intervention du juge du fond dans le cadre d'une résolution unilatérale, celle-ci s'inscrit nécessairement a posteriori. Son appréciation sera rigoureusement identique à celle qu'il aurait appliquée à une demande de résolution judiciaire : il contrôlera si le défaut de paiement était suffisamment grave pour justifier la résolution. Dans la négative, l’auteur de la rupture aura lui-même commis un manquement contractuel par cette initiative malencontreuse279. Le juge pourra alors – si une demande est formulée en ce sens par l’autre partie – prononcer la résolution du contrat à ses torts280 (ou le cas échéant aux torts réciproques des parties) ou ordonner le maintien du contrat.

5. Effets de la résolution • La résolution entraîne la mise à néant du contrat, c’est-à-dire sa disparition rétroactive. Chaque partie est dès lors fondée à exiger la restitution de ce qu’elle a déjà été amenée à prester en exécution du contrat281.

276 Mons, 22 octobre 2007, R.G.D.C., 2010, p. 38 ; Comm. Mons, 30 mars 2010, R.G.D.C., 2011, p. 91. 277 Voy. notamment Bruxelles, 23 juin 2003, 2002/AR/1341, www.juridat.be ; Comm. Gand, 30 janvier 2003, T.G.R., 2003, liv. IV, p. 199 ; Civ. Hasselt, 28 octobre 1999, R.G.D.C., 2000, p. 111 ; Anvers, 3 juin 1998, Limb. Rechtsl. 1998, p. 223 ; Liège, 6 décembre 1985, R.R.D., 1987, p. 11 ; Gand, 29 avril 1988, R.W., 1990-1991, p. 705; Mons, 21 juin 1983, Pas., 1983, II, p. 125; Comm. Namur, 20 décembre 1999, R.D.C., 2000, p. 511-512 ; Liège, 27 mars 2014, R.G.D.C., 2015, p. 273. 278 S. STIJNS, « La résolution pour inexécution des contrats synallagmatiques, sa mise en œuvre et ses effets », op.cit., p. 429 et s., ainsi que S. STIJNS, « Le rôle du juge dans la résolution judiciaire et non judiciaire pour inexécution d’un contrat », op.cit., p. 119 et s. 279 M. FONTAINE, "La mise en œuvre de la résolution des contrats synallagmatiques”, R.C.J.B., 1991, p. 37. 280 Pour un cas d’application : Liège, 25 janvier 2016, J.T., 2016, p. 479. 281 Cass., 8 février 2010, J.T., 2010, p. 349.

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Lorsqu’il s’agit d’un contrat à exécution successive, cette restitution est cependant de nature à poser problème, voire impossible. La résolution ne produira dès lors ses effets que pour l’avenir282. • L’article 1184 in fine du Code civil prévoit par ailleurs que le créancier impayé peut, outre la résolution judiciaire, également obtenir la condamnation du débiteur au paiement de dommages et intérêts complémentaires destinés à réparer le préjudice résultant de l’inexécution par le débiteur283.

Section 4. Les moyens de défense du débiteur L’examen de ces moyens de défense ne revêt évidemment de sens que dans l’hypothèse où l’existence d’une obligation dans le chef du débiteur n’est pas contestable et où celui-ci est effectivement en défaut d’exécuter ladite obligation.

A. La demande d’un délai de paiement [respijttermijn] Le débiteur peut tout d’abord demander au créancier impayé de lui accorder un délai pour accomplir la prestation convenue. Pareille demande peut être formulée directement au créancier avant l’introduction par celui-ci d’une procédure judiciaire. Elle peut également être adressée au juge, lorsque le créancier a déjà pris l’initiative de saisir le juge du litige. Tant l’article 1184, alinéa 3 du Code civil que l’article 1244, alinéa 2 du Code civil autorisent en effet le juge à accorder au débiteur un délai pour s’exécuter 284. 282 Cass., 10 avril 1997, Pas., 1997, I, p. 443. 283 En outre, la Cour de cassation admet que la « résolution du contrat aux torts d’une partie contractante n’a pas pour conséquence de la priver du droit de prétendre à la réparation du dommage qu’elle a subi en raison du manquement de l’autre partie, même si elle n’a pas demandé la résolution du contrat sur cette base » (Cass., 5 décembre 2014, R.G. C.14.0061.N). 284 Certaines législations particulières prévoient par ailleurs la possibilité pour le juge d’octroyer des facilités de paiement, mais la soumettent à des conditions particulières. Pour un cas d’application de l’ancien article 38 de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation : J.P. Fontaine l’Evêque, 2 septembre 2004, J.J.P., 2006, p. 78.

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• Dans le cadre de l’article 1184 du Code civil, le juge peut refuser d’accorder au créancier impayé la résolution judiciaire sollicitée par celui-ci et accorder au débiteur « un délai selon les circonstances ». S’il fait usage de cette dernière possibilité, le juge prévoira généralement que, faute d’exécution endéans le nouveau délai accordé, la résolution du contrat interviendra. • Dans le cadre d’une action en exécution forcée introduite par le créancier impayé, le juge dispose également du pouvoir d’octroyer au débiteur un « délai de grâce »285. L’article 1244 du Code civil l’incite toutefois à user de ce pouvoir « avec une grande réserve » et à tenir compte « des délais dont le débiteur a déjà usé »286. En vertu de cette disposition, le juge ne dispose toutefois pas du pouvoir de libérer le débiteur d’une partie de sa dette287.

B. La cause étrangère exonératoire (ou libératoire) [vreemde oorzaak]

Dans certaines circonstances, le débiteur en défaut d’exécuter l’obligation qui lui incombe peut néanmoins être libéré. Tel est notamment le cas des circonstances dans lesquelles l’inexécution est la conséquence d’une cause étrangère exonératoire.

1. Notion La lecture des articles 1147 et 1148 du Code civil est de nature à faire admettre que le législateur a voulu distinguer la force majeure [overmacht] et le cas fortuit [toeval]. Ces deux hypothèses sont cependant actuellement traitées sous le vocable plus général de cause étrangère exonératoire (ou libératoire). 285 Pour les exceptions à l’octroi d’un délai de grâce, voy. P. BAZIER, op. cit., R.G.D.C., 2014, pp. 249 à 251. 286 Bruxelles, 28 septembre 2012, R.G.D.C., 2013, p. 273 ; Bruxelles, 31 janvier 2013, R.G.D.C., 2014, p. 271. 287 Cass., 19 juin 1986, Pas., 1986, I, p. 1295 ; Cass., 7 avril 2014, R.G. S.12.0080.N.

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Elles englobent des situations fort diverses, parmi lesquelles : - des circonstances naturelles (foudre, inondation, verglas, tremblement

de terre, …) ; - des faits de tiers (vol, émeute, pillage, guerre, …) ; - des faits de l’autorité publique (expropriation, retrait d’autorisation, …).

2. Conditions Pour permettre au débiteur de s’exonérer sur base de l’existence d’une cause étrangère exonératoire, un événement doit répondre à quatre conditions : • Imprévisibilité : celle-ci doit être déterminée par rapport au moment de la conclusion du contrat. Il est dès lors irrelevant d’avoir égard à l’évolution de la situation des parties ou aux événements postérieurs à cette conclusion. Il est par ailleurs admis que l’imprévisibilité doit s’apprécier de manière raisonnable, c’est-à-dire en ayant égard au degré de probabilité de la réalisation de l’événement et au caractère sérieux du risque dont l’homme « normal » était à même de prévoir la survenance. • Inévitabilité : l’appréciation de ce deuxième critère doit également être raisonnable et se référer au comportement de l’homme normalement prudent. On ne peut dès lors exiger du débiteur qu’il mette en œuvre des moyens démesurés pour éviter la survenance de l’événement. • Indépendance de la volonté du débiteur : l’événement ne peut évidemment dépendre de cette volonté, ni de celle des personnes dont le débiteur doit répondre. Il n’est pas pour autant requis que ledit événement soit extérieur au débiteur. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une maladie déclarée dans son chef, voire de son décès.

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• Impossibilité d’exécution : cette impossibilité doit en principe être absolue, en ce sens que le débiteur ne peut se contenter d’invoquer une plus grande difficulté d’exécution de l’obligation mise à sa charge 288. La grosse difficulté consistera toutefois à déterminer ce qu’il est raisonnable ou déraisonnable d’attendre de la part du débiteur. Ce critère exclut généralement la possibilité pour le débiteur d’invoquer une cause étrangère exonératoire lorsque l’objet du contrat est une chose de genre, dans la mesure où elle pourra, sauf circonstances exceptionnelles, être remplacée par le débiteur289. Il faut en outre que le débiteur n’ait pas été mis en demeure d’exécuter l’obligation qui lui incombait. À titre d’exemple d’une cause étrangère exonératoire, on peut citer l’hypothèse du vol de la voiture confiée au garagiste, dont la jurisprudence a admis qu’il pouvait s’agir d’une cause étrangère exonératoire pour autant que des mesures normales de précaution aient été prises par ledit garagiste 290.

3. Effets • La cause étrangère exonératoire va libérer le débiteur qui ne sera plus tenu d’exécuter l’obligation litigieuse ni en nature, ni par équivalent. Cependant, son obligation ne sera éteinte qu’à la condition que la cause étrangère exonératoire ne revête pas un caractère temporaire. Au cas par cas, le juge aura dès lors à examiner si l’obligation peut encore être accomplie ultérieurement. Il pourrait de même ne libérer que partiellement le débiteur dans l’hypothèse où l’exécution partielle demeure envisageable (pour un cas d’application, voir l’article 1722 du Code civil en matière de bail). 288 Bruxelles, 22 juin 1984, J.T., 1986, p. 164. 289 Liège, 31 mars 2006, R.G. 2004/RG/9, inédit ; Bruxelles, 19 janvier 2012, R.A.B.G., 2012, p. 1165 290 Liège, 4 juin 1993, J.L.M.B., 1995, p. 265 ; voir également : Bruxelles, 9 septembre 2002, R.G.A.R., 2003, n° 13724 ; Civ. Tournai, 23 mai 2007, J.T., 2007, p. 584. Pour d’autres hypothèses, où toutes les mesures n’ont pas été prises, aboutissant à écarter la force majeure : Liège, 6 mars 2008, R.G.D.C., 2011, p. 453 ; Civ. Verviers, 8 septembre 2009, R.G.D.C., 2011, p. 354 ; Bruxelles (4e ch.), 6 mars 2012, J.T., 2012, p. 534 ; Mons, 29 octobre 2015, J.L.M.B., 2016, p. 847.

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• L’exonération du débiteur aura par ailleurs une incidence sur l’obligation corrélative qui, dans le cadre d’un contrat synallagmatique, pèse sur son cocontractant. Dans un contrat synallagmatique, la jurisprudence admet ainsi que l’extinction de l’obligation d’une partie par cas fortuit ou force majeure entraîne la libération du cocontractant. Ce principe est généralement qualifié de « théorie des risques », dont il faut toutefois rappeler que les parties demeurent libres d’aménager conventionnellement les effets.

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Chapitre 6. La dissolution du contrat

Pour en savoir plus : - P.-A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un

élément essentiel à leur formation, Bruylant, Bruxelles, 1998. - P. WÉRY, « Vue d’ensemble sur les causes d’extinction des contrats », in X., La fin

du contrat, C.U.P., Liège, 2001, pp. 5-42. - P. MOREAU, « La théorie de la caducité des libéralités pour disparition de leur cause

est-elle « caduque » », Rev. Not., 2009, pp. 694-761. - P. A. FORIERS et M.-A. GARNY, « La caducité de l’obligation par disparition d’un

élément essentiel à sa formation », Chronique de jurisprudence sur les causes d’extinction des obligations (2000-2013), sous la direction de P. Wéry, CUP n° 149, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 233-256.

• L’hypothèse envisagée dans le présent chapitre est à distinguer clairement de celle traitée au chapitre précédent. Il ne s’agit en effet plus d’examiner les conséquences d’une inexécution totale, d’une inexécution partielle ou d’un retard dans l’exécution des obligations mises à charge d’une partie. Pareil exercice suppose en effet l’existence d’un défaut d’exécution qui peut être reproché au débiteur de l’obligation concernée. Dans le présent chapitre, nous nous intéresserons à diverses situations susceptibles de mettre un terme anticipé à un contrat, sans qu’il ne soit question d’imputer la responsabilité d’une « terminaison » prématurée du contrat à l’une des parties. • Nous ne rappellerons jamais assez que notre droit des obligations et des contrats est fondamentalement influencé par le principe de la convention-loi dont l’article 1134 du Code civil est la traduction. Il ne faut dès lors pas perdre de vue que les parties contractantes disposent de nombreuses possibilités pour aménager ou déroger aux solutions légales que nous examinerons dans le présent chapitre. Les parties contractantes sont en effet en mesure de convenir des causes pour lesquelles leur contrat prendra fin, mais également de déterminer les effets de cette issue. Ces aménagements conventionnels ne pourront être examinés dans le cadre du cours.

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• Il faut enfin veiller à ne pas confondre les hypothèses de dissolution du contrat avec les questions résultant de l’invalidation d’une clause contenue dans le contrat. Lorsque la clause susceptible d’être invalidée ne présente qu’un caractère accessoire à l’égard de l’ensemble du contrat, il est admis que celui-ci continue à produire ses effets pour le surplus. En d’autres termes, une clause contractuelle « critiquée » peut être frappée d’une invalidation dont elle est le seul objet, les parties restant par ailleurs tenues au respect des autres dispositions contractuellement définies entre elles. Cette règle reçoit toutefois exception dans diverses hypothèses, parmi lesquelles : - lorsque la clause concernée présente un caractère d’indivisibilité à

l’égard de l’ensemble de la convention291 ; - lorsqu’une disposition légale précise la portée d’une éventuelle

invalidation d’une clause contractuelle (Ex. : article 66 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances) ;

- lorsque les parties ont expressément réglé la question.

Section 1. Notion Terme générique ignoré des rédacteurs du Code Napoléon (à l’exception des articles 1867 et 1869 du Code civil relatifs au contrat de société), la « dissolution » ne constitue ni un concept, ni un mécanisme juridiques dont les effets seraient réglés avec précision. La doctrine et la jurisprudence se sont accordés pour englober sous l’appellation de dissolution les différents modes de « terminaison » prématurée d’un contrat. La notion de « dissolution » laisse dès lors entendre qu’un contrat a pris fin de manière prématurée, c’est-à-dire avant que les obligations pesant sur l’une et/ou l’autre des parties n’aient été entièrement et parfaitement exécutées. Elle suppose nécessairement la survenance d’un événement qui brise le déroulement normal du mécanisme contractuel et empêche dès lors que celui-ci produise ses pleins et entiers effets. Le contrat prend fin

291 Civ. Liège, 7 avril 1967, R.C.J.B., 1970, p. 491 ; Civ. Bruxelles, 4 avril 1974, J.T., 1974, p. 588 ; Bruxelles, 18 octobre 1978, Entr. & Droit, 1980, p. 321.

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autrement que par voie normale (survenance du terme ou réalisation de l’objet).

Section 2. Les causes de dissolution

A. La nullité [nietigheid] Nous rappelons292 que l’article 1108 du Code civil exige la réunion de quatre conditions pour la validité d’une convention. Le défaut ou l’altération de l’une de ces conditions au moment de la formation du contrat est susceptible d’entraîner la nullité de celui-ci. La nullité peut aussi résulter du non respect des formes prescrites à peine de nullité par la loi293 ou encore de la non-conformité de la convention à l’ordre public294 ou aux bonnes mœurs. Il convient de distinguer les hypothèses dans lesquelles la sanction sera celle de la nullité relative de celles où la nullité présentera un caractère absolu. Dans le premier cas, seuls des intérêts privés sont en cause : la nullité doit donc être demandée par la partie protégée et ne peut être soulevée d’office par le juge. Dans la seconde hypothèse, l’intérêt général s’avère menacé : la nullité peut donc être demandée par toute personne intéressée et même être prononcée d’office par le juge 295.

B. La résiliation [verbreking] La résiliation est l’acte juridique par lequel deux parties mettent fin de commun accord à une convention ou l’une d’entre elles y met fin unilatéralement. 292 Voir Partie 1, Titre 1, Chapitre 3, Section 1. 293 Cf. les contrats solennels ou réels. 294 Civ. Bruxelles, 19 mai 2015, R.G.D.C., 2016, p. 133. 295 Tel serait notamment le cas d’une convention conclue avec un entrepreneur qui exerce une activité dont l’accès est règlementé sur la base de la loi du 10 février 1998 (qui a abrogé et remplacé la loi-cadre du 15 décembre 1970), mais qui ne dispose pas de l’attestation requise. En ce sens : Bruxelles, 18 septembre 1980, Entr. & Droit, 1983, p. 154 ; Bruxelles, 6 mars 1986, Entr. & Droit, 1987, p. 15 ; Mons, 6 décembre 2016, J.T., 2017, p. 299.

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• La résiliation bilatérale ne constitue en réalité qu’une simple application des effets du principe de la convention-loi, et plus spécialement de l’article 1134, alinéa 2 du Code civil296. Sauf exceptions expressément prévues par la loi 297, elle est toujours admise. Le législateur a cependant soumis la résiliation bilatérale de certains contrats à des formes particulières 298. • La résiliation unilatérale constitue par contre une exception aux mêmes principes de la convention-loi : elle n’existe dès lors pour l’une des parties au contrat que dans les hypothèses visées par le législateur ou admises par la doctrine et la jurisprudence ou prévues contractuellement 299. Le cas échéant, une résiliation unilatérale du contrat dans l’une de ces hypothèses entraîne l’exclusion de la possibilité de demander ulltérieurement la résolution et l’octroi de dommages et intérêts300. Le législateur a notamment organisé la possibilité de résiliation unilatérale du contrat d’entreprise par le maître d’ouvrage à l’article 1794 du Code civil. Il a fait de même à l’égard des baux de résidence principale dans la loi du 20 février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer. On peut encore citer le contrat de mandat qui peut être résilié unilatéralement par le mandant à tout moment et sans motif301 ou par le mandataire à tout moment, mais moyennant

296 Cass., 27 novembre 2008, R.G.D.C., 2010, p. 225. 297 Parmi celles-ci, on peut citer la donation, le mariage, … 298 Voir l’article 3, alinéa 4 de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux. 299 Bruxelles, 1er juin 2004, J.L.M.B., 2005, p. 1491 ; Liège, 23 mars 2009, R.R.D., 2008, p. 354 ; J.P. Bruxelles (4ème canton), 26 mai 2009, R.G.D.C., 2009, p. 508. 300 Comm. Bruxelles, 28 janvier 2008, R.A.B.G., 2009, p. 1353. Comp. avec l’hypothèse de la résiliation unilatérale invoquée postérieurement à la résolution, toutes deux produisant, le cas échéant, leurs effets le même jour ; Cass., 19 mai 2011, R.G. C.09.0645.F : « [l]e fait qu’un tel contrat prenne fin pour une autre cause à la date à laquelle la résolution judiciaire doit produire ses effets ne prive pas la demande tendant à cette résolution de son objet ». Il s’agissait, en l’espèce, d’un bail dissous – à la suite d’un congé – à la même date que celle à laquelle les effets de la résolution devaient remonter. Adde (hypothèse où la résolution et la résiliation ne sont pas introduites par la même personne): Cass., 25 avril 2013, J.L.M.B., 2015, p. 493 : « L’article 1184 du Code civil n’interdit pas, en règle, de prononcer la résolution d’un contrat aux torts de la partie qui a résilié ce contrat, cette résiliation fût-elle régulière et antérieure à la demande de résolution ». Voy. également R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., pp. 825 à 830, n° 355. 301 Article 2004 du Code civil.

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l’indemnisation du mandant de son préjudice302 ou le contrat de dépôt qui peut être résilié unilatéralement par le déposant à tout moment303. La jurisprudence et la doctrine ont, par ailleurs, consacré de manière non équivoque l’applicabilité de la résiliation unilatérale aux contrats conclus pour une durée indéterminée 304, sous réserve évidemment de l’intervention de dispositions légales particulières pouvant régler les conditions de mise en œuvre d’une telle résiliation unilatérale et/ou les effets de celle-ci 305 ou de l’appréciation par le juge de l’existence d’un abus de droit à l’occasion d’une résiliation unilatérale 306. Ce droit ne résulte pas d’une disposition légale particulière, mais découle du principe selon lequel la liberté individuelle n’autorise pas les engagements perpétuels307. Dans un arrêt du 7 juin 2012308, la Cour de cassation rappelle les principes gouvernant la résiliation d’un contrat :

« Un contrat à durée indéterminée peut toujours être résilié unilatéralement moyennant le respect d’un délai raisonnable et une telle résiliation est irrévocable. Par contre, un contrat à durée déterminée ne peut pas, en règle309, être résilié unilatéralement. Sous réserve de son acceptation par l’autre partie contractante, la résiliation d’un contrat à durée déterminée n’est définitive et irrévocable que si cette résiliation est régulière.

302 Article 2007 du Code civil. 303 Article 1944 du Code civil. 304 Cass., 9 mars 1973, Pas., 1973, I, p. 640 ; Cass., 22 novembre 1973, Pas., 1974, I, p. 312 ; Bruxelles, 21 décembre 2000, R.D.C.B., 2002, p. 107 ; Liège, 28 juin 2007, J.L.M.B., 2008, p. 1603 ; Liège, 17 décembre 2007, J.L.M.B., 2008, p. 1609. 305 Tel est notamment le cas de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux ou du titre III du livre X du Code de droit économique (relatif à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée). 306 Bruxelles, 18 janvier 2007, J.T., 2007, p. 358 ; Mons, 4 avril 2014, J.L.M.B., 2016, p. 177. 307 Ce principe était consacré par le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791, qui fut abrogé et remplacé par la loi du 28 février 2013 introduisant le Code de droit économique dont l’article II.3 consacre le principe de la liberté d’entreprendre, et par l’article 1780 du Code civil. 308 R.G. C.11.0449.N. 309 Voy. Cass., 17 février 2011, R.G. F.10.0018.F (possibilité pour le client de mettre fin à tout moment et sans indemnité à la convention qui le lie à son avocat). Selon la Cour, cette faculté « ressortit à la liberté du choix de l’avocat, c’est-à-dire à l’exercice des droits de la défense ».

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La partie qui résilie peut, dès lors, mettre à néant une résiliation irrégulière et non acceptée par l’autre partie contractante, à condition de ne pas exercer ce droit de manière abusive ».

C. La caducité [verval] Nous avons évoqué la sanction de nullité qui frappe une convention dont l’objet serait inexistant ou ne répondrait pas au prescrit de l’article 1108 du Code civil. Pareille dissolution de la convention intervient en raison d’un vice survenu au stade de la formation du contrat. Il peut cependant arriver qu’un tel vice ne survienne pas dès la conclusion de la convention, l’objet de celle-ci répondant parfaitement à ce moment aux conditions déduites de l’article 1108 du Code civil, mais que ledit objet disparaisse en cours d’exécution du contrat par la force majeure ou par la faute de l’une des parties 310. Dans la première hypothèse, l’obligation litigieuse devient impossible à exécuter : elle s’éteint dès lors par force majeure et l’application de la théorie des risques provoque la dissolution de l’ensemble du contrat. Dans le second cas, la disparition de l’objet rend tout aussi impossible la poursuite de l’exécution du contrat, mais la responsabilité de cette disparition incombe à l’une des parties contractantes. Cette dernière situation est qualifiée de « caducité » du contrat 311. 310 La disparition de la cause, spécialement dans le cadre d’un contrat de donation, a suscité de multiples difficultés tant au niveau des principes qu’au niveau de ses conséquences depuis un arrêt de la Cour de cassation du 16 novembre 1989 (R.G.D.C., 1990, p. 261). Voir à ce propos : P. DELNOY, « Caducité, nullité et révocation en matière de donations entre vifs – La tyrannie des mots en droit c. l’arrêt de la Cour de cassation (1e Ch.), du 12 décembre 2008 », J.T., 2010, pp. 321-334 ; S. NUDELHOLE, « La théorie postmoderne de la cause et le sort des donations en cas de disparition de leur cause », R.C.J.B., 2011, pp. 350-408. Adde : Cass., 6 mars 2014, R.C.J.B., 2015, p. 383.. La Cour rappelle le principe, à savoir que la cause (mobile déterminant) doit être appréciée au moment de la formation de l’acte juridique et que sa disparition ultérieure demeure, en règle, sans effet sur celui-ci. La Cour semble toutefois admettre une exception à ce principe en matière de clause de tontine. 311 Cass., 28 novembre 1980, R.C.J.B., 1987, p. 70 ; voir également : Cass., 21 janvier 2000, J.T., 2000, p. 573 ; P.-A. FORIERS, « La caducité revisitée. A propos de l’arrêt de Cassation du 21 janvier 2000 », J.T., 2000, pp. 676-679 ; Cass., 14 octobre 2004, R.G. C.03.0454.F ; Comm. Bruxelles, 28 mars 2006, J.T., 2006, p. 510.

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D. La rescision [vernietiging] Notion fort proche de la nullité, la rescision demeure techniquement distincte de celle-ci. Elle constitue le mode de dissolution d’un contrat affecté de lésion312. Il faut rappeler que notre droit n’accepte qu’exceptionnellement de prendre en considération la lésion qui se caractérise par une disproportion importante entre les prestations des parties à un contrat 313.

E. La révocation [herroeping] Dans la terminologie moderne, la révocation apparaît comme un mode de dissolution propre aux contrats à titre gratuit. Elle vise la situation dans laquelle une personne se voit enlever un avantage gratuit qu’elle tient du contrat. À titre d’exemple, on peut évoquer la révocation d’une donation pour cause d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aurait été faite et pour cause d’ingratitude 314 (articles 953 et 955 du Code civil) ou la révocation des donations entre époux (article 1096 du Code civil).

F. La théorie des risques [risicotheorie] La théorie des risques vise les conséquences à attacher à la survenance d’un cas de force majeure rendant impossible l’exécution par une partie de ses obligations contractuelles. Lorsque l'inexécution d'une obligation contractuelle résulte de la survenance d'un cas de force majeure, trois situations doivent être distinguées : - soit la force majeure est temporaire et peut entraîner une suspension

du contrat ; - soit la force majeure est partielle et se pose alors la question de savoir

si elle entraîne une dissolution du contrat ou une réduction temporaire ou définitive de celui-ci ;

312 Cass., 28 janvier 2010, R.G. C.09.0036.N. 313 Cf. Partie 1, Titre 1, Chapitre 3, Section 1. 314 Liège, 25 février 2002, J.T., 2002, p. 448.

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- soit la force majeure est totale et définitive. La force majeure totale et définitive intéresse particulièrement la matière de la dissolution des contrats synallagmatiques. La Cour de cassation énonce en effet dans un arrêt de principe du 27 juin 1946 que, dans un contrat synallagmatique, l'extinction des obligations d'une partie par la force majeure entraîne celle des obligations corrélatives de l'autre partie, eu égard à l'interdépendance des obligations réciproques caractérisant le rapport synallagmatique 315. Autrement dit, les risques sont pour le débiteur (res perit debitori) et non pour le créancier (res perit creditori)316. Cette règle connaît toutefois une exception visée à l’article 1138 du Code civil lorsque le contrat synallagmatique a pour objet le transfert de la propriété d’un corps certain. Dans un tel cas, le débiteur de l’obligation de livrer en est libéré mais conserve néanmoins le droit de demander le paiement du prix. Les risques sont donc pour le créancier (res perit creditori).

G. Le décès, l’incapacité ou la faillite Le décès, l’incapacité ou la faillite de l’une des parties à un contrat n’entraîne pas en règle sa dissolution, sauf si une disposition légale le prévoit ou lorsque le contrat est conclu intuitu personae.

Section 3. Les effets « légaux » de la dissolution du contrat Multiplicité de causes de dissolution oblige, les effets de celle-ci ne présentent aucune uniformité. Sans doute, la dissolution d’une convention produit-elle toujours juridiquement des effets radicaux. Ceux-ci peuvent néanmoins se présenter sous deux formes essentielles qui peuvent être schématisées comme suit : - soit les parties sont déliées pour l’avenir de l’exécution des obligations

convenues : la dissolution opère ex nunc, c’est-à-dire sans rétroactivité. Il n’y a dès lors pas de comptes à établir entre les parties

315 Cass., 27 juin 1946, Pas., 1946, I, p. 270. 316 S.J. NUDELHOLE, "Les incidences de la théorie des risques sur les restitutions consécutives à l'annulation du contrat", R.C.J.B., 1988, p.236.

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contractantes, sauf si l’une d‘elles avait anticipé l’exécution des obligations lui incombant ;

- soit les parties sont censées n’avoir jamais été liées : la dissolution

opère ex tunc, c’est-à-dire de manière rétroactive et invalide dès lors le contrat litigieux non seulement pour l’avenir mais également pour le passé. Dans cette dernière hypothèse, il n’en demeure pas moins que la convention peut avoir produit des effets avant d’être mise à néant. Le principe de la dissolution ex tunc devra dès lors nécessairement faire l’objet d’aménagements techniques, d’ailleurs différents selon le mode de dissolution concerné, afin de permettre « la conciliation du réel et du droit » 317.

A. La nullité Sanctionnant un contrat affecté d’un vice ou d’un défaut au stade de sa formation, la nullité affecte en principe celui-ci depuis son origine. Les obligations éventuellement exécutées par l’une, l’autre ou les deux parties n’auraient en conséquence, pas dû l’être. La répétition des prestations exécutées peut cependant s’avérer matériellement impossible. A cet égard, nous nous contenterons de souligner ici le pouvoir d’appréciation appartenant au juge du fond quant aux effets de la nullité sanctionnant une convention. En application de l’adage in pari causa turpitudinis cessat repetitio, il pourra ordonner ou refuser la restitution totale ou partielle des prestations déjà exécutées par l’une, l’autre ou les deux parties à la convention frappée de nullité 318. En outre, il va de soi que la restitution des prestations exécutées ne peut pas toujours intervenir en nature. Le cas échéant, elle aura lieu par équivalent. Il faut par ailleurs préciser que des intérêts ne sont en principe dus sur les montants qui font l’objet de l’obligation de restitution qu’à compter de la mise en demeure319. 317 L’expression est due à H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, Bruylant, Bruxelles, p. 781, n° 809. 318 Cass., 8 décembre 1966, Pas., 1967, I, p. 434 ; Cass., 24 septembre 1976, J.T., 1977, p. 471. 319 Cass., 5 janvier 2012, R.G.D.C., 2015, p. 269.

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B. La résiliation

Sous réserve de dispositions légales particulières dont nous ne traiterons pas ici, la résiliation d’une convention intervient ex nunc 320. La mise à néant de la convention litigieuse ne produira dès lors ses effets que pour l’avenir : les prestations déjà exécutées par les parties demeurent dès lors intactes et continuent de produire leurs effets. Aucun effet rétroactif n’est donc reconnu à ce mode de dissolution.

C. La caducité Admise comme cause générale de dissolution des contrats, la caducité ne produit que des effets limités en n’affectant que les obligations frappées d’une impossibilité matérielle d’exécution. Elle ne produira dès lors normalement ses effets que pour l’avenir, c’est-à-dire pour la période postérieure à la disparition de l’objet du contrat. Les parties contractantes demeurent dès lors tenues d’exécuter les obligations qui ne sont pas affectées par cette impossibilité. Le cas échéant, l’exécution pourra être requise par équivalent. A titre d’exemple, on peut évoquer la matière du contrat d’assurance, au sein de laquelle la notion même d’intérêt assurable implique la possibilité de survenance d’un préjudice en cas de réalisation d’un risque. Lorsque ce dernier a cessé d’exister, la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances règle la question du remboursement de la quote-part de la prime « non consommée » en consacrant expressément la règle de l’équilibre entre les primes dues par l’assuré et les prestations de l’assureur. L’article 73 de la loi du 4 avril 2014 impose en effet à ce dernier de rembourser la quote-part des primes perçues sans contrepartie endéans un délai de 15 jours.

D. La rescision La rescision pour cause de lésion produit des effets assimilables à ceux de la nullité. La mise à néant du contrat interviendra ex tunc, c’est-à-dire de manière rétroactive.

320 Cass., 23 décembre 2005, R.G.D.C., 2010, p. 223.

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Lorsqu’elle intervient en présence de majeurs, la rescision se distingue cependant de la nullité, en ce que les dispositions légales admettant ce mode de dissolution dans certaines hypothèses particulières reconnaissent au défendeur à l’action judiciaire intentée le droit de « rectifier » les conditions du contrat passible de rescision 321. L’action en rescision pour cause de lésion présente dès lors cette particularité de pouvoir être écartée par l’offre du défendeur de faire disparaître le déséquilibre qui affectait le contrat litigieux.

E. La révocation Les dispositions légales déjà évoquées à propos des causes de dissolution du contrat organisent avec précision les effets de ce mode particulier aux contrats à titre gratuit. La révocation pour inexécution des charges opère ex tunc, c’est-à-dire avec rétroactivité (article 954 du Code civil). Par contre, la révocation des donations pour ingratitude opère ex nunc, c’est-à-dire sans rétroactivité (article 958 du Code civil).

F. La résolution La dissolution du contrat pour cause de résolution opère, en principe, ex tunc : elle rétroagit donc au jour de la formation du contrat. Cette règle est énoncée à l’article 1183 du Code civil. 321 Voir à ce propos l’article 891 du Code civil applicable en matière de partage et les articles 1681 et 1682 du Code civil applicables en matière de vente immobilière.

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Section 4. La naissance d’obligations lors de la dissolution du contrat

Il ne paraît pas superflu de souligner que la dissolution du contrat n’entraîne évidemment pas la disparition de toutes les obligations contractuelles. Parmi les obligations dont le maintien doit être affirmé, on peut citer l’obligation de garantie, l’obligation de secret, l’obligation de non-concurrence, … La dissolution du contrat peut au surplus constituer un terme suspensif pour certaines obligations contractuellement réglées et dont l’exécution a été différée. Les contrats de distribution (concession exclusive de vente, franchise, …) comportent souvent des clauses imposant l’élimination de différents éléments caractéristiques d’une chaîne de distribution (ex. : aménagement intérieur, enseigne …) au moment de la dissolution du contrat. De même, les parties peuvent avoir prévu la restitution de différents documents, échantillons, publicité, notes techniques, … à l’expiration du contrat de distribution. Enfin, les mêmes contrats organisent souvent le sort des stocks de produits lors de la cessation des relations contractuelles. A cet égard, les formules les plus diverses se rencontrent dans la pratique : - liquidation des stocks par le distributeur endéans un certain délai ; - reprise facultative ou obligatoire du stock par le fabricant +

détermination des modalités de valorisation dudit stock. En droit belge, ces questions ne font l’objet d’aucune disposition légale : les parties sont dès lors libres — et ont d’ailleurs un intérêt évident — à les régler contractuellement. Les parties contractantes peuvent également avoir prévu le versement d’une indemnité au partenaire sortant au moment de la dissolution du contrat. Elles peuvent enfin avoir englobé dans le champ contractuel qui les unit diverses questions relatives à la poursuite des relations contractuelles au-delà de la dissolution de la convention initialement conclue. Ainsi, elles peuvent avoir simplement convenu d’organiser des pourparlers en vue de la conclusion d’un nouvel accord, avoir organisé une « prorogation

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[verlenging] » plus ou moins automatique et déterminé les conditions et/ou modalités à respecter pour qu’elle intervienne ou, au contraire, puisse être évitée. Par ailleurs, en cas de dissolution rétroactive du contrat, les parties sont tenues d’obligations de restitutions réciproques (par exemple en matière de vente : restitution du prix ou de la partie de prix déjà perçue pour le vendeur, restitution de la chose ou d’une partie de la chose déjà livrée pour l’acheteur). L’obligation de restitution est soumise au droit commun des obligations et, en particulier, au principe de la primauté de l’exécution en nature : la restitution en nature s’impose donc aux parties. Lorsque la restitution en nature n’est pas ou plus possible (ce qui arrivera le plus souvent pour des corps certains, les choses de genre étant en principe toujours susceptibles de faire l’objet d’une restitution en nature), le créancier obtiendra une exécution par équivalent, représentée par exemple par la contre-valeur du bien à restituer322.

322 Cass., 13 mars 1998, J.L.M.B., 2000, p. 136 ; Cass. 14 avril 1994, Pas., 1994, I, p. 370.

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Chapitre 7. L’interprétation du contrat

Pour en savoir plus : - W. DE BONDT, « Uitlegging van overeenkomsten naar de geest : mogelijkheden, grenzen en alternatieven », R.W., 1996-97, pp. 1001-1017. - C. DEL MARMOL et L. MATRAY, « L’importance et l’interprétation du contrat (dans ses relations avec l’arbitrage commercial international) », Rev. dr. intern. comp., 1980, pp. 158-208. - Y. HANNEQUART, « La portée du contrat », Novelles, Droit civil, t. IV, Vol. 2, Bruxelles, Larcier, 1958. - J.-F. VAN DROOGHENBROECK, « Le juge et le contrat », Recyclage en droit : Quelques aspects de droit judiciaire, F.U.S.L., 2006. - A. CRUQUENAIRE, « L’interprétation du contrat de vente », R.G.D.C., 2008, pp. 307-318.

Interpréter, c’est « chercher à rendre compréhensible, à traduire, à donner un sens ». La démarche de l’interprétation du contrat qui s’impose au juge consiste à aller à la rencontre de la pensée réelle des parties contractantes en vue de ne sanctionner sur le plan judiciaire que ce qui fait l’objet d’un engagement de la part de celles-ci ou de l’une d’entre elles. Elle découle logiquement de la difficulté que constitue l’expression complète et fidèle de la volonté humaine.

Section 1. Principe de base (article 1156 du Code civil) Le principe de base de l’interprétation du contrat consiste à s’indexer sur la commune intention des parties, à rechercher « la volonté réelle » de celles-ci 323. Le juge doit donc faire prévaloir la commune intention [gemeenschappelijke bedoeling] des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés par elles. A ce titre, l’article 1156 du Code civil fait logiquement prévaloir la volonté réelle sur la volonté déclarée. Pour l’identifier, le juge du fond peut avoir égard à tous éléments qu’il estime utiles, que ceux-ci figurent dans la convention elle-même ou non. En

323 Cass., 24 septembre 1992, Pas., 1992, I, p.1052.

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pratique, l’exécution par les parties du contrat qui les lie constituera souvent pour le juge un élément important pour déterminer le sens et la portée de leurs engagements 324.

Section 2. Autres règles d’interprétation Outre le principe de base évoqué ci-dessus, différentes dispositions du Code civil complètent la matière de l’interprétation du contrat en consacrant : • La recherche de l’efficacité des clauses (Article 1157 du Code civil) ; • Le respect de leur économie générale (Article 1158 du Code civil) ; • Le rôle des usages (Articles 1159 et 1160 du Code civil) ; • Le principe de l’examen du contrat dans son entièreté (Article 1161 du

Code civil) ; • L’interprétation équitable (Article 1162 du Code civil) ;

Il n’est pas toujours aisé d’identifier la partie qui, au sens de cette disposition, « a stipulé ». Il convient d’identifier celle-ci pour chacune des obligations qui découlent du contrat, plutôt que de considérer celui-ci dans son ensemble. L’interprétation de chaque clause interviendra dès lors en faveur de celui qui doit la subir et au détriment de celui qui en retire le bénéfice.

• Le respect des limites de l’accord (Articles 1163 et 1164 du Code civil). Ces dispositions n’épuisent cependant pas la problématique de l’interprétation du contrat. D’une part, certains textes épars précisent la manière d’interpréter l’un ou l’autre contrat. On songe à l’article 1602 du Code civil en matière de vente, aux articles 1988 et 1989 du Code civil en matière de mandat325.

324 Bruxelles, 25 février 1970, Pas., 1970, II, p.116 ; J.P. Molenbeek-Saint-Jean, 27 février 2007, J.J.P., 2008, p. 213. 325 Voy. ég. l’article VI.37, §2, du CDE qui énonce, pour les contrats relevant de son champ d’application, que « [e]n cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut ». Adde : art. X.32 et XIV.18 du CDE. On

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D’autre part, la doctrine et la jurisprudence admettent qu’il y a lieu de procéder à une interprétation restrictive des clauses exorbitantes par rapport au droit commun, telles que les clauses exonératoires de responsabilité. La jurisprudence marque également une tendance à l’interprétation en défaveur du rédacteur de la convention, lorsqu’il s’agit d’un contrat d’adhésion ou standardisé (interprétation contra proferentem). Enfin, il convient de souligner le pouvoir des cours et tribunaux de rectifier, en se fondant sur les éléments extrinsèques souverainement appréciés par eux, les erreurs matérielles dont un acte serait entaché 326.

Section 3. Nature juridique des règles d’interprétation Il fut un temps où il était admis que les articles 1156 à 1164 du Code civil énonçaient des principes qui auraient pu être laissés à l’état de règles doctrinales. En d’autres termes, ces dispositions constituaient davantage des conseils donnés au juge que des règles obligatoires pour celui-ci 327. Au fil du temps, la jurisprudence de la Cour de Cassation a très nettement évolué sur cette question, la formule fréquemment utilisée, qualifiant de « simple conseil » les dispositions relatives à l’interprétation du contrat disparaissant au profit de l’affirmation du devoir du juge de rendre compte de ses recherches concernant l’intention des parties, c.à.d. leur volonté réelle et certaine. A l’heure actuelle, il n’est plus possible d’hésiter, à tout le moins pour l’article 1156 du Code civil 328 et pour l’article 1162 du Code civil 329. Ces dispositions ne peuvent se réduire à de simples recommandations, mais constituent de véritables règles de droit.

retrouve une disposition similaire en matière de contrats d’assurance (art. 23 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, M.B., 30 avril 2014). 326 Cass., 18 décembre 1947, Pas., 1947, I, p.553. 327 Cass., 22 mai 1868, Pas., 1868, I, p.380. 328 Cass., 24 mars 1988, Pas., 1988, I, p.894. 329 Cass., 17 octobre 1988, Pas., 1989, I, p.158.

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En conséquence, leur violation par une décision rendue en dernier ressort ouvre la voie à un pourvoi en cassation (Article 608 du Code judiciaire).

Section 4. Limites de l’ interprétation Le pouvoir des cours et tribunaux d’interpréter un contrat, et spécialement de rechercher la volonté réelle des parties, ne pourra faire fi d’autres principes, expressément consacrés par le Code civil.

A. Le principe de la convention-loi (article 1134 du Code civil) La convention librement conclue par les parties est revêtue de la force obligatoire de la loi à l’égard de celles-ci. Elle s’impose également au juge. Dans son travail d’interprétation, le juge doit être attentif à ne pas violer l’article 1134 du Code civil. Il ne pourra dès lors modifier la teneur d’une convention, même pour des motifs d’équité, en méconnaissant une clause du contrat ou en ajoutant une règle que celui-ci ne prévoit pas. Lorsqu’il recherche la volonté réelle des parties au travers de l’interprétation et qu’il motive dûment le chemin intellectuel qu’il fait pour y procéder, le juge ne viole pas l’article 1134 du Code civil mais en fait une exacte application. Lorsqu’un jugement n’attribue pas à une stipulation les effets qu’elle a entre les parties, il viole la force obligatoire de la convention 330.

B. La hiérarchie des preuves (article 1341 du Code civil) Les règles de preuve commandent les conditions dans lesquelles les parties pourront établir devant le juge la véracité ou la plausibilité de leur allégation d’un droit ou d’une créance. Parmi ces dispositions, l’article 1341 du Code civil consacre le principe de la prééminence de la preuve écrite. 330 Cass., 23 janvier 1976, Pas., 1976, I, p.590 ; Liège, 3 février 2004, R.R.D., 2005, p. 163.

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Lorsque l’article 1341 du Code civil est d’application, il ne peut donc être question d’interpréter autre chose que l’écrit, c.à.d. ce qui est prouvé conformément aux dispositions légales applicables. Il ne pourra davantage être fait abstraction du contenu de l’instrumentum établi entre les parties pour rechercher exclusivement dans des éléments extrinsèques331 à celui-ci l’interprétation à donner dudit écrit.

C. La foi due aux actes [bewijskracht van een akte] (articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil)

Dans son travail d’interprétation, le juge doit respecter la foi qui est due aux écrits qui lui sont soumis. Il ne peut dès lors interpréter la convention d’une manière inconciliable avec les termes de celui-ci. Violer la foi due à un acte consiste à méconnaître ce qu’il révèle ou ce qu’il constate, c.à.d. à lui faire dire autre chose que ce qu’il exprime. Le cas échéant, il appartiendra à la Cour de cassation de vérifier si, en interprétant le contrat, le juge a justifié l’interprétation qu’il en donne et veillé à la cohérence de cette justification avec le sens qu’il a donné aux expressions contenues dans le contrat 332.

331 Concernant la prise en compte de l’exécution du contrat, élément extrinsèque à l’instrumentum, à titre de preuve de l’acte et de son contenu, voir Partie 5, Chapitre 3. 332 Cass., 29 septembre 1982, R.G.A.R., 1983, n°10656.

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TITRE 2. LES DÉLITS ET QUASI-DÉLITS Le Code civil traite « des délits et des quasi-délits » aux articles 1382 à 1386. Dans la foulée, l’article 1386bis réglemente la réparation du dommage causé par les anormaux. Nonobstant le petit nombre de dispositions légales concernées, la matière de la responsabilité civile extra-contractuelle est très vaste. Elle fera l’objet d’un enseignement distinct à l’occasion d’une partie du cours « Droit des contrats et de la responsabilité civile ».

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TITRE 3. LES QUASI-CONTRATS La notion de « quasi-contrat » n’est pas dépourvue d’ambiguïté 333 et a d’ailleurs été souvent critiquée. Le Code civil réglemente deux quasi-contrats : la gestion d’affaires (Articles 1372 à 1375) et le paiement de l’indu (Articles 1376 à 1381). La jurisprudence et la doctrine ont mis en évidence un troisième mécanisme du même type : l’enrichissement sans cause. Les obligations qui trouvent leur source dans un quasi-contrat produisent les mêmes effets que les obligations de nature contractuelle. Le quasi-contrat est néanmoins étranger à tout accord de volontés. Il a pour origine un fait volontaire ou involontaire d’une personne et pour objet de mettre un terme à un déséquilibre injustifié entre deux patrimoines. Chapitre 1. La gestion d’affaires

Pour en savoir plus : - N. BANNEUX, « L’utilité de la gestion d’affaires dans les prestations alimentaires », Act. dr., 2002, pp. 494-499. - L. CORNELIS, « Hulp gevraagd ! », T.P.R., 2001, pp. 489-495. - I. SAMOY, « Zaakwaarneming : de rol en de gevolgen van vertegenwoordiging », in S. STIJNS et P. WÉRY (Ed.), Les sources d’obligations extracontractuelles, La Charte, 2007, pp. 173-208. - P. WÉRY, « Le caractère “volontaire” de la gestion d’affaires et des quasi-contrats », R.C.J.B., 2007, pp. 181-238.

Section 1. Notion Le Code civil ne fournit aucune définition de la gestion d’affaires, à laquelle sont consacrés les articles 1372 à 1375. Il y a gestion d’affaires lorsqu’une personne – qu’on appelle le gérant – accomplit des actes de gestion des affaires d’une autre personne – qu’on

333 PLANIOL écrivait à ce sujet : « Il n’y a peut-être pas dans le droit tout entier une expression qui soit plus fausse ni plus trompeuse » (Traité, t. II, 4e éd., p. 811).

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appelle le maître de l’affaire – sans y être obligé, contractuellement ou légalement, et sans en avoir été préalablement chargé. A l’origine, l’intervention du gérant se produit au surplus à l’insu du maître de l’affaire. La gestion d’affaires s’analyse dès lors comme un service rendu basé sur une idée de bienfaisance, mais néanmoins dépourvu de toute intention libérale dans le chef du gérant. La réglementation de ce mécanisme poursuit dès lors un double objectif : - D’une part, rétribuer celui qui rend un service nécessaire, - D’autre part, protéger le maître de l’affaire contre toute immixtion

excessive dans la gestion de ses affaires. L’exemple classique de la gestion d’affaires est celui où une personne intervient en effectuant des travaux ou en faisant effectuer ceux-ci pour sauvegarder un bien qui ne lui appartient pas, alors que le propriétaire de celui-ci est absent. On a également recours à la gestion d’affaires pour justifier l’indemnisation de celui qui accomplit un acte de sauvetage au profit d’un tiers334.

Section 2. Gestion d’affaires et contrat de mandat Sans doute, la gestion d’affaires présente-t-elle certaines caractéristiques communes avec le contrat de mandat. Il convient cependant de distinguer ces deux mécanismes. • Le mandat est un contrat qui implique dès lors l’existence d’un accord

préalable entre les parties contractantes. Tel n’est pas le cas de la gestion d’affaires qui résulte d’une initiative personnelle du gérant sans qu’il ait été chargé d’intervenir par le maître de l’affaire.

• Le contrat de mandat a nécessairement pour objet l’accomplissement

par le mandataire d’actes juridiques, alors que le gérant d’affaires peut être amené à poser tant des actes juridiques que des actes matériels.

334 J.P. Jodoigne-Perwez, 14 septembre 2012, J.L.M.B., 2013, p. 1722.

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• Agissant par le biais du mécanisme de la représentation, le mandataire

est en principe sans aucun lien de droit avec le tiers à l’égard duquel il s’est engagé. Cet engagement produira en effet directement ses effets dans le chef du mandant.

Le gérant d’affaires peut, quant à lui, être personnellement engagé à l’égard du tiers, spécialement lorsqu’il aura agi sans révéler le cadre juridique dans lequel il est amené à intervenir. Le cas échéant, la ratification par le maître de l’affaire aura cependant pour effet de transformer la gestion d’affaires en mandat.

• Le contrat de mandat prend fin au décès du mandant (article 2003 du

Code civil). Tel n’est pas le cas de la gestion d’affaires qui se poursuit au-delà du décès du maître de l’affaire (Article 1373 du Code civil ).

Section 3. Conditions Cinq conditions cumulatives doivent être réunies pour qu’il soit fait application du mécanisme de la gestion d’affaires. Si l’une de ces conditions fait défaut, il n’y a pas gestion d’affaires. Dans certains cas, il pourra y avoir enrichissement sans cause pour autant que les éléments constitutifs de cet autre mécanisme soient réunis.

A. L’absence de toute obligation légale ou contractuelle d’agir La gestion d’affaires requiert une intervention spontanée du gérant dans les affaires du maître. Elle ne se conçoit dès lors que si le gérant prend réellement l’initiative de la gestion. Tel ne sera pas le cas si l’intervention du gérant se fonde soit sur une obligation légale335, soit sur une obligation contractuelle d’agir.

335 Mons, 13 septembre 2011, Bull. Ass., 2012, p. 377.

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B. L’absence d’opposition de la part du maître L’article 1372 du Code civil exclut que le maître de l’affaire doive nécessairement ignorer l’intervention du gérant. Il est toutefois requis que le maître ne s’oppose pas à une telle intervention. Si tel était le cas, celui qui entreprendrait néanmoins de gérer les affaires d’autrui engagerait sa responsabilité et ne pourrait invoquer les effets découlant de la gestion d’autrui. Dès le moment où le maître de l’affaire manifeste son souhait de mettre fin à la gestion, le gérant est tenu de respecter la volonté exprimée et doit dès lors mettre fin à son intervention. Si le maître de l’affaire est avisé de l’intervention du gérant et ne s’y oppose pas, la gestion d’affaires se poursuit.

C. L’absence d’intention libérale dans le chef du gérant Si le gérant d’affaires agit par bienfaisance, il n’y a pas de gestion d’affaires, mais accomplissement d’un acte unilatéral à titre gratuit ou donation. En cas de litige sur l’intention du gérant, il appartiendra au maître de l’affaire d’apporter la preuve de l’intention libérale ayant existé dans le chef du gérant.

D. L’intention de gérer les affaires d’autrui On a déjà souligné que la gestion d’affaires supposait une idée de bienveillance dans le chef du gérant336. Cette condition exclut dès lors la gestion d’affaires dans l’hypothèse où l’immixtion dans les affaires d’autrui se fonde sur la volonté de veiller à la sauvegarde de ses intérêts personnels.

336 Cass., 6 janvier 2005, R.C.J.B., 2007, p. 175.

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E. La nécessité de la gestion d’affaires Cette condition a pour but d’éviter que la bienveillance envers autrui ne devienne envahissante ou inopportune. La gestion d’affaires doit être non seulement utile, mais également nécessaire337. L’utilité est appréciée au moment de l’intervention du gérant. La nécessité de la gestion d’affaires est, quant à elle, indépendante du succès de l’intervention du gérant : il faut, mais il suffit, que celle-ci se révèle indispensable.

Section 4. Effets La gestion d’affaires est source de droits et obligations, non seulement dans les rapports qui naissent entre le gérant et le maître de l’affaire, mais également dans les rapports de ceux-ci avec les tiers.

A. Rapports entre le gérant et le maître de l’affaire

1. Obligations du gérant On distingue généralement trois obligations mises à charge du gérant d’affaires, à savoir : o Poursuivre la gestion entamée : une fois qu’il est intervenu dans la

gestion des affaires d’autrui, le gérant doit poursuivre cette gestion jusqu’au moment où le maître de l’affaire est en mesure de gérer ses affaires personnellement ou par mandataire interposé338.

Le gérant d’affaires ne peut dès lors se désintéresser de la gestion commencée, ni abandonner celle-ci. L’article 1373 du Code civil précise d’ailleurs que cette obligation s’impose au gérant d’affaires même en cas de décès du maître de l’affaire « jusqu’à ce que l’héritier ait pu en prendre la direction ».

337 Mons, 14 février 2005, R.G.D.C., 2012, p. 56. 338 Liège, 30 juin 2006, J.L.M.B., 2006, p. 1652.

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Seule l’impossibilité pour le gérant d’affaires de poursuivre sa mission mettra dès lors un terme à celle-ci. Tel est notamment le cas lorsque le gérant d’affaires décède. Le cas échéant, les héritiers de celui-ci ne seront pas tenus de poursuivre la gestion. Ils devront toutefois avertir le maître de l’ouvrage et procéder à la reddition de comptes.

o Gérer en bon père de famille : l’article 1374 du Code civil précise que le

gérant d’affaires est tenu d’apporter à la gestion « tous les soins d’un bon père de famille ». Il pourra dès lors être tenu pour responsable des dommages causés par sa faute ou sa négligence.

La responsabilité du gérant d’affaires sera toutefois appréciée de manière plus ou moins rigoureuse en fonction des circonstances dans lesquelles le gérant est intervenu (Article 1374, al. 2 du Code civil). En toutes hypothèses, il incombera au maître de l’affaire d’apporter la preuve de la faute du gérant.

o Rendre compte de sa gestion : bien que non expressément prévue par

les dispositions du Code civil relatives à la gestion d’affaires, cette obligation relève du bon sens. Elle constituera en effet la base de l’indemnisation que le gérant sera fondé à réclamer au maître de l’affaire.

2. Obligations du maître de l’affaire Ces obligations sont subordonnées à une condition de base : l’utilité de l’intervention du gérant d’affaires (Article 1375 du Code civil)339. Cette condition d’utilité s’apprécie au moment de l’intervention du gérant. Elle constitue une garantie contre les immixtions abusives de celui-ci dans les affaires d’autrui. S’il n’a pas la capacité requise, le gérant d’affaires doit s’abstenir d’intervenir. A défaut, le maître de l’affaire ne sera pas tenu à son égard des obligations suivantes : o Remplir les engagements contractés au nom du maître de l’affaire par le

gérant : lorsque le gérant d’affaires a avisé le tiers de sa qualité, le lien de droit entre le maître de l’affaire et le tiers naît du seul fait de l’utilité

339 J.P. Fontaine-l’Evêque, 4 septembre 2008, J.LM.B., 2009, p. 610 ; Comm. Mons, 28 février 2008, R.G.D.C., 2008, p. 283.

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de la gestion. Si celle-ci est établie, le tiers n’aura d’action que contre le maître de l’affaire.

o Indemniser le gérant d’affaires pour les engagements que celui-ci a pris

personnellement : lorsque le gérant d’affaires n’a pas avisé le tiers de sa qualité, le maître doit le libérer de ses engagements et les prendre à son compte.

o Rembourser au gérant d’affaires les dépenses nécessaires ou utiles qu’il

a exposées : le gérant a pu devoir effectuer des dépenses pour mener à bien sa mission. Il est normal que ces dépenses lui soient remboursées, pour autant qu’elles revêtent un caractère de nécessité ou d’utilité. Le gérant d’affaires n’obtiendra donc pas le remboursement des éventuelles dépenses somptuaires qu’il aurait été amené à engager.

On admet par ailleurs que le maître de l’affaire doive rembourser au gérant les intérêts des sommes avancées par celui-ci dans le cadre de sa mission, à partir du jour où les avances ont été effectuées.

B. Rapport avec les tiers Le problème est de déterminer à qui les tiers, avec lequel le gérant d’affaires a été amené à contracter, peuvent et doivent s’adresser pour obtenir l’exécution de l’obligation dont ils seraient créanciers. La réponse à cette question impose de distinguer deux cas, selon que le gérant d’affaires a avisé ou non le tiers cocontractant de sa qualité : - Le gérant d’affaires est intervenu au nom d’autrui (alieno nomine) : Il

n’est pas tenu à l’égard du tiers avec qui il a contracté, pour autant qu’il ne se soit pas engagé personnellement.

Le tiers n’aura donc de recours que contre le maître de l’affaire, pour autant que les conditions de la gestion d’affaires soient réunies. A défaut, ni le gérant, ni le maître ne seront tenus à l’égard du tiers.

- Le gérant d’affaires est intervenu en son nom propre (non alieno

nomine) : Il sera personnellement tenu à l’égard des tiers et devra

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exercer un recours à l’encontre du maître de l’affaire pour être indemnisé.

Le tiers ne disposera par contre d’aucune action à l’égard du maître de l’affaire, sauf dans l’hypothèse où celui-ci aurait ratifié l’engagement souscrit par le gérant.

Section 5. Preuve Le gérant d’affaires doit apporter la preuve que toutes les conditions de la gestion d’affaires sont réunies. Cette preuve pourra être rapportée par toutes voies de droit, ainsi que le confirme l’article 1348 du Code civil.

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Chapitre 2. Le paiement de l’ indu

Pour en savoir plus : - M.-P. NOEL, « Le paiement indu », in S. STIJNS et P. WÉRY (Ed.), Les sources d’obligations extracontractuelles, La Charte, 2007, pp. 99-171.

Généralement considéré comme un cas particulier du principe de l’enrichissement sans cause, le paiement de l’indu est régi par les articles 1376 à 1381 du Code civil, mais également par l’article 1235 du même Code.

Section 1. Notion Toute personne qui reçoit un paiement qui ne lui était pas dû est soumise à l’obligation légale de restituer ce qu’elle a reçu ou ce dont elle a bénéficié. Cette obligation est indépendante de la bonne ou de la mauvaise foi du bénéficiaire du paiement, celle-ci n’ayant d’incidence que sur l’étendue de l’obligation de restitution. L’examen de ce mécanisme doit cependant prendre en considération le fait qu’un tiers, même non intéressé, peut exécuter une obligation en lieu et place du véritable débiteur (Article 1236, al. 2 du Code civil). Comme dans le contrat de prêt, l’obligation essentielle est de restituer ce qui a été reçu. En l’espèce, cette obligation ne naît toutefois pas d’un contrat, mais de ce qu’on appelle généralement un « quasi-contrat ».

Section 2. Conditions L’obligation de restituer l’indu requiert la réunion de deux conditions. Pour la clarté de l’exposé, nous en isolerons une troisième, généralement traitée comme une exception à l’une des hypothèses envisageables de paiement indu.

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A. L’existence d’un (prétendu) paiement Pour les rédacteurs du Code civil, le paiement constitue le mode d’extinction normal d’une obligation. Il consiste dans l’accomplissement de la prestation attendue de la part du débiteur. Le paiement ne doit dès lors pas être réduit à son acception classique consistant dans la remise d’espèces. En d’autres termes, la forme et l’objet du paiement importent peu.

B. Le caractère indu du (prétendu) paiement Trois situations peuvent se présenter : • L’absence de dette : un « paiement » a été effectué, alors qu’il n’y avait

(plus) aucune dette le justifiant (Article 1235 du Code civil).

Tel serait le cas du solvens payant plus qu’il ne doit ou payant ce qui a déjà été payé. Par contre, le paiement d’une dette prescrite ne peut être assimilé à la situation commentée, dans la mesure où la prescription ne fait pas disparaître la dette. Elle ne met un terme qu’à l’exigibilité de celle-ci.

• Le paiement effectué à une personne qui n’est pas le véritable créancier

(Article 1376 du Code civil).

L’accipiens, c.à.d. celui qui reçoit le « paiement », n’est en réalité pas le créancier de celui qui l’a effectué. Tel serait, par exemple, le cas d’un virement bancaire effectué en faveur d’un numéro de compte erroné.

• Le paiement effectué par une personne qui n’est pas le véritable

débiteur (Article 1377 du Code civil) 340.

Cette hypothèse est la plus problématique au regard de l’article 1236 du Code civil.

340 Civ. Liège, 23 novembre 2004, inédit (R.G. 03/223/A).

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Elle requiert l’existence d’une erreur dans le chef du solvens quant à sa qualité de débiteur. Tel est parfois le cas, selon les circonstances de l’espèce, de l’assureur de responsabilité civile qui procède à l’indemnisation d’une victime sans attendre l’issue d’une procédure judiciaire relative à la responsabilité de l’accident litigieux qui serait imputé ultérieurement au conducteur adverse de son assuré.

L’article 1377, al. 2 du Code civil exclut toutefois l’action en répétition lorsque l’accipiens a supprimé ou détruit le titre dont il disposait après avoir enregistré le paiement. A défaut d’une telle règle, l’accipiens aurait en effet été contraint de restituer ce qu’il a reçu, sans plus disposer de la possibilité d’exiger l’exécution de l’obligation de la part du véritable débiteur. Si le titre du créancier a été supprimé, le solvens n’aura donc d’autre possibilité que d’exercer un recours contre le véritable débiteur sur base de l’enrichissement sans cause.

C. L’existence d’une erreur dans le chef du solvens Cette condition a été analysée dans le cadre de la troisième hypothèse du caractère indu du paiement. Nous n’y reviendrons pas, si ce n’est pour souligner que l’existence d’une erreur dans le chef du solvens ne constitue pas une condition de l’action en répétition de l’indu dans les autres hypothèses visées aux articles 1235 et 1376 du Code civil.

Section 3. Effets Le paiement de l’indu est évidemment générateur d’obligations dans le chef de l’accipiens. Il peut également l’être dans le chef du solvens.

A. Les obligations de l’accipiens Le principe est clair : l’accipiens devra en toutes hypothèses rembourser ce qui lui a été indûment payé341. Il faut cependant rappeler que l’obligation de

341 Liège, 23 mars 2007, R.R.D., 2007, p. 38.

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restitution ne trouvera pas à s’appliquer lorsque le créancier aura supprimé son titre par suite du paiement intervenu (Article 1377, al. 2 du Code civil). L’objet de la restitution qu’il devra effectuer varie toutefois selon qu’il est de bonne ou de mauvaise foi, étant entendu que la bonne foi est présumée (Article 2268 du Code civil). Le cas échéant, il incombera dès lors au solvens d’apporter la preuve de la mauvaise foi de l’accipiens, c.à.d. de ce que celui-ci avait connaissance que le paiement ne lui était pas dû. A cet égard, il faut préciser que la bonne foi doit persister jusqu’au moment de la répétition. Les articles 1378 à 1380 du Code civil énoncent les effets de la mauvaise foi de l’accipiens quant à l’étendue des restitutions : • Seul l’accipiens de mauvaise foi est tenu de restituer, outre ce qu’il a

reçu, les intérêts et les fruits depuis le jour du paiement indu (Article 1378 du Code civil). S’il est de bonne foi, l’accipiens pourra conserver les fruits et ne sera tenu au paiement d’intérêts qu’à dater de la mise en demeure qui lui aura été adressée.

• L’accipiens de mauvaise foi pourrait se voir réclamer des dommages et

intérêts sur base de l’article 1382 du Code civil. • Si l’accipiens de mauvaise foi a vendu la chose qui lui a été remise, il sera

tenu de restituer au solvens la valeur effective de celle-ci, indépendamment du prix obtenu.

Par contre, l’accipiens de bonne foi sera libéré par la restitution dudit prix, même si celui-ci est inférieur à la valeur de la chose remise.

• L’accipiens de mauvaise foi sera tenu de la destruction ou de la

détérioration de la chose par sa faute, voire par cas fortuit. De son côté, l’accipiens de bonne foi sera libéré par la restitution de la chose dans l’état où elle se trouve.

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B. Les obligations du solvens Il peut arriver que l’accipiens ait été amené à exposer des frais en vue de conserver la chose qui lui a été remise indûment. L’article 1381 du Code civil impose au solvens de rembourser « toutes les dépenses nécessaires et utiles » qui ont été faites à cette fin. Par application de la théorie des impenses, le solvens est donc tenu de rembourser à l’accipiens les impenses nécessaires dans leur totalité et les impenses utiles à concurrence de la plus-value apportée à la chose 342. Cette obligation s’impose au solvens, que l’accipiens ait été de bonne ou de mauvaise foi.

Section 4. Preuve Conformément aux principes généraux qui régissent la matière, il incombe à celui qui réclame le remboursement d’un paiement indu d’apporter la preuve que les conditions énumérées ci-dessus sont réunies. La charge de la preuve incombe dès lors à la partie demanderesse, ce qui n’exclut pas que l’accipiens soumette au juge les éléments qu’il estime utiles à l’appui de la validité du paiement intervenu.

342 Cass., 23 décembre 1943, Pas., 1944, I, p.123.

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Chapitre 3. L’enrichissement sans cause

Pour en savoir plus : - C. GOUX, « Enrichissement sans cause, concubinage et cohabitation légale : conséquences de la loi réglant la cohabitation légale sur l’application de l’action de in rem verso », R.G.D.C., 2001, pp. 4-32. - C. MARR, « L’enrichissement sans cause. Un fondement d’équité sous une apparente rigueur … », in S. STIJNS et P. WÉRY (Ed.), Les sources d’obligations extracontractuelles, La Charte, 2007, pp. 209-257. - J.-F. ROMAIN, « La notion de cause justificative dans l’enrichissement sans cause et le mobile altruiste de l’appauvri », R.C.J.B., 2012, pp. 71-149.

Le Code Napoléon n’organise pas le régime général de l’enrichissement sans cause dans le chapitre qu’il consacre aux quasi-contrats. Il contient toutefois plusieurs applications particulières de ce mécanisme, parmi les lesquelles on peut citer à titre d’exemples : - L’article 555 du Code civil relatif au droit d’accession et au sort des

plantations, bâtiments et travaux effectués par un tiers. - Les articles 1432 et suivants du Code civil réglementant les comptes de

récompense dans le régime de la communauté légale. - L’article 1947 du Code civil déterminant les obligations de la personne

qui a fait le dépôt. La doctrine et la jurisprudence admettent néanmoins l’existence de l’enrichissement sans cause comme source d’obligation susceptible de faire l’objet de l’action de in rem verso.

Section 1. Notion L’enrichissement sans cause consiste dans un transfert d’une certaine valeur d’un patrimoine à un autre, sans qu’il y ait de justification ou de contrepartie. Il y a donc enrichissement d’une personne au détriment d’une autre par l’effet du hasard ou des circonstances, c.à.d. sans que ni l’enrichissement, ni l’appauvrissement ne se justifient par une cause343. 343 J.P. Wavre II, 19 décembre 2006, J.J.P., 2008, p. 208 ; Bruxelles, 19 juin 2009, R.G.D.C., 2013, p. 520.

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Dans pareille hypothèse, la théorie de l’enrichissement sans cause instaure une obligation de restitution à charge de l’enrichi. Dès à présent, il faut souligner que la théorie de l’enrichissement sans cause revêt un caractère subsidiaire et qu’elle ne pourra trouver à s’appliquer que dans des conditions fort restrictives.

Section 2. Conditions Tous les auteurs ne s’accordent pas à propos de l’identification des conditions d’application de la théorie de l’enrichissement sans cause. La majeure partie de la doctrine considère que ces conditions sont au nombre de cinq.

A. L’enrichissement Cette notion doit être comprise de manière très large. L’enrichissement peut en effet résulter soit d’un accroissement de l’actif, soit d’une réduction des obligations ou charges. Il peut donc s’agir de l’acquisition d’un bien ou d’une plus-value, de la jouissance temporaire d’une chose, de l’extinction d’une dette ou encore d’une dépense évitée. Tout avantage susceptible d’être chiffré peut donc être considéré comme un enrichissement.

B. L’appauvrissement Cette notion doit également être interprétée de manière large. Sans doute, se réalisera-t-elle le plus souvent par la perte de la propriété ou de la jouissance d’une chose. Il est toutefois admis qu’un effort fourni ou une prestation exécutée, voire même la perte de temps peuvent constituer des cas d’appauvrissement.

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C. Le lien causal entre l’enrichissement et l’appauvrissement Il est requis que l’enrichissement soit la conséquence de l’appauvrissement. Sans ce dernier, il ne pourrait dès lors pas y avoir eu d’enrichissement344. Ce lien causal s’apprécie in concreto.

D. L’absence de cause valable Il est impératif que ni l’enrichissement, ni l’appauvrissement n’aient de cause, c.à.d. de contrepartie ou de justification, ni d’ordre économique, ni d’ordre moral 345. Si l’enrichissement ou l’appauvrissement ont une cause, il n’y aura pas lieu à restitution. Il ne sera donc pas satisfait à cette condition lorsque le déplacement de richesse trouve sa cause dans la loi, dans un contrat346, dans la volonté de l’appauvri animée par une intention libérale 347 ou de spéculation, dans une faute commise par l’appauvri, voire même dans un contrat conclu entre l’enrichi et un tiers 348.

E. Le caractère subsidiaire Il est requis que la partie appauvrie ne puisse disposer d’aucun autre recours, de nature contractuelle ou non, pour faire valoir ses prétentions349. Ce caractère subsidiaire exclut notamment le recours à la théorie de l’enrichissement sans cause, lorsque la partie appauvrie pourrait agir sur base de la gestion d’affaires ou du paiement de l’indu. 344 Liège, 15 mars 2011, J.L.M.B., 2012, p. 219. 345 Cass., 27 mai 1909, Pas., 1909, I, p.272. Comp. J.-Fr. ROMAIN, « La notion de cause justificative dans l’enrichissement sans cause et le mobile altruiste de l’appauvri », note sous Cass., 19 janvier 2009, R.C.J.B., 2012, pp. 71 et s. (en part. pp. 112 à 122). 346 Voy. Cass., 5 juin 2015, R.G. C.14.0354.N. En l’espèce, il a été jugé que l’existence d’un contrat de prêt, même insuffisamment prouvé, constitue la cause de l’appauvrissement du demandeur à l’action de in rem verso. 347 Liège, 29 septembre 2004, J.T., 2005, p. 522 ; Mons, 24 mai 2005, J.T., 2005, p. 521. Voy. ég. Cass., 23 octobre 2014, R.G.D.C., 2015, p. 559. 348 Cass., 9 mars 1950, Pas., 1950, I, p.491. 349 J.P. Fontaine-l’Evêque, 5 février 2009, R.R.D., 2008, p. 508

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Il faut en outre préciser que ce caractère subsidiaire ne permet pas de pallier l’absence de preuve qu’une partie aurait négligé de se ménager350.

Section 3. Effets Si les conditions de la théorie de l’enrichissement sans cause sont réunies, l’enrichi aura l’obligation d’indemniser l’appauvri. Cette indemnisation interviendra en nature. Si toutefois le remboursement en nature est impossible, elle consistera dans le paiement d’une indemnité 351. Dans certains cas, le législateur a prévu expressément les modalités de l’obligation de restitution par l’enrichi (ex. : article 555 du Code civil). Dans d’autres cas, le montant de l’indemnité sera plafonné tant par celui de l’appauvrissement que par celui de l’enrichissement. En d’autres termes, l’obligation de restitution portera sur le plus faible de ces montants. Pour la détermination de ceux-ci, il est admis que l’appréciation s’effectue au moment de l’introduction de l’action de in rem verso. Précisons enfin qu’aucune distinction n’est établie entre l’enrichi de bonne foi et l’enrichi de mauvaise foi.

350 Pour un cas d’application : Mons, 30 juin 2014, R.G.D.C., 2016, p. 99. 351 Liège, 2 mars 2005, J.T., 2005, p. 557 ; Liège, 11 mars 2015, R.G.D.C., 2016, p. 94.

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TITRE 4. L’ENGAGEMENT PAR VOLONTÉ UNILATÉRALE [VERBINTENIS UIT EENZIJDIGE WILSVERKLARING]

Pour en savoir plus : - P. VAN OMMESLAGHE, « L’engagement par volonté unilatérale en droit belge », J.T., 1982, pp. 144-149. - A. DE BOECK, « De verbintenis uit eenzijdige wilsverklaring », in S. STIJNS et P. WÉRY (Ed.), Les sources d’obligations extracontractuelles, La Charte, 2007, pp. 19-46. - J.-F. GERMAIN, « Les déclarations constitutives d’engagements par volonté unilatérale : verba manent ? », Forum de l’assurance, n° 99, décembre 2009, pp. 207-211.

Cette source d’obligations a été complètement ignorée par les rédacteurs du Code civil. L’article 1370 du Code civil n’y fait en effet aucune allusion. Après d’abondantes controverses, la doctrine et la jurisprudence admettent actuellement la force obligatoire de l’engagement par manifestation unilatérale de volonté. Rien n’empêche dès lors plus le débiteur de s’engager par sa seule volonté, sans qu’il lui soit possible de revenir sur l’engagement qu’il aura ainsi pris. Chapitre 1. Notion L’engagement par volonté unilatérale est en réalité un acte juridique unilatéral entraînant des effets de droit par la seule manifestation de la volonté de son auteur dans des conditions suffisamment certaines et extériorisées 352. Ces effets peuvent être divers : Il s’agira tantôt de créer des droits et/ou obligations, tantôt de les reconnaître, tantôt de les déclarer, tantôt de les éteindre. Pour produire de tels effets, l’engagement par volonté unilatérale doit par ailleurs faire l’objet d’une certaine extériorisation destinée à porter la volonté de son auteur à la connaissance de celui ou de ceux à l’égard desquels il souhaite se lier. 352 P. VAN OMMESLAGHE, « Sûretés issues de la pratique et autonomie de la volonté », Les sûretés. Colloque des 20 & 21 octobre 1983, Feduci, 1983, p. 351.

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La reconnaissance de cette source autonome d’obligations s’est manifestée pour la première fois dans un arrêt de la Cour de Cassation du 18 décembre 1974 353 qui considérait que la prime de fin d’année fait partie du salaire lorsque les travailleurs y ont droit « non seulement en vertu du contrat, mais aussi en vertu d’une obligation unilatérale souscrite par l’employeur ». Cet arrêt a, à l’époque, fait l’objet de réactions dubitatives de la part de certains auteurs. Plus aucun doute n’est cependant permis depuis le prononcé par notre Cour suprême de deux arrêts en date du 9 mai 1980 354, lesquels énoncent expressément que « la force obligatoire d’une offre trouve son fondement dans un engagement par volonté unilatérale ». Chapitre 2. Cas d’application L’exemple le plus fréquemment mis en exergue est celui de l’offre que nous avons déjà examinée dans le cadre de la formation du contrat 355. D’autres hypothèses peuvent toutefois être mises en évidence, parmi lesquelles : - La garantie à première demande ; - La quittance d’assurance contenant engagement d’indemniser la

victime ; - La promesse de récompense [prijsuitloving] ; - La renonciation à une succession ou l’acceptation d’une succession sous

bénéfice d’inventaire ; - La résiliation d’un contrat.

353 Pas., 1975, I, p.425. 354 Pas., 1980, I, p.1120 et Pas., 1980, I, p.1127. 355 Partie 1, Titre 1, Chapitre 3, Section 2.

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Chapitre 3. Conditions Bien que le Code civil n’y fasse aucune allusion, il est admis que les conditions de validité énoncées à l’article 1108 du Code civil trouvent à s’appliquer non seulement au contrat, mais également à l’engagement par volonté unilatérale. Pour rappel, ces conditions sont les suivantes : - le consentement de l’auteur de l’acte, - sa capacité de contracter, - un objet certain qui forme la matière de l’engagement, - une cause licite. Les développements consacrés aux quatre conditions énumérées par cette disposition trouvent dès lors à s’appliquer dans le cas présent. On relèvera toutefois certaines particularités à propos du consentement et de la cause. - Au niveau du consentement, il est en effet admis que, s’agissant du dol, celui-ci émane forcément d’un tiers à l’acte et non du « cocontractant » visé à l’article 1116 du Code civil, dans la mesure où ce dernier est inexistant dans l’hypothèse d’un acte unilatéral. S’agissant de l’erreur, la différence se situe au niveau de la détermination du caractère substantiel ou non de celle-ci dans l’hypothèse où ce caractère n’est pas révélé d’emblée par référence au critère de l’ « opinion générale ». En matière contractuelle, rappelons que ce caractère substantiel doit avoir été connu de la victime de l’erreur et de son cocontractant. Dans l’hypothèse d’un acte unilatéral, seule la volonté de l’auteur de l’acte, victime de l’erreur, servira à déterminer si l’erreur a été ou non commise sur un élément substantiel dans la mesure où le cocontractant est inexistant dans ce cas de figure. - Au niveau de la cause, certains auteurs ont formulé l’exigence que les mobiles déterminants d’un acte unilatéral répondent à des critères objectifs. Dans cette conception, on ne parlera d’erreur sur la cause ou de fausse cause que lorsque l’erreur porte sur le droit même déterminé par l’acte. Pour d’autres, les mobiles déterminants sont plus larges et visent toutes les conséquences objectives ou subjectives que l’auteur de l’engagement a cru attachées à l’acte unilatéral.

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Dans son arrêt du 23 décembre 1991, la Cour d’appel de Mons opte clairement pour cette seconde opinion en énonçant qu’ « en matière d’actes unilatéraux, c’est par référence aux « mobiles déterminants » que l’on définit la cause, les applications pratiques concernant généralement des cas d’absence de cause ou de fausse cause résultant d’erreurs commises par l’auteur de l’acte à propos des circonstances l’ayant déterminé à agir »356. Outre le respect des conditions de validité qui précèdent, la volonté exprimée unilatéralement doit « tendre à des conséquences de droit »357. Ce critère permet de distinguer l’engagement par volonté unilatérale de simples déclarations dépourvues de caractère obligatoire. Chapitre 4. Formation Nous renvoyons par ailleurs aux conditions identifiées dans le cadre de la formation du contrat au point de vue dynamique. Pour être créateur d’obligations, l’engagement par volonté unilatérale doit répondre aux conditions identifiées par rapport au mécanisme de l’offre de contrat, à savoir : • Contenir la volonté ferme de s’engager juridiquement ; • Etre formulée de manière complète ; • Etre portée à la connaissance du bénéficiaire par l’auteur de

l’engagement par volonté unilatérale ou son mandataire.

Il faut toutefois noter que cette troisième condition ne trouve à s’appliquer que pour les actes dits réceptices [mededelingsplichtig] tels que l’offre ou la résiliation de contrat. Il existe par ailleurs des actes non réceptices [niet-mededelingsplichtig], dont l’efficacité est totale avant même d’avoir été portés à la

356 J.L.M.B., 1992, p. 1200. Dans le cas d’espèce, un employé avait remis sa démission – acte juridique unilatéral – en croyant erronément que son employeur détenait des preuves péremptoires de l’existence de fautes professionnelles graves alors que tel n’était pas le cas. La Cour a considéré que la démission était nulle pour erreur sur la cause. 357 Mons, 4 février 2009, D.C.C.R., 2009, n° 99, p. 207, note J.-F. GERMAIN.

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connaissance de leur(s) destinataire(s). Tel est le cas du testament, de l’acceptation d’une succession ou encore de la promesse de récompense.

Chapitre 5. Caractères L’engagement par volonté unilatérale répond à deux caractères : • Il est irrévocable [onherroepelijk] dès l’instant où il est juridiquement

parfait. Selon qu’il s’agit dès lors d’un acte réceptice ou non, l’auteur de cet engagement sera lié dès qu’il aura été porté à la connaissance de son destinataire ou dès qu’il aura été extériorisé.

• Il est indivisible [onverdeelbaar] : Il forme dès lors un tout dont ni

l’auteur, ni le destinataire ne peuvent sélectionner les aspects qui présentent un intérêt pour chacun d’eux. Cette indivisibilité, tant active que passive, ne permet dès lors pas à l’auteur de modifier les conditions ou l’objet de son engagement. Quant au destinataire de celui-ci, il n’a d’autre choix que de « prendre ou laisser ».

Chapitre 6. Effets S’agissant d’une réelle source d’obligations, l’engagement par volonté unilatérale fait naître un droit au profit de son destinataire. Celui-ci dispose dès lors de la possibilité d’agir en exécution forcée, afin d’obtenir la condamnation de l’auteur de l’engagement par volonté unilatérale à exécuter la prestation proposée. Lorsque l’exécution en nature est devenue impossible ou serait abusive, le destinataire de l’engagement pourra solliciter l’exécution par équivalence. Les deux autres moyens d’action du créancier impayé que constituent l’exception d’inexécution et l’action en résolution judiciaire ne trouvent pas à s’appliquer en l’espèce, eu égard à la nature même de la source de l’obligation.

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Chapitre 7. Dissolution Comme en matière contractuelle, l’acte unilatéral peut être dissous par nullité en cas de vice entachant l’une des conditions de validité ou par force majeure. En revanche, l’acte unilatéral ne peut pas être résolu, l’article 1184 du Code civil réservant cette solution aux contrats synallagmatiques. Toutefois, la résolution d’un acte unilatéral sera envisageable s’il est, dès le départ, assorti d’une condition résolutoire.

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TITRE 5. LA THÉORIE DE L’APPARENCE

Pour en savoir plus : - P. VAN OMMESLAGHE, « L’apparence comme source autonome d’obligations et le droit belge », Rev. dr. int. et dr. comp., 1983, p. 144. - G. COLLARD, « De la notion d’imputabilité et de légitimité en matière d’apparence de pouvoir de représentation des sociétés anonymes. De la nécessaire mise en balance de l’intérêt des sociétés pseudo-mandantes et de celui des tiers frustrés dans leurs expectatives », Rev. prat. soc., 2001, pp. 323-347. - C. VERBRUGGEN, « La théorie de l’apparence : quelques acquis et beaucoup d’incertitudes », Mélanges offerts à Pierre VAN OMMESLAGHE, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 301. - P. CORVILAIN et F. GLANSDORFF, « Mandat de l’avocat et apparence », Cah. dr. jud., 1993, pp. 83-89. - P.-A. FORIERS et R. JAFFERALI, « Le mandat (1991-2004) », Actualités de quelques contrats spéciaux, Coll. UB3, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 91. - P.-A. FORIERS, « Actualités en matière de représentation », Actualités de droit des obligations, coll. UB3, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 1-22. - S. STIJNS et I. SAMOY, « La confiance légitime en droit des obligations », S. STIJNS et P. WÉRY (Ed.), Les sources d’obligations extracontractuelles, La Charte, 2007, pp. 47-98. - F. GEORGE, « La condition d’imputabilité dans la théorie du mandat apparent », R.G.D.C., 2011, pp. 303-310. - R. THUNGEN, « L’apparence en droit civil et ses effets », Apparences, simulations, abus et fraudes. Aspects civils et fiscaux, Limal, Anthemis, 2015, pp. 51 à 88.

Egalement appelée « théorie de la confiance légitime », cette source d’obligation fait encore actuellement l’objet de vives controverses. Chapitre 1. Notion La théorie de l’apparence a pour conséquence de générer des droits et des obligations lorsqu’une personne a, par son comportement, fait naître dans le chef d’un tiers, la croyance légitime en une situation apparente358. Cette théorie a été consacrée par la Cour de cassation dans une de ses applications : le mandat apparent [schijnvertegenwoordiging] où le mandant peut être tenu des conséquences d’un acte commis par un mandataire au-delà des pouvoirs de celui-ci, « non seulement dans le cas où il a fautivement créé l’apparence, mais également en l’absence d’une

358 Liège, 15 février 2007, J.L.M.B., 2008, p. 1787.

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faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime » 359. Encore faut-il, cependant, que l’apparence soit imputable au mandant apparent360, ce qui implique que ce dernier ait librement, par son comportement, même non fautif, contribué à créer ou à laisser subsister cette apparence. Tel ne sera évidemment pas le cas lorsqu’un agent immobilier, mandataire du propriétaire, signe un compromis de vente « sous réserve de ratification » par ce dernier361. Chapitre 2. Conditions d’application Quatre conditions doivent être réunies pour qu’il puisse être fait application de la théorie de l’apparence : • L’existence d’une situation apparente qui ne correspond pas à la réalité ; • La personne qui se prévaut de l’apparence doit avoir réellement ignoré

que la situation apparente ne correspondait pas à la réalité et cette ignorance doit être légitime362 ;

• Le titulaire du droit doit avoir contribué à créer l’apparence de droit ou,

à tout le moins, toléré l’apparence créée par autrui 363 ; • Le tiers doit subir un préjudice dans l’hypothèse où aucun effet ne

résulterait de la situation apparente.

359 Cass., 20 juin 1988, R.C.J.B., 1991, p.45. 360 Cass., 20 janvier 2000, R.D.C., 2000, p. 483 + note P.-A. FORIERS. 361 Mons, 19 janvier 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1033. 362 Liège, 28 mai 2009, J.L.M.B., 2012, p. 488 ; J.P.Verviers (1er canton), 4 juin 2007, J.L.M.B., 2007, p. 1364; J.P. Tournai (2d canton), 10 novembre 2015, J.T., 2016, p. 196. 363 Liège, 28 mai 2009, J.L.M.B., 2012, p. 488 ; Cass., 2 septembre 2010, J.L.M.B., 2011, p. 1804 ; Bruxelles, 29 novembre 2013, J.L.M.B., 2014, p. 1835.

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Chapitre 3. Effets Le tiers victime de l’apparence pourra se prévaloir des droits qu’il aurait acquis si la situation apparente avait été conforme à la réalité.

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PARTIE 2.

LES MODALITÉS DES OBLIGATIONS Le schéma de base examiné dans la première partie du cours est celui d’une obligation unique mettant en présence un seul débiteur et un seul créancier. Au surplus, la naissance et l’exécution de cette obligation n’étaient nullement différées. La réalité sociale est plus complexe : - D’une part, les parties peuvent décider de retarder la naissance ou l’exigibilité d’une obligation, voire d’en limiter les effets dans le temps (titre 1). - D’autre part, l’obligation peut porter sur plusieurs objets (titre 2). - Enfin, le lien de droit peut mettre en présence plusieurs créanciers et/ou plusieurs débiteurs (titre 3). Ces modalités peuvent au surplus être combinées, même si tel n’est pas nécessairement le cas.

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TITRE 1 : LE TERME [TIJDSBEPALING] ET LA CONDITION [VOORWAARDE]

Pour en savoir plus : - X. DIEUX, « Des effets de la tutelle d’approbation sur les contrats conclus avec une autorité publique subordonnée », A.P.T., 1984, pp. 145-163. - I. DURANT et M. CLAVIE, « La vente conditionnelle, bien plus qu’une abréviation de langage », in B. DUBUISSON et P. WÉRY (Ed.), La mise en vente d’un immeuble. Hommage au professeur Nicole Verheyden-Jeanmart, Larcier, 2005, pp. 75-132. - P.-A. FORIERS, « Propos sur la condition résolutoire purement potestative », in X., Liber amicorum Yvette Merchiers, La Charte, Bruges, 2001, pp. 115-126. - Ph. GÉRARD, « Vers une définition nouvelle de l’obligation sous condition suspensive (Note sous Cass., 15 mai 1986) », R.C.J.B., 1990, pp. 108-128. - J. HERBOTS, « Contrat sous condition suspensive : conséquences de la faute commise par une partie ‘pendente conditione’ (Note sous Cass., 5 juin 1981) », R.C.J.B., 1983, pp. 204-222. - P. VAN DEN EYNDE, « Le compromis de vente. Les conditions suspensives et résolutoires en droit civil », in Le compromis de vente. Effets civils et fiscaux, Anthemis, Louvain-la-Neuve, 2006, pp. 31-38. - M. VAN QUICKENBORNE, « Libres propos sur la défaillance d’une condition suspensive », R.C.J.B., 2009, pp. 292-324. - B. KOHL & F. ONCLIN, « Exigences administratives et condition suspensive dans la vente immobilière », R.C.J.B., 2014, pp. 13-55.

Les parties peuvent décider de faire dépendre l’exigibilité ou l’extinction d’un droit, d’un événement nécessairement futur, dont la survenance sera certaine ou non 364. Dans le premier cas, l’obligation sera affectée d’un terme, tandis qu’on parlera d’une condition dans la seconde hypothèse365. La Cour de Cassation a en effet rappelé que le terme se distingue de la condition par la certitude de la réalisation de l’événement, même si la date de cette réalisation n’est pas connue 366.

364 À propos de l’appréciation du caractère certain : Anvers, 8 octobre 2007, R.G.D.C., 2008, p. 256. 365 Anvers, 8 octobre 2007, R.G.D.C., 2008, p. 256. 366 Cass., 17 avril 1975, Pas., 1975, I, p. 826. Sur la distinction entre le terme et la condition, voy. Cass., 10 novembre 2011, R.G.D.C., 2013, p. 31.

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Chapitre 1 : le terme

Section 1 : Notion Le terme est un événement futur et certain [toekomstige en zekere gebeurtenis], dont la survenance ne fait dès lors guère de doute. Toutefois, le moment précis de la survenance de cet événement peut être indéterminé. Constituent des exemples de cette modalité :

• Une date précise (ex. : 14 octobre 2024) ou imprécise (ex. : Pâques 2012),

• L’expiration d’un délai d’attente (ex. : 3 mois), • Le jour de la mort d’un individu.

Un événement futur peut donc parfaitement être certain, même si le moment précis de sa réalisation, qui est inéluctable, n’est pas déterminé avec précision.

Section 2 : Types L’événement futur et certain peut affecter :

• Tantôt l’exigibilité de l’obligation : on parlera d’un terme suspensif [opschortende tijdsbepaling].

• Tantôt l’extinction de l’obligation : il s’agira du terme extinctif

[uitdovende tijdsbepaling].

A. Terme suspensif L’exigibilité de l’obligation est suspendue, c.à.d. différée jusqu’au moment de la survenance de l’événement. Il est donc clair que l’obligation existe avant celle-ci. Elle ne doit toutefois pas être exécutée dans l’immédiat.

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Le terme suspensif peut parfaitement ne pas suspendre l’exigibilité de toutes les obligations qui pèsent sur l’une, l’autre ou les deux parties. Il peut également affecter toutes ces obligations.

B. Terme extinctif La survenance de l’événement futur et certain a pour conséquence d’éteindre, c.à.d. de mettre fin à l’obligation concernée. Ici également, l’extinction peut viser tantôt une ou plusieurs obligations mises à charge de l’une, de l’autre ou des deux parties, tantôt toutes les obligations existantes entre elles. L’obligation affectée d’un terme extinctif existe dès lors normalement jusqu’au moment de la survenance de l’événement identifié.

Section 3 : Effets

A. Terme suspensif Il convient de distinguer les effets du terme suspensif avant la survenance de l’événement et au moment (ou à partir) de celui-ci.

1. Avant l’échéance du terme L’article 1185 du Code civil énonce clairement que le terme suspensif n’a pas d’effet sur l’existence de l’obligation. Seule l’exécution de celle-ci est suspendue. Il est donc clair que l’obligation (ou le droit corrélatif) existe avant la survenance de l’événement futur et certain qui aura pour conséquence de la rendre exigible [opeisbaar]. Différents effets découlent directement de cette situation :

• Le créancier peut valablement agir en justice en vue d’obtenir la reconnaissance de son droit, même avant l’échéance du terme. Pareille initiative présentera un intérêt spécialement dans l’hypothèse où le débiteur émettrait déjà des contestations quant au droit du

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créancier. Ce dernier pourrait de la sorte disposer d’un titre exécutoire lui permettant de mettre en œuvre les mesures d’exécution prévues par le Code judiciaire dès la survenance de l’événement.

Il ne faut pas pour autant en déduire que lesdites mesures pourraient être actionnées avant cette survenance367.

• Le créancier d’une obligation affectée d’un terme suspensif peut par ailleurs prendre des mesures conservatoires destinées à garantir l’exécution de l’obligation au moment de la survenance de l’événement (Article 1446 du Code judiciaire).

• Le terme suspensif peut avoir été prévu en faveur du créancier ou du débiteur de l’obligation affectée.

Dans le premier cas, le créancier peut renoncer au terme et exiger dès lors un paiement avant la survenance de l’événement.

Dans le second cas, le créancier ne dispose pas de cette faculté, ce qui n’empêche toutefois pas le débiteur de se libérer valablement avant l’échéance. Le cas échéant, le débiteur ne pourra répéter ce qu’il aura payé avant terme (Article 1186 du Code civil) : il n’y aura dès lors pas matière à application des articles 1376 et suivants du Code civil.

Si le terme a été établi au profit des deux parties, le paiement avant la survenance de l’événement futur et certain ne pourra avoir lieu que de l’accord des deux parties.

• Si l’obligation affectée d’un terme est celle de transférer la propriété d’un corps certain, les risques demeurent à charge du débiteur (Article 1138 du Code civil).

Par contre, si le terme prévu concerne l’obligation de livraison ou de restitution d’un corps certain, les risques seront à charge du créancier, conformément à l’adage « res perit domino ».

367 Cass., 8 mars 1991, Pas., 1991, I, p. 638.

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• La prescription de la créance à terme est suspendue jusqu’au jour de son exigibilité (Article 2257, al. 3 du Code civil). Le créancier ne pourrait en effet avoir à subir les conséquences de la prescription pour une créance dont l’exigibilité est suspendue.

2. A l’échéance du terme Au moment de la réalisation de l’événement, la créance devient pure et simple, ce qui permet au créancier d’en exiger le paiement et de mettre dès lors en œuvre toutes les mesures d’exécution utiles. Aucune rétroactivité ne peut cependant être invoquée par le créancier.

B. Terme extinctif La survenance de l’événement futur et certain a pour conséquence de faire disparaître l’(les)obligation(s) concernée(s). Le terme extinctif constitue dès lors un mode d’extinction des obligations.

Section 4 : Renonciation au bénéfice du terme Généralement, le terme est consenti au bénéfice du débiteur qui dispose ainsi de la possibilité de ne pas devoir exécuter immédiatement l’obligation mise à sa charge. L’article 1187 du Code civil établit d’ailleurs une présomption dans ce sens. Rien n’empêche toutefois les parties d’affecter les obligations qui pèsent sur l’une et/ou l’autre d’entre elles d’un terme en faveur du créancier (ex. : contrat de dépôt) ou des deux parties (ex. : contrat de prêt à intérêt). Il faut rappeler que seule la partie au profit de laquelle un terme a été consenti peut valablement y renoncer. Lorsque le terme a été stipulé au profit des deux parties, il est généralement admis que la renonciation ne peut avoir lieu que de l’accord des deux parties.

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Toutefois, le législateur est parfois intervenu pour déroger à cette dernière règle. On peut citer à cet égard : - L’article VII.96 du Code de droit économique en matière de crédit à la consommation.

« Le consommateur a le droit de rembourser en tout ou en partie et à tout moment le solde du capital restant dû par anticipation ».

- L’article VII.145, §1 du Code de droit économique en matière de crédit hypothécaire.

« Le consommateur a le droit d’effectuer à tout moment le remboursement total du capital. Sauf disposition contraire de l’acte constitutif, le consommateur a le droit d’effectuer à tout moment un remboursement partiel du capital. La disposition contraire ne peut exclure un remboursement partiel une fois par année civile, ni le remboursement d’un montant égal à un minimum de 10% du capital ».

Section 5 : Déchéance du terme L’article 1188 du Code civil prévoit deux hypothèses dans lesquelles le créancier d’une obligation affectée d’un terme peut néanmoins en exiger l’exécution immédiate, eu égard au péril qui affecte ses droits et qui pourrait avoir pour conséquence de menacer l’exécution de ceux-ci à l’échéance prévue. Il en résulte donc que le débiteur se voit privé de la possibilité de se prévaloir du terme consenti, même à son profit, et la créance devient dès lors immédiatement exigible. Il s’agit :

• De la faillite du débiteur.

Le prononcé d’un jugement déclaratif de faillite du débiteur a pour conséquence de rendre les dettes à terme de celui-ci, même non échues, immédiatement exigibles.

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Cette déchéance, confirmée par l’article XX.116 du Code de droit économique,368 a pour objectif d’assurer l’égalité dans le concours des créanciers.

De longue date, la jurisprudence a assimilé à la faillite l’hypothèse de la déconfiture (civile) du débiteur 369.

• De la diminution par le fait du débiteur des sûretés qu’il avait données au créancier.

Il est dès lors requis que la diminution des sûretés soit la conséquence d’une action, d’une négligence, voire même d’un oubli imputable au débiteur.

Au surplus, cette diminution doit affecter les sûretés visées par le contrat, ce qui exclut l’hypothèse d’une simple évolution défavorable du patrimoine du débiteur par le biais de dépenses exagérées ou de l’apparition de nouvelles dettes.

Une hypothèse de cette diminution pourrait être celle de la diminution de valeur ou de la destruction de l’objet donné en gage par celui-ci.

La jurisprudence assimile par ailleurs à la diminution des sûretés l’hypothèse où le débiteur ne fournit pas les sûretés promises 370.

Rien n’empêche par ailleurs les parties d’insérer d’autres causes conventionnelles de déchéance du terme dans le contrat qui les lie.

368 Précisons que l’alinéa 2 de cette disposition prévoit que les dettes non échues et ne portant pas intérêt, dont le terme serait éloigné de plus d’une année à dater du jugement déclaratif de faillite, ne sont admises au passif que sous déduction de l’intérêt légal calculé depuis le jugement déclaratif jusqu’à l’échéance. 369 Liège, 27 novembre 1889, Pas., 1890, II, p. 92 ; Bruxelles, 20 mai 1902, Pas., 1903, II, p. 200. 370 Liège, 14 novembre 1917, Pas., 1918, II, p. 57 ; Civ. Bruxelles, 15 janvier 1998, J.T., 1998, p. 337.

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Chapitre 2 : La condition

Section 1 : Notion La condition est un événement futur et incertain [toekomstige en onzekere gebeurtenis] dont les parties font dépendre une obligation. La caractéristique essentielle de cette modalité réside dans l’incertitude de l’événement : la survenance de celui-ci est sans doute possible, mais nullement garantie. Cette incertitude doit être objective. Si l’événement s’est déjà produit à l’insu des parties, il n’y a pas lieu de considérer que l’obligation revêt un caractère conditionnel. L’article 1181 du Code civil prévoit d’ailleurs qu’une telle obligation « a son effet du jour où elle a été contractée », ce qui n’est pas sans incidence notamment au niveau des risques. Si la vente est conditionnelle, le risque sera pour le vendeur (Article 1182 du Code civil), tandis que si la vente est pure et simple, le risque est pour l’acheteur. La condition affecte généralement toutes les obligations, sans que cela ne doive toutefois être toujours le cas. La condition ne constitue en effet qu’une modalité des obligations et n’a en soi pas de répercussion sur la source de l’obligation.

Section 2 : Types

A. La condition suspensive [opschortende voorwaarde] et la condition résolutoire [ontbindende voorwaarde]

A l’instar du terme, la condition peut être tantôt suspensive, tantôt résolutoire.

• La condition suspensive était classiquement considérée comme l’événement futur et incertain dont dépendait la naissance même de l’obligation 371. Avant la réalisation de la condition – et donc la survenance de l’événement –, on considérait dès lors que la

371 Cass., 9 février 1933, Pas., 1933, I, p. 103.

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naissance même de l’obligation ne pouvait avoir lieu et était dès lors différée.

Cette conception n’a plus cours depuis l’arrêt de la Cour de Cassation du 5 juin 1981 372. La Cour de Cassation a ultérieurement confirmé cette jurisprudence dans un arrêt du 15 mai 1986 373, aux termes duquel :

« Lorsqu’une obligation est contractée en vertu d’une convention sous condition suspensive, la convention existe tant que la condition est pendante, bien que l’exécution de l’obligation soit suspendue ».

La condition suspensive affecte dès lors l’exécution de l’obligation, plutôt que la naissance ou l’existence même de celle-ci.

Cette évolution n’est évidemment pas sans incidence au niveau des effets de la condition suspensive.

• La condition résolutoire : La survenance de l’événement futur et incertain entraîne l’extinction de l’obligation qui existait jusque là.

Elle s’apparente dès lors au terme extinctif, à l’exception du caractère d’incertitude qui affecte l’événement futur.

B. Variété de formes Tant la condition suspensive que la condition résolutoire peuvent revêtir différentes formes, selon la nature de l’événement futur et incertain. On distingue à cet égard :

• La condition casuelle [toevallige voorwaarde] est définie par l’article 1169 du Code civil comme « celle qui dépend du hasard ». Ni le créancier, ni le débiteur n’ont dès lors de prise sur la survenance de l’événement.

• La condition potestative [potestatieve voorwaarde] ou mixte [gemengde voorwaarde] dépend à la fois de la volonté d’une des parties et du hasard ou de la volonté d’un tiers ou encore de

372 Pas., 1981, I, p. 1149. 373 Pas., 1986, I, p. 1123.

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facteurs extérieurs qui s’imposent aux parties (Article 1170 du Code civil).

Tel serait le cas de l’obligation souscrite par le propriétaire d’un immeuble dans l’hypothèse où le locataire de celui-ci libérerait les lieux loués ou encore de l’engagement d’acheter un bien subordonné à la condition de l’obtention d’un financement 374, d’un leasing 375 ou d’un permis d’urbanisme ou d’exploitation.

Nous verrons que seule la condition purement potestative [zuiver potestatieve voorwaarde] dans le chef du débiteur, c.à.d. dépendant exclusivement de la volonté de celui-ci, n’est pas admissible.

Section 3 : Limites

A. La condition purement potestative dans le chef du débiteur L’article 1174 du Code civil prévoit la nullité de l’obligation contractée « sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige ». Cette disposition vise l’événement futur et incertain dont la survenance dépend exclusivement du bon vouloir du débiteur 376. Dans pareille hypothèse, aucune obligation ne peut en effet exister puisque le débiteur disposerait de la liberté totale d’échapper à l’engagement souscrit par lui 377. A contrario, une condition purement potestative dans le chef du créancier ne pose guère de problème. Il en va de même d’une condition résolutoire purement potestative378. La distinction entre une condition simplement potestative et une condition purement potestative est une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine du juge du fond qui aura à rechercher, le cas échéant, la volonté des parties 379. Dans le doute, la jurisprudence a plutôt tendance à considérer la condition suspensive comme simplement potestative et à valider dès lors l’obligation concernée 380. 374 Liège, 20 décembre 1962, Pas., 1963, II, p. 65. 375 Comm. Bruxelles, 7 mai 1969, J.C.B., 1970, p. 50. 376 J.P. Tournai (2e Canton), 9 décembre 2008, J.T., 2009, p. 413. 377 Cass., 13 octobre 1983, Pas., 1984, I, p. 151 ; J.P. Tournai (2ème Canton), 9 décembre 2008, J.T., 2009, p. 413. 378 Cass., 24 février 2014, R.G.D.C., 2016, p. 198. 379 Cass., 2 mai 1946, Pas., 1946, I, p. 166 ; Cass., 18 juin 1970, Pas., 1970, I, p. 925. 380 Civ. Namur, 19 juin 1970, J.L., 1970-1971, p.149.

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B. La condition impossible [onmogelijk], illicite ou immorale [ongeoorloofd]

La condition impossible ne peut être réalisée pour des raisons d’ordre matériel ou juridique. Son accomplissement est dès lors exclu, soit par les lois de la nature, soit par l’état de la législation, soit par une décision permanente des pouvoirs publics. La condition illicite ou immorale est celle dont l’accomplissement impliquerait la violation d’une disposition légale qui touche à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. La sanction d’une condition impossible, illicite ou immorale varie selon que le contrat affecté a été conclu à titre gratuit ou à titre onéreux. Dans le premier cas, l’article 900 du Code civil prévoit en effet que la condition concernée est réputée non écrite, tandis que la nullité de toute la convention est prévue par l’article 1172 du Code civil dans la seconde hypothèse381. On constate toutefois une tendance de la jurisprudence et de la doctrine à aplanir cette différence sur base de la théorie des « clauses accessoires » 382. Section 4 : Effets Tant pour la condition suspensive que pour la condition résolutoire, il convient de distinguer les effets à deux stades successifs, à savoir :

• Avant la réalisation de la condition (pendente conditionne), c.à.d. au moment où l’incertitude subsiste quant à la survenance de l’événement.

• Au moment de la réalisation de la condition, c.à.d. lorsque

l’événement initialement futur et incertain s’est réalisé. Il convient par ailleurs d’examiner la situation dans l’hypothèse où il est établi que la condition ne se réalisera pas. 381 Cass., 24 février 2011, R.C.J.B., 2014, p. 5. 382 Cass., 14 mai 1903, Pas., 1903, I, p. 216 ; Cass., 31 octobre 1952, Pas., 1953, I, p. 110 ; Mons, 1er mars 2005, J.L.M.B., 2005, p. 1506 ; H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, Bruylant, Bruxelles, T. 1, 1962, p. 232, n° 156.

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A. La condition suspensive

1. Avant la réalisation de la condition Le revirement de la jurisprudence de la Cour de Cassation évoqué ci-dessus revêt tout son intérêt à ce stade. Il était en effet antérieurement admis que la condition suspensive affectait la naissance même de l’obligation 383. Pareille conception n’a plus cours actuellement. On considère en effet que la condition suspensive n’affecte pas la naissance de l’obligation, mais ne produit d’effets qu’au niveau de l’exécution de celle-ci 384. A ce stade, les effets de la condition suspensive peuvent dès lors être résumés comme suit :

• En cas de contestation ou de doute, le créancier peut s’adresser au juge pour obtenir la reconnaissance du droit dont il se prétend titulaire, ce qui n’implique évidemment pas la possibilité de solliciter la condamnation du débiteur à exécuter l’obligation affectée de la condition suspensive 385.

De même, le créancier ne pourrait se prévaloir de sa créance conditionnelle pour intenter une action paulienne ou une action oblique.

• A l’instar du créancier d’une obligation affectée d’un terme

suspensif, celui qui dispose d’une créance conditionnelle peut évidemment prendre les mesures conservatoires d’ordre matériel ou juridique (Article 1180 du Code civil).

• Le créancier d’une obligation conditionnelle peut valablement céder

celle-ci entre vifs ou pour cause de mort.

• Le paiement effectué prématurément par le débiteur, c.à.d. avant la réalisation de la condition suspensive, peut donner lieu à une action en répétition de l’indu. Cet effet distingue la condition suspensive du terme suspensif 386.

383 Cass., 9 février 1933, Pas., 1933, I, p. 103. La Cour allait, à l’époque, jusqu’à considérer que le contrat dont toutes les obligations sont affectées d’une condition suspensive « n’existe pas ». 384 Cass., 5 juin 1981, Pas., 1981, I, p. 1149 ; Cass., 15 mai 1986, Pas., 1986, I, p. 1123. 385 Cass., 15 septembre 1983, Pas., 1984, I, p. 42. 386 Cass., 7 octobre 1982, Pas., 1983, I, p. 193.

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• Par application de l’article 2257 du Code civil, la prescription est suspendue à l’égard du créancier 387.

• Dans l’hypothèse d’un contrat de vente, le transfert de la propriété

et des risques n’intervient pas à ce stade, mais est différé jusqu’à la réalisation de la condition.

D’autre part, il est admis que le débiteur de l’obligation affectée d’une condition suspensive stipulée en sa faveur puisse renoncer au bénéfice de celle-ci388.

2. Lors de la réalisation de la condition Avant d’examiner les effets de la condition suspensive au moment de sa réalisation, il faut souligner que le débiteur ne peut évidemment adopter un comportement qui empêcherait la réalisation de la condition, c.à.d. la survenance de l’événement futur et incertain (Article 1178 du Code civil) 389. Il est même admis que le débiteur a, conformément au principe de l’exécution de bonne foi, l’obligation de faire ce qui est en son pouvoir pour que la condition se réalise. Une jurisprudence abondante s’est notamment développée à propos de l’obligation pour le débiteur de solliciter effectivement un financement ou une autorisation officielle, lorsque leur obtention constituait une condition suspensive affectant son obligation d’acheter un bien déterminé 390. La survenance de l’événement futur et incertain a pour conséquence de rendre exigible l’obligation dont l’exécution était antérieurement suspendue. L’article 1179 du Code civil prévoit au surplus que cet effet se produit rétroactivement « au jour auquel l’engagement a été contracté ». Il y a dès lors lieu de considérer que la période « d’attente » qui s’est écoulée avant la réalisation de la condition est effacée a posteriori et que

387 Mons, 27 avril 1993, R.G.A.R., 1995, n° 12407. 388 Mons, 2 mai 2013, J.L.M.B., 2015, p. 303. 389 Cass., 4 mars 1966, Pas., 1966, I, p. 854. 390 Bruxelles, 27 juin 1995, A.J.T., 1995-1996, p. 159 ; Cass., 18 novembre 2011, R.G.D.C., 2013, p. 516 ; Liège, 25 février 2013, R.G.D.C., 2014, p. 183 ; Mons, 14 mai 2013, J.L.M.B., 2014, p. 170 ; Mons, 6 mai 2013, J.L.M.B., 2015, p. 11.

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l’obligation doit produire ses pleins et entiers effets depuis le jour où elle a été contractée. Cette rétroactivité peut être de nature à poser problème, ce qui explique d’importants aménagements ou exceptions :

• Les parties conservent tout d’abord la possibilité de déroger à cette rétroactivité en prévoyant que l’exigibilité de l’obligation contractée sous condition suspensive ne prendra en toutes hypothèses cours qu’au moment de la survenance de l’événement 391.

• Les actes d’administration normaux posés pendant la période

d’attente par le débiteur d’une obligation affectée d’une condition suspensive seront opposables au créancier.

• Le même débiteur pourra conserver les fruits perçus tout au long de

la période d’attente, sans devoir dès lors les restituer au créancier.

• La théorie des risques sera appliquée sans rétroactivité (Article 1182 du Code civil), ce qui signifie que la chose demeure aux risques du débiteur. Si elle vient à périr sans la faute de celui-ci, l’acheteur sera dès lors libéré de l’obligation de payer le prix convenu.

• La rétroactivité ne trouve également pas à s’appliquer en matière de

contrat à prestations successives. On considère en effet que le contrat a reçu, pendant la période d’attente, une exécution conforme à l’intention des parties.

• Il y aura par ailleurs lieu d’appliquer la théorie des impenses aux

améliorations apportées, pendant la période d’attente, par le débiteur de l’obligation affectée d’une condition suspensive à la chose.

Si les améliorations étaient nécessaires, l’acquéreur sera tenu d’en prendre en charge le coût total. Si elles étaient utiles, le débiteur sera indemnisé à concurrence de la plus-value. Si elles étaient somptuaires, il ne pourra prétendre à aucune indemnité.

• La rétroactivité sera également sans incidence sur le point de départ

de la prescription du droit du créancier (Article 2257 du Code civil).

391 Cass., 9 novembre 1956, Pas., 1957, I, p. 254.

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3. Lorsque la condition ne se réalise pas L’article 1176 du Code civil énonce les hypothèses à prendre en considération pour le défaut de réalisation de la condition, à savoir :

• L’expiration du délai endéans lequel l’événement futur et incertain devait se produire ;

• A défaut de fixation d’un tel délai, le fait qu’il est devenu certain que

l’événement ne se produira pas 392. Pour autant que la défaillance de la condition ne soit pas due à une faute du débiteur 393, le contrat prend fin. L’obligation contractée sous condition suspensive ne devra dès lors jamais être exécutée, ce qui n’exclut cependant pas que le défaut d’exécution d’une obligation du débiteur pendant la période d’attente puisse donner lieu à des dommages et intérêts dans l’hypothèse où ce défaut d’exécution est la cause du dommage subi par le cocontractant 394.

B. La condition résolutoire

1. Avant la réalisation de la condition L’obligation existe de manière complète, immédiate et certaine. Tant que l’événement futur et incertain ne s’est pas réalisé, aucune particularité n’affecte l’obligation concernée. Elle doit dès lors être exécutée normalement.

2. Lors de la réalisation de la condition La survenance de l’événement futur et incertain a pour conséquence de faire disparaître l’obligation concernée avec rétroactivité (Article 1183 du Code civil). L’obligation est dès lors théoriquement censée n’avoir jamais existé, ce qui oblige en principe les parties à remettre les choses dans

392 Cass., 25 mai 2007, R.C.J.B., 2009, p. 285. 393 Voir l’article 1178 du Code civil analysé ci-avant. 394 Cass., 5 juin 1981, Pas., 1981, I, p. 1151 ; Cass., 15 mai 1986, Pas., 1986, I, p. 1123.

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l’état initial et à rétrocéder dès lors les prestations exécutées depuis lors 395. Cette rétroactivité est évidemment de nature à poser les mêmes problèmes que ceux examinés à propos de la condition suspensive. Il y a dès lors lieu d’admettre les mêmes tempéraments par rapport à ce principe de rétroactivité que ceux exposés dans le cadre de la condition suspensive. Il est par ailleurs admis que les parties dérogent conventionnellement à cette rétroactivité de principe et prévoient dès lors que la survenance de l’événement n’aura pas un tel effet 396.

3. Lorsque la condition ne se réalise pas L’obligation acquiert un caractère définitif. Plus aucune menace ne pèse dès lors sur elle.

395 Cass., 19 janvier 1995, Pas., 1995, I, p. 47 ; C.T. Mons, 14 juin 2011, Chr. D.S., 2015, p. 19. 396 Cass., 9 novembre 1956, Pas., 1957, I, p. 254 ; Cass., 27 avril 1992, Pas., 1992, I, p. 758.

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TITRE 2 : LES OBLIGATIONS À OBJETS MULTIPLES (CUMULATIVES OU CONJONCTIVES, ALTERNATIVES ET FACULTATIVES)

Pour en savoir plus : - L. ROUSSEAU, « L’attribution du patrimoine commun : attribution alternative et conditions résolutoires », in Liber amicorum Léon Raucent, Académia-Bruylant, Louvain-la-Neuve, 1992, pp. 363-372.

L’obligation mise à charge du débiteur peut porter sur plusieurs objets. Dans pareille hypothèse, celui-ci sera tenu de donner, de faire ou de ne pas faire plusieurs choses. Alors que le Code civil ne traite que des obligations alternatives (Articles 1189 à 1196 du Code civil), on distingue généralement trois catégories d’obligations à objets multiples : l’obligation conjonctive [cumulatieve of conjunctieve verbintenis], l’obligation alternative [alternatieve verbintenis] et l’obligation facultative [facultatieve verbintenis]. De telles obligations sont cependant relativement rares dans la pratique. Chapitre 1 : Les obligations conjonctives L’obligation conjonctive a pour objet deux ou plusieurs prestations, qui doivent chacune être exécutées. Il en découle une forme d’indivisibilité entre plusieurs prestations. L’obligation conjonctive ne doit pas être confondue avec la co-existence de deux ou plusieurs obligations qui auraient chacune un objet propre : l’obligation conjonctive se caractérise par l’existence d’une seule source en vertu de laquelle plusieurs prestations sont mises à charge du débiteur. Les obligations conjonctives ne sont par ailleurs soumises à aucun régime juridique particulier. Si elles impliquent le transfert de propriété de deux choses, celui-ci s’opère en conséquence immédiatement, sauf dérogation conventionnelle.

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Chapitre 2 : Les obligations alternatives L’obligation alternative a également pour objet deux ou plusieurs prestations, mais le débiteur ne s’est engagé qu’à exécuter l’une d’entre elles. L’article 1189 du Code civil parle de « l’une des deux choses qui était comprise dans l’obligation ». Le choix entre les différentes prestations peut appartenir tantôt au débiteur, tantôt au créancier, l’article 1190 du Code civil précisant que la première solution s’applique si le choix « n’a pas été expressément 397 accordé au créancier ». Ce choix s’effectue au moment de l’exécution de l’obligation. Il s’exerce de manière irrévocable et définitive. Il ne produit par ailleurs aucun effet rétroactif. Lorsque ce choix est effectué, l’obligation devient dès lors « ordinaire », en ce qu’elle n’a pour objet qu’une seule prestation. La transmission d’un éventuel droit de propriété interviendra dès lors au moment de l’exercice du choix de la prestation à accomplir. L’article 1192 du Code civil prévoit par ailleurs que l’obligation est réputée pure et simple, dans l’hypothèse où « l’une des deux choses promises ne pouvait être le sujet de l’obligation » 398. Par ailleurs, les articles 1193 à 1196 du Code civil envisagent l’hypothèse de la disparition d’un des objets avant que le choix n’ait été exercé, en distinguant selon que le choix appartient au débiteur ou au créancier. Il résulte du régime instauré que le débiteur est tenu de s’abstenir de tout comportement qui serait de nature à compromettre les droits du créancier. L’obligation alternative doit être distinguée de l’obligation conditionnelle ; elle n’est en effet pas dépendante de la survenance d’un événement futur et incertain et constitue dès lors une obligation qui naît immédiatement. 397 La jurisprudence admet toutefois que l’attribution du choix peut être implicite et résulter dès lors des circonstances prises en considération par le juge du fond (Cass., fr., 17 juillet 1929, Pas., 1930, II, p. 8). 398 Pour un cas d’application : Civ., Nivelles, 12 septembre 1883, J.T., 1883, p. 630.

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Chapitre 3 : Les obligations facultatives L’obligation facultative 399 se caractérise par l’existence de multiples prestations qui ne se situent cependant pas sur le même plan. L’obligation facultative se caractérise dès lors par une prestation principale et une prestation éventuelle de substitution. Le débiteur a dès lors la possibilité de se libérer de son obligation contractuelle en accomplissant une prestation différente qui a néanmoins été déterminée dès la naissance de l’obligation. L’article 1681 du Code civil donne un exemple de ce mécanisme en matière de rescision pour cause de lésion de la vente d’un immeuble : l’acquéreur a en effet le choix « ou de rendre la chose en retirant le prix qu’il en a payé, ou de garder le fonds en payant le supplément du juste prix, sous la déduction du dixième du prix total ». Une autre hypothèse est celle de l’insertion d’une clause de dédit dans un contrat : elle permet au débiteur de refuser d’accomplir la prestation qui lui incombe moyennant le paiement d’un montant fixé de commun accord. Si l’objet de l’obligation principale périt par cas fortuit ou est mis hors commerce, l’obligation est éteinte (Article 1302 du Code civil) et le débiteur est dès lors libéré sans avoir à accomplir la prestation subsidiaire. En toutes hypothèses, si le débiteur choisit d’accomplir cette dernière, il se libère valablement et le créancier doit s’en satisfaire.

399 Ce vocable prête à confusion, eu égard à son caractère antinomique. Il s’agit en réalité d’une obligation comprenant une prestation facultative.

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TITRE 3 : LES OBLIGATIONS À SUJETS MULTIPLES (CONJOINTES, INDIVISIBLES, SOLIDAIRES ET IN SOLIDUM)

Pour en savoir plus : - L. CORNELIS, « L’obligation ‘in solidum’ et le recours entre coobligés (Note sous Cass., 17 juin 1982) », R.C.J.B., 1986, pp. 684-707. - L. CORNELIS, « Le partage de responsabilité en matière aquilienne », R.C.J.B., 1967, pp. 320-341. - R.-O. DALCQ, « Fondement du droit de celui qui a réparé seul le dommage causé par une faute aquilienne d’obtenir de tout autre auteur du même dommage sa contribution à réparation », R.C.J.B., 1966, pp. 123-141. - R.-O. DALCQ, « Obligation in solidum et subrogation », R.C.J.B., 1980, pp. 245-258. - I. DURANT, « Quelques principes à propos des obligations plurales en matière de bail », Act. jur. baux, 2000, pp. 98-102. - J.-L. FAGNART, « L’obligation ‘in solidum’ dans la responsabilité contractuelle (Note sous Cass., 15 février 1974) », R.C.J.B., 1975, pp. 233-255. - A. LENAERTS, « Le recours contributoire entre coobligés in solidum et l’influence de la faute intentionnelle : fraus omnia corrumpit », J.T., 2010, pp. 532-535. - J. LEVY MORELLE, « La solidarité passive en droit privé », in X., Unité et diversité du droit privé, Ed. U.L.B., Bruxelles, 1983, pp. 297-337. - A. MEINERTZHAGEN-LIMPENS, « Les ventes en chaîne, la responsabilité ‘in solidum’ et le recours contributoire, une coexistence difficile (Note sous Cass., 22 octobre 1993) », R.C.J.B., 1996, pp. 43-63. - S. NAPORA, « De l’incidence de la remise de dette consentie à l’une des cautions », Act. dr., 2000, pp. 716-725. - J. PERILLEUX, « L’obligation in solidum – Entre passé et avenir », Rev. Dr. Ulg, 2004, pp. 197-223. - F. ‘t KINT, « Le cautionnement et la solidarité passive », DAOR, 1988, pp. 35-50.

La catégorie des obligations à sujets multiples est totalement indépendante de celle des obligations à objets multiples. L’hypothèse envisagée ici est celle d’une pluralité de créanciers ou d’une pluralité de débiteurs, voire celle d’une pluralité de créanciers et de débiteurs. Pareille situation peut exister dès la naissance même de l’obligation ou se manifester ultérieurement, notamment dans l’hypothèse du décès de la partie concernée et de l’ouverture de la succession de celle-ci. Le régime de droit commun applicable est celui des obligations conjointes (chapitre 1), dont la praticabilité est toutefois de nature à poser différents problèmes. La pratique opte dès lors fréquemment pour un des régimes dérogatoires organisés par le Code civil, à savoir les obligations solidaires (chapitre 2) ou les obligations indivisibles (chapitre 3).

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La jurisprudence a progressivement admis l’existence d’une troisième catégorie dérogatoire : les obligations in solidum (chapitre 4). Encore faut-il préciser que rien ne s’oppose au cumul de ces catégories. La pratique révèle d’ailleurs qu’il est fréquent d’avoir stipulé tant le caractère indivisible que le caractère solidaire d’une obligation. Chapitre 1 : Les obligations conjointes [samengevoegde verbintenissen]

Section 1 : Notion Le régime de droit commun est celui de la divisibilité [deelbaarheid] de plein droit de la créance ou de la dette 400. En cas de pluralité de créanciers, chacun d’eux n’est dès lors fondé qu’à exiger le paiement de la quote-part de l’obligation dont il est en droit d’obtenir l’exécution. En cas de pluralité de débiteurs, chacun d’eux n’est tenu qu’à exécuter la quote-part de l’obligation qui lui incombe personnellement 401. Il en résulte donc que le créancier d’une obligation divisible supportera l’éventuelle insolvabilité de l’un ou de plusieurs des débiteurs concernés. A défaut pour les parties d’avoir déterminé la quote-part des sujets concernés, il est admis que le partage s’effectue par parts égales entre eux. Ce régime aboutit à considérer qu’il y a autant de créances ou de dettes distinctes qu’il y a de créanciers ou de débiteurs. Ce régime est expressément prévu par les articles 870, 873 et 1220 du Code civil qui traitent spécifiquement de la succession de plusieurs héritiers à la personne d’un créancier ou d’un débiteur. Il est toutefois admis que ces dispositions ont une portée générale.

400 Cass., 5 décembre 1975, Pas., 1976, I, p. 428 ; Cass., 10 mai 1979, Pas., 1979, I, p. 1068. 401 Cass., 7 novembre 2008, R.G.D.C., 2011, p. 238.

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Section 2 : Types

On distingue généralement les obligations conjointes dès leur naissance et celles qui ne le deviennent qu’ultérieurement. Dans le premier cas, deux personnes sont créancières ou débitrices d’une obligation dès la naissance de celle-ci. Dans l’autre hypothèse, l’obligation devient conjointe suite à la survenance d’un événement postérieur à la naissance de l’obligation. Le décès du créancier ou du débiteur sont évidemment les exemples classiques de cette situation. Le cas échéant, la division de l’obligation s’opère au prorata de la part héréditaire de chacun des créanciers ou des débiteurs concernés.

Section 3 : Effets Le régime de divisibilité de l’obligation décrit entraîne diverses conséquences, à savoir :

• La mise en demeure n’aura d’effet qu’au profit du créancier qui l’a effectuée et à charge du débiteur qui en est le destinataire.

Le cas échéant, il appartient dès lors à chaque créancier de mettre en demeure tous les débiteurs tenus d’exécuter une obligation conjointe.

• Le même principe est d’application en ce qui concerne le mécanisme

de la prescription, et spécialement de l’interruption402 ou de la suspension de celle-ci.

Tout se passe donc comme si aucune interférence n’existait entre les liens de droit créés par l’obligation conjointe. Pareil régime n’est évidemment pas dépourvu d’inconvénients majeurs au niveau de la pratique judiciaire. Pour y pallier, les parties auront fréquemment recours aux régimes dérogatoires, mais fréquents, de l’obligation solidaire et/ou de l’obligation indivisible.

402 Cass., 9 juin 2006, RG C040245F, www.juridat.be.

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Chapitre 2 : Les obligations solidaires [hoofdelijke verbintenissen]

Section 1 : Notion Le mécanisme de la solidarité [hoofdelijkheid] constitue le premier palliatif à la divisibilité de principe de l’obligation. Il est organisé par les articles 1197 à 1216 du Code civil. Nonobstant la pluralité de sujets, chaque créancier est en droit d’exiger le paiement intégral de la part de n’importe lequel des débiteurs concernés. Chacun de ces derniers est dès lors tenu de procéder au paiement de l’intégralité de la dette au profit du créancier qui s’adresse à lui. Dans un second temps, il conviendra évidemment d’établir les comptes éventuels entre les créanciers et/ou entre les débiteurs. Ceci nous amènera à distinguer le plan de l’obligation à la dette qui vise les rapports entre le(s) créancier(s), d’une part, et le(s) débiteur(s), d’autre part et le plan de la contribution à la dette qui concerne les rapports des créanciers entre eux et/ou des débiteurs entre eux.

Section 2 : Types La solidarité peut être d’application tantôt entre les créanciers, tantôt entre les débiteurs, rien n’empêchant toutefois qu’elle concerne tant les uns que les autres. Dans le premier cas, on parlera de la solidarité active (Articles 1197 à 1199 du Code civil) en vertu de laquelle chacun des créanciers peut exiger l’exécution totale de l’obligation de la part du débiteur. La seconde hypothèse est celle de la solidarité passive (Articles 1200 à 1216 du Code civil) qui permet au créancier d’exiger l’exécution totale de l’obligation de la part de chacun des débiteurs. Il convient évidemment de préciser dès à présent que le mécanisme de la solidarité ne peut avoir pour conséquence d’aboutir à un paiement « excédentaire », c.à.d. dépassant l’exécution intégrale de l’obligation contractée.

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Section 3 : Sources L’article 1202 du Code civil énonce le principe que la solidarité ne se présume pas, en précisant qu’elle doit avoir été « expressément stipulée » ou qu’elle peut trouver à s’appliquer « en vertu d’une disposition de la loi ». Deux sources possibles de la solidarité sont dès lors mises en évidence : la convention des parties et la loi 403. Il faut, à notre avis, y ajouter une troisième source, à savoir la jurisprudence qui, dans certaines hypothèses, admet une présomption de solidarité issue des usages.

A. La loi Aucune disposition légale n’instaure de solidarité active. Par contre, le législateur a instauré de nombreuses hypothèses de solidarité passive, à savoir notamment, sans prétendre à la moindre exhaustivité :

• L’article 222 du Code civil prévoit que toute dette contractée par l’un des époux pour les besoins du ménage et l’éducation des enfants oblige solidairement l’autre époux 404.

• L’article 1792 du Code civil qui instaure le régime de la garantie

décennale : cette disposition instaure un régime de responsabilité solidaire des architectes entre eux et des entrepreneurs entre eux. Aucune solidarité n’est toutefois organisée entre ces différents acteurs chargés de la construction d’un immeuble 405.

• L’article 1887 du Code civil prévoit la responsabilité solidaire des

emprunteurs d’une même chose à l’égard du prêteur.

403 Civ. Bruxelles, 2 mars 2006, R.G.D.C., 2008, p. 232. 404 Pour un cas d’application : J.P. Fontaine-l’Évêque, 23 novembre 2006, J.J.P., 2011, p. 28. 405 Nous verrons ci-dessous (section 4) que la jurisprudence a admis l’existence d’une obligation in solidum entre architecte(s), d’une part, et entrepreneur(s), d’autre part, dans certains cas.

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• L’article 2002 du Code civil organise le même régime dans le chef des mandants à l’égard du mandataire qu’ils ont chargé d’une « affaire commune ».

• L’article 47, alinéa 1 des lois coordonnées sur la lettre de change

prévoit la solidarité de ceux qui ont accepté, endossé ou avalisé une lettre de change envers le porteur.

• L’article 528 du Code des sociétés instaure une responsabilité

solidaire des administrateurs dans l’hypothèse où une faute résultant d’une infraction aux dispositions légales ou aux statuts a été commise par l’un d’entre eux (cette disposition permet toutefois à l’un (ou à plusieurs) des administrateurs d’échapper à la responsabilité solidaire s’il(s) établi(ssen)t qu’aucune faute ne lui(leurs) est imputable et qu’il(s) l’a(ont) dénoncée à l’assemblée générale suivante).

• L’article 11 de la loi du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux

prévoit la responsabilité solidaire du locataire cédant et du cessionnaire dans l’hypothèse d’une cession de bail 406.

• L’article 50 du Code pénal fait de même en ce qui concerne la

réparation du dommage causé par des individus condamnés pour une même infraction.

B. Le contrat Une clause de solidarité, qu’elle soit active et/ou passive peut évidemment être insérée dans une convention, voire même dans un acte unilatéral. Les exemples classiques de solidarité conventionnelle active sont les comptes bancaires joints, c.à.d. celui dont deux ou plusieurs personnes sont titulaires407, ou des associations momentanées conclues entre entrepreneurs chargés de l’exécution de travaux immobiliers importants. La solidarité passive conventionnelle est plus fréquente et est rencontrée dans beaucoup de contrats (ex. : contrat de vente ou contrat de bail) ou d’actes juridiques unilatéraux (ex. : testament). 406 Il faut noter qu’un tel régime de solidarité est expressément écarté en matière de bail de résidence principale par l’article 4, § 1er des dispositions régissant ce type de contrat. 407 Dans cette hypothèse, les différents titulaires sont créanciers solidaires et la banque se libèrera valablement de ses obligations en exécutant les instructions reçues de l’un d’eux.

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A cet égard, il est admis que la clause de solidarité ne doit pas être exprimée dans des termes sacramentels, mais que l’engagement solidaire doit être établi avec certitude et résulter dès lors de la volonté commune des parties concernées, qu’il s’agisse des cocontractants ou de l’auteur de l’acte juridique unilatéral.

C. La jurisprudence De manière constante, la Cour de Cassation admet une présomption de solidarité entre débiteurs commerçants tenus d’une même obligation contractuelle 408. Rien n’empêche cependant les parties visées d’écarter cette présomption de solidarité « coutumière » par une stipulation contraire 409.

Section 4 : Effets Avant d’examiner les effets de la solidarité active, d’une part, et de la solidarité passive, d’autre part, il convient de rappeler la distinction entre les deux niveaux du mécanisme de la solidarité, à savoir :

• L’obligation à la dette [gehoudenheid] : elle concerne les rapports entre le(s) créancier(s), d’une part et le(s) débiteur(s), d’autre part.

En d’autres termes, la question est donc de savoir quel créancier peut exiger ou recevoir le paiement ou quel débiteur peut ou doit payer.

• La contribution à la dette [bijdrage] : elle vise les rapports entre les créanciers solidaires ou entre les débiteurs solidaires.

La question est ici de savoir les recours dont disposent les créanciers qui n’ont pas reçu le paiement à l’égard de celui qui a bénéficié ou les recours du débiteur qui a effectué le paiement à l’égard des autres codébiteurs solidaires.

408 Cass., 3 avril 1952, Pas., 1952, I, p. 498 ; Cass., 5 décembre 1975, Pas., 1976, I, p. 428. 409 Cass., 1er octobre 1981, J.T., 1982, p. 56 ; Cass., 25 février 1994, Pas., 1994, I, p. 204.

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A. La solidarité active

La solidarité est active quand l’obligation est contractée entre plusieurs créanciers et un débiteur, chacun des créanciers pouvant réclamer au débiteur le paiement de l’intégralité de la dette. L’objectif essentiel de ce mécanisme est de faciliter le recouvrement, c.à.d. l’obtention de l’exécution de l’obligation. Les effets qui en découlent doivent être distingués au niveau de l’obligation à la dette et au niveau de la contribution à la dette.

1. Au niveau de l’obligation à la dette Les effets principaux [hoofdgevolgen] de la solidarité active peuvent être résumés comme suit :

• Chaque créancier peut exiger de la part du débiteur le paiement de l’intégralité de la dette.

• Le débiteur qui a effectué le paiement de cette dette au profit de

l’un des créanciers est libéré à l’égard de tous ceux-ci.

Il convient toutefois de préciser que le débiteur ne dispose plus de cette liberté de choix du créancier au profit duquel il effectue le paiement à partir du moment où il a été prévenu des poursuites intentées par l’un d’eux (Article 1198, alinéa 1 du Code civil).

Le cas échéant, les autres créanciers ne disposent plus de la possibilité d’exiger le paiement total en leur faveur et le débiteur devra effectuer le paiement en faveur du créancier désigné par un accord intervenu entre les différents créanciers ou par une décision de justice qui préciseraient éventuellement la répartition à respecter au niveau du paiement.

La Cour de Cassation a par ailleurs admis que la compensation entre la créance solidaire et la dette d’un créancier solidaire libérait le débiteur à l’égard de tous les créanciers solidaires 410 en considérant que la compensation avait pour effet principal, tout comme le paiement, d’éteindre la dette.

410 Cass., 13 juin 1872, Pas., 1872, I, p. 300.

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• Un des créanciers ne peut disposer seul de l’intégralité de la créance, notamment en concluant une transaction ou en accordant une remise de dettes. Pareille initiative ne produira d’effet qu’à l’égard du créancier concerné et ne libérera dès lors le débiteur que pour la part de celui-ci (Article 1198, alinéa 2 du Code civil).

On admet par ailleurs l’existence d’effets secondaires [bijkomende gevolgen] de la solidarité active, à savoir :

• La mise en demeure du débiteur par un des créanciers solidaires bénéficie à l’ensemble de ceux-ci.

• De même, tout acte interruptif de la prescription posé par un des

créanciers solidaires pourra être invoqué par l’ensemble de ceux-ci (Article 1199 du Code civil)411.

2. Au niveau de la contribution à la dette La solidarité active trouvant nécessairement sa source dans un contrat ou un acte juridique unilatéral, la répartition du produit de la créance aura généralement été effectuée à ce niveau. Chaque créancier solidaire obtiendra dès lors le paiement de la quote-part de la créance qui lui a été attribuée. A défaut de détermination des quotes-parts, la répartition s’effectuera par parts égales entre les différents créanciers solidaires.

B. La solidarité passive La solidarité est passive lorsque, dans un lien de droit unissant plusieurs personnes, il se trouve plusieurs débiteurs tenus envers un seul créancier, ce dernier pouvant exiger la totalité de la dette de la part de n’importe lequel des débiteurs. Avant d’examiner successivement ces effets au niveau de l’obligation à la dette et au niveau de la contribution à la dette, il convient de préciser que la solidarité passive est sans conséquence sur la divisibilité de la dette (Article 1219 du Code civil) qui pourrait trouver à s’appliquer dans l’hypothèse du décès de l’un des débiteurs solidaires.

411 Cass., 26 octobre 1984, Pas., 1985, I, p. 285.

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Le cas échéant, le créancier ne pourrait en effet exiger de la part de chaque cohéritier du débiteur solidaire qu’un paiement de la dette solidaire à concurrence de la part de ce cohéritier dans la succession. Ceci souligne l’intérêt majeur qu’il peut donc y avoir à stipuler non seulement la solidarité entre les débiteurs, mais également l’indivisibilité de la dette entre ceux-ci.

1. Au niveau de l’obligation à la dette La solidarité passive constitue pour le créancier une garantie importante face l’insolvabilité de l’un des débiteurs solidaires. Les effets principaux de la solidarité passive peuvent être résumés comme suit :

• Le créancier dispose d’une liberté absolue dans le choix du débiteur auquel il s’adresse en vue d’obtenir l’exécution intégrale de l’obligation, ce qui l’amènera généralement à s’adresser au plus solvable d’entre eux.

Le débiteur solidaire à qui le paiement est réclamé ne pourra pas lui opposer le bénéfice de division (Article 1203 du Code civil) et sera dès lors tenu de payer l’intégralité de la dette. Nous verrons au niveau de la contribution à la dette que l’insolvabilité éventuelle d’un des débiteurs solidaires devra dès lors être supportée par l’ensemble de ceux-ci, à l’exclusion donc de toute prise en charge par le créancier.

• Le créancier peut au surplus s’adresser, cumulativement, voire même

successivement, à tous les débiteurs solidaires (Article 1204 du Code civil), éventuellement sous déduction du paiement partiel qu’il aurait déjà enregistré de la part de l’un d’entre eux.

• Le paiement effectué par l’un des débiteurs solidaires libère

automatiquement tous les autres (Article 1200 du Code civil ). Si le paiement intervenu est partiel, la libération des autres débiteurs solidaires intervient à due concurrence.

• Chaque débiteur solidaire pourra opposer au créancier qui s’adresse à

lui en vue d’obtenir le paiement toutes les exceptions communes à l’ensemble des codébiteurs (Article 1208 du Code civil).

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On peut songer à cet égard à la prescription de la dette, à la réalisation d’une condition résolutoire ou encore à la remise de dettes faite par le créancier à l’égard de l’un des codébiteurs solidaires sans réserve expresse de ses droits à l’égard des autres (Article 1285 du Code civil)412.

• Chaque débiteur solidaire pourra en outre invoquer les exceptions qui

lui sont personnelles (Article 1208 du Code civil). On peut ranger parmi ces exceptions les causes de nullité de l’obligation (vice de consentement, incapacité,…) ou les modalités de l’obligation (absence d’échéance du terme suspensif, absence de réalisation de la condition suspensive,…) propres à un seul débiteur.

Ces exceptions ne peuvent toutefois être invoquées que par le débiteur concerné et ne profitent qu’à lui. Les autres débiteurs restent dès lors tenus pour le tout à l’égard du créancier et perdent au niveau de la contribution à la dette tout recours contre le débiteur libéré.

On admet par ailleurs que la solidarité passive produit les effets secondaires suivants :

• La mise en demeure adressée par le créancier à l’un des débiteurs solidaires produit ses effets à l’égard de tous (Article 1207 du Code civil). A fortiori, il en va de même de la citation signifiée à l’un des débiteurs solidaires 413.

• L’interruption de la prescription à l’égard de l’un des débiteurs

solidaires produit les mêmes effets à l’égard de tous (Article 1206 du Code civil).

L’article 2249 du Code civil confirme cette solution en l’étendant au surplus à la reconnaissance de dettes émanant de l’un des débiteurs solidaires.

• La perte de la chose due par la faute de l’un des débiteurs solidaires

imposera à tous ceux-ci d’en répondre (Article 1205 du Code civil).

Seul(s) le(s) débiteur(s) responsable(s) de cette perte sera(seront) toutefois tenu(s) des dommages et intérêts complémentaires.

412 Cass., 15 décembre 2000, Pas., 2000, I, p. 1955; Liège, 9 septembre 2003, R.D.C., 2004, p. 593. 413 Cass., 14 septembre 1972, Pas., 1973, I, p. 54.

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2. Au niveau de la contribution à la dette Il n’incombe évidemment pas au débiteur solidaire qui a effectué le paiement de l’intégralité de la dette de supporter définitivement la charge de celle-ci. En d’autres termes, ce débiteur dispose d’un recours contributoire à l’égard des autres débiteurs solidaires. A ce stade, aucune solidarité ne peut cependant être invoquée (Article 1213 du Code civil), en manière telle que chaque débiteur solidaire ne pourra se voir réclamer que la quote-part de la dette qui lui incombe (Article 1214, alinéa 1 du Code civil). L’article 1214, alinéa 2 du Code civil précise par ailleurs que les effets de l’insolvabilité éventuelle de l’un des débiteurs solidaires se répartira entre tous les autres au prorata de leurs parts respectives. En principe, la contribution à la dette de chacun des débiteurs solidaires interviendra conformément à ce qui a été convenu entre eux ou, à défaut de stipulation conventionnelle à ce sujet, par parts égales. Le recours contributoire du débiteur qui a effectué le paiement peut se fonder tantôt sur les articles 1213 et 1214 du Code civil, tantôt sur le mécanisme de la subrogation légale (Article 1251, alinéa 3 du Code civil), tantôt encore sur celui de l’enrichissement sans cause 414. Le choix de l’un ou l’autre de ces fondements ne sera pas neutre et entraînera des conséquences tant pour celui qui exerce le recours que pour ceux à l’encontre desquels il est exercé.

414 Cass., 25 mars 1955, Pas., 1955, I, p. 823 ; Cass., 21 octobre 1965, Pas., 1966, I, p. 240.

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Chapitre 3 : Les obligations indivisibles [ondeelbare verbintenissen] Cette catégorie constitue la deuxième exception envisagée par le législateur (Articles 1217 à 1225 du Code civil) par rapport au régime de droit commun des obligations conjointes. Comme la solidarité, l’indivisibilité peut mettre en présence plusieurs créanciers (indivisibilité active) et/ou plusieurs débiteurs (indivisibilité passive).

Section 1 : Notion L’article 1217 du Code civil définit l’obligation indivisible comme celle qui «n’est pas susceptible de division». Pour être plus explicite, on peut considérer que l’obligation indivisible est celle qui ne peut faire l’objet d’une exécution que dans son ensemble. Elle exclut dès lors l’application du régime de la division qui constitue le droit commun des obligations à sujets multiples. Cette indivisibilité peut exister dès la naissance de l’obligation ou résulter d’un événement postérieur à celle-ci.

Section 2 : Sources A l’inverse de la solidarité, l’indivisibilité d’une obligation ne peut jamais résulter de la loi, aucune disposition légale n’instaurant l’indivisibilité d’une obligation à sujets multiples. Par contre, cette indivisibilité peut être tantôt naturelle, tantôt conventionnelle. Il convient toutefois de souligner dès à présent que la distinction qui repose sur les sources d’indivisibilité est sans incidence pratique. En d’autres termes, l’indivisibilité produit les mêmes effets, qu’elle soit naturelle ou conventionnelle.

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A. L’indivisibilité naturelle

Elle découle de l’objet même de l’obligation. Elle s’impose dès lors aux parties, que l’objet de l’obligation soit matériel (ex. : vente d’un cheval) ou intellectuel (ex. : constitution d’une servitude de passage ou fourniture d’une hypothèque). A ces hypothèses d’indivisibilité absolue, l’article 1218 du Code civil assimile les cas d’indivisibilité relative dans lesquels l’objet de l’obligation est sans doute divisible par sa nature, mais pour lesquels une exécution partielle est difficilement envisageable (ex. : construction d’une maison).

B. L’indivisibilité conventionnelle Prévue par l’article 1218 du Code civil, l’indivisibilité conventionnelle est celle qui résulte de la volonté des parties. Elle présente donc un caractère artificiel, en ce que l’obligation est sans doute susceptible de division, mais que les parties ont contractuellement prévu de déroger au régime de droit commun (obligations conjointes). L’article 1221 confirme expressément la licéité de l’indivisibilité conventionnelle 415. L’objet de l’obligation est dès lors susceptible d’exécution partielle, mais la volonté des parties a été d’exclure une telle possibilité en vue d’éviter les inconvénients décrits pour les obligations conjointes.

Section 3 : Effets Globalement, les effets de l’indivisibilité sont les mêmes que ceux de la solidarité. Nous ne mettrons dès lors en évidence que les différences qui caractérisent chacun de ces régimes.

415 Cfr notamment 4° et 5°.

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A. L’indivisibilité active

1. Au niveau de l’obligation à la dette Les effets principaux de la solidarité active trouvent également à s’appliquer au niveau de l’indivisibilité active.

• Chaque créancier a dès lors la possibilité d’exiger l’exécution intégrale de l’obligation.

Au surplus, cette indivisibilité profite également aux héritiers de chaque créancier (Article 1224, alinéa 1 du Code civil), ce qui n’était pas le cas pour les créanciers solidaires.

• L’interruption ou la suspension de la prescription par un des

créanciers d’une obligation indivisible produit ses effets à l’égard de tous.

• Un créancier ne peut disposer seul de la créance indivisible (Article

1224, alinéa 2 du Code civil). Le cas échéant, le débiteur reste tenu à l’égard des autres créanciers de l’obligation, sous déduction de la part du créancier qui a agi.

2. Au niveau de la contribution à la dette Tout comme la solidarité, l’indivisibilité ne produit pas d’effet dans les rapports entre les créanciers. Celui qui a obtenu l’intégralité de l’exécution d’une obligation peut dès lors se voir réclamer par chaque autre créancier de l’obligation indivisible la quote-part qui lui revient.

B. L’indivisibilité passive Les effets principaux de la solidarité passive trouvent également à s’appliquer au niveau de l’indivisibilité passive. Il n’en va pas de même pour tous les effets secondaires de la solidarité passive.

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1. Effets principaux Chaque débiteur d’une obligation indivisible peut se voir réclamer l’exécution intégrale de celle-ci (Article 1222 du Code civil). A la différence de la solidarité passive, le régime de l’indivisibilité de l’obligation se transmet cependant aux héritiers du débiteur d’une obligation indivisible (Article 1223 du Code civil).

2. Effets secondaires

• L’interruption ou la suspension de la prescription à l’égard d’un des débiteurs tenus à l’exécution d’une obligation indivisible produit ses effets à l’égard de tous (Article 2249, alinéa 2 du Code civil).

• Il n’en va toutefois pas de même de la mise en demeure adressée à

l’un des débiteurs tenus à l’exécution d’une obligation indivisible.

De même, la faute commise par l’un des débiteurs tenus à l’exécution d’une obligation indivisible ne peut être considérée comme la faute de tous. La perte de la chose par la faute d’un des débiteurs d’une obligation indivisible sera en effet considérée comme un cas fortuit par rapport aux autres et entraînera dès lors la libération de ceux-ci.

Aucune disposition légale ne prévoit en effet l’applicabilité de ces deux effets secondaires à l’hypothèse de l’indivisibilité passive.

3. Au niveau de la contribution à la dette A cet égard, il y a également lieu d’appliquer les règles exposées en matière de solidarité passive, à l’exception toutefois de l’article 1214 du Code civil. Le débiteur qui a payé la totalité de la créance pourra dès lors exercer un recours à l’encontre des autres débiteurs à concurrence de la quote-part de chacun de ceux-ci, ce qui implique évidemment qu’il doit porter en déduction sa propre quote-part. Ce recours pourra être exercé tantôt sur base de la subrogation légale, tantôt sur base de l’enrichissement sans cause.

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Chapitre 4 : Les obligations in solidum [verbintenissen in solidum] L’existence de cette catégorie ne résulte d’aucune disposition légale, ce qui a amené pendant longtemps la doctrine à en nier l’existence 416. A l’heure actuelle, il est toutefois admis que l’obligation in solidum constitue une catégorie spécifique, la doctrine s’étant ralliée à la jurisprudence déjà ancienne 417 et constante de notre cour suprême 418.

Section 1 : Notion L’obligation in solidum vise l’hypothèse où plusieurs personnes sont liées à l’égard d’un créancier d’exécuter intégralement une obligation qui n’est ni solidaire, ni indivisible. Aucune disposition légale, ni conventionnelle ne prévoit cette modalité, dont la jurisprudence fait usage dans certaines situations. Historiquement, la Cour de Cassation a d’abord eu recours à l’obligation in solidum en matière de responsabilité extra-contractuelle, lorsque les fautes de plusieurs personnes ont contribué à occasionner un même dommage, pour autant qu’il soit établi que, sans la faute de chacune d’elles, ledit dommage ne se serait pas produit. La jurisprudence de notre cour suprême fait toutefois actuellement application de l’obligation in solidum également en matière de responsabilité contractuelle. On peut citer à cet égard l’exemple fréquent de la responsabilité in solidum de l’architecte, de l’entrepreneur et/ou du fournisseur de certains matériaux qui sont à l’origine du préjudice subi par un maître d’ouvrage 419. 416 DE PAGE qualifie d’ailleurs l’obligation in solidum d’expédient (Traité élémentaire de droit civil belge, T. III, Bruylant, Bruxelles, 1967, p.321, n° 325). 417 Cass., 26 janvier 1922, Pas., 1922, I, p. 143. 418 Cass., 10 juillet 1952, Pas., 1952, I, p. 738 ; Cass., 15 février 1974, Pas., 1974, I, p. 632 ; Cass., 17 juin 1982, Pas., 1982, I, p. 1221. 419 Cass., 2 février 1979, Pas., 1979, I, p. 629.

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Section 2 : Sources L’obligation in solidum ne trouve son origine ni dans une convention, ni dans la loi, mais dans une situation de fait caractéristique. Ceci distingue naturellement l’obligation in solidum de l’obligation solidaire qui trouve son fondement dans la loi ou la convention.

Section 3 : Effets Si l’obligation in solidum se distingue de l’obligation solidaire au niveau de sa source, les effets qui en découlent sont fort similaires.

A. Au niveau de l’obligation à la dette L’obligation in solidum produit les effets principaux de l’obligation solidaire, qu’il s’agisse de savoir à qui le créancier peut s’adresser en vue d’obtenir le paiement, quels sont les effets du paiement effectué par un des débiteurs à l’égard des autres ou quelles sont les exceptions qui peuvent être opposées au créancier. Par contre, les effets secondaires de la solidarité ne sont pas d’application dans l’hypothèse d’une obligation in solidum.

B. Au niveau de la contribution à la dette Le débiteur qui a exécuté intégralement l’obligation in solidum dispose évidemment d’un recours à l’égard des autres débiteurs tenus par la même obligation. Ce recours s’exercera, soit sur base de la subrogation légale (Article 1251, alinéa 3 du Code civil), soit sur base de la responsabilité civile quasi délictuelle (Article 1382 du Code civil), soit encore sur base de l’enrichissement sans cause. L’article 1214 du Code civil ne trouve dès lors pas à s’appliquer, l’obligation in solidum ne pouvant être totalement assimilée à une obligation solidaire.

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La répartition de la contribution à la dette s’opérera par ailleurs en fonction de l’influence de chacune des fautes identifiées sur la survenance du dommage 420 ou de la gravité de chacune des fautes 421. La jurisprudence de la Cour de cassation semble s’être fixée en faveur du critère de « l’incidence causale », soit celui qui évalue la plus ou moins grande aptitude de la faute à engendrer le sinistre422.

420 Cass., 21 octobre 1977, Pas., 1978, I, p. 228. 421 Cass., 18 janvier 1979, Pas., 1979, I, p. 574 ; contra : Cass., 2 octobre 2009, J.T., 2010, p. 538. 422 Voy. Cass. (2e ch.), 19 novembre 2014, R.G. P.14.1139.F ; Cass. (1re ch.), 3 mai 2013, R.G. C.12.0378.N ; Cass. (2e ch.), 13 mars 2013, R.G. P.12.1830.F ; Cass. (2e ch.), 26 septembre 2012, R.G. P.12.0377.F. ; Cass. (3e ch.), 16 mai 2011, R.G. C.10.0214.N ; Cass. (3e ch.), 4 février 2008, R.G. C.06.0236.F.

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PARTIE 3

LA TRANSMISSION DES OBLIGATIONS

Pour en savoir plus : - M. FONTAINE, « Le contrat d’outsourcing : analyse d’ensemble et distinction des opérations voisines », in X., Les aspects juridiques de l’outsourcing, Bruylant, Bruxelles, 2002, pp. 7-52. - P. VAN OMMESLAGHE, « Les grandes tendances de l’évolution du droit des obligations conventionnelles lors des tente-cinq dernières années », T.P.R., 2001, pp. 357-372. - P. VAN OMMESLAGHE, « Le consumérisme et le droit des obligations conventionnelles : révolution, évolution ou statu quo ? », in X., Hommage à Jacques HEENEN, Bruylant, Bruxelles, 1994, pp. 509-556. - A. VANDEN BROECKE, « L’opposabilité de la cession de créance », J.T., 2007, pp. 480-481. - B. DE CONINCK, « Cession de créance et compensation légale entre dettes connexes », R.C.J.B., 2007, pp. 577-610.

• Ce mécanisme vise l’hypothèse où une obligation existante entre un créancier et un débiteur va être transférée sans autre modification au profit d’un ou de plusieurs autres créanciers 423 ou à charge d’un ou de plusieurs autres débiteurs.

On assiste dès lors au remplacement de l’une ou l’autre des parties à un lien obligatoire existant. Aucun changement n’affecte toutefois l’obligation elle-même qui demeure inchangée, nonobstant la substitution intervenant au niveau des parties au lien obligatoire.

Il s’agit là d’une caractéristique fondamentale de la transmission [overgang] des obligations qui distingue ce mécanisme d’autres qui, soit impliquent l’extinction de l’obligation existante et l’apparition d’une nouvelle obligation (novation), soit donnent naissance à une nouvelle obligation sans entraîner l’extinction de l’obligation primitive (délégation imparfaite).

423 La Cour de Cassation a expressément admis le principe de la transmissibilité d’une créance (Cass., 14 février 1924, Pas., 1924, I, p. 202).

- 202 -

Dans la transmission des obligations, la survivance de l’obligation ancienne présente une importance pratique majeure :

- D’une part, les sûretés qui garantissent l’obligation subsistent ;

- D’autre part, le débiteur pourra opposer au nouveau créancier les

exceptions qu’il pouvait invoquer à l’encontre du créancier originaire.

• La substitution de partie à un lien obligatoire peut intervenir tantôt du

côté du créancier, tantôt du côté du débiteur.

Le premier cas vise la transmission active d’une obligation. On parlera généralement de la cession d’une créance (Titre 1).

La seconde hypothèse concerne la transmission passive d’une obligation, classiquement qualifiée de cession de dette (Titre 2).

Conceptuellement, il se peut également que la substitution intervienne dans le cadre d’un contrat synallagmatique et englobe dès lors tant une cession de créance(s) qu’une cession de dette(s) : il s’agira de la cession de contrat (Titre 3).

• La transmission des obligations peut intervenir entre vifs ou à cause de

mort.

Dans cette dernière hypothèse, la substitution de créancier ou de débiteur sera la conséquence du décès d’une des parties au lien obligatoire originaire et ne posera guère de problème majeur (hormis pour les obligations intuitu personae) : l’(les) héritier(s) du défunt – qu’il soit créancier ou débiteur – hérite(nt) du droit ou de l’obligation dont son(leur) auteur était titulaire ou débiteur. Nous ne traiterons pas de cette situation, mais renvoyons aux principes exposés à propos des modalités des obligations (cfr obligations conjointes ou indivisibles).

La transmission des obligations entre vifs est plus problématique, spécialement en cas de transmission passive. Nous concentrerons donc les développements qui suivent à cette situation.

- 203 -

• On distingue encore les transmissions universelles d’obligations et les transmissions d’obligations ut singuli.

Les premières concernent le transfert de tout ou partie d’un patrimoine, tandis que les secondes n’ont trait qu’à une obligation déterminée.

Différentes législations spécifiques ont été promulguées à propos des transmissions universelles d’obligations. Nous ne pouvons les examiner dans le cadre du cours d’obligations, mais citons, à titre d’exemples :

- La fusion de sociétés 424 ; - La scission d’une société 425 ; - La cession d’une branche d’activités par une société 426.

Ces hypothèses ne doivent pas être confondues avec la cession d’un fonds de commerce qui ne fait l’objet d’aucune réglementation particulière et s’analyse donc comme une cession de créances et de dettes 427, voire de contrats.

424 Articles 671, 672, 676, 677 et 681 à 727 du Code des sociétés. 425 Articles 673 à 675, 677, 681 à 692 et 728 à 758 du Code des sociétés. 426 Articles 678 à 680 et 759 à 762 du Code des sociétés. 427 Cass., 4 mars 1982, R.C.J.B., 1984, p.175.

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TITRE 1. LA CESSION DE CRÉANCE [OVERDRACHT VAN SCHULDEVORDERING]

Pour en savoir plus : - M. FONTAINE, « La transmission des obligations ‘de lege ferenda’ », in X., La transmission des obligations, Bruylant, Bruxelles, pp. 611-672. - J. HEENEN, « La cession des créances futures (note sous Cass., 9 avril 1959) », R.C.J.B., 1961, pp. 35-44. - Y. MERCHIERS, « Les effets de la cession de créance vis-à-vis du débiteur cédé (note sous Cass., 27 septembre 1984) », R.C.J.B., 1987, pp. 514-541. - M.L. STENGERS, « La compensation après faillite et l’exception d’inexécution apposées par le débiteur d’une créance cédée (note sous Cass., 13 septembre 1973) », R.C.J.B., 1974, pp. 356-367. - Ph. STROOBANT, « La vente d’une créance », Vente. Commentaire pratique, Kluwer, 2001, II.2.216 – II.2.270. - P. VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage des créances », J.T., 1995, pp. 529-540. - P. WÉRY, « Le nouveau régime de l’opposabilité de la cession de créance », in X., L’opposabilité de la cession de créance aux tiers, La Charte, Bruxelles, 1995, pp. 1-74. - A. VANDEN BROEKE, « Le point sur … l’opposabilité de la cession de créance », J.T., 2007, pp. 480-481.

Le Code civil consacre expressément la possibilité pour un créancier de céder le droit dont il est titulaire et réglemente ce mécanisme au titre de la vente (Articles 1689 à 1701 du Code civil) 428. Cela n’exclut évidemment pas que la cession de créance puisse intervenir sous une autre forme, à savoir notamment un contrat de donation, un contrat d’échange, un apport en société,… Nous nous limiterons dans les développements qui suivent à l’examen de la cession de créance de droit commun, à l’exclusion de différents régimes particuliers qui ont fait l’objet de réglementations spécifiques, parmi lesquelles : - L’endossement de la facture 429 ; - La cession de rémunération 430 ;

- L’endossement de la lettre de change 431.

428 Nous n’examinerons cependant pas les hypothèses de cession de droits successifs (Articles 1696 à 1698 du Code civil) ou de cession de droits litigieux (Articles 1699 à 1701 du Code civil). 429 Articles 13 à 16 de la loi du 25 octobre 1919 sur la mise en gage du fonds de commerce, l’endossement de la facture, ainsi que l’agréation et l’expertise des fournitures faites directement à la consommation. 430 Articles 27 à 35 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs.

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Chapitre 1. Notion La cession de créance est une convention conclue entre deux sujets de droit en vertu de laquelle l’un d’entre eux (le créancier cédant [overdrager]) cède à l’autre (le créancier cessionnaire [gecedeerde schuldenaar]) la créance qu’il possède à l’encontre d’un tiers (le débiteur cédé [overnemer]). L’élément caractéristique de cette convention est évidemment qu’elle est valablement conclue sans l’intervention, ni a fortiori l’accord, du débiteur. La convention de cession sera donc valablement conclue dès l’échange des consentements entre le cédant et le cessionnaire 432. A cet égard, il est admis que l’article 1689 ne vise que l’obligation mise à charge du cédant de remettre le titre de la créance au cessionnaire et ne concerne dès lors que l’exécution de la convention de cession. Il n’a pas pour objet, ni pour conséquence, de faire de celle-ci un contrat réel qui ne pourrait naître que par l’accomplissement de cette formalité. Sauf exceptions (Voir articles 1409 et suivants du Code judiciaire), toute créance peut en principe faire l’objet d’une convention de cession. Nous verrons toutefois que cette dernière ne sera opposable aux tiers, au sein desquels le débiteur cédé occupe une position centrale, que moyennant l’accomplissement de certaines formalités. Il faut par ailleurs rappeler que la cession de créance se caractérise par la transmission de l’obligation originaire, ce qui implique le maintien des sûretés garantissant celle-ci et des exceptions qui étaient opposables par le débiteur cédé au créancier cédant.

431 Articles 11 à 20 des lois coordonnées du 31 décembre 1955 sur la lettre de change et le billet à ordre. 432 Cass., 29 octobre 1885, Pas., 1885, I, p.259.

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Chapitre 2. Opposabil ité [tegenwerpelijkheid] aux tiers

Section 1. Evolution historique Le Code civil a toujours prévu un régime d’opposabilité de la cession de créance aux tiers dérogatoire au droit commun. Avant la promulgation de la loi du 6 juillet 1994, ce régime était fort contraignant et peu efficace : l’article 1690 du Code civil subordonnait en effet cette opposabilité à l’accomplissement de l’une des formalités suivantes : - La signification [betekening] par exploit d’huissier

[deurwaardersexploot] de l’existence de la cession au débiteur cédé ; - L’acceptation de ladite cession par le débiteur dans un acte authentique

[authentieke akte]. La jurisprudence avait sans doute fait preuve d’une certaine tolérance en admettant certains actes équipollents [gelijkwaardige handelingen] aux formalités prévues par l’article 1690 du Code civil parmi lesquels la reconnaissance de la cession de créance par le débiteur cédé 433. Ces actes équipollents n’avaient toutefois qu’un effet relatif et ne rendaient dès lors la cession de créance opposable qu’au seul tiers ayant reconnu la cession. La loi du 6 juillet 1994 a eu pour objectif de simplifier le régime de l’opposabilité d’une cession de créance. Il convient actuellement de distinguer l’opposabilité au débiteur cédé et l’opposabilité aux autres tiers.

Section 2. Opposabilité au débiteur cédé Le nouvel article 1690, alinéa 2 du Code civil a maintenu une exigence de formalisme allégé pour rendre la cession de créance opposable au débiteur cédé qui est évidemment le tiers le plus concerné : il doit en effet exécuter

433 Cass., 18 janvier 1968, Pas., 1968, I, p.634 ; Cass., 7 septembre 1972, Pas., 1973, I, p.22 ; Cass., 30 avril 1976, Pas., 1976, I, p.941.

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l’obligation qui pèse sur lui, mais doit être dûment avisé de l’identité de la partie à l’égard de laquelle il est tenu de s’exécuter. Deux formalités alternatives sont prévues par cette disposition : - Soit une notification [kennisgeving] de la cession de créance au

débiteur cédé ;

Aucune forme particulière n’est requise pour cette notification qui peut émaner du cédant ou du cessionnaire434. Il est toutefois admis qu’elle doit faire l’objet d’un écrit435 qui pourra, sous réserve des éventuels problèmes de preuve, être une simple lettre436, une télécopie, voire même une communication par voie électronique.

- Soit une reconnaissance [erkenning] de la cession de créance par le

débiteur cédé.

Cette reconnaissance peut être écrite 437 ou verbale, voire même implicite438 et résulter par exemple d’une exécution partielle de l’obligation au profit du cessionnaire 439.

En principe, la simple connaissance par le débiteur cédé de la cession de créance ne suffit donc pas.

Section 3. Opposabilité aux autres tiers Le nouvel article 1690, alinéa 1 du Code civil fait application du principe général de l’opposabilité de plein droit de la cession de créance aux autres tiers440. Aucune formalité particulière n’est dès lors requise, ce qui ne prive cependant pas d’intérêt le recours à une notification, notamment en cas de cessions successives d’une même créance. L’article 1690, alinéas 3 et 4 du Code civil organise en effet une protection particulière du tiers de bonne foi. 434 Cass., 27 avril 2006, Pas., 2006, I, p. 243 435 Mons, 21 octobre 1998, J.T., 1999, p. 136; Civ. Bruxelles, 7 avril 2000, R.W., 2000-2001, p. 349. 436 Civ. Courtrai, 11 décembre 2008, R.W., 2009-2010, p. 1062. 437 Pour un cas d’application : Liège, 5 décembre 2008, J.L.M.B., 2010, p. 1309. 438 Cass., 6 novembre 1997, Pas., 1997, I, n° 454. 439 Comm. Bruxelles, 9 novembre 2011, R.G.D.C., 2012, p. 112. 440 Liège, 20 décembre 2007, J.L.M.B., 2008, p. 1264.

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Chapitre 3 : Effets

Section 1. Obligations du cédant Au moment de la cession de créance, le cédant doit évidemment garantir l’existence de la créance (Article 1693 du Code civil), mais également le fait que ladite créance lui appartient. De longue date 441, la jurisprudence a toutefois admis la validité de la cession d’une créance future, pour autant que le principe du droit du cédant existe au moment de la cession. Il a même été jugé qu’il suffisait que la créance soit déterminée ou déterminable au moment de la cession 442. En cas de manquement par le cédant à l’obligation de garantie qui pèse sur lui, le cessionnaire pourra prétendre à la restitution du prix de la cession. Il faut par ailleurs rappeler que la cession de créance constitue un mode de transmission de l’obligation existante : celle-ci se transmet dès lors avec tous les accessoires (sûretés) qui l’accompagnent et les exceptions qui l’affectent443. Le cédant n’est nullement tenu de garantir la solvabilité du débiteur (Article 1694 du Code civil), sauf s’il s’y est engagé. Les principes énoncés revêtent en effet un caractère supplétif, ce qui laisse aux parties au contrat de cession la possibilité d’y déroger.

Section 2. Entre parties La cession de créance est parfaite par le seul échange des consentements 444. Selon le type de contrat conclu (vente, donation, apport en société,…), la cession de créance produira les effets qui en découlent. 441 Cass., 29 octobre 1885, Pas., 1885, I, p.259. 442 Cass., 9 avril 1959, R.C.J.B., 1961, p.32. 443 Comm. Bruxelles, 9 novembre 2011, R.G.D.C., 2012, p. 112. 444 Bruxelles, 3 mai 1976, Pas., 1977, II, p.81 ; Mons, 27 juin 1977, Pas., 1978, II, p.29.

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Section 3. A l’égard des tiers

A ce niveau, il faut à nouveau distinguer les effets de cession de la créance à l’égard du débiteur cédé et à l’égard des autres tiers. - A l’égard du débiteur cédé

Tant que la cession de créance n’a pas été rendue opposable au débiteur cédé, celui-ci n’est pas tenu d’y avoir égard. Pour lui, tout se passe donc comme si cette cession n’existait pas. Par contre, le paiement effectué au cédant par le débiteur après que le cession lui ait été notifié n’est pas libératoire, de sorte que le débiteur reste tenu du paiement à l’égard du cessionnaire445.

La cession de créance ne peut par ailleurs entraîner aucune modification de la situation du débiteur cédé qui demeure, par hypothèse, étranger à l’opération de cession intervenue.

La créance cédée subsiste donc inchangée et comprend les accessoires de la créance446, ce qui pose la question de l’opposabilité des exceptions que le débiteur cédé peut opposer dorénavant au cessionnaire.

Le principe est celui de la possibilité pour le débiteur cédé d’opposer au cessionnaire toutes les exceptions nées avant que la cession n’ait été rendue opposable au débiteur cédé par l’accomplissement de l’une des formalités énumérées ci-dessus447.

Le débiteur cédé ne pourrait donc se prévaloir des exceptions nées postérieurement à cette opposabilité de la cession à son égard.

Le nouvel article 1691 du Code civil opère cependant une distinction entre deux catégories d’exceptions :

- Celles qui découlent d’un acte juridique accompli par le débiteur cédé à l’égard du cédant requièrent que le débiteur cédé ait été de bonne foi.

445 Cass., 15 juin 2007, Pas., 2007, I, n° 331. 446 Cass., 20 septembre 2012, J.L.M.B., 2013, p. 1536. Cet arrêt considère que la clause résolutoire expresse qui est au service exclusif d’une créance en constitue l’accessoire. 447 Liège, 6 janvier 2004, J.T., 2004, p. 199.

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On peut évidemment songer à cet égard au paiement effectué par le débiteur cédé en faveur du cédant qui emporte libération du premier (Articles 1690, alinéa 4 et 1691, alinéa 1 du Code civil).

- Les autres exceptions pour lesquelles cette exigence de bonne foi du débiteur cédé n’est pas requise étant donné qu’elles découlent de la loi, plutôt que d’un acte juridique accompli par le débiteur.

Tel est notamment le cas des causes de nullité frappant le contrat qui a donné naissance à la créance cédée, des conséquences attachées par la loi à certains faits (prescription,…) ou encore des exceptions d’inexécution et de compensation.

Pour ces dernières se pose d’ailleurs la question du moment de leur naissance.

A cet égard, la Cour de Cassation a considéré que l’exception d’inexécution tient à la nature même du contrat synallagmatique et prend donc naissance lors de la conclusion du contrat, plutôt qu’au moment où l’inexécution est acquise 448.

Quant à l’exception de compensation, le nouvel article 1295 du Code civil permet au débiteur cédé de l’opposer au cessionnaire, pour autant que les conditions de la compensation soient réunies avant que la cession ne soit opposable au débiteur cédé 449.

- A l’égard des autres tiers

Les alinéas 3 et 4 du nouvel article 1690 du Code civil organisent une protection spéciale de certains tiers, notamment dans l’hypothèse de cessions successives d’une même créance.

448 Cass., 13 septembre 1973, Pas., 1974, I, p.31 ; Cass., 27 septembre 1984, Pas., 1984, I, p.133 ; Cass., 22 avril 2002, Pas., 2002, I, n° 243 ; En ce sens : Bruxelles, 27 janvier 2011, J.T., 2011, p. 420. 449 Pour un cas d’application : Cass., 26 juin 2003, R.C.J.B., 2007, p. 569. En ce sens : Bruxelles, 7 mars 2003, J.T., 2003, p. 663 ; Cass., 5 octobre 2012, R.G. C.12.0073.N.

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TITRE 2. LA CESSION DE DETTE [SCHULDOVERDRACHT] Aucune disposition du Code civil ne traite de la matière de la cession de dette. Il n’y a pas pour autant lieu d’en déduire une interdiction absolue de céder une dette. Le problème se situe toutefois au niveau de la décharge du débiteur originaire qui requiert le consentement du créancier. Chapitre 1. Notion Sur le plan conceptuel, le mécanisme de la cession de dette est simple : une obligation mise à charge d’un débiteur serait transférée – ce qui implique la libération du débiteur originaire – à charge d’un autre débiteur qui sera tenu d’exécuter la prestation convenue au profit du créancier qui demeure inchangé. Pareille opération pose cependant problème : bien souvent, le créancier s’est en effet lié avec un débiteur déterminé en raison de l’identité et des caractéristiques (compétence, fiabilité, solvabilité,….) de celui-ci. On conçoit dès lors mal que ce créancier puisse se voir imposer un nouveau débiteur sans avoir son mot à dire : il peut en effet posséder un intérêt majeur à ne pas devoir assister à une telle substitution de débiteur. Sur le plan juridique, seule une convention à l’égard de laquelle le créancier marquerait son accord permettrait donc de transférer la dette à charge d’un nouveau débiteur en libérant le débiteur originaire. A défaut d’obtenir l’accord du créancier, ce dernier ne pourrait être déchargé de son obligation 450 : il demeurerait donc tenu aux côtés du nouveau débiteur.

450 Cass., 12 septembre 1940, Pas., 1940, I, p.213 ; Cass., 26 mai 1961, Pas., 1961, I, p.1030 ; Cass., 26 septembre 2003 (R.G. C020292F).

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Chapitre 2. Autres solutions (renvoi) La pratique a eu recours à différents mécanismes pour pallier l’absence de réglementation de la cession de dette en droit belge, à savoir tantôt la stipulation pour autrui, tantôt la novation [schuldvernieuwing] par changement de débiteur, tantôt encore la délégation imparfaite [onvolkomen delegatie] 451. Aucune de ces opérations ne peut toutefois être qualifiée « cession de dette », dans la mesure où elles n’ont pas pour objet de transférer la dette originaire à charge d’un nouveau débiteur en entraînant la libération du débiteur initial sans le consentement du créancier452.

451 Ces mécanismes ont été ou seront examinés par ailleurs dans le cadre du cours. 452 Gand, 3 novembre 2010, R.G.D.C., 2011, p. 478.

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TITRE 3. LA CESSION DE CONTRAT [CONTRACTOVERDRACHT]

Pour en savoir plus : - M. FONTAINE, « L’apport d’une branche d’activités et la cession des contrats (note sous Cass., 4 mars 1982) », R.C.J.B., 1984, pp. 179-191. - P. WÉRY, « La cession de contrat synallagmatique (note sous Mons, 16 septembre 2002) », R.R.D., 2003, pp. 30-32.

Pas davantage que la cession de dette, la cession de contrat n’a fait l’objet d’une réglementation générale en droit belge. Diverses dispositions légales envisagent toutefois cette hypothèse et la réglementent de manière spécifique dans certains cas, à savoir notamment : - En cas de vente du bien loué :

- L’article 1743 du Code civil dans le contrat de bail de droit commun ; - L’article 9 des dispositions relatives aux baux de résidence principale

(loi du 20 février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer) ;

- L’article 12 de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux ; - L’article 55 de la loi du 4 novembre 1969 sur le bail à ferme.

- En cas de cession du contrat de bail par le preneur :

- L’article 4, §1 des dispositions relatives aux baux de résidence principale 453 ;

- Les articles 10 et 11 de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux ;

- L’article 34 de la loi du 4 novembre 1969 sur le bail à ferme. - En cas de transfert conventionnel d’une entreprise : la convention

collective n°32bis du 7 juin 1985 454.

453 Loi du 20 février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer. 454 Rendue obligatoire par l’Arrêté royal du 25 juillet 1985.

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Nous ne pouvons évidemment examiner ces réglementations spécifiques dans le cadre de ce cours. Chapitre 1. Notion La cession de contrat ne pose guère de problème lorsqu’elle porte sur un contrat unilatéral (prêt, dépôt à titre gratuit, donation,…) et que l’opération est envisagée du point de vue du créancier. Dans pareille hypothèse, il y a en effet lieu de faire application du mécanisme de la cession de créance. Tout autre est évidemment la situation lorsqu’on a affaire à une cession de contrat unilatéral du point de vue du débiteur – qui doit s’analyser comme une cession de dette – ou à une cession de contrat synallagmatique. Pareille cession ne peut en effet être imposée au cocontractant, mais requiert le consentement de celui-ci pour entraîner la décharge du cédant. Chapitre 2. Régime La Cour de Cassation applique à la cession de contrat synallagmatique la théorie du dépeçage [segmentering of opsplitsing] 455 consistant à analyser celle-ci comme une cession de créance(s) accompagnée d’une cession de dette(s). L’opération est donc scindée sur base des principes exposés pour chacun de ces mécanismes, ce qui implique : - D’une part, le respect des formalités nécessaires pour rendre la cession de créance opposable au débiteur ; - D’autre part, l’accord du créancier pour entraîner la décharge du débiteur.

455 Cass., 4 mars 1982, R.C.J.B., 1984, p.175 ; Cass., 26 septembre 2003, Pas., 2003, I, n° 457.

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Cette scission est regrettée par de nombreux auteurs, en ce qu’elle revêt un caractère artificiel et ne répond pas aux attentes de la pratique (on peut songer particulièrement à l’hypothèse de la cession d’un fonds de commerce avec toutes ses composantes tant actives que passives).

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TITRE 4. AUTRES MECANISMES (DÉLÉGATION, SUBROGATION)

Pour en savoir plus : - F. GLANSDORFF, « La délégation imparfaite », J.T., 1993, pp. 226-227. - C. PARIS, « La créance d’honoraires de l’avocat contre l’assureur juridique sous l’angle de la délégation (note sous J.P. Ciney, 9 février 2000) », R.G.A.R., 2001, n° 13.367. N. VANDERWEERD, « Quelques réflexions à propos de la clause de délégation prévue dans le règlement de copropriété », J.J.P., 2000, pp. 391-396.

Sans procéder à un examen approfondi de leurs spécificités, il faut encore faire écho à certains mécanismes qui réalisent, à tout le moins indirectement, une transmission d’obligation(s). Chapitre 1. La délégation

Section 1. Notion La délégation a pour objet d’adjoindre au débiteur initial (= le délégant) un second débiteur (= le délégué), lequel s’engage à exécuter une ou plusieurs obligation(s) au profit du créancier (= le délégataire) qui accepte. Le contrat de délégation est donc une opération à trois personnes qui a pour objet d’inviter le délégué à exécuter l’obligation qu’il avait à l’encontre du délégant au profit du délégataire 456. L’engagement du délégué est qualifié d’abstrait en ce qu’il ne pourra en principe pas opposer au délégataire les exceptions dont il aurait pu se prévaloir à l’encontre du délégant.

456 Gand, 3 novembre 2010, R.G.D.C., 2011, p. 478.

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Section 2. Effets La délégation n’a pas pour effet de libérer le délégant qui reste donc tenu in solidum avec le délégué à l’égard du délégataire 457. En raison de l’acceptation de la délégation par le délégataire, celui-ci pourra exiger l’exécution de l’obligation de la part du délégué. Chapitre 2. La subrogation Ce mécanisme sera examiné au niveau du paiement 458.

457 Liège, 9 septembre 2004, J.L.M.B., 2005, p. 1455. 458 Partie 4, titre 1.

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PARTIE 4.

L’EXTINCTION [UITDOVING] DES OBLIGATIONS

Pour en savoir plus : - L. CORNELIS, « De schorsing van verbintenissen », T.P.R., 2008, pp. 467-510. - P. WERY, « Vue d’ensemble sur les causes d’extinction des contrats », La fin du

contrat, C.U.P., Liège, 2001. - P. WERY (dir.), Chronique de jurisprudence sur les causes d’extinction des obligations

(2000-2013), CUP n° 149, Bruxelles, Larcier, 2014. • L’extinction d’une obligation a pour conséquence de mettre un terme

au lien obligatoire qui existait antérieurement. Elle entraîne dès lors la libération du débiteur qui n’est plus tenu d’exécuter l’obligation qui pesait antérieurement sur lui.

Cette libération vise également les accessoires de la dette (garanties réelles, garanties personnelles,…), dont le maintien ne se justifie plus en raison de l’extinction de l’obligation.

• Il n’y a pas lieu de confondre l’extinction des obligations avec la dissolution des contrats. La première n’a pour effet que de mettre un terme au lien obligatoire en vertu duquel le débiteur est tenu d’accomplir une prestation au profit du créancier, tandis que la seconde consiste à délier anticipativement les parties au contrat des obligations qui pesaient sur l’une (contrat unilatéral) ou sur chacune (contrat synallagmatique) d’entre elles. Par ailleurs, les règles relatives à l’extinction des obligations trouvent à s’appliquer indépendamment de la nature de la source qui leur a donné naissance. Cela étant, il faut évidemment admettre que l’extinction des obligations aura souvent des conséquences au niveau de la dissolution du contrat qui, par hypothèse, est à l’origine de celles-ci.

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Réciproquement, la dissolution du contrat ne sera généralement pas sans incidence sur les obligations qui en découlent et entraînera souvent l’extinction de celles-ci ou, à tout le moins, de certaines d’entre elles. Le législateur n’a cependant pas échappé à cette confusion, en énumérant à l’article 1234 du Code civil tant des causes d’extinction des obligations que des causes de dissolution du contrat.

• Le mode classique d’extinction des obligations est évidemment le

paiement au sens des articles 1235 et suivants du Code civil, c.à.d. l’exécution de la prestation mise à charge du débiteur.

A côté de ce mode « normal » d’extinction, d’autres hypothèses devront toutefois être envisagées, dont certaines résultent de la volonté des parties (ou, à tout le moins, de l’une d’entre elles) et d’autres de la loi. Parmi les premières, on peut notamment ranger la novation ou la remise de dette, tandis que la prescription relève de la seconde catégorie. Au-delà des différentes techniques qui seront pointées dans cette partie du cours, tous les modes d’extinction des obligations aboutissent au même résultat : la libération du débiteur.

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TITRE 1. LE PAIEMENT [BETALING]

Pour en savoir plus : - J.-P. BUYLE, « La preuve et le coût du paiement », in X., Les aspects juridiques du paiement, Rev. Dr. U.L.B., 1993, pp. 149-199. - C. DALCQ, « L’imputation des paiements », J.T., 1988, pp. 77-99. - I. DURANT, « L’article 1254 du Code civil : un texte moins clair qu’il n’y paraît (Obs. sous Cass., 28 octobre 1993) », J.L.M.B., 1995, pp. 1236-1240. - B. GLANSDORFF, « Les parties au paiement », in X., Les aspects juridiques du paiement, Rev. Dr. U.L.B., 1993, pp. 61-77. - F. MAUSSION, « De l’incidence de la dépréciation monétaire sur la fixation des indemnités, spécialement en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique (note sous Cass., 20 septembre 1979) », R.C.J.B., 1982, pp. 106-137. - E. PLASSCHAERT, « Le moment auquel le débiteur d’une obligation portant sur le paiement d’une somme d’argent est libéré », R.D.C., 2000, pp. 822-824. - J. VAN DAMME, « Aspects juridiques du paiement par un tiers (Note sous Cass., 28 septembre 1973) », R.C.J.B., pp. 242-248. - J. VAN MULLEN, « L’incidence des variations monétaires sur le droit belge des obligations », Ann. Fac. Dr. Lg., 1978, pp. 57-149. - P. WÉRY, « La nature juridique du virement bancaire de fonds », J.T., 1988, pp. 385-390. - X., Le paiement, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009. -C. MARR, « Le paiement : modalités, instruments et imputation », Chronique de jurisprudence sur les causes d’extinction des obligations (2000-2013), sous la direction de P. Wéry, CUP n° 149, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 19 à 88.

Le premier mode d’extinction des obligations mentionné par l’article 1234 du Code civil constitue également le mode « normal » de cette extinction, ce qui ne signifie cependant pas qu’il ne peut donner lieu à aucune difficulté. Chapitre 1. Généralités

Section 1. Notion Au sens juridique du terme, le paiement a une acception beaucoup plus large que dans le langage usuel. Selon ce dernier, le paiement fait en effet référence à la notion de prix qui consiste nécessairement en une somme d’argent.

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En droit, le paiement est l’exécution d’une obligation, dont le contenu peut être de donner (dare), mais également de faire (facere) ou de ne pas faire (non facere). Le paiement relève de la catégorie des actes juridiques unilatéraux, ce qui implique : • D’une part, l’existence de la volonté du débiteur qui exécute une

obligation de produire des effets juridiques, et spécialement l’extinction de l’obligation.

• D’autre part, le fait que l’accord du créancier n’est nullement requis

pour que le débiteur exécute son obligation, ce qui fait que le paiement ne constitue pas un contrat.

Nous verrons que le fait de considérer le paiement comme un acte juridique aura évidemment des conséquences au niveau des règles de preuve qui le régissent, dans la mesure où il y aura lieu de faire application du principe de la prééminence de la preuve écrite organisée par les articles 1341 et suivants du Code civil 459. Le consentement du créancier ne sera requis que dans l’hypothèse où le débiteur exécutera une prestation différente de celle à laquelle il était tenu. On parlera dans ce cas d’une dation en paiement. L’article 1235 du Code civil énonce la condition élémentaire de tout paiement, à savoir l’existence d’une dette. A défaut, il y aurait en effet lieu de faire application des règles relatives au paiement de l’indu.

Section 2. Objet Les articles 1243 et suivants du Code civil énoncent différentes règles applicables à tous les paiements. Il conviendra par ailleurs de préciser certaines règles applicables au paiement dont l’objet est une somme d’argent.

459 Cass., 26 octobre 2006, J.T., 2007, p. 51.

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A. Règles applicables à tous les paiements Il est communément admis que le débiteur doit payer ce qui est dû, c.à.d. tout ce qui est dû, mais également rien que ce qui est dû. • Le débiteur doit payer ce qui est dû

L’article 1243 du Code civil constitue une application du principe de la convention-loi, lorsqu’il énonce que le créancier ne peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due, quoique la valeur de la chose offerte soit égale ou même plus grande. Il va évidemment de soi que les parties peuvent déroger conventionnellement à cette disposition et accepter dès lors que le débiteur soit libéré dans pareille hypothèse. Le cas échéant, un nouvel accord de volonté entre les parties au rapport obligatoire est toutefois requis. L’article 1245 du Code civil constitue une application de cette première règle dans l’hypothèse où l’obligation a pour objet « un corps certain et déterminé ». Le débiteur est en effet tenu de livrer la chose dans l’état où elle se trouve au jour de la livraison. Cette disposition n’est toutefois pas d’application, soit lorsque le débiteur a été mis en demeure, soit lorsque la chose à livrer a été détériorée par la faute du débiteur ou de personnes dont il doit répondre. Dans ces hypothèses, le créancier est en effet en droit d’exiger la livraison de la chose dans l’état où elle se trouvait au moment où l’obligation de livraison est née et devait dès lors être exécutée. L’article 1246 du Code civil vise par ailleurs l’hypothèse de l’exécution d’une obligation portant sur la livraison d’une chose qui n’est déterminée que par son espèce : le débiteur n’est alors pas obligé de livrer la meilleure qualité, mais il ne pourra également pas livrer la plus mauvaise.

• Le débiteur doit payer tout ce qui est dû

Le principe est énoncé à l’article 1244, alinéa 1er du Code civil : le débiteur ne peut contraindre le créancier à recevoir un paiement partiel.

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Ce principe d’interdiction de tout paiement partiel connaît toutefois diverses exceptions, parmi lesquelles :

• Les parties peuvent évidemment convenir de paiements partiels ou

échelonnés. • L’octroi par le juge d’un délai de paiement au débiteur sur base de

l’article 1244, alinéa 2 du Code civil : moyennant le respect des modalités énoncées par cette disposition, le juge peut en effet moduler l’exécution par le débiteur de son obligation en l’autorisant à se libérer par des paiements partiels et échelonnés.

• Diverses dispositions légales spécifiques autorisent par ailleurs

expressément l’exécution de paiements partiels anticipés, parmi lesquels l’article VII.96 du Code de droit économique en matière de crédit à la consommation, l’article VII.145 du Code de droit économique en matière de crédit hypothécaire ou encore l’article 39, 2° des lois coordonnées du 31 décembre 1955 sur la lettre de change et le billet à ordre.

Nous verrons également que le principe de l’interdiction d’un paiement partiel doit être nuancé dans l’hypothèse où le mécanisme de la compensation trouve à s’appliquer. Pour éviter toute ambiguïté, il faut évidemment préciser que le principe de l’interdiction du paiement partiel ne porte pas atteinte aux règles relatives aux obligations à sujets multiples, et spécialement au principe de la divisibilité de la dette en cas de pluralité de débiteurs. Sauf dans l’hypothèse d’une obligation solidaire, indivisible ou in solidum, le créancier ne pourra dès lors exiger de chaque débiteur que le paiement intégral de la part qui leur incombe à chacun.

• Le débiteur ne doit payer que ce qui est dû

Si le débiteur devait payer plus, il y aura lieu de faire application des règles régissant le paiement de l’indu. Le créancier ne pourrait par ailleurs pas exiger du débiteur qu’il lui remette une chose différente de celle qui a été convenue, même d’une valeur moindre.

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B. Règles applicables au paiement d’une somme d’argent • Aucune disposition du Code civil ne règle cette problématique.

Conformément au principe de l’autonomie de la volonté, les parties sont dès lors en principe libres de faire choix tant de la monnaie qui déterminera l’importance de l’obligation sur le débiteur (monnaie contractuelle ou monnaie de compte [verbintenismunt]) que de la monnaie dont celui-ci devra faire usage pour exécuter son obligation (monnaie de paiement [betaalmunt]) 460. Lorsque les parties auront fait choix de monnaies différentes pour ces deux niveaux, il y aura tout simplement lieu de procéder à une conversion sur base du taux de change au jour du paiement, le créancier supportant le risque d’une éventuelle dévalorisation et le débiteur celui d’une augmentation de valeur. A défaut pour les parties d’avoir procédé à un tel choix, il est admis que la monnaie de paiement est celle du lieu où ledit paiement doit être exécuté. Signalons toutefois que les jugements et arrêts des juridictions belges ne peuvent prononcer que des condamnations en euros, ce qui les amènera à condamner le débiteur au paiement de la quantité d’euros nécessaire pour se procurer la quantité de monnaie étrangère due 461.

• Il faut par ailleurs faire écho au principe du nominalisme monétaire,

consacré en matière de prêt d’une somme d’argent par l’article 1895 du Code civil. Il est cependant admis que la règle énoncée par cette disposition trouve à s’appliquer par analogie à toutes les obligations de payer une somme d’argent 462.

Le risque d’une dévaluation ou d’une dépréciation monétaire entre le moment où l’obligation est née et celui où elle doit s’exécuter sera donc à charge du créancier, tandis que le débiteur supportera le risque inverse. Ce principe du nominalisme monétaire consacre dès lors la fiction de la stabilité de la monnaie. Il n’est toutefois pas d’ordre public, les parties

460 Cass., 4 mai 1922, Pas., 1922, I, p. 269 ; Cass., 14 mai 1925, Pas., 1925, I, p. 245 ; Cass., 30 mai 1929, Pas., 1929, I, p. 206 ; Cass., 4 septembre 1975, Pas., 1976, I, p. 16. 461 Cass., 23 novembre 1956, Pas., 1957, I, p. 305. 462 Bruxelles, 7 mai 1987, J.L., 1987, p. 871.

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étant dès lors libres de se prémunir contre les fluctuations de la monnaie 463. Elles peuvent dès lors insérer soit des clauses monétaires dont l’objectif est d’adapter le montant à payer par le débiteur en fonction de valeurs identifiées (or, monnaie étrangère,…) soit des clauses d’échelle mobile parmi lesquelles on range les clauses d’indexation. Le législateur soucieux de lutter contre l’inflation que ces dernières clauses risquent d’entraîner en limite cependant parfois les effets 464.

• Enfin, la pratique des affaires a entraîné une multiplication des

instruments de paiement, parmi lesquels le virement, le chèque et la carte de crédit sont sans doute les plus utilisés.

On regroupe ces différents instruments sous le vocable de « monnaie scripturale ». Sauf exceptions 465, un créancier peut refuser que son débiteur s’acquitte de son obligation au moyen d’un instrument de paiement. Le recours à un tel instrument pose par ailleurs la question du moment de l’extinction de l’obligation qui peut évidemment revêtir une importance capitale à différents niveaux (Suspension d’une police d’assurance, incidence de la faillite, exécution du contrat,…). La jurisprudence a considéré à ce propos que le paiement intervient au moment où le créancier peut disposer des fonds, c.à.d. normalement au moment où son compte est crédité 466.

463 Cass., 30 mai 1929, Pas., 1929, I, p. 206 ; Cass., 12 mai 1932, Pas., 1932, I, p. 167 ; Cass., 1er mars 1945, Pas., 1945, I, p. 128. 464 Voir l’article 1728bis du Code civil pour un cas d’application. 465 Voir notamment l’article 3 de l’Arrêté Royal n° 56 du 10 novembre 1967 favorisant l’usage de la monnaie scripturale qui interdit aux commerçants de refuser les paiements ou versements de sommes d’au moins 247,89 euros (10 000 BEF) effectuées par chèque ou par virement. Voy. ég. les articles 20 et 21 de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, M.B., 9 février 1993, modifiés principalement, en dernier lieu, par la loi du 29 mars 2012, M.B., 6 avril 2012. Ainsi depuis le 1er janvier 2014, il n’est plus permis de payer en espèces lors d’un achat immobilier, ce dernier ne pouvant être acquitté qu’au moyen d’un virement ou d’un chèque (art. 20). 466 Cass., 6 janvier 1972, Pas., 1972, I, p. 438 ; Cass., 23 septembre 1982, Pas., 1983, I, p. 118 ; Civ. Liège, 25 juin 1968, J.L., 1969-1970, p. 68 ; Comm. Liège, 19 mars 1986, J.L., 1986, p. 379.

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Section 3. Auteur du paiement (solvens)

A. Qui peut payer ?

• Il relève de l’évidence que l’exécution de l’obligation par le débiteur

constitue l’hypothèse normale.

Il convient d’y assimiler le paiement exécuté soit par un mandataire du débiteur qui le représente, soit par un agent d’exécution. Cette assimilation ne sera toutefois pas possible lorsque l’obligation qui pèse sur le débiteur revêt, dans le chef de celui-ci, un caractère intuitu personae 467.

• L’article 1236 du Code civil prévoit par ailleurs que le paiement peut

également être exécuté par un tiers intéressé (alinéa 1) 468, voire même par un tiers non intéressé (alinéa 2), pour autant qu’aucune convention n’ait exclu expressément ces hypothèses.

La caution ou le tiers détenteur d’un immeuble hypothéqué relèvent de la première catégorie : leur intérêt se situe au niveau des conséquences que le défaut d’exécution de l’obligation peut entraîner à leur égard. Il relève du bon sens de leur permettre de devancer une éventuelle inexécution et de faire ultérieurement des comptes avec le débiteur. Parmi les tiers non intéressés, l’hypothèse la plus fréquente est celle du gérant d’affaires 469. Toujours dans la logique d’éviter les éventuels abus d’immixtion dans les affaires d’autrui, l’article 1236, alinéa 2 exclut toutefois que le tiers non intéressé qui effectue le paiement d’une dette soit subrogé aux droits du créancier. Il est néanmoins admis qu’une subrogation

467 Il a également été jugé que le créancier pourrait justifier d’un intérêt légitime pour refuser le paiement qui ne serait pas exécuté par le débiteur (Cass., 28 septembre 1973, Pas., 1974, I, p. 91 ; Bruxelles, 14 novembre 1899, Pas., 1900, II, p. 129) ; voy. ég. l’art 1237 du Code civil. Dans un arrêt du 2 février 2012, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que cet intérêt doit être propre au créancier. Il a ainsi été décidé que le vice de dol affectant les rapports entre le tiers payeur et le débiteur ne constitue pas un intérêt propre au créancier permettant à ce dernier de s’opposer au paiement effectué par un tiers (Cass., 2 février 2012, R.W., 2014-2015, p. 1659, note S. RUTTEN). 468 Dans pareille hypothèse, il est admis que le tiers intéressé qui a procédé au paiement sera légalement subrogé dans les droits du créancier sur base de l’article 1251 du Code civil. 469 Comm. Bruxelles, 2 décembre 1963, J.C.B., 1964, p. 181.

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conventionnelle, c.à.d. faisant l’objet d’un accord de la part du créancier, demeure possible470.

B. Conditions requises dans le chef de celui qui paie • Le paiement constituant un acte juridique, il est requis que celui qui y

procède possède la capacité juridique au sens de l’article 1108 du Code civil. A défaut, le paiement intervenu pourra en effet être annulé 471.

• Lorsque l’obligation à exécuter consiste à transférer la propriété d’un

bien, il faut en outre que l’auteur du paiement soit le propriétaire du bien en question et qu’il ait la capacité de l’aliéner (Article 1238, alinéa 1 du Code civil).

Section 4. Destinataire du paiement (accipiens)

A. Principe Le paiement doit intervenir entre les mains du créancier (Article 1239, alinéa 1 du Code civil), auquel il convient d’assimiler tant le représentant légal, judiciaire ou conventionnel de celui-ci, que son agent d’exécution. Le débiteur prudent veillera dès lors à se ménager la preuve de la qualité du représentant ou de l’agent d’exécution entre les mains duquel il effectuera le paiement 472. L’accipiens doit en outre disposer de la capacité juridique pour recevoir le paiement (Article 1241 du Code civil). A défaut, il y aura lieu d’appliquer l’adage « qui paie mal, paie deux fois » 473, sauf la possibilité pour le débiteur d’établir « que la chose a tourné au profit du créancier » (Article 1241 du Code civil).

470 Cass., 21 janvier 2008, J.L.M.B., 2008, p. 1780. 471 Cass., 14 septembre 1961, Pas., 1962, I, p. 68. 472 Il est à cet égard admis que l’huissier de justice qui a mis le débiteur en demeure de payer ou qui poursuit à charge de celui-ci une procédure d’exécution est mandaté pour recevoir le paiement (Cass., 18 septembre 1964, Pas., 1965, I, p. 62). 473 Civ. Bruxelles, 1er avril 1985, R.D.C., 1986, p. 447.

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B. Exceptions légales Le Code civil prévoit par ailleurs différentes hypothèses dans lesquelles un paiement fait à une autre personne que le créancier, son mandataire ou son agent d’exécution sera libératoire, à savoir : - Si le créancier ratifie le paiement (Article 1239, alinéa 2 du Code civil) ; - Si le paiement a profité au créancier474 (Article 1239, alinéa 2 du Code

civil) ; - Si le paiement a été fait de bonne foi au possesseur de la créance475

(Article 1240 du Code civil).

474 Cass., 6 mai 2011, R.G. C.10.0385.N (la Cour a validé le paiement d’une contribution alimentaire effectué directement entre les mains de l’enfant, en lieu et place du parent créancier). 475 L’article 1240 du Code civil peut être vu comme une application de la théorie de l’apparence (ou théorie de la confiance légitime) ; voy. C. MARR, « Le paiement : modalités, instruments et imputation », Chronique de jurisprudence sur les causes d’extinction des obligations (2000-2013), sous la direction de P. Wéry, CUP n° 149, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 45, n° 27.

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C. Situations exceptionnelles Dans certains cas, le Code civil ou certaines dispositions légales privent le créancier de la maîtrise de son patrimoine. Il ne peut donc recevoir un paiement476. L’article 1242 du Code civil vise l’hypothèse d’un paiement fait à un créancier au préjudice d’une saisie ou d’une opposition. On peut également faire écho aux effets d’un jugement déclaratif de faillite du créancier 477.

Section 5. Preuve L’article 1315, alinéa 2 du Code civil impose expressément au débiteur d’apporter la preuve du paiement dont il entend se prévaloir. Le paiement étant un acte juridique, la preuve de celui-ci est soumise au principe de la prééminence de la preuve écrite déposé à l’article 1341 du Code civil. Lorsque l’objet de l’obligation a une valeur supérieure à 375,00 €, l’auteur du paiement devra dès lors en principe disposer d’une preuve écrite répondant aux exigences de ce mode. Le débiteur devrait dès lors normalement disposer d’une quittance constatant le paiement. La jurisprudence admet toutefois assez largement de faire application des exceptions prévues aux articles 1347 et 1348 du Code civil pour tempérer cette rigueur 478. D’autres dispositions permettent également d’alléger la rigueur du principe de la prééminence de la preuve écrite, à savoir : - L’article 1331 du Code civil prévoit que les registres et papiers

domestiques du créancier peuvent faire preuve contre lui lorsqu’ils énoncent formellement un paiement reçu.

476 Par exemple, le paiement effectué par le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur principal est inopposable au sous-traitant qui a manifesté préalablement sa volonté d’exercer l’action directe (Mons, 9 janvier 2003, J.L.M.B., 2003, p. 1041). 477 Articles XX.110 et suivants du Code de droit économique. 478 Civ. Liège, 21 novembre 1989, J.L.M.B., 1990, p. 241.

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- L’article 1282 du Code civil considère que la remise volontaire du titre original sous seing privé par le créancier au débiteur constitue une preuve irréfragable de la libération de celui-ci.

- L’article 1332 du Code civil précise que la mention par le créancier sur

le titre resté en sa possession ou sur le double du titre qui se trouve entre les mains du débiteur peut également libérer ce dernier.

Chapitre 2. Modalités du paiement

Section 1. Lieu [plaats] du paiement La détermination du lieu du paiement pourra revêtir une importance pratique considérable au niveau de la détermination du tribunal territorialement compétent pour connaître d’un litige entre les parties. L’article 624, alinéa 2 du Code judiciaire permet en effet au demandeur de saisir notamment le juge du lieu dans lequel les obligations « sont, ont été ou doivent être exécutées ». L’article 1247 du Code civil prévoit que le lieu du paiement est déterminé par la volonté des parties. Celle-ci peut être expresse, mais également tacite. Si les parties n’ont pas fait usage de la possibilité de déterminer le lieu du paiement, le même article 1247 du Code civil prévoit deux règles : - Lorsque l’obligation a pour objet « un corps certain et déterminé », le

paiement doit intervenir au lieu où la chose se trouvait au moment de la naissance de l’obligation.

- Dans toutes les autres hypothèses, le paiement doit intervenir au

domicile du débiteur. On parle du principe que la quérabilité des dettes, pour autant que les parties n’y aient évidemment pas dérogé.

Il faut toutefois noter que certaines dispositions légales réglementent le lieu du paiement, à savoir notamment :

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- Les articles 1609 et 1651 en matière de vente 479. - Les articles 1942 et 1943 en matière de dépôt. Ces dispositions légales ne revêtent cependant pas un caractère impératif.

Section 2. Moment [tijdstip] du paiement Il relève du truisme d’énoncer que le paiement doit intervenir au moment où la dette est exigible. La détermination de cette exigibilité dépendra tantôt de la volonté des parties (et donc des éventuelles modalités admises par elles), tantôt de la loi (Article 1651 du Code civil), tantôt des usages. Le principe est celui de l’exigibilité immédiate, ce qui implique que l’obligation doit être exécutée dès sa naissance 480. Il faut toutefois rappeler que le juge dispose du pouvoir d’accorder au débiteur un délai pour s’exécuter aux conditions énumérées par l’article 1244, alinéa 2 du Code civil. Rappelons que ce délai de grâce ne concerne pas uniquement les obligations pécuniaires : il peut être octoyé pour tout type d’obligation481. La détermination du moment du paiement peut évidemment présenter une importance considérable, notamment pour en déterminer la validité au regard des conditions requises pour celle-ci, et spécialement de la capacité du débiteur d’effectuer le paiement. Plus spécifique est la question de la détermination du moment du paiement, lorsque l’obligation a pour objet le paiement d’une somme d’argent et que celle-ci est exécutée au moyen d’un instrument de paiement (chèque, virement,…). 479 Pour un cas d’application : Civ. Bruxelles, 10 juin 1988, J.T., 1989, p. 184. 480 L’article 4 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales prévoit un délai de 30 jours à dater du lendemain de la réception, par le débiteur, de la facture ou d’une demande de paiement équivalente. Toutefois, si la date de réception de la facture ou de la demande de paiement est incertaine ou si elle est antérieure à la fourniture des marchandises ou du service, le délai de paiement de 30 jours prend cours le lendemain de la réception des marchandises ou de la prestation de services. Cette disposition revêt cependant un caractère supplétif, le juge disposant du pouvoir de réviser les clauses contractuelles dérogatoires lorsque celles-ci constituent un abus manifeste à l’égard du créancier. 481 Civ. Mons, 9 janvier 2013, J.L.M.B., 2013, p. 1573

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A cet égard, il est admis que le paiement n’intervient qu’au moment où le compte du créancier est effectivement crédité 482. En cas de faillite, le chèque émis avant le jugement déclaratif, mais porté au crédit du compte du créancier après le prononcé de cette décision ne sera dès lors pas opposable à la masse 483.

Section 3. Frais [kosten] du paiement L’article 1248 du Code civil met les frais du paiement à charge du débiteur. Les parties peuvent toutefois déroger à cette disposition. L’article 1942 prévoit d’ailleurs une règle dérogatoire en matière de contrat de dépôt. On range parmi les frais du paiement ceux liés à la délivrance, à l’émission d’une quittance (éventuellement notariée), les frais de mainlevée de l’hypothèque consentie en garantie de la créance, ainsi que les taxes fiscales exigibles en raison du paiement. Les articles 1017 à 1024 du Code judiciaire prévoient par ailleurs que les frais résultant d’une procédure judiciaire relative à l’exécution de l’obligation sont en principe à charge de la partie « qui a succombé », c.à.d. qui perd le procès. Chapitre 3. Imputation [toerekening] des paiements

Section 1. Notion La question de l’imputation des paiements consiste à déterminer la dette ou la partie de dette exécutée, lorsqu’un débiteur a plusieurs obligations de même nature à l’égard du même créancier et qu’il effectue un paiement insuffisant pour éteindre toutes les dettes qui pèsent sur lui. 482 Mons, 3 septembre 1986, J.T., 1987, p. 9 ; C.T. Mons, 1er juin 1994, Chron. DS, 1995, p. 437. Adde : Cass., 30 janvier 2001, Pas., 2001, p. 190. 483 Mons, 7 mars 1988, Ann. Dr. Lg., 1989, p. 203. En ce sens : Article XX.110, §2 du Code de droit économique.

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Le cas échéant, il convient en effet de déterminer avec précision la dette (partiellement) éteinte, ce qui aura des répercussions évidentes sur les accessoires de la dette et sur les garanties consenties par le débiteur.

Section 2. Principes Les articles 1253 à 1256 du Code civil énoncent différents principes à propos de l’imputation des paiements. Ces principes présentent évidemment un caractère supplétif par rapport à une imputation convenue, soit explicitement, soit implicitement, entre les parties au lien obligatoire. A défaut d’une telle stipulation conventionnelle, il y a lieu de considérer que : • Le choix de l’imputation appartient d’abord au débiteur qui dispose dès

lors du choix de la dette qu’il entend éteindre. Ce choix est toutefois limité par l’article 1254 du Code civil qui ne permet au débiteur d’imputer le paiement effectué par priorité sur le capital qu’avec le consentement du créancier. A défaut d’un tel accord, l’imputation s’effectuera d’abord sur les intérêts, que ceux-ci soient légaux ou conventionnels 484.

De même, il est admis que l’imputation faite par le débiteur ne peut compromettre les droits légitimement acquis par le créancier 485.

• A défaut pour le débiteur d’avoir fait usage de son droit d’imputation, il

appartient au créancier de procéder à celle-ci (Article 1255 du Code civil).

Cette imputation doit toutefois intervenir au moment de l’exécution de l’obligation.

• A titre subsidiaire, l’article 1256 du Code civil prévoit un régime

d’imputation lorsqu’aucune des parties n’a fait usage de son droit de préciser celle-ci.

484 Cass., 20 février 1969, Pas., 1969, I, p. 549. La solution a été étendue récemment aux obligations extracontractuelles (Cass., 18 septembre 2014, C.13.0379.F). 485 Gand, 14 juin 1882, Pas., 1882, II, p. 393.

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Dans pareille hypothèse, le paiement sera imputé :

- d’abord, par priorité sur les dettes échues plutôt que sur celles qui ne le sont point 486.

- ensuite, entre les dettes échues, sur la dette que le débiteur avait le plus d’intérêt d’acquitter487.

- si les dettes sont d’égale nature, l’imputation se fait sur la plus ancienne.

- enfin, l’imputation se fera proportionnellement sur toutes les dettes égales, c.à.d. échues, de même nature et de même ancienneté.

Ce régime n’est toutefois pas d’ordre public 488. Ni le créancier, ni le débiteur ne peuvent, dans l'exercice de leur droit respectif, commettre un abus de droit. Il en va de même lorsque la manière de procéder à l’imputation des paiements a été convenue entre les parties489. Chapitre 4. Les offres de paiement et la consignation

Section 1. Notion Les articles 1257 à 1264 du Code civil envisagent l’hypothèse du débiteur qui se heurte à un refus ou à une négligence de son créancier qui l’empêchent d’exécuter son obligation. Nonobstant cette opposition ou cette obstruction émanant du créancier, le débiteur peut avoir intérêt à être libéré de son obligation et donc à contraindre le créancier de recevoir le paiement. Pour ce faire, il devra recourir à la procédure d’offres réelles suivies de consignation.

486 Anvers, 15 juin 1977, R.W., 1978-1979, Col. 1165. 487 Anvers, 30 juin 1980, R.W., 1981-1982, Col. 200 ; Liège, 22 juin 1983, J.L., 1983, p. 376. 488 Cass., 19 décembre 1963, Pas., 1964, I, p. 416. 489 C. MARR, « Le paiement… », op. cit., pp. 81 et 82 ; Cass., 26 novembre 1999, Pas., 1999, p. 631 ; Mons, 13 février 2003, J.T., 2004, p. 764 ; Bruxelles, 26 janvier 2006, R.D.C., 2008, p. 20 et obs. R. HARDY.

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Section 2. Procédure Les articles 1257 à 1264 du Code civil et 1352 à 1357 du Code judiciaire organisent avec moult détails la procédure à respecter par le débiteur. Nous nous contenterons de souligner la succession de deux stades, à savoir l’offre réelle et la consignation. La première a pour objectif de faire constater par un officier ministériel, qui est généralement un huissier, le refus ou l’absence d’acceptation du paiement par le créancier, tandis que la seconde consiste à déposer auprès de la Caisse des dépôts et consignations le paiement proposé et effectué par le débiteur. Si l’obligation a pour objet « un corps certain qui doit être livré au lieu où il se trouve » (Article 1264 du Code civil), l’offre consiste en une sommation adressée au créancier de l’enlever. A défaut pour celui-ci de faire le nécessaire, le débiteur pourra se faire autoriser par le juge de mettre la chose en dépôt en ayant recours au mécanisme du séquestre. Les frais résultant de la procédure d’offre réelle et de consignation seront à charge du créancier, pour autant que la procédure ait été régulièrement menée à son terme par le débiteur.

Section 3. Effets L’offre réelle suivie de consignation produit les mêmes effets que le paiement. Elle éteint dès lors l’obligation du débiteur et libère celui-ci. Les intérêts moratoires ne courent donc plus à l’encontre du débiteur et les risques de la chose consignée seront supportés par le créancier. Il faut toutefois souligner que ces effets ne s’appliquent qu’à la condition que la procédure ait été menée régulièrement à son terme, en ce compris la consignation 490. Lesdits effets ne se produiront dès lors pas dans l’hypothèse d’une consignation amiable qui, par hypothèse, n’intervient pas conformément à la procédure décrite 491. 490 Cass., 13 mai 1994, Pas., 1994, I, p. 468. 491 Cass., 17 février 1978, Pas., 1978, I, p. 705.

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Chapitre 5. Le paiement avec subrogation [subrogatie]

Pour en savoir plus : - C. EYBEN, « Le paiement avec subrogation. Quelques traits d’une évolution autour de la condition du paiement », Le paiement, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, pp. 145-171. - P.-H. DELVAUX, « La subrogation et la réparation du dommage », R.G.A.R., 1994, n°12298. - B. DUBUISSON, « Les recours de l’assureur », note sous Liège, 27 mai 1997, J.L.M.B., 1998, p. 240. - M.-C. ERNOTTE, « Le paiement subrogatoire », La théorie générale des obligations, C.U.P., 2002, Vol. 57, pp. 185-250. - P. VAN OMMESLAGHE, « Le paiement avec subrogation et le droit des assurances », Mélanges Philippe GERARD, Bruxelles, Bruylant, 2002, pp. 89-126. - C. EYBEN, « La subrogation légale de l’assureur qui paye une dette sans y être obligé contractuellement », J.J.Pol., 2008, pp. 68-78.

Section 1. Notion

La subrogation implique une idée de substitution qui vise tantôt une personne (subrogation personnelle [persoonlijke subrogatie]), tantôt une chose (subrogation réelle [zakelijke subrogatie]). Dans le premier cas, une personne est amenée à prendre la place d’une autre dans un rapport obligatoire existant. Tel est, par exemple, le cas de l’assureur accidents du travail qui est subrogé dans les droits que la victime ou ses ayants droit auraient pu exercer en vertu du droit commun 492. Dans la seconde hypothèse, une chose prend la place d’une autre dans un rapport juridique déterminé. En vertu de l’article 10 de la loi hypothécaire, l’indemnité due par l’assureur en cas d’incendie est substituée à l’immeuble hypothéqué qui a été détruit. Le paiement avec subrogation constitue l’application la plus fréquente du mécanisme de la subrogation personnelle : un tiers (subrogé) amené à payer la dette d’autrui prend la place du créancier originaire (subrogeant) à l’égard du débiteur qui demeure inchangé.

492 Article 47 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

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Le paiement avec subrogation met dès lors en œuvre deux mécanismes juridiques, à savoir : • Un paiement : celui-ci a pour conséquence d’éteindre la dette à l’égard

du créancier originaire. • Une cession de créance : en raison du paiement effectué par le tiers

subrogé, celui-ci se substitue au créancier originaire à l’égard du débiteur. Conformément aux principes développés à propos de la cession de créance, la situation dudit débiteur ne peut être aggravée par cette opération, ce qui lui permettra de continuer à se prévaloir de toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au subrogeant.

Le paiement avec subrogation ne peut cependant être assimilé à une simple cession de créance, pour les motifs suivants : - Il n’implique en effet pas toujours l’accord du créancier, mais peut résulter d’une disposition légale, tandis que la cession de créance implique nécessairement un accord de volonté entre le cédant et le cessionnaire. - Les formalités prévues par l’article 1690 du Code civil à propos de l’opposabilité de la cession de créance ne trouvent pas à s’appliquer dans le paiement avec subrogation. - Le paiement avec subrogation implique nécessairement un paiement et ne profite au subrogé que dans la mesure du paiement intervenu 493, tandis que la cession de créance peut intervenir à titre gratuit ou contenir une composante de spéculation et a pour effet de faire bénéficier le cessionnaire de l’intégralité de la créance cédée. - Le cédant d’une créance doit garantir au cessionnaire l’existence de celle-ci (Article 1693 du Code civil), tandis qu’une telle obligation ne pèse pas sur le subrogeant à l’encontre du subrogé qui, le cas échéant, ne pourra invoquer que l’existence d’un paiement d’indu à l’encontre du subrogeant. - Aucune préférence n’est accordée au cédant en cas de paiement partiel de la créance, tandis que le subrogeant bénéficie d’un droit de préférence à l’encontre du subrogé dans l’hypothèse où le patrimoine du débiteur est insuffisant pour les désintéresser tous les deux (Article 1252 du Code civil). 493 Cass., 15 mars 1928, Pas., 1928, I, p. 111 ; Cass., 6 décembre 1965, Pas., 1966, I, p. 443.

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Section 2. Types Conformément à l’article 1249 du Code civil, la subrogation peut être soit conventionnelle, soit légale. L’article 1250 du Code civil distingue par ailleurs la subrogation conventionnelle consentie par le créancier (alinéa 1) et la subrogation conventionnelle consentie par le débiteur (alinéa 2).

Section 3. Conditions communes à tous les paiements avec subrogation

Avant d’examiner les règles spécifiques aux différents types de subrogation identifiés ci-dessus, il convient de préciser les conditions auxquelles tout paiement avec subrogation doit satisfaire, peu importe donc l’origine légale ou conventionnelle de ladite subrogation. Ces conditions communes sont au nombre de quatre, à savoir : • L’existence d’une dette à payer (Article 1235, alinéa 1 du Code civil). A

défaut, il ne peut en effet y avoir de paiement, ni a fortiori de paiement avec subrogation.

• L’existence d’un paiement effectif et préalable. Une simple promesse de

paiement ne peut dès lors être à l’origine de l’application du mécanisme de la subrogation 494. Ce paiement doit par ailleurs répondre aux conditions de validité requises pour tout paiement 495.

• Le paiement doit émaner d’un tiers. Selon qu’il s’agira d’un tiers

intéressé (Article 1236, alinéa 1 du Code civil) ou d’un tiers non intéressé (Article 1236, alinéa 2 du Code civil), la subrogation interviendra par l’effet de la loi (Article 1251 du Code civil) ou ne pourra être que conventionnelle et être dès lors consentie par le créancier496.

• Le paiement effectué par le tiers doit avoir pour objet la dette du

débiteur. Tel n’est pas le cas lorsque le tiers paie sa propre dette 497. 494 Cass., 22 mai 1969, Pas., 1969, I, p. 869. 495 Cass., 8 octobre 1971, Pas., 1972, I, p. 141. 496 Cass., 21 janvier 2008, J.L.M.B., 2008, p. 1780. 497 Cass., 27 février 1964, Pas., 1964, I, p. 682 ; Cass., 12 novembre 1970, Pas., 1971, I, p. 224 ; Cass., 11 octobre 1989, Pas., 1990, I, p. 170.

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Cette condition a suscité d’épineuses difficultés lorsque le débiteur acquitte en même temps la dette d’un tiers et sa propre dette. L’assureur, par exemple, peut-il exercer un recours contre le responsable après avoir indemnisé son assuré alors que, ce faisant, il exécute sa propre dette contractuelle ? Il s’agit en l’espèce de codébiteurs in solidum qui sont chacun tenus « pour le tout ». Dans un premier temps, le législateur est intervenu pour reconnaître par une disposition légale un droit de subrogation à ces débiteurs qui paraissaient acquitter leur propre dette. Par la suite, la Cour de cassation a donné de l’exigence du paiement de la dette d’autrui une interprétation large pour résoudre toute difficulté. Désormais, est seul exclu du bénéfice de la subrogation de droit commun, celui qui s’acquitte exclusivement et uniquement de sa propre dette. Ce bémol permet ainsi de ne pas exclure du bénéfice de la subrogation légale prévue par l’article 1251, 3° du Code civil, le codébiteur tenu avec d’autres in solidum, qui, après avoir désintéressé le créancier, exerce son recours contre ses coobligés, chacun pour leur part498. Ce raisonnement permet aussi d’admettre la substitution aux droits du créancier dans une série d’hypothèses, prévues par le législateur contemporain, où un tiers acquitte, en réalité, sa propre dette. Ce phénomène est particulièrement fréquent en droit social et du travail ainsi qu’en droit des assurances. Une partie importante de la doctrine voyait dans ces dispositions légales le siège de « quasi-subrogations » ou de subrogations spécifiques499.

En guise de conclusion, on pourrait dire que « la subrogation légale n’est accordée ni à celui qui est étranger à la dette, ni à celui qui en a la charge exclusive »500.

498 Cass., 1er décembre 1988, Pas., 1989, I., 356 ; Cass., 19 février 1999, RG C940246N. 499 C. WANTIEZ et N. BEAUFILS, « Subrogation et droit social », X., La subrogation, 1992, 1 et s., . KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY et B. DE TEMMERMAN, “Overzicht”, T.P.R., 1994, 699-700 et 702-703. 500 Ph. MALAURIE, L. AYNES et Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, 2ème éd., Defrénois, 2005, p. 738.

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Section 4. La subrogation conventionnelle Comme déjà indiqué, il convient de distinguer la subrogation conventionnelle consentie par le créancier (Article 1250, alinéa 1 du Code civil) et la subrogation conventionnelle consentie par le débiteur (Article 1250, alinéa 2 du Code civil).

A. La subrogation consentie par le créancier La subrogation consentie par le créancier 501 résulte d’une convention conclue entre le subrogé et le subrogeant. Le débiteur n’y est dès lors pas partie, mais aura à en subir les effets. A cet égard, il faut rappeler que le paiement avec subrogation ne doit faire l’objet d’aucune formalité destinée à le rendre opposable au débiteur. Le subrogé prudent veillera bien évidemment à aviser le débiteur de la subrogation conventionnelle intervenue, afin que celui-ci ne puisse se prévaloir de l’article 1240 du Code civil. Outre les conditions communes à tous les paiements avec subrogation, la subrogation conventionnelle consentie par le créancier doit répondre aux conditions suivantes : • Elle doit être expresse, ce qui n’implique pas nécessairement qu’elle

doive faire l’objet d’un écrit 502.

Généralement, elle prendra la forme d’une quittance subrogatoire. • Elle doit intervenir au moment du paiement. Celui-ci éteint en effet la

dette à l’égard du créancier, en manière telle qu’il n’est plus possible de consentir ultérieurement à la subrogation.

Cette exigence de simultanéité ne vise toutefois que le negotium, à l’exclusion de l’instrumentum destiné à la constater503.

• Dans certaines hypothèses, la subrogation conventionnelle consentie

par le créancier sera soumise à l’accomplissement de formalités. On peut songer à la subrogation portant sur une créance garantie par une hypothèque ou un privilège immobilier qui doit être mentionnée en

501 Pour un cas d’application : Cass., 21 janvier 2008, J.L.M.B., 2008, p. 1780. 502 Cass., 17 mars 1952, Pas., 1952, I, p. 448. 503 Liège, 1er février 2016, J.L.M.B., 2016, p. 2010.

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marge de l’inscription 504 et exigera dès lors la rédaction d’un acte authentique.

B. La subrogation consentie par le débiteur Ce mécanisme trouve à s’appliquer lorsque le débiteur emprunte pour payer sa dette et subroge le prêteur dans les droits du créancier originaire. L’accord de ce dernier n’est pas requis (Article 1250, 2° du Code civil), ce qui s’explique facilement dans la mesure où ledit créancier est désintéressé au moyen des fonds empruntés par son débiteur. Le prêteur bénéficiera dès lors de tous les accessoires (garanties, sûretés,…) dont bénéficiait le créancier originaire. Le législateur a toutefois voulu éviter les fraudes consistant notamment pour le débiteur à vouloir favoriser certains créanciers au préjudice d’autres. Il a dès lors soumis la subrogation conventionnelle consentie par le débiteur à certaines formes rigoureuses qui s’ajoutent aux conditions communes à tous les paiements avec subrogation. Il est dès lors requis que : • L’acte d’emprunt et la quittance subrogatoire doivent faire l’objet d’un

acte authentique dressé par un notaire. • L’acte d’emprunt doit constater que les fonds empruntés par le

débiteur sont destinés à rembourser le créancier originaire. • La quittance subrogatoire doit mentionner que le paiement du premier

créancier est intervenu au moyen des fonds prêtés par le subrogé. Ces conditions de forme rigoureuses font de la subrogation conventionnelle consentie par le débiteur un véritable contrat solennel.

504 Article 5 de la loi hypothécaire.

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Section 5. La subrogation légale.

A. Notion Quatre hypothèses de subrogation légale sont identifiées par l’article 1251 du Code civil. Pour chacune d’elles, la subrogation opère de plein droit, c.à.d. sans que l’accord du créancier remboursé ne soit nécessaire et sans qu’aucune formalité ne doive être accomplie 505. La subrogation légale est évidemment soumise aux conditions communes à tous les paiements avec subrogation, mais ne sera d’application que dans les hypothèses énumérées par le législateur. Elle ne peut dès lors être appliquée par analogie à d’autres situations qui ne sont pas visées par la loi.

B. Cas d’application La subrogation légale aura donc lieu : 1°) Au profit de celui qui, étant lui-même créancier, paie un autre créancier qui lui est préférable à raison de ses privilèges ou hypothèques. Un créancier postérieur en rang peut dès lors prendre l’initiative de désintéresser un créancier antérieur en rang ou jouissant d’une cause de préférence, essentiellement afin d’éviter que ce dernier ne réalise un bien dans des conditions défavorables, ce qui aurait pu priver le créancier qui prend l’initiative du paiement en vue de bénéficier de la subrogation légale du paiement de tout ou partie de sa dette. 2°) Au profit de l’acquéreur d’un immeuble qui emploie le prix de son acquisition au paiement des créanciers qui ont une hypothèque sur l’immeuble. L’acquéreur d’un immeuble hypothéqué qui emploie le prix au paiement du créancier hypothécaire disposera dès lors d’une hypothèque sur un bien dont il est devenu propriétaire. 505 À l’exception toutefois de la subrogation légale qui a pour objet une créance garantie par une hypothèque ou un privilège immobilier pour laquelle il y a lieu de faire application de l’article 5 de la loi hypothécaire.

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Cela lui garantira la possibilité d’obtenir par préférence le remboursement du prix payé par lui en cas de réalisation du bien, essentiellement lorsque certains autres créanciers hypothécaires n’auront pas été désintéressés intégralement et exerceraient ultérieurement des poursuites sur l’immeuble. 3°) Au profit du débiteur tenu avec d’autres ou pour d’autres au paiement de la dette qui avait intérêt à l’acquitter. Cette hypothèse est de loin la plus fréquente dans la pratique. Elle peut en effet constituer le fondement des recours contributoires exercés notamment par le codébiteur solidaire indivisible ou in solidum 506, ainsi que par la caution qui ont désintéressé le créancier. Il faut toutefois souligner que la subrogation légale n’est pas de nature à porter atteinte au principe de la divisibilité de la dette, ce qui obligera le débiteur tenu avec d’autres ou pour d’autres qui a effectué le paiement à scinder ses recours. 4°) Au profit de l’héritier bénéficiaire qui a payé de ses deniers les dettes de la succession. Cette hypothèse ne vise évidemment que le paiement effectué par l’héritier bénéficiaire au moyen de ses deniers, à l’exclusion donc des paiements effectués avec les deniers de la succession. En pratique, un tel paiement interviendra généralement en vue d’accélérer la liquidation d’une succession.

Section 6. Effets du paiement avec subrogation Ces effets résultent du caractère hybride de ce mécanisme constitué à la fois d’un paiement et d’une cession de créance. Le paiement avec subrogation éteint en effet la dette à l’égard du créancier originaire à concurrence du paiement intervenu et transmet la créance au tiers qui a effectué le paiement 507. 506 Cass., 2 septembre 2011, R.G.D.C., 2012, p. 357. 507 Cass., 2 décembre 1949, Pas., 1950, I, p. 204 ; Cass., 5 décembre 1949, Pas., 1949, I, p. 223.

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A. Effets liés au paiement Le paiement intervenu a pour conséquence d’éteindre la dette à concurrence dudit paiement. Le créancier originaire n’est dès lors plus fondé à exiger un paiement de la part du débiteur. De même, l’auteur du paiement n’est subrogé aux droits du créancier originaire que dans la mesure du paiement intervenu. Un paiement partiel avec subrogation n’est possible que moyennant l’accord du créancier, celui-ci ne pouvant être contraint de recevoir un paiement partiel. Le cas échéant, l’article 1252 du Code civil prévoit que le créancier originaire sera payé par préférence au subrogé. Cette disposition n’est toutefois pas d’ordre public, en manière telle que les parties peuvent valablement y déroger 508. En cas d’inexistence de la créance du subrogeant, le subrogé n’aura par ailleurs d’autre recours que l’action en répétition de l’indu.

B. Effets liés à la cession de créance Le subrogé se substitue au subrogeant dans la mesure du paiement intervenu. Il reprend la créance de ce dernier avec toutes ses caractéristiques et ses accessoires. Il peut donc exercer à l’égard du débiteur les droits du subrogeant tels que ceux-ci auraient pu être exercés par le subrogeant 509. La subrogation ne peut toutefois pas aggraver la situation du débiteur, ce qui implique la possibilité pour celui-ci d’opposer au subrogé les exceptions qu’il pouvait invoquer à l’encontre du subrogeant au moment où le paiement est intervenu 510. Le tiers responsable d’un accident pourra dès lors notamment opposer à l’organisme assureur qui a indemnisé la victime les objections qu’il aurait pu

508 Liège, 30 décembre 1916, Pas., 1918, II, p. 63. 509 Cass., 26 avril 1974, Pas., 1974, I, p. 873. 510 Cass., 22 juin 1998, Pas., 1998, I, p. 1275.

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opposer à cette dernière notamment quant aux frais d’entretien qu’elle aurait dû supporter en toute hypothèse 511.

511 Cass., 21 juin 1971, Pas., 1971, I, p. 1001.

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TITRE 2. LA DATION EN PAIEMENT [INBETALINGGEVING]

Pour en savoir plus : - F. DEREME, « Mise au point quant aux problèmes actuels suscités par la dation en paiement », R.G.E.N., 2006, pp. 169-173.

Le Code civil n’énonce pas une théorie générale de la dation en paiement Il ne traite de celle-ci que de manière incidente aux articles 1595 (vente entre époux), 1701, alinéa 2 (cession d’une créance litigieuse) et 2038 (cautionnement). Chapitre 1. Notion La dation en paiement consiste à permettre au débiteur d’une obligation de se libérer moyennant la remise au créancier qui l’accepte d’une autre chose que celle initialement convenue. Tel est le cas lorsqu’un débiteur cède à son créancier les droits qu’il possède sur un immeuble, une œuvre d’art ou un bien mobilier plutôt que de procéder au règlement de la somme dont il lui est redevable. Chapitre 2. Nature juridique D’importantes controverses ont animé la doctrine à ce sujet. Au XIXe siècle, les auteurs avaient tendance à considérer que la dation en paiement constituait une hypothèse de novation par changement d’objet, ce qui entraîne l’extinction de l’obligation initiale et la naissance d’une nouvelle obligation. Selon cette conception, les droits et actions (sûretés, cautions, …) attachés à l’obligation ancienne sont dès lors définitivement éteints. A l’heure actuelle, on a plutôt tendance à considérer la dation en paiement comme une convention relative aux modalités du paiement en vertu de

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laquelle le créancier marque son accord de libérer le débiteur autrement que par la remise de la chose initialement convenue 512. L’obligation initiale subsiste dès lors pour le cas où le créancier ne serait pas satisfait par la chose remise par le débiteur 513. En pratique, ce débat est irrelevant, à tout le moins lorsque la dation en paiement est exécutée et que cette exécution donne satisfaction au créancier. Chapitre 3. Conditions Le mécanisme de la dation en paiement requiert la réunion de trois conditions, à savoir : • L’objet donné en paiement par le débiteur doit être différent que celui

initialement convenu.

Il ne peut dès lors être question d’une dation en paiement lorsque le débiteur exécute une obligation alternative ou une obligation facultative conformément aux règles qui régissent ces catégories d’obligations à objets multiples.

• Les parties au lien obligatoire doivent avoir la volonté d’admettre la

remise de la chose donnée comme un paiement.

Cela implique qu’elles considèrent cette remise comme l’exécution de l’obligation initiale et que le débiteur est dès lors libéré.

• Il est indispensable que le créancier marque son accord à propos de la

dation en paiement et accepte dès lors que celle-ci produise un effet libératoire du débiteur.

En aucun cas, ce dernier ne pourrait en effet imposer au créancier de le libérer autrement que par la remise de la chose due.

512 Bruxelles, 22 décembre 1967, Pas., 1968, II, p. 126. 513 Comm. Charleroi, 3 septembre 1997, J.L.M.B., 1998, p. 640.

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Conformément aux articles 1134 et 1243 du Code civil, il est dès lors requis qu’une véritable convention, c.à.d. un accord de volontés, intervienne entre le créancier et le débiteur à propos de la modification de l’objet du paiement. Il en résulte d’ailleurs que toutes les règles relatives aux obligations conventionnelles trouvent à s’appliquer (nullité, modalités,…) 514. Chapitre 4. Effets Pour autant que les conditions identifiées aient été respectées, la dation en paiement a pour effet de libérer le débiteur. Le créancier n’est dès lors plus fondé à exiger de la part du débiteur la remise de la chose initialement convenue.

514 Cass., 22 avril 1858, Pas., 1858, I, p. 117.

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TITRE 3. LA NOVATION [SCHULDVERNIEUWING] Les articles 1271 à 1281 du Code civil traitent tant de la novation que de la délégation, alors que seul le premier mécanisme apparaît dans le titre de la section qui contient les susdites dispositions. Il n’y a évidemment pas lieu d’assimiler la novation à la délégation, ni de les confondre. Il s’agit d’institutions distinctes, notamment au niveau de leurs effets respectifs : • La novation constitue un mode d’extinction des obligations, en ce

qu’elle fait disparaître l’obligation existante et lui substitue une nouvelle obligation.

• Tel n’est nullement le cas de la délégation qui juxtapose une obligation

nouvelle à l’obligation existante515. Chapitre 1. Notion En droit romain, la novation a été admise essentiellement pour pallier le défaut de reconnaissance du mécanisme de la cession de créance. Elle constitue en effet une convention en vertu de laquelle les parties décident de substituer une obligation nouvelle à une obligation existante. L’obligation ancienne est dès lors éteinte parce qu’une nouvelle obligation est créée. À l’heure actuelle, la novation est d’un intérêt pratique réduit, essentiellement en raison de la reconnaissance dans notre droit du mécanisme de la cession de créance516. 515 La délégation a été brièvement envisagée au niveau de la transmission des obligations (Titre 4 de la partie 3) comme un palliatif à l’absence de la cession de dette dans notre droit (Titre 2 de la partie 3). 516 Certains Codes civil modernes ne traitent par contre plus de la novation.

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Chapitre 2. Types L’article 1271 du Code civil distingue trois « manières » d’opérer la novation, à savoir : • La novation par changement d’objet (1°)

Entre les mêmes parties, une obligation nouvelle est substituée à l’ancienne qui est éteinte. Une modification fondamentale intervient au niveau de l’obligation existante à charge du débiteur. A cet égard, la jurisprudence a considéré que n’opèrent en principe pas novation : - L’adjonction d’une sûreté (réelle ou personnelle) 517

- La concession d’un terme ou de délais de paiement 518

• La novation par changement de débiteur (2°)

Un nouveau débiteur est substitué au débiteur originaire, lequel est déchargé de son obligation à l’égard du créancier 519. Ce mécanisme est fort rare, dans la mesure où le créancier admettra difficilement de décharger purement et simplement son débiteur originaire. Tel n’est évidemment pas le cas lorsqu’il s’agit d’adjoindre un second débiteur au débiteur originaire, que ce soit en qualité de débiteur solidaire ou conjoint, de caution ou de délégué 520.

517 Comm. Bruxelles, 14 mai 1891, B.J., 1891, p. 1292. 518 Bruxelles, 11 février 1888, J.T., 1888, p. 533. 519 Bruxelles, 26 septembre 2002, J.L.M.B., 2005, p. 1452 ; Cass., 5 décembre 2002, R.G. C.02.0049.F ; Liège, 19 janvier 2006, J.L.M.B., 2006, p. 825. 520 Cass., 26 septembre 2003, RG C. 02.0292.F ; Liège, 9 septembre 2004, J.L.M.B., 2005, p. 1455 ; Liège, 21 février 2006, J.L.M.B., 2006, p. 1633.

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• La novation par changement de créancier (3°)

Un nouveau créancier est substitué au créancier originaire, à l’encontre duquel le débiteur est déchargé de son obligation. Ce mécanisme est tout aussi rare, dans la mesure où les parties auront généralement recours au mécanisme de la cession de créance qui constitue un mode de transmission de l’obligation et laisse dès lors subsister telle quelle l’obligation originaire.

Il est bien entendu possible de cumuler ces différents types et d’opérer dès lors une novation qui entraîne en même temps plusieurs des modifications envisagées. La novation constituant une convention, elle requiert le consentement de toutes les parties concernées par la naissance de l’obligation nouvelle et/ou par l’extinction de l’obligation ancienne 521. Toutefois, l’article 1274 du Code civil précise qu’en cas de novation par changement de débiteur, le consentement de l’ancien débiteur ne sera pas requis, présumant qu’il n’a aucun intérêt à s’opposer à une novation dont il ne peut être que le bénéficiaire. Chapitre 3. Conditions La novation requiert la réunion de trois conditions essentielles, à savoir : • L’existence d’une obligation ancienne

La novation n’est possible qu’à la condition qu’une obligation à éteindre existe. Cette obligation doit dès lors être valable, ce qui exclut l’obligation frappée de nullité absolue parce que contraire à l’ordre public, l’obligation illicite 522 ou l’obligation déjà éteinte. Eu égard au faible intérêt pratique de la novation à l’heure actuelle, il n’y a pas lieu d’examiner les difficultés susceptibles de se produire lorsque l’obligation ancienne est frappée de nullité relative, lorsqu’elle

521 Gand, 4 février 1960, J.T., 1960, p. 169. 522 Liège, 13 février 1912, Pas., 1912, II, p. 126.

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est prescrite ou lorsque l’obligation ancienne est une obligation naturelle.

• La création d’une obligation nouvelle

Dans le mécanisme de la novation, l’extinction de l’obligation ancienne ne se justifie que par l’apparition d’une obligation nouvelle. Si cette dernière n’apparaît pas, l’obligation ancienne demeure. Tel sera notamment le cas lorsque l’obligation nouvelle est frappée de nullité absolue.

• L’intention de nover

Cette condition constitue l’élément essentiel et caractéristique de la novation, en ce qu’elle distingue ce mécanisme d’une simple convention modificatrice conclue sur base de l’article 1134 du Code civil. Souvent, la difficulté consistera à établir l’existence de cette condition, spécialement lorsque les parties concernées n’ont pas expressément manifesté leur intention 523.

Deux autres conditions sont parfois identifiées par la doctrine. Elles ne paraissent cependant pas spécifiques ou caractéristiques du mécanisme de la novation. Il s’agit de : • L’existence d’un élément nouveau

Cette condition relève du truisme, en ce qu’elle fait partie intégrante du mécanisme même de la novation. Les différents types de novation admis par l’article 1271 du Code civil en constituent la parfaite illustration.

• La capacité des parties

L’article 1272 indique que la novation ne peut intervenir « qu’entre personnes capables de contracter ». Il ne s’agit là que de l’application du droit commun, et spécialement de l’article 1108 du Code civil qui énonce les conditions de validité de tout acte juridique.

523 Cass., 9 mars 1972, Pas., 1972, I, p. 642 ; Bruxelles, 6 novembre 1980, J.C.B., 1981, p. 276.

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Chapitre 4. Preuve L’article 1273 du Code civil précise que la novation ne se présume point. Il incombe dès lors à celui qui se prévaut de l’existence d’une novation d’en apporter la preuve conformément aux règles du droit commun 524. Il n’y a pas pour autant lieu de considérer que la novation constituerait un contrat solennel impliquant la rédaction d’un écrit pour sa validité 525. Chapitre 5. Effets Le mécanisme de la novation présente cette caractéristique d’être à la fois extinctif et créateur d’obligation(s) : l’obligation ancienne est en effet éteinte et une obligation nouvelle voit le jour. • L’extinction de l’obligation ancienne

La novation éteint non seulement l’obligation ancienne, mais également tous ses accessoires, à savoir notamment : - les sûretés réelles ou personnelles qui en garantissaient l’exécution

(articles 1278 et 1281 du Code civil) 526 ;

- les privilèges attachés à l’obligation ancienne 527. Corrélativement, le débiteur ne pourra plus se prévaloir des exceptions liées à l’obligation ancienne. De même, la novation a pour conséquence d’arrêter le cours des intérêts liés à l’obligation ancienne.

524 Cass., 9 mars 1972, Pas., 1972, I, p. 642 ; Cass., 12 juin 1969, Pas., 1969, I, p. 930 ; Liège, 30 septembre 2005, J.L.M.B., 2006, p. 861. 525 Cass., 29 juillet 1841, Pas., 1842, I, p. 15. 526 Liège, 14 février 1980, J.L., 1980, p. 145. 527 Comm. Charleroi, 6 mars 1974, J.C.B., 1974, p. 337.

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• La création d’une obligation nouvelle

Une obligation nouvelle, étrangère à l’ancienne, voit le jour. Une véritable césure intervient dès lors, ce qui implique qu’aucun transfert n’intervient de l’obligation ancienne vers l’obligation nouvelle. Cette dernière est dès lors chirographaire, c.à.d. dépourvue de sûretés (article 1281, alinéa 3 du Code civil). De même, elle ne portera pas intérêt. L’article 1278 du Code civil permet toutefois aux parties de déroger à l’effet créateur de la novation.

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TITRE 4. LA REMISE DE DETTES [KWIJTSCHELDING VAN SCHULD]

Pour en savoir plus : - S. BAR, « Solidarité et remise de dette – mise au point », J.L.M.B., 2004, pp. 392-394. - S. NAPORA, « De l’incidence de la remise de dette consentie à l’une des cautions », Act. Dr., 2000, pp. 716-725. - H. SIMONT, « Note sous cass., 17 octobre 1946 et Gand, 30 septembre 1943 », R.C.J.B., 1947, pp. 168-180. - M.-L. STENGERS, « Du caractère bilatéral de la remise de dette », Rev. not. belge, 1976, pp. 510-519. - H. JACQUEMAIN, « Le point sur la donation, la confusion et la remise de dettes », Chronique de jurisprudence sur les causes d’extinction des obligations (2000-2013), sous la direction de P. Wéry, CUP n° 149, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 220 à 229. - R. MARCHETTI, « La notion de remise de dette et le régime instauré par l’article 1285 du Code civil », J.T., 2014, pp. 221-229.

Réunis dans une section intitulée « De la remise de la dette », les articles 1282 à 1288 du Code civil traitent en réalité de deux choses totalement différentes, à savoir : • La remise de dette (articles 1285 à 1288 du Code civil). • La remise du titre de la dette (articles 1282 à 1284 du Code civil)528. La première constitue sans aucun doute un mode d’extinction des obligations, tandis que la seconde relève du droit de la preuve. La remise du titre de la dette constitue en effet une présomption de libération du débiteur, sans que cette dernière soit nécessairement liée au mode d’extinction de l’obligation. Chapitre 1. Généralités

Section 1. Notion

528 Pour un cas d’application : Bruxelles, 9 octobre 2014, J.L.M.B., 2016, p. 185.

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La remise de dette, également appelée « décharge conventionnelle » (article 1285 du Code civil) est le mode d’extinction des obligations en vertu duquel un créancier renonce volontairement à ses droits à l’encontre de son débiteur – ou de l’un de ses débiteurs –, qui accepte.

Section 2. Nature juridique Le mécanisme de la remise de dette revêt deux caractéristiques essentielles : • Il s’agit d’un acte à titre gratuit.

Lorsqu’une remise de dette intervient à titre onéreux, elle trouve son fondement dans une autre opération juridique et ne peut dès lors être considérée comme une remise de dette au sens des articles 1285 à 1288 du Code civil. Il s’agira tantôt d’une novation, tantôt d’une transaction, tantôt d’une dation en paiement,…

La Cour de cassation semble toutefois s’être écartée récemment de cette conception 529.

• Il s’agit d’une convention, c.à.d. d’un acte bilatéral.

La remise de dette doit dès lors nécessairement être acceptée par le débiteur 530, même si ladite acceptation n’est soumise à aucune forme et peut même être tacite 531.

Avant l’acceptation de la remise de dette par le débiteur, on a donc affaire à une offre de remise de dette qui peut être révoquée à tout moment par le créancier.

Section 3. Preuve L’existence d’une remise de dette s’établit conformément au droit commun de la preuve.

529 Cass., 15 décembre 2000, Pas., 2000, I, p. 1955. 530 Bruxelles, 30 novembre 1962, Pas., 1963, II, p. 318. 531 Cass., 9 décembre 1969, Pas., 1970, I, p. 322.

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Par application de l’article 1315 du Code civil, il incombe dès lors au débiteur qui entend se prévaloir d’une remise de dette de prouver l’existence de celle-ci. Pour ce faire, il devra respecter les règles relatives aux modes de preuve énoncées aux articles 1341 et suivants du Code civil. Il faut toutefois rappeler la présomption de libération du débiteur qui découle de la remise du titre de la dette (article 1282 du Code civil). Cette libération n’est pas nécessairement liée au mode d’extinction de la dette qui est à l’origine de cette libération. Chapitre 2. Conditions Fort classiquement, il convient de distinguer les conditions de fond et les conditions de forme qui doivent être réunies pour qu’une remise de dette soit valable.

Section 1. Conditions de fond La remise de dette constituera souvent une libéralité, mais tel ne sera cependant pas toujours le cas. Ainsi, le créancier qui consentirait à une remise partielle de dette en vue d’obtenir le paiement immédiat d’une partie de sa créance dont l’exécution forcée s’avérerait aléatoire n’est pas animé d’une intention libérale. Dans le premier cas, les conditions de fond applicables aux libéralités devront être respectées, ce qui implique notamment : • La nécessité de disposer de la capacité requise pour procéder à une

libéralité • L’irrévocabilité de principe de la remise de dette, sous réserve des

causes d’ingratitude (article 955 du Code civil) • L’application des règles relatives à la réduction des donations et legs

(articles 920 et suivants du Code civil)

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Dans la seconde hypothèse, il y a lieu de faire application du droit commun des contrats.

Section 2. Conditions de forme Même lorsqu’elle constitue une libéralité, la remise de dette n’est pas soumise aux conditions de forme qui doivent être respectées en matière de donation. La remise de dette peut dès lors être faite par acte sous seing privé, voire même par simple déclaration verbale. Il n’y a que si elle est consentie par testament que la remise de dette devra respecter les conditions de forme applicables à ce type d’acte. Chapitre 3. Effets La remise de dette constitue un mode d’extinction des obligations : la créance est dès lors éteinte. Il en va évidemment de même pour les accessoires de celle-ci (sûretés personnelles, sûretés réelles,…). Le Code civil consacre par ailleurs plusieurs articles aux effets de la remise de dette en cas de pluralité de débiteurs : • L’article 1285 du Code civil envisage la remise de dette consentie à un

des débiteurs solidaires. Elle produit ses effets à l’égard de tous, à moins que le créancier n’ait expressément réservé ses droits contre certains d’entre eux.

En d’autres termes, tous les codébiteurs solidaires bénéficient en principe des effets de la remise de dette consentie à l’un d’entre eux532.

532 Il faut cependant distinguer la “désolidarisation” de la remise de dette. Pour un cas d’application : Mons, 20 janvier 2015, J.L.M.B., 2016, p. 484.

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Le créancier ne pourrait exiger de paiement de la part de l’un d’entre eux qu’à la condition d’avoir expressément réservé ses droits à son encontre. Le cas échéant, ses prétentions devront être amputées de « la part de celui auquel il a fait la remise » (article 1285, alinéa 2 du Code civil).

Quant à la forme des réserves, le Code civil mentionne qu’elles doivent être formulées expressément. Elles ne peuvent dès lors être tacites. Il n’y a pas pour autant lieu de considérer qu’il y a lieu de faire usage de termes sacramentels 533. En revanche, la remise totale ou partielle à l’un des coresponsables in solidum ne bénéficie pas, en principe, aux autres codébiteurs534.

• L’article 1287 du Code civil règle la question des effets de la remise de

dette en cas de cautionnement et prévoit que :

- La remise de dette accordée au débiteur principal profite aux cautions (article 1287, alinéa 1 du Code civil) 535;

- La remise de dette accordée à la caution est sans incidence à l’égard du débiteur principal qui reste tenu (article 1287, alinéa 2 du Code civil) ;

- La remise de dette accordée à l’une des cautions ne bénéficie qu’à celle-ci et ne libère dès lors pas les autres cautions (article 1287, alinéa 3 du Code civil).

Par contre, le Code civil n’envisage pas l’hypothèse de codébiteurs indivisibles. A leur égard, on considère qu’il n’y a pas lieu de faire application de la règle prévue pour les codébiteurs solidaires, eu égard au caractère dérogatoire de celle-ci. Aucun problème n’existe par ailleurs pour le cas des débiteurs conjoints qui, par hypothèse, sont chacun tenus d’une dette distincte.

533 Civ. Verviers, 10 mai 1905, Pas., 1905, III, p. 285 ; Civ. Bruxelles, 8 novembre 1905, Pas., 1906, III, p. 58. 534 Cass., 17 octobre 2014, R.G. C.13.0452.N. 535 Sur base de cette disposition, la Cour de cassation a dès lors considéré que le plan de règlement amiable adopté dans le cadre d’une procédure de règlement collectif de dettes qui prévoit une remise de dette totale ou partielle entraîne la libération des cautions (Cass. 29 mai 2015, R.G.D.C., 2016, p. 473).

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TITRE 5 : LA COMPENSATION [SCHULDVERGELIJKING]

Pour en savoir plus : - J. BRULS, « La compensation, spécialement en cas de faillite d’une des parties », Act. dr., 1992, pp. 244-247. - B. DE CONINCK, « Cession de créance et compensation légale entre dettes connexes », R.C.J.B., 2007, pp. 577-610. - B. DE CONINCK, « Compensation légale et réciprocité entre deux dettes de nature quasi-délictuelle : connexité juridique ou coïncidence factuelle ? », R.G.D.C., 2008, pp. 518-519. - M.-C. ERNOTTE, « L’extinction des obligations : la compensation », in X., La théorie générale des obligations, C.U.P., vol. XXVII, 1998, pp. 277-315. - M. VANQUICKENBORNE, « Réflexions sur la connexité objective, justifiant la compensation après faillite (Note sous Cass., 25 mai 1989) », R.C.J.B., 1992, pp. 354-390. - F. GEORGE, « La compensation en cas d’ouverture d’une procédure de réorganisation judiciaire », J.T., 2014, pp. 277-282. - F. GEORGE, « Compensation et insolvabilité : questions choisies », Chronique de jurisprudence sur les causes d’extinction des obligations (2000-2013), sous la direction de P. Wéry, CUP n° 149, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 89 à 128.

L’article 1234 du Code civil identifie la compensation comme l’un des modes d’extinction des obligations. La matière est régie par les articles 1289 à 1299 du Code civil 536. L’objectif poursuivi est essentiellement d’éviter la multiplication des procédures judiciaires lorsque deux sujets de droit sont réciproquement créancier et débiteur l’un à l’égard de l’autre. Chapitre 1. Généralités

Section 1. Notion Lorsque deux liens obligatoires réciproques existent entre deux personnes, la compensation entraîne l’extinction des obligations jusqu’à concurrence de la dette la moins élevée. Outre l’objectif de simplification déjà identifié, ce mode d’extinction des obligations se justifie également par un souci d’équité. Il tend en effet à 536 Nous n’examinerons pas ici les dispositions légales spécifiques, parmi lesquelles l’article 375 C.I.R. 1992, l’article 119, § 2, 2° du Code de droit international privé,…

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éviter qu’un débiteur ne soit amené à exécuter son obligation avant de se heurter à une éventuelle insolvabilité de son propre débiteur à l’égard duquel il se sera acquitté de son dû. La compensation s’analyse dès lors comme un double paiement abrégé entraînant l’extinction de deux créances réciproques à concurrence de leurs quotités égales. Le mécanisme de la compensation déroge dès lors à l’article 1244, alinéa 1 du Code civil, aux termes duquel « Le débiteur ne peut forcer son créancier à recevoir un paiement partiel ». En effet, le créancier de l’obligation la plus importante se voit contraint d’accepter un paiement partiel de celle-ci. Le créancier dont la dette sera éteinte par compensation bénéficie d’un véritable privilège sans texte par rapport aux autres créanciers de son débiteur en échappant à la loi du concours. Nous verrons toutefois que cet effet est écarté par le législateur dans certaines situations.

Section 2. Types L’article 1290 du Code civil énonce que la compensation opère « de plein droit », en précisant « même à l’insu des débiteurs ». Cette disposition met en évidence le caractère automatique du mécanisme. Elle ne concerne toutefois que la compensation légale qui suppose la réunion de différentes conditions. A côté de celle-ci, il y a toutefois place pour la compensation judiciaire et pour la compensation conventionnelle. La première est l’œuvre du juge, tandis que la seconde ne constitue qu’une application du principe de la convention-loi déposée à l’article 1134 du Code civil. Elles peuvent trouver à s’appliquer lorsque les conditions requises pour la compensation légale ne sont pas réunies.

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Il n’y a toutefois pas lieu de considérer que la compensation légale revêt un caractère d’ordre public 537 : les parties peuvent dès lors parfaitement renoncer à l’invoquer 538, sauf dans certaines situations particulières 539. Il appartient par ailleurs au débiteur de se prévaloir du mécanisme de la compensation, le juge ne pouvant soulever celle-ci d’office. Chapitre 2. La compensation légale

Section 1. Conditions Cinq conditions doivent être réunies pour que la compensation opère de plein droit540. Les deux premières conditions sont requises pour toute compensation, en ce compris la compensation judiciaire et la compensation conventionnelle. Les trois dernières conditions sont propres à la compensation légale.

A. L’existence de deux obligations réciproques La compensation légale requiert que deux personnes soient respectivement créancières et débitrices l’une à l’égard de l’autre. Il suffit dès lors que deux obligations réciproques existent, sans qu’il faille avoir égard à la source de celles-ci, ni a fortiori à leurs montants. De même, la cause (article 1293, alinéa 1 du Code civil) et la nature (chirographaire ou privilégiée) de ces obligations sont sans incidence.

537 Cass., 7 mars 1929, Pas., 1929, I, p. 121. 538 Cass., 19 février 1979, Pas., 1979, I, p. 722 ; Sent. Arbit., 22 juin 1985, R.G.A.R., 1986, n° 11098. 539 Article 1, b de l’annexe de la loi du 2 août 2002 relative à la publicité trompeuse et à la publicité comparative, aux clauses abusives et aux contrats à distance en ce qui concerne les professions libérales. 540 Cass., 31 mars 2014, R.G. S.12.0078.F.

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B. L’existence de deux obligations entre les mêmes personnes

Il faut évidemment que les deux obligations réciproques existent entre les mêmes personnes, c.à.d. agissant en la même qualité, à peine de quoi elles ne peuvent évidemment être considérées comme débitrices et créancières l’une à l’égard de l’autre 541. Tel ne serait pas le cas lorsqu’une dette existe dans le chef d’un sujet de droit à l’encontre d’une société et une autre dette existe dans le chef d’un associé de cette société à l’encontre du même sujet de droit 542. De même, il faut exclure l’application du mécanisme de la compensation légale lorsqu’une créance existe dans le chef d’un sujet de droit à l’encontre d’un mineur représenté par un tuteur et une autre créance dans le chef de ce tuteur à l’encontre du même sujet de droit. Dans un arrêt du 2 octobre 2014543, la Cour de cassation rappelle qu’une créance d’une personne ne peut être compensée avec une créance que son débiteur a sur un tiers. En l’espèce, la Haute juridiction censure le juge du fond qui a admis la compensation entre le montant de la garantie locative constituée par le preneur auprès d’une institution financière544 et la créance du bailleur à concurrence d’un mois de loyer. Une particularité doit encore être soulignée, lorsqu’il s’agit de créances à l’encontre et au profit de l’Etat ou des pouvoirs publics. Outre le fait qu’aucune compensation n’est envisageable en matière d’impôts 545, la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l’Etat considère chaque département ministériel comme une entité juridique distincte, en manière telle qu’une créance et une dette de l’Etat ne peuvent être compensées que si elles concernent le même département ministériel 546. 541 Cass. fr., 27 mai 1936, D.H., 1936, p. 395. 542 Cass., 4 février 1958, Pas., 1958, I, p. 606 ; Civ. Audenaerde, 27 septembre 1967, R.P.S., 1968, p. 183. 543 Cass., 2 octobre 2014, J.L.M.B., 2016, p. 830. 544 Suivant sur ce point l’argumentation du demandeur en cassation, la Cour considère que la garantie locative constitue une créance du preneur vis-à-vis de l’institution bancaire et non à l’égard du bailleur. 545 Cfr section 2 ci-dessous. 546 Cass., 29 novembre 1923, Pas., 1924, I, p. 52 ; Cass., 29 mai 1973, J.T., 1973, p. 656.

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C. L’existence de deux dettes fongibles L’article 1291 du Code civil n’envisage l’application du mécanisme de la compensation légale « qu’entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d’argent, ou une certaine quantité de choses fongibles de la même espèce ». L’alinéa 2 déroge toutefois à la rigueur de cette condition à l’égard des « prestations en grains ou denrées, non contestées, et dont le prix est réglé par les mercuriales ». L’exigence de fongibilité des dettes trouve son fondement dans les principes applicables au paiement, et spécialement dans l’article 1243 du Code civil qui ne permet pas d’imposer au créancier « de recevoir une autre chose que celle qui lui est due ». Il faut rappeler que les choses fongibles s’opposent aux corps certains. A juste titre, la jurisprudence a considéré que cette condition ne faisait pas obstacle à l’application de la compensation entre dettes de sommes d’argent exprimées en monnaies différentes 547.

D. L’existence de deux dettes liquides La liquidité d’une dette requiert, d’une part, que son existence soit certaine et, d’autre part, que son montant soit déterminé 548. Il ne suffit toutefois pas qu’une contestation soit formulée à l’égard d’une dette pour que la compensation légale soit proscrite. Encore faut-il que ladite contestation ne revête pas un caractère strictement dilatoire, mais qu’elle soit sérieuse 549. L’appréciation du sérieux de la contestation relève du pouvoir d’appréciation du juge.

547 Gand, 16 mai 1929, Pas., 1930, II, p. 26 ; Bruxelles, 22 avril 1970, Pas., 1970, II, p. 180. 548 Civ. Tournai, 11 mars 1987, J.L.M.B., 1987, p. 891. 549 Civ. Liège, (Réf.), 2 janvier 1970, J.L., 1969-1970, p. 235.

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Par ailleurs, la dette certaine – ou non contestée – dans son principe ne répondra pas à l’exigence de liquidité, lorsque son montant n’est pas fixé ou lorsque la fixation de celui-ci dépend d’une expertise en cours 550. Le juge dispose toutefois de la faculté de considérer comme liquide une dette facilement et promptement liquidable 551 ou fixer un montant minimum à concurrence duquel la créance est certaine et donc liquide 552.

E. L’existence de deux dettes exigibles Nous avons déjà signalé que le mécanisme de la compensation s’analyse comme un double paiement abrégé. Le créancier ne pouvant exiger le paiement d’une dette qui n’est pas exigible, la compensation légale ne peut intervenir. Cette condition exclut donc l’application de ce mécanisme lorsqu’une dette est affectée d’un terme suspensif ou d’une condition suspensive tant que cette dernière ne s’est pas réalisée 553. L’article 1292 du Code civil précise toutefois que l’octroi par le juge d’un délai de grâce en exécution de l’article 1244, alinéa 2 du Code civil ne fait pas obstacle à la compensation légale. Dans son arrêt du 13 juin 2014554, la Cour de cassation a relevé que si la prescription extinctive (ou libératoire) n’affecte pas l’existence de la dette, la compensation ne peut être invoquée lorsqu’une des dettes est prescrite en raison du défaut d’exigibilité qui en résulte.

Section 2. Champ d’application La réunion des conditions identifiées aboutit en principe à l’application du mécanisme de la compensation légale. Le législateur a toutefois expressément exclut l’application de ce mécanisme dans certaines situations (articles 1293 et 1298 du Code civil). 550 Cass., 11 avril 1986, R.W., 1987-1988, Col. 1424. 551 Cass., 12 mai 1960, Pas., 1960, I, p. 1050 ; Cass., 11 avril 1986, J.T., 1987, p. 164. 552 Liège, 20 juin 1966, J.L., 1966-1967, p. 193. 553 Cass., 15 septembre 1983, Pas., 1984, I, p. 42. 554 Cass., 13 juin 2014, J.L.M.B., 2016, p. 151.

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La doctrine et la jurisprudence ont par ailleurs fait application de la même logique dans d’autres situations non expressément visées par la loi. L’objet de la présente section est de présenter brièvement ces hypothèses d’exclusion de la compensation.

A. La demande en restitution d’une chose dont le propriétaire a été injustement dépouillé (article 1293, 1° du Code civil)

Le propriétaire d’une chose dont il a été injustement dépouillé, lorsqu’il réclame la restitution de celle-ci, ne peut se voir opposer la compensation légale par celui qui s’est emparé sans droit de ladite chose. Toute autre solution constituerait un encouragement aux voies de fait. En pratique, cette exception est de peu d’importance, dans la mesure où, s’agissant rarement d’une chose d’espèce, la condition de fongibilité requise pour la compensation légale fera défaut.

B. La demande en restitution d’un dépôt ou d’un prêt à usage (article 1293, 2° du Code civil)

L’exclusion de la compensation dans le cadre d’un contrat de dépôt relève de l’évidence, dans la mesure où les dettes réciproques ne portent généralement pas sur des choses fongibles. L’article 1932 du Code civil impose en effet au dépositaire de rendre « identiquement la même chose qu’il a reçue ». Il en va de même pour le prêt à usage qui porte, par définition, sur des choses non fongibles.

C. Les créances insaisissables (article 1293, 3° du Code civil) Même si le législateur n’envisage que la créance d’aliment, il est admis que cette exception s’étend à toutes créances auxquelles la loi confère un caractère d’insaisissabilité, parmi lesquelles on range, dans les limites de

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l’article 23 de la loi du 12 avril 1965 relative à la protection de la rémunération, les sommes dues aux travailleurs 555. Rien n’empêcherait toutefois le créancier d’invoquer lui-même la compensation légale pour se libérer d’une dette 556.

D. Le préjudice aux droits acquis [verworven rechten] des tiers (article 1298 du Code civil)

Le mécanisme de la compensation légale consacre un véritable privilège sans texte. Il est en effet susceptible de permettre au créancier qui en bénéficie d’échapper à la loi du concours. L’article 1298 du Code civil en exclut dès lors l’application, lorsque la compensation est susceptible de porter atteinte au principe de l’égalité des créanciers. Le législateur envisage expressément l’hypothèse de la saisie-arrêt [beslag onder derden]. Il est toutefois admis que l’exception prévue par l’article 1298 du Code civil s’applique à toutes les situations de concours entre créanciers, parmi lesquelles on range évidemment la faillite 557 ou la liquidation 558. Deux nuances doivent toutefois être apportées à cette exclusion de la compensation légale en cas de concours : • L’exclusion de la compensation légale ne trouvera pas à s’appliquer,

lorsque les conditions de ce mécanisme sont réunies avant le jour du concours 559.

• Il en ira de même lorsque les obligations réciproques sont connexes 560.

Un lien de connexité a été admis par la jurisprudence, non seulement

555 Cass., 10 mars 1980, Pas., 1980, I, p. 846 ; Trib. Trav. Bruxelles, 9 février 1973, Pas., 1973, III, p. 57. 556 Civ. Huy, 26 mars 1984, J.T., 1985, p. 153 ; Civ. Huy, 22 octobre 1984, J.T., 1985, p. 152 ; Civ. Bruxelles, 16 septembre 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1431 ; Liège, 7 juin 2005, J.T., 2005, p. 663 ; Liège, 2 octobre 2007, R.R.D., 2007, p. 312. 557 Mons, 2 novembre 1976, Pas., 1977, II, p. 132 ; Comm. Namur, 14 janvier 1982, R.R.D., 1982, p. 136 ; Bruxelles, 8 juin 1984, R.D.C.B., 1985, p. 271 ; Bruxelles, 6 septembre 1984, J.T., 1985, p. 26. 558 Bruxelles, 14 novembre 1996, J.T., 1997, p. 182. 559 Gand, 7 mars 1966, J.C.B., 1969, p. 318 ; Liège, 28 septembre 1984, J.L., 1985, p. 17.

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lorsque les créances réciproques résultent d’un même contrat 561, mais également lorsqu’elles découlent de deux contrats étroitement liés 562.

E. Les impôts, taxes et cotisations sociales dus à l’Etat ou aux pouvoirs publics

Bien que non expressément visée par le législateur, l’exclusion de la compensation légale en matière d’impôts, taxes et cotisations sociales est traditionnellement admise563.

560 Cass., 7 décembre 1961, Pas., 1962, I, p. 440 ; Cass., 25 mai 1989, R.C.J.B., 1992, p. 348 ; Cass., 7 avril 2006, J.L.M.B., 2006, p. 896 ; Liège, 14 avril 2005, R.R.D., 2005, p. 227. Voy. ég. Cass., 4 février 2011, R.G. C.10.0443.N : « La reconnaissance de la compensation dans les cas où il existe une connexité étroite entre les créances ne porte pas atteinte à la règle de l'égalité entre les créanciers en cas de faillite. La compensation est ainsi possible dans ces circonstances même si les conditions de la compensation n'ont été remplies que postérieurement à la faillite. La compensation reste toutefois, en principe, exclue entre les dettes et les créances nées avant la faillite et les créances et les dettes nées après la faillite, fussent-elles connexes » (nous soulignons). Cette dernière affirmation peut apparaître comme « un premier coup de frein donné par la Cour à une tendance nettement favorable à la reconnaissance élargie de la compensation après concours » (F. GEORGE, « Compensation et insolvabilité : questions choisies », op. cit., p. 100, n° 14). Il convient néanmoins de ne pas perdre de vue que les remèdes ouverts au créancier – exception d’inexécution, dommages et intérêts complémentaires à la résolution, en cas d’inexécution fautive du contrat, sont inhérents au rapport synallagmatique et sont « réputés exister dès l’origine quel que soit le moment où une des parties contractantes les invoque » (Cass., 4 février 2011, précité). 561 Mons, 2 novembre 1976, Pas., 1977, II, p. 132. 562 Comm. Hasselt, 3 septembre 1981, J.C.B., 1982, p. 467. 563 Civ. Anvers, 20 mai 1881, Pas., 1881, III, p. 295. Voir toutefois à propos de l’évolution de la jurisprudence à ce propos : F. GEORGE, « La compensation fiscale : regard sur une jurisprudence particuloièrement trouble », J.T., 2015, pp. 665-674.

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Section 3. Effets L’article 1290 dispose que la compensation opère « de plein droit par la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs ». En pratique, la partie qui entend bénéficier de l’application de ce mécanisme doit toutefois s’en prévaloir et demander dès lors au juge de constater la compensation dont souvent ce dernier ignore que les conditions sont réunies. La compensation légale éteint les dettes réciproques à concurrence du plus faible montant 564. Il en va de même pour les accessoires de ces dettes (privilèges, sûretés,…). S’il existe plusieurs dettes susceptibles de compensation à charge d’une seule et même partie, il y a lieu d’appliquer les règles relatives à l’imputation des paiements (article 1256 du Code civil). La compensation légale produit ses effets au moment où les conditions de ce mécanisme sont réunies 565. A dater de la compensation légale, les intérêts cessent de courir. La compensation opérant de plein droit, elle joue aussi en faveur des incapables. Chapitre 3. La compensation judiciaire Comme son nom l’indique, la compensation judiciaire est l’œuvre du juge. Elle suppose que toutes les conditions de la compensation légale ne sont pas réunies. Tel sera souvent le cas lorsqu’une des créances réciproques n’est pas encore certaine, mais que le titulaire de celle-ci introduit une demande reconventionnelle tendant à obtenir la reconnaissance d’une créance qui pourrait être compensée avec la créance du demandeur originaire 566.

564 Mons, 2 novembre 1976, Pas., 1977, II, p. 132. 565 Bruxelles, 19 avril 1966, J.T., 1966, p. 508. 566 Civ. Bruxelles, 21 mars 1973, Pas., 1973, III, p. 44.

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La décision de justice aura pour effet de liquider la dette de ce dernier et de permettre dès lors la compensation. La compensation judiciaire opère sans rétroactivité et ne produit dès lors d’effet qu’à partir du prononcé de la décision 567. Chapitre 4. La compensation conventionnelle Les conditions de la compensation peuvent encore être aménagées conventionnellement. En d’autres termes, des parties pourraient convenir de compenser certaines créances réciproques existant entre elles, alors même que les conditions de la compensation légale ne sont pas réunies. Il ne s’agit là que d’une application du principe de l’autonomie de la volonté. En recourant à un tel mécanisme, les parties ne pourraient toutefois enfreindre la règle de l’article 1298 du Code civil 568. La compensation conventionnelle ne peut produire d’effet qu’à dater de la conclusion de la convention.

567 Bruxelles, 19 avril 1966, Pas., 1967, II, p. 72. 568 L’article XX.111 du Code de droit économique prévoit d’ailleurs qu’une compensation conventionnelle ne peut être conclue pendant la période suspecte qui précède le jugement déclaratif de faillite.

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TITRE 6. LA CONFUSION [SCHULDVERMENGING] Chapitre 1. Notion La confusion consiste dans la réunion sur la même personne des qualités de créancier et de débiteur de la même dette 569. A tort, l’article 1300 du Code civil énonce-t-il que la confusion éteint « les deux créances ». La confusion n’exige en effet que l’existence d’une seule créance existant entre un débiteur et un créancier. Lorsque ces deux qualités sont réunies sur la même personne, la créance perd toute signification. Tel est notamment le cas d’un locataire qui devient propriétaire de l’immeuble loué. Bien souvent, la confusion se réalisera « à cause de mort », c.à.d. à la suite du décès d’une des parties au lien obligatoire. Chapitre 2. Conditions La confusion suppose la réunion de trois conditions : • La réunion des qualités de créancier et de débiteur dans le chef d’une

seule et même personne agissant dans la même qualité. • L’absence de séparation des patrimoines : celle-ci aurait en effet pour

conséquence d’empêcher la confusion et de laisser subsister la créance.

Tel est notamment le cas lorsqu’un héritier créancier d’une succession accepte cette dernière sous bénéfice d’inventaire.

• L’existence d’une seule et même créance ou obligation : celle-ci doit

évidemment être envisagée sous son aspect actif (créance) et passif (obligation).

569 Cass., 9 septembre 1965, Pas., 1966, I, p. 44.

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Chapitre 3. Effets Même si on range traditionnellement la confusion parmi les causes d’extinction des obligations, elle n’en constitue pas tout à fait une. En réalité, la confusion doit être analysée comme un simple obstacle à l’exécution de l’obligation qui a pour conséquence de suspendre l’exigibilité de l’obligation 570. En d’autres termes la confusion ne porte pas atteinte à l’existence de la créance, mais rend celle-ci momentanément inefficace. Dès la disparition du susdit obstacle, l’obligation devient à nouveau exigible. L’article 1301 du Code civil règle par ailleurs les conséquences de la confusion sur la situation des personnes tenues avec le débiteur.

570 Cass., 26 octobre 1962, Pas., 1963, I, p. 259 ; Bruxelles, 15 janvier 1965, J.T., 1965, p. 523.

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TITRE 7. LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE [BEVRIJDENDE VERJARING] (OU LIBÉRATOIRE)

Pour en savoir plus : - I. CLAEYS, « De nieuwe verjaringswet : een inleidende verkenning », R.W., 1998-1999, pp. 377-403. - P. COECKELBERGHS et M. MATTHYS, « La prescription de l’article 2273 du Code civil est-elle ou non fondée sur une présomption de paiement ? », J.J.P., 1986, pp. 297-300. - C. DESCHAMPS, « La prescription des créances à charge ou au profit de l’État et des provinces », Rev. not. b., 1971, pp. 270-283. - M. FONTAINE et J.-L. FAGNART, « Réflexions sur la prescription des actions en responsabilité », R.G.A.R., 1995, n° 12.502. - A. GOSSELIN, « Les prescriptions présomptives de paiement et la facture », J.T., 1994, pp. 30-35. - A. JACOBS, « La loi du 10 juin 1988 modifiant certaines dispositions en matière de prescription », R.G.D.C., 1999, pp. 10-35. - P.JOURDAIN et P. WERY (Dir.), La prescription extinctive. Etudes de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 2010. - J. LINSMEAU, « L’action en répétition du paiement d’une dette prescrite (note sous Cass., 25 septembre 1970) », R.C.J.B., 1972, pp. 7-22. - M. MARCHANDISE, La prescription extinctive en matière civile, Larcier, Bruxelles, 2007. - F. POILVACHE, « L’article 2276ter nouveau du Code civil soumettant la responsabilité des experts et leurs créances d’honoraires à des prescriptions abrégées », J.T., 1991, pp. 292-294. - M. REGOUT-MASSON, « La prescription en droit civil », in X., La prescription, C.U.P., 1998, pp. 51-64. - D. STERCKX, « Premiers commentaires sur l’article 2276bis du Code civil », J.T., 1985, p. 533. - J.-Fr. van DROOGHENBROECK et R.O. DALCQ, « La loi du 10 juin 1988 modifiant certaines dispositions en matière de prescription », J.T., 1998, pp. 705-709. - E. VIEUJEAN (Coord.), La prescription, C.U.P., Vol. XXIII, Liège, avril 1998. - H. VUYE et P. WÉRY, « La prescription de l’action de prestataires de soins : l’article 2277bis du Code civil », J.T., 1995, pp. 93-102. - X., Les prescriptions et les délais. Actes du colloque organisé par la Conférence libre du Jeune Barreau de Liège le 25 mai 2007, Liège, Ed. Jeune Barreau, 2007. - M. REGOUT-MASSON, « La prescription libératoire en matière civile. Examen de la jurisprudence publiée de janvier 2007 à juin 2012 », J.T., 2012, pp. 697-708. - E.VERJANS, « Correctiefiguren op de onbillijke gevolgen van de bevrijdende verjaring », R.G.D.C., 2014, pp. 146-166. - M. MARCHANDISE, « Le point sur … L’interruption de la prescription libératoire par une lettre d’avocat », J.T., 2015, pp. 353-356.

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Chapitre 1. Généralités

Section 1. Notion et types

A. Notion Le terme même de « prescription » dans son acception juridique évoque indéniablement la notion de délai, et donc d’écoulement du temps. Le Petit Larousse ne définit-il pas la prescription comme « le délai au terme duquel une situation de fait prolongée devient une source de droits » et le délai comme « le temps accordé pour faire quelque chose ». Le mécanisme de la prescription se caractérise donc par le fait que l’écoulement du temps peut être source d’effets juridiques. Les rédacteurs du Code civil ont traité de la prescription dans le titre XX du livre III, en donnant de celle-ci une définition unique :

« La prescription est un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps, et sous les conditions déterminées par la loi » (article 2219 du Code civil).

B. Types Il faut toutefois admettre l’existence de deux formes distinctes de prescription, l’une acquisitive relevant du droit des biens, l’autre extinctive relevant du droit des obligations. Ces deux types de prescription se distinguent par leurs objets, le mécanisme qu’elles mettent en œuvre, leurs champs d’application et les effets qu’elles provoquent. • La prescription acquisitive est un moyen d’acquérir des droits (articles

712 du Code civil), tandis que la prescription extinctive n’est qu’un moyen d’éteindre un droit (article 1234 du Code civil).

• La prescription acquisitive requiert la possession dans le chef de celui

qui entend s’en prévaloir, tandis que la prescription extinctive est fondée sur la seule inaction de celui contre lequel elle court.

• La prescription acquisitive ne concerne que les droits susceptibles de

possession, à savoir la propriété et les droits réels de jouissance, tandis

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que la prescription extinctive concerne toutes les actions, tant réelles que personnelles. Elle s’applique donc non seulement aux droits réels, mais également aux droits de créance et aux droits intellectuels.

• La prescription acquisitive confère à celui qui entend s’en prévaloir non

seulement une exception, mais également une action, tandis que la prescription extinctive ne confère jamais qu’une exception, c.à.d. un moyen de défense destiné à repousser une action tardive.

Section 2. Fondement L’exposé des motifs fait par M. BIGOT-PREAMENEU, lors des travaux préparatoires du Code civil, pose parfaitement le problème :

« A la seule idée de prescription, il semble que l’équité doive s’alarmer ; il semble qu’elle doive repousser celui qui, par le seul fait de la possession, et sans le consentement du propriétaire, prétend se mettre à sa place, ou qu’elle doive condamner celui qui, appelé à remplir son engagement d’une date plus ou moins reculée, ne présente aucune preuve de sa libération. Peut-on opposer la prescription et ne point paraître dans le premier cas un spoliateur, et dans le second un débiteur de mauvaise foi qui s’enrichit de la perte du créancier ? » 571.

Au premier abord, il faut admettre que la prescription paraît contraire : • A l’équité : le seul écoulement du temps permet d’acquérir ou de se

libérer ; • À la morale : le droit canonique l’a combattait d’ailleurs ; • A la logique : un droit existe ou n’existe pas ; • Aux idées populaires : cent ans d’injustice ne font pas un an de droit. La prescription se rencontre toutefois dans toutes les législations, depuis les plus anciennes jusqu’aux plus récentes. M. BIGOT-PREAMENEU exprimait la justification de cette institution dans les termes suivants :

« De toutes les institutions du droit civil, la prescription est la plus nécessaire à l’ordre social. Sans elle, nul ne pourrait jamais se regarder comme propriétaire ou comme

571 LOCRE, Législation civile, commerciale et criminelle de la France, t. XVI, p. 557.

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affranchi de ses obligations ; Il ne resterait au législateur aucun moyen de prévenir ou de terminer les procès ; Tout serait incertitude ou confusion ».

La prescription constitue le remède : le jour où la preuve devient trop malaisée, la prescription la rend précisément inutile. La paix sociale exige que, les délais écoulés, l’apparence devienne conforme au droit : la loi décrète quel est le droit. L’idée fondamentale est donc que la prescription a pour but de servir à la paix et à la sécurité juridiques.

Section 3. Caractéristiques • Eu égard à l’utilité sociale du mécanisme, il est admis que la prescription

relève de l’ordre public. Les parties au lien obligatoire ne peuvent dès lors en disposer en l’écartant ou en y renonçant d’avance.

L’article 2220 du Code civil exclut en effet la renonciation anticipée à la prescription. Il permet toutefois une telle renonciation, lorsque la prescription est acquise 572, pour autant qu’il ne s’agisse pas d’une matière d’ordre public 573.

• Les modalités d’application de la prescription ne relèvent cependant pas

de l’ordre public.

L’article 2223 du Code civil ne permet en effet pas au juge d’appliquer d’office le moyen résultant de la prescription. Celle-ci ne jouera donc que si elle est opposée par la partie intéressée qui dispose en conséquence de l’option de s’en prévaloir ou d’y renoncer. La loi ne prend dès lors pas à son compte une éventuelle injustice qui résulterait de l’application de la prescription. Elle laisse celle-ci à la discrétion de la partie qui s’en prévaut.

572 Cass., 3 février 1950, Pas., 1950, I, p. 382 ; Liège, 29 avril 2004, J.L.M.B., 2006, p. 127. 573 Cass., 4 juin 1970, Pas., 1970, I, p. 869.

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L’article 2223 du Code civil reçoit toutefois exception dans les matières d’ordre public 574. Tel est notamment le cas de l’action civile née d’une infraction.

Chapitre 2. Délais

Section 1. La computation des délais • La prescription ne commence à courir qu’au jour où naît l’action à

laquelle on entend l’opposer 575. Elle court donc à partir du jour où l’obligation doit s’exécuter576.

On comprend dès lors les termes de l’article 2257 du Code civil qui dispose :

« La prescription ne court point : A l’égard d’une créance qui dépend d’une condition jusqu’à ce que la condition arrive ; A l’égard d’une action en garantie jusqu’à ce que l’éviction ait lieu ; A l’égard d’une créance à jour fixe (égale à terme) jusqu’à ce que ce jour soit arrivé ».

• La prescription se compte par jours et non par heures (article 2260 du

Code civil).

Le jour où la prescription prend cours (dies a quo) n’entre dès lors pas dans le calcul du délai.

• La prescription est acquise lorsque le dernier jour du terme (dies ad

quen) est accompli (article 2261 du Code civil) étant compris dans le délai, ce dernier jour doit dès lors être écoulé.

• La prescription peut encore être soit interrompue, soit suspendue (nous

examinerons les causes et les effets de l’interruption et de la suspension de la prescription aux chapitres 3 et 4 ci-dessous).

• Les samedis, dimanches et jours fériés sont compris dans le délai de

prescription. 574 Cass., 8 juillet 1955, Pas., 1955, I, p. 1218 ; Cass., 28 octobre 1976, Pas., 1977, I, p. 246 ; Cass., 31 janvier 1980, Pas., 1980, I, p. 622. 575 Cass., 15 octobre 1975, Pas., 1976, I, p. 201. 576 Cass., 10 avril 1981, Pas., 1981, I, p. 904.

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• Le nombre de jours dans un mois n’a pas d’incidence sur le calcul du délai de prescription.

Section 2. Les différents délais

A. Le Code Napoléon Les auteurs du Code civil ont maintenu dans notre droit une pléthore de délais héritée essentiellement de l’ancien droit français. L’article 2262 du Code Napoléon soumettait à la prescription trentenaire toutes les actions, tant réelles que personnelles, répondant ainsi à un vœu de simplification. Il n’énonçait toutefois que la règle générale, de très nombreux délais abrégés étant prévus soit par des dispositions éparpillées dans le Code civil, soit par des dispositions regroupées en une section IV du titre XX du Code civil intitulées « De quelques prescriptions particulières ». Sans prétendre à la moindre exhaustivité, on peut relever que ce délai était fixé à : - Dix ans pour l’action en nullité ou en rescision d’une convention (article

1304 du Code civil) ou pour l’action du mineur contre son tuteur relativement aux faits de la tutelle (article 475 du Code civil) 577 ;

- Cinq ans pour la décharge des pièces confiées au juges et avoués (article

2276 du Code civil) ou pour les sommes payables par année ou à des termes périodiques plus courts (article 2277 du Code civil) 578 ;

- Deux ans pour l’action des avoués tendant au paiement de leurs frais et

salaires (article 2273, alinéa 1 du Code civil), la décharge des pièces confiées aux huissiers (article 2276, alinéa 2 du Code civil) ;

- Un an pour l’action des médecins, chirurgiens et apothicaires pour leurs

visites, opérations et médicaments (article 2272 du Code civil), l’action

577 Civ. Bruxelles, 27 mai 1971, J.T., 1971, p.646. 578 Dans un arrêt n° 13/2007 du 17 janvier 2007, la Cour constitutionnelle maintient une interprétation extensive de cette disposition en l’appliquant aux dettes relatives à la fourniture de téléphonie mobile. Elle avait déjà statué dans le même sens pour les dettes relatives à la fourniture d’eau (arrêt n° 15/2005 du 19 janvier 2005). Elle confirmera encore sa position dans un arrêt (n° 6/2011) du 13 janvier 2011 en ce qui concerne les charges communes d’une copropriété d’un immeuble.

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des huissiers pour le salaire des actes qu’ils signifient et des commissions qu’ils exécutent (article 2272 du Code civil) ;

- Six mois pour l’action des maîtres et instituteurs des sciences et arts

pour les leçons qu’ils donnent au mois, celle des hôteliers et traiteurs à raison du logement et de la nourriture qu’ils fournissent, celle des ouvriers et gens de travail pour le paiement de leurs journées, fournitures et salaires (article 2271 du Code civil).

Les prescriptions énoncées aux articles 2271 à 2273 du Code civil étaient soumises à un régime particulier, en ce qu’il était admis qu’elles reposent sur une présomption de paiement. En d’autres termes, les créances visées par ces dispositions étant rarement constatées par écrit dans la mesure où l’exécution des obligations y relatives s’exécutent « au comptant » le débiteur ne doit pas davantage disposer de quittance pour prouver le paiement. Les créances énumérées aux articles 2271 à 2273 du Code civil ne laissent dès lors aucune trace, ni de leur naissance, ni de leur extinction.

B. Différentes interventions législatives Au cours des dernières décennies, le législateur est intervenu à diverses reprises, généralement pour compléter encore l’arsenal de délais de prescription déjà en vigueur. Sans prétendre à la moindre exhaustivité, on peut citer à cet égard : - La loi du 6 février 1970 relative à la prescription des créances à charge

ou au profit de l’Etat et des Provinces a instauré un délai de cinq à dix ans, selon que la créance à charge de l’Etat a été ordonnancée ou non par le Ministre concerné et de cinq ans pour les créances au profit de l’Etat des Provinces.

- La loi du 8 août 1985 relative à la prescription en matière de

responsabilité professionnelle de l’avocat, de conservation des archives et d’action en paiement des frais et honoraires a introduit dans le Code civil l’article 2276bis qui dispose que les avocats sont déchargés de leur responsabilité professionnelle et de la conservation des pièces cinq ans après l’achèvement de leur mission 579 et que l’action en paiement de

579 Liège, 21 octobre 2010, J.T., 2011, p. 168.

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leurs frais et honoraires se prescrit dans le même délai de cinq ans après ledit achèvement.

- La loi du 19 février 1990 relative à la prescription de l’action en

paiement des frais et honoraires des experts a inséré dans le Code civil un article 2276ter soumettant la responsabilité des experts à des prescriptions de cinq à dix ans 580 et l’action en paiement des frais et honoraires des experts à une prescription de cinq ans.

- La loi du 6 août 1993 relative à la prescription de l’action des

prestataires de soins a introduit dans le Code civil un article 2277bis soumettant à un délai de deux ans à compter de la fin du mois au cours duquel ils ont été fournis l’action des prestataires de soins. Elle a par ailleurs abrogé le premier alinéa de l’article 2272 du Code civil selon lequel se prescrivait par un an l’action des médecins, chirurgiens et apothicaires pour leurs visites, opérations et médicaments.

Cette loi faisait suite à un arrêt prononcé par la Cour de cassation le 21 janvier 1993 581 qui avait considéré que la prescription d’un an applicable aux médecins, chirurgiens et apothicaires ne trouvait pas à s’appliquer aux établissements hospitaliers. Dans cet arrêt, la Cour de cassation donnait en effet une interprétation littérale à l’article 2272, alinéa 1 du Code civil, en refusant d’assimiler lesdits établissements aux médecins.

L’article 2277bis du Code civil étend considérablement le champ d’application de la prescription abrégée, en ayant recours aux notions de « prestataires de soins 582 », de « prestations », de « biens et services médicaux » et de « frais supplémentaires » 583.

- La loi du 6 juillet 2017 portant simplification, harmonisation,

informatisation et modernisation de dispositions de droit civil et de procédure civile ainsi que du notariat, et portant diverses mesures en matière de justice584 a complété l’article 2277 du Code civil par un alinéa 2 qui soumet à une prescription de cinq ans « les créances pour la fourniture de biens et de services via des réseaux de distribution d’eau, de gaz ou d’électricité ou la fourniture de services de communications électroniques ou de services de radiotransmission ou de radio- et de télédiffusion via des réseaux de communications électroniques ».

580 Liège, 2 décembre 2010, J.L.M.B., 2012, p. 211. 581 J.T., 1993, p. 842. 582 Voir Liège, 8 décembre 2009, J.L.M.B., 2010, p. 1325. Cette décision refuse d’englober les médecins vétérinaires dans cette catégorie. 583 Voir notamment : Cass., 30 juin 2006, J.T., 2006, p. 566. 584 Mon. b., 24 juillet 2017, p. 75168.

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C. L’arrêt de la Cour d’arbitrage du 21 mars 1995 La prescription de l’action civile découlant d’une infraction a toujours constitué un casse-tête pour les praticiens. L’hypothèse est celle où le fait générateur de responsabilité peut être qualifié d’infraction à la loi pénale. Dans ce cas, le délai de prescription de l’action civile était fixé à cinq ans en vertu de l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale. La jurisprudence avait d’ailleurs précisé que la prescription quinquennale était d’application tant devant la juridiction civile que devant la juridiction pénale 585. Les critiques doctrinales avaient été nombreuses à l’égard de la disposition commentée, dans la mesure où il était pour le moins paradoxal que la victime puisse se voir opposer une prescription abrégée lorsque la faute qui lui a causé un dommage est suffisamment grave pour justifier une sanction pénale, alors qu’elle disposait de trente ans pour faire valoir ses droits lorsqu’elle n’était victime que d’une faute à caractère exclusivement civil. La validité de l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale a été fortement mise en cause par un arrêt prononcé le 21 mars 1995 par la Cour d’arbitrage 586. Cet arrêt décide que la disposition commentée « a pour conséquence que la situation d’une personne ayant subi un dommage résultant d’une faute, est sensiblement plus défavorable lorsque cette faute constitue une infraction que lorsqu’elle n’en constitue pas une ». L’arrêt ajoute que le but poursuivi par le législateur ne justifie pas que l’action civile en réparation des dommages causés par un fait sanctionné pénalement soit prescrite après cinq ans « alors que la réparation du dommage causé par une faute civile, moins grave qu’une faute que le législateur a qualifiée de pénale, peut être demandée pendant trente ans ». L’arrêt de la Cour d’arbitrage du 21 mars 1995 dit dès lors pour droit que l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Suite au prononcé de cet arrêt, il ne restait dès lors d’autre possibilité que d’en revenir au droit commun, à savoir l’article 2262 du Code civil – sauf dérogation particulière – et de retenir un délai de prescription de trente 585 Cass., 6 décembre 1979, Pas., 1980, I, p. 430 ; Cass., 8 janvier 1981, Pas., 1981, I, p. 490. 586 C.A., n° 25/95, 21 mars 1995.

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ans, que la source du dommage soit de nature délictuelle ou quasi délictuelle. Le retour à l’application de l’article 2262 du Code civil n’était toutefois pas satisfaisant.

D. La loi du 10 juin 1998 modifiant certaines dispositions en matière de prescription.

La loi du 10 juin 1998 n’a en rien modifié le régime de prescription des actions réelles : la prescription trentenaire continue à s’appliquer à celles-ci. Le nouvel article 2262 du Code civil confirme l’application de ce délai. Par contre, pour les actions personnelles, la loi du 10 juin 1998 a introduit dans le Code civil un nouvel article 2262bis instaurant un délai de prescription de 10 ans pour toutes les actions personnelles587. Le législateur a dès lors opté pour une règle générale réduisant considérablement la prescription antérieurement applicable à ce type d’action. Après avoir fixé à 10 ans le délai de prescription de toutes les actions personnelles, le législateur déroge cependant à cette règle dans le 2e alinéa du 1er paragraphe de l’article 2262bis libellé comme suit :

« Par dérogation à l’alinéa 1er, toute action en réparation d’un dommage fondé sur une responsabilité extra-contractuelle se prescrit par cinq ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l’identité de la personne responsable. Les actions visées à l’alinéa 2 se prescrivent en tous cas par vingt ans à partir du jour qui suit celui où s’est produit le fait qui a provoqué le dommage ».

587 Tel sera notamment le délai applicable à l’action tendant à l’exécution d’une condamnation, dénommée actio judicati. Cette règle ne déroge toutefois pas à la prescription abrégée de 5 ans pour ce qui concerne les intérêts moratoires judiciaires échus après la décision judiciaire, conformément à l’article 2277 du Code civil (Cass., 31 mai 2012, R.G.D.C., 2014, p. 449). Dans un arrêt du 6 novembre 2014, la Cour constitutionnelle a cependant considéré que l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution « en ce qu’il peut avoir pour effet que le délai de prescription applicable aux actions fondées sur une stipulation pour autrui expire avant que le bénéficiaire de la stipulation pour autrui en ait connaissance ou ait dû raisonnablement en avoir connaissance » (C.C., n° 164/2014, 6 novembre 2014).

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Par ailleurs, le législateur a maintenu le principe selon lequel, quel que soit le délai de prescription de l’action civile, elle ne peut en aucun cas être prescrite avant l’action publique. En effet, l’article 2 de la loi du 10 juin 1998 a remplacé l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale par la disposition suivante :

« L’action civile résultant d’une infraction se prescrit selon les règles du Code civil ou des lois particulières qui sont applicables à l’action en dommages et intérêts, sans qu’elle puisse se prescrire avant l’action publique ».

En conséquence, le délai de cinq ans s’applique dorénavant à toute action en réparation d’un dommage fondé sur une responsabilité extra-contractuelle sans qu’il faille distinguer entre l’action civile découlant d’une infraction et l’action civile consécutive à une simple faute civile, tandis que le délai de dix ans régit les actions de nature contractuelle. Le législateur a toutefois spécialement innové au niveau du point de départ du délai de cinq ans : ce n’est en effet plus le jour des faits qui sert de point de départ au délai de prescription, mais bien le jour qui suit celui où la personne a pris connaissance du dommage ou de son aggravation588 et de l’identité de la personne responsable 589. Deux conditions cumulatives doivent donc être remplies : il faut que la victime ait connaissance non seulement de son dommage (ou de son aggravation), mais également de l’identité de l’auteur du dommage. Le législateur a donc voulu que le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le titulaire du droit d’action dispose de tous les éléments pour formuler sa demande. Il a par ailleurs limité la portée de cette prescription en fixant un délai maximum absolu de vingt ans à partir du jour qui suit celui où s’est produit le fait qui a provoqué le dommage. A côté du bref délai de cinq ans, est ainsi prévu un délai absolu de vingt ans prenant cours à partir de l’événement générateur du dommage. Chapitre 3. Effets

588 Liège, 12 juin 2012, J.L.M.B., 2013, p. 1697. A propos de l’appréciation de ce point de départ de la prescription dans le cadre d’une action paulienne, voir : Cass., 26 avril 2012, R.C.J.B., 2015, p. 55. 589 Cass., 9 décembre 2010, J.L.M.B., 2012, p. 201.

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La prescription extinctive (ou libératoire) ne porte pas atteinte à l’existence de la dette, mais seulement à son exigibilité. Il en résulte que l’obligation prescrite demeure au titre d’obligation naturelle 590. Le débiteur qui acquitte une obligation prescrite effectue dès lors un véritable paiement qui ne peut donner lieu à répétition d’indu (article 1235, alinéa 2 du Code civil). Chapitre 4. L’interruption de la prescription

Section 1. Causes L’interruption de la prescription peut résulter tantôt d’une initiative émanant du titulaire du droit litigieux (article 2244 du Code civil), tantôt de l’attitude de celui qui prescrit (article 2248 du Code civil). • Article 2244 du Code civil Cette disposition vise « un citation en justice, un commandement ou une saisie » 591. Il est admis que le dépôt d’une requête contradictoire, d’un procès-verbal de comparution volontaire ou de conclusions au greffe592 produisent les mêmes effets qu’une citation 593, ce qui implique la mise au rôle 594. 590 Cass., 25 septembre 1970, J.T., 1971, p. 58 ; Cass., 14 mai 1992, Pas., 1992, I, p. 798 ; Cass., 29 novembre 2013, R.G. C.12.0540.F et C.12.0544.F. 591 La loi du 25 juillet 2008 a complété cet article en vue d’interrompre la prescription de l’action en dommages et intérêts à la suite d’un recours en annulation devant le Conseil d’État (Mon. b., 22 août 2008, p. 44142). Dans un jugement du 20 mars 2012, le Tribunal de première instance de Bruxelles a néanmoins précisé que l'interruption de la prescription de l'action en dommages et intérêts ne joue que pour autant qu'il ait été fait droit au recours en annulation (Civ. Bruxelles, 20 mars 2012, inédit). 592 Cass., 18 novembre 2010, R.G.D.C., 2013, p. 398. 593 Plusieurs décisions avaient introduit, en droit judiciaire, la notion de « prescription du lien d’instance » (Mons, 18 décembre 2009, J.L.M.B., 2011, p. 462 ; Civ. Liège, 9 mars 2011, J.L.M.B., 2011, p. 1767 ; C. trav. Liège, 28 février 2012, J.L.M.B., 2012, p. 621 ; Liège, 4 octobre 2012, inédit), pourtant abrogée. Ces décisions font état de l’existence d’un « lien d’instance » entre les parties, rapport juridique personnel qui serait, par cette qualité, soumis à l’article 2262bis du Code civil. Le lien d’instance serait prescrit dès lors

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Par contre, une simple mise en demeure adressée au débiteur ne peut normalement avoir pour conséquence d’interrompre la prescription 595. Une loi récente du 23 mai 2013 a cependant été votée et promulguée en vue d’attribuer également un effet interruptif de la prescription à la lettre de mise en demeure répondant à certaines conditions précises énoncées au nouveau paragraphe 2 de la disposition visée. Il est tout d’abord requis que la mise en demeure émane soit de l’avocat du créancier, soit d’un huissier de justice désigné par celui-ci, soit encore d’une personne pouvant ester en justice au nom du créancier en vertu de l’article 728, § 3 du Code judiciaire (délégué syndical, …). Pour interrompre la prescription, la mise en demeure doit en outre contenir diverses mentions énumérées par le législateur (coordonnées du créancier, coordonnées du débiteur, description de l’obligation qui a fait naître la créance, justification de tous les montants réclamés au débiteur, délai dans lequel le débiteur peut s’acquitter de son obligation avant que des mesures supplémentaires de recouvrement puissent être prises, …). La mise en demeure qui satisfait aux exigences légales fait courir un nouveau délai de prescription d’un an. Toutefois, si le délai de prescription applicable était inférieur à un an, la durée de la prorogation est identique à celle du délai de prescription initial. Une telle interruption ne peut intervenir qu’une seule fois. Il convient de préciser que l’effet interruptif découlant de la mise en demeure qui satisfait aux conditions fixées par le législateur ne pourra être invoqué qu’à la condition que la lettre de mise en demeure ait été envoyée par courrier recommandé avec accusé de réception avant l’échéance du délai de prescription initial. qu’aucun acte de procédure n’aurait été posé pendant dix ans. Cette jurisprudence a cependant été contestée (Liège, 4 février 2013, J.T., 2013, p. 140), voire condamnée (M. MARCHANDISE, A propos d’une prescription qui n’est pas : la péremption de l’instance, J.T., 2013, PP. 129-135 ; Cass., 17 octobre 2008, J.T., 2013, p. 138 ; Cass., 18 mars 2013, R.G. S.12.0084.F qui casse l’arrêt de la Cour du travail de Liège du 28 février 2012 cité ci-dessus). 594 Cass., 25 octobre 2010, J.L.M.B., 2012, p. 200. 595 Cass., 7 décembre 1981, R.W., 1982-1983, Col. 1009.

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• Article 2248 du Code civil Cette disposition vise « la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel la prescription court » 596. Un nouveau délai de prescription de même nature et de même durée prend cours le lendemain de la susdite reconnaissance 597.

Section 2. Effets L’interruption de la prescription emporte deux conséquences : - Le temps écoulé avant l’interruption est perdu ; - Rien n’empêche une nouvelle prescription de prendre cours. En d’autres termes, tout est à recommencer, l’interruption de la prescription ne modifiant toutefois pas la nature du droit qui en fait l’objet 598. L’effet interruptif se prolonge durant toute la procédure, c.à.d. jusqu’au prononcé du jugement ou de l’arrêt qui met fin au procès. Il s’étend par ailleurs à toutes les demandes fondées sur la même cause, c’est-à-dire à l’ensemble des faits et des actes sur lesquels la partie poursuivante base son action 599. Sous réserve de ce qui a été exposé à propos de l’indivisibilité et de la solidarité, l’interruption n’a cependant d’effet qu’à l’égard des personnes visées ou concernées par l’acte interruptif 600.

596 Pour un cas d’application : Trib. Trav. Tournai, 27 mai 2010, J.L.M.B., 2011, p. 2032. 597 Liège, 22 novembre 2007, J.L.M.B., 2008, p. 1755. 598 Cass., 25 janvier 1962, Pas., 1962, I, p. 610 ; Cass., 9 mars 1972, Pas., 1972, I, p. 642. 599 Cass., 12 janvier 2010, R.G.D.C., 2010, p. 401. 600 Cass., 9 juin 2006, J.L.M.B., 2006, p. 1619.

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Chapitre 5. La suspension de la prescription

Section 1. Causes Le principe énoncé à l’article 2251 du Code civil est que la prescription court « contre toutes personnes ». Cette disposition annonce toutefois des exceptions énumérées aux articles 2252 à 2259 du Code civil. On peut retenir que le législateur suspend ainsi la prescription entre époux pendant le mariage (article 2253 du Code Civil) 601 ou à l’égard des mineurs et des interdits (article 2252 du Code civil). La jurisprudence a par ailleurs admis que l’engagement de pourparlers avait pour conséquence de suspendre la prescription. Tel n’est cependant pas le cas de la seule mise en demeure à laquelle le débiteur ne réserve aucune suite602.

Section 2. Effets La suspension de la prescription soumet celle-ci à un temps d’arrêt. L’idée sous-jacente sur laquelle repose la suspension de la prescription est qu’il serait injuste que celle-ci court contre les personnes qui se trouvent dans l’impossibilité d’agir. La partie déjà acquise de la prescription au moment de la survenance d’une cause de suspension n’est cependant pas anéantie, mais demeure acquise.

601 Liège, 11 juillet 1911, Pas., 1911, II, p. 342 ; Gand, 24 décembre 1980, R.W., 1980-1981, Col. 2261. Dans un arrêt du 14 septembre 2006, la Cour d’arbitrage a refusé de considérer que la discrimination entre gens mariés et non mariés violait les articles 10 et 11 de la Constitution (J.T., 2007, p. 52). 602 J.P. Tournai (2d canton), 9 février 2016, J.T., 2016, p. 195.

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TITRE 8. LA « RECHTSVERWERKING »

Pour en savoir plus : - J. HEENEN, « À propos de l’extinction d’un droit subjectif par suite du comportement de son titulaire (Note sous cass., 17 mai 1990) », R.C.J.B., 1990, pp. 599-609). - P. HENRY et J.-Fr. JEUNEHOMME, « Rechtsverwerking : révolution ou restauration », in Livre du centenaire de la J.L. – J.L.M.B., Liège, 1988, pp. 203-222. - I. MOREAU-MARGRÈVE, « À propos de la rechtsverwerking : une procession d’Echternach ? », Act. dr., 1991, pp. 205-209. - S. STIJNS, « La rechtsverwerking : fin d’une attente (dé)raisonnable », J.T., 1990, pp. 685-690. - P. BAZIER, « Abus de droit, rechtsverwerking et sanctions de l’abus de droit », R.G.D.C., 2013, pp. 393-403.

Au début des années 1980, la doctrine a été amenée à considérer la « Rechtsverwerking » comme un mode d’extinction supplémentaire des obligations. Il s’agissait de considérer que le titulaire d’un droit subjectif pouvait perdre celui-ci en raison d’un comportement qu’il aurait adopté qui était objectivement inconciliable avec l’exercice futur de ce droit. La « Rechtsverwerking » n’a cependant jamais fait l’unanimité ni au niveau de son fondement, ni au niveau de ses conditions d’application. La Cour de cassation a néanmoins condamné cette théorie dans un arrêt du 17 mai 1990 603. Cet arrêt énonce clairement :

« Il n’existe pas de principe général du droit selon lequel un droit subjectif se trouve éteint ou, en tout cas, ne peut plus être invoqué lorsque son titulaire a adopté un comportement objectivement inconciliable avec ce droit, trompant ainsi la confiance légitime du débiteur et des tiers ».

La Cour de cassation a été depuis lors amenée à confirmer sa jurisprudence dans des arrêts postérieurs 604. Cette jurisprudence n’exclut toutefois pas que l’inaction du titulaire d’un droit subjectif puisse être considérée, en fonction des circonstances

603 Pas., 1990, I, p. 1061. 604 Cass., 16 novembre 1990, Pas., 1991, I, p. 292 ; Cass., 20 février 1992, Pas., 1992, I, p. 549 ; Cass., 1er octobre 1993, Pas., 1993, I, p. 777.

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d’espèce, comme constitutive d’un abus de droit aboutissant à priver le titulaire de la possibilité de se prévaloir du droit en question. La Cour de cassation a été amenée à le confirmer dans un arrêt du 1er octobre 2010605, tout en précisant, dans un arrêt du 30 septembre 2013606, que le seul fait de ne pas exercer un droit n’était pas en soi constitutif d’un abus de droit.

605 Cass., 1er octobre 2010, R.G.D.C., 2012, p. 387 et note P. BAZIER. 606 Cass., 30 septembre 2013, R.G. C.12.0303.F

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PARTIE 5.

LA PREUVE DES OBLIGATIONS

INTRODUCTION

Pour en savoir plus : - D. MOUGENOT, « La preuve », Rép. Not., t. IV, L. 2, 2ème éd., Bruxelles, Larcier, 2002. -L. GUINOTTE, « La signature électronique après les lois du 20 octobre 2000 et du 9 juillet 2001 », J.T., 2002, pp. 553-561. - E. MONTERO, « Définition et effets juridiques de la signature électronique en droit belge : appréciation critique », D.A.O.R., 2002, pp. 13-27. - D. MOUGENOT, « La preuve : évolution et révolution », in P. WERY (Ed.), Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, La Charte, 2004, pp. 121-187. - G. VAN ELDER, « De l’importance de la preuve écrite du don manuel en droit civil et en droit fiscal », Rec. gén. enr. not., 2001, pp. 3-22. - L. SIMONT, « La charge de la preuve. Jurisprudence récente de la Cour de cassation », in UB3, Actualité du droit des obligations, Bruylant, Bruxelles, 2005, pp. 23-37. - G. CLOSSET-MARCHAL, « Examen de jurisprudence : Droit judiciaire (2000-2010), R.C.J.B., 2011, pp. 89-182. - D. MOUGENOT, « La preuve en matière civile – Chronique de jurisprudence 2002-2010 », J.T., 2011, pp 593-606. - B. ALLEMEERSCH et S. RYELANDT, « Licéité de la preuve en matière civile : un clone pour “Antigoon” », J.T., 2012, pp. 165-174. - A. HOC, « Les attestations écrites dans le Code judiciaire », J.T., 2013, pp. 277 – 281. - Y. KEVERS, « L’acte d’avocat », J.T., 2014, pp. 357-361. - R. JAFFERALI, « La liberté de la preuve en matière commerciale, spécialement de la transaction », R.C.J.B., 2014, pp. 662-724. - C. DELFORGE (Dir.), La preuve en droit privé : quelques questions spéciales », Coll. UB3, Laricer, 2017.

• Les développements qui vont suivre n’ont pour objectif que de dresser un tableau des règles générales qui régissent la preuve des droits patrimoniaux. De nombreuses règles spécifiques organisent en effet un régime particulier de la preuve, spécialement en droit des personnes et de la famille (état civil, domicile, mariage, filiation, adoption, …). En outre, certaines matières relevant du droit patrimonial sont expressément soumises à des dispositions spéciales, à savoir notamment les servitudes, les régimes matrimoniaux, les libéralités, … Nous ne pourrons traiter de ces deux derniers domaines dans le cadre du cours.

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• Il n’est pas inutile de souligner toute l’importance que revêt la matière de la preuve. Sans doute, convient-il de distinguer sur un plan théorique l’absence de droit et l’absence de preuve. Dans la pratique, il faut toutefois constater qu’elles se rejoignent irrémédiablement. Il ne suffit en effet pas d’être convaincu de son « bon droit ». Encore faut-il que celui-ci puisse s’imposer et bénéficier dès lors d’une reconnaissance extérieure qui sera, le cas échéant, judiciaire. L’adage « idem est non esse aut non probari » ne signifie-t-il d’ailleurs pas qu’avoir un droit sans être en mesure d’en prouver l’existence revient en pratique au même que de ne pas avoir de droit du tout ? • Il n’y a pas pour autant lieu d’admettre le caractère absolu de la preuve — et donc de la vérité — judiciaire. À la différence de la preuve scientifique, la preuve judiciaire se fondera généralement sur une vraisemblance suffisante pour emporter la conviction du juge. Le rôle de celui-ci consistera donc généralement à départager les parties en litige sur base d’une vraisemblance plus ou moins forte des allégations et/ou de la thèse d’une partie, à l’encontre de laquelle l’autre demeure en défaut de fournir des éléments susceptibles de l’ébranler. • La matière de la preuve se situe évidemment aux confins du droit matériel et de l’organisation judiciaire. Ceci explique que l’organisation du régime général de la preuve ait fait l’objet de dispositions insérées dans le Code civil (articles 1315 à 1369) ou le Code de commerce (articles 20 à 25) et dans le Code judiciaire (articles 870 à 1016). Le Code civil traite de la charge de la preuve et décrit les modes de preuve admissibles. Le Code de commerce traite des modes de preuve propres aux commerçants ou aux matières commerciales. Le Code judiciaire comprend également certaines dispositions relatives à la charge de la preuve et traite par ailleurs des règles à suivre dans l’administration de celle-ci.

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TITRE 1. PRINCIPES GENERAUX Chapitre 1. Le caractère supplétif des dispositions relatives à la preuve Il est admis depuis assez longtemps que les dispositions légales relatives à la preuve n’intéressent pas l’ordre public 607. Il ne s’agit en outre pas de dispositions impératives 608. Il s’agit dès lors de dispositions supplétives, ce qui entraîne pour conséquence que : - Les conventions dérogatoires aux dispositions légales sont parfaitement

licites ; - Au cours d’un procès, une partie peut renoncer à se prévaloir des

dispositions du Code civil qui régissent la matière ; - Le juge ne peut les invoquer d’office ; - Un moyen pris de la violation des dispositions légales relatives à la

preuve ne peut être soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation.

Ce caractère supplétif des dispositions relatives à la preuve fait toutefois l’objet d’exceptions, dont l’objet est généralement d’imposer le recours à un mode déterminé de preuve.

607 Cass., 30 janvier 1947, Pas., 1947, I, p. 29 ; Cass., 27 juin 1963, Pas., 1963, I, p. 1131 ; Cass., 11 mars 2002, Pas., 2002, I, p. 697 ; Cass., 12 octobre 2007, Pas., 2007, I, p. 1785. 608 Cass., 19 octobre 1962, Pas., 1963, I, p. 229.

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Chapitre 2. Le rôle du juge

Section 1. Procédure accusatoire et procédure inquisitoire

A. Distinction L’examen du rôle respectif du juge et des parties dans le déroulement d’un procès aboutit généralement à opposer : • La procédure accusatoire : l’initiative de l’intentement d’une procédure et la manière dont celle-ci est diligentée et dirigée relèvent des parties. Dans ce cadre, le rôle du juge est passif, en ce que son intervention a pour objet de départager les parties. • La procédure inquisitoire : au sein de celle-ci, le juge joue le rôle de véritable moteur, en ce qu’il dirige le procès en vue d’aboutir à son issue.

B. La procédure civile en Belgique La procédure civile belge est essentiellement accusatoire. Il est toutefois admis que le juge belge n’est pas confiné dans un rôle totalement passif. Le Code judiciaire lui laisse en effet la possibilité d’ordonner d’office diverses mesures d’instruction, pour autant que celles-ci lui paraissent indispensables. Au rang de ces « initiatives », on peut ranger : - Le fait d’exiger la production de documents (article 871 du Code

judiciaire), même détenus par un tiers (article 877 du Code judiciaire). - La possibilité d’ordonner la tenue d’enquêtes (article 916 du Code

judiciaire). - La désignation d’un expert judiciaire (article 962 du Code judiciaire). - La possibilité d’ordonner la comparution personnelle des parties (article

992 du Code judiciaire). - La production d’attestations (article 961/1 du Code judiciaire). - La descente sur les lieux (article 1007 du Code judiciaire).

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Section 2. Le principe dispositif [beschikkingsbeginsel] Dans la recherche de la vérité, le juge est tenu de respecter le principe dispositif, selon lequel le procès civil est « la chose des parties » 609. Celles-ci sont dès lors seules à pouvoir en disposer. Ce principe signifie que les parties conservent le pouvoir d’introduire le litige en saisissant le juge, de déterminer l’objet ou la cause de la demande 610, mais également de se désister de la procédure introduite. En d’autres termes, le juge ne peut soulever une contestation étrangère à l’ordre public dont les conclusions des parties excluent l’existence. Il ne peut de même statuer ultra petita, c’est-à-dire au-delà des limites du litige tel qu’il lui a été soumis par les parties.

Section 3. Le principe du contradictoire [beginsel van tegenspraak]

Un deuxième principe s’impose tant aux parties qu’au juge depuis l’introduction d’une procédure judiciaire jusqu’à la mise en délibéré : il s’agit du principe du contradictoire qui doit évidemment être rapproché du respect des droits de la défense [rechten van verdediging]. La Cour européenne des droits de l’homme rappelle régulièrement que ce principe « impose que chaque partie ait la possibilité de prendre connaissance, aux fins de les discuter, de toutes les pièces ou observations soumises au juge en vue d’influencer sa décision »611. Aucune pièce du dossier ou de procédure ne peut dès lors être soumise au juge, sans avoir été communiquée préalablement à toutes les parties en litige. De même, toute mesure d’instruction doit toujours être mise en œuvre moyennant le respect du principe du contradictoire, ce qui signifie que les

609 Cass., 5 octobre 1984, Pas., 1985, I, p. 181. 610 La Cour de cassation s’est toutefois ralliée à la conception factuelle de la cause (Cass., 14 avril 2005, J.L.M.B., 2005, p. 856) et de l’objet (Cass., 23 octobre 2006, R.R.D., 2006, p. 229) de la demande en justice permettant au juge de ne pas être lié par l’habillage juridique dont les plaideurs ont revêtu leurs prétentions. 611 C.E.D.H., Fortum Corporation c. Finlande, 15 juillet 2003, § 39; C.E.D.H., D.H., H.A.L. c. Finlande, 25 janvier 2004, § 44.

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parties doivent pouvoir formuler en temps utile leurs critiques à l’égard des constatations opérées au cours des mesures d’instruction mises en œuvre. Chapitre 3. L’objet de la preuve

Section 1. La preuve des faits L’article 870 du Code judiciaire dispose :

« Chacune des parties a la charge de prouver les faits qu’elle allègue ». Il est admis que le terme « faits » visé par cette disposition englobe tant les faits matériels et juridiques que les actes juridiques. Il relève évidemment du bon sens de considérer que seuls les faits contestés doivent faire l’objet d’une preuve 612, toute dénégation d’un fait devant toutefois être assimilée à une contestation.

Section 2. La preuve du droit Il ne peut par contre évidemment pas être imposé aux parties de prouver la norme juridique dont le juge doit faire application 613. Selon l’adage iura novit curia, le juge est censé connaître le droit. Son rôle est de l’appliquer aux faits qui lui sont soumis. Il n’y a pour autant pas lieu d’en déduire que les parties n’ont pas à argumenter en droit, lorsqu’elles soumettent leur litige au juge. Ce « droit (objectif) » constitue en effet un objet de plaidoirie, plutôt qu’un objet de preuve. Il faut préciser que la connaissance du droit par le juge s’étend évidemment à toutes les normes du droit en vigueur en Belgique, parmi lesquelles on range non seulement les textes nationaux, communautaires, régionaux, provinciaux et communaux, mais également le droit supranational applicable en vertu de traités. 612 Cass., 18 avril 2008, Pas., 2008, I, p. 936. 613 Cass., 14 avril 2005, J.L.M.B., 2005, p. 856.

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En outre, il est actuellement admis que le juge doit non seulement connaître la loi nationale, mais également la loi étrangère, lorsque celle-ci régit la contestation dont il a à connaître en vertu de la règle de conflit de lois applicable 614. Chapitre 4. Le système de la preuve réglementée On oppose généralement deux grands systèmes probatoires, à savoir : • Le système de la preuve morale (ou libre) : le juge dispose de la liberté de déterminer tant les modes de preuve admissibles que la valeur probante qu’il attachera à ceux-ci. Dans notre système judiciaire, il s’agit du régime applicable en droit pénal. Le juge statue davantage en fonction de son intime conviction au regard des éléments qui lui sont soumis. Bien entendu, certaines limites restreignent la liberté du juge, parmi lesquelles l’interdiction d’avoir égard à des preuves obtenues par des procédés illégaux ou déloyaux, à des preuves n’ayant pas égard au respect de la personne ou des droits de la défense, … Cette exigence de licéité de la preuve a été confortée par un arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2008 615 qui reconnaît au juge le pouvoir d’apprécier la sanction de l’irrégularité de l’obtention d’une preuve à la lumière du droit de toute partie au procès de se défendre de manière satisfaisante. • Le système de la preuve légale (ou réglementée) : il s’agit du système adopté par notre droit civil qui réglemente l’administration de la preuve, indique les modes de preuve admissibles, en détermine la valeur et établit entre eux une hiérarchie. Ce système est évidemment de nature à assurer une plus grande sécurité juridique, parfois au prix d’un écart entre la réalité et la vérité judiciaire.

614 Cass., 9 octobre 1980, Pas., 1981, I, p. 159. 615 J.L.M.B., 2009, p. 580.

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TITRE 2. LA CHARGE DE LA PREUVE [BEWIJSLAST] Chapitre 1. Principes généraux Au-delà de l’importance capitale que revêt la question de la preuve, il faut évidemment déterminer sur qui pèse la charge de celle-ci 616. L’article 1315 du Code civil fournit la réponse à cette question, en disposant :

« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».

En d’autres termes, il incombe au demandeur de démontrer l’existence du fait ou de l’acte juridique sur lequel est basée sa prétention (actori incumbit probatio) 617. Une fois le droit du demandeur établi, il appartient à la partie défenderesse d’établir l’élément nouveau qui aurait entraîné l’extinction ou la modification de ce droit (reus in excipiendo fit actor) 618. Ces principes reposent sur l’idée que, dans l’ordre normal des choses, les hommes sont libres d’obligations les uns à l’égard des autres. Il appartient dès lors à celui qui invoque un fait contraire à cette normalité d’établir le bien-fondé de ses allégations619. Signalons que de nombreux auteurs préfèrent parler de risque de la preuve, plutôt que de charge de celle-ci, sur base de l’idée que l’incertitude ou le doute subsistant à la suite de la production d’une preuve doivent nécessairement être retenus au détriment de celui qui avait la charge de la preuve 620. Dans la pratique judiciaire, les parties en litige font en effet généralement état des éléments de preuve dont elles disposent. Le rôle du juge est dès lors de statuer sur base des éléments qui lui paraissent probants, sans

616 Voir à ce sujet : J. KIRKPATRICK, « Essai sur les règles régissant la charge de la preuve en droit belge », in Liber amicorum Lucien Simont, Bruylant, Bruxelles, 2002, pp. 105-124. 617 Cass., 18 novembre 2011, J.L.M.B., 2012, p. 186. 618 Comm. Namur, 20 janvier 1977, Rev. Rég. Dr., 1977, p. 314 ; Liège, 22 avril 2013, R.G.D.C., 2014, p. 344. 619 Pour un cas d’application : Cass., 25 juin 2015, J.T., 2016, p. 609. 620 Cass., 17 septembre 1999, Pas., 1999, I, p. 1164 ; Cass., 20 mars 2006, Pas., 2006, I, p. 629.

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avoir égard de manière rigoureuse aux principes relatifs à la charge de la preuve. Chapitre 2. La collaboration des parties dans l’administration de la preuve L’article 871 du Code judiciaire tempère quelque peu les principes exposés ci-dessus, en exigeant la collaboration de toutes les parties à l’administration de la preuve 621. Le juge peut ainsi ordonner à toute partie de produire les éléments de preuve dont elle dispose. Encore faudra-t-il convaincre préalablement le juge que l’autre partie détient tel ou tel élément de preuve qu’on veut l’obliger à produire. Le mensonge ou la fraude ne sont en effet guère aisés à démontrer. Notons encore que l’article 877 du Code judiciaire permet également au juge d’ordonner aux tiers la production d’un document contenant la preuve d’un fait pertinent pour trancher le litige qui lui est soumis. Chapitre 3. Les présomptions légales Une partie en litige peut se voir déchargée du fardeau de la preuve par le législateur. L’article 1352 du Code civil prévoit en effet que la présomption légale dispense de toute preuve celui au profit duquel elle existe. La présomption est une conséquence que la loi tire d’un fait connu à un fait inconnu (art. 1349, al. 1er C. civ.). Le législateur dispense ainsi une partie de faire la preuve d’un fait difficile à établir, en lui imposant seulement d’apporter la preuve d’un fait facile à démontrer duquel il sera permis d’induire l’existence d’un autre fait.

621 Cass., 10 décembre 2004, Pas., 2004, I, p. 1962 ; Cass., 18 janvier 2007, Res jur. Imm., 2007, p. 27.

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On peut citer, à titre d’exemples, les articles 315, 326 et 1384 du Code civil. S’il est admis que la victime d’un dommage dû à l’acte illicite d’un enfant est dispensé de prouver la faute des parents, artisans ou instituteurs pour mettre la responsabilité de ceux-ci en cause, elle n’est cependant nullement dispensée de prouver l’acte illicite de l’enfant. Parmi les présomptions légales, il convient de distinguer : • Les présomptions simples ou réfragables (juris tantum) : elles ne valent que jusqu’à preuve du contraire. • Les présomptions absolues ou irréfragables (juris et de jure) : elles ne sont susceptibles d’aucune preuve contraire.

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TITRE 3. L’ADMISSIBILITE DES MODES DE PREUVE [BEWIJSMIDDELEN] Chapitre 1. La prééminence de l’écrit Les règles de l'article 1341 du Code civil traduisent la primauté de la preuve écrite [il s'agit ici de l'écrit en tant que formalité probatoire (ad probationem) mais non solennelle (ad solemnitatem)]. Cet acte écrit (qu'il s'agisse d'un acte authentique ou d'un acte sous seing privé) 622 revêt une valeur particulière en tant qu'il est préconstitué et donc établi in tempore non suspecto. L'exigence de la preuve préconstituée ne peut être contournée par des modes de preuve imparfaits tels que les témoignages ou les présomptions humaines (à distinguer des présomptions légales). En revanche, la preuve à l'aide d'un mode de preuve parfait, comme l'aveu [bekentenis] ou le serment [eed], reste admissible. L'article 1341 du Code civil n'exclut donc pas que l'on puisse déduire du comportement des parties, une modification ou une résiliation d'un acte juridique, à condition que ce comportement constitue un aveu extrajudiciaire, éventuellement tacite (idée d'aveu en action). Si, en revanche, ce comportement ne peut s'analyser en un aveu, le juge ne pourra opposer ce comportement à un écrit, car il oppose dans ce cas une présomption à l'écrit et viole l'article 1341 du Code civil 623.

622 Voir infra, Titre 4, Chapitres 1 et 2. 623 C'est ce qu'a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 28 février 1980, Pas., 1980, I, p. 792.

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Chapitre 2. Les deux règles de l’article 1341 du Code civil L'article 1341 du Code civil contient deux règles essentielles : 1°) Une obligation doit être prouvée par écrit dès lors que son objet est supérieur à 375 euros — montant fixé par la loi du 10 décembre 1990 (avant, le montant était fixé à 3.000 FB) ; 2°) On ne peut prouver que par écrit "outre et contre" un écrit relatant une obligation d'une somme ou d'une valeur même inférieure à 375 euros.

Section 1. Première règle de l'article 1341 du Code civil

A. Champ d'application L'article 1341 parle de "choses". Que faut-il entendre par là ? Cette disposition s'applique en fait aux actes juridiques (unilatéraux ou bilatéraux) de nature patrimoniale624.

B. Exclusions L'article 1341 ne vaut pas pour les faits (juridiques ou matériels). Ces faits peuvent être établis par toutes voies de droit, sauf certains faits, tels que la naissance ou le décès qui doivent être établis par les actes (authentiques) de l'état civil (articles 55 et s. du Code civil). L'article 1341 ne vaut pas davantage pour les actes juridiques relatifs à l'état des personnes. Leur preuve ne peut être rapportée que par acte authentique. De même, l'article 1341 ne s'applique pas à la preuve : • de la fraude

624 Tel est, par exemple, le cas de la preuve de la décharge dont le mandataire se prévaut pour justifier l’exécution de ses obligations (Cass., 16 juin 2014, R.G. C.13.0527.F).

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- c'est d'ailleurs ce que prévoit expressément l'article 1353 in fine du Code civil ;

- celle-ci peut être établie par toutes voies de droit (donc en cas de simulation frauduleuse, les parties peuvent établir la fraude par toutes voies de droit, alors qu'elles sont tenues de prouver la simulation par un écrit) ;

• des délits et quasi-délits : cela résulte de l'article 1348, 1° du Code civil ; • des vices de consentement 625 ; • de la force majeure.

Section 2. Deuxième règle de l'article 1341 du Code civil

A. Principe Lorsqu'un écrit instrumentaire a été dressé, il est interdit, même si la valeur en jeu est inférieure à 375 euros, de prouver par témoins ou par présomptions contre ou outre le contenu de cet écrit. On ne peut donc prouver par ces modes de preuve imparfaits, ni d'éventuelles inexactitudes, ni des omissions de l'acte.

B. Limites

1. Erreurs matériel les Les erreurs matérielles ou de plume peuvent être prouvées par témoignages ou présomptions. Mais on interprète de manière stricte cette notion d'erreur matérielle.

2. Date Qu'en est-il de la date d'un écrit, soit que celle-ci fasse défaut, soit qu'elle soit erronée ?

625 Cass., 28 mars 1974, Pas., 1974, I, p. 779.

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• En ce qui concerne les actes authentiques tout d'abord. Deux hypothèses : - Défaut de date : les actes notariés doivent énoncer la date à peine de nullité comme acte authentique. De tels actes notariés, à condition qu'ils aient été signés par les parties, valent toutefois comme écriture privée (conformément à l'article 1318 du Code civil). - Erreur de date : si l'on prétend que la date (d'un acte notarié) est inexacte, la seule procédure admissible constitue l'inscription de faux (voir infra). • En ce qui concerne les actes sous seing privé Deux hypothèses : - Omission de la date : s'agissant des actes sous seing privé, la date n'est pas une condition de validité de ces actes (voir infra). Comment prouver la date qui aurait été omise ? Selon certains, la date d'un acte sous seing privé peut être prouvée par témoignages et présomptions (controverse). - Inexactitude de la date : s'il s'agit de démontrer l'inexactitude de la date mentionnée, la preuve ne peut, par application de la deuxième règle de l'article 1341, se faire que par écrit (ou par aveu et serment). Mais ce n'est pas le cas si la date erronée résulte :

- soit d'une erreur matérielle ; - soit d'une fraude.

Dans ces cas, la preuve peut se faire par toutes voies de droit.

3. Faits postérieurs et indépendants Les faits - postérieurs et indépendants du negotium (antérieurement formé) et - qui viennent affecter ce negotium peuvent être établis par témoignages et présomptions. Il ne s'agit pas, en principe, de prouver contre ou outre l'acte.

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Section 3. Limitations à l'article 1341 du Code civil

A. Caractère supplétif des règles du Code civil L'article 1341 du Code civil, ainsi que les autres dispositions sur la preuve ont un caractère supplétif 626 : on peut donc y déroger par convention.

B. Situation des tiers L'article 1341 ne concerne pas les tiers 627. Il est logique de ne pas leur imposer de prouver par écrit, car il ne leur appartient pas de veiller à la rédaction d'un acte. Ils sont presque nécessairement dans l'impossibilité de se procurer un écrit relatif à un negotium à la formation duquel ils n'ont pas participé.

Section 4. Exceptions générales de l’article 1341 du Code civil

A. L’existence d’un commencement de preuve par écrit (article 1347 du Code civil)

1. Conditions

• un écrit Il faut critiquer la formulation de l'article 1347 qui donne à penser qu'il faut un écrit instrumentaire — préconstitué628. Tout écrit quelconque suffit (donc sont visés les "autres écrits" des articles 1329 et s., p. ex. mentions sur un carnet). 626 Cass., 22 février 2010 (RG S.08.0153.F). 627 Cass., 25 mai 1992, Pas., 1992, I, p. 845 ; Cass., 17 novembre 2010, R.G.D.C., 2012, p. 354. 628 Dans un arrêt du 21 mai 2015, la Cour d’appel de Liège a considéré qu’un sms envoyé par un maître d’ouvrage contre lequel une demande est introduite constitue un commencement de preuve par écrit dans la mesure où, en l’espèce, il rend vraisemblable le fait allégué, à savoir l’existence du contrat d’entreprise (J.T., 2016, p. 128); En ce sens : Liège, 5 juin 2015, J.T., 2016, p. 52.

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• émanant du débiteur L'écrit doit émaner de la personne du débiteur contre laquelle la demande est faite629. Les écrits de tiers n'ont aucune valeur. Mais l'écrit peut émaner d'un mandataire (agissant dans les limites de son contrat). • rendant vraisemblable l'élément à établir Il faut que cet écrit ait une certaine valeur probante : il doit être de nature à rendre vraisemblable le fait allégué, le juge du fond appréciant souverainement si tel est le cas 630. Ont été considérés comme un commencement de preuve par écrit : - un virement bancaire 631 ; - un acte sous seing privé nul pour contrariété à l’article 1325 du Code civil (formalité du double) 632 ou à l’article 1326 du Code civil (formalité du bon pour) 633 ; - une photocopie, pour autant que tout risque de falsification soit écarté et qu’il soit certain qu’elle émane de la partie contre laquelle on s’oppose 634.

2. Effets La présence d'un commencement de preuve par écrit autorise la preuve par témoins ou par présomptions 635.

B. L’impossibilité de se procurer un écrit (article 1348 du Code civil) Deux sens :

629 Cela exclut, par hypothèse, les documents émanant de la personne qui entend établir la preuve d’une créance (Liège, 23 mars 2015, J.L.M.B., 2016, p. 844). 630 Cass., 2 novembre 2007, J.L.M.B., 2008, p. 1763. 631 J.P. Charleroi, 26 octobre 2001, J.L.M.B., 2002, p. 655 ; Liège, 14 mai 2013, J.L.M.B., 2013, p. 1550 ; Contra : Cass., 5 mai 2011, R.G.D.C., 2015, p. 271 ; Liège, 2 décembre 2013, J.L.M.B., 2014, p. 1109. 632 Anvers, 3 mars 2003, R.G.D.C., 2005, p. 423. 633 Civ. Hasselt, 18 avril 2002, R.W., 2004-2005, p. 432 ; Civ. Louvain, 22 octobre 2003, R.A.B.G., 2004, p. 742 ; Bruxelles, 23 février 2005, J.T., 2005, p. 364 ; Gand, 23 avril 2009, R.D.J.P., 2010, p. 42. 634 Mons, 27 février 2007, R.G.D.C., 2007, p. 468 ; Cass., 27 septembre 2012, J.L.M.B., 2013, p. 377. 635 Cass., 4 mai 1995, R.W., 1995-1996, p. 581.

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- soit, dès l'origine, il n'a pas été possible de rédiger un écrit, - soit un tel écrit a été rédigé, mais il a été perdu.

1. Art. 1348, 2° et 3° du Code civi l Ces deux alinéas visent, de manière explicite, les cas d'impossibilité matérielle de se procurer un écrit. Il y a impossibilité matérielle chaque fois que, eu égard aux circonstances, le créancier n'a eu ni le temps ni les moyens d'imposer la rédaction d'un écrit. La jurisprudence admet assez largement l'impossibilité morale de se procurer un écrit, lorsqu'il existe un obstacle psychologique à la rédaction d'un écrit, par ex. en cas de liens familiaux étroits entre les parties au lien obligatoire 636. Peut-on invoquer les usages comme dérogation à l'application de l'article 1341 ? Autrement dit, existe-t-il une impossibilité résultant des usages ? On l'admet. À condition que l'usage soit constant, certain et unanimement suivi637. C'est le cas, par exemple, des relations entre des avocats638 ou médecins et leurs clients/patients, des relations entre des architectes et leurs clients, des voyages (on se contente d'un billet ou d'un ticket), des conventions avec les garagistes pour l'entretien et la réparation des véhicules, pour les ventes au comptant en magasin et sur les foires et marchés639 ou dans le domaine de l'hôtellerie 640.

2. Article 1348, 4° du Code civi l En cas de perte de l'écrit par force majeure, ce qui veut dire que la perte ne peut être imputable au créancier (par ex. s'il a été négligent), on peut faire exception à la règle de l'article 1341 du Code civil.

636 Quelques cas de refus de l’impossibilité morale : Mons, 22 février 2005, J.L.M.B., 2006, p. 1626 ; Liège, 6 décembre 2005, J.L.M.B., 2006, p. 874 ; Liège, 26 mai 2009, R.R.D., 2009, p. 41 ; Bruxelles, 24 août 2010, R.G.D.C., 2014, p. 235. Quelques cas d’acceptation de l’impossibilité morale : Bruxelles, 4 octobre 2005, J.L.M.B., 2006, p. 865 ; Liège, 28 mai 2009, Rev. rég. dr., 2009, p. 183 ; Liège, 25 mars 2013, J.L.M.B., 2013, p. 1545. 637 Liège, 14 mai 2013, J.L.M.B., 2013, p. 1550 ; Liège, 23 mars 2015, J.T., 2016, p. 67. 638 Civ. fr. Bruxelles, 30 septembre 2014, J.L.M.B., 2015, p. 1469. 639 Liège, 28 novembre 2011, J.L.M.B., 2013, p. 41. 640 Pour un cas d’application, voir Cass., 6 décembre 1988, Pas., 1989, I, p. 373.

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Pour se prévaloir de l'art. 1348, 4°, il faut démontrer deux choses : • que le titre a été égaré ou perdu suite à une cause étrangère • qu'il existe une obligation dont le créancier prétend se prévaloir : cette preuve peut être faite par toutes voies de droit.

C. La preuve en matière commerciale (article 25 du Code de commerce)

1. Principe de la preuve l ibre

L'article 25 du Code de commerce dispose en effet :

"Indépendamment des moyens de preuve admis par le droit civil, les engagements commerciaux peuvent être constatés par la preuve testimoniale, dans tous les cas où le tribunal croira devoir l'admettre, sauf les exceptions établies pour des cas particuliers. Les achats et les ventes pourront se prouver au moyen d'une facture acceptée, sans préjudice des autres modes de preuve admis par la loi commerciale".

Il n'y a pas pour autant lieu de déduire de cette disposition légale que la preuve est totalement libre en matière commerciale. Sans doute fait-elle l'objet d'un régime plus souple qu'en matière civile. Il n'en demeure pas moins que le principe de la preuve libre en droit commercial n'est pas applicable inconditionnellement. Le texte de l'article 25 du Code de commerce précise en effet expressément qu'il appartient au juge du fond d'apprécier si la preuve par témoins ou par présomptions est admissible641, en fonction des circonstances de la cause 642. La jurisprudence a d’ailleurs dégagé certaines règles qui tempèrent ou restreignent l'admissibilité de la preuve testimoniale et des présomptions, à savoir : 641 Entre commerçants, la facture acceptée, même tacitement, par son destinataire est considérée comme un mode de preuve admissible (Bruxelles, 17 février 2005, J.T., 2006, p. 30 ; Liège, 30 janvier 2006, J.L.M.B., 2006, p. 1631 ; Bruxelles, 8 décembre 2008, D.C.C.R., 2009, p. 83 ; Mons, 15 janvier 2009, J.L.M.B., 2010, p. 1311 ; Mons, 12 mars 2012, J.L.M.B., 2013, p. 394). Cass., 19 mars 2012, R.C.J.B., 2014, p. 651. À ce propos : Y. NINANE, « Une facture acceptée fait-elle preuve de la modification d’un contrat commercial », D.C.C.R., 2009, pp. 104-120 ; D. MOUGENOT, « L’acceptation de la facture en matière commerciale, J.T., 2010, pp. 2-4.). 642 Liège, 19 octobre 2007, J.L.M.B., 2008, p. 1769.

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- la preuve par témoins et par présomptions doit être écartée lorsqu'il est

d'usage de se procurer une preuve par écrit. - il en va de même lorsqu'il s'agit de marchés importants, dont le

commerçant normalement avisé prendrait la précaution de s'assurer la preuve par écrit.

- la preuve par témoins et par présomptions ne sera admise que si les

faits invoqués offrent un minimum de vraisemblance.

2. Notion d'acte mixte L'appellation d'« acte mixte » n'est pas dépourvue d'ambiguïté. Par définition, l'acte juridique posé est en effet unique. Il s'agira tantôt d'un contrat de vente, tantôt d'un contrat de bail, … Le même acte juridique peut toutefois présenter un caractère commercial dans le chef d'une des parties contractantes et civil dans le chef de l'autre. On parlera alors d'acte mixte. Les exemples foisonnent: - un bail commercial est généralement commercial dans le chef du

locataire commerçant et civil dans le chef du bailleur. - une vente de denrées à un consommateur est généralement civile dans

le chef de ce dernier et commerciale dans le chef du vendeur. - la souscription d'une police d'assurance est généralement civile dans le

chef de l'assuré, tandis qu'elle revêt un caractère commercial dans le chef de la compagnie proposant la couverture concernée.

Dans pareilles hypothèses, il y aura lieu d'avoir égard à la nature de l'acte dans le chef de celui à l’égard duquel on entend en faire valoir les effets pour déterminer les règles qui vont le régir 643 : - pour la compétence : le commerçant ne pourra généralement introduire

une procédure judiciaire à charge du consommateur que devant le tribunal de première instance, tandis que le consommateur pourra citer le commerçant devant le tribunal de commerce.

643 Cass., 18 janvier 1990, Pas., 1990, I, p. 592.

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- pour la mise en demeure : le commerçant devra mettre le particulier en

demeure par exploit d'huissier ou par tout autre acte équivalent. Le particulier pourra mettre le commerçant en demeure par tous moyens.

- pour la preuve des engagements souscrits : celui qui aura accompli un

acte de commerce devra se conformer aux règles du droit civil pour établir le bien-fondé de ses prétentions, tandis que son co-contractant pourra invoquer l'assouplissement de ces règles admis par le droit commercial 644.

Section 5. Exceptions particulières En dehors des trois exceptions générales évoquées, il existe des exceptions particulières propres à certains contrats. Elles sont multiples : - Article 2044 du Code civil : la transaction doit être constatée par écrit. - Article 1793 du Code civil : exigence d'un écrit pour la commande de

travaux supplémentaires en matière de contrat d'entreprise. - Article 76 de la loi hypothécaire : un écrit solennel est exigé pour la

constitution d'hypothèque. Cela a pour conséquence que cet écrit est imposé même si l'obligation porte sur un montant inférieur à 375 euros.

- Article 64 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances : il impose

l’exigence d’un écrit, même en dessous de 375 euros, tout en admettant la preuve par témoins ou présomptions lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit.

Ces illustrations constituent des extensions du principe de la primauté de l'écrit. Inversement, il existe des restrictions particulières au principe de l'écrit: ainsi, en est-il du contrat de travail, qui, conformément à l'article 12 de la loi du 3 juillet 1978, peut être prouvé par témoins (mais exception toutefois aux articles 9 et 11).

644 Liège, 2 avril 1999, J.L.M.B., 2002, p. 1048 ; Mons, 19 janvier 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1033 ; Bruxelles, 27 octobre 2010, R.G.D.C., 2011, p. 462.

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TITRE 4. LES PRINCIPAUX MODES DE PREUVE Chapitre 1. L'acte authentique [authentieke akte]

Section 1. Définition

Selon l'article 1317 du Code civil, « l'acte authentique est celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé et avec les solennités requises ».

Section 2. Conditions de validité

A. Intervention d'un officier public

Il existe une grande variété d'officiers publics : les notaires sont les plus connus. Agissent également en qualité d'officiers publics : les huissiers, greffiers, juges, officiers de l'état civil et certains fonctionnaires en matière administrative. Parmi les actes authentiques, on range donc les actes notariés qui sont les plus nombreux. Mais aussi : - les assignations en justice et les significations réalisées par un huissier; - les procès-verbaux d'audience établis par les greffiers ; - les jugements ; - les actes de l'état civil (article 54 du Code civil) ; - les procès-verbaux des officiers de police ayant reçu le pouvoir de

constater les délits jusqu'à inscription de faux. En revanche, les experts (nommés par le juge) ne sont pas des officiers publics. Par conséquent, il n'y a pas lieu d'accorder aux rapports d'expertise la qualité d'acte authentique. Autrement dit, on ne peut accorder la valeur probante renforcée qui s'attache aux actes authentiques ni aux constatations des experts, ni aux appréciations des experts.

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B. Intervention régulière de l'officier public

L'acte dressé par l'officier public n'aura la valeur probante d'un acte authentique que si l'officier public est compétent. • Compétence ratione materiae : seuls les notaires ont une compétence générale pour authentifier tous les actes (article 1er de la loi du 25 ventôse - 5 germinal, an XI (16 mars 1803)). Les autres officiers publics ont une compétence limitée. Ainsi, un officier de l'état civil ne pourra authentifier une vente. La compétence des huissiers de justice est définie aux articles 509 à 555 du Code judiciaire. • Compétence ratione loci : les officiers de l'état civil ne peuvent instrumenter valablement que dans leur commune, les notaires dans l'arrondissement judiciaire de la résidence (article 5 de la loi du 16 mars 1803). L'officier public doit encore avoir la capacité d'instrumenter. Il ne peut avoir été frappé de destitution (ou être suspendu de ses fonctions). De plus, il sera incapable dans le cas où il est lié par des liens de parenté ou d'alliance avec l'une des parties.

C. Respect des formes légales Selon l'article 1317 du Code civil, l'acte doit être rédigé "selon les solennités requises". Ces règles concernent le contenu, la rédaction et la conservation de l'acte. Elles varient selon l'officier public et la nature de l'acte. Parmi les formes habituellement requises, on peut citer : la signature de l'officier public, les mentions relatives à la date de l'acte, au lieu où il est rédigé, à l'identité des parties, des témoins et de l'officier instrumentant. Lorsque l'une de ces conditions n'a pas été respectée, l'acte est nul en tant qu'acte authentique, mais valable comme acte sous seing privé, à condition qu'il porte la signature des parties (article 1318 du Code civil). Mais l'acte juridique (au sens de negotium) n'est pas affecté. De plus, l'article 1318 du Code civil ne s'applique pas si les irrégularités sont mineures (ex. non-respect des règles de conservation des minutes

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(original) par un notaire) : l'acte reste authentique et l'officier public est sanctionné. Si les irrégularités sont essentielles (par ex. incompétence de l'officier public - hypothèse d'un acte de vente immobilière dressé par huissier), l'acte ne vaut pas comme acte sous seing privé; il est un commencement de preuve contre les parties signataires.

Section 3. Force probante On entend par « force probante » la valeur qui s'attache à un acte en tant que mode de preuve. La force probante de l'acte authentique est renforcée mais pas absolue. En effet, malgré l'expression "pleine foi" de l'article 1319, al. 1er, les éléments et mentions protégés par l'authenticité peuvent être attaqués par une procédure spéciale : celle d'inscription de faux (voir article 1319, al. 2 du Code civil). Il convient de distinguer sur le plan de la force probante :

A. L'authenticité de l'instrument On vise par là la réalité de l'instrument, des écritures, c'est-à-dire le fait que l'acte a été effectivement rédigé par l'officier public et signé par les personnes dont la signature figure à l'acte. La force probante qui s'attache à l'authenticité même de l'acte ne peut, selon l'article 1319, al. 2 du Code civil, être combattue que par la procédure d'inscription de faux. Cette procédure est relativement lourde. La preuve contraire n'est donc pas facile à rapporter.

B. Les constatations faites par l'officier public Celles-ci font également foi jusqu'à inscription de faux. Cette force probante renforcée ne s'attache qu'aux mentions que l'officier public avait pour mission de constater et qu’il a pu effectivement constater.

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Ce sont donc les constatations faites par l'officier public dans l'exercice de sa mission, y compris les constatations concernant la réalité des déclarations faites par les parties, qui bénéficient de cette force probante spéciale.

C. Le contenu des déclarations des parties En revanche, le contenu des déclarations des parties ne bénéficie pas de la force probante renforcée attachée à l'acte authentique : la réalité des faits déclarés par les parties peut donc être combattue par la preuve contraire. La preuve contraire est admise. Encore faut-il distinguer selon que ce sont les parties à l'acte ou des tiers qui doivent prouver : - Les parties (de même que leurs héritiers et ayants cause agissant en cette qualité) devront respecter les exigences de l'article 1341 du Code civil, à savoir la nécessité d'un autre acte écrit, à moins de recourir à l'aveu ou au serment. - Les tiers (y compris les héritiers agissant en leur nom propre) pourront apporter cette preuve par toutes voies de droit, donc par exemple par témoignages et présomptions.

D. Les mentions étrangères à la mission de l'officier public Ces mentions peuvent être combattues par toutes voies de droit. Cela se déduit de l'article 1320 du Code civil. L'article 1320 (in fine) ajoute une précision à propos de ces mentions ou énonciations étrangères à l'acte : elles valent comme commencement de preuve. C'est au juge à apprécier si ces énonciations ont ou non un rapport direct avec l'acte juridique. Il faut voir que cette règle, selon laquelle les énonciations étrangères et accidentelles valent comme simple commencement de preuve, s'applique également aux actes sous seing privé.

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Chapitre 2. L'acte sous seing privé [onderhandse akte]

Section 1. Définition

C'est l'acte que les parties dressent elles-mêmes pour faire preuve d'un acte juridique ou de certains faits. Cet acte écrit ne requiert pas la présence d'un officier public, mais il doit porter la signature des parties.

Section 2. Conditions de validité

A. Conditions générales

1. L’existence d’un écrit La notion d’écrit n'a jamais été précisée. Certains auteurs ont proposé une définition aussi large que possible de façon à pouvoir y faire entrer certains modes de preuve issus des techniques modernes. Trois conditions seraient requises pour avoir un écrit : - il faut recourir à une forme de langage ; - l'expression du message doit être réalisée par des signes connus ou

traduisibles ; - le message doit s'inscrire sur un support fixe.

2. La signature La signature constitue un graphisme personnel qui établit la présence d'une personne à l'acte et le consentement de cette personne. Elle remplit donc une double fonction : identifier l'auteur et exprimer sa volonté. L'acte doit porter la signature du débiteur (de la personne qui s'engage), de la personne à laquelle on oppose l'acte. Souvent, l'écrit portera la signature de tous les cocontractants. Mais ce n'est pas indispensable (même pour un contrat synallagmatique). Il suffit que chaque partie détienne l'écrit signé par l'autre.

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La signature, par définition, doit permettre d'identifier l'auteur. Le graphisme personnel est souvent illisible. On pourrait admettre que la signature se fasse par des codes chiffrés, par l'apposition d'empreintes digitales, par un procédé de reconnaissance de la voix. Ces procédés remplissent en effet la première fonction de la signature, qui est d'identifier l'auteur. Mais le problème réside dans le fait que ces procédés n'expriment pas nécessairement le consentement de la personne ainsi identifiée. La signature doit donc, en principe, être manuscrite. Elle ne peut être remplacée par une griffe, un cachet, une croix, un paraphe. C'est pourquoi la jurisprudence a estimé que la signature ne pouvait se réduire à l'apposition d'empreintes digitales. Elle ne saurait résulter de la reproduction au papier carbone.

3. Principe de non-discrimination: même valeur de la signature électronique et de la signature manuscrite

Le nouvel article 1322 du Code civil assimile à la signature manuscrite :

- un ensemble de données électroniques ; - pouvant être imputé à une personne déterminée ; - établissant le maintien de l'intégrité de l'acte.

Cette définition de la signature est technologiquement neutre parce qu'elle adopte une approche fonctionnelle (on précise les fonctions que doit remplir toute signature). Toute signature (par exemple électronique) qui remplit ces fonctions est assimilée à une signature manuscrite. Les fonctions imposées par l'article 1322, al. 2 du Code civil sont :

- l'imputabilité qui recouvre les deux fonctions traditionnelles d'identification du signataire et de consentement de ce dernier;

- le maintien de l'intégrité de l'acte. S'il respecte ces fonctions, l'écrit électronique sera admissible comme preuve littérale (article 1322, al. 1 du Code civil)645 645 En revanche, un simple e-mail ne répondant pas à ces conditions ne peut être considéré comme une preuve écrite (Bruxelles, 24 août 2010, R.G.D.C., 2014, p. 235).

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Toutefois, des conditions spécifiques continuent à régir certains actes (impossible donc de signer électroniquement un engagement unilatéral, vu la règle de l'article 1326 du Code civil).

B. Conditions particulières (article 1325 du Code civil)

1. La règle du double original • Contenu de la règle : dans le cas d'un contrat synallagmatique créant donc des obligations réciproques à charge des parties, il est essentiel que chacune d'elles puisse apporter la preuve de sa créance contre son cocontractant. Cela explique la règle dite du "double original" de l'article 1325 du Code civil. Cette règle vaut pour les contrats synallagmatiques, mais aussi pour les contrats qui, en principe, unilatéraux sont devenus bilatéraux par la volonté des parties dès la conclusion du contrat. Par contre, cette disposition ne s'applique pas : - aux actes qui ne contiennent d'engagements que dans le chef d'une seule partie, même si ces engagements doivent donner lieu ultérieurement à une convention synallagmatique ; - aux conventions synallagmatiques dont l'une des parties a intégralement exécuté ses obligations au moment de la rédaction de l'écrit. L'article 1325 contient en fait trois règles : - Il faut autant d'originaux que de parties ayant un intérêt distinct, c'est-à-dire opposé. Par conséquent, parler de la règle du "double original" est inapproprié, puisqu'on devra, le cas échéant, établir plus de deux originaux. - Chaque exemplaire doit être un original, non une copie. La copie se distingue de l'original par la circonstance qu'elle en constitue une transcription non signée. Donc, il faut que chaque exemplaire soit revêtu de la signature des parties ou, à tout le moins, de la signature de toutes les parties autres que le détenteur de l'écrit 646. - Il faut que le nombre d'originaux soit mentionné sur chaque original.

646 Liège, 14 octobre 2002, J.T., 2003, p. 66.

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• Exceptions : - Les domaines où le régime de la preuve libre s'applique (par exemple en matière commerciale ou sociale). - La règle de l'article 1325 ne s'applique pas non plus aux lettres missives. C'est assez évident, car, dans cette hypothèse, le respect de l'article 1325 est quasiment impossible. Le contrat de vente qui se forme en deux temps, l'offre et l'acceptation, faisant l'objet de lettres successives, n'est pas soumis à l'article 1325 647. • Sanction : l'écrit qui ne satisfait pas aux deux conditions de l'article 1325 du Code civil est frappé de nullité. Il est important de souligner que c'est l'instrumentum et non le negotium qui est affecté par la nullité. Autrement dit, l'acte juridique reste valide, mais devra être prouvée autrement, par ex. par l'aveu ou le serment. La nullité frappant l'instrumentum est relative, ce qui veut dire - qu'elle ne peut être invoquée que par les parties ; - qu'elle peut être couverte par les parties (par ex. si les parties exécutent totalement ou partiellement la convention 648). C'est ce que l'alinéa 4 de l'article 1325 veut dire. Mais l'acte nul en tant qu'acte sous seing privé pourra encore servir de commencement de preuve par écrit et rendre admissible la preuve par témoins ou présomptions 649.

2. La règle du « bon pour » (article 1326 du Code civi l) • Contenu de la règle : selon cet article, les engagements unilatéraux doivent être écrits en entier de la main de celui qui s'engage ou il faut du moins, qu'outre sa signature, le débiteur ait écrit de sa main un "bon pour" ou un "approuvé", portant en toutes lettres la somme ou la quantité de la chose.

647 Liège, 15 mars 2000, R.G.D.C., 2001, p. 176. 648 Anvers, 7 février 1995, R.W., 1997-1998, p. 643. 649 Mons, 21 décembre 2007, J.L.M.B., 2008, p. 1462.

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L’objectif poursuivi est d’éviter les abus de blanc-seing et les fraudes consistant soit à modifier, après la signature de l’acte, une somme écrite uniquement en chiffres, soit à obtenir une signature « par surprise ». Précisons qu’on peut remplacer les deux formules reprises à l'article 1326 ("bon" ou "approuvé") par des formules équivalentes. En cas de discordance entre la mention en toutes lettres de la somme (ou de la quantité) et celle qui figure dans le corps de l'acte, l'article 1327 s'applique : il énonce une présomption simple selon laquelle la dette est de la somme la moins élevée. L’article 1326 du Code civil vise les actes sous seing privé constatant des engagements unilatéraux portant sur une somme d'argent ou une chose appréciable au sens d'une chose qui se compte au poids, au nombre ou à la mesure. Trois remarques : - La règle de l'article 1326 du Code civil ne vise pas les actes authentiques 650 (car la méfiance n'est pas de mise) ; même les actes authentiques irréguliers ont la force probante d'un acte sous seing privé. - Elle vaut pour les actes qui contiennent un engagement. Autrement dit, l'acte constaté dans l'instrumentum doit être la source d'une obligation. - L'engagement doit être unilatéral. Les cas les plus fréquents sont le prêt et le cautionnement 651. • Exceptions à la règle de l'article 1326 du Code civil. - Exception légale : article 1326, al. 2 du Code civil 652. - Exception conventionnelle.

650 Cass., 30 avril 1970, R.G.E.N., 1973, p. 76. 651 Bruxelles, 1er décembre 2004, J.L.M.B., 2007, p. 1727. 652 Anvers, 8 octobre 2007, R.G.D.C., 2012, p. 189.

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• Sanction C'est la même que pour la règle du "double original" : la nullité relative. L’acte nul peut néanmoins servir de commencement de preuve par écrit et être complété par des témoignages ou des présomptions 653.

Section 3. Force probante Il faut repartir de l'article 1322 du Code civil, qui donne à penser que l'acte sous seing privé se voit reconnaître la même valeur que l'acte authentique. Des précisions sont nécessaires.

A. En ce qui concerne l'authenticité de l'instrumentum L'acte sous seing privé ne fait pas par lui-même preuve de son authenticité, de l'origine de l'écriture privée. Il doit, à cet effet, être reconnu par celui à qui on l'oppose. C'est avant tout la signature et l'écriture qui doivent être reconnues. Cette reconnaissance peut se faire : - soit de manière expresse ; - soit de manière tacite (le plus souvent, la reconnaissance résultera de

l'absence de dénégation du signataire) ; - soit judiciairement à l'issue d'une procédure en vérification d'écriture. L'écrit dont la signature est reconnue fait foi comme un acte authentique, en ce sens qu'il est considéré comme ayant été rédigé par celui dont la signature est établie et ce, jusqu'à inscription de faux. La récente loi du 29 avril 2013 relative à l’acte sous seing privé contresigné par les avocats des parties654 a eu pour objectif de conférer à ce dernier une valeur probante accentuée de nature à limiter le recours à la vérification d’écriture, à en garantir la conformité et à renforcer la confiance dans l’effectivité des engagements qu’il contient. Concrètement, l’acte sous seing privé contresigné par les avocats des parties, conformément à la loi, fait pleine foi de l’écriture et de la signature des parties à l’acte, tant à leur égard qu’à l’égard de leurs héritiers ou ayants-cause. 653 Mons, 12 novembre 2008, J.L.M.B., 2009, p. 1118. 654 Mon. B., 3 juin 2013.

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B. En ce qui concerne le contenu de l'acte - Les parties peuvent en faire la preuve contraire : • par la production d'un autre écrit en vertu de l'article 1341 du Code civil ou • par aveu et serment. - Les tiers, de leur côté, pourront apporter la preuve contraire par toutes voies de droit.

C. En ce qui concerne la date de l'acte On s'intéresse ici à la force probante de la date à l'égard des tiers. À leur égard, la date ne fait foi qu'à partir du moment où elle est devenue "certaine". Sinon, elle ne leur est pas opposable. L'article 1328 énonce trois événements qui confèrent date certaine [vaste datum] : - L'enregistrement : il s’agit d’une procédure administrative. Pratiquement, l'une des parties (par ex. le locataire) présente au receveur de l'enregistrement deux originaux (du contrat de bail) afin d'y apposer la date du jour. C'est cette date qui est opposable aux tiers. - Le décès de l'un des signataires de l'acte : Le décès d'une des parties à l'acte a pour conséquence que l'acte ne peut plus être passé. Il acquiert donc date certaine le jour du décès. - La constatation de la substance de l'acte sous seing privé dans un acte authentique : Il faut toutefois que cette consignation soit faite dans un acte authentique. Il ne suffit dès lors pas de la faire dans un autre acte qui a date certaine. De plus, il faut que l'acte authentique relate la substance de l'acte sous seing privé, il ne suffit pas que l'acte authentique mentionne l'existence de l'acte sous seing privé. Cette énumération est limitative : par conséquent, aucun autre événement, ni le cachet de la poste, ni la légalisation d'un écrit ne sont à même de conférer date certaine.

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La règle de l’article 1328 du Code civil s’impose à l’égard des tiers. En effet, entre parties, la date est opposable sans condition particulière.

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Chapitre 3. Les autres modes de preuve

Section 1. La preuve testimoniale [getuigenbewijs] Elle comprend les déclarations faites par des personnes qui relatent ce qu’elles ont vu et entendu. Ce mode de preuve suppose donc l’audition de personnes qui ont assisté à une scène et viennent relater ce qu’elles ont constaté. La preuve testimoniale intervient selon les formalités prescrites par le Code judiciaire (article 905 et s.). Le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation de la force probante des témoignages.

Section 2. Les présomptions de l’homme Il faut rappeler que les présomptions sont les conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu (article 1349 du Code civil). On distingue deux types de présomptions : les présomptions légales [wettelijke vermoedens] et les présomptions de l’homme [feitelijke vermoedens]. Les premières organisent un aménagement des règles qui président à la charge de la preuve (articles 1350 à 1352 du Code civil). Les présomptions de l’homme touchent au fond du litige, en permettant au juge d’accepter de prendre en considération les présomptions « graves, précises et concordantes », c’est-à-dire celles qui sont de nature à emporter sa conviction (article 1353 du Code civil).

Section 3. L’aveu [bekentenis] (articles 1354 à 1356 du Code civil)

L’aveu est une reconnaissance par une des parties de la véracité des allégations de l’autre. Il revêt une force probante différente, selon qu’il est judiciaire ou extra judiciaire.

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L’aveu judiciaire est celui qui est fait en justice, dans l’instance relative aux obligations en litige, oralement ou par écrit 655. Il fait foi. L’aveu extra judiciaire est celui qui est fait en dehors de la présence du juge. Il ne peut s’établir que par témoins. Il n’aura donc pas plus de valeur probante qu’un témoignage. Une forme particulière d’aveu extra judiciaire consiste à exécuter la convention. On admet en effet, de manière constante, qu’une convention peut être prouvée par « son exécution-même »656. A ce propos, LAURENT écrivait déjà :

« Exécuter une convention, c’est reconnaître que cette convention existe ; il n’y pas de preuve plus concluante : c’est un aveu en action »657.

L’aveu est toutefois indivisible : celui qui s’en prévaut doit donc prendre cette déclaration dans son entier sans rien en retrancher658. On ne pourrait donc pas morceler un aveu du débiteur reconnaissant la dette et déclarant l’avoir payée. A peine de violer l’article 1341 du Code civil, l’exécution de la convention ne pourra, elle-même, être rapportée par témoignages ou présomptions.

Section 4. Le serment [eed] (articles 1357 à 1369 du Code civil)

Le serment est l’affirmation solennelle de la réalité d’un fait. Le serment peut être décisoire ou supplétoire. Le serment décisoire (article 1358 du Code civil) fait foi. Le juge sera dès lors lié par son résultat. Le serment supplétoire (article 1366 du Code civil) reste par contre soumis à l’appréciation du juge.

655 Mons, 8 octobre 2009, J.L.M.B., 2012, p. 2006 ; Liège, 22 janvier 2014, J.T., 2014, p. 233. 656 H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, 2ème éd., Bruxelles, Bruylant, 1942, p. 1057, n° 1032. 657 F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XIX, Bruxelles, Bruylant, 1887, p. 24, n° 16. 658 Mons, 18 avril 2013, J.L.M.B., 2013, p. 1547.

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Section 5. L'attestation testimoniale écrite Toute partie à un litige peut produire à l'appui de ses prétentions des attestations écrites émanant de tiers, "de nature à éclairer le juge sur les faits litigieux dont ils ont personnellement connaissance" (articles 961/1 à 963/3 du Code judiciaire)659. Le témoignage écrit est admissible pour autant que la preuve testimoniale le soit conformément aux articles 1341 et suivants du Code civil et à l'article 25 du Code de commerce). Il doit également répondre aux conditions de forme précisées par le Code judiciaire660. L'auteur de l'attestation doit notamment indiquer expressément qu'il est conscient qu'une fausse attestation l'expose à des sanctions pénales. Ce mode de preuve permet au juge d'accélérer le procès civil en réservant l'audition des tiers aux hypothèses où leurs attestations nécessitent des éclaircissements661.

659 Insérés par la loi du 16 juillet 2012 modifiant le Code civil et le Code judiciaire en vue de simplifier les règles qui gouvernent le procès civil (M.B., 3 août 2012). 660 Il a été jugé que le non-respect de ces conditions de forme ne suffit pas à écarter une attestation écrite, mais est de nature à affecter la valeur probante de celle-ci. Pour un cas d’application : C.T. Bruxelles, 3 novembre 2016, J.T., 2017, p. 401. 661 Pour un cas d’application : Comm. Mons, 19 mars 2013, J.T., 2013, p. 294.

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Table des matières INTRODUCTION GÉNÉRALE .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

1. DÉFINITION DE L’OBLIGATION ............................................................................................................... 32. CARACTÉRISTIQUES DE L’OBLIGATION ................................................................................................ 43. CLASSIFICATIONS DES OBLIGATIONS ................................................................................................... 5

A. Selon le contenu de l’obligation ........................................................................................................... 5B. Selon la source de l’obligation ............................................................................................................. 6C. Selon l’étendue de l’obligation ............................................................................................................. 7D. Selon la protection judiciaire .............................................................................................................. 10

4. DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES ................................................................................................ 11PARTIE 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 LES SOURCES DES OBLIGATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

TITRE 1 : LE CONTRAT ............................................................................................................................... 14Chapitre 1. Définition et classifications .................................................................................................. 15

Section 1. Définition ............................................................................................................................................ 15Section 2. Classifications ..................................................................................................................................... 16

A. Contrats nommés et contrats innomés ....................................................................................................... 16B. Contrats synallagmatiques [wederkerig] et contrats unilatéraux [eenzijdig] (articles 1102 et 1103 du Code civil) ................................................................................................................................................. 17C. Contrats à titre onéreux [onder bezwarende titel] et contrats à titre gratuit [uit vrijgevigheid] (articles 1105 et 1106 du Code civil) ............................................................................................................. 19D. Contrats commutatifs [vergeldend] et contrats aléatoires [kanscontract] (article 1104 du Code civil). .............................................................................................................................................................. 20E. Contrats consensuels [consensueel], solennels [plechtig] et réels [zakelijk] ............................................ 21F. Contrats principaux [hoofdcontract] et contrats accessoires [bijkomend] ................................................. 21G. Contrats intuitu personae et contrats non intuitu personae ....................................................................... 22H. Contrats instantanés [dadelijk of aflopend contract] et contrats successifs [duurcontract] ...................... 23

Chapitre 2. Les grands principes de notre régime contractuel ................................................................ 24Section 1. Le principe de la liberté contractuelle [contractvrijheid] ................................................................... 26

A. Portée ......................................................................................................................................................... 26B. Limites ....................................................................................................................................................... 27C. Tempérament ............................................................................................................................................. 30

Section 2. Le principe du consensualisme ........................................................................................................... 31A. Portée ......................................................................................................................................................... 31B. Exceptions ................................................................................................................................................. 31C. Distinction ................................................................................................................................................. 32

Section 3. Le principe de la convention-loi ......................................................................................................... 33A. Portée ......................................................................................................................................................... 33B. Exceptions ................................................................................................................................................. 34C. Tempéraments ........................................................................................................................................... 35D. Distinction ................................................................................................................................................. 37

Section 4. Le principe de l’exécution de bonne foi [uitvoering van goede trouw] ............................................. 37A. Portée ......................................................................................................................................................... 37B. Fonctions ................................................................................................................................................... 39

Chapitre 3. La formation [totstandkoming] du contrat ........................................................................... 41Section 1. Au point de vue statique ..................................................................................................................... 41

A. Les conditions de validité .......................................................................................................................... 42B. Les sanctions : la théorie des nullités ........................................................................................................ 59

Section 2. Au point de vue dynamique ................................................................................................................ 62A. Les relations précontractuelles [onderhandelingen] ou pourparlers [besprekingen] ................................ 62B. L’offre [aanbod] ........................................................................................................................................ 68C. La promesse (unilatérale) de contrat ......................................................................................................... 72D. Le contrat entre absents ............................................................................................................................. 73

Chapitre 4. Les effets du contrat ............................................................................................................. 75Section 1. Les droits et obligations des parties .................................................................................................... 76

A. La distinction entre contrats nommés et contrats innommés .................................................................... 77B. La qualification du contrat ......................................................................................................................... 78C. L’interprétation de la loi ............................................................................................................................ 80D. Les exigences de la bonne foi ................................................................................................................... 80

Section 2. La relativité [relativiteit] des droits et obligations des parties ........................................................... 81A. La distinction entre « parties [partijen] » et « tiers [derden] » .................................................................. 82B. La relativité des effets internes du contrat ................................................................................................. 83

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C. L’opposabilité [tegenwerpelijkheid] des effets externes du contrat .......................................................... 88Chapitre 5. L’inexécution [niet-nakoming] du contrat ........................................................................... 92

Section 1. Notion ................................................................................................................................................. 93Section 2. La mise en demeure [ingebrekestelling] ............................................................................................ 93

A. Définition .................................................................................................................................................. 93B. Formes ....................................................................................................................................................... 94C. Effets .......................................................................................................................................................... 95

Section 3. Les moyens d’action du créancier ...................................................................................................... 97A. L’exception d’inexécution [Exceptie van niet-uitvoering] ....................................................................... 97B. L’action en exécution forcée [dwanguitvoering of gedwongen uitvoering] ........................................... 101C. La résolution [ontbinding] du contrat ...................................................................................................... 107

Section 4. Les moyens de défense du débiteur .................................................................................................. 112A. La demande d’un délai de paiement [respijttermijn] .............................................................................. 112B. La cause étrangère exonératoire (ou libératoire) [vreemde oorzaak] ...................................................... 113

Chapitre 6. La dissolution du contrat .................................................................................................... 117Section 1. Notion ............................................................................................................................................... 118Section 2. Les causes de dissolution .................................................................................................................. 119

A. La nullité [nietigheid] .............................................................................................................................. 119B. La résiliation [verbreking] ....................................................................................................................... 119C. La caducité [verval] ................................................................................................................................. 122D. La rescision [vernietiging] ...................................................................................................................... 123E. La révocation [herroeping] ...................................................................................................................... 123F. La théorie des risques [risicotheorie] ....................................................................................................... 123G. Le décès, l’incapacité ou la faillite .......................................................................................................... 124

Section 3. Les effets « légaux » de la dissolution du contrat ............................................................................ 124A. La nullité ................................................................................................................................................. 125B. La résiliation ............................................................................................................................................ 126C. La caducité ............................................................................................................................................... 126D. La rescision ............................................................................................................................................. 126E. La révocation ........................................................................................................................................... 127F. La résolution ............................................................................................................................................ 127

Section 4. La naissance d’obligations lors de la dissolution du contrat ............................................................ 128Chapitre 7. L’interprétation du contrat .................................................................................................. 130

Section 1. Principe de base (article 1156 du Code civil) ................................................................................... 130Section 2. Autres règles d’interprétation ........................................................................................................... 131Section 3. Nature juridique des règles d’interprétation ..................................................................................... 132Section 4. Limites de l’interprétation ................................................................................................................ 133

A. Le principe de la convention-loi (article 1134 du Code civil) ................................................................ 133B. La hiérarchie des preuves (article 1341 du Code civil) ........................................................................... 133C. La foi due aux actes [bewijskracht van een akte] (articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil) .............. 134

TITRE 2. LES DÉLITS ET QUASI-DÉLITS ................................................................................................. 135TITRE 3. LES QUASI-CONTRATS ............................................................................................................. 136

Chapitre 1. La gestion d’affaires ........................................................................................................... 136Section 1. Notion ............................................................................................................................................... 136Section 2. Gestion d’affaires et contrat de mandat ............................................................................................ 137Section 3. Conditions ......................................................................................................................................... 138

A. L’absence de toute obligation légale ou contractuelle d’agir .................................................................. 138B. L’absence d’opposition de la part du maître ........................................................................................... 139C. L’absence d’intention libérale dans le chef du gérant ............................................................................. 139D. L’intention de gérer les affaires d’autrui ................................................................................................. 139E. La nécessité de la gestion d’affaires ........................................................................................................ 140

Section 4. Effets ................................................................................................................................................. 140A. Rapports entre le gérant et le maître de l’affaire ..................................................................................... 140B. Rapport avec les tiers ............................................................................................................................... 142

Section 5. Preuve ............................................................................................................................................... 143Chapitre 2. Le paiement de l’indu ......................................................................................................... 144

Section 1. Notion ............................................................................................................................................... 144Section 2. Conditions ......................................................................................................................................... 144

A. L’existence d’un (prétendu) paiement ..................................................................................................... 145B. Le caractère indu du (prétendu) paiement ............................................................................................... 145C. L’existence d’une erreur dans le chef du solvens .................................................................................... 146

Section 3. Effets ................................................................................................................................................. 146A. Les obligations de l’accipiens ................................................................................................................. 146B. Les obligations du solvens ....................................................................................................................... 148

Section 4. Preuve ............................................................................................................................................... 148Chapitre 3. L’enrichissement sans cause .............................................................................................. 149

Section 1. Notion ............................................................................................................................................... 149Section 2. Conditions ......................................................................................................................................... 150

A. L’enrichissement ..................................................................................................................................... 150B. L’appauvrissement .................................................................................................................................. 150C. Le lien causal entre l’enrichissement et l’appauvrissement .................................................................... 151D. L’absence de cause valable ..................................................................................................................... 151E. Le caractère subsidiaire ........................................................................................................................... 151

Section 3. Effets ................................................................................................................................................. 152

- 327 -

TITRE 4. L’ENGAGEMENT PAR VOLONTÉ UNILATÉRALE [VERBINTENIS UIT EENZIJDIGE WILSVERKLARING] .................................................................................................................................. 153

Chapitre 1. Notion ................................................................................................................................. 153Chapitre 2. Cas d’application ................................................................................................................ 154Chapitre 3. Conditions .......................................................................................................................... 155Chapitre 4. Formation ........................................................................................................................... 156Chapitre 5. Caractères ........................................................................................................................... 157Chapitre 6. Effets .................................................................................................................................. 157Chapitre 7. Dissolution ......................................................................................................................... 158

TITRE 5. LA THÉORIE DE L’APPARENCE ................................................................................................ 159Chapitre 1. Notion ................................................................................................................................. 159Chapitre 2. Conditions d’application .................................................................................................... 160Chapitre 3. Effets .................................................................................................................................. 161

PARTIE 2. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 LES MODALITÉS DES OBLIGATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162

TITRE 1 : LE TERME [TIJDSBEPALING] ET LA CONDITION [VOORWAARDE] ..................................... 163Chapitre 1 : le terme .............................................................................................................................. 164

Section 1 : Notion .............................................................................................................................................. 164Section 2 : Types ............................................................................................................................................... 164

A. Terme suspensif ....................................................................................................................................... 164B. Terme extinctif ........................................................................................................................................ 165

Section 3 : Effets ............................................................................................................................................... 165A. Terme suspensif ....................................................................................................................................... 165B. Terme extinctif ........................................................................................................................................ 167

Section 4 : Renonciation au bénéfice du terme ................................................................................................. 167Section 5 : Déchéance du terme ........................................................................................................................ 168

Chapitre 2 : La condition ....................................................................................................................... 170Section 1 : Notion .............................................................................................................................................. 170Section 2 : Types ............................................................................................................................................... 170

A. La condition suspensive [opschortende voorwaarde] et la condition résolutoire [ontbindende voorwaarde] .................................................................................................................................................. 170B. Variété de formes .................................................................................................................................... 171

Section 3 : Limites ............................................................................................................................................. 172A. La condition purement potestative dans le chef du débiteur ................................................................... 172B. La condition impossible [onmogelijk], illicite ou immorale [ongeoorloofd] .......................................... 173

Section 4 : Effets ............................................................................................................................................... 173A. La condition suspensive .......................................................................................................................... 174B. La condition résolutoire ........................................................................................................................... 177

TITRE 2 : LES OBLIGATIONS À OBJETS MULTIPLES (CUMULATIVES OU CONJONCTIVES, ALTERNATIVES ET FACULTATIVES) ...................................................................................................... 179

Chapitre 1 : Les obligations conjonctives ............................................................................................. 179Chapitre 2 : Les obligations alternatives ............................................................................................... 180Chapitre 3 : Les obligations facultatives ............................................................................................... 181

TITRE 3 : LES OBLIGATIONS À SUJETS MULTIPLES (CONJOINTES, INDIVISIBLES, SOLIDAIRES ET IN SOLIDUM) ........................................................................................................................................ 182

Chapitre 1 : Les obligations conjointes [samengevoegde verbintenissen] ............................................ 183Section 1 : Notion .............................................................................................................................................. 183Section 2 : Types ............................................................................................................................................... 184Section 3 : Effets ............................................................................................................................................... 184

Chapitre 2 : Les obligations solidaires [hoofdelijke verbintenissen] .................................................... 185Section 1 : Notion .............................................................................................................................................. 185Section 2 : Types ............................................................................................................................................... 185Section 3 : Sources ............................................................................................................................................ 186

A. La loi ....................................................................................................................................................... 186B. Le contrat ................................................................................................................................................. 187C. La jurisprudence ...................................................................................................................................... 188

Section 4 : Effets ............................................................................................................................................... 188A. La solidarité active .................................................................................................................................. 189B. La solidarité passive ................................................................................................................................ 190

Chapitre 3 : Les obligations indivisibles [ondeelbare verbintenissen] .................................................. 194Section 1 : Notion .............................................................................................................................................. 194Section 2 : Sources ............................................................................................................................................ 194

A. L’indivisibilité naturelle .......................................................................................................................... 195B. L’indivisibilité conventionnelle ............................................................................................................... 195

Section 3 : Effets ............................................................................................................................................... 195A. L’indivisibilité active .............................................................................................................................. 196B. L’indivisibilité passive ............................................................................................................................ 196

Chapitre 4 : Les obligations in solidum [verbintenissen in solidum] .................................................... 198Section 1 : Notion .............................................................................................................................................. 198Section 2 : Sources ............................................................................................................................................ 199

- 328 -

Section 3 : Effets ............................................................................................................................................... 199A. Au niveau de l’obligation à la dette ........................................................................................................ 199B. Au niveau de la contribution à la dette .................................................................................................... 199

PARTIE 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 LA TRANSMISSION DES OBLIGATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201

TITRE 1. LA CESSION DE CRÉANCE [OVERDRACHT VAN SCHULDEVORDERING] ............................ 204Chapitre 1. Notion ................................................................................................................................. 205Chapitre 2. Opposabilité [tegenwerpelijkheid] aux tiers ....................................................................... 206

Section 1. Evolution historique ......................................................................................................................... 206Section 2. Opposabilité au débiteur cédé .......................................................................................................... 206Section 3. Opposabilité aux autres tiers ............................................................................................................ 207

Chapitre 3 : Effets ................................................................................................................................. 208Section 1. Obligations du cédant ....................................................................................................................... 208Section 2. Entre parties ...................................................................................................................................... 208Section 3. A l’égard des tiers ............................................................................................................................. 209

TITRE 2. LA CESSION DE DETTE [SCHULDOVERDRACHT] ................................................................... 211Chapitre 1. Notion ................................................................................................................................. 211Chapitre 2. Autres solutions (renvoi) .................................................................................................... 212

TITRE 3. LA CESSION DE CONTRAT [CONTRACTOVERDRACHT] ........................................................ 213Chapitre 1. Notion ................................................................................................................................. 214Chapitre 2. Régime ................................................................................................................................ 214

TITRE 4. AUTRES MECANISMES (DÉLÉGATION, SUBROGATION) ....................................................... 216Chapitre 1. La délégation ...................................................................................................................... 216

Section 1. Notion ............................................................................................................................................... 216Section 2. Effets ................................................................................................................................................. 217

Chapitre 2. La subrogation .................................................................................................................... 217PARTIE 4. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218 L’EXTINCTION [UITDOVING] DES OBLIGATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218

TITRE 1. LE PAIEMENT [BETALING] ....................................................................................................... 220Chapitre 1. Généralités .......................................................................................................................... 220

Section 1. Notion ............................................................................................................................................... 220Section 2. Objet ................................................................................................................................................. 221

A. Règles applicables à tous les paiements .................................................................................................. 222B. Règles applicables au paiement d’une somme d’argent .......................................................................... 224

Section 3. Auteur du paiement (solvens) ........................................................................................................... 226A. Qui peut payer ? ...................................................................................................................................... 226B. Conditions requises dans le chef de celui qui paie .................................................................................. 227

Section 4. Destinataire du paiement (accipiens) ................................................................................................ 227A. Principe .................................................................................................................................................... 227B. Exceptions légales ................................................................................................................................... 228C. Situations exceptionnelles ....................................................................................................................... 229

Section 5. Preuve ............................................................................................................................................... 229Chapitre 2. Modalités du paiement ....................................................................................................... 230

Section 1. Lieu [plaats] du paiement ................................................................................................................. 230Section 2. Moment [tijdstip] du paiement ......................................................................................................... 231Section 3. Frais [kosten] du paiement ............................................................................................................... 232

Chapitre 3. Imputation [toerekening] des paiements ............................................................................ 232Section 1. Notion ............................................................................................................................................... 232Section 2. Principes ........................................................................................................................................... 233

Chapitre 4. Les offres de paiement et la consignation .......................................................................... 234Section 1. Notion ............................................................................................................................................... 234Section 2. Procédure .......................................................................................................................................... 235Section 3. Effets ................................................................................................................................................. 235

Chapitre 5. Le paiement avec subrogation [subrogatie] ........................................................................ 236Section 1. Notion ............................................................................................................................................... 236Section 2. Types ................................................................................................................................................ 238Section 3. Conditions communes à tous les paiements avec subrogation ......................................................... 238Section 4. La subrogation conventionnelle ....................................................................................................... 240

A. La subrogation consentie par le créancier ............................................................................................... 240B. La subrogation consentie par le débiteur ................................................................................................. 241

Section 5. La subrogation légale. ...................................................................................................................... 242A. Notion ...................................................................................................................................................... 242B. Cas d’application ..................................................................................................................................... 242

Section 6. Effets du paiement avec subrogation ................................................................................................ 243A. Effets liés au paiement ............................................................................................................................ 244B. Effets liés à la cession de créance ............................................................................................................ 244

TITRE 2. LA DATION EN PAIEMENT [INBETALINGGEVING] ................................................................. 246

- 329 -

Chapitre 1. Notion ................................................................................................................................. 246Chapitre 2. Nature juridique .................................................................................................................. 246Chapitre 3. Conditions .......................................................................................................................... 247Chapitre 4. Effets .................................................................................................................................. 248

TITRE 3. LA NOVATION [SCHULDVERNIEUWING] ................................................................................ 249Chapitre 1. Notion ................................................................................................................................. 249Chapitre 2. Types .................................................................................................................................. 250Chapitre 3. Conditions .......................................................................................................................... 251Chapitre 4. Preuve ................................................................................................................................. 253Chapitre 5. Effets .................................................................................................................................. 253

TITRE 4. LA REMISE DE DETTES [KWIJTSCHELDING VAN SCHULD] .................................................. 255Chapitre 1. Généralités .......................................................................................................................... 255

Section 1. Notion ............................................................................................................................................... 255Section 2. Nature juridique ................................................................................................................................ 256Section 3. Preuve ............................................................................................................................................... 256

Chapitre 2. Conditions .......................................................................................................................... 257Section 1. Conditions de fond ........................................................................................................................... 257Section 2. Conditions de forme ......................................................................................................................... 258

Chapitre 3. Effets .................................................................................................................................. 258TITRE 5 : LA COMPENSATION [SCHULDVERGELIJKING] ..................................................................... 260

Chapitre 1. Généralités .......................................................................................................................... 260Section 1. Notion ............................................................................................................................................... 260Section 2. Types ................................................................................................................................................ 261

Chapitre 2. La compensation légale ...................................................................................................... 262Section 1. Conditions ......................................................................................................................................... 262

A. L’existence de deux obligations réciproques .......................................................................................... 262B. L’existence de deux obligations entre les mêmes personnes .................................................................. 263C. L’existence de deux dettes fongibles ....................................................................................................... 264D. L’existence de deux dettes liquides ......................................................................................................... 264E. L’existence de deux dettes exigibles ....................................................................................................... 265

Section 2. Champ d’application ........................................................................................................................ 265A. La demande en restitution d’une chose dont le propriétaire a été injustement dépouillé (article 1293, 1° du Code civil) ................................................................................................................................ 266B. La demande en restitution d’un dépôt ou d’un prêt à usage (article 1293, 2° du Code civil) ................. 266C. Les créances insaisissables (article 1293, 3° du Code civil) ................................................................... 266D. Le préjudice aux droits acquis [verworven rechten] des tiers (article 1298 du Code civil) .................... 267E. Les impôts, taxes et cotisations sociales dus à l’Etat ou aux pouvoirs publics ....................................... 268

Section 3. Effets ................................................................................................................................................. 269Chapitre 3. La compensation judiciaire ................................................................................................ 269Chapitre 4. La compensation conventionnelle ...................................................................................... 270

TITRE 6. LA CONFUSION [SCHULDVERMENGING] ................................................................................ 271Chapitre 1. Notion ................................................................................................................................. 271Chapitre 2. Conditions .......................................................................................................................... 271Chapitre 3. Effets .................................................................................................................................. 272

TITRE 7. LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE [BEVRIJDENDE VERJARING] (OU LIBÉRATOIRE) ............. 273Chapitre 1. Généralités .......................................................................................................................... 274

Section 1. Notion et types .................................................................................................................................. 274A. Notion ...................................................................................................................................................... 274B. Types ....................................................................................................................................................... 274

Section 2. Fondement ........................................................................................................................................ 275Section 3. Caractéristiques ................................................................................................................................ 276

Chapitre 2. Délais .................................................................................................................................. 277Section 1. La computation des délais ................................................................................................................ 277Section 2. Les différents délais .......................................................................................................................... 278

A. Le Code Napoléon ................................................................................................................................... 278B. Différentes interventions législatives ...................................................................................................... 279C. L’arrêt de la Cour d’arbitrage du 21 mars 1995 ...................................................................................... 281D. La loi du 10 juin 1998 modifiant certaines dispositions en matière de prescription. .............................. 282

Chapitre 3. Effets .................................................................................................................................. 283Chapitre 4. L’interruption de la prescription ......................................................................................... 284

Section 1. Causes ............................................................................................................................................... 284Section 2. Effets ................................................................................................................................................. 286

Chapitre 5. La suspension de la prescription ........................................................................................ 287Section 1. Causes ............................................................................................................................................... 287Section 2. Effets ................................................................................................................................................. 287

TITRE 8. LA « RECHTSVERWERKING » .................................................................................................. 288PARTIE 5. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290 LA PREUVE DES OBLIGATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290

INTRODUCTION ........................................................................................................................................ 290

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TITRE 1. PRINCIPES GENERAUX ............................................................................................................. 292Chapitre 1. Le caractère supplétif des dispositions relatives à la preuve .............................................. 292Chapitre 2. Le rôle du juge .................................................................................................................... 293

Section 1. Procédure accusatoire et procédure inquisitoire ............................................................................... 293A. Distinction ............................................................................................................................................... 293B. La procédure civile en Belgique .............................................................................................................. 293

Section 2. Le principe dispositif [beschikkingsbeginsel] .................................................................................. 294Section 3. Le principe du contradictoire [beginsel van tegenspraak] ................................................................ 294

Chapitre 3. L’objet de la preuve ............................................................................................................ 295Section 1. La preuve des faits ............................................................................................................................ 295Section 2. La preuve du droit ............................................................................................................................ 295

Chapitre 4. Le système de la preuve réglementée ................................................................................. 296TITRE 2. LA CHARGE DE LA PREUVE [BEWIJSLAST] ............................................................................ 297

Chapitre 1. Principes généraux ............................................................................................................. 297Chapitre 2. La collaboration des parties dans l’administration de la preuve ........................................ 298Chapitre 3. Les présomptions légales .................................................................................................... 298

TITRE 3. L’ADMISSIBILITE DES MODES DE PREUVE [BEWIJSMIDDELEN] .......................................... 300Chapitre 1. La prééminence de l’écrit ................................................................................................... 300Chapitre 2. Les deux règles de l’article 1341 du Code civil ................................................................. 301

Section 1. Première règle de l'article 1341 du Code civil ................................................................................. 301A. Champ d'application ................................................................................................................................ 301B. Exclusions ................................................................................................................................................ 301

Section 2. Deuxième règle de l'article 1341 du Code civil ............................................................................... 302A. Principe .................................................................................................................................................... 302B. Limites ..................................................................................................................................................... 302

Section 3. Limitations à l'article 1341 du Code civil ........................................................................................ 304A. Caractère supplétif des règles du Code civil ........................................................................................... 304B. Situation des tiers .................................................................................................................................... 304

Section 4. Exceptions générales de l’article 1341 du Code civil ...................................................................... 304A. L’existence d’un commencement de preuve par écrit (article 1347 du Code civil) ............................... 304B. L’impossibilité de se procurer un écrit (article 1348 du Code civil) ....................................................... 305C. La preuve en matière commerciale (article 25 du Code de commerce) .................................................. 307

Section 5. Exceptions particulières .................................................................................................................... 309TITRE 4. LES PRINCIPAUX MODES DE PREUVE ..................................................................................... 310

Chapitre 1. L'acte authentique [authentieke akte] ................................................................................. 310Section 1. Définition .......................................................................................................................................... 310Section 2. Conditions de validité ....................................................................................................................... 310

A. Intervention d'un officier public .............................................................................................................. 310B. Intervention régulière de l'officier public ................................................................................................ 311C. Respect des formes légales ...................................................................................................................... 311

Section 3. Force probante .................................................................................................................................. 312A. L'authenticité de l'instrument .................................................................................................................. 312B. Les constatations faites par l'officier public ............................................................................................ 312C. Le contenu des déclarations des parties ................................................................................................... 313D. Les mentions étrangères à la mission de l'officier public ....................................................................... 313

Chapitre 2. L'acte sous seing privé [onderhandse akte] ........................................................................ 314Section 1. Définition .......................................................................................................................................... 314Section 2. Conditions de validité ....................................................................................................................... 314

A. Conditions générales ............................................................................................................................... 314B. Conditions particulières (article 1325 du Code civil) .............................................................................. 316

Section 3. Force probante .................................................................................................................................. 319A. En ce qui concerne l'authenticité de l'instrumentum ............................................................................... 319B. En ce qui concerne le contenu de l'acte ................................................................................................... 320C. En ce qui concerne la date de l'acte ......................................................................................................... 320

Chapitre 3. Les autres modes de preuve ................................................................................................ 322Section 1. La preuve testimoniale [getuigenbewijs] .......................................................................................... 322Section 2. Les présomptions de l’homme .......................................................................................................... 322Section 3. L’aveu [bekentenis] (articles 1354 à 1356 du Code civil) ............................................................... 322Section 4. Le serment [eed] (articles 1357 à 1369 du Code civil) .................................................................... 323Section 5. L'attestation testimoniale écrite ........................................................................................................ 324