tribunal administratif du grand-duché de luxembourg 2e ... · vu le mémoire en réponse du...

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1 Tribunal administratif N° 43541 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 septembre 2019 2 e chambre Audience publique du 19 décembre 2019 Recours formé par la société anonyme ..., contre une décision du directeur de l’administration des Contribution directes en matière d’échange de renseignements ___________________________________________________________________________ JUGEMENT Vu la requête inscrite sous le numéro 43541 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 septembre 2019 par Maître Nicolas Thieltgen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme ..., établie et ayant son siège social à L-..., représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro ..., tendant à l’annulation de la décision d’injonction du directeur de l’administration des Contributions directes du 7 août 2019 de fournir des renseignements en vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, référencée sous le numéro ; Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre 2019 ; Vu lordonnance du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif du 9 octobre 2019 autorisant le dépôt dun mémoire supplémentaire par la partie demanderesse ... pour le 5 novembre 2019, respectivement par la partie étatique pour le 29 novembre 2019, à 17.00 heures au plus tard ; Vu le mémoire supplémentaire, intitulé « mémoire en réplique », déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 novembre 2019 par Maître Nicolas Thieltgen pour compte de la société ..., préqualifiée ; Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nicolas Thieltgen et Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en leurs plaidoiries respectives à laudience publique du 2 décembre 2019. ___________________________________________________________________________ Par un courrier du 7 août 2019, le directeur de ladministration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », adressa à la société anonyme ..., ci-après désignée par la société « ... », une décision dinjonction en vertu de larticle 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à léchange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après dénommée la « loi du 25 novembre 2014 », avec prière de fournir, pour le 12 septembre 2019 au plus tard, différents renseignements et documents concernant la période du 1 er janvier 2008 au 31 décembre 2018, ladite injonction étant libellée comme suit :

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Page 1: Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg 2e ... · Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre

1

Tribunal administratif N° 43541 du rôle

du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 septembre 2019

2e chambre

Audience publique du 19 décembre 2019

Recours formé par la société anonyme ..., …

contre une décision du directeur de l’administration des Contribution directes

en matière d’échange de renseignements

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43541 du rôle et déposée au greffe du tribunal

administratif en date du 9 septembre 2019 par Maître Nicolas Thieltgen, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme ...,

établie et ayant son siège social à L-..., représentée par son conseil d’administration

actuellement en fonctions, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg

sous le numéro ..., tendant à l’annulation de la décision d’injonction du directeur de

l’administration des Contributions directes du 7 août 2019 de fournir des renseignements en

vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la

procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale,

référencée sous le numéro … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal

administratif en date du 8 octobre 2019 ;

Vu l’ordonnance du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal

administratif du 9 octobre 2019 autorisant le dépôt d’un mémoire supplémentaire par la partie

demanderesse ... pour le 5 novembre 2019, respectivement par la partie étatique pour le 29

novembre 2019, à 17.00 heures au plus tard ;

Vu le mémoire supplémentaire, intitulé « mémoire en réplique », déposé au greffe du

tribunal administratif en date du 5 novembre 2019 par Maître Nicolas Thieltgen pour compte

de la société ..., préqualifiée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nicolas Thieltgen et

Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en leurs plaidoiries respectives à

l’audience publique du 2 décembre 2019.

___________________________________________________________________________

Par un courrier du 7 août 2019, le directeur de l’administration des Contributions

directes, ci-après désigné par « le directeur », adressa à la société anonyme ..., ci-après

désignée par la société « ... », une décision d’injonction en vertu de l’article 3, paragraphe (3)

de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de

renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après dénommée la « loi du 25 novembre

2014 », avec prière de fournir, pour le 12 septembre 2019 au plus tard, différents

renseignements et documents concernant la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2018,

ladite injonction étant libellée comme suit :

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« (…) En date du 15 juillet 2019, l'autorité compétente de l'administration fiscale

italienne nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la directive

2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars

2013.

L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite

demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La personne physique concernée par la demande est Monsieur ..., né le … à ... () en

Italie, ayant une adresse à via ….

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2008 au 31

décembre 2018, les renseignements et documents suivants pour le 12 septembre 2019 au plus

tard. Pour des raisons de meilleure lisibilité, nous avons repris le questionnaire anglais de la

demande d'information des autorités italiennes.

- Please provide the identity of the beneficial owner of ...

- If the participation in the company can be traced back to Mr ... or to his wife

Mrs ..., please provide information on investments in other Luxembourg or foreign

companies.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi modifiée du

25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les

renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés

en totalité, de manière précise et sans altération.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 septembre 2019, la

société ... a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision d’injonction

précitée du 7 août 2019 prise par le directeur.

Etant donné que l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 prévoit un recours en

annulation contre la décision d’injonction adressée au détenteur des renseignements

demandés, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation dirigé contre la

décision du directeur du 7 août 2019, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs,

recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la société demanderesse se prévaut d’une violation de la loi,

plus précisément, (i) d’une violation de l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre

2014 relatif à la pertinence vraisemblable des renseignements demandés ; (ii) d’une violation

de l’article 2, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014 relatif à la période visée par la

demande d’échange renseignements et (iii) d’une violation de l’article 20, paragraphe (2) de

la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine

fiscal, ci-après désignée par « la loi du 29 mars 2013 », relatif aux informations minimales

que doit fournir l’autorité requérante par le biais d’un formulaire type.

S’agissant du premier moyen tenant à un défaut allégué de pertinence vraisemblable

des renseignements demandés, la demanderesse cite le considérant numéro 9 de la directive

2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le

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domaine fiscal, ci-après désignée par « la directive 2011/16/UE », transposée en droit

luxembourgeois par la loi du 29 mars 2013, de même qu’en substance le considérant numéro

78 de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne, ci-après désignée par « la CJUE »,

du 16 mai 2017, numéro C-682/15, dans l’affaire ...SA.

La société demanderesse souligne que cette notion de pertinence vraisemblable devrait

être interprétée en relation avec l’identité de la personne visée par la demande et la finalité des

informations demandées.

Quant à l'identité de la personne visée par la demande, la demanderesse cite l'article

20, paragraphe (2) de la directive 2011/16/UE, repris à l'article 20, paragraphe (2) de la loi du

29 mars 2013, qui définirait comme l'une des informations minimales « l'identité de la

personne faisant l'objet d'un contrôle ou d'une enquête ». Ce ne serait partant qu'en cas de

respect de cette condition que la demande d'échange de renseignements provenant d'un Etat

membre requérant satisferait aux exigences de pertinence vraisemblable et à celle de l'article

20, paragraphe (2) de la loi du 29 mars 2013.

Dans ce contexte, la demanderesse donne une définition du mot « identité » et

considère qu’une mesure d’injonction devrait comporter des indications suffisantes permettant

d'identifier individuellement le ou les contribuables visés par l'enquête. Elle ne devrait donc

pas désigner des contribuables par des éléments communs qui lui permettraient

éventuellement d'obtenir des éléments permettant d'identifier la personne visée. En l'espèce en

recherchant d’obtenir l’information suivante :« -Please provide the identity of the beneficial

owner of ... », il semblerait que la demande des autorités italiennes porterait en réalité sur un

groupe de personnes indéterminées, à savoir le ou les bénéficiaires effectifs de .... Or, la loi du

29 mars 2013 serait silencieuse quant à la possibilité de pouvoir viser, dans une demande de

renseignements, un groupe de personnes qui ne ferait pas l'objet d'une identification

individuelle et les droits de toutes les personnes impliquées dans une procédure d'échange de

renseignements seraient affectés dans la mesure où la norme de pertinence vraisemblable

s'appliquerait à l'ensemble de la demande.

Dès lors, elle serait d’avis qu’il serait inconcevable que l'injonction puisse s'étendre

aux contribuables désignés comme ses bénéficiaires effectifs sans qu’elle ne soit directement

visée par la demande d’échange de renseignements, puisque, selon les termes même de la

décision d’injonction, la personne physique concernée par la demande d’échange de

renseignements serait uniquement Monsieur .... Partant, la décision du 7 août 2019 violerait

l'article 20, paragraphe 2 de la loi du 29 mars 2013 et l'article 3, paragraphe (1) de la loi du 25

novembre 2014 et elle devrait, par conséquent, être annulée.

Dans un souci d’exhaustivité, la demanderesse se réfère à un arrêt de la Cour

administrative du 23 mai 2019, inscrit sous le numéro 42143C du rôle, et à la question

préjudicielle y soulevée et demande au tribunal de surseoir à statuer si nécessaire en attendant

que la CJUE se soit prononcée sur la question préjudicielle posée à travers l’arrêt de la Cour

administrative précité.

La demanderesse indique ensuite que la personne visée par la demande de

renseignements serait Monsieur ..., né le ... à ... (…) en Italie, ayant son adresse à via … (…).

Or, à l'examen de l'extrait de la demande de l'autorité italienne contenue dans la décision

d’injonction (en langue anglaise) et sans avoir pu examiner la demande dans son intégralité, la

demanderesse constaterait que l'administration italienne entendrait investiguer à Luxembourg en

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fait sur la société ..., Madame ... et Monsieur .... Les informations demandées concerneraient

donc d'autres personnes que la personne visée par la demande de renseignements selon la

décision d’injonction et dépasseraient ainsi le cadre tracé par la jurisprudence. Partant, la

décision déférée violerait l'article 20, paragraphe (2) de la loi du 29 mars 2013 et l'article 3,

paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 et elle devrait, par conséquent, être annulée.

Quant à l’allégation de l'absence de mention de la finalité fiscale poursuivie, selon la

demanderesse, la décision déférée ne préciserait pas le but exact dans lequel la demande de

renseignement lui aurait été adressée. Or, l'article 20, paragraphe (2) de la directive 2011/16,

repris à l'article 20, paragraphe (2) de la loi du 29 mars 2013, définirait comme l'une des

informations minimales « la finalité fiscale des informations demandées ».

L'arrêt ... de la CJUE rappellerait également que ce ne serait partant qu'en cas de

respect de cette condition que la demande d'échange de renseignements provenant d'un Etat

membre requérant satisferait aux exigences de pertinence vraisemblable et à celle de l'article

20, paragraphe (2) de la loi du 29 mars 2013.

En outre, la demanderesse, en se référant à deux jugements du tribunal administratif et

un arrêt de la Cour administrative, considère que la jurisprudence antérieure à cet arrêt aurait

déjà annulé des décisions dans le cas où l'existence d'un lien entre les faits énoncés et le but

fiscal dans lequel les renseignements auraient été demandés n'aurait pas été démontrée.

Elle donne encore à considérer que privée de cette information, elle ne pourrait

qu'émettre des suppositions quant au but fiscal poursuivi par les autorités italiennes.

En l'absence de communication précise du but fiscal dans lequel les renseignements

seraient demandés, la décision déférée devrait être considérée comme non fondée.

Quant à la période concernée par la demande de renseignement, la demanderesse cite

l'article 2, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014 et se réfère à l'article IV du Protocole

signé à Luxembourg le 21 juin 2012 de la Convention entre le Luxembourg et l'Italie tendant

à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et à

prévenir la fraude et l'évasion fiscales (ci-après dénommée « la Convention »), approuvée par

la loi du 14 juin 2013, en précisant que l'article 27 de la Convention relatif à l'échange de

renseignements serait applicable aux années d'imposition commençant le ou après le 1er

janvier 2012.

Elle relève que la demande porterait dès lors sur des années antérieures à la date

d'applicabilité de la convention fiscale pertinente et devrait donc être annulée pour cette

raison.

Dans ce contexte, elle se réfère encore à l'article 19, paragraphe (3) de la loi du 29 mars

2013 et à l’article 7 du règlement grand-ducal du 15 mars 1979 concernant l'assistance

administrative internationale en matière d'impôts directs, pris en application de la loi abrogée

du 15 mars 1979 concernant l'assistance administrative internationale en matière d'impôts

directs, qui prévoirait comme condition à l'échange d'information sur demande le fait que les

informations communiquées ne soient utilisées « (...) qu'aux fins de l'établissement correct

des impôts directs et la répression des infractions fiscales relatives à ces impôts (...) ». Or, la

décision déférée ne comporterait aucune indication claire de la nature des impôts ou de

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l'année d'imposition visés par la demande de renseignements, ni plus largement du but fiscal

poursuivi par la demande.

En l'absence de communication précise quant à la nature et l'année d'imposition dont

le revenu imposable serait visé, la décision mériterait par conséquent également d'être annulée

pour cette raison.

Elle demande ensuite au tribunal de faire usage de ses prérogatives en vertu des

dispositions de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 et d’ordonner à la

partie étatique de lui communiquer la substance des informations contenues dans la demande

d’échange de renseignements, ainsi que, le cas échéant, dans les compléments d’information

et de lui permettre de produire un mémoire en réplique par la suite.

La demanderesse invoque ensuite l’excès et le détournement de pouvoir à l’appui de

son recours en annulation et reprend en substance les mêmes arguments que ceux relatifs au

moyen de la violation de la loi en ce qui concerne la pertinence vraisemblable des

renseignements sollicités. La société demanderesse reproche encore au directeur, lorsqu’il

précise dans sa décision que l’autorité compétente luxembourgeoise aurait vérifié la régularité

formelle de la demande et aurait exclu l’absence manifeste de pertinence vraisemblable, que

cette formule serait dénuée de toute matérialité puisqu’il serait manifestement impossible de

considérer qu'un contrôle substantiel et non simplement formel concernant l'absence

manifeste de pertinence vraisemblable aurait été effectué.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement cite un descriptif du cas

d’imposition et du but fiscal que l’autorité compétente étrangère lui aurait fourni dans le cadre

de sa demande d’échange de renseignements, duquel il ressortirait que les autorités fiscales

italiennes soupçonneraient Monsieur ... de détenir deux comptes bancaires, ainsi que des biens

financiers au Luxembourg qu’il aurait omis de déclarer à l’administration fiscale italienne et

sur lesquels il n’aurait pas fourni de renseignements malgré le fait d’y avoir été invité. Il

semblerait encore que Monsieur ... détienne directement ou indirectement des parts dans des

sociétés italiennes par le biais de sociétés luxembourgeoises, tout en donnant des informations

précises concernant la structure de participations de ces sociétés.

Étant donné qu'il existerait plusieurs indications que Monsieur ... détiendrait des

investissements et des actifs financiers au Luxembourg, les autorités italiennes demanderaient

à connaître notamment les relations et les engagements entre le contribuable italien visé et les

sociétés luxembourgeoises ..., ... et ....

Quant à la pertinence vraisemblable, le délégué du gouvernement reproche à la

demanderesse d’énoncer les principes retenus dans l’affaire ... sans pour autant en tirer des

conséquences juridiques.

Ensuite quant à l’identité de la personne visée, le délégué du gouvernement considère

que contrairement aux affirmations de la partie demanderesse, ce ne serait pas un groupe de

personnes indéterminées, à savoir les bénéficiaires économiques de la société ..., qui serait

visée par la demande de renseignements, mais les époux ...-....

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Les renseignements demandés tendraient à établir les liens entre les époux ...-... avec

les différentes structures sociétaires mises en place, dont la société ....

En ce qui concerne la finalité poursuivie, le délégué du gouvernement, indique que le

but serait d'obtenir des renseignements quant aux avoirs et revenus détenus par les époux ...-...

au Luxembourg qu'ils n'auraient pas déclarés en Italie malgré invitation de la part des

autorités italiennes en ce sens pour pouvoir les imposer sur l'ensemble de leurs revenus en

Italie.

En ce qui concerne la période concernée, le délégué du gouvernement après avoir cité

les travaux parlementaires de l’article 2, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014, relève

que le législateur aurait expressément permis la récolte de renseignements antérieurs à la date

d’entrée en vigueur d’une convention fiscale.

D'après l'article 19, paragraphe (3) de la loi du 29 mars 2013 portant transposition de

la directive 2011/16/EU, l'administration des Contributions directes pourrait mais ne devrait

pas refuser de transmettre les renseignements demandés. Il s'agirait donc d'une faculté mais

non pas une obligation pour le Luxembourg. Il fait valoir qu’en l’espèce, la nature des impôts,

l'année d'imposition et le but fiscal résulteraient clairement des éléments du dossier, il s'agirait

de chiffrer la fortune et les revenus des époux ...-... pour les années d'imposition visées afin de

pouvoir les taxer sur l'intégralité de leurs revenus en Italie et de pouvoir ainsi déterminer les

montants exacts des impôts directs pour les années en cause.

Il relève ensuite quant à la substance des informations contenues dans la demande et

les droits de la défense que ces éléments viendraient d'être communiqués par ses soins à

travers le mémoire en réponse.

Dans son mémoire supplémentaire, la société demanderesse rappelle en substance les

arguments figurant déjà dans le recours introductif d’instance et considère, quant à la

personne visée par la demande, que le délégué du gouvernement ferait une confusion entre la

personne visée dans la demande d’échange de renseignement et celle visée dans la décision

déférée et qu’en formulant sa question de manière à viser tous les bénéficiaires effectifs de la

société demanderesse, la demande viserait un groupe indéfini de personnes et non une

personne déterminée.

Elle rappelle encore une fois que la personne visée serait uniquement Monsieur ... et

non son épouse, Madame ....

Quant à la finalité poursuivie, la demanderesse considère que la demande des autorités

italiennes telle que figurant dans le mémoire en réponse se contenterait d'exposer la nature des

informations que les autorités italiennes souhaiteraient obtenir sans en indiquer clairement la

finalité. Selon la demanderesse, le but de la demande de renseignements des autorités

italiennes ne ressortirait nullement de celle-ci, alors que la nature de l'impôt visé ne

ressortirait pas de la décision déférée ou de la demande de renseignements telle que reproduite

par le délégué du gouvernement. Or, en plus d'être obligatoirement relative à un contribuable

déterminé, « la condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés

implique[rait] d'abord que la demande porte sur un cas d'imposition précis et spécifique ».

Elle considère que les autorités italiennes souhaiteraient obtenir toutes les informations

possibles et imaginables qu'elles pourraient obtenir en faisant une demande de renseignements

aussi large que possible et sans même préciser la nature de l'impôt. En l'absence de

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communication précise du but fiscal dans lequel les renseignements seraient demandés, force

serait de constater que l'autorité requérante ne ferait qu'aller à la pêche aux renseignements.

Par conséquent, les autorités fiscales luxembourgeoises auraient, à tout le moins,

dû solliciter des éclaircissements permettant de comprendre l'objet de la demande, ce

qu'elles n’auraient pas fait.

Quant à la période visée, la demanderesse ne conteste pas le fait que l'autorité

luxembourgeoise aurait la possibilité de récolter des renseignements sur des années

antérieures à la date d'applicabilité de la Convention. Elle s’interroge néanmoins sur

l’opportunité de fournir ces renseignements dans la mesure où aucune explication ne

viendrait justifier le fait que la demande porte en partie sur des années antérieures à la

date d'applicabilité de la Convention et de la loi du 29 mars 2013. En effet, l'Italie

n'établirait en rien pourquoi les renseignements demandés seraient vraisemblablement

pertinents pour déterminer le revenu imposable au titre d'une année d'imposition

postérieure à l'entrée en vigueur de la Convention et de la loi du 29 mars 2013.

Force est de constater que la demande de renseignements des autorités italiennes est

basée sur la Convention, ainsi que sur la directive 2011/16/UE, transposée en droit interne par

la loi du 29 mars 2013. La décision d’injonction du 7 août 2019, quant à elle, est fondée sur la

loi du 25 novembre 2014.

Ces deux ensembles de dispositions ont des champs d’application distincts en ce qui

concerne tant les Etats liés que les personnes et les impôts visés, de manière qu’ils sont

susceptibles de s’appliquer parallèlement à une situation donnée. La directive 2011/16/UE

prime cependant dans les relations entre Etats membres de l’Union européenne sur les

conventions de non-double imposition conclues par deux d’entre eux non pas en tant que

disposition postérieure, mais en tant que disposition du droit de l’Union européenne

hiérarchiquement supérieure en ce sens que la directive laisse, en principe, entière

l’application de la convention de non-double imposition, mais peut imposer à deux Etats

membres un échange de renseignements dans des hypothèses où la convention de non-double

imposition entre ces deux Etats membres ne le prévoit pas, tout en admettant, au vœu de son

article 1er, alinéa 3, « […] l’exécution de toute obligation des États membres quant à une

coopération administrative plus étendue qui résulterait d’autres instruments juridiques, y

compris d’éventuels accords bilatéraux ou multilatéraux. »1. Etant donné que la directive

2011/16/UE prime sur les conventions de non-double imposition convenues entre Etats

membres, il y a lieu de conclure que la directive 2011/16/UE, ensemble avec la loi du 29 mars

2013 ayant transposé son contenu en droit interne, constitue le cadre légal de référence par

rapport à la décision d’injonction du 7 août 2019.

Il convient de prime abord de trancher le moyen fondé sur l’accès aux informations

minimales.

L’article 3 de la loi du 25 novembre 2014 dispose en son paragraphe (4) que « La

demande d’échange de renseignement ne peut pas être divulguée. La décision d’injonction ne

comporte que les indications qui sont indispensables pour permettre au détenteur des

renseignements d’identifier les renseignements demandés. », tandis qu’en vertu du paragraphe

(1) de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 : « (…) Par dérogation à l’article 3,

1 CJUE, 11 octobre 2007, Européenne et Luxembourgeoise d’investissements SA (ELISA) c. Directeur général

des impôts, C-451/05 ; Cour adm., 17 décembre 2015, n° 36893C du rôle, Pas. adm. 2019, V° Impôts, n°1240.

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paragraphe (4), le tribunal a accès à la demande d’échange de renseignement ainsi que, le

cas échéant, aux demandes de complément d’information et aux compléments d’information

délivrés par l’Etat requérant. Les éléments y contenus et relatifs à l’identité de la personne

visée par la demande d’échange de renseignements et la finalité fiscale des renseignements

demandés sont séparément énoncés dans le mémoire en réponse à déposer par la partie

étatique. Pour préserver les droits de la défense du requérant, le tribunal peut ordonner que

la substance des informations contenues dans la demande d’échange de renseignements ainsi

que, le cas échéant, dans les compléments d’information délivrés par l’Etat requérant lui soit

communiquée, pour autant que ces informations soient pertinentes aux fins de l’examen du

recours et en veillant à ce que cette communication se fasse de manière qui tient compte de la

confidentialité nécessaire. (…) ».

Il découle de ces dispositions que la demande de renseignements n’est pas

communiquée au destinataire de la décision d’injonction, mais que seule la substance des

informations contenues dans la demande d’échange de renseignements est communiquée au

requérant sur ordre du tribunal afin de préserver les droits de la défense.

A cet égard, il convient encore de relever que, dans son arrêt ..., précité, la CJUE a

reconnu à la demande d’échange de renseignements émanant de l’autorité compétente d’un

autre Etat membre un caractère de « secret … [qui] peut ainsi être opposé à toute personne

dans le cadre d’une enquête » (considérant n° 95), qui prohibe sa communication au niveau

de la procédure d’injonction et qui empêche le tiers détenteur de prendre connaissance de son

contenu, y inclus les développements justifiant la pertinence vraisemblable des

renseignements demandés. La CJUE a pareillement jugé dans ledit arrêt que même dans le

cadre d’un recours contentieux engagé par lui, « il n’est pas nécessaire pour l’administré

concerné, aux fins de faire entendre sa cause de manière équitable au sujet de la condition de

pertinence vraisemblable, d’avoir accès à l’ensemble de la demande d’informations. Il suffit

qu’il ait accès à l’information minimale visée à l’article 20, paragraphe 2, de la directive

2011/16, à savoir l’identité du contribuable concerné et la finalité fiscale des informations

demandées » (considérant n° 100).

Suite à l’arrêt ..., la Cour administrative a retenu, à cet égard, qu’ « afin de se

conformer à ces exigences découlant de l’article 47 de la Charte et de l’article 16 de la

directive 2011/16, la loi du 25 novembre 2014 devrait dès lors prévoir un régime procédural

particulier relatif à la demande d’échange de renseignements conformément auquel l’Etat est

tenu de la déposer au greffe de la juridiction administrative saisie et elle ne sera accessible

qu’aux magistrats de la formation collégiale statuant sur le recours introduit sans être

communiquée à la partie requérante. Par contre, la loi devrait prévoir l’obligation pour le

représentant étatique de reproduire dans son mémoire en réponse les indications contenues

dans ladite demande qui sont relatives à l’identité du contribuable concerné et à la finalité

fiscale des renseignements demandés.2».

En l’espèce, il est constant qu’à travers le mémoire en réponse, la substance des

informations contenues dans la demande d’échange de renseignements a été portée à la

connaissance de la société demanderesse, comportant tant l’indication du contribuable visé, à

savoir Monsieur ..., que la finalité fiscale des informations demandées, à savoir découvrir si

Monsieur ... détient des participations dans des sociétés italiennes via des structures de

sociétés luxembourgeoises et vérifier si Monsieur ... détient des comptes bancaires ou des

actifs financiers au Luxembourg, le tout devant la toile de fond du contrôle de la situation

2 Cour adm., 26 octobre 2017, n° 36893Ca du rôle, Pas. adm. 2019, V° Impôts, n°1250.

Page 9: Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg 2e ... · Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre

9

fiscale de Monsieur ... des années 2008 à 2018, de sorte que la société demanderesse a eu

accès aux informations minimales prévues par l’article 20, paragraphe (2), de la directive

2011/16/UE et par l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014. De même, afin de préserver ses

droits de la défense, la société demanderesse a eu l’autorisation de déposer un mémoire

supplémentaire, droit dont elle a fait usage, de sorte qu’aucune violation de ses droits de la

défense n’est vérifiée. Dans ces conditions, la demande de la demanderesse de se voir

communiquer la substance de la demande de renseignement est rejetée comme étant devenue

sans objet.

C’est encore à tort que la société demanderesse reproche à la décision d’injonction de

ne pas contenir la mention de la finalité fiscale des informations demandées et de se limiter à

mentionner les informations sollicitées.

En effet, l’article 3, paragraphe (4), de la loi du 25 novembre 2014 dispose que « la

décision d’injonction ne comporte que les indications qui sont indispensables pour permettre

au détenteur des renseignements d’identifier les renseignements demandés », de manière à

exclure implicitement l’insertion, dans la décision d’injonction même, non seulement de

développements quant aux démarches du directeur et à son analyse en relation avec le

contrôle de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable3, mais aussi d’une description de

la finalité de la demande de renseignements. Il suffit que la partie publique fournisse, dans le

cadre du recours contentieux, les informations concernant l’identité du contribuable et la

finalité fiscale des renseignements demandés et qu’il explicite les raisons pour lesquelles,

d’après l’analyse effectuée par le directeur, ces informations sont de nature à justifier la

pertinence vraisemblable des renseignements demandés.

Il s’ensuit que les reproches tendant à l’omission d’indiquer, dans la décision

d’injonction litigieuse, la pertinence vraisemblable des informations demandées et la finalité

fiscale de la demande d’échange de renseignements sont à rejeter pour ne pas être fondés.

S’agissant de la légalité interne de la décision d’injonction litigieuse, l’article 3 de la

loi du 25 novembre 2014 dispose que : « (1) L’administration fiscale compétente vérifie la

régularité formelle de la demande d’échange de renseignements. La demande d’échange de

renseignements est régulière en la forme si elle contient l’indication de la base juridique et de

l’autorité compétente dont émane la demande ainsi que les autres indications prévues par les

Conventions et lois.

L’administration fiscale compétente s’assure que les renseignements demandés ne

sont pas dépourvus de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité de la personne

visée par la demande d’échange de renseignements et à celle du détenteur des renseignements

ainsi qu’aux besoins de la procédure fiscale en cause. (…) ».

Il résulte de la disposition précitée que l’administration fiscale compétente doit, d’une

part, vérifier la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements et, d’autre

part, s’assurer que les renseignements demandés ne sont pas dépourvus de toute pertinence

vraisemblable eu égard à l’identité de la personne visée par la demande d’échange de

renseignements et à celle du détenteur des renseignements, ainsi qu’aux besoins de la

procédure fiscale en cause.

3 Cour adm. 25 avril 2019 n° 42093C et 42118C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

Page 10: Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg 2e ... · Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre

10

Concernant la notion de la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités par

l’autorité compétente italienne, il y a lieu de souligner que dans son arrêt ..., la CJUE a

délimité le champ du contrôle à exercer par le juge compétent saisi dans l’Etat requis par

rapport à la demande d’injonction en ce sens que « les limites applicables au contrôle de

l’autorité requise s’imposent de la même manière au contrôle du juge »4 et que « le juge doit

uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment

motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de

manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au

contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité

fiscale poursuivie »5.

Le critère de la pertinence vraisemblable se trouve explicité dans le considérant n° 9

du préambule de la directive 2011/16/UE qui le définit comme suit : « Il importe que les États

membres échangent des informations concernant des cas particuliers lorsqu’un autre État

membre le demande et fassent effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces

informations. La norme dite de la « pertinence vraisemblable » vise à permettre l’échange

d’informations en matière fiscale dans la mesure la plus large possible et, en même temps, à

préciser que les États membres ne sont pas libres d’effectuer des « recherches tous azimuts »

ou de demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation

fiscale d’un contribuable donné. Les règles de procédure énoncées à l’article 20 de la

présente directive devraient être interprétées assez souplement pour ne pas faire obstacle à

un échange d’informations effectif ».

La CJUE a encore précisé que « cette notion de pertinence vraisemblable reflète celle

utilisée à l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE tant en raison de la

similitude des concepts utilisés que de la référence aux conventions de l’OCDE dans l’exposé

des motifs de la proposition de directive du Conseil COM(2009) 29 final, du 2 février 2009,

relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ayant conduit à l’adoption de

la directive 2011/16 »6.

La condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés implique

que la demande porte sur un cas d’imposition précis et spécifique et qu’elle soit relative à un

contribuable déterminé, les renseignements demandés devant être vraisemblablement

pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante. En somme, il faut qu’il existe une

possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révèleront pertinents pour

l’enquête menée par l’autorité requérante. En revanche, la décision d’injonction est à qualifier

de « pêche aux renseignements » si elle est fondée sur une demande d’échange de

renseignements qui porte sur des informations qui sont manifestement dépourvues de toute

pertinence vraisemblable pour l’enquête menée par l’autorité requérante et ce, eu égard au

contribuable concerné, au tiers éventuellement renseigné et à la finalité fiscale poursuivie.

Le contrôle de la pertinence vraisemblable des informations sollicitées par l’autorité

requise et par les juridictions se limite ainsi à la vérification que la décision d’injonction se

fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des

informations qui n’apparaissent pas, de manière « manifeste », dépourvues de toute pertinence

4 CJUE, 16 mai 2017, ... c. directeur de l’administration des Contributions directes, C-682/15, point 85. 5 Idem, point 86. 6 Idem, point 67.

Page 11: Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg 2e ... · Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre

11

vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné, ainsi qu’au tiers éventuellement

renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie7.

En ce qui concerne, ensuite, le rôle du tribunal saisi d’un recours en annulation contre

une injonction de communiquer des renseignements, celui-ci est circonscrit par une triple

limitation, à savoir, premièrement, celle découlant de sa compétence limitée de juge de

l’annulation, deuxièmement, celle découlant du fait que la décision directoriale repose à la

base sur la décision d’une autorité étrangère, dont la légalité, le bien-fondé et l’opportunité

échappent au contrôle du juge luxembourgeois, et, troisièmement, celle du critère s’imposant

tant au directeur qu’au juge administratif, à savoir celui de la « pertinence vraisemblable », tel

que défini ci-avant. En ce qui concerne ce dernier critère, il y a lieu de relever que si le juge

de l’annulation est communément appelé à examiner l’existence et l’exactitude des faits

matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ce contrôle doit, en la présente matière,

être considéré comme plus limité, puisque le juge n’est pas appelé à vérifier si la matérialité

des faits donnant lieu au contrôle lequel justifie la demande de renseignements est

positivement établie, mais seulement si les renseignements sollicités paraissent être

vraisemblablement pertinents dans le cadre du contrôle ou de l’enquête poursuivie dans l’Etat

requérant8. La CJUE a, en effet, rappelé, à cet égard, que l’autorité requise ne possède en

général pas une connaissance approfondie du cadre factuel et juridique existant dans l’Etat

requérant, et il ne saurait être exigé qu’elle ait une telle connaissance9.

Il suit de ces considérations que le rôle du juge administratif, en ce qui concerne le

contrôle de la condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés, est

limité, en la présente matière, d’une part, à la vérification de la cohérence de l’ensemble des

explications exposées par l’autorité requérante à la base de sa demande, sans que celle-ci n’ait

à prouver la matérialité des faits invoqués, et, d’autre part, au contrôle de la pertinence

vraisemblable des renseignements demandés par rapport au cas d’imposition précis et

spécifique, c’est-à-dire s’il existe un lien probable entre le cas d’imposition mis en avant par

l’autorité requérante et les informations sollicitées. En conséquence, tel que relevé ci-avant, il

n’appartient pas au juge luxembourgeois de procéder, en la présente matière, à un contrôle de

la matérialité des faits invoqués par l’autorité requérante.10

Il s’ensuit que la société demanderesse ne saurait être admise à apporter la preuve, au

cours de la phase contentieuse, que les explications soumises par l’Etat requérant reposent sur

des faits inexacts. Cette faculté imposerait, en effet, au tribunal de se livrer à un contrôle de la

matérialité des faits à la base de la demande de renseignements de l’autorité étrangère. Or, ce

débat doit être porté par le contribuable concerné devant les autorités compétentes de l’Etat

requérant. Il n’appartient pas non plus au directeur, et corrélativement au tribunal,

d’examiner, d’après le droit de l’Etat requérant, la situation fiscale du contribuable visé dans

l’Etat requérant, cette compétence et les contestations afférentes relevant des seules autorités

de l’Etat requérant.

Dans cette logique, le tribunal est encore amené à conclure que la conséquence de

cette limitation de son rôle est nécessairement celle de qualifier uniquement ceux des

7 Idem, point 86. 8 Trib. adm., 12 juillet 2012, n°30164 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Impôts, n°1258 et les autres références y

citées. 9 CJUE, 16 mai 2017, ... c. directeur de l’administration des Contributions directes, C-682/15, point 77. 10 Cour adm., 27 mai 2014, n°34291C du rôle, Pas. adm. 2019, V° Impôts, n°1258 et les autres références y

citées.

Page 12: Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg 2e ... · Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre

12

renseignements demandés comme vraisemblablement pertinents qui se rattachent au strict cas

d’imposition invoqué par l’Etat requérant, y compris la qualité dont est revêtu le contribuable

selon les explications de l’Etat requérant. Par voie de conséquence, tout renseignement

dépassant le cadre tracé par le cas d’imposition invoqué par l’Etat requérant est à qualifier de

pêche aux renseignements.

Aussi, le juge administratif, pour ce faire, vérifiera, d’une part, si les obligations

imposées à l’autorité requérante ont été respectées quant à la transmission des informations

nécessaires pour la mise en œuvre de l’échange d’information et, d’autre part, si l’autorité

requise a respecté les obligations mises à sa charge.11

Il n’est fait exception à cette limitation du rôle du juge luxembourgeois que dans les

hypothèses où la personne ayant recouru contre une décision directoriale d’injonction de

fournir des renseignements soumet en cause des éléments circonstanciés qui sont de nature à

ébranler le contenu de la demande de renseignements étrangère en des volets essentiels de la

situation à la base de la demande d’échange de renseignements et qui reviennent ainsi à

affecter sérieusement la vraisemblance de la pertinence des informations sollicitées ou

d’autres conditions posées à un échange de renseignements, dont celle relative à l’épuisement

des sources d’informations internes12.

En l’espèce, les autorités italiennes ont identifié Monsieur ... comme la personne

faisant l’objet de leurs opérations de contrôle et quant à laquelle les renseignements sont

demandés au Luxembourg, de sorte que la demande de renseignements satisfait à la condition

de détermination du contribuable.

Quant à la condition selon laquelle la demande doit porter sur un cas d’imposition, de

contrôle ou d’enquête précis et spécifique, force est au tribunal de constater que la demande

de renseignements indique le but fiscal dans lequel les renseignements sont demandés, à

savoir que : « Mr ... (TIN : …) has been reported to our tax authorities as a possible holder of

bank accounts in Luxembourg banks.

In particular, Mr ... could hold the following bank accounts :

- Bank account no. … with … Luxembourg, IBAN : …

- Bank account no. … with …

Moreover, it would appear that Mr ... also has relations with the Luxembourg

Company ...

Therefore, the Office invited him to clarify his position with regard to financial assets

held abroad.

The taxpayer did not provided any clarification or documentation concerning these

two foreign accounts, or regarding any further assets held abroad and not declared to the

italian tax authorities in accordance with the legislation in force.

Moreover, it seems that Mr ... holds shares in some italian companies through foreign

companies.

In particular, the Luxembourg company ... holds 90% of … (ITA,VATnumber …).

11 Cour adm., 27 mai 2014, n°34291C du rôle, Pas. adm. 2019, V° Impôts, n°1258 et les autres références y

citées. 12 Ibid.

Page 13: Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg 2e ... · Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre

13

The companie ...is essentially a holding company that holds stakes in italian

companies, that is to say:

- 20% in … - VAT no … - activities : Construction of LPG and natural gas plants

for motor vehicles - legal seat : ... (LT) via …

- 90% in … - VAT no. … activities : Property management for own account - legal

seat : … ;

- 42% in … — VAT number… activities : Construction of gas cylinders and tanks —

legal seat : ... (…) via …

All these companies are connected in various ways to Mr. ....

With regard to ..., the company has a share capital of € … currently held as such :

- 51% from ...

- 42 % from ...(VAT number …)

- 5% from … (VAT number …)

- 2 % from … (TIN. : …)

It should be noted that until end of 2006, 25% of the shore capital of … was also held

by the company .... for a value of € ...

Considering that there are several indications that Mr. ... holds investments and

financial assets in Luxembourg, we would need to know the relationships and constraints

between the italian taxpayer and the Luxembourg companies ..., ... and ....

In particular, with regard to theses companies, we would need to acquire the

following information, with reference to the period from 2008 to 2018 :

- financial statements ;

- identification number of the companies ;

- corporate structure an persons holding corporate offices ;

- effective holder ;

- activities carried out by the companies ;

- equity investments in other Luxembourg and foreign companies.

Futhermore, in relation to Mr ... and his wife ... (tax code : …), we would need to

know whether these persons hold bank accounts, financial assets and liabilities in

Luxembourg, directly or through third parties and, if so, under what title they hold the same

(direct name, proxy power of attorney, beneficial ownerschip).

With respect to these financial/capital assets, we would also need to acquire the

following information :

- date of opening or entry into possession ;

- any date of disposal or closure ;

- balances or values at the end of the year (always with reference to the period subject

to fiscal control) ;

- contributions and disinvestments made over the years. (…) ».

La demande de renseignements indique encore sous la section …: « General

information on the request for information », sous-section …) « Type of tax » que la demande

de renseignement vise l’« Income Tax » et sous la sous-section …) « Type of Income » celle-ci

vise plus précisément le « Personal Income ».

Page 14: Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg 2e ... · Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre

14

S’il est vrai que l’injonction déférée indique « Please provide the identity of the

beneficial owner of ... », il se dégage de la finalité fiscale décrite dans la demande de

renseignements que l’objectif de la demande est celui de clarifier la situation fiscale de

Monsieur ... au regard de soupçons concernant la détention de comptes bancaires et des

investissements réalisés au Luxembourg, ainsi que la détention de participations de Monsieur

... dans des sociétés italiennes par le biais de sociétés luxembourgeoises, de sorte que les

arguments de la demanderesse concernant la personne visée par la demande et le manque

d’indication de la catégorie, respectivement de la nature de l’impôt visé sont non-fondés pour

manquer en fait, l’administration fiscale italienne ayant spécifiquement visé la détermination

des revenus personnels de Monsieur ... en vue de l’établissement de l’impôt sur le revenu pour

la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2018 comme étant la période faisant l’objet

d’une enquête en Italie.

Il y a dès lors lieu de conclure qu’au regard des explications fournies, la demande vise

un cas d’imposition déterminé, à savoir l’imposition de Monsieur ... en Italie et tend à clarifier

si cette personne dispose de revenus de source luxembourgeoise imposables en Italie ou des

revenus non déclarés en Italie liés à des participations détenues de manière indirecte dans des

sociétés italiennes par l’interposition de sociétés luxembourgeoises.

En ce qui concerne la condition que les renseignements demandés doivent être

qualifiables comme étant « vraisemblablement pertinents », de sorte à prévenir une « pêche

aux renseignements », le tribunal vient de retenir ci-avant que Monsieur ... est désigné dans la

demande de renseignements des autorités italiennes comme la personne faisant l’objet du

contrôle fiscal en Italie et au sujet de laquelle des renseignements sont demandés au

Luxembourg pour les raisons précitées.

En substance, la partie étatique considère que le but de la demande serait d’obtenir des

renseignements quant aux avoirs et revenus détenus par les époux ... - ... au Luxembourg

qu’ils n’auraient pas déclarés en Italie malgré l’invitation en ce sens de la part des autorités

italiennes pour pouvoir être imposés sur l’ensemble de leur revenu et que sur base de ce

constat, les autorités italiennes demandent des renseignements afin de permettre une correcte

imposition en Italie. Ces explications sont en principe suffisantes prima facie pour justifier le

principe de la demande de renseignements sans que les autorités fiscales n’aient, au regard des

conclusions retenues ci-avant, à justifier la matérialité de leurs constats. Il n’est pas requis que

l’Italie fournisse plus de preuves de l’existence de ces faits, mais il suffit qu’il existe, sur base

d’informations vérifiables, un indice vraisemblable en ce sens. Or, au regard des explications

fournies en l’espèce, le tribunal est amené à retenir l’existence d’indices suffisants à cet égard.

Néanmoins et par voie de conséquence, les renseignements demandés par les autorités

italiennes ne peuvent être qualifiés comme vraisemblablement pertinents que dans la mesure

où ils présentent un lien effectif avec le cas d’imposition individuel de Monsieur ....

En ce qui concerne les questions précises posées, le tribunal est amené à retenir que

les questions posées concernant la personne de Monsieur ... paraissent vraisemblablement

pertinentes afin de clarifier la situation fiscale de ce dernier en Italie, puisque les questions

ainsi posées tendent de manière générale à déterminer si Monsieur ... détient des avoirs au

Luxembourg qui n’auraient pas été déclarés aux autorités italiennes, de sorte que ces

renseignements sont à considérer comme vraisemblablement pertinents par rapport au cas

d’imposition visé et par rapport au but fiscal affirmé par les autorités italiennes. Pareillement,

Page 15: Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg 2e ... · Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre

15

s’il est vrai que la personne visée par la demande de renseignements est Monsieur ... et que

celle-ci concerne la détermination de ses revenus personnels, les renseignements visant son

épouse, Madame ... ne sont pas dénués de toute pertinence vraisemblable en raison du lien de

mariage qui les unit, de sorte que les renseignements visant à déterminer les avoirs détenus au

Luxembourg par son épouse sont de nature à éclairer les autorités fiscales italiennes sur

l’existence, respectivement l’absence d’avoirs et de revenus au Luxembourg.

En revanche, la question visant à obtenir l’identité de tous les bénéficiaires

économiques de ... tend non seulement à voir confirmer que Monsieur ..., qui est le

contribuable visé par la demande, est effectivement lié à la société ..., mais elle tend au-delà

de cette confirmation à voir communiquer les identités d’autres personnes ayant les qualités

de bénéficiaires économiques. Force est au tribunal de constater que l’objet de cette demande

ainsi formulée dépasse celui décrit comme faisant l’objet de la procédure d’imposition de

Monsieur ... en Italie, en ce que la demande ainsi libellée est susceptible de viser des

personnes autres que celle visée par la procédure d’imposition italienne, à savoir Monsieur ...,

et qu’il n’est pas établi dans quelle mesure ces informations seraient pertinentes dans le cas

d’imposition visé.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que la décision

directoriale déférée est conforme à l'article 20, paragraphe (2) de la loi du 29 mars 2013

uniquement en ce qu’elle enjoint à la société demanderesse d’indiquer si Monsieur ... et son

épouse ont détenu des participations dans la société demanderesse, ainsi que des informations

générales concernant des investissements dans d’autres sociétés luxembourgeoises ou à

l’étranger.

Par contre, la décision directoriale déférée n’est pas conforme à l'article 20,

paragraphe (2) de la loi du 29 mars 2013 dans la mesure où elle tend à obtenir et à continuer

aux autorités italiennes des renseignements qui ne peuvent pas être considérés comme

vraisemblablement pertinents dans le cadre du contrôle fiscal de ces dernières, en l’occurrence

ceux dépassant les confins ci-avant tracés et visant les identités d’autres personnes, dont

notamment celles des bénéficiaires effectifs de la société, ces personnes n’étant pas visées par

la demande d’échange de renseignements italienne et ces informations ne seraient d’aucune

utilité dans le cadre de la détermination du revenu imposable de Monsieur ....

Il y a dès lors lieu de limiter la demande de renseignements en ce sens. S’il est vrai

qu’une décision administrative indivisible ne peut en principe pas faire l’objet d’une

annulation partielle, tel n’est pas le cas pour une décision dont l’illégalité ne s’étend qu’à

certains de ses éléments, aisément dissociables, auquel cas rien ne s’oppose à ce que le juge

ne prononce que l’annulation de ces chefs illégaux, laissant subsister le reste de la décision.

Etant donné qu’en l’espèce, les renseignements valablement requis par le directeur peuvent

être dissociés de ceux dont il n’a pas pu exiger la fourniture, il y a lieu d’annuler la décision

déférée en ce sens qu’elle enjoint à la société demanderesse ce qui suit : « Please provide the

identity of the beneficial owner of ... ».

En ce qui concerne ensuite la période visée dans la demande d’échange de

renseignements, celle-ci indique que la « Period under investigation » s’étendrait du 1er

janvier 2008 au 31 décembre 2018 et les autorités italiennes sollicitent les informations pour

cette période.

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16

L’article 2, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014 dispose que « Les

renseignements demandés peuvent se rapporter à une ou plusieurs années antérieures à

l'entrée en vigueur des Conventions et lois13 si l'Etat requérant établit que les renseignements

demandés sont vraisemblablement pertinents pour déterminer le revenu imposable au titre

d'une année d'imposition postérieure à l'entrée en vigueur des Conventions et lois. ».

En l’espèce la demande de renseignements des autorités italiennes est basée sur la

Convention, ainsi que sur la directive 2011/16/UE, transposée en droit interne par la loi du 29

mars 2013 et, tel que retenu ci-avant, ces deux normes sont susceptibles de s’appliquer

parallèlement à une situation donnée.

La loi du 29 mars 2013 est entrée en vigueur le 1er janvier 2013, tandis que par une loi

du 14 juin 2013 portant approbation du Protocole additionnel et de l’Echange de lettres y

relatif, signés à Luxembourg, le 21 juin 2012, en vue de modifier la Convention entre le

Luxembourg et l’Italie tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le

revenu et sur la fortune et à prévenir la fraude et l’évasion fiscales, et du Protocole y relatifs,

signés à Luxembourg, le 3 juin 1981, l'article 27 de la Convention relatif à l'échange de

renseignements a été modifié et le Protocole additionnel et l’Echange de lettres sont entrés en

vigueur le 25 octobre 2014 et sont applicables à partir du 1er janvier 2012.

Il s’ensuit qu’au vu de l’application parallèle de ces deux normes au cas d’espèce, il y

a lieu de retenir que des renseignements demandés et relatifs à une période postérieure au 1er

janvier 2012 ne sont pas litigieux au vu de l’article 2, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre

2014 citée ci-avant. Néanmoins, il ressort de cette disposition que pour les années antérieures

au 1er janvier 2012, l'Etat requérant doit établir que les renseignements demandés sont

vraisemblablement pertinents pour déterminer le revenu imposable au titre d'une année

d'imposition postérieure au 1er janvier 2012. Or, si la demande d’échange de renseignements

indique certes que l’enquête fiscale vise les années d’imposition 2008 à 2018, l’administration

fiscale italienne reste néanmoins muette quant aux années qu’elle entend finalement imposer

en Italie et ne fournit aucune explication indiquant qu’elle nécessiterait des renseignements

concernant la période du 1er janvier 2008 au 1er janvier 2012 pour pouvoir déterminer les

revenus personnels de Monsieur ... et établir l’impôt sur le revenu de ce dernier pour les

années postérieures au 1er janvier 2012. Le délégué du gouvernement dans son mémoire en

réponse ne fournit pas davantage d’informations concernant la pertinence de ces informations

pour déterminer l’impôt sur le revenu pour la période postérieure au 1er janvier 2012, de sorte

qu’il y a lieu de déclarer le moyen de la partie demanderesse fondé dans la mesure que l'Etat

requérant n’établit pas que les renseignements demandés sont vraisemblablement pertinents

pour déterminer le revenu imposable au titre d'une année d'imposition postérieure à l'entrée en

vigueur de la Convention, à savoir le 1er janvier 2012. Partant, dans le cadre de son pouvoir

13 Ce terme est défini à l’article 1er de la loi du 25 novembre 2014 qui dispose que : (1) La présente loi est

applicable à partir de son entrée en vigueur aux demandes d'échange de renseignements formulées en matière

fiscale et émanant de l'autorité compétente d'un Etat requérant en vertu:

1. d'une convention bilatérale tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir la fraude fiscale en matière

d'impôts sur le revenu et sur la fortune;

2. d'un accord bilatéral sur l'échange de renseignements en matière fiscale;

3. de la loi du 21 juillet 2012 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives

aux taxes, impôts, droits et autres mesures dans l'Union européenne;

4. de la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal;

5. de la loi du 26 mai 2014 portant approbation de la Convention concernant l'assistance administrative mutuelle

en matière fiscale et de son protocole d'amendement, signés à Paris, le 29 mai 2013 et portant modification de la

loi générale des impôts; et désignés ci-après par «les Conventions et lois».

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17

limité en la matière du contentieux de l’annulation, le tribunal retient qu’il y a lieu d’annuler

la décision déférée en ce sens qu’elle enjoint à la société demanderesse de « fournir, pour la

période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2018 », les renseignements sollicités et de limiter

cette période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2018.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est partiellement

fondé.

Au vu de la solution au fond, il y a lieu de faire masse des dépens de l’instance et de

les mettre pour moitié à charge de la demanderesse et de l’Etat.

La demanderesse sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un

montant de … euros, sous réserve de toute somme même supérieure à arbitrer ex aequo et

bono par le tribunal administratif, sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999

portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, puisqu’elle aurait été

contrainte d’exposer des frais considérables afin d’être en mesure de défendre ses droits dans

le cadre de la présente instance. Elle insiste sur le fait qu’elle aurait été contrainte de déférer

la décision d’injonction du 7 août 2019 aux juridictions administratives, alors qu’il ressortirait

des développements faits dans son recours introductif d’instance et dans son mémoire

supplémentaire que la décision litigieuse ne saurait pas être fondée du fait de la non

pertinence vraisemblable de la demande d’échange de renseignements et des incohérences du

dossier. Elle considère qu’il serait à l'évidence inéquitable de laisser à sa seule charge

l'intégralité de ses frais et honoraires d'avocat non compris dans les frais de justice proprement

dits.

Le délégué du gouvernement pour sa part conteste formellement cette demande tant en

son principe qu'en son quantum. En effet, selon le délégué du gouvernement, la partie adverse

ne préciserait pas en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge exclusive les frais exposés

par elle. Les conditions d'octroi d'une indemnité de procédure ne seraient partant pas remplies.

Le tribunal est amené à constater que l’article 3, paragraphe (4) de la loi du 25

novembre 2014 consacre le principe selon lequel « la demande d’échange de renseignements

ne peut pas être divulguée » et qu’aux termes de l’article 6, paragraphe (1) de cette même loi

et par dérogation à ce principe, seuls les éléments contenus dans la demande d’échange de

renseignements « relatifs à l’identité de la personne visée par la demande d’échange de

renseignements et à la finalité fiscale des renseignements demandés sont séparément énoncés

dans le mémoire en réponse à déposer par la partie étatique » dans le cadre de la procédure

contentieuse. En l’espèce, la partie étatique s’est conformée à ces prescriptions légales, de

sorte qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir indiqué la finalité fiscale dans la

décision d’injonction du 7 août 2019 et de n’avoir communiqué les informations y relatives

que dans le cadre de son mémoire en réponse. Il est certes vrai qu’une telle procédure oblige

le détenteur d’informations d’introduire un recours contentieux contre la décision d’injonction

afin de connaître la finalité fiscale de la demande d’échange renseignements et ainsi de

vérifier la pertinence vraisemblable des informations demandées. Néanmoins cette contrainte

est nécessaire afin de garantir le caractère secret qui s’attache à ce document et ne saurait à

elle seule justifier une indemnité de procédure.

Or, au vu des circonstances particulières et de l’issue du présent litige ayant mené à

une annulation partielle, il paraît inéquitable de laisser à la charge de la partie demanderesse

l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens.

Page 18: Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg 2e ... · Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre

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Aussi, compte tenu des éléments d’appréciation en possession du tribunal, des devoirs

et degré de difficulté de l’affaire ainsi que du montant réclamé, le tribunal accorde à la partie

demanderesse une indemnité de procédure sur le fondement de l’article 33 de la loi précitée

du 21 juin 1999 qu’il évalue ex aequo et bono au montant de … euros.

Par ces motifs

le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare partiellement fondé ;

partant annule la décision du directeur des Contributions directes du 7 août 2019 en ce

qu’elle enjoint à la société ... (i) de fournir les noms de ses bénéficiaires économiques en ces

termes : « Please provide the identity of the beneficial owner of ... » et (ii) de fournir des

renseignements concernant la période antérieure au 1er janvier 2012.

condamne l’Etat à payer à la demanderesse un montant de ...- euros à titre d’indemnité

de procédure ;

fait masse des frais et les met pour moitié à charge de la demanderesse et pour moitié à

charge de l’Etat.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président,

Hélène Steichen, juge,

Daniel Weber, juge,

et lu à l’audience publique du 19 décembre 2019 par le vice-président, en présence du

greffier Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard

Reproduction certifiée conforme à l’original

Luxembourg, le 20 décembre 2019

Le greffier du tribunal administratif