taurillon décembre 2013

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LE TAURILLON DANS L’ARÈNE DECEMBRE 2013 MRXUQDO (XURFLWR\HQ * `( Greece in Crisis p.2 Le tournant énergétique alle- mand : une révolution bancale ? p.3 La communauté musulmane en Pologne p.4 Le Sida en Europe : état des lieux p.5 Le revenu de base : la parole est aux citoyens de l’UE p.6 Metelkova Mesto, un squat au coeur de la capitale Slovène p.7 Le hipster européen p.8 Ballon rond et botte de cuir p.9 Objectif sur ... Naples p.10 Sommaire : 1 Ukraine : nous jouons l'avenir de l'Europe ! Depuis près d'un mois, des dizaines de milliers d'Ukrainiens défilent dans les rues de Kiev, comme déterminés à démettre celui qui a renoncé à signer, fin novembre, un ambitieux accord de libre-échange avec l'Union européenne. Alors que son pays connaît de considérables difficultés économiques, le président Viktor Ianoukovitch semble avoir fait le choix de céder aux pressions d'un Vladimir Poutine désireux de (re)constituer un espace d'influence. Quel rôle l'Europe doit-elle jouer dans ce processus ? Eviter un affrontement frontal avec un gouvernement démocratiquement élu , maintenir la main tendue quant à la signature d'un accord de libre-échange, tout en étant extrêmement ferme sur les risques de sanctions en cas de non- respect des droits et libertés fondamentaux. Du gel des avoirs à la restriction des visas pour les dirigeants ukrainiens, l'Union européenne dispose d'un panel de sanctions dont elle aurait tort de se priver. Or, force est de constater que l'Union européenne est apparue jusqu'à présent bien mesurée sur les sanctions encourues par Kiev, et ce alors que les Etats-Unis n'ont pas hésité à faire preuve de fermeté. Pourtant, si Bruxelles veut éviter une alliance stratégique et militaire sous commandement russe aux portes de l'Union, il importe que les chefs d'Etats et de gouvernements des Etats membres s'accordent sur la position à défendre. Dans tous les cas, les Européens ne doivent pas cesser de porter leurs valeurs et avoir conscience qu'ils jouent leur avenir, car cette crise est sans aucun doute l'occasion de nous interroger sur nos objectifs : quelle aire géographique, quelle identité et quelles perspectives pour l'Europe de demain ? Une suite de questions qui seront, espérons-le, abordées tout au long de la campagne en vue des élections européennes de mai prochain. Alexandre Fongaro Qu'importent les engagements internationaux et plus encore les aspirations des citoyens : le gouvernement décide, le peuple suivra. Ce pari, pour le moins risqué, était sans compter sur la détermination d'une grande partie des Ukrainiens, voyant dans l'Europe un espace de paix et de prospérité dont les Européens de l'ouest ont trop souvent tendance à banaliser les forces et à accentuer les faiblesses. Ainsi, confronté à ce mouvement de rue dont l'on ne peut que déplorer les actes marginaux de violence, le pouvoir en place tente désespérément d'en étouffer les exigences. Au même moment, M. Ianoukovitch, devenu « marchand de tapis », s'adonne à un chantage grotesque auquel Bruxelles ne semble pas disposé à céder. N°17

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Page 1: Taurillon décembre 2013

LE TAURILLON DANS L’ARÈNE ! DECEMBRE 2013

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MRXUQDO�(XURFLWR\HQ

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Greece in Crisis p.2

Le tournant énergétique alle-mand : une révolution bancale ? p.3

La communauté musulmane en Pologne p.4

Le Sida en Europe : état des lieux p.5

Le revenu de base : la parole est aux citoyens de l’UE p.6

Metelkova Mesto, un squat au coeur de la capitale Slovène p.7

Le hipster européen p.8

Ballon rond et botte de cuir p.9

Objectif sur ... Naples p.10

Sommaire :

1

Ukraine : nous jouons l'avenir de l'Europe !

Depuis près d'un mois, des dizaines de milliers d'Ukrainiens défilent dans les rues de Kiev, comme déterminés à démettre celui qui a renoncé à signer, fin novembre, un ambitieux accord de libre-échange avec l'Union européenne.

Alors que son pays connaît de considérables difficultés économiques, le président Viktor Ianoukovitch semble avoir fait le choix de céder aux pressions d'un Vladimir Poutine désireux de (re)constituer un espace d'influence.

Quel rôle l'Europe doit-elle jouer dans ce processus ?

Eviter un affrontement frontal avec un gouvernement démocratiquement élu , maintenir la main tendue quant à la signature d'un accord de libre-échange, tout en étant extrêmement ferme sur les risques de sanctions en cas de non-r e s p e c t d e s d r o i t s e t l i b e r t é s fondamentaux. Du gel des avoirs à la restriction des visas pour les dirigeants ukrainiens, l'Union européenne dispose d'un panel de sanctions dont elle aurait tort de se priver. Or, force est de constater que l'Union européenne est apparue jusqu'à présent bien mesurée sur les sanctions encourues par Kiev, et ce alors que les Etats-Unis n'ont pas hésité à faire preuve de fermeté.

Pourtant, si Bruxelles veut éviter une alliance stratégique et militaire sous commandement russe aux portes de l'Union, il importe que les chefs d'Etats et de gouvernements des Etats membres s'accordent sur la position à défendre. Dans tous les cas, les Européens ne doivent pas cesser de porter leurs valeurs et avoir conscience qu'ils jouent leur avenir, car cette crise est sans aucun doute l'occasion de nous interroger sur nos objectifs : quelle aire géographique, quelle identité et quelles perspectives pour l'Europe de demain ? Une suite de questions qui seront, espérons-le, abordées tout au long de la campagne en vue des élections européennes de mai prochain.

Alexandre Fongaro

Qu'importent les engagements internationaux et plus encore les aspirations des citoyens : le gouvernement décide, le peuple suivra. Ce pari, pour le moins risqué, était sans compter sur la détermination d'une grande partie des Ukrainiens, voyant dans l'Europe un espace de paix et de prospérité dont les Européens de l'ouest ont trop souvent tendance à banaliser les forces et à accentuer les faiblesses.

Ainsi, confronté à ce mouvement de rue dont l'on ne peut que déplorer les actes marginaux de v io l ence , l e pouvo i r en p l ace t en t e désespérément d'en étouffer les exigences. Au même moment, M. Ianoukovitch, devenu « marchand de tapis », s'adonne à un chantage grotesque auquel Bruxelles ne semble pas disposé à céder.

N°17

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LE TAURILLON DANS L’ARÈNE ! DECEMBRE 2013

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Η Ελλάδα εν έτη 2013 δεν είναι και το καλύτερο µέρος να ζησεις, κυρίως για οικονοµικούς λόγους. Δε γνωρίζω τι ακριβώς πιστεύει ο κόσµος στη Γαλλία ή στην Ευρώπη γενικότερα για την όλη κατάσταση της κρίσης, αλλά είναι γεγονός ότι οι άνθρωποι στην χώρα µου αντιµετωπίζουν µεγάλα προβλήµατα, προβλήµατα που δεν περίµεναν πως θα αντιµετώπιζαν τα προηγούµενα χρόνια . Οι µ ισθοί υποδιπλασιάστηκαν, η ανεργία αυξήθηκε. Ειδικότερα στους νέους ανθρώπους, το ποσοστό της ανεργίας αγγίζει το 60-70 τοις εκατό! Ουσιαστικά, κανένας από τους φίλους µου δεν δουλεύει! Ακόµη κι αν κάποιοι από αυτούς δουλεύουν όµως, κάνουν κάποια δουλειά εντελώς άσχετη µε το αντικείµενο των σπου δών τ ο υ ς . Η ηλ ι κ ί α συνταξιοδότησης αυξήθηκε επίσης , και φυσικά και οι συντάξεις µειώθηκαν περαιτέρω. Τα λεφτά του εφάπαξ σχεδόν εξαφανίστηκαν. Όλα αυτά, σε συνδυασµό µε τα µεγάλα χρηµατικά ποσά που πρέπει να πληρώνουν σε φόρους, κάνει την όλη κατάσταση εξαιρετικά δυσµενή. Ο λαός θέλει να πιστέυει ότι τα επόµενα χρόνια η κατάσταση θα καλυτερέψει σύντοµα, αλλά για να πραγµατοποιηθεί αυτό πρέπει οι ίδιοι οι πολιτικοί – όχι µόνο οι Έλληνες – να βοηθήσουν να βγούµε από αυτή τη κρίση. Ο τρόπος ο οποίος επέλεξαν να επιτευχθεί αυτό, φαντάζει πολύ σκληρός στους ίδιους τους Έλληνες, ειδικά όταν τον συγκρίνεις µε τα µέτρα που εφαρµόστηκαν στις υπόλοιπες χώρες της Μεσογείου που υποφέρουν από τα ίδια προβλήµατα. Ελπίζουµε τουλάχιστον πως θα λειτουργήσει! Κανείς δε µπορεί να εξηγήσει τους ακριβείς λόγους αυτής της κατάληξης, πιθανότατα όµως κι άλλα Ευρωπαϊκά κράτη αναµένεται να κάνουν τα ίδια αδιευκρίνιστα λάθη που µας έφεραν σε αυτή την οικονοµική κατάσταση.

Μπακαϊµης Αστέριος

Greece in Crisis

I guess Greece, during the year 2013, is not the best place to live; basically for economic issues. I don’t know what exactly people from France or Europe in general think about the whole crisis situation, but it is true that people in my country face some big problems; problems that they didn’t expect to have during the previous years. Salaries got half, unemployment raised. Especially among young people, unemployment rate is

almost 60-70 per cent! Basi-cally almost none of my friends work! And even if some of them do, it is in a job totally irrelevant with their studies. Retirement age also rose, and of course pen-sions got even smaller. Lump sum money also almost dis-appears. All this, in conjunc-tion with the extra big amount of money that people have to give to taxes, makes the whole situation very unpleasant. People tend to

think that things will get better soon but in order to achieve that, politicians –not only the Greek ones- have to help to get out of this crisis. The way they chose for us to get out this cri-sis, seems really cruel for Greeks, especially compared to the measures that have been applied to the rest of the Mediterra-nean countries, which suffer from the same problems. Hope-fully this will work out well! No one can tell the exact reasons of this outcome, but probably other European nations are about to make the same undefined mistakes that put us in this eco-nomic place.

Bakaimis Asterios

Le dessin

du mois

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ByPierrot

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LE TAURILLON DANS L’ARÈNE ! DECEMBRE 2013

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C e r t a i n s v o i s i n s européens considèrent d'un œil sceptique la révolution énergétique e n t a m é e p a r l 'Allemagne depuis 2 0 1 1 . E n F r a n c e n o t a m m e n t , l e s crit iques vont bon train : explosion des p r i x , s u r c o û t d u c o n s o m m a t e u r . . l ' i n s u f f i s a n c e d e production d'énergie aurait même amené l'Allemagne à importer massivement depuis la France pour pouvoir couvrir sa consommation d'électricité. En effet, les objectifs de cette révolution énergétique sont ambitieux : huit centrales nucléaires ont déjà été fermées suite à la catastrophe de Fukushima, les autres devraient être progressivement mises à l'arrêt d'ici à 2022. Parallèlement, la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité devrait passer de 17% aujourd’hui à 50% en 2030. De même, l'émission de CO2 devrait être réduite de 40% en 2020 allant jusqu'à 80% de réduction en 20502... des engagements bien plus ambitieux que ceux pris par l'Union Européenne elle même. Voilà de quoi être envieux. C'est à se demander si ces critiques adressées à l'Allemagne sont bel et bien fondées ou bien s'il ne s'agit finalement que de prétextes justifiant des politiques énergétiques française et européenne peu audacieuses.

La production d'énergie en Allemagne est-elle suffisante pour pouvoir couvrir ses besoins?

Dans les débuts de la révolution énergétique allemande, les menaces de « blackouts » ou coupures d'électricité planaient sur l e p a y s . P o u r t a n t , l ' A g e n c e f é d é r a l e a l l e m a n d e d'approvisionnement en électricité3 a indiqué dans un rapport de 2012 que l'Allemagne, bien qu'ayant dû revoir à la baisse ses exportations en électricité, restait globalement un pays exportateur. En février 2012, la France, devant faire face à une consommation en électricité particulièrement élevée, aurait même dû demander l'aide de son voisin outre-Rhin.

Depuis quelques années, l'Allemagne s'est lancée dans la construction d'un grand parc éolien au nord du pays. Les éoliennes y poussent comme des petits pains, pendant qu'au sud, les efforts se concentrent sur la production d'énergie solaire. Les jours de soleil et de vent favorable, la production globale d'électricité est donc bien largement supérieure aux besoins du pays. La question n'est donc pas celle de la quantité d'énergie produite, mais plutôt celle de son transport. Le parc éolien en construction au nord de l'Allemagne est un parc en pleine mer, qui pose de nombreux problèmes techniques, notamment celui de l'acheminement de l'énergie produite jusqu'à la côte. Sans compter le réseau de transport d'électricité à travers le pays : seulement 250 kilomètres de ligne ont été construits, 2000 kilomètres sont encore nécessaires pour finaliser le projet. L'Allemagne est donc obligée de demander le soutien de ses voisins européens pour pouvoir transporter l'énergie produite au nord vers le sud du pays. C'est ainsi que des pays tels que la Pologne, la République Tchèque ou encore la Suisse gèrent les aléas de production de consommation d'électricité allemande, risquant eux-mêmes une

s u r c h a r g e s u r l e s réseaux les jours de forte abondance.Les prix de l'énergie ont-ils explosé depuis 2011 ?

L a p r o d u c t i o n é n e r g é t i q u e d a n s l 'ensemble du pays é t a n t g l o b a l e m e n t suffisante, les prix de gros de l'électricité n ' o n t p a s p a r t i c u l i è r e m e n t augmenté. Pourtant

deux facteurs viennent participer à la surcharge financière des consommateurs allemands. La taxe énergétique3 tout d'abord, à laquelle doit normalement participer tout consommateur, entreprise ou individu, public ou privé, soit environ 200 euros par an pour financer la sortie du nucléaire. Une dérogation en faveur des entreprises exposées à la concurrence internationale est cependant prévue. Dans les faits ce sont plus de 2000 entreprises qui profitent de ce système. Deuxième facteur : les entreprises profitent bien souvent des surplus de production en énergie et de la baisse des prix qui y est associée pour augmenter leurs marges au lieu de soulager les consommateurs. Pour l'année 2014, une augmentation de 35 euros de cette taxe énergétique a déjà été annoncée.

L'objectif de réduction des émissions de CO2 est-il respecté ?

De ce point de vue, la révolution verte allemande n'est que partielle. En effet, le taux d'émission de carbone en Allemagne est aujourd'hui plus élevé qu'il ne l'était avant la catastrophe de Fukushima. Le problème est pourtant commun à l'ensemble des pays de l'Union où le marché du carbone pousse les prix à la baisse, incitant d'autant les producteurs allemands à faire marcher les vielles centrales à charbon.

Beaucoup de critiques adressées à l'Allemagne ne sont donc pas justifiées. Bien souvent pourtant, les problèmes sont autres et les effets pervers de cette révolution verte n'en sont pas moins importants. Néanmoins, l'Allemagne est le premier pays européen à avoir si radicalement changé de politique énergétique. De ce point de vue là, elle peut être un modèle pour l'ensemble de l'Europe. Nous ne sommes que dans les débuts de ce tournant énergétique, la patience est donc de mise. Laissons le temps à l'Allemagne de développer les infrastructures adaptées à ses besoins. Et en attendant, sortons de ce statu quo et lançons notre propre révolution plutôt que de tenter de nous rassurer en dénonçant les déficiences d'un modèle qui vient à peine d'être lancé.

Tiphaine Milliez

1-Calculé par rapport aux émissions de 19902- Bundesnetzagentur über die Stromversorgung3-Aide financière venant soutenir les producteurs d'énergie verte

Le tournant énergétique allemand: révolution bancale ou futur modèle européen ?

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TAURILLON DANS L’ARÈNE ! DECEMBRE 2013

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Parlez de la Pologne à une personne qui ne connaît pas grand-chose de ce pays et vous vous apercevrez qu’une des caractéristiques communément retenues est la place prépondé-rante de la religion catholique dans la société polonaise. Loin d’être un cliché sans fondements, cette vision d’une Pologne homogène culturellement est encore d’actualité puisque 91% des polonais sont d’origine catholique et 85% d’entre eux se réclamaient du catholicisme en 2011, le reste étant non-croyant (8%) ou membres d’une autre religion (2%)2. De plus, l’his-toire contemporaine polonaise fait constamment référence à la foi catholique, qu’il s’agisse des « défenseurs de la croix » en 1960 à Nowa Huta, des grèves de 1970 dans les chantiers na-vals de Gdansk (Lech Walesa arborant sur sa chemise la Vierge Noire de Czestochowa) ou bien sûr du règne du Pape Jean-Paul II. Sous la domination soviétique, la religion était le pre-mier moyen d’assurer l’existence de l’idée de nation polonaise, déchirée par différentes partitions et conflits depuis des siècles. Ceci dit, les européens, polonais y compris, devraient s’attar-der un peu sur l’histoire des religions en Pologne, l’histoire des juifs bien évidemment mais aussi une dont on ne parle pas, celle des musulmans.

L’histoire des musulmans en Pologne commence il y a plus de sept siècles, avant bien des pays européens. La com-munauté musulmane polonaise historique s’appelle Tatars (ou Tartares) qui reste assez méconnue bien que le fameux plat éponyme à base de viande de cheval puis de bœuf ait gagné les assiettes de bistrots du monde entier. En 1300, un bataillon de mille guerriers rejoint l’armée, en 1410 la cavalerie tatare se bat aux côtés des troupes polono-lituaniennes et participe à la victoire de Grunwald contre l’Ordre Teutonique. Dès lors se sont succédées des périodes d’intégration et de distinction de la communauté tatare par rapport à la Pologne, depuis le début du siècle dernier les tatars ont néanmoins la volonté d’intégrer pleinement la nation polonaise. Le laxisme de l’Islam tel qu’il est pratiqué par les tatars, en particulier en ce qui concerne la consommation de porc et de vodka, témoigne d’une intégration progressive et pacifique, bien éloignée du choc culturel que l’on pourrait imaginer au premier abord. Tout au long du XXème siècle, les deux communautés ont fusionné et des ta-tars ont participé à l’émigration à destination des Etats-Unis et constituent toujours une partie de la diaspora polonaise. Cette intégration s’est par ailleurs poursuivie en Pologne, toujours dans l’armée qui se dote d’un imam en chef à partir de 1931 ; dans la société civile apparaissent à partir de 1917 diverses associations représentant les musulmans de Pologne qui exis-tent toujours aujourd’hui.

Pourtant, aujourd’hui, la place des musulmans de Pologne est difficile à occuper. Le gouvernement ne tient pas ou presque pas compte des revendications de la communauté musulmane et l’attitude personnelle des polonais à l’égard de l’Islam est extrêmement hostile, tant envers les tatars qu’en-vers des musulmans polonais issus de l’immigration pourtant bien intégrés dans le monde du travail. On peut trouver deux raisons principales à ce rejet de la culture musulmane par les polonais : d’abord une méconnaissance impressionnante de l’Islam et de ses principes (grandement renforcée après le 11 septembre 2001) et surtout le fait que la nation polonaise a survécu pendant des siècles au cours des diverses partitions dont elle a été la victime par le biais de la pratique du catholi-cisme. Depuis la contre-réforme il existe un lien extrêmement fort entre la nationalité polonaise et le catholicisme (« Polak to Katolik »).

Quelles sont les revendications des musulmans polo-nais ? Elles sont simples et se rapportent toutes à la même idée : avoir la possibilité de pratiquer l’Islam dans de meilleu-res conditions. Parmi les mesures demandées : la reconnais-sance du mariage religieux par l’Etat (le mariage religieux

chrétien étant reconnu comme suffisant par la Pologne pour être valable) ou la possibilité de choisir ses jours fériés. L’existence d’un concordat entre l’Etat Polonais et le Saint Siège peut-elle justifier qu’une minorité ne puisse pas prati-quer librement sa religion ? Car c’est bien la pratique reli-gieuse des musulmans qui est entravée, le pays ne compte que quatre mosquées sans tenir compte des ruines des anciennes salles de prière tatares. À Varsovie, en mars 2010, des dizaines de personnes ont manifesté contre la construction d’un centre culturel musulman comprenant une mosquée mais aussi une galerie d’art, un restaurant ainsi qu’un centre aéré et des confé-rences sur l’Islam et le dialogue entre les religions. Les polo-nais ont à tord peur qu’un conflit survienne sur leur territoire qui accueille des musulmans venus principalement du nord-Caucase et ont une attitude extrêmement fermée sur les cultu-res trop différentes de la leur. La position du clergé est am-bigüe sur la question mais une grande partie de celui-ci partage cette peur, estimant que les musulmans désirent à tout prix convertir les polonais, pourtant seulement 28 conversions à l’Islam ont eu lieu en Pologne depuis une vingtaine d’années. À titre d’information, seuls 46% des polonais estiment qu’un dialogue apaisé est possible entre les cultures islamiques et occidentales

On comprend historiquement la tendance des polo-nais à construire la nation autour de la religion, repère sous l’ère communiste, mais un pays membre de l’UE et ouvert sur le monde ne peut plus accepter une définition aussi simple de la citoyenneté. Pour beaucoup, être polonais revient encore à rejeter les cultures allemande ou russe et à se différencier des voisins culturellement plus proches comme la Lituanie ou la Slovaquie. La Pologne a besoin d’une définition positive du patriotisme si elle veut s’intégrer autrement qu’économique-ment en Europe et il en va de la responsabilité de ses gouver-nements de faire des efforts pour réintégrer les minorités reli-gieuses, déjà présentes avant la majeure partie de la construc-tion nationale. Vu de France il apparaît singulier de redouter un choc des cultures et de rejeter une minorité qui ne représente en définitive que 0.1% de la population. Je dirais pour conclure que quiconque reste replié sur lui-même et sa culture est con-damné quoi qu’il arrive à voir une invasion à sa porte.

Ferdinand Cazin

LA COMMUNAUTÉ MUSULMANE EN POLOGNE

- 47% des polonais estiment qu’il y a « trop de musulmans en Pologne ». Ils ne sont qu’environ 31.000.

- 62% estiment que les musulmans « demandent trop à l’Etat ».

- 61% estiment que l’Islam est « une religion d’in-tolérance ».

- 30% pensent que les musulmans « considèrent les terroristes comme des héros ».

Page 5: Taurillon décembre 2013

TAURILLON DANS L’ARÈNE ! DECEMBRE 2013

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LE SIDA EN EUROPE : ETAT DES LIEUX

Le SIDA –syndrome d’immunodéficience acquise- est le virus qui fait le plus de morts aujourd’hui à travers le monde, soit plus de 30 millions depuis que le virus ait été identifié. Bien que le taux de nouvelles contaminations ait diminué sur les quinze dernières années, le Sida reste toujours la cause de 1,7 million de morts par an, dont près de 100 000 en Europe orientale et en Asie centrale. Selon l’Onusida, le programme commun des Nations Unies sur le VIH, même si le nombre de décès dans cette partie du globe est peu élevé, cette région du globe est celle qui enregistre la plus forte augmentation à travers le monde.

Des inégalités géographiques

Tout d’abord, on note que le Sida n’est pas présent avec la même intensité selon la zone géographique étudiée, l’Europe occidentale au sens large devant être dissociée de l’Europe orientale. On pourrait penser que cette « Europe développée » serait moins victime de nouvelles contaminations et on aurait raison. En règle générale, on remarque que les pays de cette région enregistrent un nombre moins élevé de nouvelles vic-times, soit le quart des chiffres enregistrés pour l’Europe orientale. Le Sida est donc loin d’être éradiqué, même dans les pays les plus développés, mais l’Onusida ne cache pas son optimisme : son rapport publié en 2010 estime que nous n’avons jamais été aussi proches de la fin de l’épidémie à court terme.

L’Europe orientale est une région qui enregistre un taux re-cord de nouvelles contaminations puisqu’entre 2001 et 2010, ce sont 250% de personnes en plus qui étaient atteintes du virus. A titre d’exemple, au Botswana, les nouvelles infections ont pu être réduites de deux tiers par rapport aux chiffres des années 1990, ce qui montre un énorme retard de la prise en charge du virus en Europe orientale. La Fédération de Russie et l’Ukraine « regroupent près de 90% des notifications de diagnostics de nouvelles infections à VIH dans cette région [Europe orientale] et ils comptent plus du double de person-nes vivant avec le VIH que l’Europe occidentale et l’Europe centrale réunies » selon l’OMS – Organisation Mondiale de la Santé. Ces chiffres alarmants peuvent expliquer pourquoi un grand programme de lutte, tardif certes, contre le Sida ait été lancé parmi les pays signataires de la CEI –communauté d’Etats indépendants. Les résultats ne seront visibles que d’ici 2015.

Des causes différentes selon les pays

Dans l’ensemble des pays d’Europe occidentale, les principa-les tranches de populations touchées par le Sida sont les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) : ils représentent près de 39% des nouvelles infections en 2011. Les relations hétérosexuelles sont la deuxième cause d’infec-tion, suivie par les contaminations des toxicomanes par voie intraveineuse, 5%. Il est intéressant de voir que le schéma n’est pas du tout le même dans la partie orientale de l’Euro-pe : c’est cette dernière raison qui serait en fait une des prin-cipales causes de contamination, soit 43% des cas. Elle arrive juste derrière les relations hétérosexuelles -48% des cas. Le rapport de l’OMS établit une possible relation entre ces deux voies de contamination en soulignant que « ces dernières années, les pays d’Europe orientale ont observé une augmen-tation du pourcentage de cas de VIH transmis par voie hété-rosexuelle, les toxicomanes par voie intraveineuse en étant l’origine probable ». La consommation de drogues en Europe orientale serait ainsi un enjeu primordial de la lutte contre le Sida.

Or seules 23% des personnes de cette région ont accès à un traitement antirétroviral (ARV), ce qui est bien en deçà de la moyenne mondiale qui est de 47%. Nous l’avons vu précé-demment, le traitement de ces populations est essentiel à l’en-diguement de l’épidémie, mais leur accès aux soins est très limité. C’est pourquoi l’OMS et l’Onusida focalisent leur attention sur le traitement des toxicomanes et a lancé depuis 2011 une campagne cherchant à donner libre accès à des se-ringues stériles en Ukraine. Il ne s’agit donc pas de stigmati-ser ces populations mais de commencer à leur donner un moyen de ne pas répandre davantage l’épidémie.

«Il faut, et on peut, arriver à zéro nouvelle infection dans les années à venir»

Cette déclaration de Michel Sidibé, directeur exécutif de l’Onusida, montre bien l’optimisme de l’organisme. En effet, on remarque que la transmission de la mère à l’enfant est en net recul au niveau mondial et surtout au niveau européen. La Région européenne a ainsi pu garantir un taux de 88% pour la couverture du traitement antirétroviral chez les femmes en-ceintes séropositives en 2010, soit mieux que l’objectif des Nations Unies. « Certaines régions d’Europe, notamment dans la partie orientale, doivent encore mettre en œuvre et intensifier leurs activités de lutte contre l’épidémie fondées sur des bases factuelles. Le Plan d’action européen constitue une excellente feuille de route pour les stratégies et les inter-ventions au niveau national » explique Martin Donoghoe, chef de programme pour le VIH/sida. Il veut bien sûr parler de l’ensemble des pays d’Europe Occidentale où une stagna-tion de l’épidémie est observée, ce qui est déjà une grande avancée après le pic de contamination qui avait eu lieu avant 2004.

Tout n’est donc pas perdu ! Depuis 30 ans, c’est la première fois qu’on enregistre une stagnation de l’épidémie. Les cam-pagnes d’actions et l’accès aux traitements pour les popula-tions les plus défavorisées ont finalement porté leurs fruits. Ce sont près de 38% d’Africains en moins qui meurent du Sida chaque année. Alors il faut continuer de sensibiliser les popu-lations contre le virus. Car malgré les résultats optimistes et quelques 60% de personnes supplémentaires qui ont eu accès aux soins ces dix dernières années, demeure le problème de la discrimination des séropositifs au sein des différentes socié-tés. Et là, malheureusement, aucun pays ne déroge à la règle…

Florence Morel

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TAURILLON DANS L’ARÈNE ! DECEMBRE 2013

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Revenu de base : la parole est aux citoyens de l’UE

La dernière ligne droite est lancée dans la campagne de l’Initiative Citoyenne Européenne proposant à l’Union Euro-péenne de mener des « études pilotes de Revenu de Base Inconditionnel ». Issue du Traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009, l’ICE a pour but de récolter un million de signatures pendant un an à compter de l’enregis-trement de la proposition par la Com-mission. Cette « pétition européenne » doit rassembler des signataires d’au moins un quart des pays membres avec un seuil minimum par pays (un mini-mum de 74 250 en Allemagne, 55 500 en France, 54 750 en Italie ou encore 4 500 à Chypre). Si toutes les ICE n’at-teignent pas le million de signatures (trois sur quinze environ depuis l’ou-verture de la procédure en 2012), elles permettent tout de même de créer le débat, et de le sortir des cercles habi-tuels de réflexion.

Qu’entend-on par « revenu de base » ?

Selon la définition du Réseau interna-tional pour le revenu de base (BIEN), celui-ci consisterait en « un revenu versé par une communauté politique à tous ses membres, sur une base indivi-duelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie ». Le Réseau allemand définit également quatre critè-res :

- « Garantir l’existence et per-mettre la participation sociale »,

- « Constituer un droit indivi-duel »,

- « Etre versé sans avoir besoin de prouver un dénuement quelconque »,

- Et « ne pas impliquer l’obli-gation de travailler ».

Il n’existe pas un seul revenu de base, en témoignent les multiples appellations qui lui sont attribuées : « allocation universelle », « revenu inconditionnel suffisant», « revenu d’existence », « revenu de citoyenneté » ou encore « dotation inconditionnelle d’autonomie ». De l’extrême-gauche altermondialiste et écologiste à la droite traditionnelle de De Villepin et de Boutin, plusieurs propositions ont vu le jour avec toute-fois quelques différences.

Des collectifs de citoyens pour le reve-nu de base ont ainsi fleuri un peu par-tout en Europe, oeuvrant pour la diffu-sion de cette Initiative, et mûrissant leur réflexion autour de l’idée du revenu de base, loin d’être totalement définie.

Un changement de société

Le revenu de base serait inconditionnel. En voilà une drôle d’idée ! Pour accé-der à ce revenu, nul besoin d’avoir un travail rémunéré - que l’innovation et la sempiternelle recherche d’efficience élèveront bientôt au rang de privilège -, cette somme d’argent distribuée men-suellement serait universelle, indivi-duelle, inconditionnelle et suffisante, de la naissance à la mort. Son implication donnerait même un véritable sens à l’article premier de la DDHC de 1789:

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinc-tions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

Avec une somme d’argent alloué sans condition, l’ensemble de notre vision de la société évoluerait, la « valeur travail (rémunéré) » perdrait de son impor-tance – quasi oppressante. La question « quel travail dois-je faire pour vivre ? » se transformerait en « qu’est-ce que je veux faire de ma propre vie ? ».

Entendons-nous bien, par « travail », il ne faut pas voir seulement le « travail rémunéré », cela comprend également le travail domestique, mais aussi l’en-gagement associatif, s’instruire, se cul-tiver, la pratique d’un art, quel qu’il soit. Autant d’activités réduites au rang de « loisirs » dans notre système actuel, mais qui ne demande qu’à se (re)déve-lopper dans une société « autonome ».

Le RDB, une utopie concrète

Malgré ces belles promesses, une per-sonne qui entend pour la première fois parler du revenu de base a toujours la même réaction : « mais plus personne ne travaillerait… et c’est la crise, on n’a pas d’argent pour le financer ! »

En effet, imaginer que tout le monde « profiterait » (le sens que nous donnons à cette expression aujourd’hui montre bien à quel point le mal est profond !) de ce revenu pour prendre du temps pour lui, traduit parfaitement la con-fiance que nous n’avons pas en l’Autre. Puisque quand nous retournons la ques-tion à ces personnes, « mais toi, conti-nuerais-tu à travailler ? », 90% répon-dent par l’affirmative.

Pour ce qui est du financement, plu-sieurs économistes se sont penchés sur la question, et huit pistes sont actuelle-ment proposées. Comme les membres du collectif français pour le revenu de base aiment le souligner : « nous pou-vons considérer le financement comme acquis », dans une société, ne l’oublions pas, qui n’a jamais été aussi riche qu’aujourd’hui.

Les expériences canadienne, améri-caine, brésilienne, namibienne et in-dienne, ainsi que la pétition suisse qui amènera à un référendum sur la ques-tion en 2015, nous prouvent qu’avec de la volonté, tout est possible !

Jusqu’au 14/01/2014, il est possible de signer l’ICE en cl iquant sur : http://basicincome2013.eu/ .

Pierre-Elie Dubois

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METELKOVA MESTO, UN SQUAT AU COEUR DE LA CAPITALE SLOVÈNE

A quelques pas de la gare de Ljubljana se trouve l’Avtonomni kulturni center Metelkova mesto (zone culturelle autonome de la ville de Metelkova). Au-delà des multiples tags et autres œuvres artistiques qui interpellent le passant, il s'agit bel et bien de l’expression d’un réel foisonnement culturel et artistique.

Chaque petit espace est un lieu de création potentielle, l’expres-sion d’idées aussi étranges que fascinantes. Le jour, l’endroit est presque désert, seulement pris d’assaut par quelques touris-tes et habitués des lieux. Mais la nuit, il se transforme pour accueillir les fêtards de tout âge et de tout style, les artistes aussi bien que les sans-abris, pour donner au lieu son ambiance si particulière entre squat et lieu branché de la vie nocturne ljubljanaise.

D’abord quartier général de l’armée austro-hongroise à partir de 1911 avant d’être récupéré par les fascistes italiens puis les nazis jusqu’en 1941, Metelkova a ensuite été placé sous le con-trôle de l’Armée Nationale Yougoslave (JNA) de 1945 à 1991. La JNA a délaissé le quartier à la fin de la guerre des 10 jours opposant la Yougoslavie à la Slovénie, suite à la proclamation de son indépendance. Ce sont donc sept bâtiments, soit environ 12500 m², qui ont alors été laissés à l’abandon en plein cœur de Ljubljana.

En 1990, un Réseau pour Metelkova avait déjà été formé par plusieurs organisations partenaires afin de proposer un nouvel usage pacifique et créatif des casernes. C’est donc logiquement qu’en 1991, ce réseau a réclamé au gouvernement slovène le droit de disposer de cet espace. Mais en 1993, celui-ci a préféré opter pour la destruction des bâtiments inutilisés. Inutilisés ? Qu’à cela ne tienne, on s’y installe ! Plus de 200 activistes ont occupé les lieux dans la nuit du 10 au 11 septembre 1993 en signe de protestation contre la décision des autorités. C’est l’acte de naissance de Metelkova mesto. Depuis 1995, c’est un quartier autonome de Ljubljana. Même s’il n’a pas encore réus-si à obtenir un vrai statut légal, il a été partiellement enregistré au patrimoine culturel national en 2005. D’ailleurs, les guides de voyage ainsi que l’office de tourisme de Ljubljana mention-nent Metelkova comme visite incontournable de la ville.

Aujourd’hui, le quartier accueille différentes organisations et activités artistiques tout au long de l’année. Tous les genres musicaux ont leur propre espace d’expression, du rock au hip-hop en passant par le jazz, la musique électronique, orientale ou encore latine. Chaque soir, les clubs accueillent un ou plusieurs DJ ou groupes appartenant à des univers musicaux très variés. La musique n’est pas la seule forme artistique mise en avant par Metelkova. Les façades des bâtiments rivalisent de tags, des-sins, mosaïques ou autres sculptures. Chacun, artiste ou non, peut apposer sa marque, ce qui fait de Metelkova une œuvre artistique vivante et en renouvellement perpétuel. Dans la jour-née ou la soirée, certains clubs organisent des lectures, des pro-jections de film ou des ateliers créatifs. Certains artistes ouvrent même gratuitement leurs studios aux visiteurs. Pour les plus téméraires, il est même possible de dormir sur place, à l’au-berge de jeunesse Celica Hostel, construite dans l’ancienne prison militaire.

A travers toutes ces activités, Metelkova s’est fixé pour princi-pal objectif de favoriser l’expression des idées d’une culture alternative: féminisme (International Feminist and Queer Festi-val Red Dawns), anarchisme (KUD Anarhiv) et droit des homo-sexuels (Klub Tifanny et Klub Monokel dédiés à la communau-

té homosexuelle) notamment. Ce quartier accueille égale-ment les bureaux de plu-sieurs ONG (City of Wo-men, Peace Institute, etc.). Le fonctionnement de Me-telkova se fait sous la forme de forums, organisés réguliè-rement ouverts à tous les participants. Les décisions y sont prises selon les princi-pes de consensus et de dé-mocratie directe. Les diffé-rents clubs n’ont pas de but lucratif d’où des concerts, projections et restauration à petit prix, voire même sou-vent gratuits et donc acces-sibles à tous.

La vie culturelle qui anime aujourd’hui Metelkova mon-tre que le pari a été large-ment gagné. C’est l’un des rares endroits de Slovénie où une telle culture under-ground est produite en con-tinu et ouverte à un public

aussi large. Pourtant, le quar-tier reste plus ou moins constamment sujet à des attaques. En 2006, un bâtiment construit en plus des autres déjà existants a été détruit car considéré comme illégal. Mais Metelkova souffre surtout d’agressions directes aux idées défendues en son sein. L’accueil d’activités LGBT ou encore antifascistes lui vaut d’être la cible de groupes néo-nazis ou skinhead.

Agathe Riolland

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LE HIPSTER EUROPÉEN

Le 28 mars 2012 la campagne présidentielle est déjà sérieuse-ment engagée lorsque l’Express, chaussant les lunettes noires de la perspicacité, qualifie le président-candidat Sarkozy de « hipster de la politique ». La larme qu’à cette lecture je versai fit déborder le vase de ce qu’en intransigeant esthète il m’était permis de supporter. Ma soif de connaissance, mon amour de la culture, l’élan qui me portait vers la science, tout me pous-sait à prendre à deux mains cette notion revêche, et pour cer-tains déjà dépassée, pour l’extirper de la fange populeuse dans laquelle, lentement, je l’avais vu sombrer. J’ai beau abhorrer les hipsters, je n’en demeure pas moins un passionné de Vérité. Ainsi naquit l’idée de l’étude que je m’apprête à vous résumer, et qui paraîtra sous peu (Les voix du Hipster. Pour une autre sociologie de l’Europe underground, PUF). Mêlant sociologie, géographie, histoire et littérature, dans la tradition de la trans-disciplinarité, et l’agrémentant d’une étude de terrain appro-fondie (observation participante et entretiens), je m’attache à montrer que loin de la définition plébéienne, dite « mains-tream », et américanisante du hypster, il existe bien un hipster européen, aux caractéristiques propres et à l’identité partagée, situé aux antipodes de ce qu’entendait l’Express en qualifiant Sarkozy.

Le terrain de l’irrévérence

La géographie du hipster européen forme une ara-besque complexe de rues et lieux en réseau, dont les courbes enchevêtrées sont autant d’esthétiques barrières dressées entre le sociologue profane et le terrain qu’il souhaite appréhender. Impénétrable, sans doute, aurait été la conclusion qu’un tel sociologue aurait tiré de ses vaines errances le long de cette muraille générationnelle, ne trouvant de portes que trop closes, près de meurtrières par trop suspicieuses. Mais ma finesse hiératique me permit de m’introduire, de me faire accepter, de me fondre dans le métal brulant de cette avant-garde mépri-sante et irrévérencieuse.

Ainsi mon terrain d’étude n’est-il pas uni et détermi-né a priori, mais pluriel et changeant. Néanmoins quelques hauts lieux et quartiers emblématiques peuvent être repérés, en amers inamovibles au milieu de cette houle capricieuse : Hackney et Bethnal Green à Londres, Prenzlauer Berg et Kreuzberg à Berlin, Södermalm à Stockholm, ou encore Kallio à Helsinki. Trois festivals de musique, art déterminant dans l’identité hipster, sont également des centres de gravité du genre à l’échelle européenne, où l’observation participante fut

particulièrement fructueuse : le marginal Iceland Airwaves de Reykjavik, l’immanquable Primavera Sound de Barcelone et le Pitchfork Festival de Paris, déclinaison sur le vieux continent du célèbre festival de Chicago.

Un nain myope sur des épaules de géant

Car oui, le hipster européen partage avec son cousin d’outre-Atlantique certaines caractéristiques et passions. La moustache, les pulls vintages, le rock rétro et l’électro avant-gardiste sont de celles-là, sur lesquelles mon étude revient assez longuement pour que je n’aie pas ici à m’y attarder. Plus intéressants sont en revanche ses goûts pour le mépris, dont il couvre l’ensemble de la plèbe, l’ironie, qu’il s’imagine manier comme un fleuret voltairien, la culture, qu’il dévore en esthète et le style, le bien-écrire, qui valent à ses articles et disserta-tions de tristes pirouettes langagières qu’il prend pour un signe manifeste de génie. Cependant le hipster européen plonge ses racines dans une terre autrement plus profonde, plus riche, que celle de son pendant américain. C’est toute l’identité de l’Europe comme dialogue entre les cultures, telle que l’a défini Umberto Eco, qui participe de la création de cette figure sociologique. A l’image d’André Breton décelant en Lautréamont un précur-seur, le hipster se retourne et découvre dans la culture euro-péenne ceux qui l’ont annoncé : Flaubert et Maxime Du Camp, se moquant de la bourgeoisie rouennaise, Kierkegaard, Nietzche ou même Hans Jonas et son éthique de responsabilité. Mais cet élan vers la culture, cet amour de la connaissance, cette soif de science propres au hipster ne vont pas sans une myopie intellectuelle, qui l’empêche de réellement penser, de réellement créer autre chose qu’un vague balbutiement préten-tieux.

Il n’y a pas loin du Primavera à la Roche Tarpéienne

Surement est-ce cette irrésistible tension à la préten-tion qui fait du hipster un être exécré, molesté, piétiné par les semelles boueuses de la foule. Ses mille mains en Furies ne semblent avoir de cesse qu’elles ne l’aient précipité du haut de la Roche Tarpéienne, et vu sourdre sur ses vêtements les tâches rouge sombre du sang. Mais son ennemi le plus dangereux reste encore lui-même, et peut-être est-ce là son trait le plus distinctif. Le hipster, qui ne s’avouera jamais hipster, plus que tout abhorre les hipsters. La fuite affolée qu’incarne ce déni de réalité, sous-tendue par la recherche toujours pressante d’une avant-garde invisible, le conduit plus directement dans le vide qu’aucun de ces mouvements de masse hostile. Alors que cette nuée sociologique est sur le point de se dissiper, et dans l’attente d’un nouveau mouvement auquel adhérer, je tire les rideaux de l’ignorance et le laisse à vos yeux éblouis apparaître dans sa nudité. Ce qui s’y dévoile est un insupportable paradoxe : le hipster se méprise autant qu’il s’aime, et méprise ce pour quoi il s’aime. Il est Narcisse haïs-sant son image, Pierre roulant son sisyphe et Tantale servant sa propre tête. Il est la solution rongée par le problème, le laby-rinthe enfermé dans le Minotaure. « Même toi, on pourrait te prendre pour un hipster » m’a dit un jour Maxime M. lors d’un entretien. C’est dire !

Maxime Moraud

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Ballon rond et botte de cuir

«Que les jeunes filles fassent du sport entre elles, dans un ter-rain rigoureusement clos, inaccessible au public : oui d'accord. Mais qu'elles se donnent en spectacle, à certains jours de fêtes, où sera convié le public, qu'elles osent même courir après un ballon dans une prairie qui n'est pas entourée de murs épais, voilà qui est intolérable!» Henri Desgranges précise ainsi sa pensée en 1925: le foot ne sera pas féminin.

Longtemps interdit, souvent méconnu, toujours méprisé, le foot féminin s’est progressivement développé et compte aujourd’hui près de 10% du total des licenciés. Un succès qui concrétise une longue aventure semée d’embûches, depuis le British La-die’s Football club en 1894 jusqu’à la première Coupe du Monde féminine en 1991.

Cachez-moi ces crampons que je ne saurais voir

La maison du football, qui côtoie celle du rugby sur l’avenue du masculinisme sportif, a eu du mal à intégrer aux fresques de ses murs l’existence d’un corps féminin. Trop rugueux, sans élégance (n’en déplaise à Van Persie), ce sport de gentlemen joué par des brutes n’offrirait pas aux femmes les conditions d’un bon épanouissement physique et social.

Physique, parce que les coups et l’engagement seraient nocifs pour ces fragiles audacieuses. Social parce que le football fait partie de ces sports dont l’homme s’est offert le monopole de la légitimité et du rayonnement. «L’essor de stades et des rings indique le développement d’un loisir viril qui entend s’affran-chir de l’emprise de la famille sur le temps libre» écrivait Mi-chelle Perrot (1). En effet, le stade et la formule multiplex «piz-za-bière-foot» s’adresse d’abord au coeur des hommes. Ces derniers, trop souvent contraints et attristés par les devoirs de la vie de famille, y trouvent un réconfort, un oasis viril dans un monde de biberons, de longues heures pénibles partagées entre comédie et abandon permanent d’une oreille vers celle qui partage sa vie et ses galères. Il y tient, d’ailleurs, à son arène. A l’image du capitaine qui refuse de damner son équipage par la féminisation de son navire, l’amateur de football tient pour inaliénable son droit de grouper avec ses potes pour regarder jouer son équipe favorite. Son aventure virile, celle que petit il rêvait d’entreprendre en cachette, il la vivra seul, quitte à sacri-fier le réconfort d’une femme pour celui d’une bouteille de rhum ou d’un ballon qui vient mourir en lucarne.

Logiquement, donc, le développement du football en Angle-terre se fait d’abord sans les femmes. Les activités physiques soulevant progressivement des enjeux sociaux particuliers et répondant à des stratégies matrimoniales propres à certaines catégories sociales, il est plus facile de fiancer son fils ou sa fille sur un green, un court de tennis ou une piste d’athlétisme qu’entouré d’ivrognes dans un stade. Une première initiative en 1894, avec le Ladies’ Football Club de Nelly Honeyball et Florence Dixie, deux militantes pour l’égalité des sexes, est rapidement avortée par la Football Association anglaise qui interdit en 1902 à ses clubs affiliés de jouer contre des équipes de jeunes filles. Il faut attendre la Première Guerre mondiale, les hommes au front et les nouvelles politiques sociales des usines pour voir se développer de nouvelles associations spor-tives affranchies des préoccupations ordinaires. Cette fois-ci, la volonté de la part du patronat et du gouvernement britannique de favoriser le bien-être physique de leur nouvelle main d’oeu-vre offre à certaines travailleuses l’opportunité de pratiquer une activité sportive. Le football ou le cricket, pièces centrales de la culture ouvrière, sont particulièrement appréciés.

Intolérable mais vrai

Malgré cette nouvelle di-mension, les débuts du football féminin en Europe ne sont pas toujours ra-dieux. A l’image des mots prononcés par Desgranges en 1925, tous ne s’accor-dent pas sur les bienfaits de cette pratique. En Belgique

et en France, deux pays durement touchés par le conflit et sensibles aux intérêts natalis-tes, on insiste encore au début du XXe siècle sur les dangers physiques que représentent la pratique de ce sport. Sous Vichy, «travail-famille-patrie» obligent, il sera interdit en 1941.

Pourtant, la seconde moitié du XXe siècle consacre l’avène-ment du sport féminin en Europe. La pratique se développe, en particulier dans les pays protestants du Nord, puis dans les pays communistes d’Europe orientale. En Allemagne de l’Ouest, le «miracle de Berne», qui voit la Mannschaft s’imposer en finale de la Coupe du Monde 1954 contre la Hongrie, inscrit dura-blement le football comme élément de l’identité nationale al-lemande et favorise l’amplification du phénomène chez les joueuses en devenir. En Italie, il faut attendre l’initiative de la baronne de Torralbo, passionnée de football, aristocrate et membre du parti monarchiste populaire, pour voir apparaître en 1957 l’Associzione italiana calcio femminile. Peu de temps après, le Danemark organise un premier tournoi féminin en 1960, puis la France reconnaît de nouveau la pratique dès 1964 (2).

L’internationalisation de la pratique se fait d’abord en Europe, puis en direction des Etats-Unis et de l’Asie. Au pays où le football est un sport qui se joue quasi-exclusivement avec les mains, le soccer, qui n’était pas premier sur l’échelle de la viri-lité sportive, a rapidement séduit les jeunes filles. Les Améri-caines remportent d’ailleurs la première Coupe du Monde de football féminin, organisée en 1991 en République Populaire de Chine. Cette initiative de l’Empire du Milieu entend contre-carrer les ambitions taïwanaises de l’époque, à savoir s’affirmer sur la scène internationale par le sport. Le football féminin sera désigné comme leur liberté guidant le peuple, et la fédération invite les délégations européennes et américaines à participer à un tournoi en 1981. C’est la pression exercée sur les instances sportives internationales, telle que la FIFA, qui offrira le tour-noi de 1991 à la RPC.

En 1982, l’UEFA avait créé la première compétition euro-péenne réservée aux sélections nationales féminines A, et il faut attendre 2001 pour que les femmes aient leur propre Ligue des Champions.

Aujourd’hui, c’est probablement le poing serré et le majeur dressé que les footballeuses françaises, victorieuses 14-0 en match de qualification à la Coupe du Monde 2015 contre la Bulgarie, repensent à l’histoire de leur sport.

Théo Girard

(1)M. Perrot, Les Femmes ou les silences de l'Histoire, Paris, Flammarion, 1998.(2) Femmes, culture et politique - Histoire du football féminin en Europe de la Grande guerre jusqu’à nos jours, thèse de doc-torat d’histoire, Xavier Breuil, université Paul Verlaine de Metz.

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OBJECTIF SUR... NAPLES

Ville  du  Sud  de   l’Italie,  c’est   là   qu’est  née  la   tradition  du  caffè   sospeso  ou  café  en  attente.  Un  client  paie  un  ou  plusieurs  cafés  en  avance   qui  seront  offerts  aux  nécessiteux.

C’est   la  ville  de   la   Camorra,  la  branche  de   la  maAia   italienne   rendue  célè-­‐bre  par  le  livre  Gomorra,  adapté  ensuite  au  cinéma  sous  le  même  nom.

C’est  aussi  là  qu’ont  été  tournés  de  nombreux  Ailms,  dont  La  Vie  aquatique  de  Wes  Anderson.  Pas  très  loin,  sur  l’île   de  Capri,  se   trouve   la   villa  Malla-­‐parte  qui  apparaît  dans  le  Ailm  de  Jean  Luc  Godart  Le  Mépris,  avec  Brigitte  Bardot  et  Michel  Piccoli.

Le  catholicisme  y  est   très  mystique.  Si  bien  qu’un   certain  nombre  de  mi-­‐racles   fondent   les   légendes  urbaines  napolitaines.   Il   est   dit  que   le   sang  recueilli  de  Saint   Janvier,  un  des  Saints  patrons  de   la  ville  qui  mourut  en  martyr  en  305,  se   liquéAie   trois  fois  par  an.  Et  chacune   des  liquéfactions  est   célébrée   par   les   habitants.   Si   le   sang   reste   coagulé,   les  Napolitains  l’interprète  comme  un  mauvais  présage  pour  la  Cité.

Installée  au   pied   du  Vésuve,  volcan  en   activité,  les   4  millions   de   Napoli-­‐tains  risquent  à  tout  moment  d’être  victimes  d’une  éruption.  Elle  pourrait  comme  Pompéi  en  l’an  79  être  totalement  ravagée  par  la  coulée.

Là-­‐bas,  le  stade  San  Paolo  accueille  souvent  à  guichet  fermé  les  nombreux  supporters  locaux  du  Napoli.  Une   ferveur  populaire  pour  cette   équipe  qui  traduit   l’importance   du   football   comme   facteur   constitutif   de   l’identité  napolitaine.  

Directeur de publication :Nicolas BILLIET Co-rédacteurs en chef : Alexandre FONGARO Théo GIRARDRédacteurs : Morgane QUEMENER Maxime MORAUD Tiphaine MILLIEZMaquettiste : Baptistine LOPEZ ARAVENA

Imprimeur : COREP Pessac 1 158 avenue du Dr Schweitzer

Dépot légal : à parutionISSN : 2112-3497

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Journal imprimé sur du papier 100% recyclé.