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SPORTS COLLECTIFS LA CONSTRUCTION DE LA CIBLE UN OBJECTIF TRANSVERSAL FONDAMENTAL Pourquoi certains élèves débutants refusent de tenter le tir ? L'objectif de construction de la cible en sport collectif, est selon nous, trop souvent négligé et mérite une attention particulière afin de donner du sens aux apprentissages des élèves. PAR J.-C. THÉVENOT L'enseignement des sports collectifs en EPS est classiquement balisé par l'idée d'une pro- gression entre différents stades admis comme transversaux. Ainsi, dans sa formation, le joueur passerait successivement par les étapes du jeu en grappe, du va-et-vient, du gagne-ter- rain, puis celle du jeu en attaque placée. Cette typologie, couramment admise semble igno- rer la place problématique que prend la situa- tion du tir pour l'élève débutant. Les projets de cycle sont centrés principalement sur tout ce qui se passe a priori hors de cette phase de marque (progression, conservation, récupéra- tion de la balle). Phase qui paraît pourtant cru- ciale pour le gain du match. L'élève apprend à se démarquer pour proposer des solutions au porteur de balle et à s'informer sur l'environ- nement pour décider du choix tactique à opé- rer, mais il est de ce fait quelque peu écarté de la logique de l'activité qui reste de marquer plus de points que l'équipe adverse. Il y a ici conflit entre ce que B. David [1] appelle les représentations de l'action (ce qu'il y a à faire) et les représentations d'action (la traduction contextualisée). Nous suggérons une démarche fonctionnelle proposant de se centrer en premier lieu sur l'action de marquer afin que l'élève s'appro- prie effectivement le but de l'activité. Ce n'est que dans un deuxième temps que nous pose- rons à l'élève les problèmes relatifs à la pro- gression, la conservation puis à la récupéra- tion de la balle. POSITIONNEMENT DU PROBLÈME Nous pouvons distinguer deux niveaux de comportement dans le rapport que le débutant entretient à la cible : soit l'élève est hypercen- tré sur la cible et l'ensemble de ses actions 65 Revue EP.S n°321 Septembre-Octobre 2006 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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SPORTS COLLECTIFS

LA C O N S T R U C T I O N DE LA CIBLE

UN OBJECTIF TRANSVERSAL FONDAMENTAL

Pourquoi certains élèves débutants

refusent de tenter le tir ?

L'objectif de construction de la cible

en sport collectif, est selon nous,

trop souvent négligé et mérite

une attention particulière afin de

donner du sens aux apprentissages

des élèves.

PAR J.-C. THÉVENOT

L'enseignement des sports collectifs en EPS est classiquement balisé par l'idée d'une pro­gression entre différents stades admis comme transversaux. Ainsi, dans sa formation, le joueur passerait successivement par les étapes du jeu en grappe, du va-et-vient, du gagne-ter­rain, puis celle du jeu en attaque placée. Cette typologie, couramment admise semble igno­rer la place problématique que prend la situa­tion du tir pour l'élève débutant. Les projets de cycle sont centrés principalement sur tout ce qui se passe a priori hors de cette phase de marque (progression, conservation, récupéra­tion de la balle). Phase qui paraît pourtant cru­ciale pour le gain du match. L'élève apprend à se démarquer pour proposer des solutions au porteur de balle et à s'informer sur l'environ­nement pour décider du choix tactique à opé­rer, mais il est de ce fait quelque peu écarté de la logique de l'activité qui reste de marquer

plus de points que l'équipe adverse. Il y a ici conflit entre ce que B. David [1] appelle les représentations de l'action (ce qu'il y a à faire) et les représentations d'action (la traduction contextualisée). Nous suggérons une démarche fonctionnelle proposant de se centrer en premier lieu sur l'action de marquer afin que l'élève s'appro­prie effectivement le but de l'activité. Ce n'est que dans un deuxième temps que nous pose­rons à l'élève les problèmes relatifs à la pro­gression, la conservation puis à la récupéra­tion de la balle.

POSITIONNEMENT DU PROBLÈME

Nous pouvons distinguer deux niveaux de comportement dans le rapport que le débutant entretient à la cible : soit l'élève est hypercen-tré sur la cible et l'ensemble de ses actions

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Tableau 1. Identification et analyse des conditions typiques.

consistent à entrer en possession de la balle pour la conduire individuellement vers le but adverse ; soit l'élève refuse de tenter le tir et se débarrasse de la balle. Dans ces deux cas, cela se traduit par un nombre important de pertes de balle et une progression vers la cible stérile. Nous avons choisi de nous intéresser au deuxième cas de figure en référence au texte programme de 1996 qui fixe comme compé­

tence propre au groupement des activités d'opposition collectives : la construction de la cible. Cet objectif prévu pour les classes de 6e semble pertinent au regard des conduites que certains élèves adoptent lorsqu'ils sont confrontés à l'action de marque. En effet, il est fréquent de constater, surtout chez les débu­tants (plus particulièrement chez les filles lors d'une pratique mixte), un refus de prendre l'initiative de tirer. Le joueur interrompt son

action, reste sur place et cherche un partenaire démarqué. Même placés en situation favo­rable devant le but, ils préfèrent attendre l'ar­rivée d'un partenaire « plus expert » qui, lui, prendra ses responsabilités (ceci au risque d'un retour des défenseurs). Ce type de com­portement révèle pour nous la prééminence d'une représentation erronée du but de l'acti­vité. De plus, nous savons que le débutant se caractérise par une prédominance des repré­sentations stratégiques au détriment des capa­cités tactiques d'adaptation à l'évolution du rapport d'opposition. La construction de la cible en tant que but à atteindre devra per­mettre à l'élève d'orienter ses actions vers celle-ci. Il s'agit de lui faire intégrer qu'il est capable de prendre des responsabilités dans l'action de marquer pour le compte de son équipe. C'est ce qui constitue, selon nous, le préalable ci la structuration technico-tactique individuelle et collective du joueur. Nous tentons d'analyser et de dépasser ce type de comportement en proposant un mode d'en­trée dans l'activité privilégiant la construction de la cible.

IDENTIFICATION ET ANALYSE DES CONDUITES TYPIQUES

Nous nous appuyons sur J.-F. Richard [2] qui explique que « les activités mentales peuvent être inférées à partir des comportements et des verbalisations » pour décrire ici les comporte­ments des élèves débutants confrontés à l'ac­tion de marque lors de situations d'évaluation diagnostique (situation de match en effectif réduit). Ces conduites sont ensuite analysées afin de pouvoir extraire des hypothèses expli­catives transversales entre les différents sports collectifs. Le but étant de déterminer des objectifs de transformation tant moteurs que cognitifs (tableau 1). Nous retenons deux indicateurs précisément observables. • L'activité du porteur de balle à l'abord de la zone de but (il tire, il attend, il passe ?). • L'orientation de ses appuis (vers le but, vers un partenaire ?).

Quelle analyse pouvons-nous faire de ces comportements ?

D'une manière générale, nous pouvons constater que les élèves adoptent le même type de comportement quelle que soit l'acti­vité. La conduite la plus courante est celle qui se caractérise par le fait de stopper toute action de progression ou de tir à l'approche de la zone de marque, sans rien tenter. Cette attitude qui consiste à fuir ses responsabilités (par crainte de faire perdre la balle à son équipe au risque de subir les réprimandes de ses partenaires dans certains cas !) reflète, selon nous, un manque de confiance en soi, un manque de connaissance de ses capacités propres ou bien tout simplement un manque de savoir faire face à l'action de tir. Ces élèves n'ont pas construit la cible en tant que but à

Tableau 2. Typologie de l'orientation des appuis du porteur de balle en fonction de son niveau de jeu.

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atteindre. De plus, une petite enquête réalisée par nos soins auprès d'élèves de 6e montre que leur représentation de la logique de l'activité en sport collectif est bien souvent erronée. À la question « que faut-il faire pour gagner en sport collectif ? », la majorité des élèves répond qu'il faut faire des passes en handball, en football et en basket-ball ou renvoyer la balle de l'autre côté du filet en volley-ball. Ici, la notion de cible n'apparaît pas, il semble de ce fait compréhensible que les élèves n'orien­tent pas leurs actions en priorité en direction du but ou de l'espace libre adverse (tableau 2). Les stratégies de rupture de l'échange ou de création d'intervalle visant à placer un parte­naire en situation favorable de tir n'ont alors aucun sens pour eux.

OBJECTIF DE NOTRE DEMARCHE

C'est en visant l'atteinte de la cible dans une logique de rupture ou de gain de points, que l'élève pourra élaborer un ensemble de connaissances technico-tactiques indivi­duelles et collectives au service de son équipe. En prenant ses responsabilités devant le but, il sera davantage impliqué dans l'action et dans la recherche collective de gain du match. Il s'agit de mettre en évi­dence l'idée d'une filiation entre les phases de récupération, de conservation et de pro­gression de la balle avec comme finalité l'action de marque, une logique systémique. C'est parce que l'élève aura intégré la cible comme objectif à atteindre qu'il mettra tout

en œuvre pour conserver la balle et la faire progresser vers l'avant. Il sera ainsi en mesure de construire les compétences liées au démarquage, à la prise de décision rapide, à l'organisation collective de l'espace de jeu, à l'utilisation d'un joueur relais, à l'ac­tion de repli défensif, etc. Toutes ces actions prendront sens pour lui et guideront son apprentissage par une mise en projet collec­tive orientée vers la recherche d'un objectif commun. Il s'agit pour l'élève de construire les compé­tences liées à l'action de marque par la construction d'un comportement responsable et autonome devant le but et dans le jeu en général.

EXEMPLES DE SITUATIONS D'APPRENTISSAGE

L'ensemble des situations présentées respecte plusieurs critères. • L'élève est constamment placé en situation de pression temporelle ou spatiale adaptée. • Le jeu se déroule en effectif réduit. • Les conditions de jeu sont variables et évo­lutives afin de viser une adaptation de l'élève à la future situation de match. • Il y a constamment une oppo­sition avec une équipe ou un adversaire. • Un règlement minimum est respecté. • Un arbitre fait appliquer le règlement ainsi que les consignes. Le suivi de ces paramètres per­met de garantir le respect de la logique des sports collectifs pratiqués.

La construction de la cible en basket-ball (schéma 1) Objectif : coordonner une course avec un tir précis. Dispositif : équipes de 4 joueurs sur chaque panier. 3 joueurs placés en colonne à la moitié du terrain avec un bal­lon pour le premier, 1 joueur placé sous le panier (rebon-deur). Les règles sont celles du bas­ket-ball concernant la manipu­lation de la balle : reprise de dribble, double appui. Consignes : au signal de départ, le porteur de balle (PB) part en dribble pour aller mar­quer. Après son shoot, le rebondeur récupère la balle puis va la donner au PB2 et ainsi de suite. Le panier marqué donne 3 points à l'équipe, le cerceau touché par le haut 1 point.

2 points bonus sont accordés à l'équipe qui finit son tour en premier. But : marquer plus de points que l'équipe adverse. Critère de réussite : marquer au minimum 8 points. Critère de réalisation : prendre l'information sur son placement par rapport au panier tout en dribblant. Se positionner à distance de tir

optimale et de côté. Orienter ses appuis vers la cible. Variables : enchaîner 2, 3, voir 4 passages par élève. Dribbler uniquement main droite ou main gauche. Placer une zone rectangulaire infranchissable devant le panier pour éviter que l'élève ne se retrouve sous le panier.

La construction de la cible en volley-ball (schéma 2)

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Objectif : effectuer un renvoi précis dans l'espace libre.

Dispositif : jeu en 1 contre 1 en confrontation différée sur terrain réduit de 3 m de lar­geur et 6 m de longueur. Un plot placé au centre et à 2 m du filet et deux zones de 1 m sur 1 m de côté. Le lanceur est placé sur le plot et l'atta­quant se positionne où il sou­haite.

Consignes : le l anceur envoie la balle à deux mains sur l ' a t t a q u a n t puis se déplace directement sur une zone la téra le . L 'a t taquant doit renvoyer dans la zone laissée libre. 10 essais par élève, 5 points par zone atteinte, 1 point si la balle est touchée par le défenseur (le lanceur). S'il renvoie, le jeu continue.

But : gagner le match.

Critère de réussite : marquer au minimum 30 points.

Critère de réalisation : identifier la trajectoire de la balle afférente de manière précoce et se placer dessous. Prendre l'information sur le placement de l'adversaire. Orienter ses appuis et ses épaules en direction de la zone cible. Frapper la balle au-dessus du front, légère­ment en avant et pousser avec les jambes.

Variables : modifier la dimension des zones, le moment de départ du lanceur (plus tard pour complexifier, plut tôt pour faciliter). Ne pas autoriser le retour défensif du lan­ceur. Varier les emplacements des zones : une devant et une derrière le lanceur ou en dia­gonale, etc.

La construction de la cible en football (schéma 3)

Objectif : coordonner un déplacement balle au pied avec une frappe ou un tir en course.

Dispositif : 4 porteurs de balle placés au plot, un relayeur, un gardien. Une équipe de défenseurs.

Consignes : le PB fait une passe au relayeur qui lui remet la balle dans sa course (1-2). Le défenseur placé en retrait démarre à ce moment. Chaque but donne 3 points à son équipe , 1 point si le joueur marque un temps d'arrêt dans sa course. Rotations : le tireur devient gardien, le gar­dien devient relayeur et le relaveur devient PB.

But : marquer sans stopper sa course.

Critère de réussite : marquer 7 buts sur 10 tentatives.

Critère de réalisation : frapper la balle avec l ' in tér ieur du pied pour être précis . Le relayeur doit réaliser sa passe en avant de la course du joueur. S'informer sur sa posi-tion, la cible et la position du gardien tout

en manipulant sa balle. Tirer à l 'opposé du gardien.

Variables : le PB part seul sans faire de passe intermédiaire. Imposer un temps de retard au gardien. Faire tirer le joueur depuis une zone située aux ailes. Varier le moment et le lieu de départ du défenseur (derrière, de face, de côté). La même situation est valable en handball.

La construction de la cible en rugby (schéma 4)

Objectif : se reconnaître attaquant et orienter ses appuis en direction de la cible (l'en-but adverse).

Dispositif : 1 contre 1 sur un terrain réduit de 5 m de largeur par 12 m de longueur.

Consignes : deux joueurs A et B se font des passes à la main à une distance de 2 m, de face à l'en-but adverse. Au signal, le joueur en pos­session de la balle devient attaquant et doit aller aplatir dans l'en-but adverse. La balle doit toujours être en mouvement lors des passes. 3 points par essai marqué, 10 passages avec le même adversaire.

But : marquer plus de points que son adver­saire.

Critère de réussite : battre son adversaire.

Critère de réalisation : contrôler sa balle à deux mains contre soi. Orienter ses appuis immédiatement en direction de l 'en-but adverse et courir rapidement dans cette direction et en ligne droite.

Variable : les joueurs sont dos à l'en-but adverse. Le ballon est placé au sol et le pre­mier joueur qui s'en empare après le signal devient attaquant.

Adapter les situations aux réponses des élèves Nous nous appuyons sur des situations dites semi-définies qui permettent d'extraire le problème relevé et de se centrer sur la recherche d'efficacité dans un domaine bien précis de la situation de match : l 'ac­tion de marquer. La pression défensive est volontairement réduite , il s 'agira de la moduler en fonction des réac t ions des élèves à l'aide des variables citées (remé­dia t ion) . Les var ia t ions de contra in tes concerneront soit l'espace de marque (zone cible en volley-ball), soit le lieu de déclen­chement du tir (du centre ou des ailes en basket-ball et en handball), soit le nombre (de 0 à 2) et la place du ou des défenseurs (il part de derrière, de côté, de face). L'adapta­tion de la difficulté objective [3] de la tâche est primordiale afin de placer l 'élève en situation de réussite.

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CE QUE LES ÉLÈVES APPRENNENT

Ce type de situations d'apprentissage a pour objectif de permettre aux élèves les plus novices dans l'activité d'acquérir des connais­sances technico-tactiques liées à l'orientation du jeu vers la cible et à l'action de marque ainsi que l'apprentissage de savoirs « inci­dents » transférables à des activités d'autres groupes. Au niveau cognitif, le joueur modifie son sys­tème de représentation, le but de l'activité devient clair, il faut marquer. Le fait de se faire des passes entre partenaires devient un moyen de progresser vers le but adverse. Dans cette attente, nous avons eu recours à quelques « moyens détournés » issus de l'imagerie mentale en expliquant par exemple que le ter­rain de volley-ball pouvait être comparé à un but de handball allongé au sol et protégé par plusieurs joueurs, le but étant de rompre l'échange en marquant des buts au sol. Nous transformons ainsi l'idée d'une simple zone délimitée en une zone-cible dans laquelle il faut envoyer la balle sans qu'elle ne puisse revenir. Le fait que l'élève oriente son activité inten­tionnelle vers l'action de marque est primor­dial dans notre démarche. Ceci est révélateur d'un changement de représentation mais aussi et surtout d'une modification du statut de l'élève au sein de son équipe. Il prend conscience qu'il a un rôle à jouer pour son équipe et qu'il peut la faire gagner en mar­quant des buts. Il est désormais capable de prendre des initiatives face au but (les expec­tatives de succès le confortant dans cette voie). Le jeune joueur peut ainsi développer un sentiment de compétence favorisant l'éla­boration d'une image de soi positive. Nous nous appuyons ici sur M. Develay [4] qui pré­cise que « le sens est du côté de la prise de conscience » pour formuler l'hypothèse d'un transfert d'intentionnalité entre les tâches. Aussi, nous espérons que l'élève pourra reconnaître des similitudes entre les situations d'apprentissage et la situation de match. Ce transfert se situe au niveau de l'intentionna-lité, que nous pouvons mettre en relation avec un ensemble de comportements observables. Ceux-ci nous permettront de constater que l'élève est bien guidé dans sa démarche par l'intention d'atteindre la cible. Au niveau moteur, l'élève apprend à orienter ses appuis en direction de la cible à atteindre (exemple : l'élève se tourne pour former un angle entre la trajectoire de la balle afférente et l'espace libre sur le côté en volley-ball, il se tourne vers le panier adverse dès qu'il reçoit la balle en basket-ball et non plus vers le joueur qui lui a transmis la balle dans l'intention de la lui remettre). Il est capable de produire un tir en course (enchaînement réception de balle-course-tir en handball). De ce fait, il joue en mouvement et est plus difficilement rattra-pable par les défenseurs proches. Il parvient à surmonter les appréhensions liées à la pres­sion défensive.

Au niveau tactique, dans l'action, l'élève est « mentalement concerné » par le jeu, il demande la balle de la voix (puis par son pla­cement en avant ensuite). Alors qu'aupara­vant, il était hypercentré sur la balle ou bien encore distrait, il semble désormais porter attention à l'évolution de la progression de la balle même si il n'y participe pas directement. On espère que l'élève pourra ainsi trouver un sens à son statut de non porteur de balle. L'ob­jectif pour la suite du cycle sera de l'amener à intégrer ce rôle en tant qu'aide au porteur de balle dans la progression de celle-ci vers la cible (au service de l'équipe) et non en tant que futur porteur voulant s'accaparer la balle. Au niveau technique, nous constatons des apprentissages liés au contrôle (lancer-rattra-per) et à la manipulation de la balle (exemple : conduire la balle avec l'intérieur du pied pour se diriger vers le but tout en prenant des infor­mations sur le placement du gardien afin de tirer à l'opposé en football) ; des apprentis­sages liés à la relation porteur/futur porteur avec l'intégration des notions comme la dis­tance de passe ou la passe dans la course du futur porteur (lors du 1-2 dans la situation de handball) ; des apprentissages liés à l'intégra­tion de la notion de distance de tir (basket-ball) ; des apprentissages liés au touché de balle et à l'utilisation des réactions du sol lors des actions de tir (exemple : contrôler la balle en profondeur par une action des jambes en volley-ball) et des apprentissages liés à la lec­ture et à l'adaptation à la trajectoire de la balle afférente (exemple : se placer sous la balle en volley-ball pour la renvoyer). Tout ceci parti­cipant au développement de capacités comme la coordination (course et lancer), comme la dissociation intersegmentaire (bras-tronc pour une plus grande liberté d'action du bras tireur). Tous ces apprentissages en voie d'ac­quisition par un nombre de répétitions impor­tant. Au niveau de la stratégie collective, l'élève intègre l'ensemble de l'espace de marque, il ne se centre plus uniquement sur l'axe du but mais peut également tirer depuis les ailes. Ceci induira une occupation plus rationnelle de l'espace en utilisant la largeur du terrain favorisant ainsi un « éclatement de la grappe ».

LA SUITE DU CYCLE

Nous respectons ici les étapes socioconatives émotionnelles, fonctionnelles et techniques définies par R. Bui Xuan [51, la suite du cycle devrait concerner les étapes liées à la contex-tualisation, voire à l'expertise. Dans une optique fonctionnelle et systémique de l'apprentissage, nous proposons à la suite de ces situations de nous intéresser à ce qui va permettre à la balle de parvenir à l'abord de la zone de marque en posant à l'élève des pro­blèmes liés à la progression de la balle vers la cible. Ainsi, nous placerons l'élève en situa­tion de 1 contre 1, de 1 contre 2, 3 contre 1, de 2 contre 2, puis 3 contre 2, etc. Nous restons ici sur des situations aménagées afin de ne pas engendrer une trop grande pression à l'atta­quant. L'objectif sera pour l'élève d'intégrer les conditions lui permettant de faire les choix pour atteindre la cible : en tant que porteur de balle (prendre l'information sur son défenseur direct, sur la balle, la cible et son partenaire) et en tant que non porteur de balle (créer une ligne de passe en avant, sur le côté ou en arrière).

Nous tentons d'influencer les intentions tac­tiques et stratégiques des élèves en modifiant leurs représentations. Nous nous plaçons éga­lement dans une optique plus large en visant un transfert d'intentionnalité dans la construction de la cible entre les différents sports collectifs.

Jean-Charles Thévenot Professeur agrégé d'EPS,

Collège Louis Pasteur, Sermaize-les-Bains (51).

[email protected]

Bibliographie [1] David B., « Place et rôle des représentations dans la mise en œuvre d'une APS ; l'exemple du rugby », thèse non publiée, université de Paris sud Orsay, 1993. [2] Richard J.-F., Les activités mentales, A. Colin. Paris. 1990. [3] Famose J.-P., Apprentissage, rôle des représentations, PUF, 1990. [4] Develay M., De l'apprentissage à l'enseignement, ESF, Paris, 1992. [5] Bui Xuan R., Psychopédagogie des activités physiques et sportives, Privat, 1987.

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