organisation et graduation de l'incertitude dans...

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KARATE En prolongement d'un premier article défi- nissant l'option didactique retenue pour enseigner le karaté en milieu scolaire [1], les auteurs proposent un exemple de cycle. L'objectif est ici d'aider les enseignants intéressés par l'activité à construire des contenus, dans le cadre d'un renouveau des APSA proposées dans le groupe des activités physiques de combat, ou plus lar- gement de donner l'occasion de découvrir l'activité dans toutes ses dimensions. ORGANISATION ET GRADU DE L'INCERTITUDE DANS L'OPPOSITION PAR F. HEUSER, D. CHAMINADE Après avoir identifié les savoirs en karaté, issus des analyses his- torique, sportive et artistique de l'activité, nous avons montré quels enjeux de formation l'ensei- gnant pouvait extraire de cette logique, quelles entrées dans l'activité il pouvait envisager en fonction du public et surtout quels obstacles à l'apprentissage étaient le plus souvent rencontrés par les élèves [1]. Partant de là, l'enseignant élabore les contenus de son cycle à partir d'une situation de référence : l'as- saut imposé, en manipulant les variables de l'opposition. Nous laissons délibérément de côté le travail du kata* qui impose d'être spécialiste de l'activité. Or nous voulons justement per- mettre aux néophytes d'y accéder. Nous cherchons à préparer l'élève à affronter l'imprévisible de la situation de combat. Le karaté n'est plus considéré comme une reproduction de formes (les katas) mais comme un sport d'opposition caractérisé par « la contingence de l'épreuve » [2]. Le sens commun de la contin- gence renvoie à ce qui est fortuit, incertain. L'événement contingent est donc l'éventualité. En sport de combat, la contingence de l'épreuve est liée à l'incertitude fondamentale de ce que va faire l'adversaire pour gagner. CONSTRUIRE DES CONTENUS EN KARATÉ Définition de la pratique sociale de référence et incidences péda- gogiques Le karaté peut être défini comme une pratique physique de combat privilégiant la percussion dans le travail pieds-poings, avec possi- bilités de préhension, dans laquelle il s'agit de dominer un adversaire, réel ou virtuel, en lui portant un coup sur une surface corporelle correspondant à un point vital dans la mesure où l'ini- tiative de l'attaque provient de cet adversaire. Cette acception mar- tiale met l'accent sur le fait incon- tournable que le karaté est bien utilisé à des fins uniquement défensives, jamais agressives. • La première incidence pédago- gique à cela tient dans la définition des rôles : le défenseur sera celui qui n'a pas l'initiative de l'attaque. • La deuxième incidence définit notre situation de référence : l'assaut imposé. Dans cette situa- tion, le défenseur répond à une agression en se protégeant et en contre-attaquant afin de ne plus laisser d'alternative à l'attaquant. • La troisième incidence porte sur l'évaluation. Elle n'envisage que celle du défenseur puisque d'un point de vue de l'éthique véhiculé par les arts martiaux, on évitera de valoriser l'attaquant. De plus, il est nécessaire, d'un point de vue sécuritaire, que l'élève contrôle son investissement physique lors de l'assaut, ce qui n'est pas compatible avec la recherche d'une performance en terme de marquage de points, s'il parvient à toucher le défenseur. Situation de référence : l'assaut sur un pas L'assaut imposé implique la différenciation des rôles de défenseur et d'attaquant. Ce dernier a l'initiative de l'attaque. En début d'apprentissage toutes les variables contingentes sont spécifiées. Le déroulement de l'assaut est donc très codifié : l'attaquant avance d'un pas en déployant une attaque unique dont le rythme, la cible, l'arme et la distance sont connues du défenseur. Ce dernier doit la neutraliser et contre-attaquer aussitôt. Afin de pouvoir évaluer le respect de la distance par le défenseur, il est nécessaire que l'attaquant reste sur place une fois son attaque délivrée. L'assaut prend fin et les deux protagonistes peuvent revenir à leur place, face à face, à distance de garde, quand le défenseur a terminé sa contre-attaque (photo 1). Même si les rôles sont différen- ciés au départ de l'assaut, on s'aperçoit qu'à son terme le défen- seur change de rôle : il passe de celui de défenseur à celui d'atta- quant. C'est dans ce renversement du rapport de force que se mani- feste « l'intention stratégique » du combattant [3]. En manipulant les variables de l'opposition, nous complexifions la situation d'assaut. Cela permet à l'élève de construire des savoirs stratégiques mais aussi technico- tactiques, autrement dit un véri- table savoir combattre. Variables de la situation d'op- position L'acte d'enseignement nécessite l'aménagement d'un milieu dont les contraintes doivent garantir le fonctionnement pertinent de l'ac- tivité de l'élève [4]. Ces diffé- rentes contraintes s'expriment pour une grande part à travers les variables didactiques [5], que nous définirons comme EP.S № 326 - JUILLET-AOÛT 2007 15 PHOTOS : AUTEURS Revue EP.S n°326 Juillet-Août 2007 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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KARATE En prolongement d'un premier article défi­nissant l'option didactique retenue pour enseigner le karaté en milieu scolaire [1], les auteurs proposent un exemple de cycle. L'objectif est ici d'aider les enseignants intéressés par l'activité à construire des contenus, dans le cadre d'un renouveau des APSA proposées dans le groupe des activités physiques de combat, ou plus lar­gement de donner l'occasion de découvrir l'activité dans toutes ses dimensions.

ORGANISATION ET GRADUATION DE L'INCERTITUDE DANS L'OPPOSITION

PAR F. HEUSER, D. CHAMINADE

Après avoir identifié les savoirs en karaté, issus des analyses his­torique, sportive et artistique de l ' ac t iv i té , nous avons mont ré quels enjeux de formation l'ensei­gnant pouvait extraire de cette log ique , quel les ent rées dans l'activité il pouvait envisager en fonc t ion du publ ic et sur tou t quels obstacles à l'apprentissage étaient le plus souvent rencontrés par les élèves [1]. Partant de là, l'enseignant élabore les contenus de son cycle à partir d'une situation de référence : l'as­saut imposé, en manipulant les variables de l'opposition. Nous laissons délibérément de côté le travail du kata* qui impose d'être spécial is te de l 'activité. Or nous voulons justement per­mettre aux néophytes d'y accéder. Nous cherchons à préparer l'élève à affronter l ' imprévisible de la situation de combat. Le karaté n 'est plus cons idé ré c o m m e une r e p r o d u c t i o n de formes (les katas) mais comme un sport d'opposition caractérisé par « la contingence de l'épreuve » [2]. Le sens commun de la contin­gence renvoie à ce qui est fortuit, incertain. L'événement contingent est donc l'éventualité. En sport de combat , la con t ingence de

l'épreuve est liée à l'incertitude fondamentale de ce que va faire l'adversaire pour gagner.

CONSTRUIRE DES CONTENUS EN KARATÉ

Définition de la pratique sociale de référence et incidences péda­gogiques

Le karaté peut être défini comme une pratique physique de combat privilégiant la percussion dans le travail pieds-poings, avec possi­b i l i t és de p r é h e n s i o n , dans laquelle il s'agit de dominer un adversaire, réel ou virtuel, en lui portant un coup sur une surface corporel le correspondant à un point vital dans la mesure où l'ini­tiative de l'attaque provient de cet adversaire. Cette acception mar­tiale met l'accent sur le fait incon­tournable que le karaté est bien ut i l i sé à des fins un iquemen t défensives, jamais agressives. • La première incidence pédago­gique à cela tient dans la définition des rôles : le défenseur sera celui qui n'a pas l'initiative de l'attaque. • La deuxième incidence définit not re s i tua t ion de référence : l'assaut imposé. Dans cette situa­tion, le défenseur répond à une agress ion en se p ro tégean t et en c o n t r e - a t t a q u a n t afin de

ne plus la isser d 'a l ternat ive à l'attaquant. • La troisième incidence porte sur l'évaluation. Elle n'envisage que celle du défenseur puisque d'un point de vue de l'éthique véhiculé par les arts martiaux, on évitera de valoriser l'attaquant. De plus, il est nécessaire, d'un point de vue sécuritaire, que l'élève contrôle son i nves t i s s emen t p h y s i q u e lors de l'assaut, ce qui n'est pas compa t ib l e avec la recherche d'une performance en terme de marquage de points, s'il parvient à toucher le défenseur.

Situation de référence : l'assaut sur un pas

L ' a s s a u t i m p o s é i m p l i q u e la d i f f é r enc i a t i on des rô les de d é f e n s e u r et d ' a t t a q u a n t . Ce dernier a l'initiative de l'attaque. En début d'apprentissage toutes les variables contingentes sont spécifiées. Le déroulement de l 'assaut est donc très codifié : l 'attaquant avance d'un pas en déployant une at taque unique dont le rythme, la cible, l'arme et la distance sont connues du défenseur . Ce dern ie r doi t la neut ra l i ser et cont re -a t taquer aussitôt. Afin de pouvoir évaluer le respect de la distance par le dé fenseu r , il es t n é c e s s a i r e

que l 'attaquant reste sur place une fois son at taque dél ivrée. L'assaut prend fin et les deux protagonistes peuvent revenir à leur place, face à face, à distance de ga rde , quand le dé fenseur a t e r m i n é sa c o n t r e - a t t a q u e (photo 1). Même si les rôles sont différen­ciés au dépar t de l ' assaut , on s'aperçoit qu'à son terme le défen­seur change de rôle : il passe de celui de défenseur à celui d'atta­quant. C'est dans ce renversement du rapport de force que se mani­feste « l'intention stratégique » du combattant [3]. En manipulant les variables de l'opposition, nous complexifions la situation d'assaut. Cela permet à l'élève de construire des savoirs stratégiques mais aussi technico-tactiques, autrement dit un véri­table savoir combattre.

Variables de la situation d'op­position

L'acte d'enseignement nécessite l'aménagement d'un milieu dont les contraintes doivent garantir le fonctionnement pertinent de l'ac­tivité de l'élève [4]. Ces diffé­rentes contraintes s 'expriment pour une grande part à travers les var iables d idac t iques [5] , que nous déf in i rons c o m m e

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« celles qui influent sur l'appren­t i s s age et don t l ' ense ignan t peut choisir les valeurs » [6]. En combat , ces variables sont les paramèt res qui condi t ionnent l'affrontement.

L'adversaire

Il représente la première variable à prendre en cons idéra t ion et la p lus i m p o r t a n t e . C h a n g e r d'adversaire dans les situations d 'oppos i t ion est un é lément essentiel de progrès. A travailler toujours avec le même partenaire, on s'habitue à lui, à ses enchaîne­ments, ses réponses, au point de perdre de vue le sens de l'activité qui est de s'opposer et de réagir face à l'incertitude qu'il constitue. L ' adap ta t ion p s y c h o l o g i q u e du combattant à un « contexte différent » selon l'opposant est une composante essentielle de l'activité et permet au demeurant

* Lexique

Kihon : travail technique dans le v ide, sous forme d 'enchaîne­ments à répéter. Ippon kumite : assaut conven­tionnel sur 1 pas Nihon kumite : assaut conven­tionnel sur 2 pas Sanbon kumite : assaut conven­tionnel sur 3 pas. Jyu ippon kumite : assaut libre sur un pas.

Jyu kumite : combat libre. Kata : combat imaginaire contre p l us i eu rs a d v e r s a i r e s , sous forme d'enchaînement imposé de techniques de défenses et d'attaques. Oïtsuki : coup de poing de face. Uraken uchi : coup de poing en revers circulaire fouetté. Mawashi geri : coup de pied cir­culaire.

Kime : puissance et détermina­tion dans la technique réalisée, émanant de la focalisation des énergies mentales et physiques.

à l 'enseignant d'atteindre des objectifs en ter­me de compé­tences générales de solidarité et de citoyenneté. Nous vei l lons donc à ce que les élèves chan­gent régulière­ment de parte­naire de travail dans les situa­

tions proposées, ce qui leur impose de gérer un rapport d'opposition changeant du point de vue straté­gique, tactique et technique. En d'autres termes, si l'adversaire est plus fort, l'adaptation se fait soit dans l ' u rgence , au cou r s même de l'épreuve, soit au niveau tactique. Si l 'adversaire est au contraire plus faible, on a ten­dance à imposer sa stratégie (par définition préétablie). Enfin si l'adversaire est estimé du même niveau, la différence va se faire au niveau technique. L'enseignant peut aménager la situation d'opposition pour désé­quilibrer le rapport de force à des fins d'apprentissage.

Les variables cardinales

Variables techniques

• La c ible (C) : t rois niveaux (haut, médian, bas), ce qui consti­tue trois alternatives. • L'arme (A) : le poing ou le pied. Mais les alternatives sont nom­breuses car les techniques affé­rentes sont variées. Leur nombre va dépendre du choix que l'ensei­gnant a fait en terme d'acquisi­tions techniques. Au cours d'un cycle d'une dizaine d'heures, nous r e t enons t rois a l t e rna t ives : le coup de poing direct (oï tsuki). le revers circulaire fouetté (itra-ken), le coup de pied circulaire (mawashi geri) [ 1 ].

Variables stratégiques

• Le rythme (R) À partir de notre situation de réfé­rence (assau t sur un pas ) , le déclenchement de l'attaque peut être signalé de manière sonore par l'attaquant. Dans un assaut sur p lus i eu r s pas , le ry thme va concerner la régularité de l'en­chaînement de l'attaquant qui est au début imposé puis laissé à l'initiative de l'attaquant.

• La distance (D) C'est sans aucun doute la variable la plus contingente et celle dont la

Niveau de contingence de l'épreuve en fonction du nombre de variables manipulées

Graphique. Graduation de la contingence de l'épreuve en fonction du nombre de variables manipulées

manipulation va le plus mettre en difficulté le défenseur. Au départ de l'assaut, l'attaquant prend sa distance par rapport au défenseur de manière à pouvoir le toucher en avançant d'un pas. Les deux combattants sont immobiles avant le déclenchement de l'assaut. Par la suite, il est nécessaire de tra­vailler en mobilité. L'attaquant fera donc un travail de recherche de distance de manière à déclen­cher son attaque au moment le plus opportun pour toucher et sur­prendre son adversaire. Ces quatre variables (Cible-Arme-Rythme-Distance : tableau ci-des­sus), cardinales au sens où elles sont fondamentales dans la situa­tion d'opposition, représentent le point d'ancrage de notre traitement didactique : la manipulation de ces variables par l'enseignant va dans cette optique lui permettre d'amé­nager la dualité par effet de com­plexification ou de simplification de la situation en organisant la logique de l'affrontement.

La graduat ion de la cont in­gence de l'épreuve

La manipulat ion des variables permet d'aménager la dualité par

effet de complexification ou de simplification de la s i tuat ion. Dans une logique d 'apprentis­sage, la graduation de la contin­gence de l'assaut doit se faire de manière progressive. Plus l'ensei­gnant introduit de variables incer­taines dans la situation d'assaut, plus celle-ci sera cont ingente . Ainsi, s'il rend incertaine l'une des quatre variables, on peut dire que l 'on es t à un niveau 1 de contingence de l'épreuve d'oppo­s i t ion . Dans les assau t s sans incerti tude ou de niveau 1, on parle d'assaut imposé. Dans les cas de 2 ou 3 variables incertaines, (niveaux 2 et 3 d'in­c e r t i t u d e ) , les assau t s seront semi-imposés. La contingence de la situation d'opposition devient importante.

Enf in , le de rn ie r niveau de contingence (niveau 4) corres­pond à un assaut libre : toutes les va r iab les sont ince r t a ines (tableau et graphique ci-dessus).

Trois niveaux de cycles

• Niveau 1 : assauts imposés et s e m i - i m p o s é s soit j u s q u ' a u niveau 2 de contingence.

16 P O U R V O U S A B O N N E R A U X R E V U E S EP.S E T E P S 1 TEL 01 55 56 71 28 EMAIL [email protected] Revue EP.S n°326 Juillet-Août 2007 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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• Niveau 2 : assauts semi-impo­sés et libres, soit jusqu'au niveau 4 de contingence. • Niveau 3 : assauts semi-imposés et l ib res sur p lus i eu r s pas (enchaînement d'attaques).

ORGANISATION DU CYCLE ET DE L'ÉVALUATION Programme et notation

Les a c t i v i t é s p h y s i q u e s de combat sont inscri tes dans les p r o g r a m m e s d ' E P S . Ceux du cycle central restent cependant très généraux et ne traitent l'acti­vité qu'au niveau t ransversa l . L ' a c c o m p a g n e m e n t des p ro ­grammes du cycle central, censé détailler en termes de contenus les compétences à acquérir pour chaque niveau, n'envisage pour autant que les activités de com­bat de préhension (lutte et judo). Seu les que lques a l lus ions au karaté et à la boxe française peu­vent ê t r e r e p é r é e s en in t ro ­duction. Nous nous proposons donc de donner quelques pistes afin de pouvo i r p r o g r a m m e r l'activité karaté dans un établis­sement du second degré. Un cycle d 'apprent issage doit permettre à la fois d'enrichir le vocabulaire moteur spécifique de l'élève et d'envisager les aspects stratégiques de l'activité. Il nous paraît intéressant d'inverser pro­gress ivement le rappor t tech­nique/stratégie sans occulter un des deux pôles.

Les situations proposées doivent être variées et c'est lors de la défi­nition des critères de réalisation et de réussite que l'on peut se focali­ser sur l'un ou l'autre aspect. Le travail purement technique que constitue le kihon peut paraître rébarbatif aux élèves et n'a pas sa place en E P S . C o m m e nous l'avons vu, nous sommes partisans

d'une entrée dans l'activité par l'as­saut (ippon, nihon et sanbon kumite), qui peut à tout moment être un support au perfectionne­ment technique, sans que celui-ci devienne un objectif situationnel. La construction de la distance de garde, la préparation de la dis­tance d'attaque ou l'exploitation de la mauvaise gestion spatiale de l'adversaire sont des priorités en début de cycle. Puis nous nous centrons sur la construction et la l ibérat ion d 'espaces de frappe pour ensui te s 'orienter vers la gestion des déplacements et des feintes, permettant à l'élève d'ex­ploiter ses qualités et de masquer ses faiblesses, autrement dit de gérer le rapport d'opposition.

Objectif général du cycle

Réagir à une attaque pour renver­ser le rapport de force.

Compétences attendues en fin de cycle

Compétences spécifiques

• Esquiver en sortant de la ligne d'attaque. • Bloquer de manière adaptée à l'attaque adverse en utilisant le répertoire technique du karaté. • Contre-attaquer et contrôler sa touche , dans un état de str ict équilibre.

Évaluation de la performance de l'assaut

Compétences propres au groupe • Réagir « vite » en fonction de l'attaque délivrée. • Réagir « avec » : esquiver et bloquer l'attaque adverse. • Réagir « contre » : contre-atta­quer à distance de l'adversaire.

Évaluation terminale du cycle de niveau 1

La per formance du défenseur sera évaluée en fonction de sa capacité à changer de rôle. Si l'enseignant le souhaite, il peut aussi dans le même temps évaluer la performance de l'attaquant en lui attribuant le reliquat de points qui n'a pas pu ê t re donné au défenseur (tableau ci-dessous).

Programmat ion des séances (6 x 2 h)

Séance 1 : Présentation de l'acti­v i té , du cyc le , des moda l i t é s d'évaluation et de la sécurité. Construction de la garde, mise à d i s t a n c e , d i f fé renc ia t ion des rôles, des cibles et des armes.

Séance 2 : A p p r e n t i s s a g e d'un coup de poing c i rcu la i re (uraken). Assauts sur un pas sans incertitude.

Séance 3 : App ren t i s s age du coup de pied circulaire (mawashi geri). E n c h a î n e m e n t s p i e d s -poings. Assauts sur deux et trois pas sans incertitude.

Séance 4 : Assauts sur un pas avec augmentation progressive de l'incertitude.

Séance 5 : Travail de révision. Préparation de l'évaluation : mise en place des groupes de niveaux.

Séance 6 : Évaluation terminale.

Contenus des séances

La trame de la leçon 1 que nous détaillons en suivant n'est qu'un exemple possible. Son objectif principal est de donner un bagage technique minimum à l 'élève, notamment en ce qui concerne la

garde, les rôles, la distance et le travail du coup de poing de face et de blocages possibles. Pour éviter de scléroser le travail des é l è v e s , nous leur p r o p o s o n s d'apprendre des armes circulaires (pieds et poings) dans les 2 e et 3 e

séances afin d'aborder l'enchaîne­ment pieds-poings et de ce fait les assauts sur plusieurs pas.

SÉANCE 1

Échauffement (20 min)

Les élèves sont répartis dans le gymnase. Nous leur demandons d'enlever montres et bracelets.

Consignes de réalisation : Passer en revue les a r t i cu l a t i ons et groupes musculaires, de bas en haut : travail en flexion, rotation des chevilles, genoux, hanches, épaules, coudes, poignets et cou : étirement des principaux groupes musculaires qui vont être solli­ci tés : i sch ios - jambiers , qua-driceps, adducteurs, pectoraux, triceps brachial.

Critères de réussite : augmenta­tion du rythme cardiaque, suda­tion, sensation de dénouage mus­culaire.

Situation 1 (10 min)

But (photo 2) Attaquant (A1) : se déplacer, en garde. Défenseur (D1) : être capable de rester à distance de garde de A'.

Espace : Occupation optimale de l'espace par les doublettes.

Consignes de réalisation

• A1 : se déplacer, en garde. • D 1 : chercher à rester à distance

(jeu du miroir).

Critères de réussite

• Pas de variat ion de dis tance entre A1 et D r. • A1 commande le déplacement. • D r change de garde en fonction de celle de A'.

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Situation 2 (10 min)

But (photo 3) At : toucher D r . D r : ne pas être touché par At.

Espace : identique à la situation 1.

Sécurité : respecter la consigne de cible : entre épaules et hanches (tronc).

Consignes de réalisation • At : être mobile pour créer des ouvertures. Enchaîner, feinter.

• D r : esquiver, bloquer.

Critères de réussite • Contrôle de la touche. • Reprise de distance après un enchaînement.

Situation 3 (10 min)

But : Apprendre le coup de poing (CP) de base (photo 4).

Espace : par 2, les élèves partent tous du même côté du gymnase.

Consignes de réalisation • At et Dr sont face-à-face, la même jambe avancée, les mains croche­tées au niveau des hanches. • At avance et simultanément D r

recule. Tous les deux déclenchent le CP en même temps.

Critères de réussite • Poser le pied - frapper. • Simultanéité des actions dans le CP.

• Distance de touche respectée : dos droit, bras tendu.

Situation 4 (10 min)

But et organisation : identiques à la séance 3.

Consignes de réalisation

At et D r n'ont plus les mains cro­c h e t é e s . Po ings fe rmés , un au-dessus de la hanche, l'autre au niveau du plexus de l'adversaire, bras tendu (photo 5).

Critères de réussite

• Poser - frapper. • Précision du coup : plexus. • Distance de touche (contrôle).

Situation 5 (10 min)

But et organisation : identiques aux séances 3 et 4.

Consignes de réalisation

Identiques à la séance 4, mais l'élève doit réaliser une série de CP niveau haut (cible menton), puis une niveau bas (cible ventre) (photos 6 et 7). Critères de réussite Ident iques à la séance 4, avec précision du coup en fonction de la cible visée et contrôle strict de la touche.

Situation 6 (15 min)

But : Apprentissage des blocages (photos 8,9, 10). Organisation : ident ique aux séances 3, 4, 5. Consignes de réalisation • At avance, CP niveau haut en séries, D r recule et bloque de bas en haut.

• At avance, CP niveau milieu (cible plexus), D r recule et bloque sur le côté. • At avance, CP cible basse, D r

recule et bloque de haut en bas.

Critères de réussite • Ne pas être touché. • « Verrouiller » le bras qui bloque par une rotation du poignet en fin de blocage (photos 11,12, 13).

Situation 7 (10 min)

But : Application dans un assaut sur trois pas.

Organisation : ident ique aux séances précédentes.

Consignes de réalisation • At part en garde et avance sur un pas en donnant CP cible haute, puis enchaîne sur un deuxième pas, CP cible milieu et termine par CP cible basse. • D r recule d'un pas sur chaque attaque, délivre le blocage adapté et termine après le dernier blocage par une contre-attaque, CP cible libre.

Critères de réussite

• Respect des critères de réussite précédents. • R e s p e c t de la d i s t ance à la contre-attaque.

Niveaux de compétences en assaut sur plusieurs pas

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Niveaux de compétences en assaut imposé, non imposé ou libre sur un pas

Niveaux de compétences en assauts imposés, non imposés ou libres

Dans les séances suivantes du cycle de niveau 1, nous cherchons à amener chaque élève à progres­ser dans l'assaut sur un ou plu­sieurs pas et ainsi à gérer le maxi­mum d'incertitudes. Suivant le niveau du groupe et le déroule­ment du cycle, nous intégrons ou non de l'incertitude dans l'assaut sur un pas. Dans cette optique, l'élève devient acteur de ses apprentis­sages : il gère sa progression d'un niveau à l'autre avec des

indicateurs de passage de l'un à l'autre simples et fiables (tableau ci-dessus). Dans un cycle de niveau 2, l'en­seignant peut se centrer sur la graduation de l'incertitude dans la situation de référence, le but étant que les élèves puissent gérer un assaut libre en fin de cycle (jyu ippon kumite : assaut sur un pas arme et cibles inconnues du défenseur). Dans un cycle de niveau 3, on pourra envisager la même graduation de l'incertitude mais sur des assauts plus complexes, à savoir sur plusieurs pas (sanbon kumite) (tableau, p 18).

Frédéric Heuser Professeur d'EPS,

DAPS Université Toulouse I, Doctorant au LEMME,

équipe AP3E, Université Toulouse III.

Email : frederic. heu ser @ un iv-tlse 1. fr

David Chaminade Professeur agrégé d'EPS,

LP Roland Garros, Toulouse. Email : [email protected]

* Les mots en italiques sont définis dans le lexique en encadré, p 16.

Bibliographie [1] Heuser F., Chaminade D., « Gérer le couple «risque-sécurité », Revue EP.S n° 300, mars-avril 2003.

[2] Terrisse A., « La transmission du savoir combattre : essai de définition à travers l'évolution des conceptions de l'enseigne­ment du judo à l'école dans la Revue EP.S de 1950 à 1994 ». Revue Française de Pédagogie n° 116, INRP, Paris, 1996 [3] Terrisse A. et coll., « Le savoir com­battre, essai d'élucidation », Revue EP.S n° 252, mars-avril 1995. [4] Margolinas C, De l'importance du vrai et du faux dans la classe de mathématiques. Ed. La pensée sauvage, Grenoble, 1993. [5] Loison D., « Analyse des pratiques d'enseignement du judo : identification du savoir transmis à travers les variables didactiques utilisées par les enseignants en club et en EPS », Thèse de doctorat en sciences de l'éducation. Université Paul Sabatier Toulouse III, 2004. [6] Brousseau G., Théorie des situations didactique, Ed. La Pensée sauvage, Grenoble, 1998.

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EP.S № 326 - JUILLET-AOÛT 2007 19 Revue EP.S n°326 Juillet-Août 2007 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé