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ACTIVITÉS GYMNIQUES Entrer par la musique Et si l'on partait de la musique pour créer un enchaînement en gymnastique rythmique ou en acrosport ? PAR L. MOUGENOT O bserver les prestations finales des élèves dans les activités gymniques col- lectives révèle de fortes disparités quant à la qua- lité des enchaînements. En effet, certains groupes se distinguent largement par leur composition, la manière d'agencer les éléments en un tout harmonieux et cohé- rent ou encore par une relation musique/mouvement particuliè- rement recherchée. L'oeil du spectateur est sensible à cet aspect qualitatif de l'enchaîne- ment, qui reste difficilement mesurable, chiffrable, mais qui témoigne d'une véritable compé- tence en suscitant des émotions chez le spectateur. Un compromis est donc à établir entre les exi- gences liées à l'évaluation termi- nale et le caractère personnel, la créativité faisant appel à l'origi- nalité et à l'émotion, c'est-à-dire au côté artistique. LA MUSIQUE Très souvent, quand elle est utili- sée, la musique est plaquée sur un enchaînement déjà construit, ce qui entraîne une relation musique/mouvement très aléa- toire, voire complètement absente. Construire un enchaîne- ment prend beaucoup de temps, ce qui explique que la musique est souvent placée au second plan, généralement à la demande d'élèves ayant un niveau de com- pétence confirmé et qui veulent encore progresser. Les obstacles Les obstacles à l'utilisation de la musique, dès le début du travail, sont de plusieurs ordres. Le choix musical doit faire l'ob- jet d'un consensus entre les divers membres du groupe. • L'accent est mis par les ensei- gnants sur l'apprentissage de figures, de pyramides en acro- sport ou de manipulations d'en- gins en GR, d'éléments isolés et fractionnés qui serviront ensuite dans la phase de composition. Le travail en musique devant les autres élèves est une difficulté. Cela déclenche un sentiment de gêne qui explique le recours tar- dif à un accompagnement musi- cal, considéré plus comme fond sonore que comme élément déter- minant de la chorégraphie. Intérêt de la construction d'un enchaînement collectif à partir de la musique Selon nous, l'utilisation de la musique, dès les premières séances du cycle, est un moyen non seulement indispensable mais facilitant. Partir de la musique privilégie une relation qualitative musique/mouvement indispen- sable à un enchaînement ; offre des repères spatiotemporels précis à l'ensemble du groupe (le travail d'ensemble notamment est valo- risé dans la note d'exécution) et suscite motivation, jovialité, origi- nalité. Composer un enchaînement, c'est chercher à établir le plus possible de concordances entre la musique et le mouvement : varier les actions motrices pour enrichir le contenu de l'enchaînement ; gérer au mieux les composantes espace-temps-énergie ; savoir complexifier son enchaînement et vérifier le contenu par rapport EPS 330 - MARS-AVRIL 2008 23 Revue EP.S n°330 Mars-Avril 2008 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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ACTIVITÉS GYMNIQUES

Entrer par la musique Et si l'on partait de la musique pour créer un enchaînement en gymnastique rythmique ou en acrosport ?

PAR L. MOUGENOT

Observer les prestations finales des élèves dans les activités gymniques col­lectives révèle de fortes disparités quant à la qua­

lité des enchaînements. En effet, certains groupes se distinguent largement par leur composition, la manière d'agencer les éléments en un tout harmonieux et cohé­rent ou encore par une relation musique/mouvement particuliè­rement recherchée. L'œil du spectateur est sensible à cet aspect qualitatif de l'enchaîne­ment, qui reste difficilement mesurable, chiffrable, mais qui témoigne d'une véritable compé­tence en suscitant des émotions

chez le spectateur. Un compromis est donc à établir entre les exi­gences liées à l'évaluation termi­nale et le caractère personnel, la créativité faisant appel à l'origi­nalité et à l'émotion, c'est-à-dire au côté artistique.

LA MUSIQUE

Très souvent, quand elle est utili­sée, la musique est plaquée sur un enchaînement déjà construit, ce qui entraîne une relation musique/mouvement très aléa­toire, voire complètement absente. Construire un enchaîne­ment prend beaucoup de temps, ce qui explique que la musique

est souvent placée au second plan, généralement à la demande d'élèves ayant un niveau de com­pétence confirmé et qui veulent encore progresser.

Les obstacles Les obstacles à l'utilisation de la musique, dès le début du travail, sont de plusieurs ordres. • Le choix musical doit faire l'ob­jet d'un consensus entre les divers membres du groupe. • L'accent est mis par les ensei­gnants sur l'apprentissage de figures, de pyramides en acro­sport ou de manipulations d'en­gins en GR, d'éléments isolés et fractionnés qui serviront ensuite dans la phase de composition. • Le travail en musique devant les autres élèves est une difficulté. Cela déclenche un sentiment de gêne qui explique le recours tar­dif à un accompagnement musi­cal, considéré plus comme fond sonore que comme élément déter­minant de la chorégraphie.

Intérêt de la construction d'un enchaînement collectif à partir de la musique Selon nous, l'utilisation de la musique, dès les premières séances du cycle, est un moyen non seulement indispensable mais facilitant. Partir de la musique privilégie une relation qualitative musique/mouvement indispen­sable à un enchaînement ; offre des repères spatiotemporels précis à l'ensemble du groupe (le travail d'ensemble notamment est valo­risé dans la note d'exécution) et suscite motivation, jovialité, origi­nalité. Composer un enchaînement, c'est chercher à établir le plus possible de concordances entre la musique et le mouvement : varier les actions motrices pour enrichir le contenu de l'enchaînement ; gérer au mieux les composantes espace-temps-énergie ; savoir complexifier son enchaînement et vérifier le contenu par rapport

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aux exigences demandées. De plus, la dimension collective de l'acrosport et de la GR apporte d'autres contraintes aux élèves comme celles de dessiner et structurer l'espace (les forma­tions et leur évolution, la gestion des déplacements) ; de varier les allures, les modes de déplace­ment (directions, etc., par rapport au public) ; d'alterner des séquences de travail (en synchro­nisation, en sous-groupe, en cas­cade, etc.) et de varier les rela­tions aux autres. La composition d'un enchaîne­ment collectif nécessite beaucoup de travail et de répétitions pour qu'il puisse être présenté à un jury ou à des spectateurs en fin de cycle. La répétition est essentielle pour mémoriser les actions et être ensemble sur la musique. Répéter régulièrement en musique permet de développer la capacité d'adap­tation spatiotemporelle, préalable à une composition harmonieuse et fluide. C'est pourquoi le choix musical doit être élaboré très tôt dans le cycle.

Deux problèmes majeurs découlent de l'utilisation de la musique Le choix de la musique lié à la culture musicale Les élèves sont imprégnés par l'univers médiatique de musiques binaires, métriques, fortement cadencées, peu nuancées et peu complexes. Il est nécessaire de leur faire écouter et exploiter

d autres styles de musiques (tableau 1 ). Commencer par ceux qui conservent certaines caracté­ristiques appréciées par les jeunes mais avec des paramètres musi­caux plus variés. Le goût musical dépendant de l'âge et de la cul­ture. Il s'agit de mettre d'accord le groupe d'élèves sur un style particulier puis sur une musique, enfin de les aider à exploiter au mieux les différents paramètres

musicaux. On peut résumer le choix musical par la formule : choix musical = goût des élèves + caractère varié de la musique. La relation musiqueImouvement Elle concerne les élèves mais aussi l'enseignant qui doit leur démontrer que la musique ne sert pas uniquement à mesurer le temps ou induire une ambiance, mais qu'elle est un élément de la production expressive, artistique

quel que soit le niveau de pra­tique. Il s'agit donc d'être en musique, d'entrer dans une rela­tion de synchronisation, mais aussi de traduire le style tout au long de l'enchaînement (choré­graphie, difficulté avec ajout d'élément particulier, relation entre gymnastes, etc.). Compétences La réalisation de compositions cohérentes, plus diversifiées et mieux adaptées à la personnalité des élèves (1). Ces compétences s'inscrivent dans la logique des activités, c'est-à-dire intégrant le caractère sportif et artistique. Apprendre à utiliser la musique est une spéci­ficité de ces activités, essentielle pour atteindre un niveau de com­pétence 2 voire 3 (2). Pour les élèves et l'enseignant Il s'agit d'avoir une culture musi­cale diversifiée (style, caractère expressif) ; de savoir analyser une musique (caractère rythmique, connaissances minimales en sol­fège) ; structuration du temps (tempo, phrase, silence) et de réa­liser des montages cohérents, variété des parties, coupures aux bons endroits.

Moyens utilisés pour atteindre ces compétences L'écoute variée: diversifier les musiques notamment à réchauf­fement, lors des séquences de

1. LES CATÉGORIES DE MUSIQUE (F. Napias, Brochure de formation de cadres GRS)

24 POUR VOUS ABONNER AUX REVUES EP.S ET EPS 1 TEL 01 55 56 71 28 EMAIL [email protected] Revue EP.S n°330 Mars-Avril 2008 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

travail et offrir la possibilité aux élèves d'apporter leur musique; caractériser la musique par des adjectifs, des mots, différencier les parties, etc. L'analyse de la musique : repérer les thèmes, les phrases identiques ou différentes, le nombre de phrases par thème, le refrain ; frapper la pulsation ; compter le nombre de pulsations par phrase ; repérer divers accents, silences, ruptures, etc. Ici les exercices d'échauffement. notamment, per­mettent de travailler en rythme et d'adapter des actions corporelles à la musique : par exemple chan­ger de direction, d'intention à chaque modulation du thème musical (passage au sol, relation, etc.) ou changement de phrase. Marquer les accents, matérialiser les pulsations par des actions simples (marche,course, sautilles et actions corporelles plus glo­bales), etc.

Les montages musicaux s'avè­rent généralement indispensables pour obtenir une variété tout en tenant compte de la durée de l'en­chaînement. Les montages peu­vent facilement se faire sur cas­sette audio ou sur ordinateur à partir de CD. Tout comme l'en­chaînement, la musique doit pré­senter clairement un début, une fin et au milieu des parties diffé­

rentes. Selon la structure du mor­ceau les coupures se réalisent toujours à la fin d'un bloc (4 fois 8 temps pour un musique binaire) ou d'une phrase musicale. Ceci est important pour inciter les

élèves à être en musique et utili­ser des repères précis pour arriver à être ensemble et connaître les adaptations nécessaires à effec­tuer en cas de discordance musique/mouvement.

SCHÉMA GÉNÉRAL D'UN CYCLE EN SECONDE Échauffement D'environ 30 minutes, il conserve une base commune (phases 1, 2 et 3) réutilisée à

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chaque séance pour gagner du temps, habituer les élèves à enchaîner différentes actions cor­porelles, à compter et prendre en compte les caractéristiques d'une musique tout en étant actifs. Cela nécessite de réaliser un montage musical adapté aux différentes situations d'échauffEment. La phase 1. dynamique, concerne des déplacements variés sur des musiques de type 1 ou 2. Les élèves se déplacent en cercle ou par vagues. Par exemple, faire des sautilles variés à la corde en GR.

La phase 2, préparation physique généralisée (PPG), comprend des

séries d'exercices mobilisant les différentes parties du corps, au sol et debout. Par exemple, faire des séries d'abdominaux (4 fois 8 temps) sur un rythme soutenu. La phase 3 consiste à faire des étirements sur une musique calme, d'ambiance de type 3. Il s'agit ici d'insister sur le calme nécessaire au relâchement mus­culaire. La phase 4, dynamique, porte sur l'évolution des exercices au cours du cycle selon le niveau des élèves. Les éléments gymniques et acrobatiques sont travaillés par vagues ou en diagonale. Par exemple en pliométrie, enchaîner

des actions motrices simples avec utilisation du tempo pour identi­fier le rythme des actions à effec­tuer (repères temporels précis). Le corps de séance

Nous choisissons de présenter les grandes lignes d'une progression, trame générale largement adap­table, qui aboutit à un projet col­lectif fini et correctement exécuté (tableau 2). Les situations et les contenus d'enseignement sont différents d'une classe et d'un groupe à l'autre.

La fin de séance Réserver le plus souvent possible

un quart d'heure minimum pour que chaque groupe passe au moins une fois devant les autres et montre soit un enchaînement imposé, soit une minicréation, soit une séquence de son enchaî­nement. Cette phase s'accom­pagne d'une rapide discussion autour d'un thème: par exemple l'utilisation de l'espace. Com­ment l'améliorer ? Quelle idée intéressante ?

ILLUSTRATIONS Échauffement La phase 1 en GR : saut à la corde Organisation : travailler dans la

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2. TRAME GÉNÉRALE DES SÉANCES

diagonale, marcher sur la largeur pour venir se placer dans l'autre diagonale. Par vagues, en musique, respecter le tempo en réalisant des séquences de sautilles variés sur 8 temps, à enchaîner plusieurs fois : - sautilles avant en sautant à la corde et en passant d'un appui sur l'autre sur chaque temps , - sautilles arrière, - 4 sautilles avant sur 4 temps ( un passage de corde par temps) sui-vis d'un sautillé avant d'une durée de 4 temps (freinage de la corde à la verticale haute pour ne passer qu'une fois dans la corde en 4 temps), - 2 sautilles en avant, 1 sautillé croisé, et 1 sautillé avant, le tout sur 4 temps, suivis d' 1 sautillé avant, d'un assemblé (appel deux pieds) et d' 1 saut double dans la corde le tout sur les 4 autres temps. Critère de réussite Enchaîner la séquence 4 fois en la démarrant toujours sur le premier

temps d'une phrase musicale (dessin 1, p.25). La phase 4 en acropsort ou GR Organisation Enchaînement d'éléments ensemble sur 8 temps, deux par deux. Enchaîner la séquence sur toute la diagonale du praticable, sans s'arrêter en respectant le tempo flexion, prise d'élan, sur­saut, assemblé, saut vertical 360° (volte complète), réception, rou­lade avant, flexion, prise d'élan, etc. (dessin 2, p.26). Critère de réussite Enchaîner 3 fois la séquence en restant ensemble et toujours en musique.

Séances 1,23 Un mini-enchaînement semi-imposé en acrosport Par groupe de 4, sur une musique définie. Début : 2 par 2 face à face. Le déplacement des 2 porteurs (P) est imposé, il se termine par une position au sol.

Trouver le déplacement des 2 vol­tigeurs (V) sur 8 temps ainsi que leurs positions sur les porteurs. Au changement de phrase musi­cale (après 2 fois 8 temps), le groupe de 4 (P et V) se retrouve en station debout pour enchaîner une liaison imposée avant la mise en place d'une pyramide à 4 libre. Organisation Chaque groupe a un espace déli­mité. Les phases imposées sont apprises collectivement puis un temps de recherche est donné. La musique est passée régulièrement pour que chaque groupe puisse s'essayer plusieurs fois. L'ensei­gnant guide les élèves groupe par groupe pour les accompagner dans leur construction. Critères de réussite Tous les groupes commencent et terminent en même temps en se «calant» sur la musique. Les pyramides sont maintenues 8 temps minimum.

Séance 4 Placer des éléments choisis sur une musique connue En fonction des éléments travaillés et choisis par les élèves, dans le code utilisé et à des moments clai­rement identifiés de tous (accent, début, changement musical, pas­sage lent, etc.), placer des séquences : élément technique ou de liaison, relation, échange, etc. En acrosport Suivre le crescendo de la musique sur 8 temps et accentuer le 1er temps suivant. Par exemple, monter la pyramide pour être tous en place sur le 8ème

temps et sur le temps fort suivant ( 1 e r temps), réaliser ensemble une action (dessin 3, p.26).

En GR Traduire par le mouvement le brusque changement entre un passage très rythmé et un passage lent: - placer un échange pour recevoir l'engin au sol au début du pas­sage lent, puis enchaîner une liai­son au sol ; - passer d'une manipulation avec des pas rythmés à des mouvements beaucoup plus amples, conduits : - réaliser, après des déplacements dynamiques variés en rythme, une difficulté en pivot (pirouette sur un pied) tous en même temps pour marquer le changement musical par des mouvements chorégraphiques amples, etc.

Notre conception de construc­tion d'un enchaînement à par­

tir des caractéristiques d'une musique choisie apporte une nou­velle dimension à la pratique des élèves et à leur mode d'organisa­tion au sein du groupe. Au final, les prestations sont plus riches, plus originales, plus artistiques que techniques. La motivation des élèves tend à renforcer le travail autonome dans chaque groupe. L'apprentissage collectif est pré­pondérant, nécessaire et naturelle­ment utilisé par les élèves pour aboutir au projet final. #

Lucie Mougenot Professeur EPS

Lycée Emily Brontè\Lognes (77).

(1) BOUKATEM (V.), «La formation musi­cale et rythmique des entraîneurs et des gymnastes», in revue Gym' technic n° 13.1995. (2) Programmes d'EPS de lycée. BO HS n°5 du 30/08/2001.

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