japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. certes, la...

38
Japon La sécurité de l’emploi au cœur du compromis salarial émergent Sébastien LECHEVALIER 1 Dans un pays que l’on disait volon- tiers caractérisé par « l’emploi à vie », tout semble aujourd’hui remis en cause du point de vue de la sécurité de l’emploi. C’est d’abord la montée du chômage à des niveaux records et symboliques, puisque le taux de chômage au Japon dépasse dé- sormais celui des Etats-Unis (4,7 % contre 4 % à la fin de l’année 2000). C’est ensuite des faillites retentissantes 2 et des vagues de restructurations qui s’accompa- gnent de différentes mesures de départs « volontaires » mais aussi de licencie- ments massifs 3 . On croit également obser- ver un changement dans les comporte- ments, notamment des jeunes générations, dont plusieurs enquêtes ten- dent à montrer que les aspirations ne cor- respondent plus à l’emploi de long terme dans une entreprise que l’on rejoint à la sortie de l’université. Enfin, on observe un changement dans les discours des parte- naires sociaux, notamment du côté du pa- tronat japonais. Alors que les compromis sur la sécurité de l’emploi ont souvent été établis historiquement à l’initiative de ce- lui-ci et que le discours sur les rigidités du marché du travail japonais était remarqua- blement absent dans les années 80, cer- tains employeurs prônent aujourd’hui un passage à la mobilité externe. Quel avenir pour le système d’emploi japonais ? Après 10 ans de pressions sans précé- dents sur le rapport salarial japonais, qu’en est-il de ce qui faisait les spécifici- Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 9 1. CEPREMAP et EHESS, Paris. 2. On peut notamment citer celle de Yamaichi Securities, l’une des quatre plus grandes agences de titres japonaises en novembre 1997, et celle de la chaîne de distribution Sogo, en 2000 (10 000 salariés, sans compter ceux des fournisseurs). 3. En 1998, 18 000 salariés ont perdu leur travail dans le cadre des différents plans de restructuration des 9 principales banques commerciales. Le « plan de renaissance » de Nissan annoncé par Carlos Ghosn en octobre 1999 conduira à la réduction de la main d’œuvre du groupe de 14 % soit 21 000 salariés sur 3 ans. Daiei, numéro un de la grande distribution au Japon, a annoncé en novembre 2000 un plan de restructuration sur 3 ans qui devrait le conduire à se séparer de 4 000 salariés sur les 14 000 qu’il compte aujourd’hui. Dans ces deux derniers cas, tout est mis en œuvre pour éviter les licenciements, même si la frontière avec les autres types de mesures est très floue.

Upload: phamminh

Post on 15-Sep-2018

213 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

Japon

La sécurité de l’emploi

au cœur du compromis salarial émergentSébastien LECHEVALIER 1

Dans un pays que l’on disait volon-tiers caractérisé par « l’emploi à vie », toutsemble aujourd’hui remis en cause dupoint de vue de la sécurité de l’emploi.C’est d’abord la montée du chômage à desniveaux records et symboliques, puisquele taux de chômage au Japon dépasse dé-sormais celui des Etats-Unis (4,7 %contre 4 % à la fin de l’année 2000). C’estensuite des faillites retentissantes 2 et desvagues de restructurations qui s’accompa-gnent de différentes mesures de départs

“« volontaires » mais aussi de licencie-ments massifs 3. On croit également obser-ver un changement dans les comporte-ments , notamment des jeunesgénérations, dont plusieurs enquêtes ten-dent à montrer que les aspirations ne cor-respondent plus à l’emploi de long terme

dans une entreprise que l’on rejoint à lasortie de l’université. Enfin, on observeun changement dans les discours des parte-naires sociaux, notamment du côté du pa-tronat japonais. Alors que les compromissur la sécurité de l’emploi ont souvent étéétablis historiquement à l’initiative de ce-lui-ci et que le discours sur les rigidités dumarché du travail japonais était remarqua-blement absent dans les années 80, cer-tains employeurs prônent aujourd’hui unpassage à la mobilité externe.

Quel avenir pour le systèmed’emploi japonais ?

Après 10 ans de pressions sans précé-dents sur le rapport salarial japonais,qu’en est-il de ce qui faisait les spécifici-

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 9

1. CEPREMAP et EHESS, Paris.2. On peut notamment citer celle de Yamaichi Securities, l’une des quatre plus grandes agences

de titres japonaises en novembre 1997, et celle de la chaîne de distribution Sogo, en 2000(10 000 salariés, sans compter ceux des fournisseurs).

3. En 1998, 18 000 salariés ont perdu leur travail dans le cadre des différents plans derestructuration des 9 principales banques commerciales. Le « plan de renaissance » de Nissanannoncé par Carlos Ghosn en octobre 1999 conduira à la réduction de la main d’œuvre dugroupe de 14 % soit 21 000 salariés sur 3 ans. Daiei, numéro un de la grande distribution auJapon, a annoncé en novembre 2000 un plan de restructuration sur 3 ans qui devrait leconduire à se séparer de 4 000 salariés sur les 14 000 qu’il compte aujourd’hui. Dans ces deuxderniers cas, tout est mis en œuvre pour éviter les licenciements, même si la frontière avec lesautres types de mesures est très floue.

Page 2: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

tés de ce système d’emploi ? Se di-rige-t-on vers un modèle de flexibilitéexterne ? Il semblerait que l’on assiste àune transformation profonde et durabledu système de salaire – qui accorderaitmoins d’importance à l’ancienneté et plusau mérite, dans un contexte de vieillisse-ment de la pyramide des âges des entre-prises. Mais on s’accorde en général pourpenser que la sécurité de l’emploi, aucœur du compromis de l’après-guerre,sera préservée au prix d’ajustements par-fois importants (Boyer & Yamada, 2000).La présente analyse partage le même dia-gnostic, tout en soulignant que les évolu-tions contemporaines dans ce domaineportent en germe une nouvelle dyna-mique des inégalités.

Une relation d’emploi de long termeplutôt que l’emploi à vie

Plutôt que de s’interroger sur la réalitéet l’extension de l’emploi à vie au Japon,on choisit de procéder en trois temps. Onprésente tout d’abord quelques donnéessur la durée de la relation d’emploi, en in-sistant sur les comparaisons internationa-les, puis on évoque les changementshistoriques qui ont conduit à la stabilisa-tion du rapport salarial japonais à la fin desannées 80 ; enfin on précise les fonde-ments légaux et contractuels de la sécuritéde l’emploi au Japon.

Une relation d’emploi plus longue

en moyenne que dansles autres pays de l’OCDE

A la fin des années 90, le Japon pré-sente des durées moyennes de relationd’emploi toujours plus longues que lesautres pays, et ce après 10 ans de crise.Ainsi, en 1995, l’ancienneté moyenneétait de 11,3 ans et l’ancienneté médianede 8,3 ans. De plus l’écart a eu plutôt ten-

dance à s’accentuer depuis 1980, où l’an-cienneté moyenne au Japon était de 9,3ans. Aux Etats-Unis, en 1980 et en 1995,cette ancienneté moyenne était respecti-vement de 7,1 et de 7,4 ; en France de 9,5et de 10,4.

La construction historique du com-

promis sur la sécurité de l’emploi

Le compromis sur la sécurité de l’em-ploi au sein du rapport salarial japonaisest le résultat d’une longue évolution,marquée par l’action des différents ac-teurs sociaux. Les employeurs ont histori-quement favorisé la stabilité d’une partiede la main d’œuvre, dans les années 20pour mettre fin au pouvoir de négociationexorbitant des travailleurs professionnels.En revanche, au début des années 50, cesont les salariés, qui à la suite de luttes so-ciales marquées par des grèves importan-tes, parviennent à arracher des conditionssatisfaisantes de sécurité de l’emploi. A lafin des années 60, on débouche sur uncompromis stable dans un certaincontexte macroéconomique et démogra-phique, marqué par une croissance forteet la fin de l’existence d’un surplus demain d’œuvre, ce qui conduit les firmes àstabiliser la main d’œuvre périphérique.Ces conditions ont changé graduellement,d’abord en vertu du ralentissement de lacroissance et ensuite par l’entrée dans unecrise durable dans les années 1990 (Boyer1995). La période actuelle doit se lirecomme la lente et profonde adaptationdes conditions de sécurité de l’emploi auchangement d’environnement auquel doi-vent faire face les entreprises.

Les fondements légaux et contrac-

tuels de la sécurité de l’emploi

Contrairement à ce que l’on croit sou-vent, la législation japonaise n’est pas trèsrestrictive en matière de protection d’em-

10 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

JAPON

Page 3: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

ploi. Concernant les licenciements, lesseules restrictions légales apparaissentdans le code civil (article 627) et dans laloi sur les normes du travail de 1947 quifixent un délai d’un mois entre l’annonceet le licenciement effectif. Concernant lerecours aux formes d’emplois atypiques,la législation est également très souplepour le recours aux emplois à temps partielet autorise une très grande flexibilité, no-tamment dans le secteur des services, oùl’on peut distinguer plusieurs types de tra-vailleurs à temps partiels en fonction deleurs conditions de travail (Gadrey et alii,1999). La seule restriction concernait lesagences privées de travail temporaire dontl’activité a été autorisée à partir de 1985 etdont les conditions de fonctionnement ontété considérablement assouplies en 1999.

Cet te impression générale estconfirmée par les comparaisons interna-tionales. Si on prend en compte la législa-tion sur l’embauche, sur les licen-ciements, sur les heures supplémentaireset sur les facilités concernant le recours àl’emploi précaire, le Japon se situe à unniveau intermédiaire par rapport auxconfigurations européennes et mêmeaméricaines (Cadiou et alii, 1999).

Le fondement de la sécurité de l’em-ploi n’est pas dans la législation du travailmais dans les contrats implicites conclusentre salariés et employeurs, ce qui appa-raît au niveau des discours mais aussi etsurtout de la jurisprudence. La clef en estla doctrine des licenciements abusifs dontl’origine est moins légale que judiciaire 1.Selon cette jurisprudence, l’employeur

qui présente un plan de licenciement doitprouver qu’il a tout essayé pour l’éviter etque la situation de l’entreprise est tellequ’il n’a pas d’autres solutions.

La problématique de la remise encause de la sécurité de l’emploi pour lessalariés qui étaient jusqu’à présent proté-gés est donc celle d’une rupture de con-trats implicites. Dans ce cadre, lesalliances avec des entreprises non japo-naises et la reprise en main par des mana-gers étrangers répondent à une fonctiontrès précise. Ainsi, l’alliance conclueavec Renault a permis à Nissan de répu-dier un certain nombre de contrats anté-rieurs, avec les sous-traitants maiségalement avec certains salariés.

La montée du chômageet sa répartition

La montée du chômage est l’événe-ment marquant des années 90. Même s’ilest encore faible par rapport aux critèreseuropéens, il a atteint un niveau excep-tionnel, le plus élevé depuis que les statis-tiques existent et plus du double parrapport au début des années 90. Oncompte désormais plus de 3 millions dechômeurs au Japon. Cette évolution mo-difie profondément les conditions de sé-curité d’emploi, jusqu’à présent centréessur les statuts. Le risque du chômageconcerne désormais une grande partie dela population active. Dans les enquêtes deconsommateurs, on voit en effet que cettecrainte devient de plus en plus générale 2.La question est alors de savoir si cela est

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 11

LA SECURITE DE L’EMPLOI

1. Cette doctrine a été élaborée au cours des années 1950 et 1960 à la suite de plusieurs procèsqui ont vu la victoire des syndicats et se situe, à certains égards, aux antipodes de la doctrineaméricaine de « l’emploi à volonté ».

2. Ainsi l’enquête menée par le Japanese Research Institute montre que le pourcentage depersonnes craignant qu’elles-mêmes ou qu’un membre de leur famille tombe au chômage dansl’année à venir était encore de 47 % au début de 1993 et de 63 % au début de l’année 1999, enpleine récession.

Page 4: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

12 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

JAPON

justifié, c’est-à-dire si tous les salariés ja-ponais sont exposés au même risque dechômage.

On peut obtenir une première ap-proximation du risque de chômage parune étude des différentiels de taux dechômage suivant les groupes (tableau 1).Tout d’abord, le taux de chômage est plusélevé chez les hommes que chez les fem-mes et le différentiel tend à croître (4,8 %contre 4,5 % en 1999). Une explicationréside dans les caractéristiques de l’offrede travail des femmes japonaises qui seretirent du marché du travail quand ce-lui-ci devient plus tendu ou quand elles seretrouvent au chômage, même si on ob-serve des évolutions sensibles dans ce do-maine. Surtout, la forme du chômage estdifférente dans la mesure où la fréquencedu chômage (entendue comme le pour-centage de la population active qui se re-trouve au chômage dans le mois courant)est plus forte chez les femmes (1,3 %contre 0,8 % en 1998), alors que l’on ob-serve l’inverse pour la durée du chômage,plus longue chez les hommes (5,3 contre3,1 mois en 1998). Ensuite, concernantles différentiels par âge, les taux de chô-mage les plus élevés sont observés au dé-

but et à la fin de la vie active chez leshommes (10,3 % chez les 15-24 ans et6,7 % chez les 55-64 ans pour unemoyenne de 4,8 % en 1999, alors que letaux de chômage des 35-54 ans est seule-ment de 3,1 %), au début seulement chezles femmes (8,2 % chez les 15-24 ans,6,6 % pour les 25-34 % pour unemoyenne de 4,5 % en 1999).

Enfin, on observe également un diffé-rentiel selon le statut. Sans surprise, letaux de chômage fluctue beaucoup pluschez les travailleurs non réguliers et aaugmenté fortement à la suite de la réces-sion de 1998 pour atteindre 6,2 % contre4 % pour les travailleurs réguliers au dé-but 1999.

Au-delà de ces différentiels de taux dechômage, il faut souligner deux élémentsmarquants. Tout d’abord, on assiste à undéplacement de la frontière de la sécurité.En effet, les cols blancs, qui ont largementéchappé aux différents mouvements deréorganisation des firmes dans les années80, sont maintenant au cœur des processusde restructuration. De plus, l’augmentationconsidérable du nombre de faillites d’en-treprises 1 élargit la sphère du risque.

1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999

Ensemble 2,1 2,1 2,2 2,5 2,9 3,2 3,4 3,4 4,1 4,7Hommes 2,0 2,0 2,1 2,4 2,8 3,1 3,4 3,4 4,2 4,8Femmes 2,2 2,2 2,2 2,6 3,0 3,2 3,3 3,4 4 4,5Salariés réguliers 1,7 1,6 1,8 2 2,4 2,6 3,1 3,1 3,2 4,1Salariés non réguliers 3,3 3,2 2,9 3,6 4,5 4,3 4,3 4,6 4,7 6,3Hommes (15-29 ans) 3,3 3,4 3,5 3,9 4,4 4,9 5,4 5,4 6,4 7,8Hommes (30-54 ans) 1,3 1,2 1,3 1,5 1,9 2,0 2,1 2,2 2,7 3,3Hommes (55-64 ans) 3,4 3,0 3,2 3,8 4,5 4,7 5,1 5,0 6,3 6,7

Source : Ministry of Labour.

Tableau 1. Evolution du taux de chômage selon le sexe, le statut et l’âge

Ce nombre est passé de 6 500 en 1991 à près de 19 000 en 1998 et se maintient aujourd’huientre 15 000 et 16 000. Les plus touchées sont les petites firmes, souvent sous-traitantes,notamment dans le secteur de la construction. Mais de grandes entreprises dans les secteurs dela banque et de la distribution sont également touchées. C’est une évolution essentielle dans unpays caractérisé par une très forte aversion à l’égard de la faillite, comme en témoignait lalégislation qui n’a été assouplie que très récemment.

1.

Page 5: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

Ensuite, un autre élément à prendreen compte est l’allongement de la duréedu chômage. Le nombre de personnes auchômage depuis plus d’un an a ainsi triplédepuis 1994 ; les chômeurs de longuedurée représentent désormais plus de20 % du nombre total de chômeurs. Cettedifficulté à retrouver un emploi quand onest au chômage est plus forte pour les tra-vailleurs de la construction et de l’in-dustrie que pour les employés de serviceet exprime de façon plus générale l’idéed’échec associée à cette situation.

Le développementde l’emploi atypique

Le mode traditionnel de l’insécuritédes salariés au Japon passe par le recoursà l’emploi atypique 1, qui a une fonctionde tampon en présence de fluctuationsmarquées de l’économie. L’évolution fa-vorable des années 70 et 80 2 ne doit pasnous tromper sur cette fonction de l’em-ploi atypique. Une augmentation de lapart de l’emploi atypique est donc a prioriun bon indicateur du rétrécissement de lasphère de la sécurité, même si la modalitéde recours à l’emploi atypique et le conte-nu de celui-ci ont tendance à changer.Ainsi, la problématique n’est pas celle dupartage du travail, comme le montrel’augmentation récente des heures de tra-vail supplémentaires, après une baissesensible dans la première partie des an-nées 1990 (Rengo, 2000).

La principale catégorie des travail-leurs atypiques est constituée par les tra-

vailleurs à temps partiel, dont la défini-tion officielle repose sur la durée du tra-vail qui doit être inférieure à 35 heures.Mais de fait, les travailleurs à temps par-tiel travaillent souvent autant que les tra-vailleurs réguliers et la distinction entreces deux catégories est avant tout unequestion de statut. Même si la duréemoyenne de relation d’emploi s’est al-longée pour ces travailleurs, ils ne bénéfi-cient pas d’une sécurité de l’emploicontractuelle. Ils sont également exclusd’un certain nombre d’allocations four-nies par les entreprises (maladie, chô-mage ou retrai te) ainsi que despossibilités de formation interne et decarrière. La relative absence de pontsentre les deux types de statut est de faitfrappante (Suzuki & Ogura, 2000). Il fautajouter également que les travailleurs àtemps partiel sont essentiellement desfemmes (68 % du total des travailleurs àtemps partiel en 1996) – en général ma-riées et âgées de 25 à 60 ans. Ce sont en-suite des jeunes et des travailleurs de plusde 60 ans (hommes et femmes).

L’importance du recours à l’emploi àtemps partiel et plus généralement del’emploi atypique n’est pas nouvelle auJapon mais on atteint des niveaux re-cords, parfois difficilement quantifiableset comparables d’un point de vue interna-tional en raison de problèmes de défini-tion. On estime à environ 25 % la part destravailleurs non réguliers en 1999 (Mana-gement and Coordination Agency, Report

on the Special Survey of Labour Force,February 1999). De plus, on semble assis-

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 13

LA SECURITE DE L’EMPLOI

1. Défini ici par opposition au statut de travailleur régulier, caractérisé notamment par un contrat àdurée indéterminée. Il comprend les travailleurs à temps partiel, les « arubaito », les« shokutaku », les travailleurs journaliers et les salariés recrutés par les agences de travailtemporaire.

2. Cette période a été notamment marquée par l’allongement de la relation d’emploi pour lestravailleurs à temps partiel, ce qui a alimenté l’idée qu’ils étaient devenus des quasi-membresde la firme.

Page 6: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

ter à une diversification du travail aty-pique : d’une part, il y a eu assou-plissement de la législation concernantles agences de travail temporaire ; d’autrepart, dans la pratique, un certain nombrede travailleurs à temps partiel bénéficientdésormais d’un meilleur statut, notam-ment dans le commerce de détail, où onleur donne plus de responsabilités (Ga-drey et alii, 1999). Mais cette idée de di-versification doit être nuancée dans lamesure où les travailleurs à temps partielreprésentent près de 60 % de l’ensembledes travailleurs non-réguliers et contri-buent à hauteur de 80 % à la croissance del’emploi atypique total entre 1987 et 1994(Ministry of Labour).

Les travailleurs atypiques se substi-tuent-ils aux travailleurs réguliers, dansune perspective de remise en cause del’emploi à vie et de « flexibilisation » gé-néralisée du rapport salarial japonais ?Certes, depuis 1998, le nombre de travail-leurs réguliers baisse en valeur absolue etpas seulement relative. Ainsi, en 1999, lenombre de travailleurs réguliers a dimi-nué de 580 000 tandis que celui des tra-vailleurs à temps partiel a augmenté de

540 000. Mais, il semble y avoir en faitpeu de subsitution de travailleurs atypi-ques aux travailleurs réguliers dans lamesure où une étude au niveau des firmesmontre que ces deux catégories dimi-nuent ou augmentent conjointement dansles firmes concernées (Japan Institute ofLabour, 1999). En fait, la montée du tra-vail atypique est différentielle selon lataille de la firme et le secteur : la propor-tion est plus importante dans les petitesfirmes, dans le commerce de détail et lesservices. De plus, on observe une polari-sation entre deux modes de managementsuivant l’évolution du recours à l’emploiatypique (Nishikawa, 2000).

Les évolutions contrastéesde la mobilité du travail

La mobilité n’est pas forcément syno-nyme de précarité. Dans le cas japonais,la mobilité est traditionnellement interneet la part de mobilité externe involontaireest très faible. Toutefois , dans uncontexte de changement structurel, onprône un recours plus fréquent à la mobi-lité externe. Se posent dès lors un certainnombre de questions. Observe t-on une

14 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

JAPON

1,0

1,2

1,4

1,6

1,8

2,0

2,2

1973 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 8 8 89 90 91 92 93 94 9 5 96 97 98Anné e

%

taux d'embauchetaux de cessation de l'emploi

Graphique 1. Evolution des taux d’embauche/cessations d’emploisdans l’industrie de 1973 à 1998 (entreprises de 30 salariés et plus)

Page 7: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

augmentation de la mobilité externe dansles années 90 ? Quelles sont les parts res-pectives des mobilités volontaires/invo-lontaires ? Qui est mobile ? Quelles sontles conséquences de la mobilité – volon-taire ou subie - en termes de salaires no-tamment ?

Une première surprise concernel’évolution des taux d’embauches/de ces-sation d’emplois. La baisse historique deces taux à la fin des années 60 – qui tra-duit l’intégration progressive et partielledes travailleurs non réguliers dont ladurée de relation d’emploi s’est allongée(elle est passée de 2 à 4,9 ans entre 1970et 1995) – n’a jusqu’à présent pas été re-mise en cause. Pour faire face aux diffé-rents chocs depuis le début des années 70,les entreprises ont eu recours à un certainnombre de procédures (réduction desheures supplémentaires, transferts de tra-vailleurs…) ce qui a permis de préserverles fondements de la relation d’emploi de

long terme. On aurait pu penser que leschoses changent dans les années 1990,avec une crise qui dure et la réapparitiond’un surplus de travail. Or il n’en est rienapparemment. Ces taux restent relative-ment stables (graphique 1). Les entrepri-ses ont avant tout contrôlé les embaucheset compté sur l’attrition naturelle pourfaire varier les effectifs (graphique 2). Lerésultat est une augmentation de l’âgemoyen des salariés, notamment dans lesgrandes entreprises 1. Cependant, ce typede procédure atteint désormais ses limitesdans un certain nombre de secteurs,comme la sidérurgie et l’on devrait obser-ver dans les années à venir des vagues delicenciements, si une reprise plus vigou-reuse et plus stable ne se fait pas sentir.Quoi qu’il en soit, la relation d’emploi delong terme ne semble pas atteinte dansson principe jusqu’à présent, comme l’ontmontré les données concernant la duréede la relation d’emploi. La principale rai-

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 15

LA SECURITE DE L’EMPLOI

Graphique 2. Contribution des taux de cessation d’emplois et d’embaucheaux variations de l’emploi en 1998 (en pourcentage)

-0,1

0,0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

tout secteur industrie alimentation,tabac

acier mécanique matérielélectrique

matériel detransport

500 employésou plus

de100 à 499employés

de 30à 99employés

tauxd'embauchetauxde cessation d'emploi

Industrie

1. Ainsi, l’âge moyen des salariés chez NTT-ME, entreprise spécialisée dans le multimédia et néede la privatisation de NTT, est de 48 ans, ce qui est très élevé pour une entreprise dans cesecteur de haute technologie. Cette question est désormais au cœur des préoccupations de ladirection des ressources humaines de NTT-ME.

Page 8: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

son est la chute des départs volontaires.Les salariés n’ont pas d’incitation à quit-ter leur emploi, quand le contexte ma-croéconomique est dégradé.

Les taux d’embauches/de cessationd’emplois ne sont pas les meilleurs indi-cateurs de l’insécurité. Il faut étudier lesflux d’emploi et le turn-over « pur »(c’est-à-dire les mouvements sur unmême poste) en prêtant une attention par-ticulière à ce qui est involontaire. La con-tribution de la rotation des emplois(somme des destructions et créationsd’emploi) à la rotation des salariés(somme des accessions et des sépara-tions) était d’environ 20 % sur la période1988-1992, ce qui est inférieur de 8,5points à la moyenne de l’OCDE. Lemanque de données ne permet pas d’étu-dier l’évolution, mais on peut penser quecette contribution a fortement augmenté,à la mesure de l’augmentation du proces-sus de création/destruction d’emplois.Mais la clef de la montée de l’insécuritéest le recours aux licenciements ou laperte d’emploi en liaison avec les faillitesd’entreprises. Les taux de cessationsd’emploi 1 liées au licenciement restenttrès faibles (0,6 % en 1984-1985 et 0,7 %

en 1996), surtout en comparaison avec lespays de l’Union européenne et lesEtats-Unis (respectivement 3,2 % et3,1 % pendant le creux des années 90).Mais le portrait change quand on inter-roge les personnes au chômage sur les rai-sons de leur situation : dans 47 % des cas,celles-ci sont liées au licenciement ou à lafaillite de l’entreprise (Labour Force Sur-vey, 1999). Ceci est d’autant plus drama-tique que les perspectives d’emploi depersonne ayant quitté leur emploi dans lecadre d’un programme de restructurationsont très sombres (tableau 2). Les pertesen termes de salaire annuel sont égale-ment très importantes pour les salariésqui ont retrouvé un emploi. Cette perte estestimée à 25 % pour l’ensemble des sala-riés et à 37 % pour les salariés qui ontentre 50 et 59 ans (Rengo, 2000).

Pour conclure, si l’emploi atypiquereste un bon indicateur de l’insécuritédans l’économie et une force de clivageimportante entre ceux qui sont protégés etceux qui ne le sont pas, le phénomènenouveau dans les années 90, c’est une in-sécurité grandissante pour les salariés ré-guliers via la montée du risque delicenciement pour raison économique ou

16 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

JAPON

Au chômage,sans allocation

de chômage

Au chômageavec des alloca-

tions chômages

Salariésnon

réguliers

Salariésréguliers

Autres

Ensemble 13,1 36,7 17,2 24,0 9,0Total femmes 14,1 30,9 24,7 18,2 12,1Total hommes 12,2 41,7 10,8 29,0 6,2Hommes (40-49 ans) 8,1 40,3 8,1 36,0 7,6Hommes (50-59 ans) 13,7 47,4 13,1 20,6 5,2

Sources : Zensen domei, Emergency Survey on job leavers, juin 1999 ; Rengo, Livre Blanc 2000.

Tableau 2. Situation actuelle des personnes ayant perdu leur travailen raison d’un programme de rationalisation dans l’entreprise en %

1. Flux mesurant le pourcentage de chômeurs ou de personnes non comptées dans la populationactive ayant cessé de travailler au cours des six derniers mois par rapport à l’effectif total(OCDE, 1997).

Page 9: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

de perte d’emploi en liaison avec une fail-lite d’entreprise. Jusqu’à présent, le re-cours à l’emploi externe a surtout pris laforme d’une mobilité involontaire et des-cendante. C’est là le défi adressé aux par-tenaires sociaux pour définir un nouveaucompromis sur la sécurité de l’emploi.

L’émergence d’un nouveau compro-mis sur la sécurité de l’emploi

La question est alors de savoir si lessalariés et les firmes ont désormais un in-térêt commun à briser le précédent com-promis. Du côté des f i rmes,l’environnement macro-économique vajouer un rôle essentiel. Si la stagnation sepoursuit et si les fluctuations continuent àêtre importantes, elles auront tout intérêtà abandonner l’ancien paradigme, et ced’autant plus que les conditions de l’inno-vation ont changé. Du côté des salariés,certains groupes pourraient contribuer àremettre en cause le système : ceux à quile système actuel ne permet pas de fairecarrière (les femmes notamment), ouceux qui ont d’autres aspirations, les jeu-nes essentiellement 1. La question est tou-tefois de savoir comment ces groupespeuvent prendre la parole. Il y a de fait undébat dont on voudrait clarifier les ter-mes.

On assiste à une division du patronatjaponais qui ne recoupe pas l’oppositionentre anciens et modernes, même si leprincipal défenseur du maintien del’équilibre actuel est Hiroshi Okuda, an-cien président de Toyota et de l’organisa-tion patronale Nikkeiren, et l’un destenants de sa remise en cause est JiroUshio, président d’une compagnie de

composants électroniques. Avant la crise,les employeurs étaient en général favora-bles à l’emploi à vie et ne critiquaient pasles restrictions en matière de flexibilitéexterne puisqu’ils en étaient les princi-paux initiateurs et bénéficiaires, en ter-mes de mobilisation et de motivation dela main d’œuvre. Aujourd’hui, dans unnouveau contexte, on note un désaccordrelativement profond sur ce point. SelonM. Okuda (Nikkeiren, 1995), il faut cer-tes encourager le recours plus effectif etplus étendu aux CDD, mais, en mêmetemps, préserver la relation d’emploi delong terme pour le cœur des salariés, dontles compétences sont supposées se déve-lopper avec l’accumulation des années deservice. Deux types d’argument sont prin-cipalement avancés. Un est non écono-mique, de type paternaliste : c’est dudevoir de l’entreprise d’assurer la protec-tion des travailleurs qui doivent se dé-vouer à leur entreprise. L’autre estkeynésien : la montée de l’insécurité setraduit au Japon par une montée del’épargne de précaution et une baisse sen-sible de la consommation, ce qui entraînel’économie dans un cercle vicieux défla-tionniste.

L’organisation patronale dont JiroUshio est le conseiller spécial, KeizaiDoyukai, présente une autre argumenta-tion, proche également de celle du Kei-danren (troisième organisation patronale)qui a surtout une fonction de lobbying etavec laquelle le Nikkeiren pourrait fu-sionner prochainement. Il faut favoriser laflexibilité externe pour s’adapter aux évo-lutions de l’économie, ce qui passe pardes licenciements et la rupture des con-trats implicites précédents. L’Etat pren-

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 17

LA SECURITE DE L’EMPLOI

1. Le symbole de ce phénomène de génération est les « freeters », ces jeunes qui ont souventquitté prématurément le système éducatif et qui gagnent leur vie en faisant des petits boulots.On en estime le nombre à 1,3 million (soit 3,9 % de la population âgée de 15 à 34 ans).

Page 10: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

dra en charge les chômeurs. Dans lanouvelle structure de l’économie, les en-treprises ne trouvent pas en interne lescompétences dont elles ont besoin et dontl’acquisition ne se fait plus par l’expé-rience accumulée dans une même entre-prise. L’enjeu est l’introduction demécanismes de marché externe pour fa-voriser la réal locat ion de la maind’œuvre. Le problème est de savoir si latransformation sera durable ou non. Onpeut être optimiste en regardant le passéoù l’on observe une alternance de confi-gurations dans ce domaine. L’avenir estpeut-être aux marchés professionnels, ré-ponse à la déstabilisation des marchés in-ternes d’entreprises (Boyer & Yamada,2000).

Du côté des syndicats, on ne retrouvepas une telle opposition, mais plutôt desnuances. Traditionnellement, la majeurepartie des conflits du travail, en dehors dela période du shunto 1,, portent sur lesproblèmes de sécurité de l’emploi(Koike, 1995). Cette dernière reste lapriorité affichée. La critique porte essen-tiellement sur les programmes de restruc-turat ion qui conduisent à deslicenciements et sur un mode de manage-ment tourné vers le court-terme. Il y a uneproximité certaine avec la thématique duNikkeiren. Le développement du travailatypique fait quant à lui l’objet de criti-ques moins vigoureuses. De plus, quel-qu’un comme Etsuya Washio, présidentdu Rengo, se montre sensible aux argu-ments qui font valoir la nécessité d’intro-duire de nouvelles technologies et defavoriser des mécanismes de marché ex-terne pour assurer la réallocation de lamain d’œuvre, même si le rythme des

transformations doit respecter le légitimebesoin de sécurité des salariés. Toutefois,l’action menée par le Zenroren, syndicatproche du parti communiste, à l’occasiondu plan de renaissance de Nissan, a mon-tré que les syndicats contestataires retrou-vent une certaine influence, même sicelle-ci est locale et s’ils restent très mi-noritaires.

Quant à la position de l’Etat, elle estloin d’être marginale, même si l’essentieldes débats se joue au niveau des firmes.On pense en particulier à la politiqueconjoncturelle japonaise dans les années90, qui a certes été citée comme l’exemplede ce qu’il ne faut pas faire, mais dont lamodalité générale – politique budgétaireexpansionniste et politique monétaire dutaux d’intérêt nul – donne une idée de ceque la priorité à l’emploi veut dire au Ja-pon. Quant aux politiques structurelles, el-les ont certes été parfois ambitieuses –comme le montre le programme néo-libé-ral de dérégulation de M. Hashimoto (jan-vier 1996 – juillet 1998) – mais elles ne sesont pas attaquées au marché du travail.Enfin, le vrai débat qui implique directe-ment l’Etat concerne le passage progressifà un système de protection sociale àl’échelon national, dans la mesure où unepartie de plus en plus importante des tra-vailleurs est menacée d’exclusion, enéchappant au filet de protection instaurépar les entreprises.

Une nouvelle dynamiquedes inégalités ?

La problématique de la sécurité del’emploi au Japon conduit à s’interrogersur la dynamique des inégalités et la pos-

18 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

JAPON

1. Le shunto, « offensive de printemps », est la phase d’intenses négociations salarialessynchronisées qui se déroulent chaque année sous la houlette des syndicats. Elles s’ouvrentd’abord dans les entreprises leaders de chaque secteur et sont étendues aux autres firmes.

Page 11: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

sibilité d’une « resegmentation » durableet non efficiente du marché du travail ja-ponais. Il peut paraître provocateur dequalifier de fonctionnelle et de non ségré-gationniste la segmentation qui prévalaitencore dans les années 60, dans la mesureoù la grande majorité des femmes étaientde fait exclues de la possibilité d’une car-rière. L’exemple des « convenient sto-

res » (Gadrey et alii, 1999) montre cepen-dant une exploitation systématique desaspirations de l’offre de travail 1, dansune perspective fonctionnelle. De façonplus générale, cette segmentation permet-tait d’augmenter le niveau global de l’em-ploi, de mieux maîtriser l’incertitude etde favoriser la productivité. Tel nesemble plus être le cas aujourd’hui, dansla mesure où les aspirations des femmesont considérablement évolué et où les« bonnes propriétés » de la segmentationont tendance à disparaître. Cette dernièredevient donc défensive et difficilementacceptable.

De plus, la déstabilisation de l’acqui-sition des compétences dans un contextede montée des insécurités semble être aucœur de la nouvelle dynamique des iné-galités. En effet, l’organisation du travailet les marchés internes développés par lesgrandes entreprises sont largement idio-syncrasiques et la formation essentielle-ment de type « learning by doing »associée à une grande polyvalence des tâ-ches. L’introduction de mécanismes demarché externe ne peut pas se faire sansune réforme du système éducatif dont lafonction ne peut plus être seulement leclassement des individus et la formationde généralistes, au risque de voir se déve-

lopper une segmentation entre ceux quigardent le travail et ceux qui connaissentdes accidents de parcours.

L’étude des pressions qui poussent àla modification du compromis sur la sé-curité de l’emploi nous conduit à écarterle risque d’une flexibilisation à l’améri-caine du marché du travail japonais,même si la référence à la « job machine »américaine est omniprésente dans le dé-bat japonais, à la fois comme modèle(faible taux de chômage et succès des in-novations de la Sillicon Valley) et commerepoussoir ( inégal i tés salar ia les ,« cash-flow management »). Dans lemême temps, la tentative d’expliquer lesdifficultés actuelles sur le marché du tra-vail par les rigidités institutionnelles oupar le rôle des « insiders », dans une thé-matique de « l’eurosclérose » appliquéeau cas japonais se heurte à la réalité con-tractuelle du compromis sur la sécurité del’emploi. L’étude des fondements de laprotection de l’emploi au Japon a en effetmontré que le « lieu » du débat et duchangement actuels semble se situer auniveau des entreprises, donc à celui deschoix de management, plus qu’à celui dela législation du travail. Toutefois, lerisque d’une « européanisation » du mar-ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploin’est pas vide de sens au Japon et lamontée du chômage ne sera pas mise auservice d’objectifs de modération sala-riale, dans un contexte potentiellementdéflationniste qui donne du poids à desarguments de type keynésien. Mais, demême qu’en Europe, le marché du travailjaponais n’est plus le moteur de la dyna-

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 19

LA SECURITE DE L’EMPLOI

1. Le schéma peut être résumé de la façon suivante. Dans un même magasin, vont se succéderdans la journée un étudiant, une femme et un travailleur régulier (homme entre 30 et 45 ans)qui exercent les mêmes fonctions mais dont les conditions d’emploi (salaires, horaires, statut,etc.) sont extrêmement différenciées, en fonction de leurs aspirations.

Page 12: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

mique de l’économie et est plutôt devenule réceptacle des contradictions decelle-ci. De plus, les caractéristiques de lamobilité et de l’acquisition des compé-tences risquent de favoriser l’augmenta-tion du chômage de longue durée. Unsystème de protection sociale centré surles entreprises et qui n’est pas prêt à sup-porter la montée d’un chômage de massepeut alors jouer un rôle démultiplicateurdans la montée des inégalités. Il n’est passûr que les autres solidarités prennent lerelais dans un contexte de montée de l’in-dividualisme. Peut-être est-il alors tempspour le Japon de tirer des leçons de l’ex-périence douloureuse des pays européensen la matière.

Sources

Boyer R. & Yamada T. edit. (2000), JapaneseCapitalism in Crisis. A Regulationist Interpreta-tion, Routledge.

Boyer R. (1995), Origines et nature de la flexibi-lité du rapport salarial japonais : une analysehistorique, une comparaison internationale etun modèle de croissance, Contribution au Con-trat finalisé CEPREMAP-CGP 1994, Quels en-

seignements tirer de l’expérience japonaise enmatière de flexibilité et de gestion de l’emploi ?

Cadiou L. et alii (1999), La diversité des mar-chés du travail en Europe : Quelles conséquen-ces pour l’Union Monétaire ?, Rapport de la Dé-légation du Sénat pour l’Union Européenne.

Gadrey J. et ali i (1999), France, Japon,Etats-Unis : L’emploi en détail. Essai de so-cio-économie comparative, PUF.

Japan Institute of Labour (2000, 1999), WhitePaper on Labour (site internet : www.jil.go.jp).

Koike K. (1995), The Economics of Work in Ja-pan, LTCB International Library Foundation.

Ministry of Labour (1994, 1987), Survey on Di-versification of Employment Forms (site inter-net : www.mol.go.jp).

Nikkeiren (1995), Japanese Management in aNew Era (site internet : www.nikkeiren.jp).

Nishikawa M. (2000), Diversification in the Useof Atypical Workers at the Japanese Establish-ments, Contribution présentée au 12è Congrèsmondial de l’IIRA (International Industrial Rela-tions Association) Tokyo.

Rengo (2000), White Paper (site internet :www.jtuc-rengo.org).

Suzuki H. & Ogura K. (2000), Development ofAtypical Forms of Employment : How Japan Dif-fers from European Countries (France, in Parti-cular), Contribution présentée au 12è Congrèsmondial de l’IIRA (International Industrial Rela-tions Association) Tokyo.

20 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

JAPON

Page 13: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 21

Québec

La gestion des caisses de retraite : un nouveau

levier de l’action syndicale pour la FTQCatherine SAUVIAT1

Les 8, 9 et 10 novembre 2000, laFédération des travailleurs et travailleusesdu Québec (FTQ) organisait un colloque àQuébec sur la question de la participationet de l’orientation syndicale en matière degestion des caisses de retraite. Ces jour-nées, destinées principalement à ses mem-bres, ont remporté un grand succès, si l’onen juge par le nombre de syndicalistes pré-sents à cette occasion (plus de 600 ins-crits). A l’instar de la centrale américaineAFL-CIO, la FTQ souhaitait à cette occa-sion sensibiliser ses membres aux possibi-lités d’utilisation de « l’argent des travail-leurs » comme levier de l’act ionsyndicale, en insistant sur le développe-ment de la formation et des réseaux. Al’occasion de l’ouverture du colloque, H.Massé, président de la FTQ, posait explici-tement la question dans ces termes : « Au-jourd’hui, un troisième acteur compte deplus en plus et est venu s’immiscer dansles relations entre les employeurs et les sa-lariés ; il s’agit des marchés financiers. Il

faut faire avec et chercher à prendre le con-trôle de ce qui nous appartient ».

A la suite de l’AFL-CIO, qui s’estposée la question dès les années 80 et aredéfini sa stratégie dans les années 90 enrenforçant considérablement ses moyensd’action 2, les syndicats au Canada s’in-terrogent à leur tour sur les moyens d’ac-t ion à leur disposi t ion pour« domestiquer » les marchés financiers. Ils’agit pour eux d’établir un contrôle syn-dical sur les avoirs accumulés dans lescaisses des retraites issues des régimesprofessionnels complémentaires, afin defaire en sorte que cette épargne ne soit pasutilisée contre eux mais en fonction d’ob-jectifs propres à défendre les intérêts destravailleurs qu’ils représentent.

Pour la FTQ, cette question n’est pasentièrement nouvelle même si elle estposée aujourd’hui dans des termes renou-velés. En effet, la centrale québécoise estloin d’être restée inactive sur ce terrain,avec la création dès 1983 du Fonds de so-

1. Je tiens à remercier ici Michel Lizée (Université du Québec) pour sa relecture et sescommentaires avisés. Les erreurs qui pourraient subsister ou les opinions exprimées sont dema seule responsabilité.

2. Cf. C. Sauviat et J-M Pernot, « Fonds de pension et épargne salariale aux Etats-Unis : leslimites du pouvoir syndical » dans Fonds de pension et nouveau capitalisme, L’Année de laRégulation , vol. 4, La Découverte, Paris, 2000.

Page 14: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

lidarité des travailleurs et travailleuses dulidarité des travailleurs et travailleuses duQuébec, destiné à promouvoir l’emploi,la formation et le développement écono-mique régional au travers du soutien à lacréation et au développement des PMEquébécoises. De même la centrale Con-grès du Travail du Canada (CTC) et plu-sieurs fédérations canadiennes ontdéveloppé diverses initiatives assez pro-ches comme la création de fonds d’inves-tissement pro-syndicaux et la sélectiond’investissements économiquement ci-blés.

Ces différentes initiatives syndicales,d’origine nord-américaine, sont-ellesdestinées à s’étendre ? Telle semble êtreen tout cas la stratégie poursuivie par lescentrales américaines et canadiennes 1

(AFL-CIO, CTC et FTQ), visant non seu-lement à coordonner, au plan internatio-nal, les différentes actions syndicales enmatière de gestion des caisses de retraitemais également à faire partager leurs ex-périences à d’autres syndicalismes, no-tamment en Europe.

Des rapports de force syndicauxplus favorables qu’ailleurs au Canada

Au Canada, les syndicats soutiennentles régimes publics même s’ils les jugentinsuffisants et se battent régulièrementpour leur amélioration, notamment pourl’obtention d’un meilleur taux de rempla-cement (actuel lement de 40 % enmoyenne). S’ils ont exercé une certaineinfluence sur leur création et leur confi-guration, ils ont peu d’influence directeen revanche sur l’administration de cesrégimes à caractère universel et redistri-

butif, mais assurant tout juste le minimumvital 2. Il est donc compréhensible qu’ilsaient cherché à mobiliser leurs efforts surles régimes privés, à la fois parce qu’ilsentrent dans le cadre de la négociationcollective et que les actifs accumulésdans le cadre de ces régimes complémen-taires de retraite par capitalisation (appe-lés couramment fonds de pension)représentent une force de frappe finan-cière importante et donc un pouvoir éco-nomique potentiel, atteignant aujourd’hui607 milliards de $ US (contre 8 078 mil-liards de $ US aux Etats-Unis).

Ces régimes professionnels qui necouvrent que 42 % des salariés au Cana-da, ont précédé les régimes publics de re-traite et ont été réglementés dès 1919 parle gouvernement fédéral. Dans les années60, certaines provinces légifèrent à leurtour sur les régimes de retraite privés :l’Ontario puis le Québec adoptent en1966 des lois à cet effet. Dans le milieudes années 80, de nouvelles réformesvoient le jour visant à protéger les partici-pant(e)s à ces régimes. L’Ontario voteune loi dès 1987 et le Québec suit en1990, avec l’entrée en vigueur de la « Loisur les régimes complémentaires de re-traite ». Celle-ci s’applique aux régimesde retraite des salariés du secteur privé etmunicipal ainsi qu’à certains travailleursdu secteur parapublic, à l’exception deceux appartenant à un secteur de compé-tence fédérale qui sont régis par des loisspécifiques (fonction publique fédérale,sociétés d’Etat fédérales, défense natio-nale, banque, communication et transportinterprovincial comme international) ain-si que certaines entreprises de secteurs

22 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

QUEBEC

1. Au colloque de la FTQ sont intervenus B. Patterson de l’AFL-CIO et B. Baldwin du CTC.2. Cf. M. Lizée, « Canada’s Great Pension Debate : The Blossoming of A Dualist Pension System

– The Poltical Economy of Pension Reform in Canada and Québec since 1980 », ResearchEssay, Carleton University, Institute of Political Economy, 1997.

Page 15: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

considérés comme stratégiques (ex. Mi-nes) 1.

Avec cette loi, le Québec se distinguede l’Ontario et des autres provinces : do-rénavant, l’administration des régimescomplémentaires n’y est plus de l’autori-té exclusive des employeurs mais doitêtre partagée avec les salariés. Cette loiexige en effet la mise sur pied d’un comi-té de retraite distinct de l’employeurcomme administrateur du régime ainsique la présence minimum de deux repré-sentants des salariés à ce comité (à l’ex-ception des très petits régimes), l’unreprésentant les participants actifs etl’autre les participants retraités 2. Ellen’interdit pas une participation supérieurede ces représentants qui peut être né-gociée dans certains cas. Elle ne fixe pasen revanche de limite quant au nombre demembres du comité de retraite, donc à lareprésentation de l’employeur qui s’ar-roge en général une majorité de sièges,dans le secteur privé en particulier. Dansles provinces anglophones, la mise enplace de tels comités n’est pas exigée,sauf dans certaines juridictions pour lesrégimes multi-employeurs.

Ces régimes professionnels peuventse décliner comme aux Etats-Unis selonqu’ils couvrent les salariés du secteur pu-blic (administration fédérale, provincialeet locale), ceux des entreprises du secteurprivé ou encore ceux d’un secteur compo-

sé de petites entreprises comme la cons-truction ou le transport (qu’on appellealors interentreprises). De même, ces ré-gimes sont soit des régimes à prestationsdéterminées qui assurent un niveau de re-traite donné (ils comptent pour 45 % desrégimes au Canada mais couvrent 86 %des participants), soit des régimes à coti-sations déterminées où la retraite dépenddes montants accumulés dans les comptesde chaque participant au régime (cotisa-tions et rendements des placements).Mais à la différence des Etats-Unis où lesrégimes d’entreprise à prestations déter-minées sont financés quasi exclusivementpar des cotisations employeurs (régimesdits non contributifs), les mêmes régimescanadiens ou québécois sont financés engénéral par des cotisations émanant à lafois des salariés et des employeurs (régi-mes dits contributifs).

L’implication des syndicats québé-cois dans la gestion des actifs liés à la re-traite n’a cependant attendu ni l’exempleaméricain, ni la réforme des pensions de1990. L’expérience de la FTQ en té-moigne même si elle est liée à un contexteéconomique et politique tout à fait spéci-fique en même temps qu’à un rapport deforces plus favorable aux syndicats auQuébec. Le taux de syndicalisation y esten effet le plus élevé de l’Amérique duNord avec 43 % de travailleurs syndi-qués.

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 23

LA GESTION DES CAISSES DE RETRAITE

1. En matière de retraite, ce sont les provinces qui, lors de la division des pouvoirs en 1867,obtiennent la compétence en matière de sécurité sociale. La mise en place du régime publicuniversel en 1952 par le gouvernement fédéral oblige à une révision de la Constitution, tout enpréservant le droit aux provinces de légiférer et de mettre sur pied leur propre programme deretraite public. Pour ce qui est du secteur privé, il y a au plan de l’encadrement des régimescomplémentaires de retraite au Québec une dualité législative et gestionnaire (loi de 1985 surles prestations de pension au fédéral et loi de 1990 sur les régimes complémentaires auQuébec). Cf. aussi l’article de M. Lizée dans ce même numéro.

2. Ces représentants sont désignés par l’ensemble des membres du régime de retraite et non paspar les seules instances syndicales. Face à cette situation, la FTQ revendique des postes dereprésentation proprement syndicale, et s’est prononcée en faveur de l’intégration des retraitésdans les structures syndicales.

Page 16: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

Une initiative syndicale originale

Le Fonds de solidarité des travailleurset travailleuses du Québec (Fonds de soli-darité FTQ, cf. encadré) est une expé-r ience unique au Québec, et plusgénéralement au Canada et en Amériquedu Nord 1. Il a été créé en 1983 par le gou-vernement du Québec à l’initiative de laFTQ, la plus importante centrale syndi-cale de la province, forte de près de500 000 membres aujourd’hui. Sonconseil d’administration est composé de16 membres, dont 10 sont nommés par lesyndicat. Il gère à lui seul aujourd’huiprès de 4 milliards de $ CAD d’actifs liésà la retraite 2 et c’est le premier fonds decapital-développement au Québec et auCanada. Il doit sa création à la volonté dela FTQ de promouvoir un fonds de déve-loppement en faveur des PME québécoi-ses, dans un double objectif de maintien,de protection et de création d’emploisainsi que de développement régional. Encontrepartie, le gouvernement de la pro-vince a accepté d’accorder des avantagesfiscaux sur mesure aux participants duFonds (crédit d’impôt de 15 % sur lemontant investi plafonné à 5 000 $ CADannuellement par individu). Le gouverne-ment fédéral accepte de son côté de parti-ciper à ce « cadeau fiscal », en accordantà son tour la même réduction d’impôt(15 %).

Sa création prend place dans uncontexte économique et politique particu-lier, celui du début des années 80 : leQuébec connaît alors une forte récessionet un taux de chômage élevé et le gouver-nement Lévesque, fraîchement réélu

grâce au soutien de la FTQ, est sensibleau projet 3. Compte tenu du régime fiscalspécial qui lui est accordé et des rende-ments satisfaisants qu’il produit (7,2 %sur dix ans), le fonds apparaît comme unproduit d’épargne-retraite individuelleparticulièrement attractif. Même s’il seveut d’abord un fonds d’investissementsyndical, il est ouvert à tous les épar-gnants : les travailleurs syndiqués comp-tent pour 59 % des actionnaires du Fonds(dont une majorité appartiennent à laFTQ), le reste des investisseurs (41 %)provenant du grand public. L’épargneplacée dans ce fonds est bloquée jusqu’àla retraite, sauf circonstances spéciales(perte d’emploi, retour aux études, etc.).

La majorité des investissements dufonds sont des investissements non garan-tis, c’est-à-dire réalisés dans des entrepri-ses non cotées, le reste de l’actif net étantcomposé d’actions canadiennes (parmiles 60 plus grands titres de la bourse) etétrangères, d’obligations et de titres dumarché monétaire. Environ 70 % de cesinvestissements sont réalisés dans dessecteurs traditionnels, contrairement auxfonds de capital-risque qui investissentmassivement dans les secteurs porteursde haute technologie. Le fonds utilise àcette occasion deux critères d’investisse-ment : l’un classique d’ordre financier etl’autre de nature sociale. Ce dernier filtren’est toutefois pas exclusif : une entre-prise dont le bilan social s’avère négatifn’est pas pour autant rejetée et l’investis-sement peut dans ce cas être réalisé dansun but d’amélioration de sa situation. Etde fait, le portefeuille du fonds se partage

24 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

QUEBEC

1. Son cas est d’ailleurs souvent cité en exemple par J. Sweeney et les dirigeants de l’AFL-CIO, etla centrale américaine envisage de demander au Congrès la création d’un tel fonds.

2. Cf. Rapport d’activité 2000 du Fonds de solidarité FTQ.3. Cf. E. Jardin : « Une spécialité québécoise : solidarité inc. », à paraître dans Alternatives

économiques.

Page 17: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

également entre entreprises syndiquées etentreprises non syndiquées.

Les fonds d’investissementssyndicaux du Canada anglophone

Les Fonds d’investissements syndi-caux (FIS) ont été créés à l’initiative desgouvernements de plusieurs provincesanglophones (principalement l’Ontario,mais aussi la Colombie Britannique, leNouveau Brunswick et le Manibota),dans les années 90 pour la plupart. Il y en

a plus d’une vingtaine gérant au total prèsde 5 milliards de $ CAD d’actifs et repré-sentant plus de la moitié du marché du ca-pital-risque au Canada. Les FIS sontinspirés de l’exemple québécois. Leurcréation, plébiscitée par le personnel poli-tique canadien traditionnellement favo-rable au financement des PME, doit avoirle soutien d’un syndicat (même si lesPME sont généralement assez hostiles aumilieu syndical). Mais dans certains cas,ce soutien syndical n’est souvent qu’unefaçade, notamment en Ontario où ils sont

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 25

LA GESTION DES CAISSES DE RETRAITE

Le Fonds de solidarité FTQ

Ce Fonds d’investissement syndical a une double fonction : il est d’abord destinéà soutenir et à développer les emplois localement, soit en investissant durable-

ment (entre 3 et 7 ans) dans des entreprises québécoises de taille moyenne(moins de 500 salariés et moins de 50 millions de $ CAD d’actifs), soit en inves-tissant dans des firmes étrangères dont l’activité a des retombées dans la pro-vince. Il est contraint par la loi à investir dans ces entreprises au moins 60 % deses actifs nets de l’année précédente (à partir de cinq années d’existence), le

reste pouvant être investi dans des titres moins risqués (bons du Trésor, titres dumarché monétaire, etc.). Ses investissements s’élèvent aujourd’hui à près de 2,6milliards de $ CAD réalisés en partenariat avec environ 1600 entreprises.

Il a développé pour ce faire un réseau de 17 fonds régionaux et de 86 fonds lo-caux ainsi que 19 fonds sectoriels (biotechnologie, génétique, etc.). Son originali-té réside dans le choix de ses critères d’investissement : ceux-ci ne sont pas

uniquement financiers mais également sociaux ; les placements du Fonds doi-

vent assurer un retour équitable aux bénéficiaires tout en sélectionnant des en-

treprises dont la gestion des ressources humaines (au plan des relationsprofessionnelles, des conditions de travail et de sécurité, etc.) et les rapports àl’environnement et aux communautés environnantes sont jugés satisfaisants.Pour autant, il n’est pas exigé que l’entreprise soit syndiquée.

Le développement du Fonds depuis sa création est basé sur un réseau de béné-

voles chargés de faire connaître et de diffuser ce produit d’épargne (2 200 tra-

vailleurs syndiqués à la FTQ) ; ces derniers sont formés par le Fonds. Et c’est làune fonction complémentaire de la première : il a aussi une mission d’éducationéconomique auprès des travailleurs des entreprises dont il détient des actions.

Page 18: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

parfois qualifiés de « rent-a-union

fund » 1.L’épargne individuelle y est mutua-

lisée au travers de plans d’épargne-re-traite gérés collectivement, et bénéficied’exemptions fiscales importantes. Elleest bloquée huit ans. Le crédit d’impôtémanant des gouvernements fédéral etprovinciaux s’élevait à 40 % de l’inves-tissement avec un plafond de 5 000 $ parpersonne à l’origine. En 1996, il a été ré-duit à 30 % et le plafond annuel à 3 500 $du fait de la prise de conscience du carac-tère peu syndical de certains de ces fondset des pressions des acteurs de l’industriedu capital-risque qui y voyaient uneconcurrence « déloyale ». Ils représententnéanmoins le secteur le plus dynamiquedes FIS au Canada anglophone. Les fonds« authentiquement syndicaux » ont d’ail-leurs cherché à se distinguer des « fauxfonds syndicaux » : au nombre de cinq, ilsse sont alliés autour d’un code éthique(The Canadian LSIF Alliance). Parmileurs principes, le fait que le syndicat par-ticipe à la gestion du Fonds est central demême que la poursuite d’objectifs de sou-tien ou de création d’emplois et de déve-loppement régional.

Les FIS se sont développés grâce auxexemptions fiscales. C’est le premier mo-tif avancé des épargnants qui investissentdans ce type de fonds, sachant qu’à l’ex-ception du Fonds de solidarité FTQ chezqui ce sont en majorité des travailleurssyndiqués qui en profitent, la plupart des

épargnants des FIS sont des individus àhauts revenus n’ayant que peu de choses àvoir avec les syndicats. Leur profil estproche de l’épargnant typique qui investitdans un compte d’épargne individuel 2.Ce constat n’est pas pour surprendre, lapropension à épargner étant en générald’autant plus forte que les revenus sontélevés. Ces dispositifs favorisent donc enpriorité non pas les travailleurs qui en au-raient le plus besoin pour leur retraite,mais des individus déjà bien nantis. LesFIS ont pourtant contribué à diffuser lemythe d’un capitalisme populaire enmarche au Canada alors que la richesse fi-nancière y est au contraire trèsconcentrée, comme aux Etats-Unis.

D’autres critiques peuvent leur êtreadressées : d’une part, la loi exige que60 % des actifs des FIS soient investisdans les PME et l’éconosmie réelle aprèsplus de cinq ans d’existence ; malgré cela,certains fonds violent carrément la loi surce point tandis que les autres, de créationrécente, sont loin d’atteindre ce seuil entoute légalité. Ce qui signifie que les sub-ventions gouvernementales, destinées aufinancement des PME dans un souci demaintien/création des emplois, servent enpartie à l’achat de bons du Trésor,c’est-à-dire au gouvernement canadien etau paiement de sa dette publique. D’autrepart, les frais de gestion des FIS sont rela-tivement élevés, plus que les mutual

funds classiques (autour de 5 % des actifspar an), ce qui tire leurs performances

26 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

QUEBEC

1. Il suffit de verser de l’argent à un syndicat pour pouvoir utiliser son nom. Ces fonds sont ainsisouvent soutenus par d’obscures associations professionnelles ou de petits syndicats, et géréspar des firmes privées d’où les syndicats sont totalement absents. Les gestionnairesempochent ainsi des honoraires de gestion souvent élevés sans souci particulier d’avancer desobjectifs sociaux ou environnementaux au sein des PME dans lesquelles ils investissent, nimême d’assurer la protection des emplois existants.

2. Il a été estimé que 375 000 Canadiens investissent dans un FIS, soit seulement 1,8 % desCanadiens imposables, cf. J. Stanford : « Paper boom », co published by Center for PolicyAlternatives & James Lorimer & Co ltd, Toronto, 1999.

Page 19: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

vers le bas. Enfin, le nombre d’emploiscréés ou maintenus dans les entreprisesau sein desquelles les FIS investissentdoit être relativisé, étant en effet souventsurestimé 1.

Les investissements « éthiques »et le militantisme d’actionnaire

Au Canada comme aux Etats-Unis, lemouvement des investissements « éthi-ques » a été initié par les Eglises et s’estdéveloppé en dehors des syndicats 2.L’utilisation d’un filtre d’investissement(screen) autre que le rendement financierpar les caisses de retraite est une pratiquejusqu’à maintenant peu répandue. Les ad-ministrateurs syndicaux des caisses de re-traite canadiennes ont la même méfianceque leurs homologues américains àl’égard de ces investissements alternatifs,étant peu formés et fortement soumis àl’influence des gestionnaire de fonds quine manquent pas d’alimenter cettecrainte.

Pourtant, il existe au Canada un sec-teur des mutual funds éthiques,c’est-à-dire des fonds dont le portefeuilleest filtré selon des critères autres que fi-nanciers (environnementaux, sociaux,etc.). Ce secteur, qui vise davantagel’épargne individuelle que l’épargne ins-titutionnelle, a été initié par le mouve-ment des banques coopératives dans lesannées 80, en réponse à la montée destaux d’intérêt et à la concurrence des ins-titutions financières non bancaires quidrainent alors une part croissante del’épargne des ménages et des salariés (no-tamment les mutual funds). Le plus im-portant promoteur de mutual funds

éthiques est au Canada le groupe Ethical

Fund, initié par une caisse de crédit coo-pératif de Vancouver (VanCity Savings

and Credit Union). Il compte en tout 12mutual funds éthiques totalisant plus de 2milliards de $ CAD d’actifs sous gestion.Son porte-drapeau est l’Ethical Growth

Fund, créé en 1986 et qui fait partie au-jourd’hui des dix premiers mutual funds

canadiens, gérant à lui seul près de 740millions de $ CAD. D’autres groupes demutual funds ont cherché à investir cecréneau de l’éthique comme Investor’s

Group, l’un des plus importants mutual

funds au Canada qui gère 20 milliards de$ CAD de façon non éthique et qui a créé,par opportunité commerciale, son propremutual fund éthique, Summa Fund (600millions de $ CAD). Enfin, le Mouvement

Desjardin, principal groupe financier dumouvement coopératif québécois, a crééson propre fonds environnemental, dotéde 125 millions de $ CAD d’actifs sousgestion.

Plus récemment s’est développée, àpartir des Etats-Unis, une sorte de mili-tantisme d’actionnaire syndical quiconsiste, pour les caisses de retraite syn-dicales, à donner de la voix en tant qu’ac-tionnaire. L’AFL-CIO américaine ainauguré cette stratégie dans les années90 et cherche aujourd’hui à étendre cetteexpérience au niveau international. Sonexemple pourrait faire tâche d’huile, auCanada comme dans d’autres pays. Pour-tant, elle n’est pas exempte d’ambiguïtéet révèle parfois le caractère antagoniquedes intérêts du capital et du travail.

Au Canada, le montant des avoirs ac-cumulés dans les caisses de retraite syndi-cales atteignait environ 400 milliards de $CAD à fin 1997 (dont près d’un tiers estinvesti en actions d’entreprise), ce qui re-

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 27

LA GESTION DES CAISSES DE RETRAITE

1. Cf. J. Stanford (1999), op. cit.

2. Cf. C. Sauviat et J-M Pernot, op. cit.

Page 20: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

présente un pouvoir potentiel relative-ment limité par rapport à l’ensemble desavoirs financiers du pays (7,5 %) 1. Cescaisses ont en conséquence besoin des’allier avec d’autres investisseurs insti-tutionnels comme les fonds de pension dusecteur public, qui sont aux Etats-Unisparmi les plus puissants financièrement etaussi parmi les plus activistes. Le premierfonds de pension canadien provient luiaussi du secteur public : il s’agit del’Ontario Teachers Pension Plan qui dé-tient plus de 75 milliards de $ CAD d’ac-tifs sous gestion 2. Or ce fonds de pensionpublic, important actionnaire du groupeagro-alimentaire Maple Leafe Foods, asollicité le rachat de ce dernier en 1995par un autre groupe (McCain). Cette opé-ration, réalisée dans une optique de re-dressement des coûts et de restauration dela rentabilité, a conduit à la mise enœuvre d’une politique farouchementanti-syndicale en 1998. La nouvelle di-rection a exigé des concessions salarialesdrastiques lors du renouvellement des di-verses conventions collectives, ce qui aconduit à une série de gréves et à un lock

out et à des reculs importants dans cer-tains segments de l’industrie, notammentl’abattage du porc. Cette logique d’ac-tionnaire est donc venue heurter de pleinfouet les intérêts des salariés du groupeindustriel en question et ce, en dépit desprotestations véhémentes et de la mobili-sation du Syndicat des enseignants del’Ontario, lequel n’a rien pu empêcher.

Vers une coordination internationaledu militantisme d’actionnaire syndical

Ces différentes initiatives syndicales,d’origine nord-américaine, s’inscriventaujourd’hui dans une tendance plus géné-rale, exprimant une volonté partagée parplusieurs syndicats européens d’exercerune action d’envergure internationale àpartir du pouvoir potentiel que confèrel’arme de « l’argent des travailleurs » ac-cumulé au sein des fonds de pension. Dece point de vue, la centrale américaineAFL-CIO a joué un rôle de leader aux cô-tés du TUC britannique et de LO enSuède pour constituer, au sein de la Con-fédération internationale des syndicats li-bres (CISL), un comité chargéd’examiner la question de l’investisse-ment international des caisses de retraite.En 1999 s’est tenue une conférence sousl’égide des principales fédérations natio-nales affiliées et intéressées 3, des secréta-riats internationaux de branche et de lacommission syndicale consultative au-près de l’OCDE, le Trade Union Advisory

Comittee (TUAC).Les enjeux pointés lors de cette réu-

nion concernaient la constitution de basesde données et d’informations sur les ac-teurs de la pension industry (les fonds depension, leurs politiques de placement etcelles des gestionnaires de fonds, les poli-tiques de vote de ces derniers) ; le déve-loppement de recommandations de votebasées sur le respect minimum des stan-dards du BIT en matière de normes dutravail et des principes de corporate go-

vernance établis par l’OCDE ; l’examen

28 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

QUEBEC

1. Cité par J. Stanford, op. cit.

2. Au classement 1999 des 300 premiers fonds de pension au niveau mondial, l’Ontario Teachersétait classé au 32è rang avec 46,2 milliards de $US d’actifs sous gestion.

3. Le CTC au Canada, LO pour la Suède, LO et FTF pour le Danemark, UIL et CGIL pour l’Italie,FNV pour les Pays-Bas, le TUC britannique et le DGB allemand pour ne citer que lesprincipales fédérations présentes à cette réunion.

Page 21: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

des investissements économiquement ci-blés ; la formation des administrateurssyndicaux des caisses de retraite et lacréation d’un réseau d’experts syndicauxsur cette question. Si les centralesnord-américaines apparaissent très acti-ves dans ce contexte (AFL-CIO, CTC etFTQ) aux côtés du TUC britannique no-tamment, certains syndicats européenscommencent à réfléchir au rôle qu’ilspourraient être à même de jouer en la ma-tière.

Il est clair que la persistance de diffé-rences nationales dans les systèmes de re-traite, en dépit de certaines convergences,fait de l’utilisation de l’arme des fonds depension, un levier stratégique pour lesuns, et une question qui ne se pose pas (ou

beaucoup moins, ou encore dans d’autrestermes) pour les autres. On peut à cetégard comprendre que certains syndicatseuropéens soient réticents à se lancer dansdes campagnes d’activisme, empruntantnon seulement une rhétorique mais aussiune logique d’actionnaire. Et ce d’autantplus que le bilan de cette forme d’acti-visme syndical aux Etats-Unis invite àune certaine prudence et doit être replacédans son contexte, celui d’un syndica-lisme toujours en quête de légitimité etconfronté à un rapport de force très défa-vorable vis-à-vis des employeurs 1.

Sources :

Participation de l’auteur au colloque FTQ.

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 29

LA GESTION DES CAISSES DE RETRAITE

1. Cf. C . Sauviat et J-M Pernot, op. cit.

Page 22: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

Québec

Amendements à la loi sur les régimes

complémentaires de retraite

Syndicats, retraités et employeurs s’affrontent

sur l’utilisation des surplus actuariels

Michel LIZÉE 1

Dix ans après l’entrée en vigueurde la loi sur les régimes complémentairesde retraite, le gouvernement québécois adécidé de procéder à une série d’amende-ments visant, selon son expression, à

«« mettre à jour et simplifier le cadre légis-latif » actuel. Le projet de loi, déposé àl’Assemblée nationale du Québec le 16mars 2000, a fait l’objet de débats en Com-mission parlementaire en mai dernier.Son enjeu principal était d’introduire denouvelles dispositions législatives pouroctroyer aux employeurs un nouveaudroit législatif leur accordant, sous certai-nes conditions, l’immunité lorsqu’ils utili-

sent les surplus actuariels des caisses de re-traite pour le paiement des cotisations pa-tronales. Devant le tollé suscité parmi lessyndicats et les associations de retraités, legouvernement a reculé et déposé une séried’amendements en juin dernier. Le projetde loi, ainsi modifié et malgré les hautscris poussés par les associations de retrai-tés, a été finalement adopté en novembre2000 et a maintenant force de loi.

Confronté à une baisse du taux decouverture des régimes complémentairesde retraite 2, le gouvernement québécoissouhaitait rendre plus attrayante la misesur pied d’un régime de retraite pour les

30 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

1. Service aux collectivités, Université du Québec à Montréal.Je remercie Catherine Sauviat et d’autres collègues de l’IRES de leurs nombreuxcommentaires et suggestions sur une version antérieure de ce document. Je demeure seulresponsable de son contenu.

2. Contrairement aux régimes publics de retraite, la mise sur pied d’un régime complémentaire estfacultative et dépend de la décision de chaque entreprise ou de la capacité du syndicatreprésentant les salariés de négocier son établissement. Au cours de la dernière décennie, cetaux de couverture a suivi une lente pente descendante depuis un sommet de 52,3 % dessalariés en 1991 (Bourget 1998, 59) pour se retrouver à 45 % aujourd’hui (Gouvernement duQuébec 2000, 9), un taux qui se rapproche en pratique du taux effectif de syndicalisation de lamain-d’œuvre. Ce taux masque dans les faits un clivage important entre le secteur public, où letaux de couverture est élevé, et le secteur privé où à peine un travailleur sur quatre participe àun régime complémentaire de retraite, un pourcentage qui baisse à moins de 10 % lorsqu’on neconsidère que les PME.

Page 23: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

entreprises. Pour mieux « faire passer lapilule », le gouvernement avait prévu unensemble d’ajustements susceptiblesd’avantager les membres de ces régimesde retraite ou de faciliter l’application dela loi.

Parmi les améliorations introduitespar le projet de loi 102, mentionnons lessuivantes :

� Les régimes à prestations détermi-nées 1 seront désormais obligés de crédi-ter sur les cotisations salariales la totalitédu rendement réalisé par la caisse de re-traite.

� Lorsqu’un salarié est licencié ouquitte l’entreprise avant l’âge de la re-traite, le régime devra lui accorder une in-dexation partielle au coût de la vie de larente acquise entre sa date de départ et lemoment où il commencera à toucher sarente de retraite 2, mais aucune indexationminimale ne lui est garantie une fois à laretraite.

� Au lieu de devoir attendre deux ans,la loi exige désormais l’acquisition dudroit à une rente différée dès le premierjour de participation au régime.

� Un membre qui prend sa retraiteaura désormais le droit de demander quesa rente ait une période de versement ga-rantie de 10 ans, ce qui constitue une pro-tection pour les ayants droit en cas dedécès prématuré. Le montant de la renteinitiale pourra toutefois être réduit pourfinancer cette garantie.

� Compte tenu des inconvénientsqu’entraîne l’immobilisation des rentes

promises dans le cas où le participantquitte le Canada pour aller résider dans unautre pays, la loi permet désormais auparticipant qui a été licencié ou qui a quit-té son emploi et qui a cessé de résider auCanada depuis plus de deux ans de de-mander le remboursement de la valeur deses droits. Les gouvernements en profite-ront toutefois pour prélever immédiate-ment une ponction fiscale …

Le « droit » des employeursd’affecter les surplus

à l’acquittement de leurs cotisations

Comme on l’a dit, l’enjeu central duprojet de loi 102 était celui de la propriétéet de l’utilisation des surplus actuarielsdes régimes de retraite à prestations déter-minées. Pour comprendre l’enjeu de cesdispositions, il importe de comprendrel’économie même de ces régimes. L’en-cadré qui suit fournit un certain nombrede précisions à cet égard.

Le point de vue gouvernemental étaitclair et partait d’un double constat : d’unepart, la tendance à la baisse du taux decouverture des régimes complémentairesde retraite ; d’autre part, le fait qu’à peine20 % des revenus des personnes retraitéesau Québec proviennent des régimes com-plémentaires de retraite et des régimes in-dividuels enregistrés d’épargne-retraite.« À elles seules, plaidait le gouverne-ment, ces quelques données témoignentde l’importance de créer un environne-ment favorable au développement des ré-gimes de retraite, afin d’augmenter la

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 31

REGIMES COMPLEMENTAIRES DE RETRAITE

1. Voir l’encadré (p.32) pour une brève explication de ce type de régime. L’alternative estconstituée par des régimes de retraite à cotisations déterminées, lesquels constituentdavantage des plans d’épargne-salariale et n’offrent aucune garantie de revenu à la retraitehormis la valeur accumulée des cotisations avec intérêts.

2. À titre d’exemple, un salarié qui quitte un emploi à 45 ans et qui commencera à toucher sa renteà 65 ans recevra, si l’inflation annuelle est de 4 %, une indexation équivalente à 18 % del’inflation cumulative pendant cette période.

Page 24: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

proportion des revenus issus des instru-ments d’épargne-retraite » (Gouverne-ment du Québec 2000, 5) . Legouvernement annonçait donc son inten-

tion de « lever les incertitudes qui nuisentau développement des régimes en établis-sant des règles claires et stables pour tous,notamment en clarifiant le droit des em-

32 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

QUEBEC

Le cadre de provisionnement des régimes complémentaires

à prestations déterminées

Les régimes complémentaires sont dits à prestations déterminées lorsque le ré-gime garantit la formule en vertu de laquelle la rente sera fixée. Les prestationspeuvent être déterminées selon un montant fixe pour chaque année de service,indépendamment de la rémunération, ou selon un pourcentage de la rémunéra-tion multiplié par le nombre d’années de participation (par exemple 2 % du sa-laire pour chaque année de participation).

Comme les régimes complémentaires ne bénéficient d’aucune garantie publique,les responsables de l’administration d’un régime à prestations déterminées doi-vent évaluer au moins tous les trois ans combien d’argent doit être versé chaqueannée dans le régime pour garantir les promesses de rentes acquises annéeaprès année. Or, autant il est relativement facile d’évaluer les actifs en caisse,autant il est difficile de prévoir la valeur présente des rentes à payer dans le futur,laquelle dépend de nombreux facteurs (rendements des marchés financiers, évo-lution des salaires d’ici le départ à la retraite, inflation, âge des salariés au mo-ment de leur retraite ou de leur décès,...). C’est pourquoi les caisses de retraitedoivent faire appel à des actuaires qui ont l’expertise pour procéder à de tellesanalyses.

Lorsque le montant des actifs (ACTIF) est inférieur à la valeur présente estiméedes promesses de rente aux membres du régime (PASSIF), on dit que le régimeest en déficit actuariel ; la loi exige alors que le déficit soit amorti par des cotisa-tions additionnelles, généralement à la charge de l’employeur et étalées sur unnombre d’années prescrit (15 ans généralement, mais 5 ans si la solvabilité de lacaisse était mise en cause dans l’éventualité d’une fermeture ou faillite de l’entre-prise).

Inversement, lorsque le montant des actifs (ACTIF) est supérieur à la valeur pré-sente estimée des promesses de rente aux membres du régime (PASSIF), on ditque le régime est en surplus actuariel. L’enjeu est alors de savoir à qui appartientce surplus et comment en disposer. Les employeurs affirment que ces surplussont la contrepartie du risque de déficit encouru par l’entreprise ; en consé-quence, celle-ci a le droit le plus strict de se servir de ces surplus pour acquitterses cotisations futures, d’où la pratique généralisée de congés de cotisations pa-tronales dans les périodes où les rendements financiers sont favorables. Les sa-lariés vont plutôt insister sur le fait que les régimes de retraites constituent unsalaire différé et que les sommes accumulées dans un régime de retraite de-vraient servir exclusivement aux membres du régime.

Page 25: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

ployeurs au congé de cotisation » (Gou-vernement du Québec 2000, 5).

La version initiale du projet de loi vi-sait donc à mettre en place une procédurepermettant de confirmer le « droit del’employeur d’affecter, à l’acquittementde ses cotisations, tout ou partie de l’ex-cédent d’un régime de retraite ». Une pre-mière option était le cas où l’employeur al’assentiment de chaque association syn-dicale représentant les participants. Crai-gnant, vraisemblablement, que lesorganisations syndicales n’abandonnentpas aussi facilement leurs droits sur cessurplus, le projet de loi prévoyait unedeuxième option : tout employeur dont lerégime accorde rétroactivement deux desnouveautés prévues dans le projet de loi,soit l’indexation partielle de la rente dif-férée ou encore un taux égal au rende-ment de la caisse sur les cotisationssalariales (deux mesures plutôt modestes)pourra se faire reconnaître un tel droitmalgré les objections des organisationssyndicales ou des retraités, sauf dans lecas très précis où les textes des régimesinterdiraient « expressément l’affectationde l’excédent d’actifs à l’acquittement decotisations patronales » ou exigeraientune cotisation patronale minimale prédé-terminée. Il s’agit là de dispositions rela-tivement peu fréquentes, et qui seretrouvent davantage dans certains régi-mes de municipalités ou d’universités.Comme si ce n’était pas suffisant, uneautre disposition reconnaissait égalementce droit à l’employeur dans les cas où lacapitalisation du régime excède les pla-fonds autorisés par les normes fiscales ca-nadiennes ( typiquement un act i fsupérieur à 110 % du passif ) et ce, « mal-gré toute disposition incompatible du ré-gime de retraite », sauf s’il y a desdispositions « portant spécifiquement »

sur ces surplus dits excédentaires, une ra-reté dans les faits.

Un débat où s’affrontentgouvernement, employeurs,

syndicats et retraités

Les centrales syndicales ont été una-nimes à s’opposer à l’orientation gouver-nementale . Les deux principalesconfédérations syndicales québécoises, laFédération des travailleurs et travailleu-ses du Québec (FTQ) et la Confédérationdes Syndicats Nationaux (CSN), ont in-sisté dans leurs présentations respectivessur un certain nombre de dimensions,inacceptables à leurs yeux, du projet deloi :

� La cotisation patronale au régime deretraite est l’une des composantes de larémunération globale convenue lors desnégociations périodiques à la table desnégociations. Toute amélioration du ré-gime de retraite implique nécessairementune renonciation, à tout le moins impli-cite, à d’autres avantages que les sommesrequises pour ces améliorations auraientpu financer. En conséquence, l’em-ployeur ne devrait pas pouvoir se sous-traire par la suite à une entente en« récupérant ses billes », et la loi devraitencore moins cautionner ou légaliser unetelle pratique.

� Dans la très grande majorité des cas,sur la base des textes des régimes ou desconventions collectives et des ententesconvenues à la table de négociation, il n’ya eu que très peu de recours introduits àl’encontre de prises de congés de cotisa-tion patronales, sauf dans quelques rarescas où il y avait eu des modifications illé-gales au régime. Où est donc l’incerti-tude ?

� Sur le terrain, il était d’usage,lorsque des surplus actuariels étaient cons-tatés, qu’employeurs et syndicats s’as-

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 33

REGIMES COMPLEMENTAIRES DE RETRAITE

Page 26: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

soient à la table de négociations pourconvenir d’une utilisation qui pouvait à lafois inclure de conserver une partie de cessurplus comme réserve, de procéder à cer-taines améliorations (par exemple desajustements aux retraités en raison de l’in-flation ou des programmes temporaires dedépart à la retraite) et d’accorder à l’em-ployeur, et parfois aussi aux salariés, uncongé partiel ou total de cotisations. Maisl’incitation légale créée par le projet de loi,qui reconnaîtrait désormais un nouveau« droit de l’employeur » d’affecter les sur-plus à l’acquittement des cotisations patro-nales, modifie l’environnement danslequel les négociations se dérouleraientalors et risque donc de fermer cette option.

Enfin, alors que le gouvernement pro-clamait son objectif « de renforcer laconfiance des travailleurs en accentuantla transparence des régimes » (Gouverne-ment du Québec 2000, 5), les organisa-tions syndicales répliquaient : « Si legouvernement décide d’aller de l’avantavec ce projet de loi, c’est toute laconfiance des participantes et des partici-pants dans leur régime et dans la Régiedes rentes qui sera remise en question »(Confédération des syndicats nationaux2000, 29).

Une réforme engagée sur la based’informations manquantes

ou inexistantes

Curieusement, ce débat s’est fait sansque les protagonistes ne disposent dedonnées de base pour en apprécier correc-tement les enjeux. Le gouvernement duQuébec et la Régie des rentes, l’orga-nisme responsable de l’application de laloi, ne disposaient d’aucune étude faisantle point sur les dispositions effectives desrégimes de retraite et des conventionscollectives relativement au versement de

la cotisation patronale et à l’utilisationdes surplus. Pourtant, la Régie disposedans ses cartons du texte de tous les régi-mes sous sa juridiction. Étrange omissionpour une question de cette importance.

On aurait pu penser que la Régie desrentes était au moins en mesure de quanti-fier le montants des surplus en jeu. LaRégie des rentes avait indiqué, en com-mission parlementaire, que le problèmed’ensemble était relativement limité, avecpeut-être un montant total de surplus ac-tuariels au 31 août 1999 s’élevant àl’équivalent de 11,5 milliards FF, dont unpeu plus de 1 milliard FF de surplus excé-dentaires au-delà des plafonds fiscaux. LaFTQ a contesté avec énergie ce chiffre,affirmant que le montant des surplus ac-tuariels excédentaires, pour les seuls régi-mes de membres de la FTQ, s’élevait àplusieurs milliards de dollars canadiens,dont l’équivalent de 8,9 milliards FF pourun seul régime ! Au terme d’un échangeanimé en commission parlementaire, leprésident de la FTQ avait lancé que « leministre devrait congédier » un fonction-naire de la Régie qui continuerait à pré-tendre que le montant de surplusexcédentaires n’atteint que 1 milliard deFF...

La Régie des rentes du Québec affir-mait par ailleurs que, dans les dernièresannées, 60 % des surplus avaient été utili-sés pour améliorer les prestations et 40 %l’ont été sous forme de congés de cotisa-tions patronales (Gouvernement du Qué-bec 2000, 13). Cette présumée répartitiona été prise pour acquis par de nombreuxintervenants lors des débats en commis-sion parlementaire. Pourtant, lors de sacomparution le 9 mai 2000, le prési-dent-directeur général de la Régie desrentes a expliqué que ce chiffre provenaitdu recoupement de deux observationsconvergentes : une étude portant sur l’uti-

34 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

QUEBEC

Page 27: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

lisation des surplus en cours de régime de1984 à 1987 (une période qui faisait suiteà la récession économique 1981-1983 et àun début de reprise des marchés finan-ciers) ainsi que l’expérience de partagedes surplus en cas de terminaison de ré-gime depuis les amendements réglemen-taires de 1993. Bref, là encore, desdonnées peu fiables pour les extrapolersur l’expérience très particulière de l’uti-lisation des surplus en cours de régime dela fin des années 1990, caractérisée pardes rendements financiers « exubérants »,nettement en excédent des rendementsréels historiques ou attendus par les ac-tuaires, mais également dans de très nom-breux cas par une progression salarialeinférieure à celle attendue par les actuai-res. Une réalité d’ailleurs admise par laRégie des rentes et par son actuaire enchef, qui reconnaissait lors de cette mêmecommission parlementaire : « C’est sûrqu’on vit un peu l’âge d’or des régimes deretraite actuellement, c’est-à-dire que lesdernières années, les caisses de retraiteont généré des rendements très impor-tants, supérieurs à ce qu’on a connu, si onse réfère à une période plus longue »(Journal des débats, Débats de la Com-

mission des affaires sociales, 9 mai2000). En réponse à des questions del’opposition officielle en commissionparlementaire, la Régie reconnaissaitd’ailleurs ne pas disposer de données plusprécises et ne pas être en mesure de lefaire : « Nos données ne sont pas suffi-samment précises pour être capable » dedonner une image de la valeur des surpluset des déficits, et surtout de leur nature oude leur provenance. Certains observa-teurs, dont je suis, estiment qu’un calculprenant en compte l’expérience desquatre dernières années aurait permis :d’une part, de conclure que la majoritédes surplus en cours de régime a d’abord

servi à des congés de cotisation ; d’autrepart, que dans les cas où une partie deceux-ci a servi à améliorer les prestationsdes participants, cela a été fait dans la me-sure où les syndicats renonçaient par ail-leurs à négocier d’autres améliorations deprestations permanentes qui auraient re-quis une hausse des cotisations futures dela part de l’employeur.

Le ministre parrain du projet de loi,monsieur André Boisclair, affirmait éga-lement en Commission parlementaire :« Selon la compréhension que nousavons, les clauses d’exclusion qui font ensorte qu’un employeur ne peut pas à sapropre initiative prendre un congé de co-tisation couvrent la très grande majoritédes régimes – on dit à peu près 95 % – etc’est d’ailleurs dans ces régimes que seretrouvent les surplus les plus significa-tifs... Donc, on dit qu’il y a 5 % des régi-mes où l’employeur pourrait, à soninitiative, prendre un congé de cotisa-tion » (Journal des débats. Débats à la

Commission parlementaire des affaires

sociales , 10 mai 1999).En dépit du fait que la Régie des ren-

tes n’a pas jugé nécessaire de produireune analyse exhaustive des dispositionsactuelles des conventions collectives etdes régimes de retraite, tout observateuraverti sait la chose suivante : une trèsgrande majorité de régimes du secteurprivé, et un certain nombre de régimes dusecteur public, où l’employeur assume lesolde du coût d’un régime de retraite, luipermettent d’utiliser les surplus actuarielsen cours de régime pour réduire en toutou en partie les cotisations patronalespour le service courant. Même si cette si-tuation crée un doute en faveur de l’em-ployeur sur la propriété effective dessurplus, de façon pragmatique, bonnombre de syndicats ont toujours préférélaisser cette question ouverte à chaque

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 35

REGIMES COMPLEMENTAIRES DE RETRAITE

Page 28: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

ronde de négociations. Ils ont choisi des’entendre sur le partage des surplus plu-tôt que de prendre le chemin peut-êtresans issue d’un débat de principe patro-nal-syndical pour enchâsser de façon per-manente les droits et attributions desparties en ce qui a trait à la propriété etl’utilisation des excédents en cours de ré-gime.

Le gouvernement calmele jeu du côté syndical,

mais au détriment des retraités

Confronté au tollé syndical, et malgrél’appui des organisations patronales, legouvernement a finalement dû lâcher dulest. La solution, proposée par le ministreen juin 2000 et qui sera retenue dans leprojet finalement adopté, a été la sui-vante :

a) L’obligation pour chaque régimed’indiquer « le droit pour l’employeur, lecas échéant, d’affecter tout ou partie del’excédent d’actif à l’acquittement de sescotisations » (Régie des rentes du Qué-bec, Service juridique 2000, art. 14, 13).

b) La possibilité de confirmer, parune modification au régime, le « droit del’employeur d’affecter, à l’acquittementde ses cotisations, tout ou partie de l’ex-cédent d’actif d’un régime de retraite »,pourvu que les syndicats et toute partieavec laquelle l’employeur est lié par uncontrat écrit y donnent leur accord.

c) L’intention du législateur est af-firmée encore plus clairement dans le casdes nouveaux régimes de retraite à presta-tions déterminées qui seront mis en place.Ce principe, curieusement, apparaît versla fin du projet de loi, dans le chapitreXVIII Dispositions diverses (!) et transi-

toires :« (L)es dispositions d’un régime entré

en vigueur après le 31 décembre 2000 re-

latives au droit de l’employeur d’affectertout ou partie de l’excédent d’actif à l’ac-quittement de ses cotisations prévalentsur toute disposition du régime ou d’uneconvention et lient quiconque a des droitsou obligations en vertu du régime » (Ré-gies des rentes du Québec, Service juri-dique 2000, art. 306.9).

Les centrales syndicales ont pousséun soupir de soulagement, même si leprojet de loi ainsi adopté demeure beau-coup plus près du point de vue patronalque de la logique syndicale. Le principede la négociation demeurait réaffirmé.

Mais ce sont les retraités qui ont réagile plus fortement. Quelques semainesavant le dépôt du projet de loi, l’Alliancedes Associations de retraités du Québecavait énoncé trois revendications centra-les :

1) L’Alliance réclamait d’abord un vé-ritable droit à la gestion pour les personnesretraitées. Alors que les retraités ont typi-quement un seul représentant au comité deretraite, l’Alliance revendiquait une repré-sentation conforme au poids des retraitéspar rapport aux salariés et la nécessitéd’obtenir l’accord des retraités lors detoute modification touchant les retraités oupour modifier les règles de gestion.

Dans sa première version, le projet deloi 102 prévoyait l’élection d’unedeuxième personne par les retraités. Lesemployeurs ont souligné que l’ajout desalariés ou retraités additionnels les obli-gerait à augmenter aussi leur propre re-présentation pour maintenir leur majoritéactuelle (ce qui est le cas dans la trèsgrande majorité des cas) ou à tout lemoins la parité (davantage fréquente dansle secteur para-public et les municipali-tés), ce qui aurait pour effet selon euxd’alourdir le fonctionnement des comitésde retraite. Résultat : le gouvernement estrevenu à un seul salarié et un seul retraité

36 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

QUEBEC

Page 29: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

au comité de retraite comme exigence debase, tout en rendant possible la nomina-tion d’un substitut avec droit de parolemais sans droit de vote. Les autres reven-dications des retraités ont été tout simple-ment écartées.

2) Alors qu’au Canada, à peine 16 %des membres des régimes de retraite bé-néficient de l’indexation intégrale au coûtde la vie, soit 30 % de ceux du secteur pu-blic et... 1 % de ceux du secteur privé(Statistique-Canada 1999, 40), l’Allianceréclamait que « la protection du revenudes retraités prestataires des régimescomplémentaires de retraite soit mise enpriorité afin de maintenir le pouvoird’achat des retraités au niveau initial »(Alliance des associations de retraités2000, 9). Le projet de loi 102, hormis lemodeste amendement pour une indexa-tion partielle des rentes différées décritplus haut, évacue cette question.

3) L’Alliance revendiquait égalementun « partage équitable des surplus » et de-mandait à ce que l’identification de lapart du surplus devant aller aux retraitéset la formule d’attribution soient « régle-mentées sur une base juste et équitableavec l’accord des retraités » (Alliance desassociations de retraités 2000, 9) 1.

L’Alliance a donc réagi très vivementau premier dépôt du projet de loi 102,pour des motifs qui rejoignent ceux desconfédérations syndicales. Mais lorsquele gouvernement a modifié le texte duprojet de loi en juin 2000 pour tenir

compte en partie des objections syndica-les, les retraités sont apparus comme lesgrands perdants de la « réforme ». Pireencore, « le chat a fini par sortir du sac » :« l’incertitude » à laquelle ne cessait de seréférer le gouvernement, c’était d’abordcelle de recours collectifs intentés ou envoie de l’être par quelques associationsde retraités devant les tribunaux civilspour contester certaines ententes où em-ployeurs et syndicats se partageaient lessurplus sous forme de bonifications pourles salariés actifs et de congés de cotisa-tion pour les employeurs, sans prévoird’ajustements particuliers pour les retrai-tés.

Le gouvernement a supprimé ainsi ledroit pour les retraités d’engager pareilsrecours à compter de 2001, et l’article146.7 affirme clairement que « les dispo-sitions du régime qui... sont relatives audroit de l’employeur d’affecter tout oupartie de l’excédent d’actif à l’acquitte-ment de ses cotisations... lient quiconque

à des droits ou obligations en vertu du ré-

gime. » (Régie des rentes du Québec –Service juridique 2000, art. 146.7 ; les ita-liques sont de nous). Désormais, les re-traités perdent tout recours à l’égard descongés de cotisation patronale, à moinsqu’un groupe de retraités ne contesteéventuellement jusqu’en Cour Suprêmela constitutionnalité de cet article, en re-gard notamment des Chartes canadienneet québécoise des droits. Et les retraitésn’ont obtenu aucun prix de consolation

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 37

REGIMES COMPLEMENTAIRES DE RETRAITE

1. Plus spécifiquement, les retraités demandaient que la part des surplus leur revenant soit au pro

rata de leur part des actifs totaux. Cette argumentation, s’il fallait la traiter de façon absolue,comporte une faille importante. Dans l’éventualité d’un déficit actuariel, les retraités ne peuventêtre mis à contribution au chapitre des cotisations requises, ni encore moins au niveau desprestations, les retraités bénéficiant sur cette question d’une protection supérieure à toutes lesautres catégories de membres du régime. Par conséquent, la solution prudente et rationnellepour l’employeur ou le comité de retraite serait alors de scinder la caisse en deux, l’une pour lessalariés actifs et l’autre pour les personnes retraitées, et de gérer cette dernière sur une based’immunisation ou d’appariement, ce qui réduirait à presque zéro la probabilité d’un déficit,mais également d’un surplus...

Page 30: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

pour ce recul : ni droits de représentationaccrus, ni obligation pour les régimesd’accorder une indexation minimale auxretraités avant de permettre aux em-ployeurs de se prévaloir de congés de co-tisation. Rien, sinon le droit de savoir queça se produira de toutes façons, malgréleurs objections.

Alors que les syndicats saluaient leretour du gouvernement à la primauté desententes négociées, les retraités se sonttrouvés doublement isolés : face au gou-vernement et aux employeurs certes, maisaussi face aux syndicats. Il faut recon-naître que les organisations syndicales setrouvaient ici dans une situation délicate :accepter un rôle formel des associationsde retraités à une table de négociation au-rait miné le monopole de représentationsyndicale central au régime des relationsde travail au Québec. Les enjeux propresau régime de retraite ne peuvent pas êtreisolés des autres dimensions des relationsde travail, et leur négociation ne peut paset ne doit pas se faire ailleurs qu’à la tablede négociation, dans le cadre d’un rapportde force. Accorder à une tierce partie, lesretraités en l’occurrence, un droit de vetorendrait le processus de négociation ingé-rable : « Le syndicat est là pour représen-ter tous ses membres, actifs et retraités, etle régime de retraite est l’un des pointsmajeurs lors d’une négociation... La loisur les régimes complémentaires de re-traite n’est pas l’endroit indiqué pour mo-difier les règles de la négociationcollective au Québec », déclarait le secré-taire général de la FTQ (Fédération destravailleurs et travailleuses du Québec2000) après l’annonce des amendementsgouvernementaux.

Toutefois, les comportements effec-tifs des syndicats à l’égard de la défensedes droits et intérêts de leurs anciensmembres devenus retraités varient beau-

coup d’un groupe à l’autre : certainsconservent une tradition de maintien dudialogue et une solidarité avec leurs re-traités (les syndiqués d’aujourd’hui nesont-ils pas les retraités de demain d’ail-leurs ?) et négocient des avantages poureux, en matière d’assurances collectiveset de régimes de retraite en particulier ;tandis que d’autres considèrent, à l’instardes employeurs, que les retraités qui re-çoivent les prestations promises doivents’en accommoder, l’utilisation des sur-plus devant d’abord aller aux salariés ac-tifs qui auront à accepter ou à refuser lesoffres patronales... En l’absence degarde-fous dans la loi, il faudra s’en re-mettre aux engagements des directionsdes centrales qui ont affirmé clairementleur intention de défendre adéquatementles membres retraités des syndicats, maissurtout à la volonté ou non des dirigeantsdes syndicats locaux aux tables de négo-ciation de donner suite dans les faits à cesengagements.

Conclusion

Un régime de retraite est un contratsocial à long terme conclu entre une en-treprise et ses salariés pour assurer à cesderniers la sécurité du revenu à la retraiteen complément aux prestations de baseoffertes par les régimes publics. Dansd’autres sociétés, cette sécurité du revenuest assurée par des programmes publicsgénéreux garantis par l’État. Au Canada,les employeurs ont toujours préféré desrégimes complémentaires, privés, capita-lisés, adéquatement réglementés, négo-ciés le cas échéant, arguant qu’ilsconstituaient une meilleure façon d’y par-venir tout en tenant compte des particula-rités de chaque secteur et de chaqueentreprise.

38 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

QUEBEC

Page 31: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

Dans les faits, chaque régime de re-traite comporte donc ses particularités quidécoulent de son histoire propre. Les sa-lariés cotisent à leur régime pendant 10,20, 35 ans ; pendant cette période, ils ontpu être amenés à renoncer à des augmen-tations salariales additionnelles ou àd’autres avantages lors des négociationspour permettre le financement adéquat denouvelles prestations. Les travailleurs ettravailleuses participant à des régimes deretraite doivent avoir confiance dans lefait que l’argent sera là à leur retraite etque les prestations offertes leur assure-ront, compte tenu du caractère modestedes régimes publics, un revenu leur ga-rantissant une dignité ainsi que le main-tien de leur standard de vie lors de laretraite par une indexation adéquate desrentes ; dès lors, toute expérience favo-rable vécue par la caisse de retraite de-vrait servir à les rapprocher de cetobjectif.

C’est cette confiance que le projet deloi 102 est venu saper un peu plus. La fa-çon dont les organisations syndicales trai-teront les nouvelles dispositions relativesaux excédents actuariels, le rapport deforce qu’elles parviendront à établir, lasolidarité qu’elles parviendront à déve-lopper avec les retraités, seront à cetégard déterminantes.

Sources :

Alliance des associations de retraités (2000),Position de l’Alliance des Associations des Re-traités face à la gestion des caisses et régimescomplémentaires de retraite du Québec. Mon-tréal.

Bourget, Renaud (1998), Les régimes de re-

traite complémentaires au Québec. Statistiques1995. Version électronique téléchargée du siteWeb de la Régie des rentes du Québec ed.Québec, Régie des rentes du Québec.

Confédération des syndicats nationaux (2000),Mémoire sur le projet de loi n° 102, loi modifiantla loi sur les régimes complémentaires de re-traite, présenté à la Commission des affairessociales par la Confédération des syndicats na-tionaux, le 16 mai 2000, Ottawa.

Fédération de travailleurs et travailleuses duQuébec (2000), Projet de loi sur les surplus desrégimes de retraire : la FTQ dénonce la positiondes libéraux , Fédération des travailleurs et tra-vailleuses du Québec (FTQ).

Gouvernement du Québec (2000), Pour favori-ser le développement des régimes privés de re-traite. Projet de loi 102 sur les régimes complé-mentaires de retraite. Document d’informationquestion-réponses.

Régie des rentes du Québec – Service juridique(2000), Loi sur les régimes de retraite (L.R.Q.,Chapitre R-15.1) avec le Projet de Loi 102, loimodifiant la loi sur les régimes complémentai-res de retraite et d’autres dispositions adminis-tratives. Codification administrative. A jour dé-cembre 2000.

Statistiques-Canada (1999), Régimes de pen-sion au Canada. 1er janvier 1998. Vol. Cata-logue nº74-401 XIB. Ottawa, Ministre del’Industrie, des Sciences et de la Technologie.

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 39

REGIMES COMPLEMENTAIRES DE RETRAITE

Page 32: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

Québec

Aménagement et réduction du temps de travail :

les initiatives et les débatsDiane-Gabrielle TREMBLAY 1

Au cours des dernières décennies,la question de l’aménagement et de la ré-duction du temps de travail (ARTT) a sus-cité un certain intérêt au Québec commemesure potentielle de réduction du chô-mage, mais les initiatives en ce sens ontété plutôt limitées en regard des pays euro-péens et de la France en particulier. Celapeut paraître étonnant étant donné l’impor-tance du chômage au Québec au cours desdernières décennies, mais il est certainque l’environnement nord-américain, etplus particulièrement la tradition de faibleintervention de l’État sur le marché du tra-vail, amène les employeurs à être plutôt ré-fractaires à l’idée d’une intervention del’État en matière de réduction du temps detravail. Cependant, les syndicats québé-cois étant très proches des débats françaissur le temps de travail, des propositions demesures ne cessent de surgir.

Nous présentons ici un bref rappel desmesures d’ARTT telles qu’elles se sontdéveloppées au Québec. Nous ne traite-rons pas du cas canadien car il n’existe à

ce niveau qu’une seule mesure, le travailpartagé (voir encadré) ; celle-ci vise à li-miter les licenciements à court terme, etnon à réduire le temps de travail à pluslong terme. La mesure canadienne estainsi purement défensive (limiter les li-cenciements, sans création d’emplois),alors que la mesure québécoise peut per-mettre de créer ou maintenir des emplois.

Nous examinons l’expérience québé-coise en matière d’ARTT, en présentantrapidement les politiques publiques ac-tuellement en vigueur. Au-delà des politi-ques publiques il nous paraît important desouligner que nombre de syndicats d’en-treprise vont de l’avant avec des deman-des d’ARTT ou de RTT, puisque leurscentrales les y invitent. A l’instar de l’em-ployeur, ils préfèrent parfois le faire endehors du programme gouvernemental,soit parce qu’ils le jugent trop contrai-gnant, soit parce qu’ils voient d’autrescontreparties à offrir à l’employeur à laplace du financement étatique.

40 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

1. Professeur et directrice de la recherche, Télé-université, Université du Québec.

Page 33: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

L’historique de la mise en placedes mesures

Confronté à l’aggravation du chô-mage enregistré au début des années1980, le gouvernement du Québec a ins-tauré en 1991 le programme d’Aide àl’aménagement et à la réduction du tempsde travail (ARTT), qui a pris la relève duProgramme d’action concertée sur letemps de travail (PACTT) mis en placeen 1984. Plus récemment (1996) une me-sure de crédit fiscal à l’intention des en-treprises qui acceptent de promouvoir desformes d’aménagement et de réductiondu temps de travail a été mise en place.

Le PACTT

Le premier Programme d’aménage-ment concerté du temps de travail(PACTT), a existé de 1984 à 1991 1. Àl’origine, les centrales syndicales étaientfortement contre cette mesure qu’ellesvoyaient comme une mesure de « partagedu chômage ». Cependant, comme plu-

sieurs syndicats de base avaient déjà ap-précié le programme fédéral de Travailpartagé 2, certains ont souhaité expéri-menter la mesure du PACTT.

Le PACCT avait pour but de favoriserl’aménagement et la réduction du tempsde travail, tout en offrant des possibilitésd’emplois aux jeunes chômeurs de moinsde 30 ans. Il prévoyait notamment le ver-sement d’allocations de départ à la prére-traite, ainsi que le maintien intégral desavantages sociaux dans le cas des autresmodalités de réduction du temps de tra-vail proposées : partage de poste, congésabbatique à traitement différé, congésans solde, semaine de travail réduite 3.Le PACTT a produit des résultats plutôtmodestes. Au total, une soixantaine d’en-treprises ont signé des protocoles d’en-tente, la plupart se limitant à des mesuresde retraites anticipées. Environ 250 em-plois ont été créés au cours des cinq an-nées d’existence du programme, ce quiest assez peu, même si on se rappelle que

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 41

AMENAGEMENT ET REDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL

Le travail partagé

Le gouvernement fédéral canadien a mis en place un programme nommé « Tra-vail partagé », qui s’inspire des programmes de « work-sharing » développésdans certains États des États-Unis et en Allemagne. Celui-ci, qui est axé sur unestratégie essentiellement défensive de réduction temporaire du temps de travail aété régulièrement utilisé pendant les périodes de récession (1980-81 ; 1990-92).Ce programme vise à limiter les licenciements à court terme et n’a pas pour ob-jectif de réduire le temps de travail à long terme. À la différence du programmecanadien, les mesures québécoises se comparent donc davantage à certainsprogrammes européens de partage du travail.

1. Ces informations et celles qui suivent proviennent principalement de Tremblay et Villeneuve(1998), ainsi que des documents ministériels cités en bibliographie.

2. Tremblay, 1984, Tremblay et Poulin Simon, 1984.3. Tremblay, 1989a.

Page 34: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

la population active du Québec n’est quede 3,7 millions de personnes.

Selon des évaluations gouvernementa-les 1 la faiblesse des résultats est liée aufait que les syndicats et le ministère del’Emploi n’ont pratiquement pas fait lapromotion du programme qui, de toute fa-çon, ne disposait que de budgets assez li-mités. Les résultats sont également liés àl’impossibilité d’assurer le maintien decertains avantages sociaux, notammentdans le domaine de la retraite et de l’assu-rance chômage pour les salariés prêts às’engager dans une réduction de leurtemps de travail. À la suite d’un change-ment de gouvernement, le budget duPACTT a été réduit davantage, puis le pro-gramme a finalement été abandonné, sansqu’à l’époque une évaluation sérieuse n’ensoit faite et sans que cela ne suscite de cri-tiques de la part des syndicats.

Le programme ARTT

En 1994 le gouvernement du Québeca décidé de relancer le PACTT sous unenouvelle forme. De là est né le pro-gramme ARTT. Le nouveau programmea pour but cette fois de favoriser non seu-lement la création de nouveaux emplois,mais également le maintien et la protec-tion des emplois existants. L’aide offertedans le cadre de ce programme comportedeux éléments. On peut d’une part obte-nir une aide technique et financière pourla réalisation d’études de faisabilité et laconception d’un programme d’ARTTdans le cadre d’un comité employeur –employés ; l’aide peut aller jusqu’à

10 000 $ (environ 42 000 FF, au taux de4,2 FF au $ can). On peut aussi obtenirune aide financière pour la mise en œuvredu programme d’ARTT, celle-ci étantfixée à 4 000 $ (environ 16 800 FF) paréquivalent temps complet, pour un maxi-mum de 400 000 $ (1 680 000 FF) parannée, par établissement. Ce montant paremploi n’est évidemment pas très consi-dérable 2, mais permet tout de même decompenser les éventuels frais d’adapta-tion.

Jusqu’ici, le programme n’a pasconnu un grand succès. Depuis son im-plantation, à peine une quinzaine d’entre-prises se sont prévalues de l’aide offerte.Quelques grandes ou moyennes entrepri-ses y ont toutefois participé. Dans la ma-jor i té des cas , cel les-ci étaientconfrontées à un risque de licenciementssurvenu à la suite de changements tech-nologiques, de restructurations d’activitésou encore d’une baisse durable de la de-mande. La plus grande partie des sommesversées a servi à compenser la perte depouvoir d’achat subie par les salariésayant consenti à réduire leur temps de tra-vai l . Parmi les diverses formulesd’ARTT, la préretraite est de loin la plusutilisée. Quant à l’effet sur l’emploi, leprogramme a permis de maintenir en em-ploi 300 personnes menacées de licencie-ment, tout en favorisant environ 50nouvelles embauches pour remplacer lesemployés partis en congé ou en prére-traite. Aucun des plans d’ARTT présentésn’a entraîné un accroissement de l’effec-tif des établissements participants.

42 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

QUEBEC

1. Voir ministère de l’Emploi (1995) et ministère du Travail (1996).2. Le salaire minimum horaire au Québec est de 7 $ (soit 29,40 FF) l’heure et la semaine

« normale » légale est de 40 heures, bien que la plupart des salariés dans les servicestravaillent 35 heures ; le salaire minimum est donc de 1 200 FF environ par semaine dans lesecteur manufacturier.

Page 35: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

Il faut cependant noter que plusieursentreprises québécoises ont mis en placedes programmes d’ARTT sans obtenirl’aide gouvernementale. Comme celas’était produit avec le PACCT dans lesannées 80, certaines entreprises préfèrentavoir toute liberté pour procéder commeelles l’entendent, et ne souhaitent pass’engager dans un programme gouverne-mental. On ne connaît toutefois pas lenombre d’entreprises qui pourraient avoirprocédé ainsi, aucune recension exhaus-tive des cas d’ARTT n’ayant été ef-fectuée au Québec. Les syndicatseux-mêmes n’ont pas encore réalisé uneliste de leurs syndicats qui pourraientavoir mis en place de telles mesures ; laConfédération des syndicats nationaux(CSN) a réalisé une liste, mais il n’est pascertain qu’elle soit exhaustive et la FTQ(Fédération des travailleuses et travail-leurs du Québec) 1 connaît également uncertain nombre de cas, mais n’a pas nonplus effectué d’enquête exhaustive auprèsde ses membres à ce sujet. Il semble queles syndicats aient de la difficulté à pro-mouvoir cette mesure de RTT auprès deleurs membres, la plupart d’entre euxétant très réfractaires à quelque baisse desalaire que ce soit, et étant même plutôtfavorables aux heures supplémentaires.

Les faiblesses observées se compa-rent pour la plupart à celles qui avaient li-mité la portée du PACTT : l’insuffisancedes ressources (humaines, financières,techniques), l’absence de campagne pro-

motionnelle d’envergure, le caractèretrop défensif des interventions, le recourstrop exclusif aux mesures de préretraite,les problèmes reliés à l’assurance chô-mage et à la retraite 2. En conséquence,diverses mesures de redressement de-vaient être apportées au programme, dontun financement supplémentaire impor-tant.. L’avenir dira dans quelle mesure lescorrectifs apportés auront donné les résul-tats souhaités, mais il est clair que ni lessyndicats, ni le gouvernement actuel nefavorisent la RTT dans une perspectivede création d’emploi. Pour la créationd’emplois, le gouvernement opte plutôtpour le soutien à « l’économie solidaire »,et les syndicats, bien que craignant unecertaine substitution d’emplois, ne s’y op-posent pas.

Le crédit fiscal pour la créationd’emplois

Cette mesure annoncée en octobre1996, s’ajoute à la politique publique enmatière d’ARTT. L’aide est offerte auxentreprises qui créent des emplois à pleintemps. Elle prend la forme d’un créditd’impôt remboursable de 1 000 $ par em-ploi admissible (environ 4 200 FF). Lecrédi t es t plafonné à 36 000 $(151 200 FF) annuellement par entre-prise, pour un maximum de 30 nouveauxemplois créés. Pour se qualifier, les entre-prises de plus de 25 employés à pleintemps doivent s’engager à promouvoir unmodèle de partage du travail auprès de

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 43

AMENAGEMENT ET REDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL

1. La CSN est une centrale purement québecoise, non affiliée à une centrale canadienne, elleregroupe environ 1/4 des syndiqués québécois. La FTQ, qui regroupe 1/3 des syndiquésquébécois est affiliée au Congrès du Travail du Canada (CTC) et à travers elle à l’AFL-CIOnord américaine. Il existe de plus au Québec de nombreux syndicats sectoriels (enseignants,infirmières, etc.), et, récemment, la Centrale de l’enseignement du Québec est devenue laCentrale des syndicats québécois (CSQ) pour tenir compte de la diversification de sonmembership.

2. Un diagnostic détaillé est présenté dans Ministère du Travail (1996, 115-123).

Page 36: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

leurs salariés pendant une période de troisans 1.

Dans le cadre de la mesure, il est pro-posé que l’effort des entreprises concer-nées en faveur du partage volontaire dutravail se fonde sur un modèle préétabli.En plus de la réduction collective dutemps de travail, le modèle comporte cinqmodalités de réduction individuelles :

■ la réduction volontaire de la se-maine de travail ;

■ les semaines de congé supplémen-taires sans solde ;

■ les congés sabbatiques ;■ la retraite progressive ;■ la possibilité de refuser les heures

supplémentaires après 48 heures de tra-vail hebdomadaire.

L’application volontaire des modali-tés individuelles doit être faite à la de-mande des salariés et avec l’accord del’employeur. Les syndicats y sont plutôtfavorables en principe, mais le pro-gramme est peu utilisé. L’employeurgarde la possibilité de refuser une de-mande de réduction du temps de travails’il juge que cela nuirait au bon fonction-nement de l’entreprise. La réduction col-lective du temps de travail se fait à lacondition qu’un accord négocié inter-vienne entre l’entreprise et ses salariés 2.

Les syndicats et entreprises peuventchoisir l’une ou l’autre des modalités dé-crites ci-dessus, ou encore concevoir unautre modèle qui conviendrait mieux àleur contexte organisationnel. Il est pos-sible de modifier certaines des conditionsd’application des modalités proposées.Seules les modalités d’aménagement dutemps de travail qui entraînent une réduc-

tion des heures travaillées peuvent êtreinvoquées pour l’obtention du créditd’impôt. Les congés de maternité et lescongés parentaux ne peuvent pas être in-voqués à cette fin.

Pour être admissible au crédit d’im-pôt, l’effort en faveur du partage du tra-vail doit sat isfaire aux condit ionssuivantes :

■ Le modèle de partage du travail doitcomporter au moins cinq modalités indi-viduelles de réduction du temps de tra-vail. Les entreprises où un modèle faitl’objet d’un accord patronal-syndical nesont pas soumises à cette condition.

■ L’application du modèle doit sefaire sur une base volontaire.

■ Les modalités de partage du travaildoivent être offertes à l’ensemble des sa-lariés, à l’exception du personnel de di-rection et d’encadrement.

■ Les salariés doivent pouvoir se pré-valoir des modalités offertes pour une pé-riode de trois ans.

■ Les personnes qui réduisent leurtemps de travail doivent pouvoir bénéfi-cier des avantages sociaux reconnus parl’employeur, sous réserve du paiementdes cotisations exigibles.

■ Si de nouveaux emplois à pleintemps sont créés grâce au partage du tra-vail, une priorité d’embauche doit être ac-cordée aux salariés à temps partiel quidésirent travailler à plein temps.

■ Dès le début de la période de promo-tion du partage du travail, l’entreprisedoit distribuer à chacun de ses salariés undocument d’information sur le modèleproposé.

44 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

QUEBEC

1. La mesure de crédit fiscal pour la création d’emploi est décrite en détail dans : Sociétéquébécoise de développement de la main-d’œuvre (1997).

2. Tremblay et Villeneuve, 1998.

Page 37: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

Il nous paraît actuellement trop tôtpour tirer un bilan de cette mesure et deson effet sur l’emploi, bien que l’on sacheque les entreprises se montrent plutôt réti-centes à toute forme d’ARTT initiée parle gouvernement, ce qui limite de fait laportée de ces mesures. Les syndicats,pour leur part, soutiennent toujours laRTT comme mesure de création d’em-plois, mais ce soutien est plutôt tiède,pour ne pas dire théorique, puisqu’ils nefont pas la promotion de ces mesures.Aussi, s’ils soutiennent les syndicats lo-caux qui souhaitent parfois aller del’avant avec un programme d’aménage-ment ou de réduction du temps de travail,ils ne sont pas particulièrement proactifsen la matière.

Des résultats limités

Tous ces programmes ne donnent pas,pour l’instant, les résultats qu’on pourraiten espérer. Compte tenu du taux de chô-mage qui persiste au Québec depuis bien-tôt trois décennies (9-10 %), et malgré labaisse de la dernière année (8 %), les syn-dicats souhaitent qu’ils soient maintenuset améliorés. Les employeurs sont beau-coup plus mitigés, voire opposés, puisqueles mesures proposées en matièred’ARTT lors du Sommet socio-écono-mique de 1996 n’ont pas reçu l’aval desemployeurs, sauf pour la réduction de lasemaine normale de travail de 44 à 40heures. Il est toutefois certain que cecin’aura pas d’effet majeur sur l’emploi,puisque la semaine habituelle est déjà au-tour de 40 heures.

Pourtant, les entreprises et les salariésqui ont expérimenté diverses formules,dans le cadre de programmes gouverne-mentaux ou non, s’en disent fort satis-faits 1. Les employés sont généralementtrès heureux des heures libres dont ils dis-posent et souhaitent souvent prolonger laRTT. On s’étonne donc du fait quel’ARTT ait été si peu expérimentée alorsque le chômage a atteint des niveaux ex-trêmement élevés depuis près de trenteans.

L’amélioration de la situation del’emploi au cours de l’année 2000conduit à penser que la RTT ne sera pasmise en avant comme mesure de réduc-tion du chômage, puisque ceci paraîtmoins urgent. Par contre, on note que lethème de l’articulation emploi-familleprend de plus en plus de place dans lespréoccupations syndicales. A la demandede leurs représentantes de la condition fé-minine, chacun des trois grands syndicatsquébécois (CSN, FTQ, CSQ) a réalisé oufait faire par des universitaires des recher-ches sur ce thème de l’articulation em-ploi-famille.

La thématique emploi-famille quiprend beaucoup plus de place dans les dé-bats publics au Québec qu’en France, nonseulement dans les milieux syndicaux,mais aussi dans les milieux patronaux,qui se sont eux aussi penchés sur la ques-tion. Ainsi, à l’instar de la Suède et de laNorvège dans les années 70-80, c’est sousl’angle de la qualité de vie et de l’articula-tion emploi-famille que le débat sur laRTT se poursuit au Québec 2.

Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001 45

AMENAGEMENT ET REDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL

1. Tremblay et Villeneuve, 1998.2. Voir l’article de Tremblay et Villeneuve (1997), sur la question de l’articulation emploi-famille et

ses liens avec l’ARTT. Nous avons réalisé deux enquêtes qui fournissent des résultats allantdans ce sens (Tremblay et Vaillancourt, 1998 ; Tremblay et Amherdt, 2000).

Page 38: Japon - mfj.gr.jp · ché du travail japonais est loin d’être né-gligeable. Certes, la priorité à l’emploi n’est pas vide de sens au Japon et la montée du chômage ne sera

Sources :

Ministère du Travail (1996). Rapport du Comitéinterministériel sur l’aménagement et la réduc-

tion du temps de travail, Québec : Gouverne-ment du Québec.

Ministère de l’Emploi (1995). Rapport du minis-

tère de l’Emploi sur l’aménagement et la réduc-

tion du temps de travail, Québec : Gouverne-ment du Québec.

Société québécoise de développement de lamain-d’œuvre (1997). Guide de participation.L’aide fiscale pour la création d’emplois, Qué-

bec.

Tremblay, D.-G. et C.H. Amherdt (2000). La vieen double : obstacles organisationnels et socio-culturels à l’articulation emploi-famille chez lespères. Description des données d’enquête. Do-cument de recherche.100 p.

Tremblay, D.-G. et C. Vaillancourt (1998). Con-ciliation emploi-famille et aménagement dutemps de travail. Description des données d’en-quête. Résultats de recherche. 116 p.

Tremblay, D.-G. et D. Villeneuve (1999). « De laréduction à la polarisation des temps de travail ;les enjeux sociaux ». Loisir et Société. Vol. 21,

no 2, Québec : Presses de l’université du Qué-bec.

Tremblay, D.-G. et D. Villeneuve (1998). Amé-nagement et réduction du temps de travail ; lesenjeux, les approches, les méthodes. Mon-tréal : Éditions Saint-Martin. 362 p.

Tremblay, D.-G. et D. Villeneuve (1997).« Aménagement et réduction du temps de tra-vail : réconcilier emploi, famille et vie person-nelle », Loisir et société, vol. 20, n° 1. Québec :Presses de l’université du Québec.

Tremblay, D.-G. (1989a). « From Work-Sharingto the Flexibilization of Working Time : a Com-parative Analysis of the Cases of France andCanada », dans : Agassi, J.B. et S. Heycodk,(étiteurs) (1989). The Redesign of WorkingTime : Promise or Threat, Berlin-Ouest : Édi-tions Sigma, p. 67-83.

Tremblay, D.-G. et L. Poulin-Simon (1984). Leprogramme de travail partagé : une expérienceutile mais... Une évaluation des expériencesdes travailleurs et travailleuses du Québec,Montréal : Institut de recherche appliquée sur letravail.

46 Chronique Internationale de l'IRES n° 68 – janvier 2001

QUEBEC