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i CENTRE SOCIAL D’AIDE AUX IMMIGRANTS Exploration des besoins et des pratiques prometteuses en lien avec la violence basée sur l’honneur Octobre 2014

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CENTRE SOCIAL D’AIDE AUX IMMIGRANTS

Exploration des besoins et des pratiques prometteuses en lien avec la

violence basée sur l’honneur

Octobre 2014

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COMITÉ AVISEUR

Recherche et rédaction

Elizabeth Harper

Carol-Anne Vallée

Ludivine Tomasso

Collaboration à la recherche

Myriam Pomerleau

Initiatrice du projet

Lida Aghasi

Aviseures/Collaboratrices

Madeline Lamboley

Louise Viens

Carmen Gabriel-Chouinard

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Remerciements

Nous remercions chaleureusement toutes les personnes qui ont accepté de participer à cette

recherche notamment les femmes issues des communautés ethnoculturelles qui ont

consenties à partager leurs expériences et leurs réflexions sur la thématique de la violence

liée à l’honneur. Nous tenons également à remercier les intervenantes issues des

organismes qui ont bien voulu partager avec nous leurs expériences d’intervention, leurs

préoccupations et leurs réflexions. Nous adressons également un merci chaleureux à

Madeline Lamboley, coordonnatrice du projet « Prévenir et réduire la violence faite aux

femmes et aux filles au nom de l’honneur », à Louise Viens, l’ancienne coordonnatrice du

projet, puis à Lida Aghasi, Directrice du Centre social d’aide aux immigrants (CSAI) pour

leur collaboration et leur accompagnement dans ce projet. Enfin, nous ne pouvons passer

sous silence le travail minutieux de Myriam Pomerleau, étudiante à la maitrise en sexologie

de l’Université du Québec à Montréal.

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Table des matières

REMERCIEMENTS ................................................................................................................. III

LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES .................................................................. 7

INTRODUCTION ..................................................................................................................... 8

1 : PROBLÉMATIQUE ............................................................................................................ 12

1.1. LA VIOLENCE ENVERS LES FEMMES ET LES FILLES, UN PHÉNOMÈNE UNIVERSEL ........ 12

1.2. LA VIOLENCE LIÉE À « L’HONNEUR », UNE MANIFESTATION DE LA VIOLENCE FAITE

AUX FEMMES ET AUX FILLES ..................................................................................................... 14

1.2.1. Absence de consensus autour de la définition ......................................................... 15

1.2.2. Quand l’honneur mène au déshonneur .................................................................... 16

1.2.3. Une problématique genrée ...................................................................................... 17

1.2.4. Les principales formes de violence associées aux violences liées à l’honneur ....... 18

1.3. ACTEURS SOCIAUX SUR LE TERRAIN ............................................................................ 23

1.3.1. Direction de la protection de la jeunesse ................................................................ 23

1.3.2. Service de police ...................................................................................................... 24

1.3.3. Associations médicales ............................................................................................ 24

1.3.4. Organismes communautaires .................................................................................. 24

1.4. PROJETS EN COURS POUR CONTRER LA VIOLENCE LIÉE À L’HONNEUR ........................ 25

1.4.1. Le Centre social d’aide aux immigrants (CSAI) ...................................................... 25

1.4.2. Le Bouclier d’Athéna ............................................................................................... 25

1.4.3. La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et

immigrantes (TCRI) .............................................................................................................. 26

2 : DÉROULEMENT DU PROCESSUS DE CONSULTATION ......................................................... 28

2.1 RAPPEL DES OBJECTIFS ................................................................................................ 28

2.2 PROCESSUS DE CONSULTATION .................................................................................... 28

2.3 PROFIL DES ORGANISMES ET DES PARTICIPANTS ......................................................... 29

2.3.1. Profil des participantes aux groupes de discussion et aux entrevues ...................... 29

2.3.2. Les informatrices clés .............................................................................................. 30

2.4 SÉLECTION DES PARTICIPANTES ................................................................................... 31

2.5 ANALYSE DES DONNÉES ............................................................................................... 31

2.6 LES LIMITES ET LA NATURE INNOVANTE DE LA CONSULTATION ................................. 33

3 : « LA VIOLENCE N’A PAS CULTURE, LA VIOLENCE C’EST TOUJOURS LA VIOLENCE » : LE POINT

DE VUE DES INFORMATRICES CLÉS ........................................................................................ 35

3.1 L’HONNEUR, UN TERME QUI NE FAIT PAS CONSENSUS ................................................. 35

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3.2. IL S’AGIT TOUJOURS DE VIOLENCE FAITE AUX FEMMES ............................................... 36

3.2.1 Le contexte d’immigration à prendre en considération ........................................... 37

3.2.2 Les conflits intergénérationnels, le théâtre de la manifestation de la violence

patriarcale ............................................................................................................................ 38

3.3 LES VIOLENCES VÉCUES PAR LES FEMMES ET LES FILLES ............................................ 40

3.4. LA VIOLENCE VÉCUE PAR LES GARÇONS ...................................................................... 40

3.5. LA VIOLENCE VÉCUE PAR LA FAMILLE ......................................................................... 41

3.6. LES BESOINS DES FEMMES ET FILLES VICTIMES DE VIOLENCE LIÉE À L’HONNEUR OU À

RISQUE DE L’ÊTRE ..................................................................................................................... 41

4 : LES SITUATIONS OBSERVÉES DANS LES MILIEUX DE PRATIQUE ......................................... 44

4.1 UN PROBLÈME DIFFICILE À CIRCONSCRIRE .................................................................. 44

4.2. TYPES DE SITUATIONS DE VIOLENCE BASÉE SUR L’HONNEUR VÉCUES PAR LES FEMMES

ET LES FILLES............................................................................................................................. 45

4.2.1. La violence vécue par les garçons et les hommes.................................................... 47

4.2.2. Conséquences de violence sur les personnes concernées ........................................ 47

4.2.3. Comment les filles et les femmes composent-elles avec leur situation ? ................. 48

5 : LES PRATIQUES D’INTERVENTION .................................................................................... 50

5.1. ENTREVUES RÉALISÉES AUPRÈS DES INTERVENANTES SOCIALES ................................ 50

5.2. L’INTERVENTION DIRECTE ........................................................................................... 51

5.2.1. Les interventions visant la sensibilisation et l’accompagnement ............................ 51

5.2.2. Les interventions visant l’aide à la résolution du problème .................................... 52

5.2.3. Les interventions visant la protection des filles/femmes .......................................... 52

5.2.4. Les interventions visant à aider les filles/femmes à obtenir des ressources ............ 52

5.3. L’INTERVENTION INDIRECTE ........................................................................................ 53

5.3.1. Les interventions visant la protection des victimes.................................................. 53

5.3.2. Les interventions visant à entreprendre des démarches de médiation familiale ..... 54

5.3.3. Les interventions visant la collaboration intersectorielle ....................................... 54

5.3.4. Les actions en vue de s’outiller comme intervenantes ............................................. 54

6 : CONTRAINTES LIÉES À L’INTERVENTION ET LES MESURES SOCIALES POUR CONTRER LA

VIOLENCE ............................................................................................................................ 55

6. 1. DIFFICULTÉS ET PRÉOCCUPATIONS EN LIEN AVEC L’INTERVENTION ........................... 55

6.1.1. Une absence de consensus par rapport à la conception du problème .................... 55

6.1.2. Le manque d’outils de dépistage et d’intervention .................................................. 55

6.1.3. Difficulté d’établir un lien de confiance avec la femme/fille ................................... 57

6.1.4. La peur/hésitation chez la femme/fille à aborder les situations de violence ........... 57

6.1.5. Difficulté à entreprendre une démarche de suivi avec les femmes/filles ................. 60

6.1.6. La difficulté de rejoindre les parents ....................................................................... 60

6.1.7. La nécessité d’établir des ponts avec les communautés .......................................... 61

6.1.8. La complexité de la relation interculturelle en intervention ................................... 61

6.1.9. Les difficultés dans le parcours des services ........................................................... 62

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6.10. Les obstacles à l’intégration .................................................................................... 65

6.2 LES MESURES SOCIALES ............................................................................................... 66

6.2.1. Les protocoles d’intervention .................................................................................. 66

6.2.2. Le travail en réseau ................................................................................................. 67

6.2.3. La sensibilisation ..................................................................................................... 68

5.2.4. Les contraintes légales ............................................................................................ 69

6.2.5. Autres contraintes évoquées .................................................................................... 70

7 : LES PRATIQUES PROMETTEUSES ...................................................................................... 72

7.1. LA PRISE DE CONTACT .................................................................................................. 72

7.1.1. Les pratiques visant à développer un lien confiance avec les filles/femmes ........... 73

7.2. L’EXPLORATION DE LA SITUATION PROBLÈME AVEC LA FILLE/FEMME ....................... 74

7.2.1. Les pratiques visant l’évaluation des risques .......................................................... 74

7.2.2. Les pratiques visant le développement des stratégies pour protéger les victimes ... 74

7.2.3. L’implication des proches ........................................................................................ 75

7.3. LE SUIVI ........................................................................................................................ 75

7.3.1. Des pratiques visant à appuyer les forces des femmes/filles ................................... 75

7.3.2. Les pratiques visant à impliquer les familles dans l’intervention et à en faire des

alliées 76

7.4. LA SENSIBILISATION ET LA PRÉVENTION ..................................................................... 76

7.4.1. Une stratégie qui vise à joindre les parents ............................................................ 76

7.4.2. Une stratégie qui vise à joindre les jeunes .............................................................. 77

7.4.3. Les stratégies qui visent à joindre les femmes ......................................................... 77

7.4.4. Une stratégie qui vise à joindre les mères : ............................................................. 78

7.4.5. Une définition commune entre les différents partenaires sur le terrain .................. 78

7.4.6. Les stratégies qui visent à faciliter la communication entre différentes intervenantes

pour protéger les victimes..................................................................................................... 78

8 : CONCLUSION ET PRIORITÉS D’ACTION – LE POINT DE VUE DES PARTICIPANTES ................. 80

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................... 86

DE ROBERTIS, C. (2007). METHODOLOGIE DE L’INTERVENTION EN TRAVAIL SOCIAL. PARIS : LE CENTURION. 86

ANNEXES ............................................................................................................................. 89

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Liste des abréviations, sigles et acronymes

CCFM Conseil canadien des femmes musulmanes

CEDAW Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à

l’égard des femmes

CSAI Centre social d’aide aux immigrants

CSF Conseil du statut de la femme

CSSS Centre des services de santé et des services sociaux

DPJ Direction de la protection de la jeunesse

MSSS Ministère de la Santé et des Services sociaux

OMS Organisation mondiale de la Santé

ONU Organisation des Nations Unies

SALCO South Asian Legal Clinic of Ontario

SPVM Service de police de la Ville de Montréal

TCRI Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées

et immigrantes

FNUAP Fonds des Nations Unies pour la population

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Introduction

Au cours des dernières années, la violence basée sur l’honneur suscite un intérêt

grandissant de la part des médias, des politiciens ainsi que des différents intervenants

sociaux. Dernièrement, avec la médiatisation importante de l’« Affaire Shafia », le sujet de

la violence dite commise au nom de l’« honneur », bien qu’il ne soit pas récent, suscite

débats, controverses et réflexions dans l’espace public. Notamment, les différentes

instances gouvernementales provinciales et fédérales sont à la veille d’une mise en place

de réponses sociales à l’égard de cette problématique.

Face à ce phénomène, la littérature est en émergence, abordant notamment le débat

entourant cette appellation, l’analyse du discours sur ce sujet dans l’espace public ainsi que

le point de vue des différentes intervenantes qui sont confrontées à ces situations de

violence basée sur l’« honneur » (Kortweig, 2012 ; Angers-Trottier, 2014). Malgré cet

intérêt pour le sujet, on en connaît encore très peu sur les vécus et les besoins des personnes,

directement ou indirectement, concernées par cette forme de violence, soit les victimes ou

les proches de celle-ci. En général, la littérature permet de constater que les intervenantes

faisant face à des situations de violence basée sur l’honneur sont très préoccupées par la

sécurité des femmes et des filles (Lamboley, 2013 ;Wemmers, 2013). Ces dernières

éprouvent souvent un sentiment d’impuissance dans le cadre de leur pratique et sont à la

recherche de moyens et d’outils leur permettant de mieux intervenir auprès de celles-ci.

D’un autre côté, étant donné qu’il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, il est permis de

penser que les intervenantes travaillant dans les organismes qui ayant pour mandat

d’intervenir en matière de violence (ex. maison d’hébergement, Centre jeunesse) ont

certainement dû faire face à ces situations par le passé. De plus, elles ont aussi possiblement

développé certaines pratiques d’intervention. Il paraît tout à fait pertinent de s’y intéresser

dans le dessein de documenter quelques pratiques pouvant s’avérer prometteuses.

De surcroît, il est essentiel de mentionner que les victimes de violence, et plus

spécifiquement de violence basée sur l’honneur, sont parfois très réticentes à aller chercher

du soutien dans le réseau des services sociaux et communautaires. Plusieurs raisons à cela :

soit qu’elles ne se sentent pas en confiance face aux services d’aide, soit parce qu’elles

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veulent protéger leur famille ou encore, par peur d’être stigmatisées. Il est donc inévitable

de considérer le point de vue des personnes œuvrant auprès d’elles afin de mettre en place

des moyens d’action qui soient adaptés à leur réalité tout en permettant de prévenir et

ultimement contrer cette forme de violence.

Dans ce contexte, un financement fédéral a été accordé, par l’entremise de Condition

féminine Canada, à un certain nombre d’organismes communautaires dans le but de mettre

en œuvre des stratégies locales visant à contrer cette violence. Parmi les organismes

subventionnés figure le Centre social d’aide aux immigrants (CSAI) dont le projet-ci est

leur initiative.

Fondé en 1947, le CSAI est pionnier dans le domaine de l’immigration et accueille des

gens issus de différents groupes ethnoculturels dans le but de faciliter l’arrivée au pays. Au

fil des années, le CSAI a développé et renforcé son expertise en matière d’accueil et

d’intégration des nouveaux arrivants à la société québécoise.

En 2013-2014, le CSAI a été témoin d’un nombre croissant de nouveaux arrivants

d’origines différentes, soit 1247 usagers. Ces personnes viennent généralement de régions

affectées par des conflits, des catastrophes naturelles et des crises économiques,

notamment, dans l’espoir de survivre ou de reconstruire leur vie au Québec. La répartition

entre les grandes régions géographiques permet de constater que les arrivées les plus

nombreuses sont en provenance du Proche et du Moyen-Orient (61 %), au 2e rang l’Asie

(16 %), au 3e rang l’Amérique et l’Afrique (6 %), suivi du Maghreb et de l’Europe (4 %).

De ce fait, les intervenants du CSAI travaillent régulièrement auprès de familles

immigrantes, parfois, confrontées à des situations difficiles qui peuvent survenir lors du

processus d’adaptation et d’intégration à la société d’accueil. Ces situations incluent celles

liées aux conflits de valeurs en lien avec la redéfinition des rôles homme/femme et

parents/enfants et le choc culturel des familles immigrantes avec les valeurs québécoises,

surtout celles qui concernent l’émancipation des femmes et des filles. C’est dans ce

contexte que la violence commise envers les femmes et les filles au nom de l’« honneur »

est devenue une préoccupation pour le Centre social d’aide aux immigrants.

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Dans le cadre de ce projet financé par Condition féminine Canada intitulé : « Prévenir et

réduire la violence faite aux femmes et aux filles au nom de l’“honneur” », le CSAI

cherche à faire une étude de besoins dans le but de développer des stratégies locales visant

à contrer le phénomène discuté ici.

Les objectifs principaux du projet

Le projet mise sur la collaboration entre différentes organisations partenaires et femmes de

cinq arrondissements montréalais. Ces dernières devraient élaborer et mettre en œuvre

ensemble des stratégies internes et interorganismes, améliorant le soutien aux femmes et

aux filles victimes de violences basées sur l’honneur, ou risquant de l’être, afin qu’elles

puissent avoir accès aux services appropriés au moment de leur transition vers une vie

exempte de violence. Plus précisément, ce projet vise :

· La mobilisation des partenaires intéressés et la création d’un partenariat de travail

avec eux ;

· L’évaluation des besoins et la détermination des pratiques prometteuses pour lutter

contre la violence liée à l’honneur ;

· L’identification des lacunes, priorités, possibilités, ressources, appuis ;

· L’identification et la mise en œuvre d’une action locale multiréseau concertée par

rapport à la violence basée sur l’honneur faite aux femmes et aux filles.

Pour atteindre les objectifs du projet, dans un premier temps, le CSAI a mis en place un

processus de consultation auprès des intervenantes et des femmes de différentes

communautés culturelles. Les objectifs de cette consultation consistaient à mieux

comprendre la violence commise au nom de l’honneur ; les besoins des femmes et des filles

victimes de cette forme de violence, ou risquant de l’être ; identifier des conditions qui ont

une influence sur le déroulement de l’intervention, et enfin identifier des pratiques

prometteuses pour lutter contre ce type de violence.

La première section de ce document vise à exposer le concept de la violence liée à

l’honneur afin de bien circonscrire la problématique. La deuxième partie décrit le

déroulement des processus de consultation. Les sections qui suivent présentent les résultats

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des groupes de discussion et des entrevues effectuées tant auprès des intervenantes que des

informatrices clés. Pour conclure, nous dégagerons quelques pistes d’actions qui ont été

proposées par les participantes.

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1 : Problématique

1.1. La violence envers les femmes et les filles, un phénomène universel

La violence commise envers les femmes est un problème social d’ampleur mondiale qui

n’épargne pas le Canada et le Québec (Krug, Dahlberg, Mercy, Zwi et Lozano, 2002 : 89).

Le rapport canadien intitulé Mesure de la violence faite aux femmes – tendance statistique

(2013)1 permet de mesurer l’étendue et la nature de la violence envers les femmes. Il

démontre qu’en 2011 environ 173 600 femmes de 15 ans et plus ont été victimes d’un crime

violent, puis que « les femmes étaient onze fois plus nombreuses que les hommes à être

victimes d’agressions sexuelles et trois fois plus susceptibles d’être victimes de

harcèlement criminel » (ibid. : 8).

Concernant la violence entre partenaires intimes, ce même rapport rapporte qu’environ

78 000 femmes et filles de 15 ans et plus ont été victimes de cette forme de violence. De

plus, les femmes seraient près de quatre fois plus susceptibles d’y être confrontées que les

hommes et elles représenteraient 8 victimes de violence entre partenaires intimes sur 10.

Enfin, la violence entre partenaires intimes se caractériserait généralement par des voies de

fait ainsi que le recours à la force physique.

S’agissant de la violence vécue par les femmes de communautés ethnoculturelles, certaines

auteures, entre autres Menjivar et Salcido (2002), Harper (2008) ou encore Rinfret-Raynor

et coll. (2013), soulignent que les données statistiques ne nous permettent pas, à ce jour,

d’avoir une réelle vue d’ensemble du taux de violence qu’elles subissent. Néanmoins, dans

une revue de la littérature portant sur les besoins des femmes immigrantes victimes de

violence conjugale, Rinfret Raynor et coll. (2013) mentionnent que certaines femmes

peuvent être exposées à d’autres formes de violence, notamment la violence de la part de

la belle famille, les agressions à caractère sexuel commises par des amis du conjoint, la

privation des besoins de base, ou encore les menaces d’être renvoyée dans leur pays

d’origine.

1 Ce rapport est basé sur les données portant sur les crimes déclarés par les services de police au Canada et également les

données autodéclarées sur la victimisation qui fournissent des renseignements sur les incidents de victimisation

autodéclarés, qu’ils aient été signalés ou non à la police (Statistique Canada, 2013).

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De surcroît, ces mêmes auteures (Rinfret-Raynor et coll., 2013) mentionnent également

que certaines femmes immigrantes sont davantage confrontées à des obstacles tels que la

méconnaissance de la langue et des ressources, la dépendance économique au conjoint ou

l’isolement social. Il est également probable que ces femmes puissent ressentir des

sentiments de honte et de peur, mais aussi craindre la stigmatisation de la part de leur

communauté, ou encore la perte de leurs enfants. À cela, vient se conjuguer quelques fois

l’angoisse d’être déportée ou bien de devoir faire face au racisme dans les services publics

et le système judiciaire. Dès lors, leurs expériences de violence et les moyens que ces

femmes peuvent utiliser pour se protéger sont influencés par leur positionnement social

(Harper, 2013 ; Taibi, 2013).

Malgré tout, les informations concernant l’étendue et la nature de la violence faite aux

femmes, et aux femmes immigrantes en particulier, restent limitées. En effet, les données

recensées sur cette problématique ne permettent pas de faire état de toutes les formes de

violence commises envers les femmes comme la violence psychologique, économique,

spirituelle, ou bien encore le contrôle excessif. Bien que ces formes soient moins visibles,

elles n’en sont pas moins importantes. Malgré quelques lacunes, ce survol de la littérature

permet de souligner que la violence commise envers les femmes est un problème social

important qui requiert une réponse globale.

Depuis les années 1970, au Québec notamment, différents groupes de femmes se sont

mobilisés afin de mettre dans la sphère publique la problématique de violence que subissent

quotidiennement les femmes (Harper, 2013). Bien qu’il y ait eu maintes tentatives de

définition des milieux féministes, universitaires et gouvernementaux, les différentes

recherches portant sur la violence faite aux femmes permettent de confirmer qu’il ne s’agit

pas d’un phénomène nouveau et encore moins le propre de certaines cultures.

À la suite de ces mobilisations, l’Organisation des Nations Unies a émis, en 1993, la

Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, dont le Canada est

signataire. Cette Déclaration donne une définition à la fois large et commune sur le plan

international permettant d’englober différentes formes de violence fondée sur le sexe que

peuvent vivre les femmes en général, que ce soit dans le pays d’origine ou encore en

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contexte d’immigration. De ce fait, elle inclut, entre autres, les violences commises dans

un contexte lié à la dot, aux mariages forcés, et aux mutilations génitales. Ainsi, cette

définition prend en compte les formes de violence qui sont basées sur ledit « honneur ».

De même, cette Déclaration permet de considérer la violence fondée sur le sexe comme

étant, à la fois, une forme de discrimination, une violation grave des droits de la personne

et des libertés fondamentales s’inscrivant dans un contexte global d’inégalités entre les

hommes et les femmes. Selon Harper (2008), la violence serait alors conceptualisée comme

un instrument de contrôle social pour maintenir les femmes dans une position subalterne.

Dès lors, dans ce rapport, la question de la violence basée sur l’honneur s’inscrit dans cette

compréhension globale de la violence faite aux femmes et doit être considérée comme une

forme de violence genrée.

1.2. La violence liée à « l’honneur », une manifestation de la violence faite aux

femmes et aux filles

Devenue une véritable préoccupation pour certains pays européens (Angleterre, Pays-Bas,

Belgique, Suède), le Canada et le Québec s’intéressent aussi de plus en plus à la violence

liée à l’honneur.

Le Fonds des Nations-Unies pour la population a estimé qu’environ 5000 femmes sont

victimes de crimes d’honneur chaque année et que ceux-ci sont en croissance dans le

monde entier, il est généralement reconnu que ce chiffre est largement sous-estimé

(FNUPA, 2000). Effectivement, comme pour la violence faite aux femmes en général, de

nombreux cas ne sont pas dénoncés ou dépistés. De plus, il n’existe pas de statistiques

fiables qui permettent de faire état du nombre de cas réels (CSF, 2013). Cette difficulté à

établir la prévalence de la violence basée sur l’honneur est certainement liée au fait que sa

définition même demeure controversée.

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1.2.1. Absence de consensus autour de la définition

Il importe tout d’abord de nommer que la littérature sur le sujet est encore limitée et qu’il

n’existe pas une définition qui soit universelle. Parmi les définitions existantes, figure celle

de l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui souligne l’importance d’une définition

large permettant d’englober toutes formes de violences commises au nom de l’honneur.

Pour ce faire, l’ONU (2011) retient trois éléments fondamentaux : « 1) un pouvoir de

contrôle sur la conduite d’une femme ; 2) la honte ressentie par un homme qui a perdu ce

pouvoir de contrôle ; et 3) une pression de la collectivité ou de la famille qui contribue à

aggraver cette honte ou à vouloir l’effacer ».

Selon Anna C. Korteweg (2012), la violence liée à l’honneur représente une réponse

violente qui est initiée et planifiée par des auteurs pouvant être multiples (membres de la

famille, y compris élargie, et de la communauté), à l’égard d’une perception que le

comportement sexuel d’une femme ou d’une fille porte atteinte à l’honneur et à la

réputation de la famille. Dans ce sens, les actes de violence posés deviennent un moyen

coercitif pour restaurer l’honneur de la famille. Ces actes peuvent prendre plusieurs formes

comme la violence physique, psychologique, sexuelle et économique. Il est donc important

de parler de violence basée sur l’honneur comme l’une des manifestations liée au

phénomène universel de la violence faite aux femmes en général (Mojab, 2003).

D’ailleurs, la littérature consultée souligne l’importance de faire la distinction entre la

violence liée à l’honneur et les violences familiales. À ce sujet, le Conseil du statut de la

femme, dans le cadre de son avis (CSF, 2013), souligne certains éléments qui diffèrent.

Dans le cas de la violence liée à l’honneur, il s’agit « d’une agression préméditée, menée

en concertation avec d’autres membres de la famille, et découlant d’une éthique hautement

morale » (ibid : 24). Contrairement à la violence familiale qui résulte généralement d’un

dysfonctionnement dans la relation, la violence liée à l’honneur implique une dimension

non seulement individuelle, mais aussi collective qui, selon le Conseil du statut de la

femme, se doit d’être soulevée dans la lutte contre ce phénomène (ibid.). Au sujet de cette

dimension collective, se rapportant à l’idée d’une pression provenant de la communauté, il

nous apparaît important de nuancer cette idée. Plutôt que de parler des communautés

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comme groupes homogènes et figés, nous les concevons comme étant toujours en constante

évolution et où se partagent différents points de vue.

S’intéresser à la problématique de la violence liée à l’honneur fait émerger certains

éléments de controverse concernant notamment les enjeux de l’analyse de la violence faite

aux femmes, soit la perspective antiraciste et antisexiste. D’une part, les acteurs se

mobilisent autour d’une lutte contre la violence sexiste et cherchent ainsi à augmenter les

connaissances sur le sujet, en omettant parfois de considérer les impacts de certaines

interventions antisexistes qui impliquent des risques différents et certainement complexes

pour les femmes immigrantes (Philippe, 2010 dans Angers, 2014). D’autre part, selon la

perspective antiraciste, il y aurait des craintes de stigmatisation de certaines communautés

dans cette façon spécifique de nommer la violence basée sur l’honneur en cherchant

davantage à dénoncer la violence des groupes majoritaires envers les groupes minoritaires

(Angers, 2014).

De surcroît, la prudence doit être de mise lorsque l’appellation « violence basée sur

l’honneur » est utilisée. En effet, il est possible que les membres des communautés

ethnoculturelles ne se retrouvent pas nécessairement dans cette terminologie (Mattoo, 2013

dans Angers, 2014).

1.2.2. Quand l’honneur mène au déshonneur

Comme pour d’autres situations de violence, la violence liée à l’« honneur » peut impliquer

des éléments de pouvoir dommageables. Le fait que l’« honneur » est utilisé pour justifier

des crimes montre le pouvoir de ce concept (Korteweg, 2012). Plusieurs actes peuvent

mener au déshonneur où seule la présomption de mauvais comportements est suffisante

pour justifier la honte, et en l’occurrence, nuire au statut social d’une famille ou d’un

individu (Brandon et Hafez, 2008). D’après Brandon et Hafez (traduction libre, 2008 : 6) :

« l’honneur est une ressource intangible qui dépend de la perception d’une communauté,

un acte “immoral” ne devient pas “honteux” ou “déshonorant” à moins qu’il soit porté à

l’attention du public. Les conséquences d’atteinte à son honneur ou à celui d’un autre

membre de la famille peuvent être graves » (traduction libre, ibid. : 6). Brandon et Hafez

(ibid.) énoncent quelques agissements par lesquels l’honneur peut être mis en cause :

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17

- Défier l’autorité parentale puisque dans plusieurs cultures les membres plus âgés ont

la responsabilité de contrôle sur les enfants, de sorte que les parents qui échouent

publiquement à le faire risquent de perdre leur statut dans la communauté.

- S’occidentaliser (vêtements, comportements, attitudes) puisque les familles qui

laissent leurs enfants s’assimiler à la culture occidentale peuvent être accusées de

renier leurs origines, leur communauté, leurs ancêtres.

- Consommation de drogues ou alcool, un comportement qui est parfois non endossé

par certaines religions, cultures ou traditions, pouvant mener au déshonneur de la

famille. Dans certains cas, les enfants sont considérés comme abandonnant ou

rejetant leurs parents et la communauté.

- Être une femme et être dans une relation de couple avec ou sans relations sexuelles

avant le mariage (plusieurs cultures accordent une grande importance à la virginité

des jeunes filles et à la fidélité sexuelle). Les familles dont les filles sont soupçonnées

d’avoir une relation extra-conjugale, et ce, même si ne s’agit pas d’une relation de

nature sexuelle, peuvent souffrir d’un déclin relié à l’honneur et à leur statut social.

Ce dernier élément, relatif au contrôle de la sexualité des femmes est essentiel à prendre en

considération puisque le concept de l’« honneur » est indéniablement lié aux rapports de

pouvoir entre les hommes et les femmes.

1.2.3. Une problématique genrée

Dans les sociétés patriarcales, l’honneur est intrinsèquement lié aux conceptions des sexes,

impliquant des codes et des normes différents, qu’il s’agisse de filles et de femmes d’une

part, ou de garçons et d’hommes d’autre part (VOIX DES FEMMES, 2011). La notion du

genre doit donc être prise en considération lorsqu’il est question d’honneur.

Bien qu’il n’existe pas de données quantitatives fiables, les différents écrits permettent tout

de même de confirmer que les femmes en sont les principales victimes (Commission

européenne, 2003 ; The House of Common, 2008 ; Brandon et Hafez, 2008 ; SURGIR,

2011-2012 ; CSF, 2013).

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18

Au Canada, le Conseil du statut de la femme a recensé, dans l’avis rendu en 2013, 17 cas

d’homicides familiaux identifiés comme tels entre 1991 et 2012. Il a été dénombré 26

victimes (20 femmes et 6 hommes). Parmi elles, 21 sont mortes et 5 ont survécu (3 hommes

et 2 femmes). Au-delà de ces cas de meurtres reconnus comme étant liés à l’« honneur »,

la littérature indique qu’il existe de multiples cas de violence fondée sur de tels motifs

pouvant varier en terme de gravité. Néanmoins, ces derniers sont peu documentés. Les

connaissances par rapport à ce que vivent ces femmes et leurs interprétations de leurs

expériences restent manquantes.

Cependant, il serait erroné de dire que les femmes et les filles sont les seules victimes des

violences liées à l’honneur. En effet, il importe de soulever que cette violence peut aussi

atteindre les garçons et les hommes dans le cas où ceux-ci sont associés à la victime comme

petit-amis, nouveaux conjoints, conjoints potentiels ou présumés, amis. De plus, un rapport

de la Commission européenne de 2003 soulève que les frères peuvent aussi souffrir de la

violence liée à l’honneur dans les cas où ceux-ci ne remplissent pas le rôle qui leur est

socialement assigné, soit la surveillance de leur sœur. De plus, il est important de porter à

l’attention que les personnes ayant une identité sexuelle autre que l’hétérosexualité soit,

lesbienne, gaie, bisexuelle ou encore transgenre peuvent être des victimes potentielles de

la violence liée à l’honneur (Flying Team against Violence, 2012).

En ce qui concerne les femmes, jusqu’à présent il existe peu d’information relativement au

rôle qu’elles jouent dans l’application des concepts d’honneur et de leurs normes, soit dans

quelle mesure elles peuvent elles-mêmes être auteures de cette violence (VOIX DES

FEMMES, 2011) ou encore les moyens qu’elles prennent pour protéger leurs enfants qui y

sont confrontés.

1.2.4. Les principales formes de violence associées aux violences liées à l’honneur

Tout comme il est difficile de circonscrire la violence basée sur l’honneur, il est aussi ardu

de tenter de présenter ces différentes manifestations. Seules deux formes de violence où

l’honneur peut être considéré comme un enjeu seront présentées dans ce rapport, soit le

mariage forcé et les excisions/mutilations génitales féminines.

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19

Le mariage forcé

Dans la littérature, le mariage forcé est généralement associé à la violence basée sur

l’honneur, même si certaines auteures le décrivent seulement comme une manifestation de

violence genrée. Afin de bien comprendre de quoi il est question, il est tout d’abord

important de faire la distinction entre un mariage arrangé et un mariage forcé. À ce sujet,

une recherche menée récemment par la South Asian Legal Clinic of Ontario (SALCO)

(2013) nomme que le consentement est l’élément crucial permettant de faire cette

distinction. Lorsqu’il est « forcé », la SALCO le définit comme une « pratique où le

mariage prend place sans le consentement libre des individus qui seront mariés, où la

pression et les abus sont utilisés pour forcer une ou les deux personnes à se marier contre

leur volonté » (traduction libre, ibid. : 4). La SALCO (2013) ajoute que le mariage forcé

peut prendre des formes émotionnelles, psychologiques ou physiques, ce qui est corroboré

par Lamboley et coll. (2013). De plus, ces recherches mettent l’accent sur le fait que le

refus d’un mariage forcé peut mener à différentes situations de violence.

Sur le plan international, la pratique du mariage forcé est condamnée. À ce sujet, diverses

conventions2, dont le Canada est signataire, reconnaissent le droit pour les époux de choisir

leur conjoint. Cependant, au Canada, il n’existe aucun texte de loi abordant le mariage

forcé même si le Code criminel comprend des dispositions pouvant s’appliquer à des

activités liées à cette pratique (Lamboley et coll., 2013). Le mariage forcé est considéré

comme une forme de violence et d’abus envers les droits de la personne (SALCO, 2010 ;

Lamboley et coll., 2013).

Il existe très peu de statistiques concrètes sur le mariage forcé au Canada. Néanmoins, la

récente recherche menée par la SALCO (2013) a fait état de 219 cas de mariages forcés,

répertoriés entre 2010 et 2012, principalement en Ontario, mais aussi au Québec (ibid.). De

surcroît, cette recherche permet de confirmer que le mariage forcé n’est pas le propre d’une

culture, d’une région géographique ou encore d’une affiliation religieuse. En effet, les

2 La Déclaration universelle des droits de l’homme (article 16.2), le Pacte international relatif aux droits civils et

politiques (article 23.3), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

(CEDAW, article 16), la Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des

mariages.

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données collectées dans cette étude incluaient des cas dont les personnes sont issues de 30

pays différents (provenant de l’Afrique, de l’Asie, de l’Europe, de l’Amérique du Nord et

de l’Amérique du Sud) et d’une multitude de milieux religieux (Islam, Hidouisme,

Sikhisme, Christianisme) (SALCO, 2013 : 11). Il est également soulevé que, parmi les cas

recensés, les femmes sont majoritairement affectées par les mariages forcés (92 %) bien

que les hommes (6 %) et les personnes transgenres figurent aussi parmi les cas signalés

lors de cette enquête (ibid. : 9).

L’étude de la SALCO dresse un portrait des victimes potentielles de mariage forcé. Celles-

ci sont généralement jeunes, 56 % d’entre elles sont âgées de 16 à 24 ans. L’âge est, selon

la SALCO, un facteur de vulnérabilité surtout pour le groupe d’âge 19-24 ans du fait qu’ils

ne sont plus mineurs et que les lois de protection de la jeunesse ne peuvent plus les protéger.

Également, un grand nombre des victimes étaient citoyennes canadiennes (44 %) ou

résidentes permanentes (41 %) (ibid. : 13). Plusieurs d’entres -elles détenaient une

éducation secondaire ou postsecondaire, mais étaient financièrement dépendante dans

44 % des cas (ibid. : 14). Enfin, il ressort de cette étude de la SALCO qu’une majorité des

victimes n’étaient pas au courant de leurs droits en lien avec les mariages forcés (ibid.).

Différentes études (Lamboley et coll., 2013 ; SALCO, 2013) permettent de confirmer que

les protagonistes peuvent être multiples dans la mesure où la pression et la violence peuvent

provenir à la fois de la famille ou de la belle-famille, mais également de certains membres

de la communauté. De façon plus précise, la SALCO souligne que dans la majorité des cas,

la pression relative au mariage provient de plusieurs membres de la famille immédiate

comme les parents, le père (77 %) et la mère (74 %), mais aussi la fratrie (30 %) (ibid. :

16). Enfin, la famille élargie, oncles, tantes, grands-parents ainsi que certains « leaders »

religieux ont également été signalés comme étant aussi des personnes susceptibles

d’exercer une telle pression (ibid.).

Plusieurs raisons pour « justifier » un mariage forcé ont été relevées dans la littérature,

notamment les « croyances culturelles, le statut socio-économique et/ou sécurité,

l’héritage, le statut migratoire et la pression de la part de la communauté » (traduction libre,

SALCO, 2013 : 4). Le mariage forcé peut aussi être une solution pour encadrer le

comportement, perçu comme étant inapproprié selon les normes de la famille ou de la

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communauté. À ce sujet, Lamboley et coll. (2013 : 187) mentionnent qu’« il a été établi

que le mariage forcé est, dans certains cas, utilisé pour contrôler le comportement social et

sexuel d’une femme ou d’une fille en vue de préserver l’honneur de la famille et ses

traditions culturelles, en limitant les unions mixtes ou les mésalliances (Rude-Antoine,

2005), ou encore pour maintenir la subordination du rôle des femmes (Léo, 2003) ».

Les études sur le mariage forcé, notamment la SALCO (2013) et Lamboley et coll. (2013),

mentionnent qu’en plus de subir de la pression continue, les victimes de mariages forcés

sont parfois confrontées à certaines conséquences à plus long terme comme : l’isolement,

l’éloignement ou relations tendues avec la famille, des problèmes de santé comme la

dépression et l’anxiété. Il est également mentionné par la SALCO (traduction libre, 2013 :

4) que : « les personnes qui souffrent ou qui sont menacées d’un mariage forcé imminent

sont également plus vulnérables à la violence conjugale ». La recherche de Lamboley et

coll. (2013 : 187) confirment que : « la plupart des femmes ayant participé à leur étude

racontent vivre non seulement beaucoup de violence conjugale, mais aussi de la violence

venant de leur famille, belle-famille et parfois de leur communauté. Le contrôle de leurs

faits et gestes serait omniprésent, même à distance ». Enfin, le CSF (2013) attire l’attention

sur le fait que les mariages forcés peuvent aussi avoir comme conséquences d’interrompre

les projets d’étude et de carrières des jeunes femmes.

Excision/Mutilation3 génitale féminine

Une autre forme de violence généralement considérée comme de la violence basée sur

l’honneur est l’excision/mutilation génitale féminine (E/MGF). Selon l’Organisation

mondiale de la Santé (OMS, 2014 : s.p.), cette pratique « recouvre toutes les interventions

incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute

autre lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour des raisons non

médicales ». Des organismes de défense des droits de la personne au Canada considèrent

que l’E/MGF est une violation des droits des femmes et des filles (CCFM, 2013).

3 Le Conseil canadien des Femmes musulmanes (CCFM) utilise l’expression excision/mutilation génitale féminine dans

le but de respecter les opinions des femmes qui ont subi cette intervention et qui rejettent le terme mutilation, qui est

parfois considéré comme humiliant, tout en exprimant sa vive opposition à cette pratique (2013 : 146).

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Dès 1952, les E/MGF ont fait l’objet d’une première résolution de la Commission des droits

de l’homme des Nations Unies stipulant que cette pratique est une atteinte aux droits de la

personne des femmes et des filles. Au Canada, les pratiques visant l’excision ou les

mutilations génitales féminines sont considérées comme un acte criminel spécifique en

vertu de la loi C-27 (MSSS, 2005 : 2). Le Code criminel a été amendé en 1997 pour inclure

la pratique de la mutilation, incluant l’excision et l’infibulation, au nombre des voies de

fait grave en vertu de l’article 268(3)4. Également, l’article 273(3)5 précise qu’il est interdit

de sortir des enfants du Canada pour leur faire subir cette intervention. Bien qu’il n’existe

pas de loi provinciale sur la protection de l’enfance spécifique à l’E/MGF, les organismes

de protection de l’enfance doivent intervenir si des enfants sont maltraités physiquement,

sexuellement ou émotionnellement, ou sont menacés de l’être (CCFM, 2013 : 169-170).

Cependant, l’avis du Conseil du statut de la femme (CSF, 2013) souligne que des

accusations sont très rarement portées.

L’UNICEF (2013 : 2) rapporte que plus de 125 millions de filles et de femmes actuellement

en vie dans 29 pays d’Afrique et du Moyen-Orient ont subi une forme de mutilation

génitale et 30 millions d’autres filles risquent d’en être victimes au cours des

10 prochaines années. Ces pratiques existent aussi, à un degré moindre, dans d’autres

régions du monde. Pourtant, le nombre de femmes et de filles concernées est méconnu.

Au Canada, il n’existe pas de statistiques concrètes permettant de faire état du nombre de

cas. Cette intervention étant illégale, il s’avère difficile de déterminer la fréquence de cette

pratique au pays (CCFM, 2013), tout comme le nombre de filles emmenées à l’extérieur

du Canada pour subir une E/MGF. Néanmoins, selon le CCFM « certains des organismes

de lutte contre la violence à l’égard des femmes signalent que des filles les contactent pour

obtenir de l’aide, afin d’échapper à une E/MGF à l’étranger » (s.d. : 1). De façon générale,

les femmes ayant subi une E/MGF entrent en contact avec le système médical parce que

certaines ont des problèmes médicaux ou bien ont besoin de soins de santé ordinaires.

Il est mentionné, par le Conseil canadien des femmes musulmanes (2013), que la plupart

4 Code criminel, L.C.R. (1985), ch. C-46, à l’art. 268(3). 5 Code criminel, L.C.R. (1985), ch. C-46, à l’art. 273(3).

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des raisons invoquées par les personnes pratiquant ou appuyant l’E/MGF sont reliées à ce

besoin perçu de contrôler la sexualité des femmes. Cette procédure aiderait la femme à

« résister aux actes sexuels “illicites”, améliorant ainsi ses chances de mariage en assurant

qu’elle reste vierge » (ibid. : 154). Enfin, il est nommé que pour d’autres personnes, cette

pratique serait plutôt reliée à l’hygiène et à la propreté.

Pourtant, il est reconnu que l’E/MGF ne présente aucun avantage médical pour les femmes

et les filles. Selon le Conseil canadien des femmes musulmanes, la liste des dangers

possibles est longue et comprend des effets négatifs immédiats et à long terme. Les femmes

peuvent souffrir de douleur intense, d’infection, d’infections chroniques de la vessie, de

stérilité, de complications à l’accouchement, de la nécessité d’une chirurgie réparatrice,

d’impacts négatifs sur la sexualité et d’effets psychologiques comme la honte et l’anxiété

face à la mort (CCFM, s.d. : 2).

Quoi qu’il en soit, le mariage forcé tout comme l’excision/mutilation génitale féminine

sont considérés comme des pratiques qui visent le contrôle du corps des femmes, et

notamment de leur sexualité. Ces formes de violence, même si elles sont ici associées à la

notion de l’honneur, doivent être considérées comme s’inscrivant dans le cadre de la

violence patriarcale. Pour contrer ces pratiques, plusieurs acteurs sociaux sur le terrain

montréalais tentent, depuis quelques années, de mettre en place des pistes d’intervention.

1.3. Acteurs sociaux sur le terrain

1.3.1. Direction de la protection de la jeunesse

S’agissant de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), celle-ci a entamé une

réflexion afin de revoir certaines procédures en ce qui concerne la réception et le traitement

du signalement en cas d’abus. Certaines formations sont offertes aux intervenantes afin

qu’elles soient en mesure d’« évaluer les risques pouvant justifier une intervention, tout en

tenant compte des différences et des sensibilités culturelles » (CSF, 2013 : 111). La Loi de

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la protection de la jeunesse6 énonce les motifs pouvant justifier une intervention de la DPJ,

soit une situation d’abandon, de négligence, de mauvais traitements psychologiques,

d’abus sexuels, d’abus physiques ou des troubles de comportement sérieux.

1.3.2. Service de police

Certains services de police ont aussi commencé une sensibilisation de leurs effectifs face

aux situations de violence basée sur l’honneur. Au Québec, le Service de police de la ville

de Montréal (SPVM) a intégré cet objectif dans son plan d’action stratégique 2013-20177

en matière de violence conjugale et intrafamiliale. Le SPVM dit vouloir développer des

stratégies d’information pour sensibiliser les patrouilleurs, mais également la population et

les victimes potentielles. De plus, il est proposé de « créer des passerelles » entre les

policiers et les services adaptés aux besoins des personnes vulnérables (SPVM, 2013 : 16-

17). En ce qui concerne la violence liée à l’honneur, le SPVM s’est associé avec

l’organisme Le Bouclier d’Athéna qui a une longue expérience de travail avec les

personnes violentées, issues des communautés ethnoculturelles (ibid.).

1.3.3. Associations médicales

Certaines associations médicales « interdisent explicitement à leurs membres de pratiquer

l’E/MGF et les contraignent de signaler tout médecin qui s’y livre à l’association médicale

dont il relève, ainsi qu’aux autorités de protection de l’enfance » (CCFM, s.d. : 2). À ce

sujet, en février 2012, la Société des obstétriciens et des gynécologues du Canada a

développé une nouvelle déclaration de principes au sujet de l’E/MGF qui va dans le même

sens que plusieurs organismes nationaux et internationaux qui ont réaffirmé leur

engagement en vue d’éliminer l’E/MGF d’ici la fin de la présente génération (SOGC,

2012 : 3).

1.3.4. Organismes communautaires

Différents projets communautaires abordant la problématique des violences liée à

l’honneur ont été financés par l’agence fédérale, Condition féminine Canada. En plus de

6 Chapitre IV, Section 1, article 38 de la loi sur la protection de la jeunesse. 7 Objectif 6 : Sensibiliser les policiers à la violence intrafamiliale liée à l’honneur (SPVM, 2013 : 17).

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ce projet-ci, mené par le CSAI, deux autres projets ont présentement lieu au Québec. Ceux-

ci ont été mis sur pieds par le Bouclier d’Athéna et la Table de concertation des organismes

au service des personnes réfugiées et immigrantes. Également, différents centres d’aide et

d’hébergement pour femmes victimes de violence ainsi que des centres d’aide et d’action

pour les femmes immigrantes, des centres d’aide à l’intégration pour les immigrantes, font

partie des organismes travaillant auprès des femmes et des filles concernées par la violence

liée à l’honneur.

1.4. Projets en cours pour contrer la violence liée à l’honneur

1.4.1. Le Centre social d’aide aux immigrants (CSAI)

Le CSAI est considéré comme pionnier dans le domaine de l’immigration et travaille

auprès de différentes communautés ethnoculturelles afin de faciliter l’intégration et aider à

l’établissement des nouveaux arrivants. L’organisme offre différents services comme

l’orientation, la référence, la consultation, le soutien aux démarches d’immigration et de

parrainage, de recherche d’emploi, puis il vient en aide à des familles parfois confrontées

à des situations difficiles sur le plan de l’adaptation et de l’intégration, et plus

particulièrement, des difficultés reliées aux conflits de valeurs. Le CSAI a entrepris ce

projet visant à mieux comprendre la problématique de la violence basée sur l’honneur,

devenu un enjeu important pour les différentes intervenantes.

1.4.2. Le Bouclier d’Athéna

L’organisme le Bouclier d’Athéna est reconnu comme chef de file en matière de

sensibilisation communautaire en ce qui concerne les violences liées à l’honneur (CSF,

2013 : 125). Il a mis sur pied un projet comprenant un volet d’information, de formation et

de réseautage visant à :

- favoriser le dépistage des situations à risque de violences basées sur l’honneur, à

travers la formation d’intervenantes, formant un réseau de vigilantes, issues des

communautés à risque ;

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- briser le tabou entourant les violences basées sur l’honneur et outiller les femmes

concernées par ce type de violences, grâce à une meilleure connaissance de leurs

droits et au soutien nécessaire pour dénoncer ces situations ;

- créer un espace d’échange entre des représentantes de diverses institutions et

partenaires communautaires, afin de trouver des pistes de prévention et

d’intervention pour contrer les violences basées sur l’honneur (ibid. : 125).

En lien avec ce dernier objectif, un comité de travail multisectoriel a été créé dans le but

de concevoir une grille de dépistage. Partant d’une définition commune des violences liées

à l’honneur, il s’agit de « mieux cerner l’ampleur du phénomène et définir des mesures

concrètes d’intervention pour répondre aux besoins des victimes » (ibid. : 126).

1.4.3. La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées

et immigrantes (TCRI)

À titre de regroupement des organismes communautaires du réseau de l’immigration et de

l’intégration du Québec, la TCRI a développé un nouveau projet visant à « assurer une

prévention et une intervention s’appuyant sur une concertation et une stratégie commune

adaptée aux besoins des victimes de violences liées à l’honneur » (TCRI, 2013). Le but est

donc de favoriser des « collaborations pluridisciplinaires et des stratégies intersectorielles

autour des processus de détection, de prévention et d’intervention » en lien avec le sujet

des violences pratiquées au nom de l’honneur (ibid.). À titre d’exemple, des journées de

réflexion abordant la thématique ; Les violences basées sur l’honneur : Comprendre pour

agir ont eu lieu en avril 2014.

En conclusion, il importe de réitérer le fait que le phénomène de la violence liée à l’honneur

se doit d’être abordé dans le cadre des violences faites aux femmes et aux filles en général

puisqu’elles sont, encore une fois, les principales concernées par la violence reliée aux

inégalités entre les hommes et les femmes. Cette absence d’un consensus à l’égard d’une

définition ainsi que les différents éléments de controverses que soulèvent certaines

auteures, praticiennes et femmes, quant à l’utilisation du terme violence « liée à

l’honneur », implique de demeurer prudente dans la façon de comprendre et d’expliquer ce

phénomène. Considérant l’absence du point de vue des personnes concernées par cette

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problématique dans la littérature, il apparaît essentiel de poursuivre les recherches dans

cette visée, soit celle de donner la parole à ces femmes et ces filles afin de mettre en place

des moyens d’action qui sont adaptés à leur réalité et qui permettent de prévenir, et

ultimement, de contrer toutes formes de violence patriarcale. Cette étude des besoins désire

donc s’inscrire dans le développement des connaissances à ce sujet en mettant de l’avant

plan la parole des personnes qui se sentent concernées par ce phénomène.

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2 : Déroulement du processus de consultation

Dans cette partie du rapport, nous présenterons une brève description du cadre

méthodologique. Tout d’abord, nous rappellerons les objectifs de la consultation. Puis,

suivra le processus de consultation. Enfin, nous présenterons le profil des organismes et

des participantes qui ont partagé leurs réflexions avec nous.

2.1 Rappel des objectifs

Avant de poursuivre, il faut rappeler que les objectifs de cette consultation, tant auprès des

femmes des communautés ethnoculturelles qu’auprès des intervenantes, sont de réaliser

une évaluation des besoins des femmes et des filles victimes de violence liée l’« honneur »

ou à risque de l’être, et plus spécifiquement :

Mieux comprendre la violence basée sur l’« honneur » et les besoins particuliers des

femmes et des filles victimes de cette forme de violence et/ou à risque de l’être ;

Identifier les conditions influençant le déroulement de l’intervention ;

Identifier des pratiques prometteuses pour lutter contre cette forme de violence.

2.2 Processus de consultation

Le recrutement des participantes a été fait par l’entremise de la coordonnatrice du projet

du CSAI.

Pour répondre aux objectifs de la consultation, dans un premier temps, trois groupes de

discussion de 2 heures ont eu lieu avec des intervenantes appelées à travailler auprès des

filles et des femmes victimes de violence basée sur l’honneur ou à risque de l’être et issues

de différents arrondissements montréalais qui ont été ciblés par le projet. Nous avons

organisé un groupe dans l’arrondissement de Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce et un

autre dans Verdun/Sud-ouest. Pour le troisième groupe de discussion, des problèmes

rencontrés dans le recrutement nous ont obligés à regrouper des intervenantes de trois

autres arrondissements ciblés par le projet : Ahuntsic/Cartierville, St-Léonard et St-

Laurent. Ces entretiens de groupe nous ont permis de connaître les perceptions des

intervenantes à propos de la violence basée sur l’honneur, les situations des femmes et des

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filles auprès de qui elles interviennent, leurs préoccupations comme intervenantes ainsi que

les solutions à envisager pour contrer ce problème.

Dans un deuxième temps, nous avons fait six entretiens semi-structurés individuels ou en

petit groupe d’une durée variant entre 90 minutes à 2 heures avec huit intervenantes qui

ont eu affaire à une situation, au moins une fois dans la dernière année, concernant des

filles et de femmes victimes de violence basée sur l’honneur ou à risque de l’être. Nous

avons demandé aux participantes de partager un récit de pratique en lien avec une situation

dans laquelle elles sont intervenues. Plus spécifiquement, nous nous sommes intéressées

aux particularités des situations de cette clientèle, à l’intervention qui a été réalisée, à leurs

perceptions concernant les besoins des filles, aux pratiques prometteuses, aux difficultés

en intervention et aux aspects en lien avec le contexte de l’intervention qui facilitent ou

nuisent à l’intervention.

Enfin, six entrevues individuelles et un petit groupe de discussion (3 personnes) d’une à

trois heures ont été réalisés avec neuf femmes considérées comme des informatrices clés.

Ces femmes ont été invitées à partager, avec la chercheure, leurs perceptions à propos des

situations des femmes et des filles touchées par la violence basée sur l’honneur dans leur

communauté, du rôle que joue (ou non) la notion de l’honneur dans ces situations,

l’adéquation des services existants et les solutions à mettre en place pour contrer cette

violence.

2.3 Profil des organismes et des participants

2.3.1. Profil des participantes aux groupes de discussion et aux entrevues

Dans le cadre de cette consultation, 29 intervenantes ont participé aux groupes de

discussion (21) et aux entrevues individuelles et des petits groupes (8). Les intervenantes

sont issues des organismes ouvrant dans de divers arrondissements montréalais : Côte-des-

Neiges/Notre-Dame-de-Grâce (13) ; Verdun/Sud-ouest (7) ; St-Laurent (4) ; St-Léonard

(2) Ahuntsic/Cartierville (1) et indéfini (1). Un établissement sert la population de la grande

région Montréal. Toutes ces intervenantes proviennent d’organismes œuvrant dans des

domaines divers et offrant des services à différentes clientèles, mais ayant en commun la

possibilité d’avoir été confrontés à la question des violences liées à l’honneur. Ces

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organismes se répartissent de la manière qui suit : centres d’encadrement et d’action pour

femmes immigrantes (6) ; centres de santé et des services sociaux (4) ; maisons

d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale (3) ; centres jeunesse (3) ;

centres d’éducation pour les adultes ou les jeunes (3) centres d’aide et d’insertion pour les

immigrantes (2) ; poste des quartiers (SPVM) (2) ; centres de prévention tables de

concertation jeunesse (1) maisons de la famille (1) et indéfinis (1).

Concernant le profil des intervenantes, que ce soit pour les groupes de discussion et les

entrevues individuelles, elles sont en grande majorité des intervenantes de première ligne.

Certaines occupent parfois une position de coordination ou de direction dans leur

organisme. Les intervenantes ont, majoritairement, soit un diplôme de 1er cycle, soit un

diplôme de 2e cycle dans des domaines tels que le travail social, la psychologie, etc. En ce

qui concerne les années d’expérience en intervention, la grande majorité possède plus de

10 ans d’expérience et parfois même plus de 20 ans.

2.3.2. Les informatrices clés

Des entrevues ont été faites auprès de femmes issues de communautés ethnoculturelles, à

titre d’informatrices clés. Ces femmes sont des intervenantes, des enseignantes dans le

domaine de l’intervention interculturelle ou encore des militantes en matière de lutte pour

l’égalité et contre la violence faite aux femmes. Parmi elles, plusieurs ont une expérience

de longue date en intervention auprès de femmes, de filles et de familles provenant de

différents milieux ethnoculturels. Elles se disent concernées par les situations que vivent

ces femmes et ces familles et plus précisément par la violence que vivent les femmes de

leur communauté, et ce, quelles que soient leurs origines.

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31

2.4 Sélection des participantes

En ce qui concerne les intervenantes qui ont participé aux groupes de discussion, elles ont

été sélectionnées à partir des critères suivants :

Être à l’emploi dans un organisme ou un établissement dans un des arrondissements

ciblés par le projet ;

Être appelée à travailler auprès des filles et des femmes victimes de violence basée

sur l’honneur ou à risque de l’être pour les récits de pratique ;

Être intervenue, au moins une fois dans la dernière année, auprès des filles et des

femmes victimes de violence basée sur l’honneur ou à risque de l’être ;

Être intéressée à partager leurs préoccupations et connaissances sur l’intervention

en lien avec la violence basée sur l’honneur ;

Être capable de communiquer en français.

En ce qui a trait aux femmes qui ont participé aux entrevues avec la chercheure en tant

qu’informatrice clé :

Être majeure ;

Vouloir discuter du sujet de la violence liée à l’ « honneur » et partager son point de

vue sur les mesures sociales à mettre en place pour contrer ce type de violence ;

S’être impliquée dans l’organisme comme intervenante, bénévole ou militante ;

Être à l’aise pour communiquer en anglais ou en français.

2.5 Analyse des données

L’analyse des données a été réalisée en trois parties. La première partie correspond aux

groupes de discussion réalisés avec les intervenantes. La seconde partie concerne les récits

de pratiques. Enfin, la troisième partie vise les entrevues avec les informatrices clés.

Groupes de discussion avec les intervenantes

Une fois que chaque type d’entretien a été terminé, il y a eu une écoute attentive de

l’enregistrement, suivi de lectures successives de la transcription et des points commentés

par la chercheure principale et les membres de l’équipe qui ont été présentes lors des

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32

rencontres avec les intervenantes. Ensuite, nous avons fait une première étape de

codification pour dégager ce qui a été exprimé sur les sujets qui ont été abordés lors des

rencontres. Puis, nous avons élaboré des résumés analytiques de chaque rencontre afin de

faire une analyse transversale en vue de saisir les similitudes et les différences des discours

de l’ensemble des intervenantes qui ont participé. De ce contenu, nous avons sélectionné

les récits qui rendent compte des situations rencontrées en intervention, ainsi que les enjeux

autour du problème social traité.

Entrevues des intervenantes – récits de pratique

En ce qui concerne l’analyse des données, suite à la transcription de chaque entrevue, les

enregistrements de celles-ci ont été réécoutés afin de noter toutes informations

supplémentaires. Les transcriptions des entrevues ont été lues à plusieurs reprises afin de

bien saisir les récits de pratique racontés afin d’avoir une meilleure vue d’ensemble en les

situant dans le contexte plus large des milieux de pratique. Puis, les entretiens ont été

analysés de manière à reconstruire une séquence chronologique des différentes

interventions et l’évolution de la situation. Partant de ces premières démarches, l’analyse

s’est concentrée sur des récits autour des interventions spécifiques à travers les différentes

étapes de l’intervention. À ce stade, pour faciliter l’analyse, une grille de codage a été

élaborée. Une fois l’étape d’analyse pour chacune des participantes ayant été complétée,

les convergences et les divergences des différents récits ont été analysées. Cette démarche

a permis de saisir la diversité et la complexité de l’intervention, mais aussi les diverses

situations des filles/femmes. Pour présenter les résultats, nous avons choisi certains aspects

des récits qui rendaient compte de la pluralité des pratiques d’intervention.

Entrevues des intervenantes et informatrices clés.

En ce qui concerne l’analyse des données, comme pour les autres entrevues,

l’enregistrement de chaque entrevue a été réécouté afin de noter toutes informations

supplémentaires. Nous avons fait une première codification en lien avec les différents

sujets abordés dans l’entrevue. Par la suite, nous avons fait des résumés de chaque session,

suite à quoi une seconde codification a été effectuée. Une fois ces étapes complétées, les

convergences et les divergences des différents discours ont été analysées, et ce, afin de

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33

saisir la diversité du phénomène tel qu’il est perçu par les participantes. Pour présenter les

résultats, nous avons choisi des aspects des récits qui rendaient compte de la pluralité de

leurs points de vue.

Enfin, au terme de ces étapes, les questions en lien avec les solutions à envisager et les

pratiques prometteuses ont fait l’objet d’analyses transversales afin de dégager les

divergences et convergences.

2.6 Les limites et la nature innovante de la consultation

Nous n’avons pu rencontrer qu’un nombre restreint de femmes issues des milieux

ethnoculturels. En effet, le mode de recrutement n’a permis ni de rejoindre les femmes dans

la population générale, ni celles ayant utilisé les services en matière de violence. Trois

principales raisons expliquent cette situation. Premièrement, nous avons suivi les principes

éthiques et de sécurité recommandés pour la recherche sur la violence familiale et violence

de l’OMS (200i). Deuxièmement, sur le plan clinique et de sécurité, les critères d’exclusion

étaient les suivant :

Avoir venue au cours des 12 derniers mois une situation de violence

Avoir consulté au cours des 12 dernier mois des services psychosociaux,

médicaux, juridique, suite à une situation de violence vécue

demeure présentement avec des personnes qui ont été impliqué comme

auteure ou comme complice dans une situation de violence familiale ou

familiale

Enfin troisièmement, s’agissant des entrevues avec des filles (mineures), il aurait fallu

obtenir le consentement des parents ce qui aurait pu les mettre en situation de danger

potentiel.

Pour pallier à ces limites sur le plan de recrutement, nous avons décidé de recruter des

femmes de milieux ethnoculturels qui sont associées aux organismes-partenaires soit

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34

comme bénévole, soit comme intervenante ou associées aux programmes de formation en

travail social comme formatrice en intervention interculturelle.

Le recrutement des intervenantes a également connu quelques embûches. En effet, certains

arrondissements ciblés par le projet ont été plus difficiles d’accès qu’envisager au départ.

Il a donc été ardu de recruter suffisamment d’intervenantes pour nous permettre d’avoir un

portrait clair sur la manière dont les services dans les arrondissements s’organisent pour

répondre aux besoins des femmes/filles concernées par la violence liée à l’honneur.

Cette situation ne nous permet donc pas de généraliser les résultats à l’ensemble des

arrondissements ciblés par le projet. Toutefois, cette consultation se veut avant tout

exploratoire. Notre objectif était de mieux comprendre un phénomène, les besoins de

personnes concernées, ainsi que les pratiques d’intervention, ce à quoi nous sommes

parvenues.

Malgré ces quelques limites, cette consultation revêt une certaine originalité dans la mesure

où il a permis de donner la parole aux femmes des communautés, puis d’introduire un autre

discours pour parler des violences liées à l’honneur.

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35

3 : « La violence n’a pas culture, la violence c’est toujours la violence » :

Le point de vue des informatrices clés

Rappelons qu’à travers cette consultation nous avons voulu recueillir les propos de femmes

de différentes communautés à propos de la violence liée à l’honneur et les solutions pour

la contrer. Dans cette section, nous présenterons ce qu’elles ont partagé à propos de la

notion de l’honneur, de la situation de vie et des besoins des personnes concernées par la

violence liée à l’honneur ou à risque d’y être.

3.1 L’honneur, un terme qui ne fait pas consensus

Il importe tout d’abord de mentionner que les informatrices clés « jonglent » avec le

concept de l’honneur et que, parmi elles, certaines remettent en question le choix de ce

terme pour décrire cette manifestation de violence. Il en ressort donc qu’il n’y a pas de

consensus à l’égard de cette appellation ni de sa définition.

De façon générale, ces dernières s’interrogent sur la pertinence de décrire ce phénomène

comme tel, soit violence « basée sur l’honneur ». Elles tentent de donner un sens sur la

signification du terme « honneur » à la fois pour elles, leurs communautés d’origine, mais

également pour d’autres communautés, notamment la société québécoise. Trois visions

ressortent :

(1) pour certaines d’entre-elles, la référence à l’honneur n’est pas appropriée,

voire considérée comme une notion archaïque. Elles nomment que le choix

de ce terme (VBH) ne reflète pas les expériences vécues et ne fait pas sens

pour les personnes concernées.

(2) Pour d’autres, au contraire, le terme de l’honneur est plutôt décrit comme

une façon de vivre, faisant partie de la culture (lié à des croyances et des

valeurs). Cette notion est ainsi présentée comme permettant le « vivre

ensemble » et ne doit pas être perçue comme étant uniquement négative. Il

est également nommé qu’il existe une possibilité de conciliation entre

l’honneur et la liberté, et ce, même dans le pays d’origine.

(3) Enfin, certaines informatrices-clés soutiennent que l’honneur n’est pas

une notion utilisée dans leur communauté. Toutefois, il semble important de

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36

trouver un terme décrivant un sujet tabou qui permette de parler et d’agir sur

la violence familiale, une réalité présente dans leur communauté.

Malgré les divergences par rapport à la façon, ou non, de définir la violence basée sur

l’honneur, trois éléments principaux ressortent lorsque l’on cherche à aborder et

comprendre les violences vécues par les femmes et les filles issues des communautés

ethnoculturelles. D’une part, la violence faite aux femmes n’est pas le propre des

communautés, mais bien commun à toutes sociétés patriarcales. D’autre part, cette violence

se situe à l’intersection des rapports de pouvoir comme la race, d’où l’importance de

prendre le contexte d’immigration en considération lorsque l’on s’intéresse à de telles

questions. Enfin, en lien avec le contexte migratoire, les rapports de pouvoir à l’intérieur

de la famille font émerger certaines tensions intergénérationnelles, voire certains conflits

de valeurs. Ces conflits, lorsqu’ils dégénèrent, sont nommés comme lieu où se manifeste

la violence dans les familles.

3.2. Il s’agit toujours de violence faite aux femmes

Comme le titre le souligne, les informatrices clés témoignent que peu importe comment

l’on nomme ce phénomène, il s’agit toujours de violence faite aux femmes. Que celle-ci

ait lieu dans leur communauté, dans d’autres communautés ou encore dans la société

québécoise, les participantes nomment qu’il s’agit toujours de violence patriarcale.

« C’est la même chose, il n’y a pas de différence. La différence c’est la façon dont ils

montrent leur colère. De toute façon quand ça devient violent, la violence n’a pas de

culture. La violence c’est la violence. »

Elles expriment également que c’est le contexte dans lequel ces manifestations de violence

surgissent qu’il importe de prendre en considération. En effet, la violence et le contrôle des

hommes sur les femmes et les filles prennent différentes formes selon les contextes

particuliers tels que : le statut social et économique, l’âge, ou encore l’immigration.

« Une femme riche qui a un statut social ne vit pas de la violence de son conjoint de la

même manière qu’une femme qui est dans une situation de dépendance. Ou une jeune

fille mineure qui n’a pas les moyens de déménager, être autonome et ne veut pas briser

les liens. Ça prend différentes formes selon différents contextes. Il faut plus s’attarder à

ça plutôt que de dire violence liée à l’honneur. »

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37

3.2.1 Le contexte d’immigration à prendre en considération

En effet, lorsqu’il est question de familles issues de communautés ethnoculturelles, les

informatrices clés soulèvent l’importance de prendre en compte le contexte d’immigration

dans l’explication, mais aussi dans la compréhension de la violence qui est vécue et

perpétuée.

D’une part, il a été souligné que les rapports homme/femme sont vécus différemment en

contexte d’immigration et que la violence peut alors être exacerbée par ce contexte. À ce

sujet, les participantes soulignent que :

Le contexte migratoire peut créer ou renforcer la dynamique de pouvoir et la

violence à l’intérieur des familles, par exemple en lien avec le statut de

parrainage ;

La violence est vécue de façon différente pour les femmes immigrantes.

Contrairement aux Québécoises qui sont dans leur pays et connaissent les

ressources, les femmes immigrantes ont moins tendance à faire appel aux

services lorsqu’elles sont confrontées à de la violence ;

Les gens qui immigrent arrivent avec leur « bagage » et conservent certaines

valeurs du pays d’origine. Parfois, ils viennent ici physiquement, mais leur

mentalité est toujours là-bas. Certaines valeurs sont parfois difficiles à

concilier avec celles de la société d’accueil : « They just come here physically,

there mental is still there. » « Some parents, they think that the society back

home is still the way it is when they left. How it was when they left becomes a

reference point. »

D’autre part, les participantes soulignent les contraintes posées par le contexte

d’immigration des familles. À ce sujet, elles mettent de l’avant les difficultés reliées à

l’intégration des familles en matière d’emploi, de formation, et d’études. Elles mettent

également en évidence les barrières linguistiques, ainsi que les préoccupations autour

d’enjeux migratoires (ex. parrainage) et socio-économiques (logement, finances, travail,

garde-enfants, etc.). Il est précisé, par certaines, que le niveau de scolarité et d’intégration

socio-économique sont des éléments importants à la compréhension de la violence dans

certaines communautés :

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« Le niveau d’éducation joue énormément. Si les parents sont éduqués ici, font quelque

chose, sont intégrés dans la société. Ça joue un grand rôle. La personne qui est venue, qui

a essayé, mais n’a pas pu intégrer l’emploi, n’a pas fait d’étude. Il n’est pas en contact

avec la société d’accueil. »

Plus particulièrement, pour les filles et les femmes, s’ajoute aussi la méconnaissance de

leurs droits.

Enfin, le contexte d’immigration est également à prendre en considération lorsqu’il est

question de tensions intergénérationnelles dans les familles. En effet, celui-ci est considéré

comme problématique pour certains parents, ces derniers ayant parfois des difficultés à

faire la transition entre les valeurs de la culture d’origine et celles de la société d’accueil.

La prochaine section s’attardera aux conflits intergénérationnels.

3.2.2 Les conflits intergénérationnels, le théâtre de la manifestation de la violence

patriarcale

Lorsqu’elles ont parlé de violence faite aux femmes et aux filles, les participantes ont

souligné que celle-ci se manifeste souvent à travers des conflits intergénérationnels.

« Normalement, ça débute par des conflits. La famille est arrivée, tout est bon. Une fois

que les adolescentes vont à l’école, ont des amies, acquièrent une nouvelle vision,

apprennent qu’elles peuvent sortir avec quelqu’un, habiter ensemble sans se marier, etc.

C’est beaucoup plus populaire que dans les pays d’origine. Ça commence par une nouvelle

façon de vivre et les conflits avec les parents commencent. »

Plus précisément, elles ont relaté que ces conflits survenaient davantage avec les filles, car

elles sont sous la responsabilité de la famille, et notamment celle du père. Souvent, ces

conflits sont exacerbés par l’implication de la famille élargie ou de la parenté dans le pays

d’origine. De ce fait, les filles doivent adopter et respecter certains comportements propres

aux valeurs familiales. Comme dans toute société patriarcale, dont le Canada fait aussi

partie, il est question de contrôler certains de leurs comportements, et plus spécifiquement,

leur sexualité. Dès lors, les filles et les femmes sont considérées comme une source

potentielle de déshonneur si elles contreviennent à certaines de ces valeurs. À ce sujet, il

est indiqué que ces dernières s’appuient sur des conceptions des rapports homme/femme

comme :

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39

La femme appartient à l’homme (au père, puis au mari), impliquant un

pouvoir de contrôle de l’homme sur la femme/fille ;

Les comportements des jeunes filles/femmes, qui sont sous la responsabilité

des hommes, ont un impact sur l’image de ceux-ci lorsqu’ils sont jugés

inappropriés. L’idée ici est que les hommes ne remplissent pas leur rôle,

qu’ils ne sont pas de bons pères ou conjoints, et par conséquent qu’ils

doivent exercer ce contrôle) ;

Les filles/femmes doivent se marier ;

L’importance de la virginité des filles avant le mariage.

C’est donc le fait que ces dernières contreviennent, ou que les parents aient la perception

qu’elles contreviennent, au respect de ces valeurs, qui est source de conflits dans la famille.

À ce sujet, les participantes soulignent certains comportements des jeunes filles ou femmes,

jugés comme pouvant entrer en conflit avec les valeurs familiales :

Refuser un mariage arrangé ;

Avoir des relations sexuelles ou être enceinte avant d’être mariée ;

Fréquenter des garçons (relation amicale ou amoureuse) ;

Aller chez un homme ou vivre avec lui avant le mariage

Sortir avec un garçon qui n’est pas de la même culture ou religion ;

Quitter un conjoint (divorcer) ;

Vouloir les mêmes droits que les femmes québécoises ;

Ne pas tomber enceinte.

Également, les informatrices clés ont soulevé des éléments qui expliquent en partie, selon

elles, ce qui mène certains parents à exercer des pratiques coercitives (pouvant aller jusqu’à

la violence) envers leurs enfants, et plus particulièrement envers leurs filles. Les

participantes ont parlé en termes de craintes vécues par les parents :

Que leurs enfants finissent dans un centre jeunesse ;

De perdre leurs enfants (qu’ils déménagent dans un autre pays s’ils se

marient avec une personne étrangère au pays d’origine) ;

Que leurs enfants deviennent comme les Québécois (basée sur une

méconnaissance et des préjugés de ce qu’est être québécois) ;

Par rapport à l’avenir de leurs filles, à savoir s’il va leur arriver du mal

alors qu’ils ont immigré justement pour assurer un meilleur avenir pour

leurs enfants ;

Que les enfants mettent de côté les valeurs transmises.

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3.3 Les violences vécues par les femmes et les filles

Lorsqu’elles ont abordé les situations de violence rencontrées, que ce soit dans leur pratique

ou auprès des femmes de leur communauté, les informatrices clés ont parlé de différentes

formes de violence vécues par les femmes et les filles :

Violence physique, psychologique et/ou verbale ;

Harcèlement psychologique ;

Violence physique et psychologique vécue en contexte conjugal ou après

une séparation ;

Violence de la part de la belle-famille en lien avec le contexte conjugal ;

Contrôle « excessif » du conjoint, du père et des autres membres la famille

élargie (habillement, comportements, fréquentations, déplacements) ;

Menaces de retour au pays d’origine ou d’interdiction de revenir dans le

pays d’accueil.

Les informatrices clés ont, également, nommé d’autres formes de violence vécues par les

femmes et les filles dans les espaces publics :

Revictimisation dans le cas où la victime ne reçoit pas d’aide adéquate ;

« Elle va vivre une double violence : la violence par la famille et la

violence qu’elle subit si elle ne trouve pas l’aide et le secours. Cette

personne-là, elle va être déchirée… Elle a besoin d’aide. »

Discrimination fondée sur la race, l’ethnicité, la langue, notamment dans

un contexte de recherche d’emploi ;

« La plus grande violence c’est notre société d’accueil qui ne réussit pas

à faire en sorte que ces personnes-là s’intègrent. » ;

Stigmatisation fondée sur l’ethnicité à l’école.

3.4. La violence vécue par les garçons

Bien qu’elles aient parlé davantage de la violence vécue par les jeunes filles, certaines

informatrices clés ont nommé le contrôle excessif qui s’exerce aussi, mais de manière

différente, envers les garçons.

« Le garçon est contrôlé aussi. Il ne va pas dire à sa famille qu’il veut sortir avec une

Québécoise et il va se cacher, car il ne peut être vu avec elle devant sa famille. Ce n’est

pas de dire qu’un subit les pressions plus que d’autres. Mais ces pressions et contrôles

s’exercent de manières différentes. »

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3.5. La violence vécue par la famille

La famille, même la famille élargie (oncle, tante), que ce soit ici ou dans le pays d’origine,

a été identifiée comme pouvant être victime de la violence liée à l’honneur.

« Il s’est vengé auprès des oncles et tantes qui sont restées au pays, car sa famille avait

assez de pouvoir. Les gens ont peur des conséquences pour leur famille élargie ».

Il a aussi été mentionné que la pression de la communauté pouvait aussi être une forme de

violence vécue par les familles. Elle subit tout le poids, elle est pointée du doigt et jugée.

« Il faut penser aussi à la famille, elle est victime. Elle va subir tout ce poids-là. Il faut

protéger la personne, il faut protéger aussi la famille. Toute la communauté va être au

courant et va faire pression sur cette famille-là. Elle a besoin d’aide, d’être protégée,

rassurée. »

Enfin, lorsqu’elles ont abordé les différentes situations de violence vécues par les femmes

et les filles, les informatrices clés ont aussi discuté de leurs besoins, tout comme de ceux

des familles, en terme d’intervention. La prochaine section présente les principaux

éléments soulevés.

3.6. Les besoins des femmes et filles victimes de violence liée à l’honneur ou à

risque de l’être

Lorsqu’elles ont abordé les histoires des femmes et des filles en situation de violence, les

informatrices-clés ont fait référence aux besoins de ces dernières en matière d’intervention

(court, moyen et long terme), mais également à ceux des familles et des communautés.

Tout d’abord, de façon générale, il ressort des données que ces femmes et ces filles ont

besoin d’espaces sécuritaires où elles peuvent parler de ce qui se passe dans leur vie. De

plus, elles veulent se sentir en sécurité, puis être accompagnées et aidées concrètement dans

leur démarche d’aide. À cela s’ajoute un soutien tant émotionnel qu’en terme

d’informations générales sur leurs droits et leurs recours.

Que ce soit sur le court, moyen et long terme, selon le niveau de risque, les informatrices-

clés ont nommé certains besoins prioritaires. Nous retrouvons le soutien émotionnel des

jeunes filles et femmes, mais également l’aide concrète qui doit leur être apportée :

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À court terme

Un soutien émotionnel :

Être en mesure de communiquer ce qu’elles vivent dans leur langue au cas

où elles ne parlent ni le français ni l’anglais ;

Leur apporter de la compassion, de l’empathie, du réconfort, tout en les

acceptant dans leur ambivalence et leur cheminement ;

Leur permettre de ventiler, d’exprimer leurs états d’âme et leurs émotions ;

Être comprises dans leurs perceptions de leurs expériences avec des services

dans le passé ;

Être en mesure de les rassurer sur le fait que leurs parents ne seront pas

nécessairement punis, mais qu’ils recevront du soutien, dans le cas précis

des jeunes filles.

Une aide concrète :

Être en mesure de les mettre en sécurité rapidement surtout si leur intégrité est

compromise et qu’elles décident de quitter le milieu familial ;

Pouvoir leur offrir un soutien et un encadrement dans la prise de décisions ;

Être en mesure de leur donner une information adéquate à propos :

- Des ressources d’aide ;

- Des protocoles d’intervention ;

- De leurs droits selon les différents statuts d’immigration (résidence

permanente, citoyenne canadienne, etc.) ;

- Du soutien qui peut être apporté à leur famille

Offrir une aide financière et un soutien matériel pour les besoins ponctuels ;

Offrir un hébergement approprié que ce soit en maison d’hébergement, en

centre d’accueil, ou encore dans la famille élargie ;

Être en mesure de leur proposer différents scénarios de protection qui font sens

pour elles en leur donnant des outils et des conseils pour se protéger en cas d’un

voyage non volontaire, par exemple ;

Les accompagner vers les ressources ;

Développer leurs capacités d’empowerment et d’autonomie en vue de composer

avec les pressions et les tensions qu’elles vivent au quotidien ;

À moyen terme

Un soutien émotionnel et psychologique :

Offrir compassion, empathie, réconfort en les acceptant dans leur ambivalence

et leur cheminement.

Leur permettre de partager leurs émotions.

Présenter une aide pour contrer les effets de la violence ;

Proposer un accompagnement ;

Le cas échéant, mettre en place une intervention familiale comme une

médiation.

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Une aide concrète :

Faciliter leur accès à l’emploi, aux formations, à des cours de langue, à de l’aide

financière, etc. ;

En cas de retour dans le milieu familial : prévoir un encadrement de

réintégration, un suivi, et développer des scénarios de protection ;

Proposer un accompagnement dans les démarches judiciaires.

À long terme :

Offrir un soutien psychologique pour guérir et faire le deuil ;

Consolider un filet de sécurité ;

Soutenir et accompagner dans le cas où la fille ou la femme retourne ou reste

dans le milieu familial.

Également, les participantes ont soulevé certains besoins ressentis de la part des femmes,

et plus précisément des mères en rapport avec leurs filles, par exemple avoir des possibilités

de discuter de leurs préoccupations en tant que femme, mais aussi en tant que mère. Elles

aimeraient aussi obtenir des outils afin d’ouvrir un dialogue mère-fille.

Concernant les familles, certains besoins ont aussi été soulignés et méritent que l’on s’y

attarde. Elles aussi aimeraient bénéficier d’aide, par exemple pour discuter de leurs

préoccupations par rapport à leurs enfants avec d’autres parents. Il est ressorti également

que certaines familles souhaiteraient obtenir du soutien pour rétablir le dialogue avec leurs

enfants et d’un suivi, le cas échéant. De même, elles auraient besoin d’information au sujet

de moyens pour résoudre d’éventuels problèmes intergénérationnels, et notamment des

conséquences de la violence sur les enfants et les familles, puis des lois en la matière. De

manière générale, les familles désireraient des outils pouvant servir à leur intégration

comme un meilleur accès à l’emploi, à la formation, aux cours de lange, ou aux aides

financières.

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4 : Les situations observées dans les milieux de pratique

Cette section a été construite pour faire ressortir les principaux éléments abordés lors des

trois groupes de discussion et les six entrevues avec des intervenantes à propos de

l’intervention. Dans le but de faciliter la compréhension, le contenu riche et varié soulevé

par les différentes intervenantes a été regroupé selon cinq grandes parties : d’abord la

violence basée sur l’honneur comme étant un problème difficile à circonscrire, puis les

situations vécues par les femmes et les filles rencontrées dans la pratique. À cela s’ajoute

la manière dont les hommes et les garçons vivent cette violence, ainsi que les conséquences

sur les victimes et finalement, la façon dont les filles et les femmes composent avec leur

situation.

4.1 Un problème difficile à circonscrire

Il est important de souligner que la violence basée sur l’honneur est un phénomène qui

s’avère difficile à circonscrire. Lorsque nous avons demandé aux intervenantes si elles

avaient déjà rencontré ce type de situation dans leur pratique, les opinions étaient

divergentes. Il a été souligné, par certaines, qu’il leur avait fallu un temps de réflexion pour

être en mesure d’identifier si elles avaient été confrontées à des cas de filles et de femmes

vivant des situations de violence basée sur l’honneur. L’une d’elles a dit :

« Finalement, on a trouvé plein de cas. À première vue, on n’y avait pas pensé. Si on avait

eu plus de temps, il y en aurait plus encore. »

D’une part, certaines disent qu’elles n’en ont pas vu ou en ont vu très peu :

« Mais ce n’est pas quelque chose que j’ai vu ». « Il n’y en a pas tant que ça, je lis les

rapports de violence conjugale. J’en ai eu un récemment, seul cas ciblé ».

D’autre part, certaines nomment qu’il s’agit d’une réalité bien présente :

« Pour moi la violence d’honneur est très présente, mais on n’en parle pas ». « C’est

toujours les mêmes cas, le père a peur que sa fille ne prenne pas le bon chemin, que la

femme n’ait pas bien élevé les enfants. Je l’ai remarqué dans toutes les communautés ».

Il a été souligné qu’il était difficile de tracer la ligne entre des situations de violence basée

sur l’honneur et de la violence conjugale/intrafamiliale. Dans la même veine, il est ardu de

distinguer entre des comportements relevant de l’autorité parentale impliquant du contrôle

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45

excessif, des situations où il y a un choc culturel entre les valeurs des parents et celles des

enfants ou bien même des troubles de comportement chez les jeunes :

« Est-ce qu’on a affaire à une famille où il y une situation de violence, de violence

d’honneur ou des injustices, ou on a affaire à une situation où il y a un choc culturel entre

l’adolescence, qui se distancient du milieu familial et qui rentre en réaction avec le milieu

familial traditionnel ».

4.2. Types de situations de violence basée sur l’honneur vécues par les femmes et

les filles

Au fil des discussions, dans les entretiens de groupe et les entrevues avec des intervenantes,

certaines participantes ont présenté des cas concrets de ce qui représentait, selon elles, de

la violence basée sur l’honneur. Dans un souci de préserver l’anonymat de ces femmes et

ces filles, tout en permettant de dresser un certain portrait des situations rencontrées, nous

présenterons ici les principales caractéristiques de ces histoires, et par la suite, certaines

caractéristiques de ces situations. Les intervenantes ont décrit les situations suivantes :

Des filles/jeunes femmes, victimes de différentes formes de violence de la part d’un

et/ou de différents membres de la famille (violence physique, violence

psychologique, violence économique, contrôle excessif et surveillance à l’école).

L’élément déclencheur de la violence est souvent la découverte, par leurs parents,

qu’elles fréquentent de jeunes hommes qu’elles ont rencontrés dans le cadre de

leurs études. Les familles ont alors l’intention de les envoyer chez des membres de

la famille à l’extérieur du pays pour les marier. Les filles parlent de leur situation

pour la première fois avec leur enseignante (école secondaire/CÉGEP) qui à leur

tour les oriente vers une intervenante en milieu scolaire ou dans un centre de

femmes.

Des filles qui subissent un contrôle important de la part de personnes issues de leur

milieu familial immédiat ou famille éloignée, mais qui n’osent pas parler de ce

qu’elles vivent. Elles craignent que le fait de parler aggrave la situation et que les

conséquences pour leur famille soient très importantes (peur de l’intervention de la

DPJ ou les services policiers, déportation, etc.). Parfois, elles vont en parler à leur

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46

professeure ou une intervenante, mais elles ne veulent pas que l’intervention aille

plus loin.

Des filles qui après le congé de Noël ou les vacances d’été ne reviennent pas à

l’école.

Des filles qui sont isolées par leur famille. Les parents les amènent dans leur pays

d’origine pour les marier et quittent le pays sans elles. Les filles se présentent à

l’ambassade pour obtenir de l’aide. Un agent du consulat contacte alors l’école.

Des filles envoyées dans leur pays d’origine pour se marier avec quelqu’un choisi

par leur famille. À leur retour au Québec, elles font appel aux professionnels de

l’école parce qu’elles ont des problèmes de santé.

Des femmes victimes de violence conjugale (violence physique, psychologique,

spirituelle, menaces de mort et de cyberviolence) dans le contexte d’un mariage

arrangé. Elles demeurent avec leur conjoint soit au Canada ou dans leurs pays

d’origine. Lorsqu’elles décident de quitter leur conjoint, elles sont en danger de

mort. Pour se sauver, elles n’ont pas le choix que de laisser leurs enfants en arrière

avec leur conjoint. Souvent, elles sont rejetées par leur famille. Pour les femmes

qui sont dans leur pays d’origine, pour chercher de l’aide, elles feront appel aux

ambassades pour organiser un retour au Canada et par la suite un hébergement dans

un refuge pour femmes. Pour les femmes qui sont au Canada au moment où elles

décident de quitter leur conjoint, elles feront appel aux maisons d’hébergement.

Certaines d’entre elles seront obligées de déménager dans une autre province.

De façon plus spécifique, les intervenantes ont abordé une des formes de violence dite

basée sur l’honneur : le mariage forcé ou la menace de mariage forcé. Tout d’abord,

elles ont mentionné que ce sont des situations fréquemment rencontrées dans le cadre

de leur pratique. Les intervenantes ont soulevé que :

Les parents exercent une certaine pression sur leurs enfants pour que ceux-ci se

marient : « Les parents veulent toujours les marier, emmener les enfants à cette

étape ».

Les jeunes filles qui décident de refuser un mariage arrangé/forcé augmentent

leur risque de se faire rejeter par leur famille et de subir de la violence :

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47

« Le jour où elle a dit non, toute sa famille (sa sœur, sa mère) a décidé d’arrêter de lui

parler. [...] Elle vivait de la violence verbale, économique, psychologique de toute sorte,

mais en même temps, elle voulait rester dans sa famille ».

Par rapport à d’autres formes de violence, la privation des médicaments ou soins de santé,

l’invasion de l’espace intime et la violence économique ont été également repérées : « la

jeune fille avait un petit emploi et ses parents prenaient ses chèques ».

4.2.1. La violence vécue par les garçons et les hommes

Selon les intervenantes, ce sont majoritairement des jeunes filles qui sont touchées par la

violence liée à l’honneur. Néanmoins, même si les intervenantes n’ont pas donné de détails

sur des situations rencontrées dans la pratique, certaines ont mentionné être intervenues

auprès de jeunes hommes qui avaient vécu un mariage forcé. De plus, il a été relevé que,

pour les garçons, le fait d’être obligés de surveiller leurs sœurs ou d’exercer la violence à

leur égard peut être vécu par ces derniers comme une forme de violence : « C’est aussi une

forme de violence pour la personne qui doit surveiller parce qu’ils sont conscients que s’ils

ne le font pas, ils vont être punis ».

Ainsi quelques intervenantes ont abordé la réalité de certains hommes par rapport à la

pression associée à l’honneur, reliée à une différenciation des rôles entre hommes et

femmes, comme l’a souligné cette participante :

« J’ai découvert une grande détresse chez les pères qui pourraient toucher l’honneur.

Souvent, ceux qui sont là dans le jour sont ceux qui n’ont pas d’emploi et ça, c’est très mal

vu par leur communauté, leurs femmes, leur famille. Il y a cet aspect-là par rapport à

l’honneur avec une dévalorisation du rôle de père (protecteur) qui peut amener une forme

de violence liée à l’honneur ».

4.2.2. Conséquences de violence sur les personnes concernées

Concernant les conséquences de la violence liée à l’honneur, selon les intervenantes,

certaines femmes éprouvent des problèmes de santé mentale (pensées suicidaires, troubles

dépressifs, anxiété, choc post-traumatique, consommation) et physique (migraine, maux de

vente, blessures), perte de la garde de leurs enfants, les difficultés à poursuivre leurs

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études : « Elle était en détresse, elle pleurait, elle disait qu’elle n’avait pas la tête pour se

concentrer aux études, parce qu’à la maison, ça ne va pas du tout ».

En ce qui concerne les garçons, une des conséquences peut être la peur de représailles de

la part de la famille de la jeune fille qu’ils fréquentent et qui n’accepte pas leur relation.

4.2.3. Comment les filles et les femmes composent-elles avec leur situation ?

Lorsque les intervenantes abordent les histoires des filles et des femmes auprès de qui elles

interviennent, certaines soulignent des stratégies employées lorsqu’il est question de la

violence basée sur l’honneur. Plus spécifiquement, il s’agit de voir comment les filles et

les femmes agissent pour composer avec leur situation c’est-à-dire se protéger et éviter des

conflits avec la famille, chercher du soutien et finalement, gérer leur détresse.

Il a été relevé quelques stratégies d’action utilisées par les filles et les jeunes femmes pour

se protéger de la violence et éviter des conflits avec les parents, par exemple :

Éviter des conflits avec le conjoint ou les parents ;

Obéir à ses parents et attendre d’avoir 18 ans pour quitter le domicile familial (dans

les cas des filles) ;

Quitter le domicile familial pour résider chez un membre de la famille élargie ;

Quitter le domicile familial lorsque le mariage devient une réalité proche : « Il y a

des filles qui pouvaient dire : je sais que je vais devoir quitter, mais

tranquillement ».

Aussi, plusieurs stratégies de recherche d’aide et de soutien ont été mises en évidence par

les intervenantes. Par exemple, selon elles, les filles et les femmes vont dans un premier

temps chercher de l’information sur internet. Dans un second temps, elles vont chercher du

soutien auprès de membres de leur famille (sœur, mère, famille dans le pays d’origine ou

encore d’amies), d’intervenant-e-s des milieux social et scolaire. À ce sujet, une

intervenante raconte que : « Elle est allée voir son enseignant avec qui elle avait confiance

pour lui dire « je me suis sauvée de la maison ». Les filles et les femmes vont avoir tendance

à aller chercher un appui auprès d’intervenant-e-s du milieu communautaire ou de leur

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communauté (centres d’aide pour les femmes, centres d’aide à l’intégration pour les

immigrantes, mosquées, etc.). Quoi qu’il en soit, d’après les intervenantes, les filles et les

femmes ont tendance à conserver les numéros de téléphone des ressources qui peuvent leur

venir en aide.

Des intervenantes ont également énuméré quelques stratégies mises en œuvre par les filles

et les femmes pour gérer leur détresse. Par exemple, certaines filles et femmes iront

chercher du réconfort dans la religion. Une intervenante mentionne que : « She went to

Church and she found her peace there. She went to Sunday meeting and she said she found

herself there ». D’autres filles et femmes se tourneront plutôt vers la consommation de

substances psychoactives comme les drogues ou l’alcool.

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5 : Les pratiques d’intervention

5.1. Entrevues réalisées auprès des intervenantes sociales

Dans le cadre de cette consultation, nous avons rencontré des intervenantes de divers

milieux de pratique qui sont intervenues ou ont offert de l’encadrement dans les situations

de violence liée à l’honneur dans les douze derniers mois précédents la consultation. Au

moment des entretiens, nous avons invité les intervenantes à partager avec nous un récit de

pratique en lien avec une situation d’une femme ou d’une fille auprès de qui elles sont

intervenues. Pendant l’entrevue, les répondantes ont abondamment parlé du déroulement

de l’intervention, des aspects psychosociaux, organisationnels et légaux qui ont facilité ou

nuit à l’intervention, des pratiques prometteuses et des solutions à envisager pour contrer

la violence liée à l’honneur. Les entrevues avec les intervenantes se sont déroulées dans les

milieux de pratique et ont été enregistrées sous forme audio.

Nous avons fait six entrevues avec huit intervenantes travaillant dans le milieu de

l’éducation, de l’intervention auprès des femmes, de la santé et des services sociaux et

jeunesse. Toutes les participantes sont intervenues ou ont offert de l’encadrement clinique

dans des situations de violence liée à l’honneur dans les douze derniers mois précédents la

consultation. La plupart sont des intervenantes sociales qui ont offert du soutien

psychosocial, aux femmes et aux filles, en forme de suivi individuel, à moyen ou à long

terme, d’une période de trois mois et plus. D’autres répondantes sont des

enseignantes/formatrices, qui par leur rôle et le lien de confiance qu’elles ont pu développer

avec des jeunes femmes, ont offert un accompagnement pour une période de 3 à 12 mois.

Une dernière participante n’a pas fait de l’intervention directe, mais dans le cadre de ses

fonctions, elle offre du soutien et de l’encadrement auprès des intervenantes qui travaillent

avec la clientèle concernée par ce projet-ci. Les entrevues avec ces intervenantes nous ont

permis de recueillir un total de dix récits de pratique, dont sept concernent l’intervention

auprès des jeunes femmes âgées de 16 à 22 ans alors que les trois autres abordent

l’intervention auprès des femmes qui vivaient de la violence en contexte conjugale.

Cette section a été construite de sorte à faire ressortir les principales interventions qui ont

été réalisées dans le cadre de leur travail auprès des filles avec qui elles sont intervenues.

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En nous inspirant de la littérature en travail social sur le processus de l’intervention sociale

(de Robertis, 2007 ; Van de Sande 2011 ; Bourgon et Gusew, 2007), nous aborderons

différents types d’interventions directes et indirectes tout en prenant compte de divers rôles

que les intervenantes assument en travaillant avec les individus : personne ressource,

médiatrice, courtière et défenseure des droits.

5.2. L’intervention directe

Le terme intervention directe fait référence aux interventions qui se déroulent en dialogue

avec la personne. En intervention sociale, les interventions directes incluent des actions

posées par une intervenante qui, entre autres, permettent à la personne de comprendre et de

faire sens de sa situation ; de développer des stratégies visant à résoudre un problème ; de

poursuivre leurs activités quotidiennes ; et d’accéder à des ressources qui peuvent les aider.

Les interventions directes comprennent également le soutien et l’encadrement fourni à une

personne en situation de crise et les activités qui visent la médiation entre le client et

d’autres personnes (Van de Sande 2011).

À partir des récits de pratiques, nous avons documenté différentes formes d’intervention

directe offerte aux filles et aux femmes qui étaient aux prises avec des situations de violence

liées à l’honneur ou que les intervenantes ont estimées à risque de l’être. Les interventions

les plus fréquentes comprenaient des actions de la part des intervenantes qui favorisaient

la sensibilisation et l’accompagnement des filles et des femmes, la résolution des

problèmes et le développement de stratégies de protection. Finalement, quelques

interventions nommées par les intervenantes comprenaient aussi les actions qui ont permis

aux femmes de se familiariser avec des ressources et d’y recourir. Dans les pages qui

suivent, nous nous limiterons à présenter les interventions les plus fréquentes.

5.2.1. Les interventions visant la sensibilisation et l’accompagnement

Un programme d’intervention visant des groupes avec des mères ;

Un programme d’intervention de groupe mères – filles ;

La présence d’enseignantes/formatrices auprès des filles en milieu scolaire en vue

d’établir une relation d’écoute, de soutien, de conseil et d’entraide.

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5.2.2. Les interventions visant l’aide à la résolution du problème

Des échanges pour aider les filles/femmes à trouver un sens à leurs situations, c’est-

à-dire partager leurs vécus, sentiments, mais aussi leurs difficultés ;

Le partage d’informations et un encadrement pour permettre à la personne de

prendre des décisions éclairées ;

Un accompagnement dans les ressources spécialisées en violence ;

Documenter les situations de violence (information sur la victime, son parcours,

son réseau social) en cas de signalement futur ;

Un accompagnement dans les démarches pour obtenir du soutien des spécialistes

en VBH, consulter un médecin, porter plainte à la police, etc. ;

Un encadrement et un soutien lors de la réintégration dans le milieu familial.

5.2.3. Les interventions visant la protection des filles/femmes

Une évaluation des risques avec les victimes ;

Des rencontres avec des proches et la victime en vue d’encourager cette dernière à

prendre des décisions concernant sa sécurité ;

Un accompagnement et un échange avec la victime dans le but de chercher sa

collaboration pour signaler, éventuellement, sa situation à la protection de la

jeunesse ;

L’organisation d’un hébergement dans une ressource pour femmes victimes de

violence ;

Le développement de scénarios de protection avec les victimes ;

La présence de professionnel-le-s lors de procédures devant les tribunaux c’est-à-

dire un accompagnement des femmes afin de favoriser leurs témoignages ;

Outiller la fille/femme en cas d’un voyage non planifié dans le pays d’origine.

5.2.4. Les interventions visant à aider les filles/femmes à obtenir des ressources

Lorsque cela est nécessaire, référer vers d’autres ressources : la protection de la

jeunesse, les services médicaux, les programmes de recherche à l’emploi et aux

études, les cours de langue ;

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Faciliter l’accès à l’aide financière, à l’aide matérielle pour les besoins ponctuels

(médicaments), aux transports, aux logements supervisés et aux maisons de

deuxième étape ;

Aider à la recherche d’un logement.

5.3. L’intervention indirecte

Le terme intervention indirecte fait référence aux différents types d’intervention qui se

déroulent en l’absence de la personne, mais dans l’intérêt de cette dernière. Ces types

d’intervention incluent des actions auprès d’autres intervenantes ou organismes impliqués

dans un dossier. Elles incluent aussi les actions qui touchent la coordination des services,

l’élaboration des programmes d’intervention et l’amélioration de la capacité de l’organisme

à répondre aux besoins de la clientèle (Van de Sande 2011). Souvent, ces types

d’intervention et le temps consacré pour les réaliser demeurent largement sous-estimés et

semblent peu pris en compte dans la planification du travail des intervenantes.

En intervention auprès des femmes victimes de violence ou avec celles qui sont à risque de

l’être, le nombre d’interventions indirectes peut être important puisque la sécurité des

victimes est un enjeu important. Dès lors, la concertation et la consultation entre les

intervenantes, en vue de protéger la victime, ainsi que la collaboration intersectorielle

deviennent des actions incontournables. De plus, tout au long de la consultation, les

intervenantes ont témoigné l’absence d’outils d’intervention afin qu’elles soient informées

sur le problème et outillées pour apporter un support approprié aux personnes touchées par

la situation.

À partir des récits de pratique, nous avons documenté bon nombre des différentes formes

de l’intervention indirecte, comme celles visant la protection des victimes ; la médiation

familiale, lorsque pertinente ; la concertation intersectorielle ; et finalement des

interventions en vue de s’outiller et de s’informer comme intervenantes.

5.3.1. Les interventions visant la protection des victimes

La coordination entre les intervenant-e-s de différents organismes ;

Le partage de l’information avec des intervenant-e-s concernant la sécurité ;

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La sauvegarde des copies de documents d’identité des victimes avérées ou

potentielles ;

La tenue des dossiers et la préparation des rapports pour les tribunaux (la cour

supérieure, tribunal de la jeunesse) ;

L’organisation avec les ambassades et le Ministère des Affaires étrangères pour

faire revenir les victimes, citoyennes, au Canada ;

Un soutien auprès des intervenant-e-s d’autres organismes ;

La mise en relation des membres de la famille élargie et les proches avec les

intervenantes.

5.3.2. Les interventions visant à entreprendre des démarches de médiation

familiale

Solliciter la collaboration des personnes clés de la communauté.

5.3.3. Les interventions visant la collaboration intersectorielle

Participer aux instances de concertation.

5.3.4. Les actions en vue de s’outiller comme intervenantes

Discuter de cas avec d’autres collègues ;

Consulter des spécialistes ;

Discuter à partir d’étude de cas (réunion d’équipe, rencontre de comités locaux) ;

Participer aux formations et aux journées d’étude sur le sujet.

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6 : Contraintes liées à l’intervention et les mesures sociales pour contrer

la violence

Ce résumé synthèse a été construit de sorte à faire ressortir les principaux éléments abordés

lors des entrevues auprès des intervenantes ainsi que des groupes de discussion réalisés

dans trois arrondissements. Lors de ces rencontres, les intervenantes ont, entre autres, été

amenées à exprimer leurs points de vue sur les difficultés rencontrées dans le cadre de leur

pratique. Elles ont été questionnées sur les facteurs qui, selon elles, nuisent à leurs

interventions auprès des femmes et des filles aux prises dans des situations de violence liée

à l’honneur. Nous avons demandé aux participantes si les mesures sociales actuelles à

propos de la violence faite aux femmes et aux enfants semblent adéquates pour traiter la

violence basée sur l’honneur et surtout quels seraient d’autres moyens à mettre en place.

6. 1. Difficultés et préoccupations en lien avec l’intervention

6.1.1. Une absence de consensus par rapport à la conception du problème

Tout d’abord, un des problèmes majeurs qui est souligné par plusieurs intervenantes est le

manque de clarté, voire de consensus, dans la définition de la violence basée sur l’honneur.

En effet, la préoccupation de savoir identifier les situations où l’honneur est en jeu, et par

conséquent de pouvoir intervenir adéquatement, est soulevée comme une difficulté

importante rencontrée dans le cadre de leur pratique.

« Par exemple un homme qui surprend sa femme avec un autre, on parle de crime

passionnel... Mais est-ce que c’est de l’honneur ? »

6.1.2. Le manque d’outils de dépistage et d’intervention

Étant donné l’intérêt grandissant et récent pour le sujet de la violence basée sur l’honneur,

certaines intervenantes mentionnent manquer de moyens d’action pour intervenir dans ce

genre de situations. Plusieurs d’entre elles ont souligné que ce manque de consensus dans

la définition et le fait qu’elles doivent parfois intervenir rapidement avaient un impact sur

leurs interventions et suscitaient chez elles un sentiment d’impuissance.

« On a plein d’informations, mais au moment d’agir, qu’est-ce qu’on fait ? La jeune fille

qui pense qu’elle est à risque d’être mariée, il n’y a rien de concret, en plus elle est

majeure ».

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« C’est le plus difficile à gérer dans notre travail. On connaît les réalités et on ne peut rien

faire »

« C’est très frustrant. À chaque fois que j’ai un cas comme ça, je me dis, je ne peux pas

aller plus loin que ça. »

À ce sujet, les intervenantes sont nombreuses à témoigner le besoin d’être plus informées

et outillées par rapport à la violence basée sur l’honneur. En effet, elles soulignent leurs

préoccupations par rapport au fait de connaître les ressources et les services disponibles et

adaptés pour les femmes et les filles victimes de violence, mais également, comment elles

pourraient mieux intervenir auprès de ces dernières

« C’est plus de savoir quels sont les réseaux qui sont à ma disposition, pour savoir que je

peux aller là. Quels sont les outils, comment je peux intervenir, quelles sont les

ressources ? »

À ce sujet, et en lien avec cette difficulté de définition du phénomène, quelques

intervenantes soulignent le sentiment de crainte et de frustration qu’elles vivent parfois

lorsqu’elles orientent des femmes et des filles dans d’autres ressources. Celles-ci n’étant

pas toujours au fait de certaines particularités de la violence basée sur l’honneur, les

interventions risquent de ne pas être adaptées.

« Moi, j’ai vécu de la frustration quand il a fallu travailler avec d’autres ressources qui

n’avaient pas cette compréhension par rapport à la dangerosité et puis par rapport à la

problématique. »

Enfin, en ce qui concerne les outils d’intervention, il est nommé que certains milieux ont

pris des initiatives en vue d’améliorer leurs pratiques afin, d’une part, de répondre aux

besoins des femmes et des filles, et d’autre part de répondre aux besoins des intervenantes

qui désirent être mieux outillées. Il est souligné que le travail doit continuer afin de raffiner

ces outils. Il est aussi nécessaire de poursuivre la mise en place de formations et de soutien

clinique pour les intervenantes des différents milieux.

« On est quand même de plus en plus soucieux, on fait de plus en plus attention et on tente

de se développer des outils, mais on est aux balbutiements, il faut des améliorations

encore. »

« Il faut s’assurer que les intervenants ont tous une sensibilisation, une formation

minimale. Ça me semble majeur qu’il y ait des outils qui soient mis à la disposition, qu’il

y ait un soutien professionnel mis en place. »

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6.1.3. Difficulté d’établir un lien de confiance avec la femme/fille

Lors des entretiens, les intervenantes ont été nombreuses à aborder l’idée qu’il faut

beaucoup de temps pour développer et consolider un lien de confiance avec la femme/fille

afin de pouvoir intervenir efficacement.

« Ça prend deux, trois ans de lien avec la personne pour que cela mène à quelque chose.

Sinon tout le monde disparaît et on ne peut pas faire de suivi ».

À ce sujet, certaines intervenantes soulignent que cette difficulté d’établir le lien de

confiance peut être reliée au fait que les filles et les femmes craignent que les intervenantes

ne respectent pas leurs désirs, par exemple, lorsqu’elles ne veulent pas dénoncer la violence

et le contrôle qu’elles subissent. À ce sujet, l’importance de ne pas le faire à leur place a

été soulignée, notamment pour ne pas briser ce lien de confiance.

« Si elle était prête à le faire, elle l’aurait déjà fait. Si tu le fais toi à leur place, tu vas

briser le lien de confiance. De toute façon, elle va tout nier ».

D’autre part, il est soulevé qu’une des difficultés en intervention est reliée au fait de savoir

quand et comment aborder le sujet de la violence avec les femmes et les filles alors qu’il y

a un risque de perdre leur confiance, voire le contact avec elles.

Enfin, il est également nommé que la nature parfois urgente des situations s’ajoute comme

élément contraignant à l’intervention, permettant difficilement de prendre le temps pour

bâtir un lien de confiance.

« On n’a pas 3 semaines pour y penser. Ça se passe en urgence, c’est souvent un soir, un

vendredi soir en fin de journée. C’est rarement le matin à 9 h qu’on reçoit un signalement.

L’intervenante scolaire est inquiète, elle a parlé à l’adolescente, elle décide de signaler à

la fin de sa journée. »

6.1.4. La peur/hésitation chez la femme/fille à aborder les situations de violence

Les intervenantes ont été nombreuses à soulever le fait que les femmes et les filles soient

hésitantes à aborder les situations de violence qu’elles vivent.

« Une femme violentée qui vient chercher de l’aide, c’est rare qu’elle va dire ; “bonjour,

je suis une femme violentée”, et si on dit je viens parler de la violence conjugale, beaucoup

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vont vous dire non. Beaucoup ne sont pas prêtes à en parler. C’est pareil avec les crimes

d’honneur. Si on leur en parle, ils vont dire non ».

À ce sujet, les intervenantes ont soulevé certains éléments qui, selon elles, permettent

d’expliquer ce qui freine les femmes et les filles à parler de leurs situations vécues, d’une

part, et d’autre part, à dénoncer la violence qu’elles subissent :

Premièrement, la tendance à minimiser et banaliser la violence

Il a tout d’abord été mentionné que pour certaines femmes issues de communautés

ethnoculturelles, aborder les situations de violence vécues ne fait tout simplement pas

partie de leurs coutumes. De plus, certaines intervenantes énoncent que dans certaines

sociétés, la violence est davantage banalisée.

« J’ai observé que parfois, elles ont honte de parler de ça. Pourquoi ? Parce que c’est dans

leurs coutumes, c’est leur société. C’est leur façon de vivre. C’est de la violence qu’elles

prennent comme normale. »

En lien avec cette idée de normalisation de la violence, certaines intervenantes soulignent

que les processus de contrôle envers les jeunes filles se mettent en place dès leur plus jeune

âge.

« Ces filles là ont vu leur modèle de mère, dans leur famille élargie c’est-à-dire leur

communauté, elles ont vu la même chose. C’est quasi impossible, où il faut que ça soit

extrême avant qu’elles parlent »

Deuxièmement, elles craignent que leur appel à l’aide rende leur situation plus difficile

Des intervenantes soulignent le fait qu’il y a un risque réel pour certaines filles et femmes

dans le simple fait de consulter, pouvant aller jusqu’à les mettre en danger.

« La fille pourrait être accusée d’avoir consulté. Beaucoup de mensonge pour cacher, pour

couvrir, pour camoufler ».

« Quand elles m’ont dit qu’il y avait un problème avec leur famille, j’ai dit est-ce que

vous voulez que je leur parle? NON ! Je vais être tuée. Elle me disait toujours, je vais

être tuée si tu vas parler avec ma famille. »

Également, le fait de dénoncer leur conjoint, leur père ou encore leur famille, implique

aussi le risque de devenir plus vulnérables à subir des représailles, tout comme de se

retrouver sans soutien familial et d’être rejetées de leur communauté.

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« La peur les limite. Comment je vais dire dans mon pays d’origine que je suis divorcée,

que mes enfants n’ont plus de père ? C’est une difficulté pour ces femmes. Mais elles disent

non, je ne veux pas quitter/dénoncer parce qu’il va se passer quelque chose de grave ».

D’autre part, en ce qui concerne spécifiquement le fait de dénoncer la violence qu’elles

subissent, les intervenantes nomment le manque de confiance des femmes et des filles

lorsqu’il est question de faire appel à certaines ressources, notamment aux services

policiers.

« I think they see it as something outside themselves: a big institutional fear. Cops are not

a resource in their country. You try for them to have some trust. I understand where they

are coming from: if I was from a different country, I wouldn’t trust either ».

Troisièmement, elles sont aux prises avec ce qui semble impossible

Lorsqu’elles ont abordé les situations des jeunes filles en particulier, certaines

intervenantes ont soulevé le fait que ces dernières sont prises entre deux désirs qui semblent

parfois impossibles à concilier. D’une part, elles veulent avoir un peu de liberté, mais

d’autre part, elles veulent être aimées et acceptées par leurs parents.

« Elles voulaient les deux : rester et être acceptées par la famille, mais aussi être libre de

marier la personne qu’elles voulaient. Ce sont deux choses entre lesquelles elles étaient

prises. »

Quatrièmement, se positionner en dénonçant la violence ne fait pas sens pour elles

Dès lors, les filles sont confrontées à des situations déchirantes où elles doivent faire le

choix entre l’amour de leurs parents et un peu de liberté. Certaines intervenantes évoquent

que dans un tel contexte, le discours de dénoncer leurs parents et de quitter le foyer familial

ne fait pas de sens pour elles puisque ce n’est pas ce qu’elles désirent.

« On leur dit, tu sais que tu as le droit d’avoir un chum, de parler aux gars, de venir à

l’école… Si tes parents t’empêchent, tu pourras quitter la maison et porter plainte, mais

elles répondent : madame, jamais, je ne vais faire ça à mon père ».

Cinquièmement, elles veulent protéger leurs jeunes sœurs

Enfin, les intervenantes ont aussi abordé certaines situations où il a été noté que les filles

ne veulent pas dénoncer aux autorités parce qu’elles sont préoccupées du sort de leurs

jeunes sœurs et elles veulent les protéger.

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60

« Oui mon frère, il est comme ça, mais ma petite sœur, qui va l’aider ? La prochaine, c’est

elle qui va être violentée ».

6.1.5. Difficulté à entreprendre une démarche de suivi avec les femmes/filles

En lien avec cette difficulté d’établir le lien de confiance, les intervenantes soulignent

également la difficulté de maintenir des liens et des possibilités de suivi auprès des filles et

des femmes.

« C’est difficile, parfois on se sent impuissante, c’est difficile d’aller chercher

l’information, de tisser la relation de confiance pour que les choses deviennent plus claires,

et nous permettre de faire une intervention en fonction de l’honneur ».

Il est tout d’abord mentionné que ce qui rend le suivi difficile est le fait que les familles

déménagent, ou les filles quittent l’école, ou encore retournent dans leur pays d’origine, et

ce, que ce soit de façon temporaire ou définitive. Il se peut aussi qu’une femme soit

expulsée d’un organisme ou encore, qu’elle retourne avec son conjoint après son séjour en

maison d’hébergement. Pour certaines de ces situations, il a été soulevé qu’il importe d’être

prudente dans les interventions afin de ne pas brusquer les personnes concernées et risquer

de perdre le contact.

« Certaines, nous n’avons jamais revu après. Elles ont déménagé. Elles sont parties de

l’école. Donc, moi je me dis, je vais y aller moins drastiquement, mais au moins je vais

avoir un contact. »

De plus, il est soulevé que le fait de tenter de poursuivre un suivi avec les filles ou femmes

alors que ce contact a été rompu peut les mettre en situation de danger.

« Les filles me disaient : « Si tu viens avec la police ou juste seule à notre porte, nous on

va tout nier. Et c’est sûr qu’après, quand on ferme la porte, on va être battue à mort ».

C’est ça qu’elles m’ont dit. Les filles ont souligné clairement qu’on ne peut pas discuter ce

sujet avec la famille.

6.1.6. La difficulté de rejoindre les parents

Au fil des discussions avec les intervenantes, plusieurs ont nommé l’importance et le désir

de travailler auprès des parents et des familles, notamment par l’entremise des écoles.

« Il faut outiller les parents aussi, même si c’est plus difficile parce qu’ils sont adultes ».

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Malgré cette volonté, il est dit qu’il est souvent difficile de rejoindre les parents, soit la

première génération d’immigration. Cependant, il a été mentionné qu’il est plus facile

d’entrer en contact avec les mères, alors que les pères sont plus difficiles à rejoindre.

« C’est dur de faire venir les parents pour leurs enfants, il y a un changement de mentalité

et ce n’est pas évident. Mais ce sont les femmes qui viennent. Ça, c’est leur rôle

d’éducateur. Mais il y a peu de pères qui vont venir ».

6.1.7. La nécessité d’établir des ponts avec les communautés

En ce qui concerne le travail avec des communautés, plusieurs intervenantes ont souligné

l’importance, voire la nécessité d’impliquer des partenaires issus des communautés

ethnoculturelles dans cette lutte contre la violence.

« Parler avec les leaders dans les communautés pour savoir qu’est-ce que c’est pour eux…

Travailler avec les partenaires, des mentors. »

« C’est ce qui manque un peu, leur donner la parole et se préparer à écouter des choses

que peut-être on ne va pas trouver faciles et voir comment on travaille avec ça. »

Par ailleurs, les intervenantes reconnaissent le fait que certaines communautés n’ont pas

nécessairement confiance, elles se sentent jugées et sont plus hésitantes, voire craintives à

faire appel aux ressources.

« Il y a des communautés avec qui il faut retirer toutes ces couches de suspicion, de peur,

d’insécurité pour dire, vous, comme n’importe quelle autre communauté, c’est une

problématique qui vous touche aussi. Ça prend énormément de temps. »

D’autre part, un autre point de vue, bien que minoritaire, a été amené par certaines

participantes. Ces dernières évoquent le risque potentiel de travailler avec les leaders des

communautés ainsi qu’auprès des organismes qui travaillent de près avec ces communautés

lorsqu’il est question de violence basée sur l’honneur.

« Je ne peux pas compter sur les leaders de la communauté culturelle ou les chefs religieux

parce que leur rôle est de renforcer le lien avec la communauté. L’objectif c’est de garder

ces femmes avec leurs traditions, leur culture, mais pas de les aider... »

6.1.8. La complexité de la relation interculturelle en intervention

Enfin, au cours des entretiens la question de la culture, voire des divergences culturelles, a

été soulevée à maintes reprises comme une préoccupation pour les intervenantes. En effet,

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62

ces dernières nomment que la confrontation des valeurs est à considérer lorsque l’on

travaille avec des communautés immigrantes.

« On a toujours ces débats sur la violence, les communautés, les valeurs… Toutes les

communautés essayent de garder certaines valeurs de leur pays d’origine. Il y a un peu

de préjugés. C’est des valeurs qu’il faut respecter, ça reste toujours difficile ces débats-

là. Quand on perd nos valeurs, on perd notre identité ».

Également, certaines soutiennent que les différences sur le plan culturel peuvent poser des

limites à l’intervention puisque les femmes sont hésitantes à consulter des personnes qui

ne sont pas de la même communauté qu’elles.

« Nous autres on réfère les cas, mais quand on le fait, elles ne font pas confiance aux gens

qui ne sont pas de leur culture, elles n’y vont pas ».

6.1.9. Les difficultés dans le parcours des services

Au cours des entretiens, et particulièrement par les récits de pratiques racontés, les

intervenantes ont discuté des parcours des femmes et des filles dans les différents services.

Plus spécifiquement, elles ont abordé les enjeux autour des signalements à la protection de

la jeunesse et l’accès aux maisons d’hébergement.

Les signalements

Tout d’abord, en ce qui concerne les enjeux en lien avec les signalements à la DPJ, ils sont

de trois ordres : les conséquences pour les filles de quitter leur famille ; l’absence d’options

alternatives au fait de retirer les filles de leur milieu ; et les problèmes en lien avec la prise

en charge des signalements.

Les conséquences pour les filles de quitter leur famille

D’une part, plusieurs intervenantes nomment le risque de sortir les femmes et les filles de

leur famille.

« Si on le fait, on vient confirmer à quel point elle est différente de sa famille et qu’elle

n’en fait plus partie. Je ne dis pas qu’on a tort, mais en contrepartie, on l’isole parce

qu’on la sort de son milieu, de sa culture. On enlève les points de repère et ça me dérange

parce que je me pose toujours la question, oui, c’est pour des belles valeurs et à quel

prix ? Et des belles valeurs, les miennes nord-américaines ? On manque de compromis,

de ressources ».

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63

D’autre part, certaines intervenantes soulignent le fait que la situation de sortir un enfant

de son milieu est plus complexe lorsqu’il est question de violence basée sur l’honneur.

« Et quand on sort l’enfant de la famille, on rompt tous les liens. D’habitude, lorsque l’on

sort un enfant, on essaye de le placer dans la famille élargie, mais ce n’est pas possible. »

L’absence d’alternatives

Les intervenantes attirent l’attention sur le manque d’alternatives qui sont offertes en

matière d’intervention.

« Une des limites que je trouve à notre intervention, c’est le peu de choix qu’on a à offrir.

On manque de moyens en bout de ligne, d’alternatives à proposer. »

« Mais le problème est qu’à part sortir l’adolescente de sa famille, il n’y a pas vraiment

d’autres solutions. »

La prise en charge des signalements

En ce qui a trait plus précisément aux possibilités de prise en charge des signalements,

certaines intervenantes soulignent quelques difficultés. En effet, il a été mis de l’avant que

l’hésitation chez les filles à parler de leur situation fait en sorte que c’est très difficile de

recueillir des informations qui permettraient à la DPJ de traiter les signalements.

« Comment on fait pour amener les jeunes à parler ? Si on a une grande fille de 17 ans qui

ne fait que dire qu’elle a peur de son père, sans nommer aucun fait parce qu’elle ne veut

pas, on peut difficilement agir ».

De plus, par rapport aux moyens pouvant être pris par la DPJ, certaines intervenantes

mentionnent qu’une des difficultés est liée au fait que le contrôle exercé sur les jeunes filles

n’est pas forcément accompagné d’actes de violence. Dans ce contexte, il est fort possible

que la situation ne puisse pas être prise en charge par la DPJ.

« On peut faire un signalement à la DPJ, mais en même temps le contrôle commence à se

mettre en place dès qu’elles sont petites et il n’y a pas d’acte de violence ou de négligence.

Donc comment on fait, comment on s’outille par rapport à ça ?

Finalement, les intervenantes soulèvent le fait que certaines situations signalées ne sont pas

retenues, par exemple, dans les cas où les jeunes filles sont dans leur pays d’origine suite

à un mariage arrangé, un abandon, ou lorsque la jeune fille est âgée de 16 ou 17 ans.

Également, il a été mentionné que dans certaines situations, les signalements ont été

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retenus, mais faute de preuve, le dossier a été fermé. Les intervenantes notent que le cadre

législatif qui encadre les services de protection fait en sorte qu’elles doivent exercer

beaucoup de pression pour que les signalements soient considérés.

« Alors avec la DPJ, si elles viennent d’être déportées, elle va nous dire que les parents

ont l’autorité parentale et nous ne pouvons pas les empêcher si elles sont dans les pays

d’origine. Ce qu’on sait, elles fréquentent l’école et oups, ça fait un mois qu’on ne les a

pas vus. On sait qu’elles sont mariées à leur insu. Elles reviennent. C’est fait. Elles sont

mariées, même si elles ne restent pas là-bas, elles sont mariées. Donc, c’est la même chose,

la DPJ va dire qu’elle n’est pas sur le territoire. Que ce soit un ou l’autre, nous n’avons

pas beaucoup de pouvoir ou de soutien. »

« Ça va prendre plusieurs années avant qu’elles en parlent et souvent elles ont 16, 17, 17

ans et demi. Donc avec la DPJ, c’est comme elle ferme rapidement le dossier à cause de

l’âge. »

« Avec la DPJ, il a fallu que je travaille fort pour faire accepter de retenir ce signalement-

là. »

L’accès aux maisons d’hébergement

En ce qui concerne les maisons d’hébergement, des intervenantes soulignent avoir été

confrontées à des difficultés par rapport à l’accès à ces ressources pour les jeunes femmes

et filles. D’une part, il a été remarqué que certaines jeunes femmes victimes de violence

ont été refusées en raison de leurs ambivalences par rapport à leurs plans futurs.

« On l’a référé à une maison d’hébergement et elle a été refusée parce qu’on considérait

qu’elle n’était pas claire par rapport à ses options, à ce qu’elle voulait faire et où elle

voulait s’en aller. »

D’autre part, il a été mentionné qu’il y a un manque au niveau des ressources secondaires

adaptées pour accompagner les jeunes femmes. Plus particulièrement, il semble que ce

manque se fasse ressentir lorsque ces dernières terminent leur séjour en maison

d’hébergement. Selon les intervenantes, elles ont besoin de ressources qui permettent un

soutien à plus long terme et structuré.

« Ça a été un problème dans la suite de ses démarches, elle s’est retrouvée dans une

ressource qui n’était pas suffisante. Elle s’est retrouvée dans un milieu très anonyme, les

problématiques des autres femmes étaient tellement loin. »

« Ce que j’ai trouvé le plus difficile, c’était le manque de ressources secondaires. Où la

placer ? Clairement pour moi et pour elle, elle devait se retrouver dans un milieu à long

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terme où c’était structuré. Après son séjour de deux mois à la maison d’hébergement que

parfois on peut étirer. La structure parfaite n’existe pas. »

Les filles/femmes restent ou retournent dans le milieu familial sans soutien et

encadrement

Les intervenantes ont soulevé à maintes reprises être préoccupées par le fait que les filles

et les jeunes femmes restent dans leur famille, ou encore y retournent après un séjour en

maison d’hébergement. Elles soulignent également le fait que, dans le cas d’un retrait de

l’enfant, l’atteinte de l’âge de la majorité chez les jeunes filles signifie aussi la fin des

services avec les centres jeunesse. Les participantes disent éprouver un sentiment

d’inquiétude et d’impuissance, puisque ces dernières se retrouvent sans soutien ni

encadrement alors qu’elles sont dans des situations où elles sont à risque de subir de la

violence.

« C’est le plus difficile à gérer dans notre travail, on connaît les réalités et on ne peut rien

faire. »

« Elle est consciente, mais au péril de sa vie, elle est prête à y retourner pour être acceptée.

Le degré de culpabilité par rapport à ce qu’elle a fait est extrêmement haut et extrêmement

fort et c’est une des raisons pour laquelle elle est retournée. Elle est aussi, dans le fond,

au niveau de l’espoir. »

« Une fois qu’on sort une adolescente à 17 ans, à 18 ans qui va lui amener de l’aide ? Il

faut la référer à d’autres services, mais ça devient une petite fille qui n’a plus de repères. »

6.10. Les obstacles à l’intégration

Les intervenantes ont été nombreuses à souligner que le statut précaire, lié au contexte

d’immigration, qui affecte les femmes, les filles et les familles est considéré comme un

facteur de vulnérabilité dans le vécu de la violence.

« Le statut migratoire influence les risques de violence. »

Également, il est soulevé que les discriminations liées au statut migratoire renforcent

l’hésitation des victimes ou des personnes à risque de parler de leurs situations, d’aller

chercher de l’aide.

« Elles vivent des discriminations autres : être racisées. La manière dont elles se

présentent… Elles n’auront pas le même traitement dans les services que les Québécoises

et ça nuit ».

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À ce sujet, le problème de la langue et le manque d’accès aux informations et aux

ressources représentent des obstacles majeurs à l’intervention. En effet, il est dit que bien

que l’on tente d’aider les femmes et les filles à sortir de leur situation, tant qu’elles n’auront

pas accès aux ressources pour améliorer leur condition de vie (ex. autonomie financière),

ce travail sera difficile.

6.2 Les mesures sociales

6.2.1. Les protocoles d’intervention

Il existe plusieurs protocoles d’intervention qui sont appliqués aujourd’hui en matière de

violence conjugale. Parmi ceux qui ont été discutés dans le cadre de cette consultation, on

retrouve le « protocole de collaboration SPVM-CLSC ». Il est prévu que lorsque la police

intervient lors d’une scène de violence conjugale, elle a la possibilité de diriger les victimes,

consentantes, au CLSC qui fait par la suite un suivi. Les participantes ont également évoqué

le « protocole de collaboration multisectoriel pour les enfants exposés à la violence

conjugale » qui met en place des mécanismes de transmission d’informations ainsi que de

collaboration entre tous les organismes qui interviennent dans la situation.

Pour certaines participantes, il serait possible d’adapter ces protocoles déjà existants pour

améliorer les interventions dans les situations dans lesquelles l’honneur semble jouer un

rôle :

« On agit sur la violence, on a les mêmes outils. Le fait que ce soit basé sur l’honneur, ça

ne va pas changer notre plan d’intervention. On va changer comment on va percevoir les

choses, comment on va prendre les choses, mais on travaille plus avec violence conjugale,

violence intrafamiliale ».

La question de la mise en place de protocole d’intervention spécifique pour ce type de

violence a été abordée et les réponses des intervenantes sont assez réservées. Une d’entre

elles précise que :

« C’est un peu la même chose dans le sens où on n’a pas de protocole, je ne sais pas si ça

sera nécessaire. À partir du moment où on développe des manières de travailler, c’est ça

qui est important ».

Cependant, le manque de définition commune concernant le phénomène peut représenter

un obstacle à l’utilisation des protocoles existants déjà :

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67

« Toutes les institutions qui travaillent, santé/services sociaux ou les organismes

communautaires qui travaillent avec des victimes, ont besoin de se sentir sûrs par rapport

à la manière dont ils définissent cette problématique. Sans cette assurance, il n’y a pas de

protocole possible. »

De plus, certaines intervenantes ont précisé leurs préoccupations concernant cette mise en

place qui pourraient réduire leur marge de manœuvre en intervention :

« Il faut essayer de trouver le petit espace où je peux faire les choses, un peu différemment.

Pour moi, c’est ça le travail social. Que ce soit violence conjugale, familiale… tout mon

travail se fait comme ça et ces liens-là sont importants à tous les niveaux. Ça change tout

dans l’intervention. »

6.2.2. Le travail en réseau

De manière globale, les participantes ont reconnu l’importance du travail en réseau pour

améliorer l’accès aux services pour les victimes et pour s’outiller comme intervenante :

« Il y a un besoin réel de réseautages […] Ça permet de connaître encore plus de

ressources », « Et là, ça prend des partenariats, parler des enjeux. Il faut qu’on intègre les

concepts. »

Comme il a été souligné, la consolidation du travail en réseau permettrait aux intervenantes

de profiter des expertises des organismes spécialisés en violence ou en intervention

interculturelle et de pouvoir orienter les personnes qui en ont besoin de l’aide d’une

ressource plus appropriée :

« Quand il y a des problèmes pointus, c’est bon qu’il y ait certains groupes ou organismes

plus spécialisés auxquels on peut référer ».

Une autre raison en faveur du réseautage concerne les difficultés qui existent pour assurer

un meilleur suivi pour les femmes/filles qui en ont besoin :

« Moi, je reviens au soutien après le séjour en maison d’hébergement. Les démarches pour

quitter un conjoint sont très difficiles. Si après, il y a quelque chose qui fait qu’elle se sent

soutenue ».

Il s’agit également, en favorisant les rencontres entre les victimes, de briser leur isolement :

« Le partenariat est important, les femmes des maisons d’hébergement ont besoin de faire

le lien. Ces femmes ont besoin d’air, de rencontrer d’autres personnes (dans d’autres

organismes) qui ne vivent pas nécessairement de la violence et que leurs enfants puissent

rencontrer d’autres enfants ».

Il faut également noter que certaines intervenantes ont regretté l’absence des réseaux au

niveau provincial, voire national. Lors des entrevues, quelques intervenantes ont raconté

des situations où la victime voit sa sécurité mise réellement en danger et la seule solution

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alors serait de l’éloigner du conjoint et de la famille. Pour le faire, elle doit déménager dans

une autre région du Québec, voire une autre province :

« Dans nos discussions, on se disait qu’il faudrait qu’on ait un réseau pan canadien. On

peut commencer avec l’Ontario ».

Cependant, une préoccupation qui a été soulevée par rapport aux partenariats inter

organismes concerne la préservation de l’anonymat des victimes. C’est le cas notamment

en ce qui concerne la référence vers les CLSC selon certaines :

« J’ai demandé si elles connaissaient un endroit qui pourrait offrir des services, autres que

le CLSC. On s’entend que ces filles, elles ne vont pas y aller toute seule, elles ont peur que

leurs parents les voient aller là-bas, ou que quelqu’un aille dire « j’ai vu votre fille »

6.2.3. La sensibilisation

La sensibilisation auprès des communautés

Les intervenantes ont souligné le manqué d’information et d’éducation des personnes

concernant les problématiques autour de la violence de manière générale.

Elles ont notamment remarqué le manque d’information sur les droits des femmes et les

ressources : « Je ne suis pas certaine qu’on offre les informations ». C’est surtout la

manière de sensibiliser les nouveaux arrivants qui a été critiquée au cours des discussions :

« Même si c’est fait, ça reste théorique, des dépliants ».

Plusieurs intervenantes ont noté que les jeunes à risque n’étaient pas assez informées pour

avoir une bonne compréhension de ce qui leur arrive, pour connaître le type de soutien sur

lequel ils peuvent obtenir de la part de services et pour élaborer des stratégies afin de gérer

leurs situations :

« D’outiller les filles par rapport à la violence. Souvent, elles sont peu conscientes. C’est

comme si nous leur apprenons qu’elles sont victimes de violence verbale, psychologique,

physique. »

La sensibilisation auprès des partenaires

Le rôle important que joue le personnel enseignant auprès des jeunes femmes a été au cœur

des réflexions. Comme il a été raconté dans les récits de pratique, l’école est un lieu où les

jeunes qui vivent des difficultés avec leurs parents ou même celles qui sont exposées à la

violence ou au contrôle excessif de la part de leurs parents peuvent s’adresser. Dans ces

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lieux, les liens de confiance peuvent se créer plus facilement.

Une des préoccupations qui est ressortie concerne le manque de formation du personnel

enseignant :

« Dans les écoles primaires et secondaires, un des points noirs est au niveau des

professeurs qui ne sont pas outillés, parce qu’ils sont les premiers à voir les signes. On

commence à en parler, on suit des formations. Mais on se rend compte que les professeurs

ne sont pas formés, ni outillés pour détecter et réagir et cela pourrait être très aidant. Ce

côté-là manque et que cela pourrait être très aidant ».

Enfin, il est aussi soulevé l’importance que les intervenants des différents réseaux de la

santé soient informés, et notamment les intervenants en santé mentale. En effet, différents

symptômes comme des « troubles dépressifs, troubles d’adaptations, chocs post-

traumatiques » sont parfois intimement liés à des épisodes de violence vécue par la famille

ou le conjoint.

5.2.4. Les contraintes légales

Plusieurs types de contraintes ont été identifiés à différents niveaux. D’abord en ce qui

concerne la loi sur la protection de la jeunesse et les interventions de la DPJ qui en

découlent. Des obstacles juridiques en ce qui concerne le statut d’immigration ou l’accès à

la justice dans les situations de violence. Enfin, l’absence de législation en matière de

mariages forcés a été soulignée.

Intéressons-nous d’abord aux discussions autour des interventions de la DPJ.

Majoritairement, les intervenantes ont reconnu la difficulté de continuer à intervenir auprès

d’adolescentes, une fois qu’elles ont passé l’âge de la majorité :

« Il y a des parents qui connaissent très bien les lois, qui savent à partir de quel âge ils ont

le pouvoir. À 16 ans, l’enfant est un peu autonome, à 18 ans, c’est fini. Ils vont essayer de

tout faire avant ».

Quelques intervenantes ont émis l’idée qu’il fallait, peut-être, modifier la loi sur la

protection de la jeunesse en vue d’augmenter la protection des jeunes filles à risque et

assurer un meilleur suivi pour les jeunes prises en charge par le réseau de centres jeunesse.

Surtout, pour certaines, la majorité représente le moment où les possibilités d’intervention

se réduisent drastiquement dans les cas de mariages forcés par exemple.

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D’autres difficultés pour prévenir ces situations ont été évoquées. On retrouve l’idée que

la peur et le silence ne permettent pas à la DPJ de pouvoir intervenir dans les situations à

risque. Il faut que les jeunes filles parlent de leur situation pour pouvoir faire quelque

chose :

« Nous (DPJ), dans le cadre de l’intervention/protection, on a une possibilité quand on a

une adolescente qui dit clairement qu’elle ne veut pas retourner dans son pays parce

qu’elle a peur de se retrouver dans un mariage forcé ».

Une autre difficulté identifiée concerne l’influence du statut précaire dans certains cas de

femmes ou de jeunes filles qui se retrouvent dans des situations de mariages forcés dans

leur pays d’origine :

« Malheureusement, elle n’était pas citoyenne canadienne, mais elle avait la résidence

permanente. L’intervenante disait que le fait qu’elle soit résidente permanente compliquait

les choses ».

Il faut également noter que même dans les situations où les personnes possèdent la

citoyenneté canadienne, les démarches sont difficiles et il n’existe pas vraiment

d’information sur ce qui est fait ou pourrait être fait dans ce type de situation.

De plus, les participantes se sont montrées critiques envers le processus judiciaire qui peut

avoir lieu lorsque la situation est dénoncée. Il a été remarqué que les procédures en matière

de violence conjugale aboutissent rarement à un jugement, voire une condamnation.

Finalement, dans les cas de mariage forcé, l’inefficacité de certaines ambassades

canadiennes a également été évoquée :

« L’ambassade canadienne n’agit pas. Pour avoir vu des femmes dont les maris ont

emmené les enfants, l’ambassade attend que les gens franchissent la porte de l’ambassade.

Il y a un peu d’impuissance ».

6.2.5. Autres contraintes évoquées

En dehors des contraintes qui ont été évoquées plus haut, d’autres thématiques ont été

discutées.

Premièrement, le manque de ressources marque toutes les tentatives d’intervention. Ce

sujet se trouve en filigrane de toutes les discussions qui ont eu lieu. Il s’agit d’un manque

de ressources pour une meilleure prise en charge des situations sur le long terme.

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Le statut d’immigration a également été identifié comme étant une difficulté, en particulier

lorsqu’il est question de parrainage. En effet, dans les cas où la personne est victime de

violence et qu’elle est présente au Québec parce qu’elle est parrainée par son mari, cela

rend plus difficile pour elle de dénoncer sa situation. Cette situation suscite chez la

personne une peur de la perte de son statut d’immigration. De plus, dans les cas où les

personnes sont en situation irrégulière, il est fortement possible qu’elles n’aillent pas

chercher de l’aide.

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7 : Les pratiques prometteuses

Dans le cadre de cette consultation, nous utilisons les termes « pratiques prometteuses »

pour faire référence aux interventions ou aux stratégies gagnantes qui semblent avoir des

effets positifs sur l’évolution de la situation des femmes/filles.

Dans cette section, nous présenterons un aperçu de ce que les participantes et les

informatrices clés ont relevé comme pratiques prometteuses. Pour dresser ce portrait, nous

avons regroupé ces pratiques gagnantes en lien avec certains défis en intervention qui ont

été identifiés et présentés dans la section précédente, et cela en fonction de différentes

phases du déroulement de l’intervention : la prise de contact, l’exploration de la situation

problème avec la fille/femmes ainsi que le suivi. Pour conclure, nous nous attarderons à

quelques stratégies prometteuses en lien avec la sensibilisation et la collaboration

interorganisationnelle.

7.1. La prise de contact

La prise de contact correspond au moment où l’intervenante rencontre la fille/femme pour

la première fois. Comme il est souligné dans des écrits portant sur la méthodologie en

travail social (Bourgon et Gusew, 2007 ; Turcotte et Deslauriers 2011 ; Vande de Sande),

deux aspects sont importants à cette étape du processus d’intervention. Le premier est

relationnel : l’établissement d’un lien de confiance et la création d’un climat de travail

propice à la réussite de l’intervention. Le deuxième concerne l’échange des informations.

Les informations partagées permettent à la femme/fille de préciser sa demande d’aide, si

cela est le cas. Elles permettent aussi à l’intervenante de l’aider à faire sens de ce qu’elle

vit pour éventuellement développer des stratégies d’action et des scénarios de protection

lorsque nécessaires. À son tour, l’intervenante doit aussi partager des informations pour

bien expliquer le mandat de l’organisme, son rôle, les règles autour de la confidentialité,

les étapes suivantes de la démarche, etc. (Turcotte et Deslauriers 2011).

Comme il a été mentionné dans la section précédente, les intervenantes qui ont participé à

la consultation ont été nombreuses à souligner comme enjeu principal en intervention la

difficulté d’établir un lien de confiance avec la femme/fille. Nous présenterons quelques

stratégies d’intervention gagnante, expérimentées par les intervenantes et les informatrices

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clés.

7.1.1. Les pratiques visant à développer un lien confiance avec les filles/femmes

Premièrement, il est nécessaire de maximiser le lien de confiance existant entre la

femme/fille et une intervenante, que ce soit une enseignante ou une autre personne.

« C’était difficile aussi pour elle de me parler. Elle voulait seulement parler avec son

enseignante. Qu’est-ce que j’ai fait ? L’enseignante lui avait proposé qu’on commence

l’entretien en classe. Elle était à son bureau dans un milieu connu. Moi j’ai dit à

l’enseignante, je vais aller en classe. Il n’y avait pas d’autres élèves. Donc, elle avait une

grande confiance dans cette enseignante. Et puis après on a parlé à trois. Après, j’ai réussi

à l’amener ici dans mon bureau la même journée ».

« La personne qui reçoit les confidences, c’est généralement elle qui est la mieux placée

pour accompagner l’adolescente dans un processus d’aide pour qu’au moment où il y a le

signalement, elle soit prête à parler et qu’ils aient pu mesurer jusqu’où ses craintes sont

fondées, jusqu’où elle est prête à aller pour en parler. Parce qu’au moment où le

signalement est fait, si l’adolescente est prête à parler, on va pouvoir la protéger ».

Deuxièmement, l’intervenante se doit de respecter la singularité de chaque situation et le

cheminement de la femme/fille pour intervenir d’une manière qui fait sens pour elle.

« Chaque personne est différente et a un niveau d’éducation social, une personnalité

différente. Il faut trouver le moyen d’établir la confiance et de trouver les forces de l’autre

à l’intérieur d’elle-même, car on ne peut pas lui imposer quoi que ce soit. Il faut aller

chercher ce qu’elle a, qu’est-ce qu’elle peut faire ? Ses forces intérieures et de caractère

qui pourront l’aider à faire quelque chose ».

Troisièmement, les intervenantes doivent créer des occasions propices à l’échange.

« Faire de la sensibilisation autour d’autres thèmes pour briser le silence : c’est la même

chose pour les femmes. Si je veux qu’elles parlent, je les invite pour venir faire de

l’artisanat, de la pâtisserie. Mais c’était pour nous des prétextes pour joindre les femmes,

pour créer des liens et qu’on parle. À chaque rencontre, on a des thèmes autour des valeurs

familiales, l’intégration, le deuil, la difficulté de s’intégrer, ce qu’on aime. On amène ces

femmes-là à parler d’elle-même, leur donner plus de confiance à elles, valoriser, les garder

toujours en contact et pas isolées. Tout cela, ça amène à créer des relations et après les

femmes viennent parler ».

« Pas un groupe ciblé, mais toutes les filles. Il faut créer des moments pour que les filles

parlent sans peur ».

Quatrièmement, les intervenantes doivent être attentives à leur langage et à leur façon

d’aborder certains sujets.

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« Le terme VBH ne fait pas sens pour les personnes, même qu’il a une connotation

péjorative, arriérée ».

7.2. L’exploration de la situation problème avec la fille/femme

À cette étape du déroulement de l’intervention, l’intervenante cherche à connaître et à

comprendre la situation de la fille/femme ainsi qu’à évaluer le risque de violence pour

ensuite offrir le soutien nécessaire. Lors des entrevues, les intervenantes ont mentionné

certains défis qui caractérisent cette étape d’intervention. D’une part, elles ont nommé la

peur et l’hésitation des femmes/filles de parler de leur situation. D’autre part, elles ont

soulevé les difficultés d’évaluer les risques dans le cas de certaines situations. Certaines

pratiques gagnantes ont été expérimentées pour traiter ces problèmes.

7.2.1. Les pratiques visant l’évaluation des risques

Il s’agit avant tout de faire le tour de la situation avec la fille/femme. Pour cela, les

intervenantes et les informatrices clés pensent que :

« Posez les questions, mais de manière détournée, pour ne pas qu’elles prennent peur ».

« En même temps, elles vont se confier une fois, il faut saisir l’occasion, mais il ne faut pas

les brusquer, mais il faut poser toutes les questions ».

« Évaluer qui est la communauté, le réseau de cette personne. Identifier les différents

acteurs influents (positifs ou négatifs) du réseau de la personne et de sa famille, qui sont

les personnes influentes ».

7.2.2. Les pratiques visant le développement des stratégies pour protéger les victimes

Dans un premier temps, il faut présenter les différents scénarios d’intervention pour aider

les filles/femmes à clarifier leurs choix. Cette intervenante mentionne que :

« Je lui dirais : si tu ne le fais pas, ça serait quoi les conséquences. Il est vrai que ce n’est

pas toujours évident. C’est sa décision finale à la fin. Si on montre les deux scénarios, ça

pourrait éclaircir les choix. Je fonctionne comme ça parce que je trouve que ça permet à

l’autre de voir les choses ».

Dans un second temps, il faut mesurer l’impact d’un signalement pour la fille et la famille.

« On se demande si c’était la bonne chose à faire ou si on devrait travailler plus avec les

mères ou les parents. Dans certains cas, c’est précoce ».

Dans un troisième temps et dans la mesure du possible, l’intervenante se doit de respecter

le rythme de la fille/femme. Pour cette participante, c’est :

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« Une approche ouverte où on écoute la personne, qu’est-ce qui est important pour elle.

Parfois, ce n’est pas de quitter le milieu familial. Parfois, ça va être juste de regarder, à qui

tu peux en parler, as-tu un réseau ? Ou de voir comment elle peut se protéger elle-même ».

7.2.3. L’implication des proches

L’implication des proches permet d’amener les filles à concevoir que leur situation soit

peut-être signalée à la protection de la jeunesse :

« C’était de convaincre les filles. Des fois, j’ai même réussi à faire appeler leur copain. Je

les ai fait venir au bureau pour discuter ensemble. Souvent le copain, il réussit à convaincre

la fille qu’un signalement est la chose à faire. J’aurais fait quand même les signalements,

mais vous le savez comme moi, si on le fait avec un accord et puis on comprend l’objectif,

on va plus parler. Sinon, elles n’auraient pas parlé, on n’aurait pas pu faire quoi ce soit.

Donc, les copains, souvent ils réussissent ».

7.3. Le suivi

À l’étape de suivi, l’intervention vise à permettre aux femmes/filles d’analyser les

différents aspects de leur situation et leurs rapports avec leurs parents ou conjoints, à mettre

en place des stratégies pour se protéger, à s’outiller et à prendre du pouvoir sur leur

situation. Pour atteindre ces objectifs, l’intervenante offre du soutien sous forme

d’accompagnement. Elle agit comme personne-ressource et conseillère, comme courtière

pour faciliter l’accès aux ressources et parfois comme médiatrice. Bien que, lors des

entrevues, les intervenantes aient souvent nommé le fait qu’il soit difficile d’entreprendre

une démarche de suivi avec des femmes/filles, quelques interventions expérimentées

semblaient avoir des effets positifs sur l’évolution de la situation des personnes touchées.

7.3.1. Des pratiques visant à appuyer les forces des femmes/filles

Parmi ces pratiques, l’une est d’offrir de l’accompagnement et du soutien comme le

racontent de différentes participantes :

« C’est vraiment dans l’accompagnement, comment bien évaluer au-delà du dépistage. Une

fois qu’on a dépisté, comment on est en mesure de bien évaluer, comment on va travailler

avec eux pour les accompagner. Maintenant qu’on a posé un certain diagnostic. On va parler

de violence basée sur l’honneur, on va parler d’une situation où l’adolescente a identifié des

craintes. Là, c’est comment on nomme les choses pour que l’adolescente ne porte pas le

fardeau de ce qui est en train de se passer. »

« Leur donner un peu de force. Expliquer les possibilités et conséquences pour qu’après elles

trouvent elles-mêmes, avec une bonne réflexion, leurs propres stratégies. »

« Travailler sur leur estime d’elle-même, leur donner du pouvoir pour prendre des décisions

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éclairées et trouver des moyens pour rester plus ferme devant leur conjoint. »

« Ça passe par de petits objectifs tels que savoir s’exprimer plus librement. »

« On a fait tout ce travail, au niveau du vécu émotionnel, de tout ce qui est protection et tout

le travail de changement de vie. Parce que là, c’est un changement complet de vie. »

Une autre de ces pratiques serait d’accompagner les femmes dans leurs démarches auprès

d’autres organismes, tout en respectant leur rythme.

« Je suis allée avec des femmes pour présenter des organismes spécialisés en violence.

Souvent, des intervenantes de ces organismes leur ont parlé, leur ont donné des numéros de

téléphone. Normalement, les premières fois, je les ai laissées avec les intervenantes pour

qu’elles soient plus libres. Si jamais elles avaient honte ou elles étaient gênées de parler. Et

après ça, j’ai participé avec des filles et des femmes aux activités offertes par ces organismes.

Je participais avec elles, pour voir qu’elles ne sont pas les seules à vivre ça ».

7.3.2. Les pratiques visant à impliquer les familles dans l’intervention et à en faire

des alliées

Pour cela, d’après cette participante, il faut être à l’écoute des préoccupations des parents

par rapport à leurs enfants.

« Poser les questions. Travailler avec la famille. Que va dire le père quand tu vas intervenir

pour violence liée à l’honneur : ma fille ne m’écoute pas, ne fait qu’à sa tête, des gens m’ont

dit qu’elle fumait, qu’elle se tient avec des garçons. Le monsieur se sent atteint à son

honneur, mais il se sent surtout en perte de contrôle sur son enfant où son enfant agit

différemment. »

Mais aussi, chercher des complices dans la famille.

« Notre responsabilité est l’intérêt de l’enfant ou cette femme. C’est dans son intérêt qu’on

cherche des complices dans la famille. Aider l’enfant pour qu’il ne se sente pas tout seul.

Peut-être, c’est la mère, la sœur, le frère. On peut trouver quelqu’un dans la famille. Il faut

essayer ».

7.4. La sensibilisation et la prévention

Finalement pour conclure cette section, voici ce que les intervenantes ont partagé comme

stratégies prometteuses de sensibilisation et de prévention ainsi qu’en matière de

collaboration interorganisationnelle.

7.4.1. Une stratégie qui vise à joindre les parents

Pour cette participante, d’initier des dialogues entre les intervenantes des centres jeunesse

et les familles démystifie le rôle de la DPJ.

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« Avant la DPJ était un mot monstre, ça faisait peur. Ils venaient enlever les enfants. Là, ce

qu’on fait avec la DPJ, ils viennent, font des cafés-rencontres, sensibilisent les gens. Ils

expliquent qu’ils sont là pour aider les deux partis, pour montrer et aider les parents à gérer

les conflits avec les enfants. On est conscient que les enfants vont être punis, car ils ont fait

telle chose. Mais on va aider les parents s’ils ne savent pas comment aider leur enfant. On

est là pour ça. […]Au lieu de faire la guerre avec les parents pour enlever la liberté, il faut

aller vers les parents pour leur dire ; qu’on est là pour vous aider ! Pour vous aider, il faut

parler : c’est quoi le conflit, le problème et voilà notre point de vue. On respecte votre point

de vue, mais dans notre société, voilà ce que votre fille vit à l’extérieur. Elle vit avec des

filles qui ont des chums, qui sortent, qui boivent. Il faut comprendre votre fille et faire en

sorte que le dialogue soit plus qu’autoritaire. Ça marche la plupart du temps ».

7.4.2. Une stratégie qui vise à joindre les jeunes

Plusieurs participantes quant à elles pensent qu’il est nécessaire d’organiser des activités

de sensibilisation dans le milieu scolaire.

« La sensibilisation que l’on fait à l’école, on passe par des ateliers pour les droits. On a fait

un atelier sur la violence dans le couple très très large. On parle des droits, mais c’est à peu

près le seul message qu’on peut passer. C’est une petite porte qui s’ouvre. »

7.4.3. Les stratégies qui visent à joindre les femmes

Plusieurs stratégies pour rejoindre les femmes sont déjà expérimentées. Par exemple :

Le boîtier de soie dentaire : « À l’intérieur, il y a un petit livret plié avec des informations

et la liste à préparer si on veut partir dans une situation d’urgence ; le passeport des

enfants et tout ça. Les intervenantes utilisent beaucoup ça. Les personnes se sentent

protégées, car elles ont des informations. Ça se cache facilement, c’est discret ».

« Les femmes ont commencé à parler quand l’intervenante de la maison d’hébergement est

venue parler du cycle de la violence. Ça nous a permis de voir les personnes qui ont réagi.

La sensibilisation, ça peut être payant. On a commencé avec violence conjugale puis ça a

déclenché violence familiale ».

Ou bien alors, pouvoir être en mesure de leur offrir des programmes d’intervention de

groupe qui mobilisent les connaissances des femmes. Cette participante raconte que :

« Dans un groupe, une autre femme d’un autre pays qui lui dit qu’il faut choisir ses

batailles, “moi j’ai décidé ce qui est vraiment important pour moi…” Il y a eu des

discussions entre les femmes parce que c’était riche parce que c’était des outils de

compromis qu’elles se sont donnés entre elles. Ce n’est pas l’intervenante ».

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7.4.4. Une stratégie qui vise à joindre les mères :

La mise en œuvre de programmes d’intervention de groupe visant la communication dans

la famille pour les mères et filles semble être un moyen efficace pour joindre les mères et

filles. Par exemple :

« On offre un atelier pour les mères et les filles, 10 semaines avec leurs filles ado, on les

sépare : les filles avec une psychologue jeune et les mamans avec une psychologue plus

âgée et on discute pendant une heure et demie d’un même sujet. Après, on fait une activité

mère-fille : massage par exemple. Ça, c’était un défi parce qu’il n’y a presque pas de

contact, elles ne se touchent pas. Il n’y a pas de contact physique. Même faire un

maquillage, même dessiner ensemble. Les mères ne connaissaient pas la couleur préférée

de ta fille. La même chose pour les filles qui ne connaissent pas beaucoup leurs mères. On

a travaillé pendant 10 rencontres, mais elles nous ont demandé de prolonger ».

7.4.5. Une définition commune entre les différents partenaires sur le terrain

Comme il a été mentionné ci-devant, une des difficultés tant pour les informatrices clés

que pour les intervenantes est qu’il n’existe pas de définition qui fasse consensus, ce qui

pose des problèmes, entre autres, au niveau de l’intervention. C’est pourquoi, il paraît

important pour certaines participantes de développer un langage commun pour parler de la

problématique des violences basées sur l’honneur :

« Dans cette intervention-là, c’est d’avoir des personnes autour de la table qui ont la même

compréhension, le même langage par rapport à cette problématique et la même volonté

d’agir ».

7.4.6. Les stratégies qui visent à faciliter la communication entre différentes

intervenantes pour protéger les victimes

Certaines participantes expliquent qu’il s’agit de s’appuyer sur les partenariats déjà en

place. :

« Je sais que dans cette situation-là, on était capable de communiquer extrêmement

rapidement. Parce que les gens avec qui je travaillais, on a déjà des liens de collaboration

établis depuis 2 ans. On s’est assis en se disant, on a cette problématique-là, on veut

travailler ensemble pour voir ce qu’on est capable de faire. L’idée c’était de développer ce

partenariat-là sur comment servir nos institutions et au final, on s’est retrouvé à travailler

sur plusieurs cas, collectivement. Et je dirai que ça, c’est ce qui a été très aidant dans ces

situations parce que moi l’école me contactais, je faisais le relais vers S. »

Mais aussi de ne pas hésiter à se consulter entre intervenantes. En effet, selon l’une d’entre

elles :

« Ça fait une différence quand il s’agit de prendre le téléphone et de dire voilà, j’ai un cas,

je ne peux pas faire de signalement, mais je dois faire une évaluation, qu’est-ce que vous en

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pensez ? Ou quand, eux, appellent pour référer des cas. Parce qu’il y a cette compréhension

qui s’est effectuée. »

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8 : Conclusion et priorités d’action – le point de vue des participantes

L’adéquation des réponses sociales à la violence : Le point de vue des informatrices-

clés

En matière de protection de la jeunesse, cette consultation a pu mettre en exergue le manque

d’interventions visant la prévention c’est-à-dire avant que les situations ne dégénèrent et

se transforment en situation de violence pouvant parfois être extrême. Pour illustrer, les

propos d’une informatrice-clé mentionnant que : « Le rôle de la DPJ et les maisons

d’hébergement sont importants pour des cas de violence, mais ils ne sont pas là pour des

situations de prévention. »

De surcroît, le fait d’utiliser des stratégies d’intervention qui visent la dénonciation sans

nécessairement que la situation puisse être adéquatement évaluée ne fait qu’accroître la

difficulté de celle-ci. En effet, la situation peut s’avérer plus dangereuse que prévu, en

particulier lorsque, par exemple, le cas ne peut être pris en charge par la DPJ. Comme le

souligne cette informatrice-clé :

« Oui, tu ne peux pas juste signaler, et après ! Il faut des solutions à proposer.

On l’enlève de chez elle, mais si on la ramène après ça va être pire. Le contrôle.

Est-ce que tu crois que le père va la laisser sortir de la maison ? (….) Il faut

préparer le terrain, la force, les stratégies et les aider à trouver des solutions

par eux même »

Les solutions envisagées pour les enfants québécois ne sont pas nécessairement adaptées

pour des jeunes filles issues de l’immigration dans la mesure ou ces dernières n’ont pas

toujours la possibilité de retourner vivre chez leurs parents ou la famille élargie après leur

prise en charge par la DPJ. C’est pourquoi, certaines informatrices-clés soulignent

l’importance de travailler au maintien de l’enfant dans la famille tout en assurant un suivi

rigoureux. Pour cette informatrice-clé : « Au lieu de prendre en charge des enfants, il serait

plus pertinent de prendre en charge la famille. »

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Pour ces raisons, entre autres, le milieu scolaire a été identifié par les informatrices clés

comme un lieu à investir en matière d’intervention auprès des jeunes filles, et possiblement

des parents. En effet, il est mentionné, dans le cas des jeunes filles, que c’est à l’école

qu’elles vont commencer à en parler.

« L’école semble un milieu important pour les filles pour chercher du soutien. »

« Les professeures sont bien placées pour détecter des problèmes. »

« Elle ne peut pas demander de l’aide, mais elle a besoin de l’aide. Ils peuvent

détecter quand ça va mal. Peut-être à ce niveau-là, on peut intervenir ou bien on

peut aider. »

En ce qui a trait aux situations de violence conjugale, les informatrices clés ont souligné

l’importance d’adapter les services plutôt que de tenter de développer de nouvelles

pratiques spécialisées en matière de violence basée sur l’honneur. Pour elles, les maisons

d’hébergements ne sont pas toujours adaptées à recevoir des femmes victimes d’autres

types de violence. Par exemple, lors d’un contrôle excessif de la part de la belle-mère. Cette

informatrice-clé se questionne :

« Est-ce que nos services sont adaptés pour recevoir une femme, pas nécessairement

victime de violence par son conjoint, mais du contrôle de sa belle-mère ? En regardant

les maisons d’hébergement, elles sont pour les femmes victimes de violence conjugale.

Dans l’autre situation, elles ne correspondent pas aux critères. »

De plus, certaines informatrices-clés ont noté un manque de soutien ou de suivi adéquat

suite à un séjour en maison d’hébergement dans le cas de femmes victimes de violence :

« When a woman goes back to her spouse after being in a shelter, there is no follow-

up provided by the shelter »

« Les femmes et intervenantes nommaient que quand tu vas en maison d’hébergement,

tu vas vers la séparation. Il y a une séparation physique : tu quittes la maison. Tu

poses un geste concret, un avertissement. Je ne dis pas que tu vas te séparer là. Mais

tu dis qu’ultimement si t’n’arrêtes pas (homme) tu vas partir. C’est caricaturé, mais

il nous manque des ressources neutres. »

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Qui plus est, les informatrices-clés ont décelé des craintes de la part des femmes et des

filles quant à l’utilisation des différents services d’aide, notamment les services d’urgence

comme la police, la DPJ, ou encore les maisons d’hébergement. À ce sujet, les participantes

mentionnent que l’idée de dénoncer un père, un mari, ou encore sa famille, ne fait pas de

sens pour les filles/femmes. « Dans les familles, même si la fille vit une violence, elle ne va pas

dénoncer sa famille. Elle va parler à une amie si les choses sont vraiment intenses, mais elle ne va

jamais dénoncer. Elle va dire : « Mes parents vont être punis ».

Quelques priorités d’action d’après le point de vue des participantes

Dans un premier temps, il est nécessaire de s’entendre sur une définition commune de la

violence liée à l’honneur entre les partenaires et les différents milieux de pratique.

L’objectif est de mieux comprendre pour mieux intervenir. Ensuite, il serait tout à fait

pertinent de développer des connaissances sur de bonnes pratiques (best practices). Nous

souhaitons être en mesure de pouvoir en dégager lors de la journée Forum-action du CSAI.

En ce qui a trait à l’intervention auprès des femmes/filles, plusieurs priorités d’actions ont

été mises de l’avant par les participantes :

Mettre en place une équipe régionale spécialisée ou une cellule d’urgence en

intervention liée à l’honneur composée à la fois de personnes ressources des

communautés et de spécialistes en violence. L’objectif serait de :

Intervenir avec des jeunes filles à risque de mariages forcés et

de violences basées sur l’honneur.

Donner des conseils aux intervenantes.

Développer un outil de dépistage et des protocoles à suivre pour garantir une

certaine coordination et cohérence des services. L’objectif serait d’assurer une

meilleure sécurité des filles et des femmes, puis de leur offrir un suivi adapté à

leur situation. Cet outil devrait être développé et adapté suite à un travail de

concertation entre les différents milieux de pratique.

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Créer un réseau de services pour un support à plus long terme pour les jeunes

femmes/filles leur permettant (ex. maison de deuxième étape) :

De se retrouver avec d’autres jeunes femmes et de bâtir un

réseau social ;

De développer un filet de sécurité et s’épanouir sur le plan tant

professionnel que financier ;

D’avoir un contact avec des intervenantes de façon continue.

Consolider les services de soutien offerts aux femmes victimes de violence

conjugale à la suite de leur séjour en maison d’hébergement incluant les

situations où elles restent avec leur conjoint ;

Créer des espaces sécuritaires où les femmes/filles peuvent se rencontrer et

échanger entre elles sur leurs préoccupations comme femme, comme mère,

comme jeune femme, comme grand-mère, comme femme issue de

l’immigration ;

Mettre en place des actions qui visent la promotion d’un meilleur accès à

l’emploi, à la formation, aux cours de langue, et à l’aide financière.

En ce qui a trait à l’intervention auprès des familles, plusieurs priorités d’actions ont été

relevées par les participantes :

Créer des espaces pour permettre aux parents de discuter de leurs

préoccupations par rapport à leurs relations avec les enfants ;

Développer des interventions qui visent la sensibilisation des parents sur des

thématiques liées à la violence, à la gestion des conflits intergénérationnels, à

la communication, etc ;

Développer des interventions qui visent à intégrer la famille au sein de

l’intervention (ex. la médiation lorsque cela est approprié) ;

Informer et outiller les familles sur les services, les ressources et les lois en

matière de droits des femmes, de droits des enfants, ainsi que les lois sur

l’immigration ;

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Développer des mécanismes pour travailler avec les hommes et les garçons qui

utilisent la violence et qui en sont victimes.

En ce qui a trait au fait d’outiller les intervenantes, les participantes ont mis de l’avant qu’il

faudrait :

Offrir des formations dans le milieu scolaire et les autres milieux :

Afin que les professionnel-le-s soient outillé-e-s pour identifier et

documenter les situations à risque et faire des signalements lorsque

nécessaire.

Offrir des formations sur :

- L’intervention interculturelle ;

- Les violences liées à l’honneur ;

- Les enjeux selon les différents statuts d’immigration et le

parcours migratoire en général ;

- Les protocoles internationaux par rapport à la protection des

femmes dans le cas de mariage forcés.

En ce qui a trait au fait de travailler avec les communautés, les participantes pensent qu’il

serait pertinent de :

Rendre accessible l’information sur les droits des femmes/filles et les

ressources d’aide pour l’ensemble des membres ;

Développer des actions de sensibilisation avec les communautés ;

Développer des programmes d’aidantes naturelles avec des personnes issues

des communautés qui peuvent, par exemple, accompagner les familles dans les

interventions qui sont faites par les intervenant-e-s du réseau et les rassurer ;

Bâtir et consolider des liens entre les communautés et le réseau de services.

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Enfin, en ce qui a trait aux mesures sociales, les participantes considèrent qu’il serait

nécessaire de :

Adapter les protocoles en matière de violence ;

Offrir un meilleur traitement des dossiers en matière de violence ;

Offrir des programmes de sensibilisation en matière de violence ;

Consolider la collaboration intersectorielle en matière de violence en intégrant

les milieux postsecondaires ;

Voir ce qui peut être fait pour protéger les jeunes femmes de 18 ans et plus qui

ne sont pas visées par la loi de la protection de la jeunesse (ex. dans les cas où

les parents veulent les envoyer dans le pays d’origine pour les marier, etc.) ;

Clarifier le rôle que peuvent jouer les ambassades en cas de de violence

impliquant les filles/femmes dans leur pays d’origine ;

Rejoindre les hommes – sensibilisation et intervention.

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Bibliographie

Livres et articles scientifiques

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Annexes

ANNEXE 1

Entrevues individuelles avec des intervenant-e-s

Récit de pratique

1. Pouvez-vous décrire la situation de la personne auprès de qui vous êtes intervenu-e?

(formes de violence, gravité, durée, conséquences)

Sous thèmes

le parcours de recherche d’aide et de soutien

Distinction entre la violence familiale et la violence liée à l’honneur

2. Comment êtes-vous intervenu-e dans cette situation?

3. Comment l’intervention s’est-elle déroulée (qui, quoi, quand, comment) ?

Description de l’évolution de la situation et comment l’intervention s’est

adaptée

4. Quelles ont été les conditions dont il a fallu tenir compte dans cette situation

d’intervention?

Aspects qui nuisent/aspects qui facilitent

5. Quels constats faites-vous par rapport à l’intervention effectuée et à ses effets

(positifs ou négatifs) sur la situation de vie de la personne?

Sous-questions

Quelle aurait été l’intervention idéale selon vous?

Quels moyens seraient nécessaires pour mettre en place cette intervention?

o Pistes / stratégies filles/femmes/intervenants

6. Avez-vous quelque chose à ajouter pour conclure cette entrevue?

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ANNEXE 2

Grille d’entrevue

Groupe de discussion avec des femmes

1. La manière dont les médias traitent le sujet;

Depuis le cas de Shafia, les médias parlent et expliquent la violence liée à

l’ « honneur ».

o Sous thèmes

Quelle est votre réaction?

Selon vous, comment devraient-ils en parler (selon la réponse)?

2. Le rôle que joue (ou non) la notion d’honneur dans les situations de violence

que vivent les femmes;

Comment expliquez-vous les causes de la violence commise au nom de l’honneur?

o Sous thèmes

Quel est le rôle de la notion d’«honneur » dans ces situations de

violence?

Qu’est-ce la notion de l’honneur veut dire pour vous?

Selon vous, quelles sont les différences ou similitudes entre la

violence commise au nom de l’honneur et la violence contre les

femmes?

3. L’adéquation des services existants pour protéger les femmes et les filles;

Comment pouvons-nous aider les femmes et les filles victimes de violence basée

sur l’honneur?

o Sous thèmes

Il existe déjà des ressources qui traitent la violence faite aux

femmes. Vous semblent-elles adéquates pour traiter la violence

basée sur l’honneur et assurer la sécurité des filles et des femmes?

Selon vous quels institutions et organismes sont mieux placés pour

intervenir dans les situations de violence commise au nom de

l’honneur? Pourquoi?

Selon vous qu’est-ce qui est à améliorer sur le plan des services?

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4. L’adéquation des mesures et les solutions à mettre en place pour prévenir et

lutter contre cette violence

Il existe déjà des mesures gouvernement qui traitent la violence faite aux femmes.

Vous semblent-elles adéquates pour contrer la violence basée sur l’honneur et

assurer la sécurité des filles et des femmes?

Selon vous quelles pourraient être les stratégies les plus efficaces pour contrer cette

forme de violence?

o Sous thèmes :

Moyens que devraient prendre les instances gouvernementales

Moyens que devraient prendre les différentes institutions et

organismes qui travaillent sur la problématique de la violence

Moyens que devraient prendre les organismes qui sont près des

communautés ethnoculturelles ou qui travaillent auprès d’elles.

5. Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter pour conclure cette rencontre?

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ANNEXE 3

Groupe de discussion avec des intervenant-e-s

Déroulement et grille d’entrevue

1. Mot de bienvenu et informations (la coordonnatrice) 10 m.

a. Informations sur la disposition du local : eau, toilettes…

b. Présentation du déroulement : Pause, 3 documents à remplir, pochette.

c. Rôle de l’animateur : Vous donnez la parole : Toutes réponses est bonne, échanges,

diversités sont bienvenue

d. Rôle de l’assistante : Déterminer qui des 2 tiens le temps?

Présentation : Ludvine, Carol-Anne, démarche de recherche,

e. Vérification rapide de la qualité de l’enregistrement (pas pour S-Ouest)

2. Début de l’entretien avec l’introduction à propos du projet de prévention 15 m.

a. Présentation du projet et objectif du CSAI son Implication et (mettre en valeur les

invités),

b. Présentation et signature du formulaire de consentement, listes de présences (CSAI) :

Prises de photos, (inviter à lire, signer et café et salle de bain)

c. Présentation de chacune des participantes (tour de table, et secteur)

nom-organisme et motivation

3. Réalisation d’entretien terminé pour10h00

Animation de la discussion avec la grille d’entrevue

Grille d’entrevue

Mise en contexte : Exemple de cas en gradation (Exemple à partir Étude de cas 2014 ou page 18 résumé

AVIS :

1. * En tant qu’intervenant-e, est-ce que cela vous parle par apport aux situations vécues

avec les femmes et les filles que vous côtoyées?

Quels autres genres de situations associez –vous à la VBH?

Qu’est-ce qui est différents des autres situations habituellement rencontrées?

Quelle rôle joue l’honneur et ce qui la distingue, selon-vous?

Sous thèmes (aide mémoire pour l’animatrice)

Situations rencontrées auprès des femmes

Distinction la violence liée à l’honneur et les autres formes de violence

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Détection, signe en intervention souvent

2. Quelles sont vos préoccupations concernant l’intervention dans ces situations?

Aspects les plus difficiles, ceux qui nuisent à vos interventions et aident?

Pistes et stratégies d’interventions : outils?

Sous thèmes

Leur réalité comme intervenant

Les aspects qui nuisent l’intervention

Les aspects aidants, truc (outils, Pistes et stratégies d’interventions)

Vos outils en place déjà en place

PAUSE 10h45

3. Les mesures existantes qui traitent la violence faite aux femmes et aux enfants vous

semblent-elles adéquates pour contrer la violence basée sur l’honneur (ex.

criminalisation de la violence conjugale, maisons d’hébergement, la loi sur la protection

de la jeunesse, traitement des signalements, compagnes de sensibilisation en matière de

violence, etc.)?

Selon vous, quels moyens seraient nécessaires à mettre en place ou pour consolider

les pratiques d’intervention gagnantes ? et multi-organismes

Sous thèmes-Les solutions gagnantes :

Sous thèmes

Et les mesures gagnantes ?

Ce qui fonctionne bien

Les aspects aidants et les aspects nuisant par rapport au travail intersectoriel.

Pistes / stratégies pour répondre aux besoins des : 1) filles, 2) femmes, 3) intervenants

4. Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter pour conclure cette rencontre?

11h30

En vue de conclure d’entretien

Synthèse

Retour sur le déroulement et processus (CSAI SUIVI)

Remerciement – coordonnatrice et chercheure, et accueil et participant

Complétion et remise des questionnaires sociodémographiques (Carol-Anne)

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