sources unesco, 109; unesco sources; vol.:109;...

24
RÉSERVES DE BIOSPHÈRE: NOUVEAUX HORIZONS CULTURE AL-ANDALUS ET SON HÉRITAGE SCIENCE MALADIES ÉMERGENTES ET RÉÉMERGENTES CYBERESPACE LUTTE CONTRE LA PÉDOPHILIE SUR INTERNET FEMMES LE DEUXIÈME SEXE AFGHAN UNESCO N° 109 - FÉVRIER 1999

Upload: lamtuong

Post on 15-Sep-2018

214 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

RÉSERVES DE BIOSPHÈRE:

NOUVEAUXHORIZONS

● CULTUREAL-ANDALUSET SONHÉRITAGE

● SCIENCEMALADIESÉMERGENTES ET RÉÉMERGENTES

● CYBERESPACELUTTE CONTRE LA PÉDOPHILIE SUR INTERNET

● FEMMESLE DEUXIÈMESEXEAFGHAN

UN

ESC

ON

°109 -

VR

IER

1999

Ce mensuel, destiné à l’information, n’est pas undocument officiel de l’UNESCO.Tous les articles sont libres de droit. L’envoi à la rédaction d’unecopie de l’article reproduit serait apprécié. Les photos sans lesigne © sont disponibles gratuitement pour les médias sursimple demande adressée à la rédaction.ISSN 1014 5494

SOMMAIRE

UNESCOest un mensuel publié parl’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et laculture.Tél : (+33 01) 45 68 16 72 Fax : (+33 01) 45 68 56 54. Les éditions en anglais et en françaissont entièrement produites au Siège ; l’édition en espagnol avec le Centre UNESCO deCatalogne, Mallorca 285, 08037Barcelone, Espagne ; l’édition enchinois avec l’Agence Xinhua, 57Xuanwumen Xidajie, Beijing, Chine ;l’édition en portugais avec laCommission nationale pourl’UNESCO, Avenida Infante Santo N°42 - 5°, 1300 Lisbonne Portugal.

Directeur de la publication : R. Lefort. Rédaction en chef: S. Williams, C. Guttman.Secrétaire de rédaction: C. Mouillère. Rédaction: N. Khouri-Dagher, C. L’Homme, A.-L. Martin. Version espagnole: L. García (Barcelone), L. Sampedro (Paris). Mise en page, illustrations,infographie: F. Ryan-Jacqueron, G. Traiano. Impression: Maulde & Renou. Distribution par les Servicesspécialisés de l’UNESCO.

Sources UNESCO est accessible surinternet dans les rubriquesNouveautés ou Publications à notreadresse: http://www.unesco.org

POUR S’ABONNER : Journalistes,organisations internationales et nongouvernementales, associations et autresorganismes travaillant dans les domaines decompétence de l’UNESCO peuvent s’abonnergratuitement en écrivant à: SOURCES UNESCO, Abonnements, 7 place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP. Tél. (33 01) 45 68 16 72.Fax : (+33 01) 45 68 56 54.

UNESCO

ENVIRONNEMENT

Vers de nouveaux horizonsVision élargie de la conservation, changementd’échelle: les réserves de biosphère évoluent..........................................................4

CULTURE

Al-Andalus:les liens du sangConfrontation et dialogue: huit siècles d’une histoire longtemps occultée.......................................................10

EN BREFDes informations sur l’action de l’UNESCO à travers le monde ainsi que sur sespublications et matériels audiovisuels.......................................................16

SCIENCE

Ces maux qui répandent la terreurDes maladies qu’on croyait juguléesréapparaissent; d’autres surgissent.......................................................20

CYBERESPACE

Comment faire écranà la pédophilie?Exploitation sexuelle des enfants sur Internet:des experts tirent la sonnette d’alarme.......................................................21

FEMMES

Le deuxième sexe afghanL’oppression dont sont victimes les femmes enAfghanistan menace le développement mêmedu pays.......................................................23

Ils prennent leur environnement en charge.

4

10L’ Alhambra

deGrenade,symbole

d’un passécommun.

Les systèmes de santé publique mis en cause.

20

Soustraites à la vue, à la vie.

23Couverture: Yellowstone (États-Unis)© Yann Arthus-Bertrand/La terre vue du ciel/UNESCO.

RÉSERVES DE BIOSPHÈRE:

NOUVEAUX HORIZONS

● CULTUREAL-ANDALUSET SONHÉRITAGE

● SCIENCEMALADIESÉMERGENTES ET RÉÉMERGENTES

● CYBERESPACELUTTE CONTRE LA PÉDOPHILIE SUR INTERNET

● FEMMESLE DEUXIÈMESEXEAFGHAN

UN

ESC

No

109 -

VR

IER

1999

3

EDITORIAL

qui le dirige. La gestion du risque scien-tifique et technique, dans l’affaire dusang contaminé comme dans de mul-tiples autres, qui vont des centralesnucléaires aux organismes génétique-ment modifiés, en France comme danstout autre pays, ne peut donc plus s’ac-commoder des actuelles structures dupouvoir exécutif.Ce procès pose aussi la question del’équilibre des pouvoirs qui est, commechacun sait, le fondement de la démo-cratie. Son plein exercice exige que

les dirigeants rendentdes comptes devantune juridiction adé-quate lorsqu’ils sontsoupçonnés d’avoirviolé la loi. C’est uneévidence en cas decrime ou de délit quandil ressort du droit com-mun, celui qui s’ap-plique à tout un cha-cun. C’est autrementplus délicat lorsqu’il

s’agit des conséquences d’une déci-sion prise dans l’exercice de fonctionspolitiques: le dirigeant doit-il être alorscomptable de ses actes uniquementdevant le peuple – le suffrage univer-sel – ou également devant un tribunal?La technicité croissante de nos socié-tés oblige à remettre sur le métier cetouvrage toujours inachevé qu’est ladémocratie. Elle doit naviguer entredeux écueils: d’un côté, des dirigeantshors-la-loi parce qu’au-des-sus des lois; de l’autre côté,une dérive vers une répu-blique des juges.

René Lefort

Trois anciens ministres fran-çais, dont celui qui étaitalors le premier d’entre eux,comparaissent devant un

tribunal. Ils sont soupçonnés d’avoirretardé la mise en œuvre des mesuresqui auraient empêché la contaminationde transfusés sanguins par le virus dusida, dont les donneurs étaient porteurs.Quels que soient les éclaircissementsque les audiences pourraient appor-ter, il est depuis longtemps acquis queles responsabilités doivent être rap-portées aux informa-tions qui ont réellementfiltré jusqu’aux inculpéset à partir desquelles ilsont fixé leur ligne deconduite.Pratiquement aucundirigeant politique nepeut prétendre avoir lesconnaissances néces-saires à une compré-hension scientifique decette multitude de dos-siers qui émergent au fur et à mesureque les découvertes des sciences etdes techniques sont appliquées. Il doitdonc de facto s’en remettre aux recom-mandations des «experts» et autres«conseillers» qui l’entourent. Les pre-miers étaient très loin, au moment desfaits, d’avoir un avis unanime; lesseconds, depuis longtemps, décidenten lieu et place de leur ministre: ilsdisposent d’une très large délégationd’autorité parce que le temps néces-saire pour trancher les innombrablesaffaires qui sont du ressort d’un minis-tère dépasse et de très loin la disponi-bilité physique de la seule personne

ÉDITORIAL

RESPONSABLES...ET COUPABLES?

“La gestion du

risque scientifique

et technique...

ne peut plus

s’accommoder des

actuelles structures

du pouvoir

exécutif.

3No 109 - février 1999

UN DRAME

EN CHIFFRES

● Fin des années 70: leVIH se répand rapidementen Afrique centrale etorientale, dans les zonesurbaines des États-Unis,l’Europe de l’Ouest,l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Il est partoutaujourd’hui.

● 1990: 10 millions depersonnes sont infectées;1998: 30 millions. Le virusa déjà fait 12 millions demorts.

● Chaque jour, près de16.000 personnes sontinfectées, dont plus de lamoitié a moins de 25 ans.

● La contamination partransfusion sanguine re-présente environ 3% à 5%des personnes infectées.

● Près de 90% des vic-times vivent dans les paysd’Afrique sub-saharienne,dont les budgets sontfortement grevés: d’ici2005, le Zimbabwe estimeque le sida absorbera 60%de son budget de la santé.

Source: ONUSIDA

© N

AH

AS

SIA

/SIP

AP

RE

SS

Manifestation devant lePalais de justice de Paris.

Alors que sur notre globe les distances entre leshommes s’amenuisent et que les frontières se font moins étanches, les réservesde biosphère s’agrandissent et se démocratisent.

ENVIRONNEMENT

”“

Les écosystèmes ne connaissant pasde frontières, il en est de mêmepour les problèmes environne-mentaux. Cette vérité première estdésormais largement admise. C’est

en tout cas ce que semble indiquer l’évolu-tion du réseau mondial de réserves de bio-sphère du programme MAB (L’homme et labiosphère). En effet, deux tendances trèssignificatives du besoin d’une conceptionélargie de la conservation et d’un dévelop-pement à visage humain se font jour dansles projets de réserves proposés par les Étatsmembres: d’une part, une augmentation de lasurface des aires centrales, des zones tamponset des aires de transition, des jumelages et lacréation de réserves incluant des zonesurbaines (voir p. 5); d’autre part, la gestiondes réserves se trouve dans les mains d’unplus large éventail d’acteurs.

Ainsi, sur un total de 356 réserves debiosphère réparties dans 90 pays, 33 ont unesurface d’un million d’hectares ou plus. LaMata Atlantica au Brésil couvre 30 millionsd’ha, l’Aïr et Ténéré au Niger, 24 millions, et

4 février 1999 - N° 109

Tonle Sap au Cambodge, deux millions. Sixréserves sont transfrontières. C’est le cas, parexemple, de celle des Vosges du Nord et duPalatinat, entre la France et l’Allemagne(300.000 ha) qui comptent 245.000 habitants,celle des Carpathes entre la Slovaquie, laPologne et l’Ukraine (160.000 ha), ou decelle du delta du Danube, entre la Roumanieet l’Ukraine (740.000 ha). D’autres devraientvoir le jour en Asie, en Amérique latine et enAfrique.

Ce changement d’échelle s’accompagned’une vision élargie de la conservation néeen 1995 lors d’une conférence internationaledes gestionnaires de réserves, organisée àSéville (Espagne). Il ne s’agit plus de «geler»une nature qualifiée de «sauvage», mainte-nue dans son état primitif, à l’abri des inter-ventions humaines. Au contraire, il fautpréserver la capacité évolutive des éco-systèmes et de leurs sociétés. Dans une telleconception, l’homme n’est pas extérieur à lanature, il en fait partie: à lui d’en faire bonusage. C’est l’idée même du développementdurable.

Il ne s’agit plus

de «geler» une

nature qualifiée

de «sauvage»,

maintenue dans

son état primitif.

VERS DE NOUVEAUXHORIZONS

UN

ES

CO

/DO

MIN

IQU

ER

OG

ER

Paysans et éleveurs participent à la gestion de la réserve de biosphère de Mananara, à Madagascar.

55N° 109 - février 1999

Mais une question se pose: commentgérer sur un même espace le grand nombred’acteurs, d’usagers et d’intérêts souventcontradictoires? À Madagascar, où le droitcoutumier est très présent, la gestion cen-tralisée de l’État – avec des lois stipulantque les terres inoccupées ou non mises envaleur appartiendraient au domaine public– est souvent mal acceptée localement etconduit paradoxalement à une aggrava-tion de la dégradation des aires protégéespar les populations locales. Alors que lespratiques coutumières avaient su, dans denombreux cas, préserver la nature. C’estainsi que, dans la réserve de Mananara,l’idée d’impliquer les paysans, les éleveurs,aux côtés des agents de l’administrationforestière, dans le développement d’uneforesterie communautaire, s’est imposéeprogressivement. La communication entreces deux groupes est facilitée par des«médiateurs environnementaux», desscientifiques et ingénieurs ayant une solideconnaissance du monde rural, de la conser-vation et de l’écologie. L’expérience a eu untel succès qu’en 1996, le gouvernement aadopté une loi l’instaurant sur l’ensemblede l’île.

Des initiatives similaires sont égalementmenées par la FAO, avec le concours descientifiques et d’ONG, avec les commu-nautés d’éleveurs au Niger et de pêcheurs duMali.

Un peu partout dans le monde, desréseaux régionaux de gestionnaires deréserves se sont constitués. Ils sont deve-nus le moteur du programme MAB. Créé en1996, le réseau AfriMAB, par exemple,regroupe ceux qui travaillent dans les 47réserves du continent africain, avec ses zonesbiogéographiques très diversifiées. Ilsœuvrent ensemble à la conservation de la bio-diversité et à la promotion du développe-ment durable. Le réseau ArabMAB est né en1997 (voir p. 9) pour les 13 réserves d’Algérie,d’Égypte, de Jordanie, du Maroc, du Soudanet de Tunisie, et SeaBRnet devrait bientôtrelier celles d’Asie du Sud-Est.

Aujourd’hui, 23 ans après la création despremières réserves de biosphère dans huitpays (États-Unis, Iran, Pologne, Thaïlande,Royaume-Uni, Uruguay, ex-Yougoslavie etZaïre), le concept a fait la preuve de son uti-lité et de son dynamisme. Et, surmontant lesbarrières entre le local et le national, le natio-nal et l’international, les réserves sont deve-nues des lieux de rencontre, ouvrant de nou-velles voies de communication et renforçantl’idée que la conservation touche à tous lesaspects de la vie, y compris le bien-être éco-nomique. Autrement dit, que contrat naturelet contrat social peuvent se concilier. ●

Pierre Lasserre,

Directeur,

Division des sciences écologiques

Fontainebleau: la seconde vied’un domaine royalC’est à des artistes que nous devons d’avoir

commencé à sauvegarder nos plus beauxsites naturels: en 1853, pour préserver unpaysage exceptionnel, les peintres deBarbizon, à une cinquantaine de kilomètresde Paris, se mobilisaient pour créer une«réserve artistique» dans la forêt deFontainebleau. La première réserve naturelledu monde était née. Il faudra attendre 1870pour que Yellowstone aux États-Unis soitdéclaré parc naturel.

Depuis le 10 décembre dernier, le pays deFontainebleau est réserve mondiale de bio-sphère. Couvrant 69.000 ha, le nouveau siteMAB inclut une réserve biologique non habi-tée de 3.900 ha; une zone tampon de 13.500ha avec une centaine d’habitants; et une airede 50.000 ha incluant Fontainebleau, Avon,Barbizon, Milly-la-forêt et quelque 30 autrescommunes, abritant 60.000 habitants. Au total30.000 ha de forêts, dont 22.000 ha relevantdu domaine public.

«Pour Fontainebleau, l’inscription

comme réserve de biosphère n’est pas une

protection de plus, mais un label et un inci-

tatif d’excellence», relève Patrick Falcone, de

13 millions de personnesvisitent chaque année

l’ancien domaine dechasse royale.

© P

ER

RA

UD/O

NF

”“Le concept a fait

preuve de son

utilité et de son

dynamisme.

.

66 février 1999 - N° 109

l’Office national français des forêts (ONF).Son statut de domaine de chasse royaledepuis le XIe siècle avait déjà protégé laforêt. Au XVIIIe siècle, en raison de sarichesse biologique et de sa proximité deParis, la forêt accueille les premiers travauxnaturalistes, avec Jussieu et Buffon, et conti-nuera de jouer le rôle d’observatoire scien-tifique vivant.

Car le site est situé à un «carrefour bio-géographique» qui mêle influences conti-nentales, océaniques et méditerranéennes. Ilconnaît aussi des variations d’altitude etrecèle un dépôt de sable marin de l’ère ter-tiaire. Il abrite ainsi une très grande diversitéde paysages – futaies de chênes, hêtres etpins sylvestres, landes sableuses, marais,rochers – et une faune et une flore d’unerichesse exceptionnelle: on y dénombre 6.600espèces animales et 5.700 espèces végétales,dont 1.300 plantes à fleurs. La forêt abritequelque 700 cerfs et biches, 500 chevreuilset 300 sangliers, ainsi que des orchidées raris-simes.

Un comité scientifique pour la réserve debiosphère est en cours de constitution, ainsiqu’un comité de gestion, qui coordonnerales actions des divers acteurs: l’ONF; le futurparc régional du Gâtinais; les communes; etles associations, comme celles des Amis dela forêt de Fontainebleau ou des Naturalistesde la vallée du Loing, très actives pour ladéfense et la valorisation du site. «L’une des

conditions d’établissement d’une réserve

de biosphère est l’existence d’une demande

locale», explique Catherine Cibien, secré-taire scientifique du comité français du MAB.«Il y a eu adhésion des élus, des parte-

naires scientifiques, et des associations»,explique Thierry Moigneu, de l’ONF.

Pression urbaineMais l’inscription comme réserve de bio-

sphère vient autant confirmer la richessed’un patrimoine naturel que consacrer unepolitique vouée à l’écologie dans une zonesoumise à pression. Car Fontainebleau faitpartie d’une agglomération parisienne de 12millions d’habitants. Les nouvelles construc-tions menacent d’empiéter sur les partiesforestières privées. Le trafic routier s’estconsidérablement accru sur l’autoroute duSud qui traverse la forêt, l’une des plus fré-quentées du pays, et les eaux pluviales char-gées d’hydrocarbures polluent les nappesacquifères.

En outre, les bois reçoivent quelque 13millions de visiteurs par an, et la surfré-quentation de certains lieux a entraîné unrecul de la végétation et l’apparition de pointsd’érosion. «L’utilisation de la forêt elle-

même a changé, constate Thierry Moigneu.Il y a 20 ans, les familles pique-niquaient

sur le parking, à 50 mètres de leur voiture.

Maintenant, avec la vogue de la randonnée

et du VTT, on pénètre beaucoup plus loin.»

Malgré ces menaces, «l’écosystème n’est pas

trop perturbé», remarque Catherine Cibien.Notamment, un équilibre écologique a puêtre maintenu entre la logique rurale et fores-tière à l’ouest de la ville de Fontainebleau, etcelle, urbaine et économique, sur les rives dela Seine. De plus, en abritant un grand nombred’instituts de recherche et de formation vouésaux sciences de l’environnement,Fontainebleau, qui avait déjà en 1948 accueillila création de l’Union internationale pour laconservation de la nature, brigue le titre d’«écopôle».

Un nombre croissant de réserves duréseau MAB sont aujourd’hui situées près degrandes villes – ainsi des ceintures vertes deRio et de São Paulo. Car il est désormaisentendu que «le système urbain est insépa-

rable de son environnement naturel», commel’exprime Philippe Jamet, directeur del’Institut supérieur d’ingénierie et de gestionde l’environnement, à l’École des Mines deParis. Par leur inscription au sein d’espacesmétropolitains, ces nouveaux sites veulentfaire la preuve que le développement durable,qui permet de concilier respect de la nature,développement économique et cultureslocales, n’est pas qu’un slogan. «Nous nous

efforçons de préserver l’esprit du lieu, l’hé-

ritage culturel et historique, autant que

naturel», défend Jean-Marc Gougis, de l’ONF. Dans la forêt de Fontainebleau, on chasse

encore à courre de nos jours, comme le fai-saient les rois de France il y a des siècles. C’estaussi cet héritage-là, autant que les raresorchidées et les chevreuils sauvages, qu’ils’agit aujourd’hui de ne pas laisser dispa-raître du fait de l’urbanisation et de la moder-nité. ●

Nadia Khouri-Dagher

à Fontainebleau

Les réserves de bio-sphère rassemblentdes écosystèmesreconnus par le MAB.Créées en 1976, il enexiste aujourd’hui 356dans 90 pays. Leursuperficie varie dequelques centainesd’hectares à 30millions.Les réserves sontdestinées à remplirtrois fonctions:• la conservation desécosystèmes et de labiodiversité;• un développementéconomique et humaindurable;• un appui logistiquepour la recherche, lasurveillance continue,l’éducation et l’échan-ge d’informations.Chaque réserve estconstituée d’aires cen-trales totalement pro-tégées, d’une zonetampon pour la recher-che et l’éducation, ainsique d’une aire de tran-sition pour des activitésde développementdurable. Les réservessont gérées par lesautorités nationales oulocales et l’UNESCOadministre le réseaumondial qui les relie.

M

R

E

T

T

R

M

E

T

R

Aire centrale

Zone tampon

Aire de transition

Établissements humains

Installation

de recherche

ou d’expérimentation

Surveillance continue

Éducation et formation

Tourisme et loisirs

Réserves de biosphère:le b.a. ba

77N° 109 - février 1999

Depuis des siècles, leshabitants de Carélievivent en symbiose avecla forêt.

© M

AR

KK

UIA

NO

Àcheval entre la Finlande et la Russie, laCarélie est un beau pays de forêts, de

lacs bleus, de collines, de villages aux mai-sonnettes de bois, d’églises anciennes et deriches traditions culturelles: le Kalevala, lecélèbre poème épique finlandais, est né enCarélie. Successivement gouvernée par lesVikings, la Russie tsariste, la Suède, laFinlande et l’Union soviétique, la région,aujourd’hui située en majorité en Russie,pourrait bientôt abriter une réserve mon-diale de biosphère transfrontalière.

Le caractère exceptionnel du site pro-vient d’abord de sa taille – 10 millions d’hec-tares de forêt, soit un territoire grand commele Portugal. Mais surtout, de larges zones enRussie sont encore sauvages. Sous le régimesoviétique la zone frontalière était une zonemilitaire interdite sur 50 km, soit une bandede nature vierge s’étendant sur plus de millekm, du nord au sud; et dans le nord-est russe,l’absence d’infrastructures routières avaitisolé de vastes zones.

Ceinture verteLa forêt est constituée à 80% de pins et

d’épicéas. Depuis l’ouverture de la Russie àl’économie de marché, les coupes de bois lelong de la zone frontalière se sont multi-pliées, tirant profit d’un bon réseau routieren Finlande qui permet d’exporter le bois.«Pendant l’époque soviétique, la ceinture

verte était une entité continue. Aujourd’hui,

cette ceinture est rompue en plusieurs

endroits, mais nous avons encore une

chaîne unique d’aires de forêts boréales

largement intouchées. Et nous avons besoin

de décisions urgentes pour prévenir la

future destruction de cette région excep-

tionnelle, à la fois du côté russe et finlan-

dais», explique Virpi Sahi, coordinatrice de

la coopération forestière finno-russe duFonds mondial pour la nature (WWF). Denombreuses ONG russes et internationalesmilitent contre l’exploitation du bois le longde la frontière, et la plupart des entreprisesfinlandaises respectent désormais cette inter-diction informelle.

Protection sans frontièresDepuis le début des années 90, des négo-

ciations sont en cours entre les deux gou-vernements pour protéger cette zone fron-talière, en créant une «ceinture verte» quiirait de la mer de Barents au nord au Golfede Finlande au sud, en passant par le lacLadoga, près de Saint-Pétersbourg. Parailleurs, la superficie des zones protégéesdevrait augmenter en Russie, où elles pas-seraient de 4,2% du territoire (802.000 ha) à14,9% en 2005 (2.690.000 ha). À terme, uneréserve de biosphère verrait le jour, incluantla réserve MAB de Carélie située en Finlande.Créer une vaste aire protégée transfrontalièrepermettrait de régénérer un patrimoine éco-logique fragilisé, puisque les oiseaux, lesanimaux et les végétaux ignorent les fron-tières. En plus, «la coopération peut servir

aux Russes à ne pas commettre les erreurs

que nous avons faites il y a 50 ou 60 ans:

surexploiter la forêt, trop couper. Mais nous

pouvons aussi apprendre d’eux», expliqueKari Laine, de l’Université de Oulu. Ainsi, parexemple, les protections autour de lacs oude zones côtières sont plus strictes en Russie:les coupes sont interdites sur un kilomètre,alors qu’elles le sont sur 100 mètres seule-ment en Finlande.

Côté russe, les défenseurs du projet deréserve de biosphère le voient comme unmoyen de promouvoir un développementdurable dans la région pour résoudre le

“”

Créer une vaste

aire protégée

transfrontalière

permettrait de

régénérer un

patrimoine

écologique

fragilisé.

Carélie: une naturelleréunification

8

conflit entre exploitation économique,conservation de la nature et préservationdes emplois, en apportant plus de souplesseque le statut de zone protégée. «La Carélie

n’a pas d’autre alternative que d’utiliser

activement ses ressources forestières. Dans

le contexte de crise économique générale du

pays, l’interdiction d’activités économiques

sur de larges zones afin d’en faire des aires

protégées pourrait occasionner de graves

problèmes socio-économiques, en affectant

sérieusement les conditions de vie des

gens», explique Eugeny Ieshko, vice-prési-dent du Centre de recherches sur la Carélieà l’Académie russe, et l’un des inititateurs duprojet de réserve de biosphère.

8 février 1999 - N° 109

Prête à échanger des idées avec les voisins.

© M

AR

KK

UTA

NO

“”

La Carélie n’a

pas d’autre

alternative

que d’utiliser

ses ressources

forestières.

Noëline RakotoarisoaRaondry, coordina-trice nationale duProgramme MAB àMadagascar, s’expri-me sur le boom desréseaux régionauxdes réserves debiosphère.

Nous avons prisconscience au coursdes dernièresannées que lesproblèmesd’environnement nesont pas limités à ladimension d’un pays,mais sont régionaux.Par exemple, àMadagascar, nousavons des problèmesen commun avecd’autres pays del’océan Indien. Lacoopération régio-nale est aussi pourles pays du Sud unmoyen de pallier lemanque de moyens,financiers ethumains: en mettantnos ressources encommun, nous

pouvons faire deschoses plus con-crètes. Mananaraparticipe ainsi auprogramme decoopération Sud/Sudsur les tropiqueshumides, et nousavons pu échangernos expériencesavec 13 autresréserves de bio-sphère, situées enAfrique, en Asie, eten Amérique latine.La mise en réseauxpermet deséchangesd’expériences pourla gestion des airesprotégées et l’utilisa-tion rationnelle desressources, ainsi quedes échangesscientifiques.La régionalisationvient aussi commeun contrepoids à lamondialisation:l’homme a besoin dese retrouver dansquelque chose qu’ilconnaît, et la régionreprésente une

échelle à sa dimen-sion, qu’il peut tou-cher du doigt, paropposition à unemondialisation an-goissante. Pour faireface aux grandespuissances du mon-de, certaines régionsne peuvent faire blocqu’en se liant. Je crois que la visiondes chosesaujourd’hui est plusrégionale, et cettenouvelle approche aémergé à la fin desannées 80 et audébut des années 90,notamment après laConférence de Rio: larégionalisation vientd’une prise deconscience politiquedes choses, et ellese trouve étayée pardes résultatsscientifiques quidémontrent que lesproblèmes sontrégionaux.

Propos recueillis parN. K.-D.

La coopération régionale,réponse à la mondialisation

La question n’est pas d’interdire touteexploitation forestière: les réserves russesreprésentent 800 millions de m3 de bois, en1994 seuls 5,7 millions de m3 furent coupéssur les 8,7 autorisés, et les industries localesdu bois ne fonctionnent qu’à 40% de leurcapacité. Mais «la coupe de bois n’emploie

pas de travailleurs locaux: elle est faite sur-

tout par des étrangers, avec de grosses

machines. Les habitants se demandent où

va l’argent des vastes coupes de bois réali-

sées par les autorités russes et par les entre-

prises étrangères. Il est essentiel de créer des

emplois basés sur une transformation de la

matière première intensive en main-

d’œuvre, à une échelle villageoise, et en

accroissant l’autosuffisance des villages»,explique Virpi Sahi.

Le pari est donc, côté russe, de faire dela conservation de la nature le cœur d’unnouveau projet socio-économique qui repo-serait également sur le tourisme et les acti-vités récréatives. «Nous devons apprendre

à tirer profit des activités liées à la conser-

vation de la nature afin d’établir un nou-

veau mode de gestion basé à la fois sur

l’utilisation durable des ressources natu-

relles et l’amélioration de l’environnement

des gens de Carélie», plaide Eugeny Ieshko.Le lac Ladoga est depuis longtemps une des-tination touristique pour les habitants deSaint-Pétersbourg, toute proche; et la

République de Carélie a récemment ouvertun site web vantant en anglais les beautéstouristiques de la région. «La future réserve

de biosphère pourra servir de modèle pour

diffuser des méthodes de gestion environ-

nementale ailleurs en Russie», plaide KariLaine. Les Finlandais auraient aussi beau-coup à apprendre de ce retour identitaire: «il

existe encore en Carélie russe de nombreux

savoir-faire liés à la transformation méca-

nique du bois, à la culture et à la trans-

formation de certains produits agricoles,

que nous-mêmes pourrions apprendre»,explique Rita Nykänen, qui prépare la par-tie finlandaise du Parc du Kalevala.

Après des années de séparation, lescousins de Carélie vont pouvoir enfinéchanger leurs souvenirs, leurs projets etleurs secrets. ●

David Pemberton,

Environmental Communications 3D

(Helsinki),

avec N. K.-D.

99N° 109 - février 1999

Comment réinventer notre relation avecla nature, de façon à satisfaire nos

besoins fondamentaux, nous nourrir et nousdévelopper sans causer de dégâts irréver-sibles à notre environnement et compro-mettre l’avenir de nos enfants?

Les réponses ne sont pas simples dansune région à forte croissance démographique,où 1% seulement de la surface possède uncouvert végétal, où les États manquent defonds pour des campagnes de protection del’environnement et où nombre de spécia-listes pensent que la seule façon de protégerla nature consiste à en fermer l’accès.

Dernier en date des réseaux régionaux deréserves de biosphère, ArabMAB, quiregroupe 14 pays arabes, a été créé en 1997pour relever le défi. Ses membres se sontréunis en octobre dernier aux îles Kerkennah,en Tunisie, pour faire le point et prendre lamesure du retard de la région par rapport aureste du monde en ce qui concerne les stra-tégies de conservation et le développementde réserves de biosphère. Elle ne compteque 13 réserves dans six pays et beaucoupont à faire face à d’énormes problèmes. Ainsi,au Soudan, avec la guerre civile, l’afflux deréfugiés et l’arrêt de l’aide internationale, leshabitants de la réserve de Dinder souffrentde la famine. Des mesures «urgentes» s’im-posent pour stopper «une véritable hémor-

ragie de la biodiversité», constate KamilAbdel Raheem, responsable d’une organisa-tion de conservation soudanaise. Quant à laTunisie, elle vient de voir le lac Ichkeul, la plusprestigieuse de ses quatre réserves, inscrit surla Liste du patrimoine mondial en péril en rai-son de la dégradation de l’environnementqui menace sa faune.

«Heureusement, le monde arabe prend

enfin conscience des enjeux, et nous allons

pouvoir stopper cette descente en chute

libre», espère Mohamed Skouri, expert endésertification. Et, grâce à ArabMAB, une

ArabMab: remonter la pentenouvelle génération de réserves de biosphèrecommence à voir le jour.

Au Maroc, la réserve d’Arganeraie, sur lescontreforts de l’Atlas, s’étend sur 25.000 km2

et comprend la ville d’Agadir. On y trouve unépineux rare, l’arganier, dont on tire unehuile très prisée en cuisine et en cosmé-tique. Ses plantations séculaires disparais-saient au rythme de 600 hectares par an àcause de la pression touristique et démo-graphique: 2,5 millions de personnes viventdans cette zone. Un projet auquel participela population – en particulier les femmesqui, traditionnellement, récoltent l’huile – esten cours pour protéger cette forêt et déve-lopper le commerce de l’huile. Pour IdrisFassi, chercheur marocain et «parrain» dela nouvelle réserve, l’Arganeraie peut servirde «modèle grandeur nature» d’un mode dedéveloppement respectueux de l’environ-nement. En Jordanie, la réserve de Dana,beaucoup plus petite (310 km2), constitueaussi un bon exemple d’«écologie à visage

humain». L’écotourisme a offert de nou-velles possibilités économiques à la popu-lation locale et l’a «impliquée directement

dans un nouveau mode de gestion des res-

sources», explique Tarek Abou-El Houa, dela Société royale pour la protection de lanature. À Dana, on ne se contente pas de pré-server la nature: on la régénère.

Convaincre les fauconsToutefois, ces réussites restent rares

dans cette région où, pour beaucoup, pré-server l’environnement signifie en excluretoute présence humaine. C’est pourquoiArabMab accorde la priorité absolue à l’amé-lioration des connaissances de ses propresmembres: convaincre les faucons de laconservation qu’il faut intégrer la populationdans les réserves de biosphère est «notre

plus grand défi», reconnaît Idris Fassi. Car«installer des barbelés pour la tenir à l’écart,

même provisoirement, risque de compro-

mettre la régénération de la nature», ren-chérit Al Hili, président du Comité tunisiendu MAB. Parmi les autres tâches qui atten-dent ArabMab: le développement de lacoopération et de la recherche, la créationde réserves capables de donner une visionplus «humaniste et séduisante» de laconservation et de servir d’exemples.

Nous n’avons pas d’autre choix, résumeIdris Fassi, que d’en appeler à l’intelligencedes gens et leur faire comprendre qu’on nepeut plus assurer leur bien-être économiqueet social au prix de dommages irréversiblesà l’environnement. ●

Sue Williams,

avec Hamida Ben Saleh, à Tunis

Protégé: le parcnational Jebel Chambi(Tunisie).

© YA

NN

AR

TH

US-B

ER

TR

AN

D/

LAT

ER

RE

VU

ED

UC

IEL/

UN

ES

CO

En péril: le lac Ichkeul(Tunisie).

© YA

NN

AR

TH

US-B

ER

TR

AN

D/L

AT

ER

RE

VU

ED

UC

IEL/

UN

ES

CO

Période de dialogue entre les cultures et les religions, Al-Andaluspermet de comprendre les relations complexes qu’entretient l’Occident avec lemonde islamique d’aujourd’hui.

CULTURE

10 février 1999 - N° 109

Il est des périodes de l’histoire qui lais-sent des traces indélébiles dans l’espritdes hommes. Des périodes comme descarrefours, où les cultures et les reli-gions dialoguent, s’affrontent, finissent

par coexister. S’enrichissent mutuellement ouse détruisent. Al-Andalus est de celles-là.Elle commence en 711, par l’invasion arabede la péninsule ibérique et se termine prèsde huit siècles plus tard, en 1492, par l’ex-pulsion des Arabes. Pendant ce temps, sousleur règne, les trois religions monothéistesse sont côtoyées, ont tissé des liens. Nonsans violence.

Expérience unique, Al-Andalus sertaujourd’hui d’exemple à ceux qui pensentque le monde doit affronter ses réalités cul-turelles composites, accepter le métissages’il veut survivre, s’il veut grandir. Pour qu’enson sein puisse surgir une culture nouvellebasée sur la tolérance, le pluralisme, uneculture de paix.

Al-Andalus fait partie de notre passé.Mais cette période est aujourd’hui triple-ment actuelle. D’abord parce que l’Espagnemédiévale d’Al-Andalus est le premier contactentre l’Islam et l’Occident. «Le premier et le

plus durable», comme l’explique DoudouDiene, directeur de la division des projets

interculturels à l’UNESCO. Il faut se rappe-ler que les Arabo-musulmans entrent enEspagne moins d’un siècle après la mort duprophète Mahomet. «On ne peut pas com-

prendre les relations de l’Europe et de l’Islam

aujourd’hui, sans remonter à l’époque d’Al-

Andalus». Car c’est bien dans ce «labora-toire» de plusieurs siècles, que se sontconstruits «les malentendus et les conver-

gences, mais aussi les fantasmes des deux

traditions religieuses». Au-delà de sa dimension spirituelle, Al-

Andalus constitue une expérience cultu-relle, scientifique et philosophique d’uneextraordinaire richesse: les Arabes apportentles pensées grecques, les contributions phi-losophiques et scientifiques de l’Inde, de laPerse et de la Chine, en même temps queleurs propres inventions; tout comme lestraités d’Aristote jusque-là inconnus enEurope. Toute cette richesse intellectuellepasse en Occident à travers les traducteurset les interprètes d’Al-Andalus et rebonditensuite en Occident. C’est pourquoil’Espagne médiévale constitue ce queDoudou Diene appelle «la voie de passage»vers la modernité européenne.Paradoxalement, l’Espagne d’aujourd’huiest perçue de l’autre côté de la Méditerranée

AL-ANDALUS:LES LIENS DU SANG

“”

On ne peut pas

comprendre

les relations

de l’Europe

et de l’Islam

aujourd’hui

sans remonter

à l’époque

d’Al-Andalus.

© E. MARTINEZ/A. NUNEZ/ ARCHIVES SIERRA NEVADA 95 & ORONOZ

11N° 109 - février 1999

comme une sorte de verrou à l’immigrationnord-africaine vers l’Europe. Cette terredont Doudou Diene dit qu’elle «est aussi, en

partie, la leur. Si l’Espagne réussit à faire

un retour critique et prospectif sur son

passé et son patrimoine pluriel, elle peut

encore servir de pont entre les deux rives

de la Méditerranée et l’Afrique» (voir p.15).Elle contribuerait ainsi à «éviter la construc-

tion d’une ‘forteresse européenne’, symbole

de l’enfermement économique et matériel

d’un monde développé, oublieux de ses

autres racines culturelles et spirituelles».

Sans doute les Espagnols en ont-ils prisconscience puisqu’ils sont les seuls au mondeà posséder une législation progressiste surla liberté des religions: un ouvrage publié parles Affaires religieuses du ministère de la jus-tice codifie les droits et les devoirs de chaquetradition spirituelle.

Connaissance réciproqueActuel, Al-Andalus l’est enfin parce qu’il

a donné l’exemple d’une cohabitation destrois religions sur un seul territoire. Et quemalgré la domination de l’Islam sur les deuxautres et les guerres que cela a entraîné, il ya eu, pendant huit siècles, de longuespériodes de dialogue et de tolérance. Uneexpérience à comparer aux nombreuses pul-sions d’intolérance qui apparaissent ici et là,dans un univers où religions et cultures viventensemble sans se connaître. L’Islam, parexemple, selon Doudou Diene, «a été réduit

à de grandes révolutions politiques contem-

poraines comme celle d’Iran, à des événe-

ments historiques comme la guerre d’Algérie

et à des faits majeurs comme la crise du

pétrole». On oublie qu’il existait, à l’époqued’Al-Andalus, de véritables lieux de «ren-

contres théologiques» entre les trois confes-sions. «On y exposait ses points de vues,

mais écoutait également ceux des autres.»À l’heure où l’une des grandes causes de l’in-compréhension dans le monde tient à l’igno-rance des traditions des autres, où il n’existeplus beaucoup de moments d’écoute, lagrande leçon d’Al-Andalus n’est-elle pas danscette «connaissance réciproque»?

Al-Andalus affirme sa pluralité. Sansdoute parce que les «musulmans qui enva-

hissent la péninsule ibérique au début du

VIIIe siècle sont déjà pluriels», expliqueRosa Guerreiro, de l’UNESCO, spécialistedu programme Convergences spirituelles etdialogue interculturel. Les Arabes nord-afri-cains charrient avec eux des populationsvenant du Moyen-Orient, des Yéménites, desSyriens. Ils arrivent, poussés par un élan deconquête politique et spirituelle, mais en ren-contrant des cultures fortes comme la cul-ture chrétienne et la culture juive, ils se sontadaptés, se sont ouverts intellectuellement.

Un mythe et ses ombresCependant, ne nous leurrons pas: Al-

Andalus a été et reste un mythe qui a aussieu ses ombres. Les musulmans ont pu lais-ser s’installer par moments un état d’espritcréatif et pluriel, mais ont été intolérants etviolents à d’autres. L’élément arabe primaitsur les autres: «ils représentaient la force

politique, explique Rosa Guerreiro, ils s’ins-

tallaient toujours dans les terres les plus fer-

tiles et laissaient les campagnes et les mon-

tagnes aux autres». Mais en même temps,ils ont respecté les autres religions del’Espagne conquise: n’est-il pas fait mentiondans la quatrième sourate du Coran qu’il nefaut jamais contraindre en religion? Lesmusulmans ont par exemple signé des trai-tés avec les chefs féodaux chrétiens leurgarantissant la libre possession de leursterres. Mais en échange, ils leur demandaientde se soumettre à deux impôts sur l’individuet sur la terre. Certains se sont convertis àl’Islam pour ne plus avoir à payer.

Dans ce contexte, oui, on peut dire quel’Islam était tolérant, ouvert au dialogue.Mais dans les limites d’une suprématie arabequi s’imposait dans la manière de s’habiller,dans certaines coutumes comme la circon-cision, les ornements des églises ou la nour-riture. À tel point que certains chrétiens ontsenti que leur identité, leur langue étaientmenacées. En d’autres termes, il y a eu ce queRosa Guerreiro appelle «à la fois une assi-

milation, une ouverture et un profond rejet

de la culture arabo-musulmane». Mais aussil’exclusion de certains musulmans «libres

penseurs», mystiques soufis tels que IbnArabi, incompris par son époque, mort en exilà Damas, ou Ibn Rushd (Averroès), persécutéparce qu’il disait que la religion s’explique parla raison. «La violence et la guerre ont fait

partie de ces huit siècles, ajoute RosaGuerreiro. Al-Andalus n’a pas été seulement

un paradis. La transmission de son expé-

rience, même négative, peut servir à réin-

venter le présent.»Comment est-il possible qu’Al-Andalus

ait pu être tout à la fois ouverte et profon-dément destructrice? Doudou Diene est for-mel: «les tentatives de dialogue échouent et

laissent la place à l’intolérance chaque fois

Héritage d’Al-Andalus, la Cour des Lions, dans l’Alhambra(Grenade).

© E

. MA

RT

INE

Z/A

. NU

NE

Z/ A

RC

HIV

ES

SIE

RR

AN

EV

AD

A95

& O

RO

NO

Z

“”

À la fois une

assimilation,

une ouverture

et un profond

rejet.

12 février 1999 - N° 109

La mémoire d’Al-Andalus dans la pensée islamique

En 1492, le dernier souverain musulman deGrenade, Abû ‘Abdallâh, quitte l’Espagne

musulmane après des adieux éplorés à sonpalais de l’Alhambra. Comme pour effacer lesbrûlures du passé, l’Europe de la Renaissances’efforce alors d’expurger la culture occi-dentale de son arabité pour l’installer dansl’Antiquité gréco-romaine. La période d’Al-Andalus est niée. C’est à se demander si ellea jamais existé. Mais pire encore, elle dis-paraît aussi dans la culture arabo-musul-mane jusqu’au XIXe siècle: tout l’apport posi-tif de la culture intellectuelle d’Al-Andalustombe dans l’oubli. Même l’héritaged’Averroès (XIIe siècle) est négligé dans lemonde musulman; il sera fort heureusement

repris par l’Occident latin et va féconder laphilosophie occidentale.

Fragilisés, menacés, incapables de recon-naître l’héritage qu’ils rapportent de l’expé-rience d’Al-Andalus, les Arabes du Maghreb(qui couvre les territoires de l’actuelle Algérie,du Maroc, de la Tunisie et de l’ouest de laLibye) se replient sur la pratique du droitmusulman, rigidifient leurs normes sociales,et pensent ainsi maintenir un semblant decohésion. La même rigidité transparaît dansleurs confréries mystiques qui occupent unpouvoir politique dans certaines régions:leur autorité servant de support au pouvoirféodal, elles sont vidées de leur portée spi-rituelle. Contrairement à l’Orient musulman,qui voit fleurir diverses écoles de penséemystique (fortement influencées par la pen-sée persane), et qui maintient ouvert le débatsur la théorie du droit coranique, le Maghrebfait bloc autour d’une seule école, la mâlikite,qui répète inlassablement l’enseignementjuridique. Cela explique que la mystiquen’aura jamais la même portée, la mêmeimportance sociale dans l’Occident que dansl’Orient musulman. Et que le plus grand mys-tique de l’Islam, Ibn Arabi, né à Murcie au XIIesiècle, est obligé de s’expatrier en Orient,jusqu’à Damas où il finira ses jours.

Côté politique, le Maghreb a pris ses dis-tances avec le Moyen-Orient. Les deux«blocs» du monde musulman ont vécu deshistoires trop opposées pour trouver un lan-gage commun: pendant que Damas et Bagdadsombraient dans le déclin, victimes des

que le pouvoir politique domine sur le spi-

rituel, lorsque règnent la pression politique

et l’esprit de conquête: de l’autre côté du

Moyen-Orient, entre le IXe et le XIe siècles,

se déroulaient les croisades et les tentatives

de reconquête des ‘terres chrétiennes’». Encela, l’Espagne d’Al-Andalus nous montrequ’on ne peut pas concevoir le dialogue inter-religieux en se limitant simplement au dogmespirituel, à la foi, et qu’il faut observer les tra-ditions spirituelles dans leur contexte poli-tique. C’est dans la «dialectique entre le poli-

tique et le religieux, le dogme et la pratique

sociale» que peut se trouver l’équilibre et lerespect mutuel.

Que reste-t-il de ce mythe, en dehors deses ouvrages artistiques que l’on trouveencore en Espagne ou en Amérique latine(voir p. 13)? Le rapport entre l’Islam et lechristianisme s’est terminé dans un bain desang. D’abord avec la reconquête, l’expulsion

des musulmans et des juifs (nombreux ontfui vers l’Empire ottoman, les Pays-Bas oul’Amérique latine), puis par l’inquisition, lapersécution religieuse, la torture. Les roiscatholiques, la noblesse et le clergé ont voulurendre homogène la péninsule ibérique en fai-sant disparaître Al-Andalus. Cette fin vio-lente a profondément marqué les consciencesdes uns et des autres. En Europe, il en resteune peur irrationnelle, qui est aussi spiri-tuelle et politique (voir p. 12). Dans le mondeislamique, une impression de «paradisperdu», comme si on projetait sur le passéune reconnaissance qui n’est jamais venue.De là viennent les fantasmes des uns et desautres, les incompréhensions. Alors qu’enintégrant ce passé commun qu’a représentéAl-Andalus, tous prendraient conscience qu’ily a toujours chez l’autre, un peu de soi. ●

Cristina L’Homme

© G

IRA

UD

ON

Dialogue imaginaire entreAverroès et Porphyre(miniature du XIIIe siècle).

Comment l’UNESCOpeut-elle contribuer àrendre vivant ce quireste de positif dumythe d’Al-Andalus?D’abord en mettant envaleur les processus etles mécanismes parlesquels Al-Andalus adonné naissance à une«culture plurielle». Àl’heure où destentatives derobotisation etd’uniformisationculturelle voient le jour,«la pluralité d’Al-Andalus peut nousservir d’exemple»,explique Doudou Diene.Al-Andalus devrait«nourrir l’Occident dansson rapport à l’Islam etau judaïsme, mais aussile monde arabo-islamique actuel, dansson rapport àl’Occident». Sans cettemémoire historique, ledébat actuel entrel’Islam et l’Europe restesuperficiel.En collaboration avec leLegado Andalusí,organisme culturel dugouvernement del’Andalousie, l’UNESCOa organisé une réunion,en septembre 1997, surle thème des «Routesd’Al-Andalus, espacesde dialogueinterculturel». Plusieurs livres ont étécoédités, dont «Al-Andalus, Allende elAtlántico» (1997) et «ElMudéjarIberoamericano» (1995)ainsi qu’une brochuresur «Les routes d’Al-Andalus». Une expositionitinérante s’est tenue àce sujet en octobre1998, à l’UNESCO et àGrenade. Une autre doitavoir lieu du 18 au 20mars 1999 à Marrakech(Maroc), sur lesitinéraires Almoravideet Almohade.

13N° 109 - février 1999

croisades, de l’invasion des Mongols,l’Occident arabe s’étendait avec les empiresAlmoravide et Almohade (XIe au XIIIe siècles).En Afrique du Nord, le contexte historiquedevient prétexte à l’affirmation d’une identitépolitique, spécifiquement maghrébine. Uneidentité à laquelle on pense encore aujour-d’hui: l’idée d’un grand Maghreb (qui com-prend le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, la Libyeet la Mauritanie) vient de là, du souvenir d’unrayonnement culturel et politique maghrébin.

La poésie réinventée Côté artistique, c’est la même chose: les

formes d’expression traditionnelles ne conve-nant plus aux Andalous pour exprimer cequ’ils vivent, ils en inventent d’autres. En poé-sie, les muwashshahât – poésies en stropheset sans les contraintes de la poésie tradition-nelle classique – sont ensuite exportés versl’Orient. À l’heure actuelle, la chanteuse liba-naise Fairouz est l’une des rares à les inter-préter. Cette poésie exercera une certaineinfluence, plus tard, sur l’art des troubadours.

L’amnésie des Arabes vis-à-vis de leurhéritage andalou se termine à partir de la findu XVIIIe, lors de la campagne d’Égypte deNapoléon Bonaparte en 1799-1800. Puis, toutle XIXe siècle est marqué par une prise d’in-fluence de l’Occident dans le monde musul-man, les colonisations, les mises sous pro-tectorat: l’Algérie en 1830, la Tunisie en 1880,l’Égypte en 1884, le Maroc en 1911... Face àcette rencontre explosive, le monde musul-man est bousculé, et ses penseurs créent lemouvement «nahda», la renaissance arabe.Ils prennent conscience de ce que le philo-sophe allemand Hegel appelle «un retard

historique» qu’il faut à tout prix rattrapervis-à-vis de l’Occident pour rejoindre la

modernité. «Pourquoi l’Occident est-il en

avance et nous en retard?» écrit l’un desgrands auteurs de l’époque, Kawâkibî.Quelles en sont les causes? La réponse estclaire: parce que l’héritage du passé d’Al-Andalus a été négligé. Le monde arabe vadès lors se réapproprier ses penseurs.Surtout ceux marqués par Averroès, commeIbn Khaldun (XVe siècle), fondateur d’uneméthode scientifique pour l’écriture de l’his-toire, considéré comme l’ancêtre de la socio-logie, qui sera «découvert» à la fin du XIXesiècle. Ou encore Al-Shâtibî, qui a vécu enAndalousie au XVe siècle et qui révolutionnele Droit musulman: alors que la tradition setient strictement au texte énoncé par leCoran, il tente d’en déduire l’esprit, l’inten-tion, et lui donne force de loi. Ce n’est qu’auXXe siècle que les réformistes, commeJamaleddîn Afghanî et Mohammed Abduh,vont tirer parti de sa pensée.

Aujourd’hui encore, certains philosophesmusulmans tels que le marocain MohammedAbed Al-Jabri, restent convaincus qu’unnouveau regard sur certains aspects de laproduction intellectuelle d’Al-Andalus pour-rait nourrir une réflexion sur l’identitémusulmane moderne. On ne peut pas,explique-t-il, rejoindre la modernité en sau-tant par-dessus le passé et en s’assimilantsimplement à la pensée européenne. Il faut,au contraire, repasser par ce qu’on a raté.Renouer avec l’héritage andalou et repartirde là pour ensuite intégrer les éléments dela modernité qui sont authentiquementarabo-musulmans. ●

Marc Geoffroy

traducteur d’Averroès en français,

avec C.L.

Enrichir le débat

Le voyage artistique du MudéjarL’art mudéjar est celui de la rencontre.

Même s’il porte le nom des musulmansqui sont devenus sujets des chrétiens à la findu XVe siècle lors de la période appelée la«Reconquista», le mudéjar est né du contactentre les créateurs chrétiens et musulmansde l’Espagne d’Al-Andalus (VIIIe-XVe siècles).Ce sont les artistes des deux religions qui, ens’échangeant les techniques et les ornements,ont métissé leur savoir-faire, leur art et l’ontfondu à tel point qu’il est impossible, aujour-d’hui, de distinguer une œuvre réalisée parun musulman de celle d’un chrétien: seule laprésence de mosquées et d’églises nous per-met de situer les architectures dans leurscontexte religieux et politique. Ces mêmesartistes ont ensuite permis au mudéjar

d’atteindre l’autre rive de l’océan Atlantiqueet de s’installer sur le continent américain oùil est encore aujourd’hui, omniprésent.

Le mudéjar a donné la possibilité auxCastillans d’intégrer l’art hispano-musulman.À tel point que, en 1492, au moment de laconquête de Grenade, l’héritage culturel isla-mique était totalement inséparable de l’artespagnol. María Jesús Viguera, historienne del’Université de Madrid, explique ce processusdans le livre «Al-Andalus, Allende elAtlántico», publié à Grenade par l’UNESCOen 1997: «À la fin du XVe siècle, au début de

la relation de la Péninsule ibérique avec

l’Amérique, la culture andalouse a laissé

son empreinte, profonde, sur la culture espa-

gnole. Elle est ensuite passée à l’Amérique

14 février 1999 - N° 109

“”

Le voyage de

l’art mudéjar

s’est réalisé

surtout grâce

aux artisans.

de la même manière qu’elle avait été assi-

milée en s’étendant pendant des siècles à

travers la Péninsule ibérique.»En faisant partie intégrante de l’esprit

syncrétique, métissé, qui avait construit laculture espagnole au début du XVIe siècle,le mudéjar est devenu l’art le plus fréquem-ment utilisé. Ce qui le fait voyager tout natu-rellement jusqu’en Amérique. Il n’est pas«emporté» par les Mudéjars ou par les Mauresà qui l’on interdit officiellement de se rendredans le Nouveau monde. Certains d’entreeux font quand-même le voyage: des Mauresde Grenade, envoyés au Mexique, devaient yintroduire la culture du mûrier et l’industriede la soie. Mais ce sont des cas isolés.

Le voyage de l’art mudéjar s’est réalisésurtout grâce aux artisans espagnols origi-naires d’Andalousie et des régions extrêmesde la Péninsule ibérique. Ils vont devoir faireface à une forte demande de la part desConquistadores, grands propriétaires ter-riens qui possèdent une forte tradition reli-gieuse. Ceux-ci veulent recréer leurs terresnatales en Amérique et ordonnent laconstruction d’églises couvertes d’armatureset d’ornements brodés à Tlaxcala (Mexique),Bogotá (Colombie), Andahuailíyas (Pérou),Quito (Équateur), Potosí (Bolivie), Coro(Venezuela) ou Guanabacoa (Cuba), en sou-venir de celles de Tolède, de Séville, deCordoue ou de Grenade. Les artistes vontdonc bâtir des palais, avec des fontaines quitrônent dans des jardins somptueux et desgaleries qui s’aventurent jusqu’aux patios,toujours frais. En mémoire de ceux deGuadalquivir ou de Tolède.

OmniprésenceSur ce continent nouveau, le mudéjar

s’introduit partout: dans les demeures impo-santes des commerçants de La Havane oudans les premières habitations à Lima (palaisde Torre Tagle); sans oublier Cartagena deIndias (Colombie) – déclarée Patrimoine del’humanité – où les balcons semblent se pen-cher sur la voie publique et les maisons sereplier sur leurs patios intimes. Remplis depalmiers, ils tempèrent le climat. Cette typo-logie de patios et de galeries sera reproduite

dans des couvents comme celui de SanFrancisco de Lima, qui possède l’une des toi-tures les plus belles et les mieux conservéesde l’époque.

Le premier siècle de la présence espa-gnole sur le nouveau continent va permettreà l’art mudéjar de s’y développer après avoirrencontré les grandes cultures aztèque etinca. Son essor se fera lentement en termesgéographiques, en raison de l’étendue du ter-ritoire et de la faible densité démographique,qui ont souvent marginalisé des régionsentières par rapport au système des deuxvice-royautés, la Nouvelle Espagne et lePérou. Pendant ce temps, les Espagnols appli-queront leur politique: acculturer les diffé-rents groupes d’Amérindiens, les «civiliser»,et occuper physiquement le territoire. Cettelogique explique qu’ils aient utilisé l’urba-nisme et les œuvres institutionnelles pourcréer la nouvelle image du territoire améri-cain. Réactionnaire, ce procédé élimine l’es-prit de cohabitation de l’époque médiévalepropre à Al-Andalus. Le mudéjar devient lemiroir de la vision urbaine et à travers elle,de la nouvelle situation politique et religieuse.

La période d’organisation et d’appro-priation du territoire qui va jusqu’aux pre-mières décennies du XVIIe siècle, va per-mettre aux villes de se définir et surtout dese distinguer des «villages indiens». Au coursdes XVIIe et XVIIIe siècles, elles serontinfluencées par d’autres modes architectu-rales plus baroques et le mudéjar devientsecondaire. C’est dans les œuvres de menui-serie surtout que nous trouvons encore de trèsbeaux vestiges de cet art hérité d’Al-Andalus,devenu l’essence de l’architecture populaired’une bonne partie du continent américain.Aujourd’hui encore, le mudéjar est partout,dans chaque recoin du paysage. ●

Rafael López Guzman,

Université de Grenade

L’art andalou dansl’église de SanFrancisco à Tlaxcala(Mexique).

Olinda (Brésil): lesbalcons fermés

ressemblent auxmoucharabiehs de

l’architecture islamique.

© R

EP

RO

DU

ITD

EL’O

UV

RA

GE

«EL

MU

JAR

IBE

RO

-AM

ER

ICA

NO

», S

IER

RA

NE

VA

DA

‘95.

© R

EP

RO

DU

ITD

EL’O

UV

RA

GE

«EL

AR

TE

MU

JAR»,

UN

ES

CO

/IBE

RC

AJA

15N° 109 - février 1999

L’Espagne a-t-elledigéré Al-Andalus?

Chassez le naturel, il revient au galop. Àl’heure où l’Espagne proclame son iden-

tité européenne, et tente de s’éloigner de soncôté arabe né d’Al-Andalus, les liens entrel’Afrique du Nord et la Péninsule ibérique serenforcent par d’autres voies. Des centainesde milliers de Maghrébins ont traversé laMéditerranée, et le nombre de conversionsd’Espagnols à l’Islam est en pleine crois-sance: 90% des mosquées qui existent enEspagne ont été construites depuis 1990.

Même si les Espagnols de souche, néo-musulmans, constituent un noyau minori-taire, leur existence est symboliquementimportante: ils prouvent qu’ils peuvent conce-voir l’Islam comme faisant partie de leuridentité culturelle. Ce qui est loin d’être ano-din au moment où l’Espagne s’aligne sur des

modèles nord-européens, coupant de plusen plus avec ses racines sud-méditerra-néennes.

Les nouveaux musulmans espagnols chan-gent de nom, s’appellent Abderrahman Martínez,Yusuf González. Ils sont la plupart du tempsultra-conservateurs, surtout lorsqu’il s’agit dudroit des femmes ou de la liberté de l’individuau sein de la communauté. Ils font souvent par-tie de l’une des 200 associations musulmanesenregistrées au ministère de la justice.

La présence musulmane comprend ungrand nombre d’étudiants marocains et desimmigrés. Les premiers vivent surtout dansles villes du sud, sont intégrés socialementet mariés à des femmes espagnoles. Lesseconds, souvent célibataires, s’installent làoù ils trouvent du travail – comme employésde maison, agriculteurs ou vendeurs ambu-lants. Leur présence n’était pas courante nivisible en Espagne jusqu’à ces dernièresannées. Ce qui explique en partie que lesaffrontements d’origine raciste soient rareset qu’il n’existe pas un parti prônant «l’ex-

pulsion des maghrébins», comme en France.

Les Nord-Africains qui traversent les 14kilomètres qui séparent les deux continentsen barque ou à la nage, fuient leurs pays.Pressés d’échapper à la pauvreté ou à des per-sécutions politiques, ils voient dans ce«Grand nord européen», un moyen de sur-vivre, et l’Espagne comme un «pays de pas-sage» vers la France, l’Allemagne...

L’Espagne poura-t-elle encore longtempscontenir le flux des immigrations en prove-nance de l’Afrique du Nord? Le processus estirréversible, mais il pose un réel problèmeau gouvernement espagnol. Celui-ci n’a paspour autant décidé d’une véritable politiqued’intégration à terme. L’action du gouver-nement se limite à résoudre des affairesponctuelles lors des fréquentes visites desministres du travail et de l’intérieur dans lespays du Maghreb: régulariser des passe-ports, régler des problèmes de droits de tra-vail ou de protection sociale d’émigrantssur le sol espagnol. Insuffisant. Certainssemblent vouloir faire bouger les choses,comme le directeur du Tribunal supérieur dejustice d’Andalousie (TSJA), Luis Portero, quia proposé de «modifier de toute urgence»la loi qui s’applique aux étrangers et sonrèglement, afin de garantir les droits desémigrants et de stimuler une régularisationrapide et efficace de leur situation. Mais laréponse se fait attendre.

Au coup par coupLes autorités devront se rendre compte

qu’il faut construire des politiques et desstratégies d’intégration et ne pas se limiterà résoudre des problèmes légaux au coup parcoup. Il est vrai aussi qu’en entendant lescommentaires du ministre des affaires étran-gères marocain, Abdelatif Filali, disant qu’ilfaudrait «trois ou quatre millions de soldats»pour en finir avec le problème de l’émigra-tion de son pays vers la Péninsule ibérique,les Espagnols ont l’impression que le Marocne fait rien pour freiner le mouvement etqu’il utilise la carte de l’émigration massiveet incontrôlée pour solliciter diverses aidesfinancières à l’Union européenne. Ceuta etMelilla (deux enclaves espagnoles au Maroc)ne sont-elles pas devenues des camps deréfugiés où s’entassent tous ceux qui atten-dent leur tour pour passer en Europe? Seulesquelques associations d’émigrants enEspagne, parmi lesquelles l’ATIME(Association de travailleurs immigrants enEspagne), proposent à l’heure actuelle unecampagne d’information pour expliquer auxMaghrébins que l’Espagne n’est plus àconquérir. Que Al-Andalus ne doit pas êtrecherché dans le passé. Mais qu’on peut s’eninspirer pour construire l’avenir. ●

Carlos Varona,

Directeur, Service arabe,

Agence espagnole EFE

avec C. L.

Algesiras (Espagne):des familles entièresrenvoyées chez elles.

© E

FES

OC. J

. RA

GE

L.

16 février 1999 - N° 109

EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF

CULTURE

Patrimoine: lesjeunes s’engagent«Notre patrimoine est la pla-nète Terre toute entière... Noussavons que la guerre peutdétruire le patrimoine culturel.Alors, l’histoire et l’identité de lanation se perdent. Et sans l’his-toire ou le patrimoine, il n’y apas d’identité.» Ainsi débute la«Promesse des Patrimonitos»,adoptée en novembre dernierpar plus d’un millier de jeunes detous les continents et qui a étéremise le 22 janvier au Directeurgénéral de l’UNESCO.

●●● En savoir plusSecrétariat du Forum EFAFax: (33) 1 45 68 56 29E-mail: [email protected]

ÉDUCATION

EFA 2000«L’éducation peut être un puis-sant outil au service de la tolé-rance, de la compréhensionentre les cultures et de la réso-lution des conflits... [Elle] doitpouvoir nourrir une vastepalette de cultures dont la perteappauvrirait considérablementla civilisation mondiale»: tel estle «point de vue» de S.M. lareine Nour de Jordanie dans ledernier numéro du bulletin EFA2000 (n° 33) consacré à l’édu-cation de base, «la meilleuregarantie de paix», dans les États

Apprendre à protégerPour apprendre en tout lieu àlutter contre la détériorationde l’environnement, le Centreculturel Asie/Pacifique pourl’UNESCO (ACCU) a conçu unesérie de matériels éducatifsassociant alphabétisation etéducation environnementale.Une première mallette pédago-gique est désormais disponible.Consacrée à la pollution de l’eauet aux méthodes de purifica-tion, elle contient une anima-tion vidéo, une brochure et uneaffiche. D’autres thèmes relatifsà la protection de l’environne-ment seront abordés dans lesprochaines mallettes de cettesérie semestrielle.

●●● En savoir plusACCU6 Fukuromachi Shinjuku-lu, Tokyo162-8484 JaponFax: (81) 3 3269 4510E-mail: [email protected]

CULTURE DE LA PAIX

UN PROCESSUS EN MARCHE«Permettre aux Palestiniens etaux Israéliens de contribuer àconstruire un avenir de paix enœuvrant ensemble à des pro-jets de coopération sous lesauspices de l’UNESCO»: tel estl’objectif du processus GrenadaII qui vient d’être lancé avec lasignature, le 7 janvier, de sixaccords entre l’Organisation,

les autorités palestiniennes etisraéliennes. Ils portent sur troisprogrammes de recherche médi-cale, l’enseignement de lamusique traditionnelle de larégion, le dialogue entre les reli-gions et le tourisme culturel.Grenada II fait suite à la ren-contre entre intellectuels israé-liens et palestiniens, organiséeà Grenade (Espagne) endécembre 1993.

Hiroshima: Mémorial de la paix

© U

NE

SC

O

arabes. Il donne aussi la paroleà l’une de ces Algériennes quicombat envers et contre toutl’analphabétisme et l’ignorance. Le numéro s’achève sur unentretien avec AbdulazizOthman Altwaijri, directeurgénéral de l’Organisation

islamique pour la science,l’éducation et la culture, qui sedit «convaincu que l’éducationde base doit bénéficier d’unepart plus importante desdépenses de l’État, parcequ’elle est la charnière du déve-loppement social et écono-mique de toute société».

Cet engagement a été pris lors duForum international de la jeu-nesse pour le patrimoine mondialqui s’est tenu à Osaka et dansquatre villes japonaises inscritesau patrimoine mondial. Les jeunes se sont également ditdéterminés, une fois de retourdans leurs pays, à «informer noscamarades de ce que signifie lepatrimoine mondial... Nousorganiserons des chantiers ettoutes sortes d’activités concrètespour qu’ils se sentent impliquésdans sa protection».

Ils

ont

dit

«Pendant que les paysdéveloppés sont aux

prises avec la contra-diction entre la nécessitéd’exercer un contrôle surle contenu d’Internetpour défendre les droitsde l’enfant et l’impératifde protéger la libertéd’expression, partoutailleurs on en est à lutterpour l’accès même àInternet», a déclaréAidan White, secrétairegénéral de la Fédérationinternationale des jour-nalistes lors de laréunion sur l’exploitationsexuelle des enfants(voir aussi p. 21). «Laquestion de l’accès estun problème étroitementlié à la censure et elledétermine la créationdes conditions de laliberté d’informationpour tous.» Pour sa part, le Directeurgénéral a estimé: «Cen’est pas dans la censurequ’il faut chercher lasolution... Il faut com-battre cette cyber-criminalité..., protégerles enfants contre ceuxqui leur volent leurenfance, tout engarantissant la libertésans entraves quereprésente Internet».

«La prolifération sanscontrôle des armes

légères suscite denouveaux cycles deviolence et fait obstacleau retour à la normaledans des pays sortantd’un conflit armé», adéclaré le Directeurgénéral le 7 janvier dansun appel en vue de«contrôler le commerce,la disponibilité, l’usageet le stockage des armesde petit calibre, et deprévenir leur trafic».Soulignant que «ceproblème n’est pasréservé aux pays endéveloppement ou àceux qui ont connu laguerre civile», il a noté«qu’il se manifeste aussidans les pays indus-trialisés» où il menace«la vie citoyenne etmême le fonctionnementnormal des établisse-ments scolaires».

17N° 109 - février 1999

EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF

SCIENCES

EXPOSITION

UNE AGRICULTURERAISONNÉE«Ces 50 dernières années, nousavons connu trois révolutions:la première nous demandait deproduire plus; la deuxième, deproduire moins; aujourd’hui, deproduire mieux», a déclaré àl’UNESCO, le 7 janvier, CyrilleVan Effenterre, du ministèrefrançais de l’agriculture. Il

De la guerre des Boers auconflit en Tchétchénie, unsiècle de dessins d’enfantsayant subi cette violenceextrême était présenté àl’UNESCO, du 18 janvier au 10février, lors d’une expositionorganisée avec le soutien duprogramme «Vers une culturede la paix», autour du thème«J’ai dessiné la guerre».

TÊTE D’AFFICHE«La meilleure affiche dumonde» est due à l’artistesuédoise Carine Länk qui areçu le Grand Prix Savignaclors du Salon international del’affiche tenu à l’UNESCO du 12au 23 janvier. Elle a étésélectionnée parmi 63 affichesde 11 pays et couronnée pour«l’esprit de synthèse, la beautéde l’évidence et la mainsubjective» de la créatrice,selon les intentions de l’insti-gateur du prix, le dessinateurfrançais Raymond Savignac.Dès ce mois-ci, les 63 affichessont présentées dans denombreuses villes du monde,des États-Unis à la Chine.

En tout, 200 témoignagesbouleversants d’une vingtainede pays, recueillis par uncouple de médecins françaispour «servir comme armecontre la folie de la guerre».Ils expriment avec force lesblessures et les souffrancesdes enfants et présentent unesimilitude frappante:l’angoisse devant l’avenir.

s’adressait aux quelque 350 agri-culteurs, experts et responsablespolitiques qui participaient aux«Rencontres de l’agriculture rai-sonnée», organisée par l’asso-ciation FARRE, qui regroupe 180fermes pilotes en France reliéesà des réseaux répartis dans septpays européens.Les participants ont adopté unecharte dans laquelle ils

s’engagent à utiliser desméthodes qui concilient «lesobjectifs économiques des pro-ducteurs, les attentes desconsommateurs et le respectde l’environnement», y compriscelles utilisant la technologiede pointe, comme les imagessatellitaires permettant une«agriculture de précision».

«J’ai dessiné la guerre»

Aliocha, 8 ans (Tchétchénie).

© M

ÉD

EC

INS

DU

MO

ND

E

LIVRES

18 février 1999 - No 109

EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF

L’éducation pourle XXIe siècleQuestions et perspectives.Collection L’éducation en devenirÉditions UNESCO, 1998.Prix: 150 FF.«L’éducation demeure le poulsde la société. Elle reflète à lafois les tensions d’aujourd’huiet les aspirations de demain»,affirme dans sa préface JacquesDelors, président de la Com-mission internationale sur l’édu-cation pour le XXIe siècle. Cetouvrage complète le rapport dela Commission, L’éducation, untrésor est caché dedans, avec unchoix d’articles et de témoi-gnages de ceux qui ont inspiré saréflexion. Ces contributions illustrent lavision que d’éminents spécia-listes ont des maintes contra-dictions auxquelles l’éducationest confrontée: comme la société,cette «utopie nécessaire» estappelée à concilier des objectifset tendances divergentes, àincarner à la fois la continuité etle renouvellement, à encoura-ger la conformité à certainsmodèles et l’innovation. Etcomme toute entreprise hu-maine, elle est le fruit d’un com-promis entre une vision à longterme et l’urgence de la pratiquequotidienne.

Poésieuruguayenne au XXe siècleIntroduction de Fernando Ainsa.Traduction de MarilyneArmande Renard. Collection UNESCO d’œuvresreprésentatives. Patino/ÉditionsUNESCO, 1998. Prix: 140 FF.«Quelle différence y a-t-il entrela poétique de cette rive [du Riode La Plata] et celle de la rived’en face?, s’interrogeait l’écri-vain argentin Jorge Luis Borges.La plus marquante est celle dessymboles utilisés. Ici, la pampa

●●● En savoir plusLes publications et périodiques sonten vente au Siège, à la Librairie del’UNESCO, ainsi que par l’intermé-diaire des agents de vente dans laplupart des pays. Informations et commandes directespar courrier, fax ou Internet: ÉditionsUNESCO, 7 place de Fontenoy, 75352Paris 07 SP. Tel. (+33 1) 01 45 68 43 00 -Fax (33 1) 01 45 68 57 41. Internet:http://www.unesco.org/publishing

COURRIER

ou son début, le faubourg; là-bas, les arbres et la mer. Ledésaccord est logique: l’horizonde l’Uruguay est de bois et de col-lines, voire de longues lignesd’eau; le nôtre, de terre.» Et c’estde fleurs, de sources et delagunes que nous parle cetteanthologie bilingue espagnol/français regroupant des poèmesd’une quarantaine d’auteurs dela «république orientale aufleuve vaste comme la mer».

Mais aussi d’amour, de rires, dela solitude, des ténèbres et del’aube, que ce soit pendant lesannées noires de la dictature oupour chanter la liberté: «Ta liberté, ma liberté:sans elle ni blé ni roses.La justice en est inséparable,ne te trompe pas d’aurore.»

TOUJOURSD’ACTUALITÉProfesseur d’anglais et secré-taire général de l’Union natio-nale des enseignants, permet-tez-moi de vous dire que jetrouve les articles que vouspubliez très constructifs, clairs,concis et surtout, toujours d’ac-tualité.

Azzeddine BencherabEnseignant

Saida (Algérie)

Libres de droitEn tant que journaliste, je tra-vaille actuellement à un projetde développement en Amériquecentrale, visant à promouvoir lacommunication rurale. Votremagazine me fournit des infor-mations générales très utilespour exercer mon métier.Comme vos articles sont libresde droit, il m’arrive de les repro-duire ou de m’en inspirer.

Horst GrotheJournaliste

Managua (Nicaragua)

ÉDUCATION AUX MÉDIASNotre institut met en œuvre uncertain nombre de projets surl’éducation aux médias et nousreproduisons certains de vosarticles sur ce thème dans notrebulletin. Nous avons été parti-culièrement intéressés par votre

dossier sur les enfants et la vio-lence dans les médias (n° 102).

Joe Andrew SDBDirecteur, Don Bosco Institute of

Communication ArtsChennai (Inde)

L’information en milieu ruralComme beaucoup d’instituteurstravaillant en milieu rural, j’aidu mal à avoir accès à l’informa-tion récente sur ce qui passe dansle monde. Les organisationsinternationales comme la vôtre –et leurs publications – sont sou-vent le seul moyen d’y parvenir.

Remedan HassenEnseignant, Gursum (Éthiopie)

UN MESSAGE AUX FAMILLESDepuis des années, je m’occuped’un programme d’assistance auxfamilles d’un hôpital de la pro-vince d’Uttar Pradesh. Nous tra-vaillons dans des régions oùrègnent l’analphabétisme et lasuperstition, et où les gens viventla pauvreté au quotidien. Le message délivré par votrerevue nous est d’une grande uti-lité et nous tentons de le fairepasser parmi les familles aveclesquelles nous travaillons.

Prabir Kumar BasuOrdnance Factory Hospital

Dehra Dun (Inde)

19No 109 - février 1999

EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF

Chargée de rubrique: Christine Mouillère

PÉRIODIQUES

NATURE ET RESSOURCESC’est principalement aux océansqu’est consacré le n° 3 (Volume34) de cette revue. Il s’ouvre avecun éditorial du nouveau secré-taire exécutif de la Commissionocéanographique intergouver-nementale de l’UNESCO, PatricioBernal, qui dresse le bilan de lacoopération entre océano-graphes du monde entier pourmieux comprendre notre «es-pace proche», après «la griseriedes plongées audacieuses dansl’espace interplanétaire» qu’ona connue depuis les années 60.Autres sujets traités: le déve-loppement écologiquementdurable de la Grande Barrièrede corail au large du Queenslanden Australie, la mobilisation pourpréserver l’écosystème marindans le golfe de Guinée, la pol-lution au mercure dans le bassinMéditerranéen – qui contientenviron 65% du mercure de laplanète –, ainsi que la prolifé-ration des algues nuisibles, de lamer Noire au Pacifique. Les biotechnologies, leurs pro-messes et leurs menaces, sontégalement abordées dans cenuméro, avec le généticien fran-çais Axel Kahn, le physicienindien M.G.K. Menon et l’éco-nomiste américain JeremyRifkin, à l’occasion des Entre-tiens du XXIe siècle (voir aussiSources, n° 102).

Perspectives«Apprendre à vivre ensemblegrâce à l’enseignement de l’his-toire et de la géographie» est lethème du dossier du n° 2(volume XXVIII). Faut-il adapterle contenu des manuels scolaires«aux incertitudes du monde quise globalise, aux conflits qui sediffusent, à une mémoire col-lective dite nationale, ou à dif-férentes identités segmentées,croisées, emboîtées?», s’inter-roge l’éditorialiste de ce numéro.Après un aperçu théorique de laproblématique ainsi qu’un exa-men des fonctions que devraitremplir l’enseignement de cesdisciplines, des spécialistes pro-posent de nouvelles approcheséducatives ayant pour objectif«la connaissance de sa connais-sance et de celle des autres», àpartir d’études réalisées danshuit pays: Afrique du Sud, CostaRica, El Salvador, Guatemala,Liban, République tchèque,Royaume-Uni et Suisse. La der-nière partie est consacrée à «cequ’il faut éviter d’enseigner»,ainsi qu’à ce que peuvent appor-ter l’histoire et la géographiepour intégrer la notion de «nou-velles citoyennetés», puisque,comme le dit Michel Serres,«notre relation avec le monde achangé. Avant, elle était locale-locale; maintenant, elle estlocale-globale».

LE COURRIER DE L’UNESCOGaspillée, polluée, l’eau se raré-fie. Et la pénurie d’eau douce a uncoût humain: malnutrition, mala-dies, exode rural, surpeuplementurbain. Sous le titre Eau douce:à quel prix?, le numéro de févrierse penche sur les enjeux écono-miques, sociaux et technolo-giques que pose la raréfactionde «cette ressource collective».

Chacun dans sa spécialité,deux périodiques de l’UNESCOcommémorent le 50eanniversaire de la Déclarationuniverselle des droits del’homme:

Revueinternationale dessciences socialesLe n° 158 traite des deux pro-blématiques «opposées» que

soulève «cet instrument vision-naire»: la Déclaration représente«une source précieuse d’inspi-ration dans d’innombrablesluttes pour l’émancipation desindividus et des peuples», maisses principes continuent à être«quotidiennement violés, car dis-criminations, intolérance,racisme, xénophobie, sous-déve-loppement, misère et exclusiondemeurent des phénomènes ordi-naires dans maintes sociétés».Après une évocation de la signi-fication historique de laDéclaration, ce numéro mèneune réflexion sur l’évolution dela législation et les difficultésrencontrées dans le contrôle etle renforcement de son applica-tion, avant de s’interroger surl’universalité des droits del’homme «dans un monde carac-térisé par la diversité des cul-tures, des systèmes normatifset des conceptions morales».

BULLETIN DU DROIT D’AUTEUR«Chacun a droit à la protectiondes intérêts moraux et matérielsdécoulant de toute productionscientifique, littéraire ou artis-tique dont il est l’auteur.» Cetextrait de l’article 27 de laDéclaration universelle figureen exergue du n° 3 (volumeXXXII) du bulletin. Il est suivi demessages de cinq ONG repré-sentant les auteurs, composi-teurs, réalisateurs ou avocatsqui commentent ces droits «éter-nels mais vulnérables», en par-ticulier ceux «des créateurs desœuvres de l’esprit».

Il aborde ainsi la principale solu-tion préconisée: réguler lademande par l’intermédiaire desprix, donc du marché. Mais cedossier souligne aussi la néces-sité de «mettre en place des sys-tèmes de régulation de [sa] ges-tion à l’aune de critères autresque purement financiers. Sauf àdénier le droit à l’eau à des cen-taines de millions de personnes».

Parmi les autres sujets abordés:l’insertion ou la réinsertion desjeunes marginalisés et des chô-meurs, l’adoption internationale,les journaux de rue.Le numéro s’achève sur un entre-tien avec un économiste améri-cain, le Prix Nobel James Tobin,inventeur du projet de taxe sur lacirculation internationale descapitaux pour réduire la spécu-lation.

Diagnostic de deux scientifiques sur le traitement des

«maladies émergentes et réémergentes»: lutter sur tous les fronts,

recherche, éducation, amélioration des systèmes de santé.

20 février 1999 - N° 109

CES MAUX QUI RÉPANDENTLA TERREUR

SCIENCE

décès. «Le XXe siècle a

ajouté de nouvelles causes

à l’émergence et à la

réémergence des mala-

dies», a constaté le profes-seur Montagnier. En l’es-pace de 18 mois, l’OMS ena recensé 215.

Une croissance démo-graphique sans précédent(d’un milliard au début dusiècle, la population mon-diale est passée à six mil-liards aujourd’hui) «a

entraîné l’émergence de

villes géantes autour des-

quelles s’est constitué un

monde marginal». Leschangements environne-mentaux sont aussi des fac-teurs préoccupants. «Notre

air est de plus en plus

chargé d’agents suscep-

tibles d’affaiblir notre sys-

tème immunitaire. Les

pesticides voyagent autour

du monde en prenant la

forme de nuages radioac-

tifs», ce qui contribue àaccroître les risques decontamination.

En outre, comme l’asouligné David L. Heymann,directeur exécutif duGroupe organique des mala-dies transmissibles à l’OMS,«des problèmes écono-

miques et sociaux vien-

nent accentuer nos diffi-

cultés à enrayer la

propagation des maladies

infectieuses»: une épidé-mie de diphtérie est appa-rue en Russie, dont le bud-get de la santé a étéconsidérablement réduit; lecholéra a resurgi enAmérique latine ces cinqdernières années en raisonde l’insuffisance des sys-tèmes d’assainissement.

«Les technologies et

pratiques nouvelles peu-

vent également être à l’ori-

gine d’épidémies»: la mala-die de la vache folle a ététransmise à l’homme suiteà la transformation de lapréparation de la farinepour animaux. Les change-ments climatiques consti-tuent aussi des facteurs

Les germes se déplacentet avec eux, les mala-

dies. De la peste au Moyen-Âge à la grippe espagnole àla fin de la première guerremondiale (qui a fait plus devictimes que celle-ci), lesépidémies se sont abattuessur l’humanité comme desmalédictions.

Avec la mondialisation,«les germes peuvent se

déplacer à la vitesse des

avions», comme l’a souli-gné Luc Montagnier, co-découvreur du virus du sidaet président de la Fondationmondiale Recherche et pré-vention sida, lors desEntretiens du XXIe siècleconsacrés à «la science faceaux maladies émergentes etréémergentes» (UNESCO,16 décembre).

Loin d’être sur le déclin,des maladies infectieusesou parasitaires graves, tellesque le choléra, la tubercu-lose, le paludisme, la diph-térie et le sida sont respon-sables de plus d’un tiers des

déclenchants: en raison dela sécheresse, par exemple,«la méningite a sévi sur

tout le continent africain».Certaines maladies sont

devenues plus insidieuses.Les germes ont appris àvivre avec le système immu-nitaire. En particulier, lesrétrovirus «ont appris à

être transmis par un

contact infectieux et à s’in-

sérer dans les gènes des cel-

lules de l’organisme pour

s’y développer», a expliquéLuc Montagnier. Il a aussimentionné «des agents non

identifiés appartenant à

un monde souterrain»: lesnanobactéries, qui sont cinqfois plus petits que les bac-téries. «Nous ne savons pas

s’ils ont un rôle pathogène,

mais ils peuvent nous être

transmis par l’alimenta-

tion.»

RÉSISTANTSLa plupart des virus

identifiés sont de plus enplus résistants aux antibio-tiques. En outre, selon leprofesseur Montagnier,«certains antibiotiques

utilisés pour les animaux

sont proches de ceux utili-

sés par l’homme. Il faut

donc craindre l’apparition

de résistances croisées».«La résistance est un phé-

nomène génétique, a expli-qué David Heymann. Les

organismes qui sont en

mesure de résister aux

antibiotiques survivent et

retransmettent leur for-

mule aux nouveaux orga-

nismes». À titre d’exemple,il a indiqué que «la tétra-

cycline et la pénicilline

n’ont plus aucun effet

contre la blennorragie afri-

caine» et que «80% des cas

Kikwit (Zaïre), 1995: évacuation de victimes du virus d’Ebola.

© N

AN

LER/S

IPA

PR

ES

S

21No 109 - février 1999

de tuberculose recensés

dans les prisons résistent

à tout médicament».Qu’en est-il des nou-

veaux médicaments? Leurdécouverte a nettementralenti, a noté DavidHeymann. «Depuis les

années 60, aucune nouvelle

classe d’antibiotique n’a

été trouvée.» Les recher-ches «sont extrêmement

coûteuses: il faut 500 mil-

lions de dollars pour décou-

vrir un antibiotique dont

la durée de vie peut être

très limitée... La seule solu-

tion consiste à mieux

employer les antibiotiques.

En effet, c’est leur utilisa-

tion inappropriée qui favo-

rise la résistance.» Tout enprônant la recherche épi-démiologique et appliquéepour mieux comprendre lesmaladies émergentes etréémergentes, David Hey-mann – qui a coordonné lacampagne contre le virusd’Ebola au Zaïre en 1995 –a appelé les gouvernementsà se mettre à la tâche car«nos systèmes de santé

publique ne sont plus

fiables». «Comme pour la

plupart des maladies émer-

gentes, a-t-il ajouté, la

propagation du virus a été

facilitée par des pratiques

médicales antihygiéni-

ques... L’hôpital de Kikwit

ne stérilisait ni aiguilles

ni seringues. Les prati-

ciens, qui ne reconnais-

saient pas la maladie,

n’ont pas songé à se proté-

ger. Ils se sont infectés et

ont transmis la maladie

aux familles.»

PRÉVENTIONLa prévention doit se

faire à tous les niveaux, àcommencer par l’éducation.«Il ne faut pas baisser la

garde», a insisté LucMontagnier. En particulier,«un effort pédagogique

important est nécessaire»pour vaincre le virus dusida. Soulignant que la tri-thérapie ne guérit pas,qu’elle n’est accessible qu’à10% des patients et indis-ponible là où elle est le plusnécessaire – dans les paysen développement –, il aprécisé: «Nous recherchons

des traitements accessibles

à tous les patients en

COMMENT FAIRE ÉCRANÀ LA PÉDOPHILIE?

Des experts réunis à l’UNESCO débattent des moyens

d’assurer l’adhésion de tous – y compris l’industrie informatique – à

la lutte contre la pédophilie.

En quelques minutes,une photo de violences

sexuelles sur un enfant peutêtre transmise via Internetde l’Europe vers l’Amériquedu Nord ou l’Australie. LaToile permet à ceux quiéchangent ce type de docu-ments de se cacher, et lesréseaux renforcent un sen-timent de communautéchez les pédophiles. Mêmesi ces derniers n’ont qu’uneconnaissance informatiqueélémentaire, la pornogra-phie impliquant des enfants

leur est devenue bien plusaccessible qu’auparavant.

Le manque d’harmonisa-tion des législations natio-nales en matière de déten-tion et de diffusion dematériel pornographiquefreine l’action des enquê-teurs, obligés de vérifier sila victime ou l’agresseur relè-vent de leur compétence. Orcette «industrie» ignore lesfrontières. C’est le constatdes experts qui participaientà l’UNESCO, les 18 et 19 jan-vier, à la réunion sur le thème

«Exploitation sexuelle desenfants, pornographie impli-quant des enfants et pédo-philie sur Internet».

Ces dernières années,la transmission de photosd’abus sexuels sur desenfants a suivi une courbeexponentielle. D’aprèsAgnès Fournier de SaintMaur, de la brigade spécia-lisée d’Interpol, les opéra-tions contre des individussuspectés de pédophilieaboutissaient, il y aquelques années, à la

CYBERESPACE

termes de prix et de mode

d’utilisation. Il nous faut

trouver un vaccin; des

pistes solides s’offrent à

nous, mais nous man-

quons de moyens finan-

ciers.»«Au XXIe siècle, a ren-

chéri David Heymann,nous devrons créer de nou-

veaux vaccins sur la base

de nos connaissances

moléculaires. L’enjeu est

à la fois humain et finan-

cier.» Il a aussi préconisé lerenforcement des «sys-

tèmes de veille», sur lemodèle du réseau interna-tional de 83 laboratoires,qui s’emploie à étudier ledéveloppement de lagrippe et qui a permis, en1997, d’identifier la grippedu poulet à Hong Kongavant que celle-ci n’en-traîne de catastrophes.

L’OMS s’efforce de fairepasser le message «qu’il

n’y a pas de développe-

ment sans populations

saines». «Les organisa-

tions internationales, aestimé David Heymann,doivent encourager les

pays industrialisés à

financer des centres dans

des régions en développe-

ment... Mais souvent, les

gouvernements rechignent

à s’engager dans cette

direction.»Pour les deux scienti-

fiques, la bataille doit selivrer sur tous les fronts:recherche, prévention,meilleurs systèmes de santéet de meilleurs niveaux devie. «Même si les actions de

prévention apparaissent

comme primordiales en

Afrique, il faut également

veiller à améliorer pro-

gressivement l’accès aux

médicaments, a conclu LucMontagnier. Pour ce faire,

il est nécessaire de créer

des structures spécialisées

et de procéder à une éléva-

tion générale du niveau

socio-économique. Il s’agit

d’un travail de longue

haleine... Mais, lorsque ces

problèmes seront résolus, il

faut savoir que d’autres

apparaîtront. Cette évolu-

tion est inéluctable, car

notre monde vit et évolue

sans cesse.» ●

Cynthia Guttman

découverte de plusieursvidéos et magazines. L’andernier, lors de l’«opérationcathédrale» qui a entraînél’arrestation de 96 per-sonnes dans 12 pays, on adécouvert, pour les États-Unis seulement, 500.000images stockées sur ordina-teur. Rachel O’Connell, duCollège universitaire de Cork(Irlande), a recensé, au coursde deux semaines de janvier1998, l’envoi de plus de 6.000images pornographiquescomportant des enfants à

22 février 1999 - N° 109

plusieurs dizaines degroupes de discussion à par-tir d’un seul serveur.

L’augmentation de la cir-culation d’informations etd’images pédophiles suitcelle des abonnements àInternet. Selon Perry Aftab,juriste international spécia-lisé dans le cyberespace, onrecense quelque 72 millions

d’internautes rien qu’auxÉtats-Unis. Tous les expertsestiment que, d’ici 10 ans,90% de la population despays développés aurontaccès à Internet, grâce àl’école notamment.

Pour les participants, latechnologie alimente l’ex-ploitation des enfants à desfins commerciales. Et passeulement l’accès auximages pornographiques:l’information sur le tourismesexuel aussi. «Internet est le

plus grand panneau publi-

citaire du monde, souligneOfelia Calcetas-Santos, rap-porteuse spéciale desNations Unies sur la vente,la prostitution et la porno-graphie impliquant desenfants. On trouve des sites

fournissant des catalogues

d’enfants, leur nationalité

et les endroits où les trou-

ver. Les pédophiles n’ont

pas besoin d’acheter des

espaces publicitaires: ils

touchent le monde entier et

c’est gratuit.»Certains pays ont adopté

des lois extraterritorialesleur permettant de pour-suivre les touristes sexuelset les auteurs de sévices surdes enfants à l’étranger.Mais, comme le fait

observer Pierre Dionne,directeur général duBureau international desdroits de l’enfant, seuls huitdes 20 pays concernés ontentamé des poursuites etobtenu des condamnations.

Un facteur compliqueencore la chasse à l’échan-ge d’images: leur origine.Comme le note AgnèsFournier de Saint Maur, ungrand nombre d’images sai-sies lors de l’«opérationcathédrale» étaient desdoubles, d’autres remon-taient à 15 ou 20 ans.D’après Rachel O’Connell,certaines des plus récentesmontrent des enfants d’ori-gine asiatique ou s’accom-pagnent d’un texte indi-quant qu’elles viennent duJapon. Ce pays ne recon-naît pas comme un délit lapossession ou la diffusionde matériel pornogra-phique impliquant desenfants. Résultat: de nom-breux sites pédophiles ysont domiciliés, quel quesoit le pays d’origine duproducteur. Perry Aftabrelève que 45% de la por-nographie enfantine surInternet vient du Japon etque «la deuxième grande

concentration de sites se

trouve en Russie».

BROUILLAGELes services de police

rencontrent de grosses dif-ficultés à identifier les vic-times. Le brouillage peutrendre l’information indé-chiffrable. Un inspecteurprésent à la conférence ademandé que les créateursde logiciels de brouillagecoopèrent avec la police enlui communiquant leurscodes pour avoir accès àl’information et aboutir àd’éventuelles arrestations.

Agnès Fournier de SaintMaur a vivement critiqué lemanque d’enthousiasme del’industrie informatique àcollaborer. «Qu’elle cesse

de faire semblant! Si elle ne

devient pas partie pre-

nante dans la protection

des enfants, le système

judiciaire pourrait bien le

faire à sa place.»

Les défenseurs de cetteindustrie se disent favo-rables à l’autorégulation etcelle-ci affirme travaillerdéjà largement avec lapolice. «Jusqu’où va le droit

d’ingérence?, s’est interrogéMark Hecht, du groupecanadien Droits de l’hommeet Internet. Équilibrer bien-

faits et méfaits potentiels

de la liberté de l’informa-

tion dans le contexte des

préoccupations à l’échelle

de la planète en matière de

pédophilie exige des garde-

fous afin que ni les inté-

rêts individuels ni ceux de

la société ne s’exercent aux

dépens les uns des autres.»Tous les experts s’ac-

cordent à dire que la majo-rité des pédophiles se

POINT DE VUE D’UNE ONG●●● Interview de Nigel Williams, directeur de ChildnetInternational, une organisation à but non lucratif qui poursuit desrecherches sur la protection des enfants utilisant Internet.

Comment utiliser Internet pour lutter contre l’exploitationsexuelle des enfants?N. W.: Les internautes qui tombent sur de la pornographie enfantinedevraient en informer directement la police ou des centres d’appel dontles numéros se trouvent sur notre site (www.childnet-int.org). Il fautaussi, bien sûr, que la police y donne suite. Et c’est là qu’intervient latechnologie en permettant de retrouver l’origine des documents et lenom du serveur.

La représentante d’Interpol à la conférence a accusé lesserveurs informatiques de faire preuve de mauvaise volonté...N. W.: Aux États-Unis, cette industrie a déclaré la guerre à lapornographie enfantine en décembre 1997. Mais on y dénombre 4.000serveurs dont beaucoup sont modestes et se méfient d’unecollaboration avec la police.

Comment la police peut-elle rivaliser sur Internet avec cesgroupes à la technologie hautement sophistiquée?N. W.: Elle doit pouvoir disposer de policiers formés à l’informatique etspécialisés dans ce type de délits. Il faut que les différents acteurscoopèrent, mais les services de police ne fonctionnent pas tous de lamême manière. La société civile, les centres d’appel peuvent apporterleur contribution en fournissant des informations. Et que dire de lasécurité des enfants? Les pédophiles utilisent Internet pourcommuniquer entre eux et contacter directement les enfants, bavarderavec eux en ligne, parfois par courrier électronique. On a vu des cas derendez-vous proposés par des pédophiles aux enfants...

Mais ne s’agit-il pas d’un problème touchant une minorité? Laplupart des enfants du monde n’ont pas accès à Internet.N. W.: L’histoire démontre que les problèmes qui surgissent en un pointdu globe se propagent. Dans bien des communautés, les enfants serontles premiers à avoir accès à Internet grâce à l’école. Il faut donc mettreen place des stratégies de sécurité pour les protéger.

Propos recueillis par A.-L. M.

© S

YLL

EP

SE

trouvent dans l’entourageimmédiat de l’enfant vic-time. Ainsi, aucune com-munauté n’en est à l’abri.Dès lors, pour reprendre lesmots d’Elisabeth Auclaire,de la Ligue des droits del’homme, «pourquoi ne pas

se servir d’Internet pour

contrer l’éventuelle in-

fluence [des réseaux pédo-philes] par une informa-

tion en direction des

familles sur les précau-

tions à prendre lorsqu’on

navigue sur une autoroute

où fourmillent les incon-

nus?». Et surtout, ne jamaisoublier que derrière chaqueimage il y a une victime:l’enfant. ●

Ann-Louise Martin

Les femmes afghanes avaient obtenu des

droits. L’arrivée des Tâlebân les renvoie au Moyen Âge.

LE DEUXIÈME SEXEAFGHAN

FEMMES

23No 109 - février 1999

Des ombres. Elles foulentla poussière d’un pas

rapide. Frôlent les murs deterre avant de se glisser sousles portiques. Bleues, grises,anonymes sous leurs tchâ-

deris, elles se transformenten couleurs une fois dans lamaison. Femmes. Jamais,en Afghanistan, elles n’ontété considérées commeégales aux hommes. Maiselles avaient réussi à faireévoluer les mentalités.

L’adultère et le volétaient punis, mais pas avecles méthodes des Tâlebân:ni lapidations des couples,ni mains de voleurs coupéesen public comme aujour-d’hui. Formés au Pakistan,dans les écoles coraniques,les madrassas, issus descampagnes pashtounes dusud, les Tâlebân se sontattachés à l’application dela loi islamique. Leur prisede pouvoir a tout faitbasculer. En quelques an-nées, les efforts pour donneraux femmes des droitslégitimes auraient-ils étéanéantis? C’est la questionque posait le colloque – tenuà l’UNESCO le 11 décembre1998 – sur «La femme af-

ghane à travers l’histoire

de l’Afghanistan», organiséavec le CEREDAF (Centre

de recherches et d’étudesdocumentaires sur l’Afgha-nistan) et l’AFAO (Asso-ciation française des amisde l’Orient).

Car les droits de lafemme en Afghanistan com-mencent à émerger au débutdu XXe siècle. Les gouver-nements «dirigés par des

hommes, se sont attachés à

préparer les femmes à jouer

un rôle actif, explique NancyHatch-Dupree, responsabledu centre d’informationARIC, car ils y voyaient un

facteur du développement

national.» L’enseignementprimaire leur est accordé en1931 et le port du voileannulé en 1959. Dans lesannées 70, l’Universitéassiste à un défilé de mini-jupes et de jeans. Des mil-liers de femmes sont em-ployées dans l’administra-tion, la santé, l’éducation.Certaines sont élues auParlement.

Cependant, les couchestraditionnelles, majoritairesdans les campagnes (80% dela population), défendentl’idée que l’honneur du peupled’Afghanistan est constituépar l’honneur de ses femmes,donc la domination del’homme. Là, les islamistesdénoncent l’absence de

morale, agressent desfemmes habillées à l’occi-dentale. Le fossé entre lesvilles modernes et les cam-pagnes traditionnelles s’ac-centue par le développementinégal de l’éducation.

Avec l’arrivée des com-munistes, les mœurs se libé-ralisent encore plus vite enville. «Ils n’ont pas compris

qu’en Afghanistan, les

méthodes sont plus impor-

tantes que l’objectif final»,explique MehrabodineMasstan, délégué perma-nent d’Afghanistan àl’UNESCO, opposé auxTâlebân. Au même moment,les rues de Kaboul se rem-plissent de tchâderis: desfemmes de la campagneaffluent à Kaboul pouréchapper à la guerre.

Lorsque les comman-dants de la résistanceafghane entrent dansKaboul en 1992,«la victoire

pour les hommes est, selonCarol Le Duc, consultanteauprès de l’ONU au Pa-kistan, le début d’un nouvel

âge d’oppression pour les

femmes: elles sont violées,

mutilées, assassinées».Leur déshonneur incarne ledegré alarmant du désordrede la société. Et expliqueque l’arrivée des Tâlebân ait

été, du moins par certainesfranges de la population, fortbien perçue.

À la campagne, la vie desfemmes n’a guère changé.Certaines continuent mêmeà travailler pour des ONG àpartir de chez elles. Parcontre, à Kaboul, lesTâlebân ont réussi à nier laprésence féminine dans l’es-pace public. Elles ne peu-vent plus travailler, ni allerà l’école, ni parler auxhommes (hors famille).Elles se déplacent sous letchâderi, doivent porter deschaussettes. Un pas de tra-vers et c’est le châtimentcorporel, voire la mort.

CONDAMNÉES À MENDIER

Les conséquences éco-nomiques sont désastreuses:les veuves (40.000 à Kaboul),les célibataires et «celles

mariées à des hommes inva-

lides ont peu de moyens de

survie: certaines cuisinent

des plats que leurs fils ven-

dent dans la rue, d’autres

n’ont que la mendicité, une

activité inconnue jusque-là

en Afghanistan», poursuitCarol Le Duc. De plus, seulesles femmes peuvent soignerdes femmes. Dans un paysoù 1.700 mères sur 100.000meurent en mettant unenfant au monde, c’est ledroit à la vie qui leur est nié.

Les femmes formaient70% des enseignants et lesécoles de garçons se sontretrouvées avec une pénuriede professeurs, entassés à80 par classe. Seuls les plusfortunés peuvent suivre.«Même si des écoles clan-

destines fonctionnent ça et

là, elles ne pourront jamais

être suffisantes pour pré-

parer la jeunesse à l’ave-

nir, assure MehrabodineMasstan. C’est toute une

génération que l’on con-

damne à l’ignorance». ●

C. L.

© V

. MA

RIG

O

«Je veux traverser le villageà visage découvertet chevelure au vent»(Landay, poème chanté par les femmes de l’ethniepashtoune).

calendrier de l’UNESCO

Prochains dossiers:

SEXUALITÉ ET SANTÉ:LE DROIT DE SAVOIR

ÉTHIQUE DES SCIENCES

17 mars DONNER CRÉDIT AUX FEMMESAu Siège, une journée d’échanges entre experts pour promouvoir en Amérique latine le microcrédit, qui intéresse surtout les femmes.

du 22 au 24 mars RADIOS ACTIVESAu Siège, un Forum international pour les praticiens de la radio interactive marquera le 25e anniversaire du premier programme éducatif radiophonique lancé par l’UNESCO.

du 23 au 24 mars L’INTÉGRISME À L’ÉCOLEEn Europe, comment faire échec aux radicalismes religieux à l’école? Des acteurs de terrain viennent au Siège apporter leurs témoignages.

du 23 au 26 mars LA COMMUNICATION ET NOUSLe Conseil intergouvernemental du Programme international pour le développement de la communication se réunira autour du thème «Communication et société civile».

du 29 au 31 mars ÉNERGIES DOUCES EN AFRIQUEÀ Harare (Zimbabwe), un Forum destiné à sensibiliser investisseurs et milieux d’affaires au potentiel des énergies renouvelables en Afrique.

du 9 au 10 avril UN SIÈCLE SCIENTIFIQUEScience et démocratie, science et société sont parmi les thèmes qui seront débattus au Siège lors d’un colloque réunissant Prix Nobel et penseurs.

du 10 au 13 avril AFRIQUE: L’HISTOIRE À RACONTERL’importante Histoire générale de l’Afrique est publiée: au Siège, la réunion finale du projet étudiera comment diffuser dans les écoles et vulgariser cette somme de connaissances.

du 12 au 15 avril RIVAGES MARINSÀ Accra (Ghana), dans le cadre du Système mondial d’observation des océans, un panel sur les zones côtières.