relatif aux enjeux des nouvelles normes comp tables

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N 1508 ______ ASSEMBLE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 TREIZIME LGISLATURE Enregistr la Prsidence de l'Assemble nationale le 10 mars 2009 RAPPORT DINFORMATION DPOS en application de larticle 145 du Rglement PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE LCONOMIE GNRALE ET DU PLAN relatif aux enjeux des nouvelles normes comptables ET PRSENT par MM. Dominique Baert et Gal Yanno Dputs. INTRODUCTION 5I. LES NOUVELLES NORMES COMPTABLES : UN CHOIX POLITIQUE DLGU DES EXPERTS 9 A. LES IFRS : DES NORMES COMPTABLES INTERNATIONALES DESTINES LINFORMATION FINANCIRE DES INVESTISSEURS 9

1. Une laboration internationale 9

a) La dlgation un organisme supranational 9 b) Le choix des normes IFRS par lUnion europenne 15 2. Des normes comptables qui privilgient les investisseurs mais dont linterprtation est source de difficults 22 a) Des normes dinspiration anglo-saxonne qui rompent avec la tradition comptable franaise 22 b) Les difficults de linterprtation 30B. LE CHOIX FRANAIS DUNE CONVERGENCE SOCIAUX VERS LES NORMES IFRS 34 DES COMPTES

1. La France a choisi de ne pas appliquer les normes IFRS aux comptes sociaux 34 a) Un dispositif de normalisation comptable en voie de rforme 34 b) Une application des normes IFRS limite aux comptes consolids des entreprises faisant appel public lpargne 39 2. La modernisation du Plan comptable gnral 48 a) La modernisation du PCG 48 b) Une convergence qui ne va pas de soi 51II. AU DEL DES ENTREPRISES, DES CONSQUENCES POUR LCONOMIE TOUT ENTIRE 55 A. LES CONSQUENCES DES NORMES IFRS 55

1. La comptabilit nest pas neutre pour les entreprises 55 a) Des consquences significatives sur les capitaux propres, lendettement et le rsultat net des entreprises 55 b) Les consquences en termes de gestion des entreprises 66 2. Le rle des normes comptables dans la crise financire 68 a) Un rle procyclique 68 b) Les consquences de la crise financire sur les normes comptables 74B. LES CONSQUENCES COMPTABLE GENERAL 80 DE LA MODERNISATION DU PLAN

1. Les difficults des entreprises appliquer les nouvelles normes comptables 80 a) Des normes comptables nouvelles, imprcises et complexes 80 b) Linscurit juridique 84

2. Limpact fiscal des nouvelles normes comptables 89 a) Le principe de la connexion entre comptabilit et fiscalit 89 b) Limpact fiscal des nouvelles normes comptables 92III. LA MODERNISATION DES NORMES COMPTABLES : ENTRE PRUDENCE ET NEUTRALIT 100 A. MODERNISER AVEC PRUDENCE 100

1. Surveiller le processus de normalisation comptable internationale 100 a) Renforcer le contrle sur lIASB/IASC 100 b) Surveiller les normes venir 111 2. Rformer prudemment les normes comptables franaises 119 a) Faire une pause dans la modernisation du PCG 119 b) Le cas des PME 122B. NEUTRALISER LES INCIDENCES NORMES COMPTABLES 128 FISCALES DES NOUVELLES

1. Maintenir la connexion entre la comptabilit et la fiscalit 128 a) Un choix raisonnable 128 b) Les consquences fiscales de la poursuite de la convergence 131 2. La neutralisation ncessaire des incidences fiscales des nouvelles normes comptables : jusqu la dconnexion ? 133 a) La neutralisation des consquences fiscales des nouvelles normes 133 b) La dconnexion entre fiscalit et comptabilit : une perspective invitable ? 138 CONCLUSION 145 PROPOSITIONS DE LA MISSION DINFORMATION 147 EXAMEN EN COMMISSION 151 LISTE DES PERSONNES AUDITIONNES 163 INTRODUCTION La comptabilit est une science, une norme, et peut tre mme, un art. Science, parce quelle se prsente, selon les termes de larticle 120-1 du Plan comptable gnral, comme un systme dorganisation de linformation financire permettant de saisir, classer, enregistrer des donnes de base chiffres et prsenter des tats refltant une image fidle du patrimoine, de la situation financire et du rsultat de lentit la date de clture .

Selon une formule ancienne et encore juste, la comptabilit est donc lalgbre du droit , qui synthtise lensemble des droits et obligations dune entit et des oprations quelle ralise en un bilan, un rsultat et un tableau des flux de trsorerie. Cette entit, cest lentreprise, un objet qu linstar de toute science, la comptabilit dfinit, construit et modlise, afin de fournir des informations pertinentes et fiables sur sa valeur, sa performance et ses perspectives. Ces informations forment un langage, le langage de la vie conomique que parlent les dirigeants, mais galement les actionnaires, les cranciers (et derrire eux les autorits de surveillance prudentielle), ltat dans ses diffrentes fonctions (notamment fiscales et statistiques) et, finalement, lensemble des partenaires de lentreprise (salaris, fournisseurs, clients). Comme le droit dont elle constitue lune des branches autonomes, la comptabilit est galement un ensemble de conventions uniformisant les pratiques comptables dun pays et, de fait, intimement lies aux grandes volutions politiques, conomiques et sociales de celuici. Loin de ntre quune science, la comptabilit est aussi une norme. Or, une norme nest jamais neutre ; elle porte en elle un jugement de valeur, et le choix qui doit tre fait entre telle ou telle norme comptable parce que celle-ci mesure in fine la richesse (celle de lentreprise, de lactionnaire, du pays) emporte avec lui une certaine vision de lentreprise, des rapports conomiques et, au-del, du modle social dun pays. Ce choix est donc politique et ltat ne peut se dsintresser de la comptabilit, lorientant avec plus ou moins de vigueur et de discernement mais toujours en concertation avec ses autres utilisateurs qui, eux aussi, cherchent linfluencer. Aussi y a-t-il autant dimages fidles de lentreprise que de rfrentiels comptables et plus dune se croyant pare des plus beaux atours sest retrouve (1) nue en passant de lun lautre . Car lentreprise nexiste pas en soi, ce nest pas un objet rel mais un artefact construit par la comptabilit ; le caractre scientifique de celle-ci, avec ses corollaires duniversalit, de neutralit et dobjectivit, sil est en partie fond, semble moins vident que son caractre politique, artificiel et provisoire. Enfin, la comptabilit est un art et le comptable un artiste qui, fort de sa matrise dune discipline complexe et mouvante, parfois mystrieuse, est mme den rvler toutes les possibilits, jusquaux plus inattendues. Mais qui dit art dit artifice, et les jeux dcritures comptables peuvent avoir, pour le profane, (2) lapparence dune illusion dnue de toute porte relle . La comptabilit, manipule par des comptables virtuoses, complexifie au-del du raisonnable par labondance de rgles absconses, peut ainsi cesser de se rfrer des objets rels, pour ntre plus quun instrument docile entre leurs mains. Car la matrise dun art emporte toujours la possibilit de la transgression. Mais si celle-ci, dans lart, reste de lart sous une forme nouvelle, dans le domaine comptable, la transgression est un dlit dont les consquences, au-del de la seule entreprise victime, peuvent frapper lconomie toute entire. De lart lartifice, les normes comptables peuvent parfois se rvler malfiques. Enron ! Cest par la faillite en 2001 de cette entreprise de courtage en nergie, la plus grande de lhistoire amricaine (du moins, jusquen 2008) et la premire dune longue srie de scandales comptables incluant des groupes aussi prestigieux que Worldcom, Parmalat, Vivendi et Arthur Andersen, que la comptabilit sest retrouve, pour la premire fois, en pleine lumire, hors du cercle restreint dans lequel elle a toujours t confine. Limportance des normes comptables a ainsi t porte la connaissance de lopinion qui a pu dcouvrir que celles-ci ne sont pas quun ennuyeux jeu de chiffres dnu de toute porte, une science abstraite et neutre rvlant une ralit prexistante. Elle peut aussi mentir et de ses mensonges, il rsulte des faillites, des licenciements et des crises financires, minant ce que le systme conomique a de plus prcieux et sans lequel il ne peut fonctionner : la confiance. En effet, sans normes comptables fiables, unanimement reconnues pour leur qualit, il ny a pas dinvestissement possible et, dans une conomie domine par les marchs financiers, cest lensemble des entreprises qui pourraient se retrouver paralyses, faute de trouver les capitaux ncessaires leur dveloppement. Au tournant des annes 2000, lurgence tait de rtablir la confiance dans les normes comptables. Alors que les Amricains votaient la loi Sarbanes-Oxley et tentaient de moraliser la profession comptable, discrdite par la

condamnation dArthur Andersen dans le scandale Enron, lUnion europenne a rendu er obligatoires, compter du 1 janvier 2005, les normes IFRS (International Financial Reporting Standards) pour ltablissement des comptes consolids des socits faisant appel public lpargne. Pourtant, on aurait tort de voir dans cette dcision la seule consquence des scandales comptables, bien que des groupes europens aient eux aussi manipul leurs comptes. En effet, dans lUnion europenne, contrairement aux tats-Unis, cohabitaient quinze rfrentiels comptables, plus ou moins fiables, que lachvement du march unique avec leuro obligeait harmoniser, afin que les comptes des entreprises soient comparables et que la circulation des capitaux dans ce march et les dcisions dinvestissement soient optimales. Or, malgr des efforts constants, la Commission na jamais pu convaincre les tats-membres daller plus loin quune harmonisation a minima, impropre satisfaire tant les investisseurs que les entreprises qui, sous la pression de ceux-ci, se voyaient de plus en plus contraintes dadopter les normes comptables amricaines (US GAAP). En effet, malgr leurs imperfections mises en vidence par le scandale Enron, ces dernires apparaissaient comme les seules normes comptables internationalement reconnues. Pour sortir de limpasse o les tats-membres lavaient mise, lUnion europenne navait plus dautre choix que dadopter le rfrentiel IFRS, unique alternative crdible ladoption pure et simple des US GAAP. Par une singulire ruse de lHistoire, les tats europens, crisps sur leur souverainet au point dempcher que soient labores de vritables normes comptables europennes, se sont rsolus lunanimit, et dans une indiffrence quasi-gnrale abandonner leur pouvoir de normalisation comptable un organisme international priv absolument inconnu en dehors dun petit cercle dinitis, lIASB (International Accounting Standards Board) sur lequel ils nont aucun contrle. Cependant, une telle rvolution comptable double dun aussi considrable abandon de souverainet ne pouvait rester sans raction, tant des entreprises que des politiques et la comptabilit, nouveau, fit la une des journaux dans une atmosphre de scandale. Alors que er lchance du 1 janvier 2005 approchait, les entreprises, en particulier les banques et les compagnies dassurances, ont dcouvert lampleur des consquences quauraient ces normes sur leur activit et attir lattention des politiques sur celles-ci. Le Prsident Jacques Chirac, dans une lettre adresse en 2003 au Prsident de la Commission europenne Romano Prodi, a ainsi rappel lvidence que les enjeux des rgles comptables vont bien au-del de la comptabilit. En vhiculant une vision anglo-saxonne de lentreprise oriente vers les investisseurs et les marchs financiers, les normes IFRS constituent un changement de paradigme dont il convient de saisir prcisment les enjeux politiques, conomiques et sociaux. De plus, si les normes IFRS ne sont obligatoires dans lUnion europenne que pour les comptes consolids des socits faisant appel public lpargne, c'est--dire environ 7 000 groupes en Europe dont 1 000 en France, notre pays a choisi de moderniser son Plan comptable gnral (PCG), applicable aux comptes individuels de toutes les socits, en le faisant converger vers les normes IFRS. Cest dire que par le biais de ce processus de convergence, ce sont des millions dentreprises qui ont vu leur environnement comptable changer considrablement, avec toutes les difficults quimplique un tel changement, non seulement dans la pratique comptable mais galement en matire fiscale puisque, dans notre pays, cest la comptabilit qui dtermine lassiette de limposition des socits. Or, a-t-on jamais vu un quelconque dbat sur ce processus de convergence (ou de modernisation) ? Plus encore que ladoption des normes IFRS par lUnion europenne, celuici sest droul dans le secret denceintes administratives, sans intervention du politique, alors mme que ces nouvelles normes comptables conditionnent, entre autres, lassiette de limposition des entreprises quil appartient au Parlement de fixer en application de larticle 34 de la Constitution. Ainsi, le projet de loi ratifiant lordonnance n 2004-1382 du 20 dcembre 2004 portant adaptation de dispositions lgislatives relatives la comptabilit des entreprises aux dispositions communautaires dans le domaine de la rglementation comptable, dpos le

17 mars 2005 ordonnance fondamentale qui a transpos en droit franais le rglement (CE) n 2002/1606 rendant obligatoires les normes IFRS pour ltablissement des comptes consolids des socits faisant appel public lpargne na jamais t examin par (3) lAssemble nationale . Alors que la comptabilit, depuis la crise financire de lt 2007, est nouveau et pour la troisime fois, mise au banc des accuss, il tait donc urgent de rintroduire le politique dans une matire comptable qui repose de plus en plus, au plan national comme au plan international, sur lexpertise des professionnels et dclairer le Parlement sur les rapports troits entre la comptabilit et la fiscalit. Cest dautant plus urgent quau-del de la seule crise financire, les sujets comptables se sont multiplis ces dernires annes. De la convergence des normes IFRS vers les US GAAP au projet dassiette commune consolide de limpt sur les socits (ACCIS), de la cration de lAutorit des normes comptables (ANC) la rforme de lIASB, nombreuses sont les dcisions qui, dans les annes qui viennent, affecteront directement les entreprises et, au-del, lconomie toute entire. Cest pourquoi la mission dinformation, par le prsent rapport, entend veiller lattention des politiques et des citoyens sur les enjeux des nouvelles normes comptables et, par les trente propositions quelle y formule, participer aux dbats actuels en matire comptable et fiscale, tant au niveau national quau niveau europen ou international. I. LES NOUVELLES NORMES COMPTABLES : UN CHOIX POLITIQUE DLGU DES EXPERTS A. LES IFRS : DES NORMES COMPTABLES INTERNATIONALES DESTINES LINFORMATION FINANCIRE DES INVESTISSEURS 1. Une laboration internationale a) La dlgation un organisme supranational La ncessit de nouvelles normes comptables Il nest gure ncessaire de rappeler les changements considrables qua connus lconomie mondiale depuis les annes soixante-dix. Les conomies fermes de laprs-guerre, dans lesquelles les socits se limitaient leur march national, trouvant dans les banques le financement suffisant leur dveloppement, ont laiss place en un march global, o les changes sont mondialiss et o les entreprises, devenues multinationales, se financent auprs de marchs financiers. Or, ceux-ci, au-del de la nationalit, du caractre ou du talent des grants de portefeuille, traders et autres analystes qui les incarnent physiquement, ne poursuivent quun unique objectif : atteindre le rendement maximum en limitant le risque au minimum. cette fin, les investisseurs se doivent de disposer dune information comptable de qualit, qui puisse tre intelligible et comparable et, plus que par le pass, rapproche des indicateurs de gestion servant directement mesurer lactivit de lentreprise, ses rsultats et ses perspectives. Cest cette seule condition que les dcisions dinvestissement seront prises rationnellement et que lefficience et la transparence des marchs financiers seront assures. Cest donc le dveloppement de ces derniers qui a fait ressentir le besoin de normes comptables internationales, et, par voie de consquence, a dfini le champ dapplication de celles-ci : les entreprises multinationales qui se financent par appel public lpargne (via des actions, des obligations et autres instruments financiers). Or, force est de constater que la globalisation de lconomie ne sest pas accompagne dune harmonisation des rfrentiels comptables nationaux qui, pour la plupart, ont continu coexister et sappliquer aux entreprises relevant de leur champ dapplication. De plus, ces rfrentiels ont volu, mais insuffisamment pour prendre en compte les transformations de lconomie, notamment la sophistication croissante des oprations et des instruments

financiers. Les rgles comptables ntaient plus capables de donner une image fidle de lentreprise, ouvrant la voie des abus (pilotage des rsultats au moyen de provisions excessives, gestion discrtionnaire des plus-values latentes, montages dconsolidants abusifs, engagements de retraite non provisionns,). la multiplicit des rfrentiels comptables sest donc ajoute leur inadaptation aux conditions de la vie conomique moderne. La prise de conscience de la contradiction, potentiellement trs dangereuse, entre la mondialisation de lconomie, les innovations financires et la fragmentation de rfrentiels comptables par ailleurs largement dpasss est donc antrieure aux scandales des annes 2000. Or, cette contradiction na pas t sans poser de graves problmes aux entreprises. Ds lors quelles levaient ou dsiraient lever des capitaux dans un ou plusieurs pays, elles devaient prsenter leurs comptes dans le ou les rfrentiels nationaux applicables. La disparit de ceux-ci tait, au mieux, un cot, au pire, une source de confusion dans la stratgie de communication. Pour les investisseurs, ctait un facteur dopacit qui fragilisait les dcisions dinvestissement. Dans ces conditions, et en raison de la puissance des investisseurs amricains, le choix sest souvent impos de prsenter des comptes selon les normes amricaines qui, jusqu la fin du sicle dernier, ont de facto t les normes comptables applicables aux entreprises dsirant lever des capitaux sur les marchs internationaux. En effet, les normes amricaines bnficiaient datouts trs importants. Le premier dentre eux tait le rgulateur de march amricain la SEC (Securities and Exchange Commission). Celle-ci, estimant que seuls les US GAAP taient susceptibles de garantir les intrts des investisseurs amricains, imposait aux entreprises souhaitant lever des capitaux auprs de ceux-ci de rconcilier leurs tats financiers avec les normes amricaines. Autres avantages : lanciennet de la normalisation comptable amricaine, et le prestige dont jouissait le normalisateur amricain. Enfin, de nombreuses entreprises internationales avaient dores et dj adopt les normes amricaines. Cependant, les scandales intervenus au tournant des annes 2000 (Enron, Worldcom, Andersen Consulting), qui ont branl la sphre financire amricaine, ont galement mis en vidence les failles du systme comptable amricain avec des possibilits de fraude, une insuffisance des contrles et, dans une certaine mesure, une inadaptation des rgles (4) comptables elles-mmes . En effet, le scandale Enron pour ne citer que lui nest pas seulement une entreprise de fraude et de dissimulation ingale, au service de dirigeants prdateurs ; il marque galement la dcouverte que lvolution des normes comptables, de linformation et de la rgulation financire na pas suivi linnovation financire et la gestion des entreprises modernes. Le caractre trs dtaill des US GAAP, qui reposent sur un canevas de prescriptions et dinterdits et non sur des principes gnraux comme le droit comptable franais ou les IFRS, avait t mis en avant par leurs dfenseurs comme un gage de fiabilit. Cependant, pour pointilleuses quelles soient, et peut-tre cause de ces mmes caractristiques, ces normes nen ont pas moins t dvoyes par des praticiens malicieux, au point de jeter un doute sur la qualit de linformation financire fournie par lensemble des socits cotes. Le scandale Enron Alors que lensemble des analystes financiers, des auditeurs et des banquiers daffaires la considrait comme un modle de russite et de sant financire, la socit Enron, numro un mondial du courtage en nergie, sest dclare en faillite le 2 dcembre 2001 entranant dans son sillage une profonde remise en cause du mode de fonctionnement du capitalisme anglosaxon. Parmi les nombreuses causes de la faillite dEnron, la plus importante de lhistoire conomique amricaine, plusieurs relvent des malversations classiques. De nombreuses

dpenses ont par exemple t enregistres comme des investissements afin de rduire les pertes et certains actifs ont t rvalus artificiellement. La particularit de l'affaire Enron rside cependant dans lampleur de lexploitation de pratiques comptables lgales afin dapparatre pour une entreprise performante, alors mme que saccumulaient des pertes colossales, et ce, en dpit de tous les dispositifs de surveillance censs assurer la crdibilit de linformation financire et comptable. De fait, Enron, pour camoufler des investissements dficitaires ou peu rentables, a cr des structures financires appeles special purposes entities (SPE) qui peuvent ne pas tre consolides au bilan. Si Enron a recouru de manire particulirement opaque ces SPE, cet instrument est utilis couramment par les entreprises amricaines pour amnager leur bilan et constitue donc un moyen ais doptimisation de leurs rsultats. La prsentation de comptes pro forma, cest--dire de comptes rajusts en fonction du primtre retenu de lentreprise, fait galement partie de ces pratiques, certes lgales, mais qui participent au manque de transparence de linformation sur les rsultats des entreprises. Lautre dfaillance majeure mise en vidence par laffaire Enron est celle de lensemble de la chane de linformation financire. En effet, le cabinet Arthur Andersen a certifi des comptes manifestement falsifis peut-tre pour prserver ses activits de conseil auprs dEnron. Cette confusion des genres lui a valu une condamnation judiciaire qui sest solde par la disparition pure et simple du cabinet. Au-del des auditeurs, les banques daffaires sont galement impliques dans laffaire Enron car elles ont particip de fait lingnierie financire utilise par le courtier en nergie. De peur de perdre un client et leurs intrts dj investis, elles ont prfr se taire, voire mme conseiller lachat des titres Enron par lintermdiaire de leurs analystes financiers, profession elle aussi srieusement discrdite par le scandale. Plus gnralement, les comptables et les agences de notation nont pas su lire dans les comptes dEnron les fuites massives de dettes vers les SPE, alors que certains transferts ou profits raliss, notamment dans les activits financires dEnron, pouvaient apparatre douteux la seule lecture du rapport dactivit de lentreprise ( condition toutefois de lire les notes de bas de page). Cest pourquoi la ncessit de nouvelles normes comptables, ne avec le dveloppement des marchs financiers, louverture des conomies nationales et linternationalisation des entreprises, sest encore renforce au tournant des annes 2000, au nom dune triple exigence que les vnements susmentionns avaient illustre : assurer une meilleure comparabilit des comptes des socits faisant appel public lpargne, faciliter laccs de ces mmes entreprises aux marchs financiers internationaux et amliorer la fiabilit des donnes comptables. Cest ces exigences que lIASB et les normes comptables internationales IFRS ont lambition de satisfaire. Le processus dlaboration des normes IAS/IFRS Normes internationales ayant vocation sappliquer lensemble des entreprises, quelle que soit leur forme, leur lieu dimplantation ou leur nationalit, les normes IAS/IFRS sont, trs logiquement, labores par un organisme supranational : lIASB (International Accounting Standards Board Conseil des normes comptables internationales), manation dun autre organisme : lIASC (International Accounting Standards Committee Comit des normes comptables internationales). LIASC est, depuis la rforme intervenue en 2001, une fondation de droit priv amricain, but non lucratif, base aux tats-unis (dans le Delaware) et compose de 22 trustees coopts (5) selon des critres gographiques . Sorte de conseil de surveillance , sans responsabilit excutive, sa triple mission est de collecter des contributions financires provenant des principaux cabinets comptables, dinstitutions financires, dentreprises et dautres organisations internationales et professionnelles, de dsigner les membres des conseils et des comits qui lui sont lis (dont ceux de lIASB) et de contrler le respect des procdures auxquelles ils sont soumis.

Etabli Londres, lIASB est, quant lui, le bras arm de lIASC en matire de normalisation comptable. Compos de quatorze membres dsigns pour leur comptence reconnue en matire comptable, il est charg dlaborer, dans le respect dun due process, les normes IFRS. Sil est prvu un certain quilibre entre experts-comptables, financiers d'entreprise, investisseurs et universitaires, les trustees devant sassurer que lIASB nest domin par aucune partie prenante particulire ou intrt gographique , il faut cependant souligner la (6) forte prsence des membres anglo-saxons et des anciens auditeurs . ces deux organismes sajoute lIFRIC (International Financial Reporting Interpretation Committee), charg de linterprtation des normes IFRS dans lattente de ladoption dune norme dfinitive, et le SAC (Standards Advisory Council), comit consultatif (dont sont membres la Commission europenne ou encore le Fond Montaire International), charg de faire participer au processus de mise en uvre des normes comptables internationales lensemble des parties intresses et de conseiller lIASB et lIASC. Lorganisation institutionnelle de lIASC/IASB se prsente donc sous la forme suivante : STRUCTURE INSTITUTIONNELLE DE LIASB/IASC

Ses moyens humains et matriels (17 millions de livres en 2007, provenant presque exclusivement dentreprises prives) sont mis au service dun seul objectif. Selon le 6 de son Cadre conceptuel, lIASB a pour mission dlaborer, dans lintrt gnral, un jeu unique de normes comptables de haute qualit, comprhensibles et que lon puisse appliquer dans le monde entier, imposant la fourniture dans les tats financiers et autres informations financires, dinformations de haute qualit, transparentes et comparables, de manire aider les diffrents intervenants sur les marchs de capitaux du monde, ainsi que les autres utilisateurs de ces informations dans leur prise de dcisions conomiques . Afin datteindre cet objectif, un processus international de consultation, pralable la publication des normes comptables, le due process , a t mis en place, constitu dtapes de discussion, dtudes et de consultation avec lensemble des parties prenantes la comptabilit. Le processus est lanc par lIASB, partir dun sujet prcis port sa connaissance, soit par ses services, soit par les utilisateurs des normes comptables. Un groupe de travail est alors constitu, charg dtablir un plan de travail. Ces travaux, auxquels participent galement le SAC et toute partie intresse, aboutissent un discussion paper ou document de consultation , adopt par lIASB la majorit simple. Une priode souvre alors pour les commentaires, lissue de laquelle lIASB dcide ou non de poursuivre le processus. Dans ce dernier cas, un exposure draft ou expos-sondage est publi sous la forme dune proposition de norme (ou damendement une norme existante). Une nouvelle priode de commentaire souvre, lissue de laquelle lIASB peut modifier le projet de norme (ou damendement). La norme (ou lamendement), ventuellement rvise, est alors publie. Les

discussions continuent cependant avec les parties prenantes afin dvaluer limpact de celleci. Le processus est retrac dans le schma suivant :

Prsent comme tel, le processus dlaboration des normes IFRS par lIASB semble parfaitement respecter les exigences de transparence et dindpendance que les utilisateurs sont en droit dattendre dans un domaine aussi sensible pour eux que la normalisation comptable. Cependant, les rgles sont ce quelles sont, mais leur mise en pratique peut tre trs diffrente. La rgle, cest une large consultation de lensemble des parties prenantes et lindpendance par rapport celles-ci. Mais en pratique, seules celles dotes des ressources financires et/ou de la comptence technique ncessaires peuvent rellement intervenir dans le due process ; bien qu'elle ne puisse tre prouve, l'influence directe ou indirecte des grands cabinets daudit anglo-saxons sur les travaux de l'IASC/IASB est considrable, ne serait-ce que parce que la majorit des membres de lIASB en sont issus et quils contribuent largement son financement. Quant aux trustees, la Constitution de lIASC impose quau moins deux dentre eux soient des associs des Big Four . Bien que la probit des membres de lIASB/IASC ne puisse tre mise en cause, leur indpendance intellectuelle est ncessairement, bien quinconsciemment, limite par les schmas de pense acquis au cours de leur carrire dans les institutions, les normalisateurs ou les cabinets daudit anglo-saxons. La prdominance dune seule culture comptable peut ainsi conduire sinterroger sur le caractre vritablement international dun organisme que certains ont pu voir comme un instrument (de plus) de lexpansion du modle anglo-saxon de lconomie de march. La prminence des anciens auditeurs au sein de lIASB explique probablement aussi pourquoi les autres parties prenantes, notamment les entreprises, estiment avoir du mal se faire entendre dexperts qualifis dautistes ou dayatollahs de la comptabilit par certaines personnes auditionnes par la mission dinformation. Les dcisions sont ainsi prises sans que quiconque sache rellement quels arguments ont pes dans un sens comme dans lautre, lampleur mme des consultations lances prservant la totale libert de dcision de (7) lIASB . De plus, lIASB comme lIASC se dfient des tats et des pressions quils pourraient exercer sur le processus de normalisation. La Constitution de lIASC sest ainsi attache organiser une stricte indpendance de lIASC/IASB par rapport eux. Certes, des rencontres rgulires sont organises entre les membres du Board, les trustees et les normalisateurs nationaux souvent domins par les tats et dautres organismes officiels (Commission europenne notamment) mais, comme la dclar M. Thomas E. Jones, vice-Prsident de lIASB dans un entretien au journal Le Monde le 30 octobre 2003, il est essentiel que llaboration de telles rgles revienne un organisme indpendant et ne soit pas inspire par le corps politique . LIASB jouit donc, en droit comme en fait, dune libert dans llaboration des normes IFRS qui est sans commune mesure avec celle des organismes nationaux de normalisation, lesquels sont toujours plus ou moins dpendants de ltat, qui fixe au moins le cadre gnral dans (8) lequel s'exerce leur activit .

Certes, llaboration des normes IFRS sinscrit dans un Cadre conceptuel et un due process superviss par des trustees, mais ceux-ci ne peuvent tre considrs comme un garde-fou ou des contre-pouvoirs. Bien au contraire, ils nont pour seule utilit, avec la comptence reconnue des membres de lIASB, que de fonder scientifiquement les normes quils laborent et, par voie de consquence, leur lgitimit. En effet, en tant quorganisme non lu mais investi dune mission dintrt gnral la normalisation comptable internationale il lui faut constamment lgitimer auprs de leurs utilisateurs les normes IFRS. Car cest une chose dlaborer des normes, mme de qualit et lissue dun due process , cen est une autre que de les faire accepter par les utilisateurs, en particulier les tats. Nayant pas le pouvoir dimposer lusage de ses normes, il est dans lintrt de lIASB dapparatre motiv par le seul intrt gnral , protg des interfrences gouvernementales et sappuyant, pour laccomplissement de sa mission, sur le due process et la comptence de ses membres. Cependant, lindpendance, la concertation (relle ou suppose) et la comptence ne peuvent, elles seules, fonder la lgitimit dun organisme tablir les normes comptables applicables aux entreprises des pays dmocratiques. La lgitimit ne peut tre uniquement technico-rationnelle. Car la comptabilit nest pas une science, et les conventions quelle labore sont au cur de la vie financire, conomique et sociale. Il est ainsi paradoxal quune organisation qui labore des normes comptables ne rende des comptes personne ! b) Le choix des normes IFRS par lUnion europenne Labandon de lambition comptable europenne Dun point de vue conomique, la construction europenne repose sur lunification des marchs nationaux et, par consquent, sur la suppression des entraves la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux. Cependant, il serait vain daffirmer la libert de circulation des capitaux sans une harmonisation minimale des rfrentiels comptables des tats-membres, laquelle est indispensable une dcision rationnelle dinvestissement des acteurs conomiques. Ce constat, que lintroduction de leuro (9) en 1999 a encore renforc explique pourquoi la Commission europenne na jamais cess de pousser les tats membres, depuis les annes soixante-dix, harmoniser leurs normes comptables. Deux directives ont ainsi t adoptes, aprs de longues ngociations. La me 4 directive 78/660/CEE, du 25 juillet 1978 a harmonis les dispositions nationales concernant la structure et le contenu des comptes annuels et du rapport de gestion, les modes me d'valuation ainsi que la publicit de ces documents. La 7 directive 83/349/CEE du 13 juin 1983, a fait de mme sagissant des conditions dtablissement des comptes consolids. Le processus dharmonisation comptable europenne entrait donc en concurrence avec les normes labores par lIASC/IASB, qui perdaient ainsi lespoir de les voir appliques en Europe ; cependant, certains ont suggr que cest lIASC lui-mme qui avait t suscit en 1973 par la profession comptable, en particuliers les britanniques refusant la mainmise de lUnion europenne sur leur exercice professionnel, symbolise, deux ans auparavant, par la (10) me publication, du premier projet de 4 directive . Toutefois, ce processus sest rapidement enlis et, ds les annes quatre-vingt, les 4 et me 7 directives sont apparues pour ce quelles sont : le fruit dun laborieux compromis entre des tats-membres jaloux de leurs prrogatives. la multiplication des options ouvertes par les directives se sont ajoutes des traditions comptables nationales trs diffrentes qui ont finalement abouti des pratiques nationales divergentes refltant en ralit labsence de consensus politique et ruinant lobjectif initial dharmonisation. Or, cest prcisment cette poque quest intervenue la drglementation des marchs financiers et leur unification au niveau mondial, linternationalisation des entreprises et la sophistication des outils de gestion (stock-options, rachats dactions propres, informationme

sectorielle, traitement comptable des fusions). Autant de transformations qui appelaient une modernisation et une harmonisation du droit comptable que lUnion europenne, en raison de la rigidit de ses procdures, apparaissait incapable de mener bien. Les entreprises, comme les marchs financiers auprs desquels elles se finanaient de plus en plus, ont estim que les rfrentiels comptables en vigueur en Europe ne leur procuraient pas une information financire suffisante, et en ont tir toutes les consquences. En outre, la SEC imposait aux groupes europens, notamment dans la haute technologie souhaitant lever des capitaux sur les marchs financiers amricains, de prsenter leurs comptes selon les normes amricaines, obligeant ceux-ci une coteuse rconciliation. Des voix se sont alors leves pour que lUnion europenne, incapable de saccorder sur un rfrentiel comptable commun, saligne purement et simplement sur les normes amricaines. Certes, en droit, rien ninterdisait lUnion europenne dadopter les US GAAP. Cependant, une telle dcision aurait pos un vritable problme de souverainet, aux consquences considrables pour les entreprises europennes. Adopter les US GAAP, ctait accepter une emprise de fait des normes amricaines sur la gestion des entreprises europennes, se mettre dans les mains dun normalisateur comptable susceptible de changer ces normes sans se soucier de leurs intrts, dune autorit de march seule habilite interprter et contrler leur bonne application et, enfin, de consultants/auditeurs gnralement affilis un rseau amricain, les seuls ayant une comptence reconnue sur ces normes. Face la menace que reprsentaient les normes comptables amricaines, lIASC/IASB, avec son corpus de normes internationalement reconnu, se prsentait comme la seule alternative crdible. En effet, linvestissement intellectuel et matriel quexigeait la cration dun rfrentiel comptable de qualit comparable aux normes IFRS ou US GAAP est apparu hors de porte. De plus, rouvrir le dbat de la normalisation comptable europenne aurait t revenir aux marchandages qui ont prcd ladoption des directives comptables et aurait, selon toute probabilit, abouti un nouvel chec. En 1995, dans une communication intitule Harmonisation comptable, une nouvelle stratgie vis--vis de lharmonisation internationale , la Commission, prenant acte de limpossibilit de parvenir un consensus entre les tats membres comme de leffort intellectuel, technique et financier considrable fournir pour laborer un rfrentiel comptable de qualit, a dfinitivement renonc crer un organisme de normalisation (11) europen pour soutenir officiellement les travaux mens par lIASB/IASC. Ce faisant, lUnion europenne faisait dune pierre trois coups . Dune part, parce que les normes IFRS ntaient pas europennes mais internationales, il tait possible que les entreprises europennes, lpoque tentes de se faire coter aux tats-Unis, y renoncent. Dautre part, lEurope trouvait dans les normes IFRS, cl en main , le rfrentiel comptable commun quelle tait incapable dlaborer. Enfin, en adoptant celui-ci, elle renforait lIASB/IASC face au normalisateur amricain, contribuant ainsi ce que la normalisation comptable soit rellement un sujet international. Dans sa communication du 13 juin 2000 sur la nouvelle stratgie comptable de lUnion europenne , la Commission a, logiquement, propos une application obligatoire des normes IFRS aux comptes consolids de toutes les socits europennes dont les titres sont admis la ngociation sur un march rglement de lUnion europenne. Un rglement (CE) n 1606/2002 du 19 juillet 2002, adopt lunanimit des tats-membres et avec le soutien du Parlement europen, entrinera cette stratgie. Lchec de la normalisation comptable europenne est un exemple mditer. Alors mme que la structure de lUnion europenne la poussait rechercher un consensus entre ses membres, limpossibilit datteindre celui-ci, en raison de lunanimit requise et du biais souverainiste des tats-membres, a finalement contraint ceux-ci accepter un rfrentiel comptable labor par un organisme international priv sur lequel ils nexercent aucun contrle. La difficult voir merger un rfrentiel comptable issu dautorits nationales ou internationales lgitimes du point de vue dmocratique a, comme

dans dautres domaines, ouvert un espace pour les normalisateurs privs et les approches autorgulatrices qui apparaissent plus efficaces et, paradoxalement, moins attentatoires la souverainet nationale. La reprise des normes IFRS par lUnion europenne Ayant fait le choix dappliquer les normes IFRS, lUnion europenne leur a donn la porte juridique dune loi et, de fait, a confr lIASB une certaine lgitimit au moins technique. Cependant, il ntait pas concevable quelle lui signe un chque en blanc et adopte norme sur norme sans contrle. Cest pourquoi larticle 3 du rglement du 19 juillet 2002 prcit nautorise lapplication des normes IFRS qu la triple condition : quelles ne soient pas contraires au principe dimage fidle ; quelles rpondent lintrt public europen ; quelles satisfassent aux critres dintelligibilit, de pertinence, de fiabilit et de comparabilit exigs de linformation financire ncessaire la prise de dcisions conomiques et lvaluation de la gestion des dirigeants de socits. Les normes IAS/IFRS ne sappliquent donc pas directement dans lUnion europenne. Elles doivent en quelque sorte tre homologues par un rglement de la Commission, lissue dune procdure qui, comme lcrit la Commission europenne, garantit en soi la qualit (12) technique, la lgitimit politique et la pertinence pour les entreprises des normes . La procdure dhomologation des normes IFRS dans lUnion europenne Une fois publies par lIASB, les normes IFRS doivent subir un long processus dhomologation, la fois technique et politique. Organisme de droit priv dont la structure est curieusement semblable celle de lIASB/IASC (avec un comit de surveillance dont les membres sont nomms par les bailleurs de fonds et un comit technique) lEFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) a t cr en 2001 par les prparateurs, les utilisateurs et les membres des professions comptables, avec lappui des normalisateurs nationaux. Laccord du 23 mars 2006 entre la Commission et lEFRAG reconnat la comptence de celuici pour mettre un avis technique des normes et des interprtations, avant leur homologation par la Commission. Cependant, une dcision de la Commission (n 2006/505/CE du 14 juillet 2006) a institu un comit dexamen des avis sur les normes comptables mis par lEFRAG, compos de membres indpendants dont les comptences et lexprience dans le domaine de la comptabilit sont reconnues lchelle communautaire. Le rle de ce comit consiste conseiller la Commission, avant quelle ne prenne une dcision en matire dadoption, sur le caractre quilibr et objectif des avis rendus par lEFRAG . LEFRAG tant un organisme priv, il importait, pour la qualit, la transparence et la crdibilit du processus dadoption, dtablir une instance garantissant lobjectivit de ses avis. Lexamen politique relve de la comptence de lARC (Accounting Regulatory Committee), institu par larticle 6 du rglement n 1606/2002 prcit, compos de reprsentants des tats-membres, il se prononce sur la proposition de la Commission dadopter une ou plusieurs normes IFRS par un vote la majorit qualifie. Enfin, la dcision du Conseil 2006/512/CE du 17 juillet 2006 a modifi les modalits de lexercice des comptences dexcution confies la Commission, notamment en matire de normalisation comptable, et introduit une nouvelle procdure dite de rglementation avec contrle . Cette procdure, adopte la demande du Parlement europen, donne celui-ci ainsi quau Conseil le pouvoir de sopposer ladoption des normes IFRS par la Commission europenne.

Alors seulement les normes IFRS sont traduites dans chacune des langues de lUnion europenne et publies sous la forme dun rglement au Journal officiel des Communauts europennes. En faisant le choix dune homologation ex post, une fois la norme IFRS publie, lUnion europenne se prive de toute possibilit de lamender, se refusant ainsi europaniser un rfrentiel comptable qui, conformment lobjectif de lIASB, a une vocation mondiale. De mme, elle se refuse toute interprtation des normes IFRS. Comme lexplique la Commission europenne dans ses Observations sur certains articles du rglement 1606/2002/CE, publies en novembre 2003, dans un systme fond sur des principes, tel que les IAS, il y a toujours des transactions ou des accords non couverts par des rgles explicites. Dans ces circonstances, les IAS exigent spcifiquement de la direction de la socit quelle exerce son jugement pour dfinir le traitement comptable le plus appropri. [] Le droit national ne peut donc pas, en prescrivant des traitements particuliers, restreindre ou entraver cette obligation dexercice dun jugement de la manire envisage . Par consquent, le rglement IAS tant directement applicable, les tats membres veilleront ne pas essayer de soumettre les socits des dispositions supplmentaires de droit national qui empchent, contredisent ou entravent le respect, par celles-ci, des IAS adoptes en vertu dudit rglement. Loriginalit de la dlgation, par lUnion europenne, de sa souverainet comptable apparat ainsi en pleine lumire. Contrairement aux autres domaines la sant, lenvironnement ou la scurit des personnes dans lesquels la Commission europenne privatise de plus en plus sa production normative, celle-ci ne laisse pas les tats-membres libres dintgrer, de complter, de limiter et dinterprter la soft law ainsi labore par lorganisme priv quest lIASB. Les normes IFRS doivent sappliquer telles quelles dans lUnion europenne ; la comptabilit est ainsi le seul domaine o la totalit de la production normative obligatoire a t dlgue un organisme priv. Bien sr, lUnion europenne sest garde la possibilit de refuser dhomologuer une norme IFRS. Mais dans ce cas, lobjectif de comparabilit internationale des comptes serait mis mal. De plus, la SEC ne dispense, depuis 2007 les entreprises de lobligation de rconcilier leurs comptes avec les US GAAP, qu la condition quelles tablissent ceux-ci selon les normes IFRS telles quelles ont t publies par lIASB et non telles que lUnion europenne les a adoptes, charge pour elles doprer alors les retraitements ncessaires : ces mmes retraitements que les normes IFRS et leur reconnaissance par la SEC avaient pour avantage de supprimer. Les entreprises seraient dailleurs dautant plus enclines le faire (sauf, bien sr, si elles ont elles-mmes fait pression contre lhomologation de la norme voir infra) que dans la mesure o elle nest pas incompatible avec les normes adoptes, [] une norme qui (13) a t rejete par lUnion europenne peut galement tre utilise titre dorientation . Ainsi serait probablement combl le vide laiss par le refus dhomologation dune norme IFRS : par la mme norme, mais applique volontairement par les entreprises Consciente des limites de larme que constitue le refus dhomologation dune norme IFRS, lUnion europenne nen tire pas moins une certaine influence sur lIASB ; en effet, celui-ci ne peut prendre le risque daffaiblir sa lgitimit, celle de son due process et celles de ses normes par un rejet, justifi par des arguments incontestables, dune dentre elles par son principal client . Aussi le Board se doit-il de collaborer troitement avec la Commission et de tenir compte de son avis, quelle a dailleurs de nombreuses occasions dexprimer au cours du due process, directement via le SAC auquel elle sige comme observateur, ou via lEFRAG qui participe aux discussions prliminaires, assiste aux groupes de travail de lIASB et commente documents de consultation et exposs-sondages . Cette procdure dhomologation sest applique pour la premire fois en 2003 dans la er perspective de lapplication des normes IFRS, compter du 1 janvier 2005, aux comptes consolids des entreprises faisant appel public lpargne, conformment au Rglement n 1606/2002 prcit.

Ladoption de ce Rglement, dlguant de fait la souverainet comptable de lUnion europenne un organisme international priv, sest droule dans une indiffrence quasignralise en Europe, sans doute parce quil sagissait dune perspective lointaine et encore incertaine, portant sur une matire complexe et technique dont bien peu avaient saisi limportance. Cependant, lhomologation des normes IFRS lui donnait un contenu concret qui a oblig les entreprises concernes analyser plus prcisment les consquences quentranera pour elles le changement de rfrentiel comptable. Ce sont sans doute les banques qui lauront le plus combattu en obtenant de la Commission europenne quelle refuse dhomologuer les normes qui les concernaient directement, cest--dire les normes IAS 32 Instruments financiers : prsentation et IAS 39 Instruments financiers : comptabilisation (14) et valuation . Les suites de ce refus de lUnion europenne sont rvlatrices des relations ambigus que celle-ci entretient avec lIASB. En effet, celui-ci se trouvait dans une situation dlicate. Sa lgitimit comme normalisateur international repose en grande partie sur son indpendance par rapport toute autorit nationale ou internationale. Aussi ne pouvait-il apparatre comme ayant cd la pression de lune dentre elles et sest-il attach minorer celle-ci. Cest pourquoi, dans son rapport annuel 2003, le Prsident de lIASB, Sir David Tweedie, ne parle que des normes controverses IAS 32 et IAS 39 sans dire pourquoi elles le sont ni par qui, et noyant la rvision de celles-ci avec celle de quatorze autres normes. Car si ces normes IAS 32 et IAS 39 ont t rvises, lUnion europenne na pas eu gain de cause. LIASB a simplement recommenc le due process au cours duquel celle-ci sest exprime comme nimporte quelle autre partie prenante. Finalement, lIASB nayant pas satisfait compltement aux exigences europennes, la norme IAS 39 na t homologue que partiellement par la Commission. Le rejet des normes IAS 32 et IAS 39 et la solution du carve out Les normes 32 et 39 traitent de la prsentation, de la comptabilisation et de lvaluation des instruments financiers ; elles imposent notamment que ceux-ci soient valus la juste valeur ( fair value ), cest--dire leur valeur de march. Or, lapplication de la juste valeur comporte de nombreux inconvnients et pose de dlicats problmes techniques. Le principal inconvnient de la juste valeur , lorsqu'elle est donne par le march (ce qui suppose qu'il existe), est sa trs grande volatilit, laquelle peut entraner une trs grande instabilit des performances des entreprises concernes. Par ailleurs, lorsqu'elle n'est pas donne par le march, elle repose sur des modles mathmatiques, avec un risque d'inadaptation, sans parler de la tentation, pour les dirigeants, de manipuler le modle leur profit et de pratiquer une comptabilit crative et haut risque pour l'investisseur. Les secteurs les plus sensibles ces inconvnients, en raison de limportance des instruments financiers pour leur activit, sont les banques et les compagnies d'assurance qui, par-del les arguments techniques, ont galement mis en cause la pratique de concertation de l'IASB, soulign ses limites et montr ainsi le caractre rhtorique de sa procdure d'laboration des normes. Le dbat a pris un tour plus politique avec l'intervention du Prsident de la Rpublique franaise. Cette intervention a attir lattention de lopinion publique sur lharmonisation comptable internationale et sur des dbats rests confins dans un cercle trs restreint de spcialistes. Le 4 juillet 2003, M. Jacques Chirac envoyait un courrier au Prsident de la Commission Europenne, M. Romano Prodi, pour l'alerter sur le fait que certaines normes comptables en cours dadoption dans lUnion europenne risquaient de conduire une financiarisation accrue de notre conomie et des mthodes de direction des entreprises privilgiant trop le court terme . Pour la premire fois, un homme politique de premier plan intervenait directement dans un dbat comptable et faisait sortir la comptabilit du cercle des professionnels o il tait rest confin. lvidence, les arguments du Prsident franais ne sont pas techniques et placent le dbat un niveau politique. Ils ont trait la gouvernance des entreprises par les investisseurs, c'est--dire par les marchs financiers ; gouvernance dont plusieurs affaires, commencer par laffaire Enron, montrent les limites. Ce que mettait alors

en cause le Prsident franais, ce ne sont pas seulement les normes de l'IASB mais bel et bien le cadre conceptuel dont elles sont dduites, cest--dire un cadre conceptuel anglosaxon qui fait primer lintrt des actionnaires sur celui des autres utilisateurs de la comptabilit. En dfinitive, le Rglement n 1725/2003 du 29 septembre 2003 a homologu lensemble des normes IFRS lexclusion des normes IAS 32 et IAS 39. Par la suite, lIASB a retravaill ses deux normes dont elle a publi deux nouvelles versions sur lesquelles lEFRAG sest prononc le 8 juillet 2004. Sil a recommand ladoption de la norme IAS 32 rvise, il a nouveau rejet la norme IAS 39 rvise, en raison de lobstination de lIASB gnraliser la juste valeur lensemble des instruments financiers. Puis, lARC a propos ladoption de lIAS 39 lexception de certains paragraphes ( carve out ). Les rglements 2237/2004/CE du 29 dcembre 2004 et 2 086/2004/CE du 19 novembre 2004 ont valid la position de lEFRAG et de lARC, et ce, en contradiction avec la norme IAS 1 sur la prsentation des tats financiers qui impose aux entreprises qui optent pour le rfrentiel IAS/IFRS de lappliquer en totalit. De nombreux rglements se sont depuis succds qui ont rendu applicables, dans lUnion europenne, les nouvelles normes IFRS, les normes rvises et leurs interprtations par lIFRIC, modifiant profondment lenvironnement comptable des socits europennes et instituant un ple de stabilit comptable presque aussi important que la stabilit montaire. Rtrospectivement, le choix de lUnion europenne mais avait-elle vraiment le choix ? dappliquer le rfrentiel IFRS ne peut gure tre contest. Non seulement la tentation, pour les groupes europens, de se faire coter aux tats-Unis a largement disparu, mais ceux-ci appliquent dsormais depuis plusieurs annes des normes auxquelles les plus grands pays industrialiss (Japon, Chine, Inde, mais galement les tats-Unis) sont en train de se rallier. Sil faut regretter une chose, ce nest pas tant la reprise des normes IFRS, consquence de lincapacit de lUnion europenne laborer ses propres normes comptables, mais le fait quelle nait pas ngoci cette reprise, alors mme quelle tait en mesure de le faire, contre de linfluence sur lIASB et son programme de travail. 2. Des normes comptables qui privilgient les investisseurs mais dont linterprtation est source de difficults Applicable dans plus dune centaine de pays, le rfrentiel IAS/IFRS est aujourdhui constitu de 36 normes publies et en vigueur et de 13 SIC/IFRIC (commentaires ou interprtations des normes). Il est galement dot dune prface et dun cadre conceptuel gnral qui rappellent le contexte et les objectifs, tablissent les principes gnraux applicables et dfinissent certains lments des tats financiers ou des concepts utiliss dans le dveloppement des normes. a) Des normes dinspiration anglo-saxonne qui rompent avec la tradition comptable franaise Le cadre conceptuel des normes IFRS La normalisation comptable est un processus la fois technique et politique. Technique, car lobjet des normes comptables est, bien videmment, de dfinir les rgles de prsentation et de comptabilisation des oprations accomplies par les entreprises. Cependant, toute rgle porte en elle un jugement de valeur, et le choix qui doit tre fait entre telle ou telle rgle emporte avec lui une certaine approche de lentreprise, des rapports sociaux et, au-del, de la vie conomique et sociale. Ce choix est politique et lhistoire de la comptabilit montre que celle-ci volue en fonction des attentes et des besoins de ses utilisateurs, de leurs rapports de force, de leurs conflits ou de leurs ententes. La comptabilit sadresse en effet des utilisateurs diffrents : actionnaires, bien sr, mais galement cranciers autorits de surveillance prudentielle, tat dans ses diffrentes

fonctions (notamment fiscales et statistiques) et, finalement, lensemble des partenaires de lentreprise (dirigeants, salaris, fournisseurs). Selon les traditions politiques, conomiques et juridiques propres chaque nation, limportance donne par la comptabilit au besoin dinformation de ces diffrents utilisateurs varie considrablement et, avec elle, les modalits dlaboration et la forme des normes comptables. On peut, grossirement, distinguer deux procdures de normalisation en matire comptable, donnant naissance deux types de normes comptables. La France a une conception rgalienne de la comptabilit. Fonde sur des principes lgaux, la comptabilit constitue une branche autonome du droit, quil appartient ltat ddicter seul, mme sil laisse dautres utilisateurs participer son laboration (voir infra). Cette conception, conjugue la tradition interventionniste de ltat dans lconomie ainsi qu la ncessit de disposer dun substrat comptable permettant dasseoir la rglementation fiscale, a donn historiquement un pouvoir dterminant ladministration fiscale (et, dans une moindre mesure, lINSEE) dans llaboration des normes comptables. Traditionnellement, celles-ci sont sommaires et le Plan comptable gnral (PCG) franais ne sest jamais distingu par sa prcision, laissant aux utilisateurs une large marge dapprciation. linverse, dans les pays anglo-saxons, les normalisateurs comptables disposent de lautonomie juridique et financire et dune relle indpendance dans laccomplissement de leur mission. Aux tats-Unis comme en Grande-Bretagne, les principes comptables sont ceux (15) gnralement admis par les utilisateurs de la comptabilit. Ces principes peuvent tre : soit des rgles, extraordinairement dtailles, tendant prvoir lensemble des possibilits et, de ce fait, stalant sur des dizaines de milliers de pages (modle amricain) ; soit des principes proprement dits, laissant lutilisateur une marge dapprciation pour leur application (modle anglais). Organisme priv, indpendant des tats et tirant sa lgitimit de la comptence de ses experts, largement issus de la filire du chiffre , et du processus dlaboration de ses normes, sens en garantir la haute qualit , LIASB se rattache incontestablement la tradition anglo-saxonne de la normalisation comptable, tout en refusant lapproche par les rgles qui est celle des tats-Unis. En revanche, lorientation de son cadre conceptuel vers les investisseurs et les marchs financiers rappelle celle du normalisateur amricain, assume et largement la consquence dune histoire et dune stratgie quil nest pas inutile de rappeler. LIASC : histoire dun succs plantaire En 1973, M. Henry Benson, alors associ au cabinet Coopers & Lybrand de Londres (qui deviendra, aprs plusieurs fusions, PriceWaterhouseCoopers), proposa de crer un organisme international dharmonisation des normes comptables, proposition laquelle se rallirent les professions comptables de dix pays (dont la France), pour lessentiel anglosaxons. Organisme international dorigine professionnelle, mais galement dorigine britannique, l'IASC n'avait donc pas la possibilit d'imposer ses normes aux tats dans lesquelles les professions qui en taient membres exeraient leurs activits. Il sest donc attach, ds lorigine, renforcer son pouvoir dinfluence. Les premires normes IAS taient donc suffisamment ouvertes pour ne pas heurter de front les normes comptables nationales, c'est--dire quelles comportaient de multiples options afin de prendre en compte toutes les rgles nationales. De plus, profitant des vides dans les rfrentiels comptables nationaux, par exemple en matire de comptes consolids, lIASC a pu se forger une rputation de comptence et mme voir certains groupes utiliser volontairement ses normes. En 1982, lIFAC (International Federation of Accountants Fdration internationale des experts-comptables), qui regroupait alors les organisations professionnelles d'audit d'une soixantaine de pays, la ainsi reconnu comme normalisateur. Lappui de lIFAC prsentait pour lIASC un double avantage : dune part, il tendait

considrablement son pouvoir dinfluence dans le monde et, dautre part, il lui permettait de faire participer ses activits les pays en voie de dveloppement et de ne plus apparatre comme un club de pays riches. LIASC sest ensuite rapproch de lIOSCO (International Organization of Securities Commissions organisation internationale des rgulateurs de march), qui fdre au niveau international l'ensemble des rgulateurs boursiers nationaux. Ce rapprochement obissait une double ncessit : dune part, si lIOSCO navait, comme lIASC, quun pouvoir dinfluence, il tait considrable du fait de la prsence en son sein de la SEC. Dautre part, lun de ses objectifs tait dlaborer et de promouvoir des normes destines faciliter le dveloppement des oprations internationales sur les instruments financiers via des normes comptables adaptes. Il va sans dire que la ralisation dun tel objectif aurait annihil la raison dtre de lIASC qui sest donc attache satisfaire aux exigences de lIOSCO en matire de normes comptables, en donnant ses travaux une orientation dfinitive vers les besoins dinformation financire des investisseurs et, surtout, en rduisant le nombre des options comptables. La nouvelle orientation de ses travaux a t formalise en 1989 dans une dclaration dintention intitule Comparabilit des tats financiers . Celle-ci prvoyait que les normes rvises ainsi que celles venir ne comporteraient plus d'options mais indiquerait pour chaque problme un traitement de rfrence ou prfrentiel et un second traitement simplement tolr. Ce resserrement de ses normes, qui leur donnait un caractre plus coercitif, rpondait aux exigences des marchs financiers. Publi la mme anne, le cadre conceptuel de lIASC, intitul Cadre pour la prparation et la prsentation des tats financiers sinspirait trs fortement du cadre conceptuel dont stait dot au dbut des annes quatre-vingt le FASB amricain. Cest ce moment, dans les annes quatre-vingt-dix, que lIASC dut faire face lmergence dun concurrent. Le G4 est un groupe de travail cr linitiative de membres des normalisateurs nationaux dAustralie, du Canada, des tats-Unis et du Royaume-Uni, rejoint par la suite par la Nouvelle-Zlande. En dautres termes, un club anglo-saxon dont le travail thorique, de grande qualit, a servi de base plusieurs normes IFRS. Cest pour contenir cette menace que lIASC sest rform au dbut des annes 2000 en sparant formellement lIASC de lIASB, ce dernier tant en quelque sorte un G4 tendu des membres provenant dAllemagne, de France ou encore du Japon. De plus, afin de faire face ses nouvelles responsabilits rsultant de la reprise par lUnion europenne des normes IFRS, il a distendu ses liens avec les professions comptables, en particulier lIFAC, renforc le poids des prparateurs et des utilisateurs de comptes ainsi que les liens avec les normalisateurs nationaux des grands pays. Enfin, cette orientation sest poursuivie par une stratgie de convergence entre les normes IFRS et les normes comptables amricaines, formalise par laccord de Norwalk du 18 septembre 2002, conclu entre lIASB et le FASB. De plus, en avril 2004, le FASB et l'IASB se sont runis pour examiner leurs plans d'actions communs et ont dcid, en octobre 2004, d'y ajouter le projet de dvelopper un cadre conceptuel commun construit partir des deux cadres existants. Cr dans lanonymat il y a prs de 40 ans par quelques experts-comptables, lIASC/IASB est devenu le principal normalisateur mondial, tout en conservant son caractre strictement priv et indpendant. Formidable russite en soi, il la doit lhabilit des alliances conclues, lchec de la normalisation europenne et au refus gnral de laisser aux tats-Unis le monopole de la normalisation comptable internationale. Les normes IFRS sont ainsi labores la seule fin de guider les dcisions des investisseurs et non celles, par exemple, des dirigeants dont lentreprise nest, de fait, pas considre comme une institution produisant des biens et des services mais comme une marchandise que les investisseurs schangent sur le march. Ce faisant, lIASB, la suite du FASB, adhre la conception friedmanienne de lentreprise, selon laquelle celle-ci na de

responsabilit quconomique et de comptes rendre qu ses actionnaires corrlativement les autres fonctions sociales quelle peut avoir.

(16)

, minorant

Le cadre conceptuel de lIASB est sans ambigut : lobjectif premier des tats financiers est, certes, de fournir une information sur la situation financire, la performance et les variations de la situation financire dune entreprise, qui soit utile un large ventail dutilisateurs pour prendre des dcisions conomiques . Cependant, sil reconnat que les besoins dinformations des utilisateurs des tats financiers peuvent diverger, il affirme galement la primaut des investisseurs sur les autres utilisateurs : bien que tous les besoins d'information des divers utilisateurs ne puissent pas tre combls par les tats financiers, il y a des besoins qui sont communs tous. Comme les investisseurs sont les apporteurs de capitaux risque de l'entreprise, la fourniture d'tats financiers qui rpondent leurs besoins rpondra galement la plupart des besoins des autres utilisateurs . Bien que ce cadre conceptuel ne comporte aucune disposition normative, il oriente llaboration mais galement linterprtation des normes IFRS. Il fournit la cl de la comprhension du rfrentiel IFRS dans son ensemble et de ses finalits. En reprenant les normes IFRS, lUnion europenne a implicitement adhr au cadre conceptuel dans lequel elles sinsrent. Cest en cela que son choix de reprendre le rfrentiel IFRS ne fut pas un simple choix technique, mais un choix politique : dsormais, la comptabilit aura pour objectif de servir aux mieux les besoins dinformation des investisseurs plutt que ceux des autres utilisateurs. Les consquences sen feront sentir au-del des seules entreprises, dans lconomie toute entire. Les caractristiques des normes IFRS sont trs loignes de la tradition comptable franaise Bien que les principes sur lesquels reposent les normes IFRS soient largement semblables (17) ceux qui prvalent dans le droit comptable franais , les diffrences entre les deux rfrentiels nen demeurent pas moins considrables au point que lon puisse raisonnablement parler de rvolution culturelle . Si les deux visent donner une image fidle de la situation financire et de la performance de lentreprise, tant la dfinition de celles-ci que des moyens datteindre cet objectif commun diffrent largement. Des normes fondes sur des principes Les normes IFRS sont des normes principles-based , caractre que la faillite des normes amricaines US GAAP a largement lgitim. Celles-ci sont en effet des rgles, extraordinairement dtailles, stalant sur des dizaines de milliers de pages quune vie humaine ne suffirait pas matriser totalement, dautant quelles sont modifies sans (18) cesse . Cependant, jamais des rgles, si prcises soient-elles, ne couvriront le champ infini du possible : ds lors, tout ce qui nest pas interdit se trouve de ce fait autoris. Cest ainsi quen les respectant la lettre, les dirigeants dEnron ont pu dissimuler des pratiques comptables frauduleuses, la surabondance mme de rgles permettant arbitrages et acrobaties avec pour seule limite limagination on nose dire le talent des conseils de lentreprise. Au contraire, les normes IFRS, linstar dailleurs des normes comptables franaises, reposent sur des principes qui limitent fortement la crativit comptable , mais dont labstraction et lindiffrence affiche par rapport aux traditions historiques, conomiques et comptables nationales feraient penser du droit comptable hors sol sans les fortes influences anglo-saxonnes. Pour reprendre lexemple cit plus haut, Enron aurait eu du mal, sagissant de ses special purposes entities, viter la consolidation. Le Prsident de lIASB a dailleurs dclar, lors de son audition par le Snat amricain en fvrier 2002, que le scandale Enron naurait pas pu avoir lieu en normes IFRS. Cette approche par les principes montre linfluence britannique sur lIASB, lequel soppose tant lapproche juridique franco-allemande qu lapproche amricaine par les rgles.

Une responsabilit particulire pse donc, dans le rfrentiel IFRS, sur ses utilisateurs dont il privilgie la prudence et le sens de responsabilit. En effet, autant il peut apparatre ais dappliquer des rgles, autant lapplication des principes peut sembler alatoire, en raison des possibilits varies dinterprtation quils permettent. Cest pourquoi les normes comptables ne peuvent tre uniquement des principes abstraits, pas plus que des rgles observer une une ; aussi existe-il une ncessaire dialectique entre les principes et les rgles dans le rfrentiel IFRS. Des normes orientes vers linformation financire des investisseurs lorigine des normes IFRS et de leur succs au tournant des annes 2000 se trouve la ncessit urgente de restaurer la confiance des investisseurs, branle par la faillite frauduleuse dEnron et consorts et le discrdit ainsi jet sur la fiabilit des normes comptables. Les US GAAP ayant fait la preuve de leurs dfauts, lapproche principles-based des IFRS ainsi que le Cadre conceptuel dans lequel elles sinsrent ne pouvaient que sduire les investisseurs. En effet, linverse des normes comptables franaises, qui prennent en compte, entre autres, les besoins de ltat et des cranciers, les normes IFRS ont t labores la seule fin de satisfaire les besoins dinformations financires des investisseurs ; lIASB justifie cette orientation par le fait que contrairement dautres utilisateurs de la comptabilit, et en particulier ltat, ces derniers ne peuvent faire pression, ni en fait ni en droit, sur les dirigeants pour obtenir des informations supplmentaires, informations que ces derniers ont dailleurs souvent la possibilit doptimiser. En outre, il pose le postulat que la fourniture d'tats financiers qui rpondent leurs besoins rpondra galement la plupart des besoins des autres utilisateurs . Cependant, il ne sagit que dune affirmation quaucune tude conomique nest jamais venue dmontrer. Ce qui apparat vident, en revanche, ce sont les consquences, pour leurs autres utilisateurs, de cette orientation des normes comptables vers les seuls investisseurs. Lorsque la fiscalit sappuie sur le rsultat comptable, la volatilit introduite par la juste valeur pourrait avoir des rpercussions sur les ressources de ltat ; de plus, comment mener une politique conomique si des agrgats comme la valeur ajoute sont ignors par le rfrentiel comptable ? Les cranciers ne peuvent tre que troubls par le principe substance over form qui dissocie droit de proprit et inscription lactif dun bien. Enfin, que dire des dirigeants, dont la performance telle quelle apparat dans les comptes ne rsulte pas de leurs seules dcisions mais de lvolution de la valeur des actifs de lentreprise ? Le changement de dnomination des normes comptables elles-mmes, qui signifient dsormais normes internationales dinformation financire , traduit plus quun changement symbolique. La prminence de la ralit conomique sur la forme juridique : le principe substance over form Les normes comptables franaises ont une approche trs civiliste du patrimoine qui peut tre dfini comme une universalit de biens, actif et passif, attache une personne. La comptabilit est donc, traditionnellement, la reprsentation chiffre du patrimoine juridique, fonde sur le droit de proprit dune personne et de lvolution de celui-ci au cours dun exercice. La comptabilit est lalgbre du droit , selon une formule clbre, et le droit comptable franais sappuie gnralement sur la forme juridique dune opration pour dterminer les modalits de son traitement comptable. loppos de la fiction juridique dun patrimoine reprsentant une unit de biens, les normes IFRS sefforcent de rvler la substance conomique sous-jacente, c'est--dire que la comptabilit doit reflter les droits, obligations et avantages conomiques qui sont la disposition dune entit. La nature des actifs, dfinis par le contrle de leurs avantages futurs, en est profondment modifie, et sloigne du seul droit de proprit. Cest ainsi que certains actifs titriss ou logs dans des vhicules juridiquement spars de lentreprise peuvent tre rintgrs au bilan ou que les actifs faisant lobjet dun crdit-bail (et donc nappartenant pas juridiquement lentreprise) doivent tre intgrs lactif.

Cependant, tout en levant le voile sur la fiction du patrimoine juridique, lapproche conomique de la comptabilit qui est celle des normes IFRS apparat quelque peu biaise par lorientation de celles-ci vers les investisseurs. En effet, il n'existe pas une ralit conomique par nature. Comme en physique quantique, les caractristiques dun objet varient selon le point de vue, et il y a autant dimages fidles pertinentes de lentreprise que dutilisateurs de la comptabilit. Les normes IFRS ne donnent donc voir quune certaine ralit conomique, celle propre satisfaire les besoins dinformations des seuls investisseurs ; mais rien ne dit que les autres utilisateurs de ces normes y trouveront leur compte. La juste valeur Dun point de vue conceptuel, la fair value , communment traduite par juste valeur ou valeur de march est sans doute la pierre angulaire du rfrentiel IFRS, une pierre lance des tats-Unis dans le jardin de la tradition comptable franaise et plus largement continentale. Ainsi, au 18 septembre 2007, elle tait cite pas moins de 4 152 fois dans le (19) rfrentiel IFRS (normes et interprtations IFRIC) selon Ernst & Young . En effet, ds lors que les investisseurs ont besoin davoir une vue prcise de la valeur actuelle de lentreprise et des perspectives dvolution de celle-ci, lvaluation au cot historique des actifs, c'est--dire linscription au bilan du prix dun bien sa date dacquisition, nest plus pertinente parce quelle sloigne, parfois considrablement en matire dinstruments financiers, de la valeur dusage et/ou de cession de lactif, c'est--dire de leur valeur normale de march. Une image fidle de la valeur de lentreprise, du point de vue des (20) investisseurs, oblige donc celle-ci valuer ses actifs (et ses passifs) leur juste valeur . La juste valeur repose, dans sa dfinition mme, sur un postulat : la juste valeur est le montant pour lequel un actif pourrait tre chang, ou un passif teint, entre parties bien informes, consentantes, et agissant dans des conditions de concurrence normale (IAS 16 6). En dautres termes, lapplication de la juste valeur suppose un march fonctionnant dans des conditions normales, c'est--dire suffisamment liquide pour fixer un prix lactif ou au passif concern. De fait, la juste valeur repose, en particulier pour les actifs financiers, sur lapprciation autorfrentielle des marchs et non sur les performances oprationnelles de lentreprise, entranant des plus ou moins values trs fortes dun exercice lautre, voire dun trimestre lautre, jusqu prsent constates seulement lors de la cession des actifs concerns. Le bilan et le rsultat de lentreprise prsentent un risque accru de volatilit en raison de fluctuations des marchs dont on sait quelles peuvent tre considrables et rsultent souvent dalas fonds sur des anticipations hasardeuses et mimtiques. Mais il est galement possible que la juste valeur dun actif ne puisse tre dtermine en raison dun march dficient ou en raison de leurs caractristiques propres (notamment les actifs incorporels comme les marques). Dans ce cas, leur valuation repose sur des modles mathmatiques dont les hypothses (risque de march, taux dactualisation, taux dintrt ) sont celles de lentreprise, avec toutes les incertitudes qui entourent le choix et la pertinence de celles-ci. La tentation est en effet trs grande de jouer sur les hypothses afin dorienter le rsultat dans le sens voulu. Cette subjectivit invitable de la juste valeur risque ainsi daltrer la fiabilit des comptes, alors mme que les normes IFRS avaient pour objectif de restaurer la confiance des investisseurs dans les tats financiers. En outre, dun point de vue conceptuel, le recours la juste valeur fait indubitablement apparatre lentreprise, non comme une institution au sens sociologique du terme, dont lobjet est de produire et de vendre des biens et des services, mais comme une somme dlments dtachables, vendables la dcoupe , sans que leur organisation sous forme de combinaison complexe, sans parler des ressources humaines, soit considre comme une source de valeur en soi. Ainsi prsente, il est ais de comprendre dans quelle mesure la juste valeur soppose lun des principes fondamentaux du droit comptable franais quest la prudence (article

L. 123-20 du code de commerce). En effet, le droit comptable franais, outre ltat, a toujours privilgi la protection des cranciers. Inspir par la crainte du dfaut de paiement, il a rig la prudence en principe dominant de la comptabilit, au dtriment dune valuation fiable de lentreprise. Cest ainsi quune entreprise franaise ne peut pas, en principe, comptabiliser en rsultat des plus-values latentes ; en revanche, elle doit, aux termes du mme article L. 12320, tenir compte des risques et des pertes intervenus au cours de l'exercice ou d'un exercice antrieur, mme s'ils sont connus entre la date de la clture de l'exercice et celle de l'tablissement des comptes . Les pertes y compris ventuelles psent donc immdiatement sur le rsultat, au contraire des profits potentiels qui ne sont comptabilises quune fois raliss. Les normes IFRS ne sont pas tournes vers les cranciers mais vers les investisseurs et le principe de prudence, si essentiel pour les premiers, est un obstacle pour les seconds qui, dans leur stratgie dinvestissement, ont besoin de connatre la valeur instantane de lentreprise. La primaut du bilan sur le compte de rsultat Parce que les normes IFRS sont orientes vers les investisseurs, avec pour objectif de leur fournir les informations financires dont ils ont besoin et, en particulier, la juste valeur de lentreprise, celles-ci donnent la primaut au bilan sur le compte de rsultat. Pourtant, dans la tradition anglo-saxonne, ce dernier a longtemps t considr comme plus pertinent. Pour autant, en raison des difficults conceptuelles dfinir les produits et les charges, les normalisateurs anglo-saxons ont, dans les annes quatre-vingt-dix, invers leur dmarche et dfini les actifs et les passifs, dfinition dont ils ont dduit celle des charges et produits. Sinspirant de cette dmarche, le rfrentiel IAS/IFRS sappuie prioritairement sur une dfinition des actifs et des passifs. Comme lnonce le 69 du Cadre conceptuel, le rsultat est frquemment utilis comme mesure de la performance ou comme base pour dautres mesures telles que le rendement des placements ou le rsultat par action. Les lments directement lis lvaluation du rsultat sont les produits et les charges. La comptabilisation et lvaluation des produits et des charges, et par consquent du rsultat, dpendent en partie des concepts de capital et de maintien du capital utiliss par lentreprise pour prparer ses tats financiers . Cest ainsi quun produit peut se dfinir comme un accroissement dactif ou une rduction du passif et une charge comme une rduction dactif ou un accroissement de passif. Dans cette perspective, le compte de rsultat, qui retranscrit lactivit productive de lentreprise, na plus quun rle secondaire ds lors que laugmentation de la juste valeur dune entreprise la seule qui intresse linvestisseur peut rsulter dlments trangers sa performance propre. Linformation de lactionnaire est encore une fois prfre celle de lentrepreneur pour lequel le compte de rsultat, qui reflte (21) lefficacit de sa gestion, est le plus pertinent . b) Les difficults de linterprtation Le rle limit de lIFRIC Toute norme doit tre interprte et les IFRS doivent ltre dautant plus quelles sont principles-based . Si ce caractre les rend moins susceptibles de dtournements frauduleux, cet avantage a pour corollaire que leur interprtation est aussi dterminante que leur contenu lui-mme. Do la mise en place par lIASC dun mcanisme dinterprtation via (22) lIFRIC (International Financial Reporting Interpretations Committee) dont le rle est de fournir des interprtations sur : les questions de reporting financier spcifiquement traites dans les IFRS ; nouvellement identifies qui n'ont pas t

les questions qui donnent lieu ou qui pourraient donner lieu des interprtations non satisfaisantes ou contradictoires. L'IFRIC est compos de 14 membres votants, nomms par les trustees, et de deux observateurs (l'IOSCO et la Commission europenne). Les membres votants sont choisis pour leur comptence technique. Cest pourquoi il sagit normalement dexperts-comptables, dauditeurs et d'utilisateurs d'tats financiers, rpartis selon une diversification gographique suffisamment large. La responsabilit premire de l'identification des questions soumettre l'IFRIC incombe ses membres. Si les prparateurs, les auditeurs et toute personne concerns par l'information financire peuvent galement poser des questions l'IFRIC, seules sont examines celles touchant un nombre important d'entreprises. De lavis gnral, la procdure dinterprtation des normes IFRS par lIFRIC ne donne pas satisfaction ; non seulement lIFRIC se saisit rarement dune question mais des annes sont ncessaires pour que celle-ci soit traite ( peine 18 interprtations ont t publies depuis 2001). Or, cette situation est dautant plus dangereuse que lapplication de normes IFRS principles-based soulve dpineuses questions dinterprtation Celles-ci, lies aux spcificits juridiques, conomiques et comptables de chaque pays o elles sont appliques, ne seront probablement pas traites par lIFRIC, ou avec retard. Or, les entreprises ont besoin de rponses rapides et prcises, ne serait-ce que parce que la publication de leurs comptes obit une priodicit trimestrielle. LIFRIC nest donc absolument pas lquivalent du comit durgence du CNC, qui livre une dcision dans un dlai trs court, sur un point particulier, applicable une entreprise donne. Ds lors, la voie est libre aux autorits nationales pour interprter leur guise les normes IFRS, sans aucune certitude que ces interprtations soient cohrentes entre elles, voire avec celles de lIFRIC. Les solutions empiriques la question de linterprtation La rticence faire de lIFRIC un organe efficace dinterprtation des normes IFRS est pleinement assume par lIASB. Le 10 de la norme IAS 8 Mthodes comptables, changements destimations comptables et erreurs, dispose ainsi que en labsence dune norme ou dune interprtation spcifiquement applicable une transaction, un autre vnement ou condition, la direction devra faire usage de jugement pour dvelopper et appliquer une mthode comptable permettant dobtenir des informations pertinentes pour les utilisateurs ayant des dcisions conomiques prendre et fiables, en ce sens que les tats financiers prsentent une image fidle de la situation financire, de la performance financire et des flux de trsorerie de lentit, traduisent la ralit conomique des transactions, des autres vnements et des conditions et non pas simplement leur forme juridique, sont neutres, cest--dire sans parti pris, sont prudents et sont complets dans tous leurs aspects significatifs . dfaut dune interprtation de lIFRIC, lIASB sen remet au jugement personnel des dirigeants de lentreprise. Pour exercer ce jugement, ils peuvent se rfrer aux dispositions et aux commentaires figurant dans les normes et interprtations traitant de questions similaires et lies aux dfinitions, aux critres de comptabilisation et dvaluation des actifs, des passifs, des produits et des charges noncs dans le Cadre conceptuel. De mme, et sous rserve quelles ne soient pas contraires aux sources susmentionnes, la direction peut galement considrer les positions officielles les plus rcentes dautres organismes de normalisation comptable qui utilisent un cadre conceptuel similaire, la littrature comptable et les pratiques admises du secteur dactivit. ce titre, est-il possible, par exemple, de se rfrer aux rgles comptables en vigueur en France, en labsence de Cadre conceptuel franais, ou faut-il uniquement sen tenir aux US GAAP ? Et quen est-il alors de la comparabilit des comptes, notamment en Europe, si les dcisions des normalisateurs nationaux ou les pratiques nationales divergent ?

Afin danticiper ce risque dune divergence dans lapplication des normes IFRS, les rgulateurs de march europens, runis au sein du Comit europen des valeurs mobilires (CESR) ont jou un rle actif en apportant des rponses concrtes aux problmes er dapplication et de communication lis au passage vers les normes IFRS au 1 janvier 2005. Par la suite, le CESR a publi en avril 2007 trois nouvelles communications sur linformation comptable et financire, la premire sur les incidences des changements comptables, la seconde sur la porte juridique des dcisions de rejet de lIFRIC et la troisime portant publication de seize dcisions des rgulateurs de march europens relatives lapplication des IFRS (la premire ayant eu lieu en dcembre 2007). Limportance de cette dernire communication doit tre souligne. Ces seize dcisions ont t labores dans le cadre de lEECS (European Enforcers Coordination Sessions), forum informel cr en 2005 afin de permettre aux organismes europens (membres ou non du CESR) chargs de vrifier la conformit au rfrentiel IFRS des tats financiers des entreprises, de partager leurs expriences et de confronter leurs analyses sur des problmatiques concrtes dapplication dudit rfrentiel. Ces dcisions sont les premires dune base de donnes publique dont lobjectif est de promouvoir une application cohrente des normes IFRS dans lUnion Europenne. Cette base de donnes est appele senrichir rgulirement de nouvelles dcisions. Cest ainsi que de nouvelles dcisions ont t publies en fvrier 2008, et dautres encore en mai 2008. Par ailleurs, la Commission europenne a cr, en avril 2006, une table ronde dont le but est didentifier les cas o les divergences dans lapplication des IFRS en Europe sont si significatives et si rpandues quelles deviennent une relle proccupation pour les entreprises et leurs parties prenantes. Lorsque les questions souleves sont dintrt gnral pour lensemble des parties, la Commission recommande lexamen de ces sujets par lIFRIC. Il ny a donc gure de doute qu terme les autorits de marchs ou les juridictions europennes ou communautaires seront amenes clarifier certaines positions. Il faut cependant viter quelles ne se laissent tenter par une interprtation unilatrale des normes IFRS inspire par des considrations locales. En effet, ce faisant, la SEC pourrait elle aussi sestimer en droit dinterprter les normes IFRS applicables aux socits trangres cotes aux tats-Unis. En raison de la puissance de cette institution et, derrire elle, des investisseurs amricains et des grands cabinets daudit, il est fort probable que ses interprtations auront force de normes auprs de lensemble des entreprises appliquant les normes IFRS, ruinant ainsi dfinitivement la marge de manuvre que lUnion europenne aurait pu sauvegarder dans la mise en uvre de ces normes. Linterprtation ne peut donc raisonnablement tre le fait dautorits nationales, quelles que soient les vellits de celles-ci. La seule pression des investisseurs ne saurait, quant elle, pousser lharmonisation des pratiques, faute dun lien prouv entre celles-ci et les performances boursires. Au final, lharmonisation de linterprtation des normes IFRS au niveau mondial comme au niveau national sera probablement assure par les grands cabinets daudit internationaux. En effet, parce que les normes IFRS font appel leur jugement, les dirigeants recherchent une certaine scurit quils ne trouvent pas forcment dans les dcisions des CESR, IFRIC et autres tables rondes. Ils se tournent donc vers les auditeurs qui sont, in fine, les juges des normes, car ils doivent porter un jugement sur les comptes. Ainsi, le Forum of firms qui, depuis janvier 2001, regroupe les grands cabinets daudit (23) internationaux , se consacre notamment, travers son Comit daudit transnational, llaboration dun guide des bonnes pratiques en matire dapplication des normes IFRS qui, nen point douter, aura une porte pratique au moins aussi grande que les dcisions susmentionnes pour les entreprises. Les autorits de march risquent donc, terme, dtre aussi marginalises que les normalisateurs comptables nationaux, au profit de cabinets daudit internationaux qui concentreront de plus en plus le pouvoir dinterprtation des normes IFRS. Cependant, linterprtation des normes IFRS par les auditeurs nest pas sans risque pour les entreprises. Certaines des personnes auditionnes par la mission dinformation ont ainsi fait part de leurs relations difficiles avec leurs commissaires aux comptes. En raison de la

complexit des normes IFRS, il leur est dsormais presque impossible dobtenir de ceux-ci quils sengagent sur une interprtation sans en rfrer la doctrine de leur cabinet, leurs actuaires et autres experts qui, en retour, imposent sans discussion possible une position de place dfinie en liaison avec les autres cabinets parfois trs loigne de la situation concrte de lentreprise. En outre, avec linterprtation centralise des normes IFRS au niveau des grands cabinets daudit anglo-saxons, le risque nest pas mineur que les IFRS ne se rigidifient en rgles pointilleuses, comme les US GAAP qui, lorigine, taient constitues de quelques principes simples, avant de se mtamorphoser en une masse prescriptive indigeste, mesure que les entreprises abusaient de dispositions imprcises. La convergence en cours entre les normes IFRS et les normes US GAPP ne fera probablement que renforcer la tendance profonde des principes se muer en rgles. B. LE CHOIX FRANAIS DUNE CONVERGENCE DES COMPTES SOCIAUX VERS LES NORMES IFRS 1. La France a choisi de ne pas appliquer les normes IFRS aux comptes sociaux a) Un dispositif de normalisation comptable en voie de rforme Un dispositif complexe traditionnellement domin par ltat Les formes de la normalisation comptable peuvent, selon les pays, reposer sur des acteurs diffrents (tat, profession comptable) et donner lieu des combinaisons diverses de rgulation dont la spcificit est encore renforce par de nombreux autres facteurs politiques, conomiques et sociaux. En France, ltat, en raison de leurs implications fiscales, a toujours port une grande attention aux rgles comptables dont il a encadr strictement le processus dlaboration. Bien que le Conseil national de la comptabilit ait t cr par le dcret n 57(24) 129 du 7 fvrier 1957 , rassemblant, outre les reprsentants de ltat, les membres de la filire du chiffre , ce nest gure quaprs la rforme de 1996-1998 que ces derniers se sont rellement investis dans le processus, en raction aux profondes transformations que connaissaient depuis plusieurs annes les entreprises franaises dans un contexte de mondialisation conomique et de d