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- 1 - LE DIDAC’DOC – Service éducatif des archives départementales de la Manche Novembre 2013 Inauguration du monument aux membres de l’enseignement public de la Manche tombés au champ d’honneur (Saint-Lô, 23 décembre 1934) Références Cote : 1 T2/476 Série T : Enseignement Nature Cliché du monument aux membres de l’enseignement public tombés au champ d’honneur, édifié dans la cour de l’Ecole Normale d’instituteurs de Saint-Lô en 1922, inauguré en 1934. Forme Photographie noir et blanc, avec légende manuscrite « Monument de l’Ecole Normale. Saint-Lô – 23 décembre 1934 ». Objet Cliché du monument aux membres de l’enseignement public morts pendant la Première Guerre mondiale, maquette d’une carte postale vendue au moment de l’inauguration du monument pour couvrir une partie des dépenses nécessitées par sa réfection et l’inscription du nom du fusillé Maupas dans la liste des 114 morts, à son rang alphabétique. Date et contexte 23 décembre 1934 : Le monument dont l’édification a été décidée depuis novembre 1920, dans le cadre de la célébration de la victoire et de l’hommage aux si nombreux morts de la Grande Guerre, dut attendre 12 années son inauguration du fait de l’opposition des partisans de la réhabilitation de l’instituteur Théophile Maupas, fusillé en mars 1915, dont l’administration refuse l’inscription du nom. Intérêt pédagogique - Pourquoi un monument à l’Ecole Normale ? La participation des enseignants à la Grande Guerre (voir Eclairages). Ampleur de l’engagement et étendue des pertes. Les enseignants sur tous les fronts ? Différentes formes de participation à l’effort de guerre. - L’école et les écoliers dans la guerre, aspects d’une « guerre totale » (voir Eclairage). - Description du monument : un monument qui se distingue des monuments municipaux par sa retenue. Le programme iconographique : gisant, famille endeuillée, recueillement. Typologie des monuments aux morts (voir Didac’doc n° 41). - Les enjeux d’une inauguration : le refus de l’Etat d’apposer le nom d’un instituteur fusillé sur le monument, et la résistance des réhabilitationnistes. Le combat de Blanche Maupas et de la LDH (voir Didac’doc n° 42). Mots clés Première Guerre mondiale – Ecole – Enseignement – Instituteurs – Enfants – Guerre totale – Monument aux morts – Saint-Lô. SERVICE EDUCATIF DES ARCHIVES DEPARTEMENTALES DE LA MANCHE Présentation didactique d’un document d’archives 43 Novembre 2013

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Page 1: Didacdoc 43 monument instituteurs comp

- 1 - LE DIDAC’DOC – Service éducatif des archives départementales de la Manche – Novembre 2013

Inauguration du monument aux membres de l’enseignem ent public de la Manche tombés au champ d’honneur

(Saint-Lô, 23 décembre 1934) Références Cote : 1 T2/476

Série T : Enseignement

Nature Cliché du monument aux membres de l’enseignement public tombés au champ d’honneur, édifié dans la cour de l’Ecole Normale d’instituteurs de Saint-Lô en 1922, inauguré en 1934.

Forme Photographie noir et blanc, avec légende manuscrite « Monument de l’Ecole Normale. Saint-Lô – 23 décembre 1934 ».

Objet Cliché du monument aux membres de l’enseignement public morts pendant la Première Guerre mondiale, maquette d’une carte postale vendue au moment de l’inauguration du monument pour couvrir une partie des dépenses nécessitées par sa réfection et l’inscription du nom du fusillé Maupas dans la liste des 114 morts, à son rang alphabétique.

Date et contexte

23 décembre 1934 : Le monument dont l’édification a été décidée depuis novembre 1920, dans le cadre de la célébration de la victoire et de l’hommage aux si nombreux morts de la Grande Guerre, dut attendre 12 années son inauguration du fait de l’opposition des partisans de la réhabilitation de l’instituteur Théophile Maupas, fusillé en mars 1915, dont l’administration refuse l’inscription du nom.

Intérêt pédagogique

- Pourquoi un monument à l’Ecole Normale ? La participation des enseignants à la Grande Guerre (voir Eclairages). Ampleur de l’engagement et étendue des pertes. Les enseignants sur tous les fronts ? Différentes formes de participation à l’effort de guerre. - L’école et les écoliers dans la guerre, aspects d’une « guerre totale » (voir Eclairage). - Description du monument : un monument qui se distingue des monuments municipaux par sa retenue. Le programme iconographique : gisant, famille endeuillée, recueillement. Typologie des monuments aux morts (voir Didac’doc n° 41). - Les enjeux d’une inauguration : le refus de l’Etat d’apposer le nom d’un instituteur fusillé sur le monument, et la résistance des réhabilitationnistes. Le combat de Blanche Maupas et de la LDH (voir Didac’doc n° 42).

Mots clés

Première Guerre mondiale – Ecole – Enseignement – Instituteurs – Enfants – Guerre totale – Monument aux morts – Saint-Lô.

SERVICE EDUCATIF DES ARCHIVES DEPARTEMENTALES DE LA MANCHE Présentation didactique d’un document d’archives

43 Novembre

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Éclairages INSTITUTEURS MANCHOIS DANS LA GRANDE GUERRE

La participation des instituteurs à la Première Guerre mondiale revêt plusieurs aspects : en amont du conflit, les enseignants préparèrent leurs élèves au sacrifice suprême pour la patrie, durant le conflit les plus jeunes joignirent le geste à la parole, sur le front ; les plus vieux, aux côtés des institutrices titulaires ou intérimaires en possession du seul brevet élémentaire, œuvrèrent à mobiliser l’arrière, participant à la « totalisation » de la guerre. La mobilisation multiforme et continue du corps enseignants dans la Manche dut beaucoup à l’énergie déployée par l’Inspecteur d’Académie, Léon Déries, relais zélé et sincère des directives gouvernementales. La victoire acquise, on rendit un hommage appuyé aux enseignants tombés au champ d’honneur. Mais dans la Manche, l’exécution d’un instituteur en 1915 et la question de sa réhabilitation vinrent perturber l’unanime recueillement des survivants, et bien des années s’écoulèrent avant que les autorités, unies à la communauté scolaire, puissent inaugurer un monument pourtant désiré dès la démobilisation.

1. LE TEMPS DE LA PRÉPARATION

Maîtres et maîtresses participèrent activement au consentement de la Nation à la guerre totale. Comme le souligne Eugen Weber, « les révolutionnaires de 1789 avaient remplacé de vieux termes comme maître d’école, régent, recteur, etc, par le mot instituteur, parce que l’enseignant était censé instituer la nation. »1 L’école devait enseigner aux enfants les sentiments nationaux et patriotiques ; expliquer ce que l’Etat faisait pour eux, et pourquoi il exigeait d’eux des impôts et le service militaire ; montrer que leur véritable intérêt était la patrie. « La patrie n’est pas votre village, votre province, c’est toute la France. La patrie est comme une grande famille. » La systématisation de l’instruction sous la Troisième République - d’une instruction de plus en plus profane, donnée par des maîtres affranchis de la tutelle cléricale - consolide le nouveau régime et la nation. « Un Dieu catholique, particulariste, et que seuls les révisionnistes identifièrent à la patrie au tournant du siècle, était remplacé par un Dieu séculier : la patrie et ses symboles vivants, l’armée et le drapeau. Le catéchisme était remplacé par l’instruction civique. L’histoire sainte, proscrite des écoles laïques, fut remplacée par une histoire de France sanctifiée. Le français devenu quelque chose de plus qu’un bien des éduqués : il était devenu un patrimoine que tous devaient partager, et les résultats sur le plan de la cohésion nationale furent très importants, comme la guerre de 1914 allait le montrer. »2

Si pendant le XIXe siècle, la fréquentation scolaire laissa beaucoup à désirer, limitant la portée de l’enseignement des maîtres, à la fin du siècle les conditions étaient réunies pour acculturer l’ensemble de la jeunesse du pays. Ainsi que l’écrit Théodore Zeldin, « [au cours de la période 1880-1920] L’éducation primaire en vint à être acceptée, et réclamée, comme le fondement essentiel de la dignité humaine et de l’égalité, qu’elle devint le marchepied indispensable à l’ascension et à la mobilité sociales, et qu’en s’alliant avec l’ambition, elle émergea comme l’une des forces qui affectaient le plus puissamment la société. »3

1 WEBER (Eugen). La fin des terroirs. Paris, Fayard, 1983. 2 WEBER (Eugen). La fin des terroirs. Paris, Fayard, 1983. p. 185. 3 ZELDIN (Théodore). Histoire des passions françaises 1848-1945. vol. 2, p. 231, Paris, Seuil, 1978.

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Pour reprendre l’exposé de Weber, les cours d’instruction morale et civique, introduits dans les programmes en 1882, sont une sorte de catéchisme destiné à apprendre à l’enfant que son devoir était de défendre la patrie, de verser son sang ou de mourir pour la communauté (« quand la France est menacée, votre devoir est de prendre les armes et de courir à son secours »), d’obéir au gouvernement, de faire le service militaire, de travailler, d’apprendre, de payer les impôts, et ainsi de suite. Tout le programme scolaire était consacré à développer ces sentiments. La gymnastique visait à développer chez l’enfant l’idée de la discipline, et le préparer à être un bon soldat (voir à ce sujet le Didac’doc n° 35 sur les bataillons scolaires). Les chants, l a poésie, les lectures… concourraient également à ce conditionnement. Il n’y avait pas de meilleurs instruments d’endoctrinement patriotique que l’histoire et la géographie françaises. L'histoire, explique Nora, «était devenue, du primaire au supérieur, l'instrument principal de formation de la conscience civique et nationale».4 A côté du Tour de la France par deux enfants, ce manuel de lecture scolaire d'Augustine Fouillée (écrit sous le pseudonyme de G. Bruno), publié pour la première fois en 1877, réimprimé 108 fois et dont les ventes ont dépassé huit millions d’exemplaires vers 1900, La Première Année d’histoire de France d’Ernest Lavisse, dont la première édition remonte à 1884, ambitionne le développement du patriotisme français et de l’unité française. En introduction de ce manuel, l'auteur annonçait aux enfants, «Vous verrez que [vos pères] ont versé leur sang dans de glorieuses batailles pour que la France fût honorée entre toutes les nations. Vous apprendrez ainsi ce que vous devez à vos pères, et pourquoi votre premier devoir est d'aimer par-dessus tout votre patrie, c'est-à-dire la terre de vos pères.»5 S’appuyant sur un ouvrage davantage nationaliste que républicain6, les instituteurs façonnèrent, depuis 1884, le patriotisme de millions de futurs combattants.7 Celui qui affirmait que l’instituteur et l’officier étaient « les piliers jumeaux de la patrie » exalte la France éternelle, le devoir patriotique et l’héroïsme guerrier de ses enfants jusqu’au sacrifice. Guerre et patrie ne font qu’un, et le retour des provinces perdues est une cause juste.

4 NORA (Pierre). « Lavisse, instituteur national » dans Les lieux de mémoire. Tome 1. Paris, Gallimard, 1997. 5 « De 1884 (première édition) jusqu'en 1914, le Petit Lavisse, imprimé à des millions d'exemplaires, enseignera l'histoire de leur pays aux écoliers français, dans une perspective qui dominera jusqu'aux années 1950 : celle d'une aventure collective née avec les Gaulois. Cette vision repose sur des présupposés discutables, mais elle fera consensus, de la gauche à la droite, jusqu'au grand chamboulement apporté par l'école des Annales (qui remettra en question le cadre national comme lieu de l'étude du passé), par le relativisme de Mai 68 et par la repentance postcoloniale ». SEVILLIA (Jean). « Lavisse, l’instituteur national » dans Le Figaro Magazine, 2 octobre 2009. 6 A la différence de plusieurs autres manuels d’histoire, plus ouvertement républicains, le Lavisse ne fut pas mis à l’index par les évêques français. 7 Et pas seulement à l’école communale puisque les appelés instituteurs de l’enseignement primaire encadrent l’instruction des illettrés du contingent selon la circulaire du 10 octobre 1911 qui impose de donner une instruction élémentaire à tous les hommes.

Souscription nationale, détail. Edition A. Bodard (s.d.)

Arch. dép. Manche (202 Fi 9)

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La première forme de participation des enseignants à la Grande Guerre fut cette formation morale et civique des citoyens. Bien qu’ayant quitté depuis 10 ou 20 ans les bancs de l’école communale, nombre de poilus de 1914 avaient encore à l’esprit les leçons nationalistes de leurs maîtres, les gravures édifiantes du dévouement à la patrie des héros nationaux, les poèmes épiques récités en classe… En témoigne cette poésie de Jean Latrouite (1862-1919)8, instituteur à Saint-Romphaire, près de Saint-Lô, écrite à l’occasion du départ de son fils pour le service militaire.

A mon fils Georges, A ton tour bien cher fils. Il faut hélas partir Et répondre présent au cri de la patrie Appelant ses enfants qu’il lui faut retenir Deux ans9 au régiment, pour sa grandeur, sa vie De notre doux logis, sache sans pleurs sortir, De nos sages conseils, que ton âme nourrie Travaille avec ardeur. Qu’importe l’avenir ? Quand l’on fait son devoir toute peine est bénie. Donne l’exemple à tous, soit un bon soldat Obéis à tes chefs. Et le jour du combat Le cœur sera plus haut, plus douce l’espérance Aime aussi le drapeau. Assouplit moi ton corps Exerce bien ton œil, rends tes muscles plus forts. Que tous soient comme toi. Criez : Vive la France ! 10

« La République peut être fière des soldats que son école a formés ! » lance le maréchal Joffre dans son ordre du jour de la bataille de la Marne, le 5 septembre 1914.

Les enseignants avaient pourtant dans les années 1900 évolué vers un patriotisme raisonné, moins agressif, moins revanchard.11 Les fusils et uniformes des bataillons scolaires avaient été remisés depuis belle lurette (voir le Didac’doc n° 35), les manuels républicains aussi débarrassés de leurs premières outrances guerrières, mais ils enseignaient toujours l’amour de la patrie, qu’il faudrait défendre vaillamment si elle était agressée. La « crise du patriotisme à l’école » (thème du Congrès des amicales des instituteurs en 1905) inquiétait les nationalistes qui opposaient, tel Barrés, les « mauvais instituteurs » et les « défenseurs de la tradition nationale ».

Pourtant, ainsi que l’écrit Philippe Alexandre, à l’aube de la guerre la raison moderne qui remettait en cause le patriotisme traditionnel dut capituler devant un militarisme favorisé par les tensions internationales grandissantes. En 1913, en France comme en Allemagne, une culture militaire triomphe qui implique fortement l’enseignement, et les journaux accusent l’école de l’autre pays d’être un foyer de chauvinisme et un danger pour la paix.12 Dans la Manche, à la veille de la guerre, l’Allemagne inspire : durant l’année scolaire 1912-1913, l’Inspecteur primaire Gaillardon, donne une série de causeries à l’Ecole Normale d’instituteurs de Saint-Lô et, rejoint par un professeur du lycée de Coutances, à l’Ecole Normale d’institutrices de Coutances sur l’Alsace-

8 On retrouve plusieurs des poèmes de cet instituteur dans l’Annuaire de l’enseignement primaire de la Manche et dans des journaux locaux (Journal de la Manche et de la Basse-Normandie, Journal de Saint-Lô). 9 Ce poème non daté, a du être écrit entre 1905 et 1913, période durant laquelle la durée du service militaire était de deux ans. 10 Extrait d’un recueil de poèmes autographes déposé aux archives départementales de la Manche en novembre 2013. 11 Le congrès des amicales d’instituteurs et d’institutrices qui s’est tenu à Bordeaux en 1901 a voté la suppression de l’imagerie guerrière à l’école ; celui de 1902 ayant été interdit, le suivant débute à Marseille par l’Internationale (1903) ; au cours de celui de Lille, en 1905, on adopte la formule « Guerre à la guerre ! ». 12 ALEXANDRE (Philippe). « Le patriotisme à l’école en France et en Allemagne, 1871-1914. Essai d’étude comparatiste » dans Themenportal Europäische Geschichte, 2007.

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Lorraine, « les Allemands chez eux », « l’Ecole allemande », « l’Armée allemande ». La directrice de l’E.N. note que les conférences de l’inspecteur de Saint-Lô ont souligné « quel facteur de prospérité et de puissance représentent pour un peuple l’esprit de discipline »13. Est-ce un hasard si, début 1914, on fixe pour sujet des conférences pédagogiques d’automne « Les vestiges et souvenirs de la guerre franco-allemande de 1870-1871 dans votre commune ? », l’Inspecteur d’Académie s’inquiétant que « les jeunes générations ne la connaissent plus guère que sous la forme générale d’un des plus dramatiques et des plus émouvants chapitre de notre histoire contemporaine. »14

2. LE TEMPS DE LA MOBILISATION

2.1. L’appel

Parce que chez la nouvelle génération d’instituteurs, le socialisme pacifiste était favorablement accueilli, on craignait des défections s’il fallait mobiliser. Il n’en fut rien. Lorsqu’arrive l’ordre de mobilisation, le 2 août 1914, les maîtres écourtent leurs vacances et rejoignent leur école, leur secrétariat de mairie ou le régiment ; les plus jeunes sur le champ, les autres mobilisables dans les jours qui suivirent.15 Le 2 août, Giraud, le préfet de la Manche fait suivre aux maires du département un télégramme du Ministre de l’Instruction Publique ainsi rédigé : « Je vous confirme ma dépêche du 1er août. Les instituteurs qui ne sont pas appelés sous les drapeaux n’hésiteront pas à faire au pays le sacrifice de leurs vacances. Ils resteront à leur poste jusqu’à la fin de la crise ; ils offriront leur concours aux autorités civiles et militaires. Tout citoyen trouvera près d’eux des conseils, tout père de famille du réconfort. Ils auront soin de mettre la population en garde contre les fausses nouvelles, leur rappelant que seules les dépêches officielles méritent créance. Ils donneront dans chaque commune l’exemple du sang froid et du zèle patriotique, comme leurs collègues plus jeunes donneront dans chaque régiment l’exemple de l’héroïsme. »16 « L’instituteur, secrétaire de mairie, rentré le 3 août, s’est mis aussitôt à la disposition du Maire. A partir du 17 août, il partage son temps ente la Mairie et l’Ecole ; l’institutrice partage le sien entre l’Ecole et les travaux de couture et de tricot pour les blessés et les combattants » note l’institutrice de Bérigny.17

13 Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche. 33e année, n° 7 (juillet 1913).

14 Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche. 34e année, n° 2 (février 1914). Les conférences pédagogiques ne pourront avoir lieu en raison de la situation de guerre. 15 2 887 000 hommes sont incorporés du 1er au 15 août, puis 1 099 000 le sont du 16 août au 30 septembre, soit un total estimé à 3 986 000 hommes. En septembre et octobre 1914, il est procédé au recensement puis au rappel devant les conseils de révision de tous les réformés et exemptés des classes 1887 à 1914. 16 Arch. dép. Manche, 36 ED 5 H 3. 17 A Bérigny, l’institutrice note en avril 1915 qu’un chandail, un gilet de chasse, sept paires de chaussettes, un passe-montagne, quatre caleçons, six cache-nez ont été confectionnés pour les soldats du front. Journal d’une institutrice de campagne. Arch. dép. Manche. 2 J 601.

Histoire d’une heureuse souscription, détail. Baudry de Saunier (s. d.)

Arch. dép. Manche (202 Fi 13)

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Dès le 2 août, l’Inspecteur d’Académie enjoint les instituteurs publics non mobilisés d’interrompre leurs vacances et à revenir immédiatement à leur poste, et particulièrement aux instituteurs secrétaires de mairie de prêter leur concours pour assurer la mobilisation et toutes les mesures nécessitées par la gravité des circonstances.18 « Reçu l’invitation de surseoir à mon départ en vacances. Invité à prêter come secrétaire de la mairie mon concours le plus dévoué au maire pour assurer la mobilisation, le ravitaillement, etc. » écrit le 5 août, M. Renouf, en poste à Savigny-le-Vieux.19

Après guerre, le même se souvient que

« Jamais la France n’avait été aussi pacifiste qu’à l’heure où d’un geste brutal qui était un geste longuement prémédité, l’Allemagne déchaînait une guerre plus qu’européenne, une guerre mondiale. Notre pays n’était pas seulement pacifique, il était pacifiste. Nombre d’hommes politiques introduisant le pacifisme dans leurs programmes répétaient en chœur à tout venant « Guerre à la guerre ». […] Le personnel primaire de la Manche avait en partie suivi le mouvement général qui emportait l’enseignement primaire. […] Mais les mots ne sont que des mots, quoique à répéter le même refrain il y ait toujours quelque danger. […] Comme tout individu en état de légitime défense, il [le peuple] est entraîné par l’instinct de conservation fortifié par le courage naturel. C’est ainsi que sans distinction, dans toutes les classes de la société, tous les Français se levèrent comme un seul homme au même signal. Les instituteurs le firent comme les autres. Je vis même un vieux pacifiste dont la carrière avait été plutôt agitée, s’engager à cinquante ans. Il alla en Orient et n’en revint point. »

L’Inspecteur d’Académie déclame le 25 juin 1919,

« Nos maîtres ne sont point partis tous ensemble. Ils sont partis les uns après les autres aux appels successifs de la patrie. Au 1er Août 1914 plus d’un d’entre eux n’était encore qu’un étudiant ou même qu’un grand écolier sur les bancs d’une Faculté, d’un Lycée ou d’une Ecole Normale. Tels sont ces jeunes Normaliens qui brusquement interrompirent leurs études pour ne jamais les reprendre. L’âge mûr n’a pas été plus épargné que l’adolescence et il y a presque toujours autant de morts dans les vieilles classes de la Territoriale que dans les jeunes classes de l’armée d’active. Ils furent près de cinq cents qui, à des dates diverses, sans une hésitation, sans un regard en arrière s’en allèrent là où ils devaient aller. Quatre vingt-dix sept ne sont point revenus et ne reviendront point. A nos 97 morts nous devons ajouter avec une cruelle certitude les 10 disparus que nous avons perdu tout espoir de jamais revoir. Et la funèbre liste n’est pas close. A ceux qu’ont tués les balles sur les champs de bataille, combien d’autres faut-il ajouter qu’elles ont épargnés seulement en apparence après les avoir mutilé. Combien il reste à inscrire de malades incurables que lentement mais sûrement décompose sous nos yeux le redoutable bacille de la tuberculose. »20

Quelques mois plus tard, les comptes macabres s’affinent : Ils furent au moins 414 instituteurs publics mobilisés entre 1914 et 1918, d’après le Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche (dont 6 capitaines, 59 lieutenants et sous-lieutenants et 138 sous-officiers et gradés)21 ; 114 tombèrent au champ d’honneur, 88 sont blessés, 8 restèrent grands invalides22 selon un document manuscrit interne à l’Inspection académique conservé aux Archives départementales de la

18 Au sujet de l’engagement de Léon Déries voir l’article d’Yves Marion, « Léon Déries, inspecteur d’académie, et les hommages aux instituteurs de la Manche » dans La Manche, la Basse-Normandie et les îles dans la Première guerre mondiale – Actes du colloque de Coutances des 8,9 et 10 novembre 2008. Cercle de généalogie et d’histoire locale de Coutances et du Cotentin, Editions CGH Coutances, 2010. 19 Arch. dép. Manche. 80 ED 5 H 6. 20 A la mémoire des membres de l’enseignement public tombés au champ d’honneur. 1914-1919. Cherbourg, Ledelay, 1919. 21 Dans un article de Ouest-Eclair du 24 décembre 1932, le nombre des enseignants mobilisés est porté à 540. 22 En 1919, D. Dautresme, comptait 80 instituteurs morts et 17 disparus sur les 366 mobilisés dans le département de Seine-et-Marne. En Corrèze, sur les 173 instituteurs mobilisés au cours de la guerre, 95 furent tués.

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Manche.23 Sur cette base, 27,53 %24 des instituteurs publics de la Manche mobilisés seraient morts à la guerre, ce qui est supérieur à la proportion nationale (22,66%), si l’on retient les chiffres donnés en 1924 par le Directeur de l’enseignement primaire, Paul Lapie : 35 817 enrôlés, 8 118 morts. Au niveau national, la catégorie des enseignants a été plus touchée que l’ensemble (20 % de morts). On évoque pour expliquer cet écart la plus forte proportion de gradés et sous-officiers parmi les enseignants (79 % des enseignants de la Manche morts à la guerre – voir infra), qui s’exposaient aux tirs ennemis pour entraîner leurs hommes en dehors des tranchées25. Le premier mort de la Grande Guerre, le caporal Peugeot, était lui-même instituteur public !

Les fiches du Ministère de la Défense aboutissent à 17 639 morts manchois, Patrick Fissot estime, de son côté, à 19 300 le nombre de Manchois tués durant le conflit. « Ce serait un Manchois sur cinq en âge de combattre, donc un actif, qui n’aurait pas survécu à cette terrible guerre » précise-t-il.26 Dans le cas des enseignants publics on atteint un ratio plus considérable : un sur quatre.

Mais une étude détaillée des 114 personnes dont les noms sont portés sur le monument érigé à Saint-Lô, nous oblige à revoir ces premières impressions, en s’appuyant sur trois listes éditées en 1919, 1934 et 1936, en retrouvant 95 fiches dans la base de 1,3 million de fiches individuelles numérisées de militaires décédés au cours de la Grande Guerre et ayant obtenu la mention "Morts pour la France" (http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/), en consultant les archives de l’Inspection Académique conservées aux Archives départementales de la Manche ainsi que les Annuaires et Bulletins de l’Instruction Primaire de la Manche.27 Cinq des 114 individus doivent être écartés puisque trois enfants du pays enseignent dans un autre département à la mobilisation28, et

23 Arch. dép. Manche, 1T2/476. 24 On verra plus bas que la proportion doit être abaissée à 25,60 %, plusieurs morts devant être écartés. 25 « A mesure que se prolongeaient les hostilités, les deuils s’ajoutaient aux deuils. Vu le nombre des combattants qu’elle avait envoyés au front, appartenant tous à l’infanterie, et remplissant avec les galons d’aspirant, de sous-lieutenant ou de lieutenant, les dangereuses fonctions de chef de section en tête des hommes, elle fut cruellement éprouvée. J’ai conservé comme de pieux souvenirs, comme des reliques, les lettres de tous ces vaillants. Un jour la correspondance cessait tout à coup. C’était que mon correspondant était mort. Parfois même, sa dernière lettre m’arrivait alors qu’il n’était plus. » DÉRIES (Léon). Sous la toge universitaire. Saint-Lô, Jacqueline, 1931. 26 FISSOT (Patrick). Les Manchois dans la Grande Guerre, Marigny, Eurocibles, 2008. 27 Les registres matricules n’étant pas consultables en raison de leur numérisation, il n’a pas été possible de se plonger dans cette autre source essentielle. 28 Louis Lecronier né à Saint-Pierre-de-Coutances, professeur à l’Ecole Primaire Supérieure de La Loupe dans l’Eure et Loir, après avoir été instituteur à Pontorson. Lagablier, natif de Villebaudon, instituteur à

Liste des 114 membres de l’enseignement public morts au champ d’honneur, imprimée à l’occasion de l’inauguration du monument de l’Ecole Normale de Saint-Lô (1934)

Arch. dép. Manche (1 T2/476)

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que deux autres ne sont pas décédés ! Alexandre Joseph Laignel, né aux Champs-de-Losques en 1871, instituteur à Saint-Hilaire-du-Harcouët, mobilisé au 79e R.T.I. dans les formations sanitaires, retrouve son poste la guerre terminée et sera admis à la retraite en novembre 1927 ; Léon Auguste Girard, né à Méautis en 1896, élève de l’Ecole Normale en 1914, est sous les drapeaux à partir d’août 1915, blessé par éclat d’obus deux ans plus tard, démobilisé en septembre 1919, il est nommé instituteur à Hébécrevon, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort en novembre 1939. Comment ce fait-il que deux enseignants puissent être prétendus morts au champ d’honneur encore en 1934 alors qu’ils sont de retour dans le département, la victoire acquise, et y reprennent leur métier au vu et su de tous ? La liste de 1919 (108 noms) est pourtant catégorique et la confusion n’est pas permise, les identités, les postes signalés sont bien ceux des deux martyres imaginaires. Mais la base Mémoire des hommes ne contient pas les fiches de nos deux Manchois – et pour cause ! ; Aucun autre monument aux morts que celui dressé dans la cour de l’Ecole Normale ne porte non plus leur nom. La liste de 1919 a été dressée en compilant les listes des victimes de la guerre publiées dans les Annuaires de l’enseignement primaire de la Manche pendant les hostilités, sans y apporter de corrections. Elle a été reprise en 1924 pour graver les noms des membres de l’enseignement dans le marbre du monument saint-lois, ajoutant ceux de cinq instituteurs morts de maladie, mais pas celui de Théophile Maupas, fusillé. On la retrouve, étendue à 114 noms, dans les deux listes diffusées en 1934 à l’occasion de l’inauguration du monument et en 1936 au moment de la célébration du centenaire de l’E. N. L’absence de rigueur et de révision est déconcertante ; ce cas doit mettre en garde sur la médiocre qualité des informations portées sur les nombreux monuments érigés dans la fièvre commémorative de l’après-guerre.

L’effectif de membres de l’enseignement public de la Manche morts du fait de la Grande Guerre est réduit par conséquent à 109 personnes. Encore faut-il ôter les maîtres d’écoles réformés et morts à leur domicile d’une maladie qui n’a pas été contractée à l’armée : l’instituteur de Bouillon, réformé dès le 24 aout 1914, meurt trois mois plus tard d’une maladie de l’estomac,29 les instituteurs de Néhou et du Tanu, en poste, sont victimes de l’épidémie de grippe espagnole en octobre 1918.30 Dans ce cas d’autres instituteurs qui ont été mobilisés mais sont morts de maladies devraient rejoindre les 114 héros, tel ce professeur de l’Ecole Normale de Saint-Lô gestionnaire des hôpitaux 3 et 26, mort auprès des siens en avril 1915, ou cet instituteur de Bion, renvoyé dans ses foyers dès les premiers jours d’août pour ne pas avoir pu « supporter les dures fatigues de la campagne » et mort en mai 1915.31 Difficile de trouver une logique dans l’éviction de certains maîtres. Il semblerait que si des victimes de la grippe sont admises dans la liste des martyres, c’est à la condition d’être décédées avant l’armistice.32

Quimperlé, dans le Finistère. Victor Poullain, natif de Saint-Pierre-Eglise, professeur à l’Ecole Normale de Caen. Mais dans ce cas pourquoi le monument de Saint-Lô n’accorde-t-il pas de place à Aimable Grandin qui grandit à Gouville, étudia à l’Ecole Primaire Supérieure de Périers et fut reçu en 1911 à l’Ecole Normale de la Seine ? Il partit au front comme aspirant, mais, promu sous-lieutenant, il mourut en juillet 1916, après avoir reçu la Croix de la Légion d’Honneur. Les Echos de Coutances lui rendent hommage dans le numéro de janvier 1917. 29 Considéré, avec deux autres collègues décédés eux aussi en novembre 1914, comme « victimes indirectes de la guerre » dans le Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche de décembre 1914. 30 Charles Tabourel, né en 1888, blessé à Charleroi en 1914 qui reprend sa classe en octobre 1917 (mis en sursis comme une soixantaine d’autres instituteurs), et Henri Tostain né en 1884. 31 Albert Flaux, né à Cambernon en 1881 et Victor Hantrais, né au Teilleul en 1886. « C’est une victime indirecte de la guerre » conclue-t-on dans sa nécrologie au Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche de mai 1915. 32 Jules Coquerel, né en 1875, en poste à Parigny, mobilisé au début de la guerre, qui avait été nommé sous-lieutenant, et avait succombé le 18 février 1919 des suites de la grippe, ne figure pas parmi les victimes honorées.

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106 membres de l’enseignement public33 peuvent être finalement identifiés comme des victimes manchoises de la Grande Guerre ; 15 d’entre eux ne sont pas « Morts pour la France », succombant pour la plupart à une maladie, pendant leur mobilisation ou à la suite de leur engagement.

Sur ces 106 individus, 80 étaient des instituteurs à proprement parler (stagiaires ou titulaires), c’est-à-dire en charge d’une classe élémentaire dans le département (75 %), sept étaient professeurs ou instituteurs délégués aux écoles primaires supérieures de Granville, Périers, Valognes, Saint-Lô et Carentan, trois professeurs en collège (Mortain) ou lycée (Cherbourg, Coutances), un répétiteur (Mortain), deux professeurs à l’Ecole Normale de Saint-Lô, treize élèves-maîtres (12 %).

79 % des enseignants dont la situation est connue (105 cas) sont gradés : 100 % des professeurs et 77,5 % des instituteurs. Cette très forte distinction des enseignants est un facteur de leur plus fréquente mortalité au combat. 84,5 % des enseignants dont sont connues les circonstances du décès (103 cas) sont morts tués à l’ennemi (59), disparus (4) ou des suites de leurs blessures (24), 12,5 % de maladie (13). Un caporal a été fusillé (Maupas), un auxiliaire de la Territoriale s’est noyé dans la Vilaine, un 2e classe s’est suicidé en 1919. Tous les enseignants mobilisés ne combattirent pas au front, certains des plus âgés servirent dans des corps auxiliaires, administratifs ou sanitaires par exemple.34

Grades, circonstances et année du décès de 106 enseignants en poste dans la Manche

Instituteurs Écoles

élémentaires

Instituteurs ou profs

EPS

Profs EN

Elèves-maîtres

EN

Profs Collèges

ou Lycées

Autre

Total

Gradé 62 7 2 8 3 1 83 Soldat 18 0 0 4 0 0 22

Inconnu 0 0 0 1 0 0 1 Tué à

l’ennemi 47 3 0 7 2 0 59

Mort suite blessure

13 4 2 4 1 0 24

Disparu 4 0 0 0 0 0 4 Mort suite maladie

12 0 0 1 0 0 13

Autre 3 0 0 0 0 0 3 Inconnu 1 0 0 1 0 1 3

1914 28 3 0 0 2 0 33 1915 21 0 0 4 0 1 26 1916 13 4 0 1 1 0 19 1917 8 0 0 4 0 0 12 1918 9 0 2 3 0 0 14 1919 1 0 0 1 0 0 2

Les premiers mois de la guerre furent les plus meurtriers : sept morts dès août 1914, trois en septembre, sept en octobre, huit en novembre et autant en décembre. Aucun en janvier 1915, deux en février, un fusillé en mars, quatre tués en avril, aucun en mai, mais neuf en juin 1915, un

33 Combien de maîtres de l’enseignement libre sont morts à la guerre ? La Semaine religieuse du diocèse de Coutances et Avranches désigne dans son numéro du 15 mai 1919, parmi les 18 prêtres (et 35 séminaristes) tombés au champ d’honneur, trois professeurs, deux au Collège Notre-Dame d’Avranches, un au collège Saint-Paul de Cherbourg. 34 Dans le département du Doubs 315 instituteurs sont mobilisés, 258 comme combattants, 57 dans les services. Cité par BECKER (Jean-Jacques), Les Français dans la Grande Guerre.

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en juillet : 50 en l’espace d’un an, soit la moitié (47 %) des pertes de la guerre ! Les douze premiers mois sont dramatiques pour le corps enseignant du département.35 Le premier enseignant manchois tué est le sous-lieutenant Henri Chaulieu, natif de Valognes, instituteur délégué à l’E.P.S. de Périers, 26 ans, mort le 22 août 1914, dans l’Aisne. Les plus jeunes avaient vingt ou vingt-et-un ans et étaient élèves-maîtres à l’Ecole Normale ; le plus âgé, instituteur à Coutances, meurt à l’âge de 43 ans, dès novembre 1914. Deux frères instituteurs succombent à cinq jours d’intervalle en 1914 : Ernest Painchaud, 40 ans, instituteur à Saint-Jores et Emile, 38 ans, maître à Bouillon. Tous les deux étaient sergents dans la Territoriale, et moururent de maladie à la suite de leur mobilisation. Un des 106 maîtres manchois mourut en mer Adriatique, un autre en Serbie, douze en Belgique en 1914, mais huit dans le département de la Manche, avant le 11 novembre 1918, des suites de leurs blessures ou de maladie contractée en service.

Parmi les 106 enseignants tombés pour la défense du pays figure Joseph Lotte, professeur de lettres au lycée de Coutances, compagnon de Charles Péguy et fondateur en 1911 du Bulletin des professeurs catholiques de l’Université, imprimé à Coutances.36 Patriote, républicain et catholique militant, il rassembla autour de lui des professeurs catholiques de l’enseignement public, hostiles au laïcisme de l’Université. L’intellectuel, défenseur de la « France élue », est tué le 27 décembre

35 En une année de guerre, « sur ses 320 instituteurs mobilisés sur le front, la Manche dénombre 30 tués, 7 disparus et 43 blessés, 11 prisonniers » lit-on dans 120 ans en Cotentin 1889-2009, La Presse de la Manche, hors-série, novembre 2009. Le bilan est malheureusement plus lourd encore ! 36 « Cet ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure dont le diplôme de l’agrégation aurait dû couronner la solide culture, avait l’étoffe d’un apôtre. Lyrique, mystique, passionné, comme son ami, le grand Péguy, il était de ceux qui pouvaient créer des mouvements d’âmes et entrainer les foules. Sa fermeté et son courage étonnèrent plus d’un, par les temps de scepticisme d’avant-guerre. Bien qu’il n’eut guère d’autres ressources que don modeste traitement de professeur au lycée de Coutances, il ne craignit pas d’aventurer avec une belle confiance le pain de ses enfants en fondant le Bulletin des Professeurs catholiques de l’Université. Il faut l’avouer, il fallait une certaine audace en créant un tel bulletin ; dans une pensée de large et généreuse sagesse, l’Université le laissa subsister ; c’est un fait tout à l’honneur de notre régime de Liberté. » Les Echos de Coutances, n°7 (août 1916).

Extrait du cahier tenu par la directrice de l’école de Chef-du-Pont « Ven le 15 9bre 1914. On apprend la mort de M Bailleul Albert enfant de la commune instituteur à Vesly, tué à Ypres d’une balle

au front inhumé par ses camarades dans le cimetière de Belgique. Fils d’ancien instituteur il laisse une veuve et 2 petites filles ».

Arch. dép. Manche. 80 ED 5 H 6.

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1914, « frappé d’une balle à la tête » tient-on à préciser sur la fiche individuelle remplie, au corps, après son décès.

Eléonor Daubrée, instituteur public à Lessay et poète régionaliste, dédie en 1918 à deux - presqu’anonymes - collègues37 tombés au front, le poème L’exemple (dans lequel, au passage, il égratigne les jeunes femmes intérimaires qui suppléent, sans formation, les instituteurs mobilisés)

L’exemple 38

« Le maître est mort au « champ d’honneur » Là-bas, bien loin de son école, Vous ne sentirez plus son cœur, Vibrer en sa chaude parole. Vous n’entendrez, petit garçon ! Assise à sa place, en la chaire, Pour continuer ses leçons, Qu’une modeste intérimaire ; Mais son portrait devant vos yeux, Vivante image, en l’humble temple Gravera dans vos cœurs pieux, L’empreinte de son noble exemple ; Car, vous verrez s’auréoler Son front dans la tombe fleurie, Lorsque vous entendrez parler De dévouement à la Patrie ; … »

Déjà en 1915, dans un autre poème, il avait célébré les maîtres mobilisés qui appliquaient grandeur nature leurs leçons

Aux camarades tombés au champ d’honneur 39

« Vous dont la mission sublime était d’instruire, D’ouvrir tous les esprits aux clartés du savoir Et d’incliner les cœurs sous la loi du devoir : Chemins par lesquels l’homme à l’idéal aspire. Vous que le livre et la plume avaient su séduire Et qui partiez pourtant pleins d’audace et d’espoir, Armés d’un invincible et radieux vouloir Pour battre l’Allemand, le vaincre et le réduire ; Vous vous êtes dressés au premier rang Pour la France, et donnant sans regret votre sang, Vous avez prouvé dans la lutte avec ses fièvres, Camarades tombés hier au champ d’honneur, Que le devoir n’est pas un vain mot sur les lèvres, Puisqu’il resta si bien gravé dans votre cœur. »

37 Charles Letenneur en poste avant la mobilisation à Auderville et Victor Pelhate, maître à Saint-Pois. 38 DAUBRÉE (Eléonor). Un regard sur la vie… Poèmes et récits du temps de guerre au pays normands. Caen, Delesques, 1918. 39 DAUBRÉE (Eléonor). A tous nos morts sublimes. Paris, Jouve & Cie, 1915.

Faire-part du décès d’Alphonse Lemoine (1919)

Arch. dép. Manche (1 T1/197)

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2.2. La réorganisation de l’encadrement

Durant toute la guerre, l’Inspecteur d’Académie veille à assurer la continuité du service en dépit de l’absence de nombreux instituteurs, des réquisitions de locaux pour soigner les blessés ou loger les conscrits belges, et des restrictions budgétaires.

La mobilisation de 414 instituteurs publics de la Manche nécessita une réorganisation importante. Dans un premier temps, pensant la guerre courte, on réclama aux enseignants et enseignantes en place davantage d’efforts, leur demandant de prendre en charge deux classes au lieu d’une, quand cela était possible, et de ne pas compter leurs heures supplémentaires qui ne pourraient être rétribuées pourtant.40 Le 10 août 1914, considérant les prescriptions gouvernementales d’ouvrir des garderies ou des classes de vacances pour soulager les familles, Léon Déries annonce que la rentrée des classes dans les écoles élémentaires et maternelles qui devait avoir lieu le 1er septembre est avancée au 17 août, partout où les locaux scolaires ne sont pas occupés militairement. Dans la même circulaire, il ajoute que « là où les écoles de garçons se trouvent sans titulaire à la suite de la mobilisation de l’instituteur, l’école spéciale de filles sera momentanément transformée en école mixte sous la direction de l’institutrice » mais aussi que toutes les écoles recevront les enfants en bas âge et se transformeront partiellement en garderies.

En juillet 1915, l’Inspecteur d’Académie rapporte que 320 instituteurs (55 % des 582 enseignants en poste dans la Manche au 1er janvier 1914) ont été appelés sous les armes, versés les uns dans le service armé, les autres dans le service auxiliaire. En juillet 1916, ils sont encore 270, et même 292 un an plus tard, mais en juillet 1918, leur nombre est descendu à 161 du fait des pertes et du retour d’une soixantaine d’instituteurs mis en sursis du fait de leur âge (28 % de l’effectif de 1914).

En 1914, l’Inspecteur d’Académie souligne que la baisse démographique éprouvée par le département depuis plusieurs décennies, et conséquemment l’abaissement ininterrompu du nombre d’enfants en âge scolaire, a permis de ne pas devoir procéder au remplacement de tous les maîtres (mais il ne dit rien de l’admission dans les écoles manchoises des petits et petites réfugiés). Partout où les écoles spéciales de garçons et de filles n’atteignaient pas un effectif global de 40 élèves, on les a rassemblées dans une même école mixte confiée aux soins de l’institutrice. Il y a eu 74 réunions de ce genre. Dans les mêmes conditions, on procéda à 47 réunions de classes de garçons ou de filles, et 67 enseignants ont été déplacés. Cette initiative

40 Le juge de paix du canton de Carentan, Pierre-Charles Delagarde, note qu’en 1914 « Nos dévouées institutrices ne voulurent pas rester en retard ni en dehors du mouvement de solidarité qui s'était partout produit. Elles renoncèrent donc spontanément et bénévolement à leurs vacances si bien gagnées pourtant ; et pour permettre aux mères de suppléer par leur travail à l'absence du mari mobilisé, elles assurèrent immédiatement des garderies d'enfants dont elles assurèrent sans relâche la surveillance, tout en travaillant pendant ce temps et en faisant travailler leurs élèves aux œuvres d'assistance aux blessés, tricot du soldat, etc... » Carentan pendant la guerre 1914-1918. Notes et documents recueillis par Pierre-Charles Delagarde, juge de paix du canton de Carentan. Arch. dép. Manche, 3 J 16.

Gravure sur bois de Ludovic Houyvet (1880-1927), instituteur à Lengronne,

extrait de En Famille de Jacques Fuster (1926)

Arch. dép. Manche (BIB D 10006)

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n’était pas du goût de l’Eglise qui, quelques jours encore avant la mobilisation, combattait la gémination des écoles rurales et les expériences de coéducation de l’école laïque. Selon les calculs de l’Inspecteur d’Académie, le non remplacement de 121 maîtres ou maîtresses permettait d’économiser, sur la durée de l’année scolaire, 150 000 francs qui pouvaient être consacrés à la défense de la patrie. Restait à la rentrée 1914 à trouver tout de même 182 enseignants : on fit appel à des maîtres retraités,41 à des enseignants réfugiés42, aux élèves-institutrices dont les études furent raccourcies d’une année43, à des institutrices intérimaires44 surtout.

En juillet 1917, il y a plus d’instituteurs des écoles élémentaires mobilisés (292) qu’en exercice (276). Les 978 institutrices en poste ne peuvent suffire pour encadrer les 55 424 enfants des écoles publiques (il y a par ailleurs 9 407 enfants dans les écoles privées) ; aussi faut-il recourir à 22 instituteurs (5) et institutrices (17) des départements envahis, 150 instituteurs (19) et institutrices (131) intérimaires.45

En septembre 1917, l’Inspecteur d’Académie constate que « les collèges et les écoles primaires supérieures de jeunes filles du Département renforçant les cadres insuffisants de l’Ecole Normale d’Institutrices de Coutances ont continué à mettre à la disposition de l’Administration académique toute une élite de jeunes files pourvues du brevet supérieur. Assurément toutes ces jeunes filles n’ont pas l’expérience pédagogique, mais c’est en forgeant que l’on devient forgeron. […] Nos jeunes soldats des classes 17 et 18 ont appris rapidement la guerre. Leurs jeunes sœurs n’ont pas appris moins rapidement la classe.»46

Cela aboutit à l’accentuation de la féminisation de la profession47, comme l’observe Léon Déries en août 1915, estimant « l’expérience probante » et que « l’institutrice vaut l’instituteur » (sauf dans les grandes écoles urbaines ajoute-t-il !)48 L’année suivante, devant le Conseil départemental de l’Enseignement primaire de la Manche, le même rend hommage aux maîtresses d’écoles : « Ce sont elles [les femmes] qui, presque partout, ont contribué pour la meilleure part à assurer le fonctionnement régulier et presque normal de l’école, comme elles ont contribué ailleurs à assurer

41 Dès le 10 août 1914, l’I.A. arrête que les instituteurs qui ont demandé leur retraite rejoindront leur poste et reprendront leurs fonctions. 42 23 maîtres des régions envahies (6 instituteurs et 17 institutrices) et 4 Belges (dont une institutrice) ont enseigné dans le département. 43 La promotion de 2e année de l’Ecole Normale d’institutrices de Coutances n’a pu achever sa troisième année d’études. Les élèves-maîtres les plus âgés, dont l’école a été transférée à Carentan, sont quant à eux partis effectuer leur service militaire, en vue dans leur engagement sur les frontières. 44 D’anciennes élèves des collèges et écoles primaires supérieures pourvues du Brevet supérieur sont investies de l’instruction des enfants. Il y a 131 institutrices et 19 instituteurs intérimaires dans le département en juillet 1917, soit 10,5 % du personnel en poste. 45 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche pendant l’années 1916-1917 » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 7 (septembre 1917). 46 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche pendant l’années 1916-1917 » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 7 (septembre 1917). 47 Au 1er janvier 1914, 582 instituteurs et 943 institutrices officient dans 1119 écoles élémentaires publiques. Après la guerre, en 1920, ils sont respectivement 504 et 999. La part des femmes est passée de 62 % à 66,5 %. Sa progression n’est pas spectaculaire car la féminisation était déjà prononcée avant guerre. Cependant le nombre d’instituteurs a diminué de 13 %, quand celui des femmes a augmenté de 6 %. Source : Rapports sur la situation de l’enseignement primaire par l’Inspecteur d’Académie en juillet 1914 et juillet 1920. 48 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie au Conseil départemental de l’Enseignement primaire de la Manche, 29 juillet 1915. » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 35e année, n° 7 (juillet 1915).

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la marche de la ferme, de l’usine, du comptoir ou du bureau. »49 En 1917, il ne tarit pas d’éloges pour le personnel féminin : « Au dehors aussi bien qu’au-dedans de la classe, il a fait tout son devoir, plus que son devoir en ajoutant aux travaux proprement scolaires les tâches multiples des œuvres de guerre toujours plus nombreuses, et les lourdes besognes, nouvelles pour lui, du secrétariat de mairie dans pas mal de communes rurales »50. Dans son rapport sur l’enseignement primaire présenté le 24 juillet 1918 devant le Conseil départemental, il enfonce le clou : « Nous ne pouvons que renouveler cette année l’éloge très mérité du personnel féminin. Dans toutes tâches non seulement scolaires, mais extra-scolaires toujours plus nombreuses et partout plus lourdes qui lui sont confiées, il continue de se montrer aussi zélé et aussi dévoué. Il ne faiblit pas même sous le poids des secrétariats de mairie ». Encore en 1931, Léon Déries se souvient dans Sous la toge universitaire : « on mobilisa les femmes qui partout remplacèrent les hommes dans leurs fonctions. Comme on ne manqua jamais de maîtresses pourvues soit de grades secondaires, soit de grades primaires, il n’y eut point d’arrêt ni de suspension dans l’enseignement. Et les femmes furent à la hauteur de leurs fonctions. »

Dans ces conditions de dévouement, la gestion des intérimaires posa un cas de conscience à l’Inspecteur : il regrettait déjà dans son rapport de juillet 1918 que cinquante intérimaires aient dû être congédiées au moment où sont rentrés une soixantaine de vieux instituteurs mis en sursis d’appel le 1er octobre 1917. Le personnel enseignant du département compte encore, en juillet 1918, 72 institutrices et 15 instituteurs intérimaires (contre 131 et 19 un an plus tôt), aux côtés de 27 enseignants des départements envahis (contre 22), de 361 instituteurs masculins titulaires ou stagiaires (contre 276) et de 1 016 institutrices (contre 978). A la fin de la guerre, 5 instituteurs et 112 institutrices intérimaires comptant au moins six mois de services font l’objet d’un classement en vue d’une éventuelle titularisation, les intérimaires veuves d’instituteurs tués à l’ennemi ayant eu droit à une nomination définitive. Mais dans le Bulletin de l’Instruction Primaire de mai-juin 1919, les instituteurs et institutrices intérimaires sont avertis que « En raison du retour des mobilisés et de la réorganisation générale du service scolaire qui sera effectuée pour la prochaine rentrée des classes, toutes les délégations confiées à ce personnel prennent fin de plein droit, et sans autre avis, à la fin de la présente année scolaire. Cette règle ne comporte aucune exception. »

L’école dans la Manche fonctionna donc, quoique la discipline se relâche et l’absentéisme progresse. En mai 1915, l’institutrice de Bérigny (canton de Saint-Clair-sur-Elle), rapporte que

49 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie au Conseil départemental de l’Enseignement primaire de la Manche, 28 août 1916. » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 36e année, n° 7 (août-septembre 1916). 50 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche pendant l’années 1916-1917 » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 7 (septembre 1917).

Brochure Aux enfants de France, éditée par la Fédération des Amicales d’institutrices et

instituteurs publics de France et des colonies (1915)

Arch. dép. Manche (202 Fi 15)

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« l’enseignement donné dans les deux écoles a été à peu près identique à celui des années précédentes ; le nombre des enfants n’ayant pas l’âge scolaire ayant été très restreint. La fréquentation a été moins bonne ; beaucoup de parents ont gardé leurs enfants pour les aider dans leurs travaux. […] Le cours d’adultes a été suivi comme les années précédentes. »51 L’institutrice de Chef-du-Pont note que l’instituteur n’a reçu que 12 enfants en août 1914 alors qu’il en a inscrit 25 en septembre, « c’est qu’à la campagne les enfants déjà âgés étaient de service à la ferme ou gardaient les plus jeunes qui n’ont pas toujours des habits confortables pour se rendre à l’école. »52 En juillet 1917, l’Inspecteur d’Académie constate que « Mauvaise en 1916, la fréquentation est devenue très mauvaise en 1917. On a fait de plus en plus appel aux bras des enfants de 10 à 12 ans pour suppléer les pères et les grands frères au front. Nos écoles se sont ainsi dépeuplées par en haut. Rien de plus naturel, rien de plus normal, rien de plus rationnel. Mais elles se sont vidées aussi par en bas, les jeunes enfants étant de plus en plus gardés à la maison, sans profit pour personne, par leurs mères. Les rigueurs de l’hiver dans les campagnes ont justifié partiellement cette désertion, mais elles ne l’ont justifiée que partiellement. »53 Il regrette à une autre occasion que « Livrés à eux-mêmes, profitant de la faiblesse des mères dont la pensée est au front, dans les tranchées et qui doivent faire face à toutes les tâches de leurs maris absents, les enfants se permettent bien des licences. La fréquentation devient fort irrégulière et intermittente parce que leurs jeunes bras ne sont pas inutiles et qu’ils doivent collaborer à bien des besognes qui ne sont pas leur âge. »54 L’autorité a manqué aux mères, après le départ des pères. « Ce n’est donc pas l’école qui a manqué à la famille, mais bien plutôt la famille qui a manqué à l’école, en apparence avec un semblant de raison, en réalité sans raison vraiment sérieuse. Comme toujours les villes se sont montrées très attachées à la fréquentation, les campagnes fort peu. »55 Le constat est plus sévère après la victoire. Dans son rapport de juillet 1919 sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche, il regrette

« Au cours de quatre années de guerre, ce qui en certains lieux s’est produit dans les champs s’est produit dans les âmes. Les champs, faute de labour, se sont couverts de végétations parasites, les ronces les ont envahis. De même les âmes enfantines délaissées ou abandonnées à elles-mêmes ont été envahies par les penchants mauvais. Le sentiment du respect est disparu sans que le sentiment de l’amour vint le remplacer. Déjà faible, l’autorité s’est affaiblie encore parce que l’exercice de l’autorité est partout passée [sic] en des mains moins fermes. L’enfant a perdu l’habitude d’obéir. Il ne connait plus la discipline. L’ignorance de la discipline domestique et de la discipline scolaire conduit à l’ignorance de la discipline sociale et l’ignorance de la discipline sociale conduit elle-même à l’anarchie. » 56

51 Arch. dép. Manche. Journal d’une institutrice de campagne. 2 J 601. 52

Arch. dép. Manche. 80 ED 5 H 6. 53 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche pendant l’années 1916-1917 » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 7 (septembre 1917). 54 DÉRIES (Léon). Sous la toge universitaire. Saint-Lô, Jacqueline, 1931. 55 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie au Conseil départemental de l’Enseignement primaire de la Manche, 29 juillet 1915. » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 35e année, n°7 (juillet 1915). 56 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche, présenté par M. Déries, Inspecteur d’Académie, au Conseil départemental de l’Enseignement primaire de la Manche » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 39e année, n° 5 (juillet-aout 1919).

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Léon Déries, Inspecteur d’Académie de la Manche

Arch. dép. Manche (2 Fi 6/78)

2.3. L’enseignant et l’Inspecteur d’Académie

L’enseignant doit se faire propagandiste.57 En dépit de ses tâches accrues de secrétaire de mairie, le pays compte sur lui pour faire pression sur la population, lui demande d’animer des conférences publiques pour les adultes58, les collectes, des cérémonies patriotiques, de combattre le « défaitisme »…

Les enseignants en poste sont appelés à accentuer l’éducation patriotique, à adapter leur enseignement aux circonstances pour entraîner derrière eux les enfants et la communauté des adultes. « S’il est un maître dont je me refuse à concevoir un instant l’idée, ce serait l’éducateur français pour qui la guerre n’existerait pas, qui aurait continué à vivre de ses mêmes leçons et de ses mêmes devoirs et n’adresserait à ses élèves en ces heures décisives que des paroles inchangées » consigne le Ministre de l’Instruction Publique, Albert Sarraut, dans une circulaire en 1915. 59 Les conférences pédagogiques exigées des enseignants en exercice font une large place à l’actualité et composent, dans l’esprit de l’inspecteur-historien, une masse documentaire à conserver. Le thème fixé en 1916 est « Histoire de la guerre actuelle dans votre commune depuis le 1er août 1914 jusqu’au 1er août 1916 ». Un sujet repris l’année suivante. Dès la rentrée 1914, par une circulaire du 18 septembre 1914, Albert Sarraut demande aux instituteurs et institutrices « de tenir note de tous les évènements auxquels ils assistent », sur des cahiers en double exemplaire, l'un gardé à l'école, l'autre envoyé aux Archives départementales.60 Dans l’académie de Caen, le Recteur recommande de prendre des notes, non sur des cahiers, mais sur des fiches, à raison d’une par fait particulier ; chaque fiche devant être faite à deux exemplaires. Il ajoute « nous constituerons ainsi un admirable répertoire d’histoire locale ; l’élan merveilleux qui réunit actuellement tous les Français pourra être décrit aux générations futures d’écoliers, avec des exemples précis pris dans

57 Le Ministre de l’Instruction Publique, Paul Painlevé, décrit dans une circulaire du 23 octobre 1916 le rôle d’agent de propagande échu à l’enseignant, étendu aux élèves eux-mêmes : « C’est à nos instituteurs et à nos institutrices, c’est aux maîtres et aux maîtresses de notre enseignement à tous les degrés, c’est à leur autorité morale, à leur propagande, toujours si persuasive et si efficace, qu’il appartient de faire comprendre aux retardataires leur devoir. Quiconque, pouvant souscrire à l’emprunt, ne souscrit pas déserte : il abandonne ses frères au combat. En faisant pénétrer ces vérités dans l’esprit et le cœur de la jeunesse, les maîtres de notre enseignement n’accomplissent pas seulement une œuvre d’éducation ; leur influence déborde singulièrement les murs de leurs classes. » 58 Le 26 mars 1915, dans sa salle de classe, l’instituteur de Bérigny donne une conférence sur « Les victoires et le rôle de la Serbie » devant « un public nombreux » aux dires de son épouse. 59 Le Ministre de l’Instruction, Albert Sarraut, dans sa circulaire de rentrée 1914 prévient « La lutte acharnée qui nous conduit irrésistiblement à la victoire ajoute à la gloire de nos soldats mille traits d'héroïsme où le maître d'école puisera le meilleur de sa leçon ». 60 Aujourd’hui ces témoignages sont conservés de façon lacunaire dans 14 départements. Les archives départementales de la Charente qui conservent un fonds important (377 communes sur 426 en 1916) ont mis en ligne ces cahiers. http://www.archives16.fr/arkotheque/consult_fonds/index.php?ref_fonds=2.

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leur pays ». La circulaire fut appliquée à la lettre par l’institutrice de Bérigny, dont les Archives départementales de la Manche conservent une précieuse série de fiches, balayant toute la période de la guerre. D’autres traces de ces compte-rendu sont le cahier complété en 1914 par la directrice de l’école de filles de Chef-du-Pont (2 J 2500) ou la vingtaine de fiches sur la mobilisation et l’ordre public de l’instituteur et secrétaire de mairie de Savigny-le-Vieux (80 ED 5 H 6).

L’Inspecteur d’Académie se soucie de mobiliser les esprits autour des faits d’armes des maîtres et de cultiver le souvenir des martyres. Il fait part en septembre de la volonté ministérielle d’établir un Livre d’Or de l’Université mentionnant les promotions, distinctions et citations à l’ordre de l’armée, ainsi que la liste de ceux qui seront tombés, morts ou blessés, sur les champs de bataille. En septembre 1914, Léon Déries lance un appel auprès des instituteurs et institutrices pour lui adresser tout renseignement sur leurs collègues blessés ou morts afin d’adresser « quelques paroles de consolation patriotiques et de condoléances émues » à leurs parents et de publier leur nom dans le Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche. A cette occasion, il préconise d’apposer dans la classe un placard spécial recueillant le nom des morts et des blessés de l’école.61 En décembre, il rappelle qu’il convient d’afficher dans les écoles de toutes les communes le tableau des habitants de la localité siège de l’école qui ont été tués ou blessés à l’ennemi ; « cet hommage est dû à ceux qui ont bravement versé leur sang pour la défense du pays. Il doit être pour les jeunes générations la plus haute et la plus salutaire des leçons de chose. » En juin 1918, l’institutrice de Bérigny, dans le canton de Saint-Clair-sur-Elle, rappelle que « les noms de tous les tués et disparus sont enregistrés et ostensiblement affichés dans l’école depuis le début des

61 DÉRIES (Léon). Circulaire du 22 septembre 1914 dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 34e année, n° 9 (septembre 1914).

Commune de Ferrières (canton du Teilleul) : Tableau d’honneur (s. d.) Arch. dép. Manche

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hostilités ainsi que les citations dont les soldats de la commune sont l’objet.»62

Un des sujets de composition française des épreuves du certificat d’études primaires élémentaires, session 1915, évoque cette pratique étendue à toutes les écoles du département : « Le tableau d’honneur : C’est celui des mobilisés de votre commune qui ont été tués ou blessés à l’ennemi : décrivez-le. Dites pourquoi il a été accroché dans votre classe. Vous le regardez souvent. Pourquoi ? La liste s’allonge peu à peu : quels sentiments éprouvez-vous à ce sujet ? »63

L’Inspecteur d’Académie, agrégé de philosophie et patriote résolu, s’adresse au personnel du département par le biais d’une publication mensuelle, envoyée gratuitement aux écoles, le Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche. Dans sa partie officielle, la brochure reproduit des circulaires ministérielles et parfois des extraits de travaux ou discours patriotiques ; dans la partie non officielle Léon Déries déploie ses talents de propagandiste. Après la liste des victimes de la guerre, il insère des citations d’enseignants combattants à l’ordre du jour, des témoignages patriotiques ou à charge contre l’ennemi, des lettres de félicitations à des enseignants en poste méritants64, des appels à des plus amples sacrifices, des conseils pour optimiser les efforts consentis. Il réclame des états trimestriels contenant des renseignements relatifs à la fréquentation scolaire, à la confection d’objets d’habillement en laine, aux dons en nature, au produit des collectes ou quêtes, aux versements d’or et aux souscriptions aux bons de la Défense Nationale. Il donne en exemple des écoles pour entretenir l’émulation entre les collègues.65

Il œuvre à la glorification des combattants et pratique aussi le fameux « bourrage des crânes ». Ainsi dans le bulletin de janvier 1915, il reproduit la lettre que l’instituteur de Saint-Nicolas-de-Pierrepont66 lui a adressée. Extraits :

« Nos recrues sont déjà familiarisées avec la musique du champ de bataille. Les « marmites » ne les impressionnent plus […] Qui comptera tous les mots qui ont jailli de l’esprit fécond du troupier à l’apparition de ces bonnes grosses « marmites » des boches, car la plus franche gaieté règne ici. L’état moral de l’armée est excellent. Le champ de bataille n’inspire pas la mélancolie, au contraire. […] Nous sommes parfaitement ravitaillés : nourriture abondante et variée ; distribution de café, rhum, vin, thé. Les journaux expriment simplement la vérité quand ils annoncent que l’état sanitaire de l’armée est excellent. […] Vie de campagne, vie intense. L’être physique et l’être moral sont à l’épreuve tour à tour. Ceux qui auront le bonheur de survivre seront largement payés de leurs peines par les observations qu’ils auront faites, les impressions qu’ils auront ressenties et les émotions qu’ils auront éprouvées. Que de scènes plaisantes, émouvantes, terribles aussi se déroulent sur ce vaste théâtre »

62 Journal d’une institutrice de campagne. Arch. dép. Manche. 2 J 601. 63 Annuaire de l’Enseignement Primaire de la Manche. 20e année (1916). 64 « J’ai examiné avec beaucoup d’intérêt les renseignements fournis, à la date du 25 décembre dernier, par le personnel des écoles publiques de la Manche, en ce qui concerne la participation des maîtres et des élèves aux diverses tâches extra-scolaires de l’heure présente, et j’ai eu plaisir à féliciter les Instituteurs et Institutrices qui s’en sont occupé avec le plus de zèle et de succès. » Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 36e année, n° 2 (février 1916). 65 « Collecte de l’Or - Un exemple à suivre. Depuis le début de l’année 1916, M. Martinet, instituteur chargé de la direction de l’école publique de garçons de Saint-Hilaire-du-Harcouët, a reçu de ses élèves une somme totale de 4 207 francs (y compris une livre anglaise que la Banque de France a payé 27 fr.). C’est un exemple à méditer… et à suivre. » Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 36e année, n° 4 (mai 1916). « J’espère que la contagion de l’exemple gagnera les indécis, qui sont peut-être simplement des retardataires. La voie leur reste ouverte. » écrit-il en novembre 1916 à propos de la collecte des vieux papiers. 66 Auguste Lefol, né à Vesly en 1871, blessé en décembre 1914 et mai 1916 selon les 4e et 15e listes des victimes de la guerre publiées dans le Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche.

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La guerre s’éternisant, Léon Déries intensifie son engagement. On lit de plus en plus de ses lyriques incantations dans le Bulletin ; écrits qui s’allongent au fil des mois. Le 1er octobre 1916, dans un appel adressé aux instituteurs et institutrices, il devient la voix de la France !

« Il y a vingt-six mois déjà, après quarante années d’une préparation militaire progressive, minutieuse, méthodique, scientifique, sans nulle provocation de ma part, l’Allemagne s’est jetée brutalement sur moi à l’improviste, me saisissant à la gorge en traîtrise pour me terrasser et une fois couchée à terre, me mutiler pour toujours. L’Alsace et la Lorraine qu’elle m’avait arrachées ne lui suffisaient plus depuis longtemps. Il lui fallait jusqu’à la Champagne, la Bourgogne, la Flandre. Il lui fallait jusqu’à la Normandie avec ses verts pâturages, ses superbes bêtes de graisse, ses magnifiques trotteurs, ses riches gisements de fer que le Germain avait commencé à exploiter clandestinement sous de faux noms aux portes de Mortain, de Cherbourg et de Caen. Vingt-six mois se sont écoulés. Avec mes vaillants alliés, dont le nombre ne cesse de s’accroître, je suis toujours debout. Et c’est au contraire mon adversaire qui chancelle. La Marne, l’Yser, Verdun ont été pour lui comme des coups de massue dont il ne s’est jamais remis – Regardez : il sue, il halète, il multiplie en tous sens ses efforts avec obstination et avec rage. […] Pour l’instant dans la Somme il recule à petits pas parce qu’il lui reste du sang dans les veines, des obus dans ses fourgons, des cartouches dans ses gibernes. Mais laissez passer quelques mois, il fera de grandes enjambées, il traversera à la hâte ses frontières. Nous le suivrons jusque chez lui. […] Les morts ne reviendront point. Ils demeureront là où ils sont tombés, sur tous les champs de bataille où ils ont combattu le bon combat, depuis les bords de l’Yser jusqu’aux rives du Vardar. Mais ils ne seront pas tombés en vain. Leur sang aura été fécond. A tous ces vivants d’hier, j’avais demandé leur vie. Sans une hésitation, sans un murmure, ils me l’ont donnée. A tous les vivants d’aujourd’hui, à vous qui les pleurez, par les vastes cités ou les lointains villages, en la personne d’un père, d’un mari, d’un frère, d’un fiancé, d’un ami, je demande bien moins. Je vous demande de l’argent, de l’argent pour acheter le fer qui les vengera. En un coin de vos maisons, dans un coffre-fort, au fond d’une armoire, sous une pile de linge, dans un bas de laine ou un bonnet de coton, vous avez les uns de grosses liasses de billets de Banque qui dorment là sans rien faire depuis des mois et peut-être même des années, les autres des piles d’écus gagnés un à un. Il n’est peut-être pas jusqu’au jeune écolier qui ne possède quelques sous dans sa tire-lire. Donnez-moi tous ces billets de Banque, tous ces écus, tous ces sous, ou plutôt prêtez-les moi comme vous les prêtez au voisin en qui vous avez confiance parce qu’il a de belles et bonnes vergées de terre au soleil. […] Habitants des marches de l’Est, vous n’avez jamais oubliés les horreurs de l’invasion de 1870. Mais vous, les herbagers de Normandie, vous ne vous rappelez plus ce qui se passa en 1815 au pays des herbages alors que, sous le titre hypocrite d’alliés, les Prussiens au nombre de cinquante mille occupèrent tour à tour pendant plus de trois mois les fermes du Val-de-Saire, du Cotentin, de l’Avranchin et du Mortainais, dépeçant vos bœufs, lampant votre eau-de-vie et votre pur jus, caressant après boire du bout de leur bottes vos arrières grand’mères en peu lentes à les

Histoire d’une heureuse souscription, détail. Baudry de Saunier (s. d.)

Arch. dép. Manche (202 Fi 13)

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servir. Demandez plutôt aux gens de Coutances la note des ripailles du général Von Katzeler, « de sa demoiselle » et « de ses chiens ». Normands et Normandes SOUVENEZ-VOUS ! »67

En janvier 1917, il s’adresse en ces termes aux instituteurs et institutrices publics du département :

« […] L’heure suprême qui nous apportera la victoire est sonnée. Qui que nous soyons, depuis l’enfant jusqu’au vieillard, nous devons donc nous préparer à cette lutte. Plus que jamais, des devoirs moraux et des devoirs matériels incombent à tous, à ceux qui sont investis d’une fonction publique et à ceux qui n’ont aucun mandat officiel à remplir. Vos devoirs moraux, vous les avez, dès le début, admirablement compris et pratiqués. En jetant sur les évènements un clair regard, vous en avez saisi l’enchaînement, l’orientation et la fin. Au-dedans de l’école, dans vos causeries avec vos élèves, au dehors de l’école, dans des entretiens analogues avec les parents, vous avez dit, quand il le fallait et comme il le fallait, des paroles justes, des paroles vraies, qui sont celles qui convainquent. Vous avez appris à ceux qui vous entourent à se dégager des incidents quotidiens de la guerre qui peuvent parfois émouvoir les sensibilités trop vives. Vous leur avez appris aussi à regarder au-delà de certains tournants pour apercevoir la grande et large route de l’avenir,

que parfois ils dissimulent. Vous avez aussi rassuré les âmes hésitantes et ébranlées, passagèrement par des deuils personnels, vous leur avez communiqué la force nécessaire pour s’élever au-dessus de ces épreuves, et envisager demain avec assurance, confiance, patience et sérénité. Continuez. Eux ou nous, nous ou eux. Il n’y a pas de solution intermédiaire [pas de « paix blanche »68]. Et cette unique solution, seules les armes l’emporteront. […] Songez, surtout à ceux qui sont morts, à ceux qui mourront encore. Est-il un sacrifice qui dépasse celui de la vie ? Et pourtant, ce sacrifice, hésitent-ils une seconde à l’accomplir ?

Quand à l’intérieur de chaque foyer, de tels exemples nous sont donnés par ceux du front. Il n’est personne à l’arrière qui ne soit tenu, chaque jour, à toute heure, à toute minute, de se

67 DÉRIES (Léon). « L’Inspecteur d’Académie de la Manche à Messieurs les Instituteurs et à Mesdames les Institutrices du département » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de le Manche, 36e année, n°7 (août-septembre 1916). 68 En juillet 1917, Léon Déries écrit « L’enjeu de cette guerre mondiale est énorme, infini. Il est tel que la guerre ne saurait prendre fin que le jour où des deux groupes d’adversaires l’un aura définitivement terrassé l’autre. Nul accommodement temporaire, nul compromis bâtard ne saurait y mettre fin. A notre droite, nous avons nos tombeaux où dorment des milliers de morts. Il n’est pas possible qu’ils soient morts en pure perte. A notre gauche, nous avons nos berceaux où vagit la jeune génération. Il n’est pas possible que nos enfants et petits enfants revoient de pareilles horreurs, qu’ils aillent mêler, à une date plus ou moins rapprochée, leurs os aux cendres de leurs pères et de leurs grands pères. Cela ne se peut, cela ne se doit. La conscience, la raison, le simple bon sens crient contre une pareille éventualité. » DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche, présenté par M. Déries, Inspecteur d’Académie, au Conseil départemental de l’Enseignement primaire de la Manche » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 7 (septembre 1917).

Souscription nationale, détail. Edition A. Bodard (s.d.)

Arch. dép. Manche (202 Fi 9)

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faire, par un renoncement volontaire à toutes les jouissances inutiles, le collaborateur actif et résolu de la victoire. »69

L’Inspecteur d’Académie mobilise ses troupes. A longueur de circulaires, de directives il organise les collectes, les manifestations, l’emploi du temps des élèves pour galvaniser les communautés et chasser le défaitisme ; « un défaitisme occulte, difficile à saisir, écrit Léon Déries dans l’entre-deux-guerres, cherchait à pénétrer partout. On ne disait rien par prudence traditionnelle au pays normand, mais on n’en pensait pas moins. […] Ce fut le personnel enseignant qui dut combattre avec adresse les mauvais germes, dissiper ces gaz asphyxiants d’un autre genre qui remplissaient l’air et menaçaient d’intoxiquer le cœur de ceux qui le respiraient. »70 Le 31 décembre 1917, Léon Déries rappelle l’universalité de la mobilisation en ces termes :

« Le Devoir universel. Ce sentiment nous dicte à tous notre conduite. Il la dicte au soldat du front qui, sous la pluie, la neige et le gel, le doigt sur la détente de son fusil, monte nuit et jour dans les tranchées des Flandres, de la Champagne, de la Meuse, de l’Alsace, du Vardar, de la Piave, la mortelle veillée des armes. Il la dicte au soldat de l’arrière, à l’auxiliaire, quel qu’il soit, dont l’aide doit être quotidienne pour être efficace. Il la dicte aux hommes affranchis par l’âge du service militaire. Il la dicte aux épouses, aux veuves, aux fiancées, aux jeunes filles. Il la dicte aux enfants eux-mêmes, à tous les petits Français et à toutes les petites Françaises en ce moment assis sur les bancs des écoles. Il la dicte en un mot à tous sans distinction d’âge, de sexes, de rang social, de métier ; il la dicte par un ordre formel, absolu, par un impératif catégorique qui n’admet pas les hésitations, les ajournements, encore moins la désobéissance. » 71

L’Inspecteur d’Académie ne fait pas dans la demi-mesure lorsqu’il s’adresse au personnel du département. L’ennemi est stigmatisé, sa responsabilité dans la guerre démontrée72, sa barbarie

69 DÉRIES (Léon). « Appel de l’Inspecteur d’Académie de la Manche à Messieurs les Instituteurs et à Mesdames les Institutrices publics du département » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de le Manche, 37e année, n°1 (janvier 1917). 70 DÉRIES (Léon). Sous la toge universitaire. Saint-Lô, Jacqueline, 1931. 71 DÉRIES (Léon). « Les Devoirs de la Nouvelle Année » dans Supplément au Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 9 (décembre 1917). 72 « Ce n’est pas un homme, ni quelques hommes, c’est le peuple allemand tout entier qui du haut en bas de la hiérarchie sociale, du dernier des instituteurs, des commis, des ouvriers, des Recteurs, aux Directeurs de banque, aux grands chefs d’industrie, a voulu la guerre, une guerre sûre, une guerre rapide, d’où devait sortir pour l’Allemagne une domination séculaire sur le reste du monde, dans une Europe où il n’y aurait plus de France digne de ce nom. Et comme cette domination mondiale ne pouvait être assurée que par l’écrasement de la France, c’est par des voies diplomatiques détournées, qu’à l’occasion du crime de Sarajevo, l’Allemagne, derrière l’Autriche, a engagé avec nous ce duel redoutable auquel est actuellement mêlée toute la terre. » DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche pendant l’années 1916-1917 » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 7 (septembre 1917).

Souscrivez au 2e emprunt de la Défense nationale, détail. (1916) Arch. dép. Manche (202 Fi 11)

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mis en exergue. « On n’est pas des Boches. On est des Français » intitule-t-il un texte adressé aux enseignants en décembre 1917.73 Déjà dans l’Annuaire de l’Enseignement Primaire de la Manche, il avait publié un article de 46 pages, « Les Prussiens dans la Manche en 1815 », étude rappelant les exactions des troupes d’occupation dans le département, après la défaite de Waterloo. En 1918, il publie dans la collection « France » des éditions Berger-Levrault74, La Terre qui ne meurt pas, un opuscule à la gloire de l’âme paysanne de la patrie, ode lyrique qui célèbre le bon sens et le dévouement de ceux, vieux, femmes, enfants, invalides qui accomplissent des miracles à l’arrière. Jusqu’à la victoire l’Inspecteur d’Académie de la Manche exhorte les enseignants, les enfants, leurs parents à se livrer totalement dans la guerre pour écarter la « menace de germanisation. »75

2.4. La guerre au programme

C’est toute une « culture de guerre » visant à mobiliser les enfants et leur entourage qui se met en place rapidement via l’école. Loin d’épargner les âmes enfantines, les maîtres reçoivent pour consignes de glorifier les armées françaises et leurs alliés, d’ensauvager l’ennemi76, de célébrer les morts. L’actualité doit être décrite aux écoliers et la guerre devient cœur des programmes.77 Les salles de classes, le matériel pédagogique, les bons points, images, diplômes célèbrent la gloire des armées françaises, le courage des populations occupées, la témérité d’enfants patriotes.

Dès la rentrée scolaire 1914, le 17 août, la guerre envahit donc le quotidien des écoliers : leurs dictées, leurs leçons, les activités récréatives ou périscolaires, leurs sorties sont souvent dédiées à la guerre.

« Avec la joyeuse insouciance de leur âge malgré les graves nouvelles qui ont mis en deuil plus d’un foyer, les écoliers et écolières n’ont été ni plus ni moins appliqués que de coutume, et ils ont rempli exactement de la même manière leurs obligations quotidiennes. Seulement, au lieu de jouer aux billes, à la toupie, aux barres ou à quelque autre jeu traditionnel, ils ont construit des tranchées et ils ont guerroyé entre eux pendant les récréations. La classe souvent ornée de drapeaux aux couleurs des alliés est devenue plus attrayante pour eux, parce que moins éloignée de la réalité et plus vivante. Ils ont appris de beaux chants patriotiques, de beaux morceaux de récitation. Ils ont écouté avec intérêt la lecture du communiqué quotidien, suivi avec émotion sur la carte l’avance ou le recul des petits pavillons tricolores qui figurent la ligne du front, ils ont résumé dans de petites rédactions sincères tout ce que leurs yeux avaient perçu autour d’eux et elle y a laissé de ces impressions ineffaçables

73 DÉRIES (Léon). « Les Devoirs de la Nouvelle Année » dans Supplément au Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 9 (décembre 1917). 74 « il parait à la librairie Berger-Levrault, une jeune revue, la « Revue France », qui est un pur chef d’œuvre que je ne saurais trop recommander Elle parait deux fois par mois et coûte 20 francs par an. Ce ne sont pas 20 francs perdus au point de vue intellectuel, au point de vue moral et au point de vue patriotique. Elle s’imprime à Nancy sous les obus dans les entr’actes du bombardement, comme la Collection France de la même famille. ». Léon Déries dans le Rapport sur la situation de l’enseignement primaire sans le département de la Manche présenté le 24 juillet 1918. Bulletin de l’Instruction Primaire de le Manche, 38e année, n°4 (juillet-août 1918). 75 DÉRIES (Léon), « Les Devoirs de la Nouvelle Année » dans Supplément au Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 9 (décembre 1917). 76 « C'est bien, cette fois encore, contre la bête humaine en arrêt d'évolution, c'est contre le Hun des âges abolis, qui a changé d'armure sans changer de conscience, oui, c'est bien contre le vandale resté le même après quinze siècles de progrès humain que, comme le chevalier étincelant de jadis, la France latine a tiré l'épée. C'est, de nouveau, le choc violent de la civilisation et de la barbarie, la lutte de la lumière et de l'ombre. » Le Ministre de l’Instruction Publique, Albert Sarraut, à l’automne 1914. 77 AUDOUIN-ROUZEAU. La guerre des enfants 1914-1918 – Essai d’histoire culturelle. Paris, Armand Colin, 1993.

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que la jeune génération ne gardera pas pour elle-même, mais qu’elle saura, à l’heure voulue, transmettre aux autres générations quand elle les remplacera. »78

L’institutrice de Bérigny, commune à l’est de Saint-Lô, détaille le rôle de l’instituteur et de l’institutrice en février 1916 :

« L’instituteur et l’institutrice ont fait des quêtes, ont organisé les diverses journées en faveur des Œuvres de guerre. En classe, ils ont lu et commenté les diverses « citations à l’ordre du jour » parues dans les Bulletins de l’Instruction Primaire. Les « Communiqués quotidiens » ont été souvent lus, commentés, expliquées. A la classe du jour et aux cours d’adultes, l’instituteur et l’institutrice ont lu et commenté des récits et anecdotes relatifs à la guerre. Des morceaux de récitation, choisis dans « A tous nos morts sublimes ». Poésies de la guerre – de Eléonor Daubrée – ont été étudiées par les élèves. Les sujets de composition française donnés en classe et aux cours d’adultes ont été quelquefois choisis dans un sentiment patriotique, en rapport avec la situation actuelle. […] Les dictées sont aussi souvent des textes relatifs à la guerre actuelle. Les « Lettres à tous les Français »79 reçues régulièrement sont lues et expliquées en classe. Quelques exemplaires ont été distribués dans les familles où elles ont produit la meilleure impression. L’instituteur et l’institutrice font tout ce qu’ils peuvent pour entretenir la flamme patriotique dans le cœur des enfants. Par les enfants, ils espèrent aller aux parents, et empêcher ainsi l’esprit public de fléchir. »

Ouvrons le cahier du petit Louis Vieillard, écolier à Saint-Fromond, commencé le 17 août 1914. Louis a alors huit ans et son papa est mobilisé (il décédera en juin 1916 en Belgique). Détaillons le déroulement de deux semaines de classe, à la lumière de ce cahier.80

Morale « La France en danger. La France est attaquée par son ennemie l’Allemagne. Nos soldats vont sur les frontières pour les repousser. Faisons des vœux pour les victoires françaises »

Dictée « Ils n’aiment pas les Allemands que nous songions à la Revanche. Que ces Français sont assommants. Ils n’aiment pas les Allemands que nous disions à nos enfants qu’un jour nous serons manche à manche. Ils n’aiment pas les Allemands que nous songions » Exercice : Combien le mot Revanche a-t-il de syllabes ?

Arithmétique et calcul

sans rapport avec la guerre

Vocabulaire

sans rapport avec la guerre

Lundi 17 août 1914

Histoire de France

« L’Allemagne est formée de plusieurs pays. Le principal de ces pays est la Prusse. Le roi de Prusse s’est fait nommer empereur d’Allemagne pendant la guerre de 1870. Dans cette guerre l’Allemagne nous a pris l’Alsace-Lorraine qu’elle a rendue malheureuse. Aujourd’hui elle voudrait nous écraser. Espérons que ça [sera] le contraire [qui] aura lieu. »

Mardi

18 août 1914

Instruction civique

« En cas de danger un pays ordonne la mobilisation générale des armées. Au moment où cela est arrivé pour la France, tous les Français liés au service des armées de terre ou de mer ont du rejoindre le lieu indiqué par le fascicule contenu dans leur livret militaire et dans le délai qui y était indiqué. On n’a

78 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie au Conseil départemental de l’Enseignement primaire de la Manche, 29 juillet 1915. » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 35e année, n°7 (juillet 1915). 79 Lettres à tous les Français, éditées par le Comité d’études et de documentation sur la guerre, diffusées à trois millions d’exemplaires, dont une bonne partie auprès des écoles. Ecrits par des spécialistes et universitaires, les douze numéros (décembre 1915 - avril 1916) sont présentés comme des travaux d’experts impartiaux, mais sont la contribution patriotique d’intellectuels mobilisés pour la victoire de la France. 80 Cahier de Louis Vieillard (17 août – 1er septembre 1914 – Ecole de Saint-Fromond), déposé pour numérisation aux Archives départementales de la Manche.

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signalé aucun réfractaire dans la région. » Rédaction La guerre

Arithmétique

et calcul sans rapport avec la guerre

Morale « Il y a dans le passé glorieux de la France d’innombrables actes héroïques qui sont notre patrimoine d’honneur. Aujourd’hui, tous les jours, on nous en cite faits par nos combattants qui ne cèdent rien à ceux du passé. »

Conjugaison

sans rapport avec la guerre

Dessin

Drapeau français

Arithmétique sans rapport avec la guerre

Mercredi 19 août 1914

Histoire de France

« Guerre de 1870. En 1870 la France a eu le tort de déclarer la guerre à la Prusse sans s’y être préparée. Nous n’avions pas assez de soldats. Les officiers laissaient à désirer. Nos armes ne valaient pas celles des Prussiens ; Aussi malgré le courage de nos soldats nous fûmes battus presque partout, etc. »

Morale « Le drapeau. Sur le champ de bataille, le drapeau est l’emblème de [la] patrie. Les soldats doivent se serrer autour de lui, le tenir toujours haut et ne jamais le livrer à l’ennemi. »

Rédaction Le drapeau Ecriture sans rapport avec la guerre

Arithmétique et calcul

Problème : « Dans une armée comprenant 28 600 fantassins et 2940 cavaliers, il a été tué ou blessé 146 cavaliers et 952 fantassins. Combien reste-t-il de soldats de chaque ? »

Vendredi 21 août 1914

Vocabulaire sans rapport avec la guerre Morale « La Patrie est attaquée jetons nous sans peur sur l’ennemi. En avant ! La mort

n’est rien pour le soldat quand la Patrie sort victorieuse des luttes et des batailles. »

Dictée Adieux à la France Dessin Obus

Arithmétique sans rapport avec la guerre

Samedi 22 août 1914

Rédaction Le clairon Morale « Le drapeau est un symbole de ralliement qui partout où il va rend la patrie

présente au soldat. Le soldat doit verser son sang pour la défense du drapeau. Celui qui abandonne le drapeau à l’ennemi est un traître à la patrie. »

Dictée Au porte-drapeau Arithmétique

et calcul sans rapport avec la guerre

Vocabulaire sans rapport avec la guerre

Lundi 24

août 1914

Histoire de France

« Si la France a été battue, c’et qu’elle avait une armée trop peu nombreuse et mal organisée. Mais [les] Français firent bravement leur devoir et se montrèrent dignes de leurs ancêtres. »

Morale « La Gaule et la France républicaine ont eu pour limite naturelle à l’est le fleuve du Rhin. Le Rhin ne sera pas toujours aux Allemands »

Composition La Marseillaise Ecriture sans rapport avec la guerre

Arithmétique sans rapport avec la guerre Dessin « Vive la France ! »

Géographie Carte de la frontière Est de la France et du Rhin Conjugaison « Verbe avoir du courage »

25 août et 26 août 1914

Arithmétique et calcul

sans rapport avec la guerre

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Vocabulaire sans rapport avec la guerre Histoire de

France Guerre de 1870 (fin) « ça continua mais elle fut de plus en plus désastreuse pour la France, malgré le courage des Français. Le maréchal Bazaine, qui était assiégé dans Metz, capitula sans avoir fait son devoir. »

Morale « Etre soldat c’est, quand on a faim, ne pas manger ; quand on a soif, ne pas boire ; quand on est épuisé de fatigue, marcher ; quand on ne peut plus se porter soi-même, porter ses camarades blessés ; voilà ce que doit être le soldat. »

Rédaction

La réquisition des chevaux

Ecriture

sans rapport avec la guerre

Arithmétique et calcul

sans rapport avec la guerre

Vendredi 28 août 1914

Vocabulaire sans rapport avec la guerre Morale

« Rappelez-vous paysans que c’est de vos rangs que sont sortis les citoyens les plus illustres et les [plus] vaillants. Rappelez-vous les généraux de [la] première République, ces fils du peuple qui, engagés volontaires à seize ans, commandaient des armées à vingt cinq. Rappelez-vous de Hoche, de Marceau, de l’armée noblesse oblige »

Dictée « Ce qu’ils n’aiment pas les Allemands. Ils n’aiment pas les Allemands que nous refassions notre armée. Nos soldats sont assez vaillants ! Ils n’aiment pas les Allemands. Ils ont passé de durs moments pour dompter la France abimée. Ils n’aiment pas les Allemands que nous refassions notre armée. »

Vocabulaire Une baïonnette Dessin Clairon

Samedi 29 août 1914

Arithmétique et calcul

sans rapport avec la guerre

L’enseignement du petit Louis est largement inspiré par les évènements. Chaque journée commence par une leçon de morale qui immanquablement renvoie aux devoirs envers la patrie. Les dictées et compositions françaises ont pour objet la guerre aux frontières ou les responsabilités de l’ennemi. Chaque cours de dessin est patriotique, jusqu’à demander de dessiner un obus. L’histoire de France est celle de la précédente guerre contre les Allemands, dont on attribue la défaite à l’impréparation de l’armée française, ce qui ne saurait se répéter. La géographie est l’occasion de cartographier le théâtre des opérations

militaires. Seule l’arithmétique échappe – et encore (voir 21 août) – à la « belliquesation » de l’enseignement. Le cahier s’achève le 1er septembre ; entre temps le vieil instituteur, Emile Hamel, né en 1864, rend hommage à la Belgique : « Morale. La Belgique est un petit pays courageux qui a voulu conserver sa liberté et sa neutralité. Ce pays est à peu près complètement occupé par les Allemands qui le persécutent. Beaucoup de Belges se réfugient nus et sans ressources en France. Sauvons ces pauvres gens [à] qui nous devons tant. » (31 août 1914).

Les Echos de Coutances, détail de la une du n°22 (novembre 1917)

Arch. dép. Manche (1 JAL 12)

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En mai 1916, l’institutrice de Bérigny cite quelques-uns des sujets de composition française donnés en classe et aux cours d’adultes :

- « Ecrivez à votre frère qui est soldat, pour lui donner des nouvelles de votre famille et du pays. » - « Le maître vous a appris la grande victoire remportée par les alliés et surtout par les Français » - « Il a été pris aux Allemands 100 canons et fait 126 000 prisonniers. Dîtes tous les sentiments qu’à fait naître en vous l’annonce de cette bonne nouvelle.» - « Dîtes à quels signes vous avez pu voir combien votre maman a du courage depuis la guerre. » - « Trouvez cinq raisons pour lesquelles vous aimez les petits enfants réfugiés. » - « Comment les enfants peuvent-ils eux aussi, jouer un rôle utile pendant la guerre actuelle : aide à la maison, aux champs, travaux de l’école. » - « Dîtes ce que vous ferez à l’école, cette année, pour vous montrer dignes de votre père soldat. » - « Qu’est-ce que la France, pourquoi aimez-vous la France ? Quels pays aimez-vous encore ? Pourquoi ? »

Pour contribuer au succès du Troisième emprunt de la Défense nationale, « des exercices d’arithmétique ont été faits pour mettre en évidence les avantages pécuniaires qui résultent du taux d’inscription et du chiffre de l’intérêt. » s’enorgueillit l’institutrice de Bérigny, en décembre 1917.

Dans une circulaire insérée au Suppléent du Bulletin de l’Instruction Primaire de décembre 1917, l’Inspecteur d’Académie appel de ses vœux la fondation de « Bibliothèques de guerre » dans les écoles qui proposeraient à la lecture de menus volumes, simples et clairs. L’institutrice de Bérigny crée dans l’école des garçons cette bibliothèque en juin 1918. Grâce à la générosité des écoliers, à la date du 1er août, sept titres sont proposés, dont le dernier ouvrage de l’Inspecteur d’Académie, La terre qui ne meurt pas.

La lecture des sujets du Certificat d’études primaires élémentaires entre 1915 et 1919 ne laisse pas de réaliser l’envahissement des épreuves et au-delà de l’enseignement. Si l’arithmétique, l’histoire-géographie, le dessin sont épargnés, le français est tout entier mobilisé.

Session Orthographe (exemples de titres de dictée)

Composition française (exemples de sujets)

Juin 1915

24/24 en lien avec le conflit (100 %) Lettre d’un instituteur à ses élèves La gaieté de nos soldats La guerre de tranchées Aux femmes belges Debout les morts ! Le devoir patriotique des enfants Un massacre à Dinant Une ville d’Alsace redevenue française

23/24 en lien avec le conflit (96 %) - Les blessés : En allant à la ville, vous avez rencontré des blessés, ils se promenaient dans les rues et vous les avez bien regardés. Écrivez à un ami pour lui raconter une de ces rencontres ; faites-lui connaître les impressions que vous avez éprouvées à la vue des blessés et dîtes-lui pourquoi vous les avez salués. - La journée Serbe : Dans une lettre à un camarade, vous direz en quoi elle a consisté dans votre école. Vous ferez connaître ce qui vous a intéressé le plus dans la conférence qui vous a été faite et vous direz pourquoi vous avez remis de grand cœur votre offrande à votre maître et à votre maîtresse. - Mort au champ d’honneur : Un de vos camarades vient d’apprendre une cruelle nouvelle : son père a été tué sur le champ de bataille. Vous lui écrivez : vous vous représentez la douleur de sa famille, restée sans soutien et sans ressources, vous lui dîtes que la France

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n’oubliera pas ceux qui tombent pour elle, et qu’elle assurera l’avenir de leurs enfants ; vous lui montrez combien une telle mort est glorieuse, etc. etc. - Dans les tranchées : L’hiver dernier, nos soldats ont vécu de longs mois dans les tranchées, sous la pluie ou sous la neige, dans la boue ou dans l’eau, face à l’ennemi et exposés à des dangers incessants. Mais ils font preuve d’une patience et d’un courage admirables. Vous imaginerez qu’un de ces soldats écrit à ses parents pour leur raconter cette vie. Vous rédigerez la lettre.

Juin 1916

19/19 en lien avec le conflit (100 %) Le rat des tranchées Les Allemands en alsace La batelière héroïque Ce que la guerre nous enseigne Jeunesse vaillante Dernière lettre d’un instituteur-soldat à sa mère A Douaumont En avant Un cimetière de soldats sur le front Le caporal Peugeot

17/19 en lien avec le conflit (89 %) - Le soldat permissionnaire rejoint son corps : suivez-le par la pensée depuis le moment où il quitte la maison jusqu’au moment où le train s’ébranle et disparait dans le lointain. - Votre maître vous a parlé de l’œuvre départementale des orphelins de la guerre. Il vous a demandé, et à tous vos camarades, de sacrifier un sou par moi pour venir en aide aux petits orphelins dont le papa est mort pour la patrie. Racontez ce qui vous a été dit à ce sujet, les sentiments que vous avez éprouvés, les résolutions que vous avez prises et, s’il y a lieu, ce que vous avez déjà fait. - Vous avez entendu dire qu’une personne de votre commune avait de l’argent à placer, mais qu’elle hésite à s’en séparer. Vous lui écrivez pour lui faire connaître quel placement avantageux et utile elle pourrait effectuer dans les circonstances actuelles. Vous lui ferez comprendre aussi que prêter à l’État, c’est remplir un devoir patriotique et concourir à la défense nationale. - Dans une famille, depuis plusieurs jours, on est sans nouvelles du papa qui combat sur le front. On est dans l’attente fiévreuse d’une lettre. Le facteur parait. Il remet la lettre si ardemment désirée. Décrivez la scène.

Juin 1917

14/17 en lien avec le conflit (82 %) Lettre d’un jeune sous-lieutenant du front de la Somme Discours du président du Sénat à l’occasion de la déclaration de guerre des États-Unis Économisons (L. Déries) L’Union Sacrée Déclaration des femmes françaises Aux orphelins de la guerre

11/17 en lien avec le conflit (65 %) - Un petit garçon a reçu de son parrain une pièce de 0 fr. 50. Ce qu’il se propose d’acheter. Mais en classe, il voit sur le bureau la tirelire des orphelins de la guerre. A quoi pense-t-il ? Que fait-il ? - Vous avez dû collaborer avec vos camarades à l’élevage des lapins ou à l’ensemencement des pommes de terre au profit d’une œuvre de guerre. Dîtes ce que vous avez fait et pour quelles raisons vous avez travaillé avec joie. - Une lettre de M. l’Inspecteur d’Académie qui a été lue dans votre école conseillait aux écoliers et écolières de la Manche de demander à leurs

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grands-parents de faire l’échange de l’or dont ils n’auraient pas pu encore se séparer. Imaginez une scène entre une petite file ou un petit garçon et un grand-père qui possède encore une réserve d’or.

Juin 1918

14/17 en lien avec le conflit (82 %) Les Territoriaux au front Un train d’enfants belges Guynemer Retour aux champs (L. Déries) Versez votre or Les adieux du père Lettre d’un prisonnier de guerre

10/17 en lien avec le conflit (59 %) - Un jeune soldat, retour du front, se promène au bras de sa mère. Il s’entretient avec elle : c’est lui qui cause, et elle, sourit. Décrivez la scène. - C’est l’heure du goûter. La maman confie à chacun de ses trois enfants une tranche de pain rassis. Paul repousse sa tartine : « Je veux du pain frais ». Ce qui dit la maman. Racontez. - On s’est livré dans votre école à l’élevage de lapins au profit d’une œuvre de guerre. Racontez ce qui s’est fait, ce qui a été obtenu ; dites quel emploi on a fait de l’argent.

Juin 1919

8 sur 16 en lien avec le conflit (50 %) Jean Corentin Carré Les fêtes de Metz La France n’a pas voulu la guerre La ville martyre : Reims Pèlerinage au Chemin des dames

7/16 en lien avec le conflit (44 %) - Le retour du démobilisé : il quitte pour toujours sn costume militaire : ses réflexions. Sa première journée. Visite de sa propriété. Le soir, en famille. - Le retour du prisonnier de guerre : Annonce de l’armistice dans le camp de prisonniers. Voyage de retour vers la mère patrie. Arrivée sur le sol français. Arrivée au village et au foyer. - Le jour de l’armistice dans votre village ou dans votre ville. A quel moment la nouvelle s’est répandue. Comment elle est accueillie. Comment la joie s’est manifestée. Vos réflexions, le soir en rentrant chez vous.

Juin 1920

4 sur 17 en lien avec le conflit (23 %) Ordre du jour du général Pétain avant l’occupation Prière pour nos morts Ce que l’Alsace et la Lorraine nous apportent

1 sur 17 en lien avec le conflit (6 %) La souscription pour le monument aux morts pour la guerre : On a organisé dans votre commune une souscription pour élever un monument à la Mémoire des Morts de la Grande Guerre. Les organisateurs ont passé dans toutes les maisons et ont demandé à chacun, riche ou pauvre, son offrande. Petit écolier, vous avez ajouté la vôtre à celle de vos parents. Vous raconterez cette visite dans ses principales parties.

La part des sujets de français en rapport avec la guerre est chaque année du conflit considérable, bien que l’on observe à partir de 1917 un léger recul. Et la guerre est encore très prégnante dans les sessions qui suivent. Les sujets sont centrés soit sur les activités péri-scolaires patriotiques des écoliers, invités par conséquent à décrire les efforts patriotiques de leur maitre ou maîtresse, soit sur les combattants, pères ou frères, absents, morts, mutilés, prisonniers ou permissionnaires. Léon Déries publiera par l’intermédiaire du Bulletin de l’Instruction Primaire, entre juillet et novembre 1916, plusieurs compositions, parmi les meilleures ou intéressantes. Respectant le style d’enfants de 12 ans, « nains inexpérimentés et singulièrement maladroits », il veut donner une « exacte idée de ce qui se fait constamment dans les classes depuis le début de la guerre » et

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promouvoir auprès des maîtres un « enseignement de la pensée », au-delà de celui de la pratique de la grammaire.81

2.5. L’écolier mobilisé

L’effort de guerre doit passer par les écoliers, et les enseignants s’y emploient. Eléonor Daubrée, instituteur à Lessay, rend en 1918 hommage au rôle de l’institution scolaire dans la mobilisation pour la défense de la patrie et du droit :

« L’école, alors que tant de ses maîtres luttaient avec un si splendide courage, l’école exerçait sur les âmes son influence salutaire et profonde. Elle semait autour d’elle la confiance, elle prêchait sans trêve la douce solidarité et groupait sans cesse les efforts pour l’entr’aide fraternelle. Toutes les œuvres de guerre s’épanouissaient noblement dans son enceinte. Elle préparait du linge pour nos blessés, des vêtements et des couvertures pour nos prisonniers et nos soldats. Elle créait une heureuse émulation entre les élèves pour la collecte de l’or, pour les placements en bons de la défense nationale et aux divers emprunts. Elle se faisait l’auxiliaire dévouée des cultivateurs pour la culture, la récolte et la vendage. Aussi ceux qui se

battent aujourd’hui avec tant de courage à la frontière, ceux qui se dévouent avec tant de générosité à l’intérieur, pourront et à juste titre, au lendemain de la guerre, donner de grandes et sincères leçons sur la Patrie. »82

En janvier 1916, Léon Déries coordonne la collecte des vieux papiers83 dont la vente alimente la caisse de l’Œuvre des pupilles des écoles publiques de la Manche.84 Au 1er novembre 1916, 25 074 kg de vieux papiers ont permis d’encaisser une recette nette de

3761 fr. « Les vieux cahiers, les vieux journaux, les catalogues démodés, les almanachs périmés,

les livres hors d’usage , que sais-je encore ? tout cela encombre inutilement des casiers, des étagères, des bibliothèques, et tout cela peut se transformer en espèces sonnantes pour le plus grand profit de nos pupilles. A l’œuvre donc. Il y a toujours du bien à faire. Respectons nos archives85, mais vidons nos corbeilles aux vieux papiers. » 86 24 878 kg de vieux papiers ont été collectés dans l‘année scolaire 1916-1917 (4 413 l’année suivante), selon le rapport de juillet 1917.

En janvier 1917, l’I.A. invite les maîtres et maîtresses à collecter les vieux chiffons de coton « Nos chimistes en feront des explosifs », ajoutant qu’« En les accumulant, vous aurez, à votre manière,

81 Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 36e année, n° 6 (juillet 1916). 82 DAUBRÉE (Eléonor). « Le corps enseignant et la guerre » dans Un regard sur la vie… Poèmes et récits du temps de guerre au pays normands. Caen, Delesques, 1918. 83 Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 36e année, n° 1 (janvier 1916), p. 135. 84 Œuvre de guerre fondée le 20 avril 1916 à Saint-Lô, cette association départementale autonome se propose de venir en aide aux familles des orphelins de la guerre, élèves des écoles publiques. Elle a pour président l’Inspecteur d’Académie de la Manche. Les associations départementales se réunissent le 18 mai 1917 en une fédération nationale. 85 Dans le Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche du mois d’octobre 1916, l’Archiviste départemental, Paul Lecacheux, mettait en garde les maîtres d’école contre la destruction d’archives publiques et privées, précaution que l’inspecteur féru d’histoire tient à rappeler ici. 86 Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 36e année, n° 9 (novembre 1916).

Histoire d’une heureuse souscription, détail. Baudry de Saunier (s. d.) Arch. dép. Manche (202 Fi 13)

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bien travaillé une fois de plus pour la Patrie ». 24 878 kg de vieux chiffons sont récupérés pendant l’année scolaire 1916-1917 (2 045 l’année suivante). Répercutant et organisant dans le département les directives et initiatives gouvernementales,87 l’Inspecteur d’Académie enjoint aussi au personnel enseignant de planter des pommes de terre dans un coin de terre, près de l’école (« Leçon d’agriculture pratique doublée d’une leçon de sciences naturelles qui vaut bien une leçon d’orthographe. »), d’élever des lapins « pour amasser un petit pécule toujours au profit de nos œuvres de guerre ».88 L’institutrice de Bérigny écrit qu’en 1918 son école a élevé quatre lapins au profit de la caisse des Orphelins de la guerre, dégageant un bénéfice de 11 francs. Elle explique que « les élèves sont allés, chaque jour d’école, leur chercher de la nourriture. Le jeudi, le dimanche et pendant les vacances, je leur ai procuré moi-même ce qui leur était nécessaire.» A la date du 31 mars 1917, 1 625 lapins sont ainsi élevés dans le département89 ; 2 923 lapins et poules au cours de l’année scolaire 1906-1917.90 Le 31 décembre 1917, Léon Déries se félicite de l’initiative :

« On a un peu ri au début de la transformation de vieilles barriques et de vieilles caisses en hôtels à l’usage des lapins. Mais on s’est bien vite rendu compte qu’il s’agissait là d’une affaire sérieuse, non d’une ingénieuse facétie académique. Les lapins ont partout gagné leur cause. Tout en apprenant à soigner avec régularité des animaux, ce qui n’est point si méprisable pour de futurs cultivateurs et pour de futures ménagères, garçonnets et fillettes ont retiré de leurs soins diligents un fort joli bénéfice. Du fait de la culture des pommes de terre et de l’élevage des lapins, la caisse de nos orphelins de la guerre s’est enrichie de 16 615 francs. Et l’on a mangé par dessus le marché un peu partout d’excellentes gibelottes, et doté nos élégantes de loutre et de castor dans les prix doux. C’est infiniment moins cher et cela fait presque autant d’effet autour du cou d’une belle personne. » 91

Au sujet de la culture des jardins scolaires, il ajoute : « Petit ou grand, aucun jardin scolaire ne doit rester en friche. C’est d’un mauvais exemple. Petit ou grand il doit sous une forme ou sous une autre contribuer à l’alimentation générale en contribuant à l’alimentation individuelle. Le jour où le pain se fera rare, on se félicitera grandement d’avoir planté des pommes de terre, semé des haricots, des lentilles. Le moment serait mal choisi, pour ne pas poursuivre, en 1918, une œuvre qui a donné de si beaux résultats, des résultats si palpables en espèces sonnantes au cours de

87 Le 6 janvier 1916, le Ministre de l'Instruction Publique invite les Recteurs à faire faire des travaux agricoles dans les écoles : « Je sais que, depuis deux ans, un grand nombre d'écoliers, durant leurs loisirs, remplacent dans les champs leurs pères mobilisés. Mais il est possible de demander à tous un nouvel effort. Partout où l'enseignement de l'agriculture est obligatoire (écoles normales, écoles primaires supérieures, écoles primaires élémentaires), les heures réservées à cet enseignement seront consacrées, dès que la saison le permettra, à des travaux de jardinage et d'élevage. A des travaux analogues seront conviés, en dehors des heures de classe, les élèves et anciens élèves de tous nos établissements primaires et secondaires. […] D'une manière générale ce sont les cultures les plus simples (celle de la pomme de terre, par exemple) qu'il y aura lieu d'encourager. D'autre part, notamment dans les écoles de filles, on s'attachera à l'élevage des animaux de petite taille (comme le lapin) dont l'alimentation quotidienne peut être assurée par les enfants les plus jeunes. L'élevage des porcs devra être développé dans les établissements pourvus d'un internat. Chacune de nos écoles ne produirait-elle, en moyenne dans l'année que 20 kilos de viande comestible, ce n'en serait pas moins, puisque nous avons 50 000 écoles rurales, un millier de tonnes qui s'ajouteraient à nos réserves. » 88 BOTTIN (Georges-Robert). « Poules et lapins à l’école, école buissonnière pour les enfants pendant la Grande guerre « dans La Manche, la Basse-Normandie et les îles dans la Première guerre mondiale – Actes du colloque de Coutances des 8,9 et 10 novembre 2008. Cercle de généalogie et d’histoire locale de Coutances et du Cotentin, Editions CGH Coutances, 2010. 89 Statistique des élevages entrepris et des terrains cultivés, à la date du 31 mars 1917, dans les écoles primaires de la Manche. Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 4 (avril-mai 1917) 90 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche pendant l’années 1916-1917 » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 7 (septembre 1917). 91 DÉRIES (Léon). « Les Devoirs de la Nouvelle Année » dans Supplément au Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 9 (décembre 1917).

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1917.» 92 Léon Déries espère que ces habitudes nouvelles survivront aux circonstances qui les ont fait naître, que « tout le monde, sans distinction de milieu, s’appliquera aux travaux manuels, en particulier aux travaux si salutaires du jardinage. Tout le monde prendra goût à l’élevage si intéressant des jeunes animaux. Et si, par-dessus le marché, les enfants ont appris à se montrer plus économes, à ne perdre ni le pain, ni la viande, à dépenser un peu moins en friandises, ou en colifichets, qui ne voit là un immense profit à la fois moral et économique ! »93

1 412 ares sont ensemencés selon la statistique des travaux scolaires agricoles, à la date du 31 mars 1917, affectés pour la plupart aux pommes de terres.94 Sur le plan national, l’opération « lopin scolaire » qui prévoyait la mise en culture de 1 500 ha échoua du fait de la désertion des élèves, de l’opposition des familles estimant que l’instruction des enfants était négligée, du refus de la moitié des communes d’apporter une aide.95 En règle générale, les historiens qui se sont penchés sur les efforts de l’administration et des instituteurs pour susciter la participation active des civils à l'effort de guerre, ont conclu à une lassitude, à un tarissement de la générosité vers l’hiver 1917, du fait du prolongement de la guerre et des difficultés matérielles (restrictions, inflation).96 Dans la Manche la surface cultivée passe de 1 359 ares en juillet 1917 à 739 en juillet 1918, le nombre de petits animaux élevés de 2 923 à 1 987. L’ardente activité de l’Inspecteur d’Académie de la Manche cache-t-elle un découragement de la population et une méfiance accrue à l’égard de la propagande des enseignants ? Dans ses « mémoires » il se plaint des « familles qui n’hésitaient pas à verser leur sang et celui de leurs enfants [mais] ne se décidaient pas à verser leurs économies », « quoi que l’on allât partout répétant que l’argent est le nerf de la guerre, que verser son or et souscrire aux emprunts, c’était abréger les hostilités ». 97

Conformément au désir exprimé par l’Inspecteur d’Académie, les enseignants ont mis leurs élèves à la disposition d’agriculteurs.98 Une circulaire du 12 octobre 1915 dispense les enfants de classe un jour par semaine jusqu’au 15 novembre pour aider à la récolte des pommes. En septembre 1916, l’Inspecteur d’Académie renouvelle l’opération, constatant au passage, qu’avant la guerre, les enfants s’octroyaient déjà des jours de congés pour le ramassage des pommes. Aussi propose-t-il de « mettre un peu d’ordre dans ce désordre d’absences et de tirer parti de cette anarchie d’efforts individuels ». A Bérigny, dans le canton de Saint-Clair-sur-Elle, les enseignants ne libèrent que les enfants utilisés à ramasser les fruits, mais tous ont eu droit à une leçon sur l’alcool, ses applications industrielles et les méfaits de l’alcoolisme. En octobre et novembre 1916, puis 1917, toujours à Bérigny, on organise des équipes de quelques écoliers qui sous la conduite

92 DÉRIES (Léon). « Les Devoirs de la Nouvelle Année » dans Supplément au Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 9 (décembre 1917). 93 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche pendant l’année 1916-1917 » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 7 (septembre 1917). 94 A Bérigny on met en culture 80 centiares dans un jardin mis à la disposition de l’école par la propriétaire du château, opération qui dégage un bénéfice net de 12 francs, versés à l’Œuvre des Pupilles en septembre 1917. 95 AUDOUIN-ROUZEAU. La guerre des enfants 1914-1918 – Essai d’histoire culturelle. Paris, Armand Colin, 1993. 96 AUDOUIN-ROUZEAU. Op. cit. JOCOBZONE (Alain). « Enseignants et enseignés à l'école laïque primaire en Maine-et-Loire (1914-1918). » dans Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 95, numéro 1 (1988). 97 DÉRIES (Léon). Sous la toge universitaire. Saint-Lô, Jacqueline, 1931. 98 Le Ministre de l'Agriculture, par arrêté en date du 11 janvier 1917, a organisé un Service de la main-d’œuvre scolaire, chargé de centraliser les questions concernant la mise en culture et la production agricole ou maraîchère sur les terrains inexploités, ainsi que l'aide momentanée aux agriculteurs pour les travaux peu pénibles et n'exigeant pas d'apprentissage professionnel préalable. Le devoir des maîtres est d'aller au devant des agriculteurs méfiants et des femmes de mobilisés découragées pour provoquer de leur part des demandes de travailleurs scolaires.

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d’une des deux institutrices ramassent des pommes chez des particuliers, les autres enfants étant regroupés sous la surveillance de l’enseignante restée à l’école.

En janvier 1917, Léon Déries propose aussi aux maîtres de mettre les écoliers au service de l’administration ; il les imagine « petits facteurs »99, secrétaires100… A Bérigny, les enfants vont aussi quêter, à de multiples reprises, auprès des habitants de la commune, rapportant jusqu’en avril 1915, 354 francs : quête pour les hôpitaux, pour les réfugiés, pour le canon de 75, pour les Serbes, pour le Noël des soldats. La Journée du Drapeau, a permis de recueillir 65 autres francs. Ce 14 juillet 1915, sept garçons et onze filles ont parcouru la commune, et « malgré un temps pluvieux, garçons et filles ont rivalisé de zèle ».101 Les enfants vendent aussi des insignes, des cocardes, des bons de tombola, au profit des œuvres de guerre.

Dans le cadre de la collecte de l’or, dans une lettre du 9 mars 1917 qui doit être lue et commentée dans toutes les classes, l’Inspecteur d’Académie invite les écoliers à se livrer à une chasse au trésor familial : « Plus nous aurons d’or, plus nous aurons de fer, plus vite nous en aurons fini avec ceux qui veulent nos champs, nos libertés, nos personnes. Vous savez mieux que qui que ce soit où il y en a. Vous savez où se cachent les vieux louis des baptêmes, des premières communions, des mariages anciens. Vous savez où gisent les belles pièces que, de temps en temps, tirent du fond d’une cauche ou d’un pot à beurre, de dessous une pile de draps, vos grands pères et vos grand’mères. » S’il défend de prendre cet argent en cachette, il demande aux enfants de faire la leçon à leurs grands parents et de les convaincre de prendre le chemin de la banque, du bureau de poste, du presbytère ou de la perception : « Allons, en route grand-papa ! En route grand’maman ! C’est pour la France, et la France c’est nous, vos fissets, vos petiots, les petits gars et les petites filles de Normandie. »102 Dans le cas où les considérations morales ne suffiraient pas à motiver les petits percepteurs, l’inspection académique promet à chaque enfant qui justifiera d’un versement d’or « un porte-billets d’un caractère artistique marqué » ! En dépit de ces procédés, la campagne fut décevante dans l’idée de Léon Déries qui écrit après guerre « Il y eut la récolte de l’or. Ce fut une récolte difficile et elle ne fut pas très abondante. La majeure partie des richesses métalliques malgré l’exemple de ceux qui devaient le donner, resta dissimulée dans les tiroirs des armoires ou dans des cachettes d’où elle

99 « Partout où la chose sera jugée utile, le dépôt de lettres sera opéré à l’école. Les maîtres procéderont à leur distribution. Ecoliers et écolières se feront un honneur et un devoir de les remettre, au retour de l’école, soigneusement et fidèlement, soit aux parents, soit aux gens du voisinage. » DÉRIES (Léon). « Appel de l’Inspecteur d’Académie de la Manche à Messieurs les Instituteurs et à Mesdames les Institutrices publics du département » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de le Manche, 37e année, n° 1 (janvier 1917).

100 « Le rationnement du sucre va donner lieu à un dénombrement qui n’est pas bien compliqué, mais qui exige un certain travail matériel. Il sera lui-même suivi de l’établissement de cartes personnelles. Cette dernière besogne peut fort bien être confiée aux enfants, sous la direction de leurs maîtres. » DÉRIES (Léon). « Appel de l’Inspecteur d’Académie de la Manche à Messieurs les Instituteurs et à Mesdames les Institutrices publics du département » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de le Manche, 37e année, n° 1 (janvier 1917). 101 Arch. dép. Manche. Journal d’une institutrice de campagne. 2 J 601. 102 DÉRIES (Léon). « La Collecte de l’or – Aux petites Ecoliers et aux petites Ecolières de la Manche » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 2 (février 1917).

La barque sauvée, détail. Baudry de Saunier (1917)

Arch. dép. Manche (202 Fi 12)

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ne devait sortir que beaucoup plus tard et où elle dort peut-être même encore à l’heure actuelle [1931] quand elle n’a pas été convertie avec les billets de banque en vergées de terre au soleil. »103 Pourtant dans son rapport au préfet de juillet 1917, il écrivait « L’enfant est un excellent avocat. On l’écoute d’autant mieux qu’on l’aime davantage. C’est lui qui a plaidé après de ses parents et grands parents la cause de la Banque de France et qui l’a gagnée ne serait-ce qu’en récitant au foyer les magnifiques vers de Jean Aicard désormais dans toutes les mémoires et sur toutes les lèvres. 186 760 francs d’or ont été versés par l’intermédiaire des écoles. D’autres versements infiniment plus importants ont été opérés en dehors d’elle, mis elle n’y a sans doute pas été tout à fait étrangère. De même elles se sont inscrites pour 376 075 francs de bons ou obligations de la Défense Nationale. »104

Avec le maire, le curé parfois, les enseignants parcourent la commune pour encourager les concitoyens à souscrire aux successifs emprunts. L’instituteur et secrétaire de mairie de Bérigny, dont le fils aîné est sous les drapeaux, exhorte les « bonnes gens » à souscrire au Deuxième Emprunt de la Défense nationale, tant et si

bien que 30 000 francs sont portés à la Banque de France. Son épouse prend la relève en 1917 : pour le Troisième Emprunt de la Défense nationale, elle fait une tournée dans la commune avec le maire, le curé et sa collègue.

Dans ses rapports avec ses voisins et les différentes personnes venues à la mairie, elle amène le plus souvent possible la conversation sur l’Emprunt et ses avantages, parvenant à décider la mère d’une ancienne élève de retirer l’argent placé à la Caisse d’épargne, au nom de sa fille ! Une autre fois, c’est un petit garçon qui a acheté 9 francs de rente et a versé par conséquent 154 francs et 35 centimes, une petite fille qui a prélevé sur son livret 87,50 francs pour participer à l’Emprunt.105

Dans son rapport de juillet 1918, l’Inspecteur d’Académie se réjouit qu’en souscrivant 3 000 francs de rente au troisième Emprunt de la Défense nationale, les écoles de la Manche se soient classées immédiatement après celles de la Seine qui en ont souscrit 6 000, et il observe que compte-tenu de la population des deux départements, l’effort manchois est très supérieur. Le

103 DÉRIES (Léon). Op. cit. 104 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche pendant l’années 1916-1917 » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 7 (septembre 1917). 105 Journal d’une institutrice de campagne. Arch. dép. Manche. 2 J 601.

Affiche pour le 3e emprunt de la Défense nationale, Auguste Leroux (1917)

Arch. dép. Manche (202 Fi 6)

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Ministre de l’Instruction Publique a tenu à « féliciter de leur générosité patriotique les élèves des établissements d’enseignement secondaire et d’enseignement primaire de la Manche, qui ont une fois de plus, répondu avec empressement à l’appel de leurs maîtres. »106

Avec l’approche de la victoire, la mobilisation ne s’évanouit pas. L’institutrice de Bérigny décrit dans son journal comment elle a travaillé à assurer le succès de l’Emprunt de la libération d’octobre à décembre 1918 :

« A l’école, j’ai apposé bien en vue sous les yeux des enfants les affiches reçues de l’Inspection Académique. Je les ai interprétées et commentées. J’ai distribué les images, je les ai examinées avec les enfants, nous les avons lues ensemble. Un petit garçon a versé entre mes mains 70 fr. 80 pour acheter 4 fr. de rente. J’ai fait ressortir le but de l’Emprunt, l’utilité de ces cet Emprunt pur le présent comme pour l’avenir. Les exercices scolaires ont été adaptés aux circonstances : leçons, devoirs, lectures, tout nous ramenait à l’Emprunt directement ou indirectement. Au dehors de l’école, j’ai commencé avec mon mari une tournée dans la commune (nous n’avons pu la finir parce que notre petit garçon a été atteint de la grippe). Nous avons recueilli, pour être déposées par nous aux Caisses de l’Etat, les petites sommes suivantes […] Ces 3 876 fr. 30 ont été versée à la Trésorerie le 23 novembre dernier. »107

L’Inspecteur d’Académie encourage aussi son personnel à faire admettre les restrictions : « Se priver, se restreindre, économiser ? Eh quoi, qui n’est capable de le faire depuis le petit écolier qui renonce à un sucre d’orge, à une tablette de chocolat ou à une douzaine de billes, pour empêcher de mourir de faim un pauvre prisonnier à Munster, à Cassel, à Ingolstadt ou à Magdebourg, jusqu’au père qui fume une pipe de moins, jusqu’à la mère qui supprime une plume à son chapeau ou un ruban à son corsage dans la même intention patriotique ? » 108 En juin 1918, il exige que dans toutes les écoles primaires du département des compositions soient faites avant la fin de l’année sur la nécessité des restrictions, et indique quelques sujets possibles : « En dehors des économies sur la nourriture n’en est-il pas d’autres que chacun peut faire et qui ont leur utilité ? Indiquez celles qui vous pratiquez. » - « Le Ministre du Ravitaillement vous a privés de beaucoup de choses auxquelles vous teniez. Que lui diriez-vous si vous aviez l’occasion de causer avec lui ? » - « Avant la guerre, les parents disaient aux enfants « Mange du pain » ; que doivent dire aujourd’hui les enfants à leurs parents ? » - « Quelles sont les réflexions que vous faites en songeant que vous ne pouvez plus acheter des gâteaux et que vous ne pouvez plus manger autant de pain qu’auparavant ? »

Dans le Bulletin de mai-juin 1918, l’inspection académique invite à récolter les plantes médicinales car « si nous savions tirer parti de notre flore si riche et si variée, nous pourrions non seulement nous passer du concours des nations voisines, mais devenir exportateurs à notre tour ». Et d’expliquer l’importance de cueillir les fleurs de tilleul que nous faisons venir du dehors par millions de tonnes ou les queues de cerises ! « Ne pense-t-on pas que nos bateaux ont mieux à faire que de transporter des diurétiques ? Recueillez les queues de cerises, faites-les recueillir autour de vous. Convenablement séchées, dans un local propre et aéré elles seront payées de 3 à 5 francs le kilog par les droguistes. »

Par ailleurs, individuellement ou en groupe, des écoliers sont encouragés à adopter des soldats du front ou bien des prisonniers, à leur écrire régulièrement pour entretenir leur moral. A la suite de l’appel de la fille de Georges Clémenceau, Madeleine Jacquemaire, aux Inspecteurs d'Académie pour solliciter les écoles, l’institutrice de Bérigny, après avoir consulté les élèves des deux écoles, offre ses services. Ernest Gilbert, soldat au 410 R.I. né en février 1895, devient en octobre 1916 le

106 Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 38e année, n° 1 (janvier-février 1918), p. 45. 107

Journal d’une institutrice de campagne. Arch. dép. Manche. 2 J 601. 108 DÉRIES (Léon), « Les Devoirs de la Nouvelle Année » dans Supplément au Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 9 (décembre 1917).

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filleul officiel109 des écoliers de Bérigny. Une correspondance suivie (la dernière lettre reçue porte le n° 107) et des colis sont échangés jusqu’à l’arm istice110. En décembre 1917, l’institutrice écrit à Mme Jacquemaire : « Notre filleul se porte bien, il nous écrit toujours de bonnes missives et bien régulièrement. Je le crois bon garçon et bon patriote. Nous lui envoyons un petit colis de temps en temps, le plus souvent possible. Il ne manque jamais de nous en accuser réception, et il le fait toujours en termes très reconnaissants. Je vous remercie bien vivement, Madame, de nous avoir, en nous donnant ce filleul, procuré l’occasion de faire un peu de bien à un de nos valeureux soldats, à un des braves Défenseurs de notre chère France. Nous les aurons ! Telle est sa pensée et la nôtre. La France sortira victorieuse, et plus grande, et plus belle de cette si cruelle épreuve qu’elle traverse. » L’adoption d’un combattant par une classe répond à deux objectifs : apporter une aide matérielle et morale à un soldat originaire des régions envahies qui n’a ni parent ni amis pour s’intéresser à lui et lui envoyer des colis, maintenir la mobilisation des enfants et de leurs parents dans le cadre d’une guerre totale. A Bérigny, icône patriotique, le portrait du filleul a été encadré et mis dans la classe des garçons.

Pour libérer les petits Français d'Alsace-Lorraine toujours fidèles aux Traditions de leurs Grands Aïeux, Souscrivez à l'Emprunt de la Libération. Roger Broders (s. d.).

Arch. dép. Manche (202 Fi 8)

A l’extrémité de la presqu’île du Cotentin, une petite fille d’Omonville-la-Rogue écrit en 1915 « Quand l’on va rentrer le 6 septembre, le matin, je me lèverai de bonne heure pour aider. En classe, je serai sage, je veux offrir mon travail pour nos pauvres malheureux soldats. Le soir, je

109 70 000 combattants ont eu une relation avec une marraine. 110 Le jeune homme, blessé à la cuisse par une balle en juin 1918 et renvoyé vers le front en juillet, sort de la guerre sain et sauf. En novembre, il écrit aux écoliers qu’il est heureux d’être sorti indemne de la guerre. Mais en décembre 1918 une lettre de l’aumônier d’un hôpital d’Epernay jette la consternation dans l’école : Ernest a succombé à l’épidémie de grippe. « Notre consolation est d’avoir pu adoucir pour ce petit soldat de France les rigueurs de la vie de guerre. Et lui, avant de mourir, a du moins, eu la joie patriotique de voir la France victorieuse, et notre sol à jamais [sic] libéré du joug ennemi ! » note l’institutrice.

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reviendrai de bonne heure pour aider encore mes parents [son frère a été mobilisé]. […] A l’école, la maîtresse nous a fait faire des cache-nez, des manchettes, des chaussettes, des gants et des passe-montagnes. On a donné des sous pour les soldats, pour les Serbes et pour le noël des Armées. J’ai ouvert ma petite tirelire. Celles qui ont bien voulu donner pour les réfugiés ont donné des vêtements et de l’argent. On a aussi donné pour les pauvres prisonniers qui n’ont pas de parents. »111

« Chaque école est devenue à la fois une sorte de dépôt où ont été rassemblés les travaux de tout genre exécutés dans chaque commune, et un atelier dont les écolières ont été les principales ouvrières. » constate dès 1915 l’Inspecteur d’Académie.112

Si les fillettes tricotent, les garçons se préparent à devenir de bons soldats. Les sociétés de tir et de préparation militaire, désorganisées par la mobilisation de leurs instructeurs, se reconstituent dans le département.113 L’instituteur s’en charge parfois, comme à Bérigny où le maître de l’école encadre des exercices de préparation militaire et des séances de tir, chaque dimanche après-midi pour ses anciens élèves des classes 1915, 1916 et 1917, de plus jeunes gens se joignant à eux (en moyenne neufs participants, six au minimum, quinze au maximum). « On a fait des tirs dans les différentes positions. On a également fait des exercices physiques : sauts en hauteur, largeur, sauts à la perche ; courses de vitesse ; marches. On continuera par des exercices plus directement pratiques et variés,

en forêt »114 A la fin de l’année scolaire 1916-1917, 47 sociétés (dont 22 dans le seul arrondissement de Saint-Lô) formaient 1 443 adhérents.115 C’est pourtant moins qu’en 1912 ;

111 Cité par FISSOT (Patrick). Les Manchois dans la Grande Guerre. Marigny, Eurocibles, 2008. p. 167. 112 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie au Conseil départemental de l’Enseignement primaire de la Manche, 29 juillet 1915. » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 35e année, n° 7 (juillet 1915). 113 En juillet 1915 l’Inspecteur d’Académie énumère les Sociétés reconstituées : dans l’arrondissement d’Avranches, cinq cantons sur neuf, ceux de Granville, Villedieu, Ducey, Pontorson et Sartilly ont reconstitué leur société. Dans l’arrondissement de Cherbourg, les cantons de Beaumont, Les Pieux, Cherbourg, Octeville et de Saint-Pierre-Eglise en disposent également. L’arrondissement de Coutances élargit les sociétés de Périers, La Haye-du-Puits, Bréhal, Longueville, Coutances, Saint-Sauveur-Lendelin et de Feugères. Dans l’arrondissement de Mortain deux nouvelles sociétés, celles de Saint-Hilaire-du-Harcouët et de Barenton se sont ajoutées à celles de Mortain et de Sourdeval-la-Barre. Dans l’arrondissement de Saint-Lô, les sociétés de Carentan et Saint-Lô ont poursuivi leurs activités, imitées par les sections de préparation militaire de Cerisy-la-Salle, Remilly, Carantilly, Tessy. Enfin dans l’arrondissement de Valognes, les sociétés anciennes de Quettehou et de Sainte-Mère-Eglise ont inspiré les nouvelles de Valognes, Barneville, Bricquebec, Montebourg et Saint-Sauveur-le-Vicomte. Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 35e année, n° 7 (juillet 1915). 114 Journal d’une institutrice de campagne. Arch. dép. Manche. 2 J 601. 115 DÉRIES (Léon). « Rapport de l’Inspecteur d’Académie sur la situation de l’enseignement primaire dans la Manche pendant l’années 1916-1917 » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 7 (septembre 1917).

Souscription nationale, détail. Edition A. Bodard (s.d.) Arch. dép. Manche (202 Fi 9)

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il y avait alors 76 sociétés de tir dans la Manche, 49 sociétés de gymnastique et 18 sportives.116

Dans le rapport sur la situation de l’enseignement primaire dans le département de la Manche présenté par l’Inspecteur d’Académie, le 24 juillet 1918, devant le Conseil départemental de l’enseignement primaire, le rapporteur se félicite que l’on ait ajouté aux exercices de préparation militaire, « une préparation plus lointaine mais non moins nécessaire, l’éducation physique de tous les enfants. L’autorité militaire a assumé cette tâche qui est actuellement une tâche essentielle de la guerre, mais qui demeurera une tâche non moins essentielle de la paix au point de vue de la conservation, du développement et du progrès de la race. Dans le département tout entier, jusqu'au fond des villages circulent des moniteurs fournis par l’armée, formés selon les bonnes méthodes de l’Ecole de Joinville. »117

2.6. L’école, lieu de communion patriotique

En 1918, dans son poème « L’œuvre » dédiée aux « Camarades morts pour la France », Eléonor Daubrée118, instituteur public à Lessay, célèbre les fonctions consolatrice, fédératrice et patriotique de la Communale, évoquant lyriquement les missions remplies par les enseignants à l’arrière.

« Généreuse petite école, poursuis ton œuvre avec ferveur, Porte par ta chaude parole, Le réconfort dans chaque cœur ; Dans son champ crevé par les bombes, Le laboureur sème le blé Qui lèvera parmi les tombes Au décor frais renouvelé ; Ecole, autre champ qu’on cultive, N’es-tu pas aussi le sillon Où germe, grandit, s’avive Tout l’espoir de la nation ; Entre les plus tendres asiles, O maison, n’es-tu pas le seuil Faisant à toutes les familles Le geste empressé de l’accueil ; Et quand fléchissent les courages, Sous le poids de l’adversité, N’as-tu pas, ainsi que les sages, De mâles accents de fierté ;

Lorsque l’angoisse frappe aux portes, Faisant se courber le vouloir, N’as-tu pas les sentences fortes Qui rappellent au grand devoir ; Près des enfants et près des mères, N’es-tu pas l’auguste lueur Qui parmi les heures amères Fait se dissiper la douleur ; Au sein de chaque âme meurtrie, Ne vas-tu pas, jour après jour, Porter, au nom de la Patrie, Des mots d’Espérance et d’Amour ; Généreuse petite école, Poursuis ton œuvre avec ferveur, Porte par ta chaude parole Le réconfort dans chaque cœur ; Vole partout où la souffrance Etreint les fronts de son étau, Vole sous les plis du drapeau De tes maîtres morts pour la France ».

116 DÉRIES (Léon). « Rapport sur l’Etat moral de la Normandie et les progrès de l’instruction » dans Assises

scientifiques, littéraires & artistiques fondées par A. de Caumont, Ve session (juin 1913). Caen, 1914. 117 Léon Déries ajoute que les jeunes filles auront leur tour l’an prochain puisque « Leur éducation physique n’est pas moins importante que celle des jeunes gens. Ce sont les gardiennes de la race. Plus elles passent d’examens, plus elles s’intellectualisent, plus elles doivent chercher dans une judicieuse éducation physique une sorte de contre-poison contre les dépressions et les toxiques de l’intellectualisme. Elles n’acquerront pas seulement la force indispensable à de futures mères de familles, elles acquerront aussi la souplesse, elles acquerront la grâce, la grâce du mouvement. La grâce à son prix. A tort qui la néglige. » Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 38e année, n° 4 (juillet-aout 1918). 118 Né en 1881 à Gouville-sur-Mer, l’instituteur de Lessay compose des poèmes, comme son homologue Jean Latrouite, déjà évoqué. Ses œuvres sont largement diffusées dans plusieurs publications (Bulletin de l’Instruction Primaire, Echo de Coutances…). Elles font l’objet d’un recueil de poèmes et récits en mars 1918, Un regard sur la vie… Deux ans auparavant, en 1916, Eléonor Daubrée publiait A tous nos morts sublimes, poésie de la Guerre.

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L’école est, avec la mairie, le cœur patriotique de la communauté. On l’orne et l’illumine, on y organise des cérémonies. A Bérigny, la mairie et l’école sont pavoisées le 26 mai 1915 en l’honneur de l’Italie qui entre en lutte aux côtés de la France, le 29 août 1916 pour la Roumanie, en avril 1917 pour célébrer l’intervention des Etats-Unis et le 4 juillet 1918 pour l’anniversaire de la proclamation de leur indépendance. Des manifestations nouvelles sont organisées à l’école. A Bérigny, toujours, où il n’y a jamais eu de distribution de prix, le dernier jour de classe de l’année scolaire devient une journée particulière, sa dernière heure étant consacrée à un recueillement patriotique. Amélina Lefèvre raconte : Le 22 juillet 1915,

« en l’absence de M. le Maire, empêché à son grand regret de pouvoir y assister, cette petite cérémonie s’est faite en famille, dans la salle de classe des garçons, laquelle, pour la circonstance avait été décorée et ornée de drapeaux tricolores. Sur les tableaux noirs, des inscriptions patriotiques avaient été tracées avec de la craie de couleur (un rien fait plaisir aux enfants de nos campagnes). Garçons et filles ont été réunis. Les absences étant plus nombreuses depuis quelque temps, à cause des travaux de la fenaison, j’avais fait demander à quelques mères de famille de vouloir bien envoyer leurs « grands » pour cette dernière heure de classe. Plusieurs avaient répondu à mon appel. M. Lefèvre [instituteur et époux] a passé en revue les principaux évènements de la guerre actuelle, et nous a laissé entrevoir le succès final de nos armées. Il a rappelé le nom des enfants de la commune tombés au champ d’honneur et a dit un mot personnel pour chacun d’eux. Il a adressé un souvenir ému aux blessés, aux prisonniers, aux combattants, aux vieux, aux jeunes, à tous ceux là qui, soit au près, soit au loin, travaillent où vont travailler pour nous, pour le salut de notre chère Patrie. Nous avons lu et commenté aux élèves « le premier soldat français mort au champ d’honneur Jules André Peugeot, instituteur » inséré au dernier bulletin. Des morceaux patriotiques ont été récités, et après l’exécution de plusieurs chants d’actualité, et quelques conseils pour les vacances, l’heure s’est terminée aux accents de la Marseillaise. »119

Au printemps 1918, Léon Déries lance les « dimanches patriotiques»120 qui doivent prolonger la mobilisation scolaire : il demande aux enseignants d’entretenir le civisme de l’ensemble de la population, de le développer avec l’aide des écoliers, au moyen de manifestations patriotiques, à l’heure où « la Russie vient de vendre sa liberté sans recevoir en échange que des coups ». Parce qu’il y a « mieux à faire que de se répandre en lamentations », l’Inspecteur d’Académie veut que les instituteurs et institutrices fassent de chacune de leur école une « petite usine » de forces morales. Dans une circulaire datée du 1er mai 1918, il explique qu’en ouvrant chaque dimanche l’école aux parents, on leur offrira des chants, des morceaux de récitation, on leur mettra sous les yeux la conduite de l’ennemi par des témoignages vivants de réfugiés, des lettres d’habitants des villes occupées, des lectures de quelques livres indispensables, pour susciter leur rage et leur indignation. Dans ces conditions, l’institutrice de Bérigny rapporte à l’Inspecteur d’Académie qu’elle garde les élèves pour faire une petite fête patriotique, chaque samedi, après la classe du soir ; « Le drapeau est derrière le bureau ; et sur le bureau il y a des fleurs. Nous chantons. Les élèves récitent. Je rends compte des évènements de la guerre pendant la semaine qui vient de s’écouler. Je lis. Les enfants sont heureux. » En octobre 1918, elle note : « Dans nos écoles la guerre est toujours le principal centre d’intérêt. Les choses et les idées, tout se rapporte à la patrie. Fréquemment nous retraçons le courage, le dévouement, l’activité prodigués par les habitants militaire ou civils, pendant la durée des hostilités. Nous voulons empêcher l’héroïsme des parents d’être perdu pour les enfants. » Même après l’armistice, elle rapporte à l’Inspecteur d’Académie qu’elle continue ses réunions patriotiques le samedi après la classe. Le 2 avril 1919, elle écrit « Continuons petites réunions jusqu’à signature de la paix. Petites fêtes toujours bien goûtées.» 121

119 Journal d’une institutrice de campagne. Arch. dép. Manche. 2 J 601. 120 Supplément au Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 38e année, n°2 (février 1918), p. 88-99. 121 Journal d’une institutrice de campagne. Arch. dép. Manche. 2 J 601.

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Autre exemple de mobilisation scolaire après l’armistice : en mars 1919, l’Inspecteur d’Académie invite le personnel des écoles publiques de la Manche à prêter leur « dévoué concours » au Comité des Dames de la Ligue de l’enseignement qui imagine un parrainage des écoles des régions dévastées par celles de l’intérieur.122 Une initiative qui inspire un des sujets de composition française de la session 1919 du certificat d’études primaires élémentaires : « Les écoles des régions dévastées se tiennent dans des locaux de fortune et n’ont qu’un mobilier très pauvre (Description). Les familles, ruinées, pour la plupart, ne peuvent acheter des fournitures scolaires. Il est question de faire adopter ces écoles par les écoles de l’intérieur qui n’ont pas souffert. Désirez-vous que votre école devienne une école marraine ? Que ferez-vous avec vos camarades ? »123

Léon Déries part en avril 1919 visiter les provinces reconquises avec l’Association des Sociétés de propagande contre l’ennemi. Poursuivant sa mission, il part avec plus de deux cents autres pèlerins, Recteurs et Inspecteurs, raviver l’esprit de France dans les marches de l’Est, découvrir « ces deux filles de France, par un acte odieux de brutalité arrachées à leur mère », et vérifier leur foi patriotique. Dès son retour, Il publie à l’intention des enseignants la relation de son voyage, intitulée « Un pèlerinage en Alsace-Lorraine », dans un supplément au troisième Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche. Aux enseignants, incombe encore la charge d’aider à relever les ruines, à restaurer la marche des études pour mettre en place une « Ecole de la paix » qui, selon le vœu de l’Inspecteur de l’Académie, entretienne le souvenir de l’abominable guerre de désolation provoquée délibérément par l’Allemagne.124

122 Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 39e année, n°2 (mars 1919). 123 Annuaire de l’Enseignement Primaire de la Manche. 24e année, 1920. 124

DÉRIES (Léon). « Rapport sur la situation de l’enseignent primaire dans le département de la Manche, présenté par M. Déries, Inspecteur d’Académie, au Conseil départemental de l’Enseignement primaire de la Manche » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 39e année, n° 5 (juillet-août 1919).

Affiche 4e emprunt de la Défense Nationale. Abel Faivre (1918) Arch. dép. Manche (202 Fi 4)

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« Comme une malade qui a longuement lutté contre la mort, que la mort a failli terrasser, mais qui, dans un sursaut de vitalité par un suprême effort a terrassé la mort, la France est pâle, faible et languissante. De ses veines se sont échappés des flots de sang et tout autour d’elle le sang ruisselle encore. Son corps est couvert de cicatrices. Pas une n’est fermée. Elle a dépouillé les beaux habits de fête de la blanche épousée et de la tête aux pieds, sous ses longs voiles de deuil, elle tremble, elle frissonne encore de tous ses membres. La douleur est sur son visage et la douleur est dans son cœur. Mais ses yeux brillent d’un étrange éclat. Elle est fière de ses enfants et elle fière d’elle-même. Vaillante et résolue, elle a déjà ceint ses reins pour les durs labeurs qui de tous côtés l’attendent et elle se prépare au travail. En tête de tous ses fils, comme elle vaillants et résolus, elle se met à l’œuvre. »125

Si l’Inspecteur d’Académie salue la France endeuillée mais courageuse, il rappelle aux enseignants leur devoir d’entretenir la mémoire de l’effort général, d’officier la « religion du souvenir ».

« On oublie vite en France, beaucoup trop vite alors qu’ailleurs on a la mémoire singulièrement tenace. Nos enfants ont vécu comme nous-mêmes la guerre. Mais ils l’ont vécu autrement que nous. Ils l’auront vécue ainsi qu’ils pouvaient la vivre, en enfants. Promptement, si nous n’y veillons, la brume épaisse et profonde se répandra sur les plus grandes, les plus mémorables scènes de ce drame sans précédent. Cette brume nous devons l’empêcher de voiler de son manteau et de plonger dans les ténèbres ce qui doit demeurer en pleine lumière pour tous les yeux. […] Il n’y a plus de communiqués, à lire et à commenter. Mais il y a quelque chose à faire. L’histoire de la guerre doit être enseignée sous deux formes, sous une forme locale et sous une forme générale. Là comme ailleurs, comme partout, ce sont les plus petits évènements de l’histoire locale qui rendent plus saisissants les grands évènements de l’histoire générale. Le premier soin des instituteurs et des institutrices devra donc être au seuil ou à la fin de chaque année scolaire de rappeler les principaux souvenirs laissés par la guerre dans chaque commune. La liste des morts ne devra pas seulement demeurer affichée après la guerre comme pendant la guerre, elle devra être lue et elle devra être apprise. Les enfants devront savoir quel tribut leur commune a payé à la mort. Ils devront de même connaître les actes glorieux dont ont été les auteurs ceux qui les entourent. Partout s’élèveront des monuments commémoratifs, partout seront célébrés des anniversaires. L’école ne devra demeurer étrangère à ces cérémonies. Toutes les occasions matérielles ou morales de pratiquer la religion du souvenir devront être recherchées et au besoin provoquées. Pour incliner l’esprit, il faut incliner le corps et les sentiments se traduisent au dehors par des gestes nécessaires. »126

Aux enfants, à l’occasion d’une distribution de prix au lycée de Coutances, en juillet 1920 : « Jeunes gens et jeunes filles assemblées aujourd’hui […] Pratiquez la grande, la belle, la nécessaire « Religion du Souvenir ». N’abjurez aucun de ses dogmes. Ne rejetez aucun de ses

125 DÉRIES (Léon). A l’ombre du drapeau. Saint-Lô, Jacqueline, ca 1919. 126 DÉRIES (Léon). « Rapport sur la situation de l’enseignent primaire dans le département de la Manche, présenté par M. Déries, Inspecteur d’Académie, au Conseil départemental de l’Enseignement primaire de la Manche » dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 39e année, n° 5 (juillet-août 1919).

Brochure Aux enfants de France, éditée par la Fédération des Amicales

d’institutrices et instituteurs publics de France et des colonies. Extrait (1915)

Arch. dép. Manche (202 Fi 15)

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rites. La foi qui n’agit point n’est pas une foi sincère. Que votre foi soit profonde, qu’elle soit ardente et que sans cesse elle s’affirme par des actes […] Jurez de ne jamais oublier. »127

3. LE TEMPS DE LA CÉLÉBRATION

3.1. Des hommages improvisés

Déjà en 1917, l’Inspecteur d’Académie de la Manche, recommandait aux maîtres et maîtresses d’instituer un culte aux martyres dans leurs classes : « Apprenez à vos élèves à honorer les blessés. Apprenez-leur surtout à honorer les morts. Rassemblez comme un dépôt précieux les reliques de la guerre, ses reliques matérielles et ses reliques morales. Que les noms de tous les tués, disparus, blessés, prisonniers de chaque commune soient partout enregistrés et ostensiblement affichés. Que tous les actes de courage de ceux qui vous entourent soient consignés avec soin pour être retrouvés plus tard. A certains jours solennels consacrés par la tradition, les vivants rendent aux défunts de pieuses visites. Des fleurs déposées par des mains enfantines sur les tombes font plaisir aux morts. »128 Les instituteurs tombés au front n’étaient pas particulièrement concernés par ces hommages mais on peut penser que la disparition du maître d’école mobilisé, remplacé par une jeune intérimaire ou sa veuve, devait particulièrement bouleverser ses élèves.

Dès la fin de l'année 1914, le ministère de l'Instruction Publique et des Beaux-arts, grâce à son service de la Propagande, recense les instituteurs servant dans l'armée française, morts, blessés ou disparus, et ceux ayant reçu des citations, afin d'établir le Livre d'Or de l'enseignement. Pour la Manche, l’Inspection académique fait de même et publie au fil des Bulletins de l’Instruction Primaire de la Manche les noms des membres de l’enseignement public morts, disparus, blessés ou prisonniers (voir supra).

Les journaux et bulletins qui rendent hommage aux morts distinguent souvent les instituteurs dont le statut et les fonctions leur valaient une certaine notoriété. « André Ferdinand, Paul Mouchel, Charles Esnée, [trois enseignants manchois] cette terrible guerre vous unit dans la tombe. Mais votre mort dépasse votre destinée. Vos cadavres couvrent la terre de France et défendent une

civilisation, celle dont les instituteurs de notre beau pays comptent parmi les plus fermes appuis. Aux grands jours de la victoire, votre souvenir sera au cœur de vos amis. » écrit-on dans Les Echos de Coutances et Coutainville du mois de septembre 1916.

127 DÉRIES (Léon). « Discours prononcé par M. l’Inspecteur d’Académie, Président de la Distribution des prix du Lycée de Coutances» dans Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 39e année, n° 5 (juillet-août 1919). 128 DÉRIES (Léon). « Les Devoirs de la Nouvelle Année » dans Supplément au Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 37e année, n° 9 (décembre 1917).

Souscription nationale, détail. Edition A. Bodard (s.d.)

Arch. dép. Manche (202 Fi 9)

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3.2. Perpétuer le souvenir des maîtres morts pour la France

Après la victoire et la démobilisation, on songea à célébrer les instituteurs. En février 1919, l’Inspecteur d’Académie adresse aux Inspecteurs de l’enseignement primaire du département les médailles commémoratives destinées aux écoles publiques dont les maîtres sont morts pour la France. Ces médailles commémoratives en bronze réalisées sur un modèle de Victor Prouvé ont été commandées par le ministère de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts à la Monnaie, pour « perpétuer dans chaque établissement le souvenir des maîtres morts pour la France ». Chacune porte gravé à l’avers, avec les dates de la naissance et de la mort, le nom du maître tombé au champ d’honneur. Son installation doit être l’occasion d’un digne rassemblement patriotique, aussi Léon Déries donne-t-il des directives très précises :

« Il importe donc que, dans chaque école, bien en évidence, de préférence au-dessus de la chaire du maître, à l’endroit même d’où descendait sa parole, soit placé son portrait. Ce portrait photographique devra de préférence être un agrandissement, soit en costume civil, soit en uniforme militaire. Parents et enfants se feront, j’en suis sûr, un devoir de rendre ce suprême témoignage de respect, d’affection et de reconnaissance à la mémoire d’un de ceux qui combattirent avec les autres fils de la commune le bon combat. Une souscription organisée à cet effet couvrira aisément les frais. La médaille commémorative pourra être placée dans le même cadre, au dessous de la photographie, à moins qu’on ne préfère la placer dans un cadre spécial sous verre, sur un coussin de velours cramoisi qui la fera ressortir. »129

Le 25 juin 1919, une semblable cérémonie est organisée à Saint-Lô, dans la salle des fêtes du Collège de Saint-Lô, à l’occasion de la remise, par le Ministre de l’Instruction Publique, à l’Ecole Normale des instituteurs, d’une grande médaille de bronze, avec le nom de ses onze morts gravés à l’avers. Mais on en profite pour célébrer la mémoire de tous les membres de l’enseignement public du département de la Manche tombés au champ d’honneur, sous la présidence du préfet, en présence de plus de 700 personnes. « Pour rappeler dans toute son ampleur funèbre la cérémonie d’aujourd’hui il faudrait une autre médaille dont je n’ose vous dire les dimensions et il y aurait cent sept noms de fils de l’Université à y inscrire dans la Manche » regrette Léon Déries. On prend soin d’éditer une brochure réunissant la liste des victimes de la guerre (108 noms sont donnés – Théophile Maupas fusillé le 17 mars 1915 n’y figure pas - dans l’ordre chronologique de leur disparition), le discours de l’Inspecteur d’Académie et deux poésies d’Eléonor Daubrée.130

Combien de ces « monuments » existent encore ? Combien de mémoriaux à l’entrée des écoles, collèges ou lycées, aujourd’hui ? Un recensement ne mériterait-il pas d’en être fait ? Le collège public de Carentan, à l’entrée de ses locaux inaugurés en 1972, expose

129 DÉRIES (Léon). Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 39e année, n°1 (janvier-février 1919). 130 A la mémoire des membres de l’enseignement public du département de la Manche tombés au champ d’honneur – 1914-1919 », Cherbourg, A. Ledelay, 1919

Brochure A la mémoire des membres de l’enseignement public du

département de la Manche tombés au champ d’honneur (1919)

Arch. dép. Manche (Br 1982)

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toujours les noms de 34 « camarades morts pour la France ». En tête de la plaque de marbre, les médailles dédiées à Courbaron et Le Maigre, enseignants à Carentan morts au champ d’honneur.

L’hommage ne va pas s’arrêter là, puisqu’en juin 1920, on arrête le principe de l’érection d’un monument à la mémoire de tous les membres de l’enseignement public de la Manche tombés au champ d’honneur, à l’occasion d’une assemblée générale de l’Association de Secours Mutuels entre les Instituteurs et Institutrices. Un comité, sous la présidence d’honneur du Recteur de l’Académie et du préfet de la Manche est institué à la suite, l’Inspecteur d’Académie étant président.131 Il décide que le monument sera érigé dans la cour d’honneur de l’Ecole Normale d’instituteurs de Saint-Lô, à la mémoire de 108 membres de l’enseignement public, 104 appartenant à l’enseignement primaire et 4 à l’enseignement secondaire (en réalité on recensera 114 morts).

En novembre 1920, l’Inspecteur d’Académie, au nom du Comité pour l’érection du monument, fait appel à tous les membres de l’enseignement public et à leurs élèves, à toutes les municipalités, aux délégués départementaux et aux familles pour contribuer à édifier le monument. Les listes de souscriptions devront être adressées à l’I.A. avant le 1er janvier 1921.132 Plus de 40 000 francs sont rassemblés.

3.3. L’affaire du monument

Si l’érection du monument rencontre un large soutien, la question de l’inscription sur ce mausolée du nom de Théophile Maupas va devenir un épineux problème pour l’administration. La veuve de l’instituteur du Chéfresne, fusillé pour l’exemple avec trois autres caporaux à Suippes (voir le Didac’doc n° 42), institutrice elle-même, soutenue par un grand nombre de ses collègues et par la Ligue des Droits de l’Homme, entame alors une campagne de mobilisation de l’opinion publique pour obtenir la réhabilitation de son époux et des sanctions à l’égard des responsables du « crime ». Si Maupas est largement réhabilité dans les esprits, l’inscription de son nom parmi ceux de ses collègues tombés sous les balles ennemies, à l’instar de ce qui se réalise sur les monuments aux morts du Chéfresne et du Mesnil-Aubert, ne peut être envisagée par les autorités républicaines. Davantage encore lorsque le 26 mars 1922, la Cour de cassation rejette la demande de révision du procès des caporaux de Souain. L’opposition n’était pas seulement le fait des représentants de l’Etat. Déjà en juin 1921, en réunion de la section saint-loise de la Ligue des Droits de l’Homme on évoquait l’opposition d’un certain nombre d’instituteurs de Saint-Lô à l’inscription du nom de Maupas sur le marbre du monument.

131 Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 40e année, n° 10 (novembre 1920). 132 Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 40e année, n° 10 (novembre 1920).

Estampe, Toutes les Communes de France vont remercier les Poilus par la voix des Enfants des Ecoles. Détail. J.

Coraboeuf. L'Union des Grandes Associations Françaises (1919). Arch. dép. Manche (202 Fi 14)

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Dans ces conditions, on tergiversa. Le Comité qui disposait de plus de 40 000 francs133, grâce à la souscription publique, devait faire réaliser un monument. Le 20 octobre 1921, après examen des maquettes reçues, il retint le projet de Gustave Jacobs134, statuaire belge. La somme due au statuaire sera fixée par traité à 40 000 francs pour le monument prêt à monter et rendu à l’Ecole normale.135 Le Comité du monument décida aussi que la plaque de marbre porterait, gravés, les noms des instituteurs « morts pour la France », mais que la cérémonie d’inauguration n’aura lieu qu’après que les tribunaux se soient prononcés sur les fusillés de Souain.

L’absence du nom du fusillé sur le monument projeté excita la fronde. Le 15 juin 1922, la Ligue autonome des Instituteurs et Institutrices de la Manche exprime l’ardent désir que le nom de Maupas puisse figurer sur le monument de l’Ecole Normale. On décide, qu’au cas où le comité du monument s’y refuserait, le jour de l’inauguration une palme au nom de « Maupas, mort au champ d’honneur » pourrait être déposée au pied du monument.136 Un mois plus tard, le 16 juillet 1922, c’est au tour de la section syndicale des instituteurs de la Manche de réclamer l’inscription. Léon Déries, Inspecteur d’Académie et président du Comité pour l’érection du monument, s’y oppose. Exposant l’affaire au Ministre de l’Instruction Publique, le 30 juin 1922, il se justifie :

« Dans un entretien avec les représentants des Instituteurs et des Institutrices au Conseil départemental, au sujet de l’inscription du nom de Maupas sur notre Tableau d’Honneur, je leur représentai que la Cour de Cassation s’étant prononcé dans le sens du rejet du pourvoi, ce jugement devait être considéré quant à présent comme définitif. Par suite, sauf révision ultérieure, la question de réhabilitation devait être tranchée dans le sens négatif. Il ne pouvait pas avoir lieu à inscription […] Le monument n’est point la propriété personnelle des Instituteurs puisque c’est avec les souscriptions des enfants des écoles, de leurs familles, des municipalités, du Conseil général lui-même qu’il est élevé. Il est le bien indivis de tous ceux qui ont contribué à l’offrir. On ne saurait à mon avis annuler par un vote privé individuel ou collectif, un verdict souverain de la justice suprême. Si les Instituteurs voulaient pour des raisons dont ils sont juges donner un témoignage de sympathie à leur camarade Maupas, ils pouvaient exprimer cette sympathie sur sa tombe, soit au front, soit au Chefresne si le corps y est rapporté. Mais ils ne peuvent à mon avis faire figurer son nom sur la liste funèbre, ni même à l’issue de la cérémonie officielle, déposer avec ou sans discours un emblème qui constituerait une protestation. » 137

Mais les positions de l’Inspecteur d’Académie ne semblent pas faire l’unanimité, et il avertit son supérieur « Dans le cas où je serais en minorité dans le Comité du Monument, il ne me resterait qu’à donner ma démission de Président. » En cette année 1922, l’I.A. envisage pourtant l’inauguration du monument prochaine : « L’érection du monument des instituteurs du département tués devant l’ennemi approche. Elle aura lieu dès la rentrée des grandes vacances, dans le courant d’octobre selon toute probabilité. ». En fait, elle n’aura lieu que douze années plus tard ! Léon Déries aura entre temps non seulement cédé sa place (dès 1924) mais aussi passé de vie à trépas (1933). En cette année 1922, le 23 septembre, le Ministre de l’Instruction Publique, Léon Bérard, répondant au Président de la Ligue des Droits de l’Homme, Ferdinand Buisson, refusait également l’inscription du nom de Maupas sur le monument dédiés aux instituteurs : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que tant que la Cour de cassation n’aura pas accueilli le pourvoi

133 En 1924, on notait que la souscription publique a produit la somme de 44 250 francs environ (y comprenant 2 000 francs d’intérêts). 134 Gustave Jacobs (1891-1986), natif de Mons (Belgique). Artiste belge, sculpteur et musicien. Blessé durant la guerre il passa sa convalescence en France. Après guerre, il réalisera un autre monument aux instituteurs publics morts pour la patrie, celui du Pas-de-Calais, inauguré à Arras en mai 1925. Il est également l’auteur du monument aux morts de Wasmes (Belgique), inauguré en 1933. C’est sans doute par erreur que Léon Déries, prénomme l’artiste Jean-Baptiste dans sa biographie Sous la toge universitaire (p. 169). 135 Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 44e année, n° 4 (avril-mai 1924). 136 Fonds des familles Baudre-Lepingard, Arch. dép. Manche, 120 J 1. 137

Arch. dép. Manche, 1 T1/267.

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en réhabilitation du caporal Maupas et que de ce fait la sentence qui a frappé ce dernier subsistera, je me trouverai dans l’impossibilité de donner satisfaction aux désirs exprimés à ce sujet. »

La question du monument aux instituteurs devient préoccupante pour l’administration. Blanche Maupas déploie une énergie extraordinaire et bénéficie d’un large et puissant soutien. Pour obtenir un nouveau procès en réhabilitation, elle accentue la campagne d’opinion. L’inauguration du monument de l’Ecole Normale est un enjeu désormais important et un élément essentiel de sa stratégie, à ses yeux plus considérable que le retour du corps de son mari et la ré-inhumation dans le cimetière de Sartilly en août 1923, puisqu’elle écrit en juin que « La parution de l’ouvrage puis l’inhumation à laquelle nous donnerons le plus de solennité possible seraient susceptibles de préparer les esprits pour une manifestation lors de l’érection du monument aux instituteurs de la Manche ». Sans doute, l’inscription du nom du condamné sur un monument inauguré par les représentants des plus hautes autorités revêt-elle davantage de sens.

Comme l’avait espéré Blanche Maupas, les obsèques de Maupas, accentuent la pression sur les représentants de l’Etat. Le 25 septembre 1923, malgré l’opposition du Préfet, le Conseil général de la Manche vote par 43 voix contre 3 une motion réclamant l’inscription du nom de Maupas sur le monument des instituteurs de la Manche, ainsi qu’une motion de sympathie à la veuve Maupas.

L’arrivée de Jacques Fuster à la tête des services de l’Instruction Publique dans le

département, semble apaiser les tensions. Ancien combattant, le nouvel Inspecteur d’Académie, comprend sans doute mieux que son prédécesseur les faits reprochés au caporal Maupas, mais pour autant il ne peut ignorer, et encore moins contredire, les décisions judiciaires. En mai 1924, le Comité du Monument décide que les travaux d’édification du monument dans la cour d’honneur de l’école normale « seront commencés sans retard » 138 mais sursoit à la décision en ce qui concerne la date d’inauguration. Blanche Maupas écrit à l’I.A. sa satisfaction. Puis au début de l’année suivante, à la suite du vote d’une nouvelle loi d’amnistie, elle demande à l’Inspecteur d’Académie d’user de son influence pour obtenir « une première réparation morale attendue depuis si longtemps par la corporation des instituteurs » en faisant inscrire le nom de Maupas sur le monument. Le Ministre de l’Instruction Publique, consulté par l’Inspecteur, répond le 16 février qu’il croit « qu’il serait souhaitable pour donner un plein effet à cette mesure de la subordonner à la réhabilitation du caporal Maupas. J’ai donc demandé à M. le Garde des Sceaux de bien vouloir faire diligence pour saisir la Cour de Cassation toutes chambres réunies de l’affaire des fusillés de Souain ». La pression exercée accélère-t-elle le cours des évènements ? Toujours est-il que

138 Bulletin de l’Instruction Primaire de la Manche, 44e année, n° 4 (avril-mai 1924).

La tombe du caporal Maupas à Sartilly (1923) Arch. dép. Manche (6 Fi 565/14)

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l’affaire des caporaux est réexaminée. Pourtant le 21 avril 1926, la demande de cassation est rejetée une deuxième fois.

Pendant tout ce temps, le monument est édifié. Le groupe en bronze arrive de Belgique et l’on s’active pour l’intégrer au marbre travaillé localement. Dans la cour d’honneur de l’Ecole Normale de Saint-Lô, face à l’entrée principale, le monument raconte encore aujourd’hui le martyre des instituteurs manchois et de leurs familles. Un homme git, étendu dans la longue capote de son uniforme de poilu, sa tête est nue, son bras gauche replié sur sa poitrine, sa main droite repose sur un casque, déposé sur un livre ouvert. L’union des fonctions civiles et militaires est de cette manière suggérée. Aucune arme représentée, à la différence des nombreux monuments patriotiques. L’étude, le livre, le Droit, plus que le fusil, la grenade ou le masque. Sans le casque et les bandes molletières, cette dépouille pourrait être confondue avec celle d’un malheureux intellectuel. Auprès du gisant, trois autres personnages : une jeune femme, sobrement vêtue, serrant contre elle deux enfants, leurs enfants. Un petit garçon qui incline son visage vers le père que la guerre lui a arraché, une fillette, plus jeune, qui tourne son regard vers sa mère, cherchant des réponses à la disparition de ce père ou à la présence de ce cadavre. Pas de larmes ni de lamentation, mais une gravité et une sage douleur commune. Chacun des enfants porte une guirlande de fleurs qu’il va déposer sur la dépouille paternelle.139

Derrière ce groupe de bronze s’élève un mur de marbre recueillant les noms des victimes honorées. Inscrits dans l’ordre alphabétique sans distinction de grade militaire ou de statut professionnel, les défenseurs de la patrie sont unis dans la reconnaissance. Sur la façade du gisant, une grande injonction sculptée dans la pierre : « SOUVENONS-NOUS » ; en lettres plus petites « AUX MEMBRES DE L’ENSEIGNEMENT PUBLIC DE LA MANCHE TOMBES AU CHAMP D’HONNEUR LE DEPARTEMENT RECONNAISSANT ». Les personnes mises en présence du monument, des élèves instituteurs surtout, sont invitées à imiter la famille en se recueillant, et à commémorer régulièrement la mémoire du drame que fut la Grande Guerre. Sans parti pris évident, le Comité du monument a choisi de célébrer le sacrifice des enseignants – pas d’héroïsation outrancière – et de rendre hommage aux familles brisées. N’est-ce pas le père de

139 Léon Déries écrit dans Sous la toge universitaire, « Dans la cour d’honneur de l’Ecole Normale de Saint-Lô, sur un fond de verdure, au-dessus d’un socle de granit, se dresse un magnifique monument de bronze, un des moins connus puisque le grand public n’y a pas accès, mais un des plus beaux qui soient en France. C’est l’œuvre d’un jeune artiste belge, digne élève du grand Constantin Meunier, le Millet du ciseau et de l’ébauchoir, de Jean-Baptiste (sic) Jacobs. Après avoir, pendant la guerre, mis sa vie au service de la France (sic), il tint au lendemain de la victoire à lui témoigner son amour par son talent. »

Détail du monument aux membres de l’enseignement public de la Manche tombés au

champ d’honneur (Gustave Jacobs, 1924) Arch. dép. Manche (1 T2/476)

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famille plus que le maître d’école que l’on a choisi d’honorer dans cette pépinière d’instituteurs ? Sans débauche de symboles, sans recours à l’allégorie tant usuelle alors dans l’espace public, on rappelle surtout l’issue terrible d’une guerre plutôt que la victoire. Ni militariste, ni patriotique, bien sûr laïc, le monument à la mémoire des membres de l’enseignement public de la Manche est funéraire et largement civil.

L’inauguration d’un monument à la mémoire des instituteurs morts pour la patrie sur lequel ne figure pas le nom de Maupas doit être maintenant imminente, d’autant qu’elle est réclamée par les familles des instituteurs morts et de nombreux souscripteurs. En témoigne cette demande de l’instituteur de Saint-Loup, en janvier 1927 :

« Avec tous les instituteurs et institutrices du département, j’aurais voulu voir figurer le nom de M. Maupas avec ceux qui comme lui sont morts pour leur pays. J’ai donc attendu patiemment dans l’espoir que Madame Maupas qui si héroïquement travaille à la réhabilitation de son mari obtiendrait satisfaction. Monsieur l’Inspecteur d’Académie, j’avais un fils unique140, élève de l’Ecole Normale, il a été tué le 16 avril 1917. Dans la petite commune où je venais d’être envoyé, après la guerre, tous les habitants ont voulu participer à la souscription ouverte pour le monument. Ils ont versé 315 fr. au comité. Je crois donc être dans le cas de pouvoir manifester un désir. Je suis vieux et cependant je voudrais voir l’inauguration du monument, et je viens vous prier, Monsieur l’Inspecteur d’Académie, de vouloir faire le nécessaire pour qu’elle ait lieu bientôt. »141

Les familles peuvent espérer l’hommage collectif prochain. Après la décision de la Cour de cassation, le Secrétaire général de la section manchoise du Syndicat National des Institutrices et Instituteurs publics et membre du Comité Maupas, demande à l’Inspecteur d’Académie que l’inauguration du monument aux instituteurs de la Manche morts pour la France ait lieu le plus tôt possible. « Il faut qu’elle soit digne de nos morts héroïques et qu’elle se passe toute entière dans le plus parfait recueillement. Rien ne l’empêche. Je sais bien qu’il y a l’affaire Maupas mais on peut arranger cela. Si j’ai l’honneur de prendre la parole au nom des instituteurs pendant la cérémonie d’inauguration je parlerais certes de

Maupas car c’est une affaire qui nous tient à cœur et que me taire serait manquer de courage et de sincérité mais je parlerai, vous le savez, avec assez de tact et d’émotion pour que nul ne puisse protester. » Le Conseil syndical des Instituteurs de la Manche, presse aussi l’I.A. regrettant « que la cour de Cassation, toutes chambres réunies, n’est pu, liée par la jurisprudence, réaliser la réhabilitation légale des fusillés de Suippes ; la réhabilitation morale étant depuis longtemps largement acquise. »

Jacques Fuster demande l’avis des Inspecteurs Primaires et du directeur de l’Ecole Normale. Si ceux d’Avranches, Mortain, Coutances et Saint-Lô estiment que l’inauguration du monument peut avoir lieu le plus tôt possible, en prenant quelques précautions telles la connaissance préalable

140 René Jouvet, né à Cherbourg en 1896, tué en avril 1917. Croix de guerre avec étoile militaire. 141 Lettre à l’I.A. du 14 août 1911. Arch. dép. Manche, 1T1/267.

Cliché extrait de Adieux en famille. Saint-Lô, Barberoux (1927)

Arch. dép. Manche

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des discours, l’Inspecteur Primaire de Cherbourg et le directeur de l’E.N. craignent que la cérémonie ne soit troublée par les réclamations des partisans de Maupas. Le directeur de l’Ecole Normale répond que « si la cérémonie doit être le prétexte d’une manifestation en faveur de certaines revendications, que dans notre for intérieur nous pouvons estimer justes, nous, surtout, qui savons par expérience directe ce qu’est la guerre et ce que furent en particulier les combats de 1914, mais manifestations de revendications dont une telle cérémonie n’est ni le moment ni le lieu, - non, qu’on ne trouble ni la paix ni le silence où nos morts reposent et que l’inauguration soit ajournée sine die ». L’inspecteur de Cherbourg, de son côté, ne voit pas « comment on éviterait l’incident Maupas. Il y a des instituteurs qui ne transigeront pas. Il y aurait tout lieu de voir officieusement quelle portée aurait la protestation et s’il y en aurait une. Si la question est posée par le Syndicat, et dans le journal le « Progrès laïque », on verrait tout de suite le retentissement qu’aurait l’affaire dans le personnel. » L’Inspecteur Primaire d’Avranches est plus confiant dans le sens des responsabilités des enseignants : « Pourquoi le monument aux Instituteurs du département de la Manche morts pour la France ne serait-il pas inauguré ? Je ne crains même pas des manifestations regrettables que sauront éviter l’intelligence et la pondération de notre personnel. » En avril 1926, l’Inspecteur de l’Enseignement Primaire de Saint-Lô recommande à son supérieur de fixer l’inauguration au mois de novembre [1926] car « une inauguration très prochaine paraîtrait une protestation, prendrait l’allure d’une manifestation dirigée contre la plus haute magistrature du pays ; elle le deviendrait certainement si des voix discordantes se faisaient entendre (qui vous dit qu’il n’y en aurait pas ?) au cours d’une cérémonie que se doit revêtir « l’éclat » qu’on nous promet, mais qui sera d’autant plus émouvante qu’elle sera plus simple. »

Finalement, le Ministre de l’Instruction Publique, Edouard Herriot, indique la marche à suivre : attendre, encore. Le 30 octobre 1926, il répond à l’Inspecteur d’Académie de la Manche relativement à la demande du Comité Maupas d’inscrire le nom de ce maître sur le monument, qu’il aurait été heureux d’accueillir sa demande, qu’il aurait volontiers donné à madame Maupas ce témoignage de l’intérêt qu’il lui porte et de son respect pour sa douleur, mais que, en présence de l’arrêt du 21 avril 1926 de la Cour de cassation, il ne lui est « pas possible, en autorisant l’inscription demandée, de paraître vouloir ignorer une décision de justice. » Il conclue qu’il ne verrait que des avantages à ce que l’inauguration officielle du Monument soit différée, si « une telle cérémonie risquait de provoquer présentement des incidents fâcheux. » A l’initiative de Jacques Fuster, la lettre du ministre est reproduite dans la presse locale. Blanche Maupas, le Comité Maupas et la LDH n’ont pas obtenu l’inscription du nom, tant réclamée, mais ont évité le pire : une cérémonie officielle qui écartait définitivement l’ex-instituteur et l’espoir d’une réparation. L’affaire et la mobilisation restaient entières, d’autant qu’au niveau national la presse et des députés se faisaient l’écho des efforts inouïs des défenseurs de l’honneur de Maupas, et que des projets de loi étaient discutés pour établir un tribunal spécial chargé de réviser les jugements des Conseils de guerre (voir Didac’doc n° 42).

Ces atermoiements des autorités pour inaugurer le monument maintenant dressé dans la cour d’honneur de l’Ecole Normale de Saint-Lô, pour mettre un terme à une polémique qui divisait le corps enseignants et l’opinion publique plus largement, trouvent leurs causes dans la frilosité face à plusieurs évolutions :

- le clivage politique de l’après-guerre et l’alternance des gouvernements,

- l’esprit pacifiste, voire antimilitariste, d’une minorité,

- l’essor du syndicalisme enseignant.

La presse se fait l’interprète des interprétations opposées des partisans et adversaires de la réhabilitation de Maupas. L’orchestration de la campagne d’opinion par la Ligue des Droits de l’Homme n’est peut-être pas étrangère au durcissement des positions. L’affaire Maupas est

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comme une résonance de l’Affaire, celle qui opposa dreyfusards et antidreyfusards vingt ans plus tôt. D’un côté le respect de la chose jugée, la fidélité à l’armée et le souci de sa grandeur, avec une once d’anti-républicanisme, Maupas incarnant l’école publique et laïque, de l’autre la prééminence de la justice, la recherche de la vérité, l’honneur d’un homme, la dénonciation de l’arbitraire, et pour certains l’antimilitarisme. En témoigne, cet échange d’articles, en février 1927, entre deux journaux d’Avranches, l’un conservateur et « antimaupassien », L’Avranchin, l’autre progressiste et « maupassien ».

L’Avranchin du 12 février 1927 :

« franchement, il n’y a aucun motif politique ou autre de croire à un déni de justice de la part de la Cour de cassation […] Qui ne voit le principe révolutionnaire et même anarchique (au sens profond du terme) qui est à la base d’une telle prétention ? […] Le plus fâcheux peut-être – nous l’écrivons sans passion – est de voir des maîtres de l’enseignement public se mêler à ces campagnes. Nous n’ignorons pas que l’un des fusillés de Suippes était instituteur. Mais l’esprit de corps, s’il peut être en certains cas, une excuse, ne justifie pas tout. Et l’on ne peut que déplorer de voir les autorités académiques encourager, au moins par leur silence, des éducateurs à mettre leur nom au bas de pareils papiers. Ce n’est pas en laissant des instituteurs bafouer les Conseils de guerre et dénoncer ce que l’esprit de parti appelle leurs « crimes » qu’on inculquera à la jeunesse française le respect des chefs de l’armée, de ceux à qui, plus tôt qu’on ne pense, demain peut-être, l’on demandera encore une fois de la sauver. »

Le Nouvelliste d’Avranches du 26 février :

« La conscience de quelques citoyens est satisfaite, satisfaite au point qu’ils s’étonnent, ces hommes justes et bons, qu’un Comité ne se soit pas incliné devant la dernière décision de la Cour de Cassation. Et ils parlent d’agitation, de révolution, d’anarchie parce que des Collègues du malheureux Maupas (instituteurs laïques, vous l’avez deviné) protestent de toute leur énergie contre les « Crimes des conseils de guerre » et ne courbent pas le front devant l’arrêt de la Cour Suprême du 22 avril dernier. Si des instituteurs laïques prennent cette attitude et cette responsabilité morale, c’est, ô zélateurs médisants et serviles que leur opinion diffère de la vôtre. Ils croient à la Justice, à la justice immanente qui, tôt ou tard, applique sa loi inflexible à notre pauvre humanité. »

La victoire du Cartel des Gauches en mai 1924, face au Bloc National, se traduit par un climat favorable à la révision. Les gouvernements prêtent l’oreille aux plaintes des familles des soldats fusillés, mais les tribunaux, gardiens du texte des lois, cèdent encore rarement, incompris par beaucoup dans ce qui est dénoncé comme de l’indifférence aux souffrances des combattants et de leurs survivants. Les parlementaires majoritairement radicaux-socialistes et socialistes discutent des projets de loi visant à déposséder les juges ordinaires de ces dossiers pour les confier à des anciens combattants, seuls en mesure à leurs yeux d’apprécier les faits. Mais il faudra attendre six longues années entre la première proposition de loi dans ce sens par le député Valière (27 avril 1926) et les décrets (17 mai 1932).

Le pacifisme s’étend après la guerre dans le milieu enseignant, mais reste minoritaire. Dans le département du Finistère, René Daniel et ses collègues normaliens s'opposent à l'inauguration d'un monument aux morts dans l'enceinte de l'école normale de Quimper. Dans la Manche, à l’occasion de débarquement à Cherbourg de l’American Légion, et un mois après l’exécution de Sacco et Vanzetti, un appel est lancé par le Secrétaire général de la section syndicale, M. Delahaye, instituteur à Saint-Hilaire-Petitville, pour inviter les écoles primaires à ne pas fermer leurs portes le lundi 19 septembre 1927, déclaré chômé par l’I.A. de la Manche : trois écoles seulement suivent le mot d’ordre, parmi elles celle de filles d’Octeville, dont la directrice n’est autre que Blanche Maupas, militante pacifiste.

L’affaire du monument doit être replacée également dans le contexte d’organisation syndicale du corps enseignant. A la suite de la loi sur les syndicats ouvriers de 1884, la circulaire Eugène Spuller (20 septembre 1887) refusait aux fonctionnaires le droit syndical : « verrait-on des fonctionnaires de l’Enseignement détenant en tant que tels une parcelle de l’autorité de l’État se

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coaliser et même au besoin se mettre en grève contre ce même État, c’est-à-dire, au fond, contre eux-mêmes ? Les instituteurs n’ont pas le droit de se donner des chefs en dehors de leurs chefs naturels, des statuts autres que ceux de l’Université.»142 Les fonctionnaires sont « naturellement » protégés par l’Etat et en contrepartie sont entièrement à son service. Pourtant, des instituteurs s'efforcèrent de développer le syndicalisme dans leur milieu professionnel, tirant parti de la loi de 1901 sur les associations. Elle leur permit de fonder des amicales, généralement départementales, et de s’organiser contre le gouvernement. En 1914, les amicales réunissaient en France 94 000 membres, mais elles étaient encore largement contrôlées par les Inspecteurs d’Académie. Les instituteurs les plus engagés réclamaient une augmentation de leurs traitements encore très modiques, malgré des revalorisations successives143, une cogestion des mutations, le droit au respect de leur vie privée et dénonçaient l’arbitraire de leurs supérieurs. Les élections aux Conseils consultatifs départementaux donnaient lieu à des oppositions et l’éviction des inspecteurs ou de leurs habitués traduit la recherche d’autonomie de la part d’une catégorie de fonctionnaires longtemps soumis à un fort contrôle hiérarchique. La présence de Blanche Maupas, leader du mouvement réhabilitionniste et militante pacifiste, au sein du Conseil départemental illustre cette tendance revendicatrice et émancipatrice. Le Ministre de l’Instruction et son représentant départemental devaient se concilier ces délégués des enseignants. Parallèlement les amicales départementales évoluèrent en syndicat, pourtant interdit. Une Fédération nationale des amicales des instituteurs se transforma en Syndicat National des Instituteurs en 1919. L’opposition des gouvernements du Bloc National et des préfets n’y put finalement rien et la circulaire de Camille Chautemps du 25 septembre 1924 reconnaissait de facto les syndicats de fonctionnaires.

C’est dans ce contexte d’émergence d’une défense organisée des instituteurs et institutrices aux prétentions de leur hiérarchie et du ministère que doit être aussi appréhendée l’affaire de la non-inauguration du monument édifié à la mémoire des maîtres morts à la guerre. La crainte des Inspecteurs d’Académie et des Inspecteurs Primaires de voir la cérémonie de l’inauguration du monument dénaturée, et dégénérer en expression d’oppositions aux autorités et en relance d’une campagne réhabilitionniste explique les reculades et les consignes ministérielles.

Encore en 1931, à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de l’école laïque, on prend soin d’organiser les manifestations hors de l’enceinte de l’Ecole Normale où se dresse un monument embarrassant. Et c’est au stand où avait lieu l’exposition des travaux scolaires que l’on appose une plaque commémorative « aux 114 instituteurs morts pour la France », se gardant bien d’en établir la liste, pour ne pas provoquer de réaction des partisans ou des adversaires de Maupas.

La création d’un tribunal pour la révision des sentences des conseils de guerre en février 1932, l’annonce en janvier 1934 que l’affaire des caporaux de Souain sera bientôt réexaminée, mettent en sommeil les revendications relatives à l’inauguration. La réhabilitation, le 3 mars 1935, de Théophile Maupas lève le dernier obstacle. On peut envisager désormais sereinement la convocation des familles des disparus auprès du monument érigé depuis dix ans. Il faut cependant ajouter à la liste des 103 instituteurs morts celui de Maupas. Et la veuve Maupas comme le Comité National pour la Réhabilitation des Victimes des Conseils de Guerre, issu du Comité Maupas, ont encore une exigence : « 1°, que la plaque commémorative dudit monument port e le nom de l’instituteur Maupas dans l’ordre alphabétique qui avait été primitivement adopté par le Comité d’érection et sans aucune distinction avec les autres inscriptions. 2°, qu’au cours des cérémonies officielles, le respect le plus absolu soit observé pour la mémoire de Maupas, pour sa famille, pour

142 LEQUIN (Yves) dir. Histoire de la laïcité. Cerf/CRDP Franche-Comté, Paris/Besançon, 1994. 143 Selon Eugen Weber, au début du siècle, un instituteur gagnait autant qu’un ouvrier qualifié. Le salaire annuel d’un instituteur débutant était de 1 100 francs en 1905 contre 700 en 1881. En 1914, le salaire maximum d’un instituteur était de 2 450 francs par an.

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ses défenseurs » (mai 1933). Pour clore un dossier ouvert en 1920, il faut faire face à une dépense supplémentaire, organiser la cérémonie tant attendue et s’assurer que les défenseurs de l’honneur de Maupas ne détourneront pas la manifestation pour célébrer leur victoire. L’Inspecteur d’Académie réclame une aide pécuniaire du Comité National pour la Réhabilitation des Victimes des Conseils de Guerre qui refuse estimant que la réfection du monument est la conséquence de l’obstination et de l’imprévoyance des autorités, car laisser un espace vierge dans la liste aurait permis d’éviter le remplacement du marbre.

Le Comité spécial d’inauguration du monument de l’Ecole Normale, présidé par M. Vattier, Inspecteur d’Académie, fait ses comptes. Une première réunion a lieu le 20 juillet 1934. On décide alors que « la liste actuelle des noms sera copiée avec addition du nom de Maupas à son rang dans l’ordre alphabétique » et de faire les démarches pour que le travail de réfection (coût estimé : 1690 francs – coût final : 1891,50 francs) commence à partir du 1er septembre. Le travail est terminé pour le 11 novembre, mais l’inauguration est fixée à la fin de l’année civile. Les dépenses totales (réfection et inauguration) s’élèveront à 2 614 francs. Elles seront couvertes par un reliquat (309 francs),

une subvention de la Section de la Manche du Syndicat National des Instituteurs (400), du Comité National pour la réhabilitation des Victimes des Conseils de Guerre (100), de l’Association des anciens élèves (400), et le produit de la vente des cartes postales et dépliants (1 405 dont 660 le jour de l’inauguration par les élèves maîtres).144

Le Comité spécial se réunit de nouveau le 22 novembre 1934 pour fixer les conditions de la cérémonie d’inauguration qui aura lieu dimanche 23 décembre. En ce début des vacances de Noël, on procède à l’inauguration officielle du monument en présence des représentants des autorités, du maire de Saint-Lô, d’anciens directeurs de l’E.N., d’Inspecteurs Primaires et professeurs de l’E.N., de chefs d’établissements publics de la Manche, des Conseillers généraux, de Mme Maupas et des autres familles des enseignants disparus, des représentants des organisations ayant contribué à l’édification et à la réfection du monument…. Le directeur du cours complémentaire de

144 Arch. dép. Manche, 1T 2/476.

Carton d’invitation à l’inauguration du monument de l’Ecole Normale de Saint-Lô (1934)

Arch. dép. Manche (1 T2/476)

Ouest-Éclair (25 décembre 1934) Arch. dép. Manche (2 JAL 197)

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Bréhal prononça le premier discours, rendant hommage aux 114 victimes et particulièrement au caporal Maupas. Il céda la place au Recteur d’Académie, puis au Vice-président du Conseil général qui recevait le monument et promettait de le sauvegarder. Enfin le préfet de la Manche célébrait l’héroïsme des instituteurs et leur esprit de discipline qui devait servir d’exemple. L’élève-maître Bouvry, major de la 3e année, procéda à l’appel des 114 disparus (112 en réalité ! – voir supra). Ainsi s’achevait « l’affaire du monument », dans une sobre et conciliante cérémonie.

Le monument ne fera désormais plus parler de lui. On continuera à s’y recueillir régulièrement pour entretenir le souvenir des instituteurs. La Seconde Guerre mondiale faisant de nouvelles victimes dans le corps enseignant, on ajoutera, de part et d’autre de la grande stèle de marbre, deux plus petites pour recevoir le nom des 54 mortes (cette fois-ci) et morts. En 1956, on gravera aussi celui de Roger Legraverand, « fils de la maison », tué au combat en Algérie. Le mausolée, bientôt âgé de 90 ans, mais officiellement inauguré dix ans plus tard, veille toujours dans la cour de l’ancienne Ecole Normale, sur les allées et venues d’élèves-professeurs des écoles, sans doute indifférents à son message. Et ce d’autant plus que l’inscription « Souvenons-nous », aujourd’hui anachronique, est masquée aux regards par un buisson.

CONCLUSION

L’engagement des écoles manchoises dans la Grande Guerre est remarquable d’intensité et de durée. Foyer d’édification du patriotisme et de soumission à l’ordre républicain depuis plusieurs décennies, l’école prépara les esprits aux sacrifices consentis. Les maîtres eux-mêmes payèrent très chèrement leur foi nationale et républicaine. Au front, ils tombèrent plus nombreux et les autorités reconnaissant leur dévouement, donné en exemple aux survivants et aux futurs soldats, immortalisèrent les héros. Dans les écoles même, on montra en modèle ces instituteurs et professeurs aux glorieuses citations. Souvent, et parfois en plusieurs lieux, leurs noms furent figés en lettres d’or dans le marbre ou le granit.

Aux instituteurs et institutrices restées à l’arrière incomba la lourde charge d’entretenir la ferveur patriotique, la confiance dans la victoire, l’union sacrée, par divers procédés relevant de la propagande et du bourrage des crânes. Conscients des manipulations opérées ou confiants dans leurs chefs, ils et elles ont été les principaux relais, dans les campagnes, des directives gouvernementales. Agents souvent zélés, patriotes sincères, investis de missions officielles par leur hiérarchie, les fonctionnaires de l’Instruction Publique ont mobilisé enfants et parents

dans l’immense effort collectif qui contribua à la victoire. L’école fut, tout le temps du conflit, le cadre de récitations édifiantes, d’oraisons galvanisantes, de cérémonies réconfortantes, de

Ecole libre de garçons de Créances (1914) Arch. dép. Manche (9 Fi 606/1)

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lectures exemplaires, de quêtes de fonds, de collectes de matières premières, de travaux de couture ou d’agriculture… Ainsi le département se signala, semble-t-il, par son engagement et sa générosité, figurant parmi les plus volontaires à l’appel du 3ème emprunt de la Défense Nationale, en 1917.

Les 55 000 petits habitants de la Manche confiés à l’école publique furent tout autant que leurs parents, si ce n’est davantage, entraînés dans les batailles que se livraient des armées entières dans des contrées pourtant lointaines. On ne leur dissimula pas l’intensité du combat, l’étendue des ravages et des pertes, les souffrances, on mit sous leurs yeux la liste des voisins, amis, parents morts, aux fins d’aviver leur mobilisation, sans ménagement. L’autorité de l’instituteur fit que les propos rapportés à la maison par l’enfant atteignaient les adultes. Aussi, dans les leçons du maître, la brutalité innée de l’Allemand, sa sauvagerie naturelle furent affirmées, les atrocités ennemies exagérées, les souffrances des populations occupées amplifiées, la bravoure des défenseurs de la patrie fut généralisée pour maintenir toujours tendu le ressort patriotique des enfants et de leur famille. Une mobilisation culturelle qui se prolongea encore un temps après Rethondes. Pour rendre hommage aux si nombreux disparus, assister les invalides et orphelins, aider à la reconstruction des régions dévastées, on sollicita encore les écoliers qui avaient contribué à la victoire. On continua aussi à leur donner en exemple, chaque mois de novembre, les enfants du pays morts pour la patrie, les rassemblant, sous l’autorité de leurs instituteurs et institutrices au pied du fier monument, en présence de la communauté endeuillée, pour qu’à chaque nom prononcé, le chœur des écoliers réponde « Mort pour la France ».

Olivier Jouault Service éducatif des archives départementales de la Manche

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MONUMENT AUX MEMBRES DE L’ENSEIGNEMENT PUBLIC DE LA MANCHE TOMBÉS AU CHAMP D’HONNEUR – ÉCOLE NORMALE DE SAINT-LÔ : LISTE

Liste corrigée et renseignée à partir de deux listes imprimées en 1919 et 1936, à l’aide des archives de l’Inspection d’Académie et de la base Mémoire des Hommes.

NOM Prénom Lieu de naissance

Date de naissance

Dernier poste Date du décès

Transcription du décès

1 ANQUETIL Joseph, Amand

Saint-Pair-sur-Mer

4/08/1888 Valognes 16/06/1915 Saint-Pair-sur-

Mer 2

BAILLEUL Albert, Léon Beuzeville-la-

Bastille 9/02/1878 Vesly 06/11/1914 Vesly

3 BAUDIN Henri ?

Prof E.N. Saint-Lô

12/05/1918

4 BENECH Henri Villedieu (15) 8/07/1883

Prof d’Anglais Coll. Mortain

10/09/1916 Villedieu (15)

5 BEON

Pierre, Marie, Félix

Gahard (35) 27/01/1892 Gouvile 16/06/1915 Gahard (35)

6 BERTAUX Alfred, François

Blainville-sur-Mer

25/10/1879 Le Mesnil-

Garnier 20/07/1918

Le Mesnil-Garnier

7

BESUELLE Louis, Ferdinand Les Pieux 14/03/1892 Les Pieux 06/10/1914 Les Pieux

8 BIDAULT

Célestin, Dominique

Saint-Vaast-La-Hougue

09/07/1894 Elève E.N. Saint-Lô

04/09/1916 Saint-Vaast-La-Hougue

9 BINET

Jules, Louis, Camille

Buais 27/07/1892 Sourdeval-la-

Barre 05/10/1915 Buais

10 BINET Louis, Edouard, Valcanville 26/09/1878

Sainte-Croix-Hague

27/04/1916 Sainte-Croix-

Hague 11

BOCAGE Léon, Valentin Portbail 12/04/1883 Teurthéville-

Hague 01/06/1915 Portbail

12 BREGEAULT

Charles, Emmanuel

Lengronne 28/11/1877 Trelly 10/11/1914 Trelly

13 CHAPPELLE

Frédéric, Auguste

Montabot 12/01/1875 Montabot 23/04/1917 Montabot

14 CHARUEL René, Ernest

Couleuvray-Boisbenâtre

24/01/1895 Elève E.N. Saint-Lô

01/10/1915 Couleuvray-Boisbenâtre

15 CHAULIEU

Henri, Marie, Joseph

Valognes 9/05/1889 EPS Périers

(délégué) 22/08/1914 Périers

16 COURBARON

Edmond, François

Sainte-Marie-du-Mont

3/10/1891

Carentan 16/04/1917 Vierville

17

DELACOUR Arthur, Auguste Feugères 25/06/1877 Cherbourg 24/10/1916 Cherbourg

18 DELAMER

Charles, Edouard

Omonville-la-Rogue

03/02/1876 Grosville 18/08/1917

19

DEQUILBEC Georges Cherbourg 12/05/1884 EPS Granville 08/04/1916 Granville

20 DEROU Henri, Ernest La Bloutière 7/03/1890 Sacey 17/12/1914

Sacey

21 DESCALES Ludovic

Monneville (60)

31/03/1884 Prof Physique

Cherbourg 01/11/1914

Monneville (60)

22

DESPLANQUES Désiré, Jean Tribehou 1/12/1887 Tanis 29/08/1914 Tanis

23 DESREZ

René, Emile, Joseph

Carentan 15/07/1893 Saint-James 16/11/1914

Brévands

24 DEVAIN Jules, Louis Mesnildrey 2/09/1891 Buais 24/02/1915

Saint-Aubin-des-Préaux

25

DROUET Cyrille, Albert Cambernon 15/0/1891 Equeurdreville 22/08/1914 Saussey

Page 56: Didacdoc 43 monument instituteurs comp

- 56 - LE DIDAC’DOC – Service éducatif des archives départementales de la Manche – Novembre 2013

NOM Prénom

Lieu de naissance

Date de naissance

Dernier poste Date du décès

Transcription du décès

26 DUBOURG

Archange, Raphaël

Bréhal 20/10/1878 Sainte-Brice-de-Landelles

27/10/1914 Sainte-Brice-de-Landelles

27 DUCLOS

Emile, Jules, Louis

Orval 27/09/1894 EPS Périers

(délégué) 19/08/1916

Orval

28

DUHOUX Charles, Auguste

Omonville-la-Rogue

31/01/1877 Saint-

Germain-des-Vaux

09/07/1915

29 DUVAL

Désiré, Jean, Baptiste

Montfarville 13/08/1872 Agon 15/12/1914

30 ENQUEBEC Marc, Augustin Cerisy-la-Forêt 24/07/1894 Tourlaville 27/06/1916

Saint-Sauveur-le-Vicomte

31 ERARD Raymond

La Rochelle (17)

23/01/1895 Sourdeval-la-

Barre 06/04/1916

La Haye-Pesnel

32 ESNEE

Charles, Gustave

Lingreville 27/12/1888 Agon 09/09/1914 Agon

33 FERDINAND

André, Georges, Jules

Saint-Lô 28/04/1888 EPS Saint-Lô 27/08/1914 Saint-Lô

34 FEUILLET

Auguste, François

Saint-James 16/06/1895 Barenton 28/06/1915

35

FOSSARD Jude, Jules Gavray 24/09/1878 Saint-Lô 01/11/1914 Saint-Lô

36 FOUCHARD Gaston, Lucien

Anneville-sur-Mer

10/07/1893 Teurthéville-

Bocage 27/04/1915 Brest

37

GIRARD Léon, Auguste,

Eugène Méautis 06/09/1896

intérimaire à Granville. Mobilisé le 4/08/1916

16/06/1915 PAS

DÉCÉDÉ !

38

GISLARD Louis, Etienne Millières 5/08/1877 Orval 31/10/1914 Orval

39 GUERIN

Georges, Louis, Constant

Fleury 5/10/1889 Sourdeval-la-

Barre 01/06/1915

Sourdeval-la-Barre

40 GUERIN

Léon, Gustave, Fulbert

Brécey 10/04/1871 Coutances 07/11/1914

41 HAMEL Pierre, Edouard

Saint-Sauveur-la-Pommeraye

15/09/1889 Saint-Hilaire-du-Harcouët

26/02/1915 Saint-Sauveur-la-Pommeray

42 HEDOUIN Albert, Ernest Gavray 5/04/1880

Saint-Cyr-du-Bailleul

01/06/1915 Saint-Cyr-du-

Bailleul 43

HUBERT Léon, Louis Hauteville-sur-

Mer 12/05/1880 Carolles 18/10/1914 Carolles

44 HULIN Victor

Saint-Planchers

12/01/1883 Saint-Hilaire-du-Harcouët

04/10/1917 Saint-Hilaire-du-Harcouët

45 HUSSON Albert, Marie Mesnildrey 28/05/1881

Le Mesnil-Rainfray

17/12/1914 Le Mesnil-Rainfray

46 JAN François, Victor

Anneville-sur-Mer

20/11/1889 Sourdeval-la-

Barre 01/08/1914

Sourdeval-la-Barre

47 JEHANNE

Paul, Alphonse, Léon

Sainte-Marie-du-Mont

5/07/1889 Négreville 01/11/1914 Tourlaville

48 JOURDAN-LACROIX

Désiré Trelly 16/06/1877

Saint-Vaast-la-

Hougue 19/10/1915

Saint-Vaast-la-Hougue

49 JOURNOT Auguste, Jean

Saint-Sauveur-Lendelin

26/02/1880

Saint-Laurent-de-Cuves

26/06/1915 Saint-Laurent-

de-Cuves 50

JOUVET René Cherbourg 6/03/1896 Elève E.N. Saint-Lô

18/04/1917

Virey

51 JUIN Paul, François Paris 08/04/1888

Sourdeval-la-Barre

02/10/1914 Marcilly

52

LABORDE René Léon (40) 20/12/1879 Prof à l’E.N.

Saint-Lô

20/04/1918 Saint-Lô

Page 57: Didacdoc 43 monument instituteurs comp

- 57 - LE DIDAC’DOC – Service éducatif des archives départementales de la Manche – Novembre 2013

NOM Prénom

Lieu de naissance

Date de naissance

Dernier poste Date du décès

Transcription du décès

53

LAIGNEL Alexandre,

Joseph Les Champs-de-Losques

20/05/1871 Saint-Hilaire-du-Harcouët

09/05/1917 PAS

DÉCÉDÉ !

54 LALOE

Julien, Pierre, François

Fermanville 23/04/1882 Rauville-la-

Place 25/05/1917

Rauville-la-Place

55 LAVALLEY

Alexandre, Athanase

Muneville-sur-Mer

27/01/1885 Périers-en-Beauficel

05/04/1915 Périers-en-Beauficel

56 LE MAIGRE Erick

Torigni-sur-Vire

18/05/1879 EPS Carentan

(directeur) 02/08/1916 Dol (35)

57 LE TELLIER

Gaston, René, Louis

Octeville 24/01/1891 Les Pieux 01/08/1915 Les Pieux

58 LEBARGY

François, Arsène

Regnéville-sur-Mer

13/11/1892 Picauville 18/07/1918 Regnéville-

sur-Mer 59

LEBREC Léopold, Louis,

Anatole Sideville 30/09/1889 Hainneville 04/11/1915 Hainneville

60 LECAPLAIN Ernest, Désiré

St-Clair-sur-Elle

23/05/1881 Domjean 04/10/1914 Domjean

61

LECRIVAIN Auguste, Emile Cherbourg 21/02/1888 Gatteville 16/10/1916 Gatteville

62

LECRONIER Louis, Georges,

René Saint-Pierre-

de-Coutances 1/09/1886

Prof EPS La Loupe (28)

07/12/1914 Extérieur

La Loupe (28)

63 LECROSNIER

Michel, Alexandre

Paris 10/10/1876 Le Hommet-d'Arthenay

12/08/1918 Le Hommet-d'Arthenay

64 LEDORMEUR

Emile, Joseph Hambye

20/06/1884

Saint-Clément 27/05/1918 Saint-Clément

65

LEFEVRE Louis, Arséne Bréhal 7/04/1884 Vasteville 04/09/1915 Vasteville

66 LEFORESTIER

Albert, Louis, Emile

Savigny 26/12/1890 Coutances 25/07/1918 Coutances

67 LEFORESTIER Emile, Edouard Belval 19/11/1879

Le Mesnil-Vigot

14/10/1918 Le Mesnil-

Vigot 68

LEGABLIER Jules, Joseph Villebaudon 21/04/1889 Quimperlé

(29) 22/08/1914 Extérieur

Saint-Lô

69

LEMOINE Alphonse, Edouard

Saint Nicolas près de

Granville 09/05/1896

Elève E.N. Saint-Lô

19/11/1919

70

LEMOINE Emile, Louis Coutances 25/05/1895

Elève E.N. Saint-Lô

(instituteur surveillant à

l’EPS de Carentan)

14/04/1918 Bricqueville-la-

Blouette

71 LEPLANQUAIS Roger Poilley 23/02/1895

Elève E.N Saint-Lô

13/06/1915 Périers

72 LEPROVOST

Eugène, François

Granchamp-Palvadry (14)

6/07/1889 EPS Valognes

(délégué) 13/09/1916 Valognes

73 LESOUEF

André, Julien, Joseph

Saint-Amand 23/08/1890 Granville 17/12/1914 Granville

74 LETENNEUR Charles, Joseph

Saint-Denis-le-Gast

13/10/1881 Saint-Pois 04/07/1916 Saint-Pois

75 LOQUET Léon, Pierre Sainteny 19/10/1877

Hautteville-la-Guichard

27/09/1917 Hautteville-la-

Guichard 76

LOTON Alphonse Saint-James 7/12/1895 Sartilly 04/05/1917 Pontorson

77 LOTTE Joseph Rochefort 18/02/1875

Prof au Lycée Coutances

27/12/1914 Coutances

Page 58: Didacdoc 43 monument instituteurs comp

- 58 - LE DIDAC’DOC – Service éducatif des archives départementales de la Manche – Novembre 2013

NOM Prénom

Lieu de naissance

Date de naissance

Dernier poste Date du décès

Transcription du décès

78 MAGNIN André, Marcel

Fontenay-sur-Mer

27/01/1891 Valognes 07/10/1917 Montfarville

79

MALLET Marcel, Oscar Paris 15e 13/08/1890 Le Teilleul 09/07/1916 Bréhal

80 MANCEL Jules, Auguste

Saint-Planchers

6/03/1882 Subligny 23/12/1914 Saint-Jean-

des-Champs 81

MARIE Emile, Aimable Heugueville 21/09/1894 Brécey 07/05/1918

82 MAUPAS

Théophile, Albert

Montgardon 3/06/1874 Le Chefresne 17/03/1915 Le Chefresne

83 MENANT Alphonse

Saint-Croix-de-Saint-Lo

14/06/1891 Barenton 17/09/1914 Le Mesnil

Raoult 84

MORIN Adolphe, Florentin

Bacilly 19/11/1876 Vessey 05/04/1916

85 MORIN Edouard

Domfront (61)

31/08/1890 EPS Saint-Lô 04/12/1914 Flers (61)

86 MOUCHEL

Paul, Emile, Pierre

Sainte-Mère-Eglise

23/12/1887 Ruffosses 04/07/1916 Saussemesnil

87 MOUROT Maxime, Pierre

Hommet-d'Arthenay

13/08/1885 Equeurdreville 15/11/1914 Hommet-

d'Arthenay 88

MUSTEL Pierre, Philippe Portbail 17/05/1896 Elève E.N. Saint-Lô

30/04/1917 Saint-Vaast-la-

Hougue 89

OLIVIER Henri Equeurdreville 12/05/1897 Elève E.N. Saint-Lô

21/07/1918 Equeurdreville

90

ONFROY Jules, Auguste Gatteville 1/08/1876 Ravenoville 05/09/1916 Ravenoville

91 PAINCHAUD Emile, Adrien

Les Champs-de-Losques

27/13/1876 Bouillon 01/11/1914 Mort civil

92 PAINCHAUD Ernest, Albert

Les Champs-de-Losques

13/02/1874 Saint-Jores 28/10/1914

93 PELHATE

Victor, Auguste, Alphonse

Gorges 23/05/1882 Auderville 06/06/1915 Auderville

94 PILARD Joseph, Félix ? ?

Elève E.N. Saint-Lô

02/09/1915

95

PITON Louis, Auguste Le Lorey 14/05/1893 Les Cresnays 23/10/1918 Camprond

96

PLAINE Louis Saint-Nicolas-de-Granville

28/12/1896

Elève-EN (surveillant au

collège de Valognes)

11/08/1917

97 POULAIN

Arthur, Magloire, Antonin

Le Mesnil Villeman

10/05/1880 Les Cresnays 05/04/1915 Les Cresnays

98

POULLAIN Victor, Jules,

François Saint-Pierre-

Eglise 2/06/1886

Prof E.N. (Caen) depuis

8/1913

20/09/1914 Extérieur

Caen (14)

99 QUENTIN Paul, Eugène Buais 2/11/1895

Elève E.N. Saint-Lô

12/08/1918 Buais

100

QUINTAINE René, Denis Guilberville 15/05/1893 Mortain 22/08/1914 Guilberville

101

REFUVEILLE Victor, Jules Montviron 7/03/1881 Beauchamps 08/09/1915 Beauchamps

102 REQUIER Léon, Auguste

Saint-Pierre-de-Semilly

21/06/1879 La Lucerne-d'Outremer

18/07/1918 La Lucerne-d'Outremer

103 ROYER

François, Auguste

Argouges 4/09/1897 Ex Elève E.N.

Saint-Lô 11/08/1917 Argouges

104 ROYER Martin ?

?

Répétiteur Coll. Mortain

23/12/1915

105

RUAUX Victor, Jacques Barfleur 24/02/1884 Montcuit 01/01/1919

Page 59: Didacdoc 43 monument instituteurs comp

- 59 - LE DIDAC’DOC – Service éducatif des archives départementales de la Manche – Novembre 2013

NOM Prénom

Lieu de naissance

Date de naissance

Dernier poste Date du décès

Transcription du décès

106 SEIGNEURIE André, Louis

Torigni-sur-Vire

11/11/1894 Elève E.N. Saint-Lô

25/04/1915 Saint-Lô

107

SOUFFRANT Emile, Gustave Montviron 6/03/1888 Le Teilleul 01/10/1916 Le Teilleul

108 TABOUREL

Charles, Constant, Léon

Gratot 11/09/1888 Néhou 15/10/1918 Mort civil

109 TOSTAIN

Henri, Jules, Marie

Sept-Frères (14)

6/06/1884

Le Tanu 6/10/1918 Mort civil

110 TRICARD

Alphonse, Jacques

Gieville 1/11/1883 Cherbourg 29/08/1916 Cherbourg

111

TURGIS Victor, Auguste Coutances 4/08/1881 Granville 19/12/1914 Granville

112

VARANGUE Ernest, Edmond Cherbourg 8/09/1893 Fermanville 22/08/1914 Cherbourg

113 VICTOR

Georges, Joseph,

Eterville (14) 17/02/1890 Equeurdreville 11/04/1916 Cherbourg

114

VILLAIN Désiré, Louis Saint-Amand 19/08/1888 Cavigny 21/09/1914 Saint-Amand

Olivier Jouault

Service éducatif des archives départementales de la Manche

Prolongements - Reconstitution du parcours d’un instituteur. - Etude de son école pendant la Grande Guerre, pouvant être prolongée jusqu’à l’histoire

communale, à l’aide des archives municipales et de la presse. - Recherche et étude de « monuments » patriotiques dans l’environnement de l’école. - Etude du monument aux morts de la commune et recherche sur le parcours des personnes

dont le nom est porté sur le monument.

Pour approfondir - ALARY (Eric). La Grande Guerre des civils. 1914-1919. Paris, Perrin, 2013. - AUDOIN-ROUZEAU (Stéphane). La guerre des enfants 1914-1918 – Essai d’histoire culturelle. Paris, Armand Colin, 1993. - BECKER (Jean-Jacques). Les Français dans la Grande Guerre. Paris, Robert Laffont, 1980. - COMPAGNON (Béatrice), THEVENIN (Anne). Histoire des instituteurs et des professeurs de 1880 à nos jours. Paris, Perrin, 2001. - FISSOT (Patrick). Les Manchois dans la Grande Guerre, Marigny, Eurocibles, 2008. - LE NAOUR (Jean-Yves). Dictionnaire de la Grande Guerre, Paris, Larousse, 2008. - La Manche, la Basse-Normandie et les îles dans la Première guerre mondiale – Actes du colloque de Coutances des 8,9 et 10 novembre 2008. Cercle de généalogie et d’histoire locale de Coutances et du Cotentin, Editions CGH Coutances, 2010.