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Laetitia EM MR2 Gouvernance Economique L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives Sciences Po Vendredi 22 août 2008

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Laetitia EM MR2 Gouvernance Economique

L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives Sciences Po Vendredi 22 août 2008

Page 2: article IE comp-lem

2 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

I Qu’est ce que l’intelligence économique ?

A. Définitions

1) L’aide à la décision

2) Utilisation et protection de ces informations

3) Ethique de l’intelligence économique

B. Utilités et coûts de l’intelligence économique pour l’Etat

C. Utilités et coûts de l’intelligence économique pour l’entreprise

1) Objectifs

2) Une mise en place progressive dont les coûts sont proportionnels aux

besoins en information, et donc à la taille, de l’entreprise

II Le « modèle français » en d’intelligence économique en concurrence avec d’autres modèles

A. Le modèle américain

1) Un dispositif IE au service du principe du Homeland Security

2) Le rôle actif des services de renseignement

3) La maîtrise de l’information à l’échelle globale

B. Les modèles asiatiques

1) Le Japon

2) La Chine

C. Un modèle français ?

1) Qui s’occupe d’intelligence économique en France ?

2) Une dépendance de fait vis-à-vis des firmes anglo-saxonnes

3) Une influence sur les réglementations insuffisante

III Réformes à envisager

A. Au niveau de l’Etat

1) Enseignement

2) Décentralisation

3) L’Union Européenne

B. Dans les entreprises

C. Une meilleure interaction entre le public et le privé

Page 3: article IE comp-lem

3 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

Dans un monde globalisé et en constante mutation, l’expression « guerre économique »

n’a jamais autant trouvé sa place. Afin de se donner les moyens de lutter au mieux, certains

pays se sont dotés de dispositifs spécifiques, au cœur desquels se trouve souvent l’intelligence

économique. Outil de gouvernance, de compétitivité, d’influence, elle permet le contrôle de

l’information, ressource clé dans l’économie aujourd’hui.

Si ces enjeux ont été compris relativement tôt par la plupart des puissances, cela n’est

pas le cas pour la France. Face à des modèles solidement établis, rodés, le dispositif mis en place

par la France est-il adapté à la compétition internationale ? C’est ce que cet article tentera de

percer. Son originalité réside dans le fait de croiser les visions du secteur public et des

entreprises, le tout dans une perspective internationale et comparative.

Après avoir explicité le rôle de l’intelligence économique pour l’Etat et les entreprises,

nous comparerons différents modèles d’intelligence économique (Etats-Unis, Japon, Chine), afin

de mettre en lumière quelles reformes devraient être mises en place.

III QQQuuu ’’’eeesssttt ccceee qqquuueee lll ’’’ iiinnnttteeelll lll iiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee ???

AAA... DDDéééfff iiinnniiittt iiiooonnnsss

La définition retenue par la Commission européenne dans son guide destiné aux PME1

est la suivante : « L’intelligence économique est un ensemble de concepts, méthodes et outils

qui unifient toutes les actions coordonnées de recherche, acquisition, traitement, stockage et

diffusion d’information pertinente pour des entreprises considérées individuellement ou en

réseaux, dans le cadre d’une stratégie partagée. » Elle est « le processus de transformer des

informations en connaissance stratégique. »

La définition la plus complète reste celle du rapport Martre2 : « L’intelligence

économique peut être définie comme l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de

traitement et de distribution, en vue de son exploitation de l’information utile aux acteurs

économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de

protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l’entreprise, dans les meilleures

1 Intelligence économique, un guide pour débutants et praticiens, Commission européenne, programme

CETISME 2 Intelligence économique et stratégie des entreprises, par le Commissariat du Plan, La Documentation

Française, 1994

Page 4: article IE comp-lem

4 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

conditions de délais et de coûts. L’information utile est celle dont ont besoin les différents

niveaux de décision de l’entreprise ou de la collectivité pour élaborer et mettre en œuvre de

façon cohérente la stratégie et les tactiques nécessaires à l’atteinte des objectifs définis par

l’entreprise dans le but d’améliorer sa position dans son environnement concurrentiel. Ces

actions, au sein de l’entreprise, s’ordonnent autour d’un cycle ininterrompu, générateur d’une

vision partagée des objectifs de l’entreprise. »

Alain Juillet, Haut Responsable de l’Intelligence Economique, les résume de la manière

suivante3 : « L’intelligence économique est un mode de gouvernance dont l’objet est la maîtrise

de l’information stratégique et qui a pour finalité la compétitivité et la sécurité de l’économie et

des entreprises. »

Ces définitions mettent en lumière les principales caractéristiques de l’intelligence

économique : l’analyse de l’information afin qu’elle éclaire le processus de décision ; la

protection de ces informations utiles ; l’aspect légal et éthique de la profession.

111))) LLL ’’’aaaiiidddeee ààà lllaaa dddéééccciiisssiiiooonnn

L’information est d’un accès bien plus aisé qu’auparavant, si bien qu’entreprises et

administrations se retrouvent souvent face à une masse importante de données, qu’il convient

de classifier et d’analyser afin d’éclairer le processus de prise de décision. Le but est que les

informations significatives, utiles parviennent aux personnes concernées le moment opportun.

On distingue habituellement quatre types d’information ouverte : la mémoire (environ 90% de

l’information) ; les informations provenant des médias et des firmes ; les réunions ; les foires et

expositions. Ces informations, une fois traitées et analysées, doivent être protégées, d’attaques

potentielles provenant de concurrents ou de hackers. La révélation de ces informations pourrait

entraîner la dégradation de la compétitivité de l’entreprise (perte d’un avantage compétitif), de

son image. Près des ¾ des dirigeants considèrent que la principale finalité de l’intelligence

économique est l’aide à la prise de décision. Ce schéma provient du guide CETISME cité supra. Il

explicite le processus par lequel les donnés deviennent intelligence, guidant la prise de décision.

3 Alain Juillet cité en 2005 dans L’intelligence économique appliquée à la direction des systèmes

d’information, rapport du CIGREF

Page 5: article IE comp-lem

5 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

222))) UUUtttiii lll iiisssaaattt iiiooonnn eeettt ppprrrooottteeecccttt iiiooonnn dddeee ccceeesss iiinnnfffooorrrmmmaaattt iiiooonnnsss

S’en tenir à l’aide à la décision serait mettre de côté l’autre rôle de l’intelligence

économique : l’analyse de l’information pertinente a également pour but d’élaborer des

stratégies d’attaque ou de défense. C’est grâce à cette seconde fonction qu’une entreprise peut

réellement tenter d’influencer son environnement (manipulation de l’information, rumeurs sur

des concurrents, rapprochement des sphères publiques décisionnelles, etc.).

La contre-intelligence économique s’impose afin de protéger ces informations, véritable

capital immatériel de l’entreprise. D’après Besson et Possin (Du renseignement à l’intelligence

économique, Dunod) : « Avant de bâtir une défense, l’entreprise doit utiliser toutes les

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6 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

possibilités offertes par le droit, pour mettre a l’abri son patrimoine intellectuel et industriel (…).

Une bonne maitrise des possibilités offertes par la loi est un préalable indispensable à toute

politique de défense. Contrairement à leurs concurrentes japonaises ou anglo-saxonnes, les

entreprises françaises hésitent à recourir au brevet. Créatrices et innovantes, les entreprises

françaises se protègent moins bien que leurs concurrentes. Les possibilités offertes par l’Institut

national de la propriété intellectuelle ne sont pas utilisées à plein. » Plus de 50% des fuites

constatées ont une origine humaine, certains employés, anciens ou actuels, ayant pêché par

négligence. Les actionnaires peuvent également être une source de fuite de l’information.

L’entreprise doit donc être particulièrement vigilante et se doter d’un système de protection des

informations efficace.

333))) EEEttthhhiiiqqquuueee dddeee lll ’’’ iiinnnttteeelll lll iiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee

L’intelligence économique se distingue du knowledge management (basé uniquement

sur l’information interne à l’entreprise) et du business intelligence (logiciels gérant des données

quantitatives). Contrairement à une opinion largement répandue, il convient également de la

différentier de l’espionnage industriel. L’intelligence économique se limite aux sources ouvertes

et reste dans un cadre strictement légal. La SCIP (Society of Competitive Intelligence

Professionnals, Etats-Unis) a d’ailleurs fourni un cadre éthique à la profession :

1. S’efforcer en permanence de gagner le respect et la reconnaissance de la profession.

2. Respecter toutes les législations en vigueur, qu’elles soient nationales ou internationales.

3. Indiquer avec précision toutes les informations pertinentes, y compris son identité à

l’entreprise à laquelle on appartient, avant toute interview.

4. Respecter scrupuleusement toute demande de confidentialité de l’information.

5. Eviter tout conflit d’intérêt dans l’exécution de ses obligations.

6. Fournir dans le cadre de l’exécution de ses obligations des conseils et conclusions réalistes

et honnêtes.

7. Appliquer le présent code d’éthique au sein de son entreprise, avec les sociétés extérieures

et dans l’ensemble de la profession.

8. Appliquer loyalement les politiques, les objectifs et directives de son entreprise.

Page 7: article IE comp-lem

7 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

Il convient également de souligner la naissance de la Fépie (Fédération des Professionnels de

l’Intelligence Economique), dirigée par l’Amiral Pierre Lacoste. D’après son site internet4, elle

vise à « améliorer la transparence des activités de la profession afin de sensibiliser l’opinion, les

administrations et les entreprises, en leur faisant prendre conscience de la valeur ajoutée

apportée par leurs métiers » et à « adhérer à une charte d’éthique garante de la moralité et de

la respectabilité du métier. »

A présent que nous avons une idée claire de ce qu’est l’intelligence économique, nous allons

voir quelles peuvent en être les utilités, et les coûts, pour l’Etat et pour les entreprises.

BBB... UUUtttiii lll iii tttééésss eeettt cccoooûûûtttsss dddeee lll ’’’ iiinnnttteeelll lll iiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee pppooouuurrr lll ’’’EEEtttaaattt

D’après le rapport Carayon (2003), « l’intelligence économique devrait être une vraie et

grande politique publique de l’Etat, à l’instar de ce que sont les politiques de santé,

d’environnement ou de fiscalité. » L’intelligence économique est un instrument de politique de

puissance qui, bien maîtrisé, pourrait nous permettre d’asseoir voire d’élargir notre sphère

d’influence. Nous pourrions ainsi peser sur les décisions et réglementations émanant des plus

hautes instances internationales. L’intelligence economique permet également de protéger

notre patrimoine scientifique et industriel, garantissant ainsi une relative indépendance

technologique. Les marchés ne régulant pas de manière optimale l’économie, il est essentiel que

« au niveau d’une nation, l’intelligence économique identifie et active systématiquement les

potentiels de complémentarité des acteurs en vue de l’accroissement de la prospérité nationale

et de la projection de leur influence sur les marchés mondiaux » (Eric Denécé). L’efficacité et la

compétitivité de l’économie française sont en jeu.

Contrairement à d’autres politiques, l’intelligence économique ne nécessite pas

forcement des investissements importants. En effet, elle repose essentiellement sur l’activation

de réseaux (internes et/ou externes), le soutien des pouvoirs publics par des réformes et un

soutien affiché, et un changement d’état d’esprit, qui voudrait qu’on valorise davantage celui

qui partage une information que celui qui n’en fait pas part. Notons cependant le manque de

4 http://www.fepie.com/

Page 8: article IE comp-lem

8 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

volonté politique qui a prévalu jusque-là (citons par exemple le non renouvellement des

membres du Comité pour la compétitivité et la sécurité économique (CCSE), placé sous la

responsabilité du Premier Ministre, alors Lionel Jospin, dont le mandat arrivait à échéance en

avril 1998). Il est essentiel que l’Etat ait une politique claire et motivée en matière d’intelligence

économique.

CCC... UUUtttiii lll iii tttééésss eeettt cccoooûûûtttsss dddeee lll ’’’ iiinnnttteeelll lll iiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee pppooouuurrr lll ’’’eeennntttrrreeeppprrriiissseee

111))) OOObbbjjjeeecccttt iii fffsss

L’intelligence économique est un instrument d’une politique de gouvernance de

l’entreprise visant à en améliorer la compétitivité en augmentant l’efficacité du processus

décisionnel. De même qu’à l’échelle de la nation, le succès de la mise en place de l’intelligence

économique dans une entreprise dépend de la motivation de son dirigeant. La politique qu’il

doit mettre en place doit impliquer chaque employé, les insérer dans des réseaux et diffuser une

culture de partage de l’information au sein de l’entreprise.

Il convient d’expliquer aux employés la stratégie de l’entreprise (dans ses grandes

lignes) afin de susciter leur adhésion et leur collaboration, tout en veillant à la protection de ces

informations vis-à-vis de l’extérieur : « La diffusion doit être adaptée au rôle de chacun dans le

processus. Il est donc important d’encourager le personnel à partager les informations entre les

services, au sein de la hiérarchie, de façon verticale » (guide CETISME). Afin d’encourager cette

communication, des solutions simples peuvent être mises en place : ainsi, organiser des groupes

de travail entre services est un bon moyen pour que des employés peu habitués à se côtoyer et

donc à échanger des informations élaborent des relations, facilitant la communication

horizontale.

222))) UUUnnneee mmmiiissseee eeennn ppplllaaaccceee ppprrrooogggrrreeessssssiiivvveee dddooonnnttt llleeesss cccoooûûûtttsss sssooonnnttt ppprrrooopppooorrrttt iiiooonnnnnneeelllsss aaauuuxxx

bbbeeesssoooiiinnnsss eeennn iiinnnfffooorrrmmmaaattt iiiooonnn,,, eeettt dddooonnnccc ààà lllaaa tttaaaiii lll llleee,,, dddeee lll ’’’eeennntttrrreeeppprrriiissseee

L’intelligence économique n’est encore que peu répandue dans les entreprises

françaises. Ses métiers sont peu connus et bénéficient rarement des ressources suffisantes pour

Page 9: article IE comp-lem

9 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

développer à plein leur activité, alors même que le rapport Carayon préconise que

« l’intelligence économique doit constituer une fonction permanente au sein des entreprises. »

L’intelligence économique restant peu connue des entreprises (seules 29% d’entre elles

ont un budget propre à l’intelligence économique), ses coûts le sont également. Il existe

plusieurs niveaux de mise en œuvre d’un système d’intelligence économique, de nombreuses

mesures n’engagent pas ou peu de capital.

La Commission européenne est à l’origine du projet CETISME (Co-operation to promote

economic and technological intelligence in small and medium-sized enterprises), qui se propose

d’apporter des solutions à l’implantation d’une cellule IE dans les PME. Les régions de Madrid

(Espagne), Lorraine (France), West Midlands (Royaume-Uni) et Toscane (Italie) y ont participé, et

rendu compte de leurs études dans un guide. Celui-ci recense plusieurs solutions peu coûteuses

en personnel et en capital :

Avant même la mise en place d’une cellule d’intelligence économique :

essuyer le tableau ou retirer les feuilles du paperboard avant de quitter la salle de réunion ;

passer au crible les présentations et interventions pour s’assurer qu’elles ne contiennent

pas d’information pouvant intéresser un concurrent ;

sécuriser les documents (fichiers clients et tarifs surtout), les placer en lieu sûr, non

accessible au public ;

vérifier les communiqués de presse ;

accompagner en permanence les visiteurs de l’entreprise, qu’ils ne puissent accéder à des

lieux stratégiques ;

que les employés surveillent leur propos lorsqu’ils sont dans des lieux publics (lounge des

aéroports, par exemple) ;

mettre en place des panneaux d’affichage, des réunions interservices à intervalles réguliers,

un intranet, abonnement à des revues spécialisées, etc.

sécuriser l’information électronique.

Lorsque l’entreprise décide de mettre en place une cellule d’intelligence économique :

Le soutien de la direction : sans une impulsion donnée par les dirigeants, les quelques

bonnes initiatives restent isolées et ont un effet limité ;

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10 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

La formation du personnel : tout le monde doit être encouragé à partager une information

afin qu’elle atteigne les personnes concernées, les aidant ainsi dans le processus

décisionnel. Traditionnellement, les employés français n’ont pas l’habitude de partager les

informations ; c’est pourquoi ils doivent être encouragés. Le recours à un intranet sur lequel

il serait possible de poster anonymement des informations peut s’avérer utile ;

Une approche d’équipe : tous les secteurs de l’entreprise sont concernes par la mise en

place de l’intelligence économique (ventes, ressources humaines, communication, etc.). Il

faut expliquer aux employés quel rôle ils peuvent jouer dans ce processus, et combien leur

contribution est nécessaire à la réalisation de la stratégie de l’entreprise ;

La communication : il s’agit d’optimiser le flux d’information via le bon usage de l’e-mail,

intranet, tableaux d’affichage, réunions régulières, bulletins d’information, etc. ;

Le profil d’un bon animateur : afin d’encadrer le système d’intelligence économique dans

l’entreprise, il convient de designer un bon communicant, et de lui accorder les moyens et le

temps nécessaires à la réalisation de sa mission.

Une fois tout cela mis en place, l’entreprise a plusieurs options pour pérenniser la fonction

intelligence économique. Elle peut choisir d’y consacrer une équipe permanente, chargée de

collecter l’information en permanence afin de constituer des dossiers de suivi et de répondre à

des questions plus ponctuelles ou bien, notamment dans le cas des PME, répartir la fonction

intelligence économique entre plusieurs employés, qui ne renoncent pas pour autant à leur

activité principale. Quelque soit l’option retenue, la « cellule IE » peut être soit une interface

entre la direction générale et les autres secteurs, soit rattachée a un secteur (par exemple, au

marketing), soit avoir des représentants dans chaque secteur (ex. le département finance a son

représentant IE, de même que le département ventes, etc.). Il revient à chaque entreprise de

choisir la modalité qui s’adapte le mieux à sa culture et à son organisation.

L’entreprise doit ensuite déterminer ses besoins en matière d’information. Elle se posera

une ou plusieurs des questions suivantes, suivant sa taille, son marché, son secteur, sa stratégie

de moyen à long terme :

Quels développements en matière de recherche sont en train de se produire dans mon

secteur ?

Qui sont mes concurrents ?

Page 11: article IE comp-lem

11 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

Où puis-je trouver des partenaires pour développer de nouveaux produits ?

Comment puis-je élargir ma base de clientèle ?

Comment évolue le contexte de mon marché ?

Mon nouveau marché à l’exportation est-il viable ?

etc.

Les plus petites entreprises n’ont pas forcement les ressources nécessaires pour mobiliser

une équipe sur ces questions, mais doivent pouvoir mettre en place un système à leur niveau.

Une utilisation intelligente de l’internet permet de monitorer son environnement et l’activité

des concurrents : abonnement à des newsletters, veille via Google Alertes, création de groupes

d’échange (Google Groupes, Yahoo !, MSN), l’utilisation de portefeuilles d’actions tels que les

proposent Yahoo ! Finance peut permettre la surveillance d’un concurrent coté en Bourse

(changement de directeur de département, retrait d’un produit du marché, par exemple).

Certaines mesures simples peuvent être prises, comme nous venons de le voir. Il n’est pas

nécessaire de consacrer des moyens financiers importants et de mobiliser une équipe pour faire

de l’intelligence économique. Les mesures évoquées ci-dessus accompagnées de la nomination

d’un responsable IE5 suffisent dans les petites structures. L’essentiel est que l’information soit

accessible au moment opportun par les personnes concernées. Chaque entreprise peut faire de

l’intelligence économique à son niveau.

L’intelligence économique est utile à l’Etat en ce qu’elle est un instrument de gouvernance

au service de la puissance et de l’influence. Elle est également essentielle à l’entreprise car elle

est un outil précieux dans l’aide à la prise de décision, et permet l’élaboration de stratégies,

offensives ou défensives, pour protéger son capital matériel et immatériel, se maintenir ou

conquérir de nouvelles parts de marchés.

5 Ce responsable est recruté en interne dans 90,5% des cas (F. Bournois, 2001). Il est le plus souvent

ingénieur de formation (45%) ou diplômé de gestion (22%), et rattaché au directeur général ou au directeur de la stratégie.

Page 12: article IE comp-lem

12 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

III III LLLeee ««« mmmooodddèèèllleee fffrrraaannnçççaaaiiisss »»» eeennn ddd ’’’ iiinnnttteeelll lll iiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee eeennn cccooonnncccuuurrrrrreeennnccceee aaavvveeeccc ddd ’’’aaauuutttrrreeesss mmmooodddèèèllleeesss

6

Enjeux pour les Etats-Unis

Enjeux pour les nouvelles

puissances (Chine, Inde,

Brésil, etc.)

Enjeux pour les puissances

historiques (Europe, Russie,

Japon)

Interrogations

Dilemme entre

l’accroissement de

puissance et la

préservation du leadership

Briser la « Pax Americana »

Dilemme entre coopération et

compétition avec les nouvelles

puissances

Stratégie affichée Promotion du

multilatéralisme

Attractivité et croissance

des marchés

Développer l’innovation et la

compétitivité

Stratégie réelle Affirmation de

l’unilatéralisme politique

Affirmation en tant que

puissances globales

Développer des relations

économiques avec les nouvelles

puissances

Perspectives

stratégiques

Affaiblir les autres

puissances

Concurrencer les puissances

historiques Affronter les nouvelles puissances

Après avoir expliqué ce qu’était l’intelligence économique et en avoir montré les

bénéfices, nous allons étudier différents modèles d’intelligence économique : le modèle

américain et deux modèles asiatiques, le japonais et le chinois, afin d’en dégager les grandes

tendances et révéler les lacunes et les forces du dispositif mis en place en France.

AAA... LLLeee mmmooodddèèèllleee aaammmééérrriiicccaaaiiinnn

111))) UUUnnn dddiiissspppooosssiiittt iii fff IIIEEE aaauuu ssseeerrrvvviiiccceee ddduuu ppprrriiinnnccciiipppeee ddduuu HHHooommmeeelllaaannnddd SSSeeecccuuurrriiitttyyy

Les Etats-Unis se sont dotés d’un dispositif efficace et avancé en matière de sécurité

économique. En 1993, le Président Clinton créé le National Economic Council (NEC). Ce centre,

placé sous les ordres de la Maison Blanche, jouit d’une composition interministérielle et

interagence. Son rôle premier est d’informer le président sur les questions économiques. Afin

de fournir les informations utiles aux entreprises, et de les orienter dans l’élaboration d’une

stratégie offensive, une nouvelle agence a vu le jour la même année : le National Counter

6 Harbulot C., Lucas D. (2006), « La main invisible des puissances », Revue Défense nationale

Page 13: article IE comp-lem

13 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

Intelligence Executive (NCIX). Les entreprises américaines peuvent également compter sur l’aide

de l’Adovcacy Center, rattache au département du Commerce, qui les soutient dans la conquête

de marchés extérieurs. Enfin, le Committee on Foreign Investments in the United States a la

charge d’évaluer si un investissement étranger n’est pas contraire à la sécurité nationale.

Après les attentats du 11 septembre 2001, le principe de Homeland Security (défense

des intérêts nationaux) a permis de réorganiser le dispositif d’intelligence économique et de

collecte de l’information à l’échelle nationale. Ainsi, « la recherche des réseaux de financement

du terrorisme a permis d’inclure le renseignement économique dans les priorités » (Rapport

Carayon). Les agences citées précédemment sont à présent sous la juridiction du Department of

Homeland Security. De plus, « chaque grande entreprise américaine, chaque institution dispose

désormais d’un correspondant ‘Homeland Security’, constituant ainsi un formidable réseau

d’intelligence économique » (ibid). Le droit est également au service de la protection des

entreprises américaines (Super 3017, par exemple), justifiée par une interprétation lato sensu de

la Homeland Security Policy. De même, le Economic Espionage Act, ou Cohen Act, protège les

entreprises en matière de secret d’affaire ; les contrevenants s’exposent à une amende de 5M$

et/ou à 10 ans de prison. L’amendement Exon-Florio permet au Président d’interdire une fusion

ou une acquisition s’il considère qu’elle menace la sécurité de l’Etat. Ainsi, en août 2005, le

Congrès a empêché l’acquisition de l’américain Unocal par la société pétrolière chinoise Cnooc.

7 1974 : La section 301 du Code Civil des Etats-Unis stipule que, si le Président ou son représentant pour le

commerce (USTR, United States Trade Representative) considère que (A) les droits du pays sont affectés par un accord commercial, ou (B) que l’acte, la pratique ou la politique d’un Etat étranger (i) viole et porte atteinte aux droits et bénéfices américains (ii) ou est injustifiable et réduit le commerce américain, il peut prendre les mesures mentionnées dans la sous-section (C), à savoir : (A) suspension, retrait ou interdiction de toute réduction commerciale, (B) imposition de droits de douanes ou d’autres restrictions à l’importation, (C) retrait, limitation ou suspension des bénéfices accordés a cet Etat, (D) négociation d’un accord portant obligation pour l’Etat en question d’éliminer l’acte, la pratique ou la politique mise en cause. 1988 : La « super 301 » prévoit que l’USTR se doit de réviser périodiquement les priorités américaines en matière commerciale et dresser une liste des pratiques commerciales de pays étrangers à éliminer en priorité, de façon a ce qu’elles affectent le moins possible les exportations nationales. 1988 : La « spéciale 301 » est relative aux droits de propriété intellectuelle. Avant le 30 avril de chaque année, l’USTR doit identifier les pays étrangers qui n’assurent pas une protection adéquate et effective des droits de propriété intellectuelle ou un accès juste et équitable aux marches locaux pour les Américains.

Page 14: article IE comp-lem

14 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

222))) LLLeee rrrôôôllleee aaacccttt iii fff dddeeesss ssseeerrrvvviiiccceeesss dddeee rrreeennnssseeeiiigggnnneeemmmeeennnttt

La CIA comporte un service économie depuis 1947 : la NSA a mis au point le système de

surveillance mondiale Echelon, qui aurait dévié de ses objectifs strictement militaires depuis le

Homeland Security Act (2002) pour s’orienter vers l’économie. Ces services sont

particulièrement investis dans les secteurs suivants : cabinets de conseil, d’investissement,

d’audit, d’assurance, mais aussi fonds de pension et nouvelles formes d’influence, telles que les

ONG, le lobbying, surtout à destination des administrations internationales. Cela permet aux

Etats-Unis d’infléchir en leur faveur les règles et normes internationales au moment même de

leur création.

In-Q-Tel est le fonds d’investissement de la CIA, créé en 1999. Une idée simple en est à

l’origine : les besoins de la CIA en matière de technologie de l’information sont communs de

70% à 90% avec ceux des grands groupes industriels américains. In-Q-Tel joue un rôle de veille

technologique, et investit essentiellement dans les start-ups travaillant sur l’un des secteurs

suivants : knowledge management et représentation graphique ; recherche d’information ;

sécurité et protection ; diffusion des données ; technologies aérospatiales. Elle se garantit ainsi

le contrôle de leurs innovations, pouvant équiper les agences fédérales et les plus grands

groupes américains. Ce fonds a ainsi investi dans une quarantaine de sociétés, sans dépasser 3

millions de dollars pour chaque firme.

Les besoins de la CIA sont identifiés chaque année par une équipe d’In-Q-Tel, qui sait

dès lors quelles entreprises rechercher en priorité. Les dossiers pour postuler à un financement

In-Q-Tel sont très complets, des spécificités techniques des produits développés jusqu'à la

composition des équipes de recherche. Environ 3200 dossiers lui sont ainsi parvenus, ce qui

constitue une base de données de veille technologique d’une grande valeur.

333))) LLLaaa mmmaaaîîîtttrrriiissseee dddeee lll ’’’ iiinnnfffooorrrmmmaaattt iiiooonnn ààà lll ’’’éééccchhheeelll llleee ggglllooobbbaaallleee

Dans le domaine de la collecte d’information à l’échelle internationale, les Etats-Unis

disposent de deux atouts majeurs : le contrôle de l’Internet8, et une présence internationale

forte, notamment grâce aux American Presence Posts (APP). Ils ont été mis en place par le

8 Bernard Benhamou : « il existe une dominance invisible des Etats-Unis sur le réseau des réseaux, et cette

situation n’est pas politiquement souhaitable sur le long terme. » Les Etats-Unis sont seuls à diriger l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers).

Page 15: article IE comp-lem

15 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

National Counter Intelligence Executive (NCIX), et ont pour but de renseigner les entreprises

américaines sur la menace éventuelle d’un pays contre les intérêts américains. Munis de ces

informations, les entreprises peuvent plus facilement conquérir les marchés nationaux. On

compte cinq APP en France : Lyon, Toulouse, Rennes, Lille, Bordeaux. Chaque cellule compte

trois ou quatre personnes parmi lesquelles un diplomate.

Les Etats-Unis disposent donc d’un système sophistiqué et cohérent en matière

d’intelligence économique. L’Etat est fortement impliqué et a su aller à la rencontre des

entreprises et s’adapter à leurs besoins.

BBB... LLLeeesss mmmooodddèèèllleeesss aaasssiiiaaattt iiiqqquuueeesss

111))) LLLeee JJJaaapppooonnn

On a coutume de dire que l’intelligence économique est née au Japon. Dans les années

1950, le MITI (Ministry of International Trade and Industry) et le JETRO (Japan External Trade

Organization) ont organisé une veille a l’échelle mondiale, encourageant de jeunes Japonais à

effectuer une partie de leurs études à l’étranger, puis à mettre les savoir-faire et compétences

acquis en Occident au service de l’économie nationale. Aujourd’hui encore, la veille est une

étape nécessaire préalable à toute conception de produit. C’est presque là un devoir civique de

chaque Japonais, puisque la Constitution de 1868 stipule clairement que les citoyens doivent

« chercher la connaissance dans le monde entier afin de renforcer les fondements du pouvoir

impérial. » Les entreprises n’hésitent pas à ouvrir de nombreux bureaux à l’étranger, à envoyer

des employés dans divers pays pour détecter ce qui pourrait intéresser les firmes japonaises.

Contrairement à d’autres pays, la France en tête, il n’y a jamais eu de distinction entre civil et

militaire dans la collecte d’informations. La veille est l’affaire de tous, pas seulement de

quelques agences de renseignement nationales ou privées.

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16 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

222))) LLLaaa CCChhhiiinnneee

La Chine offre un cas bien particulier d’intelligence économique, notamment en raison

de sa tradition politique et de la toute récente ouverture à l’économie de type occidental qui en

résulte. En effet, le capitalisme y est couplé à une forte responsabilité du pouvoir dans la

compétition économique. Avant 1990, la plupart des entreprises appartenaient au pouvoir

central ; il n’y avait donc pas de concurrence entre elles, et donc aucune incitation à mettre en

place un dispositif IE. La Chine ne s’est que peu ouverte aux investissements étrangers afin de

garder un certain contrôle sur ses entreprises et technologies. Début 2006, il était toujours

impossible à un étranger de devenir actionnaire majoritaire d’une entreprise chinoise, la

participation ne pouvant dépasser 20-25% du capital.

Ensuite, la valeur marchande d’une information, de l’immatériel en général, est une

notion encore étrangère à la plupart des Chinois. L’abondance du secteur de la contrefaçon n’en

est que l’aspect le plus visible. Le concept de propriété intellectuelle leur est étranger, et la

législation chinoise en la matière est bien faible : les procédures durent en général trois ans,

période pendant laquelle le produit n’est pas protégé (ce qui est très long dans le secteur des

nouvelles technologies, le produit étant obsolète avant que le procès ait enfin lieu) ; un brevet

peut être remis en cause pendant cinq ans. Certains justifient même ce recours à des pratiques

délinquantes ; comme l’article « It is Right to Pirate Software » (novembre 1999, US-China

Security Review), de Wang Xiaodung, professeur à l’Université de Columbia. Ainsi, « les

dirigeants des entreprises chinoises ont compris l’importance de l’information et du

renseignement sur les concurrents. Ils n’ont pas, pour autant, intégré les règles du marché qui

supposent la propriété ou, à tout le moins, la confidentialité sur des informations qui peuvent

être vitales. » (Damien Bruté de Rémur et Hong Jian Wen). Leur dispositif d’intelligence

économique est encore archaïque. L’une des méthodes de renseignement sur un concurrent la

plus couramment pratiquée est d’y débaucher un ou des employés. Les entreprises ne disposent

souvent pas de responsable de l’information, celle-ci n’est donc pas analysée ou protégée

convenablement. Depuis l’avènement de l’Internet, et du moteur de recherche chinois Baidu qui

permit une alternative à Google, les entreprises recherchent plus volontiers des informations

sur leur environnement. Mais l’information trouvée demeure souvent sous-exploitée, faute de

logiciels et d’employés disposant des compétences adéquates.

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17 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

Cependant, la rapide adaptabilité et l’originalité de la pensée chinoise ne doivent pas

être négligées. Le dispositif chinois a été profondément réorganisé au milieu des années 1990. Il

s’est notamment inspiré du MITI japonais, donnant naissance au Mofcom, le ministère du

commerce extérieur. Sa principale fonction est d’accompagner les mutations économiques du

pays afin qu’il se positionne favorablement dans la hiérarchie mondiale. Le Mofcom travaille en

étroite collaboration avec le Guoanbu, le ministère de la sécurité de l’Etat, censé abriter les

services secrets chinois. Geng Huichang, ministre depuis septembre 2007, est un expert reconnu

en matière d’intelligence économique et commerciale, notamment aux Etats-Unis et au Japon.

De plus, la Chine dispose aujourd’hui d’une génération de chercheurs, formés aux Etats-Unis

mais rentrés au pays, développant un modèle chinois d’intelligence économique s’inspirant de

ces deux cultures, pouvant être formulé comme « Prendre la culture chinoise pour base et la

culture occidentale pour instrument » (Zhang Zhidong, 1837-1909).

En moins de quinze ans, la Chine a considérablement modernisé son dispositif de

sécurité économique. Selon Fusion Consulting, cabinet de consultants spécialistes des questions

de renseignement et de stratégie en Asie, le marché du renseignement serait d’environ

800 milliards de dollars, et connaîtrait une croissance de 20% par an.

CCC... UUUnnn mmmooodddèèèllleee fffrrraaannnçççaaaiiisss ???

« En raison de la mondialisation des marchés, du développement des technologies, de

l’imbrication des acteurs, l’Etat n’a plus le monopole ni même toujours l’expertise suffisante à la

promotion et à la défense des intérêts français ».

Rapport Carayon, 2003

La France n’a ni tradition ni dispositif cohérent à l’échelle nationale. Dans les

entreprises, l’intelligence économique est surtout l’apanage des grandes firmes des secteurs

stratégiques (santé, énergie, armement, par exemple). Celles-ci utilisent souvent des anciens

membres des services secrets, de l’armée ou de la police, qui ont certes un savoir-faire, et un

réseau, de qualité, mais qui n’ont pas forcément la meilleure formation pour travailler si proche

de la direction ou de la stratégie d’une société. Pour le reste, la France est assez méfiante à

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18 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

l’égard de l’intelligence économique, encore souvent associée à l’espionnage et diverses

barbouzeries. Nos élites ne sont que peu ou mal formées aux mutations de l’économie

internationale, et de ce fait ont du mal à en saisir les enjeux et à prendre les mesures adéquates.

111))) QQQuuuiii sss ’’’oooccccccuuupppeee ddd ’’’ iiinnnttteeelll lll iiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee eeennn FFFrrraaannnccceee ???

Le dispositif français de renseignement économique est embryonnaire, éclaté et

insuffisant. La Direction de la Surveillance du Territoire (DST) dépend du Ministère de l’Intérieur,

et a une mission de sécurité économique. Son action est surtout préventive (sensibilisation,

contacts, enquêtes). Elle développe et entretient des partenariats avec le privé, initiative qui

doit être saluée et encouragée. La Direction Centrale des Renseignements Généraux (DCRG)

peut également jouer un rôle grâce à sa présence régionale, qui pourrait lui permettre d’être un

interlocuteur privilégié des PME, et ses effectifs. Elle n’est pas ou peu utilisée à des fins

d’intelligence économique. Ces deux entités ont fusionné en 2007, formant à présent la

Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI). Elle comporte 4000 fonctionnaires, dont

3000 policiers, et a la charge de tout ce qui relève de l’intérêt de la nation, intelligence

économique comprise.

La Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE) dispose d’excellents moyens

humains, techniques et financiers, remplit des missions de contre-espionnage et de contre-

influence, mais pas spécifiquement d’intelligence économique, alors que ses compétences

pourraient y être utiles. La Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense (DPSD)

s’intéresse à l’analyse de risques dans les partenariats industriels et commerciaux pour les

entreprises intéressant la défense nationale et aux attaques informatiques. La Délégation

Générale pour l’Armement (DGA) joue principalement un rôle dans la création et l’activation de

réseaux d’information, notamment auprès du secteur privé (« partenariat stratégique ») ; elle

s’occupe également d’actualiser la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD), les

données concernant les principaux acteurs stratégiques du secteur des technologies sont donc à

jour ; enfin, elle assure un rôle de tutelle pour la sécurité des entreprises, tâche essentielle de

l’intelligence économique. La Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (DGGN), comme

la nouvelle DCRI grâce à l’héritage de la DCRG, présente sur tout le territoire national, ce qui

représente un atout dans la collecte d’information, notamment concernant les PME. Le SGDN

(Secrétariat General de la Défense Nationale) est chargé de la sécurité des systèmes

Page 19: article IE comp-lem

19 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

d’information. Cependant, de nombreux logiciels utilisés, même pour des données sensibles,

sont d’origine étrangère, ce qui pose un problème de dépendance. Enfin, le Ministère de

l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi est responsable de la défense économique (cf. circulaire

du 14 février 2002). En octobre 2004, en réponse au rapport Carayon, y a été créée la

Délégation générale de l’intelligence économique. Le rôle de celle-ci est d’informer le

gouvernement et les entreprises en matière de prospective économique, financière, industrielle

ou encore commerciale. D’après le site du ministère, elle doit :

1. Aider le gouvernement à affiner ses choix stratégiques en matière économique,

commerciale et industrielle.

2. Mettre sur pied une veille concurrentielle sur les nations fondée sur une approche

pluridisciplinaire, intégrant à des analyses économiques et financières des remises en

perspective de nature historique, sociologique et culturelle. Cela dans le but de mieux

cerner la stratégie économico-politique des principales nations du globe et les moyens de

toute nature qu’elles mettent en œuvre à cette fin. Cette veille sera également sectorielle,

par marchés et par champs d’activités, afin de prévenir des situations préjudiciables à des

pans entiers de notre économie.

3. Développer les outils permettant aux entreprises de disposer à leur niveau des produits de

cette veille concurrentielle.

4. Anticiper, autant que faire se peut, les événements, les évolutions ou les décisions prises par

des organisations internationales, des gouvernements ou des entreprises étrangères qui

auraient pour effet de nuire aux intérêts économiques et industriels de la France.

5. Proposer aux responsables politiques un éventail de contre-mesures envisageables.

L’information a bien du mal à circuler. Sil est vrai que chaque ministère comprend des

centres de recherche dont l’activité principale est l’anticipation des évolutions scientifiques,

technologiques, économiques ou sociétales, ces centres ne communiquent pas au sein même

des ministères auxquels ils sont rattachés, encore moins entre ministères, ou vers les services du

Premier Ministre ou l’Elysée. L’information recueillie, qui ne manque sans doute pas d’intérêt,

n’a que peu de visibilité. Il n’est pas rare que plusieurs centres travaillent sur les mêmes

questions au même moment en s’ignorant. Il faudrait encourager ces centres à échanger entre

eux pour que cesse ce gaspillage, créer un site internet unique par ministère pour publier les

travaux en cours et récents, encourager des équipes interministérielles, obliger à des mises à

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20 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

jours régulières et a des réunions mensuelles pour vérifier l’avancée des travaux et proposer de

nouveaux axes de recherche. Sans cela, l’information est condamnée à être cloisonnée et, de

fait, inutile.

Ainsi, l’intelligence économique est éclatée entre trois ministères (Intérieur, Défense et

Economie), alors qu’aux Etats-Unis la plupart des agences dépendent du Department of

Homeland Security. Il va sans dire que coordonner ces différents services, dispersés et

culturellement différents, pose problème. De plus, le secteur public s’intéresse surtout à la

variable « sécurité » de l’intelligence économique ; les questions de compétitivité et d’influence

restent le plus souvent en suspens. Il serait souhaitable qu’une vraie réflexion ait lieu sur la

réorganisation des compétences. Peut-être le livre blanc sur la défense paru en en juin 2007

apportera-t-il l’impulsion nécessaire : « L’organisation en matière d’intelligence économique

continuera à reposer sur un haut responsable chargé de l’intelligence économique (…) disposant

de correspondants dans les principaux ministères, en particulier les ministères chargés de

l’Economie, de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères et européennes, et de

l’Ecologie, de l’Energie, du Développement du territoire et de l’aménagement du territoire. Le

ministère de l’Intérieur assurera, pour sa part, le dispositif territorial placé sous la responsabilité

des préfets. » Si le poste d’Alain Juillet est confirmé, il n’est dit nulle part que ses effectifs vont

être augmentés pour doter la France d’une cellule IE crédible, cohérente et efficace.

En 2006, le Medef a publié un livre blanc sur l’intelligence économique. Ce guide, plus

accessible et pragmatique que celui de la Commission européenne, détaille des propositions

très similaires, que nous ne détaillerons pas ici. En revanche, il recense ce qui constitue la

communauté IE au sens large, offrant une photographie utile de l’intelligence économique en

France, distinguant institutions publiques et entreprises privées. Il existe ainsi une Académie de

l’Intelligence Economique (www.academie-ie.org), organisation assez confidentielle mais qui

permet une certaine centralisation et diffusion de l’information utile (liens internet, rendez-vous

IE en France, notamment). Outre les institutions publiques que nous avons vues plus haut, il

recense un certain nombre de sociétés spécialisées offrant des services relatifs à l’IE. Citons

LexisNexis Analytics (http://www.lexisnexisanalytics.com), spécialiste de Risk Intelligence ; le

groupe GEOS (www.geos.tm.fr), qui dispose d’un important département Intelligence

Economique ; l’Institut Français d’Intelligence Economique (IFIE, www.ifie.net), qui s’occupe

Page 21: article IE comp-lem

21 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

essentiellement de formation continue ; Iscope (www.iscope.fr), propose un accès à la

plateforme de veille KeyWatch ; ITB (www.itb.fr), pour la formation et le conseil en

compétitivité ; la Cour Saint Nicolas (www.lcsn.fr) propose des formations sur les nouveaux

comportements en entreprise ; LEXSI (www.lexsi.com), acronyme de Laboratoire d’Expertise en

Sécurité Informatique, offre des solutions en matière de protection du patrimoine immatériel ;

Mediaveille (www.mediaveille.com), spécialiste de veille et d’analyse de l’information ; ODI

(www.optimarges.com), qui conseille pour améliorer les performances de l’entreprise sur les

marchés étrangers.

Si la communauté IE en France est éclatée, cette liste montre néanmoins que de

nombreuses initiatives se sont fait jour avec succès dans le secteur privé. Mais cela reste

insuffisant par rapport aux grands cabinets d’Outre-Atlantique, qui ont su séduire et fidéliser les

plus grandes entreprises françaises il y a plusieurs années, posant un sérieux problème de

dépendance.

222))) UUUnnneee dddééépppeeennndddaaannnccceee dddeee fffaaaiiittt vvviiisss---ààà---vvviiisss dddeee fff iiirrrmmmeeesss aaannnggglllooo---sssaaaxxxooonnnnnneeesss

En effet : « les entreprises et les administrations publiques démembrent de plus en plus

de fonctions parfois vitales et stratégiques, autorisant ainsi des entités extérieures à accéder à

leurs secrets : audit, conseil, sécurité/gardiennage, maintenance informatique, assurance,

cabinets de traduction, etc. Cette perméabilité désormais structurelle aux agressions extérieures

constitue une vulnérabilité majeure. Le problème devient réellement stratégique quand on

prend conscience du fait que ces entreprises – comme l’Etat – se trouvent confrontées à une

offre réduite : en nombre, en qualité et en nationalité. A ce titre, la monopolisation par des

sociétés, le plus souvent anglo-saxonnes ou américaines, de certains de ces services constitue

aujourd’hui une véritable dépendance de fait » (rapport Carayon). Ainsi, de grandes entreprises

européennes comme Sanofi-Aventis, L’Oréal, Peugeot, Danone, etc. utilisent les services de

l’américain PricewaterhouseCoopers. Il n’existe pour le moment aucune alternative européenne

crédible face à cet état de fait.

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22 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

333))) UUUnnneee iiinnnfff llluuueeennnccceee sssuuurrr llleeesss rrrééégggllleeemmmeeennntttaaattt iiiooonnnsss iiinnnsssuuuffffff iiisssaaannnttteee

Notre dispositif juridique n’est pas aussi protecteur que celui des Etats-Unis (voir plus

haut), sous couvert de Homeland Security. Quelques initiatives sont tout de même à souligner.

L’article L151 relatif aux investissements étrangers prévoit que ceux-ci doivent faire l’objet

d’une autorisation préalable du Trésor s’ils sont « de nature à mettre en cause l’ordre public, la

sécurité publique ou encore la sante publique » ou bien si « dans des activités de recherche, de

production ou de commerce d’armes, de munitions, de poudres, de substances explosives

destinées à des fins militaires ou de matériels de guerre. » Ces mesures sont très utiles afin de

recueillir des informations sur l’origine de ces investissements. Il est essentiel d’exercer un

contrôle et une surveillance des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques.

Cependant, le droit français ignore le secret des affaires, ce qui ne permet pas une

protection efficace du patrimoine, immatériel ou non, des entreprises. La protection juridique

fournie par le droit français devrait être utilisée à plein pour protéger le capital des entreprises,

et devrait durcir les pénalités en matière de violation de secret des affaires, à l’image du Cohen

Act aux Etats-Unis.

A l’inverse des Etats-Unis, la France ne dispose pas d’un instrument équivalent à In-Q-

Tel. Un tel fond pourrait permettre de faire face plus rapidement et plus efficacement aux prises

de participations hostiles sur nos entreprises à intérêt stratégique. Il pourrait également

accorder des fonds aux entreprises de croissance, et pourrait se développer, à terme, a l’échelle

européenne.

La France est également très peu présente dans la formation des normes et

réglementations internationales, ce qu’on appelle aujourd’hui le « droit mou » (soft law). C’est

dans des organismes tels que les think tanks, les fondations, les centres de recherche, les

groupes de réflexion, les colloques, que sont pensés les concepts qui deviendront politique

demain (exemple du concept de Homeland Security aux Etats-Unis).

La France souffre de nombreuses lacunes en matière d’intelligence économique. Les

initiatives sont éclatées et communiquent à peine entre elles. Les rapports Martre et Carayon

offraient de nombreuses recommandations, mais n’ont été que peu écoutés, et le livre blanc sur

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23 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

la défense de juin 2008 reste timide sur le sujet. De nombreuses reformes sont à envisager ;

c’est l’objet de notre dernière partie.

III III III RRRéééfffooorrrmmmeeesss ààà eeennnvvviiisssaaagggeeerrr

AAA... AAAuuu nnniiivvveeeaaauuu dddeee lll ’’’EEEtttaaattt

« Les Etats doivent s’atteler à lutter contre les déloyautés commerciales et développer une

diplomatie économique en direction des Etats qui n’ont pas la même culture de transparence, de

primauté de la règle de droit et du partage équilibre des responsabilités dans la gouvernance

mondiale. »

Bernard Carayon, député du Tarn, 2006

Comme nous l’avons vu auparavant, il est nécessaire que l’impulsion soit donnée par le

haut et s’inscrive dans une perspective interministérielle.

Chaque ministère doit coordonner les activités de recherche qui se concentrent en son

sein, notamment celles relevant de la prospective, puis en assurer le rayonnement, au travers

d’un site internet unique, d’une revue à diffuser au public concerné (administrations, membres

d’associations, entreprises, etc.), par exemple. Sur le même modèle, un point d’entrée unique

aux ressources qu’offre l’Etat en matière d’intelligence économique devrait être créé. Cela

permettrait une meilleure visibilité et une meilleure organisation de l’aide dont peuvent

bénéficier les entreprises.

Le rapport Carayon propose de créer un Conseil National pour la Compétitivité et la

Sécurité Economique, qui regrouperait des experts des secteurs économique et scientifique, et

serait dirigé par le Premier Ministre, que l’exécutif pourrait consulter à loisir sur les questions

relevant de l’intelligence économique. Des reformes urgentes sont à mettre en place.

111))) EEEnnnssseeeiiigggnnneeemmmeeennnttt

Il existe une multitude de formations diplomantes en intelligence économique, mais

aucun classement n’existe. Tantôt dans un département de sciences, tantôt d’économie ou de

gestion, la discipline manque de cohérence. Conscients de cette situation, les employeurs

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24 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

potentiels se méfient de ces programmes, souvent jugés peu adaptés aux besoins des

entreprises. Une étude de l’AFDIE (Association Française pour le Développement de

l’Intelligence Economique) a révélé que ces formations accordaient une trop grande importance

à la veille au détriment de l’influence dans leur cursus, et que la majorité des stages qui étaient

proposés aux étudiants avaient une forte connotation marketing. De plus, il est à déplorer que

les grandes écoles formant à la haute fonction publique n’intègrent pas l’intelligence

économique à leur cursus. Cours optionnel à Polytechnique et à l’ENA, une initiative crédible

vient de l’ENSP (Ecole Nationale Supérieure de Police), qui y consacre un module de huit heures.

Les élèves d’HEC sont formés à la veille, mais le cours de protection de l’information reste

optionnel. Quant aux élèves de l’Ecole des Mines, peuvent recevoir un enseignement assez

complet de 25 heures sur la veille, la protection de l’information, et les différents modèles

d’intelligence économiques.

En ce qui concerne la formation continue, le ministère de l’Economie n’y consacre que

des stages de deux ou trois jours principalement axés sur la veille stratégique. La DST propose

également des stages de sensibilisation (environ 30 000 personnes par an). Les sessions de

l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale) regroupent des militaires, des hauts

fonctionnaires et des cadres d’entreprise. Des séminaires existent également pour les élèves des

grandes écoles et pour les jeunes. Ce modèle de formation continue et de sensibilisation à la

discipline doit être encouragé.

Les enseignements proposés demeurent de qualité diverse et sont encore souvent jugés

trop théoriques pour le monde de l’entreprise. Des professionnels de l’IE provenant du privé

devraient faire partie des équipes enseignantes, et l’Etat labelliser les formations. Une reforme

de l’enseignement supérieur de l’intelligence économique, qui prendrait en compte les besoins

des entreprises et de la haute fonction publique, permettrait aux étudiants qui y sont formés

d’offrir une alternative crédible aux compétences des grandes sociétés de conseil anglo-

saxonnes. Notre dépendance vis-à-vis d’elles serait moindre, et le patrimoine immatériel des

entreprises leur serait de fait moins accessible.

222))) DDDéééccceeennntttrrraaalll iiisssaaattt iiiooonnn

Les initiatives IE en région sont le plus souvent désorganisées et manquent de

cohérence. Si intervention et entraide il y a, elles se font au cas par cas, sans base commune

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25 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

fédératrice. Certaines régions ont toutefois mis au point des projets intéressants dont il faut

s’inspirer. En région Midi-Pyrénées, le chargé de mission « défense économique » est

responsable d’une étude en trois volets : encourager la dynamique IE de la région ; recenser les

programmes de veille ; évaluer les formations IE en Midi-Pyrénées. De plus, sur une idée du

préfet, l’ADIT a appuyé la création d’une plate-forme d’informations pour les industries

aéronautiques.

La Basse-Normandie est également en avance par rapport à d’autres régions. Son

programme met l’accent sur la sensibilisation aux questions d’intelligence économique ; les

relations entre le public et le privé ; la valorisation des potentiels de la région ; le rayonnement

de la région. Sont ainsi proposés des sessions de sensibilisation auprès de 300 entreprises ; une

newsletter ScienceTech Basse Normandie (2100 abonnés) ; des universités d’été ; etc.

La région Franche-Comté compte à présent une Agence Régionale d’Intelligence

Economique, dirigée par un cadre issu du privé. Le Nord-Pas-de-Calais s’est doté d’un Comité

pour le Développement de l’Intelligence Economique et Stratégique qui regroupe des

universitaires, des représentants du secteur public et des chefs d’entreprise. La Réunion s’est

dotée d’un Centre d’Intelligence Economique qui a son propre conseil d’administration, où

siègent des chercheurs, des représentants du Conseil régional, de la préfecture, du Conseil

général et des acteurs économiques.

Ces initiatives sont louables mais restent limitées. L’Etat devrait donner les grandes

orientations de la politique d’intelligence économique, tout en laissant aux régions une certaine

marge de manœuvre compte-tenu de leur connaissance du tissu industriel de leur zone. Il faut

faire preuve de rationalité en évitant a tout prix l’éparpillement de technologie dans différents

pôles. Les régions devraient faire appel à leur bon sens, et le pouvoir central pousser à une

meilleure rationalisation de l’organisation des industries. Des Conseils similaires à ceux vus ci-

dessus devraient être mis en place dans chaque région, et aller à la rencontre des entreprises

pour leur proposer leurs services et les convaincre de leur utilité.

333))) LLL ’’’UUUnnniiiooonnn eeeuuurrrooopppéééeeennnnnneee

« Les industriels américains sont, eux, dans une logique de guerre économique. (…) Face à eux,

les industriels européens doivent se regrouper pour être en mesure de leur résister »

Michèle Alliot-Marie, alors Ministre de la Défense, Le Monde, 14 juin 2003

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26 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

Les autres pays européens sont encore souvent perçus comme des concurrents sur les

marchés internationaux. De plus, sur un plan politique, l’Union européenne peine à mettre en

place une politique commune en matière de relations extérieures et de défense (PESC – PESD).

une culture du partage devrait prévaloir avec nos voisins européens, alliés, avec qui nous

partageons des intérêts politiques et économiques, tant au niveau national qu’international.

L’Union européenne s’est construite par la méthode des « petits pas » chère à Jean

Monnet depuis le traité de Rome de 1957 .Il faudrait garder une approche similaire pour

l’intelligence économique. Les Etats répugnent pour l’instant à réellement créer des structures

d’échange en matière de renseignement. Ils estiment que ce partage d’information pourrait leur

être dommageable. Pourtant c’est en construisant, au fur à mesure et concrètement, sur des

points cruciaux que l’Union Européenne s’est faite comme ce fut le cas auparavant avec le

charbon et l’acier. A l’heure actuelle, il n’y a pas de politique européenne de renseignement,

seulement un échange ponctuel d’informations. Certes, il y a bien par exemple le SitCen

(Situation Center) placé sous l’autorité de Javier Solana, Haut Représentant et Secrétaire

Général du Conseil de l’Union européenne, qui a pour vocation de permettre aux Etats-

membres de partager des informations confidentielles, notamment sur le terrorisme. Mais celui-

ci n’est qu’un embryon, et ne concerne que le renseignement militaire. L’Union européenne

peut et doit se doter d’une politique cohérente en matière d’intelligence économique.

Il faut partir d’initiatives concrètes, de projets existants pour protéger le tissu

économique européen. D’ailleurs, les prémisses d’une logique d’intelligence économique

défensive sont déjà en place. Par exemple, l’Union européenne s’est déjà dotée d’une réelle

stratégie relative à la lutte contre la cybercriminalité (communication de la Commission

européenne «Vers une politique générale en matière de lutte contre la cybercriminalité», 22

mai 2007). La Commission européenne s’occupe de cybercriminalité depuis 2002. Les Etats-

membres doivent inclure dans leur code pénal des peines de prison de 1 à 3 ans en cas

d’attaque, 2 à 5 ans si elle est commise par une organisation criminelle. Dans un but de

meilleure protection d’internet, l’European Network and Information Security Agency (ENISA) a

été créée en 2005. Petit Icann européen, elle permet de s’affranchir quelque peu des attaques

qui pourraient viser les Etats-Unis. L’Union européenne a donc pris en compte le « cyber-

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27 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

danger » que ce soit par une « pollution » volontaire d’échanges d’informations ou par des

attaques massives visant les systèmes d'information.

De même, l’Union européenne dispose d’un d’outil intéressant avec sa lutte contre le

blanchiment d’argent. Certes, cette politique européenne a d’abord été mise en place pour

lutter contre le crime et le terrorisme. Toutefois, cela constitue un contrôle des flux financiers

qui pourrait aussi être utilisé afin de prémunir le tissu économique européen, notamment pour

les secteurs stratégiques, d’une déstabilisation par des flux financiers masqués commandités par

des entreprises étrangères ou des Etats. La coopération entre les cellules de renseignement

financier (CRF) des États membres, avec la coordination Europol, pour lutter contre le

blanchiment d’argent, pourrait être étendue à une surveillance des flux financiers autour des

secteurs technologiques sensibles.

Il n’y aurait donc que quelques « petits pas » à franchir. Nous touchons là au cœur d’une

intelligence économique qui ne dit pas son nom, protection de l’information et des flux

financiers.

Dans une situation de frilosité des Etats et de méfiance des entreprises, l’Union

européenne doit se montrer capable d’instaurer une relation de confiance et a les moyens de le

faire afin d’instaurer les prémisses d’une stratégie d’intelligence économique « défensive »

européenne.

BBB... DDDaaannnsss llleeesss eeennntttrrreeeppprrriiissseeesss

40% des entreprises ont une gestion de l’information définie et structurée ; 25% n’ont

qu’une gestion informelle ; 11% n’en ont aucune et ne s’y intéressent pas. Avoir du personnel

dédié a l’information est encore trop souvent considéré comme une perte de temps et d’argent

pour les entreprises. Il y a donc un effort de sensibilisation important à faire de la part de l’Etat.

Les rapports Martre et Carayon ainsi que les récentes orientations décidées par le Président de

la République ont contribué à faire changer ces mentalités. Les PME prennent peu à peu

conscience de l’importance d’investir dans un service de collecte, d’analyse et de diffusion de

l’information.

Les entreprises doivent se doter de services d’intelligence économiques adaptés a leurs

besoins en information. Elles doivent pour cela embaucher du personnel qualifié, capable

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28 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

d’analyser de manière pertinente une masse d’information importante, ou faire appel, le cas

échéant, aux structures qui existent dans sa région. Cook and Cook9 a montré que 35% de l’IE

doit être consacré a l’analyse des données ; or, les entreprises consacrent trop de temps à la

collecte, ce qui n’en laisse pas assez pour l’analyse ; l’aide à la décision n’est donc pas aussi

efficace qu’elle devrait l’être. Des professionnels existent ; l’entreprise ne doit pas hésiter à faire

appel à eux.

Il est également souhaitable qu’elles mettent en place des services de collecte

d’information permanents plutôt que de mobiliser du personnel de manière ponctuelle. Cela

viendra alimenter une base de données, constamment enrichie et consultable en permanence.

Des fiches thématiques, ou géothématiques dans le cas d’entreprises internationales, doivent

être régulièrement mises à jour et circuler via une newsletter afin d’être sûr d’atteindre les

personnes qui en ont besoin mais qui n’ont pas le temps ni la compétence de rechercher

l’information. Les décideurs ont besoin de données précises, d’arguments, de

recommandations, de prospective bref, une information analysée, utile, plutôt qu’une masse de

données.

Les informations utiles ont bien du mal à circuler. Dans le système français, celui qui a

l’information est celui qui a le pouvoir, alors que dans le système anglo-saxon, c’est celui qui

partage l’information. En France, les informations stratégiques ont bien du mal à descendre

dans la hiérarchie. Le plus souvent, seule l’équipe dirigeante est bien informée, et n’en fait que

rarement bénéficier les autres départements.

Ce problème culturel sera sans doute le plus long et le plus difficile à résoudre. Les PME

comprennent peu à peu l’importance et l’utilité de l’intelligence économique, et qu’elle n’est

pas uniquement réservée aux grands groupes industriels à vocation stratégique. On peut se

réjouir de cette prise de conscience, et espérer que des efforts seront faits dans le sens d’une

meilleure efficacité de la gestion de l’information. Le secteur public doit cependant maintenir

ses initiatives de sensibilisation afin de toucher la plus grande partie du tissu industriel français.

9 Cook and Cook, “Competitive Intelligence”, Kogan Page, 2000

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29 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

CCC... UUUnnneee mmmeeeiii lll llleeeuuurrreee iiinnnttteeerrraaacccttt iiiooonnn eeennntttrrreee llleee pppuuubbblll iiiccc eeettt llleee ppprrriiivvvééé

« La grande majorité des acteurs privés commence à percevoir l’intérêt de l’intelligence

économique. Cependant, le manque de temps et le nombre limité de cadres dans les PME/PMI ne

facilitent pas une initiation à tous les aspects de l’intelligence économique. Par contre, les chefs

d’entreprises participent volontiers aux programmes mis en place dans leur bassin d’emploi,

voire aux expériences engagées dans leur région. Ils restent fortement demandeurs d’une

assistance plus forte de leurs chambres consulaires ainsi que des services des collectivités locales

et de l’état. Ces derniers sont, selon eux, encore trop souvent inaccessibles et sans réelle volonté

de partager l’information. Ils réclament de plus en plus la création d’un véritable ‘point d’entrée’

dans les administrations concernées ».

Rapport Carayon, 2003

Il existe un important problème de communication entre les pouvoirs publics et les

entreprises. Ces dernières reprochent à l’Etat son incompréhension (supposée) de la réalité du

marché, alors qu’elles mêmes n’utilisent pas tous les outils mis à leur disposition par les

pouvoirs publics.

Afin de réduire l’écart qui sépare privé et public, le rapport Carayon propose de rendre

obligatoire pour les hauts fonctionnaires des stages en entreprise. Cela développerait des

relations de travail et de confiance entre ces deux mondes, et le public pourrait ainsi mieux

cerner les besoins et les attentes du privé.

Les rapports Martre et Carayon ont été suivis de peu d’effets, pourtant ils portent en

eux les premières recommandations traçant la voie vers une meilleure interaction entre le

public et le privé. La seule initiative concrète est la création du poste d’Alain Juillet, Haut

Responsable de l’Intelligence Economique (HRIE) au SGDN. Son équipe se contente de missions

d’information et de sensibilisation, et est encore trop réduite pour aller plus loin. Il faudrait donc

renforcer les moyens du Haut Responsable de l’Intelligence Economique, et pourquoi pas le

rattacher directement à la Présidence de la République, et plus particulièrement à M. Bernard

Bajolet, coordonnateur national du renseignement à la présidence de la République.

Les CCI pourraient aussi jouer un rôle d’interface entre le public et le privé, mais leur

qualité et leurs moyens sont trop disparates d’une CCI à l’autre. Il faudrait donc créer une vraie

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cohérence au niveau des CCI tant dans le discours que dans les moyens pour instaurer un

dialogue privé-public autour de l’IE.

A l’étranger, il faudrait enfin que de vrais responsables IE soient mis en place dans les

représentations diplomatiques françaises. Dans les postes d’expansion économiques, un poste

pourrait être créé avec une personne dédiée à informer les entreprises souhaitant faire des

affaires dans la région concernée. Elle pourrait ainsi être leur interlocuteur privilégié notamment

pour les aider à mieux connaître et comprendre le tissu économique local, en leur offrant, sous

contrôle, un accès aux informations recueillies par l’ensemble des services de l’Etat.

L’interaction entre le monde de l’entreprise et les pouvoirs publics n’existe pas ou peu.

Ces deux mondes construisent leur vision de l’intelligence économique de façon indépendante.

Il faut créer des lieux de rencontre entre le public et le privé, les inciter à échanger des

informations et à coopérer. Il faut renforcer les dispositifs déjà existants tant au niveau national

(Haut Responsable de l’Intelligence Economique, CCI) qu’international (postes d’expansion

économique). Il faut leur donner les moyens d’agir efficacement, leur assigner des missions plus

claires et coordonner le tout vers un objectif précis : mettre sur pieds une politique française

d’intelligence économique.

Or, ce n’est pas le privé qui créera cette interaction, il ne l’utilisera qu’au cas par cas en

fonction de ses besoins conjoncturels. Le but du secteur privé est avant tout le profit, il ne

créera pas une intelligence économique structurée autour d’une vision stratégique nationale et

cohérente.

Les pouvoirs publics devraient aller vers le privé, écouter ses attentes et ses besoins,

construire cette interaction public-privé et ensuite structurer cet ensemble dans une politique

française d’intelligence économique

En conclusion, nous pouvons affirmer que l’intelligence économique joue un rôle très

important. Pour l’Etat, elle est un instrument de gouvernance, d’influence, qui peut

potentiellement assurer la compétitivité du tissu industriel français. Pour les entreprises,

l’intelligence économique éclaire la prise de décision grâce à une analyse utile de la masse

d’information disponible ; cela lui permet ensuite d’élaborer des stratégies de défense ou

d’attaque pour se protéger des concurrents et maintenir sa place sur les marchés.

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Cependant, le dispositif français d’intelligence économique est trop éclatée pour être

cohérent et efficace, et les reformes pour changer cet état de fait n’ont été que trop timides, à

l’inverse d’autres puissances qui ont su s’adapter plus rapidement (Etats-Unis, Japon, Chine, par

exemple).

Une vraie volonté politique doit initier d’importantes reformes afin que la France ne

perde pas son rang sur la scène internationale. Elle doit rechercher des solutions au niveau

européen, s’appuyer sur ce qui existe déjà en matière de lutte contre la cybercriminalité et le

blanchiment d’argent. A terme, il est souhaitable qu’un vrai dispositif IE se mette en place à

Bruxelles, du moins dans son aspect défensif ; ce qui sera impossible sans réelle volonté

politique.

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ANNEXE

1) Schéma du dispositif américain

2) Schéma du dispositif français

3) Schéma du dispositif japonais

Source : Rapport Carayon (2003)

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