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Regards sur la droite 6 mai 2014 - n° 39 Lettre éditée par la cellule Veille et Riposte du Parti socialiste Édito NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 1 Contre des prophéties de malheur Tous celles et ceux qui réfléchissent posément aux enjeux des prochaines élections européennes admettent qu’elles revêtent une grande importance. Et cela, pour deux raisons. C’est la première fois que le Président de la Commission émanera de la majorité du nouveau Parlement euro- péen. Et que, dans le cas d’un succès du candidat socialiste, Martin Schultz, une orientation dié- rente, de celle suivie par la droite européenne, pourrait s’appliquer pour favoriser des mesures visant à stimuler la croissance. Les leaders de droite ne s’y trompent pas. Ils ont tout fait pour refuser ce lien, en menant une bataille d’arrière-garde pour qu’il n’y ait pas de candidat de la droite européenne. L’aspiration démocratique les a contraints à désigner finalement Jean-Claude Junker, l’ancien Premier ministre luxembourgeois, pour ce faire, qui n’est pas le plus à même pour plaider pour l’harmonisation fiscale... Il s’agit bien d’une bataille entre la gauche et la droite. Et, pourtant, cet enjeu n’apparaît pas clairement. Trois idées se sont installées dans les médias, et fonctionnent comme de véritables prophéties auto-réalisatrices : les Français ne s’intéressent pas à cette élection, et une forte abstention est acquise ; les élections européennes prolongeront les élections municipales et sont une élection nationale, pour l’essentiel ; le FN peut être le pre- mier parti de France. Il ne faut pas y voir seulement l’eet d’un agenda médiatique. Cela résulte largement des stratégies de l’UMP et du FN. La droite, divisée fortement dans ses courants, des plus fédéralistes, partisans d’un gouverne- ment économique commun, aux plus souverainistes, défenseurs des Etats, camoufle son ab- sence de projet en parlant, comme Jean-François Copé, d’une élection sanction contre François Hollande, alors qu’il s’agirait, au contraire, de sanctionner plus de dix années de domination libérale dans l’Union européenne ! Le Front national a une vraie habileté médiatique. Il a fait déjà passer le thème d’une prétendue « dédiabolisation », grâce à une certaine complaisance. Maintenant, disons-le, il veut paraître comme le parti dominant de la vie politique pour attirer encore plus à lui. Le parti a certes pro- gressé et a reconstitué un potentiel réel. Mais, il n’a quand même représenté, au premier tour des élections municipales, que 14,1 % des voix. C’est déjà trop, mais nous sommes dans les niveaux électoraux habituels depuis les années 1990. Le combat continue, donc. Surtout, les masques tombent. Jean-Marie Le Pen parle de « liquider l’Europe » et Marine Le Pen de la « bloquer ». Les alliances du Front en Europe, auxquelles on n’accorde pas assez d’attention, sont avec les partis les plus anti-européens, et xénophobes. Même le leader du parti nationaliste Britannique, l’UKIP, Nigel Farage, refuse une alliance avec le parti de Marine Le Pen, jugé antisé- mite ! Le risque, donc, est d’en demeurer aux slogans – d’autant plus que la campagne sera courte. Nous ne pouvons pas évidemment l’accepter. Il faut expliciter et rétablir les véritables enjeux pour une politique réellement progressiste en Europe et en France, qui ne peut être mise en œuvre qu’en additionnant ces deux niveaux. Le populisme émerge quand s’érodent les clivages entre la droite et la gauche et qu’on peut alors désigner des boucs-émissaires à la vindicte, l’Eu- rope, les « élites », les immigrés, etc. Nous avons, avec cette élection, l’occasion de faire apparaître le contraire, en présentant des projets alternatifs qui permettent de sortir de la crise, et non d’ajouter une crise politique à la crise économique. Alain BERGOUNIOUX

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6 mai 2014 - n° 39

Lettre éditéepar la cellule Veille et Ripostedu Parti socialiste

Édito

NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 1

Contre des prophéties de malheur

Tous celles et ceux qui réfléchissent posément aux enjeux des prochaines élections européennesadmettent qu’elles revêtent une grande importance. Et cela, pour deux raisons. C’est la premièrefois que le Président de la Commission émanera de la majorité du nouveau Parlement euro-péen. Et que, dans le cas d’un succès du candidat socialiste, Martin Schultz, une orientation diffé-rente, de celle suivie par la droite européenne, pourrait s’appliquer pour favoriser des mesuresvisant à stimuler la croissance. Les leaders de droite ne s’y trompent pas. Ils ont tout fait pourrefuser ce lien, en menant une bataille d’arrière-garde pour qu’il n’y ait pas de candidat de ladroite européenne. L’aspiration démocratique les a contraints à désigner finalement Jean-ClaudeJunker, l’ancien Premier ministre luxembourgeois, pour ce faire, qui n’est pas le plus à mêmepour plaider pour l’harmonisation fiscale... Il s’agit bien d’une bataille entre la gauche et la droite.Et, pourtant, cet enjeu n’apparaît pas clairement. Trois idées se sont installées dans les médias,et fonctionnent comme de véritables prophéties auto-réalisatrices : les Français ne s’intéressentpas à cette élection, et une forte abstention est acquise ; les élections européennes prolongerontles élections municipales et sont une élection nationale, pour l’essentiel ; le FN peut être le pre-mier parti de France. Il ne faut pas y voir seulement l’effet d’un agenda médiatique. Cela résultelargement des stratégies de l’UMP et du FN.La droite, divisée fortement dans ses courants, des plus fédéralistes, partisans d’un gouverne-ment économique commun, aux plus souverainistes, défenseurs des Etats, camoufle son ab-sence de projet en parlant, comme Jean-François Copé, d’une élection sanction contre FrançoisHollande, alors qu’il s’agirait, au contraire, de sanctionner plus de dix années de domination libérale dans l’Union européenne !Le Front national a une vraie habileté médiatique. Il a fait déjà passer le thème d’une prétendue« dédiabolisation », grâce à une certaine complaisance. Maintenant, disons-le, il veut paraîtrecomme le parti dominant de la vie politique pour attirer encore plus à lui. Le parti a certes pro-gressé et a reconstitué un potentiel réel. Mais, il n’a quand même représenté, au premier tourdes élections municipales, que 14,1 % des voix. C’est déjà trop, mais nous sommes dans les niveaux électoraux habituels depuis les années 1990. Le combat continue, donc. Surtout, les masques tombent. Jean-Marie Le Pen parle de « liquider l’Europe » et Marine Le Pen de la « bloquer ». Les alliances du Front en Europe, auxquelles on n’accorde pas assez d’attention,sont avec les partis les plus anti-européens, et xénophobes. Même le leader du parti nationalisteBritannique, l’UKIP, Nigel Farage, refuse une alliance avec le parti de Marine Le Pen, jugé antisé-mite !Le risque, donc, est d’en demeurer aux slogans – d’autant plus que la campagne sera courte.Nous ne pouvons pas évidemment l’accepter. Il faut expliciter et rétablir les véritables enjeuxpour une politique réellement progressiste en Europe et en France, qui ne peut être mise enœuvre qu’en additionnant ces deux niveaux. Le populisme émerge quand s’érodent les clivagesentre la droite et la gauche et qu’on peut alors désigner des boucs-émissaires à la vindicte, l’Eu-rope, les « élites », les immigrés, etc. Nous avons, avec cette élection, l’occasion de faire apparaîtrele contraire, en présentant des projets alternatifs qui permettent de sortir de la crise, et nond’ajouter une crise politique à la crise économique.

Alain BERGOUNIOUX

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Une critique en règle de la politique européenne de l’UMPHenri Guaino et Laurent Wauquiez viennent deprendre l’initiative d’une attaque en règle contrel’Europe telle qu’elle se construit et évolue de-puis plus de dix ans. Comme s’ils n’avaient tou-jours été que des spectateurs assidus, etcomme si les droites européennes n’exerçaientpas le pouvoir dans les institutions euro-péennes !Le texte, publié le 25 avril dernier, dans Le Fi-garo, est signé par près de 40 parlementairesUMP, dont plusieurs anciens ministres, étroite-ment associés à la politique européenne menéepar le gouvernement Fillon, tout au long duquinquennat de Nicolas Sarkozy. À commencerpar Patrick Ollier, ancien ministre, très proched’une candidate tète de liste UMP aux électionseuropéennes de ce printemps.

En fait, il a toujours existé unevraie controverse interne entreles tenants de « l’Europe des pa-tries », réduite aux acquêts, etles partisans des évolutions fé-dérales plus affirmées au seindu RPR, puis de l’UMP. Entreune logique intergouvernemen-tale stricte et une plus fortecoordination menant à l’Europepolitique, moyennant des trans-ferts assumés de souveraineté.

Cette démarche n’est pas fortuite, puisqu’elle in-tervient à quatre semaines de l’échéance euro-péenne. Elle est délibérée et volontaire. Ellecorrespond aussi à une vraie coupure qui existede longue date au sein de cette formation poli-tique post-gaulliste. Il y a plus de trente ans déjà,avec l’appel dit de « Cochin », signé par JacquesChirac, le 6 décembre 1978, le RPR affichait ses

doutes et ses réticences vis-à-vis du principemême de l’élection du Parlement européen ausuffrage universel direct et, ainsi, à toute évolu-tion fédéraliste. Il percevait alors dans cette mu-tation démocratique un assoupissement dupays « face au parti de l’étranger ». C’est, en fait,Valéry Giscard d’Estaing qui était directementvisé.Lors du débat sur le Traité de Maastricht, en1992, le discours le plus cohérent au sein duRPR, sur le sujet, était tenu par Philippe Seguin,résolument hostile à l’instauration de la mon-naie unique, et redoutant, selon ses proprestermes, « un Munich social ».Tout au long des années 1980, le RPR a bataillé,de façon souvent démagogique, contre l’entrée,au sein de la Communauté européenne, desjeunes démocraties du Sud de l’Europe, en par-ticulier espagnoles et portugaises.

Une controverse jamais tranchée. En fait, il atoujours existé une vraie controverse interneentre les tenants de « l’Europe des patries », réduite aux acquêts, et les partisans des évolu-tions fédérales plus affirmées au sein du RPR,puis de l’UMP. Entre une logique intergouverne-mentale stricte et une plus forte coordinationmenant à l’Europe politique, moyennant destransferts assumés de souveraineté.Henri Guaino et ses co-signataires reprennentle fil de cette controverse, en y ajoutant, toute-fois, une critique acérée et violente de tout ce àquoi les différents responsables de l’UMP ontacquiescé, depuis 2002, alors qu’ils détenaienttous les leviers du pouvoir pour l’impulsionéventuelle d’une nouvelle politique européenne.En fait, il s’agit d’un implacable réquisitoirecontre tout ce qui a été engagé pendant dix anspar Jacques Chirac, puis, par Nicolas Sarkozy.Rappelons, à toutes fins utiles, qu’Henri Guainoa été la « plume » de Nicolas Sarkozy depuisprès d’une décennie, qu’il a été l’inspirateur detous les discours majeurs de celui-ci, y compriscelui de Dakar sur « l’homme africain ». Quant

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à Laurent Wauquiez, il a multiplié les porte-feuilles ministériels, sous le gouvernementFillon, dont celui de ministre chargé des Af-faires européennes.La charge contre leur propre bilan relève d’unerare sévérité : jugeons sur pièce.

Un véritable pamphlet. La condamnation duTraité institutionnel européen, rejeté par réfé-rendum, en 2005, mais soutenu par l’UMP, estsans appel. Le Traité de Lisbonne, négocié parNicolas Sarkozy, et ratifié par un Parlement àmajorité UMP, à l’époque, est « déchiqueté ». Lamise en cause du dumping social et fiscal dé-bouche sur une attaque explicite « de la règled’or budgétaire » vantée par le tandem Sar-kozy-Merkel. La libre-concurrence instauréepar les divers traités, depuis l’Acte Unique, etratifiés par l’UMP, est taillée en pièces, aumême titre que la politique monétaire euro-péenne défendue par les gouvernements Raf-farin, Villepin et Fillon. Les qualificatifs et caractérisations utilisés mé-ritent d’être cités : « l’austérité aveugle qui dé-truit la croissance et creuse les déficits, ça nepeut plus durer ». « La politique de la concur-rence qui interdit toute politique industrielle ».« Le dumping fiscal et social, ça ne peut plusdurer ». « Se résigner à inscrire la politique dela France dans le cadre d’une construction eu-ropéenne à la dérive… serait moralement inac-ceptable et politiquement intenable ». Cettedernière saillie sonne comme un copier-collerd’une phraséologie digne d’un Pierre Juillet oud’une Marie-France Garaud, conseillers poli-tiques influents de Georges Pompidou, puis,de Jacques Chirac, dans les années 70.Ce réquisitoire appelle en tous les casquelques observations, au-delà de la questionde la date choisie pour l’instruire. D’abord, il re-présente une dénonciation sans circonstancesatténuantes, de la politique conduite par ladroite UMP, au plan européen. Cette attituderenvoie à une forme d’amnésie collective. Elleprovoque un malaise quand elle émane, enparticulier, de ceux qui ont décidé et justifiécette politique.Ensuite, ce texte publié dans Le Figaro du 25avril dernier, contredit la lettre et l’esprit de laligne européenne, telle qu’elle est portée par ladirection actuelle de l’UMP. C’est un constat decarence de la pensée et de l’action de l’UMP sur

le plan européen qui est ainsi dressé. La réfé-rence à la souveraineté des peuples est enoutre affichée comme un horizon indépassa-ble et salutaire. À telle enseigne qu’HenriGuaino claironne à qui veut l’entendre qu’il nevotera pas, le 25 mai prochain, pour la listeconduite par Alain Lamassoure, en Ile-de-France, pour le compte de l’UMP. À tel pointque Laurent Wauquiez préconise le retour àl’Europe « des 6 », remettant par là-même encause 40 ans d’élargissement de l’Europe, etfaisant fi de la chute du mur de Berlin et de l’ef-fondrement de l’Union soviétique, comme sien histoire, la machine à remonter le tempspouvait fonctionner.

Cette initiative de 39 parlemen-taires UMP, sous l’égide d’HenriGuaino, percute directementl’approche « libérale » de l’UMPsur le terrain économique. Approche réaffirmée, jouraprès jour, par les leaders d’unparti qui fait campagne sousla bannière du PPE et assumedonc pleinement sa solidaritéavec le bilan et les choix de ce parti conservateur, pourl’Europe.

Une prise à contre-pied. Enfin, et surtout, cetteinitiative de 39 parlementaires UMP, sousl’égide d’Henri Guaino, percute directementl’approche « libérale » de l’UMP sur le terrainéconomique. Approche réaffirmée, jour aprèsjour, par les leaders d’un parti qui fait cam-pagne sous la bannière du PPE et assumedonc pleinement sa solidarité avec le bilan etles choix de ce parti conservateur, pour l’Eu-rope.L’article du 25 avril 2014 réfute finalement toutle projet économique et fiscal de l’UMP. Labaisse des dépenses publiques à concurrencede plus de 120 milliards avancée par Jean-François Copé, est présentée objectivementcomme une forme d’austérité aveugle, détrui-

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sant la croissance. La tentation déflationniste estrécusée au nom de l’emploi et de la défense dumodèle social. La course au moins-disant fiscal estpointée du doigt, alors que l’UMP stigmatise l’im-pôt. Le principe de libre-concurrence est jugé nocifet stérilisant pour notre industrie. L’ultra-libéra-lisme de l’UMP, appliqué à la France et à l’Europe,est de fait, renvoyé au rang des illusions dange-reuses…Cette dernière philippique publiée dans Le Figaro,écrite, mûrement réfléchie et donc préméditée, endit long sur la gravité du malaise qui règne tou-jours à l’UMP et au sein d’une partie majeure de ladroite républicaine. L’Europe, qui reste l’ambition de ce début de21ème siècle, et la seule méthode éprouvée pourgarantir la paix et une coopération économiqueindispensable sur le continent, apparaît comme lerésumé et le réceptacle de toutes les contradic-tions et de toutes les ambigüités d’une UMP, inca-pable de trancher le moindre problème de fond,au-delà des discours politiciens et d’un « prêchiprêcha libéral » hors sujet.

Les accents nationalistes d’HenriGuaino et de Laurent Wauquiezne sont plus ceux de républicainsconservateurs, tels que PhilippeSeguin ou Michel Debré. Ils nesont plus gaullistes non plus, endépit de références incongrues etanachroniques à « la politique de la chaise vide » pratiquéequelques temps, au cœur des années 60, par le fondateur de laVème République.

Une formation politique en pleine confusion. Ilen va de même de son incapacité à déterminerclairement son attitude vis-à-vis de l’extrêmedroite. Il est vrai que certaines incantations, re-prises dans l’article d’Henri Guaino, ressemblentsensiblement aux automatismes de langage duFN sur l’Europe. Et si le discours intitulé « L’Europe,il est temps de tout changer » avait aussi pour vo-cation de ménager les ambigüités pour continuer

à ne pas choisir, à ne pas trancher ?Les accents nationalistes d’Henri Guaino et de Lau-rent Wauquiez ne sont plus ceux de républicainsconservateurs, tels que Philippe Seguin ou MichelDebré. Ils ne sont plus gaullistes non plus, en dépitde références incongrues et anachroniques à « lapolitique de la chaise vide » pratiquée quelquestemps, au cœur des années 60, par le fondateurde la Vème République. Tout indique que l’UMP, parti de gouvernement as-pirant à revenir au pouvoir, ne dispose plus deprojet européen homogène. Il existe en fait deuxapproches inconciliables : l’une, ultra-libérale etconformiste, qui mène aux impasses que nousconnaissons ; l’autre, critique, brutale, mais sansperspective alternative, capable de redonner senset espoir à cette grande ambition fédératrice quereprésente l’Europe. M.B.

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DÉCRYPTAGE & DÉBATS

« Les quartiers populaires portent un réel intérêt à la vie politique, même si celui-ci ne se transcrit pas toujours dans des pra-tiques institutionnelles telles que le vote. »

Antoine Jardin est doctorant

en sciences politiques au Centre d’études euro-péennes de Sciences Po. Il travaille, en particulier, sur la participation électorale et les dispositifs d’encouragement dans les zones touchées par les violences urbaines collectives.

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Les quartiers se sont peu mobilisés, à l’occasiondu scrutin municipal. Faut-il en conclure que lesélecteurs qui y vivent ne s’intéressent plus à lapolitique ?Non. Dans ces quartiers, même ceux qui ne partici-pent pas au vote s’intéressent à la vie politique. Ilsont d’ailleurs été très sensibles au discours des éluset des responsables politiques sur la situation desbanlieues. Ce qui était vrai, lors du précédent quin-quennat, le reste aujourd’hui. Les personnes qui vi-vent en banlieue ont un regard critique sur ce quise fait. Ceci est notamment perceptible chez les mi-grants et leurs descendants. On remarque aussique ces personnes s’intéressent aux enjeux poli-tiques de leur pays d’origine, concernant l’entrée dela Turquie dans l’Europe, l’intervention française auMali ou encore les révolutions arabes.Les quartiers populaires portent donc un réel intérêt

à la vie politique, même si celui-ci ne se transcrit pastoujours dans des pratiques institutionnelles tellesque le vote. Cela peut apparaitre comme un para-doxe.

L’une des surprises de ces élections a été le bas-culement à droite d’un nombre significatif decommunes populaires. Comment interprétez-vous ce phénomène ?Ce basculement est dû, pour l’essentiel, à une baissede la participation électorale dans les quartiers quiavaient majoritairement soutenu la gauche, en2012. Avec, en contrepartie, une forte mobilisationde l’électorat de droite. En cela, les municipales de2014 sont différentes de celles de 2008. À l’époque,les électeurs de gauche étaient restés mobilisés,dans une logique défensive face à Nicolas Sarkozyaprès la défaite de 2007. A l’inverse de l’électorat de

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droite était démobilisé. Cette fois-ci, c’est l’inverse.Deux ans après la victoire de François Hollandeà la présidentielle, l’électorat de gauche marquépar un sentiment de défiance vis-à-vis du pou-voir et des partis de gouvernement, a décidé dese tenir éloigné des urnes. Dans le même temps,la droite s’est mobilisée autour de ses théma-tiques traditionnelles, du registre économiqueaux questions religieuses. De ce point de vue, leMariage pour tous a pu avoir un effet au sein del’électorat de la droite, mais celui-ci reste margi-nal et ne se traduit pas par un basculement desélecteurs de la gauche vers la droite.

L’absence d’une alternative cré-dible à la politique menée par ladroite pèse aujourd’hui dans lesesprits. De ce point de vue, levote à gauche ne contribue pasà faire évoluer la situation so-ciale dans le pays.

Y a-t-il lieu d’évoquer un décrochage des caté-gories populaires vis-à-vis du politique ?Je ne le crois pas. J’évoquerai plutôt un sentimentde défiance, ancré dans les milieux populaires, àl’égard des partis situés à gauche de l’échiquierpolitique auquel ils s’identifient le plus souvent.Cette défiance s’est renforcée depuis deux ans.L’absence d’une alternative crédible à la politiquemenée par la droite pèse aujourd’hui dans lesesprits. De ce point de vue, le vote à gauche necontribue pas à faire évoluer la situation socialedans le pays. Ceci étant dit il ne faut pas suresti-mer la participation politique dans les milieuxpopulaires au cours des vingt ou trente dernièresannées. Ainsi les descendants de l’immigrationâgés de moins de 40 ans portent un intérêt à lapolitique souvent supérieur à celui de leurs ho-mologues générationnels. Il est donc difficiled’évoquer un décrochage car cette idée enjolivela situation des années 80 et 90.

D’aucuns évoquent l’éloignement des catégo-ries moyennes et populaires des villes centrespour justifier leur décrochage et l’adhésionaux thèses frontistes. Partagez-vous cetteanalyse ?

Il est très difficile de séparer l’effet de la distancegéographique de la composition sociologiquedes communes. Est-ce que c’est l’éloignement deParis en lui-même, où la nature sociologique deszones périurbaines qui influence le vote ? Les po-pulations qui vivent en milieu périurbain ne vo-tent pas majoritairement pour le Front national,même si l’adhésion y est plus élevée qu’ailleurs.La montée en puissance de ce parti est transver-sale. Là où vivent des groupes sociaux moinsprotégés du FN par des loyautés anciennes,l’adhésion est plus forte. Mais, il nous faut restervigilant. Dire que les ouvriers votent majoritaire-ment FN et que les catégories moyennes n’adhè-rent que très modérément aux idées qu’ilvéhicule est très réducteur. La réalité est pluscomplexe.

Les populations issues de l’immigration ontvisiblement évolué dans leurs choix électo-raux. Cela ne signifie-t-il pas, au fond, quel’électorat musulman est politiquement moinshomogène que dans le passé ?IIl ne l’a jamais été. Cela relève plus des représen-tations que d’une réalité sociologique observée.Il a été assez peu représenté pendant longtemps,puisque les primo-arrivants n’étaient pas dotésde la nationalité française et qu’ils n’avaient doncpas accès au droit de vote. D’autres n’étaient toutsimplement pas inscrits sur les listes électorales. Depuis, nombreux sont ceux qui ont accès auxurnes. Mais il faut rester prudent. Les électeursqui se revendiquent musulmans sont majoritai-rement ancrés à gauche. Le sont-ils en raison deleur appartenance religieuse, parce qu’ils sontmigrants ou que leur pays d’origine appartenaità l’empire colonial français ? Comment distin-guer l’effet de la religion de celui de l’origine mi-gratoire ? Comment, à l’intérieur de l’électoratmusulman, les mécanismes de fragmentationpeuvent-ils intervenir ? Selon qu’elles sont d’ori-gine pakistanaise, malienne ou marocaine, cespersonnes n’auront pas nécessairement lesmêmes grilles de lecture ni les mêmes attentesà l’égard de la société française. Comment, enfin,les différences de classe sociale modifient-ellesle rapport à la religion, à la politique et à l’articu-lation des deux ? Certaines personnes conti-nuent de subir une relégation alimentée par lesdiscriminations, quand d’autres parviennent àconnaitre une ascension sociale. Une diversifica-

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NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 7

tion sociologique des descendants de l’immi-gration qui se traduit par des comportementspolitiques différents, liés au positionnementsocial des uns et des autres.

Est-il possible d’établir une rationalisation du vote au sein des catégories que vous dé-crivez ?Les descendants de l’immigration sont, majo-ritairement plus ancrés à gauche que leurs ho-mologues générationnels, parce qu’ils ont lamémoire de la trajectoire migratoire de leursainés. Et ce, quelles que soient leur apparte-nance sociale. Même ceux qui ont une des atti-tudes conservatrice se déclarent rarementproche de la droite. Pourtant en Allemagne, leschrétiens-démocrates n’ont pas hésité à inté-grer une dimension religieuse islamique dansleur discours et leur programme pour attirerces électeurs De même aux Etats-Unis, les Ré-publicains ont beaucoup parlé d’avortement etde religion pour tenter de capter l’électorat his-panique, proche du parti démocrate. En France,Nicolas Sarkozy n’a pas agi autrement, en ten-tant de se rapprocher de l’UOIF. Il n’y a donc pas de règle absolue en matière devote des populations immigrées, en dépit d’unpenchant régulier pour la gauche Il n’y a riende systématique dans leurs choix électoraux,les déçus se réfugiant, le plus souvent, dansl’abstention. Ces trajectoires dispersantes des descendantsde l’immigration montrent clairement que lespopulations issues des quartiers populairesont changé, du fait d’une immigration qui estde moins en moins postcoloniale et de plus enplus mondialisée. D’autre part, à mesure queces personnes changent de quartiers, occu-pent d’autres emplois, accèdent à des catégo-ries sociales différentes, leurs opinionspolitiques tendent à se banaliser, à suivre cellesdu reste de la population.

Dès lors qu’on évoque l’islam et la politique,il est difficile d’échapper au discours sur laradicalisation…Oui, mais on a tendance à oublier l’autre partiedu spectre, qui s’éloigne d’une conception tra-ditionnelle et conservatrice, en dépit d’un héri-tage culturel, religieux et familial. La vraie question qui se pose est celle-ci : dans

quelle mesure la France est-elle une société in-tégrée qui fait fi de toute opposition entre po-pulations immigrée et française ? Dès lors quedes individus s’emploient à « découper » lemonde social entre des gens qui leur ressem-blent et des personnes différentes, des fron-tières se font jour qui peuvent servir de supportà des logiques de repli comme d’hostilité. Sur-tout, quand elles sont liées à des facteurs eth-niques, migratoires et religieux. Dans ce cas, lesfrontières deviennent moins poreuses et les lo-giques de confrontation plus violentes.

Il y a bien un changement quis’est opéré. Parfois même defaçon spectaculaire, comme enSeine-Saint-Denis. En 1995, lesvilles les plus riches ne votaientpas pour le FN. En 2012, c’estl’inverse qui s’est produit. Tantet si bien que ce sont souventles communes les plus pauvresqui votent aujourd’hui lemoins, en faveur du FN.

La géographie du vote FN a-t-elle évolué, de-puis 1995 ? Il y a bien un changement qui s’est opéré. Par-fois même de façon spectaculaire, comme enSeine-Saint-Denis. En 1995, les villes les plusriches ne votaient pas pour le FN. En 2012, c’estl’inverse qui s’est produit. Tant et si bien que cesont souvent les communes les plus pauvresqui votent aujourd’hui le moins en faveur duFront National. La corrélation s’est inversée aufil du temps. L’un des facteurs explicatifs, c’estla part des descendants de l’immigration dansl’électorat. Les milieux populaires, en lien avecl’immigration, n’adhèrent pas au FN, contraire-ment aux catégories les plus modestes qui n’ensont pas issues. Ceci vaut surtout pour ceux quivotaient à droite auparavant. Ce ne sont doncpas les électeurs de gauche qui ont basculé enfaveur du parti frontiste, mais les électeurs dedroite. Il y a même une division entre lesclasses supérieures restées fidèles à l’UMP et

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8 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

les catégories populaires qui optent pour le FN,dans une proportion de plus en plus impor-tante. Cette concurrence s’opère à droite, et nonà gauche.Dans le Nord-Pas-de-Calais comme en Seine-et-Marne, en revanche, rien n’a changé. En 1995comme en 2012, les villes les plus riches sontcelles qui votent le moins pour le FN.

N’assiste-t-on pas à une restructuration de ladroite, sur fond d’émiettement et de divisionsentre plusieurs sensibilités ?L’émiettement de la droite est une réalité. La stratégie Buisson s’est révélée peu payante.On a surtout vu l’essoufflement de la stratégiede Jean-Marie Le Pen au sein du Front national.Après 2011, ce parti qu’on pensait proche de ladisparition a retrouvé son électorat qui n’a ja-mais changé d’attitudes politiques depuis 2002. Il y a donc une réelle concurrence entre l’UMPet le FN pour savoir qui, des deux blocs, sera entête, en 2017. Cette confrontation sera violenteet il n’est pas certain du tout que l’UMP en sor-tira vainqueur. Il y a un affrontement important,au sein même de ce parti, pour déterminer lastratégie à adopter par rapport au FN et dans leparti principal de l’extrême droite pour se posi-tionner face à la droite parlementaire. Une par-tie du FN accepte les transfuges et les alliancesquand d’autres militants entendent maintenir

une séparation plus stricte. Pour sa part, et c’estpeut être là le plus important, Marine Le Penétait prête à mettre en sourdine certains élé-ments idéologiques pour gagner les élections.Non parce qu’elle n’y croit plus, mais parcequ’elle est convaincue qu’il est contreproductifde s’appuyer sur l’ancienne stratégie du FNpour accéder au pouvoir. La mise en œuvre duprogramme politique viendra après. Ceci ex-plique le discours en apparence mesuré denombreux candidats frontistes à l’occasion dela campagne municipale. Cet émiettement produira une reconfigurationde la droite, parce qu’il ne saurait y avoir cinqou six blocs électoraux en compétition dans unsystème majoritaire comme celui de la 5e Ré-publique. La question est de savoir qui arriveraen tête des différents scrutins, pour organisercette restructuration de la droite, autour d’un oude plusieurs partis.

Justement, comment cette situation peut-elleévoluer dans les années qui viennent ?L’UMP a pour ambition de rester le bloc princi-pal, en confinant le FN dans un rôle de radicalitémarginale le tenant éloigné du pouvoir. On voitpourtant que tel n’est pas le cas. Les logiquesd’émiettement du front républicain, observéesdepuis les cantonales de 2011, ouvrent deréelles perspectives au FN en fragilisant l’UMP.Le risque est de voir Marine Le Pen attirer à elledes composantes croissantes de l’électorat dedroite. Son objectif est de consolider ses sou-tiens électoraux, de contrôler des bastions pourpouvoir compter ensuite sur un noyau dur. Ce qui aide le FN, c’est qu’il n’assume pas lepouvoir et qu’il n’apparait pas comme respon-sable de la situation économique et socialeAjoutons que le FN propose un discours très co-hérent idéologiquement, finement articulé quiséduit certaines composantes de l’électorat dedroite en quête de certitudes.

Le discours du FN a lui-même évolué, em-pruntant certaines de ses thématiques à lagauche, de la préservation des services pu-blics à la défense de la laïcité. Cette postureest-elle synonyme d’évolution idéologique ?Ne relève-t-elle pas plutôt d’une tentative demanipulation ?Je ne crois pas du tout dans un changement de

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posture, mais à une évolution de la communica-tion propre au FN. Idéologiquement, ce discoursn’emprunte rien de spécifique à la gauche, maisà l’histoire de l’extrême droite française. Il étaitdéjà très présent dans les années 1920-1930, parexemple chez Victor Barthélémy, transfuge duParti communiste et membre-fondateur du FN,en 1972, qui avait porté des éléments d’analysedes conflits sociaux au sein de l’extrême droite. Ily a eu aussi l’émergence de la mouvance Natio-naliste Révolutionnaire autour de François Du-prat, dans les années 1970-1980. Ce qui signifie,en clair, que le FN n’est pas en rupture avec sonhistoire, mais qu’il revient à ses fondations, avecun discours (implicitement) racialiste et nationa-liste. L’avenir n’est donc pas à une compétition électo-rale avec la gauche, mais avec une droite plutôt li-bérale qui mobilise les classes supérieures etdiplômées à laquelle fera face une droite nationa-liste, ancrée dans les milieux populaires et auxprises avec l’immigration. La colonne vertébraledu FN reste la préférence nationale qui se décline,implicitement ou explicitement, en termes ethno-raciaux. Ceci est perceptible, en particulier, dans lediscours sur les Roms. Le FN évolue donc dans sastratégie, mais pas dans son idéologie. Les mili-tants de gauche ignorent tout ou partie de cettehistoire et il manque, à mon sens, un travail surl’évolution idéologique qui s’est opérée à l’extrêmedroite, avec la régénérescence de cette mouvanceNationaliste Révolutionnaire parfaitement visibleau sein du FN et dans les groupes satellites, telÉgalité et réconciliation d’Alain Soral.

Le FN n’est-il pas tenté à l’idée de gérer au mieux lesvilles qu’il a conquises, afin de se donner une imagede probité et de bonne conduite ?Il a choisi quelques têtes d’affiches dont il pensequ’elles seront capables de gérer les communesqu’ils administrent, sans pour autant nuire àl’image et à la stratégie politique du parti. Le FNcompte à sa tête un petit groupe très soudés de

dirigeants soucieux de créer une vitrine servant àorganiser la conquête du pouvoir à l’échelle natio-nale.

L’essentiel est de comprendrecomment la société française vaêtre transformée par l’histoiremigratoire. Il ne s’agit pas tantd’identifier les migrants d’au-jourd’hui que de connaître la tra-jectoire des descendants del’immigration, d’une immigra-tion qui a déjà eu lieu.

Quels sont les grands enjeux qui se présententà nous ?L’essentiel est de comprendre comment la sociétéfrançaise va être transformée par l’histoire migra-toire. Il ne s’agit pas tant d’identifier les migrantsd’aujourd’hui que de connaître la trajectoire desdescendants de l’immigration, d’une immigrationqui a déjà eu lieu. Cette évolution changera lesrapports à la politique dans l’ensemble de la société française, en modifiant la structure des fa-milles, le rapport au racisme et aux discrimina-tions, avec une évolution très profonde qui sematérialisera de manière lente et inégale dans lesquartiers. Ce mouvement est perceptible en Seine-Saint-Denis. Il s’agit là d’un signe annonciateur de ce quipourrait se produire dans le reste du pays. Onpourrait assister à une montée en puissance del’extrême droite et de l’hostilité envers les mi-grants. Les tendances de fond indiquent cepen-dant qu’on se dirige vers une société qui semétisse et qui s’hybride, de manière assez pro-fonde et rapide.

Propos recueillis par B.T.

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Le 25 mai sera-t-il un 21 avril européen ?, s’inter-rogeait le journal Le Monde du 29 avril dernier. Laquestion mérite d’être posée, d’autant que lerisque de voir les partis populistes et xénophobesoccuper le leadership ou le deuxième rang, à l’is-sue du scrutin, en France, au Danemark, en Fin-lande, en Autriche, en Hongrie, aux Pays-Bas, enItalie ou dans l’Hexagone est réel. Marine Le Pen l’a parfaitement saisi. Pas un jour,pas une semaine sans que la présidence du Frontnational ne déclame sa haine contre une Europecoupable, à ses yeux, de tous les maux. D’alliés,elle ne manque pas. À commencer par le chef defile de l'extrême droite néerlandaise Geert Wilders,avec lequel elle a scellé une alliance, à la mi-no-vembre. Ces deux là peuvent compter sur les par-tis de l'Alliance européenne pour la liberté, àlaquelle appartient la patronne du FN – elle en estvice-présidente. On y retrouve le FPÖ, parti autri-chien d'extrême droite, les Belges du Vlaams Be-lang et les Démocrates suédois.

S’il faut donc se départir del’idée selon laquelle l’Europe serait embrasée par le natio-nal-populisme, ces partis n’enont pas moins décidé d’unirleurs forces, dans une « dyna-mique de travail ».

D’autres partis « patriotes » ont rejoint les deuxacolytes, par la suite, jusqu’au groupe de NigelFarage, « Europe libertés démocratie », en An-gleterre. Nul doute qu’ils seront ainsi en capa-cité de constituer un groupe parlementaire, àStrasbourg, et de bénéficier d’une enveloppe de3 millions d’euros environ pour mieux faire cir-culer leur haine europhobe et étendre leur zoned’influence. Leur crédo : le repli identitaire et leretour à la souveraineté, face à un monde mé-tissé, et rongé par la crise. Tous s’élèvent contre

« la rigueur », incarnée par la Banque centraleeuropéenne (BCE), le Fonds monétaire interna-tional (FMI) et la Commission, chargés de met-tre en application les plans d’austérité imposésaux États surendettés – comme si cela n’étaitpas avant tout la décision des Etats, majoritai-rement conservateurs et libéraux, qui prennentles décisions dans l’Union européenne !

Repli identitaire. Cette montée en puissance denouvelles formations extrémises et amies duFN, est perceptible dans les pays qui s’appuientsur des groupuscules nationalistes et popu-listes, comme en Grèce, avec le parti de l’Aubedorée, en Finlande, où le parti des « Vrais finlan-dais » a fait une percée spectaculaire, lors desélections de 2011, ou bien encore aux Pays-Bas,avec la montée en puissance du PVV, sousl’égide de Geert Wilders qui ne se prive pas dequalifier l’Union d’« État nazi » et d’appeler lepeuple néerlandais à se soulever contre le « monstre » bruxellois. Le constat vaut égale-ment pour le Vlaams Belang belge, la Ligue duNord italienne, l'Alternative pour l'Allemagne(AfD), qui devrait faire son entrée à Strasbourg,au même titre le parti néonazi NFD, dont un re-présentant devrait être lui aussi élu, le Parti dela liberté autrichien (FPÖ), et plusieurs partisd'Europe du Nord. « Si certains connaissent uneprogression indéniable, d’autres sont claire-ment en retrait, tempère Pascal Delwit, profes-seur de sciences politiques à l’Université deBruxelles. En Norvège, le Parti du progrès a re-culé de sept points, à l’occasion des dernièresélections. L’exemple vaut également pour le Da-nemark, où le Parti populaire est lui aussi enrecul. En Belgique, le Vlaams Belang, qui avaitatteint 24 % des suffrages, en 2004, est au-jourd’hui à 10 % ».S’il faut donc se départir de l’idée selon laquellel’Europe serait embrasée par le national-popu-lisme, ces partis n’en ont pas moins décidéd’unir leurs forces, dans une « dynamique de

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Les liaisons dangereuses du Front national

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travail », selon les propres termes de Marine LePen. Avec l’ambition de « retrouver la souverai-neté territoriale, monétaire et budgétaire », deproscrire le Coran que Geert Wilders se plait àcomparer au Mein Kampf d’Adolf Hitler, et decombattre l’islam, sous toutes ses formes. L’élément-clé de ce discours antisystème, c’est lapeur, fondée sur l’angoisse de perdre son emploiou de ne pas être en capacité de s’insérer dans lavie active, de voir disparaître une richesse accu-mulée ou de subir les conséquences de la baissedu pouvoir d’achat. « Ces phases anxiogènes ontpour point commun le rejet de l’Union euro-péenne et l’affirmation des identités régionalesou nationales, précise Pascal Delwit. Ceci est per-ceptible en France, dans le nord de l’Italie, en Bel-gique, en Espagne et en Scandinavie, en lien avecla crise économique et financière. » Avec, en fili-grane, le déclin présumé du Vieux Continent faceaux puissances émergentes qui ne fait qu’ajouterà ce climat prétendument délétère.Ces partis sont nationalistes. Avides, pour la plu-part, de se protéger du « virus » de l’invasion etde l’intrusion maghrébine. Le FN, le PVV et le Partidu progrès se retrouvent, de ce point de vue, trèsclairement dans l’affirmation d’un sentiment depureté nationale… « Cette idée selon laquelle ilfaut éviter à tout prix de rentrer dans l’Union oude limiter, autant que faire se peu, son dévelop-pement, en protégeant la vraie nationalité. On estlà dans une logique de « recentrage » sur la na-tion, au nom d’une vision mythique du passé »,explique Pascal Delwit : le principe selon lequel laNation s’est forgée autour d’une catégorie spéci-fique de citoyens, de race blanche, porteurs de va-leurs et traditions supposément ancestrales.

Hétérogénéité. Tous se retrouvent dans le rejetdes « élites », coupables à leurs yeux de trahison.S’ensuit la théorie du complot et cette idée selonlaquelle aucun exécutif ne s’est montré capable,

au cours des quarante dernières années, d’endi-guer la crise, en Europe. Et, surtout pas Bruxelles,vouée aux gémonies, et taxée d’agir contre lespeuples ! En cause, les « technocrates » dont leségarements entretiennent la phobie de la mon-dialisation. Ce, d’autant plus que les tenants decette ligne radicale ne croient plus dans la capa-cité de l’UE à les protéger et à prendre la mesurede ses échecs passés. « L’Europe est un adjuvantà l’essor électoral de ces partis, d’autant que lacrise de 2008 a provoqué de nombreuses inquié-tudes dans l’opinion, renforçant, pas là-même,un phénomène de rejet, induit par la volonté defermer les frontières », résume Nonna Mayer, di-rectrice de recherche au CNRS.

Tous se retrouvent dans le rejetdes « élites », coupables à leursyeux de trahison. S’ensuit lathéorie du complot et cette idéeselon laquelle aucun exécutif nes’est montré capable, au coursdes quarante dernières années,d’endiguer la crise, en Europe.

Mais, au-delà de leur appétence pour un patrio-tisme exacerbé, subsistent des disparités entre lesdifférentes composantes nationales-populistes. Enmal d’homogénéité, il n’est pas certain du toutqu’elles parviennent à s’entendre, dans la durée. « Ce peloton est hétérogène, souligne Herman VanRompuy. Certains sont de gauche, d’autres d’ex-trême gauche, de droite ou d’extrême droite. On ytrouve même des partis racistes. C’est un amal-game. » (Le Monde, 29 avril). À supposer qu’ungroupe parvienne à se constituer, ce qui est proba-ble, il ne sera donc pas en capacité d’offrir une alter-native politique. B.T.

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