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Édito Soyons nous-mêmes À quelques jours du vote pour les élections européennes, il n’y a plus guère le temps pour ajouter des arguments. L’examen des positions de la droite ne le permet guère. Les désaccords et les points de vue diérents l’emportent par trop. Cela, d’ail- leurs, n’apparaît pas la préoccuper. Il n’y a eu aucun eort de synthèse. Elle utilise simplement sa situation d’opposition. On peut faire la même remarque pour l’autre grande question ouverte, la réforme territoriale. C’est la cacophonie qui domine à droite. Un article de cette lettre l’analyse précisément. Au fond, il n’y a pas lieu de s’en étonner. Ce sont les socialistes qui exercent l’essentiel des responsabilités. Et, le débat tourne autour de ce que nous faisons et nous pro- posons. Le gouvernement a pris des mesures fortes cette dernière semaine, qui re- précisent le sens d’une action, d’une part la sortie de 1,8 millions de foyers fiscaux du barème de l’impôt sur le revenu, pour le pouvoir d’achat, d’autre part, l’extension du décret pour la protection des entreprises françaises, pour le pilotage de l’écono- mie. Cela prend place dans le cadre d’ensemble de notre politique depuis 2012 : assurer le redressement de notre économie pour préserver notre modèle social. Il n’y a pas beaucoup de politiques possibles dans les circonstances actuelles. Cette campagne électorale le montre encore : le repli mortifère avec l’extrême droite, le démantèlement social avec la droite, la fuite en avant budgétaire avec la « gauche de la gauche » ou la nôtre. Nous sommes, en eet, en train de mettre en œuvre - et de rechercher, car l’action à mener dans la seconde partie du quinquennat n’est que partiellement écrite - les équilibres nécessaires pour être fidèle à la vocation de la gauche. Nous devons sa- voir – et les expériences passées sont là pour le montrer – que le creusement du dé- ficit est une méthode inecace et dangereuse pour s’extraire d’une panne durable de croissance, dont il faut traiter les maux à la racine. Les deux directions qui doivent guider nos réflexions et nos actions d’ici 2017 sont, d’une part, travailler à modifier en profondeur la structure des recettes et des dépenses publiques pour réaliser plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité, d’autre part, agir pour faire advenir une Union européenne, plus dynamique, plus protectrice, plus démocratique. Le cadre national et le cadre européen sont étroitement liés. Et les succès dans l’un amèneront des succès dans l’autre. Alain BERGOUNIOUX Regards droite sur la 20 mai 2014 - n° 40 Édité par la cellule Veille et Ripostedu Parti socialiste

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ÉditoSoyons nous-mêmesÀ quelques jours du vote pour les élections européennes, il n’y a plus guère letemps pour ajouter des arguments. L’examen des positions de la droite ne le permetguère. Les désaccords et les points de vue différents l’emportent par trop. Cela, d’ail-leurs, n’apparaît pas la préoccuper. Il n’y a eu aucun effort de synthèse. Elle utilisesimplement sa situation d’opposition. On peut faire la même remarque pour l’autregrande question ouverte, la réforme territoriale. C’est la cacophonie qui domine àdroite. Un article de cette lettre l’analyse précisément.Au fond, il n’y a pas lieu de s’en étonner. Ce sont les socialistes qui exercent l’essentieldes responsabilités. Et, le débat tourne autour de ce que nous faisons et nous pro-posons. Le gouvernement a pris des mesures fortes cette dernière semaine, qui re-précisent le sens d’une action, d’une part la sortie de 1,8 millions de foyers fiscauxdu barème de l’impôt sur le revenu, pour le pouvoir d’achat, d’autre part, l’extensiondu décret pour la protection des entreprises françaises, pour le pilotage de l’écono-mie. Cela prend place dans le cadre d’ensemble de notre politique depuis 2012 : assurer le redressement de notre économie pour préserver notre modèle social. Il n’y a pas beaucoup de politiques possibles dans les circonstances actuelles. Cettecampagne électorale le montre encore : le repli mortifère avec l’extrême droite, ledémantèlement social avec la droite, la fuite en avant budgétaire avec la « gauchede la gauche » ou la nôtre.Nous sommes, en effet, en train de mettre en œuvre - et de rechercher, car l’actionà mener dans la seconde partie du quinquennat n’est que partiellement écrite - leséquilibres nécessaires pour être fidèle à la vocation de la gauche. Nous devons sa-voir – et les expériences passées sont là pour le montrer – que le creusement du dé-ficit est une méthode inefficace et dangereuse pour s’extraire d’une panne durablede croissance, dont il faut traiter les maux à la racine. Les deux directions qui doiventguider nos réflexions et nos actions d’ici 2017 sont, d’une part, travailler à modifieren profondeur la structure des recettes et des dépenses publiques pour réaliser plusde croissance, plus d’emplois, plus de solidarité, d’autre part, agir pour faire advenirune Union européenne, plus dynamique, plus protectrice, plus démocratique. Le cadre national et le cadre européen sont étroitement liés. Et les succès dans l’unamèneront des succès dans l’autre.

Alain BERGOUNIOUX

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20 mai 2014 - n° 40

Édité par la cellule“Veille et Riposte“du Parti socialiste

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L’UMP et le FN à fronts renverséscontre la réforme territorialeLe discours de politique générale du Premierministre n’en finit décidément plus de nourrir lapolémique. À l’UMP comme au FN. Dernier témoignage en date, la réforme territoriale dontManuel Valls a présenté les grandes lignes, le 8 avril dernier, à l’Assemblée, avec quatre objectifs à la clé : suppression du conseil dépar-temental – ex-conseil général -, division par deuxdu nombre de régions, refonte de la carte inter-communale et suppression de la clause généralede compétence, qui autorise les collectivités ter-ritoriales à intervenir dans tous les domaines. Un virage assumé,début janvier, par le pré-sident de la Républiquequi avait été esquissé -ironie de l’histoire - parle gouvernement Fillon,lors du précédent quin-quennat et que lesparlementaires de l’UMPvilipendent, aujourd’hui,sans sourciller.

Flou à l’UMP. « Tripa-touillage électoral », « entourloupe », « Répu-blique bananière ».Jean-François Copé n’a pas de mot assez durpour qualifier une réforme que son parti avaitpourtant encouragée, il y a cinq ans. Et lorsqueFrançois Hollande évoque un report des élec-tions, à l’automne 2015, afin de procéder à unredécoupage de la carte des régions, le prési-dent de l’UMP trouve dans François Fillon unallié de circonstance pour fustiger unedémarche, dont l’unique ambition, veut-il croire,serait d’éviter au Parti socialiste une nouvelledéfaite, après celle des municipales. « Il n’y aque dans les pays totalitaires que l’on voit ça »,s’emporte l’ex-Premier ministre. Pas de quoifouetter un chat, pour autant, quand on se sou-vient que sous la présidence de Jacques Chirac,les élections cantonales et municipales, pro-grammées en mars 2007, avaient été reportéesd’une année, au motif que la loi de décembre2005 prorogeant la durée des mandats desconseillers municipaux et régionaux, renouve-lables en 2007, évoquait les « difficultés demises en œuvre » du calendrier électoral liées à

l’organisation des scrutins présidentiel, munici-pal et cantonal (Le Monde, 7 mai). Et, c’est bienle gouvernement Fillon qui a décidé, quelquessemaines avant l’échéance régionale de mars2010, de réduire la durée du mandat desconseillers régionaux pour la première fois desix à quatre ans, sans envisager le moins dumonde une consultation référendaire.Pour tenter, bon an mal an, de s’extirper du floudans lequel elle est empêtrée, l’UMP multiplieles contre-propositions, sans qu’aucune lignecohérente ne se dégage. Quand Bruno Le Maire

e t X a v i e r B e r t r a n d se disent favorables àde profondes modifica-tions des structuresterritoriales, en appe-lant à la disparition des conseils généraux,au profit des conseilsrégionaux, et en accueil-lant favorablement laréduction du nombrede régions, Copé, Fillonet Juppé brocardent,d’une même voix, pourune fois, la constitutionde grandes régions. « Je

suis attaché à un État central fort », prévientFrançois Fillon, avant de fustiger le fédéralismesupposé du projet de réforme défendu par legouvernement. Une crainte que ne partagent niJean-Pierre Raffarin, coauteur d’un rapportsénatorial sur le sujet, avec Yves Krattinger (PS)(Lefigaro.fr, 12 mai), ni Edouard Balladur qui semontre favorable, pour sa part, à la fusion decertaines régions, en accord avec l’esprit de sonrapport de l’époque.Pour mettre un terme à ces divisions, jeter lesbases d’un accord de façade et faire capoter laréforme, l’UMP exige l’organisation d’un référen-dum. Sur quelle ligne ? Vaste sujet, sur lequelses dirigeants se gardent bien de répondre. Ce, d’autant plus qu’à l’occasion d’un séminaireréunissant les cadres du parti, en décembre, unconsensus s’était dessiné autour d’une nouvelleconfiguration territoriale validant le principe dehuit régions et la suppression des départe-ments, là où il y a des métropoles. Une pisteaussitôt transformée en une « réduction du

C’est bien le gouvernementFillon qui a décidé, quelques semaines avant l’échéance

régionale de mars 2010, de réduire la durée du mandat

des conseillers régionaux pour la première fois de six

à quatre ans, sans envisager le moins du monde

une consultation référendaire.

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millefeuille territorial » dans le documentadopté en janvier par le conseil national… « Nous devons absolument rompre avec l’idée,communément admise à droite qu’il y a autantde visions sur ces questions qu’il y a de respon-sables politiques », prévient Hervé Mariton (Lefigaro.fr, 12 mai). Copé a beau dénoncer un « coup de force » et avancer que les préconisationsg o u v e r n e m e n t a l e s reviennent à créer unÉ t a t f é d é r a l , u n e « autre République », etqu’il est donc inaccep-table que les Françaisne soient pas consultéspar référendum, les di-visions sont patentes.Et lorsqu’il pointe, audétour d’une phrase,un « tripatouillage élec-toral », en référence aureport des élections ré-gionales à l’automne2015, il fait clairementfausse route. Ce, d’au-tant plus que le projetdéfendu par François Hollande a les faveurs del’opinion et que la consultation que l’UMP ap-pelle de ses vœux, se fixe pour unique objectifde contester la ligne politique suivie par l’Elysée,depuis 2012.

Populisme frontiste. Changement constitu-tionnel ? Référendum ? Rien de tel à l’UDI où leprojet de réforme présenté par le Premier minis-tre fait consensus. À charge, pour le président dela République, d’engager des états généraux desterritoires pendant l’été et de s’inspirer dumodèle mis au point par Jean-Louis Borloo,dans le cadre du Grenelle de l’Environnement. La critique est, en revanche, beaucoup plusacerbe, du côté du Front national qui, à quelquesjours du scrutin du 25 mai, saisit la balle au bondpour dénoncer une « landerisation » du pays, ins-pirée du modèle allemand imposé par l’Unioneuropéenne. Avec, pour conséquence, une déserti-fication supposée du territoire. En contrepartie,Marine Le Pen et son parti proposent l’organisationd’une réforme autour des communes, des dépar-tements et de la Nation, au détriment des régions.Avec, à la clé, l’élection de conseillers territoriauxpar listes à la proportionnelle intégrale, érigés en « représentants des départements ». Dans ceschéma, les premiers de liste hériteraient des com-pétences des conseillers régionaux. Unredéploiement qui permettrait, à en croire ses ins-

pirateurs, de faire remonter à l’État certaines pré-rogatives « stratégiques » telles que les transports.

En défendant le principe d’un référendum, dontl’objectif - assez proche sur ce point de celui de l’UMP - est de faire face au « bouleversementtotal de la France historique », la présidente

du FN renoue avec les vieux démons populistes de son pré-décesseur, et restecantonnée sur devieilles lunes. Sanscompter qu’elle a lamémoire courte. Enavril 2013, son partiavait, en effet, appelé à voter « non » au référendum en Alsacesur la fusion du Conseilrégional avec lesconseils généraux duHaut-Rhin et du Bas-R h i n , q u i a v a i tfinalement été rejetée.

En bonne héritière, elle n’hésite cependant pas àfustiger François Hollande qui entend, selon sespropres termes, « priver nos concitoyens de leurparole et imposer par force une réforme territo-riale majeure sans consulter les Français. » Or, un sondage Ifop, publié le 11 mai par le Jour-nal du Dimanche, vient contredire ceraisonnement. Il montre qu’une majorité de nos concitoyens(55 %) est favorable à la suppression desconseils généraux et à leur fusion avec lesrégions. Ajoutons que la réforme préconiséepar le président de la République dépasse largement les clivages politiques, puisqu’elle estapprouvée par 61 % des sympathisants socia-listes, 52 % des sympathisants UMP et 48 % desélecteurs proches du FN.Une précédente enquête réalisée par le mêmeinstitut de sondage, courant avril, montrait déjàque l’opinion était favorable au « big bang terri-torial », annoncé quelques jours plus tôt par le Premier ministre. 60 % des personnes inter-rogées approuvaient la suppression desdépartements et la même proportion soutenaitla réduction à onze du nombre de régions, au lieu de vingt-deux actuellement. Preuve queles mentalités changent et que les Français ne goûtent guère aux manipulations politi-ciennes de façade.

B.T.

En défendant le principe d’unréférendum, dont l’objectif -

assez proche sur ce point de celui de l’UMP - est de faire

face au « bouleversement total de la France historique »,

la présidente du FN renoue avec les vieux démons

populistes de son prédécesseur,et reste cantonnée sur

de vieilles lunes.

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DÉCRYPTAGE & DÉBATS

Comment les droites françaises abordent-elles les élections européennes ?

Elles se répartissent entre quatre familles :la droite libérale, la droite « morale » que jequalifierais de « contre-soixante-huitarde »,la droite sécuritaire et la droite gaulliste.Elles sont toutes rattachées à l’UMP. Au regard de la construction européenne,la ligne suivie sur les institutions estconforme aux positions que défend ladroite libérale. Sur la réduction des dé-penses publiques et des taxes sur les en-treprises, les différences de nature sontainsi minimes, alors qu’elles sont plusprofondes avec les différentes familles

qui composent l’extrême droite. De mêmequ’entre la gauche sociale-démocrate etla gauche socialiste, transparaît une véri-table différence de nature. La droite libérale est donc très à l’aiseavec l’idée de « règle d’or » ou de traité européen de stabilité, de gouvernance etde coordination. Elle se différencie, en cela,de la droite « morale » qui fait une véritablefixation sur l’éventualité d’une législationeuropéenne sur la Gestation pour autrui(GPA) ou la Procréation médicale assistée(PMA). Ludovine de La Rochère, présidentede la Manif pour tous, par ailleurs chargéede la communication de la fondation

Thomas Guénoléest politologue et maître de conférence à Sciences Po,docteur en sciences politiques(Sciences Po-CEVIPOF). Chroniqueur politique au Plus du Nouvel Observateur, il est invitérégulièrement en tant qu'expert sur les plateaux télévisés (BFM-TV,LCI) ou à la radio (France Culture,France Info, RMC). Il est l’auteur deNicolas Sarkozy, chronique d’unretour impossible ? (2013, éd. First) et du Petit guide du mensonge en politique (2014, éd. First).

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Jérôme-Lejeune, dont le président étaitun membre à part entière de l’Opus dei,en est la figure de proue. Autant dire quel’idée d’une directive européenne sur laGPA ou la PMA lui paraît totalement inac-ceptable. La droite gaulliste, incarnée par Henri Guaino, est quant à elle souverai-niste. Elle défend le principe d’une Europeintergouvernementale, dotée d’un Parle-ment affaibli. Au point de refuser de voterpour Alain Lamassoure, en sa qualité detête de liste UMP, en Ile-de-France. Enfin, la droite sécuritaire se réclame dethèses proches de celles du Front national,estimant que l’Europe est une véritable« passoire » en matière d’immigration.Elle fait une fixation sur l’absence decontrôle au niveaudes frontières eu-ropéennes, avecl’ambition de re-mettre en causel’Espace Schengen. G l o b a l e m e n t ,l’UMP s’efforce deconcilier, idéologi-quement, desforces antago-nistes, au mêmetitre que le Partisocialiste. Seuls leFN, l’AlternativeUDI- MoDem etEurope Écologie-Les Verts ont une ligne cohérente et uniesur l’Europe. Ces derniers ont d’ailleursune approche similaire à celle des cen-tristes pour qui l’Europe fédérale n’estun instrument au service de la transitionécologique.

L’impact de la crise économique sur la viepolitique française et européenne ne laisse-t-elle pas présager une montée en puissance des partis nationalistes et popu-listes, lors du scrutin du 25 mai ?

Non. Si les sondages visent juste, ce n’estni une vague brune, ni une vague bleuequi déferleront sur l’Europe, mais unevague « blanche ». Une abstention massive,synonyme de rejet du système. Elle n’estpas politiquement neutre. Les abstention-nistes ne sont d’ailleurs pas absents de lascène politique, mais des électeurs à partentière qui refusent de voter. Ce qui est

très violent, politiquement. Le national-populisme n’est que l’écume de la vague.Une bonne moitié de ce vote antisystèmese traduit par une adhésion au FN, contreun quart au Front de Gauche, le quartrestant se soldant par un vote blanc.

Mais, le contexte politique actuel, en Franceet en Europe, ne traduit-il pas une crise iden-titaire profonde ?

Non. Il existe, pour l’heure, un véritable déferlement médiatique sur les questionsidentitaires, qui correspond à des thèmesdéveloppés par des minorités actives quine sont nullement représentatives d’unemotivation particulière du rejet du système.Celui-ci se nourrit de l’idée selon laquelleles partis de gouvernement ne sont pas

en capacité de résoudreles problèmes. Les élec-teurs manifestent doncleur mécontentement, enboudant les urnes ou envotant antisystème. Mais,il est faux d’affirmerqu’un Français sur cinqserait raciste ou xéno-phobe, au prétexte quele FN atteindrait 20 %des suffrages. Ce, d’autantplus que le vote par adhé-sion idéologique restefortement minoritairedans le vote frontiste.

Comment est-il possible de sortir d’une tellesituation ?

En rendant le vote obligatoire ! C’est déjàle cas en Grèce et en Belgique, où les élec-teurs qui ont fait le choix de ne pas allervoter, se voient infliger une amende. Levote est un droit ou un devoir, mais il nepeut pas être les deux à la fois. Il faut ce-pendant trouver une contrepartie, en comp-tabilisant les votes blancs, érigés en suf-frages exprimés. Et, au-delà de 50 %, ilme paraitrait légitime d’organiser un nou-veau suffrage. Avec cette pratique, je nedoute pas que les débats préfigurant lesélections européennes auraient été d’unetoute autre qualité. En l’état, je crains fortque l’abstention atteigne un nouveau re-cord et que les commentaires qui suivrontl’élection du 25 mai ne soient expédiés enl’espace d’une soirée.

« Il y existe, pour l’heure, un véritable déferlement

médiatique sur les questionsidentitaires, qui correspond

à des thèmes développés par des minorités actives

qui ne sont nullementreprésentatives d’une

motivation particulière du rejet du système. »

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Quelles sont les principales caractéristiquesdes différentes composantes de la famillenationale-populiste européenne ?

Dès lors que l’on se livre à une analyse dela radicalisation des différentes compo-santes de la droite, le risque est grand decroiser les familles de l’extrême droite. En se projetant sur la droite libérale, onaboutit à l’extrême droite poujadiste, cellequi estime que les Français paient toujourstrop d’impôts, qui prend la défense des artisans et des petits commerçants.Elle est fondamentalement antifiscale et antibureaucratique. C’est autour de cesidées que Jean-Marie Le Pen a débuté sa carrière politique. La droite morale radicalisée se mue, poursa part, en extrême droite traditionnaliste.Celle qui entend revenir sur le droit à l’IVG.Un point qui figure d’ailleurs dans le pro-gramme du FN. La radicalisation de ladroite gaulliste conduit au souverainisme,dont les représentants, au sein de l’extrêmedroite, jugent indispensable une sortie del’Union européenne, conjuguée au retourau franc. Encore une mesure qui figuredans le programme du FN. Enfin, toute radicalisation de la droite sécuritaire aboutit à une approche xéno-phobe, islamophobe et raciste. Ses digni-taires nous expliquent que les immigrésissus du continent africain et présumésmusulmans, sont dans l’incapacité des’intégrer culturellement. Sans compterque leur présence, sur le territoire national,conforte le chômage, l’insécurité, le com-munautarisme, l’absence de cohésion sociale, le délitement du tissu républicain,le trou de la sécurité sociale, jusqu’au terrorisme ! La seule solution, pensent-ils, est de s’en débarrasser.

C’est un raisonnement que l’on retrouvedans toutes les composantes nationalisteset populistes européennes…

Je n’ai pas suffisamment étudié le sujetpour l’affirmer avec certitude. Mais, je meméfie des comparaisons abusives. Ce nesont, en effet, pas les mêmes inconscientscollectifs et les mêmes histoires qui s’ex-priment, d’un pays à l’autre. Il existe certesdes points de convergences, mais aussides différences de repères qui trouventleur mode d’expression. Le centre-droitfrançais, incarné par l’UDI et le MoDem,n’a ainsi rien à voir avec les partis centristes

allemand ou anglais, plus radicaux et pro-gressistes, selon que l’on se place de l’autrecôté du Rhin ou dans les îles britanniques. S’il est possible de définir des grandes catégories, l’exercice n’en demeure pasmoins périlleux. L’extrême droite françaiseest ainsi l’héritière de la tradition mau-rassienne et pétainiste, y compris danssa référence à Jeanne d’Arc, érigée, delongue date, en défenseure de la racefrançaise contre l’invasion étrangère – lesAnglais, hier, les Musulmans, aujourd’hui.Mais, au Royaume Uni, l’extrême droite,dominée par le British National Party, estplus proche de Debout la République.Avec, en prime, 20 % d’intentions de votesdans les sondages. Il n’y a, en revanche, pas d’extrême droiteen Espagne, au motif qu’elle est une com-posante de la droite. Ce qui vaut à unepartie du Parti populaire de remettre encause le droit à l’IVG. En Italie, l’extrêmedroite n’existe plus, après l’explosion despartis de gouvernement qui a fait suite àl’opération « mains propres ». Tant et sibien que l’extrême droite et l’extrêmegauche ont opté pour la modération, afinobtenir des postes. Du coup, les partis ducentre-droit sont des compagnons deroute de Sylvio Berlusconi ou des anciensdu parti néofasciste italien du MSI. Il est donc très difficile de se livrer à descomparaisons. L’extrême droite hongroiseest ainsi très clairement antisémite, alorsque le FN ne l’est plus. Quant à l’extrêmedroite néerlandaise, elle est islamophobe,au même titre que Marine Le Pen, quipourfend l’islam sous le masque de la revendication de la laïcité. Il n’y a doncpas d’homogénéité et il est très difficilede mettre toute l’extrême droite européennedans le même sac, même si elle a en commun de ne pas éprouver de sympathieparticulière pour les musulmans et l’immigration.

À l’heure où les partis eurosceptiques semultiplient, de fortes dissensions se fontjour entre l’axe Wilders-Le Pen et le duoconstitué par le Parti de l’indépendance bri-tannique (UKIP) et le Parti populaire danoisqui rejettent en bloc toute proposition decollaboration. Comment expliquez-vous cesdivergences qui traversent l’extrême droiteeuropéenne ?

Chaque mouvement d’extrême droite s’ins-

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crit dans la tradition politique de sonpays. Il existe un certain nombre de pointscommuns que j’ai énoncés, tel que le na-tionalisme xénophobe et islamophobe.Mais, les boucs-émissaires ne sont pasnécessairement les mêmes. Pas plus queles messages et les astuces déployéespour masquer ce que sont ces groupus-cules. Dans la grande famille des eurosceptiques,qui ne se limite pas à la seule extrêmedroite, transparaît, dans le cas particulierde l’Hexagone, une fracture entre la Francedu « oui » et la France du « non », dans lecadre du référendum constitutionnel eu-ropéen. Avec, d’un côté, les gagnants dela mondialisation et, de l’autre, les per-dants. À ce jeu, les classes moyennes su-périeures et les catégories favorisées sesont prononcées massivement pour le «oui », tandis que classes moyennes infé-rieures et les pauvres ont opté pour le «non », formant, pour l’essentiel, les rangsde l’extrême droite et de l’extrême gauche. Ce ne sont là que des tendances et il n’ya, bien entendu, rien de définitif. Mais,les classes moyennes inférieures votentplutôt à gauche. Ceci est perceptible, enparticulier, chez les jeunes diplômés quisont très représentatifs de la gauche «bobo ». Ils possèdent souvent un niveaude revenu qui ne correspond pas à leursdiplômes. De leur côté, les classesmoyennes supérieures votent plutôt UMP,droite libérale ou UDI, ce qui est tout àfait cohérent. Ajoutons que la France ur-baine penche clairement à gauche, quandla France rurale incline sur sa droite.Quant aux laissés-pour-compte du sys-tème, ils sont dans une logique de rejetet refusent, pour la plupart, d’aller voter.

La question européenne peut-elle faire ex-ploser l’UMP ?

Non, parce que les intérêts additionnéset communs des différents détenteursde mandats électoraux font qu’ils neferont jamais scission. Le constat vautd’ailleurs tout autant pour le PS où l’onannonce, depuis plusieurs décennies,une explosion entre l’aile droite et l’ailegauche qui ne s’est jamais produite. Une personnalité peut être tentée, en re-vanche, de quitter sa famille politique, auprofit de sa propre trajectoire, en fondantun parti plus à droite ou plus à gauche.Nicolas Dupont-Aignan s’est livré, de cepoint de vue, à une tentative infructueuse,en se retrouvant dans un étau entre ladroite et le FN. Tant et si bien qu’il nedécolle pas. S’il était cohérent, il rejoindraitd’ailleurs le parti de Marine Le Pen.

N’y a-t-il pas lieu, pour nos gouvernementset les peuples, de se réapproprier un espacedémocratique ?

Je le répète, le seul moyen de combler ledéficit démocratique est de rendre le voteobligatoire, en prenant en compte lesvotes blancs et en réorganisant le scrutinun mois plus tard, dès lors que ceux-ciont franchi le seuil des 50 %. Et ce, quelleque soit la nature des élections. Ensuite,il me semble indispensable de parvenirà l’Europe fédérale. Tant que le présidentn’est pas tenu de rendre des comptes àses électeurs, la démocratie européenneest caduque. Le Parlement ne suffit pas, ilfaut aussi un président, élu au suffrageuniversel direct. La France et l’Allemagnedoivent trouver un accord sur la mise enœuvre de ce processus. Les autres payssuivront inéluctablement.

Propos recueillis par B.T.

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Laurent Wauquiez, l’apôtre du « y’a qu’à, faut qu’on… »Lors de la présentation de son livre « Europe : ilfaut tout changer », le 14 mai, à l’invitation de laFondation Concorde, Laurent Wauquiez s’estlivré à un véritable réquisitoire contre l’Unioneuropéenne et sa propre famille politique.

Soucieux de se démarquer de la doctrine et dela stratégie de l’UMP, le député de la Haute-Loires’est livré à un procès à charge contre le fonc-tionnement de l’UE et de la faiblesse supposéedu poids politique de la France. Ce qui ne l’em-pêche nullement, cependant, de reconnaître àFrançois Hollande un réel volontarisme dansles politiques qu’il mène en faveur de la jeu-nesse et de la renégociation des traités. Cesambitions n’ayant pas abouti, il ne se prive tou-tefois pas de fustiger la faiblesse et l’incapacitéde la France a se faire entendre face à l’Alle-magne. Il est vrai qu’après dix années degestion du pays par UMP et de l’Europe par lesconservateurs, notre capacité à peser sur lesdébats et les choix stratégiques n’a cessé dediminuer. Si les projets défendus par le gouver-nement Fillon étaient ambitieux, on ne sesouvient guère qu’il les ait soutenus en per-sonne et qu’il ait apporté son soutien auxdémarches engagéespar son camp… Mais, ilest sans doute plussimple de critiquer que

d’agir.

Balayant d’un revers demain les caciques del’UMP, afin de nourrirson ambition présiden-tielle, il a opté pour uneposture, sans douteosée, en se situantdans un « entre-deux »: ni repli nationaliste, nibéatitude coupable et inactive. Ce qui lui vaut demarteler ses ambitions pour une Europe qu’ilconsidère comme un échec. N’hésitant pas àaccabler son camp, qu’il accuse de tenir lemême discours depuis dix, vingt ou trente ans,il se déclare prêt à tout changer… après avoir étélui-même ministre délégué aux Affaires euro-péennes de Nicolas Sarkozy et soutenu, bec etongles, la directive sur la courbure des concom-

bres en Europe, entre deux escales à Londrespour récolter des fonds pour son micro-parti…

« Agir pour faire autrement ». Partant de plu-sieurs observations, fort justes au demeurant,telles que l’empilement exagéré de normes et règlements, il rend l’élargissement responsablede tous les maux : comment peut-on construireune entité cohérente à 28 pays avec des écartsde salaires allant de 1 à 6, des cotisations sociales de 1 à 3, et des impôts sur les sociétésallant du simple au double ?, s’interroge-t-il.Pas faux. Mais, alors, pourquoi ne pas vouloirintégrer et harmoniser progressivement les rè-gles communautaires pour donner encore plusde force au Vieux continent qui est déjà la pre-mière puissance économique et commercialemondiale ? Il faut croire que le courage poli-tique de Laurent Wauquiez a ses limites, dèslors qu’il s’agit de face aux difficultés deconstruction européenne. Par commodité, il opte pour une Europe à plusieurs vitesses, cet « entre soi » qui signifie que les riches sontvoués à vivre avec les riches, et que le reste dela population est clairement mis à l’écart. Ce qui ne l’empêche nullement, par ailleurs, de

se faire l’apôtre d’une « Europe des projets »,telle qu’elle fut imaginéepar ses fondateurs. S’appuyant sur une démarche identitaire - r a c i n e s r o m a i n e s ,grecques et surtout (sic) chrétiennes -, son discours trouve ici unecohérence bien singu-lière, proche de celle de la droite la plus radi-cale, ou du discours du Latran…

Mais, l’un des principaux fléaux qui s’abataujourd’hui sur l’UE, selon lui, a pour nom « Schengen ». De ce point de vue, l’auteur ne doute pas que l’Allemagne a besoin, pourassurer son développement, d’une immigrationforte, ce qui n’est naturellement pas le cas de la France. Cette démonstration conduit, tout naturellement, Laurent Wauquiez à la pré-

Balayant d’un revers de main les caciques de l’UMP, afin de nourrir son ambition

présidentielle, il a opté pour une posture, sans doute osée,

en se situant dans un « entre-deux » : ni repli

nationaliste, ni béatitudecoupable et inactive.

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férence communautaire. Et de pointer, audétour d’une phrase, la politique mise en œuvrepar son propre camp, en France et en Europe :la concurrence, toute la concurrence, rien que laconcurrence ! Aujourd’hui, 80 % des marchéspublics sont ouverts aux entreprises non com-munautaires, contre 40 % aux Etats-Unis et 10 % seulement en Chine. Par là-même, il s’attaque au primat du consommateur quinuit à la production et,bien entendu, aux sala-riés qui se retrouventfragilisés dans leursentreprises.

Petite voix. LaurentWauquiez cherche àfaire entendre sa petitevoix pour se démarquerde ses propres « amis ».Il se saisit d’un créneau politique, pas très éloi-gné au fond de celui des partis extrémistes, pourexister politiquement et prospérer. Mais, au-delàdes incantations et des critiques, point de pro-positions… Stigmatisant, au passage, tous les té-nors de l’UMP, qu’il estime sclérosés, il s’efforcede donner une image à la fois sympathique, dynamique et novatrice, tout en vilipendant les

« affaires » et en vantant la sobriété, l’intégrité,l’exemplarité des femmes et des hommes poli-tiques dans lesquels il se retrouve tout naturel-lement. « Pour refonder l’Europe, il faut d’abordréformer la France, pour une égalité absolue etplus de liberté », résume-t-il.

Rousseau estimait que « le premier et le plusgrand intérêt public esttoujours la justice » etque cette même justiceest la juste répartitiondes richesses. Ce quenous propose LaurentWauquiez s’éloigne sin-gulièrement de cesprincipes. En martelantun hymne permanentaux libertés de l’entre-prise, il en oubliel’essentiel, celui qui

mérite toute l’attention et qui forme, depuis plusde deux siècles, le socle même de notre Répu-blique : le peuple, organisé et structuré autourdes valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité etde laïcité. Ces principes-là ne peuvent se résu-mer à la libre entreprise, sans gène et sansreproches. O.B.

Il se saisit d’un créneaupolitique, pas très éloigné au fond de celui des partis

populistes, pour existerpolitiquement et prospérer.

Mais, au-delà des incantationset des critiques, point

de propositions…