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Regards sur la droite 22 avril 2014 - n° 38 Lettre éditée par la cellule Veille et Riposte du Parti socialiste Édito NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 1 Être ensemble Chacun d’entre nous est convaincu de l’importance du moment. Il en va, en eet, de savoir, si le Parti socialiste peut trouver les moyens de renouer le fil avec les Françaises et les Français de gauche. Cela dépend évidemment, en large part, des politiques mises en œuvre par le gouverne- ment. Mais, pas seulement. Dans les périodes diciles pour le pays - et nous sommes dans l’une d’entre elles -, il compte beaucoup d’être une force unie qui ore des points de repères pour une opinion dans le doute. Léon Blum, dans À l’échelle européenne, écrivait que si les Français ne s’étaient pas tournés vers la SFIO, en 1939, c’est qu’elle ne proposait aucun message clair, trop di- visée pour le faire. Et, dans ce cas là, il ne faut pas penser que la solution per venir de nos adver- saires, la droite et l’extrême droite, en l’occurence. Car notre électorat attend, avant tout, de connaître ce que nous voulons et disons pour nous-mêmes. La droite, d’ailleurs, se garde bien de présenter un projet cohérent, quel qu’il soit. Elles attend - comme aux élections municipales - de tirer les di- videndes de sa situation dans l’opposition. Combattre la droite et l’extrême droite, aujourd’hui, demande avant tout d’être au clair avec nous même, pour montrer que nous ne sommes pas seulement un conglomérat de points de vue et d’intérêts particuliers, mais que nous sommes le Parti socialiste, inscrit dans l’histoire de ce pays, force indispensable pour son équilibre et son avenir. Nous pouvons évidemment débattre de telle ou telle mesure ou réformes annoncées. C’est le rôle des parlementaires et du parti qui ne peuvent pas être dans le seul commentaire. Mais, il ne faut pas perdre de vue le cadre dans lequel nous de- vons agir. Il a été fixé dès la campagne présidentielle : réduire les déficits publics - dont l’augmen- tation réduirait encore plus les possibilités d’action de l’État -, reconstruire une force industrielle, en stimulant l’innovation, réduire les inégalités et redonner une forte impulsion à la mobilité so- ciale. Personne ne peut contester sérieusement que politique de la demande et politique de l’ore doivent se mêler pour avoir la possibilité de renouer avec la croissance. Cela demande assurément un équilibre délicat entre ces trois objectifs - dont les termes doivent être régulièrement ajustés. Ce que l’on doit demander aux socialistes (à tous les socialistes) est de contribuer à remplir ces objec- tifs étroitement liés entre eux. Pour palier les manques de l’Union européenne et entraîner les autres gouvernements à donner une ampleur - aujourd’hui bien insusante - à une capacité de crois- sance, l’économie française doit être renforcée et les divisions de notre société réduites. Tout est lié. Ce que l’on doit espérer et demander aux socialistes est de défendre dans la bataille de l’opinion une vision d’ensemble claire. Ce serait une erreur de séparer les questions et, par exemple, à la veille des élections européennes, de laisser penser que tout se joue seulement dans l’Union européenne. Redéfinir le calendrier de la construction budgétaire, prévue par les traités, et surtout mettre des moyens communs pour des investissements d’avenir ne dispense pas de réaliser les réformes de structure dont nous avons besoin. Nous réunir autour d’un projet commun qui permet de comprendre ce que nous faisons et où nous allons est une condition pour redevenir une réfé- rence dans l’opinion et organiser le débat public. Ne laissons pas la droite rester dans l’ambiguïté, alors qu’elle est divisée sur la notion même de construction européenne, qu’elle refuse de faire un inventaire clair de ce qui ne fonctionne pas dans l’Union européenne (comme nous le faisons), que ses alliances lui interdisent de dire qu’elle a une quelconque volonté de réécrire le cours de la construction européenne. Nous pouvons mener un combat oensif si, du moins, nous savons le menser ensemble. Alain BERGOUNIOUX

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22 avril 2014 - n° 38

Lettre éditéepar la cellule Veille et Ripostedu Parti socialiste

Édito

NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 1

Être ensemble

Chacun d’entre nous est convaincu de l’importance du moment. Il en va, en effet, de savoir, si leParti socialiste peut trouver les moyens de renouer le fil avec les Françaises et les Français degauche. Cela dépend évidemment, en large part, des politiques mises en œuvre par le gouverne-ment. Mais, pas seulement. Dans les périodes difficiles pour le pays - et nous sommes dans l’uned’entre elles -, il compte beaucoup d’être une force unie qui offre des points de repères pour uneopinion dans le doute. Léon Blum, dans À l’échelle européenne, écrivait que si les Français nes’étaient pas tournés vers la SFIO, en 1939, c’est qu’elle ne proposait aucun message clair, trop di-visée pour le faire. Et, dans ce cas là, il ne faut pas penser que la solution per venir de nos adver-saires, la droite et l’extrême droite, en l’occurence. Car notre électorat attend, avant tout, de connaîtrece que nous voulons et disons pour nous-mêmes. La droite, d’ailleurs, se garde bien de présenterun projet cohérent, quel qu’il soit. Elles attend - comme aux élections municipales - de tirer les di-videndes de sa situation dans l’opposition.

Combattre la droite et l’extrême droite, aujourd’hui, demande avant tout d’être au clair avec nousmême, pour montrer que nous ne sommes pas seulement un conglomérat de points de vue etd’intérêts particuliers, mais que nous sommes le Parti socialiste, inscrit dans l’histoire de ce pays,force indispensable pour son équilibre et son avenir. Nous pouvons évidemment débattre de telleou telle mesure ou réformes annoncées. C’est le rôle des parlementaires et du parti qui ne peuventpas être dans le seul commentaire. Mais, il ne faut pas perdre de vue le cadre dans lequel nous de-vons agir. Il a été fixé dès la campagne présidentielle : réduire les déficits publics - dont l’augmen-tation réduirait encore plus les possibilités d’action de l’État -, reconstruire une force industrielle,en stimulant l’innovation, réduire les inégalités et redonner une forte impulsion à la mobilité so-ciale. Personne ne peut contester sérieusement que politique de la demande et politique de l’offredoivent se mêler pour avoir la possibilité de renouer avec la croissance. Cela demande assurémentun équilibre délicat entre ces trois objectifs - dont les termes doivent être régulièrement ajustés. Ceque l’on doit demander aux socialistes (à tous les socialistes) est de contribuer à remplir ces objec-tifs étroitement liés entre eux. Pour palier les manques de l’Union européenne et entraîner les autresgouvernements à donner une ampleur - aujourd’hui bien insuffisante - à une capacité de crois-sance, l’économie française doit être renforcée et les divisions de notre société réduites.

Tout est lié. Ce que l’on doit espérer et demander aux socialistes est de défendre dans la bataille del’opinion une vision d’ensemble claire. Ce serait une erreur de séparer les questions et, par exemple,à la veille des élections européennes, de laisser penser que tout se joue seulement dans l’Unioneuropéenne. Redéfinir le calendrier de la construction budgétaire, prévue par les traités, et surtoutmettre des moyens communs pour des investissements d’avenir ne dispense pas de réaliser lesréformes de structure dont nous avons besoin. Nous réunir autour d’un projet commun qui permetde comprendre ce que nous faisons et où nous allons est une condition pour redevenir une réfé-rence dans l’opinion et organiser le débat public. Ne laissons pas la droite rester dans l’ambiguïté,alors qu’elle est divisée sur la notion même de construction européenne, qu’elle refuse de faire uninventaire clair de ce qui ne fonctionne pas dans l’Union européenne (comme nous le faisons), queses alliances lui interdisent de dire qu’elle a une quelconque volonté de réécrire le cours de laconstruction européenne. Nous pouvons mener un combat offensif si, du moins, nous savons lemenser ensemble.

Alain BERGOUNIOUX

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Populismes : la faute à l’Europe ?

Le déjeuner « Europe » de l’Express a réuni, le 9avril dernier, Anne Houtman, Chef de la Repré-sentation, en France, de la Commission euro-péenne, Jean-Daniel Levy, Directeur dudépartement politique et opinion d'Harris Inter-active, Jean-Yves Camus, Chercheur associé àl'Institut de relations internationales et straté-giques (IRIS), Geoffroy Lejeune, Rédacteur-en-chef adjoint politique à Valeurs Actuelle, etEduardo Rihan Cypel, député de Seine-et-Marne.Nous en donnons un compte-rendu analytique,compte tenu de l’importance du sujet sur lesthèmes principaux.

L’une des raisons qui expliquele désamour des français vis-à-vis de l’Europe résulte d’une dif-férence culturelle : l’Union seconstruit sur des compromis, ce qui peut heurter nos conci-toyens.

Défiance. En préambule, Jean-Daniel Levy es-time que le discours sur la crise, perdure depuisles années 70, avec le choc pétrolier, avant deressurgir, en 1992, à la faveur du vote sur Maas-tricht, puis, en 2008, avec la crise financière.Maastricht fut une promesse d’en finir aveccette déclaration de la crise. La mise en place dela Monnaie unique se voulait une démarche po-sitive et volontariste, annonciatrice de joursmeilleurs, une seconde étape féconde, syno-nyme de croissance et de progrès. Vingt-deuxans après, il n’y a pourtant toujours pas de res-senti ou d’affect positif. Pis, on ne perçoit plusque les points négatifs ou ce que l’Europe n’estpas. Les alertes ne fonctionnent pas ou sontinexistantes, les normes sociales, protectrices,sont insuffisantes du projet européen, pour peuque l’on se réfère aux évènements survenus àLampedusa ou Ceuta, tandis que l’absence depolitique migratoire est flagrante. Quant au pro-jet d’adhésion de la Turquie, il met en lumièrel’absence de politique culturelle commune,

alors que le rôle du Luxembourg montre lemanque de cohérence financière.L’une des raisons qui explique le désamour desfrançais vis-à-vis de l’Europe résulte d’une diffé-rence culturelle : l’Union se construit sur descompromis, ce qui peut heurter nos conci-toyens. Les Français idéalisent leur modèle so-cial, fondé sur la solidarité, et ne saisissent pastoujours pourquoi l’UE n’y puise pas son inspi-ration. D’où un sentiment de défiance grandis-sant à l’égard de Bruxelles, qui agite les peurs :65 % de nos concitoyens rendent ainsi l’institu-tion européenne responsable de l’austérité quitouche le pays - 70 % sont issus des couchespopulaires -, quand 22 % des personnes inter-rogées pensent qu’elle joue un rôle positif pourl’emploi. Les Français ne souhaitent pas, pourautant, une sortie de l’Europe, même s’ils esti-ment qu’elle ne les protège pas assez.

Modèles populistes. Dans la foulée, Jean-YvesCamus évoque les populismes, en Europe. Dequoi s’agit-il ? D’une pratique politique qui n’estpas idéologique, le bon sens populaire, en op-position aux élites qui captent le pouvoir. Sepose aussi la question sur la méthode : doit-onvaloriser la démocratie représentative ou di-recte, comme en Suisse, où le peuple est appeléà s’exprimer largement ?Les populismes épousent des formes très hété-rogènes. Au sein de l’Union européenne, ils s’ex-priment surtout au regard du fonctionnementde l’institution, sans base identitaire. Et le poli-tologue de distinguer le populisme des extrêmes droites. Lesquelles ont considérable-ment évolué, en s’adaptant aux mécanismespolitiques, après les avoir rejetés. Certains grou-puscules restent toutefois confinés dans la cul-ture du rejet et militent pour une sortie del’Europe, quand d’autres se disent ouvertement« pro-européens », mais en se référant à desbases historiques et identitaires (religieuses etsociales). Dans d’autres cas de figure, l’Europefédéraliste se justifie par des considérations eth-niques ou des aires régionalistes, à l’image dela Ligue lombarde, sous la forme de coopéra-tions. Il existe aussi des anti-européens souve-

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rainistes, non assimilables à l’extrême droite,comme en Grande-Bretagne (UKIP) ou en Alle-magne (AFD), parce qu’ils réfutent le racismeou l’antisémitisme, même s’il en va différem-ment dans leurs électorats.Eduardo Rihan Cypel apporte son propre éclai-rage sur la situation politique française, aprèsles municipales des 23 et 30 mars derniers. LaFrance est entrée dans une crise aigue en2008, qui n’est pas sans rappeler celle de 1929.Hausse du chômage et crise financière sont lessymptômes d’une absence de régulation. Il y adonc urgence à penser l’après-crise et à définirdes outils appropriés. L’Europe doit être cecadre d’émancipation et de progrès, auquel lescitoyens aspirent. Aujourd’hui, l’Union euro-péenne traverse une crise économique, démo-cratique et identitaire, qui ressembleétrangement, elle aussi, à celle des années 30.Or, les responsables européens ne parvien-nent pas à valoriser le patrimoine que nouspartageons en commun.S’ensuit une autre question : l’UE est-elle en ca-pacité de répondre aux aspirations citoyennes ?Elle n’est malheureusement pas perçuecomme une « puissance », capable de propo-ser des transformations et de les mettre enœuvre. Elle apparaît, en revanche, sous lestraits d’une courroie de transmission de lamondialisation, au sens péjoratif du terme, enopposition à notre modèle protecteur. La diffi-culté, pour les hommes politiques, réside dansleur incapacité à démontrer que l’UE apportedes bénéfices, à tous points de vue, à la France.Ce sentiment est de l’ordre du ressenti, et ex-prime plus un fantasme qu’une réalité.

Frilosité. Alors, que faire ? L’UE doit s’appro-prier une souveraineté économique, moné-taire, voire même intellectuelle. Pour cela, ilnous faut sortir d’un schéma de guerre écono-mique interne. À ce titre, la déclaration de poli-tique générale du Premier ministre est claire :il entend travailler à réorienter la politique eu-ropéenne, avec une finalité sociales-démo-crate, en permettant aux États de retrouver desmarges de manœuvre financières. À conditionde mettre en place une politique monétaire quiredonne au pays une réelle puissance écono-mique, en révisant le coût de l’euro à la baisse.Il nous faut trouver la bonne trajectoire, en ci-blant la baisse des déficits, car il n’est pas ques-

tion de « vivre au-dessus de nos moyens ». Etle député de Seine-et-Marne de rappeler queles premières victimes des « excès du rigo-risme » sont les populations elles-mêmes, auseul profit du populisme et d’un sentimentanti-européen.

L’UE doit s’approprier une sou-veraineté économique, moné-taire, voire même intellectuelle.Pour cela, il nous faut sortird’un schéma de guerre écono-mique interne.

Geoffroy Lejeune, Rédacteur-en-chef adjoint deValeurs actuelles, ne manque pas de rappeler,au détour d’une phrase, le positionnementidéologique de son journal : libéral et pro-eu-ropéen. Il concède, toutefois, la nécessité d’as-souplir les règles budgétaires qui, aujourd’hui,compriment les capacités des États pour sortirde la crise et renouer avec la croissance. Il re-connaît également qu’il y a urgence à « remet-tre du politique » dans le fonctionnement desinstitutions européennes. La technocratie apris trop de place et de pouvoir, concède-t-il.Avant de justifier la montée du FN dans lessondages par l’absence de discours « alter-eu-ropéen » qui permettrait au PS et à l’UMP de sedémarquer du parti frontiste. Marine Le Pen atrouvé là l’opportunité de se distinguer et d’iro-niser sur l’« UMPS ». À cette différence près quele FN modère désormais ses propos sur la sor-tie de l’UE. L’autre phénomène qui justifie cet état de faitest que ce parti cristallise les opposants autraité de Maastricht et au Traité sur la stabilité,la coordination et la gouvernance (TSCG), quine se reconnaissent plus dans la doctrine del’UMP et du PS. Ajoutons que le passage en force de Nicolas Sarkozy sur le TSCG et laperception d’un amoncellement de normes etde réglementations, perçues comme descontraintes absurdes, ne font que renforcer cesentiment. La frilosité des partis traditionnelsà évoquer des sujets clivants et tabous favo-rise la montée des populismes et laisse lechamp libre à la démagogie. Ils doivent doncs’approprier ces débats et expliquer les effets

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dévastateurs produits par l’abandon de la mon-naie unique. Il n’y a pas d’offre alternative.

Responsabilité partagée. Anne Houtman, repré-sentante de la Commission européenne et initia-trice du débat, voit dans le populisme un termeplutôt neutre, sémantiquement, mais qui suscitedes peurs, exploitées par le biais de mensongesvolontaires, proposant souvent des solutions far-felues. Une véritable menace pour la démocratie,justifie-t-elle. Il y a, bien-sûr, une responsabilité del’UE, mais elle est partagée avec les États del’Union.

Non, il n’y a pas de concurrenceentre l’UE et la France. Pas plusqu’on ne perd son identité, dèslors qu’il est question de mobilitéintra-européenne, ou que l’euroserait responsable de la perte decompétitivité !

En France, il n’y a pas d’homogénéité en termesde messages, au sein des partis traditionnels, ren-chérit-elle. Avant de préciser qu’en séance, àBruxelles ou Strasbourg, de réels clivagesgauche/droite se font jour, qui s’estompent ensuiteà l’échelle nationale. Et d’insister sur la nécessitéde tordre le coup à certains fantasmes qui mettentà mal l’idée européenne. Non, il n’y a pas deconcurrence entre l’UE et la France. Pas plus qu’onne perd son identité, dès lors qu’il est question demobilité intra-européenne, ou que l’euro serait res-ponsable de la perte de compétitivité !Les politiques rendent trop facilement l’UE respon-sable des maux propres à ses pays-membres. EtAnne Houtman de citer la directive des travailleursdétachés, dont l’ambition est de lutter contre le

dumping social. Si cette directive ne répond pasaux attentes, c’est qu’elle est mal appliquée et queles contrôles que devraient effectuer les pouvoirsfrançais restent insuffisants, estime-t-elle.Le populisme se nourrit, par ailleurs, du fonction-nement même des outils démocratiques de l’UE :le compromis politique est la base de toute déci-sion politique, ce qui est en totale contradictionavec nos pratiques, en France.

Politiser le débat. En écho, Eduardo Rihan Cypelmet en garde contre le fonctionnement autocra-tique de la Commission, qui, à terme, peut mettreà mal notre appétence pour l’UE. Prenant pourexemple la question énergétique, il appelle à unapprofondissement politique de l’UE, dont les ins-titutions doivent être rénovées et améliorées. AnneHoutman rétorque que les traités, directives et au-tres négociations menées par la Commission lesont sous l’égide du Parlement et des États-mem-bres, et qu’il est aisé de la critiquer. Un débat s’ensuit sur la négociation du traitétransatlantique qui, à en croire l’intéressée, se ré-sume à une harmonisation des normes pour uneréduction des coûts induits par les contrôles effec-tués par l’UE et les États-Unis. Le parlementaire so-cialiste veut croire que l’Union à tout intérêt àprotéger ses intérêts économiques et à construirede grands groupes à même de défier les Améri-cains et de gagner des parts de marché. AnneHoutman reconnaît un déficit de communication.Dans les pas d’Eduardo Rihan Cypel, Geoffroy Le-jeune insiste sur la nécessité de poser le débat etde ne pas occulter l’idée selon laquelle les Françaiss’interrogent sur l’action de la Commission. En conclusion, Anne Houtman admet la nécessitéde se livrer à un gros effort de communication,pour faire connaître et valoriser l’action de l’UE etde la Commission, en particulier. Il faut politiserles débats, résume-t-elle. Une des réponses à lamontée des populismes ?

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DÉCRYPTAGE & DÉBATS

« Les déceptions à répétition, dans un tempscourt, entraînent et alimentent la défiancepolitique »

Pascal Perrineau est professeur

à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP). Spécia-liste de sociologie électorale, il a été le directeur duCEVIPOF, le Centre de recherches politiques deSciences Po Paris, entre 1991 et 2013.

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Comment comprendre ce qui provoque, actuel-lement, une démobilisation de l’électorat degauche ?L’abstention a deux visages : il y a, d’abord, l’abs-tention sociologique qui touche au premier chefles électeurs qui se situent en bas de l’échelle sociale, issus, pour certains d’entre eux, de l’immi-gration. Ils sont souvent mal intégrés, économi-quement et socialement, parfois même,culturellement. Ils se sentent très éloignés de l’uni-vers politique et se gardent d’aller voter. Cet absten-tionnisme sociologique est incompressible. À cela, s’ajoute un abstentionnisme politique, quiest apparu depuis une dizaine d’années. Ceux quil’incarnent entendent adresser un message de dé-fiance vis-à-vis de la classe politique. Ce qui ne si-gnifie pas, pour autant, qu’ils ne s’intéressent pasà la chose publique. Mais, ils n’ont plus confiancedans leurs représentants, quels qu’ils soient. Tant

et si bien qu’ils hésitent entre l’abstention et le voteprotestataire. La poussée du Front national n’estpas étrangère à ce phénomène. Ce parti peutmême y puiser des réserves. Le PS et les grandes forces de gouvernement doi-vent donc trouver les moyens de remobiliser cettepartie de l’électorat perdue qui voit dans le retraitdes urnes un moyen de pression. Le verbe est im-portant, mais il faut aussi des résultats ! Ce, d’au-tant plus que le temps politique s’est accéléré avecla réforme du quinquennat. Après la présidentiellede 2007, les électeurs ont vite été déçus pas NicolasSarkozy. Ils ont éprouvé le même sentiment aprèsl’élection de François Hollande, en 2012. Ces déceptions à répétition, dans un temps court,entraînent et alimentent la défiance. Au point quela tentation frontiste prend force et vigueur chezcertains, quand d’autres décident, purement etsimplement, de se retirer du jeu politique. Tout ceci

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tend à s’accélérer. Tant et si bien que dans unepériode resserrée, transparaissent l’espoir d’unchangement et la déception générée par les pro-messes non tenues, l’échec de l’inversion de lacourbe du chômage ou la hausse du pouvoird’achat. Ce qui se traduit par un retour électoralextrêmement vigoureux. Le sociologue Jean-Louis Missika assimile cela à une « politisationnégative ». En clair, les Français reviennent à lapolitique pour en découdre. Les municipalesétaient, de ce point de vue, des élections mar-quées par un sentiment de colère.

Au Parlement, les différentes coalitions réunissent la droitemodérée, le Centre et le Parti socialiste européen (PSE) qui ont organisé des alternances au sein de ladite assemblée.Quelle majorité gouverne peuou prou l’Europe, depuis plu-sieurs décennies, si ce n’est la coalition des centres ?

Pensez-vous que la campagne électoralepour les élections européennes traduise uneopposition entre la droite et la gauche, au re-gard de la construction européenne ?Le problème n’est pas simple, d’autant que lesenjeux européens ne peuvent se réduire à unecompétition entre la droite et la gauche. Au Par-lement, les différentes coalitions réunissent ladroite modérée, le Centre et le Parti socialiste eu-ropéen (PSE) qui ont organisé des alternancesau sein de ladite assemblée. Quelle majorité gou-verne peu ou prou l’Europe, depuis plusieurs dé-cennies, si ce n’est la coalition des centres ? Latâche n’est donc pas facile. Le référendum de2005 a d’ailleurs vu le Parti socialiste se diviserentre les partisans du « oui » et du « non ». Il y acertes un regard de droite et de gauche sur l’Eu-rope, mais la réalité est plus complexe qu’il n’yparaît au premier abord. À gauche, cette visionest très diversifiée entre le Parti socialiste et leFront de Gauche. Le constat vaut également pourla droite où des différences profondes se font

jour entre l’UMP, l’UDI et le FN. Il n’est donc pas simple de faire revivre la bipo-larisation gauche-droite, dans le cadre de l’élec-tion européenne. Au regard des premièresenquêtes menées au sein des 28 pays-membres,on dénote une préoccupation générale vis-à-visde la montée des mouvements populistes issusde l’extrême droite et de la gauche radicale quiremettent en cause l’idée même de la construc-tion européenne. D’une certaine manière, les Eu-ropéens, de droite et de gauche, se sententmenacés par cette poussée populiste qui prenddes proportions particulièrement impression-nantes. Que ce soit aux Pays-Bas, en Autriche, enItalie ou en Hongrie, l’inquiétude est palpable.Les six pays fondateurs sont eux-mêmes tou-chés par ce phénomène.

Y a-t-il lieu de craindre une poussée des par-tis populistes, en France et en Europe ?Les élus qui se réclament de mouvements popu-listes seront beaucoup plus nombreux à siégerau Parlement qu’ils ne l’étaient auparavant. J’ob-serve, cependant, que ces courants nationalisteséprouvent de réelles difficultés à se fédérer. Il estdéjà très difficile de réunir une Internationale desinternationalistes - les communistes l’ont expé-rimenté dans le passé -, et plus compliqué en-core de parvenir à une internationale desnationalistes. Les députés issus des rangs du FNfigurent d’ailleurs parmi les non-inscrits, quandd’autres parlementaires nationalistes et popu-listes se rangent derrière les groupes souverai-nistes. Je ne doute pas qu’ils auront du mal à seretrouver et à peser dans le processus de déci-sion européen.

Peut-on encore se permettre de confondreréflexe nationaliste et démarche souverai-niste ?Il faut être nuancé. Derrière le souverainisme,transparaît un réflexe national et parfois mêmenationaliste. Mais, il ne faut pas tout mettre dansle même sac. La droite et la gauche renfermentdes sensibilités souverainistes qui ne se nourris-sent pas d’un nationalisme exacerbé et d’unehaine du processus de construction européenne.Ces gens-là se reconnaissent dans une Europedes nations, et rien d’autre. Avec une approchefondamentalement différente de celle des natio-nalistes ultras qui préconisent l’arrêt ou la sortie

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du processus européen. Le combat politiquegagne toujours à être précis, en se gardant degénéralités tendant à assimiler les courantssouverainistes et nationalistes.

Quels sont les thèmes qui, selon vous, peu-vent mobiliser utilement les électeurs à laveille de cette campagne européenne ?Ceux qui croient dans le processus de construc-tion n’ont rien à gagner à voir l’Europe s’étioler.Trop souvent, à droite comme à gauche - la dé-mocratie chrétienne et ses héritiers, d’un côté,les socio-démocrates et les socialistes, de l’au-tre -, le sens de la fierté de l’Europe a disparu.Où sont les Jacques Delors, François Mitter-rand, Valéry Giscard d’Estaing et Simone Veil,qui, au-delà de leurs différences politiques,n’assimilaient pas l’Union à un poids ou unecontrainte, mais à l’avenir, l’une des dernières

utopies concrètes que nous pouvons collecti-vement partager ? N’ayons plus l’Europe hon-teuse. Et cessons de la transformer enbouc-émissaire de nos difficultés, un processusdont le seul effet a été de renforcer l’euroscep-ticisme et l’europhobie. Je suis frappé, en parcourant les enquêtes, deconstater à quel point l’Europe n’est plus consi-dérée comme une protection du point de vuede ses détracteurs, alors qu’elle a longtempsservi de bouclier contre la guerre et la pauvreté.Une majorité de personnes interrogées enFrance considère, aujourd’hui, qu’elle ne faitqu’aggraver les effets de la crise économique.Il y a donc un important travail pédagogique àmener dans ce domaine, en montrant que l’UEpeut assurer notre bien commun, jusqu’aux li-mites de nos frontières. Positivons l’Europe !

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Contexte. À l’UMP, il y a les fédéralistes, favora-bles à un « fédéralisme » européen, autour ducouple franco-allemand, et les eurosceptiquesqui ont voté « non » lors du référendum euro-péen. Les plus réfractaires se trouvent du côtéde la Droite populaire, dont le chef de file,Thierry Mariani, a longtemps menacé de consti-tuer une liste dissidente pour peu que son partireprenne à son compte la proposition de « fé-dération franco-allemande » chère à Jean-PierreRaffarin et Luc Chatel. De son côté, Henri Guainorefuse de soutenir la candidature d’Alain La-massoure, tête de liste UMP en Ile-de-France, aumotif qu’il représente une ligne fédéraliste qu’ilne soutient pas.

Au-delà d’un discours minima-liste, fondé sur une référencefloue à l’unité, et la nécessité depolitiques commerciales et fis-cales communes, aucune pro-position innovante n’apparaît,à l’UMP, puisque le débat entrefédéralistes et souverainistesest délibérément éludé.

En l’état, le document qui fait office de référenceau sein de la famille Umpéiste, est issu des Étatsgénéraux de la conquête, rendu public en mai2013. Avec, pour thème principal, l’Europe, saconstruction et l’axe franco-allemand qui en estle moteur. Faute d’accord sur le schéma institu-tionnel de l’Europe, la copie rendue est dépour-vue de la moindre avancée.Globalement, tous les courants soutiennent lesprincipes majeurs de la construction euro-péenne. Ils défendent, notamment, la PAC, ainsique l’euro, se démarquant, de ce point de vue,

de l’extrême-droite et de ses préconisations surle sujet. Ils assument tous, implicitement, lebilan européen de Nicolas Sarkozy, et son inca-pacité à infléchir le cours des évènements, poursortir le continent de la crise.L’idée de réorienter la construction européennen’apparaît guère dans le discours de l’UMP. Enrevanche, la nécessité de s’aligner sur le mes-sage et l’action du PPE, majoritaire au sein duParlement européen, est clairement exprimée.En clair, le principal parti d’opposition aligneson discours sur les crédos du conservatismeeuropéen, qu’il s’agisse de la majorité du Parle-ment de Strasbourg, ou de celle des Chefs d’Etatet de gouvernement. Aucune critique des déci-sions prises n’émerge. Seule l’action euro-péenne du Président de la République est lacible de critiques répétées, au motif qu’il préco-nise des corrections de tir et d’orientation, afinde redonner un espoir dans, et en Europe.

Divergences. Au-delà d’un discours minima-liste, fondé sur une référence floue à l’unité, etla nécessité de politiques commerciales et fis-cales communes, aucune proposition inno-vante n’apparaît, à l’UMP, puisque le débat entrefédéralistes et souverainistes est délibérémentéludé.Des désaccords transparaissent, toutefois, à la lecture des textes des différents courants de l’UMP. Au-delà de l’hymne à l’unité dont seprévalent ses dirigeants et de l’appel au renfor-cement de l’axe franco-allemand, dont onignore d’ailleurs tout du contenu politique, deslignes de clivages se dessinent. Le courant « centriste », dominé par la démocrate chré-tienne, et incarnée par Jean-Pierre Raffarin, etson courant « humaniste », prône le fédéra-lisme et la marche vers une Europe politique in-tégrée et assumée. À cette tendance, la traditionRPR et souverainiste, incarnée par la « droite po-pulaire » et « la droite sociale », oppose une vi-

Vu dans la presse…

UMP : une absence de projet clair

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sion plus radicale, consistant à refuser tout trans-fert ou partage de souveraineté, à l’échelle euro-péenne. Et, surtout pas, dans un cadrefranco-allemand intégré ! L’hypothèse fédérale estvécue ici comme une menace pour l’identité na-tionale. L’hostilité à la notion d’Europe politiquetransparait nettement. Elle s’exprime même à tra-vers un regret rétrospectif de l’élargissement del’Union européenne, à l’est.Pour l’heure, l’UMP refuse de trancher entre lesdeux écoles. Elle prend appui sur le projet im-primé par le PPE, dont les résultats ne laissentguère de place au doute : croissance en berne,chômage massif, moins-disant fiscal, silence gênésur les dérives autoritaires observées dans cer-tains pays membres de l’UE comme la Hongrie,impuissance en matière de Défense et de diplo-matie. Un schéma qui a clairement échoué etconduit à un dangereux affaissement de l’espriteuropéen, dans l’ensemble de l’Union, associé àla montée des populismes et des nationalismes.

Expressions. C’est peu dire que l’UMP part diviséeaux européennes. Laurent Wauquiez et XavierBertrand durcissent leur discours, prenant ainsileurs distances avec la politique menée lors duprécédent quinquennat. Le premier réclame ainsiun changement radical, dans un livre qu’il vientde publier. Dans le JDD du 13 avril, le second ma-nifeste son exigence, avant de rappeler qu’il avaitvoté « non » à Maastricht. S’ils se prétendent l’unet l’autre pro-européens, ils n’en fustigent pasmoins les politiques menées à Bruxelles. Ce quivaut à Wauquiez de prôner un recentrage de l’Eu-rope, avec fiscalité rapprochée et politique degrands travaux (L’Est Républicain, 10 avril). Il ré-clame, par ailleurs, une sortie de l’espace Schen-gen, pour mieux contrôler l’immigration, et unréférendum pour que les Français donnent qui-tus. Enfin, le député de la Haute-Loire s’en prendtrès directement au couple franco-allemand, dontil faisait pourtant l’apologie, dans une tribune co-signée, il y a un an, avec Bruno Le Maire. Mêmeson de cloche chez Xavier Bertrand, qui accuse lesdeux pays d’empêcher d’avancer sur une autrepolitique de la Banque centrale européenne.

Ce « chacun pour soi » se nourrit des expressionsles plus contradictoires. « La relation franco-alle-mande s’impose plus que jamais à nous », dé-fend ainsi, dans L’Opinion, Alain Lamassoure, têtede liste en Île-de-France, quand Jean-FrançoisCopé se situe au-dessus du clivage, dans la pos-ture du rassembleur. Quant à Henri Guaino, il adéjà prévenu qu’il ne soutiendra pas la campagnemenée par Lamassoure. Lui-même si déclared’ailleurs partisan d’une Europe des nations.Ce qui vaut à l’UMP de suivre une ligne médiane,en cherchant la synthèse entre les partisans du « oui » et du « non » au référendum de 2005 (LeMonde, 5 avril). Le mot d’ordre de la campagnesera donc l’« euroréalisme », avec l’idée selon la-quelle les futurs eurodéputés devront avant toutdéfendre les intérêts nationaux. Et l’objectif de na-tionaliser les débats, en capitalisant sur le rejet an-tigouvernemental.Quand Baroin demande à Sarkozy de sortir dubois, l’ex-ministre des Affaires européennes,Bruno Le Maire, estime inutile que l’ancien hôtede l’Élysée intervienne dans le débat à l’UMP, au-tour des élections du 25 mai, réfutant qu’elles di-visent son parti (AFP, 14 avril). Ce n’est pas l’avisde Xavier Bertrand qui critique, dans Le journaldu dimanche en date du 13 avril, l’idée d’un axefranco-allemand intangible. « L’Europe Merkozy,ça ne marche pas », confie-t-il, en taclant Sarkozy,infatigable défenseur du tandem.

Ce qu’il faut retenir des positions actuelles del’UMP :

- une grande confusion et des oppositions peuconciliables ;

- un refus de faire un inventaire clair de ce quifonctionne ou ne fonctionne pas dans l’Union eu-ropéenne, aujourd’hui ;

- un silence sur les alliances européennes – le PPFest rarement évoqué – qui dit une volonté de nepas réorienter le cours de la construction euro-péennes.

NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 9