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31 octobre 2015

Je tourne la tête, adresse un léger signe de main à la foule qui m’acclame. Je me sens toujoursaussi mal à l’aise devant cette ferveur. Je remets mon sac sur mon épaule et monte dans le bus ensaluant une dernière fois.

Je m’installe à ma place – toujours la même depuis près de vingt ans maintenant – et sors montéléphone de ma poche. Aucun message. Aucun appel manqué. Rien. Je me passe fébrilement unemain sur le visage.

Respire…Je dois faire le vide, ne pas penser à tout ça, mais je n’y arrive pas. C’est plus fort que moi. Il

n’y a qu’elle qui occupe mes pensées.Mon père me disait toujours : « La vie est une question de choix. Certains te feront avancer et

d’autres te hanteront. »Et elle, elle me hante…

Juin 2000

Je gare la voiture dans l’allée et fronce les sourcils en voyant des gamins courir partout en setirant dessus devant la maison avec des pistolets à eau.

Super ! Le premier week-end que je m’accorde depuis des lustres et je vais devoir me farcir unebande d’ados.

Je sors de la voiture, attrape mon sac de sport dans le coffre et me dirige vivement vers leportail. Dès que je passe le porche, j’inspire une grande bouffée d’air, ferme les yeux, et mes lèvress’étirent en un grand sourire.

Je suis enfin chez moi…– Salut mon grand ! me lance ma mère en s’essuyant les mains sur un torchon.Pour toute réponse, je lui souris et me baisse pour la laisser me faire une légère bise.– Tu es de plus en plus petite, je lui lance pour la taquiner.Elle rit et me tape sur l’épaule.– Je t’ai trop aimé quand tu étais petit et voilà le résultat, tu es gigantesque !

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– Je vais aller poser mon sac dans ma chambre.– Très bonne idée, mets-moi ton linge dans la panière, je le laverai plus tard.– Bien, je réponds en me dirigeant vers le couloir. Et ils sont là jusqu’à quand les amis de

Cassandra ?– Je ne sais pas, je crois qu’ils sortent ce soir, dit ma mère en haussant les épaules comme pour

s’excuser.Une soirée ?! J’espère qu’ils ne vont pas s’attarder ici…Pourquoi je ne suis pas resté chez moi déjà ? Ah oui, j’avais besoin de souffler avant mon match

contre l’Angleterre !J’ouvre la porte de ma chambre et m’arrête net.– Cassandra ! je crie en voyant ma petite sœur en train de se faire peloter sur mon lit.– Marc ! hurle-t-elle, surprise, en cachant sa poitrine.Le merdeux sur le lit me regarde les yeux ronds. Ni une ni deux, je jette mon sac et l’attrape par

le col. Je le soulève d’une main et le traîne jusqu’à la porte d’entrée malgré les protestations de masœur.

– Mais que se passe-t-il ici ? intervient ma mère en regardant tour à tour Cassandra en pleurs,son petit copain à moitié débraillé et mon regard de tueur.

– Je raccompagne l’ami de Cassandra, je réponds entre mes dents en jetant l’autre sur le perron.Il ne demande pas son reste, attrape sa bicyclette et s’enfuit. Ma sœur tente de le rattraper en

courant, en pleurant… Elle hurle son nom, encore et encore… Mais il ne lui adresse même pas unregard.

– Au risque de me répéter, que s’est-il passé ? redemande ma mère en se dirigeant vers ma sœurà genoux sur le goudron en train de verser toutes les larmes de son corps.

– Je les ai trouvés en train de se bécoter sur mon lit. Voilà ce qu’il s’est passé ! je crie.Ma mère laisse échapper un « oh » de surprise avant de souffler doucement :– Un peu de fierté, ma fille, quand même ! Relève-toi…Cassandra se lève, la tête haute, et me fixe, furieuse.– Pourquoi tu as fait ça ? On ne faisait rien de mal ! hurle-t-elle.– Rien de mal ? Il avait les mains sur tes… (Je mime, n’arrivant pas à parler des trucs de ma

petite sœur). Et sa bouche était tellement collée à la tienne que je me demande comment tu arrivaisencore à respirer !

– Genre, toi, tu n’as jamais amené de filles dans ta chambre !– Mais tu n’es qu’une gamine !– J’ai dix-sept ans !– C’est bien ce que je dis !– Cassandra, demande à tes amis de partir maintenant. Tu es punie, ordonne ma mère.– Quoi ? Et ma soirée alors ?!– Elle est annulée. Non seulement tu as laissé tes amis seuls dans le jardin mais en plus ton père

et moi t’avions interdit d’amener des garçons dans ta chambre.– Mais pas dans celle de Marc ! répond-elle du tac au tac.– Ne joue pas sur les mots, jeune fille, s’énerve ma mère.Cassandra se tourne vers moi et me lance un féroce « je te déteste ! ». Je soupire et la regarde

partir en direction du jardin. Ma mère me scrute un instant. Pourquoi j’ai l’impression que je vaisavoir droit moi aussi à un sermon…

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– Marc, Cassandra est une jeune femme maintenant. Certes, elle n’avait pas à amener un garçondans ta chambre, mais tu dois respecter aussi le fait qu’elle grandisse…

– Elle a dix-sept ans ! je la coupe.– Oui, et embrasser des garçons fait partie des choses que l’on fait à cet âge-là.– Absolument pas.Et c’est vrai que je ne faisais pas ça à dix-sept ans !– Cassandra n’est pas toi, me reprend ma mère. Tu n’as toujours été obsédé que par une seule

chose, le rugby. Mais ce n’est pas le cas de ta sœur. Ça n’excuse pas son comportement, mais ton rôlede grand frère est de l’empêcher de faire des erreurs, pas de terroriser ses copains.

– Eh bien, je joins l’utile à l’agréable. Je l’empêche de faire des erreurs en terrorisant sescopains.

– Marc, répète ma mère en secouant la tête. Cassandra est amoureuse de ce garçon depuis desmois.

– C’est un abruti !– Tu ne le connais même pas. Comment peux-tu savoir ça ?– Eh bien, je dirais, à la façon dont il s’est enfui.– Ce n’était pas une question ! Maintenant, va mettre ton linge dans la panière et plus tard, tu

iras t’excuser auprès de ta sœur.Je m’apprête à répondre mais elle me l’interdit d’un geste de la main et va rejoindre ma sœur

dans le jardin.Cassandra, une jeune femme…On aura tout entendu ! Ce n’est qu’une gamine ! Et depuis quand elle a des… Putain, j’arrive pas

à le dire ! Merde, c’est ma petite sœur et ce con avait sa langue au fond de sa gorge. J’aurais dû luitordre le cou, oui !

J’entre dans ma chambre et grimace en remarquant les draps froissés sur mon lit.Il vaut mieux que je les change, je crois… – Salut mon grand, me lance mon père depuis l’encadrement de la porte.Je lève la tête de mon livre et lui souris.– Alors, il paraît que tu as joué au videur ? demande-t-il, amusé.– Un truc dans le genre, je réponds.– Ta sœur est furieuse.– J’ai cru comprendre, vu le nombre de fois où elle a fait claquer les portes.Il s’assoit sur mon lit et regarde dans le vague.– Quand je pense qu’elle a dix-sept ans, dit-il doucement, comme s’il n’en revenait toujours pas.– À ce qu’il paraît, c’est même une jeune femme…– C’est le bruit qui court ! souffle-t-il. Et sinon, prêt pour ton grand match ?– Houla ! Ne le répète pas, mais les Anglais sont très en forme.– Nerveux ?– Un peu…– C’est ton premier match en équipe de France, il y a de quoi ! reprend-il fièrement.– Je travaille beaucoup, je ne veux rien laisser passer.– N’oublie pas de vivre, me sermonne-t-il.Il me dévisage.– Qu’est-ce que le temps passe vite, dit-il doucement. Mes enfants ne sont plus des enfants.

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– Ta fille l’est encore.– Tu parles de ce grand machin qui met des talons et du rouge à lèvres ? L’année prochaine, elle

part en prépa à Toulouse. Ta mère a raison, comme toujours, ce n’est plus une enfant…Il soupire, défaitiste. Je me demande ce que l’on ressent quand on se rend compte que ses

enfants sont devenus adultes…Apparemment on se sent vieux, me dis-je en regardant mon père.– En tout cas, j’espère que tu as faim, puisque ta mère a préparé à manger pour un régiment,

comme d’habitude, me lance-t-il en se levant.– Oui, j’arrive.Je pose mon livre sur la table de chevet et me dirige, résigné, vers la chambre de Cassandra. Je

frappe, l’entends grogner, et la porte s’ouvre sur une jeune fille… qui n’est pas du tout Cassandra.Surpris, je n’arrive pas à détacher mes yeux de ce petit bout de fille. Elle ne doit pas faire plus d’unmètre soixante et me dévisage avec ses yeux bleus. J’ai du mal à avaler ma salive. Mon regards’attarde un peu trop sur ses jambes nues. Je me demande si elle est nue ou si c’est un effet de monimagination. Je relève la tête et découvre son short en jean, son débardeur et, bon…

Il faut que je parle, je dois dire un truc…– Cassandra ne veut pas te parler, dit-elle doucement.Sa voix est d’une délicatesse incroyable.Je fronce les sourcils, finis par lâcher un « OK » d’un ton plus bourru que je n’aurais voulu et

repars dans ma chambre.Je ferme la porte et y cale mon dos en tenant la poignée.Mais qu’est-ce qu’il vient de se passer ?J’essaie de me reprendre. Je fais quelque pas et finis par me dire que j’ai été surpris, et puis

c’est tout. J’inspire un bon coup, ouvre la porte et me dirige vers la salle de bains d’un pas décidé.Un peu trop, puisque je bouscule… Non ! Pas elle !

Elle est par terre et me dévisage les sourcils froncés.Putain, qu’elle est belle…, me dis-je en restant planté au milieu du couloir alors qu’elle se

relève.– Je suis désolé, je finis par sortir en lui tendant la main alors qu’elle est déjà debout.Elle me sourit et l’attrape. Dès que ma peau entre en contact avec la sienne, un frisson me

parcourt. J’ai l’impression que la paume de ma main brûle et je la retire brusquement. Elle meregarde, surprise, et pour toute explication à mon geste, je pars en direction de la cuisine encourant… Non, en marchant vite, plutôt. Bon, OK, en courant !

– Eh bien, tu es pressé de manger, me lance ma mère en me voyant arriver à vive allure.– Oui… non… C’est qui, cette fille ? je demande, un brin désespéré.– Qui ? Charlotte ?Charlotte…, je répète en souriant.Je secoue la tête et me concentre de nouveau.– Oui, peut-être…– C’est une amie de Cassandra. Elles vont vivre ensemble l’année prochaine à Toulouse. Elle

est très timide et réservée, mais vraiment adorable.Je me sens blanchir. Une amie de Cassandra ? Ma petite sœur de dix-sept ans ?D’un autre côté, elle était dans sa chambre…Ma mère me coupe dans mes pensées.– Ça va, Marc ?

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– Oui, très bien, je réponds avec un léger sourire.Je ne veux pas m’étendre sur la question. Cette fille me trouble plus que de raison. Mais je vais

devoir passer outre. Je ne peux pas me laisser déconcentrer maintenant. Bientôt, je vais enfin pouvoirquitter le banc des remplaçants et montrer ce que je sais faire en équipe nationale. Pour la plupart desgens, il ne s’agit que d’un match amical, mais pas pour moi. À mes yeux, c’est un tremplin dans macarrière pro.

J’attrape le saladier et le dépose sur la table de la salle à manger. J’entraperçois ma sœur et sonamie s’installer. Je regarde ailleurs. Je ne veux pas que tout le monde se rende compte à quel pointelle me trouble. Je me renfrogne quand je comprends que je vais devoir me mettre en face d’elle. Lerepas commence et je reste les yeux fixés sur mon assiette. Cassandra soupire par moments afin demontrer son mécontentement, mon père et ma mère font la conversation comme si de rien n’était etCharlotte… Je suis obligé de lever légèrement les yeux pour vérifier qu’elle est toujours là tellementelle est discrète.

– En fait, j’ai pas faim. Maman, je peux retourner dans ma chambre ? demande ma sœur en nousjetant des coups d’œil agacés.

– Si tu as terminé, répond ma mère sèchement.Cassandra tire sa chaise et quitte la pièce de manière théâtrale.– Je vais voir Cassandra, dit Charlotte, avec cette même petite voix douce.Un frisson me parcourt, mais je reste super concentré sur mon morceau de tomate. Les filles

quittent la salle à manger et je reprends enfin mon souffle.– A priori, vous êtes encore fâchés avec ta sœur, dit mon père.– Oui… Non… Oui, je veux dire. J’irai m’excuser quand son amie sera partie, je réponds,

encore troublé.– Charlotte vit ici, lance ma mère à voix basse.Je lève la tête et la regarde, surpris.– Ses parents sont décédés. Elle vivait chez sa grand-mère jusqu’à récemment, mais la pauvre

femme a été hospitalisée et le pronostic des médecins n’est pas bon. Ton père et moi lui avonsproposé de rester ici, m’explique-t-elle.

– Elle n’a pas d’autre famille ?– Non, et ce qu’elle vit est très dur, alors sois gentil avec elle.– Bien sûr.Génial, je me sens super mal, je me comporte comme un vrai connard !Il faut que je m’excuse…Je soupire en me disant que ça fait beaucoup d’excuses en si peu de temps.Habituellement, je suis un garçon sympa. Je ne suis pas un gros con avec les filles,

contrairement à beaucoup de mes amis, ce qui me vaut pas mal de blagues de mauvais goût sur mestendances sexuelles. Être un hétéro qui met un point d’honneur à connaître bien les filles avec qui ilcouche semble assez étrange pour eux. Je sais que je plais aux filles mais n’en joue pas. À vingt-deuxans, je n’en ai connu que deux, et avec chacune, je suis resté assez longtemps pour appeler ça desrelations.

Je termine mon repas, gêné, mais plus pour les mêmes raisons qu’au départ. Cette fille vit desmoments difficiles et, simplement parce qu’elle est jolie, je me comporte comme un abruti ! C’estvrai qu’elle est jolie, mais après tout, j’en connais plein des jolies filles… Il n’y a aucune raisonpour que je me mette dans un état pareil.

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J’aide mes parents à débarrasser et décide de prendre un peu l’air. Je sors et la vois, assise aubord de la piscine. Elle remue les pieds dans l’eau et s’arrête dès qu’elle m’aperçoit. Elle me scrutede ses yeux bleus et, pendant un instant, je me demande s’ils ont plus la couleur de l’eau ou du ciel.Elle détourne la tête et regarde ses pieds d’un air absent. Je grimace en me disant que je n’arrangerien à la situation. Je me mords l’intérieur de la joue comme pour me ramener sur Terre etm’approche d’elle.

– Je suis désolé pour mon attitude.Elle lève de nouveau les yeux sur moi et me répond tout doucement :– Ce n’est rien.J’ai envie de crier que c’est grave, que mon attitude envers elle est idiote et que j’ai très envie

de l’embrasser, mais je finis par faire une grimace étrange et repartir presque en courant. Une foisdans le couloir, je me dis qu’au moins je me suis excusé…

Bon, maintenant, Cassandra ! Et ça, ce n’est pas gagné ! Je frappe à la porte. Elle ne répond pas.J’entre quand même et ferme la porte derrière moi. Elle est couchée sur le ventre et prend bien soinde m’ignorer. Elle souffle, l’air excédé, et se tourne sur le côté quand je m’approche. Je profite del’espace ainsi libéré pour m’asseoir sur le lit. Je regarde distraitement le poster de Tokio Hotelaccroché au mur en me disant que le chanteur est décidément très moche avec sa coupe de hérissonpassé dans une tondeuse à gazon, mais bon, no comment ! Quand j’observe sa chambre, je me rendscompte à quel point ma petite sœur a grandi. Fini les Barbies ! Les murs roses avec des princessesont cédé leur place à des posters de groupes de rock et des dessins sataniques… Je fronce lessourcils et me concentre sur Cassandra.

– Je sais que tu n’es plus une enfant, mais il y a des choses qu’il ne faut pas prendre à la légère.Aujourd’hui tu l’aimes, il t’aime, mais demain est un autre jour, je commence, d’une voix malassurée.

– C’est incroyable ce que tu peux être rabat-joie ! crie-t-elle en se retournant et en me regardantavec des éclairs dans les yeux.

– Non, je ne suis pas rabat-joie ! je m’exclame, vexé.– Et moi plus une gamine !– Je n’ai pas dit que tu en étais une, je me défends tant bien que mal. Je dis juste que tu dois

faire attention !Elle m’observe, un sourcil levé. J’ouvre puis ferme la bouche et finis par déclarer :– Je ne vais pas m’excuser de veiller sur toi. Je casserai la tête à n’importe quel gros lourd qui

te ferait du mal. Allez, sur ce, bonne nuit !Je me lève et quitte la chambre d’un pas décidé.Je ne suis décidément pas doué pour les excuses aujourd’hui… Je me tourne, me retourne et ne vois qu’elle, que ses beaux yeux bleus qui me transpercent de

toutes parts. Je soupire, me passe une main sur le visage. Je n’arrive pas à me détacher de son image,de sa beauté qui m’a ensorcelé. Maintenant j’en suis sûr, je suis la victime d’un mauvais sort. Untriste sort obsédant et déroutant…

Je décide de me lever. Peut-être qu’après avoir bu un peu d’eau je trouverai le sommeil. Unemusique attire mon attention. Je me dirige sans faire de bruit vers le salon et me rends compte quequelqu’un joue du piano. Je ne savais même pas que nous l’avions encore. Cassandra en a fait quandelle était petite et je crois qu’il n’a pas servi depuis des années…

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Je reste cloué devant ce spectacle à couper le souffle. Charlotte, assise devant le piano enchemise de nuit légère, la lune comme seule spectatrice. Ses mains caressent les touches, les sonss’assemblent, la musique se diffuse dans la pièce comme un murmure. Un frisson me parcourt. Lamélodie est douce et, pourtant, je ne sens que de la peine et de la douleur. Ma gorge se serre, moncœur saigne sans en connaître vraiment la raison. Je ne connais pas ce morceau mais je suis sûr quecelui qui l’a écrit ne pensait pas qu’il serait aussi douloureux à entendre. C’est magnifique, maistellement mélancolique… Je sais que je ne devrais pas être là. Je ne la connais pas assez pourpartager cette intimité si particulière avec elle, et pourtant, je reste là, immobile. Charlotte rejette latête en arrière. Ses longs cheveux châtains retombent lourdement sur ses reins cambrés, sa chemise denuit moule ses seins et laisse en deviner la forme ronde et ferme. La lune laisse apparaître mille et unéclats et j’avale difficilement ma salive quand je constate que le tissu qui épouse le corps deCharlotte est transparent. Je ne vois plus qu’elle et son visage baigné de larmes. J’amorce unmouvement dans sa direction et finalement me retiens. Ma respiration ne semble plus tenir qu’à un filquand la musique s’arrête, et elle reprend quand les notes fusent de nouveau. Le rythme s’accélère, lamélancolie fait place à la colère. Mon poing se serre. Je me sens prêt à me battre contre les démonsqui semblent habiter Charlotte. La mélodie s’arrête de nouveau et laisse place à la tristesse.

Une telle tristesse…Je ferme les yeux, inspire et pars. Je ne peux pas rester. Je regagne ma chambre le cœur lourd de

cette douleur qui ne m’appartient pas et qui pourtant me fait atrocement mal. Au matin, je sens encore la douleur me hanter. Au fur et à mesure que mes pas me mènent dans la

cuisine, je regrette mon choix de ne pas être parti cette nuit. J’aurais pu trouver une excuse à servir àmes parents et fuir cette fille qui… Bon, en fait, je ne sais pas ce qu’elle me fait, mais une chose estsûre, c’est que personne ne m’avait autant touché jusqu’alors. J’ai l’impression que rien ne sera plusjamais pareil. Que Charlotte a marqué mon âme et qu’elle n’est pas près de déserter mes pensées.

J’entre dans la cuisine et vois Cassandra seule devant son bol de céréales. Je regarde autour demoi, étonné. Habituellement, tout le monde prend le petit déjeuner ensemble. Tradition familiale,comme dit si bien ma mère.

Cassandra m’aperçoit et lève les yeux sur moi.– Chalut, sort-elle la bouche pleine de céréales.– Où sont les parents ? je demande.– La grand-mère de Charlotte est décédée cette nuit. Ils ont tenu à l’accompagner.– Et toi ?– Charlotte a refusé.Je fronce les sourcils et fustige mentalement ma sœur pour son manque de discernement.– Tu sais parfois les gens disent ça et ne le pensent pas vraiment.– Pas Charlotte.– Je suis certain que Charlotte a beaucoup de peine…– Je ne dis pas qu’elle n’en a pas. Je dis juste que Charlotte n’aime pas les démonstrations

d’affection et que je la connais assez bien pour savoir qu’elle préfère être seule.Étrangement, sans la connaître, je trouve que ça lui correspond.Je me sers du lait dans une tasse et comprends que, lorsque je l’ai vue cette nuit, elle pleurait sa

grand-mère à sa manière. J’ai partagé un moment intime avec elle…

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31 octobre 2015

– Ben alors, t’as la tête ailleurs ? me lance un de mes coéquipiers.– Pardon ?– Tu n’aurais pas une paire d’écouteurs à me prêter ? J’ai oublié les miens.– Si, bien sûr.Je farfouille dans mon sac et les trouve au fond avec mon iPod. Je les lui tends et me réinstalle

dans mon siège, habité par la vision de Charlotte dans sa robe noire, assise seule sur la balançoire aufond du jardin de mes parents, après l’enterrement de sa grand-mère. Pas une larme ne coulait sur sonbeau visage. Elle semblait ailleurs. Elle avait cette expression que j’ai fini par apprendre à connaîtreavec le temps.

À connaître, mais pas à comprendre…Je jette un nouveau coup d’œil à mon téléphone et soupire quand je constate qu’il n’y a toujours

aucun appel ou message. Mon regard se perd dans la contemplation du paysage. Je ferme les yeux.

Octobre 2000

Cela fait plusieurs mois que je n’ai pas vu Cassandra et, ce week-end, j’ai décidé de profiter dema visite au Stade toulousain pour passer un peu de temps avec elle.

Chose dont je ne lui ai pas encore fait part, mais cela ne devrait pas tarder, me dis-je enatteignant la porte de son immeuble.

Je sonne et entends un petit « oui ». Je grimace en reconnaissant la voix de Charlotte. Je lui disqui je suis et la porte s’ouvre immédiatement. Je monte les escaliers, souriant et sûr de moi. Madernière rencontre avec Charlotte remonte à plusieurs mois. Je ne sais pas ce qui m’avait pris, maistout ça est de l’histoire ancienne. Maintenant, je suis titulaire de l’équipe de France, j’ai une petiteamie incroyablement sexy avec qui…

La porte s’ouvre sur Charlotte. Elle me dévisage avec son sourire timide.Putain, je disais quoi ?!Mon regard navigue entre ses cheveux mal coiffés, ses yeux bleus, son sweat trop grand, ses

leggings noir, ses chaussettes roses et encore ses yeux.– Bonjour, dit-elle.Après un silence très embarrassant, je finis par articuler un « Salut ».– Cassandra n’est pas là, m’informe-t-elle en regardant le sac plastique que je tiens à la main.J’ouvre puis ferme la bouche, me maudis pour mon éloquence qui laisse à désirer, me dis

qu’elle doit sans aucun doute me prendre pour un abruti qui ne sait pas parler comme il faut.– Tu peux entrer si tu veux, chuchote-t-elle.J’émets un grognement en guise de réponse. De mieux en mieux, maintenant je grogne !Elle s’efface pour me laisser entrer. Je retiens mon souffle alors que je passe à quelques

centimètres d’elle. Je regarde l’appartement en souriant comme un idiot. Mes yeux balaientmachinalement la pièce. Une porte ouverte attire mon attention. Il y a de tout partout. Des vêtementsjonchent le sol, mêlés à des livres et des chaussures.

– C’est la chambre de Cassandra, dit-elle avec léger sourire.

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– Ça lui ressemble assez, je réponds en fixant malgré moi la bretelle de son soutien-gorge quidépasse du col de son sweat.

Je me demande comment sont ses seins…Mes yeux se perdent à l’endroit en question et je me sens rougir comme un gamin quand

Charlotte me dévisage. Super, je viens de me faire prendre en flagrant délit de matage !– Cassandra et toi aviez rendez-vous ce soir ? demande-t-elle.– Non !Elle fronce les sourcils. Bon, elle me prend vraiment pour un idiot.– Je voulais lui faire la surprise, j’ajoute.– Oh ! Tu veux que je l’appelle pour lui demander quand elle rentre ?– Non, ça ira, je réponds en secouant mon sac plastique.Un silence gêné s’installe, seulement troublé par le bruit du plastique.– J’avais pris des sushis, dis-je en montrant le sac.– Tu es sûr que tu ne veux pas que j’appelle Cassandra ?– Oui… Euh, non… Enfin, je veux dire tu devrais l’appeler.– OK, dit-elle en se dirigeant vers ce qui semble être sa chambre.Je la suis du regard en matant ses fesses au passage.Bordel !Je me passe une main sur le visage et tente de me reprendre. Une fois un semblant de calme

revenu, je jette un coup d’œil dans sa chambre qui, contrairement à celle de ma sœur, est rangée. Il ya des livres sur le lit… Anatomie, biochimie… Les draps sont froissés…

Est-ce qu’elle amène des garçons ici ?Un sentiment de colère m’étreint, mon poing se serre. Je sursaute quand je vois Charlotte

réapparaître, son portable à la main.– Cassandra est au centre-ville, elle devrait arriver d’ici une bonne vingtaine de minutes,

m’informe-t-elle.Elle regarde à droite, à gauche, et je prends conscience qu’elle est aussi gênée que moi par la

situation.– Les études se passent bien ? je demande pour rompre la glace.– Oui, ce n’est pas facile mais je m’accroche, répond-elle avec cette même petite voix.– Tu suis les cours avec Cassandra ?Je viens de me rendre compte que je ne sais absolument rien sur Charlotte. Mis à part qu’elle

s’appelle Charlotte, qu’elle n’a pas de famille, qu’elle vit avec ma sœur, qu’elle est très timide, etpuis c’est tout.

– Non, je prépare médecine, m’apprend-elle.– Tu veux être médecin ?– Chirurgien.Je l’observe, surpris. J’ai du mal à l’imaginer chirurgien. Elle est toute petite, toute frêle et si

timide.– Tu n’as pas l’air persuadé par mon choix de carrière, lance-t-elle.– C’est juste que tu es si timide que… mais je suis sûr que tu feras un très bon chirurgien !Elle n’a pas l’air très convaincue par ma dernière affirmation et elle a raison : je ne la vois

absolument pas médecin ou chirurgien.– Tu devrais mettre les sushis au frigo. Fais comme chez toi, Cassandra ne va pas tarder, dit-elle

en se dirigeant vers sa chambre.

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Super, je l’ai vexée !Je l’attrape par le bras et la retiens. Mon cœur bat la chamade. Elle est beaucoup trop proche de

moi…– Je suis désolé, je murmure.Elle plante ses yeux bleus dans les miens. J’avale difficilement ma salive. Je suis perdu. Ma

respiration s’accélère et, sans que je ne puisse m’arrêter, je pose mes lèvres sur les siennes.Mon corps est un traître !Elle est immobile. Je sens toujours son regard me transpercer alors que je caresse doucement

ses lèvres avec les miennes. Je ferme les yeux et me laisse enivrer par la sensation de ses lèvres surles miennes. J’en veux plus… Je passe ma main sur sa taille et la colle contre moi. C’est unesensation étrange de la sentir si impassible, si calme alors que ma respiration est si chaotique. Dubout de la langue, je parcours ses lèvres. Elle a un goût de miel… Ma main descend le long de sesreins, appréciant la courbure qui mène à ses fesses. Il ne s’est pas passé grand-chose, ce n’est qu’unléger baiser, et pourtant je me sens déjà prêt à exploser. Tandis que je mordille ses lèvres charnues,je me dis qu’il faut que je me calme. Mais rien n’y fait, je la serre encore plus fort. Elle n’émetaucune résistance mais n’agit pas non plus dans mon sens. Je suis le seul à perdre la tête dans cetétrange baiser. Un gémissement s’échappe de mes lèvres quand je sens enfin ses mains sur moi. Elleles a juste posées sur mes avant-bras, mais c’est déjà presque trop. Ma langue finit par franchir enfinses lèvres. Quand elle enlace la sienne, je perds définitivement la tête. Je la soulève et la portejusqu’à sa chambre. Je la dépose sur le lit, envoyant valser les livres que je rencontre sur monchemin. Je me couche sur elle, frottant mon sexe tendu contre son entrejambe. J’ai l’impression d’êtreun animal sauvage prêt à la dévorer.

Mes vêtements me gênent et les siens aussi, me dis-je en lui retirant son sweat. Mon regard seperd sur la dentelle blanche qui englobe ses seins. Ils sont magnifiques… pas bien gros, mais toutbonnement splendides… Une fois repu de ce spectacle, je retourne à sa bouche sans oublier pourautant de parcourir avidement son corps. Quand mes mains se posent sur ses fesses, je me dis qu’elleest vraiment minuscule par rapport à moi. Je suis un géant à côté d’elle.

– Salut la compagnie ! lance une voix depuis l’entrée.Putain, Cassandra !Je lâche immédiatement Charlotte, saute du lit et me dirige comme si de rien n’était à la

rencontre de ma sœur. Cassandra veut me prendre dans ses bras pour me saluer, mais je préfèregarder une bonne distance. Je n’ai pas besoin que ma petite sœur ait conscience de l’énorme érectionqui se trouve entre mes jambes. Elle me salue chaleureusement mais mon esprit reste avecCharlotte… que je viens de balancer comme une malpropre après m’être jeté sur elle. Super !

Tout se rappelle à moi : ce que je viens de faire dans l’appartement de ma sœur avec la jolie ettrès timide Charlotte et ma petite amie à qui j’ai dit que notre relation devenait « sérieuse » et que jedois bientôt présenter à mes parents…

Ma respiration se bloque quand je l’aperçois dans l’encadrement de sa chambre. Elle a remisson sweat et me dévisage. Pendant quelques secondes, je me demande si j’ai rêvé ce qu’il s’est passédans la chambre. Elle ne semble ni gênée ni perturbée… Elle est calme et égale à elle-même,discrète. Je hoche la tête, donnant ainsi l’illusion d’écouter ce que me raconte Cassandra.

– Et si on allait dîner ? je lâche tout à coup.– Super idée, répond Cassandra en tapant des mains. Tu viens avec nous ? demande-t-elle à

Charlotte qui me toise, les bras croisés sur sa poitrine.– Je travaille ce soir, dit-elle avec sa petite voix.

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J’avale ma salive. Je ne sais pas si je dois être soulagé ou déçu qu’elle ne nous accompagnepas. En tout cas, Cassandra n’insiste pas. Elle me traîne déjà dehors. Je salue d’un léger signe de têteCharlotte qui me répond avec un petit sourire en coin. Un frisson me parcourt et je finis par suivre mapetite sœur à travers la Ville rose.

Nous dînons, nous discutons, et je trouve que Cassandra a mûri en quelques mois. Elle me parle

de sa relation avec l’affreux gamin que j’avais trouvé avec elle sur mon lit. Il semble qu’il se soitbien remis de l’incident. Mais en ce qui me concerne, j’aurais préféré oublier à jamais ce moment.Elle m’apprend également que ses études sont finalement plus difficiles que ce qu’elle pensait. Je nesuis pas surpris. Cassandra a beau être très intelligente, la prépa, ce n’est quand même pas facile. Jeme mords la langue à plusieurs reprises car j’ai très envie de poser des questions sur Charlotte, maisje n’en fais rien. En fourrant ma langue dans sa bouche, j’ai déjà franchement dépassé les limites,donc pas de question. Rien. Laissons ce moment d’égarement là où il est, c’est-à-dire dans le passé.Et puis, je passe un bon moment avec Cassandra, alors ne gâchons rien. Une fois nos ventres remplis,elle me propose d’aller boire un verre dans un club proche de son appartement. J’accepte engrimaçant. Pourvu que ce ne soit pas un bar genre night-club…

– Bonsoir Cassandra, la salue le videur à l’entrée.Elle lui fait la bise et, dès que celui-ci m’aperçoit, il me serre la main d’un air admiratif.Un fan…– Eh bien, je vous laisse discuter, je vais m’installer en attendant, lance-t-elle en se faufilant

déjà à l’intérieur.Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit qu’elle est déjà partie. Heureusement pour moi, je

ne suis pas retenu trop longtemps puisqu’un groupe arrive à ma suite. Je retrouve facilementCassandra assise à une petite table ronde devant la scène.

– Il va y avoir un spectacle ? je demande, intrigué.Elle n’a pas le temps de me répondre qu’une jeune femme entre. Il ne me faut pas plus de

quelques secondes pour reconnaître Charlotte.Putain, elle est à couper le souffle…Elle porte une robe blanche satinée, ses cheveux sont coiffés en arrière en une sorte de chignon

élaboré. Elle contourne le banc du piano et, lorsqu’elle s’installe, j’arrête de respirer. Sa robe esttrès échancrée dans le dos, le tissu reprend à la naissance de ses fesses.

Il ne suffirait que de quelques millimètres, me dis-je en gigotant sur ma chaise.– Il s’agit d’un bar musical, m’explique Cassandra. Charlotte joue deux soirs par semaine, ça lui

permet de se faire un peu d’argent et surtout de jouer du piano. Je ne sais pas si tu le savais mais ellea été au conservatoire et tout le tsoin tsoin, me raconte-t-elle alors que Charlotte commence à jouer.

– Non, je sais juste qu’elle veut être chirurgien.– Oui, aussi. Ses parents l’étaient tous les deux, ses grands-parents paternels aussi… Enfin,

c’est un truc de famille, quoi.– Ses parents…, je répète songeusement en continuant de dévorer du regard sa silhouette

gracile.Je finis par détourner les yeux. Elle me trouble trop et je ne veux pas que Cassandra s’en

aperçoive. Je fais un geste à une serveuse qui passe non loin de nous et commande un coca pourCassandra et moi. Je soupire. J’aurais aimé boire quelque chose de plus fort, mais je ne bois jamaisd’alcool en veille de match. Cassandra rechigne, elle aurait préféré un verre de vin. Je lui sors mon

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discours de grand frère sur les méfaits de l’alcool et me rends compte que je m’ennuie moi-même. Lamusique s’accélère et je suis hypnotisé par les muscles du dos de Charlotte qui roulent sous sa peau.

– Les parents m’ont dit que tu voyais quelqu’un, dit doucement Cassandra.– Oui, effectivement, je réponds, évasif.Jusque-là, j’étais sûr de cette relation et maintenant… Je ne sais pas…Je me passe une main sur le visage. La présence de Charlotte, sa musique, la lumière tamisée et

cette robe indécente, enfin, je suis perturbé !Cassandra toussote, inspire et se lance :– Je croyais que tu voulais m’en parler et que c’est pour ça que tu m’avais invitée à dîner. Mais

là, je ne sais plus. Tu ne m’as même pas dit son nom, rien. Et en plus, tu sembles carrément ailleurs.– Désolé… Je travaille beaucoup… Elle s’appelle Myrtille.– Pardon ?– Elle s’appelle Myrtille, je répète plus fort.– Ah non, j’avais bien entendu !Je la regarde, interloqué.– Et Myrtille…, commence-t-elle en se mordant les lèvres pour ne pas rire. Que fait-elle dans la

vie ?– Elle est danseuse.– Dans un club de strip-tease ?– Non ! Elle danse à l’Opéra de Paris.– Pardonne-moi mais avec un nom pareil !– Elle est très gentille, très jolie aussi et elle veut devenir danseuse étoile.– Le rugbyman et la danseuse étoile… C’est bizarre, dit-elle en grimaçant.– Je ne vois pas en quoi.La musique s’arrête. Charlotte se lève et fait une révérence. La salle applaudit, elle remercie en

souriant timidement et s’en va.Bordel, cette robe ! me dis-je en la regardant s’éloigner.– Tu comptes nous la présenter ? demande ma sœur.– Qui ?– La danseuse au nom de strip-teaseuse !– Je l’ai invitée à venir passer Noël avec nous.– Donc c’est sérieux ?– Euh, oui, je crois, je réponds vaguement.– Si vous faites des projets plusieurs mois à l’avance, c’est que c’est sérieux, me lance

Cassandra comme si c’était logique.Maintenant que j’y pense, ça l’est ! Charlotte, comme à son habitude, fait une entrée discrète. Je

ne me rends compte de sa présence que lorsqu’elle s’approche de la table. Je ne peux détacher monregard de son visage. Elle est parfaite, tellement timide et pourtant si assurée.

– Tiens, Charlotte, s’écrie Cassandra en la voyant. Tu sais pas quoi ?Charlotte sourit en faisant non de la tête.– Marc nous amène sa chérie à Noël !Elle me fusille du regard alors que Cassandra continue de lui livrer les menues informations

qu’elle a réussi à me voler sur Myrtille. Je m’enfonce, mal à l’aise, dans ma chaise.L’espace d’un instant, je crois deviner des éclairs dans les yeux de Charlotte. Bon,

apparemment, elle ne prend pas bien la nouvelle ! J’avale difficilement ma salive et me dis que ça

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fait cet effet-là d’être un salaud. Je n’aime pas ça du tout…

31 octobre 2015

– Allez mon gars, on arrive, me lance l’un de mes coéquipiers en me tapant sur l’épaule.Je regarde par la fenêtre et distingue la foule nous acclamer. On sent déjà l’agitation dans le bus.

Les encouragements se font entendre à travers les vitres. Je ferme les yeux et aspire cette énergiepositive.

J’en ai besoin… Je dois arrêter de me triturer le cerveau…Le bus se gare. Certains se précipitent pour descendre, impatients de ressentir l’émotion

accompagnant l’entrée dans les vestiaires. Pour moi, pas de précipitation, je veux savourer chaquemoment, chaque seconde ; un pas après l’autre, je descends du bus et découvre le stade. J’inspire,ferme les yeux et me laisse submerger par l’atmosphère. Je souris, signe quelques autographes et suismon équipe dans l’enceinte du stade.

Je distingue enfin la porte du vestiaire. L’équipe adverse fait son entrée. Nous les saluons sansnous attarder.

Le vestiaire… Lieu sacré du sportif, parfois silencieux, parfois bruyant, lieu de fête ou deconflit… Je pense y avoir vécu tous les cas de figure possibles.

Je jette un coup d’œil au matériel qui m’attend, sors mon téléphone de ma poche. Je n’y tiensplus. Je compose son numéro, croisant les doigts pour qu’elle décroche. Répondeur. Je soupire eninspectant ce que l’intendant a installé. Les maillots, shorts, chaussettes et autres sont bien là, àl’endroit habituel. Chaque joueur a une place bien précise dans le vestiaire. Nous avons tous nossuperstitions !

Je pose mon sac et m’installe sur le banc ; alors que certains se préparent déjà, je resteimmobile. Impossible de bouger. Comme si un énorme poids venait de se poser sur moi. Le tempss’arrête et, subitement, les paroles de Myrtille me reviennent à la mémoire…

Décembre 2000

– Tu es amoureux de cette fille ! s’exclame-t-elle.– Non… Je ne la connais même pas !– Arrête, je vois bien comment tu la regardes…Je n’aime pas le tour que prend cette conversation. Myrtille et moi n’avons passé que deux jours

chez mes parents à Noël. L’un comme l’autre, nous avons des obligations à respecter. Charlotte étaitlà, évidemment. Nous ne l’avons pratiquement pas vue, elle avait toujours le nez dans un bouquin.

– Tu la dévorais littéralement du regard ! hurle-t-elle de plus belle.– Absolument pas.Je me défends mal. Même moi j’en ai conscience. À chacune de ses apparitions, je ne pouvais

pas la quitter des yeux. Même un aveugle l’aurait remarqué.Je me gare devant l’immeuble de Myrtille et soupire en me disant que c’est la fin. Je suis triste ;

pas parce que je suis follement amoureux de Myrtille, mais tout simplement parce qu’avec elle, leschoses sont simples. Elle est danseuse, elle connaît ma réalité, celle du sport à haut niveau et desentraînements sans fin.

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– Elle t’a ensorcelé ! crie-t-elle en descendant de la voiture. Inutile de me rappeler, finit-elle enclaquant la porte violemment.

Je n’insiste pas. De toute façon, elle a raison : Charlotte me tient au creux de ses mains.

31 octobre 2015

Elle avait raison, Charlotte m’avait ensorcelé…Je reviens à la réalité. Ce vestiaire, ici, maintenant, la fin d’une histoire qui m’attend ; mais la

fin d’une belle histoire. J’attrape mon maillot derrière moi, fixe ce logo dont je suis fier, le coq,symbole de la France, floqué sur le cœur ; je le retourne pour observer encore une fois le numéro 9que j’ai tant porté. Les émotions se bousculent dans ma tête, j’ai du mal à m’activer. Mon esprit estailleurs. Avec elle. Tant bien que mal, j’entame ma routine habituelle, short, chaussettes, chaussurespuis la première partie de l’échauffement. Dans ces petites pièces collées au vestiaire, la tension estprésente chez tout le monde. Nous sommes comme des lions en cage, prêts à sortir dès que la portes’ouvrira. Après une vingtaine de minutes de réveil musculaire, il est temps de s’imprégner del’atmosphère extérieure. En sortant sur la pelouse, mon premier réflexe est de regarder les tribunes,sûrement pour y chercher celle qui ne sera certainement pas assise là tout à l’heure ; pourtant, malgrétoutes ces années ça reste un automatisme. Je la cherche chaque fois, alors que ça fait bien longtempsqu’elle ne vient plus. Il faut que j’arrive à me concentrer ! Je me dirige vers la ligne des vingt mètres,accompagné de la moitié de mes coéquipiers. Pendant que les avants s’échauffent à se rentrer dedansavec des gros sacs ou en réalisant quelques plaquages, nous, les arrières et les demi-centres, nousfaisons des petites courses en nous passant le ballon. D’un côté, l’entraîneur des avants qui donne sesconsignes pour être performant dans la mêlée, de l’autre, l’entraîneur des arrières qui prodigue sesconseils pour bien botter aujourd’hui. La première partie de l’échauffement passée, il est temps queje commence à régler la mire, autrement dit, faire des pénalités. C’est un moment très important pourmoi : c’est le moment où je sais comment je me sens physiquement et parfois même mentalement ; leproblème, c’est que depuis quelques années maintenant, si mon mental n’est pas au beau fixe, monphysique me rappelle cruellement mes trente-six ans et réveille mes vieilles blessures. Aujourd’huiparticulièrement, alors que mon mental devrait être au plus haut si je considère que je vais jouer dansquelques minutes le dernier match de ma carrière, qui n’est autre qu’une finale de Coupe du monde, ilest presque au plus bas tant je ne pense qu’à elle.

Juin 2001

Je bois une gorgée de bière pour me donner du courage. Quand j’ai accepté l’invitation de masœur pour fêter la fin de l’année universitaire et la réussite de Charlotte au concours de médecine, jetrouvais que c’était une bonne idée. Mais maintenant que je me retrouve dans l’appartement trop petitde Cassandra avec une nuée de filles qui me déshabillent du regard, je ne suis plus certain. Au fondde moi, si je veux être honnête, je sais pourquoi je suis là… C’est pour Charlotte. Pour ses beauxyeux bleus, son charme discret, son dos, ses jambes, sa peau douce, ses lèvres… Je me passe unemain dans les cheveux et tente d’ignorer les battements saccadés de mon cœur. Voilà, je suis arrivé àun constat : ça fait un an que j’ai cette fille en tête et, quoi que je fasse, elle y reste ! Depuis marupture avec Myrtille, je ne suis sorti avec personne. À chaque nouvelle rencontre, la même

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conclusion me sautait aux yeux : elle n’est pas Charlotte. Et moi, dans ma grande folie, je ne veux queCharlotte… qui ne semble pas être présente à sa propre fête.

Je tourne la tête et tombe sur un couple qui se galoche dans un coin. Je n’imagine pas vraimentCharlotte apprécier ce genre de soirée…

– Ah ! Tu es venu ! s’exclame Cassandra en me sautant dans les bras.– Oui, je te l’avais promis, tu ne te souviens pas ?– Si, mais j’ai cru que tu disais ça pour me faire plaisir.– Eh bien, je suis venu pour te faire plaisir. C’est encore mieux, non ?– Oui ! dit-elle en me serrant de nouveau dans ses bras.Je lui souris, mal à l’aise tout à coup, et demande, un peu gêné :– Charlotte n’est pas là ?Ma sœur se met à rire.– Papa me doit 100 euros ! Elle est dans sa chambre. Elle n’aime pas ce genre de soirée, me

lance-t-elle en se mordant les lèvres pour ne pas éclater de rire.– Pourquoi papa te doit 100 euros ?– On a parié sur le temps que tu mettrais avant de tenter ta chance avec elle.– Quoi ? Mais je… je… je veux juste la féliciter pour son concours ! je tente de me défendre.– Mais bien sûr ! lâche-t-elle en me donnant une tape sur l’épaule. Elle est dans sa chambre.

Sois gentil avec elle, et si vous faites des petits, gardez-m’en un !Je n’ai pas le temps de répondre quoi que ce soit qu’elle est déjà partie. Je m’avance vers sa

porte, m’apprête à frapper et suspends mon geste. J’ai imaginé tellement de fois la façon dont jedevais m’y prendre que je ne sais plus ce que j’avais décidé !

Bon, arrête de réfléchir, me dis-je en gardant la main en l’air.Une main frappe à ma place. Je me retourne et vois Cassandra partir presque en courant. Je n’ai

pas le temps de me poser davantage de questions que Charlotte est là, en face de moi, en train dem’observer. J’avale difficilement ma salive et plonge dans ses yeux couleur océan.

– Bonsoir, dit-elle doucement alors que je ne réagis pas.– Euh, oui, bonsoir…Punaise, j’ai les mains moites, c’est une horreur, me dis-je en les essuyant discrètement sur

mon jean.– Je voulais te féliciter pour ton concours, je reprends, de plus en plus mal à l’aise.– Merci.Après un long silence embarrassant, elle me demande :– Tu es venu avec ton amie ?– Qui ça ?– Myrtille.– Oh ! Non ! Je suis célibataire maintenant… vraiment très célibataire… Je veux dire que je

suis super libre, tu vois…Abattez-moi !– OK, dit-elle en rigolant.Bon sang, Charlotte qui ne rit pas, c’est déjà quelque chose, mais là…Je m’avance vers elle, puis recule de nouveau, car je me rends compte que je suis dans sa

chambre et qu’elle ne m’a pas invité à y entrer.– Tu veux boire un verre ? je demande, en prenant bien soin de regarder mes pieds.– En fait, ce genre de soirée, c’est pas vraiment mon truc, répond-elle doucement.

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– Oui, c’est ce que je me suis dit aussi…, je commence en lui jetant de rapides coups d’œil.Elle ne répond pas et m’observe avec un sourire timide.– Oui, tu es tellement discrète.Elle me regarde, surprise, mais ne relève pas.Il faut vraiment que j’arrête de parler…Mes yeux rencontrent les siens et je perds tout contrôle… Je l’attrape par la nuque et pose mes

lèvres sur les siennes. Elle ne résiste pas. Au contraire, elle passe ses mains dans mes cheveux et secolle contre moi. J’en déduis que c’est une invitation à entrer dans sa chambre. Je la pousse versl’intérieur, l’embrassant plus passionnément, et ferme la porte avec mon talon. Je ne regarde pas oùje vais, je suis simplement porté par ses lèvres, son corps contre le mien… Plus rien n’existe à partcela, à part nous…

Elle tombe sur son lit. Je l’accompagne dans sa chute. Je gémis quand elle passe ses mains sousmon T-shirt, caressant mon torse du bout des doigts. Elle en attrape le bas et le passe par-dessus matête. Je ne veux pas perdre ses lèvres une seconde… Je parcours sa poitrine avec envie, lui enlèveson débardeur, dégrafe son soutien-gorge, embrasse ses seins, les mordille. Ses mains se faufilentdans mon jean, puis sous mon boxer. Elle saisit mon sexe en érection, le serre légèrement et entameun va-et-vient. C’en est trop… Je la mords plus fort… Si elle continue comme ça, je vais jouir dansson poing. Je gémis, me concentre pour ne pas venir maintenant mais c’est trop dur…

– Charlotte… Arrête… Je vais…Elle me mord le lobe de l’oreille et s’étire pour atteindre son tiroir de table de nuit. Elle en sort

une boîte de préservatifs qu’elle me tend avant de me basculer sur le dos. Je suis surpris. Je nepensais pas qu’elle prendrait autant d’initiatives.

Ce n’est pas pour me déplaire, me dis-je quand sa langue parcourt mon torse et qu’elle détachema ceinture.

J’avale difficilement ma salive quand elle enlève mon jean et mon boxer d’un coup sec. Marespiration s’arrête quand je sens le bout de sa langue parcourir mon sexe dressé. Elle l’entoure de sabouche…

– Oh ! putain ! je gémis, lorsqu’elle se met à me sucer.Je ferme les yeux et me laisse envahir par la sensation de sa bouche, de sa langue…Mes hanches se joignent au va-et-vient. Mes mains se perdent dans ses cheveux.– Charlotte…Je ne sais pas si je la supplie d’arrêter ou de continuer…Elle me prend la boîte de préservatifs des mains, l’ouvre sans arrêter de me torturer avec sa

bouche, en sort une capote et l’enfile sur mon sexe tendu. Je l’observe les yeux ronds tandis qu’ellese met à califourchon sur moi. Je ne contrôle rien. Elle dirige mon sexe à travers sa fente humide etbouge sur moi à son rythme. Je pose mes mains sur ses hanches et admire le spectacle de ses seinsqui remuent au gré de ses mouvements. Elle se cambre, gémit la tête en arrière et jouit. Il ne m’en fautpas plus pour me laisser venir à mon tour. Je m’assois, la serre contre moi en l’embrassant. Elleinspire et expire dans mon cou. Je ferme les yeux et laisse la chaleur de son souffle m’envahir.

Je m’éveille doucement, me frotte les yeux et aperçois Charlotte qui s’habille. Elle enfile son

jean et finit par remarquer que je l’observe. Je me lève, nu comme un ver, et la regarde d’un airamusé tandis que son regard passe de mon sexe déjà dur à mon torse, à mon sexe et finalement à mesyeux. Je l’attrape par la taille, la serre contre moi et l’embrasse. J’ai l’impression d’être le hérosd’une de ces stupides histoires d’amour qu’adore Cassandra. Notre baiser est passionnel, intense,

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sensuel… Je la veux… Je la serre plus fort et la pousse en direction du lit. Je suis en congé, avecCharlotte, et je compte bien profiter de chaque seconde pour apprendre à connaître toutes les partiesde son corps par cœur…

Elle se dégage un peu de mon étreinte et me dit, l’air gêné :– Je suis désolée, mais je dois partir.Je fronce les sourcils, constate qu’effectivement elle est prête et qu’une valise se trouve près de

la porte.– Tu t’en vas ?– Oui, je croyais que tu étais au courant.– Pas vraiment… et tu pars combien de temps ?– Jusqu’à la rentrée prochaine.J’écarquille les yeux.– Tu comptais partir sans me le dire ? je lui rétorque, blessé.– Euh, non, bien sûr, je t’aurais laissé un mot.Un mot ! Elle m’aurait laissé un mot ! Ça fait un an que je rêve d’être avec elle, et elle, elle veut

me laisser un mot après la nuit de folie que l’on vient de passer ensemble !Elle se raidit, comprenant que cette nuit n’a pas la même signification pour nous deux.

Effectivement, ce n’est pas vraiment ce que j’attendais…Elle s’écarte de moi, fait semblant de regarder sa montre.– Il faut vraiment que j’y aille… Je suis désolée… Je ne suis pas douée pour ce genre de chose !Elle attrape sa valise, me salue une dernière fois et s’en va. Je reste planté nu au milieu de la

chambre, sous le choc. Je ne m’attendais décidément pas à ça !

31 octobre 2015

Je place le ballon pour commencer les tirs mais l’envie n’y est pas. Je n’arrive pas à me viderl’esprit et à ne penser qu’au match. C’est à me rendre fou. Cette rencontre avec l’Angleterre est laplus importante de ma carrière !

Je prends quelques minutes, plusieurs longues inspirations, puis m’élance, premier tir, puis unautre, et encore un autre ; j’en enchaîne plusieurs dizaines. Au fur et à mesure, mes muscless’éveillent tant bien que mal. Je commence à me sentir plus à l’aise, trouvant les sensations quej’attendais depuis le début de cette journée. Une frappe après l’autre, j’intensifie la puissance etaugmente la distance qui me sépare des poteaux. Nous approchons de la fin de l’échauffement.Encore quelques shoots quand soudain, sur le dernier drop, je ressens une légère douleur au genou.Légère, mais pas anodine. Ce n’est jamais bon signe d’avoir cette douleur qui commence, dèsl’échauffement. Je secoue la tête et repense à Charlotte, à nos souvenirs heureux. Je souris tout seulen me remémorant sa tête quand je suis allé la rejoindre à Londres…

Juillet 2001

Je serre la lanière du sac sur mon épaule.Ce n’est définitivement pas une bonne idée…, me dis-je pour la cinquantième fois.

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Je n’aurais jamais dû écouter Cassandra ! Quand j’ai croisé ma sœur le matin après queCharlotte s’est enfuie en juin dernier (N’ayons pas peur des mots !), elle n’en revenait pas. Elle m’aexpliqué qu’elle pensait que Charlotte allait me remballer gentiment, mais bel et bien remballer ! Enje ne sais combien d’années d’une amitié soudée, Cassandra n’avait jamais aperçu Charlotte avec unreprésentant de la gent masculine. Je n’ai pas osé la contredire sur l’éventuelle perte de la virginitéde la demoiselle, car ma sœur, en meilleure amie qui se respecte, s’attendait à ce que Charlotte lui aittout raconté de sa première fois. Je me suis demandé à plusieurs reprises si elle avait perdu savirginité cette nuit-là avec moi sans que je ne m’en rende compte… Et puis chaque fois que je meremémore la scène, je me dis que… non ! Donc là, j’en arrive à cette conclusion : pourquoi j’écoutema sœur alors qu’en définitive elle ne sait rien sur Charlotte !

J’observe la façade de l’immeuble typiquement londonien et grimace. Cassandra pense que jedois insister, que Charlotte est une handicapée sentimentale, que je dois lui faire une déclarationenflammée, lui ouvrir mon cœur… Mais je ne sais pas… quand Cassandra et moi en avons parlé, jetrouvais ses arguments bons, et maintenant que je me trouve là, je ne suis plus très sûr. Et si elle nevoulait tout simplement pas être avec moi ? Et si elle regrettait notre nuit ?

– Marc ?Je me raidis, me retourne et l’aperçois. Ses cheveux blonds flottent, portés par le vent. Elle

porte un mini-short et un débardeur rose qui ne dissimulent rien de sa silhouette. Elle semble surprisede me voir. Je dirais bien que je passais par là, mais bon, elle n’y croirait pas une seconde.

– Salut, je dis simplement.Elle me sourit, se mord les lèvres. Bon, je la fais sourire, c’est déjà ça.– Salut, elle répète, l’air amusé.– Je me suis demandé si tu voudrais sortir… Boire un café ou dîner, ou même aller au ciné…Bon, OK, j’ai l’air carrément désespéré !– Tu es venu jusqu’à Londres pour me demander si je voulais aller boire un café avec toi ?– J’avoue que j’espère un peu plus qu’un café…Elle secoue légèrement la tête, ouvre puis ferme la bouche.– Marc, je suis désolée mais je ne suis pas celle que tu recherches, lâche-t-elle, tout à coup

sérieuse.– Et qu’est-ce que je cherche ?– Une gentille fille avec qui faire des bébés géants.– Des bébés géants ?– Ce que je veux dire, c’est que tu attends de moi quelque chose que je ne te donnerai jamais.– Des bébés géants ?– Non, de l’amour.– Eh bien, au moins, c’est honnête…Elle baisse la tête, inspire et, quand elle la relève, je ne vois que ses yeux. Leur douceur, mais

pas que… Il y a tellement de tristesse dans son regard que mon cœur s’arrête de battre l’espace d’uninstant.

– OK, je réponds simplement.– Quoi ?– Pas de bébés géants ni d’amour.– Pour le moment. Mais un jour, tu en voudras plus.– Eh bien, je partirai.– Juste comme ça ?

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– Oui, juste comme ça, sans rancune ni colère.– Sans rancune ni colère ?– Oui, je partirai et c’est tout.Elle semble réfléchir un instant. J’ai l’impression que tout se décide là, maintenant. Qu’après ce

moment, ma vie ne sera plus jamais la même.– OK, dit-elle doucement.Mon souffle s’accélère. Il me faut quelques secondes pour comprendre qu’elle vient d’accepter.

Je lâche mon sac, m’approche d’elle doucement, plonge mes yeux dans les siens et me demande si jeviens de perdre la raison ou juste mon âme pour être avec elle.

Je me penche, effleure doucement ses lèvres. Mon cœur se serre et je comprends que, de toutefaçon, j’avais déjà tout perdu au moment où j’avais posé mes yeux sur elle.

31 octobre 2015

Je souris toujours quand je pense à ce moment…Nous avons passé les deux mois suivants collés l’un à l’autre, sans nous soucier de ce qui se

passerait ensuite, et pour ma part, ma promesse a été vite oubliée.L’échauffement est terminé. Je retourne dans les vestiaires, l’esprit plein de bons souvenirs. Le

silence pesant à notre arrivée a laissé place à de grands cris de motivation et d’encouragements. Lescadres de l’équipe prennent tour à tour la parole pour y aller chacun de leurs conseils. En tant quevétéran, je fais également un petit speech, court mais direct, histoire de rappeler que l’on sesouviendra de ce match toute notre vie, et à mes plus anciens coéquipiers que, pour moi, ce sera ledernier. Chez certains, je constate une sincère émotion et une motivation décuplée. Désormais nousattendons le signal de l’arbitre pour entrer dans l’histoire de notre sport.

Deux coups de sifflet et nous nous engageons dans le couloir qui mène au terrain, alignés etsilencieux. C’est l’heure de se concentrer ! Nous nous avançons vers le centre de la pelouse. Lepublic a répondu présent et met déjà l’ambiance.

Charlotte me fait tout oublier, même le fait qu’elle m’ait dit qu’elle ne m’aimerait jamais…

Février 2002

Je suis l’homme le plus heureux de la Terre, me dis-je en contemplant l’énorme bouquet deroses rouges que je tiens entre mes mains.

Cela fait plusieurs mois que je n’ai pas vu Charlotte, et même si je l’appelle aussi souvent quepossible, rien ne remplace la sensation de ses lèvres sur ma peau. Cassandra m’a confirmé que cesoir, elle jouait du piano au club, et vu que tout s’est goupillé comme par enchantement, j’ai prévu delui faire la surprise en venant la voir à Toulouse.

Et j’espère être récompensé par une nuit torride…Je me présente au videur qui me reconnaît immédiatement et me laisse entrer. J’entends déjà les

notes de piano qui semblent danser dans la grande salle.Apparemment, Charlotte est de très bonne humeur, me dis-je en me laissant porter par l’air

enjoué.

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Je m’installe à une table au fond de la salle, je ne veux pas être repéré immédiatement. J’aipensé à tout. Quand elle se lèvera pour saluer, j’irai la rejoindre dans sa loge avec le bouquet. Sesdoigts glissent sur les notes à une vitesse vertigineuse.

Je ne l’ai jamais entendue jouer avec autant d’entrain… J’espère que Cassandra a tenu salangue. Je tiens vraiment à ma surprise !

La musique s’arrête. Elle se met debout, plus souriante que jamais. Son regard se porte sur unhomme d’une quarantaine d’années qui se lève pour l’applaudir. Elle lui adresse une révérence et,plutôt que de se diriger vers les coulisses, elle le rejoint. Mon cœur s’accélère lorsque je le voisl’embrasser doucement sur la joue. Bien trop longtemps pour que ce ne soit qu’amical… Mon poingse ferme. Je sens la colère, la jalousie monter en moi. Il caresse son dos et la colle contre lui. Je n’ytiens plus… Je m’approche, plus furieux que jamais. Il la tient par la taille et lui chuchote je ne saisquoi à l’oreille. Je ne pense qu’à une chose : les séparer. J’attrape l’homme par le bras, qui la lâcheimmédiatement. Charlotte m’aperçoit, surprise.

– Marc ? s’étonne-t-elle.Je ne dis rien. Ma mâchoire est contractée, je n’ai jamais été aussi furieux de ma vie.– Dites-moi, jeune homme, ce ne sont pas des manières, me dit le vieux en me jetant un regard

noir.– De peloter ma fiancée non plus, je lui rétorque.J’ignore le regard surpris de Charlotte et me concentre sur le papy Casanova.– Votre fiancée ? répète-t-il, l’air amusé.– Oui.– Eh bien, tu m’avais caché ça, chaton ! lance-t-il à Charlotte, qui semble mal à l’aise.Je rêve ou il vient de l’appeler chaton ?!– Je vous raccompagne, lui dit-elle.– Non, je ne préfère pas, je lâche en la saisissant par la taille.Elle me pousse sans un mot et invite papy à la suivre vers la sortie. J’attrape Charlotte par le

bras et lui dis :– Non, tu restes avec moi.Elle tente de dégager son bras sans succès.– Maintenant ça suffit, lâchez-la ! m’ordonne le Casanova d’opérette.– Allez-vous-en, je souffle entre mes dents.– Et moi je vous ai dit de la lâcher, répète-il plus fort.Quelqu’un me saisit par-derrière et me soulève. De surprise, je lâche le bras de Charlotte. Je me

débats, expédie un coup de coude. En me tournant, je vois qu’il s’agit du videur. Il m’attrape le braset tente de me tirer dehors, mais je ne veux pas abandonner Charlotte. Il ne se laisse pas faire. Je neréfléchis plus et lui colle un coup de poing. J’attrape Charlotte et comprends alors qu’elle n’arrêtepas de me dire depuis deux bonnes minutes « Marc, calme-toi » mais je n’écoute pas. Papy s’énerveà son tour et me pousse. Je chute au sol. Le videur en profite pour revenir à la charge. Il me frappeviolemment au visage et je perds légèrement connaissance. Malheureusement pour lui, il m’en fautplus. J’attrape sa cheville et tire dessus. Il perd l’équilibre…

– MARC, STOP ! hurle Charlotte.Je m’arrête instantanément. Je regarde autour de moi : les tables renversées, les clients qui ont

déserté le club et Charlotte qui est à bout de souffle.– Je suis désolé, je lâche piteusement avant de partir sans accorder un regard aux autres.

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J’ai honte de moi. Comment cela a-t-il pu arriver ? Je ne m’étais jamais battu… Que se serait-ilpassé si Charlotte n’avait pas hurlé ?

Une fois dehors, j’inspire et laisse l’air frais s’insinuer dans mes poumons. Je marche, je ne saispas où je vais, mais je laisse mes pas fouler le béton. Je finis par tomber sur un banc et m’y installe.Je me frotte le visage et tente de me reprendre. J’observe un instant la Garonne suivre son cours.

Je soupire, me lève et me rends chez Cassandra et Charlotte. Un voisin passe à ce moment-là etme tient la porte. Je monte directement et frappe. Charlotte m’ouvre.

– Où étais-tu ? demande-t-elle, visiblement énervée.– Je… j’avais besoin de me calmer, je dis tout doucement.Elle me dévisage. Mon cœur se serre. Je suis effrayé. J’ai peur qu’elle ne veuille plus de moi,

de découvrir qu’elle laisse d’autres hommes entrer dans son lit, de ce qui pourrait advenir de moi sije reste avec elle… Elle a le pouvoir de me briser et elle n’en a même pas conscience.

– Qui était-ce ? je demande en sentant la colère s’insinuer de nouveau en moi.Elle m’attrape par la main, m’emmène dans sa chambre et me fait asseoir sur son lit. Puis elle

part, revient avec une trousse à pharmacie d’où elle sort du coton et du désinfectant et s’installe enface de moi. Elle baisse la tête, semble chercher ses mots, ouvre puis ferme la bouche à plusieursreprises avant de dire avec sa voix douce :

– Il s’agit de mon ancien professeur de piano.– J’aurais juré qu’il s’agissait de plus que ça…, je lance entre mes dents.Le silence s’installe dans la pièce comme seul témoin de cet instant.– Tu couches avec lui ? je demande, le cœur battant.La peur s’immisce en moi, mon estomac se tord, la douleur m’étreint à la seule idée qu’elle

laisse un autre homme la toucher.– Plus depuis que j’ai emménagé à Toulouse. Elle attrape doucement mon menton et commence à tamponner délicatement mon arcade. J’ouvre

les yeux, plonge dans ses yeux couleur océan et m’y perds.– Je suis tombé amoureux de toi à l’instant où je t’ai vue.Elle s’arrête net et me dit très calmement :– Tu n’aurais pas dû.– Me battre ou tomber amoureux ?– Les deux, si tu veux mon avis.– Je regrette de m’être battu, mais pas d’être tombé amoureux de toi.– Tu es un idiot.– Je sais.– Tu vas partir ? demande-t-elle.– Non, je réponds.Je passe ma main sur son visage et je me rends compte que je ne le ferai jamais. Je ne pourrai

pas être sans elle. Je préfère qu’elle me brise mille fois plutôt que de vivre sans elle. Je l’embrassedoucement. Tout dans mon baiser veut dire « je t’aime ». Et quand elle me le rend, pendant un instant,j’ai l’impression qu’elle me répond « moi aussi ». Je fais glisser délicatement les bretelles de sarobe. Ses seins se dressent devant moi. Je les caresse du bout des doigts. Je l’allonge sur le lit etpose mes lèvres sur chaque partie de son corps. Parfois, je me dis que si je lui montre à quel point jel’aime à la folie, elle finira par m’aimer à son tour. J’embrasse son ventre, fais glisser sa robe, puisson string… J’embrasse son sexe humide, mordille son clitoris et quand elle jouit, je me déshabille

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sans la quitter du regard. Elle ne le sait pas et ne veut pas l’accepter, mais elle est à moi. Je le sensau plus profond de mon être…

Je m’installe entre ses jambes, la pénètre en chuchotant à son oreille « je t’aime, Charlotte ». Jele répète encore et encore, porté par mes va-et-vient. Elle enfonce ses ongles dans mon dos, gémit, etje me déverse en elle, espérant y laisser mon empreinte.

31 octobre 2015

Debout au milieu du terrain, entouré de près de quatre-vingt mille spectateurs, quelques instantsavant le début des hymnes, c’est le vertige ; tellement bousculé par des milliers de sentiments que,soudain, mes jambes tremblent et ma tête tourne. En quelques instants, j’expérimente une foule desentiments : la peur, l’excitation, l’envie. Tous les muscles de mon corps sont tétanisés. Lespremières notes de La Marseillaise se mettent alors à retentir dans le stade ; il n’y a pas de doute, cechant vous met vraiment en condition pour le combat. Repris à tue-tête par chacun d’entre nous, lechant révolutionnaire nous galvanise et nous plonge complètement dans le match. Les hymnesterminés, c’est le moment ! Ayant gagné le toast, je saisis le ballon et me positionne au centre duterrain ; je vais ainsi avoir l’honneur d’engager cette partie. Une grande inspiration, le coup de siffletde l’arbitre et le jeu commence ! D’un coup de pied déterminé, la première chandelle s’envole dansle ciel londonien. La bataille est lancée pour quatre-vingts minutes !

Au vu des premiers temps, le mot « bataille » semble bien choisi ; les impacts sont rudes, lescontacts font mal. Aucune équipe ne veut perdre du terrain. Du coup, c’est un jeu de défense auquel lestade assiste. La moindre attaque est rapidement stoppée et la majorité du jeu repose sur les arrièresqui tentent, par de longs coups de pied, de trouver les meilleures touches.

Pendant quelques instants, mes pensées dérivent…

Septembre 2005

Je soulève un énorme carton qui pèse au moins trois tonnes, monte les marches et finis par leposer au sol. Je frotte mon dos douloureux et lis l’inscription : « Livres ». Je reconnaisimmédiatement l’écriture de Charlotte.

– Je croyais que l’on avait dit que tu ne devais pas remplir les cartons avec des livres ? je luidemande en souriant.

– Tu m’as promis des tas de rugbymen, du coup je me suis dit que deux ou trois minusculesbouquins ne vous feraient pas peur, dit-elle, un brin malicieuse.

Je ne résiste pas plus longtemps. Je l’attrape par la taille et l’embrasse avec passion. Je souriscomme un idiot, car c’est ce que je suis : l’idiot le plus heureux de la Terre ! Je n’en reviens toujourspas que Charlotte ait accepté d’emménager avec moi. Cette année, elle commence son internat et moi,j’ai rejoint l’équipe du Stade toulousain.

Alors j’ai le droit d’être un idiot heureux et amoureux…

Septembre 2015

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Après plus de vingt minutes, nous sommes toujours à égalité avec les Anglais. Pas le moindrepoint marqué et même aucune intrusion dans les vingt mètres adverses. Vingt-deuxième minute, lesAnglais vont à la faute et m’offrent la première pénalité du match ; l’occasion pour moi d’inscrire lestrois premiers points. Je positionne le ballon aux alentours des trente-cinq mètres, légèrement décalésur la gauche des poteaux. Une pénalité qui semble idéale pour mon pied droit. Je suis bien conscientque cette pénalité est capitale pour moi, peut-être plus que pour le reste de l’équipe, car c’estl’occasion de me mettre sur de bons rails, dans une partie pour le moment cadenassée et où j’ai biendu mal à m’exprimer. Je prends mes marques, quelques pas d’élan et je frappe ; le ballon prend latrajectoire idéale ; immédiatement, je n’ai aucun doute sur l’issue de cette pénalité. J’en ai tellementtiré dans ma carrière que je sais dès le départ si mon coup de pied va faire mouche. Là encore, pasd’erreur : le ballon passe entre les poteaux et nous permet d’ouvrir la marque 3-0. Cette ouverture duscore a le mérite de nous apporter une petite bouffée d’air mais elle a également comme conséquencede durcir un peu plus le match. Le gros du jeu se déroule donc entre les deux lignes des vingt mètreset, dans ce genre de situation, on s’en remet souvent à du jeu au pied. J’ai donc multiplié lesouvertures au pied, les tirs en touche, mais jamais vraiment en phase offensive, et quelqueschandelles pour tenter de gagner un peu de terrain. Mais rien n’y fait. Aucune occasion de percer lerideau défensif adverse.

Février 2006

Je regarde l’assiette vide devant moi, l’heure, et soupire. Vivre avec Charlotte, c’est commevivre avec un fantôme. Quoique je sois sûr que Casper est plus présent. Je savais que son internat luiprendrait son temps et son énergie, mais je ne m’attendais pas à ça…

J’entends la clé dans la serrure et me redresse, souriant. Elle franchit la porte, l’air accablé.Elle s’approche et je constate qu’elle pleure. Je me lève immédiatement et la prends dans mes bras.Elle s’agrippe à moi, enfonçant ses ongles dans mon dos. L’inquiétude me gagne. Je n’ai jamais vuCharlotte dans un état pareil. Je l’éloigne de moi et vérifie qu’elle n’est pas blessée.

– Il est mort, dit-elle en reniflant.– Qui ?– Le petit garçon que j’ai opéré aujourd’hui… Il est mort… Je… On n’a rien pu faire…Je la reprends dans mes bras et serre plus fort.

31 octobre 2015

Si j’ai réussi à percer la carapace de Charlotte, aucune défense anglaise ne peut m’atteindre !L’occasion se présente enfin à la trente-septième minute, sur un bon décalage de mon ailier, une

brèche se crée dans la ligne adverse ; je tente alors une accélération qui laisse sur place mespremiers adversaires directs ; à une dizaine de mètres de l’en-but, la cible semble m’être promise.Mais au dernier moment, je suis intercepté par l’arrière anglais. Son plaquage est d’une rareviolence. Il m’a saisi au niveau des hanches et a tout renversé sur son passage, y compris mon genou.Je mets plusieurs minutes à me relever et comprends à ce moment-là que mon genou est en train decéder. Pourtant, impossible que je laisse ma place dans ce match ! Je me relève et fais un gros effortpour ne pas trop boiter… Si le sélectionneur se rend compte que j’ai mal, le match est terminé pour

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moi. Allez, il ne reste que trois minutes avant la mi-temps, il faut que je serre les dents. Les Anglaispoussent dans ces dernières minutes, et à force de pousser, nous commettons une faute sur une phasedéfensive. À moins de trente mètres, quasiment en face des poteaux, c’est un véritable cadeau pourles Anglais. Le botteur britannique ne tremble pas et remet les deux équipes à égalité, à quelquessecondes du retour au vestiaire. 3-3. L’arbitre porte le sifflet à sa bouche et annonce la pause.J’inspire et tente de calmer la douleur lancinante qui s’est installée dans mon genou. Je regagne levestiaire en tentant au mieux de cacher mon état. La colère me submerge… Tout ça n’aurait jamais dûarriver…

Juin 2007

– Charlotte, je t’en prie… C’est une très belle opportunité…– Pour toi, me coupe-t-elle en mettant ses baskets.– Oui, pour moi ! C’est Toulon ! Ce genre d’opportunité ne se reproduira peut-être pas…– Alors vas-y ! lâche-t-elle en attrapant sa veste.– Pas sans toi.– Marc, je ne vais pas aller finir mon internat à Toulon !– Tu peux être chirurgien n’importe où !– Je ne veux pas n’importe où, Marc. Je ne te dis pas qu’on ne sera plus ensemble, je te dis juste

que je n’irai pas vivre à Toulon.Elle se dirige vers l’entrée, prend ses clés et son sac.– C’est ça ou c’est fini, je lâche.Je regrette immédiatement mes paroles. Elle me regarde, sous le choc, et me dit :– Alors c’est fini.Et elle s’en va.

31 octobre 2015

Assis sur le banc, je regarde le mur. En une phrase, j’ai clos mon histoire avec Charlotte. Il aurasuffi de cette seule et unique phrase.

Juin 2007

Mon Dieu… Qu’est-ce que j’ai fait ? Je tourne en rond, tente de la joindre sur son portable.Rien. À l’hôpital, on me dit qu’elle n’est pas disponible.

Ça fait trois jours que je n’ai pas de nouvelles ! Ce qui me rassure, c’est que ses affaires sonttoujours chez nous… Nous ! Il n’y a pas de nous ! Il n’y en a plus. J’ai tout gâché, et pour uneconnerie, en plus… J’ai eu peur de la perdre si je partais à Toulon, et finalement, je l’ai quand mêmeperdue…

Je me passe une main tremblante sur la nuque. Je vais aller à l’hôpital. Je vais lui dire que jem’en fous et que tout ce que je veux, c’est elle !

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Je regagne ma voiture, désespéré. Pas de Charlotte. Je rentre, elle va bien finir par repasserprendre ses affaires.

J’ouvre la porte d’entrée et trouve de suite qu’il y a quelque chose de bizarre… Quoi ? Je nesais pas… Je vais dans la chambre et me rends compte qu’il manque ses affaires. Son côté del’armoire est vide, ses bijoux ont disparu… Je fouille partout et me rends compte qu’elle a pris toutce qui lui était possible. Même ses livres préférés ont disparu ! Je retourne dans l’entrée et trouve unmot que je n’avais pas remarqué en entrant.

Marc, fais ce que tu veux du reste de mes affaires.BisousCharlotte

Ma respiration s’arrête. Elle est partie…

31 octobre 2015

– Ça va, ton genou ? me lance l’un de mes coéquipiers.– Oui, je réponds simplement.Mon genou va mieux que mon cœur…

Février 2008

Aujourd’hui, ça fait huit mois que Charlotte est partie, me dis-je en me versant un autre verrede whisky.

Huit mois de cauchemar, huit mois que mon cœur est en lambeaux…Mais au moins, maintenant, je sais où elle est partie, me dis-je en riant jaune.Charlotte est partie. Elle m’a laissé pour un foutu pays en guerre ! Je me ressers un verre et

porte un toast à l’Irak. Ouais, ça doit être plus sympa que de vivre avec moi…– Tu devrais rentrer mon pote. T’as pas l’air en forme, me dit… – en fait, je ne sais pas qui

c’est.– Ouais, t’as raison, je lui réponds en finissant mon verre cul sec.Je rejoins ma voiture tant bien que mal, démarre, accélère et… Et je me suis retrouvé à l’hôpital le genou en miettes. Trois opérations et cinq mois de

rééducation plus tard, rien ne se passait. Plus personne ne croyait à un rétablissement, même pasmoi…

J’étais au bord du gouffre. J’étais retourné vivre chez mes parents, l’absence de Charlotte étaitinsupportable et je ne buvais plus aucune goutte d’alcool. L’alcool, mon faux ami pendant huit mois…Je buvais et, pendant quelques instants, j’oubliais mon désespoir. Mais après mon accident, j’aiarrêté. Je voulais tout ressentir… Sauf que ce que je ressentais était terrible. Et un jour, Cassandranous a appris qu’elle allait avoir un bébé, et je ne sais pas… je crois que j’ai juste compris que lavie continuait. Et puis, il a bien fallu redonner un sens à chaque journée qui passait. Jour après jour,je me fixais de petits objectifs à atteindre ; plier le genou, se lever, tenir debout pendant trente

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secondes… Le moindre effort était une mission, un défi mental au-delà de la souffrance physique. Dejour en jour, la douleur était moins forte. Ou alors, c’est moi qui la supportais mieux. Le fait est quej’ai pu recommencer à marcher. Je suis alors parti sur la Côte d’Azur, dans un centre spécialisé pourtenter de me retrouver et, pourquoi pas, de repenser au rugby. Et c’est exactement ce que j’ai fait, loinde Charlotte. Je ne pensais qu’au rugby du matin au soir, avec comme seule idée en tête de retrouverle chemin des terrains. Tous les médias m’annonçaient déjà comme arrêtant ma carrière. J’y voyaisune source de motivation incroyable pour tenter de revenir : non, il était hors de question que macarrière s’achève de cette façon.

Dès lors, j’ai progressé vite. J’ai retrouvé quelques sensations, un peu la forme. Au bout dequelques semaines à peine, j’ai commencé à recourir – inespéré, d’après le docteur, qui est devenuun peu plus optimiste. C’est à partir de cet instant que j’ai songé à programmer mon retour. Je savaisqu’il fallait mettre les bouchées doubles, j’avais assez perdu de temps. Au bout de trois mois passéssur la Côte d’Azur, j’ai rejoint Toulon. J’ai alors repris l’entraînement avec le staff toulonnais. Lechemin était encore long mais il semblait dégagé.

Contre toute attente et malgré ceux qui ne croyaient pas à mon retour, j’y suis arrivé et j’ai pufouler de nouveau une pelouse plus de treize mois après ce terrible accident.

Ma vie sans Charlotte, c’est ça : le rugby. Juste le rugby.

31 octobre 2015

Dans quelques heures je vais devoir vivre sans elle et sans rugby… Je secoue la tête. Ce n’estpas possible…

Juillet 2015

Je regarde distraitement l’assemblée. Je n’aime pas ce genre de soirée, mais bon, c’est pour labonne cause…

– Marc ?Pendant une seconde, je me demande si je rêve. Mais non, elle est là, devant moi…– Charlotte ?Elle me sourit. Elle est magnifique, comme toujours… Elle a les cheveux courts et semble plus

adulte que dans mes souvenirs, mais elle est incroyablement belle.– Comment vas-tu ? me demande-t-elle alors que je la dévisage.– Ça va. C’est ma dernière saison. Et toi ?– Je suis chirurgien au Great Ormond Street Hospital for Children de Londres.– Toutes mes félicitations.– Merci. J’ai vu les enfants de Cassandra, ils sont magnifiques.– Je ne savais pas que vous étiez encore en contact, dis-je en fronçant les sourcils.Cassandra ne m’a rien dit…– Ah ! Désolée, je pensais que tu savais.J’ouvre la bouche pour lui dire que ce n’est pas grave, mais un homme arrive et l’enlace.– Bonjour, dit-il en me tendant la main.Je le salue à mon tour en tentant de cacher mon trouble.

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– Marc est le frère de Cassandra, me présente Charlotte.– Oui, bien sûr, le rugbyman !Ma gorge se serre. J’ai imaginé un million de fois mes retrouvailles avec Charlotte et

étrangement, dans aucune d’elles, elle n’avait un petit ami à qui elle me présentait comme le frère deCassandra.

– Pourquoi ne pas venir déjeuner à la maison demain ? m’invite-t-il.À la maison… donc ils vivent ensemble…– Je…À ce moment-là, mes yeux tombent sur la main gauche de Charlotte.– Vous êtes mariés ? je demande.– Pas encore, répond-elle. Le 31 octobre prochain.Je répondrais bien « toutes mes félicitations », mais ma voix semble s’être évaporée.Le fiancé me regarde, troublé par ma réaction. Charlotte semble mal à l’aise tout à coup.– Félicitations, je finis par lâcher.– Merci, souffle doucement Charlotte.Je m’excuse et leur souhaite une bonne soirée. Je pars comme si j’avais le feu aux fesses. Je

demande un taxi au voiturier et me tourne quand j’entends Charlotte qui m’appelle.– Un café, ça te dit ? me demande-t-elle à bout de souffle.– Je ne suis pas sûr que ton fiancé apprécie, je lance, crispé.– Il n’est pas du genre jaloux.– Parce qu’il ne doit pas avoir conscience de ta valeur !Elle me regarde, surprise.– Désolé, c’est déplacé, mais je m’en fous. Ça faisait huit ans que j’imaginais le jour où je te

reverrais…– Je pensais que Cassandra t’en avait parlé, Marc, sinon je ne te l’aurais pas annoncé comme

ça.– Donc elle est au courant…– Oui, je ne sais pas ce qu’elle t’a dit mais je n’ai jamais vraiment perdu contact avec elle. Je

crois qu’elle a voulu te protéger, c’est tout.– Me protéger ! Je t’aimais comme un fou !– Je sais, et c’est pour ça qu’elle ne t’a rien dit, je pense.– Est-ce que tu m’as aimé ? Au moins un peu ? je demande, la gorge nouée par l’émotion.– Je… je… oui, je t’ai aimé, Marc. Je t’ai aimé au point de partir à l’autre bout du monde pour

t’oublier.– Je ne voulais pas rompre, je finis par avouer doucement.– Je sais, mais il le fallait.– Pourquoi ?– Parce que tu mérites d’avoir des bébés géants, Marc !– Je ne voulais que toi !Sur ces mots, le taxi arrive, et je ne veux pas la quitter une nouvelle fois. Je lève les yeux et

aperçois son fiancé qui nous observe de loin. Pas jaloux ? Vu comme il nous regarde, il serait prêt àm’arracher la tête si je m’approchais un peu trop près…

– Je dois y aller, dis-je, résigné.– Oui, bien sûr. Marc, n’en veux pas à Cassandra.– Promis.

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Je fais un mouvement en avant pour la prendre dans mes bras et me ravise. Je souffre assezcomme ça…

Je monte dans le taxi et prends bien soin de regarder droit devant moi.

31 octobre 2015

La seconde mi-temps reprend de la même manière que s’est terminée la première. Le jeu estfermé, les contacts sont rudes. Plus les minutes passent et plus j’essaie de les éviter pour protégermon genou. Cinquante-neuvième minute. Sur une touche anglaise effectuée dans notre partie deterrain, nous réussissons à intercepter le ballon et partons en contre-attaque à cent à l’heure. LesAnglais sont désorganisés, c’est le moment ou jamais ; nous effectuons un bon enchaînement depasses qui nous conduit rapidement dans les vingt mètres adverses ; venant de l’aile gauche, le ballonm’arrive dans les mains ; en une fraction de seconde, je feinte la passe à droite et réalise une passeaveugle plein centre pour mon arrière qui arrive, lancé à toute vitesse. Les Anglais sont pris audépourvu et notre numéro 15 aplatit l’essai entre les poteaux. Toute l’équipe exulte, nous voilà devantau tableau d’affichage 8-3 et j’ai l’occasion de rajouter deux points en réussissant la transformation.Une transformation sans aucune difficulté, même avec un genou en souffrance. 10-3. Il reste vingtminutes à jouer. Nous voilà bien positionnés dans cette finale à présent. Les Anglais n’ont pas eu lamoindre occasion de marquer un essai et nous avons réussi à concrétiser la seule occasion que nousavons eue. Mais notre joie fut de courte durée ; poussés par un stade en ébullition, les Anglais setranscendent ; chaque duel est désormais remporté par un Britannique. Nous n’arrivons plus àrepousser leurs avants et nous sommes au bord de la rupture. À chaque contact, je me rapproched’une douleur insupportable. Je me demande comment je fais pour réussir encore à courir. À force dedominer, les Anglais finissent par nous faire céder. À la soixante et onzième minute, j’effectue unessai en force, bien amené par leurs avants qui ont littéralement marché sur nos lignes défensives. Illaisse des traces physiquement et mentalement. La transformation n’est qu’une formalité. 10-10.

Encore sous le coup de cet essai, nous commettons une faute dès la remise en jeu. Une erreurstupide probablement due à une déconcentration générale. Soixante-douzième minute, le buteuranglais réalise un sans-faute et permet à son équipe de prendre l’avantage pour la première fois de lapartie : 10-13. Il reste huit minutes à jouer. Mentalement et physiquement, les Anglais semblent plusforts à ce moment du match. Mais hors de question de jeter l’éponge ; la situation s’est obscurcie,c’est sûr, mais il reste encore du temps pour revenir dans cette rencontre. Le sélectionneur réalisequelques changements afin d’injecter un peu de sang frais pour les dernières minutes et je suis bienheureux de constater que je n’en fais pas partie. Les grimaces dues à ma douleur ont dû passerinaperçues. Nous tentons de trouver un nouvel élan et de repartir de l’avant ; les Anglais nousattendent, remontés à bloc et bien décidés à tenir le score jusqu’à la fin du match. Le jeu devientbrouillon, la tension monte d’un cran au fur et à mesure que le temps passe. Nous commettons encoredes erreurs, les passes se font de moins en moins précises et mes coups de pied ne nous font pasbeaucoup avancer. Et si nous avions laissé passer notre chance ?

La veille

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Après avoir tiré les vers du nez de Cassandra, j’ai appris que Charlotte était partie avecMédecins sans frontières suite à notre rupture. Elle avait présenté ça comme une opportunité à masœur qui ne l’avait pas crue une seconde. Ensuite, Charlotte avait valdingué de pays en pays jusqu’àrencontrer Fabian, son fiancé, en Afrique. Il lui a fait une cour effrontée durant plusieurs mois et ellea fini par céder. L’année dernière, on a proposé à Charlotte une place de chirurgien en Angleterrequ’elle a acceptée. Fabian a choisi de la suivre en prenant un poste de pédiatre dans un hôpitallondonien. Il l’a demandée en mariage en avril dernier… Et maintenant, je suis devant chez elle et jene sais pas pourquoi.

Cassandra m’a dit que le fiancé ne serait pas là et… En fait, je n’en sais rien.Je ferme ma parka et regarde distraitement la porte d’entrée. Je me demande si Charlotte se plaît

ici…– Marc ?Je me retourne et la trouve en train de m’observer, l’air amusé.– Je t’aime… Je veux dire que je t’aime toujours, Charlotte. Demain, ce sera le dernier match de

ma vie et je m’en fous. Je ne pense qu’à toi. Je ne pense qu’à toi depuis quinze ans et tu me dis que jemérite d’avoir des bébés géants, mais je m’en fous parce que tout ce que je veux, c’est toi. C’estt’écouter jouer du piano, te regarder quand tu dors, entendre ta petite voix et me demander si tes yeuxont la couleur du ciel ou de l’océan Indien. Je te veux, Charlotte, je veux t’embrasser, te faire l’amouret t’entendre me dire que tu ne sais pas aimer alors que tu es un vrai cœur d’artichaut qui tombeamoureuse chaque fois qu’elle voit un chiot. Ne te marie pas, Charlotte, je t’en supplie…

Je m’approche, me baisse et pose mes lèvres sur les siennes. Je l’embrasse doucement, soupireet m’en vais sans regarder en arrière.

31 octobre 2015

Nous enchaînons les phases de jeu, les mouvements de passes qui nous conduisent dans les vingtmètres adverses. Soudain, nous sentons tous la peur chez nos adversaires. Le fait de nous voir siproches de leur en-but semble les tétaniser. À l’inverse, nous prenons conscience que cette occasionest certainement la dernière, alors, sans réfléchir, nous jetons toutes nos forces dans la bataille. Leballon navigue de droite à gauche, nous cherchons la faille dans cette défense qui reste bienregroupée. Nos avants la travaillent par des séries de charges qui nous font gagner quelques mètres.Soixante-dix-huitième minute. Nous sommes à une dizaine de mètres de la ligne d’en-but et nousavons le ballon ; les avants continuent de travailler puis décident de sortir le ballon. Je le saisis etl’oriente sur l’aile droite. Deux passes plus tard et le ballon arrive à notre virevoltant ailier droit ; cedernier réalise un véritable exploit. Il fait une accélération qui laisse sur place trois joueurs anglaiset, d’un plongeon rageur, aplatit derrière la ligne. La joie nous transporte. Cet essai est presquesynonyme de victoire. Il reste très peu de temps au chrono. Nous sommes à 15-13 et si je passe latransformation, seul un essai pourra rendre la victoire aux Anglais. Je place soigneusement monballon. Contrairement à la première, cette transformation est très excentrée sur le côté droit, mais çane doit pas me perturber. J’en ai déjà réussi des centaines. Je prends mon élan et profite des quelquesminutes autorisées avant la frappe pour me concentrer ; le stade retient son souffle et je n’ai jamaisressenti autant de pression, autant d’envie de voir le ballon passer entre les deux poteaux. Juste avantde frapper, je jette un coup d’œil à mon genou, j’ai l’impression qu’il a doublé depuis le début dumatch, il me fait horriblement mal… Au moment de la frappe, je ressens comme une décharge sur

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mon dernier appui, le contact avec le ballon est loin d’être parfait. Il entame sa course. Sûr de rien, jene le quitte pas des yeux, priant pour que ma douleur au moment de la frappe n’ait pas eu d’influencesur la trajectoire. Malheureusement, celle-ci semble définitivement mauvaise ; à l’approche despoteaux, cela se confirme : le ballon passe à côté. Ma déception est immense. Tandis que je reparsme replacer, mon regard croise celui du sélectionneur, qui semble avoir compris que je jouemaintenant depuis plusieurs minutes avec un genou en moins. L’important n’est plus là : j’ai ignoré madouleur au détriment de mon équipe, mais je n’ai pas le temps de me lamenter sur cet échec. Il resteun peu plus d’une minute à jouer et nous menons de deux points. Dans quelques instants, nous seronspeut-être champions du monde. Pour cela, il faut encore tenir quelques secondes, mais nous n’avonspas le droit à l’erreur, aucune, car la moindre faute donnerait la possibilité aux Anglais de repasserdevant à la marque.

Ces dernières secondes sont interminables Chaque joueur se bat sur chaque opportunité pourn’avoir aucun regret. Tous les regards sont désormais tournés vers l’arbitre ; je n’en peux plus, je suisallé au bout de l’effort, au bout de la douleur que je pouvais supporter. Il faut que ce match setermine, là, maintenant, tout de suite. Les deux bancs de touche sont désormais debout. De notre côté,tous sont prêts à bondir sur le terrain pour nous congratuler. De l’autre, les Anglais se mordent lesdoigts, le visage austère. Dans ces derniers instants, les Anglais monopolisent le ballon. Nous nouscontentons de les repousser sans faire de faute. Alors que nous sommes en train de livrer un ultimecombat au centre du terrain, tout à coup, le stade se met à se déchaîner. L’arbitre a sifflé l’un des troiscoups finaux. La délivrance, enfin ! Submergé par l’émotion, je tombe les deux genoux à terre. Il n’y aplus de douleurs, plus de peur, seule la plénitude m’envahit de la tête aux pieds. Impossible deréaliser complètement ce que nous venons de faire, impossible de définir ce que je ressensmaintenant. C’est l’euphorie la plus totale. Mes coéquipiers chantent, portés par les cris dessupporters, certains m’étreignent, mais je n’arrive toujours pas à assimiler ce qui vient de se passer.Puis, nous nous dirigeons vers les supporters qui nous ont encouragés durant toute la rencontre. C’estun moment fort, un moment intemporel. Il pourrait durer des heures, ce serait exactement pareil.Personne ne ressent de fatigue ou de douleur, notre corps est comme engourdi. Après plusieursminutes d’ivresse partagée, place au protocole ; la tradition veut que les vainqueurs acclament etapplaudissent les vaincus juste avant de recevoir leur récompense. La haie d’honneur est une trèsbelle tradition du rugby, une de celles que je préfère. Puis c’est à notre tour, marchant au milieu desrugbymen anglais qui nous acclament, nous avançons en direction du gratin du rugby mondial. Chacunva recevoir sa médaille de champion du monde, celle que nous garderons à jamais, précieusement.Nos médailles autour du cou, c’est l’heure de recevoir le trophée ; pour mon dernier match, mescoéquipiers me font l’honneur de me laisser soulever le trophée en premier. Quelle sensation ! Deloin la plus forte que j’aie jamais vécue jusqu’à présent ! J’attrape la coupe, y appose un léger baiseret, alors que le stade retient son souffle et n’attend que la vision du trophée pour exulter, je brandis lacoupe le plus haut possible. Nous l’avons fait ! Ma carrière se termine aujourd’hui avec ma plusgrande victoire, et pourtant, j’ai un goût amer dans la bouche… Charlotte.

– Quelle heure est-il ? je hurle à quelqu’un du staff.– Quoi ?– L’heure !– 18 heures !En une seconde, ma décision est prise. Je tends la coupe à l’un de mes coéquipiers et pars, me

frayant un chemin à travers la foule. Tout le monde est trop occupé à fêter notre victoire pour meremarquer traverser le stade en courant. Arrivé dehors, c’est le chaos ! Tant pis, je traverse le

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parking jusqu’à rejoindre la route. Mon regard se pose immédiatement sur un taxi. Je le hèle, grimpeet me rends compte que je n’ai pas pris d’argent, rien… Le chauffeur me reconnaît et m’offre lacourse jusqu’au mariage de Charlotte. Nous nous garons devant une petite église. Je ne perds pas uneminute et descends. Les portes sont fermées… Le mariage a commencé ! Tant pis, aujourd’hui, c’estmon jour. Je les ouvre violemment et constate que l’église est vide. Personne. Je me passe une mainsur le visage et comprends que c’est trop tard. Mon cœur explose. Charlotte est mariée…

– Marc ?Je me retourne et vois Charlotte en robe blanche. J’en ai le souffle coupé.– Tu es…Je secoue la tête, à court de mots.– Je t’aime, Marc. Je t’aime depuis près de quinze ans. J’aime ta douceur, alors que tu es

gigantesque ; j’aime la façon dont tu me regardes ; j’aime tes mains, tes lèvres, et je rêve de devenirta femme et de te faire des tas d’enfants. Mais j’ai peur. Tu me fais peur, parce que si je devais teperdre toi aussi, je… J’ai déjà perdu…

Sa voix s’éteint, des larmes coulent le long de ses joues. Mon cœur se serre devant sa douleur.Je m’approche d’elle, passe doucement ma main sur son visage et plonge mes yeux dans les siens. Unsourire amer s’étire sur mes lèvres. J’ai rêvé de ces mots, mais je ne m’attendais pas à la voiraffronter ses démons un jour.

– Tu ne me perdras pas, Charlotte.– Tout le monde part un jour, Marc.– Pas moi, jamais… J’ai trop attendu…Je l’embrasse, la soulève et l’emmène hors de cette église. On ne sait jamais, si elle venait à

changer d’avis…

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