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CHARLAINEHARRIS

_________LACOMMUNAUTEDUSUD1________

Quandledangerrôde

Traduitdel’américainParCécileLegrand-Ferronnière

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LesoiroùlevampireapoussélaportedeChezMerlotte,lebaroùjetravaillais,j’aitout

desuitesuquec’étaitlui.Depuis que ses congénères avaient commencé leur coming out, quelques années

auparavant,j’espéraisquel’und’entreeuxauraitlabonneidéedefaireuntourcheznous,àBonTemps.Danscecoinperdu,onavaitdéjàdesreprésentantsdetoutes lesminorités,oupresque.Ilnemanquaitplusqueladernièreàavoirétéofficiellementreconnue: lesmortsvivants.

D’accord, lenordde laLouisianenepossédaitguèred’attraitspour lesvampires.Troprural,jesuppose.MaisLaNouvelle-Orléansn’étaitpasloinet,s’ilfautencroirelesromansd’AnnRice,c’estbienlapatriedesvampires,n’est-cepas?

Jenecomptepluslenombredeclientsquiaffirmaientqu’oncroisaitdesmortsvivantsàtous lescoinsderueetqu’ilsuffisaitde lanceruncaillouen l’airpourentoucherun.Enespérantnepas lui faire tropdemal,biensûr :mieuxvautéviterdecontrarierunvampirequ’onneconnaîtpas.Onnesaitjamais.Dureste,jen’avaispasenviederencontrern’importequelvampire.Jevoulaislemien.

Leproblème,c’estquejenesortaispasbeaucoup.Attendez!N’allezpasendéduirequej’étais un laideron. Avecmes vingt-cinq ans, mes cheveux blonds et mes yeux bleus, mesjambeslongues,mataillefineetmapoitrinegénéreuse,jen’avaispasledroitdemeplaindre.D’autant que l’uniforme que Sam avait choisi pour ses serveuses – short noir, chemisierblancettennisnoires–mettaitplutôtmasilhouetteenvaleur.

Seulement,jesouffraisd’un...légerhandicap.Enfin,c’étaitmafaçondevoirleschoses.Les clients, eux, disaient que j’étais cinglée. Question de point de vue. Résultat, je n’étaispratiquementjamaissortieavecungarçon.

Etvoilàqu’unsoir,ilestentrédanslebarets’estassisàl’unedemestables–jeparlede mon vampire. J’ai tout de suite compris à qui j’avais affaire. Étrangement, personneautour demoi ne semblait avoir remarqué quoi que ce soit d’inhabituel. Pourtant, avec sapeauopalescenteetsesyeuxperçants...

Sur le moment, j’ai eu envie de sauter de joie. Ce que j’ai fait, d’ailleurs. Quelquesentrechatsderrièrelecomptoir,nivuniconnu–saufdeSamMerlotte,monpatron,quim’ajetéundrôlederegardpardessuslecocktailqu’ilétaitentraindepréparer.

J’aiprismonbloc-noteset jemesuisdirigéeversceclientsioriginal,enregrettantdene pas avoir remis de rouge à lèvres. Je souriais tellement que j’en avais mal auxzygomatiques.

Lui,enrevanche,paraissaitperdudanssespensées,cequim’a laisséunbonmomentpourl’observeravantqu’ilnes’aperçoivedemaprésence.Unmètrequatre-vingt-dixenviron,des cheveux bruns peignés en arrière, le visage encadré par de longues pattes qui luidonnaientunairdélicieusementrétro.

Sapeauétait trèspâle,bien sûr.N’oublionspasqu’il étaitmort...dumoins, si l’onencroitlesvieuxcontesdefées.D’aprèslathéoriepolitiquementcorrecte,cellequedéfendaientleslobbysdevampireseux-mêmes,l’hommequej’avaissouslesyeuxétaitvictimed’unvirusqui l’avaitplongédansunétatdemortapparentependantquarante-huitheuresavantde lelaisser,à sonréveil, frappéd’une trèsgraveallergieà l’argent,à la lumièredusoleil etaux

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goussesd’ail.Mon vampire avait des lèvres aumodelé sensuel, des sourcils fièrement arqués et un

nezdeprincebyzantin.Quand ila levé lesyeuxversmoi, j’aivuqu’ilsétaientd’unnoirdevelours,enaccordparfaitavec lanuancedesescheveux.Ilétaitencoreplusbeauquedansmesrêves!

Jeluiaidemandé,dansunétatprochedel’euphorie:—Etpourmonsieur,cesera?—Vousavezdusangdesynthèseàlapression?—Désolée,onneseralivrésquelasemaineprochaine.—Alors,apportez-moiunverredevinrouge,s’ilvousplaît.Savoixétait limpide,comme...comme l’eaud’untorrentglissantsurdesgaletsronds.

C’étaitmerveilleux!J’éclataiderire,incapabledecontenirmajoie.—FaitespasattentionàSookie,m’sieur!Elleestunpeusiphonnée,voyez?ditunevoix

familièrequiprovenaitduboxvoisin.Aussitôt,monbonheurtoutneufsedégonfla,telunpneucrevé.Jecontinuaiàsourire,

maislecœurn’yétaitplus.Unpeumalàl’aise,jedétournailesyeux.—Jevousapportevotrecommandetoutdesuite.Je m’éclipsai, sans un regard pour le vilain museau de Mack Rattray, assis comme

chaque soir avec sa femmeDenise dans le box près dumur. Les deux rats, comme je lesappelais.Depuis qu’ils avaient emménagé dans lemobile homede location installé à FourTracksCorner, ces deux affreuxmettaient unpoint d’honneur àme gâcher la vie.A croirequ’ilsn’avaientpasd’autreoccupationdansl’existence.

La première fois qu’ils étaient venus Chez Merlotte, j’avais – très impoliment, je lereconnais – écouté leurs pensées. Je sais, ce sont des choses qui ne se font pas. Mais jem’ennuyais ferme, ce soir-là. Et puis, je suis comme tout lemonde, ilm’arrive parfois decéderà la tentation.Bienque, engénéral, jebloque lespenséesdesautrespournepas lespercevoir,jeleslaissequelquefoispasser,justepourmedistraire.

C’estcommeçaquej’avaisapprissurlesRattraydeuxoutrois«détails»quelaplupartdes gens ignoraient.D’abord, ils avaient fait de la prison.Ensuite,Denise avait abandonnédeuxansauparavantunbébéquin’étaitpasdeMack.Quantàcedernier, il fantasmaitsurmoi.Deplus,ilsnelaissaientjamaisdepourboire,maiscen’étaitunsecretpourpersonne.

Samremplitunverredevinrouge,pratiquementsansquitterdesyeuxmonvampire.Encroisantsonregard,jecomprisqu’ilsavait,luiaussi.

J’aipourprincipedene jamais liredans lespenséesdemespatrons.Cen’estpasbon

pour le travail.J’aidéjàquittépasmaldeplacesparceque j’avaisapprissurmeschefsdeschosesquiauraientdûrestersecrètes.Dans lecasprésent, jen’euspasbesoinde liredanssespensées:ellessereflétaientdanssesirisbleus.

Sam avait les yeux de Paul Newman, les cheveux de Woody Allen et les biceps deStallone (je le savais car plus d’une fois, j’avais vu mon patron décharger le camion delivraisontorsenu).

Sans le moindre commentaire, il déposa le vin sur mon plateau, et j’apportai saconsommationàmonclient.

—Votrecommande,monsieur,dis-jed’untoncérémonieuxenposant leverrebienenfacedelui.Bonnesoirée.

Jeplongeaidenouveau lesyeuxdanssonbeauregardd’encre,maisMackRattrayme

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hélaaumêmeinstant.—Hé,Sookie!Ressers-nousdelabière!Enréprimantunsoupirdecontrariété, jem’approchaide la tabledesdeuxratspoury

prendrelepichetvide.Deniseportaitcesoir-làuntee-shirtdosnuetunshortcourt,etelleavaitlaissésescheveuxbouclésretombersursesépaules.Ellen’étaitpastrèsjolie,maisavecsestenuesvoyantesetsonairassuré,ilfallaitunmomentpours’enapercevoir.

Lorsquejerevins,unnouveaupichetdebièreàlamain,lesdeuxratsavaientquittéleurboxpours’installerà latablevoisine,celledubeauténébreux.Jemerassuraienmedisantqu’il ne pouvait s’agir que d’une initiative de leur part – mon vampire ne les auraitcertainementpasinvitésàlerejoindre!

Tout demême, il ne les priait pas non plus de s’en aller. Jeme tournai vers Arlène,déçue.

—Non,maisregarde-moiça!Arlène était ma collègue de travail préférée, presque ma meilleure amie. C’était une

bellefemmeroussededixansmonaînée,auvisagecouvertdetachesderousseur.Elleavaitétémariéequatre fois, élevait seule sesdeuxenfants, et j’avaisparfois l’impressionqu’ellemeconsidéraitcommeletroisième.

—Tiens,unnouveau,dit-elleenobservantmonbeaubrunsanslemoindreémoi.Arlène sortait avec René Lenier, et elle semblait en être heureuse, ce qui était un

mystèrepourmoi.Jecroisqu’ilavaitétésondeuxièmeoutroisièmemari.Jemepenchaiverselleetmurmurai:—Tunevoisdoncpasquec’estunvampire?Ilfallaitquejepartagemonexcitationavecquelqu’un.—Ah, oui ?Ehbien, il nedoit pas être très futé, s’il fraternise avec cesdeux affreux.

MaisilfautdirequeDeniseasortilegrandjeu.Arlène était plusdouéequemoipourpercevoir ce genrede choses.Cequi était assez

normal,étantdonnématotaleabsenced’expérienceenlamatière...En revanche, j’avais compris toute seule que le vampire était affamé. Le sang de

synthèse que les Japonais avaient récemment lancé sur le marché apportait à sesconsommateurs un réel équilibre nutritionnel, mais non la sensation de satiété. D’où les«déplorablesincidents»–euphémismeemployéparlesvampirespourdésignerlemeurtred’unêtrehumain–quisurvenaientdetempsàautre.Sansunmot,jeregardaicettegarcedeDeniserireàgorgedéployéesursachaise...Avait-elleconsciencedejoueraveclefeu?

C’estàcemomentquemonfrère,Jason,entradanslebar.Aprèsavoirtraversélasalled’un pas souple, il se pencha par-dessus le comptoir pour m’embrasser – il sait que lesfemmessontsensiblesaucharmedeshommesquiaimentleurfamilleetsemontrentgentilsavecleshandicapés.Enm’embrassant, ilsemontraitsousunbonjour.Nonqu’ilaitbesoindetellesruses:ilestsibeauqu’illuisuffitd’apparaîtrepourséduiretoutlemonde.Ilpeutaussi se montrer franchement odieux, mais j’ai remarqué que bien des femmes avaienttendanceànégligercepoint.

—Salut,petitesœur.CommentvaGranny?—Plutôtbien.Passenousvoirundecesjours.—Promis.Quiestlibre,cesoir?—Regardetoi-même.Commed’habitude,quandJasonparcourutlasalleduregard,jeviscesdamesredresser

le dos avec grâce, passer la main dans leurs cheveux, lisser leur chemisier d’un gestenerveux...

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—Tiens,DeeAnnestici?—Oui,maisellesortavecunroutierdeHammond.Ilseralàdansuninstant,nefaispas

l’idiot.Jasonmedécochasonplusbeausourire,etunefoisdeplus,jemedemandaicomment

lesfemmespouvaientnepasremarquersonairvaniteux.MêmeArlèneredressaitlesépauleset rentrait leventrequandJason la regardait.QuantàDawn,monautrecollègue, je l’avaisvueretoucherfurtivementsonrougeàlèvresàl’arrivéedemonfrère.Dawnétaitunpeusurla touche avec lui, mais cela ne l’empêchait pas de soigner son apparence. Au cas où, jesuppose.

Ensuite,denombreuxclientsarrivèrentenmêmetemps,commec’estsouventlecaslesamedi soir Chez Merlotte. C’était l’heure du coup de feu, comme on dit dans le métier.Quandj’eusdenouveauletempsdejeteruncoupd’œilauvampire, je letrouvaiengrandeconversation avec Denise. Quant à Mack, il le couvait d’un regard si avide que c’en étaitpresqueinquiétant.

JefisquelquespasversleurtablesansquitterMackdesyeux.Cefutplusfortquemoi,j’écoutaisespensées.

EtjecomprispourquoiMacketDeniseavaientfaitdelaprison:ilsavaientsaignédesvampires.

Trèsinquiète,jem’approchai.Quevoulaientlesdeuxratsàmonclient?Jesavaisquelesang de vampire, censé soulager la douleur et accroître le potentiel sexuel, était considérécommeune sorte de deux en un cumulant les avantages de l’aspirine et duViagra. J’avaiségalemententenduparlerdulucratifmarchénoiroùl’onécoulait,sansmauvaisjeudemots,dusangdevampireauthentiqueetnondilué.Unmarchéqu’ilfallaitbienapprovisionner...

Jefrissonnai,malàl’aise.Jecommençaisàcomprendrelepetitjeudesdeuxrats.Plusd’une fois, ilsavaientpiégédesvampirespour lesviderde leur sang,qu’ilsavaientensuiterevendu.Deuxcentsdollarsleflaconminiature,dequoimenerlabellevieuncertaintemps...avantde recommencer.Onétaitassuréde trouverdesclients :depuisdeuxans, le sangdevampireétaitladrogueàlamode.Lefaitquecertainsmalheureuxaientperdularaisonaprèsenavoirconsomménesemblaitpasdécouragerlesamateurs.

En général, un vampire ainsi saigné ne survivait pas à l’opération. Ses bourreauxl’abandonnaientenpleinair,attachéounon,etauleverdusoleil,ilétaittroptard.Ilpérissaitdans d’atroces souffrances. En revanche, lorsque, parmiracle, un vampire s’en sortait, ses«saigneurs»n’avaientpluslongtempsàvivre...

Monvampires’étaitlevé.Alarmée,jelevisjeterquelquespiècessurlatableetsuivrelesRattray,quieuxaussis’enallaient.Mackmelançaunregardmauvaispar-dessussonépaule.Celanemeplaisaitpasdutout...maisjelesregardaipasserlaportedubarsansréagir.

Le vampirem’écouterait-il si j’essayais de lemettre en garde ? En général, personnen’accordaitlemoindreintérêtàmespropos–oualors,c’étaitpoursemoquerdemoi.Quantaux rares personnes qui me croyaient capable de lire dans les pensées, soit elles mehaïssaient,soitellesmecraignaient.Voirelesdeuxàlafois.

Je regardai la porte se refermer, paralysée par l’indécision. Puis le regard que Mackm’avait jetémerevintà l’esprit–méprisant,haineux, triomphant.Aussitôt,uneboufféederévolteetdecolèremontaenmoi,accompagnéedevisionsdecauchemar.MacketDenise,transformésenprédateurs.Monvampireprisaupiège.Etdusang,desflotsdesang...Jenepouvaispaslaisserfairecela!

D’un bond, je rejoignis Jason, très occupé à déployer son grand numéro de charmedevantDeeAnn.Ilauraitpuenfairel’économie:d’aprèscequ’ondisait,labellen’étaitpasla

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fillelaplusfarouchedelarégion.Àsoncôté,leroutiercouvaitJasond’unregardmeurtrier.—Jason,tuavaisunechaînedanstonpick-up...—Elleyesttoujours,répondit-ilsansseretourner.Puisilpivotaversmoietmedemandad’untoninquiet:—Queveux-tuenfaire?—Ehbien...—Tuasunproblème?Jepeuxt’aider?Je me composai un air désinvolte. Avec le temps, dissimuler mes sentiments était

devenuunesecondenaturechezmoi.—Non,merci.Surce,jerejoignisArlène.—Jedoism’absenterunmoment.Mestablessontpresquevides,çanet’ennuiepasde

lesprendre?C’étaitbienlapremièrefoisquejedemandaisuntelserviceàmacollègue,qui,elle,ne

s’enétaitpasprivéeparlepassé.CommeJason,ellemedécochauncoupd’œilinquietetmeproposasonaide,quejedéclinai.

—Jereviensdèsquepossible.Mercipourlecoupdemain,jeterevaudraiça.Je me ruai vers la porte du fond. Une fois sur le petit parking des employés, où se

trouvaientmavoiture,cellesducuisinier,d’ArlèneetdeDawn,ainsiquelacamionnetteetlemobile home de Sam, je partis en direction du parking des clients, bien plus grand etrecouvertdebitume.

LebardeSamétait installédansuneclairière,aubeaumilieudesbois.Dans la lueurdesréverbères,lestroncsdespremiersarbresalentourprenaientd’étrangessilhouettes.

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Lavoiturerougetoutecabosséedesdeuxratsétaitlà.Sespropriétairesnedevaientdoncpas être loin. Je localisai rapidement le pick-up de Jason, aisément reconnaissable à sacarrosserie noire ornée de flammes bleues et roses. Jason a toujours eu horreur del’anonymat.

Jemeglissaidanslepick-upparlehayonetcherchaiàtâtonslachaînedeJason,qu’ilgardaittoujoursàbord,encasdebagarre.Enfin,jelatrouvai.Aprèsl’avoirenrouléesurelle-même,jelacalaicontremoipourl’empêcherdefairedubruitetdescendisduvéhicule.

Je réfléchis rapidement. Le seul endroit discret où les Rattray étaient susceptiblesd’avoir emmené leur proie était le fond du parking, là où les branches les plus basses desarbres touchaient presque les voitures. Aussi vite que possible, je traversai le parking enessayantdenepasmefairevoir.

Jem’immobilisais tous les dix pas, à l’affût dumoindre bruit. Enfin, je distinguai ungémissement,puisl’échodechuchotements.Jem’approchaiàpasprudents,enmefaufilantentrelesvéhicules.

Ilsétaientlà.Levampireétaitétendusurlesol,levisagecrispéparladouleur.Unéclatattiramonattentionsursespoignetsetseschevilles:ilétaitligotépardeschaînesenargent.Lesdeuxratsavaientdéjàeuletempsderemplirdeuxflacons,posésàmêmelesol,auxpiedsdeDenise.Jeviscelle-cifixerunnouveauréservoiràl’aiguilleplantéeàlasaignéeducoudeduvampire.

Les deux prédateurs me tournaient le dos. Quant à leur victime, elle ne m’avait pasencore remarquée.En silence, je libéraima chaîne.Qui attaquerd’abord ?Mack etDeniseétaienttousdeuxfluets,maisnerveuxetrapides.Jememéfiaisdeleursréactions.

De nouveau, le regard de haine que Mack m’avait jeté me revint en mémoire. À luil’honneur!

Jamaisjen’avaiseul’occasiondemebattre.Pourtant,jebrûlaisd’endécoudre.Lesdeuxratsméritaientunecorrection.

Je bondis hors de ma cachette et abattis mon arme sur le dos de Mack, agenouillédevant le vampire. Il se redressadansunhurlementdedouleur.Denise leva le visage versnous,maiscontinuafroidementd’adapterleréservoiràl’aiguille.PuisjevisMackplongerlamaindanssabotte.L’éclaird’unelamem’aveugla.

—Espècedegarce!s’écriaMackenbrandissantsoncouteau.Il n’allait manifestement pas se contenter de m’effrayer. Incapable de maintenir le

blocagedesespensées,j’eussoudainlavisiondeshorreursqu’ilsepromettaitdem’infliger.Lemonstre !Galvaniséepar la rageetpar lapeur, jem’élançaivers lui. J’avaisenviede letuer.

Pas le moins du monde impressionné, Mack sauta vers moi en poussant un cri deguerre, soncouteauenavant.Jen’avaisplus le tempsdeparer.J’avaisdéjà levé lebraset,emportéeparl’élandemachaîne,jenepouvaisplusreculer.Lalamefrôlamonépaule.

Presqueenmême temps,machaîne s’enroulaavec forceautourde soncoudécharné.Mackémitunhurlement,quis’achevadansungargouillisétouffé.Illâchasoncouteauetpritàdeuxmains lachaînequi l’étranglaitpour tenterdese libérer.Je levis rougir, suffoquer,tomberàgenoux,sanscesserdesecouerlachaîne,quis’échappademamain.

Il me fallait une autre arme, de toute urgence. Je me jetai au sol pour ramasser le

couteau.Ducoindel’œil, jedistinguailasilhouettedeDenise,quitournaitautourdenous,cherchant une faille pour porter secours à son complice. Lorsqu’elle comprit que j’étais denouveauarmée,ellesefigea.

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—Fichelecamp!ordonnai-je.Deniseposaunregarddésespérésurlesdeuxflaconsdesang,maisjelevailebrasd’un

airmenaçant.—Fichezlecamptouslesdeux!répétai-je,horsdemoi.Aprèsunedernièrehésitation,ellesepenchaversMackpourdéroulerlachaînedeson

cou et l’aider à se relever. Celui-ci porta lesmains à sa gorge, avant d’être secoué par unequintedetoux.Denisel’entraînaversleurvoitureetl’assitdeforcesurlesiègedupassager.Puiselletirauneclédesapocheetpritplacederrièrelevolant.

Cen’estqu’alorsque jem’aperçusqueMackavaitgardé lachaînedeJason.Trop tardpour tenter de la récupérer. D’ailleurs, j’avais d’autres priorités. Je me précipitai vers levampire.Ilavaitl’airinconscient,maisilrespirait.

—Vite!murmurai-jeàsonoreille.Essayezdevouslever.Commeilneréagissaitpas,jeleprisparlesbraspourl’aideràseredresser.Ilpoussaun

soupird’épuisement.Enfin,ilrevenaitàlui!Jeréussisàleremettresursespiedset,unbrasglisséautourdesataille,jel’entraînaiverslecentreduparking.

Nous venions d’entrer dans le cercle de lumière du réverbère le plus proche lorsquej’entendis le bruit d’une voiture qui se rapprochait à vive allure. Je me retournai. Denisefonçaitsurnous.Ellen’étaitdéjàplusqu’àquelquesmètres.J’eustoutjusteletempsdemejetersurlecôté,entraînantmonprotégéavecmoi,etderouleravecluisurlesol,aurisquedeleblesser.

Parchance,Deniseavaitmalvisé.Ellepassaàmoinsd’unmètredenousetdonnaunviolentcoupdefreinpouréviterunarbre,qu’ellecontournaavantdesedirigerverslasortieduparking.

—Vaaudiable!murmurai-jeavantdemetournerverslevampire,étenduàmoncôtésurl’asphalte.

Jem’agenouillaiprèsdeluiavecinquiétude.Lapauvrecréatureparaissaitmalenpoint.Je la parcourus du regard... et laissai échapper un cri. Horreur ! Au contact de ses liensd’argent,desvolutesdefumées’élevaientdelapeaudesespoignets.

—Oh,pardon!Pardon!m’écriai-je,honteusedenepasavoirvucelaplustôt.D’unemain tremblanted’émotion, j’entreprisdedérouler lamincebanded’argentqui

liaitencoresespoignetsl’unàl’autre.— Mon pauvre chéri... ne pus-je m’empêcher de murmurer, sans prendre garde au

ridiculedemesparoles.Quelques secondesplus tard, j’avais réussi à le libérer.Ceque jenem’expliquaispas,

c’était la façondont lesdeuxratss’yétaientprispour ledistraireet le ligoterainsi.Puis jesongeaiàDenise,àsondécolletéplongeantetàseslèvrestropfardées.L’imagetrèscruequis’imposa alors àmon espritme fit rougir.Une pensée du vampire ? C’était vraisemblable,bienquejen’eneussepasjuré.

Tandis que je me baissais pour dénouer les bandes d’argent qui enserraient seschevilles, épargnéesgrâceà l’épaisseurde son jeanquiavaitprotégé sapeauducontactdel’argent,levampirecroisalesbrassursapoitrine.

—Jesuisdésoléedenepasêtrearrivéeplustôt,dis-je.Vousirezmieuxdansquelquesminutes.Sivousvoulez,jepeuxvouslaisserseul.

—Non.Ce mot pourtant tout simple eut le don de me réjouir au-delà de toute expression.

Jusqu’àcequelevampireajoute:—Ilspeuventrevenir,etjesuisencoretropfaiblepourmebattre.

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Ilavaitparléd’unevoixtenduemaiscalme,etsanslemoindreaccentdepanique.Jeluitournailedos,m’assissurunebandeherbeusequiséparaitdeuxalléesetfeignisd’inspecterleparkingavecattention.Enréalité, jevoulais surtoutmasquermadéceptionet laisserunpeud’intimitéàmonprotégé.Jesaisàquelpointilestdésagréabled’êtreobservélorsqu’onsouffre.Quelquesinstantsplustard,jel’entendiss’asseoirderrièremoi.

Entournantlégèrementlatête,jevisqu’ilétaitplusprochedemoiquejenel’avaiscruetquesesyeuxétaientposéssurmoiaveccuriosité.Ilsouriait.Jecherchaiàapercevoirsescanines,envain.J’enfuspresquedéçue,cequiétaitparfaitementidiot.

—Merci,dit-ild’untonunpeuvexé.Ilneparaissaitpasapprécierd’avoirétésauvéparunefemme.Surcepoint,entoutcas,

ilétaitexactementcommelesautreshommes!Blesséeparsoningratitude,jem’autorisaiàmemontrerincorrecteàmontouretdécidaid’écoutersespensées.J’ouvristoutgrandmonesprit...etneperçusriendutout.

—Mais...jenevousentendspas!m’exclamai-je–assezétourdiment,jel’avoue.—Jedisais,merci!répéta-t-ild’unevoixplusforte,enarticulantexagérément.—Non,cen’estpascequejevoulaisdire.Jevousentendstrèsbien,seulement...Seulement, pourquoi ne pouvais-je capter ses pensées ? J’étais tellement déconcertée

quej’enoubliaimesbonnesmanières.Jeposaimesmainssursestempes,lefixaidroitdanslesyeuxetfisappelàtoutemaconcentration.

Rien. Le silence total. La sérénité parfaite. Une oasis de paix dans un monde debrutalité!

Levampiredemeuraparfaitement immobile,mais ses yeux s’étaientplissés.Bien sûr,j’avaisdûlefroisser!Jeretiraimesmainsaussivitequesijem’étaisbrûlée.

—Excusez-moi,murmurai-je,àlafoisgênéeetperplexe.Quem’arrivait-il?Denouveau,jefisminedem’absorberdansl’observationduparking

etdesalentours.Puis,pourdissimulermonembarras,jememisàparleràtortetàtravers– de Mack et de Denise, de Sam, de mon travail au bar... Tout en babillant, je songeai àl’expérience extraordinaire que je venais de vivre, à ce silencemerveilleux, si apaisant, quim’avait envahie lorsque j’avais tenté d’écouter les pensées du vampire. Comme ce seraitagréabled’avoiràmescôtésuncompagnontelquelui!

—...alorsjemesuisditquejeferaismieuxdesortirvoirsitoutallaitbienpourvous,dis-jeenconclusiond’unelonguetiradedontj’avaisdéjàoubliéledébut.

—Vousêtesvenuepourmesauver,dit-ild’unevoixauxintonationssuaves.Vousêtesunejeunefemmetrèscourageuse.

—N’exagéronsrien!Pourquoisemontrait-ilsiobséquieux,àprésent?Jelepréféraisquandilsetaisait...Il

parutsurprisparmonéclat,maisretrouvavitesonexpressionimpassible.—Vousn’avezpaspeurderesterseuleavecunvampireaffamé?—Non.— Donc, vous supposez que parce que vous avez volé à mon secours, vous êtes en

sécurité ? Qu’après toutes ces années, je suis capable de sentiments ou d’affection enversautrui?

Ilmarquaunepause,avantdepoursuivred’untonàlafoisespiègleetinquiétant:—N’oubliezpasquelesvampiress’enprennentsouventàceuxquileurfontconfiance.

Nousn’avonsplusguèredevaleurshumaines,voussavez.—Vousn’avezpas lemonopolede la cruauté. Je connais beaucoupd’humains qui ne

valent pas mieux que les vampires. Et je suis peut-être un peu bizarre, mais pas

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complètementnaïve.Toutenparlant,j’avaisenroulélesliensd’argentdesdeuxratsautourdemoncouetde

mes bras. Ainsi protégée, je jetai un regard de défi au vampire... qui, loin de se laisserdécourager,m’examinadelatêteauxpieds.

— Il reste une artère bien juteuse en haut de votre cuisse, murmura-t-il d’une voixgourmande.

—Neditespasdebêtises.Nousnousdévisageâmesensilenceunlongmoment.J’avaispeurdenejamaislerevoir.

Aprèstout,sapremièresoiréeChezMerlotten’avaitpasvraimentétéréussie,n’est-cepas?J’essayaid’enregistrerchaquedétail–l’éclatdesonregard,legraindesapeau,lacourbedeseslèvres...J’avaisconsciencedevivreunmomentrare,précieux.J’avaisenviedeporterdenouveau lesmainsà sonvisage,mais jen’osaipas.Celan’aurait guèreété convenable...niprudent.

Amasurprise,jel’entendismeproposer:— Vous voulez boire le sang qu’ils m’ont pris ? Je vous l’offre avec plaisir. En

remerciementpourvotreaide.D’un geste, il désigna les deux flacons, toujours sur le sol à quelquesmètres derrière

nous.—Voussavezquelesangdevampireestunexcellentstimulantpourvotresantéetvotre

viesexuelle?—J’aiunesantédecheval,etjen’aipasdeviesexuelle.Gardezvosflacons.—Vouspourriezlesvendre,suggéra-t-il.J’euslanetteimpressionqu’ilnem’avaittenducetteperchequepourvoirmaréaction.

Jesecouailatête,indignée.—Jenemangepasdecepain-là.Ilmeregardaquelquesinstantssansriendire.Puisilmedemandad’untonintrigué:—Vousn’êtespascommelesautres...Quiêtes-vous?Jeluitendislamain.—SookieStackhouse,serveusedebar.—Enchanté,dit-il.Moi,c’estBill.Cefutplusfortquemoi,j’éclataiderire.—Bill leVampire?Cen’estpassérieux!Vouspourriezaumoinsvousappeler... jene

saispas,Anton,TerenceouLangford.MaisBill!C’était si drôle que j’en avais les larmes aux yeux. Une fois mon hilarité passée, je

repris:—Ehbien,BillleVampire,cen’estpastout,maisjedoisretournertravailler.Monboss

vasedemandercequejefabrique.Jem’essuyailesyeux.—Ravied’avoirfaitvotreconnaissance,ajoutai-jeenposantlamainsursonépaulepour

melever.Ilétaitplusmuscléquejenem’yétaisattendue.Toutenm’efforçantd’oublierlefrisson

sensuelquim’avaitparcourueàsoncontact,jelissaimontee-shirt,lerentraidansmonshortet époussetai le derrière demon short. Pas question de reprendremon service débraillée.Puis,surungestedelamain,jequittaiBilletmedirigeaiverslebar.Maintenant,leplusdurétaitàvenir.

ExpliqueràJasonoùétaitpasséesachaîne.

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2

Unefoismonserviceterminé,jerentraichezmoi,àunquartd’heureenvoituredeChez

Merlotte. Lorsque j’étais retournée au bar, Jason était parti, ainsi que DeeAnn, ce quimelibéraitprovisoirementd’unedésagréableépreuve.Jason,quientretenaitsesaffairesavecunsoin jaloux, risquait d’entrer dans une colère noire en apprenant que j’avais abandonné sachaîneàMack.

J’aiditquejerentraischezmoi,maisenréalité,c’étaitchezmagrand-mère,Granny,quim’avaitrecueillieàlamortdemesparents.Samaisonavaitétébâtieparsonproprearrière-grand-père, lequel, ayant des idées très arrêtées sur sa tranquillité, l’avait érigée dans uneclairièreperdue,oùpersonneneviendraitl’ennuyer.

Pour s’y rendre, il fallait tourner juste avant le cimetière, emprunter une route decampagnesiétroitequedeuxvoiturespouvaientàpeines’ycroiser,puistraverserunboissurune bonne distance. Lamaison se trouvait au bout d’une allée à peine carrossable, ce quinouspréservaitdescolporteursetautresnuisances.

La maison n’avait pas une apparence très ancienne car, au fil des années, toutes lespartiesqui la composaientaudépartavaientété remplacéespardeplus récentes.Elleétaitbien sûr équipée de tout le confort moderne – plomberie, électricité, chauffage, etc. Enrevanche,elleétaitcouverted’untoitentôlesibrillantqu’ilendevenaitaveuglantlesjoursde grand soleil.Quand il avait fallu réparer la toiture, j’avais envisagé d’acheter des tuiles,maisGrannyn’avaitpasvouluenentendreparler.Jepayais, certes,maisc’était samaison.J’avaisdoncrachetédelatôle.

Jevivaisdanscettemaisondepuisl’âgededixans,etjel’adorais.Elleétaitpeut-êtreunpeu trop grande pour Granny et moi, mais on y était bien. Granny ayant des goûts trèstraditionnelsenmatièrearchitecturale,lafaçadeétaitpeinteenblancetbordéesurtoutesalongueurparunevéranda.

Jegaraimavoituredans lacouretgravis lestroismarchesquimenaientà lavéranda.Après avoir poussé la porte d’entrée, je traversai l’immense salle de séjour et remontai lecouloirjusqu’àlapremièrechambresurlagauche,laplusgrande.

AdèleHale Stackhouse était assise dans son grand lit, sa frêle silhouette calée contreune dizaine de petits oreillers ornés de volants en broderie anglaise.Malgré la chaleur decettenuitdedébutd’été,elleportaitunedeseséternelleschemisesdenuitencotonblancàmancheslongues.Ellen’avaitpasencoreéteintsalampedechevetettenaitunlivreentresesmains.

—Bonsoir,Gran.—Tevoilà,machérie?Ellefermasonouvrageetleposasursesgenoux.—EncoreunDanielleSteele?Tunelesaspasdéjàtouslus?—Voilàquelqu’unquisaitraconterdeshistoires,ditGrannyenrajustantunemèchede

cheveuxd’unblancdeneige.LestroisgrandsplaisirsdeGrannydanslavieétaientlesromansdeDanielleSteele,le

gin-rummyet les réunionsde ladizainede clubsauxquels elle appartenait (parmi lesquelsfiguraient le Cercle des héritiers des glorieux défunts, les Amis du bayou et la Société desjardiniersd’antan,sespréférés).

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—Devinecequis’estpassécesoir,aubar?—Jenesaispas...Tuastrouvéunfiancé?—Mieuxqueça.Unvampireestvenuboireunverre!—Magnifique!Ilavaitdejoliscrocs?Ilmesemblaitlesavoiraperçus,àlalueurdesréverbères,lorsqu’iltentaitdeselibérer

delaseringuedeDenise.MaisGrannyn’avaitpasbesoindeconnaîtredetelsdétails.—Sûrement,maisillesavaitrentrés.—UnvampireàBonTemps...c’estextraordinaire!Grannysemblaitauxanges.—Iln’amordupersonne?—Voyons,Gran!Ils’estsagementassisàl’unedemestablesetacommandéunverre

devin.Qu’iln’apasbu,d’ailleurs.Jepensequ’ilavaitsurtoutbesoind’unpeudecompagnie.—Tucroisqu’ilvitici?—Aucuneidée.Tupensesbienqu’ilnevapascriersonadressesurlestoits.—Évidemment...Ilt’aparusympathique?Grannyavaitbeauavoirsoufflésessoixante-douzebougiescetteannée-là,ellepossédait

toujoursl’artdeposerdesquestionsquifaisaientmouche.Jeprisletempsderéfléchir.BillleVampirem’avait-ilparusympathique?

—Jenesaispas,répondis-jeprudemment.Jediraisplutôtqu’ilavaitl’air...intéressant.—Ilfautabsolumentquejelerencontre.Ça,c’étaitGrannytoutcraché.Riennel’effrayait.Quelquesminutesplustard,aprèslui

avoirsouhaitébonnenuit,jeretournaiausalonenleverTina,lachattedelamaison,desonfauteuilfavori–celuidontl’assiseétaitcouvertedepoilsetlesaccoudoirsgriffésjusqu’àlatrame–,etlamisdehorspourlanuit.Puisjeverrouillailaported’entrée.Ilétait2heuresdumatin,mesyeuxsefermaienttoutseuls.

Ma chambre se trouvait juste en face de celle de Granny et était encore garnie desmeubles qui y avaient été transportés à la mort de mes parents, lorsque j’avais quitté lamaison familiale : unpetit lit peint enblanc,une coiffeuse etune commodeassorties, desrideauxencretonnebleue.

J’étaistropépuiséepourprendreunedouche.Enuneminute,jemelavailesdents,medémaquillaietdénouaimescheveux,avantderemplacermatenuedeserveuseparungrandtee-shirtsurlequelétaitimprimé«IloveNewOrléans».Puisjemecouchai,soulagéedeneplus avoir de pensées parasites autour demoi à bloquer. J’entrevis brièvement les grandsyeuxnoirsdemonvampireetsombraidanslesommeil.

Lelendemain,enfindematinée,j’étaisassisesurunechaisedejardindevantlamaison,

trèsoccupéeàpeaufinermonbronzage,lorsquej’entendislebruitd’unvéhiculedansl’allée.Quelquessecondesplus tard,unpick-upnoirornéde flammesrosesetbleuespilaità troispas demoi. Jason en descendit et se dirigea versmoi à grandes enjambées. Il portait sonhabituelletenuedetravail:pantalonetchemisekaki,couteauglissédansunétuifixéàsonceinturon,chaussuresmontantes.

Etilétaitd’unehumeurmassacrante.Jeremismeslunettesdesoleil,quej’avaisbaisséesàsonarrivée.—Tuauraispumedirequetut’étaisbattueaveclesRattrayhiersoir,maugréa-t-ilense

laissanttombersurlachaisevoisinedelamienne.Puis,sanstransition,ildemanda:—OùestGranny?

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—Derrièrelamaison.Elleétendlelinge.J’avais offert à Granny un sèche-linge de compétition l’hiver précédent, mais elle

persistait à étendre son linge au soleil – méthode bien plus saine, d’après elle, que cesmachinesmodernesquiconsommentdel’électricité–etn’auraitlaisséàpersonnelesoindes’enchargeràsaplace.

—Elle a préparé un ragoût aux pommes de terre et aux haricots verts du jardin pourmidi,ajoutai-jepourdéridermonfrère.Etparleplusbas,jeneveuxpasqu’ellenousentende.

—RenéLenier est passéme voir cematin, dit Jason àmi-voix.C’est lui quim’a toutraconté.Ilétaittrèsagité.IlvenaitdedébarquerhiersoirchezlesRattraypourleuracheterde l’herbe quand Denise est arrivée en conduisant à toute allure. Il paraît qu’elle était sinerveusequ’elle a failli le renverser.Mackétaitblessé.RenéetDeniseontdû s’ymettreàdeuxpourlesortirdesonsiègeetleporterjusquedanslemobilehome.

Finalement,ilétaitsimalenpointqu’ilsontdécidédel’emmeneràl’hôpitaldeMonroe.Tuauraispumeledire!

Jasonmedécochaunregardaccusateur.Quemereprochait-ilexactement?Dem’êtrebattue,d’avoirperdusachaîneoudenepasluiavoirparlédelabagarremoi-même?Unpeudestrois,peut-être.Lameilleuredéfenseétantl’attaque,jeripostaiaussitôt:

—D’abord, tun’étaisplusaubarquand j’y suis retournée.Ensuite, est-cequeRenéapenséàpréciserqueMacks’étaitjetésurmoi,uncouteauàlamain?

Àl’expressiondeJason,jecomprisquej’avaisviséjuste.— Denise ne le lui a peut-être pas dit, murmura-t-il, surpris. C’est Mack qui t’a

agressée?—Oui,etj’aidûmedéfendretouteseule.Ilm’avolétachaîne.C’était la pure vérité, non ? Voyant quemon frère ne réagissait pas, je poussai mon

avantage.—Situavaissuivimonconseiletquetun’étaispaspartiavecDeeAnn,tul’auraisappris

toutdesuite.Jesaisquetun’auraispashésitéàallertrouverMackpourréglercettehistoireentrehommes,ajoutai-jeavecdiplomatie.

Jasonn’avaitjamaissurésisterauplaisird’unebonnebagarre.—Cequej’aimeraisquetum’expliques,bougonna-t-ilsansquejepuissesavoirs’ilétait

encolèrecontremoioucontreMack,c’est ceque tu fabriquais sur leparkingdesclientsàuneheurepareille.

JeregardaiJasonducoindel’œil.Manifestement,ilnesoupçonnaitriendelavéritable«activitéprofessionnelle»desdeuxrats.Jedis,savourantàl’avancemapetitevictoire:

— Savais-tu qu’en plus d’être des dealers, les Rattray chassaient le vampire à leursheuresperdues?

—Non?—Si.Et il se trouveque l’undemes clientshier soir était un vampire. Ils l’ont attiré

dansuncoinsombreduparking.Quandjelesairejoints,ilsétaientoccupésàlesaignerdanslesrèglesdel’art.

—Ilyaunvampireici,àBonTemps?—Entoutcas,ilyenavaitunhiersoirChezMerlotte.Jecomprendsqu’onseméfiede

ces créatures, mais tout de même... Saigner un vampire, ce n’est pas la même chose quesiphonnerun réservoir d’essence ! Si je n’étais pas intervenue, lesRattray l’auraient laissémourirdanslebois.

Eneffet,mêmesi,protégédelalumièredujour,unvampiresurvivaitàlasaignée,illuifallait une bonne vingtaine d’années pour s’en remettre. Du moins, c’est ce que j’avais

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entendul’und’euxexpliqueràlatélévision,dansl’émissiond’OprahWinfrey.— Le vampire était au bar hier soir en même temps que moi ? demanda Jason,

incrédule.—Oui.Legrandtypebrun,àlamêmetablequelesrats.—Commentas-tusuquec’enétaitun?—Jel’aicompris,c’esttout.—D’accord,marmonnaJason.Ilmelançaunregardcontrarié,avantdetournersonvisageverslesoleiletdereprendre

d’untonsatisfait:—Iln’yapasdevampireàHomulka.—Exact,acquiesçai-je,soulagéedequitterlessujetsquifâchent.

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Homulkaétait la villequeBonTemps seplaisait à considérer commesa rivaledepuisdesgénérations.

—ARoedalenonplus,ditGrannyderrièrenous,nousfaisantsursauter.—Est-cequejepeuxresterdéjeuner,Granny?demandaJasonaprèsl’avoirembrassée.—Evidemment.Ai-je l’habitude de te laisser repartir le ventre vide ?Au fait, je viens

d’avoirEverleeMasonautéléphone.IlparaîtquetuaspassélanuitavecDeeAnn?Jasonlevalesyeuxauciel.— Pas moyen d’avoir un peu d’intimité, dans ce fichu bled ! maugréa-t-il d’un ton

faussementénervé.—Méfie-toi de cette fille, lui dit Granny en nous entraînant dans lamaison. Elle est

capabledetefaireunenfantdansledosetdet’envoyerlanoteensuite.Turisquesdepayerunepensionalimentairetoutetavie!Quoiquecesoitpeut-êtremaseulechanced’avoirunjourdesarrière-petits-enfants...

A peine assis à table, Jason et Granny commencèrent à échanger des ragots (ilsappelaient cela«se tenir informésde l’actualité») sur lesgensduvillageetde laparoisse.Monfrèreétaitfonctionnaire,affectéàlasurveillancedeséquipeschargéesdel’entretiendesroutes. J’avais parfois l’impression que ses journées consistaient à arpenter la région auvolantd’unpick-upprêtéparl’État,etsesnuitsàarpenterlarégionauvolantdesonproprepick-up.René travaillait dans l’unedes équipes qu’il supervisait, et avecHoytFortenberry,c’étaitsonmeilleurami.

—Tiens,dit-ilsoudain,j’aichangélechauffe-eaudelamaison.Jasonvivaitdanslamaisondenosparents,quinousappartenaitàtouslesdeux.—Tuasbesoind’argent?demandai-je.—Non.Jason et moi touchions chacun un salaire, et nous avions un peu d’argent qui nous

venaitd’unpuitsdepétrolesituésurunepropriétéayantappartenuànosparents–argentquiavaitaidéGrannyànousélever.Avecsamaigreretraite,jemedemandecommentelleseserait débrouillée sans ce providentiel revenu ! C’était d’ailleurs pour cette raison que jen’avaispasprisd’appartement.Sijefaisaisdescoursespournousdeux,ellelesacceptaitdeboncœur.Enrevanche, si j’avais faitdescoursespourelleetque je les luiavaisapportéesavantderentrerchezmoi,ellenel’auraitpassupporté.

—Quelmodèleas-tuchoisi?demandai-jeàJason.Entrenous,jememoquaisbiend’unteldétail.Seulement,Jasonaunepassionpourle

bricolage,aussiécoutai-jeavectoutelapatiencepossiblelerécitdesesexpéditionsenvilleetsurInternetenquêteduchauffe-eauidéal.Toutàcoup,ils’interrompit.

—Aufait,Sookie,tutesouviensdeMaudettePickens?—Biensûr,onétaitdanslamêmeclasse.—Onl’atrouvéecematindanssonappartement.Assassinée.Vraiment?demandaGranny,quiavaitsurtoutl’airchoquéedenepasavoirapprisplus

tôtlanouvelleparsonréseaud’informatrices.—C’est son patron qui a découvert son corps en venant chez elle. Elle ne s’était pas

rendueàsontravaillejourprécédentetn’avaitpasdonnédenouvelles.JemesouvinsquelajeunefemmeétaitvendeuseàGrabbitKwik,unestation-serviceoù

l’ontrouvaitaussiunepetitesupérette.—Onl’atuée?Chezelle?Jeneparvenais pas à croire queMaudette, cette fille si gentille et si insignifiante, ait

connuunefinaussidramatique.

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—Queluiest-ilarrivé?demandaGranny.Jasonplongealenezdanssonassiette,l’airgêné.—Onatrouvéunemorsuredevampireà...àl’intérieurdesacuisse.Maiscen’estpasça

qui l’a tuée.Elleaétéétranglée.D’aprèsDeeAnn,quihabite justeen facedechezelle,ellefréquentaitunbardevampiresàShreveport.C’estpeut-êtrelàqu’elles’estfaitmordre.

—Maudettefréquentaitcegenred’endroit?J’essayai sans succès d’imaginer la fade Maudette habillée de la tunique noire

qu’affectionnaient les«mordus»,ces femmesetceshommesquiprenaientduplaisiràsefairemordrepardesvampires.

—Oui,réponditJason,maiscommejeteledisais,cen’estpasdecettemorsurequ’elleestmorte.

—C’estbienàGrabbitKwikquetufaisleplein,d’habitude?—Commebeaucoupdemondeparici.—Ettun’esjamaissortiavecMaudettePickens?demandaGrannyd’untonintrigué.—Si,enquelquesorte,admitJason,prudent.Enclair,celasignifiait:«Si,fautedemieux.»—J’espèreque le shérifne te convoquerapas,ditGrannyensecouant la tête, comme

pourconjurercetteeffaranteéventualité.—Jenevoispaspourquoiilleferait!protestaJason.Àcesmots,j’éclataiderire.—Enfin,Jason,tulavoyaistouslesjoursoupresque,tusortaisàl’occasionavecelleet

tuaspassélanuitdansunappartementsituéenfacedechezelle.Queveux-tudeplus?— S’il fallait arrêter tous les clients de Grabbit Kwik qui connaissaient Maudette...

maugréaJasonenregardantsamontre.Flûte,déjàsitard?Ilfautquejemesauve.À temps pour éviter de faire la vaisselle, comme d’habitude. Cette fois-ci, pourtant,

Grannynesefâchapas.Visiblement,elleétaitpréoccupéeparl’assassinatdeMaudette.— Quel âge donnerais-tu au vampire de Chez Merlotte ? demanda-t-elle en me

rejoignantdansmachambre,quelquesinstantsplustard,alorsquejefinissaisdem’habillerpourpartirautravail.

—Aucuneidée,Gran.—Tupensesqu’ilpourraitsesouvenirdelaGuerre?ElleparlaitdelaguerredeSécession,bienentendu.N’était-ellepasmembrefondateur

duCercledeshéritiersdesglorieuxdéfunts?—Possible,dis-jeenvérifiantmonmaquillagedanslaglace.—Crois-tuqu’ilaccepteraitdevenirauCercledonneruneconférencesurcetteépoque?—Unsoir,alors.—Oh,oui,biensûr.En général, les membres du Cercle se réunissaient à midi, à la bibliothèque, où ils

partageaient un pique-nique. Je réfléchis un instant. Ce serait peut-être un peu grossierd’exigerduvampirequ’ilviennedonnerunecauserieauclubdeGrannypourlasimpleraisonquejel’avaistirédesgriffesdessaigneurs,maissijeleluisuggéraisdefaçondiplomatique...

—Écoute,jeteprometsdeluienparlerlaprochainefoisquejeleverrai.S’ilrevenaitChezMerlotte,cequin’étaitpascertain.—S’ilrefuse,peut-êtrepourrait-ilaumoinsveniràlamaisonmeracontersessouvenirs

pourquejeprennedesnotes...dit-elled’unevoixpleined’espoir.Je pouvais entendre ses pensées vibrer de plaisir à la perspective du « coup» qu’elle

mijotait.

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—CeseraitsiintéressantpourlesmembresduCercle,ajouta-t-ellepieusement.—Promis,Gran.Jeluientoucheraiunmotdèsquepossible.Quand je la quittai, Granny souriait béatement, ravie de la petite surprise qu’elle

préparaitàsescamaradesduCercle.Je n’avais pas pensé que René Lenier passerait chez Sam pour raconter mes

mésaventures de la veille, et en arrivant cet après-midi-là au bar, je mis tout d’abordl’agitationquiyrégnaitsurlecomptedel’assassinatdeMaudettePickens.

PuisSammepoussadanslaremise,rougedecolère,etmesecouabrutalementparlesépaules.

II semitàgrommeler,d’unevoixsi forteque jemebouchai lesoreilles.Jamais jenel’avaisvus’énerverdelasorte.

—Siunclientestmenacé,c’estàmoidem’enoccuper,pasàtoi!dit-ilpourlatroisièmefois.Compris?

Jehochailatête,tropsecouée–danstouslessensduterme–pourarticulerunephraseaudible.Pourlapremièrefois,jeprenaisconsciencequ’ilnem’étaitjamaisvenuàl’espritdedemanderl’aidedeSam–nidequiquecesoit,d’ailleurs.

—Jeneveuxpasquecegenredechosesereproduisechezmoi,OK?poursuivitSam.—Tu vasmemettre à la porte ? demandai-je, effrayée par l’expression de fureur qui

déformaitsestraits.Sonteintnaturellementcoloréavaitviréaurougebrique,etsesyeuxbleuslançaientdes

éclairs.—Maispasdutout!hurla-t-ilenrougissantdeplusbelle.Jeneveuxpasmeséparerde

toi!J’ôtai lesmains demes oreilles, incrédule. Sam avait eu peur pourmoi ?Moi qui le

croyaisfâchécontremoi!Puisjesentisunelarmeroulersurmajoue,suivied’uneautre.Denouveau, il refermasesmainssurmesépaulespourmesecouer.Cette fois-ci,c’en

futtroppourmoi.Lecontactphysiqueexacerbaitmesperceptionsetmeconnectaitpresqueautomatiquementauxpenséesde l’autre, àplus forte raisonsi jeme trouvaisdansunétatémotionnelintense.Sansréfléchir,jemeconcentraisurl’espritdeSam...ettressaillissouslechoc.

Alors,melibérantdesonemprise,jepivotaisurmestalonsetmeruaihorsdelaremise.D’abord,Sammedésiraitéperdument.Ensuite,jenepouvaispascaptersespenséesclairement,carilnepensaitpascommeles

autresêtreshumains.Jem’arrêtaietm’appuyaicontreunmur,prisedevertige.Aquoirimaitcettehistoire?

Qu’étais-jecenséedéduiredetoutcela?

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Je n’avais jamais considéré Sam comme unhomme séduisant, et ceci pour plusieursraisons.Enpremierlieu,jen’avaisjamaistrouvéaucunhommeséduisant,nonparcequejesuis insensible au charmemasculin,maisparcequ’il est trèsdifficilede vivreune relationamoureuseavecquelqu’undontonconnaîttouteslespensées.Avez-vousseulementuneidéedes dégâts que peut provoquer le fait de savoir ce que votre partenaire pense de vous ?«Plutôtjolie,maisquelfessier!Elleauraitbienbesoind’unrégime!Etcegraindebeauté,ellenepourraitpaslefaireenlever?Tiens?Enplus,elleaunedentplombée!»Unpeutue-l’amour,non?

LaseconderaisonétaitqueSamétaitmonpatronetquejenetenaispasàperdremonboulot, lequelmepermettaitdegagnermavieetm’obligeaitàsortirdelamaisonpourvoirdumonde.LaplusgrandecraintedeGrannyétaitquejefinisseparvivreenrecluse,coupéedelasociété,àcausedemon«infirmité».

Inutiledeledire,monservicecesoir-lànefutpasleplusparfaitdemacarrière.Plongéedansmespensées, j’oubliaismesplateaux,me trompaisdansmes commandes, confondaisles tablesentreelles.Sammerenvoyachezmoiplus tôt qued’habitude, sousprétextequej’avaisbesoinderepos.

Lesdeuxsoiréessuivantessedéroulèrentmieux.Àmongrandsoulagement,Sametmoiavionsretrouvél’habituelleaisancedenosrelations,aidésencelaparl’affluxdeclientsquel’assassinatdeMaudetteattiraitaubar.Toutlemondesemblaitavoirunavisàdonnersurlescirconstancesdumeurtre.

Jen’assistaipasauxobsèques,maisGranny,quis’yrendit,merapportaquel’égliseétaitcomble.LapauvreMaudetteétaitplusintéressantemortequ’ellenel’avaitjamaisétédesonvivant.

Mes deux journées de congé approchaient, et je n’avais pas revu le vampire. Avait-ill’intention de revenir Chez Merlotte ? Je commençais à en douter et à me demandercommentj’allaisluitransmettrelarequêtedeGranny.

Mack et Denise n’avaient pas reparu au bar, mais René Lenier et Hoyt Fortenberrym’avaient laissée entendre que les rats avaientmenacé dem’infliger les pires sévices s’ilscroisaientdenouveaumonchemin.Cesdeuxaffreuxnem’effrayaientpas,etjenelescroyaispasassezmalinspourmemettre réellementendanger.JeneprêtaidoncaucuneattentionauxavertissementsdeRené.

RenéLenierétaitpetit,mince,brundepeauetdepoil,sanscharmeparticulier.IlvenaitsouventchezSamboireunebièreetraconteràquivoulaitl’entendrequ’Arlèneétaitsonex-femmepréférée(ilenavaittrois).HoytFortenberryétaitunpersonnageencoreplusterne,sic’estpossible.Nibrunniblond,nigrandnipetit,ilsouriaittoujours,laissaitdespourboirescorrectsetbavaitd’admirationdevantJason,quineméritaitpasunetelledévotion.

J’étaisbiencontentequ’ilsnesoientpaslà lesoiroùlevampirepoussadenouveaulaportedeChezMerlotte.

Bill s’assit à la même table que la première fois. À sa vue, une timidité inattendues’emparademoi.J’avaisoubliélapâleurluminescentedesapeauetl’intensitédesonregard.Enrevanche,ilmeparutmoinsimposantquedansmonsouvenir.Deplus,remarquai-jeenl’observantàladérobée,j’avaisexagérélasensualitédesabouche.

Jem’approchaidelui.—Etpourmonsieur,cesera?Illevaversmoisesyeuxauxprunellesplusnoiresquelanuit.Unefoisdeplus,jegoûtai

avec plaisir le silence qui montait de son esprit. C’était si serein, presque aussi délassantqu’unmassage...Enfin,jesuppose.Personnenem’ajamaismassée.

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—Quiêtes-vous?C’était ladeuxième foisqu’ilmeposait cettequestion.Je lui fis lamêmeréponseque

précédemment:—SookieStackhouse,serveusedebar.Àcestadedenosrelations,iln’avaitpasbesoind’ensavoirplus.—Jeprendraiunverredevinrouge,SookieStackhouse,dit-ild’untonunpeusec.—Trèsbien.Nousdevonsrecevoirdemainlesangdesynthèse.Et...hum...est-cequeje

pourraisvousdireunmot, toutà l’heure,aprèsmonservice?Je finisà1h30.Jesupposequevousneserezpasencorecouché.Vousvoulezbienmeretrouveràlaportedupersonnel,derrièrelebâtiment?

—Avecplaisir.Impossible de savoir s’il semoquait demoi ou s’il faisait seulement preuve de cette

bonneéducationqui,d’aprèsGranny,étaitlanorme«desontemps».Incapabledetrouverunerepartiedrôleoupercutante,jetournailestalonsetrevinsau

bar. Lorsque j’apportai sa commande à mon client si particulier, celui-ci me gratifia d’ungénéreuxpourboire.Hélas!Entournantlesyeuxverssatable,quelquesminutesplustard,jem’aperçusqu’ilavaitdéjàdisparu.Jene le reverraissansdoute jamais.Tantpis,medis-je,fataliste,ensongeantàladéceptiondeGranny.

Cesoir-là,ArlèneetDawnpartirentavantmoi.Unefoismonserviceterminé,jepassaiaubureauprendremonsacàmainetdirebonsoiràSam,selonmonhabitude,puisjefisunsautauxtoilettespourmerecoiffer.

Lorsquejesortis,jevisqueSamavaitdéjàéteintlesréverbèresquiéclairaientleparkingdesclients.Seulebrillaitunepetitelampesurleparkingdupersonnel.ÀpartlacamionnettedeSametsonmobilehome,ilnerestaitplusquemavoiture.

Malgrémoi, je jetai un coup d’œil alentour. Pas de vampire en vue. J’avais beaum’yattendre,jefustoutdemêmedéçue.Sansmel’avouer,j’avaisespéréqu’iltiendraitparole...

Un instant, j’imaginaiqu’il allait sauterdu toitpouratterrir justedevantmoi, commedanslesfilms,ouencorequ’unnuageallaitsoudainsematérialiserdevantmoietquemonvampireensortirait,drapéd’unecaperougesang,unsourireambiguauxlèvres...

Evidemment,iln’enfutrien.Jemarchai jusqu’àmavoiture,sortismaclé...etm’immobilisaibrusquement.Moiqui

espérais une surprise, j’étais servie ! Malheureusement, ce n’était pas exactement ce quej’avaisimaginé...MackRattrayvenaitdebondirdevantmoi,mebarrantlepassage.

Avantque jepuisse réagir, ilmedonnaunvigoureux coupdepoingà lamâchoire. Jetombaisurlegravier.Ilm’avaitfrappéesiviolemmentquej’enavaislesoufflecoupé.Dansunbrouillard,jedistinguaiunesecondesilhouette.Denise.

Je tentaideme redresser, envain. J’étais trop faible.Horrifiée, je visDenise leverunpiedchausséd’unelourdebotte.Cettefurieallaitmetuer!Auprixd’uneffortsurhumain,jeroulaisurmoi-mêmeetprotégeaimonvisagedemesmains.

J’eus le tempsde reprendremonsouffle,maismonrépit futde courtedurée.Àpeineavais-jerassemblémesespritsqueMackse jetasurmoi, lespoingsserrés.Mesavant-bras,mesjambes,mondos,toutmoncorpsreçutunegrêledecoupsd’uneviolenceinouïe.

Au début, jem’obligeai à demeurer immobile. Les deux rats n’avaient sans doute pasd’autre intention que deme faire peur. Ils s’en iraient bientôt,me laissant àmême le sol,commeilslefaisaientavecleursautresvictimes.

Lescoups,pourtant,continuaientàpleuvoiravecuneinquiétanterégularité.

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Dansunéclairdelucidité,jecompris.MacketDenisenes’arrêteraientpasavantdem’avoirtuée.Du moins, si je les laissais faire. Déjà, la douleur commençait à engourdir mes

membres, mais, dans un sursaut de révolte, je me retournai. Il fallait agir ! Je tendis lesmainsauhasardetrefermailesdoigtssurmapriseavecl’énergiedudésespoir.Unejambe.Celle de Mack, de Denise ? Aucune idée. J’y plantai mes dents de toutes mes forces. Unhurlementmerépondit,quejeprisd’abordpouruncridedouleur.

Puisjecomprisqu’ils’agissaitd’ungrognement.Oh,non!Ilsavaientamenéunchien!Jem’immobilisai,indécise.Jen’osaismeretourner,depeurquelescoups,quiavaientcessé,nereprennent.Legrognementavaitquelquechosed’effrayant,d’inhumain,quimeglaçaitledos.

Puisl’undesdeuxratsmefrappadenouveaudansledos,uneseulefois,maisavecuneférocitémeurtrière.J’entendissoudainmonsouffledevenirrauque,tandisqu’uninquiétantgargouillismontaitdemespoumons.LavoixdeMackparvintàmesoreilles,déforméeparl’ondededouleurquimetraversaitlecorps.

—Qu’est-cequec’estquecetruc?Ilavaitl’airterrorisé.Le grondement résonna de nouveau, tout près de moi, cette fois-ci. J’avais si mal,

cependant, que j’en oubliai ma propre peur. Je me laissai peu à peu submerger par lafaiblesse.Plusriennecomptait,àpartladouleurquimeclouaitsurlegravierdeceparkingnoyé dans l’obscurité et m’interdisait le moindre mouvement. Je perçus un ricanementindistinct,venud’uneautredirectionquecelled’oùétaitmontélegrognementduchien.Quesepassait-il?

Je lâchai la jambe que je retenais – celle de Denise, je crois – et laissai ma mainretomberà terre, sans force.Unvoile rougebrouillaitmavue,meplongeantdansunenuitcouleur de sang. Confusément, je compris que mon bras était cassé. Mon front saignaitabondamment.Marespirationétaittoujoursaussisifflante.Jenesentaisplusmesjambes...

Renonçant,fautedecourage,àpoursuivrel’évaluationdemesblessures,jetentaidemeconcentrersurlesbruitsautourdemoi.Mackpoussaunhurlementdeterreuretfutaussitôtimité par Denise. Puis il y eut un remue-ménage que je ne pus interpréter. Le chien desRattray s’était-il retourné contre ses propriétaires ? Sam avait-il eu la bonne idée des’apercevoir qu’unmembre de son personnel avait été victime d’une agression ?Un clientéméchéétait-ilvenuinterromprelesdeuxratsalorsqu’ilssecroyaienttranquilles?

Finalement, le silence se fit.Menaçant ? Rassurant ? Je n’osais pas bouger. Derrièremoi,lechienjappadoucement,avantdeposersatruffefroidecontrematempe,qu’ilgratifiad’uncoupdelangue.Bravebête!Ellem’avaitsûrementsauvélavie.Jevoulusleverlamainpourlacaresser,maisjen’yparvinspas.

Alors,jecompriscequim’arrivait.—Jevaismourir.Mavoixrésonnaétrangementdansleparkingsilencieux.Ilmesemblaitquel’airs’était

figé, tout comme le temps, qui ne s’écoulait plus qu’au rythme de ma respirationdouloureuse.Même les grillons s’étaient tus, songeai-je. J’avais l’impression deme noyerdansmonpropresang.Laviemequittaitlentement...

Soudain, j’entendisdesvoix toutprèsdemoi.J’entrouvris lesyeuxetvisdeuxgenouxcouverts de jean se poser sur le gravier devant moi, suivis d’un visage inquiet, qui meregardait.

Bill.

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Ses canines dépassaient de ses lèvres, d’où coulait un filet de sang. Je tentai de luisourire,sansrésultat.Moncorpsnem’obéissaitplus.

—Jevaisvoussoulever,ditBillposément.Jem’entendisprotesterd’unevoixrauque,presqueinaudible:—Vousallezmetuer.—Pasencore,répondit-ilaprèsm’avoirexaminéequelquesinstants.C’étaitidiot,maiscetteaffirmationm’amusabeaucoup.—Parcontre,jevaisvousfairemal.Dansl’étatoùjemetrouvais,toutmefaisaitmal.Jelaissaiéchapperunsoupirrésigné.

Billglissasesbrassousmoi,m’arrachantuncriquis’étrangladansmagorge.—Vite,ditunevoixderrièreBill.—On retourne dans les bois, hors de vue, répondit celui-ci, tout enme portant sans

effortapparent.Allait-il m’enterrer sous le couvert des arbres, avec l’aide de son complice ? C’était

absurde:ilvenaitdemesauverdelafoliemeurtrièredesdeuxrats.Alors?Alors,àvraidire,celam’étaitégal.Toutm’étaitégal,désormais,puisquej’allaismourir...

Jefermailesyeux,persuadéequejenelesrouvriraispas.Nous étions parvenus à l’orée du bois. Avecmille précautions, Billme déposa sur un

épais tapis d’aiguilles de pin. Son souffle sur mon visage réveilla la sensation du sangpoisseuxquiséchaitsurmesjoues.Lorsqu’ilm’allongeasur lesol,unevivedouleurmontademonbrascassé,etunnouveaugargouillisdemauvaisaugurejaillitdemespoumons.Maisleplusinquiétantétaitcequejenepercevaispas.

Mesjambes.Mon ventre me paraissait lourd, comme engorgé de sang. Les mots « hémorragie

interne»mevinrentsoudainàl’esprit.—Vousallezmourir...murmuraBillàmonoreille.Ilobservaunsilence,puisajoutad’untontendu:—Saufsivousm’obéissez.Ilfallutquelquessecondespourquelesensdesesmotsm’apparaisse.—Jene veuxpas êtreun vampire !murmurai-je, sans trouver le couraged’ouvrir les

yeux.—Iln’enestpasquestion,répondit-ild’untonradouci.Vousallezguérir.Rapidement.

Jepeuxvoussoigner,maisilvafalloirfairecequejevousdirai.—Allez-y.Detoutefaçon,jen’aipaslechoix.

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Au prix d’un effort surhumain, je soulevai une paupière, puis l’autre. Autour demoi,toutétaitgris,opaque.J’avaisl’impressiond’êtreentouréed’ombres–ombresdesarbres,deBilletdelapersonnequil’accompagnait,ombredel’ombre...J’entendisdeschuchotements,suivis d’un gémissement de douleur, comme siBill s’était faitmal. Puis il appuya quelquechosecontremeslèvres.

—Buvez,ordonna-t-il.Je compris qu’il pressait son poignet entaillé contre ma bouche. De sa main libre, il

appuyaitsursapeaupourfairesortirsonsang.Unliquidetièdeetépaisenvahitmonpalais.Jeluttaiuninstant,puisjerenonçai.Jevoulaisvivre.Quelquessecondesplustard,j’avalaisàgrandeslampéeslesangduvampire.

C’était âcre, cuivré, c’était le goûtde la vie.Demamain valide, je saisis lepoignetdemonsauveurpourlemaintenircontremeslèvres.Àchaquegorgée,laviemerevenait.Puisunirrésistibleépuisements’emparademoi,etjesombraidansunprofondsommeil.

Àmon réveil, j’étais toujours étendue sous les arbres.Une silhouette était allongée àmoncôté,penchéesurmoi.Levampire.Ilétaitoccupéàlécherlesblessuresquej’avaisauxtempesetsurlefront.

—J’espèrequejesuisàvotregoût,marmonnai-je,encoreengourdieparlesommeil.Àmasurprise,ilrépondit:—Très.Vousn’avezpaslamêmesaveurquelesautres.Quiêtes-vous?Décidément, voilà une question qui lui tenait à cœur – s’il en avait un. C’était la

troisièmefoisqu’ilmelaposait.—Hé,mais jene suispasmorte !m’exclamai-je,prenant soudain consciencedu sang

quicouraitvigoureusementdansmesveines.Jesecouaimonbras,celuiquiavaitétécassé.Bienqu’ilfûtencorefaible,ilneballottait

plus comme avant. Je sentais de nouveaumes jambes, jusqu’à la plante des pieds. Je lesagitai,justepourleplaisir.Puis,testdécisif,jeprisuneinspirationprudente.Pasdedouleurdans les poumons. Je recommençai, avecunpeuplusd’énergie.Àpart une légère gêne, jen’avaisplusmal.C’étaitunmiracle!

Jem’assis.Celamedemandaunpeuplusdetempsetd’effortsqu’àl’ordinaire,maisj’yparvins toutdemême.J’étaismortede fatigue... et éperduede reconnaissanceenversmonsauveur.J’avaisévitélepire!Jamaislavienem’avaitparuaussiprécieuse.

D’ungestetrèsdoux,levampirepassasesbrasautourdemoipourmeserrercontrelui.Jeposailatêtesursapoitrineavecunsoupirdebien-être.

—Jesuistélépathe,déclarai-je.Jepeuxentendrelespenséesdesgens.—Mêmelesmiennes?—Non.C’estpourcetteraisonquevous...quetumeplaisautant.Sapoitrinesesoulevaaurythmedesonrire.— Je suis absolument sourde à ce que tu penses, repris-je. Si tu savais comme c’est

reposant!—Commentpeux-tusupporterdesortiravecdesgarçons?Ceuxdetonâgenedoivent

avoirqu’uneidée:temettredansleurlit.—Parcequ’ilyaunâgeoùilscessentd’ypenser?Premièrenouvelle!Pourrépondreà

taquestion,j’airésoluleproblème:jenesorsavecpersonne.Toutlemondemeprendpourunecinglée.Siseulementlesgenscomprenaientqueçamerendfolledelesentendrepenserenpermanence!

CommeBillnedisaitrien,jepoursuivis:—J’aiessayédesortiravecdesgarçons,autrefois.Çaaétéunecatastrophe.Comment

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veux-tuque jemedétendeauprèsd’un typeque j’entendssedemandersi je suisunevraieblonde,sijeporteunsoutien-gorgeousijesuisbavardeaulit?

Soudain, jemerendiscompteque j’allaisunpeutrop loindans lesconfidences.Aprèstout,cethommeétaitnonseulementunvampire,maisaussiuninconnu.

—Excuse-moi.Jet’ennuieavecmeshistoires.Mercidem’avoirsauvéedesdeuxrats.—Sij’avaisétéàl’heureaurendez-vous,ilsn’auraientpaseul’occasiondet’agresser.Et

j’avaisunedetteenverstoi.—Est-cequ’ilssont...morts?—Onnepeutplusmorts.L’idéedemetrouverdanslesbrasdeleurmeurtrieravaitquelquechosededérangeant.

Pourtant,j’étaissoulagéedesavoirquelemondeétaitdébarrassédecesdeuxmonstres.—Jedevraisenéprouverduregret,maisjeneressensaucunepitiépoureux,avouai-je.De nouveau, Bill eut ce rire silencieux qui n’appartenait qu’à lui. Nous demeurâmes

immobilesunlongmoment,àsavourerlafraîcheurdelanuit.—Dequoidésirais-tumeparler,Sookie?Commentavais-jepuoublier?—Oh,oui!Granny...jeveuxdire,magrand-mèreesttrèscurieusedeconnaîtretonâge,

déclarai-je d’un ton hésitant, ne sachant si une telle question était considérée commegrossièrechezlesvampires.

—J’aiétévampiriséen1870,l’annéedemestrenteans,réponditBill,quimefrottaitledoscommesij’étaisunchaton.

Jeleregardai.Sesyeuxétaientdeuxpuitsinsondables.—Tuasfaitlaguerre?demandai-je.Ilhochalatête.—Écoute,jeneveuxsurtoutpasréveillerdessouvenirsdouloureux,maisGrannyserait

folle de bonheur si tu acceptais de donner une conférence à son club sur la guerre deSécession.

—Quelclub?—LeCercledeshéritiersdesglorieuxdéfunts.— Les glorieux défunts... répéta-t-il d'un ton où il me sembla percevoir une trace

d’ironie.Manifestement,mapropositionneluisouriaitguère.—Bien sûr, tu ne serais pas obligé de leur parler des cadavres, desmaladies et de la

famine.Cela,ilsl’ontludansleslivres.Tupourraist’entenirauxaspectslesplusriants.Laviedesgensàl’époque,l’uniformedessoldats,lesmouvementsdestroupes...

—Bref,cequiestprésentable.—Enquelquesorte.Ils’absorbadanssespensées–quim’étaienttoujoursaussihermétiques.—Celateferaitplaisir?—Ça ferait plaisir à Granny. Et si tu as l’intention d’élire domicile à Bon Temps, ce

seraitunebonnefaçondesoignertonimage.—D’accord,maisest-cequecelateferaitplaisir,àtoi?insista-t-il.—Ehbien...oui.—Alors,j’accepte.—Merci!Aufait,Bill.—Oui?—Grannydemandesitupeuxprendretonrepasavantdevenir.

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Ilfutsecouéd’unnouveauriresilencieux.—Jesuisimpatientdefairesaconnaissance,dit-il.Est-cequejepeuxterendrevisiteun

decessoirs?—Tu seras le bienvenu. Je travaille encore demain soir, et ensuite, j’ai deux jours de

congé.Jeserailibrejeudi.Jeconsultaimamontre.— Déjà ! m’exclamai-je en bondissant sur mes pieds. Pourvu que Granny n’ait pas

attendumonretourpoursecoucher!— Elle doit s’inquiéter de te savoir seule si tard le soir, commenta Bill d’un ton

désapprobateur.Pensait-ilàMaudette?L’avait-ilconnue?Jem’interdisd’approfondircettequestion.Je

n’avais pas envie que la fin tragique de cette pauvre fille vienne jeter une ombre surmonbonheurtoutneuf.

—Dansmonboulot,onn’apaslechoix.D’ailleurs,jenesuispastoujoursdel’équipedusoir.Celadit,quandjepeux,jepréfèretravaillerdenuit.

—Pourquoi?demandaBillenselevantàsontour.—Ilyaplusdetravail,sibienquejen’aipasletempsderéfléchir.Etlesgensdonnent

despourboiresplusgénéreux.—C’estdangereuxdesortirlanuit.Ilétaitbienplacépourlesavoir!Jepoussaiunsoupirdecontrariété.—J’ail’impressiond’entendremagrand-mère!—Jesuisplusâgéqu’elle,répliquaBilld’untonsec.Querépondreàcela?Sansunmot, jemedirigeaivers leparking.Onnevoyaitpas la

moindre tracede la lutteàmortquim’avaitopposéeauxdeuxrats.Acroirequ’ilnes’étaitrien passé ! J’inspectai le vaste espace, intriguée. Pas de sang sur le sol, aucun signe dedésordre.Monsacàmainétaitposésurlecapotdemavoiture.

—Aufait,oùestpassélechien?JemeretournaiversBill.Luiaussiavaitdisparu.

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3

Lelendemain,jesirotaismapremièretassedecafé,assiseàlatabledelacuisine,tout

en regardantGranny ranger sesplacards, lorsque le téléphone sonna.Grannyalla s’asseoirsurlehauttabouretplacédevantleplandetravailetdécrochalecombiné.

—Allô!Je me suis toujours demandé pourquoi elle prenait cet air contrarié lorsqu’elle

répondait au téléphone, elle qui n’aimait rien tant que les appels de son réseaud’informatrices,quilatenaientinforméedesmoindrespotinsduvillage.

—Ah,Everlee...Pasdutout,jebavardaisavecSookie,ellevientdeselever...Oui,elleatravaillé tard hier. Non, je n’ai rien entendu... Une tornade ? À Four Tracks Corner ?Incroyable...Pardon?Touslesdeux?JusteCiel!Qu’enditMikeSpencer?

Mike Spencer était le coroner de Bon Temps. Je n’aimais pas le tour que prenait laconversation de Granny. Je finis ma tasse de café et m’en versai une deuxième. Quelquechosemedisaitquej’allaisenavoirbesoin.

—Sookie,s’exclamaGrannyenraccrochant,tunevaspascroirecequis’estpassécettenuit!

Après les événementsqui s’étaientdéroulés sur leparkingderrière lebar–etdont jen’avaissoufflémotàGranny–,j’étaisprêteàcroireàpeuprèsn’importequoi.Jem’efforçaideprendreuntondétaché.

—Raconte.—Unetornades’estabattuesurFourTracksCorner.Paruntempssicalme,quil’aurait

cru?Lemobilehomealittéralementétéretourné.Commeunpancakedansunepoêle!Lesdeuxhabitantssontmortssurlecoup,écrasés.Uncouple,paraît-il...

Ellefrissonna.— Mike Spencer dit qu’il n’a jamais vu ça. Le mobile home renversé sur le côté, la

voituredesdeuxmalheureuxàmoitiéperchéedessus,etplusieursarbrescouchéssurletout.Jefrémisensongeantàlaformidableénergiequ’untelcataclysmeavaitexigée.—Aufait,chérie,tun’aspasvutonvampire,hiersoir?Ilme fallut quelques instants pour comprendre que Granny avait changé de sujet de

conversation...dumoinsdevait-elleenêtrepersuadée.Sielleavaitsu!Chaque soir depuis le jour où j’avais fait la connaissance de Bill, elle venait aux

nouvelles. Cette fois, je pus enfin répondre par l’affirmative, mais pas avec autantd’enthousiasmequejel’auraisvoulu.

Commejem’yattendais,Grannymanifestaaussitôtlaplusviveexcitation.LavisiteduprinceCharlesenpersonnenel’eûtpasplusémue.

—Demainsoir,répéta-t-elle.Àquelleheureexactement?—Dèsqu’ilferanuit,jesuppose.Iln’apasétéplusprécis.Grannyconsidéralapièced’unœilsoucieux.— Je n’aurai jamais le temps de faire tout le ménage d’ici à demain soir, gémit-elle.

Regardecetapis,ilyabienunanqu’iln’apaséténettoyé!—Granny, cet homme dort àmême la terre toute la journée. Il se fiche du degré de

propretédetestapis.—Eh bien,moi pas, dit-elle d’un ton sans réplique.D’ailleurs, comment sais-tu où il

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dort,jeunefille?Jehaussailesépaules,l’airévasif.—Jesupposequ’ilalesmêmeshabitudesquelesautresvampires...Au demeurant, je n’avais pas besoin de me justifier : Granny ne m’écoutait plus.

Lorsquejesortisdemachambreunpeuplustard,prêteàpartirtravailler,elleétaitdéjàalléeloueruneshampouineusepournettoyerletapisets’étaitmiseàl’œuvre.

AulieudemedirigertoutdroitChezMerlotte,jefisuncrochetparFourTracksCorner.Le spectacle était impressionnant. Comme l’avait dit Granny, lemobile home gisait sur leflanc, lacarcasseéventrée,àplusieursmètresdesonemplacementhabituel.LavoituredesRattray,bizarrement aplatie, semblait avoir étédéposéepar-dessuspar lamaind’ungéant.Quant à la clairière environnante, elle était jonchée de débris divers : branches d’arbresarrachées,vitrescassées,ustensilesménagerspiétinésparquelqueforceinvisible...

Jefrémis.Billn’avaitpasménagésesefforts.Enentendantlebruitd’unmoteurlelongduchemin,jemeretournai.—Mais c’est Sookie Stackhouse ! s’exclamaMike Spencer en descendant de sa vieille

Jeep.Tun’espasàtontravail?—J’y vais, justement. Je suis justepasséevoir lesdégâts. Je connaissais les rats... les

Rattray.— Et vous n’étiez pas très amis, à ce qu’on m’a dit, fit le shérif Bud Dearborn, qui

descendait à son tour de la Jeep. Il paraît que vous avez eu des mots, l’autre soir, sur leparkingdeChezMerlotte?poursuivit-ilens’approchantdemoi.

J’aimaisbienBud,dontmonpèreavaitété trèsproche.Enrevanche, jememéfiaisdeSpencer.Avecsessantiagsetsesboloties (finecravatedestylewesterndont lesdeuxpanssontréunisparuneboucleenmétal)decow-boyd’opérette,celui-ciessayaitdesedonnerunairdébonnairequinemeconvainquaitpas.

—C’estexact,dis-jeaushérif.Ons’estunpeu...disputés.—Raconte,demanda-t-ilenallumantunecigarette.Pourquoimeregardait-ilainsi?Prisedepanique,jem’écriai,endésignantlescarcasses

desvéhiculesetlesarbresbrisés:—Jen’airienàvoiravectoutça!Budlaissaéchapperunsoupird’impatience.—Jelesais,Sookie,maisdeuxpersonnessontmortesunesemaineaprèsquetuaseu

uneviolentequerelleavecelles.Ilestnormalquejeteposequelquesquestions,non?Jememordisleslèvres,indécise.—Allons,soisgentille,Sookie.Dis-moicequis’estpassécesoir-là.—Ilsfaisaientdumalàmonami.BudetMikeéchangèrentunregardentendu.—Cevampirequivitdansl’anciennemaisonCompton?Jehochailatêteenm’efforçantdedissimulermasurprise.ComptonHousen’étaitqu’à

deuxpas de chezGranny, de l’autre côté du cimetière. Jamais je n’aurais imaginé queBillétaitaussiprochedemoi!

— Ta grand-mère te laisse fréquenter ce déterré ? demanda Spencer sans cacher sonmépris.

—Billestquelqu’undecharmant!répliquai-jeavecplusd’agressivitéquejenel’auraisvoulu.Etpuisquevousteneztantàlesavoir,lesRattrayavaientcommencéàlesaigner.

—Alors,tuesintervenue?demandaBud.—Exactement.

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Leshérifparutsongeur.—Ilfautreconnaîtrequ’ilestillégaldesaignerunvampire.—C’estunmeurtre!m’écriai-je,choquéeparsanonchalance.—Eneffet,selonlaloi,répliquaBudd’unairpincé.—Iln’apasmenacélesRattraydereprésailles?demandaSpencer.Nidéclaréqu’ilallait

lestuer?Jeréprimaiunsourire.Silecoroners’imaginaitquej’allaistomberdansunpiègeaussi

grossier!— Non, il n’a rien dit. À présent, excusez-moi, je vais être en retard à mon travail.

MonsieurSpencer,shérif...—Àundecesjours,Sookie.JecomprisqueBudDearbornauraitvoulumeposerplusdequestions,maisqu’ilne

savait comment les formuler. Pour lui comme pour moi, l’évidence s’imposait : aucunetornaden’avaitdévastéFourTracksCorner.Pourtant, le shérifneparvenaitpasà imaginerqu’unvampiresoitassezpuissantpourcommettreuntelmassacre.

ChezMerlotte,toutlemondeneparlaitquedel’événementdelanuit.LamorttragiquedeMaudetteavaitétéreléguéeausecondplanparla«catastrophedeFourTracksCorner»,commeonl’appelaitdéjà.

Àplusieursreprises,jesurprisleregarddeSamposésurmoi.Quesavait-ilexactementdemamésaventuredelaveille,surleparkingdesemployés?Avait-ilvuquelquechose?Sic’étaitlecas,pourquoin’était-ilpasintervenu?

Jem’abstinsdeluiposerlaquestion,aucasoùj’auraismalinterprétésonexpression.Je m’absorbai dans mon service, ce qui était la meilleure façon de chasser mes propresinterrogations.Oùétaitpassé lecomplicedeBill, l’hommedont j’avaisentendulavoix?Etquelétaitcechiendontlegrondementm’avaitglacélesang?Àmaconnaissance,niSamniles Rattray n’avaient de compagnon à quatre pattes. Quant aux vampires, leurs conditionsd’existenceétaienttellesquejelesimaginaismals’encombrerd’unanimaldomestique.

Les clients étaient très excités. Trois morts violentes en moins d’une semaine, onn’avaitjamaisvuçaàBonTemps!Jesupposequel’atmosphèrefiévreusequirégnaitcesoir-làexpliquecequisepassaalors.

LaclientèledeChezMerlotteétaitsurtoutcomposéed’habitués,dontquelques-unsqui

n’étaientpasdeBonTempsmaisvenaientenvoisins,etenrèglegénérale, jen’avaispasdeproblèmesavecdesclientstropentreprenants.Cesoir-là,pourtant,ungrosblondauvisagerougeaudposasamainsurmonshortalorsquejepassaisprèsdesatablepourapporterdesbièresàRenéetHoyt.

Cegenredegesten’étaitpasadmisChezMerlotte.J’auraisrenversémonplateausurlatête de l’importun si quelqu’un n’avait pas réagi avant moi. Je tournai la tête et vis qu’ils’agissaitdeRené,qui tenait lamaindublondentre les sienneset la serraità lui casser lepoignet.

—Ducalme,vieux!maugréacedernier.Jeneluivoulaisriendemal!—Onne touchepas à la demoiselle, compris ? grognaRené.Tu vas lui présenterdes

excusestoutdesuite.—Présenterdesexcusesàlacinglée?René accentua sa pression. Il avait l’air d’un gringalet à côté du géant blond,mais il

devaitêtred’uneredoutableefficacité,carl’autregrimaçaaussitôt.—Je...suisdésolé...Sookie,dit-ilfinalement.

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Jehochailatêteenm’efforçantd’adopteruneexpressionhautaine.Alors,Renélibéraleblond,quijetaquelquespiècessurlatableetseruaverslasortie.

— J’aurais pu régler le problème moi-même, dis-je à René, une fois que lesconversationseurentreprisautourdenous.Maisjeteremerciepourtonaide.

—Jen’allaispaslaissercecrétinennuyeruneamied’Arlène.Etpuis,tumerappellesun

peuCindy.CindyétaitlasœurdeRené.ElleavaitquittéBonTempsquelquesannéesplustôtpour

s’installeràBatonRouge.Àpartlefaitqu’elleétaitblondeauxyeuxbleus,jenevoyaispasenquoi elleme ressemblait, mais cela n’aurait pas été très aimable d’en faire la remarque àRené.

—Ilfautquejereprenneletravail,dis-je.Merciencore.Enallantcherchermacommandesuivanteaubar,jevisqueSamavaitsortilabattede

baseballquiluisertàcalmerlesclientsunpeutropagressifs.Pourvoleràmonsecours?Le lendemain était censé être une journée de repos pour moi, mais Granny ne

l’entendait pas de cette oreille. Ilme fallut astiquer le parquet, nettoyer les carreaux, fairebriller l’argenterie, secouer les rideaux, récurer à fond la salledebains etmêmebalayer lecellieretlabuanderie.JenepensaispasqueBilliraitvisiterlecellieroulabuanderie,maisjen’osaiprotester.Grannyétaitsiheureusederecevoirsonvisiteurdecesoir!

Puisellem’envoyamedoucheretmechanger,etjecomprisqu’àsesyeux,cen’étaitpasàellemaisàmoiqueBillvenait rendrevisite.Leprenait-ellepourmonprétendant?Cettequestionenentraînad’autres.Grannydésespérait-elleàcepointdemevoirmecaserunjourqu’elleenvenaitàconsidérerunvampirecommeunsoupirantconvenable?Mesoupçonnait-elled’éprouverpourBilldetendressentiments?Lesvampiresétaient-ilsdebonsamants?Nonpas,biensûr,quej’eussedegrandesexigencesconcernantcedernierpoint,étantdonnémoninexpérienceenlamatière.Celaétant,quitteàprendreunamant,autantbienlechoisir,n’est-cepas?

Plusnerveusequejenel’auraisvoulu,jesortisdeladouche,meséchailescheveuxet,aprèsm’êtremaquillée avec soin, cherchai une tenue dansmon armoire. Sachant quemagrand-mèreauraitétéfâchéedemevoirrecevoirBillenjeanetbaskets, jechoisisunerobebleue entièrement brodée de marguerites, un peu plus moulante que Granny et Jason – lequelétaitmoinssourcilleuxencequi concernait les tenuesdesesnombreuses fiancées,maisceciestuneautrequestion–nel’auraientjugéconvenable.

Quand je retrouvaiGranny, elleme jetaun regard impénétrable. J’aurais pu liredanssespensées,maisjem’yrefusai,parrespectpourelle...etpeut-êtrepourmoi.Poursapart,elleportaitunchemisierblancamidonnéavecsoinetunejupegrisequinedécouvraitquelapointedeseschaussuresimpeccablementvernies.

J’étais sur la véranda lorsque Bill arriva. Ce fut une entrée typiquement «vampire »,avecnuagenoir,sifflementsdansl’airetapparitionsubitedel’intéresséaupieddesmarchesdelavéranda.Ilnemanquaitqueleroulementdetambour.

—Sic’étaitdestinéàm’effrayer,c’estraté.Billm’adressaunsourirepenaud.—Désolé.Leshabitudes,tusaiscequec’est...J’ouvris laporte et l’invitai àmonter.Une fois enhaut, il traversa la vérandaet entra

danslamaisonenregardantautourdeluiaveccuriosité.—J’adoraiscettemaisonautrefois,dit-il.Dansmonsouvenir,elleétaitpluspetite.

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—Tul’asvueseconstruire?Ilhochalatête.—Çaalors!C’estGranquivaêtrecontente!J’appelaiGranny,quiapparutelleaussiavecune rapidité confondante.Si jene l’avais

pasaussibienconnue,j’auraispuêtretentéedecroirequ’elleavaitécoutéauxportes...Cenefutqu’àcemomentquejeremarquaiqu’elleavaitredressésescheveuxenunchignonplusélaboréqueceluidetouslesjoursetqu’elleportaitmêmeunsoupçonderougeàlèvres.

Bill se révéla aussi doué pour les mondanités que Granny. Après l’avoir saluée,remerciée et complimentée, il se retrouva sur le canapé, devant la table basse sur laquelleGran déposa trois verres de thé glacé avant de s’asseoir dans le fauteuil en face de notreinvité–leseulfauteuillibreautourdelapetitetable.

Lemessageétaitclair.Jen’avaisd’autrechoixquedeprendreplacesurlecanapéàcôtédeBill.Cequejefis,ledosbiendroitetlesmainssagementposéessurmesgenoux.

D’ordinaire,lesquestionsmétéorologiquesconstituentunsujetdeconversationfacileetsans risque. Dans le cas présent, c’était la pire entrée en matière possible. Mais, commej’auraisdûm’endouter,cefutcellequeGranchoisit.

—Vousavezentenduparlerdelatornadedecettenuit?C’estextraordinaire!—Vraiment?ditBilld’unevoixdénuéed’émotion.Racontez-moiça.ToutenécoutantGranrelater l’incident, jemetordis lesmains, incapabledeposer les

yeuxsurmonvoisin.Siseulementj’avaisdemandéàGrand’évitercesujet!Àprésent,ilétaittrop tard. Je ne pouvais que guetter la première occasion pour détourner la conversation.Enfin,elleseprésenta,souslaformed’unemouche.

—Joliechemise,dis-jeàBillenchassantl’insectedesamanche.D’oùvient-elle?—DechezDillard’s.Je tentaid’imaginermonvampireenpleineséanced’essayagedans lesboutiqueschic

deMonroe,sanssuccès.Oùtrouvait-il l’argentpourpayersesachats?Serendait-ilenvilleau volant d’une voiture ou s’amusait-il à apparaître dans lesmagasins, au grand effroi desvendeuses ?De retour chez lui, faisait-il sa lessive, comme tout lemonde ?Dormait-il nudanssoncercueil?

Granny parut satisfaite d’apprendre que mon prétendant, ou supposé tel, faisait sescoursesenville,commetoutunchacun.Surceplan,aumoins, ilétaitnormal!Impatiented’en savoir plus sur lui, elle le soumit à un feu roulant de questions sur ses habitudes,auxquellesilréponditavecunepatienceexemplaire.

Billétaitpeut-êtreunmortvivant,maisunmort-vivantbienélevé.—Votrefamilleestdelarégion?s’enquitGranavecintérêt.—MonpèreétaitunCompton,etmamèreuneLoudermilk.Rassuréesurlepedigreedenotrevisiteur,ellecommenta:— Il y a beaucoup de Loudermilk par ici. Le pauvre Jessie Loudermilk est décédél’annéedernière,hélas.

— Je sais. En l’absence d’héritiers, sa propriété me revient, selon les nouvellesdispositionsenmatièredesuccession.C’estpourcetteraisonquejesuisrevenuaupays.J’ail’intentiondefairevaloirmesdroitssurl’héritage.

—Vous avez dû connaître desmembres de la famille Stackhouse. Sookiem’a dit quevousaviezunelonguehistoire.

Finementformulé!songeai-jeavecadmiration.—JemesouviensdeJonasStackhouse,ditBill.Grannyouvritdesyeuxrondsdesurprise.

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—Incroyable!—Mesancêtresvivaientdéjàiciàl’époqueoùBonTempsn’étaitqu’uneornièredansla

piste quimenait vers le nord de la Louisiane. Jonas s’est installé ici avec sa femme et sesquatreenfantsl’annéedemesseizeans.Cettemaisonestbiencellequ’ilaconstruite?

Granny approuva d’un vigoureux hochement de tête, invitant Bill à poursuivre. Jeremarquaiquelorsqu’ilparlaitdupassé,savoixchangeait.Sesintonationssefaisaientplusprofondes, son débit plus vivant. Combien d’accents différents avait-il eus au cours dessièclespassés?Combiendemotsnouveauxavait-ilvusapparaître?medemandai-jesoudain,fascinéeparlenombredechangementsqu’ilavaitconnus,etpasseulementdansledomainedulangage.

Granny, qui était passionnée de généalogie, voulait tout savoir sur Jonas, l’arrière-arrière-arrière-arrière-grand-pèredesonépoux.

—Avait-ildesesclaves?—Simamémoireestbonne,ilenavaitdeux.Unefemme,quis’occupaitdelamaison,et

unhomme,trèsjeuneettrèsgrand,pourlestravauxd’extérieur.Ils’appelaitMinas.Celadit,lesStackhousecultivaienteux-mêmesleurschamps,toutcommemespropresancêtres.

—Oh!Voilàexactementletyped’informationsquipassionneraitmonclub.Sookievousa-t-elleditque...

Jeréprimaiunsoupir.Grannyétait intarissable,Bill,d’uneaffabilitéparfaite... etmoi,soulagée dene pas avoir à faire la conversation. Lesmondanités n’avaient jamais étémonfort. Finalement, Granny et Bill convinrent d’une date pour que Bill anime une petitecauserie nocturne à l’intention du Cercle des héritiers des glorieux défunts. Faut-il lepréciser?Granétaitauxanges.

JefustiréedemarêverieparlechangementdetondeBill.—Maintenant, l’entendis-jedire àGran, si vous lepermettez,madame,Sookie etmoi

allonssortirfairequelquespasdehors.Lanuitestsibelle!Avec une lenteur délibérée, afin de ne pasme surprendre, il approcha samain de la

mienne et la referma surmes doigts. Puis il se leva etm’invita à le suivre. Samain étaitfroide,maisfermeettrèsdouce.

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—Allez-y,mesenfants!réponditGran.J’aibesoinderéfléchirauxquestionsquejevaisvousposer,Bill.Ilyatantdechosesquej’aimeraissavoir!Ilfaudraquevousmerappeliezlesnomsdesprincipalesfamillesàl’époqueoùvous...

Elles’interrompit,depeurdecommettreunebévue.—...habitiezàBonTemps,finis-jeàsaplace.—Bienentendu,ditBilld’untonconciliant.Asonairtropsérieuxpourêtrehonnêteetàseslèvresserrées,jecomprisqu’ilretenait

unéclatderire.Soudain,jem’aperçusquenousétionsdéjààlaporte.Cen’estqu’alorsquejecompris

queBill, sansque jem’enaperçoive,m’avait«transportée» jusque-là,à la façonqu’ont lesvampiresdesedéplacer.Jesouris,prised’unlégervertige.C’étaitplusgrisantqu’unevalse!

—Nousseronsderetourtrèsbientôt,promitBilld’unairvertueux.Grannyn’endemandaitpastant.—Nevousinquiétezpas,jeunesgens,preneztoutvotretemps!dit-elleenrassemblant

lesverresvidessurunplateau.Avait-elleremarquénotreétrangeetrapidedéplacementàtraverslesalon?C’étaitpeu

probable.Dehors, les animaux avaient entamé leur opéra nocturne. Crapauds, grenouilles,

criquets,c’étaitàquientonneraitl’airleplustonitruant.Sanslâchermamain,Billmeguidaàtravers lacour,oùmontaient lesparfumsde l’herbefraîchementcoupéeetdesfleursd’été.Tina,lachatte,sortitdel’ombreoùelleétaittapieetvintsefrottercontremesjambespourréclameruncâlin.Jemepenchaiversellepourluigratterlatête.

Àmasurprise,Tinas’approchaensuitedeBilletrépétalemêmemanège,quecederniernecherchapasàdécourager.

—Tuaimescetanimal?demanda-t-ilavecdétachement.—Oui,c’estmapetiteTina.Jel’adore.Sansrépondre,ilattenditquelachattes’éloignedenousetsorteduhalodelumièrequi

tombaitdel’entréedelamaison.—Tuasenviedemarcher,ouest-cequetupréfèrest’asseoirsurlavéranda?demandai-

je,prenantàcœurmesdevoirsd’hôtesse.—Marchonsunpeu,situveuxbien.J’aibesoindemedégourdirlesjambes.Je ne saurais pas expliquer pourquoi,mais ses paroles eurent àmes oreilles un petit

quelquechosed’inquiétant.Jelesuivisnéanmoinslelongdel’alléequimenaitàlaroute.—Tuesfâchée,pourcequis’estpasséàFourTracksCorner?Commentrépondrepolimentàunetellequestion?—Disonsquecelamedonneungrandsentimentde...fragilité.—Tusaisquej’aibeaucoupdeforce.—Jenepensaispasquec’étaitàcepoint.Tuasaussibeaucoupd’imagination.—Aveclesannées,onapprendàdissimulerauxautrescedontonestcapable.Enbien

commeenmal.—Est-cequetuastuédenombreusespersonnes?—Quelques-unes.Si j’enjugeaisparsonexpressionfermée, ilauraitpréférénepasabordercetaspectde

sonexistence.Jenouaimesmainsderrièremondos.—Commentes-tudevenuvampire?Voilàunequestionqu’iln’attendaitpas,jepouvaisleliresursonvisage...àdéfautdele

voir dans ses pensées. Il me jeta un coup d’œil songeur. Malgré l’obscurité qui nous

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entourait,jepouvaissentirlepoidsdesonregardsurmoi.Nospascrissaientsurlegravier,etj’entendaislebruissementdesfeuillesdanslaforêttouteproche.

— Ceci est une trop longue histoire pour ce soir. Cela dit, puisque le sujet semblet’intéresser,j’aidéjàtuélorsquej’étaisplusjeune.Jenelevoulaispas,maisjenesavaispasquandjepourraismangerdenouveau.J’avaistellementfaim!Onnouschassaitsansrépit,etàl’époque,lesangartificieln’existaitpas.J’avaisétéquelqu’undebon,quandj’étaisvivant.Je veux dire, avant d’attraper le virus. Alors, j’essayais de choisir mes victimes parmi lespersonneslesmoinsrecommandables.Jemesuistoujoursinterditdetoucheràunenfant.

Ilobservaunlongsilence,avantdereprendre:—Aujourd’hui,c’estdifférent.Ilyatoujoursunecliniquedegardeouvertetoutelanuit,

oùonmedonnedusangdesynthèse.C’estparfaitement insipide,maisçane faitdemalàpersonne.Jepeuxaussipayeruneprostituéeouencorecharmerquelqu’unpourboireunpeudesanghumain.

—Ourencontreruneserveusedebarunpeucingléeettrèsnaïve.Billesquissaunsourireindéchiffrable.—Toi,tuesledessert.LesRattrayétaientleplatderésistance.Qu’étais-je censée déduire de cela ? Que j’aurais dûm’enfuir à toutes jambes et que

j’aurais été follede resterune secondedeplusencompagniede cette créaturede lanuit ?Sansaucundoute.Pourtant,jenepartispas.

—Oh...Tuveuxbientetaireuneminute,s’ilteplaît?Àmasurprise,ilobtempéra.Jeneconnaissaispasunseulhommequieûtacceptédese

taire aussi longtemps juste pour me faire plaisir. J’ouvris mon esprit, relâchant toutevigilance.Quec’étaitbondepouvoirmedétendreainsietsavourerlesilencequiémanaitdelui!Jepoussaiunsoupirdebien-être.

—C’estagréable?demanda-t-ilaprèsunlongmoment.—Plusquejenesauraisledire.Soudain, ce fut une évidence pourmoi : quels que soient les actes que cette créature

avaitcommisdanslepassé,lapaixinfiniequejegoûtaisàsescôtésn’avaitpasdeprix.—Toiaussi,tumefaisdubien,dit-il.—Commentcela?—Avectoi,iln’yapasdepeur,nidehâte,nidejugement.Jen’aipasbesoind’userde

charmepourtefairetenirtranquilleetavoiruneconversationavectoi.—Qu’entends-tuexactementpar«charme»?—C’estunetechniqueassezprochedel’hypnose.Touslesvampiresyontplusoumoins

recours.Commentcrois-tuquenousfaisions,autrefois,pourpersuadernosproiesquenousn’étions pas dangereux ? Pour les convaincre, après avoir bu leur sang, qu’elles ne nousavaientjamaisrencontrés?

—Tuasessayésurmoi?—Jetel’aidit,c’estinutile.—Donc,tun’espassûrquetoncharmeagissesurmoi?—Ilagitsurtoutlemonde,répliquaBilld’untonvexé.—Essayons.Ilpoussaunsoupircontrarié.—Commetuveux,maugréa-t-ilens’arrêtantdemarcher.Regarde-moi.—Ilfaitsombre,non?—Peuimporte.Regardemesyeux.Nousétionsimmobilesaumilieuduchemin,faceàface,àquelquescentimètresl’unde

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l’autre. Bill posa sa main sur mon épaule et plongea ses yeux dans les miens. Dans lapénombre,lafaibleluminositédesapeaus’étaitaccentuéeetsespupillesbrillaientd’unéclatintense. Je le regardai docilement, non sans quelque inquiétude. Allais-je me mettre àcaquetercommeunepouleoumedévêtirsanslamoindrepudeur?

Un longmoment s’écoula. Je ne ressentais rien, hormis la sérénité quim’envahissaitchaquefoisquejemeconnectaisàl’espritdeBill.

—Est-cequetuperçoismoninfluence?demanda-t-il.—Non,seulementl’éclatdetapeau.—Tuvoiscela?Ilavaitl’airsurpris.—Biensûr.Pourquoi?Cen’estpaslecasdetoutlemonde?—Certainementpas!Puis,aprèsquelquesinstantsderéflexion,ilajouta:—C’estvraimentétrange,Sookie.Raressontleshumainsquidétectentcela.—Situledis...Aufait,jepeuxtevoirvoler?—Toutdesuite?—Oui,saufs’ilyauneraisonquit’enempêche.—Iln’yenapas.Il ôta samain demon épaule, et je le vis s’élever lentement dans les airs. Je laissai

échapperunsoupirravi.Billflottaitdevantmoi,àquelquesmètresdusol,etdansl’obscurité,sonteintpâleprenaitdesrefletsdemarbre.C’étaitunspectacled’unebeautésaisissante.

—Touslesvampirespeuventfaireça?demandai-je,émerveillée.—Tusaischanter?—Commeunecasserole!— Eh bien, c’est exactement la même chose pour nous. Nous n’avons pas tous les

mêmestalents,expliquaBill.Puis,aprèsavoireffectuéunatterrissageendouceur,ilreprit:—Engénéral,leshumains-seméfientdesvampires.Pastoi.Jehaussailesépaules,amuséeparsaréflexion.Siquelqu’unn’avaitpasderaisonsdese

méfier de la bizarrerie des autres, c’était bien moi ! Bill dut suivre ma pensée, car il medemanda,quelquesinstantsplustard,alorsquenousavionsreprisnotrepromenade:

—Lavienedoitpastoujoursêtrefacilepourtoi,n’est-cepas?Jen’aimepasmeplaindre,maisàquoibonnier?Jesouris.— Le plus délicat, c’était autrefois, lorsque j’étais petite. Je ne savais pas bloquer les

pensées des gens, alors je les entendais et je les répétais aux autres, même quand ellesauraientdûresterconfidentielles.Mesparentsétaienttrèscontrariés.Monpère,surtout.Mamèrem’a emmenée chezunepsychologuepourenfantsqui a toutde suite compris cequej’étais, mais qui ne l’a pas accepté. Elle a expliqué à mes parents que j’interprétais leurlangagecorporel,quej’étaistrèsobservatriceetquejevivaisdansl’illusionquejelisaisdanslespenséesdesautres.

CommeBillnedisaitrien,jepoursuivis:—À l’école, ça nemarchait pas trop. J’avais tellement demal à me concentrer, avec

touteslespenséesdesautresenfants!Enrevanche,quandonavaituneinterrogationécriteetquetoutlemondesecalmait,jem’ensortaisplutôtbien.

—Lesinstituteursn’ontjamaisdiagnostiquétonproblème?— Non. Si tu savais le nombre de théories que j’ai entendues ! Selon certaines, je

souffrais d’un handicap de l’apprentissage, selon d’autres, j’étais seulement très fainéante.

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Onm’afaitpasser jenesaiscombiendetestsd’auditionetdevision,et jeneparlepasdesscannersducerveau.Jecroisquemesparentsétaientprêtsàtoutentendre,sauflavérité.

—Pourtant,ilssavaient,ditBill.—Au fond, oui, mais ils refusaient de l’admettre. Puis, un jour, mon père a cédé. Il

venait de recevoir à la maison la visite d’un homme qu’il envisageait de prendre commeassocié,maisilhésitaitencoreàsefieràlui.Quandl’hommeestparti,papaestsortiavecmoidans le jardin. Sansme regarder, ilm’a demandé : « Sookie, est-ce que cet homme dit lavérité?»Cejour-là,j’aisuqu’ilm’acceptaitenfintellequej’étais.

—Quelâgeavais-tu?—Neufans,jecrois.Mesparentssontmortsl’annéesuivante.—Queleurest-ilarrivé?—Ilsontétéprisdansunecruedelarivière,surunpont,pastrèsloind’ici.Billnefitaucuncommentaire.Desmorts,ilenavaittantvu!—Aufait,cethomme,ilmentait?demanda-t-ilaprèsunlongsilence.—Oui.C’étaitunescroc.—Tupossèdesundon.Jeréprimaiunriresarcastique.—Tuparlesd’undon!—Ilterenddifférentedesautreshumains.—Àt’entendre,tun’enespasun.—Jel’aiété.Autrefois.—Tucroisvraimentquetuasperdutonâme?Cela,c’étaitl’explicationqu’avançaitl’Églisecatholique.Billhaussalesépaulesavecun

détachement trop appuyé pour être convaincant. Il était évident qu’il avait longuementréfléchiàcettequestion.

—Je dois reconnaître que je ne suis plus l’homme que j’ai été,mais jem’accroche àl’idéeque jene suispasdevenuunmonstrepourautant.Malgré lesannéesquipassent, ilresteunepartiedemoiquirefuselacruauté,quin’aimepasdonnerlamort.Mêmesijesuiscapabledetuerdesang-froid.

—Cen’estpasdetafautesituasétécontaminéparcevirus.—Enadmettantqu’il s’agissebiend’unvirus.Depuisqu’ilyadesvampires, ilyades

théoriessurlesvampires!Maisquisait?Celle-ciestpeut-êtreexacte.Jeposailaquestionquimebrûlaitleslèvres.—Commentdevient-onvampire?—Ilfautquel’humainsoitvidédetoutsonsang,d’uneseuletraiteouenplusieursfois,

puisque le vampire lui fasseboiredu sien.Après être resté étendu, commemort,pendantenvironquarante-huitheures, l’humainseréveilleenpleinenuitetpartenchasse,affamé,prêtàtuerlepremiervenupourapaisersasoifdesang.

Ilavaitunefaçondeprononcercederniermotquimedonnaitlachairdepoule.—C’estlaseulepossibilité?—Des collèguesm’ont rapporté des cas d’humains qu’ilsmordaient régulièrement et

quidevenaientvampiressanscriergare,maisc’estassezrare.Engénéral,unhumainsaignétropsouventdevientsimplementanémique.Danscertainscas,ilenmeurt.Ilexisteaussidessituationsparticulièresdepersonnesquifrôlentlamortpourunetoutautreraison,accidentdevoiture,overdose...etquiseréveillentvampiresaprèsavoirbudenotresang.

Jecommençaisàmesentirnerveuse.—Merci,Bill.Jecroisquecelamesuffirapouraujourd’hui.Quecomptes-tufairedela

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maisonCompton?—M’yétablir.J’enaiassezderôderdevilleenville, j’aienviedestabilité.Après tout,

c’esticiquej’aigrandi.Àprésentquemonexistenceestreconnuelégalementetquejepeuxm’alimenter sansmettre personne en danger, je veux revenir chezmoi, dans lamaison demesancêtres.

—Dansquelétatest-elle?—Calamiteux.J’aicommencéàlanettoyer,maisilmefaudraitl’aided’artisanspourla

rendrehabitable.Lacharpenterie,jeconnais,maisl’électricité...Évidemment.Cen’étaitpasdesonépoque.—Ilfauttoutrefaire,ainsiquelaplomberie.—Tun’aspasletéléphone?—Si,pourquoi?—Danscecas,oùestleproblème?Tupeuxappelertouslesartisansquetuveux!—Enpleinenuit?Etmêmeenadmettantquejepuisseleurparler,labelleaffaire!Tu

viendrais à un rendez-vous que t’aurait fixé un vampire à minuit dans une maisonabandonnéeprèsducimetière?

Présenté ainsi, bien sûr... Derrière l’ironie mordante de Bill, je percevais dans sesparoles un accent de détresse qui me touchait. Au fond, il était comme n’importe quelpropriétaireimpatientdepouvoirs’installerchezlui.

—Si tuveux, jepeuxappelerdesartisanspourtoi,proposai-jesuruncoupdetête.Ilsmecroientcinglée,maisilssaventquejesuishonnête.

Billsetournavivementversmoi.Sesyeuxbrillaientd’excitation.—Tuferaiscela?Ilsuffiraitquejelesrencontreunefoispourleurexpliquercequeje

veux,puisilspourraientvenirtravaillerlajournée.—Commecedoitêtrefrustrantdenepaspouvoirsortirenpleinjour!

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Jamaisauparavantjen’avaispenséàcetaspectdelaviequotidienned’unvampire.—Eneffet,ditBillunpeufraîchement.—Etdedevoircacherl’endroitoùl’onserepose!insistai-je.Puisjecroisaisonregardglacial.—Oh,pardon!Jesuisdésolée.—L’endroitoùunvampirepasselajournéeestlesecretlemieuxgardéquisoit,déclara

Billd’untonpincé.—Jeteprésentetoutesmesexcuses.—Ellessontacceptées.Nous continuâmes à marcher le long de l’allée. A présent que nous avions quitté le

couvertdesarbres,jepouvaisdistinguerplusnettementsestraits.—Tarobeestdelacouleurdetesyeux,dit-ilsoudain.—Merci.Encore un point que j’avais négligé. La nuit était tombée depuis longtemps, mais la

visiondeBillétaitaussinettequ’enpleinjour.—J’aidumériteàlevoir,vulepeuqu’ilyena,poursuivit-il.Jeleregardaisanscomprendre.—Lepeu?—Derobe.J’aidumalàm’habitueràvoirlesjeunesfemmesaussicourtvêtues.—Tuaspourtanteuprèsd’undemi-sièclepourt’yfaire!— J’aimais tant les vêtements que portaient les femmes autrefois... Et leurs sous-

vêtements!Lesbustiers,lesjupons...Ilmejetaunregardsoupçonneux.—Tuenportes,aumoins?— J’ai un slip en dentelle bleu clair très joli ! répliquai-je, vexée. Si tu étais un être

humain,jetesoupçonneraisd’avoiruneidéederrièrelatête!Iléclatadeceriresilencieuxquimetouchaitplusquederaison.—Cesous-vêtement,tul’assurtoi...oudanstonarmoire?Pourquimeprenait-il?Jeremontailebasdemarobesurmacuisse,justeassezpour

révélerunebordurededentellebleue.—Satisfait?—Hum...jepréféraislesgrandesculottesencotonblanc.—Tuesplustêtuqu’unâne,BillCompton!—C’estcequemafemmem’atoujoursdit.Jeleregardai,interdite.Commentavais-jepunepasysonger?—Tuas...tuavais...—Unefemme,etcinqenfantsvivants.J’avaistrenteanslorsquejesuisdevenuvampire.

Masœur,Sarah,vivaitavecnous.Ellenes’estjamaismariée;sonfiancéestmortàlaguerre.—LaguerredeSécession...—Oui.J’ai faitpartiedes raresveinards rentrésvivantsduchampdebataille.En tout

cas,jecroyaisquej’avaisdelachance...—Tuétaisdanslesrangsdesconfédérés...Tuasencoretonuniforme?Ileutunriresec.—Ànotreretourdelaguerre,nousétionsenhaillonsetmortsdefaim.Savoixétaitlointaine,àprésent,etdouloureuse.— Excuse-moi, murmurai-je. J’ai réveillé des souvenirs qui te font encore mal. Je

n’auraispasdûteposercesquestions.

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Ilmepritparlebraspourmefairefairedemi-tour,etnousrepartîmesendirectiondelamaison.

—Parle-moidetoi,dit-il.Quefais-tulematinentelevant?—Jemange.J’ai toujoursune faimde loup!Ensuite, jemedoucheet jem’habille.Si

c’estunjouroùjetravaille,jeparsChezMerlotte.Sinon,jevaisenvillefairedescourses,jelouedesvidéosoujeprendsdesbainsdesoleil...Jelisbeaucoup,aussi.Detempsentemps,j’aideGrannyàfaireleménage,maiselleesttrèsjalousedesesprérogativesdemaîtressedemaison.

—Et...leshommes?—Jetel’aidit,cen’estpaspourmoi.—Alors,quevas-tufairedetavie,Sookie?—Vieillir,etmourir.J’avaisparléd’unevoixplus tristeque jene l’auraisvoulu.Àmasurprise,Billpritma

maindanslasienne.Lanuitétaitparfaitementcalme,maisunsouffled’airtièdecaressamonvisage.

—Tupeuxenlevercettebarrette?demanda-t-il.N’ayantpasderaisonderefuser, je libéraimamainetdétachai labarrettequiretenait

monchignon.Puis jemesouvinsquejen’avaispasdepocheet laglissaidanscelledeBill.Commesic’étaitlegesteleplusnatureldumonde,celui-cipassalamaindansmescheveux.Àmontour,j’effleurailespattesquiencadraientsonvisage.

—Ellessontlongues.—C’était la mode à l’époque. J’ai de la chance, je ne portais pas la barbe. Sinon, je

l’auraispourl’éternité.—Tuneterasesjamais?—Non,jevenaisdelefaire...Ilparaissaitfascinéparmachevelure.—Danslalumièredelalune,ondiraitdel’argent,murmura-t-il.—Ettoi,quefais-tudetontemps?—Jelis,moiaussi.J’aimebeaucouplecinéma;j’aisuivitoutesonhistoiredepuisson

invention.J’apprécie lacompagniedesgensordinaires.Parfois, lesvampiresmemanquent,bienquelaplupartd’entreeuxmènentdesexistencestrèsdifférentesdelamienne.

Nousmarchâmesensilenceunmoment.—Pendantquelquetemps, j’airegardébeaucoupdefeuilletonstélévisés, justepourne

pasoubliercequec’estqu’êtreunhumain.Puisj’aiarrêté.Aufond,jepréféraisnepasm’ensouvenir.

Nous avions atteint la cour. Je m’étais attendue à trouver Granny sur la véranda,guettant notre retour, mais elle n’y était pas. Il ne restait qu’une lampe allumée dans leséjour.CommentGranpouvait-ellesemontrersinégligente?Aprèstout,elleneconnaissaitpascevampire!Quisaitsijenecouraispasundanger?

Unpeunerveuse,jejetaiunregardàBill.Allait-ilessayerdem’embrasser?Etantdonnéses principes sur les tenues que devaient porter les jeunes filles, c’était peu probable.Pourtant,sistupidequepuisseparaîtrelaperspectived’embrasserunvampire,j’enavaisdeplusenplusenvie.

Sansréfléchirunesecondedeplus,jem’arrêtai,mamainsurcelledemoncompagnon,me hissai sur la pointe des pieds et déposai un baiser sur sa joue. Sa peau était douce,parfuméed’unsoupçond’eaudeCologne.

Soudain, il tourna la tête et effleura mes lèvres. Quelques secondes plus tard, j’étais

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danssesbras,mesmainsautourdesoncou, sabouchecontre lamienne. Il s’enhardit,medonnaunvraibaiser,quejeluirendisaucentuple...Jamaisonnem’avaitembrasséeavecuntelmélangedefougueetdetendresse.C’étaitmagique!

Mon cœur se mit à battre plus vite, mon souffle s’accéléra. Je me serrai contre Bill,griséeparuneexcitation toutenouvellepourmoi.Puis,presquebrutalement, il s’écartademoi,melaissantpantelante,lecœuretlecorpsenflammés,enproieàunémerveillementetàunefrustrationindescriptibles.

Billavaitluiaussilesoufflecourt,etuneimperceptiblerougeurcoloraitsesjouespâles.Ilavaitl’airaussitroubléquemoi.C’étaitidiot,maiscelameconsolaunpeu.

—Ilvautmieuxquejetelaisse.Bonnenuit,Sookie,dit-ilencaressantunedernièrefoismescheveux.

—Bonnenuit,Bill.Ma voix était trop aiguë, presque chevrotante. Je m’efforçai d’apaiser les battements

désordonnésdemoncœur.—J’appelleraidesartisansdemainetjetedonneraidesnouvellesdèsquepossible.—Tupourraispasseràlamaisondemainsoir,situeslibre...—Entendu.—Alors,àdemain.Merciencore,Sookie.Sur ces mots, il fit demi-tour et s’éloigna à grands pas en direction des bois qui

séparaient lamaison de Granny de ComptonHouse. Bientôt, sa haute silhouette disparutdanslanuit.

Jedemeurai immobileun longmoment,àscruter l’obscuritéetguetter lebruitdesespas,envain.Enfin,jerentraidanslamaison,plongéedansmespensées.Quesepasserait-ilsij’avaisune liaisonavecBill?Lesvampiresétaient-ilsen touspointssemblablesauxautreshommes?Pouvais-jeaborderlaquestionavecBillentoutefranchise?Ilavaitparfoisl’airsivieuxjeu!Maislorsqu’ilsedétendait,jeletrouvaisplusprochedemoiquebiendesgarçonsquej’avaisrencontrés.

C’était bienma chance... Le seul homme qui m’inspirait suffisamment de désir pourenvisager–enfin!–desauterlepasétaitunvampire.Etsij’avaistropattendu?Sijen’avaisaucun talentau lit ?Si les livreset les filmsavaient largementsurestimé leplaisirqu’onyprenait ? Après tout, si j’en jugeais par les joies (rares) et les déboires (fréquents) queconnaissait Arlène dans sa vie sentimentale, le sexe ne méritait pas l’intérêt qu’on luiaccordaitengénéral.

Ce soir-là, j’eus toutes les peines du monde à trouver le sommeil, et lorsque jem’endormisenfin,cefutpoursombrerdanslesrêveslesplusnoirsquej’eussefaitsdepuisbienlongtemps.

Lelendemainmatin,toutenrépondantaussiévasivementquepossibleauxquestionsdeGranny surmapromenadenocturne avecBill, je passai quelques coups de fil aux artisanslocaux. Je parvins à retenir les services d’unplombier, d’un électricien et d’unmaçon, quej’eusbiendumalàconvaincrequ’ilsn’allaientpastomberdansunguet-apensenacceptantdevenirréparerlamaisondeBillCompton.

J’étaissortieprendre lesoleildans lacour lorsqueGrannym’apporta le téléphone,unlargesourireauxlèvres.

—Tonpatron,murmura-t-elled’untonsolennel.—Dawnn’estpaslà,m’annonçaSam.Je poussai un soupir de contrariété. Je savais parfaitement ce que cela signifiait. Je

tentaideprotester.

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—J’aidesprojetspourlajournée,Sam...—Écoute,situpouvaisjustevenircesoirde17à21heures,ceseraitvraimentgentil.—Alors,tumedonnesunejournéedereposenéchange.—Quedirais-tuplutôtd’échangerunesoiréeavecDawn,dèsqu’elleseraderetour?Je laissaiéchapperunvilain juron.Granny,quin’avaitpasbougé,me lançaunregard

sévère.—C’estbon,c’estbon...Jeserailàà17heures.—Merci,Sookie.Jesavaisquejepouvaiscomptersurtoi.Je rendis le téléphone à Granny, contrariée. Oui, on pouvait toujours compter sur

Sookie, la cinglée qui n’avait pas de vie privée ! Bon, je devais le reconnaître, le fait detravailler ce soir-là ne représentait pas un vrai problème. Bill nem’attendait pas avant 21heures.

Jamais la soirée ne me parut aussi interminable que ce jour-là. Mes réflexions meramenaientsanscesseàBill,etj’eusunmalfouàmeconcentrerpournepasintercepterlespenséesdesautres.C’estainsiquej’apprisqu’Arlènesefaisaitdusouciparcequ’elleavaitunretarddequelques jourset craignaitd’êtreenceinte.Etourdiment, jeposai lamainsur sonépauledansungestedecompassion.Ellemeregardasanscomprendre,puisjelavisrougir.

—Sookie?demanda-t-elledutonqu’elleprenaitd’ordinairepourgrondersesenfants.Arlène faisait partie des rares personnes de mon entourage qui acceptaient ma

télépathiesansmejugernimeclasserd’embléedanslacatégoriedescinglés.Celadit,nousn’abordionspresquejamaislesujet.

—Jesais,jesuisdésolée.Jenesuispasdansmonassiette,cesoir.—OK,maissoisgentille,faisattention,maintenant.Elleavait l’airvraiment fâchée.Jenesaispaspourquoi, les larmesmemontèrentaux

yeux.Incapabledelescontenir,jemeréfugiaidanslaréserve.Àpeinem’yétais-jeenferméequej’entendislaportes’ouvrirderrièremoi.

—Bon,jet’aiditquej’étaisdésolée,Arlène!Jen’avaisqu’uneenvie:resterseuleuninstant.Enoutre,Arlèneconfondaitparfoisla

télépathie avec le pouvoir dedivination, et avecma chance, elle allaitmedemander si elleétaitvraimentenceinte !Jem’apprêtaisà lui répliquerqu’elle feraitmieuxd’allers’acheteruntestdegrossesselorsqu’unelargemainseposasurmondos.

—Sookie?Quesepasse-t-il?C’étaitSam.Sa voix était si douce que mes larmes, au lieu de se calmer, redoublèrent. J’aurais

préféré qu’il se fâche, cela m’aurait peut-être aidée à me contrôler. Sa gentillesse, enrevanche,mebouleversait.

—Allons,dis-moicequinevapas,reprit-ilenpassantsonbrasautourdemesépaules.Que pouvais-je lui dire ? Je ne lui avais jamais parlé – pas plus qu’aux autres,

d’ailleurs–decequereprésentaitpourmoilefaitdesubirlebourdonnementpermanentquiémanaitdel’espritdesautres.

— Tu as entendu quelque chose qui t’a fait de la peine ? demanda-t-il en posant sondoigtsurmonfrontpourm’indiquerlesensqu’ildonnaitauverbe«entendre».

Ilparlaitd’untontranquille,commesitoutcelaétaitparfaitementnormal.Jehochailatête.

—Tunepeuxpastoujourst’enempêcher,n’est-cepas?—Non.—Ettudétestescela?

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—Oui.—Jesaiscequec’est...Jesursautai.—Pardon?—Je veuxdire... je croisque je comprends.En tout cas, cen’estpas ta faute.Tudois

apprendreàvivreavectadifférence.JeregardaiSamaveccuriosité.Qu’avait-ilvouludirepar:«Jesaiscequec’est»?Pas

moyende ledeviner. Sonvisage avait retrouvé sonexpression impassible, et jen’avaispasenviedefouillerdanssonesprit.

—Jefaisdemonmieuxpournerienentendre,maisjenepeuxpasresterconcentréeenpermanence,expliquai-jeensentantunenouvellelarmeroulersurmajoue.

—Tuasunetechniquepour...nepasentendre?Je levai les yeux vers lui. Il avait l’air sincèrement désolé pour moi, et réellement

curieuxdecomprendre.—Ehbien, je... Comment dire ? Je construis unmur...Non, je fais du bruit entre les

autres et moi pour créer une interférence. Un peu comme si je heurtais deux assiettesmétalliquesl’unecontrel’autre.

—Tufaisçatoutletemps?—Quandilyadumondeautourdemoi,oui.C’estassezfatigant,etçamegênepourme

concentrer.Jedoisdivisermonespritendeux :unepartiepour fairedubruit, l’autrepourparler aux gens, les écouter, prendre leurs commandes. Ça ne me laisse pas beaucoup deplacepoursouteniruneconversationcohérente.

Lesimplefaitdeparlerdemesdifficultésmeconsolaitdemapeine.EtSamparaissaitéprouverunsincère intérêtpourmasituation...unpeucommesinousavionsdesaffinitéssecrètes,luietmoi.

—Est-cequetuperçoisdesmots,ouseulementdesimpressions?—Celadépenddel’étatdesgens.Quandilssontivresoudrogués,ilsn’émettentquedes

images.Sinon,ilsformulentsurtoutdesmots,voiredesphrasescomplètes.Samsemblahésiter.—Levampireaffirmequetunepeuxpasl’entendre.Bill et Sam avaient donc parlé ensemble de mes capacités télépathiques ? C’était

surréaliste!—Iln’apasmenti.—Jesupposequec’estuneexpériencereposante,pourtoi?

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—Si tu savais !m’exclamai-je avec plus d’enthousiasme que la diplomatie ne l’auraitvoulu.

Samparutserembrunir...àmoinsquecenesoituneffetdemonimagination.—Etmoi,Sookie?Est-cequetupeuxm’entendre?—Écoutertespensées?Pourmefairevirer?Iln’enestpasquestion!Je bondis de la caisse sur laquelle je m’étais assise et me ruai vers la porte, mon

mouchoiràlamain.—Tucomprends, repris-jeen tamponnantmes joueshumides, jesuisbien, ici.J’aime

montravail.Jeneveuxpasperdretoutça.Jeneliraijamaisdanstespensées!Samselevaàsontouretsortitsoncanifdesapoche.—Tudevraisessayer,undecesjours,dit-ilens’approchantd’uncartondebouteillesde

whisky,qu’ilentrepritd’ouvrir.Etpourcequiestdetontravail,netetracassepas.Tantquetulevoudras,tuaurasuneplacechezmoi.

Jeretournaidans lasalleaprèsundétourpar les toilettespourpasserde l’eau fraîchesurmonvisage rougi par les larmes. Il ne restait quequelques clients ;mes tables étaientvides. Je pris une éponge pour nettoyer celle où Jason, un peu plus tôt, avaitmangé unebarquettedefritesetbuunebière.

Devais-jeaccepterlapropositiondeSam?C’étaittellementrared’êtreinvitéeàliredansles pensées des autres ! Rare, et plutôt agréable, en vérité. Sam devait avoir en moi unegrandeconfiancepourmedonnerunetelleautorisation.

Cependant, pour l’instant, je n’étais pas prête.D’ailleurs, Sam se tenait probablementsursesgardes.Jelaisseraispasserquelquetempsetmeglisseraisdanssespenséeslorsqu’ilnes’yattendraitpas...sijetrouvaislecouragedelefaire.

Comme21heuressonnaient, jequittai lasalle,prismonsacàmaindans lebureauetmedirigeaiversleparkingdupersonnel.

ComptonHouse,toutcommelamaisondeGranny,avaitétébâtieàl’écartdelaroute.

Enrevanche, situéeplushaut sur la collineet composéededeuxétages, elleavaitunevueimprenablesurlecimetière.

Autrefois, cela avait été une fort belle demeure. Dans la faible clarté de la lune, elleconservait d’ailleurs son anciennemajesté.Mais, pour l’avoir vue à la lumière du jour, jesavaisque le tempsavait fait sonœuvre :piliersenruine,bardeaux fendusetgrilléspar lesoleil,courenvahieparlesroncesetlesmauvaisesherbes...DanslamoiteurdelaLouisiane,lavégétationavaitvitereprissesdroits,etfeulevieuxM.Comptonnes’étaitjamaisrésoluàlouerlesservicesd’unjardinier.Tropcherpoursamaigreretraite,jesuppose.

Jegaraimavoituresur legravier,ouplutôtsurcequienrestait,devant l’entréede lamaison.Cene futqu’àcemomentque jem’aperçusque toutes lespiècesétaientéclairées.Manifestement, l’heure n’était pas à un tête-à-tête avec Bill : une autre voiture étaitstationnée dans la cour, une grande Lincoln blanche coiffée d’un toit sombre. Sur lacarrosserie, divers autocollants proclamaient : « Sang pour sang authentique », «J’ai lescrocs»ouencore«C’estdevampireenpire».

Quefaire?PuisqueBillavaitdelacompagnie,jedevaispeut-êtrerentrerchezmoietlelaissertranquille...Parailleurs,puisqu’ilm’avaitdemandédepasser,jen’avaisaucuneraisondeluifairefauxbond.D’unemaintimide,jefrappaiàlaporte.

Ce futune femmequivintm’ouvrir.Une femmevampire.C’était lapremière foisquej’envoyaisune.

Grande et athlétique, elle portait des collants et une brassière de sport d’un rose

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fluorescentqui rehaussait sapeaunoired’unéclat fantastique.Unebombe,dumoinsd’unpointdevuemasculin.Pourmapart,jelatrouvaisunbrinvulgaire.Entoutcas,cen’étaitpasdutoutlestyledefilledontBill,avecsesthéoriessurlesfemmesengrandesculottesetjupeslongues,devaitrechercherlacompagnie.

—Quellejoliepoulette!s’exclama-t-elleenmedévisageantd’unregardgourmand.Acesmots,monsangseglaçad’horreur.J’étaistombéedansunpiège.Combiendefois

Billm’avait-ilavertie?Touslesvampiresn’étaientpasaussibienveillantsquelui!Quiétaitcettefemme?Jenepouvaisentendresespensées.Enrevanche,lesinflexionscruellesdesavoixnemedisaientriendebon.

Avait-elle tuéBill ?Était-elle samaîtresse?Une fouled’imagesaussi inquiétantes lesunesquelesautresmevinrentàl’esprit.Jeparvinspourtantàluiadresserunsourirepoli.

— Salut ! m’exclamai-je avec un détachement que j’étais loin de ressentir. Bill m’ademandédepassercesoirluidonnerquelquesrenseignements.Ilestici?

Jemesentaisaussirassuréeque,mettons,unmoustiquefaceàunemantereligieuse.—Lapetiteveutteparler,Billy!cria-t-ellepar-dessussonépaulemusclée.Jetel’amène

toutdesuiteoujepeuxlacroqueravant?Ça,ilfaudraitmepassersurlecorpsd’abord!songeai-je...avantdeprendreconscience

quec’étaitprobablementcequirisquaitdem’arriver.Jen’entendispas la réponsedeBill,mais lamante religieuse s’écartapourme laisser

passer, toutenesquissantunemouededéconvenue.J’entrai, lecœurbattant,etm’aperçusquelapièceoùjemetrouvaisétaitpleinedevieuxmeublesnoircispar lesans...etdegensquejeneconnaissaispas.Etpourcause!compris-jeavecuntempsderetard.

Cette aimable assemblée comptait dans ses rangs deux parfaits inconnus et deuxvampires.Cesderniersétaientblancs,desexemasculin, lepremiercouvertde tatouages, lesecondtrèsgrandetdotédelongscheveuxd’unnoirdejais.Lesdeuxhumainsétaientmoinseffrayants.Lafemme,d’environtrente-cinqans,étaitrondeetblonde.Sonépaissecouchedefard ne dissimulait pas ses cernes et son air fatigué. L’homme, lui, était d’une beautésaisissante. Très jeune– une vingtaine d’années aumaximum–, il avait le teintmat d’unEspagnolet les traits finementciselés. Ilneportaitqu’unshorten jeancoupéhautsursescuisses...etdumaquillagesurlevisage.

Unmouvementdansl’ombreattiramonattention.Jemeraidis,surladéfensive,avantdelaisseréchapperunsoupirdesoulagement.Cen’étaitqueBill.

Jescrutaisonvisage.Iln’avaitpaslamêmeexpressionquecellequejeluiconnaissais.Ilsemblaitdistant,impénétrable...Quesepassait-il?Pourlapremièrefois,jeregrettaidenepaspouvoirliredanssespensées.

— Ça, c’est une bonne surprise ! s’écria alors le vampire aux longs cheveux en medévorantduregard.C’estunedetesamies,Bill?Qu’elleal’airfraîche!

—Quand je pense que tu t’esmis au sang synthétique ! renchérit l’autre. J’ai dûmalcomprendre,pasvrai,Diane?

Lafemmevampirem’observalonguement.—Cen’estpascertain...Jesuissûrequ’elleestvierge.Vierge ? Dans quel sens ? J’aurais juré qu’elle ne parlait pas d’absence de relations

sexuelles...JejetaiàBillunregarddésespéré.Qu’attendait-ilpourveniràmonsecours?—Sivousvoulezbiennousexcuser,dis-jeavectouteladiplomatiedontj’étaiscapable,

j’auraisbesoindeparlerquelquesinstantsavecBill.Je tenais cette formule de politesse de Jason,mais je n’avais jamais eu l’occasion de

l’employerChezMerlotte.Plusaimable,iln’yavaitpas!

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JemetournaiversBilldel’airleplusnaturelpossibleetajoutai:—Jecroisquej’aitrouvédesartisans.Enfin,ilréagit...maispasvraimentcommejem’yattendais.—Sookieestàmoi,déclara-t-ild’unevoixaussifroidequel’acier.Quel rapport avec la rénovation de sa maison ? Je n’y comprenais plus rien !

J’interrogeaiBillduregard,envain.La tensionquirégnaitdans l’atmosphèreétaitpresquepalpable.Dianenemequittaitpasdesyeux.

—Qu’avez-vousfaitànotreBilly?Ellen’avaitpasparlé,elleavaitfeulé.Unetigressesurlepointd’attaquern’eûtpasété

plusmenaçante!—Vous,mêlez-vousdevosaffaires!aboyai-je,lagorgenouéeparl’angoisse.Çaaussi,c’étaitduJason.Unpeumoinsraffiné,maisdiablementefficace,sij’enjugeais

parlaminedéconfitedelamantereligieuse.Ilyeutunsilenceàcouperaucouteau,puislesdeuxhommesvampireséclatèrentderire,bientôtimitésparleshumains.J’enprofitaipourfaireunpasendirectiondeBill,leseulàresterd’unsérieuximperturbable.Sonregardétaitfixésurmoiavecintensité,etj’euslesentimentqu’ilregrettaitamèrementquejenepuisseliredanssespensées.

Jecomprisenfin.Billétaitendanger...etmoitoutautant.—Elle est délicieuse, commenta le vampire aux cheveux longs, sur un ton quime fit

froiddansledos.—Malcolm!gémitDiane.Tutrouvesdélicieusestouteslesfemmeshumaines!—Oui,maiscelle-ciaquelquechosedespécial.—Jepensebien!fitlablondepotelée,sortantdesonsilence.C’estSookieStackhousela

Cinglée!Commentme connaissait-elle ? Je l’observai, intriguée. JanellaLennox !Qu’elle avait

grossi!ElleavaittravailléquelquetempsChezMerlotte,avantd’êtreviréeparlepatron,quil’avaitsurpriselamaindanslacaisse.D’aprèsArlène,elleavaitdéménagéàMonroe.

Soudain, le vampire tatoué s’approcha d’elle et lui caressa les seins sans la moindrepudeur.Jedétournailesyeux,gênée,nonsansavoireuletempsdevoirJanellaposerlamainsurlebas-ventredesoncompagnon,tenduparunepuissanteérection.

Aumoins,j’étaisfixéesurunpoint.Lesvampiresn’étaientpassidifférentsqueçadeshumains.Sur lemoment,cependant,cettepenséeme laissadeglace.Malcolmcontinuaitàmefixer.

—Elleestd’uneinnocenceadorable,déclara-t-ilensetournantversBill.—Elleestàmoi,répétacedernier.—Peut-être,susurraDiane,maisn’essaiepasdemefairecroirequ’elles’occupebiende

toi.Jenetetrouvepasbonnemine,encemoment.Pourquoinegoûtes-tupasàlafemmedeLiamouaumignondeMalcolm,lebeauJerry?

Dumenton, elle désigna Janella et le jeune homme brun. Ceux-ci ne semblèrent pass’offusquerd’êtreconsidérésavecsipeud’égards.Jevismême le jeunehommese leverets’approcher de Bill, contre qui il se frotta sans la moindre honte. Je me détournai de cespectacle,choquée.

Pourquoi Bill n’intervenait-il pas ? Je cherchai son regard... et fus parcourue par unfrisson d’horreur. Ses yeux luisaient d’une haine féroce. Une expressionmeurtrière s’étaitpeintesursonvisage,pluspâlequejamais.Puisjevisseslèvressesoulever,commeagitées

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paruntic.Deuxcaninesacéréesapparurentauxcommissuresdesabouche.Manifestement,lesangdesynthèsenecouvraitpastoussesbesoins.Jerryposaseslèvresàlabasedesoncou.C’enétaittroppourmoi.Jelaissairetomberle

« mur de bruit » que j’avais dressé entre les deux humains et moi. Aussitôt, un flot depensées désordonnées m’assaillit. Elles provenaient de Jerry. Sous mes yeux, Bill, quitremblaitàprésentdetoussesmembressousl’effetdelatentation,sepenchaverslejeunehomme,lèvresretroussées,prêtàmordre.

—Non!hurlai-je.Ilalesino-virus!Brusquement, comme libéré d’un charme, Bill se redressa et se tourna versmoi. Son

souffle saccadé témoignait de l’extrême tension qui l’habitait, mais ses canines s’étaientrétractées.Poussantmonavantage, jem’approchai de lui.Nousn’étionsplus qu’àdeuxoutroispasl’undel’autre,àprésent.

—Lesino-sida,précisai-je.Enrèglegénérale,lesvampiresétaientinsensiblesauxdiversesMST,ycomprislevirus

dusida,quiaffectaientleshumains.Maisilsn’étaientpasimmuniséscontrelesino-sida,qui,sanslestuer,leslaissaitsifaiblesquelevampirequienétaitatteintoffraituneproiefacileauxsaigneurs.Encoreraresur le territoiredesÉtats-Unis, cevirus,apportépar lesmarins,commençaitàserencontrerdanscertainsports,dontLaNouvelle-Orléans.

A mes paroles, les vampires se figèrent, le regard fixé sur Jerry comme s’ilscontemplaient,lamortenpersonne.Defait,peut-êtreétait-celecas.

Puis tout se déroula très vite. Jerry bondit surmoi avec une vigueur et une rapiditéeffrayantes. Il n’était certespasun vampire,mais il n’en était pasmoinsdangereux.Avantquej’aiepuréagir,ilm’avaitplaquéecontrelemurdetoutessesforces.Ilentouramoncoud’unemainetbrandit l’autrepourmedonneruncoup.Je levais lesbraspourmeprotégerquandunemainmasculineimmobilisacelledeJerry,quiseretournad’unbloc.

—Lâchesagorge,ordonnaBilld’untonsimenaçantquejefusglacéed’effroi.Mais, loin d’obéir, Jerry resserra ses doigts.Unpetit cri étranglé sortit demes lèvres.

Déjà, ma vue se troublait. Dans un brouillard, je vis queMalcolm avait saisi Jerry par lajambe.J’entendaisdesvoixsanspouvoirlesidentifier.S’agissait-ilderéminiscencesdupasséde Jerry, qui remontaient à son esprit par bouffées et que je captais malgré moi, oud’exclamationsdestupeuretdecolèredeceuxquim’entouraient?

Toutàcoup,levisagegrimaçantdeDianeapparutpar-dessusl’épauledeJerry.Puisuncraquementparvintàmesoreilles.

JebaissailesyeuxetcomprisqueBillvenaitdebriserlepoignetdeJerry.Celui-civoyaitlamortenfaceetmesuraitl’étenduedesonimpuissance.Ils’effondradansuncri.

Confusément, je devinai que Malcolm, dont les traits s’étaient contractés en uneexpression d’indicible haine, l’avait ramassé pour le jeter sur un lit ou un canapé, à lapériphérie de mon champ de vision. Il ne restait à Jerry qu’un seul espoir : mourirrapidement,ensouffrantlemoinspossible...

Puis Bill apparut devant moi. Avec une douceur inattendue, il massa ma gorgedouloureuse.Jetoussaietessuyaimesyeuxembuésdelarmes.J’allaisleremercierlorsqu’ilmefittaired’ungeste.

Nousn’étionspasencorehorsdedanger.BillpassaunbrasautourdemoietsetournapourfairefaceàLiam,levampiretatoué.—Commetoutceciestamusant!déclaracedernier.D’une main agacée, il repoussa Janella, qui se frottait lascivement contre lui,

manifestementtrèsexcitéeparlespectacledelaluttesansmerciquivenaitdesedérouler,ou

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peut-êtreparl’idéedelafinignoblequiattendaitJerry.Jefrémisdedégoût.Commentcettefemmepouvait-elleêtretombéesibas?

—Allons, repritLiamenseredressant, ilest tempsderentreràMonroe.NousauronsunepetiteconversationavecJerrydèsqu’ilseréveillera.

—Attendez,lesgars!protestaDiane.Moi,j’aimeraisd’abordqu’onmedisecommentlapoulettedeBillsavaitqueJerryétaitinfecté.

Elledardasurmoiunregardmauvais.Sesdeuxacolytesnetardèrentpasàl’imiter.—Bonnequestion,ditLiam.Billsetournavivementversmoi.—Est-cequetuesenétatdeparler,chérie?Àsonexpressionintense, jecompris immédiatementqu’ilvalaitmieuxquejeréponde

parlanégative.Jesecouailatêtededroiteàgauche,puisémisunetouxsifflantepourfairebonnemesure.

—Net’inquiètepas,Billy,ditDiane.Jesaiscommentlarendretrèsbavarde.—Diane?demandaBill.Aurais-tuoublié?—Jesais,elleestàtoi,marmonna-t-ellesansenthousiasme.—Ehbien,puisquenoussommesd’accord,àuneautrefois.Billn’auraitpuêtreplusclair.Soit les troisvampiresbattaientenretraite, soit toutce

petitmonderisquaitd’envenirauxmains...ouplutôtauxdents.—On y va, les enfants, déclara Liam en chassant d’un geste Janella, qui continuait à

tournerautourdeluisanslamoindrepudeur.Une fois de plus, je fus choquée par l’absence de réaction de celle-ci. Elle semblait

trouvernormal leméprisavec lequelLiam la traitait.Était-ce làunmodederelationusuelentre un vampire et «son » humain ? Bill attendait-il de moi le même type decomportement?Jeleregardai,malàl’aise.

Malcolm souleva Jerry, toujours inconscient, et le jeta sur son épaule sans effortapparent.Si le jeunehommeluiavait transmis lesino-virus, leseffetsnes’enfaisaientpasencoresentir.

Dianesortitladernière,aprèsnousavoirlancéunregardbrillantdehaine.—Onvouslaisseroucouler,lestourtereaux!fit-elleavantdes’enaller.Puis j’entendis des claquements de portières à l’extérieur, suivis du vrombissement

d’unepuissantevoiturequidémarrait...etjem’évanouis.Lorsquejerevinsàmoi,Billm’avaitétenduesurlecanapé.Jefrémisenpensantausort

peu enviable qui attendait le précédent occupant du grand sofa recouvert de soie aux tonspassés.

—Touslesvampiressontcommeeux?demandai-je.Ma voix n’était plus qu’un coassement. Ilme semblait sentir encore surma gorge la

pressiondesdoigtsdeJerry.—J’aiessayédet’appelerpourtediredenepaspassercesoir,maistun’étaispaschez

toi,réponditBilld’unevoixbrisée.Puis, comme s’il avait perçu ma méfiance envers tous les vampires, il s’éloigna de

quelquespas.—Pourrépondreàtaquestion,non,touslesvampiresnesecomportentpascommeeux.

Ceux qui demeurent solitaires parviennent à rester aussi humains que possible,mais ceuxquiviventengroupe, commeces trois-là,perdentpeuàpeu tous leurs repèresmoraux. Ilss’entraînentmutuellementdansleurchute.

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Ilhésita,impuissantàexpliquerl’inexplicable.— Tu dois bien comprendre, Sookie, que notre existence consiste essentiellement à

séduire des humains pour apaiser notre faim et que pour certains d’entre nous, cela duredepuisdessiècles.Onn’ensortpas indemne,et l’arrivéedusangsynthétiquen’ychangerarien.Entoutcas,pasavantuncertaintemps.Diane,MalcolmetLiamsontensembledepuispresquecinquanteans.

—Comme c’est charmant ! commentai-je avec une amertume qui neme ressemblaitpas.Ilsvontbientôtpouvoirfêterleursnocesd’or!

Billvints’asseoiràcôtédemoi,l’airdésemparé.—Je sais que tout cela doit te paraître effroyablement sordide. Est-ce que tu pourras

oubliercettesoirée?J’eusunsouriredésabusé.—Jenesaispas.Mais,aumoins,elleauraétéinstructive.Ilmeregardaavecperplexité.—Jemesuistoujoursdemandésilesvampiresavaientuneviesexuelle.Billsemorditleslèvrespourréprimerunsourire.—C’estlecas,confirma-t-il.Celaétant,nousnepouvonspasavoird’enfants,cequiest

unebonnechose,tuenconviendras.Je le regardai, indécise. Ses canines avaient disparu et son visage avait repris

l’expressiondoucedelaveille,maisjesavaisqu’ilétaitaffamé.De nouveau, un frisson de peur me parcourut. Je m’assis sur le canapé et, voyant

qu’aucunnouveauvertigenemesaisissait,jemelevai.—Ilfautquejerentre.Bill bondit sur ses pieds. Commeun gentlemanqui ne saurait rester assis lorsqu’une

dameselève...oucommeunprédateurpassantàl’attaque?Jem’empressaidechassercetteinterrogation.

—Tumepermetsdet’embrasser?demanda-t-ild’untonpresquetimide.—Non!Je...Aprèscequej’aivucesoir,jenesupporteraispas.Billparutdéçu.—Biensûr,jecomprends.Jepasseraiterendrevisiteundecessoirs.Puis,ayantsansdouteremarquémonexpressiondeméfiance,ilajouta:—Situveuxbien.—Peut-être...Jenesaispas.Leslarmesauxyeux,jetournailestalonsetm’enfuisencourant.

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4

Jefusarrachéeausommeilparlasonneriedutéléphone.J’enfonçaimatêtedansmon

oreiller.Dring!Dring!Dring!Pourquoi Gran ne répondait-elle pas ? Contrariée, je tâtonnai surma table de chevet

jusqu’àcequejemettelamainsurletéléphone.—Mmm?marmonnai-je,malréveillée.—Sookie?C’estSam.—Mmm...—Tupeuxmerendreunservice?—Distoujours...—Il faudrait que tu fassesun saut chezDawnpourprendrede sesnouvelles.Ellene

répondpasautéléphone,etlecamiondelivraisonestpasséplustôtqued’habitude,sibienquejesuiscoincéaubar.

—Toutdesuite?grommelai-je.—Situveuxbien,ditSam.Apparemment,monattitudeledéconcertait.Jeneluiavaisjamaisrefuséunservice.—Bon,j’yvais.Àtoutàl’heure.Je n’étais pas très enthousiaste à l’idée de voir Dawn, quime soupçonnait d’avoir lu

danssespenséesetsabotésarelationavecJason.PauvreDawn!Necomprenait-ellepasquesijem’étaismêléeàcepointdelaviesentimentaledemon

frère,celaauraitreprésentéuntravailàtempsplein?Encoresouslechocdesévénementsdelaveille, jemelevai,prisunedoucherapideet

passaimatenuedetravail.Puis,ayantenfinlocaliséGranny,occupéeàgarnirunejardinièredepétuniasdanslacour,jel’embrassaietmontaidansmavoiture.

Toutendémarrant,jesongeaiquelavien’avaitpasétéfacilepourGranny,quiavaitdûnousélever,Jasonetmoi,etavaitperdusesdeuxenfants.Papaétaitmortquandj’avaisdixans, et l’année de mes vingt-trois ans, tante Linda, la fille de Granny, était décédée d’uncancer.QuantàlafilledeLinda,macousineHadley,elleévoluaitparmilamêmefaunequelesRattray,etnousn’étionsmêmepascertainsqu’elleavaitcomprisquesamèreétaitmorte.

J’arrivaidevantlelotissementneufoùhabitaitDawn,toutprèsducentrehistoriquedeBonTemps.Macollègueétaitsûrementlà:savoitureétaitgaréejustedevantsonpavillon,l’une des nombreuses maisons jumelles qui bordaient la rue. Je coupai le moteur etdescendisdevoiture.

En m’approchant de la maison, je remarquai que Dawn avait oublié d’arroser lajardinière de géraniums suspendue au-dessus de l’entrée. Les fleurs étaient toutes flétries.Elletoujourssisoigneuse,celaneluiressemblaitpas!Intriguée,jefrappaiàlaporte.

Pasderéponse.Jefrappaidenouveau.—Besoind’aide,Sookie?lançaunevoixfamilière.Jefisvolte-face.RenéLenierétaitadosséàsonpick-upgarédel’autrecôtédelarue.—Oh,bonjour!Tun’auraispasvuDawn?Voilàdeuxjoursqu’ellen’estpasvenueau

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travail,etellenerépondpasautéléphone.Samm’ademandédepasser.—Ilnepeutpasfairelui-mêmelesaleboulot?—Ilétaitoccupé,expliquai-je,avantdemeretournerverslaporte.Jerecommençaiàfrapperencriant:—Dawn?Tueslà?Ouvre-moi!Seullesilencemerépondit.Jereculaid’unpas,malàl’aise.Machinalement,jeregardai

par terre. Depuis combien de temps Dawn n’avait-elle pas passé le balai ? Deux ou troisjours?Lesolduperronétaitcouvertd’unépaistapisjaune:lepollentombédugrandpinquiombrageaitlafaçade.

C’estalorsquejecompriscequimegênaittant.Onnevoyaitquelestracesdemesproprespasdanslepollen.Ducoinde l’œil, jevisRenés’agiter,hésitantsansdouteà intervenir.Je jetaiuncoup

d’œil inquiet par la baie vitrée qui donnait sur le salon de Dawn. La pièce était vide, àl’exceptiondequelquesmeublesbonmarché.Unetasseàcaféétaitposéesurlatablebasse.

Jeregardailamaisonmitoyenne.Pasderideauxauxfenêtres,nidefleursdanslejardin.Il n’y avait aucun signe de vie. Manifestement, ma collègue n’avait pas de voisins en cemoment.

—Jevaisessayerdepasserpar-derrière,dis-jeàRené.Comme s’il n’avait attendu que ce signal, celui-ci traversa la rue pour me rejoindre.

Pendant ce temps, je tentai de regarder par la fenêtre voisine de celle du salon, qui devaitdonner sur une chambre à coucher. Le store était presque fermé, mais pas assez pourm’empêcherdeglisserunregarddanslapièce.

Dawnétaitlà!Elledevaitdormir,carelleétaitétendue.Maismonsoulagementfutdecourte durée. Quelque chose clochait. Le lit était en désordre, les draps défaits. Quant àDawn,elleétaitcouchéesurledos,nue,lesjambesécartées.Sonvisageétaitfigé,décoloré.Salanguesortaitdesabouche.Unessaimdemouchesgrouillaitdessus.

Jereculai,prisedenausée.Derrièremoi,despasrésonnèrent.—Appellelapolice,René!Lespasserapprochèrent.Jenepouvaisdétachermonregarddustorequicachaitsimal

l’épouvantablespectacle.—Qu’est-cequetudis?Tulavois?demandaRené.—Appellelapolice!Jel’entendiss’immobiliser,puisfairedemi-tour.—C’estbon,j’yvais!Combien de minutes restai-je ainsi, pétrifiée d’horreur, devant le store de Dawn ?

LorsqueRenémerejoignit,sonvisagetrahissaitune intensecuriositéetsesyeuxbrillaientd’uneviveexcitation.

—Est-cequetupeuxaussiappelerSam,s’ilteplaît?—C’estcommesic’étaitfait!déclaraRenéavantdes’éclipserdenouveau.Àma surprise, j’entendis alorsdubruit dans lamaison voisine, bâtie à l’identique. Je

tournailatêteetviss’encadrerunesilhouetteàlafenêtre,dontlesbattantss’ouvrirent.—Qu’est-cequetufabriquesici,SookieStackhouse?Ilmefallutquelquessecondespourreconnaîtrel’hommequim’adressaitlaparole.—JB?—Ah,toutdemême!JB du Rone était un de mes ex-camarades de classe. J’avais de lui le souvenir d’un

garçon gentil et un peu simple, dont le mérite le plus remarquable, outre son incroyable

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beauté physique, était de ne m’avoir jamais manifesté le moindre mépris ni la moindreméfiance.

—Quefais-tuici?demanda-t-ildenouveau.—Monpatronm’aenvoyéechercherDawn.Ça faitdeux joursqu’elleestauxabonnés

absents.—Etalors?J’hésitaiàluirévélerl’affreusevérité.—Jel’aitrouvée,dis-jefinalement.Je fussecouéeparunsanglot,puisune larmeroulasurma joue.Après lasoiréede la

veille, cela faisait beaucoupd’émotions enquelquesheures ! Incapabledeme contrôler, jememisàpleurer.

Sansplusdefaçons,JBenjambalafenêtreetmerejoignit.—Là,là,murmura-t-ilenm’attirantcontrelui.Pleureunboncoup,çairamieuxaprès.—C’estépouvantable...hoquetai-je.Dawnest...elleest...—Çava,j’aicompris.Pasétonnant...Elleaimaitlessensationsfortes.J’essuyaimesyeuxdureversdelamainetregardaiJB.—Qu’est-cequetuentendsparlà?—Ehbien...elleaimaitqu’onlabatte,qu’onlamorde,cegenredechoses.Jeréprimailaquestionquim’étaitspontanémentvenueàl’esprit.CommentJBsavait-il

cela?Toutcecimedépassait!Parchance,l’arrivéedelapolicemepermitdemettreuntermeà la sollicitude de JB, quime serrait toujours dans ses bras et commençait à se faire pluscompatissantquenécessaire.

KenyaJonesetKevinPriorapparurent.Lapremièreétaitgrande,noireetathlétique,lesecondmince,petitetcouvertdetachesderousseur.Les«deuxK»,commeonlesappelait,formaientletandemdechocdelapolicemunicipaledeBonTemps.

—MademoiselleStackhouse,ditKenyaenguisedesalut.Quesepasse-t-il?Toutenparlant,elleavaitdécochéunregardendirectiondeJB,tandisquesoncollègue

scrutaitlesolautourdenous,probablementàlarecherched’empreintesdepas.En quelques mots, je résumai la découverte du cadavre de ma collègue, avant de

désigner la fenêtre de la chambre. Les deux K se tournèrent vers le store baissé, seconsultèrentduregardethochèrentlatête.

PuisjevisKenyasedirigerverslafenêtre,tandisqueKevincontournaitlamaison.Prèsdemoi,JBobservait la scèneavecun intérêtnondissimulé. Ilmouraitd’enviede regarderpar-dessusl’épauledeKenya,mais lasolidecorpulencedecelle-ci luibloquait lavue,àsongranddépit.

De nouveau, l’effroyable spectacle du cadavre deDawn s’imposa àmon esprit. C’étaitinsupportable!Plutôtqued’affronterl’imagequimehantait,jepréféraimeréfugierdanslespensées de ceux qui m’entouraient – une solution de facilité à laquelle j’avais recours lemoinssouventpossible.

Jefermailesyeuxetmeconcentraisurlepremierespritquipassaitàmaportée.KenyaJonesdressaitmentalementlalistedetouteslespistesqu’elleallaitdevoirsuivreavecKevin.EllesesouvenaitdestendancesmasochistesdeDawn.Ellen’étaitpassurprisequelajeunefemmesoitdécédéedemortviolente,maiselleétaitdésoléepourelle.Ellepensaitaubeignetqu’elleavaitmangésurletrajetetregrettaitdesel’êtreaccordé,carlavuedesinsectessurlecadavredeDawnluisoulevaitlecœur.

JBessayaitde se représenter lamortdeDawnenpleine séance sadomasochiste. Il sedemandaitpourquoiiln’avaitrienentendu.Iltrouvaitquec’étaituneaffreusehistoire,bien

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qu’un peu excitantemalgré tout, et que cette sacrée Sookie était toujours aussi sexy. Il sedisaitqu’illuiauraitvolontiersfaitl’amour,là,toutdesuite.IlpensaitaujouroùDawnluiavait demandé de la battre, où il en avait été incapable et où il s’était senti si humilié. Ilestimaitqu’aprèstout,cettegarcel’avaitbiencherché.

KevinsefaisaitlaréflexionqueKenyaetluiavaientintérêtànedétruireaucunepièceàconviction. Il espérait que le coupablen’était pasde racenoire, car il craignait que celanegâche sesbonnes relationsavec sa collègue. Il était furieuxqu’onait tuéune femmede saconnaissanceetseréjouissaitquepersonnenesachequ’ilavaitcouchéautrefoisavecDawnGreen.

RenéLenierattendaitavec impatiencequ’onsorte lecorpsde lamaison.Ilpriaitpourquepersonnenedécouvrequ’ilavaiteudesrelationssexuellesavecDawn.Ilétaittrèsagité;sespenséesétaientsombres,opaques,presqueinaudibles.

Samarrivabientôt.Jemeconnectaiàluienlevoyantaccourirversmoi.Impossibled’établirlelien!Jepercevaissesémotions–unmélanged’inquiétude,decolèreetdepeur–,maisses

pensées, en revanche, me demeuraient hermétiques. Que se passait-il ? Intriguée, jem’écartaideJBpourréduirelesinterférencesetm’approchaideSam.

Celui-ci comprit immédiatement que je me branchais sur son esprit. Aussitôt, il sefermaàmesinvestigations.Iln’étaitpascommelesautres...mêmesi jeneparvenaispasàdéterminerdequellefaçon.

Uneautrecertitudes’imposaàmoi: lejouroùSamm’avaitinvitéeà«faireuntour»dans ses pensées, il n’avait pas songé que je percevrais sa différence. J’eus le temps decomprendrecela,puissonespritserefermatotalement.

C’était bien la première fois que je faisais une telle expérience ! J’avais l’impressionqu’onvenaitdemeclaquerauvisageuneportelourdementblindée.Jem’arrêtaiàquelquespasdelui,interdite.

—Quesepasse-t-il?demanda-t-ilàKevin,évitantdélibérémentmonregard.—Nous allons forcer la porte de cettemaison,monsieurMerlotte. Àmoins que vous

n’ayezundoubledelaclédevotreemployée...JeregardaiSam,stupéfaite.Pourquelleraisonaurait-ileuuneclédecettemaison?Au

mêmeinstant,JBmerejoignitetmurmuraàmonoreille:—C’estlepropriétaire.—Non?m’exclamai-jeétourdiment.—Si.Ilpossèdelestroismaisonsquisetrouventlà.Commepour confirmer les paroles de JB, Sam fouilla dans sa poche et en extirpa un

volumineuxtrousseaudeclés.Sanshésiter,ilenchoisitune,lasortitdel’anneauetlatenditàKevin.

—Elleouvrelesportesdedevantetdederrière?demandacedernier.Samhochalatête.Muni de la clé, Kevin se dirigea vers l’arrière de la maison, disparaissant

momentanément à notre vue. Une minute plus tard, il réapparut dans la chambre. En levoyant pincer le nez, jeme dis que l’odeur devait être effroyable. Tout en protégeant sonvisage d’une main, il se pencha sur le corps de Dawn pour chercher son pouls, puis seredressaetadressaunsignenégatifàsacollègue.Aussitôt,celle-ciserenditàlavoiturepourpasserunappelradio.

—Situdînaisavecmoicesoir,Sookie?proposaJB.Çateferadubiendetechangerlesidées.

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Ducoindel’œil,jevisqueSamnousécoutait.—C’estgentil,JB,maisjecroisqu’onvaavoirbesoindemoiaubar.JBparutdéçu,maisileutlabonneidéedenepasinsister.—Jesuisdésolé,meditSam.Faisait-ilallusionà labrusquerieavec laquelle ilm’avaitécartéedesonesprit?Je lui

jetaiunregardinterrogateur.— Je n’aurais pas dû te demander de passer voir Dawn. J’aurais mieux fait de m’en

chargermoi-même.Ilhésita,avantdepoursuivre:—Lalivraisondecematinpouvaitattendre.Maisladernièrefoisquejesuisvenuvoir

Dawnparcequ’ellem’avaitfaitfauxbondaubar,j’aieudroitàunetellescènequejen’aipassupportél’idéequ’ellerecommence.Jet’aienvoyéeàmaplaceparlâcheté.

—Çaneteressemblepas,Sam.Tusoupçonnaisquelquechose?Pourtouteréponse,ilsecoualatêteetpressamesdoigtsavecdouceur.Nousrestâmes

un longmomentmaindans lamain, immobiles aumilieudes allées et venues. Puis ilmelibéra pour aller parler avec l’inspecteur que les deux K avaient appelé, et une soudainefatigue s’empara de moi. Je me dirigeai vers ma voiture, ouvris ma portière et m’assisderrièrelevolant.

JBm’avaitsuivie.Avantque j’aiepudireunmot, je leviss’agenouillerprèsdemoietprendremamain.Jem’empressaidechercherunsujetdeconversationneutre.

—Oùtravailles-tuencemoment?—Chezmonpère,aumagasin.Comme chaque fois qu’il était viré d’un job, songeai-je. Le père de JB tenait un

commercedepiècesdétachéespourautomobiles.—Tesparentsvontbien?—Trèsbien.Ecoute,Sookie,j’aivraimentenviequ’onserevoie.Uninstant,jefustentéedecéder.JBn’étaitpasunbrillant intellectuel,mais ilétaitsi

beau!Alors,sijedevaischoisirentretomberdanssesbrasetfinirvieillefille...MaisilyavaitBill.

—Nemedispasque tuesamoureusede cevampire?demanda-t-il, commes’il avaitperçumesinterrogations.

—Quit’aparlédelui?—Dawn.Plus précisément, elle avait dit : « Le nouveau vampire tourne autour de Sookie la

Cinglée.Il feraitmieuxdes’intéresseràmoi !Il lui fautunefemmequisupported’êtreunpeubousculée;cettepauvrefillen’estpaspourlui.»

Jemedéconnectaidel’espritdeJB,furieuse.Dequoicettegarcesemêlait-elle?Jemesouvinsalorsqu’elleétaitmorte.J’allaisdemanderàJBdemelaisserseulelorsquejelevisbondir sur ses pieds. Je levai les yeux et compris ce qui l’avait fait fuir : l’inspecteur sedirigeaitversmoi.

Jedevaisavoirl’airmalenpointcar,aulieudemedemanderdemelever, iladoptalamêmepositionqueJBquelquessecondesplustôt.

—InspecteurAndyBellefleur,seprésenta-t-il.Unnomplutôtincongrupourcettemontagnedemuscles,pensai-jeenreconnaissanten

luiunanciencamaradedeclassedeJason.—J’aicrucomprendrequevousétiezemployéechezSamMerlotte?Jeconfirmaid’unhochementdetête.

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—Parconséquent,DawnGreenétaitl’unedevoscollègues?—Exact.—Quandl’avez-vousvuepourladernièrefois?—Avant-hier,autravail.—Vousétiezproched’elle?—Non.—Danscecas,pourquelleraisonêtes-vouspasséelavoircematin?Jeparlai à l’inspecteur de l’absencedeDawn et des deux appels de Sam– celui de la

veille pour que je remplacema collègue et celui de cematin pourme demander d’aller lachercherchezelle.

—Votreemployeurvousa-t-ilditpourquoiilnevoulaitpasvenirlui-même?—Ildevaits’occuperd’unelivraison,iln’avaitpasletemps.—Pensez-vousqu’ilaitentretenuunerelationaveclavictime?JeregardaiBellefleur,épuisée.Posait-il toujourssesquestionsenrafale,sans laisserà

soninterlocuteurletempsderespirer?—Non,répondis-jeplusbrusquementquenécessaire.—Voussemblezbiensûredevous.Serait-ceparcequevousavezunerelationaveclui?—Pasdutout!—Alors,qu’est-cequivouspermetdel’affirmer?C’étaitsimple:plusieursfois,j’avais«entendu»Dawn se demander ce qu’une femme pouvait bien trouver à Sam. Seulement, jamais

Bellefleurnem’auraitcruesijeluiavaisdonnécetteréponse.

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—Samneconfondpasletravailetlessentiments,répliquai-je.Cequiétaitlapurevérité.—VousconnaissiezlavieprivéedeDawnGreen?—Jevousl’aidit,nousn’étionspastrèsproches.Ilparuts’absorberdanssesréflexions.—Pourquelleraison?—Jesupposequenousn’avionsrienencommun.—C’est-à-dire?Vouspouvezmedonnerunexemple?Jeréprimaiunsoupird’exaspération.Commentdonnerunexemplede«rien»?—Dawn sortait beaucoup, surtout avec des hommes.Moi pas. Elle buvait de l’alcool,

moipas.J’aimelire,ellepas.Çavoussuffit?AndyBellefleurmescrutaquelquesinstants.Ildutêtresatisfait,carjelevishocherla

têted’unairapprobateur.—Donc,vousnevousfréquentiezpasendehorsdutravail,touteslesdeux?—Jamais.‘—CelanevousapasétonnéequeMerlottevousdemandedepasserlavoir?— Non. Elle habite sur mon chemin, et je n’ai pas d’enfants, contrairement à ma

collègueArlène.C’étaitplusfacilepourmoidevenir,jesuisplusdisponible.JenepouvaispasdireàBellefleurqueDawnavaitfaitunescèneàSamladernièrefois

qu’ilétaitpassélavoir,àmoinsdevouloirattirerlessoupçonssurlui.—Dites-moi,Sookie,qu’avez-vousfaitensortantdutravail,avant-hier?—Jenetravaillaispas,c’étaitmajournéedecongé.—Qu’avez-vousfait?répéta-t-il.Jepoussaiunsoupiragacé.Oùvoulait-ilenvenir?—J’aiprisunbaindesoleil, j’aiaidémagrand-mèreàfaireleménage,etlesoir,nous

avonsreçudelavisite.—Dequi?—BillCompton.—Levampire?Jehochailatête.—Jusqu’àquelleheureest-ilrestéchezvous?—Jenesaispas...minuit,peut-êtreplus.—Dequellehumeurétait-il?Vousa-t-ilparutendu,nerveux?—Pasdutout.—Écoutez,jevaisdevoirvousposerplusdequestions.Pouvez-vouspasseraupostede

policedansdeuxheures?—SiSamn’apasbesoindemoiaubar.—MademoiselleStackhouse,cetteenquêteestbienplusimportantequevotretravailau

bar.Ah,illeprenaitsurceton?—Cen’estpeut-êtrepasleboulotleplusprestigieuxdelaplanète,répliquai-jed’unton

sec,maisilmepermetdegagnerhonnêtementmavie.Jeméritelemêmerespectquevotresœur, Andy Bellefleur, même si je ne suis pas avocate. Et je ne suis ni une idiote ni unetraînée.

—Excusez-moi,marmonna-t-ilenrougissant.Jel’avaisvexé.Depuislelycée,ilrêvaitdepromotionsociale.Ilsedisaitqu’ilauraitété

plusàsaplacedansunegrandeville,oùilauraitpufaireoubliersesorigines,aussimodestes

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quelesmiennes.Ilétaitpersuadéqu’ailleurs,ilauraitpudonnerlemeilleurdesescapacités.—Oh, ne croyez pas ça !m’exclamai-je sans réfléchir. ÀBonTemps ou ailleurs, vous

sereztoujourslemême.Ilmeregardaavecl’aird’unenfantprislamaindanslepotdeconfiture.—Alors,c’estvraiquevouslisezdanslespensées...murmura-t-il.—Non.Lavérité,c’estqu’ilestplusfacile,qu’onne lecroitdedevinercequepensent

lesgensrienqu’àleurexpression.Par provocation, il pensa alors à déboutonner mon chemisier. Je ne me laissai pas

manipuleretluidécochaiunsourireinnocent...quineletrompapasunseulinstant.—Quand vous voudrezme parler, passezme voir au bar. On pourra discuter dans le

bureaudeSam.Quandj’arrivaiChezMerlotte,lebarétaitbondé.SamavaitdemandéàTerryBellefleur,

uncousinéloignéd’Andy,deleremplacerpendantqu’ilrépondaitauxquestionsdelapolice.Terry, qui avait fait le Vietnam, avait l’esprit peuplé d’horreurs et, d’après Arlène, le corpscouturédecicatrices.Jemetenaisautantquepossibleàl’écartdelui.Dieumerci,ilnebuvaitpas.

Dans la cuisine, Lafayette Reynold, le cuisinier, préparait des frites. Il déposa deuxassiettesdehamburgerssurlepasse-plat.

—Arlène,c’estpourtoi!appelaTerry,avantdesetournerversmoipourmedemander:Alors,c’estvrai,pourDawn?

Lafayette m’adressa un clin d’œil lourdement fardé. J’avais toujours considéré sonmaquillagecommenormal,maiscejour-là, ilmefitpenseràJerry.Jem’envoulaisunpeud’avoir laissé lesvampiresemmener lepauvregarçonsansprotester.Pourtant,qu’aurais-jepufaire?J’avaistroppeudetempspourappeler lapoliceetuneseulepriorité:sauvermapeau.Deplus,Jerry,quisesavaitcondamné,infectaitautantd’humainsetdevampiresqu’illepouvait.Jel’avaisentendu.Ilétait,àsafaçon,unmeurtrier.JedéclaraisolennellementàmaconsciencequeledébatconcernantJerryétaitclos.

Arlènemerejoignitdevantlepasse-platpourprendresacommande.Ellemedécochaunregard brillant de curiosité. Charlsie Tooten, qui assurait les extras en cas de besoin, étaitégalementlà.Jel’aimaisbien.Rondeetsouriante,Charlsieétaituneemployéemodèle.Sonmaritravaillaitdansuneentreprisedelarégion,etsafilleaînéevenaitdesemarier.Charlsieavaitlechicpourdiscuteraveclesclientssanssemontrerinsistanteetmettrelesivrognesàlaportesanséclatsdevoix.Bref,c’étaitlacollèguerêvée.

—Oui,répondis-jeàTerryavecuntempsderetard.Dawnestmorte.—Tusaiscomment?—Non,maisçaaétéviolent.Uneimagemerevint.Dusangsurledrap.Durougesurdublanc.—Maudette,Dawn...marmonnaTerry.Onn’apasfinid’enentendreparler.SurtoutChezMerlotte!Lasalleétaitnoiredemonde.Deuxjeunesfemmesassassinées

en quelques jours, ce n’était pas la publicité rêvée pour notre petite ville, mais elle étaitdiablementefficace.

Samréapparutvers14heures,énervéd’avoirperdudutempsàrépondreauxquestionsdel’inspecteur.

—Bellefleurveuttevoir,m’annonça-t-il,profitantdecequenousétionsseulsderrièrelecomptoir.Ilnedoitpasêtreloinderrièremoi.

—Ilt’aditcequiestarrivéàDawn?

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—Battue,puisétranglée,murmura-t-il.Elleavaitaussid’anciennestracesdemorsuresCommeMaudette.

—Ilyapleindevampires,Sam,dis-je,surladéfensive.—Sookie...Il avait l’air de s’inquiéter pour moi. À cause de Bill ? Soudain, je me souvins des

quelques instantsoù ilm’avait tenu lamaindevant lamaisondeDawn.Puis jepensaià lafaçon dont il m’avait mentalement claqué la porte au nez. Décidément, Sam était uneénigme...

—Billestplutôtsympathique,pourunvampire,admitSam,maisiln’estpashumain.—Ettoi?m’entendis-jedemander.J’avaislancécesmotssuruneimpulsion,maisàprésentquejelesavaisprononcés,ils

prenaient une résonance troublante. Qui était vraiment Sam ? D’où lui venait cetincompréhensiblepouvoirdefermersonesprit?

Je n’eus pas le temps d’approfondir ces questions ce soir-là. Le comté tout entiersemblait s’être donné rendez-vous Chez Merlotte, tout le monde voulait commander enmêmetemps,et lapauvreCharlsieneparvenaitpasàsuivre lerythme.Arlèneetmoinouspartageâmesunepartiedesestablespourluivenirenaide.

Quand le bruit se répandit que c’était moi qui avais découvert le corps de Dawn,l’affluence se fitplusdenseencore.Enune soirée, j’empochaiplusdepourboiresqu’enunmoisordinaire.AcroirequelemeurtredeDawnétaitl’événementdel’année!

Jerentraichezmoirecruedefatigue,avecuneseuleidéeentête:memettreaulit.Pasun instant je ne songeai à mon vampire, relégué à l’arrière-plan de mes pensées par lespéripétiesdelajournée.Quellenefutdoncmasurprisedereconnaîtredanslespharesdemavoiture,enentrantdanslacour,lahautesilhouettedemonvoisinCompton!

Jedécidaidel’ignorer,maisils’approchademoidèsquej’euscoupélemoteuretouvritmaportière.Jedescendisdevoitureenévitantsonregardetmedirigeaiverslamaisonsansunmot.

— Tu comptes regarder tes pieds toute la soirée ou tu veux bien me dire bonsoir ?demanda-t-ilavecflegme.

—Aprèscequis’estpassé?—Jen’aiaucuneidéedecequis’estpassé.Raconte.—Jesuisfatiguée.Avantquej’aiepufaireunpasdeplus,Billmesoulevaetmedéposasurlecapotdema

voiture.Puisilseplaçadevantmoietcroisalesbras.—Maintenant,jet’écoute,dit-il.—Dawnaétéassassinée,maugréai-je.CommeMaudettePickens.Billhaussalessourcilsd’unairinterrogateur.—Dawn?—Macollèguedetravail.—Laroussequicollectionnelesmaris?Àcesmots,matensionsedissipaquelquepeu.Jesourismalgrémoi.—Non.Unebrune.Tunel’aspasremarquée,l’autresoir?Elleapourtanttoutfaitpour.—Oh,celle-là.Elleestpasséemevoir.—Cheztoi?Quand?—Hier,après tondépart.Elleaeude la, chancedenepascroiser les troisaffreux, ils

n’en;auraientfaitqu’unebouchée.Jesursautaidestupeur.

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—Tunel’auraispasprotégée?—Jenepensepas.—Tum’asbienprotégée,moi!—Oui,maistuesdifférente.—Jenevoispasenquoi!protestai-je.Duboutdudoigt,Billmetapotalefront.—Tuesdifférente,répéta-t-il.Nicommenous,nicommeeux...Unecolèresourdemontaenmoi.ContreBill,qui jouaitavecmoicommeunchatavec

une souris. Contre Sam, qui résistait àmes investigations dans son esprit. Contre JB, sessouriresenjôleursetsesmainsbaladeuses.ContreBellefleuretsesinterrogatoiressansfin.ContreDawn,quiavaiteulemauvaisgoûtdemouriraussistupidement...Etsurtoutcontremoi-même,quineparvenaispasàdécidersiBillm’attiraitoumeterrorisait.

Horsdemoi,jelevailamain...etdonnaiunegifleretentissanteàBill.Jecomprisaussitôtmonerreur.S’attaquerphysiquementàunvampireestàpeuprès

aussiinepteques’enprendreàmainsnuesàunmurdebétonarmé.D’abord,jem’étaisfaittrèsmal.Ensuite,Billmejetaunregardsifurieuxquejecrusun

instantqu’ilallaitmetuer.Defait,ilrefermasesmainssurmesbrasetmesoulevadanslesairs.Avecunhurlementd’effroi, je fermai lesyeux,persuadéequemadernièreheureétaitarrivée.

Lorsque je les rouvris,Billme tenait serrée contre lui. Ilhaletait, etmoiaussi.Àpartcela,ilsemblaitcalme,commesiriennes’étaitpassé.

—Maintenant, tuvasmedirepourquoi je suis censéêtreau courantde lamortde tacollègue,dit-ilenmecaressantledos.

L’oreillecontresontorse,j’entendisrésonnersavoix,quimeparutsoudainpluschaude.Billétaitsirassurant!Jemelovaicontrelui...avantdem’écarterdansunsursaut.

Jedevenaisfolle!Rassurant,unvampire?—Onatrouvéd’anciennesmorsuressursescuisses,répondis-je.—CommesurMaudette,murmuraBilld’untonpensif.C’estcequiaentraînéledécès?—Non.Onl’aétranglée.—Alors,ellenepeutpasavoirététuéeparunvampire.Ilavaitparléavecunetelleassurancequejelevailesyeuxverssonvisage,intriguée.—Etpourquelleraison,jeteprie,monsieurleMaîtredesTénèbres?Unimperceptiblesourireétiralescoinsdeseslèvres.—Unvampirel’auraitbuejusqu’àladernièregoutte.Iln’auraitpasgaspillétoutcebon

sang.C’était bien ce que je pensais. J’étais folle de me sentir en sécurité auprès de cette

créature!—Danscecas,dis-je, il s’agitsoitd’unvampirepas trèsgourmand,soitd’un tueuren

sériequines’enprendqu’auxfemmesquionteudesrelationsavecdesvampires.Dois-jelepréciser?Aucunedecesdeuxhypothèsesnemerassurait.—Tucroisquecelapourraitêtremoi?demandaBill.—Entre nous, tu fais tout pour que j’envisage cette possibilité. Tu ne rates pas une

occasiondemerappeleràquelpointtupeuxêtrecruel!—Entrenous,tuasraison.Jepourraisêtrelecoupable.Maisjetedonnemaparoleque

cen’estpaslecas.Jesuisrevenuicipourmeneruneexistencepacifique.Unvampirequirecherchaitdésespérémentunfoyer...Jedusleregarderd’unedrôlede

façon,carilfronçalessourcilsd’unaircontrarié.

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—Etjeneveuxpasdetapitié,SookieStackhouse.Jen’enaiquefaire.Il me décocha un regard d’une telle intensité que j’eus le sentiment qu’il tentait de

nouveausonfameuxcharmesurmoi.—Laissetomber,Bill,çaneprendpas.Jet’aidéjàditquetespetitstoursnemarchaient

pasavecmoi.Cen’étaitpastoutàfaitexact.Enréalité,j’étaisdéjàsoussoncharme.Jel’étaisdepuis

lesoiroùj’avaisposélesyeuxsurluipourlapremièrefois.Il me regarda sans rien dire un long moment. Ses lèvres n’étaient qu’à quelques

centimètresdesmiennes.Uninstant,jecrusqu’ilallaitm’embrasser.Tout en luttant contre une folle envie de passer mes bras autour de son cou pour

l’attireràmoi–dequoiaurais-jeeul’air,aprèsmesdéclarations?–,jedétournailevisage.—Alors,admettonsque tun’espour riendanscesmeurtres...Au fait,qu’entendais-tu

hiersoirpar:«Elleestàmoi»?C’estcequetuasdéclaréauxautresvampires.—C’estsimple:s’ilsessaientdetemordre,jelestue.—Pourquoi?—Parcequetuesmonhumaine.— Je ne suis pas certaine de savoir ce que cela implique précisément, dis-je avec

méfiance.Ettunem’aspasdemandésij’étaisd’accord.—Quoiquecelasignifieprécisément,ditBillensingeantmonaccent,celavautmieux

qued’êtrel’humainedeDiane,deMalcolmoudeLiam,tupeuxmecroire.Inutiled’insister,iln’endiraitpasplus.Soudain,uneidéemetraversal’esprit.—SionallaitfaireuntouràShreveport?—Pardon?— Il y a un bar pour vampires, là-bas. Maudette le fréquentait, et peut-être Dawn

également.Tuneveuxpasm’yemmener?—Celanereviendraitpasàmarchersurlesplates-bandesdesenquêteurs?—Bellefleurnesedonnerapaslapeinedechercherjusque-là.—Tiens,ilyaencoredesBellefleurici...murmuraBilld’untonnostalgique.—Biensûr!Andy,l’inspecteur,sasœurPortia,soncousinTerry...J’étouffaiunbâillement.—Onreparlerade tout çaplus tard,d’accord?Je tombedesommeil.Jevaisallerme

coucher.—Entendu.Quelleesttaprochainesoiréederepos?—Après-demain.—Jepasseraiteprendreaucoucherdusoleilavecmavoiture.—Tuenasune?—Ilfautvivreavecsontemps,répliquaBill,fataliste,avantdedisparaîtredanslanuit.

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ChezMerlotte, chacunavait sa théorie sur lamortdeDawnetMaudette,mais tout le

monde s’accordait sur un point : les deux jeunes femmes n’étaient peut-être que lespremièresd’unelongueliste.Jenecomptaipaslenombredefoisoùl’onmeconseillad’êtreprudente,denepasmefieraveuglémentàmonamiBillComptonetdefermermaporteàclélesoir.Commesij’étaistropsottepourypensertouteseule!

Jason,quiavaitfréquentélesdeuxdisparues,eutdroitàsonlotdecommisération...etdesuspicion.Cettehistoirel’affectaplusquejenel’auraiscru.C’étaitlapremièrefoisquejevoyais Jason le Superbe en rabattre un peu ! Je n’irais pas jusqu’à dire que cela meréjouissait,maisd’unecertaine façon, jen’étaispas fâchéequ’ilsemontresousun jourunpeuplushumain.Quevoulez-vous?Jenesuispasparfaite.

Je suis même si peu parfaite que ma principale préoccupation ce jour-là fut de medemanderquelle tenue je porterais le soir oùBillm’emmènerait à Shreveport. J’avais déjàunevagueidéedesgoûtsdemonvampireenmatièred’éléganceféminine,etparailleurs, iln’étaitpasquestionquej’enfilelaridiculetuniqueàlamodedanscegenred’endroits–sanscompterquejen’auraispassuàquim’adresserpourentrouverune.

J’optaifinalementpourunerobetailléedansunimpriméblancsemédegrossestulipesrouges,aveclaquellejemisdefinessandalesrougevif.C’étaitunepetiterobecourte,prèsducorps,plussexyquemestenueshabituelles.ToutcequeBilldevaitdétester.

—Superbe!déclaraGrannylorsquejesortisdemachambre.Je tâchai d’oublier que la soirée en perspective n’était pas à proprement parler un

rendez-vousgalant,danslamesureoùj’enavaisprisl’initiativeetoùnousétions,Billetmoi,en«missioncommandée».

Samm’appelapourm’informerquemapaiem’attendait.Jepouvaispasserprendremonchèque tout de suite. Jeme rendis aubar,mal à l’aise à l’idéed’apparaître ainsi vêtue surmonlieudetravail.

Commejelecraignais,monarrivéefutsaluéeparunsilencestupéfait.Sammetournaitle dos, mais Lafayette ouvrit de grands yeux, ainsi que René et JB, qui étaient assis aucomptoir,etqueJason,quisuivitleursregards.

—Quetuesbelle!s’exclamaLafayette.Oùas-tutrouvécettejolierobe?—Cevieuxtruc?Aufonddemonarmoire.—Ehbien,tudevraislaporterplussouvent!commentaJB.Samseretournaàcetinstant.Jevissesyeuxs’écarquillersouslecoupdelasurprise.—Nomdenom,murmura-t-il.Puisilselevaetajouta:—Viens,tonchèquet’attend.Une fois dans son bureau, il fourragea dans les piles de papiers qui encombraient sa

tabledetravail,trouvalechèque,maisnemeletenditpas.—Tusors?demanda-t-ild’untondétaché.—Oui,j’aiunrendez-vous.Ilmedécochaunregardbrûlant.—Tuessuperbe.—Merci,Sam.Hum...jepeuxavoirmonchèque?

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Ilparut s’apercevoirqu’il l’avaitencoreà lamain. Ilme ledonnaavecunebrusqueried’automate,etjeleglissaiaussitôtdansmonsacàmain.

—Bonsoir,Sam.—Bonsoir,Sookie.Au lieu deme faire un signe pourme dire au revoir, il vint se placer entremoi et la

porte,mebloquant lepassage.Puis il sepenchaversmoi et approcha sonnezdemoncoupourhumermonparfum.C’était si inattenduque je ne réagis pas. J’eus l’impressionqu’ilévaluaitmonodeur,siabsurdequecelaparaisse.Lorsquejeretrouvaienfinmesréflexes,jebondis de côté, ouvris la porte et traversai le bar à grands pas en tentant de chasser laquestionquimetaraudait.

Quesignifiaitl’extraordinairecomportementdeSam?UneCadillacnoireétaitgaréedanslacourdelamaison,lacarrosserielustréecommele

pelage d’un fauve. Bill était déjà là. Je me garai et grimpai en courant les marches de lavéranda.

Monvampireétaitassissurlecanapé,engrandeconversationavecGran,quiavaitprisplace en face de lui. Je le vis tourner la tête à mon arrivée et se figer, les yeux soudainbrillantsdecolère,uneexpressiond’intensedésapprobationsurlevisage.

Iln’aimaitpaslestulipes,peut-être?—J’auraissansdoutedûchoisirdeschrysanthèmes,celaauraitétéplusdansleton?Jen’osai ajouter « pour rendre visite auxmorts vivants », de peur d’alarmerGranny.

Celle-cimeregardasanscomprendre.Billfronçalessourcils,puisparutsedétendre.—Non,tuesparfaite,dit-ilenselevantpourdéposerunbaisersurmajoue.PuisilsetournaversGranny.—Bonsoir,madameStackhouse.C’esttoujoursunplaisirdediscuteravecvous.—Tout le plaisir a été pourmoi. Amusez-vous bien,mes enfants. Et vous, Bill, soyez

prudentauvolantetnebuvezpastrop.Billluijetaunregardinterloqué.—Promis,dit-ilenm’entraînantverslaporte,unsourireauxlèvres.—Jesuisdésolée,luimurmurai-jetandisquenousquittionslamaison.—Pourtarobe?—Non,pourGranny.Elleaditçasansréfléchir.—Ettoi,tut’eshabilléesansréfléchir.Ilm’ouvrit la portière côté passager, avant de la refermer avec douceur et de prendre

place derrière le volant. Jeme demandai qui lui avait appris à conduire.Henry Ford, sansdoute.

Nousremontâmesensilencel’alléecahoteusequimenaitàlaroute.—Désolée,dis-jeenbaissantlesyeux.Jevoisquematenueneteplaîtpas.—Si.—Alors,pourquoies-tufâché?—Jenesuispas fâché,réponditBillenarrêtant lavoitureaumilieude l’allée.Jesuis

inquiet.Tuesbientropappétissantepourl’endroitoùnousallons.—Netemoquepasdemoi,s’ilteplaît.Ilmesoulevalementonpourm’obligeràleregarder.Sonregardbrillaitdefièvre.—J’ail’airdememoquerdetoi?murmura-t-il.Jesecouailatête,tropémuepourparler.Danssesyeuxbrûlaituneflammelumineuse

etsensuellequimebouleversait.

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Le Croquemitaine se trouvait dans la zone commerciale de Shreveport. À cette heure

tardive,toutétaitfermé,àl’exceptiondubar.L’enseigneaunéonrougeclignotaitdanslanuitau-dessusdelaportepeintedanslamêmecouleur.

Le propriétaire devait avoir un faible pour le rouge et le gris, car la salle étaitentièrement décorée dans ces nuances.Une serveuse vampire se dirigea vers nous à notrearrivée etmedemandaunepièced’identité.Bill, qu’elle reconnut aussitôt comme l’undessiens,futaccueilliparunhochementdetêtepresquechaleureux.

Avecsonteint livideetsa longuerobenoireauxmancheschauve-souris,ellesemblaitvraimentarriverd’outre-tombe.Jenepusm’empêcherdesongerquesatenuedetravailétaitmoinspratiquequelamienne.

—Voilà des siècles qu’on nem’a pas demandémes papiers !maugréai-je en ouvrantmonsacàmainpouryprendremonpermisdeconduire.

Ellemeregardad’unairpincé.—Enfin,dessiècles...façondeparler,ajoutai-jeenluitendantledocument.—Jenesuispluscapablededéterminerl’âgedeshumains,etnousdevonsveilleràne

pasfaireentrerdemineurs.EllemerenditmonpermisetadressaàBillunsourireenjôleur.—Voilàbienlongtempsquejenet’aipasvu,ajouta-t-elleàsonintention.—Oui,j’essaiedem’assimiler.Je suivis Bill dans la salle, intriguée par sa dernière remarque, mais n’osant pas le

questionner. Les murs étaient ornés d’affiches de films. Le Bal des vampires, Nosferatu,Entretienavecunvampire,tousyétaient,dupluscélèbreauplusconfidentiel.

Danslalumièretamisée,jevisunenombreuseclientèle.Ilyavaitlàdesvampires,bienentendu,maisaussideshumains,amateursdesensationsfortesousimplestouristesvenusen curieux. Quelques illuminés poussaient la plaisanterie jusqu’à porter les fameusestuniquesnoiresdesmordus,cespersonnesquiprenaientduplaisiràsefairemordreparunvampire ; d’autres arboraient des canines factices, ou encore des traces de sangsoigneusementdessinéesaupinceauauxcommissuresdeslèvresouàlabaseducou.C’étaitàlafoisfascinantetpathétique.

Au milieu de ces humains plus ou moins déguisés se trouvaient d’authentiquesvampires.Ceux-làn’avaientrienàfairepourparaîtreinquiétants:leurteintspectraletleurregardfiévreuxendisaientassez.

Billmepritlamainetm’entraînaverslebar,oùilcommandaunverredesangtiède,cequimefitfrissonnerdedégoût.Pourmapart,jedemandaiungintonic.Lebarmanm’adressaun sourire gourmand, dévoilant la pointe de ses canines. C’était un Amérindien au teintcuivréetauxpommetteshautes.

— Salut, Bill, dit-il en poussant un verre empli d’un liquide rouge devant lui. Tu asapportétondessert?

Ilmedésignadumenton.—JeteprésenteSookie,ditBill.Elleaquelquesquestionsàteposer.Lebarmanmeservitàmontour,toutenmedévisageantavecintérêt.Tandisqu’ilposait

monverredevantmoi,jeprisplusieursphotosdansmonsacàmain.—Avez-vousdéjàvul’unedecestroispersonnesici?Nonsansappréhension,jedéposaisurlecomptoirdesclichésdeDawn,deMaudette...

etdeJason.Laréponsedubarmantombaaussitôt.—Lesfemmes,oui,maispasl’homme.Àmongrandregret,d’ailleurs.Votrefrère?

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Jehochailatête.—Ilestaussicharmantquevous.Jem’efforçaid’accueillirsaremarqueavecindifférence.—Savez-vousquicesfemmesfréquentaient?Sonvisageseferma.—Ici,onneprêtepasattentionàcegenrededétails.—Jecomprends,répondis-jeaussipolimentquepossible,consciented’avoirenfreintla

«loidusilence»quirégnaitici.Dansunendroitcommecelui-ci,lesclientsappréciaientunecertainediscrétion.—C’esttrèsaimableàvousdem’avoirrépondu,ajoutai-je.J’allais reprendremesphotos lorsque lebarman tapota l’uned’ellesduboutdudoigt.

CelledeDawn.—Cettefemme...ellevoulaitmourir.—Commentlesavez-vous?—Tousceuxquiviennenticicherchentplusoumoinslamêmechose,répondit-ilsurle

tondel’évidence.Ilmedécochaunregardindéchiffrable.—Lamort.Aprèstout,c’estbiencequenoussommes,nousautres,non?Desmortsen

sursis!Pourtouteréponse,jefrissonnai.Billpritmonbraspourmeguiderversunboxquivenaitdese libérer.Affichéssurles

murs, des panonceaux rappelaient les règles de bonne conduite : « Pas de morsure surplace », « Prière de ne pas s’attarder sur le parking » ou encore « Nous informons notreaimableclientèlequelesmorsuressontàsesrisquesetpérils».

Unefoisquenousfûmesassis,Billbutunelargerasadedesang.Jedétournaileregard,maisunesecondetroptard.J’étaisfascinéeetrévulsée.

—C’estlavie,dit-ilenessuyantunegouttedesangquiperlaitàseslèvres.Ilfautquejemenourrisse.

—Biensûr.Jeluisouris,malàl’aise.—Dis-moi,Bill,est-cequetucroisquemoiaussi, jeveuxmourir,puisquejesuisavec

toi?—Non. Tu veux seulement comprendre pourquoi certaines personnes jouent avec la

mort.Quelque chose dans sa voixmanquait de sincérité,mais je n’eus pas le temps de lui

répondre.Unemorduetrèsmince,pournepasdiremaigre,auxlongscheveuxbouclés,s’étaitapprochéedenous.Elle s’accoudaà la tableet se tournaversBill, sansm’accorderunseulregard. Puis, d’un ongle écarlate, elle désigna le verre plein aux trois quarts de sangsynthétique.

—Situpréfères,j’enaiduvrai,chéri.Craignantsansdoutedenepass’êtremontréeassezclaire,ellecaressa labasedeson

cou.—Aucasoùvousne l’auriezpas remarqué, jene suispas seul,ditBilld’un ton froid

maispoli.La femme tourna alors les yeux vers moi, comme si elle découvrait seulement ma

présence.Ellehaussaunsourcilméprisant.—Elle?Tunel’asmêmepasgoûtée,ellen’apasunemarque.

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Je faillis grincer des dents. De quel droit cette péronnelle se montrait-elle aussiinsistante?

—Mêlez-vousdevosaffaires,riposta-t-il,nettementmoinscourtois,cettefois-ci.Lafilleluidécochaunregardfuribond.—Tunesaispascequetumanques,maugréa-t-elle.Je laviss’éloigner, furieuseetdépitée.Hélas,ellen’étaitque lapremière.Troisautres

mordus,unhommeetdeux femmes, seprésentèrent après ellepouroffrir leurs services àBill, sans lamoindre honte. J’étais sans doute plus choquée d’entendre leurs propositionsqu’ilsnel’étaientdelesformuler!

Parchance,Billnesedépartitpasdesacourtoisieglaciale.—Ehbien,tunedisrien?demanda-t-ilaprèsledépartduderniermordu.—C’estquejen’aipasgrand-choseàdire.Ilm’observalonguement.—Tuas ledroitde lesenvoyerpaître.Oudemedemanderde te laisserseule. Iln’ya

personneiciavecquituaimeraispasserdutemps?GrandeOmbreseraitravides’occuperdetoi.

Ildésignalebarmand’ungeste.—Iln’enestpasquestion!Pourrienaumondejen’auraisvouluresterseuleavecunvampire.J’avaistroppeurde

tombersurdesrépliquesdeLiamouDiane!—Ilfautquej’interroged’autresvampires,dis-je.Peut-êtrel’und’entreeuxa-t-ilconnu

DawnouMaudette.—Tuveuxquejeresteavectoipourt’aider?—Oui,s’ilteplaît.J’avais répondu avec une précipitation qui ne trompait pas. J’étais terrorisée à la

perspectived’adresserlaparoleauxvampiresquinousentouraient.

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—Tuessûrequetunepréfèrespasque je te laisse?Jevoisunvampire là-basqui tedévoredesyeux.Ilestséduisant,tunetrouvespas?

Jeposaibrièvementlesyeuxsurl’individuqu’ilmemontrait.Grand,blond,athlétique,levampireavaitunphysiquedeViking.Ilémanaitdeluiuneauradeviolencefroidequimeglaçaitl’échine.

—Ils’appelleÉric,ajoutaBill.—Vieux?—Cequ’ilyadeplusvieuxdanscebar.—Cruel?—Commen’importelequeld’entrenous,Sookie.Ilestaussipuissantetaussidénuéde

pitiéquenoustous.—Sauftoi.Ilplongeasonregardnoirdansmesyeux.—Qu’ensais-tu?—Jelesais,c’esttout.Billémitundecespetitsriressilencieuxdontilavaitlesecret.—AllonsvoirÉric,dit-ilenselevant.Levampireétaitassisàunepetitetableàl’écart,encompagnied’unedesescongénères

d’unebeauté aussi frappanteque la sienne.Aplusieurs reprises, je les avais vus repousserdespropositionsdemordus.

—Bonsoir,Bill,ditÉricenhochantlatêteànotreapproche.Jelesobservaiaveccuriosité.Lesvampiresneseserraientdoncjamaislamain?Billme

retint à son côté d’une poigne ferme et fit halte à bonne distance de la table. Cela devaitreprésenterunemarquedebienséancechezlesvampires.

Lacompagned’Éricmedévisageasansdiscrétion.Elleavaitunvisagedouxetrond,unebouche rose et un teint de porcelaine que bien des humaines lui auraient envié. Puis ellesourit, et l’apparitionde ses caninesentre ses lèvrescharnues fit voler tout soncharmeenéclats.

—Tunenousprésentespastonamie,Bill?demanda-t-elle.—Bonsoir.Jem’appelleSookieStackhouse.—N’est-ellepascharmante?s’exclamaÉricàl’intentiondeBill.—Non,passpécialement,dis-je.Levampiremejetaunregardstupéfait,avantd’éclaterderire.—Sookie,permets-moideteprésenterPam,dit-il.BilletPams’adressèrentlesalutvampire,quiconsistaitàhocherlatêted’unairdistant.

J’allaisprendrelaparolelorsquemoncompagnonmeserralebrasàmefairemal.—Sookieaimeraitvousposeruneoudeuxquestions,dit-il.Lesdeuxvampireséchangèrentunregardblasé.—Combienmesurentnoscrocsetdansqueltypedecercueilest-cequenousdormons?

demandaPamsansdissimulersonmépris.—Pasdutout,mademoiselle,répondis-jeaussipolimentquepossible.Pamécarquillalesyeux,surprise.J’ouvrismonsacàmain,enespérantqueBilln’allait

pasmeserrerlebrasdenouveau.C’estqu’iln’yallaitpasdemainmorte!Parchance,ilnebougea pas. Je tendis les photographies de Dawn et de Maudette à la femme vampire,omettantvolontairementcelledeJason–ç’auraitétécommeplacerunboldecrèmedevantunchat.

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JevisPametsoncompagnonsepencherverslesdeuxclichésaveccuriosité.Bill,quantàlui,s’étaitcomposéunvisageparfaitementinexpressif.

— Je la connais, dit Éric en désignant la photo deDawn. J’ai été avec elle. Elle aimesouffrir.

Pameut l’airsurprisequesoncompagnonmeréponde.Ellesesentitpeut-êtreobligéedesuivresonexemple,car,àsontour,elledit:

—Jemerappellelesavoirvuestouteslesdeux.EllemontraMaudette.—Ellem’afaitpitié.— Je vous remercie infiniment, dis-je en rangeantmes clichés.Merci d’avoir pris du

tempspourmerépondre.Je pivotai sur mes talons. Du moins, j’essayai. En vain. Bill me retenait d’une main

d’acier,m’interdisanttoutmouvement.—Dis-moi,Bill,tuestrèsattachéàtonamie?demandaÉric.Ilmefallutunesecondepourcomprendresesparoles.Éricvoulaitm’«emprunter»à

Bill?—Elleestàmoi,réponditcedernierd’untonpolimaisferme.Érichochalatêteetm’observadenouveaulonguement,maisiln’insistapas.Enfin,Bill

donnalesignaldudépart.Aprèss’êtreinclinédevantsesdeuxcongénères,ilm’entraînaàsasuite.

—Tun’étaispasobligédemebrutaliser,murmurai-jeenmedégageantdesonemprise.Jevaisavoirunbleuaubras!

—Ilsontplusieurssièclesdeplusquemoi, répliquaBilld’un tonrespectueuxquimesurprit.

—Ah,ilyaunehiérarchiechezlesvampires?C’estl’anciennetéquicompte?LeslèvresdeBillfrémirentimperceptiblement.—Enquelquesorte...Nousréintégrâmesnotrebox.—Pourquoin’as-tupasprotestéquand lesmordusontessayédem’enleverà toi?me

demandamoncompagnon.Il avait l’air sincèrementétonné.Je laissai échapperunsoupir las.Pourquoiétait-ceà

moid’expliqueràBilllessubtilesnuancesdesrelationshumaines?— Écoute, Bill, quand tu es venu chez moi, c’était sur mon invitation. Ce soir, c’est

encoremoi qui t’ai proposé cette virée à Shreveport. Tunem’as jamais demandéde sortiravectoi.Tucomprends?C’esttoujoursmoiquifaisladémarche.Jenevoispasquelsdroitsj’auraissurtoi!

—Nimoi sur toi.EtpourenreveniràÉric, il aplusdeprestancequemoi. Il estpluspuissant,etd’aprèscequ’ondit,c’estunamantinoubliable.Ilestsivieuxqu’iln’abesoinqued’unegorgéedesangpoursenourrir,sibienqu’ilnetuepresqueplus.Pourunvampire,c’estquelqu’undebien.Tuluiplais,c’estévident.Sijen’étaispasavectoi,iltecharmerait.

—Jen’airienàfaireaveccetindividu.—Etmoi,jen’airienàfaireaveclesmordus.Unlongsilencesuivitcetéchange.—Alors,nousnousconvenonsparfaitementl’unàl’autre,dis-jeenfin.—Exact.Nousnousplongeâmesdenouveaudanslesilence.

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—Tuveuxunautreverre?proposaBill.—Oui,àmoinsquetunepréfèresrentrer.Bill se leva et se dirigea vers le bar. Du coin de l’œil, je vis Pam s’en aller. Éric me

lorgnaitavecinsistance.Quelquesinstantsplustard,ilmesemblapercevoirdesondesautourdemoi.CesatanéÉricessayaitsoncharmesurmoi!

Jecroisaibrièvementsonregard.Commejem’yétaisattendue,ilmefixaitintensément.Ques’imaginait-il?Quej’allaissautersurlatableenôtantmarobe?Memettreàaboyer?Mejeteràsespieds?Qu’ilailleaudiable!

Billrevintavecnosverres.—Ilvavites’apercevoirquejeneréagispascommelesautres,marmonnai-je.Billcompritaussitôt.—Detoutefaçon,ilestmalplacépourprotester.Ilpasseoutreuninterdit.Iltentedete

séduirealorsquejeluiaiditquetuétaisàmoi.—Jenecomprendspas.—C’estunerèglenonécritechezlesvampires.Àpartirdumomentoùj’aidéclaréquetu

m’appartiens,personnen’aledroitdetemordre.—Ah,oui,jet’appartiens?ripostai-jed’untonpluscaustiquequenécessaire.—Celasignifiequejeteprotège,répliquaBill,pincé.—Tuveuxdire,commeunsouteneur?Labelleaffaire!Ilnet’estjamaisvenuàl’esprit

queje...Oh,etpuisflûte!Aquoibondiscuteraveccettetêtedemule?Jemetus,plusagacée

que je ne l’aurais voulu par les déclarations de Bill. À quoi bon proclamer que je luiappartenais, puisque pas une fois il n’avait pris l’initiative de m’embrasser ? Soncomportementétaitdeplusenplusinexplicable.

—Qu’est-cequiauraitdûmeveniràl’esprit?demandaBill.Quetun’aspasbesoindemonaide?Quec’esttoiquimeprotèges?

Comme je ne répondais pas, il prit mon visage entre ses mains pour m’obliger à leregarder – un geste qui lui était familier. Ses yeux plongèrent dans les miens, avec tantd’intensitéquejecrusqu’illisaitenmoi.

Lorsqu’ilme libéra enfin ; jepoussaiun long soupirde soulagement etde frustrationmêlés.Jelaissaimonregarderrersurlasalle.

—Quecesgenssontennuyeux!murmurai-je.—Tupeuxteconnecteràleuresprit?Jehochailatête.—Àquoipensent-ils?—Àtroischoses.Ausexe,ausexeetausexe.Bill éclata de rire. Pourtant, c’était la pure vérité. Tout le monde dans cette salle

nourrissait des rêves érotiques. Lesmordus fantasmaient sur les vampires, et les touristestentaientd’imaginerlesétreintesdespremiersetdesseconds.

—Ettoi,Sookie?Àquoipenses-tu?—Pasausexe!répondis-jeavecuneprécipitationquisemblaitdémentirmespropos.Pourtant,c’étaitlastrictevérité.Carjevenaisdefaireunedécouverteaussiinattendue

quedéplaisante.—Alors,àquoi?—Jecroisquenousallonsavoirdumalàquittercebarsansembûche.—Àcausedequoi?—Duclientassislà-bas...

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D’unsignediscret,j’indiquaiunboxàl’écart.—...quin’estautrequ’unflicencivil.Ilrevientdestoilettes,oùilasurprisunvampire

occupéàmordreunhumain.Ilaappelédurenfort;sescollèguesnevontpastarder.—Ons’enva,déclaraBilld’untonparfaitementcalme.Unesecondeplustard,nousnousétionslevésetnousdirigionsverslaportedubar.En

passantà lahauteurde la tabled’Éric,Bill fitsigneàcelui-ci,quinousemboîta lepasavecfluidité.Levikingnousdépassa et franchit laporte justedevantnous, entraînantdans sonsillagelafemmevampirevigile.

JemesouvinsalorsdeGrandeOmbre,lebarmanquiavaitsiobligeammentréponduàmes questions. Je me retournai et lui fis signe de nous suivre. L’Amérindien me jeta unregard surpris, mais déjà, Bill m’avait prise par la main pour m’entraîner vers le parking.Lorsquejeregardaidenouveaulebar,jevis,parlafenêtre,GrandeOmbrejetersontorchonsurlecomptoir.

Éricétaitdéjàdevantsavoiture,uneCorvetterutilante.—Quesepasse-t-il?demanda-t-il.—Ilvayavoirunedescentedepolicedansquelquesinstants,réponditBill.—Commentlesais-tu?—C’estmoiquileluiaidit.Ericsetournaversmoietmeregardad’unairinterrogateur.Jen’allaispascouperàune

petiteexplication.—Jel’ailudansl’espritd’unpolicierdéguiséenclient.—Vraiment ?murmuraÉric enme considérant avec un intérêt renouvelé. J’ai connu

unemédium,unjour.Çaaétéuneexpériencefabuleuse.—C’étaitaussisonavis?demandai-jesèchement.Àmoncôté,Billsefigea.Éricéclataderire.—Audébut,dit-il.Onnepouvaitêtreplusambigu!Unesirènedepolicehurlatoutprèsdenous,mettantuntermeànotreéchange.Enun

éclair,Éricet lavampirevigilebondirentdans laCorvette,quisortitduparkingen trombe.Billetmoilesimitâmesaussitôt.

Ilétaittemps!Àpeinequittions-nousleparkingparuneissuequ’unevoituredepoliceentraitparuneautre,suivied’unsecondvéhicule,unVampVan,l’unedecesfourgonnettesspécialementaménagéespourtransporterdesmortsvivants,équipéesdebarreauxargentéset conduites par deux policiers au teint inhabituellement livide. J’eus le temps de voir lesdeuxvampiresenuniformesauterdeleurvéhiculeetseruerversl’entréedubar.

Nousroulâmessurunecentainedemètres,puisBillquittavivementlarouteetengagealavoituredansunpetitparkingdésert,oùilsegara.

—Bill,qu’est-ceque...Je n’avais pas fini ma phrase que déjà, il se penchait vers moi et m’attirait à lui.

Craignantqu’il ne fût en colère– après tout, jen’avaispasménagéÉric leVénérable–, jetentaidelerepousser.Naïvequej’étais!Autantessayerderepousserunchênes’abattantsurvous!Unesecondeplustard,Billavaittrouvémeslèvres.

Le moins qu’on puisse dire, c’était qu’il savait embrasser. Lorsqu’il s’écarta de moi,après un long baiser, j’avais perdu toute notion du temps et de l’espace. Je n’avais qu’unecertitude:sijedevaisunjourconnaîtrel’amour,ceseraitdanslesbrasdeBill,etdeluiseul.

—Onyva,grommela-t-ilencaressantunedernièrefoismescheveux,commeàregret.Je le regardai, intriguée. Lui avais-je déplu ? Était-il déçu parma « performance » ?

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Aprèstout,jen’avaispratiquementaucuneexpérienceenmatièredebaisers...Parailleurs,peut-êtreétait-ilpréférablequeBillnemetrouvepasàsongoût.Ilyavaità

mon sujet une ou deux petites choses que Bill ne savait pas – que personne, en fait, nesavait – et quim’obligeaient à ne pas nourrir trop d’espoirs dans le domaine sentimental.Maisj’enreparleraiplusloin.

Quand nous arrivâmes chez Granny, Bill coupa lemoteur, se leva et vintm’ouvrir laportière.Lorsquejedescendis,ils’écartapourmelaisserpasser.Ilnevoulaitmêmeplusmefrôler.

Plusdedoute,jel’avaisdéçu.Jedétournailesyeux.—Jesuisdésoléedet’avoirimportuné,dis-je,désemparée.Jenerecommenceraipas.Billneréagitpas.Puis,d’unevoixtendueàl’extrême,ilmedemanda:—Commentfais-tupourêtreaussinaïve?—Secretdefabrication,répliquai-je,morose,enmedirigeantverslamaison.Bill me suivit. Un instant, j’espérai contre toute attente qu’il allait m’embrasser une

dernière fois.Mais il secontentadedéposerunchastebaiser surmon front,puis s’éloignad’unpasetdit:

—Bonnenuit,Sookie.Pourtouteréponse,jeluiclaquailaporteaunez.

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6

S’il y avait une chose qui ne m’effrayait plus désormais, c’était l’ennui. En quelques

jours,latranquilleroutinedemonexistenceavaitétébalayéeparuntourbillond’événementsplus inattendus les uns que les autres. J’avais failli succomber à l’agression de deuxsaigneurs,avaisétésauvéeparunvampire,avaisrencontréquelques-unsdesescongénères,etpasdesplusrecommandables,découvertlecadavred’unedemescollègues,apprisledécèsde mort violente de trois autres de mes concitoyens, subi l’interrogatoire d’un inspecteurhargneux,pourfinirparéchapperdepeuàunedescentedepolicedansunbardevampires.

Etcommesicelanesuffisaitpas,j’étaistombéeamoureusedeBillCompton,levampiredeBonTemps.

Heureusement, il me restait mon travail. Andy Bellefleur semblait avoir pris seshabitudesChezMerlotte,où ilvenaitchaquejoursiroterunebièreaprèssontravail.J’étaisun peu contrariée par son insistance à choisir une de mes tables, mais il était libre des’asseoiroùillevoulait.

Aufildesjours,ilmitenplaceunpetitjeuentrenous.Chaquefoisquejepassaisprèsde lui, il fixait sespensées surune imageoudesparolesvolontairementprovocantes,dansl’espoirdemefaireréagir.Cen’étaientpastantsesfantasmes,d’unebanalitéàpleurer,quimegênaientquesonmanquetotaldedignité.Pouruneraisonquim’échappait,cethommeétaitobnubiléparl’idéequejelisedanssonesprit.

La cinquième ou la sixième fois, ilm’imagina au lit avecmon propre frère. J’étais siexcédéequemesyeuxs’emplirentdelarmes.Lorsquejeluiapportaisacommande,jelussursonvisageuntelmélangedetriomphe,dejoiemauvaiseetdehontequ’uneviolentecolèremonta enmoi. Sans penser aux conséquences demon geste, je lui jetai le contenu de sonverreàlafigureetjem’enfuis.

—Qu’est-cequisepasse?demandaSam,quimerattrapaalorsquejepoussaislaportequidonnaitsurl’arrièredubar.

Jesecouailatêteetessuyaimeslarmesdureversdelamain,tropchoquéepourparler.—Cethommet’aditdeschosesdéplacées?medemandamonpatrond’unevoixpleine

desollicitude.—Ils’estcontentédelespensertrèsfort.Ilsaitquejesuistélépathe.—Lesalaud!fitSamentresesdentsserrées.C’était la première fois que je l’entendais proférer un juron,mais cela neme consola

pas.J’éclataiensanglotsetmedétournai,gênée.—Tupeuxme laisser seule, hoquetai-je.Ça vapasser. Je suis désolée, je suis unpeu

tendueencemoment.Derrièremoi,j’entendislaportedubars’ouvriretserefermer.Jecrusd’abordqueSam

étaitrentré,maisunevoixmasculineretentit,quin’étaitpaslasienne.—Excusez-moi,Sookie,ditAndyBellefleur.—MademoiselleStackhouse,rectifiaSamd’unevoixlourdedemenaces.— Vous n’avez pas mieux à faire que de me harceler ? demandai-je. Comme, par

exemple,découvrirquiatuéDawnetMaudette?L’inspecteur avait l’air sincèrement embarrassé. Quant à Sam, s’il avait pu rugir de

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colère,ill’auraitfait.Jamaisjenel’avaisvudansuntelétatderagecontenue.—Écoutez-moi bien, Bellefleur, gronda-t-il, si vous remettez les pieds chezmoi, vous

choisissezuneautretablequecellesdeSookie.Compris?L’inspecteur toisa Sam avec hauteur. Il faisait une tête de plus que lui et devait bien

peserledouble,maisjen’auraispaspariéuncentsurluis’ilsenétaientvenusauxmains.Ildut se faire lamême réflexion, car il se contenta d’opiner du chef, avant de s’éloigner endirectionduparkingdesclients.

—Jesuisnavré,Sookie,ditSam.—Tun’yespourrien.—Rentrecheztoi,situveux.Detoutefaçon,iln’yapasgrandmondeaujourd’hui.—Pasquestion!Jefinismonservice.Jerentraidanslasalleet,m’étantassuréequ’aucunde«mes»clientsn’avaitbesoinde

moi,jepassaiderrièrelecomptoirpouressuyerdesverres.—IlparaîtqueBillComptondoitdonneruneconférencepour lesmembresduCercle

deshéritiers,cesoir?demandaSam.—C’estcequej’aicrucomprendre.—Tuyvas?—Jen’enavaispasl’intention.Ilparuthésiter.—Est-ceque...tuvoudraism’yaccompagner.Onpourraitallerprendreuncaféensuite.Jefaillisenlâchermonverre.JesongeaiaucontactdelamaindeSamdanslamienne,

lejouroùj’avaisdécouvertlecadavredeDawn,àsespenséesquim’étaientimpénétrables,àsonregardbleudélavé,siémouvant...etàlabêtisequeceseraitdesortiravecmonpatron.

—Pourquoipas?m’entendis-jerépondre.Quellesotte!Pourquoiavais-jeditcela?Ilétaittroptardpourrevenirsurmesparoles,

àprésent.Samsemblasedétendre.—Parfait,Jepasseteprendreà19h20cesoir;laréunionestàlademie.Puisilsedirigeaverssonbureaud’unpasrapide,commes’ilcraignaitquejenechange

d’avis.— Je me demande s’il aurait accepté de venir à l’église de la Sainte-Foi, dit Granny,

perduedanssespensées.Il me fallut quelques instants pour comprendre qu’elle faisait allusion à Bill et à la

conférence qu’il devait donner ce soir-là. Il était 17 heures, je venais de rentrer du travail.J’étais épuisée par les émotions des heures précédentes,mais je ne voulais rien en laisserparaîtredevantGran.

–Jenevoispaspourquoi ilauraitrefusé.Tunecroispasquec’estdufolklore, toutesceshistoiressurlesvampiresetleurhantisedescrucifix?Aufait, jevaisvenir,finalement.SamMerlottem’ademandédel’accompagner.

Grannyouvritdesyeuxrondsdesurprise.—Tonpatron?Jehochailatête.—Oh!Trèsbien,chantonna-t-elle.Defait,elleparaissaitauxanges.Laperspectivedeprésenterunvampireàsesamisdu

Cercle, la réjouissait... et celle d’apprendre que j’avais un rendez-vous avecun authentiqueêtrehumainlacomblaitdejoie.

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—Jepensequenousironsenvilleboireuncaféensuite,dis-je.Alors,net’inquiètepassijerentreplustardquetoi.

—Prendstouttontemps,machérie!Ilyavaitbienlongtempsquejenel’avaisvueaussijoyeuse.AprèsavoiraidéGrannyà

mettredanssavoiture lesThermosdecaféet lesplateauxdepetits-fourscommandéspourl’occasion, jeprisunedoucheetm’essuyai rapidement.Puis j’ouvrismapenderie, indécise.Devais-jemettreunerobe?Restersimple?Jechoisisfinalementunjeanetunpetithautensoieécruesansmanches.Avecmessandalesencuir,ceseraitparfait.Jerelevaimescheveuxen une queue-de-cheval haute, fixai mes oreilles de grandes boucles dorées et, pour toutmaquillage,passaiunpeudebrillantsurmeslèvres.

Sam sonna à cet instant. Lorsque je vis sa camionnette dans la cour, je me félicitaid’avoirmisunpantalon.Difficiledegrimperdanslacabineavecunejupeétroite!

Jeprismonsacàmain,fermaisoigneusementlaported’entréeetrejoignisSam.Nous

n’échangeâmes que quelques mots durant le trajet jusqu’à la bibliothèquemunicipale, oùdevaitavoirlieulaconférence.SterlingNorris,mairedeBonTempsetgrandamideGran,setenaitàl’entréeduvieuxbâtiment,situédanslapartielaplusanciennedelaville.

—MademoiselleSookie,vousembellissezdejourenjour!s’exclama-t-ilenmevoyant.EtcebonvieuxSam,quelplaisir!

Puisilsepenchaversmoietmurmurad’untondeconspirateur:—Ilparaîtquecevampireestdevosamis?—C’estvrai.—Vousêtessûrequenousnerisquonsrien?J’éclataiderire.—Absolument.C’estvraimentunchic...type.PlusjeconnaissaisBill,pluslemot«vampire»meparaissaitincongrupourledésigner.

J’aurais aimé disposer d’un vocabulaire plus nuancé pour le définir. Certes, je ne pouvaisdécemment pas le faire entrer dans la catégorie «hommes ». Par ailleurs, il n’était pas lemonstrequebeaucoupvoyaientenlui.Alors,quelmotdevais-jeemployer?Mortvivant?Unpeusinistre.Créature?C’étaitencoreletermelemoinsinsultant,maisilavaitàmesyeuxungravedéfaut:iln’exprimaitenrienlatroublantevirilitéquiémanaitde«mon»vampire.

— Je suppose que je peux vous faire confiance, répondit le vieux monsieur Norris,prudent.Demontemps,toutcecirelevaitdescontesdefées.

—Maisnoussommesencoredevotretemps!Levieilhommes’esclaffaetnousindiqualasalle.Sammepritparlamainetm’entraîna

vers l’avant-dernier rang de chaises métalliques que l’on avait disposées en demi-cercleautourdel’estrade.

Jeconsultaimamontre.Ilétaittoutjuste19h30,l’heureàlaquelledevaitcommencerlaconférence.Ilyavaitautourdenousunequarantainedepersonnes–unpublicconséquentpourunebourgadeperduecommeBonTemps.Cependant, j’eusbeauscruter lasalle,nullepartjenevislahautesilhouettedeBill.

Maxine Fortenberry, la corpulente présidente du Cercle des héritiers, monta surl’estrade.

—Bonsoir à tous, etmerci d’être venus aussi nombreux ! Notre conférencier nous aappeléspournousprévenirqu’ilauraitunpeuderetardàcaused’unproblèmedevoiture.Jevousproposedoncdeprocéderànotreréunionhabituelleenattendantsonarrivée.

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Tout lemonde s’installa, et il fallut écouter les ennuyeux comptes rendus de lectureshistoriques dont les membres du Cercle étaient particulièrement friands. Je m’efforçai derester concentrée sur la discussion en cours, de peur de laisser mon esprit s’ouvrir à despenséesparasites.

—Détends-toiunpeu,chuchotaSamàmonoreille.—Jesuisdétendue.—Jenesuispascertainquetusachesvraimentcequec’est,répliqua-t-il,mi-figue,mi-

raisin.Jelefusillaiduregard,sansautrerésultatquedelefairesourire.Billchoisitcetinstantpourapparaître.Ilyeutunmomentdesilencelorsquelepublic

s’aperçut de sa présence, d’autant que nombre de personnes dans l’assistance n’avaientjamaisvuunvampiredeprès.Dans la lueurblafardedesnéons, lapâleurdeBillétaitbienplus frappante que dans la lumière tamisée de ChezMerlotte. Impossible de le confondreavecunhumain.Mêmesonregardsemblaitplusnoir,plusprofond,plusmenaçant.

Unmurmure inquietparcourut lapetiteassemblée lorsqu’il s’approchade l’estrade. Ilportaitcesoir-làunpantalonenlainagebleusombreetunesimplechemiseblanchequiluiconféraient une élégance nonchalante. À mon avis, il n’aurait pu faire un meilleur choixvestimentairepoursa«présentationofficielle»auxhabitantsdeBonTemps.

Jeleviséchangerquelquesmotsàvoixbasseaveclaprésidente,quis’étaitapprochéedeluipourluisouhaiterlabienvenueetsemblaitpositivementhypnotisée.Puisilsetournaverslasalle.Avait-ildéjàlancéuncharmesurcesgens,ouétait-onsimplementdécidéàluifairebon accueil ? Toujours est-il que les murmures retombèrent, remplacés par un silenceattentif.

C’est alors qu’il m’aperçut. Je le vis froncer les sourcils, puis m’adresser un légerhochement de tête. Je lui répondis, incapable de lui sourire. Malgré la foule qui nousentourait,jepouvaispercevoirleprofondsilencequiémanaitdelui.

Maxine Fortenberry le présenta au public,mais je neme souviens pas de ses parolesexactes.Billpritensuite laparole.Ilavaitapportédesnotes,cequimesurprit.Samémoirecommençait-elleàletrahir,aprèstoutescesannées?

Prèsdemoi,Samsepenchaenavant,leregardfixésurlevisagedeBill.— ... nous n’avions pas de couvertures, et très peu àmanger, disait celui-ci. Il y a eu

beaucoupdedéserteurs.Ce dernier point n’était pas l’aspect de la guerre de Sécession que les Héritiers

préféraient,maisnombred’entreeuxhochèrentlatêteavecintérêt.Aupremierrang,unvieilhommelevalamain.

—Excusez-moi,monsieur,dit-il.Est-ceque,par leplusgranddeshasards,vousauriezconnumonarrière-grand-père,TolliverHumphries?

Billl’observaquelquesinstants,levisageimpénétrable.—Oui,répondit-ilfinalement.Tolliverétaitmonami.Ilyavaitdanssavoixuneinflexionsidouloureusequemagorgeseserra.—Commentétait-il?demandalevieilhomme,manifestementému.—Tolliverétaittrèscourageux,etilenestmort.C’étaitunbraveentrelesbraves.—Commentest-cearrivé?Étiez-vousprésent?—Oui,ditBillavecprudence.Celas’estpasséàunetrentainedekilomètresd’ici,dansla

forêt.Ilaététuéparuneballeyankee.Iln’apaseuletempsdel’éviter,ilétaittropaffaibliparlafaim.Commenoustous,d’ailleurs.

Billmarquaunepause,plongédanssespensées.Puisilpoursuivitd’unevoixlointaine:

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– Il faisait très froid ce matin-là. Tolliver a vu l’un des nôtres tomber sous un tirennemi. Ce pauvre garçon n’était pas mort, mais peu s’en fallait. Il était au milieu d’unchamp,àdécouvert,etnousappelaitàl’aide.Toutelamatinée,nousl’avonsentendugémir.Noussavionsquesipersonnen’allaitlechercher,ilmourrait.

Lasalleécoutaitdansunsilencereligieux.—C’étaitinsoutenable.J’aienvisagédel’achever,pourabrégersessouffrancesetnepas

risquer la vie d’un autre camarade. Mais je n’ai pas pu m’y résoudre. Cela aurait été unmeurtrepuretsimple.Plustard,j’airegrettécettefaiblesse.Tolliversupportaitencoremoinsquemoilesrâlesd’agoniedecemalheureux.Ils’estmisentêted’allerlechercher.J’aitentédel’endissuader,sanssuccès.Tolliverétaitplustêtuqu’unemule,etpersuadéd’êtreinvestid’unemissiondivine.Ilétaittrèspieux,soussesairsbravaches.

«J’aiessayédeleconvaincrequeleSeigneurn’auraitpasvouluqu’ilmetteainsisavieenpéril, je lui ai rappelé qu’il avait une femmeet un enfant qui l’attendaient à lamaison,maisrienn’yafait.Tolliverm’ademandédecréerunediversion,puisils’estélancéàtraverslechamp,àlavuedetous.Jen’avaispasd’autrechoixquedefairecequ’ilm’avaitdemandé.Il a réussi à rejoindre notre camarade, puis une balle a sifflé, et il est tombé. Quelquesinstantsplustard,leblesséarecommencéàgémiretàappelerausecours.

—Qu’estdevenucegarçon?demandaMaxine.—Ilasurvécu,ditBilld’unevoixsitenduequej’eneusdesfrissons.Nousavonspualler

lerécupérerdanslanuitetlesauver.Je compris alors que personne, parmi les auditeurs, n’était véritablement préparé à

entendre lerécitdecetteguerreetdeshorreursqu’elleavaitentraînées.Autourdemoi, lesgensétaientbouleversés.

Bill répondit encore à quelques questions,moins douloureuses, et la séance s’achevadansuntonnerred’applaudissements.MêmeSam,quineportaitpasBilldanssoncœur,sejoignitauxacclamations.

Rapidement, un essaim de curieux et d’admirateurs se forma autour du conférencier.Toutlemondeavaitunequestionpersonnelleàluiposer.Sametmoinouséclipsâmes.

Nous nous rendîmes au Crawdad Diner, un petit restaurant sans prétention où l’onmangeaittrèsbien.Pendantlerepas,nousparlâmesdetout...saufdeBill.

—C’étaitintéressant,ditenfinSamlorsqu’onnouseutapportéledessert.—Tuparles de la conférence deBill ?Oui, passionnant, répondis-je sur lemême ton

neutre.—Est-cequetuesamoureusedelui?Plusdirect,onnefaisaitpas.Jedécidaid’adopterlamêmefranchise.Àquoibonperdre

dutempsenvainesparoles?—Oui.—Sookie,tun’asaucunaveniraveclui.Jetentaidemeréfugierdansl’humour.—Pourtant,ilfaitpreuved’unebellelongévité.—Onnepourrapasendireautantdetoisitucontinuesàlefréquenter,maugréaSam.Jenepouvais lecontrediresurcepoint,mais jedéfendispourtant lesqualitésdeBill,

autantparfiertéqueparrefusd’entendrelapropositiondeSam,quiseprofilaitderrièresesparolespleinesdebonsens.

— Enfin, Sam, tu n’as pas le droit de le juger aussi durement ! dis-je finalement,exaspérée.

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—Jenelejugepas.Maisilsetrouvequejet’aimebien.Commeuneamie,oupeut-êtreautrement.

Ilrougitlégèrement.Sesyeuxbleupâlecherchèrentlesmiens.—Jenevoudraispasqu’ilt’arrivedumal,ajouta-t-il.Jeleregardai,malàl’aise.—J’aitoujourseudel’affectionpourtoi,Sookie.—Tun’étaispasobligéd’attendrequ’unautrememontrede l’intérêtpourme le faire

savoir.—C’estvrai.Jeméritecequim’arrive.Ilparutcherchersesmotspourdireautrechose,sanstoutefoiss’yrésoudre.—Rentrons,décidai-je.Etantdonnéletourqu’avaitprislaconversation,jenevoyaispascequenouspouvions

ajouteràcequiavaitdéjàétédit.Àplusieursreprises,pendantletrajetderetour,jevisSamsur lepointdeparler,puisseraviser,commes’ilne trouvaitpas lecouragededirecequ’ilavaitsurlecœur.

Lacourétaitplongéedans l’obscurité,maisGrannyavait laisséalluméela lampede lavéranda.Jenevispassavoiture.Sansdoutel’avait-ellegaréederrièrelamaisonpourpouvoirdécharger plus facilement tout ce qu’elle avait apporté à la conférence. Arrivé devant lavéranda,Samgaralacamionnetteetlacontournapourvenirm’aideràdescendre.

Manque de chance,mon pied dérapa sur lamarche, et je perdis l’équilibre. Je seraistombéesiSamnem’avaitrattrapéeauvol.J’allaisleremercierlorsqu’ilm’attiracontrelui.

Seslèvresseposèrentd’abordsurmajoue,maissanss’yattarder.Ilcherchamabouche,

qu’il trouva. Jeme laissai faire. Ce n’était pas désagréable, loin de là...Heureusement,maconscienceseréveillaet,medonnantunetapesurl’épaule,protesta:«Disdonc,fillette,c’esttoutdemêmetonpatron!»

Jemedégageaidoucement,maisfermement,del’étreintedeSam.Celui-cimepritalorslamainavecdouceuretmeconduisitjusqu’aupieddesmarchesdelavéranda.

—J’aipasséunetrèsbonnesoirée,dis-jeàvoixbasse.—Moiaussi.Onremetçaundecesjours?—Jenesaispas...peut-être.Jen’avaisaucuneidéedessentimentsquej’éprouvaispourSam.Ilmefallaitunpeude

temps.Ildutlecomprendre,cariln’insistapas.J’attendisqu’ilquittelacourauvolantdesacamionnette et éteignis la lampe de la véranda. Puis je me dirigeai vers ma chambre enbâillant.J’étaisexténuéeetimpatientedemecoucher.Pourtant,jem’immobilisaisoudain.

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Ilyavaitquelquechosequin’allaitpas.Jeregardaiautourdemoi,malàl’aise.Toutétaitexactementcommed’habitude.Tout...

sauf l’odeur. Jehumai l’air.Une senteur inhabituelle flottait dans lamaison... une senteurcuivrée,âcre,unpeusalée.

L’odeurdusang.—Granny?appelai-jed’unevoixtremblante.Commeellenerépondaitpas,jemerendisdanssachambre.Lapièceétaitvide.Unàun,

j’allumailesplafonniersdelamaison.Machambreétaitvide.Lasalledebainsétaitvide.Lacuisineétait...

Je poussai un hurlement d’horreur. J’avais l’impression que mon cri ne s’arrêterait

jamais.Puis j’entendisunbruitdechute,etdeuxpuissantesmainsse refermèrent surmoipourme faire pivoter. La silhouette d’un homme s’interposa entremoi et l’intérieur de lacuisine,memasquantl’effroyablevision.

Je fus soulevée entre deux bras solides, avant d’être déposée avec précaution sur lecanapédusalon,loindelacuisineetduspectacleterrifiantquej’yavaisdécouvert.Cen’estqu’alorsquejereconnusBill,penchésurmoiavecsollicitude.

—Sookie!dit-ilavecfermeté.Cessedehurler,çanesertàrien.Lafroideurdesontonfutefficace.Jemetusaussitôt.—Excuse-moi,murmurai-jeenreprenantmesesprits.—Trèsbien.Ilfautappelerlapolice.—Oui.Commejeneréagissaispas,ilreprit:—Ilfautcomposerlenumérodelapolicesurlecombinédutéléphone,Sookie.—Elleest...morte?—Oui.—Tul’astuée?—Nedispasdesottises!J’avais perdu toute notion de la réalité. Je ne voyais qu’une seule image : Granny,

étenduesansviesurlecarrelagedelacuisine,baignantdansunemaredesang.JeregardaiBillsansvraimentlevoir.

—Alors,quefaisais-tuici?Tagrand-mèrem’aproposédemedéposeràComptonHouse,mais j’aid’abord insisté

pourquenouspassionsici,pourl’aideràdéchargersaVoiture.—Pourquoies-turesté?—Pourt’attendre.Jenevoulaispasquetusoisseulelorsquetuladécouvrirais.—Tun’aspasappelélapolice?—Pourêtreaussitôtaccusédumeurtreetquelecoupablecontinueàcourirenliberté?—Oui,biensûr...Jeposaiensuitelaquestionquimebrûlaitleslèvres.—Est-cequetuasvulapersonnequil’atuée?—Non.J’étaisrentréchezmoipourmechanger.De fait, il portait à présent un jean et un tee-shirt à l’effigie d’un groupe de rock des

annéessoixante-dix,TheGratefulDead.Lesmortsreconnaissants.Jelaissaiéchapperunfourirenerveux.Puisj’éclataiensanglots.Toutenhoquetant,jemelevaietcomposaile911.

Cinqminutesplustard,AndyBellefleurfrappaitàlaporte.

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Jasonarrivadèsque jepus le joindre.Aprèsavoirappelédiversendroitsoù jepensaisqu’ilpouvaitêtre, j’avais finipar le trouverChez Merlotte.TerryBellefleur tenait lebarcesoir-làenl’absencedeSam.Je luiavaisdemandédedireàJasondevenirdetouteurgencechez Granny et de prévenir Sam que je risquais d’être absente quelques jours. Il avait dûs’acquitterde la commission immédiatement, carSamarrivaà lamaisonunequinzainedeminutesplustard,suividepeuparJason.

Lorsquej’annonçaiàmonfrèrequeGrannyétaitmorte,quiplusestdemortviolente,ilme regarda d’abord sans réagir. Puis il parut enfin comprendre le sens demes paroles. Lecœurbrisé, je levis tomber lentement sur sesgenoux, comme, si lepoidsde sa souffranceétaittroplourdpourlui.Jel’imitaietleserraicontremoi,incapabledetrouverlesmotspourallégersapeine.

Nous demeurâmes ainsi de longues minutes, sans rien dire, accablés par la mêmedouleur.Aprèsnosparents,c’étaitGrannyquinousquittait.Jen’avaisplusqueluiaumonde,etiln’avaitplusquemoi.

Nous rejoignîmes ensuite Bill et Sam, qui étaient sortis dans la cour pour laisser lechamp libre aux enquêteurs dépêchés par la police. La nuit était douce, le ciel parseméd’étoiles. Avec la maison tout éclairée et les nombreuses allées et venues des agents, onauraitpresquepucroirequeGrannydonnaitunefête.

—Ques’est-ilpassé?demandaJasond’unevoixbriséeparlechagrin.—Quandjesuisrentréeàlamaison,expliquai-je,omettantdélibérémentmasoiréeau

restaurantavecSam,j’aieul’impressionquequelquechoseclochait.J’airegardédanstouteslespièces.Grannyétaitdanslacuisine.Ilétaittroptardpourlasauver.

—Dis-moicequetuasvuexactement,insistaJason.Jen’enavaisaucuneenvie,maismonfrèreavaitledroitdesavoir.Elles’estdébattue,celasevoyaitàsesvêtementsdéchirésetàsonchignondéfait.Jene

saispasquiafaitça,maisc’estunebrute.Elleaperdubeaucoupdesang.Lemeurtrieradûlablesserenessayantdelamaîtriser,avantdel’étrangler.

Jedétournailesyeux,incapabledesupporterladouleurdeJason.—C’estdemafaute,ajoutai-jedansunsanglot.—Allons,nedispasn’importequoi.—Je sais trèsbienceque jedis.Cen’estpasellequ’il venait tuer,maismoi.Comme

Dawn,commeMaudette.Seulement,jen’étaispaslà.Alors,ils’enestprisàelle.—TusavaisqueGranavaitdécidédetelaissercettemaison?JeregardaiJason,interloquée.Etait-cebienlemomentd’abordercettequestion?—Non,jenelesavaispas.J’aitoujourspenséquenousdevionslapartager,commecelle

depapaetmaman.—Ellet’aaussilaissétoutleterrain.—Jason,je...—Ellen’enavaitpasledroit!s’écria-t-ilsoudain.Je vis Sam frémir, visiblement indigné par l’attitude de Jason. Quant à Bill, ses yeux

avaientprisunéclatplusfroidquel’acier.—Etmaintenant,poursuivitJasond’untonrageur,c’esttroptardpourychangerquoi

quecesoit!Onnepeutrienyfaire!Rien!Il avait achevé saphrasedansun cri d’enfant colérique.Billmeprit par lamainpour

m’entraîner avec lui dans la cour, mais avant de le suivre, j’eus le temps de voir Sams’approcherdeJason.

—Commentpeut-ilproférerdetelleshorreurs?murmurai-je,choquéeau-delàdetoute

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expressionparl’attitudedeJason.—Ilnelespensepas.JemetournaiversBill,stupéfaite.—Pardon?—Ilnepensepascequ’ildit.D’unsigne,jel’invitaiàpoursuivre.— Il est terrifié par sa propre impuissance à sauver votre grand-mère, et il se sent

affreusement coupable. De plus, il a peur de ne pas savoir te protéger du danger qui temenace. Il a besoin d’exprimer sa colère, alors il s’empare du premier prétexte venu, aurisquedesemontrerinjusteetviolent.

JeregardaiBillsanscachermonétonnement.—Commentsais-tutoutcela?—Oh,j’aiunpeuétudiélapsycho.Encoursdusoir.Unchasseurdoitconnaîtresaproie,nepus-jem’empêcherdesonger.—Cequej’aimeraiscomprendre,c’estpourquoiGrannym’alaissélamaisonaulieude

lapartagerentremonfrèreetmoi.—Tufinirasbienparledécouvrir.Àcet instant,Bellefleursortitde lamaisonetsepostasur lavéranda, lesyeuxvers le

ciel,commes’ilespéraitytrouverunepiste.—Compton!appela-t-il.J’aiquelquesquestionsàvousposer!Sansluirépondre,Billsetournaversmoi.—Jecommenceàcomprendrepourquoitum’asdemandédet’accompagnerdanscebar

deShreveport,murmura-t-il.Tuespéraisprouverqued’autresvampiresquemoipouvaientavoirtuéDawnetMaudette.Tuvoulaismeprotéger,n’est-cepas?

Jenerépondispas.—Etmaintenant,poursuivitBilld’unevoixtendue,tucrainsqueBellefleurn’essaiede

m’imputerlamortdetagrand-mère.—Oui,avouai-jedansunsouffle.Nousavionsgagnélecouvertdesarbres,àlalisièredubois.Bellefleurnepouvaitnous

voirdepuislavéranda.IlcriaàplusieursrepriseslenomdeBill.—Sookie,ditcedernier,jesuispersuadé,toutcommetoi,quec’esteffectivementtoiqui

auraisdûmourircesoir.Jeréprimaiunfrisson.—Cen’estpasmoiquiai tuéDawnetMaudette, reprit-il.Par conséquent, si les trois

meurtres ont été commis par une seule et même personne, mon innocence est évidente.L’inspecteurfinirabienparlecomprendre,mêmesic’estunBellefleur.

Àpaslents,nousrevînmesverslamaison.J’auraisvouluqueles lumièress’éteignent,que tous ces gensdisparaissent, que tout redevienne commeavant, quandGranny était là,sourianteetbienvivante.

Perduedansmespensées,jenevispaslecouparriver.Mon frère apparut soudain devantmoi etme donna une gifle. Ce fut si violent et si

inattenduquejevacillaiettombaisurlesol.Dansunéclair,jevisJasonsepencherversmoipour tenterdeme frapperdenouveau,puis lesmainsdeSametdeBillqui l’empoignaientpour l’éloigner. Les canines de Bill dépassaient de ses lèvres, lui donnant une expressioneffrayante.

Bellefleurarrivaencourantpourséparerlestroishommes,tandisquejemerelevaisen

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chancelant,unemainsurmajouedouloureuse.—C’estbon,Compton,l’entendis-jedire.Ilnelafrapperaplus.Jenepouvaispasmeconnecterà l’espritdemedeuxsauveurs,mais jesavaisqueBill

avaitdes enviesdemeurtre etqueSamn’en étaitpas loin.Mon frère sanglotait, incapabled’une pensé cohérente. Quant à Bellefleur, il nous haïssait tous et n’avait qu’une envie :boucler les quatre cinglés que nous étions, chacun à notre façon, sous n’importe quelprétexte.

Dans un brouillard, je regardai Bill suivre l’inspecteur vers la maison. Une immenselassitudes’emparademoi.Jem’appuyai surSam,prisedevertige.Cetteeffroyablenuitnefiniraitdoncjamais?

—Jesupposequetuvasdéménager,ditMaxineFortenberry,quiétaitvenueàlamaison

medonneruncoupdemainpourremettrelacuisineenétat.Jelaregardaiavecsurprise.—Pasdutout.—Tuveuxrestericiaprèscequis’estpassé?Tun’ypensespas,machérie!—J’aiplusdebonssouvenirsquedemauvais,danscettepièce.Maxinemejetaunregardétonné.—Jecroisquetuasraison.C’estlameilleurefaçondevoirleschoses.Tuesbienplus

finequ’onlepense,Sookie,ajouta-t-elleavecdouceur.—Merci,dis-je,nesachantquerépondre.—Est-cequetonamivaassisterauxfunérailles?—VousparlezdeBill?Non,biensûr.Elleparutperplexe.—L’enterrementauralieuenpleinjour,expliquai-je.Maxinenesemblaittoujourspascomprendre.—Ilnepeutpassortiràlalumièredujour.—Oh!Suis-jesotte!Ilbrûleraitvraiment?—C’estcequ’ondit.—Tusais,c’estunebonnechosequ’ilaitdonnécetteconférencedevantleCercle.Cela

permetauxgensd’icidecomprendrequetouslesvampiresnesontpasdesmonstres.Pourmapart,jesuispersuadéequ’ilestinnocentdecestroismeurtres,maisj’aientendudirequ’ilrecevaitchezluidesvampiresassezinquiétants...

Faisait-elleallusionàDiane,MalcolmetLiam?—Lesvampiresnesontpastouslesmêmes,Maxine.—C’estexactementcequej’aiditàAndyBellefleur!BillComptonn’estpascommeles

autres ; il essaie de s’intégrer, lui. La preuve, il est revenu s’installer sur la terre de sesancêtres.Tiens,ilparaîtqu’ilvientdefinirdefaireinstallersacuisine.J’espèrequ’ilaengagél’ancienouvrierdelamenuiserie,celuiqui...

Je laissaiMaxine poursuivre son soliloque, trop épuisée pour lui donner la réplique.Toutdemême, j’auraisbienaiméqu’onmedisequelusageunvampirepouvait faired’unecuisine.

Lesobsèques furentgrandioses.Granny futenterréeauxcôtésdemamèreetdemonpère, dans le caveau familial du cimetière de Renard Parish, entre Compton House et lamaisonquiétaitdésormaislamienne.

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Jasonavaiteuraison,dumoinssurcepoint.Lapropriétémerevenaitdanssatotalité,

ainsique le terrainet le revenud’unpuitsdepétrolequeGrannypossédait.Son testamentstipulaitquelepeud’argentqu’il luirestaitdevaitêtrepartagéentreJasonetmoietquejedevaiscéderàcelui-cimapartdelamaisondenosparentssijevoulaisentrerenpossessiondelamaisonqu’ellemelaissait.

Je songeai que les revenus du pétrole seraient les bienvenus pour faire face auxinévitables fraisquim’attendaient, impôts, taxes foncièreset réparationsde lamaison,queGranprenaitjusqu’àprésentàsacharge,dumoinsenpartie.

Durantlacérémonie,Jasonsetintàmoncôté.Ilsemblaitavoirrecouvrésoncalme–dumoinsnememanifesta-t-ilaucunehostilité.Iln’eutaucungesteenversmoi,nid’agressiviténidecompassion.

J’éprouvais un sentiment de solitude extrême. Il me semblait que le monde entierm’avaitabandonnée.Puisjelevailesyeuxetvislafoulequiavaitenvahilecimetière.Non,jen’étais pas seule. Ils étaient tous là : Sam, dans un costume sombre qui lui donnait l’airétrangeràlui-même,Arlèneenrobeàfleurs,Renéàsonbras,Lafayetteunpeuplusloin,encompagniedeTerryBellefleuretdeCharlsieTooten(lebarétaitdoncfermé?),ainsiquetouslesamisdeGranny,levieuxM.Noms,Maxineetlesautres...

Du restede la journée, jenemesouviensqued’unévénement,quidemeuredansmamémoiretelleuneîleauxcontoursnets,surgissantdelabrume.

Jason et moi nous trouvions dans le salon pour accueillir les condoléances de nos

concitoyens,quidétournaient lesyeuxdema joueencore tuméfiée.Une femmes’approchadenous,maladroitemaispleinedebonnesintentions.

—Commec’esttristepourvous,mesenfants.Jelaregardai,cherchantenvainàmeremémorersonnom.—Quandjevousvoislà,touslesdeux,siseuls,jenepeuxpasm’empêcherdepenserà

vospauvresparents. Je réprimai un mouvement d’impatience. Où voulait-elle en venir ? Oh, non !

J’entendissespenséesavantqu’ellenelesexprime,maisilétaittroptardpourlafairetaire.—Ceque jenem’expliquepas,poursuivit-elle, c’est l’absencedevotregrand-oncle, le

frèredevotregrand-mèreAdèle.Ilesttoujoursdecemonde?—Nousn’avonsplusderelationsaveclui,répondis-jed’untonsecquiauraitdécouragé

n’importequi,saufelle.—Toutdemême,c’étaitsonuniquefrère!Ildevrait...Lerestedesaphrases’éteignitlorsqu’ellecaptaenfinmonregardfurieux.—Ilfautinformerl’oncleBartlettdudécèsdeGran,ditJasondèsqu’elleeutdisparu.—Appelle-lesituveux.—Trèsbien.Cefurentlesseulesparolesquenouséchangeâmesdelajournée.

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7

Jerestaiàlamaisondurantlestroisjournéesquisuivirentl’enterrement.Letempsme

parut long, j’étais impatiente de reprendre mon travail. Néanmoins, j’avais besoin d’unepausepourrangerlamaisonetaccepterlamortdeGranny.

Les premiers jours, tout m’était souffrance – les livres empilés sur sa table de nuitqu’elle ne finirait jamais, les jardinières de pétunias qu’elle ne viendrait plus humer à latombée de la nuit, et son parfum de rose un peu fanée qui flottait encore dans toutes lespiècesdelamaison...

Heureusement,Arlènevintm’aideràemballer toutessesaffaires.JeneconservairiendeGranny,exceptésesbijoux,defaiblevaleurmarchandemaissiprécieuxàmesyeux.

Je mis à profit ces journées de repos forcé pour procéder à un grand ménage de lamaison. Avec une muette prière d’excuse à Granny, je déplaçai des meubles, enlevai lesrideaux,jetaioudonnaidenombreuxobjetsauxquelsjen’étaispasattachée.Cettemaisonnedevaitpasdevenirunmausolée;Grannel’auraitpasvoulu.

Arlènemedemanda ce que je comptais faire de la voituredema grand-mère,mais jerepoussaiàplustardmadécision.Pourl’instant,jen’avaisd’énergiequepourm’occuperdelamaison.Leresteattendrait.

NousdéfîmeslelitdeGrannyetretournâmeslematelaspourl’aérer.Ils’agissaitd’unlit à baldaquin à l’ancienne, que j’avais toujours trouvé très élégant. Tout à coup, je prisconsciencequ’ilm’appartenait,désormais.Si je levoulais, jepouvaism’installerdanscettechambre et profiter de sa petite salle d’eau attenante, au lieu d’utiliser la salle de bains àl’autreboutducouloir.

Enuneseconde,madécisionfutprise.Ilétaittempsdetournerlapageetdequittermapetitechambred’enfant,avecsesmeublesblancsetsesrideauxàfleurs.

LorsquejefispartdemonidéeàArlène,ellesursauta.—Cen’estpasunpeutôt?Puisellerougit,sansdoutegênéedes’êtremontréecritique.—Jepréfèreêtreiciquedel’autrecôtéducouloir,àpenseràcettegrandepiècevide.—Tuaspeut-êtreraison,admit-elle.Nous chargeâmes les cartons remplis des affaires deGrannydans la voiture d’Arlène,

qui devait les déposer en ville, dans un centre qui venait en aide aux nécessiteux. Puisj’embrassaichaleureusementmonamie.

—Passeàlamaisonundecesjours,dit-elle.Lisaseraraviedetevoir.—Embrasse-lademapart,etCobyaussi.—Promis.Elle sedétourna, samassedecheveux roux flottant sur sesépaules, etmontadanssa

voiture.Après undernier signe de lamain, elle tourna aucoin de la cour pour s’engager dans

l’allée.Ilme semblaen lavoyant s’éloignerqu’elle emportait avecelle toutemonénergie. Je

mesentissoudainépuisée,vieille,inutile.Jerentraiàpaslentsdanslamaison,songeuse.Àquoiressembleraientmesjournées,àprésentqueGrannyn’étaitpluslà?

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Je n’avais pas faim, bien que l’heure du dîner ait sonné depuis longtemps. Je medébarrassai demes vêtements couverts de poussière et pris une longue douche. J’en avaisbesoin,autantpourmelaverquepourvidermonespritdesespenséesmorosesetdétendremoncorpsépuiséparcestroisjournéesdegrandménage.

On sonna à la porte alors que je venais de sortir de la douche et d’enfiler un pyjamapropre.J’allaiouvrir,lescheveuxencorehumides,maservietteetmonpeigneàlamain.

Avant d’ouvrir la porte, je jetai un coup d’œil par le judas. Bill se tenait sur le seuil.Étonnéeparmonabsencederéaction– jen’étaisnigaieni tristede levoir–, je l’invitaiàentrer.

Cen’estqu’encroisantsonregardsurprisquejem’aperçusquec’étaitlapremièrefoisqu’ilmevoyait«nature»,nicoifféenimaquillée.

—Jenetedérangepas?Jepeuxrevenir,situesfatiguée.—Non,non.Entre,jet’enprie.Unefoisdanslamaison,commeàsonhabitude,ilobservaautourdeluiavecattention.

Sesyeuxseposèrentsurlapiledecartonsquiattendaientdansl’entrée,emplisd’affairesdeGranny qui pouvaient intéresser ses amis – photos jaunies, journaux anciens, petitssouvenirsd’uneépoquequejen’avaispasconnue.

— J’ai trié ses affaires aujourd’hui, expliquai-je à Bill. Je vais m’installer dans sachambre.

Jemetus,nesachantqueluidire.Sansunmot,ilmepritlepeignedesmains.—Viens,dit-ilendésignantlecanapé,jevaistedémêlerlescheveux.J’aurais pu refuser, mais j’obéis. Je crois que j’étais trop épuisée pour protester. Je

m’assissuruntabouretbastandisqueBillprenaitplacesurlecanapé.Puismoncompagnonentrepritdemecoiffer.

Comme toujours, je retrouvai avec soulagement le silence de son esprit. C’était unesensationsemblableàcellequivousenvahitlorsquevousposezlespiedsdansl’eaufraîched’unerivièreaprèsunelonguemarcheparunejournéed’été.

Je fermai les yeux pour savourer la douceur et la dextérité de Bill. Peu à peu, jemelaissaigagnerparuneagréable torpeur.Lecalmede lanuitétait tombésur lamaison, toutétait tranquille. Seuls les crissements du peigne dans mes cheveux résonnaient à mesoreilles.

Ilme semblait presque entendrebattre le cœurdeBill... ce qui était absurde, puisquesoncœurnebattaitplus.

—J’avaisl’habitudededémêlerlescheveuxdemasœurSarah,expliquaBillàmi-voix.Ilsétaienttrèslongs.Ellenelesajamaiscoupés.

—Elleétaitplusjeunequetoi?—Oui,c’étaitlapluspetitedemestroissœurs.—Vousétieznombreux?—Mamèreaeuseptenfants,maiselleenaperdudeuxàlanaissance.Puismonfrère

Robert estmort. Il avait douze ans, etmoi onze.Unemauvaise fièvre. Aujourd’hui, on luiauraitfaituneinjectiondepénicillineettoutseraitrentrédansl’ordre,maisàl’époque,onneconnaissaitpasça...Sarahetmamèreontsurvécuàlaguerremaispasmonpère.Ilestmortpendant que j’étais au front. Par la suite, j’ai compris qu’il avait été victime d’une attaqued’apoplexie.

—Oh,Bill!murmurai-je.Tuasvumourirtantdegens!—Oui...Il continuademe coiffer quelquesminutes en silence, jusqu’à ceque lepeigne glisse

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sansobstaclejusqu’auxpointesdemesmèches.Puisilpritlaserviettequej’avaisposéesurlecanapéetentrepritdemesécherlescheveux.Jelaissaiséchapperunsoupirdebien-être.Quec’étaitagréabledem’abandonnerainsiàlui!

Soudain,sonsoufflemechatouillalecou.Ilposaseslèvresaucreuxdemanuqueetmedonnaunbaiser très tendre.Un frissondeplaisirmeparcourut,quis’accentua lorsqueBillme mordilla le lobe de l’oreille. Puis mon compagnon referma ses bras autour de moi etm’attira contre lui. Avec une facilité déconcertante, il me fit pivoter, avant dem’asseoir àchevalsursesgenoux.

Pourlapremièrefoisdemavie,jepercevaisledésirqueressentaitunhomme,rienquesondésir.Aucunepenséeparasitenevenaitgâcherlamagiedel’instant.Iln’yavaitplusquelui et moi, et la formidable attirance qui me poussait vers lui. Incapable de résister à latentation,jemepenchaiversluipourluioffrirmeslèvres.J’enrêvaisdepuissilongtemps!

Cebaiserfutexactementtelquejel’avaisimaginé–lentetimpatientàlafois,tendreetbrûlant,rassurantetdélicieusementexcitant...

Brusquement,Bills’écartademoi,mesoulevaetseleva.—Où?demanda-t-ilsimplement.Savoixétaitrauquedepassion,etpourtantsimélodieusequ’unfrémissementsensuel

mefittremblerdelatêteauxpieds.Dumenton,jedésignaimatoutenouvellechambre.Bills’yrenditsanshésiter,puismedéposasurlelitauxdrapsfrais.

Dans la clarté lunaire qui passait par la fenêtre sans rideaux, sa haute silhouette sedécoupait, révélant la grâce virile de ses mouvements. Sans dissimuler ma curiosité, je leregardai se dévêtir. Peut-être attendait-il que j’en fasse autant,mais une soudaine timiditémeretenait.

Auprixd’uneffortsurmoi-même,jem’assissurle litetôtaimonpyjama,quejejetaisur le sol. Jen’osai toutefois enlever la simple culotte en cotonque jeportais– ledernierrempartdemapudeur.

Je levai les yeux vers Bill qui, immobile au pied du lit, observait les courbes demoncorps presque nu avec un plaisir manifeste. C’était une expérience à la fois délicieuse etterrifiante – et tout à fait inédite pour moi – que d’être ainsi regardée par un hommevisiblementprêt pour les jeuxde l’amour.L’inquiétudeme saisit lorsque je songeai que jen’avaispaslamoindreidéedecequ’ilattendaitdemoi.

—J’aitellementpeurdetedécevoir,Bill!murmurai-jelorsqu’ils’étenditauprèsdemoi.Ilm’adressaunclind’œilcomplice.—Impossible.Ilmedévisageaavecgourmandise.—C’estque...jen’aipasbeaucoupd’expérience,poursuivis-je.—J’enaipourdeux,répliquaBill,toutenposantsurmoiunemainautoritaire.Je fermai les yeux. La paume de Billm’effleurant lentement, d’abordmon bras, puis

mon épaule et mes hanches, avant de s’aventurer vers des régions de mon corps quepersonnen’avaitjamaistouchées.Jenetardaipasàm’abandonnerauxsensationsnouvellesquesesdoigtssavantséveillaientenmoi,etbientôt, jemesurprisàcambrer lesreinspourmieuxaccueillirsescaressesdeplusenplusaudacieuses.

Puis un long gémissement de plaisirm’échappa, suivi d’un petit soupir d’impatience.LescaressesdeBillnemesuffisaientplus.J’avaisbesoindelesentirplusprochedemoi...Enmoi.

—Est-ce que... ce sera différent ? Je veux dire, par rapport à un homme ordinaire ?demandai-jedansunsouffle.

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—Ceserameilleur,répondit-ilàmonoreille,avivantmonimpatience.D’ungesteque je savaismaladroit, je refermaimamain sur sonmembredurci par le

désir.Bill gémitdeplaisir. Je fermai les yeux, effrayéepar lesparolesque jem’apprêtais àprononcer.

—Maintenant?—Oui,dit-ilenroulantsurmoi.Quelques secondes plus tard, il comprenait enfin ce que j’avais voulu dire en le

prévenantdemoninexpérience.Ils’immobilisa.—Ilfallaitmeledire!megronda-t-ilavectendresse.Pourquoi ne bougeait-il plus ? J’avais l’impression que j’allais mourir s’il s’arrêtait

maintenant.—S’ilteplaît,continue...dis-jeenfermantlesyeux.—Jeneveuxpastefairemal.Pourtouteréponse,jesoulevaileshanchespourveniràsarencontre.Ilémitunhoquet

de surprise ravie... et plongea en moi. Une soudaine douleur me traversa, rapidementremplacéeparunevaguedevolupté.

Billcessadenouveautoutmouvement.Lorsquej’ouvrislesyeux,ilétaitau-dessusdemoi,immobile,tremblant,fiévreux,etme

couvaitd’unregardanxieux.—Tuasmal?demanda-t-ild’untoncoupable.—C’estpassé.Jet’ensupplie,net’arrêtepas...Ilparuthésiter,puisseretiralégèrement,avantd’entrerdenouveauenmoi.Quelques

instantsplustard,j’euslasurprisedesentiruneondedeplaisirnaîtreauplussecretdemoncorpsetmegagnerrapidement.

—Oh,Bill!gémis-je,désarméeetémerveilléeàlafoisparceprodige.Bill!Quelquessecondesplustard, j’étaisemportéeparuneformidablevaguede jouissance.

Je laissai échapper un cri de plaisir. Bill approcha ses lèvres demon cou, où il planta sescaninesavantdemerejoindredansl’extase.

Jeleserraicontremoi,éperduedereconnaissance.Jamaisjen’oublieraisl’odeurdesapeaucontrelamienne,lacaressedesonsouffledansmoncou,levertigequim’avaitsaisieaumomentleplusparfaitdenotreunion...

Jamaisjen’oublieraismapremièrefois.Bill roula sur le côté etm’attira contre lui. Son torse se soulevait encore àun rythme

saccadé;soncœurbattaitlachamade.—Jesuislepremier,dit-ilsimplement.—Oui.—Oh,Sookie!Ildéposaunbaisersurmonfront.—Je t’avais dit que je n’avais pas beaucoup d’expérience... J’espère que je ne t’ai pas

tropdéçu.Billeutundesespetitsriressilencieux.—Déçu?Tuveuxrire!Tuesmerveilleuse.Jeposailamainsurmonventre.—Est-cequejevaisavoirmalpendantlongtemps?—Un jour ou deux, si je me souviens bien... La seule jeune femme vierge que j’aie

connueétaitmonépouse,etcelasepassaitilyaunsiècleetdemi.— Il paraît que ton sang apaise la douleur, suggérai-je, un peu gênée par ma propre

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audace.Danslafaibleclartéquibaignaitlachambre,jevisBillhausserlessourcils.—Exact.Tuenveux?Jehochailatête.Alors,Billsemorditl’avant-bras.Cefutsisoudainquejesursautaide

surprise.Puisjelevispasserundoigtdanssonsangetleglisserentremescuisses.Quelquesinstantsplustard,ladouleurs’étaitévanouie.

—Merci,murmurai-je,unpeuhonteuse.Pourquoin’enlevait-ilpassondoigt?—Jemesensmieuxmaintenant,Bill.Maisilpoursuivitsatendrecaresse,sesyeuxdanslesmiens.—Oh,tuveuxencore...Déjà?Tupeux?Ilmedécochaunclind’œilcoquin.—Constatepartoi-même,dit-ilenroulantsurmoi.Effectivement,iln’avaitpasmenti.—Dis-moicequetuveuxdemoi,murmurai-je.Je repris le travail le lendemain.Aubar, rienn’avait changé. Je retrouvai lebrouhaha

des voix dans la salle, la cacophonie des pensées parasites, les plaisanteries des clients...C’étaitunjourcommetouslesautres.

Pourtant, je parvins plus facilement à tenir à distance ce «bruit mental ». J’avaisl’impressiond’êtreunefemmenouvelle,épanouie,plussûred’elle.Monchagrinétaitencorevif,mais j’accueillis avec calme les condoléancesdemes collègues etdeshabituésde ChezMerlotte.

Jason arriva à l’heure du déjeuner et commanda, en plus de sonhabituel hamburger,deux bières. Cela ne lui ressemblait pas. Jamais je n’avais vumon frère boire un jour detravail.Cependant,decraintedelemettreencolère,jem’interdislamoindreremarque.Jeluidemandaiseulementsitoutallaitbien.

—Lesflicsm’ontencoreconvoqué,maugréa-t-il.—Quevoulaient-ils?

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—Toujourslamêmechose!SavoirsijevoyaissouventMaudette,sij’allaisfairelepleind’essencelàoùelletravaillait,quellesétaientmesrelationsavecelle...

Ilbutunegorgéedebière.—Monchefcommenceàenavoirassez,etmoiaussi.J’aiperdupresquetroisjournées

detravailàcausedecettehistoire.—Tudevraispeut-êtreprendreunavocat.—C’estaussicequepenseRené.—Quedirais-tudeSidMattLancaster?SidneyMatthew Lancaster avait la réputation d’être l’avocat le plus agressif du coin.

Pourtantjel’aimaisbien.Ilmeparlaittoujoursavecrespectlorsqu’ilvenaitaubar.—Ilestpeut-êtreleplusindiqué,ditJasonsongeur.Nouséchangeâmesunregard.Jasonsavaitaussibienquemoique l’avocatdeGranny

neferaitpaslepoidssi,parmalheur,ilétaitarrêté.Si mon frère était trop absorbé par ses propres soucis pour prêter attention aux

changementsquis’étaientopérésenmoi,celan’échappapasàArlène.Alapremièreoccasion,elles’approchademoi.

—Jemetrompe,outuasprisdubontemps?Jerougisjusqu’àlaracinedescheveux.Dubontemps?Nonseulementlaformuleme

choquaitparsavulgarité,maiselledonnaitàmarelationavecBilluncaractèrelégerqu’ellen’avaitpas.

JenesusquerépondreàArlène.«Non,j’aifaitl’amour»?Troppersonnel.«Mêle-toidetesaffaires»?Pastrèsaimable.«Mieuxqueça»?Impossible,jen’auraispasosé.Jemecontentaid’adresseràmacollègueetconfidenteunsourireentendu.

—Onpeutsavoirquiestcetheureuxhomme?—Je...C’est-à-dire...Cen’estpasun...—Ungarsd’ici?—Oui.Jeveuxdire,non.Enfin,si.Arlènemejetaunregardperplexe.—Ce n’est pas Sam, tout demême ? J’ai eu l’impression qu’il te tournait autour, ces

dernierstemps.—Non.—Alors,quiest-ce?Voilàque jemecomportaiscommesi j’étaiscoupable.«Dunerf,SookieStackhouse !

Redresseledos,regardeArlènedroitdanslesyeuxetdis-luilavérité»,m’ordonnai-je.—C’estBill.Moi qui avais espéré qu’elle me gratifierait d’un clin d’œil complice ou d’une

exclamationadmirative,j’enfuspourmesfrais.Sonvisagen’exprimaitrien.—Bill?Ducoindel’œil,jevisqueSamnousécoutaitetqueLafayettes’étaitapprochédenous.

Même Charlsie Tooten avait comme par hasard des verres à ranger là où nous noustrouvions.

—Maisoui,Bill.Tusaisbien,insistai-je,malàl’aise.—BillAuberjunois?—Non.—Bill...—...Compton,ditSamd’untongrinçant,aliasBillleVampire.

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Arlèneécarquillalesyeux.—Chérie, tu ne pourrais pas fréquenter un type normal ? demanda-t-elle d’une voix

étrangléeparl’émotion.—Aucuntypenormalnemel’aproposé.— Tu n’as pas peur ? demanda Charlsie. Bill Compton est... enfin, il est atteint de ce

virus,tusais.—Mercipourl’information,dis-jed’untonglacial.Sam s’adossa aubar, les bras croisés, le visage blancde colère. Je fixaimes collègues

l’unaprèsl’autre,lesobligeantàaffrontermonregardouàdétournerlesyeux.S’ilsavaientquelquechosedire,c’étaitlemoment.

Arlènepritlaparolelapremière.—Écoute,Sookie,tavieprivéenemeregardpas,maisqu’ilnes’avisepasdetefairedu

malsinonjesorsmesgriffes!—Aprèstout,c’estsûrementuneexpérienceintéressante,commentaLafayetteavecun

clind’œilespiègle.JecommençaisàcroirelapartiegagnéelorsqueSams’approchademoi.D’ungestesec,

ilouvritl’échancruredemonchemisier,quej’avaisboutonnéhautcejour-là.Dansunsilencedemort,touslesregardsconvergèrentverslabasedemoncou.

LàoùBillavaitplantésescanines.JemetournaiversSam,furieuseetdépitée.Dequeldroitmetrahissait-ilainsi?—Jet’interdisdemetoucher,sifflai-je.Etjet’interdisdetemêlerdemesaffaires.Commes’ilsavaientsenti l’oragegronder,Arlène,CharlsieetLafayettesedispersèrent

aussitôt.JerestaiseuleavecSam,quiavaitencorelesmainssurlecoldemonchemisier.—Tunevoispasquejem’inquiètepourtoi?demanda-t-il.Quej’aipeurpourtoi?J’éclataid’unrirefroid.—Dis-moiplutôtquetuesjaloux!Alors,écoutebien,SamMerlotte.Tunem’intéresses

pas,compris?Sansattendresaréponse,jem’éloignaipourreprendremontravail.Deloin,jevisSam

sedirigerverssonbureauets’yenfermer.BillpassaChezMerlottecejour-là,dèslanuittombée.J’étaisrestéepouraiderl’équipe

dusoirenattendantl’arrivéedemacollègueSusie,dontlavoitureétaittombéeenpanne.Billfit son apparition à lamode vampire, sematérialisant tout à coup à l’entrée de la salle. Ilmarchaensuiteversmoi,meprit lamainet laportaàses lèvres.Aprésent,nulnepouvaitplusignorernotrerelation!

—Àquelleheurefinis-tu?demanda-t-ilàmi-voix.—DèsqueSusieseralà.—Parfait.Tupassesmevoirensuite?—D’accord.Il m’adressa un sourire, découvrant ses canines que le plaisir de me voir avait fait

légèrementsortir.Jefrissonnaiausouvenirqu’évoquaitcettevisionetpassaiinstinctivementlamainsurmon cou.Déjà, l’excitationmontait enmoi à la perspective d’être de nouveauseuleavecBill.

Puisunmouvementseproduisitàl’entréedubar,ettoutemabonnehumeurs’envola.Derrière Bill, je reconnus les deux silhouettes qui venaient de pousser la porte d’un gestebrusque.

MalcolmetDiane.

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Leur arrivée fracassante causa un certain émoi dans la salle. Le premier, très star dehardrock,portaitunpantalonencuiretunetuniquemétallique.Lasecondeétaitvêtued’unecombinaisonenjerseyjaunefluorescentquisemblaitavoirétécousuesurelleetnelaissaitrienignorerdesmoindresdétailsdesonanatomie.

Tous deux poussèrent un cri de surprise feinte lorsqu’ils remarquèrent Bill. Ilssemblaient ivres ou drogués. Bill accueillit avec son sang-froid coutumier l’arrivée de cesdeuxtrouble-fête.Il leuradressaun«bonsoir»distant,puiss’approchademoietpassaunbrasautourdemesépaulesdansungesteprotecteur–pournepasdirepossessif.

—Tiens, lapoulette est toujours vivantedemandaDianed’unevoix forte.Tun’aspasencoreconsommé?

—Unpeuderespectpourelle,jeteprie.Sagrand-mèreestmortelasemainedernière.—Non?Quec’estdrôle!s’exclamalavampireavecunéclatderiredément.Unevaguepresquepalpabledehaineetdedégoûtmontadelasalletoutentière.—Alors,quivas’occuperdetoi,maintenant,petitechose?demandaDianeensoulevant

monmentonduboutdudoigt.Jelarepoussaivivement.Unelueurderagepassadanssesyeuxbruns.Jecroisqu’elle

seseraitjetéesurmoisiMalcolmnel’avaitpasretenue.—Aufait,Bill,ditcelui-cid’untonfaussementdésinvolte,tusaisquelepersonnelpeu

qualifiédisparaîtàunevitesseextraordinaire,danscebled?Etvoilàquej’apprendsquetonamie et toi êtes allés fourrer votre nez au Croquemitaine pour poser des questionsindiscrètes!

Son expression s’était faite si sérieuse qu’elle en était terrifiante. Derrière moi,j’entendisdesmurmuresinquietsparcourirlasalle.Puisunevoixs’éleva.

—Sivousalliezvoirailleurs,messieurs-dames?demandaRené.Jemeretournai.Renéétaitaccoudéaubar,unebièreàlamain.Unsilence tendus’abattit sur lasalle.Chacunretenait sa respiration.En l’espaced’un

instant,lasoiréepouvaitvireraudrame.Personneicineparaissaitsoupçonnerlaformidablepuissancedesvampires,nileurcapacitédedestruction.Bills’interposaentreMalcolmetmoi,mefaisantunbouclierdesoncorps.

—Ilvaudraitmieuxquevoussortiez,dit-il.—Puisqu’onneveutpasdenous...marmonnaMalcolmd’untonderegret.Cesbraves

gensontenvied’êtreentreeux,Diane.AvecnotreancienamiBill.Puis il prit sa compagne par le bras, lui fit faire demi-tour et l’entraîna vers la sortie.

Lorsqu’ilsfranchirentleseuil,jeperçusavecacuitélesoulagementdel’assistance.Susien’était toujourspasarrivée,mais jedécidaidequitter lebar.TantpispourSam.

Pourunefois,ildevraitsedébrouillersansmoi.Aprèstout,pourquoiétait-cetoujoursàmoid’assurerl’intérimlorsqu’unecollèguenousfaisaitfauxbond?

JesuivisBilljusquechezlui,conscientequenousavionséchappédepeuàuneeffusionde sang. Qui sait de quoi Diane et Malcolm auraient été capables si Bill ne les avait pasretenus?Jemefélicitaidel’attitudedecedernier.SiseulementcelapouvaitdisposerensafaveurleshabitantsdeBonTemps!

ComptonHouseavaitbienchangédepuisladernièrefoisquejel’avaisvue.Lesmursdusalon étaient à présent recouverts d’un papier peint orné d’un délicat motif floral, et leparquetavaitétédécapéetverni.Billmeconduisitdanslacuisine,oùtrônaitunréfrigérateurderniercri.

Intriguée,j’ouvrislaportedel’appareil...avantdereculer,saisiedenausée.Desdizainesdebouteillesdesangsynthétiques’alignaientsurlesclaies.

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Jepoursuivismavisiteparlasalledebains,installéeaurez-de-chaussée.Leluxedelapiècemesurprit,d’autantplusqu’àmaconnaissance,Billn’étaitpascenséenavoirl’usage.

—J’aimeprendredesdouches,m’expliqua-t-ilendésignantunecabineassezvastepourcontenirunefamilleentière.

Puisilpointaledoigtversuneimmensebaignoirerondeencastréedanslesolaubeaumilieudelasalleetentouréededallesdebois.Degrandesplantesvertesenpotdisposéesçaetlàaccentuaientlatoucheluxueusedel’endroit.

—Quec’estgrand!m’exclamai-je.—Oui.Assezgrandpourqu’onpuisses’ybaigneràdeux.S’agissait-ild’unesimpleremarqueoud’uneinvitationenbonneetdueforme?Jen’eus

pasletempsdeposerlaquestion:déjà,Billavaitouvertlesrobinets.—Tuveuxl’essayer?demanda-t-ilens’approchantdemoi.Mon cœur battit un peu plus vite. Pourtant, je ne fis rien lorsque mon compagnon

entrepritdemedéshabiller.Àquoibonjouerlesprudeseffarouchées?Ilmeconnaissaitplusintimementquequiquecesoitaumonde,ycomprismonmédecin.

—Jet’aimanqué?demanda-t-ilsanscesserdemedévêtir.—Oui.—Qu’est-cequit’amanquéleplusenmoi,Sookie?Jerépondissansréfléchir:—Tonsilence.Bills’interrompitpourmeregarder.—Monsilence,répéta-t-il.—Lefaitdenepasentendretespensées.Tun’imaginespascommec’estreposant!Ilsourit.—J’avaispenséàautrechose.Mesjouess’enflammèrent.—Çaaussi,çam’amanqué,dis-jeprécipitamment.Tandis que nous parlions, il avait délacé mes chaussures, ôté mon short, et il était

occupéàfaireglissermonslipsurmescuisses.—Bill!S’ilteplaît,non...—Jen’insistepas.Tun’aspasenviedemoi?—Si,maisje...D’un geste autoritaire et tendre à la fois, ilme fit pivoterpourdégrafermon soutien-

gorge.—Alors,laisse-moifaire,murmura-t-ilàmonoreille.Il seplaquacontremoi,neme laissant rien ignorerdudésirqui leconsumait,et joua

avecmesseinsquelquesinstants.—Déshabille-moi, ordonna-t-il, alors que je commençais àm’abandonner aux douces

sensationsqu’iléveillaitenmoi.Je me tournai vers lui et, consciente de ma maladresse, lui obéis, en m’attaquant

d’abordàsachemise,puisencontinuantparsonpantalon.—Nousavonstoutelanuitdevantnous,Sookiechérie,dit-ilenmevoyantm’acharner

sanssuccèssurleboutondesabraguette.Savoixétaitsidouceque jemedétendisaussitôtetretrouvaimesmoyens.Bientôt, le

pantalondeBillallarejoindresachemise,surlesdallesdebois.Je me penchai alors vers mon amant pour faire, glisser son caleçon sur ses longues

jambesmusclées.BillétaitàprésentnucommeAdam,rayonnantdebeautéetdesensualité

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virile.Ilmepritparlamainetm’entraînadanslabaignoire.

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8

Au coursde lanuit suivante, j’abordai avecBill un sujet que j’avais occultédepuisde

longues années. J’aurais donné cher pour ne plus jamais avoir à exhumer ce cadavre duplacarddemessouvenirsd’enfance,maisparhonnêtetéenversmonamant,jemedevaisdedirelavérité.Deplus,j’espéraisquecelam’aideraitàaborderavecplusdesérénitémafutureviedefemme.

NousétionsallongéssurlelitdeBill,danssesdrapsimprimésdefleurs.Jemerappellem’êtredemandépourquoiilaimaittantlesmotifsfloraux.Était-ceparcequ’ilétaitprivédecespectacle depuis des siècles, faute de pouvoir admirer de véritables fleurs à la lumière dujour?

Nousétionsallésaucinémavoirundecesfilmsoùdesextraterrestrestousplusvilainslesunsquelesautressefontabattresanspitiépardesterrienssoucieuxdelasauvegardedel’humanité.Billsemblaitavoiruneprédilectionpourcegenrecinématographique,peut-êtreparcequ’ilsetrouvaitdesaffinitésaveccescréaturesd’ailleursexterminéessansmerci.

J’étaisheureused’être lapremièreàm’étendre,à soncôtédansce lit toutneuf.Nous

avionsparlédetoutetderien–dufilmquenousvenionsdevoir,desprochainesélectionsmunicipales, d’anecdotes de nos enfances. Je compris soudain que Bill essayaitdésespérémentdeserappelercequec’étaitqued’êtrehumain.

—Tun’asjamaisjouéaudocteuravectonfrère?demanda-t-ilsoudain.Aujourd’hui,lespsychologuesaffirmentquec’estparfaitementnormal,maisjemesouviensdelaracléequemèreadonnéeàSarahetRobertlejouroùellelesatrouvéscachésdanslesfourrés...

—Non,dis-je.Je me composai un visage inexpressif, mais ma voix m’avait trahie. La peur, encore

vivaceaprèstoutescesannées,venaitdeseréveillerenmoi.Billmeregardad’unairsurpris.—Tumens,dit-ilsimplement.—Non.Jecherchaiunautresujetdeconversation,sanssuccès.—Bon,cen’étaitpasavectonfrère.Avecqui,alors?—Jen’aipasenvied’enparler.Commentavait-ilpudeviner?Jedétournai lesyeux,maisBillpritmonmentonentre

sesdoigtspourm’obligeràleregarder.—Réponds-moi,Sookie,murmura-t-ildesavoixsipersuasive.Aquoibonlutter?Billn’étaitpashomme...ouvampireàrenoncerfacilement.—Tusais,expliquai-je,ilyaquelquefoisdesadultesquis’enprennentauxenfants...de

leurproprefamille.Billhaussalessourcils,manifestementsurpris.—Ont’afaitça?Jehochailatête.—Qui?—Undemesoncles.Uneexpressiond’horreurcrispalestraitsdemoncompagnon.

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—Continue.—Ilacommencéquandj’avaiscinqans.Iln’estjamaisalléjusqu’à...l’actesexuel,mais

il m’a fait beaucoup de mal quand même. Le pire, c’est que chaque fois qu’il venait à lamaison, jesavaiscequ’ilallait faire.Je le lisaisdanssespensées.Et jenepouvais ledireàpersonne.

Incapabledesupporterlessouvenirsquiaffluaientetquej’avaispourtantrefoulésdansletréfondsdemamémoiredepuisdelonguesannées,jeroulaisurleventreetenfouismonvisagedansl’oreiller.Billposasamainsurmonépauleavecdouceur.

—Tunel’asjamaisditàtesparents?—Mamannem’apascrue.Jeme rappelais l’expression d’incrédulité et de dédain quemamère avait affichée le

jouroùjel’avaisappeléeàl’aide,etsesaccusationsdenourrirde«mauvaisespensées».—Ettonpère?—Jeluienaiparlé,maisbienplustard,peuavantsamort.Jevenaisdecomprendreque

si jene ledénonçaispas, l’oncleBartlettcontinueraitàmeharcelertous lesquinze jours,àchacunedesesvisites.

—Cethommeesttoujoursenvie?—Oui, ilhabiteShreveport.C’est lefrèredeGranny.Lorsquejemesuis installéechez

magrand-mère,jeluiaitoutdit.Ellem’acrue,elle.Surparole.Je n’oublierais jamais l’immense soulagement que j’avais ressenti le jour où Gran

m’avait solennellementpromisqueplus jamais l’oncleBartlettne franchirait le seuilde samaison.Enfin,quelqu’unmecroyait!

Et Granny avait tenu parole. Je n’avais plus revu l’affreux Bart, comme je lesurnommais.

—Ce n’est pas un Stackhouse, n’est-ce pas, puisque c’est le frère de ta grand-mère ?demandaBill.

—Non,biensûr.C’estunHale.Billparuts’absorberdansuneprofonderéflexion.Jel’avaischoqué,c’étaitévident,avec

masordidepetitehistoire.—Jevaisrentrer,dis-jeenmelevantpourrassemblermesaffaires.Enunéclair,Billsortitdulit,merattrapaetmepritmesvêtementsdesmains.—Non,dit-il,resteavecmoi.Jusqu’àl’aube,situveux.Jen’hésitaiqu’uninstant.—D’accord.Seulement,ilfaudraquetumelaissesdormirunpeu.—Toutàl’heure,promitBillenm’attirantverslelit.Lorsquejemeréveillailelendemain,j’étaisseule.Soudain,jesongeaiquejamaisjene

trouveraisBillàmoncôtélematin.Jamaisjenepartageraisunpetitdéjeuneraveclui,encoremoinslerepasdemidi.

Jamaisjeneverraisàlalumièredujourceluiquej’aimais.Jamaisjen’auraisd’enfantdelui.Jamaisjenevivraisaveclui.Car comme chaque jour et jusqu’à la tombée de la nuit, la créature que j’aimais était

étendue,sansvie,aufonddesacachette.Quelque peu abattue par ces tristes perspectives, je me levai, m’habillai et remis en

ordre la chambre et la salle de bains. Pourme consoler, jem’obligeai à établir la liste despointspositifsdenotrerelation.

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Tout d’abord, et je n’avais aucun doute sur ce point, Bill éprouvait pour moi dessentimentssincères.Ilsemontraitaffectueuxetbienveillant,cequiétaitraredelapartd’unvampire.

Ensuite, le plaisir qu’il me donnait était une expérience merveilleuse. Cela avait sonimportance,non?

De plus, maintenant que notre liaison était connue de tous, j’étais certaine que pluspersonne ne se montrerait trop entreprenant avec moi. Quant à l’assassin de Granny, sic’était moi qu’il avait cherché à atteindre, il se tiendrait désormais sur ses gardes. On netouchaitpasàl’amied’unvampire,souspeinedereprésaillesterribles.

Enfin,cerisesurlegâteau,lesilencequiémanaitdeBillétaitpourmoileplusefficacedesremèdesàmafatigueetàmatristesse.

Songeuse, je refermai laportedeComptonHousederrièremoi,descendis lesmarchesdelavéranda...ettombainezànezavecJason,assisauvolantdesonpick-up.

—Alors,c’estvrai?medit-ilparlavitrebaissée.Jeluirépondisparunsourire.—Monteavecmoi,ajouta-t-il.J’hésitaiuninstant,puisj’obtempérai.C’étaitlapremièrefoisquemonfrèrecherchaità

renoueravecmoidepuissaterriblecolèrelejourdudécèsdeGranny.Ilmetenditungobeletdecaféencorechaud,quej’acceptaiavecplaisir.

—Ils’occupebiendetoi,aumoins?Jehochailatête,toutensoulevantlecouvercledugobeletenpolystyrène.—Tantmieux.Puis,aprèsunsilence,ildéclara:—J’aiunemauvaisenouvelleàt’annoncer.—Vas-y.—OncleBartlettestmortcettenuit.Assassiné.Jerépétai,abasourdie:—Assassiné?J’entendais les paroles de Jason,maismon esprit refusait de les assimiler. Je laissai

mon regarddériver par-delà les frondaisons, jusqu’au cielmatinal qui se teintait de rose àl’orient. Tout cecime semblait encore irréel. L’oncle Bartlett étaitmort,me dis-je, commepourm’enconvaincremoi-même.Rayédelasurfacedelaterre.Disparuàjamais.

Tout à coup, j’eus l’impression qu’un poids venait de se soulever de ma poitrine.J’inspiraiprofondément,gagnéeparunesensationdedélivrance.

Plusjamaisl’affreuxBartnem’obligeraitàlesuivredanssesjeuxmalsains.Plusjamaisjen’auraisàsubirsonregardtorvesurmoi.Ilétaitmort.J’étaislibre!

Sansunmot,j’avalailecontenudugobelet.—Qu’ilailleenenfer,murmurai-je.—Sookie,jet’enprie!—Tupeuxparler!Ilnet’ajamaisennuyé,toi.—Évidemment!JemetournaiversJason,choquée.—Qu’est-cequecelasignifie?—Quetuesbienlaseulequ’ilaittouchée.Enadmettantquetunetesoispasraconté

d’histoires.Avouequetun’asjamaismanquéd’imagination!Je retins une exclamation rageuse. De quel droit mon propre frère niait-il ainsi ma

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souffrance?—IlyaeutanteLinda,aussi,dis-je,ravalantmacolère.Jasonmeregardaavecstupeur.—Commentlesais-tu?—Grannymel’adit.

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—Ellenem’ajamaisriendit,àmoi.Ilyavaitdanssavoixunteldépitetunetellejalousiequejecrusbondem’expliquer.— Je sais que tu aimais beaucoup oncle Bartlett, Jason. Mais si Granny a décidé de

l’éloignerdenousdeux,c’étaitaussiparprécautionpourtoi.Jason garda le silence quelques minutes. Manifestement, mes paroles avaient fait

mouche.J’attendisqu’ilreprennelaparole.—Jel’airevu,aucoursdecesdeuxdernièresannées.—Vraiment?—C’étaitunhommevieilli,malade,fatigué...Ilavaitdumalàmarcher.—Cequiaeuleméritedel’empêcherdecouriraprèslesenfantsdecinqans.—Sookie,ilfautquetuoubliestoutça.—Tucroisquec’estfacile?J’avaispresquecrié,dansmacolèreetmonindignation.Jasonetmoinousregardâmes

longtempssansriendire.Cefutmoiquibrisailesilence.—Queluiest-ilarrivé?—Ilaététuéparunvoleur,danssonappartement.L’hommeluiabrisélanuqueenle

jetantduhautdel’escalier.—Trèsbien.Jeconsultaimamontre.—Ilfautquej’ailleprendreunedoucheetunpetitdéjeuner,sinonjevaisêtreenretard

autravail.Jasonmedécochaunregardnoir.—C’esttoutcequetuasàdire?—Queveux-tuquejedisedeplus?—Tunemedemandespasquandaurontlieulesfunérailles?—Non.—Niquellessontsesdernièresvolontés?—Non.—Commetuvoudras,ditJasonavecunsoupirrésigné.—Etàpartça,quoideneuf?—Sookie,tongrand-oncleestmort,çanetesuffitpas?—Si,amplement.Mercipourlecafé,Jaz.Cen’estqu’unefoisautravailquejeprispleinementlamesuredesparolesdeJason.De

stupeur,jelaissaitomberleverrequej’étaisentraind’essuyer.Quiavaittuél’affreuxBart?Qui,sinonBill...oul’undesescongénèresagissantsursonordre?

J’aurais juré que Bill n’avait pas assassiné lui-même l’oncle Bartlett : nos ébats nousavaientmenésjusqu’àl’aube.Maisilavaittrèsbienpuappelerunautrevampire,profitantdel’undemesmomentsd’assoupissement.

Avecunfrissondedégoût, jemebaissaipourramasserleverreque,dansmasurprise,j’avaislaissééchapper.Puisjemeconcentraisurmontravail,refusantdepenseràtouteslesconséquencesqu’allaitentraînerledécèsduvieilhomme.Jerentraichezmoidansunétatdetensionextrême.Pourlapremièrefoisdepuisquejem’étaisinstalléechezGranny,jen’avaispluspersonneàquiconfiermesinquiétudes.

J’étaisseuleaumonde.Jesavais,biensûr,queBillavaitdéjà tuédesgens.Maiscelas’étaitpasséautrefois,à

l’époqueoùiln’étaitencorequ’unjeunevampireaffaméetinexpérimenté,incapabledeboire

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unhumainsans lemettreàmort.Jesavaiségalementqu’ilétait l’assassindesRattray,cesdeuxmonstresquim’auraientenvoyéeadpatress’iln’étaitpasintervenu,etpourqui,jedoisl’avouer,jen’éprouvaisguèredecompassion.

Alors, pourquoi lemeurtre du vieuxBartlettme choquait-il autant ? Après tout,mononcle était responsabledu cauchemardemonenfance. Ilm’avait souillée ; il auraitpumedétruiresijen’avaispasétéplusforte.D’ailleurs,j’avaisaccueillil’annoncedesondécèsavecunsoulagementsincère.

Mes scrupules n’étaient-ils que la manifestation d’une hypocrite et tardive mauvaiseconscience?

Lesnerfs tendusàserompre, jegaraimavoituredans lacourde lamaisonetm’assissur laplushautemarchede la vérandapour laisser libre coursàmes larmes.Lanuit étaittombée J’étais seule dans l’obscurité qu’animait le chant des criquets. Soudain, quelqu’uns’assitàmoncôté.Jelevailesyeuxetreconnusmonvisiteurnocturne.

—Oh,Bill!m’écriai-jeenmejetantcontrelui.Ilentouramesépaulesdesonbrasdansun;gesteprotecteur.—Sookie,quesepasse-t-il?—Tun’auraispasdûfaireça.Commeilnerépondaitpas,jerepris:—Biensûr,jesuisheureused’êtredébarrasséedecemonstre,mais...Billnetentamêmepasdenier.—Tuaspeurquejetefassedumal?demanda-t-iltrèscalmement.—Non.Sibizarrequecelaparaisse,jenet’aijamaiscraint.—Alors,dis-moicequitetracasse.—J’aipeur...pourlesautres.Àprésent,jevaisredouterdeteparlerdesgensquim’ont

faitdumal.Cen’estpasainsiqu’onrèglecesquestions.—Jet’aime.Jelevailesyeuxverslui,émue.C’étaitlapremièrefoisqu’ilprononçaitcesmots.—Moiaussi,murmurai-je.Jenecomprendspaspourquoi,maismoiaussi.Jesouris,avantdepoursuivre:— J’ai envie de te donner des petitsnoms idiots comme on le fait quand on s’aime,

mêmesic’estparticulièrementridiculeavecunvampire.J’aienviedetedirequejet’aimeraitoujours,mêmelorsquetuserasvieux,alorsquejesaisqueçan’arriverajamais...

—Mais?—Maisjenesaisplusoùj’ensuis.J’aibesoindetemps.—Nemerejettepas,Sookie.Situsavaisàquelpointtuesdifférentedesautres,àmes

yeux!Situsavaiscommej’aienviedeteprotéger!— C’est un peu ce que je ressens aussi, mais pour l’instant, je ne suis pas prête à

m’engagerdansunerelation.—Qu’attends-tudemoi?—Quetucontinuestavietellequetulamenaisavantdemerencontrer.—Mavie...répéta-t-il,perdu.Jelaconsacraissurtoutàessayerderetrouvercequ’ilya

d’humainenmoi,danslamesuredupossible.Achercherunêtrequiaccepteraitdem’aimeretdemenourrir,pourneplusjamaisdevoirboirecefichusangdesynthèse.

—Pourl’instant,jen’ysuispasprête.Ilfaudraquetutrouvesquelqu’und’autrepourtenourrir.Toutcequejetedemande,c’estdechoisirunepersonnequiviveloind’ici,quejeneconnaissepas.

—Alors,jeposeunecondition.Quetunecouchesavecpersonned’autre,toinonplus.

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—Promis,dis-je,conscientequejenem’engageaisguère.Eneffet,avecquiserais-jesortie,detoutefaçon?—Est-ceque...tum’autorisesàvenirdetempsentempsChezMerlotte?—Non. Je ne veux pas qu’on sache que nous ne nous voyons plus pendant quelque

temps.Jen’aipasenviedeparlerdemavieprivéeaveclesautres.Billmeserracontrelui.—Embrasse-moi,murmura-t-il.Vaincue, je lui tendismes lèvres, qu’il prit en un baiser très doux. Peu à peu, jeme

laissaiemporterparlessensationsqu’ilfaisaitnaîtreenmoi–lacaressedesamainsurmondos,levertigedesonsoufflemêléaumien,labrûluredésormaisfamilièrequis’éveillaitauplussecretdemoncorps...

JerepoussaiBillunpeubrusquement.—Non!Ilnefautpas...Ilmejetaunregardoùselisaittoutelapeinedumonde.Uninstant,jefustentéedeme

blottircontreluietd’oubliermesrésolutionsentresesbras.J’avaistellementbesoindelui!Mais jesavaisqu’uneséparationmomentanéeétait laseule façonpourmoidefaire le

point. Alors, puisqu’il était inutile de prolonger la souffrance, je me levai et, d’un bond,rentrai dans lamaison, avant de refermer la porte à clé derrièremoi. Puis jem’adossai aubattant,haletante,encorevibrantededésirpourBill.

Ilétaittempsd’affrontermapremièrenuitdesolitude.Au cours de la semaine qui suivit, jeme jetai dans le travail à corps perdu. J’étais de

l’équipedu soir, cequimeconvenaitparfaitement.De retourà lamaison, je redoublaisdeprécautions pour ma sécurité, inspectant les alentours avec attention, vérifiant portes etfenêtresdeuxfoisavantdemecoucher.

Jereçusplusieursappelsde l’avocatchargédegérer lesaffairesdeGranny,etdeceluid’oncleBartlett.Cedernierme léguait vingtmilledollars, que je faillis refuser.Puis, aprèsavoir réfléchi, j’acceptai cet héritage, dont je fis don à une bonneœuvre en précisant quel’argentdevaitallerauxenfantsvictimesd’incesteetdeviol.

Je dormis beaucoup, profitant de chaque occasion pour me reposer. Après quelquesjours de ce traitement, mon état nerveux s’améliora, et je pus envisager avec sérénité detournerlapagedemonpassé.

Cen’estqu’àpartirdecetteépoquequej’ouvrislesyeuxsurcequisepassaitautourdemoi.Leshabitantsde larégioncommençaientàenavoirassezdeDiane,LiametMalcolm,quis’étaientinstallésàMonroe.Lestroisvampiressemblaientn’avoirqu’unbut:découragerleurscongénèresqui,à l’instardeBill, tentaientdes’intégrerpacifiquementà lapopulationlocale. Ils hantaient les bars, le verbe haut et l’humeur chatouilleuse, toujours prêts àchercherquerelle.

Manifestement, leur toute nouvelle liberté de circulation, qui ne datait, il faut lerappeler, que de quelques années, leur tournait la tête, leur faisant perdre toute prudence.Malcolm mordait une entraîneuse de Bogaloosas, Diane dansait nue dans les bars deFarmerville,etLiambuvaitdeuxfemmesàlafois,unemèreetsafilleàpeinepubère,sansmêmesedonnerlapeined’effacerleurssouvenirs.

Unsoir,jesurprisRenéLenieretMikeSpencerengrandediscussionChezMerlotte.Amon arrivée, ils se turent immédiatement, ce qui éveilla ma curiosité. Je fis une petiteincursiondanslespenséesdeMike.Lesdeuxhommesprojetaient,avecquelquesautres,desedébarrasserdesvampiresdeMonroeenlesbrûlant.

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Je détestais ces trois monstres, mais la perspective de laisser se dérouler un tripleassassinat, m’était insupportable. Pour m’assurer qu’il ne s’agissait pas de proposd’ivrognes – Mike et René avaient un peu forcé sur la bouteille ce soir-là –, j’effectuaiquelquessondagesauhasarddansl’espritdesclientsassisauxtablesalentour.

Avec une angoisse croissante, je vis se confirmer les paroles des deux hommes. Enrevanche,jeneparvinspasàdéterminerquiavaiteulepremiercetteidée.

RienneprouvaitqueGranny,DawnetMaudetteavaientététuéesparlemêmeindividu.D’ailleurs, on murmurait que c’était plutôt le contraire, d’après le rapport du coroner.Pourtant,lahaineques’étaientattiréelestroisvampiresavaitatteintuntelseuilquetoutlemonde n’avait qu’une envie : faire payer à ceux-ci la fin atroce des trois femmes, dont onsavaitquelesdeuxplusjeunesétaientdesmordues.

C’était faire preuve, à mon sens, d’un déplorable amalgame, mais je n’avais pas lestalents d’oratrice nécessaires pour inviter mes concitoyens à plus de modération, encoremoinspour les faire changerd’avis.Deplus,ma liaisonavecBillm’aurait faitperdre toutecrédibilitésij’avaistentéd’intervenir.

BillvintChezMerlotteleseptièmesoirquisuivitnotreséparation.Ilapparutsoudainàsa tablehabituelle,visiblementhorsde lui.Jem’aperçusqu’ilétaitaccompagnéd’un jeunegarçon–quinzeanstoutauplus.Unvampire,commelui.

—Sookie,jeteprésenteHarlenIves,deMinneapolis,ditBill,trèsmondain.—Enchantée,mentis-je.—Harlenestdepassage.IldoitserendreàLaNouvelle-Orléans.—Je suis en vacances, expliqua le jeunevampire. Il y a si longtempsque je rêvaisde

venirdanslarégion!Pourlesgenscommenous,c’estunvraipèlerinage,vouscomprenez?Onpeutlouerdescercueilsous’installerchezunrésident.C’estcequej’aifait,ajouta-t-ilendésignantBilldumenton.

Jehochailatêteenm’efforçantdeparaîtrenaturelle.

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—Ehbien,queprendrez-vous,messieurs?demandai-je,meréfugiantdansuneattitudetoute professionnelle. Nous avons reçu de nouveaux sangs de synthèse dans plusieursparfums:Anégatif,Opositif...

—Lepremierseratrèsbien,réponditBill.—Apportez-moilamêmechose,ditsoncompagnon.—Toutdesuite,fis-jeenmedirigeantversleréfrigérateurréservéausangdesynthèse.Jepréparaima commande et l’apportai rapidement, sansmedépartir demon sourire,

biendécidéeàtraitercommelesautrescesdeuxclientsunpeuparticuliers.—Commentvas-tu,Sookie?medemandaBill.—Oh,trèsbien!répondis-je,faussementdésinvolte.J’avaisenviedefracasserunebouteillesursatête.Ouplutôt,surcelledesonmignon.

Carc’étaitbiencequ’étaitHarlen,non?—HarlenaimeraitrendrevisiteàMalcolm,expliquaBill.—Quellebonneidée!m’écriai-je,onctueuse.Malcolmval’adorer!—Oh,jesuisdéjàravid’avoirfait laconnaissancedeBill,répliqualejeunehommeen

adressant une œillade à son protecteur. Mais il paraît qu’il faut absolument rencontrerMalcolm.

Touten luttant contreune féroceenvied’étrangler ce jeunecrétin, jeme tournai versBill.

—Faisattention,luidis-jeaussidiscrètementquepossible.Malgrémonagacement–et, jedois l’avouer,ma jalousie–, je tenaisà leprévenirdu

risquequ’ilyavaitàfréquenterlestroisvampiresdeMonroeencettepériodetroublée.Aprèstout,ilrestaitmonami,n’est-cepas?

Jenememontraitoutefoispasaussiexplicitequejel’auraispu,d’abordparcequ’ilmesemblait que ledangern’était pas encore imminent, ensuiteparceque jen’avaispas envied’entrer dans les détails en présence de l’insupportable Harlen. Aussi me contentai-jed’ajouter:

—Malcolmetlesdeuxautresnesontpasenodeurdesainteté,cestemps-ci.Avantdem’éloigner,j’eusletempsd’intercepterleregardsurprisdeBill.L’espaced’un

instant, je fus tentéede lui endireplus.Maudite fierté !Les événementsqui suivirentmedonnèrentl’occasionderegretteramèrementdenepasl’avoirfait.

Après le départ de Bill et Harlen, la tension monta parmi la clientèle. Un seul sujet

retenaitl’attentiondetous:l’expéditionpunitiveprévuecontrelestroisvampiresdeMonroe.Cependant,endépitdemestentatives, jeneparvenaistoujourspasà identifier lapersonnequiétaitàl’origineducomplotquisetramait.

Jasonfitunecourteapparition,maisilsecontentademesaluerdeloin.Visiblement,ilnem’avaitpasencorepardonnémaréactionàl’annoncedelamortduvieuxBartlett.

Ils’enremettrait,medis-jepourmeconsoler.Lui,aumoins,nevoulaitrienbrûler...àpartpeut-être lecœurdeLizBarrett,unejoliebruneauxairsd’elfequ’il fréquentaitdepuispeumaisquiparaissait insensibleàses tentativesdeséduction.Envoilàunequiétaitplusfinequelesautres!

Après leur avoir apporté leur commande, je balayai la pièce du regard. L’atmosphèreavaitchangédepuisquelquesminutes;elleétaitplustendue,presqueélectrique.Unecolèresourde montait de l’assemblée. Tous les hommes présents paraissaient gagnés par uneagitation qui ne fit que s’accroître à mesure que la soirée passait. Ils parlaient plus fort,buvaient plus vite, ne tenaient pas en place... J’éprouvais la désagréable impression qu’un

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oragecouvaitetn’allaitpastarderàéclater.Peuàpeu, jevis leshommesquitter lebarpourserassemblersurleparkingenpetits

groupes. Gela neme plaisait pas du tout. Je jetai un coup d’œil à Sam Lui aussi semblaitnerveux.

—Qu’est-cequetuenpenses?luidemandai-jelorsqu’ils’approchademoi.C’était la première fois que je lui adressais la parole depuis le début de la soirée,

exception faite des échanges habituels du style «encore deux bières » ou «l’addition de lacinq».

— J’en pense qu’ils sont trop excités à mon goût, marmonna-t-il. Cela dit, je seraisétonnéqu’ilsaillentàMonroetoutdesuite.Ilesttroptard,lanuitesttombée.Lesvampiressontlevésetenpleineforme.

—Alors,ilsattendrontl’aube.Sammelançaunregardindéchiffrable.—Allons,cessedejouerlesCassandreetrentretecoucher.Lajournéeaétélongue.Defait,j’étaisépuisée.PrenantSamaumot,jequittailebarquelquesminutesplustard.J’observaiattentivementlacourdelamaisonenmegarant,dansl’espoirqueBillserait

là, à m’attendre. Je commençais déjà à regretter de ne pas m’être montrée plus explicite,lorsqu’ilétaitvenuaubar.Siseulementj’avaispuleprévenirdecequisetramait!

Hélas, jenevispastracede lui.J’envisageaiun instantdemerendrechez lui,mais laperspective de le trouver en compagnie de Harlen m’était insupportable. Finalement, jedécidaide lui téléphoner. Ilétaitabsent.Jeraccrochaiaprès luiavoir laisséunmessage.Jesongeaiàappelerchezlestroisvampires,maisjen’avaisaucuneidéedunomàchercherdansl’annuaire.

J’étais si fatiguée que je me couchai sans même prendre une douche et sombraiimmédiatementdansunsommeillourd,peupléderêvesdésagréables.

Jefusréveilléetôt le lendemainmatinpar lasonneriedutéléphone.Billavaiteumon

message!medis-je,pleined’espoir,encourantversl’appareil.Mais,àmagrandedéception,cefutlavoixdeJasonquej’entendisàl’autreboutdufil.

Jeregardail’horlogedusalon.Ilétait7h30.Monfrèren’avaitpasl’habitudedem’appeleràuneheureaussimatinale.

—Unproblème?demandai-je,intriguée.—Troisproblèmes,répliquamonfrèred’untongrave.Peut-êtreplus.—Pardon?—Lamaisondes troisvampiresaété incendiéeau leverdusoleil.J’espèreque le tien

n’étaitpasaveceux.Bill?Pourquoiaurait-ilétélà-bas?Moncœurs’arrêtadebattre.Harlen!Bill luiavait

promisdel’emmenervoirMalcolm.—Oh,non!D’unemain tremblante, je pris un calepin pournoter l’adresse de lamaisondes trois

vampires.—J’yvais!dis-jeavantderaccrocher.Jen’eus aucunmal à trouver lamaison.Des volutesde fuméenoirâtremontaient du

toit,oudumoinsdecequienrestait, lasignalantàunecentainedemètresàlaronde.Uneodeurâcreetécœuranteflottaitdansl’air.

Jemegaraidans la rue etm’approchai. Il y avait là, sous les regardsdes curieux,des

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camions de pompiers et des voitures de police stationnés en désordre. Des soldats du feubraquaientleurslancessurunepartiedelamaisond’oùs’échappaientencoredesflammes.Sur la pelouse, je vis les restes de quatre cercueils, ainsi qu’un sac destiné à contenir uncadavre. Je frissonnai et poursuivis mon chemin, repoussant sans ménagement quelquesinconnusquitentèrentdem’arrêter.Ilfallaitquejesache!

Jemepenchai sur lepremier cercueil, le cœurbattant.Le couvercleavait été soulevé,dévoilantdesrestesméconnaissables.Lesoleilmontaitdans leciel.D’icipeu,sespremiersrayonsallaientfrapperlecorpsétendusansviesursonlitdesoieimbibéed’eau.

Bill ? Impossible de le savoir. Sous l’action de la lumière, la dépouille se désintégraitlentement.Desfragmentss’endétachaientets’envolaientdanslabrisematinale,oubiensevolatilisaientdansunnuagedefumée.

Lesautrescercueilsabritaientlemêmespectacled’horreur.JereconnussoudainlasilhouettedeSam,quis’approchaitdemoi.—Est-cequec’estunmeurtre,Sam?—Oui,dupointdevuelégal.Maispersonnen’al’airimpatientdecommencerl’enquête.Eneffet,lespoliciersprésentsallaientetvenaientsansparaîtres’intéresserauxvictimes

étenduesànospieds.Unefaibleodeurd’essenceparvintàmesnarines.—Pourtant,l’incendieaétévolontairementdéclenché,poursuivitSam.Etcecorps...Ildésignalesacetsonmacabrecontenu.—...estceluid’unêtrehumain.Mêmesilesflicsfeignentd’ignorerquelemeurtred’un

vampireestaussicondamnablequ’unautre,ilsdevrontbienmeneruneenquête.—Pourquoies-tuvenu,Sam?—Pourtoi.Jepoussaiunsoupirdedécouragementenparcourantduregardlescadavresalignéssur

legazon.—JenesauraipasavantcesoirsiBillestparmieux.—Oui,dit-ilsimplement.—Jenesupporteraijamaisd’attendrejusqu’àlanuit!m’écriai-je,désespérée.—Dors.—Jen’aipassommeil.—Alors,prendsdessomnifères.— Je n’ai pas ce genre de médicament chez moi. Je n’ai jamais eu de problèmes de

sommeil.—Passechezunmédecin,suggéra-t-il.Ilteferauneordonnance.Je me demandais comment mettre un terme à cette conversation inepte lorsqu’un

hommedehautetailleapparutdevantmoi.Ilétaitlepolicierchargédel’enquête,m’annonça-t-il.

—Vousconnaissiezcesgens,mademoiselle?demanda-t-il.—Oui,jelesavaiscroisés.—Vouspourriezidentifierlesrestes?—Quipourraitidentifierça?demandai-je,incrédule.—Jeparledelapersonnedanslesac.—Oh!Jepeuxregarder,sivousvoulez.À peine eus-je prononcé ces paroles que je les regrettai. Moi et ma fichue manie de

toujours vouloir rendre service !Mais il était trop tard pourme rétracter.Déjà, le policiers’étaitagenouillédansl’herbeetdécouvraitlehautdusac.Jeprisuneprofondeinspiration,puisposailesyeuxsurlevisagecouvertdesuiequivenaitd’apparaître.

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C’étaitunejeunefilled’environmonâge,uneparfaiteinconnue.Jelaissaiéchapperunsoupirdesoulagement.

—Jenelaconnaispas.Jevoulusmedétourner,maistoutàcoup,mesforcesm’abandonnèrent.Mesjambesne

me portaient plus. Je vacillai. Samme retint juste à temps et me plaqua contre lui pourm’empêcherdetomber.

—Lamalheureuse!dis-je,lefrontcontresonépaule.Oh,Sam,siseulementjepouvaisarrêtertoutecettehorreur!

Jerestaitoutelamatinéedanslejardindelamaisondesvampires,oùjedussubirun

interminable interrogatoire– l’inspecteurétait tropcontentd’avoirmis lamain sanseffortsuruntémoinquiavaitconnulesvictimes!

Lorsqu’ildécouvritquej’avaisrencontrélestroisvampiresparl’intermédiairedeBill,ilvoulutensavoirplussurcedernier.Jedésignailescercueils,toujoursalignéssurlapelouse.

—Jen’ai aucune idéede l’endroit où il se trouve.Peut-être est-il là-dedans... Jene lesauraipasavantlatombéedelanuit.

A cesmots, les larmesmemontèrent aux yeux.Mesnerfsme lâchaient. Jememis àpleurersansretenue.

—Çasuffit,intervintSam,quiavaitassistédeloinàl’interrogatoire.Vousnevoyezpasqu’ellen’enpeutplus?

Puis,sansattendrel’autorisationdupolicier,ilpassasonbrasautourdemesépaulesetm’entraîna vers ma voiture. Après m’avoir installée sur le siège du passager, il prit placederrièrelevolantetmeramenachezmoi.

Il était 11 heures du matin lorsque nous arrivâmes à la maison, après un trajetsilencieux. Sam m’aida à m’allonger sur le divan du salon, puis passa quelques coups detéléphonepourqu’ons’occupedubarensonabsence.Jelevisensuites’approcherdemoi.

—Cesvitressontopaquesdecrasse,dit-ilsoudain.—Pardon?—Lescarreaux.Depuisquandn’ont-ilspaséténettoyés?

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Je regardai les fenêtres, auxquelles je n’avais toujours pas remis de rideaux depuis ledécèsdeGranny.

—Depuislongtemps,murmurai-je.—Vachercherduproduitàvitresetdeschiffons,ordonnaSam.Et fais-nousaussidu

café.Onvanettoyertoutça.J’obéis,tropébranléepourtenterdediscuter.Unefois lesvitres faites,nousnousattaquâmesauxtoilesd’araignéesduplafond,à la

suie qui salissait la cheminée, puis à la poussière des tapis. J’ôtai ensuite les housses descoussinsdusalonpourleslaver,rangeaitouteslescassettesvidéodansleursboîtes,astiquailegrandmiroirettouslescadresfixésauxmurs.

Samm’entraînadanslasalleàmangeroù,aprèsm’avoiraidéeàcirerleparquet,latableetleschaises,ilouvritlebuffetetdésignal’argenterie.

—Depuiscombiendetempsnel’as-tupasastiquée?demanda-t-il.Je le regardai, interloquée. Je n’avais jamais astiqué l’argenterie. Granny s’en était

toujours chargée.Nous prîmes donc toutes les boîtes en carton et les emportâmes dans lacuisine,pourprocéderàunnettoyageenrègle.

Sam travailla aussi dur quemoi, neme parlant que pour désigner la tâche suivante.Danslecourantdelajournée,onluiramenasacamionnette.Lorsquelesoirtomba,j’avaislamaisonlaplusrutilantedetoutelarégion.

—Ilvafairenuit,ditSamens’approchantdelafenêtre.Jem’envais,Sookie.Jesupposequetupréfèresresterseule?

Jehochailatête.—Ilfaudraquejeteremerciepourtoutquetuasfaitpourmoiaujourd’hui.Uneautre

fois.Ilposaseslèvressurmonfront.Quelquessecondesplustard,j’entendisleclaquement

delaported’entrée,suividuronronnementdemoteurdelacamionnette.Samétaitparti.Je restai assise devant la table de la cuisine jusqu’à ce que la pénombre envahisse la

pièceAlors,jemelevaiet,munied’unelampeélectrique,sortissurlavéranda.Unepluiefinetombait,détrempantlesol,traversantpeuàpeumesvêtements.Maisje

m’en moquais. Je demeurai immobile dans la cour, à cligner des yeux pour tenterd’apercevoirlasilhouettedeBill.Envain.Jemedirigeaialorsverslebois,toutenrepoussantmescheveuxtrempésquiruisselaientsurmonvisageetdevantmesyeux.

J’eusunmomentdepaniqueenarrivantsousl’épaiscouvertdesarbres.Ilmesemblaitentendreà toutmomentdes grincements sinistres,deshululementsbizarres.«Allons,mafille,cen’estquelecraquementdesbranchesetlesouffleduvent»,meréprimandai-je.Lecœur battant d’appréhension, je fis un pas dans le sous-bois, puis un deuxième, et untroisième...

J’eus la sensation désagréable que la forêt se refermait sur moi. Des branchages megiflèrent les joues, une ronceme griffa les chevilles,mais jem’obligeai à poursuivremonchemin.Plusloin,Jetrébuchaisuruneracine,tombaietmerelevaitoutetremblante,avantde repartir d’un pas plus rapide. L’air tout autour de moi me semblait hostile. J’accéléraiencoremonallure.

Toutenmarchant, jebalayais lesenvironsdurayondemalampe,sansriendistinguerde plus que des troncs aux silhouettes tortueuses et des branchages secoués par lesbourrasquesdevent.Bientôt,jememisàcourir.Auloin,unefaibleluminositém’avertitquej’approchaisdelaclairière.

Jesortisduboisà lahauteurducimetière.Billnem’avait jamaisparlédecetendroit,

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maismon intuitionme soufflait que c’était là, et non à ComptonHouse, que je devais lechercher.

Jefishalteaubeaumilieudelapartielaplusancienneducimetièreetmisunemainenporte-voix.

—Bill!appelai-je.BillCompton,es-tulà?Je fis quelques pas, certaine que si je ne le voyais pas, lui, en revanche, pourrait

m’apercevoir...s’ilsetrouvaitbienlà.S’iln’avaitpasdisparudansl’incendiedelamaisondeMonroe.Seullesilencemerépondit–ou,plusexactement,lesifflementduvent,ponctuéparle

crépitementdelapluiesurlesdallesdepierre.—Bill!Jet’enprie,sorsdetacachette!Jedistinguaiunmouvementsurmadroite.Aussitôt,j’orientailefaisceaudemalampe

danscettedirectionetvisunemaind’uneblancheurd’albâtrejaillirdelaboue,nonloindemespieds.Lesolfutagitédesecoussesdeplusenplusamples,jusqu’àcequ’une-silhouettesortedeterreetsedresseàquelquespasdemoi.

—Bill?Cette fois-ci, j’avaisparléd’unetoutepetitevoix.Lecouragememanquaitsoudain.La

créatures’approchademoi,maculéedeboue,lescheveuxenbataille.Bill!—Sookie?Quefais-tuici?Ilfallaitquejeluiannoncelaterriblenouvelle,quejeluidiseàquelpointj’avaiseupeu

pourlui,maislesmotsrefusaientdesortirdemabouche.—Chérie?demanda-t-ild’untonplustendre;Jemelaissaitomberàgenouxdanslaboue,vaincueparlesémotionsdecettejournée.

Jenevoulaisgarderqu’unechoseentête:Billétaitvivant...danslamesureoùunvampirepouvaitl’être,bienentendu.

—Sookie?Ils’estpasséquelquechose?Jehochailatête.Ils’agenouilladevantmoi.Cenefutqu’àcemomentquejeremarquai

sanudité.Lapluiequiruisselaitsursapeaucouvertedeboueylaissaitdessillonsplusclairs,achevantdeluidonnerl’aird’unestatuedemarbrequiauraitprisvie.

—Tuesnu,fis-jeobserver,conscientedel’étrangetédemaremarque.—J’enlèvemesvêtements tous lesmatinsavantdemecoucher,pournepas les salir,

expliquaBillavecpragmatisme.C’étaitassezlogique,sommetoute.—Maintenant,reprit-il,dis-moicequinevapas.—D’abord,promets-moidenepasmehaïr.—Qu’as-tufait?—Moi?Absolumentrien!C’estplutôtcequejen’aipasfaitquimetracasse.D’unregard,ilm’invitaàpoursuivre.—J’auraisput’avertir,êtreplusprécise.Jet’aitéléphoné,maistun’étaispaslà.Tun’as

paseumonmessage?—Enfin,dequoiparles-tu?Dequoivoulais-tum’avertir?Jeprissonvisageentremesmains,conscientequej’avaisfaillileperdrecematin-là,à

l’aube.—Ilssontmorts.LesvampiresdeMonroe.Etunejeunefilleaveceux.Lesyeuxdemoncompagnons’écarquillèrentd’horreur.—Harlen,murmuraBill.Ilétaitaveceux.EntreDianeetlui,çaaétélecoupdefoudre.

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—Onlesabrûlés.—Volontairement?—Oui.Billlevalesyeuxauciel.Durantunlongmoment,ildemeuraimmobile.Jenevoyaispas

sonvisage,maisjepouvaisressentirsatristesse,sacolère...etsafaim.Unefaimimpérieuse,dévorante.

Iln’yavaitplusriend’humainenlui.Unfrissond’épouvantemeparcourut.Desagorgejaillitun longhurlementquimeglaça lesang.Prisedepanique, je tentaidemelever.Troptard.Billm’avaitdéjàsaisieparlebrasetmeretenaitd’unepoigned’acier.

Je m’obligeai à me calmer, consciente qu’en me débattant, je ne ferais que l’exciterdavantage.Puis une idéeme traversa l’esprit. Il nepouvait y avoir quedeux exutoires à lafureurdeBill:lamort...oul’amour.

Demamain libre, je caressai son torse, avant d’approchermes lèvres de son sein. Sapeauétaitruisselantedepluie,unpeusalée,étrangementexcitante.Jelaléchaiavecdouceur,jusqu’àcequ’unedouleurfulgurantetraversemonépaule.

LàoùBillvenaitdeplantersescrocs.Puisilsejetasurmoietmeplaquaausoldetoutelaforcedesoncorpsduretmusclé.

Jeluiouvrismesjambessansrésister.Unesecondeplustard,ilétaitenmoi.Jen’eusqueletempsd’agripper sondos : déjà, il allait et venait entremes cuisses,m’arrachantun cri dedouleurquisetransformarapidementengémissementdeplaisir.

Àchaqueva-et-vient,ilm’enfonçaitunpeuplusdanslaterrehumideettiède.Bientôt,son souffle se fit plus rauque, tandis qu’il accélérait encore sa danse sauvage. Je le visentrouvrirlesyeux,avantdesepencherversmoi,toutescaninesdehors.

La morsure, cette fois, ne fut pas douloureuse. Puis la jouissance m’emporta, aussiviolentequ’inattendue.Billmerejoignitdansuncrid’extase,avantdeselaissertombersurmoidetoutsonpoids.

Longtemps,nousrestâmesimmobiles,étendusdanslaterregorgéed’eau,souslapluiequi n’avait pas cessé. À cet instant, je songeai que Bill aurait pu me tuer sans même levouloir.

Enfin,ils’étiraetroulasurlecôté,puisilselevaetsebaissapourmesouleverdanssesbras.Ilmeportaainsijusquechezluietm’emmenadirectementdanslasalledebains.Là,ilm’assit dans la baignoire et ouvrit les robinets en grand, en prenant soin de régler latempérature.

Moncorpsétaitcouvertdesangetdebouemêlés,mesmusclesétaientendoloris,etmespenséesplusconfusesquejamais.Jemelaissaialleravecgratitudedanslesremousdel’eaubienfaisante.Ilmesemblaitêtrerevenued’entrelesmorts.

—Tousbrûlés?demandaBill,leregardperdu.—Oui,ainsiqu’unejeunefille,luirappelai-je.—Qu’as-tufaitdetajournée?—Leménage.Samestvenum’aider.Ilfallaitquejepenseàautrechose.—Ah,oui,Sam...Dis-moi,Sookie,peux-tuliredanssespensées?—Non,avouai-je,avantdem’immergerdansl’eau,têtecomprise.Lorsque je revins à la surface, Bill prit un flacon de shampooing sur le bord de la

baignoire.Ilenversaunpeusurmescheveux,qu’illavaméticuleusementavantdelesrincer.Je le laissai faire, ravie de m’abandonner à ses soins. J’avais l’impression que toute monénergiem’avaitdésertée.

— Je suis désolée pour tes amis, Bill, dis-je en sortant de la baignoire. Et je suis

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heureusequetusoistoujourslà.Il me drapa ensuite dans une grande serviette blanche, me peigna et me sécha les

cheveux,puismepritdanssesbraspourmedéposersursonlit.Jemesouviensdel’odeurdelavande,delafraîcheurdesdrapsbienrepassés,dumoelleuxd’unoreillergarnideplumes.

Làs’arrêtentmessouvenirsdecettesoirée.Jefusréveilléepeuavantl’aubeparunbruitdepasdanslachambre.—Bill?appelai-jeenmeredressantensursaut.—Jesuislà,machérie.Ils’assitsurlelitàcôtédemoi.—Est-cequetuvasbien?—Oui.Jesuisallémarcherdehors.Je me recouchai. Puis j’entendis le froissement de vêtements qu’on ôtait, et Bill

s’étenditàmoncôté.—Quandjepensequetuauraisputetrouverdansl’undecescercueils...murmurai-je,

encorechoquéeparl’épouvantablevisionquim’avaitaccueillieàMonroe.—Etmoi, quand je pense que tu aurais pu te trouver dans le sac, à la place de cette

jeunefille!Imaginequ’ilss’enprennentàComptonHouse,maintenant?—Bill,ilfautquetut’installeschezmoi.Ilsneviendrontpasincendiermamaison.Tuy

serasensécurité.—Pourattirerledangersurtoi?Pasquestion.— Si je te perds, je perds tout, répondis-je avec passion. Tu es ce quim’est arrivé de

mieux,Bill.—Parfois,jecroisaucontrairequetuseraisplusensécuritésansmoi...—Queveux-tudire?Tuesdéjàpressédetedébarrasserdemoi?Ilmeserracontréluiavecfièvre.—Jamais,dit-il,seslèvrescontremescheveux.Jamais!—Écoute-moi,Bill.Jepeuxlesobligeràt’accepter.J’enailaforce.Jesaisquej’ensuis

capable.—Ceseraitunmiracle,maissiquelqu’unpeut le réussir, c’est toi,dit-ilens’étendant

surmoi.

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9

Billetmoiétionsdenouveauensemble.Nousnousinstallâmesdansuneroutinetissée

de joie et de peur – la joie de nous être retrouvés après avoir frôlé le pire, la peur que lecarnagerecommence.

Lorsquejetravaillaislesoir,jerentraisdirectementàComptonHouse,oùjepassaislanuit.Sij’étaisdel’équipedejour,Billmerejoignaitchezmoiaprèslecoucherdusoleilpourregarderunfilmoujouerauxcartesavecmoi.

Unenuitsurtroisenviron,nosébatss’interrompaient,oudumoinsjedemandaisàBilldenepasmemordre.Sanscetteprécaution,jerisquaisdem’affaibliretdeperdrelasanté,cequenousnevoulionsniluinimoi.

Je tentaipendantquelque tempsdepallier ceproblèmeenprenantdes comprimésdefer,maisjecessaibienvite.Billdétestaitlegoûtquecelamedonnait.

La nuit, durant mon sommeil, Bill s’occupait de ses propres affaires. Il lisait, sepromenait, parfoismême il travaillait dansmon jardin, à la lumièredes réverbères. S’il luiarrivait de mordre quelqu’un d’autre, il avait la délicatesse de rester discret sur ce point,commejeleluiavaisdemandé.

Cependant, une certaine tension s’installa entre nous au fil des jours.Nous avions lasensation qu’à tout instant, un malheur pouvait s’abattre sur nous. Depuis l’incendie deMonroe,lacolèreetlapeurhabitaientBill.Etresipuissantàl’étatdeveilleetsivulnérablependantlesommeildevaitêtreéprouvant.

Lahainedemesconcitoyensenverslesvampiresallait-elleretomber,àprésentquelestrois«monstresdeMonroe»,commeonlessurnommait,avaientdisparu?Jenel’auraispasjuré. Bill n’en parlait jamais ouvertement, mais je compris vite qu’il craignait de me voirconnaître une aussi triste fin que Dawn, Maudette et Granny. Après tout, leur assassincouraittoujours.

Si les incendiaires de Monroe espéraient s’être débarrassés du meurtrier, ils setrompaient.D’après les résultatsdes autopsies, les trois victimes étaient toutesmortesparstrangulation, et non à la suite d’une morsure de vampire. Dawn et Maudette avaient enoutreeudesrapportssexuelsavantd’êtretuées.Etaprès.

Tout comme Arlène et Charlsie, je devenais nerveuse. J’évitais de traverser seule lesparkings, je vérifiais avant d’entrer chez moi qu’il n’y avait aucune trace d’effraction,j’observaislesvoituresquimesuivaientlorsquej’étaissurlaroute.

Les jours passèrent, et comme cela arrive souvent dans de telles circonstances, notreattention finit par se relâcher. On ne peut pas rester à l’affût en permanence.Dans le casd’Arlène et de Charlsie, c’était d’autant plus compréhensible qu’elles avaient une viefamiliale – Charlsie avec son mari, Ralph, et Arlène avec ses enfants et, épisodiquement,RenéLenier.

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Moi,enrevanche,j’étaisseule.Jason venait Chez Merlotte chaque soir et semblait mettre un point d’honneur à

m’adresserlaparole.Jecomprisqu’iltentaitderéparercequis’étaitbriséentrenous,etjefisdemonmieuxpournepasledécevoir.Ilbuvaitdeplusenplus,etsesconquêtesfémininesdéfilaient trop vite pour que je me souvienne de leurs prénoms, mais je m’abstinsdiplomatiquementdetouteremarque.

Nous réglâmes ensemble les détails de la succession de Granny et de celle de notregrand-oncle,cettedernièreconcernantplusJasonquemoi,carlevieuxBarrettluiavaittoutlégué,àl’exceptiondelasommequej’avaisreçue.

Unsoir,Jasonm’avouaqu’il avaitdûse rendreencoredeux foisdans les locauxde lapolice et que ces convocations à répétition l’exaspéraient. Il s’en était ouvert à Sid MattLancaster,qui luiavaitproposéde l’accompagner s’ildevait êtreentenduunenouvelle foisparlesenquêteurs.

—J’aimeraisbien savoir cequ’AndyBellefleur te reproche !m’exclamai-jenaïvement.Aprèstout,tun’étaispasleseulàfréquenterDawnetMaudette.

Jasoneutsoudainl’airmalàl’aise.Ilmesemblamêmelevoirrougir.Queluiarrivait-il?

—C’estàcausedesfilms,marmonna-t-ild’unevoixàpeineaudible.—Lesfilms?répétai-jesanscomprendre.Quelsfilms?D’ungeste, ilme fit signedeparlerplusbas.Puis,aprèsavoir regardéautourdenous

commepours’assurerqu’onnenousécoutaitpas,ilm’expliqua:—Onatournédesvidéos.Il ressemblait à un petit garçon pris en faute, si bien que, malgré la gravité des

circonstances,jedusretenirunéclatderire.—Quelidiot!Oùavais-tulatête?Tun’aspaspenséquec’étaitunevéritablebombeà

retardement?Imaginequ’unedetesexenvoieunecopiedecescassettesàtapromise,lejouroùtuvoudrastecaser?Tuparlesd’uncadeaudemariage!

—Jet’enprie,maugréaJason.—Excuse-moi.MaistuasarrêtédejouerlesRoccoSiffredi,j’espère?Ilhochavigoureusementlatête.Jen’eusmêmepasbesoindemeconnecteràsonesprit

poursavoirqu’ilmentait.—TuasparlédecettehistoireàSidLancaster?Ilacquiesçadenouveau,avecunpeumoinsd’énergie,toutefois.— Tu penses que c’est à cause de ces vidéos qu’Andy Bellefleur te convoque aussi

souvent?—Biensûr.—Quoi qu’il en soit, tu ne risques rien. Il leur suffira d’effectuer un prélèvement de

spermeetuneanalyseADNpourt’innocenter.—C’estaussicequeditSid,maisjen’aipasconfiancedanscestrucs-là.—Dequoias-tupeur?Tucrainsqu’Andyn’essaiedefausserlesrésultats?—Non, il a l’air réglo.Maismoi, je ne connais rien à ces histoires d’ADN, bougonna

Jason.Jelevailesyeuxauplafond,agacée.—Alors,n’enparlonsplus,dis-je.Detoutefaçon,j’aidutravail.—Attends!Je...Jasonparuthésiter. Il jetaunrapidecoupd’œilvers les toilettes,oùLizBarretts’était

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éclipséeuninstantauparavant.—Jevoudraistedemanderquelquechose.—Oui?— Pourrais-tu lire dans les pensées des hommes qui viennent ici pour savoir si le

meurtriern’estpasl’und’eux?Jesouris.—C’estbeaucouppluscompliquéqueça,Jaz.D’abord,ilfaudraitquel’assassinpenseà

songesteaumomentoùilest ici,à l’instantprécisoùje l’écoute.Ensuite, jen’entendspastout le monde de la même manière. Certaines personnes expriment des idées aussiclairement que si elles parlaient, d’autres n’émettent que des images confuses. De plus, ilpeutm’arriverd’entendreunepenséesansréussiràlocalisersasourcedansuneassemblée.

Jason écarquilla les yeux, surpris. C’était la première fois que nous parlions siouvertementdecesujet.

—Commentfais-tupournepasdevenirdingue?demanda-t-il.J’allais lui répondre lorsqueLizBarrett réapparut.Aussitôt, je vis Jason endosser son

rôle de séducteur, comme un manteau trop lourd dont il se serait débarrassé un instant.Pourquoineselaissait-ilpasalleràplusdespontanéité?

Àl’heuredelafermeture,Arlènemedemandasiellepouvaitmeconfiersesenfantslelendemainsoir.ElleavaitprévuunesortieàShreveportavecRené.J’acceptaiaussitôt,maisellesemblaitpréoccupéeparunequestionqu’ellen’osaitmeposer.

—Ilyaautrechose?—Est-ceque...Billseraavectoi?—Bien sûr. Je devais aller louer une cassette vidéo. À la place d’un film d’action, je

choisiraiundessinanimé.Puisjecomprislesensdesesparoles.—C’estlaprésencedeBillquitedérange?—Sookie,ilfautmecomprendre...Tunesaispascequec’est,tun’aspasd’enfants.Je

nepeuxpasconfiermespetitsàunvampire.C’estinimaginable!—Billneferaitpasdemalàunenfant,voyons!—Qu’ensais-tu?Tuneleconnaispassibienqueça!J’étaissichoquéeparses insinuationsque jepartissur-le-champ,enclaquant laporte

derrièremoi. Au lieu deme rendre chezBill, commenous en étions convenus, j’allai chezmoi. J’étais furieuse contre Arlène, inquiète pour Jason et déçue par Sam, qui depuisquelquesjoursmebattaitfroid.

Quinzeminutesaprèsl’heureoùj’auraisdûarriverchezBill,celui-cisonnaàmaporte.—Quesepasse-t-il?demanda-t-il,visiblementalarmé.Pourquoin’es-tupasvenue?—Jesuisd’unehumeurmassacrante.Puisj’ajoutai,unpeuconfuse:—Jesuisdésolée,tuasdût’inquiéterpourmoi.Comment expliquer àBill l’affrontqu’Arlène venaitdem’infliger ?Comment lui faire

partagerlesangoissesqueJasonavaitéveilléesenmoi,àl’idéequ’ilsoitvictimed’uneerreurjudiciaire?Aveclaviolenced’unoragequiselève,lacolèremontaitenmoi.Ilfallaitquejepassemesnerfssurquelquechose,sinonj’allaisdevenirfolle!

—Jesors,annonçai-je.—Oùvas-tu?demandaBilld’unairsurpris.—Aujardin,creuseruntrou,dis-jeendescendantlesmarchesdelavéranda.Unefoisdanslacour,j’allaiouvrirlaportedelaremise,oùGranrangeaitsesoutils,et

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j’ensortiunepelle.Puisjemedirigeaid’unpasrageurverslejardinsituéderrièrelamaison,plusprécisémentversunebandedeterreoùl’onn’avaitjamaisrienplanté.

Là, j’enfonçai lapelledanslesolenm’aidantdemonpied,avantd’extraireunelourdepelletée de terre que je déposai sur le côté. Je répétai ; encore et encore lamanœuvre, enahanant de plus en plus, jusqu’à ce qu’un petit tas commence à monter et un trou àapparaître.

Jem’arrêtaiuninstant,lesoufflecourt.—J’yarriverai!grommelai-je.Bill,quim’avaitsuivie,s’étaitassissurunechaiselongue,d’oùilm’observaitensilence.

Sansunmotdeplus,jem’attelaidenouveauàlatâche.Finalement,jecreusaiuntrouassezlargedanslesol.Jereculaid’unpaspourappréciermontravail.

—Qu’as-tul’intentiond’enterrer?medemandaBilldesavoixtranquille.—Rien.Jevaisyplanterunarbre.—Intéressant.Quellesorted’arbre?—Unchêne,dis-jesuruneimpulsion.—Tusaisqueçavamettredesdizainesd’annéesàpousser?—Etalors?Qu’est-cequeçachangepourtoi?Billseleva,mepritlapelledesmainsavecdouceuretdemanda:—Dis-moicequejet’aifait,Sookie.En l’espace d’une seconde, toutema colère retomba. De quel droitmemontrais-je si

agressiveenverslui?—Rien.Excuse-moi,jesuisodieuse.—Tuneveuxpasmedirecequit’arrive?—Non.Dis-moi,Bill,quefais-tuquandtuesdemauvaisehumeur?Detrèsmauvaise

humeur?—J’arracheun oudeux arbres. Ilm’est aussi arrivé dem’enprendrephysiquement à

quelqu’un.Jesouris.— Dans ce cas, je préfère planter des chênes. C’est peut-être idiot, mais c’est plus

constructif.—J’aiautrechoseàteproposer,ditBill,unelueurespiègledanslesyeux.Jel’interrogeaiduregard.—Faisonsl’amour.—Jen’enaipasenvie.Ils’assitdansl’herbeetm’attiraàlui.—J’ailedroitd’essayerdetefairechangerd’avis?Jedoisreconnaîtrequ’ilsutsemontrerfortpersuasif.Ce qui restait de ma colère fondit sous les caresses de mon compagnon. Ensuite, je

demeurai longtemps dans ses bras, le regard perdu dans les étoiles. J’étais encore un peutriste,carArlènem’avaitprofondémentblessée,mais,bercéeparlarespirationcalmedeBill,jem’apaisaipeuàpeu.Ilmecaressaitlescheveuxetlesdémêlaitentresesdoigts,unpasse-temps qu’il semblait affectionner. Parfois, cela me donnait l’impression qu’il jouait à lapoupéeavecmoi.

—Jasonestvenuaubar,cesoir.—Quevoulait-il?—Medemanderdeliredanslespenséesdesclientspourdécouvrirl’assassin.

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—Mêmesil’idéen’estpasréaliste,elleadubon.—Dansquelsens?—Situtrouvaislemeurtrier,celanousmettraithorsdecause,Jasonetmoi.Ettuserais

ensécurité.—Jen’aiaucuneenvied’entrerpar...pareffractiondans l’espritdesgens,répliquai-je.

Çanesefaitpas.— Tu préfères vivre avec l’angoisse qu’on accuse ton frère ? Qu’onme fasse subir le

mêmesortqu’auxautresvampires?Je réfléchis à ses paroles. Que voulait-il exactement ? Je n’avais pas l’étoffe d’un

détective !Chacun sonmétier non ? J’allais lui en faire la remarque lorsqu’il reprit, d’unevoixétrangementsérieuse:

—Aufait,Sookie...Éricm’ademandédet’ameneràShreveport.Éric?J’eusunesecondedeperplexité.—Oh,tuveuxparlerduvampireviking?— C’est un très vieux vampire, précisa Bill d’un ton révérencieux que je ne lui

connaissaispas.Jeleregardai,intriguée.—Ilt’ademandédem’ameneràShreveport...ouiltel’aordonné?—Ilestplusvieuxquemoi.Etnettementplusfort.Jenepeuxpasluidésobéir.—Alors,c’estluilechefvampire?—Enquelquesorte.—Quesepassera-t-ilsijenemeprésentepasàsaconvocation?—Ilt’enverrachercher.—Parsagarderapprochée?Il hocha la tête. Je réfléchisun instant. Jen’avaispas l’habitudequ’onmedonnedes

ordres,qu’onnemelaissepaslechoix.Maisjen’avaispasnonplusl’habitudedemettredansl’embarrasceuxquej’aimais.

—Donc,tuseraisobligédetebattrecontreeux?—Oui.—Tusaiscequ’ilmeveut?Uneréponseévidentemevintsoudainàl’esprit,m’arrachantuncrid’horreur.—Oh,maisjeneveuxpas,moi!—Jenelelaisseraipastetoucher,ditBillavecunefroidedétermination.Tuesàmoi.—Etillesaittrèsbien...Donc,ilveutautrechose.—C’estprobable,seulement,j’ignorecequeçapeutêtre.— Puisque ce n’est en rapport ni avec mes charmes ni avec mon sang, ça doit avoir

quelquechoseàvoiravecmon...handicap.—Tuveuxparlerdetontalent?Jesouris.—Quandsommes-nousattendus?—Demainsoir.—Trèsbien.Jesupposequejen’aipaslechoix.Billmeserracontrelui.—Jet’aime.—Moiaussi.—Sookie...jepensequetudevraisboireunpeudemonsang,cesoir.Merci,maisjevaistrèsbien.

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—Situenbois,tuserasaumeilleurdetescapacitésdemainsoir.—Toi,enrevanche,tuserasaffaibli.—Jem’arrangeraipourmordrequelqu’und’autredanslajournée.Alors,illefaisait?C’étaitunechosedelesupposer,c’enétaituneautredel’entendrele

direaussiclairement.Ildutdevinermadéception,carilajoutaaussitôt:— Sookie, je le fais pour nous. Je t’ai donné ma parole que je n’avais de relations

sexuellesavecpersonned’autre.— Je sais. Bon, si tu penses qu’il est vraiment nécessaire que je boive de ton sang...

ajoutai-jeavecunsoupir.—J’ensuispersuadé.Nousauronsbesoindetouteslesressourcespossibles.—D’accord.Commentdois-jem’yprendre?—Tuaslechoix.Tupeuxboireaucou,aupoignet,àl’aine...—Aucou,cesera trèsbien,dis-jeprécipitamment,presséed’en finiravecce rituelun

peuécœurant.—Approche-toi,dit-ilenlevantlatête.—Etensuite?—Mords.J’eusunmouvementderecul.Mordreceluiquej’aimais?—Jenepeuxpas!—Mords,oujeprendsuncouteau.Ilnemelaissaitpaslechoix.J’approchaimeslèvrestremblantesdesagorgeetplantai

mes dents dans sa peau sans réfléchir une seconde de plus. Aussitôt, un flot âcre et tièdeenvahitmabouche.Jetoussai,incapabledel’avaler.

—Bois,ordonnaBill.Alors, je pris une deuxième gorgée, puis une troisième, grisée peu à peu par les

sensationsnouvellesquim’envahissaientetmeplongeaientdansunétatsecond.Jem’aperçussoudainqueBillm’avaitpénétrée.Sansdétachermeslèvresdesoncou,je

refermai les mains sur ses hanches pour guider ses mouvements. Des visions et desimpressionsinéditess’imposèrentàmoi–dessilhouettesblanchesquisortaientdeterre,desdeuxilluminéspardesmilliardsd’étoiles,unefaimdévorante,l’odeurdusang,unecourseàtraversboisàlapoursuited’uneproie,lesbattementsdecœurdel’humaintraqué...Dansuncridejouissance,Billfutagitéd’unspasme.

Je détachai mes lèvres de sa gorge et me redressai pour accueillir la vague de noirevoluptéquidéferlaitenmoi.

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10

Dès le lendemainmatin, je constatai que le petit supplément de vitamine bu la veille

faisait, son effet. J’étais plus alerte que jamais, j’avais l’esprit vif et les réflexes prompts.Étrangement,jemetrouvaisplusjolie.

Ce soir-là, alors que je me préparais pour me rendre à mon « entretien avec unvampire », Bill s’éclipsa pour se nourrir. Je savais qu’il était plus raisonnable qu’ilmordequelqu’und’autre,maisj’enéprouvaismalgrétoutunecertainejalousie.

Je choisis une tenue ni trop sexy – il n’était pas question d’aguicher Éric – ni tropnégligée. Je passai un jean, un tee-shirt qui laissait voir les marques de crocs qu’avaitimpriméesBilldansmoncou,etjemechaussaidesimplessandalesencuir.Aprèsréflexion,jeglissaiunfoularddansmonsac,ainsiqu’unechaînetted’argent.J’auraisainsidequoimeprotégerdesregardsinquisiteursdeshumains...etdesregardsgourmandsdesvampires.

Billfrappaàlaportealorsquejefinissaisdememaquiller.—Tuaschangé,dit-il.—Tupensesquelesautrespeuvents’enrendrecompte?—Jenesaispas.Ilmepritparlamainetnoussortîmesdelamaison.Savoitureétaitgaréedanslacour.

Lorsqu’ilm’ouvritlaportièredupassager,jelefrôlaietfronçailenez.—Qu’ya-t-il?—Rien.Jetentaidemeraisonnerenmedisantquejen’avaispasplusderaisonsd’êtrejalouse

delapersonnequeBillavaitmorduequ’iln’enavaitdel’êtredelavachequiavaitfournimonlaitdumatin,maisjen’yparvinspas.

—Tusensl’odeurdequelqu’und’autre,marmonnai-je,unpeuhonteusedememontrersipossessive.

—Danscecas,tusaiscequejerisqued’éprouversiÉrictetouche.Lerestedutrajetsedéroulaensilence.Nousétionstouslesdeuxtendusàlaperspective

delasoiréequinousattendait.Troptôtàmongoût,nousarrivâmesauCroquemitaine.Cettefois-ci, Bill se gara derrière le bar. Luttant contre une folle envie de prendre la fuite, jedescendis de voiture.D’autres véhicules étaient stationnés là–modèles de luxe aux vitresteintées, bolides de course à la carrosserie rutilante, décapotables blanches aux siègesrecouvertsdecuir...Vousneverrezjamaisunvampireauvolantd’untacotd’occasion!

AgrippéeaubrasdeBillcommeàunebouéedesauvetage,jemelaissaientraînerverslaportedeservice.Jemesouviensdel’odeurdebitumemouilléquimontaitdelacour,dunomLeCroquemitainepeintaustencilsurlaporteenboisetduregardencourageantqueBillmelançaàmomentd’entrer.

Ce fut la vampire blonde qui nous ouvrit celle qui était assise à la table d’Éric la

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premièrefoisquenousétionsvenus.EllenousguidaàtraversuneremiseassezsemblableàcelledeChezMerlotte,puisnousfitentrerdansunepetitepièce.SiBillavaitétéhumain,ilauraitgémidedouleurtantjeleserraisfort.

Éricétaitlà,assisderrièreunbureau,occupanttoutl’espacedesaformidableprésence.Billnes’agenouillapaspourbaisersonanneau,maisils’enfallutdepeu.GrandeOmbre,lebarman,étaitprésentégalement,vêtud’un jeanetd’untee-shirtvertbronzesansmanchesquicollaitàsapeauetrehaussaitsonteintcuivré.

Ericsechargeadesprésentations.—Bill,Sookie,vousconnaissezPam,dit-ilendésignantlavampireblonde.VoiciBruce.Bruceétaitunhumain.Manifestement,ilétaitencorepluseffrayéquemoi.Jeletrouvai

tout de suite sympathique.Assis sur une chaise face àÉric, il paraissait plus petit qu’il nedevaitl’êtreenréalité.

GrandeOmbreetPamétaientadossésaumurderrièrenous,prèsde laporte.Billallalesrejoindre.Jem’apprêtaisàlesuivrelorsqueÉricmeretint.

—Sookie?TudevraisécouterBruce.JeregardaiBruceuninstant,avantdecomprendreleréelsensdesparolesd’Éric.—Queveux-tusavoir?demandai-jed’unevoixtendue.—Soixantemilledollarsontdisparudelacaisse.Uneenviedemeurtrepassadansl’air,presquepalpable.—Etplutôtquedetortureroudetuertousnosemployéshumains,poursuivitÉric,j’ai

penséquetupourraisliredansleurespritpournousdirequiestlecoupable.Il avait dit « torturer ou tuer » aussi calmement que j’aurais dit « une bière ou un

soda».—Etensuite?Éricouvritdegrandsyeuxinnocents.—Ensuite?Jedemanderaiàlapersonnedemerendrel’argent.—Et?—Sijepeuxprouverlevol,jeremettrailecoupableàlapolice,biensûr.Ilmentait.—Faisonsunmarché,dis-je,sansm’encombrerdediplomatie.Érichaussalessourcils,visiblementsurpris.—Jet’écoute.—Situtiensparoleetlaisseslajustices’occuperduvoleur,jet’aiderai,cettefois-cietà

l’avenir.Uneexpressiondestupéfactiontotalesepeignitsursonvisage.Ilsen’étaitpasattendu

àunetelleréponsedemapart.Latensionambiantemontad’uncran.IlmesemblaitsentirsurmapeaulepoidsduregarddeBill.

—Je sais,dis-je, tuas lesmoyensdem’obliger à t’aider.Seulement,nepenses-tupasqu’ilvautmieuxquejecoopèrevolontairement?Quenouspuissionsnousfaireconfiance?

Un silence demort suivitma petite tirade. À vrai dire, j’étais la première surprise demon audace. Je négociais avec un vampire... et pas n’importe lequel ! Sans le vouloir, jem’insinuai dans les pensées d’Éric. Il songeait qu’il pourrait me forcer à lui obéir, parexempleenmenaçantBillouuneautrepersonnequim’étaitchère.Parailleurs,ilsouhaitaits’intégreràlasociété,resterautantquepossibledansleslimitesdelalégalité.Iln’avaitpasenviedetuer,dumoinspastantqu’ilpourraitl’éviter.

Ce ne fut qu’un flash, mais assez puissant pour me faire frissonner d’effroi. J’avais

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l’impressiond’êtretombéedansunniddeserpents.J’ajoutai précipitamment, dans l’espoir qu’Éric n’aurait pas eu le temps de remarquer

quej’avaisludanssespensées:—D’ailleurs,quiteditquelecoupableestunhumain?Unmouvementdestupeursefitderrièremoi,qu’Ériccalmad’unbattementdecils.—Voilà une hypothèse intéressante. Pam etGrandeOmbre sontmes associés depuis

longtemps,mais jesupposequesiaucunhumainn’est responsable, il faudraeffectivementchercherdeleurcôté.

—Cen’estbiensûrqu’uneéventualité,dis-je.—Biensûr.Siun icebergpouvaitparler, ilne s’exprimeraitpasplus froidement, songeai-je,mal à

l’aise.—Commenceparcethomme,ordonnaÉricendésignantBruce.Jeme tournai versmonvoisin, consciented’être lepointdemirede tous les regards.

Jamais je n’avais écouté les pensées de quelqu’un de façon aussi ostensible. Sur uneimpulsion,jedécidaid’improviserunpetitrituel.

Jem’agenouillaidevantBruceetprissonpoignet.Lecontactphysiquemepermettrait

demieuxmeconcentrersur luietderendreplus tangiblemon intervention.Jepressentaisconfusément l’importancede cettepetitemise en scène, qui renforcerait lepeudepouvoirdontjedisposais.

JeplongeaimonregarddansceluideBruce.« Je n’ai pas pris l’argent, je ne sais pas qui l’a volé. Qui serait assez fou pour nous

mettreendangercommeça?QueferontLillianetlespetitssionmetue?Quelimbécilej’aiétédevenirtravaillerpourdesvampires!C’étaitdelafolie.Sij’enréchappe,plusjamaisjenemettrai lespiedsdansunendroitpareil.Etaufait, j’aimeraisbiensavoircommentcettecingléepeut deviner qui a pris l’argent, et si elle est aussi une vampire.Elle a undrôlederegard. Est-ce qu’elle va me dénoncer, même si ce n’est pas moi ? J’aurais mieux fait decherchertoutseullecoupableaulieud’enparleràEric...»

Jelibéraisonpoignet,étourdieparleflotdepenséesquiémanaitdesonesprit.—Cen’estpaslui,dis-jeenmerelevant.Surunregardd’Éric,Pamescortalepauvregarçon,enétatdechoc,verslasortie,puisfit

entrerlesuspectsuivant.Ils’agissaitd’unebarmaidtoutevêtuedenoir,avecundécolletéavantageuxetdelongs

cheveux blonds. Une mordue, comme en témoignaient les multiples traces de dentsimpriméesdanssoncouetsesbras.Elles’assitsurlachaisefaceaubureau,croisalesjambesfaçonSharonStoneetadressaunsourireradieuxauvampireblond.Puiselleparutprendreconsciencede l’atmosphère lourdequi régnaitdans lapièce, car je lavis regarderÉricd’unœilsoucieux.

—Oui,maître?—Ginger,cettefemmeadesquestionsàteposer.La barmaidme jeta un regard plein demépris. Je procédai comme je l’avais fait avec

Bruce,maisellerejetamamainavecbrusquerie.—Nemetouchezpas!s’écria-t-elle.J’eusl’impressiond’entendreunchatcracher.—Pam,retiens-la,ordonnaÉric.Sansunmot,celle-cis’approchadeGingeretluiimmobilisalebras.Labarmaidtentade

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sedégager,maisneréussiqu’àfaireseresserrerlapoignedePam.Jerefermaimamainautourdesonpoignet.—Avez-vousvolél’argent?demandai-jeenlaregardantdroitdanslesyeux.Une lueur d’horreur passa dans son regard brun. Puis elle émit un hurlement de

possédée,avantdevomirun flotd’injures.Jemeconnectaiàsonesprit,dumoinsàcequis’en rapprochait le plus. La pauvre fille n’avait pas plus de cervelle qu’un étourneau. Sespenséesn’étaientqu’unesuite incohérented’imagesetde sensations,qu’aucuneparole,oupresque,nevenaitéclairer.Bienqu’ellenerépondîtpasàmaquestion, jesusrapidementàquoim’entenir.

—Elleconnaîtlecoupable,dis-jeenhaussantlavoixpourcouvrirsonraffut.Àcetinstant,lamalheureusebarmaidcessasesimprécationsetfonditenlarmes.Avec

unegrimaced’écœurementmêlédepitié,jemetournaiversÉric.—Celui-ci l’amordue,poursuivis-jeendésignant lesmarquessursoncorps,maiselle

nesaitplusdequiils’agit.—Hypnose,commentaPam.—Quiestsameilleureamie?demandai-je.—Elles’appelleBelinda,elletravailleici.—Appelons-la,suggérai-je.—Faut-ilqu’ellerestedanslapièce?medemandaPamendésignantGinger.—Ilvautmieuxlafairesortir.Ellerisqueraitdetoutgâcher.Pamentraînalamalheureuse,toutetremblante,horsdelapièce.J’auraispuprofiterde

cetintermèdepourchercherleregarddeBill,maisjen’enfisrien,depeurdeperdrecourage.Pamrevintencompagnied’uneautrebarmaid,plusâgéequeGingeretmanifestement

plus intelligente.Une fois la femmeassise, je renouvelaimonpetit rituel,puisÉricposa laquestionquejeluiavaissuggérée.

—Belinda,sais-tuquiafréquentéGinger,cestemps-ci?Labarmaidfutassezraisonnablepourseprêterdebonnegrâceàcet interrogatoireun

peuparticulieretrépondreavecfranchise.—Tousceuxquiveulentbiend’elle,répliqua-t-elle.Nous étions maintenant tout près du but. Je vis une image passer dans l’esprit de

Belinda,maisilmefallaitunnompourquelaréponsefûtsansappel.—L’und’euxest-ildanscettepièce?m’entendis-jedemander.Alors, tout se déroula très vite. Je n’avais pas achevé ma phrase que j’avais déjà la

réponse.Aussitôt, mon regard se porta de l’autre côté de la pièce. Grande Ombre s’était déjà

élancéversmoi,detoutelaforcedesoncorpsdefélin.JemejetaiausoldevantBelinda,mais levampirebonditpar-dessuslachaiseetroula

surmoi, touscrocsdehors.J’eus juste le tempsde levermonbraspourprotégermagorge.Unedouleurfulgurantetraversamonpoignetlorsquesesdentsacéréess’yplantèrent,maisjen’euspaslaforcedecrier,tantlasurprisem’avaitcoupélesouffle.

GrandeOmbreétaitprêtàmetuerpourquesonnomnefranchissepasmeslèvres.Je fus envahie par une peur panique. Le vampire pesait sur moi de tout son poids,

menaçantdemebriserlanuque.Par-dessusmonbraslevé,j’entrevoyaissonregardfou.Nous demeurâmes immobiles, les yeux dans les yeux, pendant ce quime parut durer

uneéternité.PuislesprunellesdeGrandeOmbreseternirent,unvoilepassasursonvisage,etenfin,unflotdesangjaillitdesabouche,éclaboussantmonvisageetmeslèvres.

Alors,j’assistaiauspectaclelepluseffroyablequ’ilm’aitjamaisétédonnédevoir.

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Enquelquessecondes, lesyeuxdeGrandeOmbreprirentuneconsistancegélatineuse,son frontet ses joues se racornirent commeunparchemin jetédans les flammes,puisdespoignéesdecheveuxnoirssedétachèrentdesoncrâneettombèrentsurmoi.Jeleschassaiaussitôtdansunfrissond’horreur.

Enfin, desmainsme saisirent pourmedégager du corps endécomposition. Il n’y eutbientôtplusaupieddubureaud’Éricqu’unamasnoirrépugnant.Nousobservâmesdansunsilencehébété les restesduvampirequi,moinsd’uneminuteauparavant, s’appelaitencoreGrandeOmbre.

J’étaisauborddelanausée.Soudain,jeremarquaiqu’Érictenaitunmailletàlamain.L’armeruisselaitdesang.Je

regardaiautourdemoi.Toutlemondesemblaitpétrifiéparl’horreur.Bill,quim’avaitlibéréedemonagresseur,meserraitencorecontrelui.Prèsdelaporte,Pamretenaitd’unepoignedeferBelinda,dontl’expressiondetotalestupeurnedevaitpasêtretrèsdifférentedelamienne.

Sur le sol, le tas immonde s’était liquéfié. Il ne restait plus à présent qu’une flaqued’apparencevisqueusequiserésorbaitàvued’œil.Puis,dansungrésillementdebougiequis’éteint,leliquides’évapora,nelaissantderrièreluiqu’unetachenoirâtre.

—Tuvasdevoirt’acheterunnouveautapis,dis-jetoutàtrac.Ilfallaitquejerompelesilenceoppressantquis’étaitabattusurlapièce.Ériclevalesyeuxversmoi,commedistraitd’unrêvedésagréable.—Tuasleslèvrestoutesrouges,dit-il.Jem’essuyailabouchedureversdelamain.—Oui,ilaperdudusangsurmoi.—Tuenasavalé?—Sansdoute.C’estimportant?—D’habitude,ditPamd’unevoixunpeurauque,c’estnousquibuvonslesanghumain.

Pasl’inverse.Éric me dévisagea. Dans ses yeux brillait une lueur de concupiscence qui me fit

frissonner.—Ehbien,Sookie,voilàunequestionrésolue,dit-il.Ilavaitparlésans lamoindreémotion.Jamaisonauraitcruqu’ilvenaitd’exécuterun

vieilami.—Danscecas,Billetmoiallonsvouslaisser.J’auraisaiméconsulterBillduregardavantdeparler,maisjen’osaispasdétachermes

yeuxdeceuxd’Éric.Jepoursuivisdonc:—N’oublie pas ta promesse. Pas de mesures de rétorsion contre Ginger, Belinda ou

Bruce,n’est-cepas?Jemedirigeaiverslaporteàreculons,avecuneassurancequej’étaisloinderessentir.

Éricnemequittaitpasduregard.—Tuasunfumetdifférentdesautres,Sookie,murmura-t-il.Jefeignisdenepasl’avoirentendu.—Tuviens,Bill?Ons’enva.Pourquoi ne répondait-il pas ? Je me tournai vers lui... et mon cœur manqua un

battement.Billsemblaittransforméenstatue,lespupillesdilatées,lamâchoirependante,lescaninessorties,leregardfixésurÉric.

Ilfallaitquejeréagissetoutdesuite.—Pam,dis-jed’untoncalmeetposé,situappelaisGinger?Aussitôt,celle-ciapparut,commesiellen’avaitattenduquecela.

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—Ginger?Érictedemande,expliquai-jeàlajeunefemme.Labarmaidvolaauxpiedsdesonmaître,prêteàsatisfairetoussescaprices.Pam,elle,

semblait partagée entre l’envie de céder à l’excitation presque palpable qui régnait dans lapetitepièceetlacraintededéplaireàÉricenmelaissantm’enfuir.

C’étaitlemomentd’agir»Jem’approchaideBill et leprispar lebraspour l’entraîner.Sans lemoindre résultat.

Autant essayer de soulever un chêne ! Je lui donnai une vigoureusebourrade, cette fois-ciavecplusdesuccès.

Ilneparutretrouverunpeusesespritsqu’aprèsêtresortidubureau.Comprenantenfinqu’ilétaiturgentdequitterLeCroquemitaine,ils’élançaàmasuiteversleparking.

Unefoisàl’airlibre,jeralentisl’allure.J’étaiscouvertedesang,mesvêtementsétaientfroissés, et je dégageais une odeur étrange. Je me dégoûtais. Je levai les yeux vers Bill,m’attendantàtrouverdanssonregardlamêmerépugnance.

Ilétaitfoudedésirpourmoi.—Ah,non!Jeteprévienstoutdesuite,jenesuispasd’humeur.Onrentre,j’aibesoin

deprendreunedouche.Àpeineeus-jefinideparlerqu’ilm’enlaçaetléchalesangquicommençaitàséchersur

monvisage.Furieuseeteffrayée,jelerepoussaidetoutesmesforces.—Pardon,murmura-t-il,commes’ilémergeaitd’unmauvaisrêve.Puisilinspectalesalentoursavecinquiétudeetajouta:—Sauvons-nousvite.Cenefutqu’aprèsavoirquittéShreveportetroulédelonguesminutesensilencequeje

posailaquestionquimetracassait.—PourquoiGrandeOmbrea-t-ilvolécetargentàÉric?Ilsn’étaientpasamis?—Si,depuisplusdecentans.GrandeOmbredevaitavoirdesdettes,etilaurapréférése

servirdanslacaisseplutôtquededemanderàÉricdel’aider.Ilétaitd’unefiertémaladive.—Moiquiaitoujourscruquelesvampiresétaientplusintelligentsqueleshumains...Lorsquenousarrivâmesàl’entréedeBonTemps,jedemandaiàBilldemedéposerchez

moi. J’avais besoin de solitude. Après l’horreur de cette soirée, je n’étais pas disposée auxplaisirsdel’amour.Moncompagnonmeglissaunregarddéçu,maisilobtempéra.

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11

Cene futque le lendemain,enmepréparantàpartirautravail,que jeprisconscience

deschangementsquis’étaientopérésenmoi.Toutd’abord,jenevoulaisplusentendreparlerdevampires.Billcompris.Ensuite,etc’étaitpluspréoccupant,ilmesemblaenmeregardantdanslemiroirquejen’étaisplustoutàfaitlamême...

Après avoir bu pour la première fois du sang de Bill, le soir où les Rattraym’avaientattaquée, j’avais repris des forces et du courage avec une rapidité surprenante, mais sansremarquerderéellemodificationdansmonapparence.

La deuxième fois, j’avais noté un accroissement de force et de vivacité indéniable. Jem’étaissentieplussûredemoi,demaséduction,demacapacitéàréagirauxévénementslesplusimprévus.

Mais le fait d’avoir avalé sans le vouloir un peu de sang de Grande Ombre m’avaitchangée de façon évidente, presque choquante. Mes dents étaient plus blanches et pluspointues,mescheveuxplus lustrés,mesyeuxplusbrillants.Je rayonnaisd’unevitalitéquiévoquaitirrésistiblementuneénergiepure,animale...pournepasdiresauvage.J’enétaisàlafois heureuse et inquiète. Avais-je entamé la lente transformation d’un être humain envampire?

Alorsquejem’apprêtaisàquitterlamaison,unpetitincidentseproduisit,quirenforçale trouble que ces changements éveillaient enmoi. Mon sac à main ouvert me glissa desdoigts et tomba sur le parquet. Plusieurs pièces demonnaie s’en échappèrent et roulèrentsouslacommode.Machinalement,jemebaissaietsoulevailemeublepourlesramasser.Cenefutqu’enlereposantquejeprisconsciencedecequivenaitdesepasser.

J’avais toujours éprouvé les plus grandes difficultés à déplacer ce meuble en chênemassif,quidataitdumariagedeGranny.Pourtant,jen’avaiseuqu’àtendreunemainpourlelever,commes’ils’étaitagid’unfragiletabouret!

Je me redressai, émerveillée par la force toute neuve qui courait dans mes muscles.C’étaitincontestable,jen’étaispluslamême.Jemetournaiverslafenêtreouverte,prised’undoute.Non,lalumièredujournemeblessaitpaslesyeux.Etjen’avaispaslamoindreenviedemordrequiquecesoit.Jelaissaiéchapperunsoupirdesoulagement.

Jedevaisêtredevenueunesorted’êtrehumainamélioré.ChezMerlotte,toutétaitprêtpourleservice.Ilnerestaitplusqu’àtrancherlescitrons

destinés à accompagner les cocktails et les tasses de thé. Je sortis les fruits du grandréfrigérateurdelacuisine,puisallaichercheruneplancheetuncouteauàdécouper.

—Tut’esfaitdesmèches?medemandaLafayette,toutennouantsontablierautourdesataille.

—Non,dis-je,moncouteauàlamain.Puis,commesonregarddemeuraitperplexe,j’ajoutai:—Cedoitêtrelesoleilquiaéclaircimescheveux.Jebaissai les yeuxvers laplanche... et réprimaiun cride surprise.Les citronsétaient

déjàtranchés.Commentétait-cepossible?Jeregardaimesmains.Ellesruisselaientdejusdecitron. Je venais de couper une quinzaine de fruits enmoins de dix secondes, sansmêmem’enapercevoir.

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—Jerêve!s’exclamaLafayette,lesyeuxfixéssurmesmains.—Exactement,répliquai-jeavecunaplombquimesurpritmoi-même.Tuasrêvé,Laf!Sansunmotdeplus,jefisglisserlestranchesdecitrondansuneboîtequej’allairanger

dans le petit réfrigérateur dubar. Lorsque jeme retournai, Sam se tenait derrièremoi, lessourcilsfroncés.

—Qu’est-cequit’estarrivé?Je suivis son regard, posé sur mon poignet avec insistance. J’avais pourtant pris la

précautiondecouvrird’unbandagelamorsurequem’avaitinfligéeGrandeOmbre.—Oh,c’estunchienquim’amordue.—Ilétaitvacciné,aumoins?s’enquitSamd’untoninquiet.—Oui,biensûr.Les yeux de Sam brillaient d’une lueur intense. Chose étrange, je percevais avec une

acuitéinéditel’énergiequiémanaitdelui–sonsoufflecourt,lesbattementsdesoncœurquis’accéléraient,ledésirquimontaitenlui...Aussitôt,moncorpsréponditàcetappelprimitif.

Instinctivement,jefisunpasverslui.Ilenfitunautre.Etnousbondîmestouslesdeuxenarrièreenentendantclaquerlaportedeservice.—Salut,toutlemonde!s’écriaCharlsieenentrantdanslebar,unsourireradieuxaux

lèvresDevinezcequim’arrive?Jevaisêtregrand-mère.Je la félicitai dûment, en me réjouissant intérieurement de son irruption. Quelques

instants plus tard, nous étions tous autour d’elle pour écouter les détails concernantl’heureuxévénement.Puiscefutlecoupdefeududéjeuner,etl’incidentfutclos.

Alors que je prenais mes premières commandes, la requête de Jason me revint enmémoire. Mais je n’avais pas très envie d’écouter les pensées de tous les gens quim’entouraient,encoremoinsdemeplongerdenouveaudans lessouvenirsdouloureuxdestroismeurtresquinousavaienttousprofondémentchoqués.

Parailleurs,j’avaispromisàmonfrèredefairecequiétaitenmonpouvoirpourtenterd’identifier lecoupable.Jen’avaispas ledroitdereculer,maintenant.Unpeugênée, jemeconnectaiàl’espritduclientleplusproche.

Le vieux M. Norris était triste, car il était persuadé que Jason était l’assassin deMaudette.Ilsedemandaitaveceffroisimonfrèreavaitégalementtuénotregrand-mère.Ilsedisaitquelesjeunesétaientmieuxéduqués,desontemps.

Le shérif, qui déjeunait avec lui,me regardait en songeant : «Pasdediplôme,un jobsansavenir,desrelationsmalsainesavecunvampire...C’estvraimentlaliedelasociété!»

Choquée et blessée, je me détournai. Je poursuivis mon travail, sans m’accorder uninstantderepos.Prudemment,jereprismesinvestigations.Parchance,laplupartdesclientsn’étaientpasaussimalveillants.Engénéral,ilssongeaientautravailquilesattendaitl’après-midi,auxréparationsàfairechezeuxouauxfacturesàpayer.

Arlèneétaitsoulagée–toutcomptefait,ellen’étaitpasenceinte.Charlsie réfléchissait à la fête qu’elle allait organiser pour célébrer la grossesse de sa

fille.Lafayettesedisaitquejedevenaisunpeubizarredepuisquelquetemps,maisquej’étais

deplusenplusjolie.L’agent Kevin Prior se demandait à quoi sa collègue Kenya employait ses week-ends.

Lui-même avait passé son dimanche à ranger le garage de samère et avait pesté toute lajournéecontrecettepertedetemps.

Certains s’interrogeaient sur mes cheveux – avais-je fait une couleur ? – et mon

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pansement–commentm’étais-jeblessée?Nombredeclientsmasculinsmetrouvaientplusdésirable, mais la plupart, surtout ceux qui avaient participé à l’expédition punitive deMonroe,songeaientqu’ilsn’avaientaucunechanceavecunefillecommemoi...unefillequipréférait les vampires. En général, ceux-ci regrettaient déjà leur impulsivité, qui les avaitpoussésàcommettrelepire,lematindutriplemeurtre.

Je gardai leurs noms en mémoire – pas question d’oublier qu’ils auraient pu fairedisparaître Bill de la surface de la terre, même si, à ce moment précis, la communautévampirenefiguraitpasentêtedelalistedemespriorités.

AndyBellefleuretsasœurPortiadéjeunaientensemble,commechaquesemaine.Celle-ci songeait qu’a sa brillante carrière d’avocate célibataire, elle aurait préféré unemédiocrecarrièred’avocatemariéeetmèredefamille...

Quant à son frère, il se demandait ce que je pouvais bien trouver à Bill Compton ets’interrogeaitsur lescapacitéssexuellesdesvampires.J’appriségalementqu’ils’apprêtaitàordonnerl’arrestationdeJason,cequi lenavrait.Ilsavaitqueleschargescontremonfrèren’étaientpasplussolidesquecellesqu’ilauraitpuretenircontrebiend’autreshommes,maissedisaitqueJasonsemblaitsinerveuxqu’ilavaitnécessairementunpoidssurlaconscience.D’autantquecesvidéosdesesébatsencompagniedeDawnetdeMaudetten’arrangeaientpassoncas.

—Sookie,jeprendraiuneautrebière,ditAndy.—Toutdesuite.Jevousapporteduthé,Portia?Celle-cisecoua la têteetmeremerciapoliment.Ellesesouvenaitdesannéesde lycée,

oùelleauraitvendusonâmepourunenuitaveclebeauJasonStackhouse.Ellesedemandaitcequ’ildevenaitetsisesprestationsaulitpourraientluifaireoubliersonmanquedeculture.Ellen’avaitpasentenduparlerdesvidéos.

J’endéduisisqu’Andyn’avaitpas trahi le secretprofessionnel.Un bon point pour lui,pensai-jeenallantcherchersabière.

Àlafindemonservice,nonseulementjen’avaisrienapprisd’intéressantsurl’identitédel’assassindeGranny,DawnetMaudette,maisj’étaisplusinquiètequejamaispourJason.

J’étaisépuisée,etj’avaisl’impressiond’êtreseuleaumonde.Àqui aurais-jepuparlerdu soucique jeme faisaispourmon frère,dema relation si

particulière avec Bill, ou encore de mon « infirmité », qui m’interdisait toute relationnormale avec un homme ? Mes collègues ne comprenaient pas ce que je vivais, et lesmorduesquej’avaispurencontrerétaientdécidémenttropmalsainesàmongoût...

Une fois de retour à lamaison, toutema confiance enmoi s’était envolée. Je passail’après-midiàdormir,puisjegrignotaiunepartdepizzasansappétit.Lorsquelesoirtomba,aprèsunehésitation,j’enfilaiunjeanetuntee-shirt...etjeprisladirectiondeChezMerlotte.

C’étaitsansdoutelapremièrefoisquej’yvenaisentantquesimplecliente.Jasonétaitaubaret,ôsurprise,letabouretvoisindusienétaitvide.Jem’yassissanshésiter.

—Qu’est-cequetufichesici?demanda-t-ild’untonindigné.—UnwhiskyCoca,Sam!commandai-je,sansregardermonpatrondanslesyeux.Puisjemetournaiversmonfrère.— Tu devrais être content de me voir, dis-je à voix basse. J’ai fait ce que tu m’as

demandé.Jesuisvenuecesoirpourcontinuermonenquête.Uneexpressiondegratitudesepeignitsursonvisage.—Merci, Sookie. Excuse-moi, je suis un peu tendu ces temps-ci. Tiens, tu as fait une

couleuràtescheveux?demanda-t-ilensortantdesapochedequoipayerleverrequeSamvenaitdedéposerdevantmoi.

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Nousn’avionspasgrand-choseànousdire,cequimepermitdemeconcentrersur les

penséesdesclients.Jem’intéressaienpremierlieuàceuxquejeneconnaissaispas,maisjen’entendis rien de suspect. L’un songeait à sa femme, avec qui il s’était disputé, l’autre sedisait que ce bar était vraiment sympathique, le troisième essayait de rester droit et sedemandaits’ilparviendraitàretrouverlechemindumotel.

Jecommandaiunautreverre.— Tiens, s’exclama soudain Jason, notre ami Compton ! Et en bonne compagnie, on

dirait.Bill ? Avec une femme... ou un autre mignon ? Je m’interdis de pivoter sur mon

tabouret–j’étaisd’ailleurstropivrepourprocéderàunetelleopérationsanstombersur lesol.Jen’avaispasl’habitudedeboiredel’alcool,et lesdeuxwhiskiesquejevenaisd’avaleraffectaientconsidérablementlaprécisiondemesmouvements.

Je posai lesmains bien à plat sur le bar, descendis demon siège etme tournai avecprécautionversl’entrée.JecroisaileregarddeBill,quiétaiteffectivementaccompagnéd’unefemme.Unehumaine.Brune,mince,insignifiante.Ilétaitsurprisdemetrouverlàcesoir.Jenepouvaispasentendresespenséescommeje l’avais faitavecÉric,mais ilmesuffisaitdelirelesémotionsquisesuccédaientsursonvisagepourlecomprendre.

—Salut,BillleVampire!lançaHoyt.Billhochalatêteàsonadressesansunmotetsedirigeaversmoi,sacompagneaubras.—Àquoiest-cequ’iljoue?medemandaJasonàmi-voix.—Aucuneidée.Une folle envie de gifler la brune me démangeait, mais je n’en laissai rien paraître.

J’avais ma dignité. J’aurais aussi volontiers frappé Bill pour le punir de cette inutileprovocation...cequiauraitétéaussiridiculequedangereux.Àgrand-peine,jemecontins.

Bill, qui avait à présent traversé la salle, n’était plus qu’à quelques pas de moi. Jem’aperçus alors que les conversations avaient cessé. Tous les regards étaient braqués surnous.

—Sookie?ditBill.Jeteprésentelecadeauqu’Éricm’afaitlivreràdomicile,ajouta-t-ilendésignantlajeunefemmequil’accompagnait.

Jeleregardai,lessourcilsfroncés.—Pourtonanniversaire?—Mon.C’estunerécompense.—Ah,oui,uneboissongratuite.Jasonposaunemainsurmonépaule.—Netefatiguepas,petitesœur.Ilneleméritepas.Billmeregardaitavecintensité.Danslalueur;desnéons,ilétaitplusblancquejamais,

signequ’iln’avaitpasmordulafilleauxcheveuxbruns.—Viensdehors,ilfautquenousdiscutions.—Avecelle?Jen’avaispasparlé,j’avaissifflé.Sijenem’étaispasretenue,j’auraissautéàlagorgede

lafille,quiglissaitàBilldesœilladesenamourées.—Non,justetoietmoi.Ilfautquejelarendeàsonpropriétaire.L’insulte,pourtantdestinéeàlafille,mefitfrémir.L’intéressée,enrevanche,neréagit

pas.Sans lâcher soncoude,Bill l’entraînaavec lui et retraversa la salle sous les regardsdel’assemblée.

Cen’estqu’unefoisdehorsquejevisqueJasonnousavaitsuivis.

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—Salut,luiditlafilleenbattantdescils.Ons’estdéjàvus,non?Jem’appelleDésirée.—Qu’est-cequetufaisici?luidemandamonfrèreavecuncalmequineprésageaitrien

debon.—Éricm’aofferteàBill.Jenesaispaspourquoi,çan’apaseul’airdeluifaireplaisir.—QuiestÉric?—UnvampiredeShreveport.Iltientunbarlà-bas.—Ill’adéposéesurmonpaillasson,expliquaBilld’untonnavré.Cen’estpasmoiquile

luiaidemandé.Jeluijetaiunregardméfiant.—Quecomptes-tufaire?—Jetel’aidit,larenvoyeràÉric!J’aibesoindeteparler,Sookie.—JepeuxlarameneràShreveport,proposaJason.—Tuferaisça?demandaBill,visiblementsurpris.Jeveuxbien.Ilfautabsolumentque

j’aieunediscussionavectasœur.—Pasdeproblème.Jasonavaitunairtropinnocentpourêtrehonnête.Qu’avait-ilentête?—C’estbienlapremièrefoisqu’onmerendsansconsommer,maugréaDésirée.—Jesuisvraimentdésolé,luiditBillavecunegentillesseconfondante.Jesuissûrque

tuesunmorceauderoi,maisjen’aipasbesoindetesservices.Désiréemelançaunregardnoir.—Elleestàtoi?demanda-t-elleenmedésignantdumenton.Billhochalatête.—Oui.Désiréemeparcourutd’unregardemplidedédain.—C’estmasœur,expliquaJasond’unevoixoùsemêlaientlahonteetlafierté.— Elle a un drôle de regard. On dirait qu’elle lit dans vos pensées. Tu as l’air plus

normal,ajoutaDésiréeensetournantverslui.Aufait,commentt’appelles-tu?—Stackhouse,réponditJasonenlaprenantparlamainpourl’entraînerverssonpick-

up.JasonStackhouse.Jelesregardaipartir,intriguée.PourquoiJasonsemontrait-ilsicoopératif?Mystère.Je

metournaiversBill.—Jet’écoute,dis-je,sansmedonnerlapeinededissimulermonagacement.

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—Pasici.Allonschezmoi.—Non.—Cheztoi,alors.—Nonplus.—Trèsbien.Oùveux-tualler?Jeréfléchisuninstant.—Chezmesparents,dis-je.Jasonne rentrerait pas avantunbonmomentde sa virée à Shreveport.Nous aurions

toutletempsdeparler,Billetmoi.—Parfait.Jetesuis.Nousnousséparâmes,etchacunmontadanssavoiture.Lamaison demon enfance, un ranchmodeste que Jason entretenait avec soin, était

situéeà lasortiedeBonTemps.Jemegaraisur legravierdelacouret fusbientôtrejointeparBill.

Je lui fissignedemesuivre,puiscontournai lamaisonetdescendis lapetitealléequimenaitàunemarequemonpèreavaitfaitcreuservingtansauparavant.Surunpetitpontonenboissetrouvaientdeuxtransatsetunecouverture.Billpritleplaidetl’étenditsurl’herbe.

Jem’yassis,malàl’aise.Billsavaittrèsbiencequ’ilfaisait.Êtreprèsdeluimedonnaitenviedel’êtreplusencore,etiljouaitdemafaiblesseavecunartconsommé.Jerestaiassiseen tailleur tandisqueBill s’étendait àmoncôté, lesmains croisées sur sapoitrine, enuneattitudequidisaitclairement:«Tuvois,jen’essaiemêmepasdetetoucher.»

—Tuaseupeur,lanuitdernière,dit-ilaprèsunlongsilence.—Pastoi?—Si.Pourtoi.Parcequejet’aime.Je n’osais tournermon visage vers lui. Je savais que si je croisais son regard, je me

jetteraisdanssesbras.—Ettoi,Sookie?Est-cequetum’aimes?Jehochailatête,leregardobstinémentfixésurunpointdel’autrecôtédelamare.—Alors,pourquoimefuis-tu?Unelarmebrûlanteroulasurmajoue,suivied’uneautre.— J’ai peur des autres vampires, et je ne peux pas vivre sous lamenace permanente

d’Éric.Qui sait cequ’il exigerademoi, laprochaine fois ?Que je tuequelqu’un? Il enestbiencapable!

Enunéclair,Bills’assitetpassasonbrasautourdemesépaules.—Nepleurepas,murmura-t-il.Écoute,Sookie,j’aiunenouvelleàt’annoncer,quirisque

denepastefaireplaisir.La seule nouvelle qui m’aurait fait plaisir en cet instant était la disparition du chef

vampire.—Érics’intéressebeaucoupà toi. Ilacomprisquetupossèdesdespouvoirs trèsrares

chezleshumains;ilsedemandequelgoûttuas.Etiltetrouvetrèsbelle.Ilnesaitpasquetuasdéjàpristroisfoisdenotresang.

—TuasvuqueGrandeOmbreavaitsaignésurmoi?Billhochalatête.—Plustuboisdenotresang,plustudeviensdésirableànosyeux.Enfait,auxyeuxde

toutlemonde,humainscompris.—Serais-tuentraindem’expliquerqu’Éricmedésire?—C’estexactementça,ditBillavecgravité.

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—Iln’yaaucunmoyendel’empêcherdeparveniràsesfins?—Si.Lerespectdesconvenances.Jelaissaiéchapperunricanementdubitatif.—Cen’estpasunpointnégligeable,insistaBill.Nousdevonsobservercesconvenances

plusquequiconque,nousquisommescondamnésàvivreensemblependantdessiècles.—Et...àpartlesbonnesmanières?—Jenepossèdepaslapuissanced’Éric,maisjenesuispasnonplusundébutant.J’ai

assezdeforcepourleblesserencasdecombat.—C’esttout?—Non,ilnousresteunetroisièmeressource.—Laquelle?—Toi.J’interrogeaiBillduregard,—Situpeuxluiêtreutiled’uneautrefaçonets’ilsaitquetunesouhaitespastedonner

àlui,ilaccepterapeut-êtredetelaissertranquille.—Jen’aiaucuneenvied’êtreutileàcemonstred’égoïsme!—N’oubliepasquetuluiaspromishiersoirdel’aiderdenouveau,merappelaBill.—Oui,àconditionqu’ilremettelevoleuràlapolice.Etqu’a-t-ilfait?Ill’atué!—Pourtesauverlavie.Jemeréfugiaidansunsilenceboudeur.Jenevoulaisplusentendreparlerdesvampires,

encoremoinsduplusexécrabled’entreeux.—C’estlapremièrefoisquej’assisteàunrèglementdecomptesaussibrutalentregens

de notre communauté, dit Bill, songeur. Je commence à trouver qu’Eric va beaucoup troploin.

—Personnenepeutleretenir?—Pam,peut-être...C’estluiquiafaitd’elleunevampire,ilyadessiècles.Ilssonttrès

attachésl’unàl’autre.—Tantmieuxpoureux,qu’ilssedébrouillent.Encequimeconcerne, jeneveuxplus

avoiraffaireauxvampires.—Mêmeàmoi?demandaBillavecunetristesseinfinie.—Écoute, tues leseulque jeveuille fréquenter,maissi j’aibiencompris, il fautvous

prendreenlot.Désolée,çanem’intéressepas.TuteconsolerasavecDésirée.—Jememoquedecettefille,maugréaBill.C’estÉricquimel’aenvoyéepourtesterma

fidélitéenverstoi.Ilestcapabledel’avoirempoisonnéepourm’affaiblir.Jefrémisàcetteidée.Leshumainsn’étaient-ilsquedubétailauxyeuxdesvampires?

C’étaitàdésespérer!—Ilseratoujoursplusfortquetoi?demandai-je.—Biensûr,puisqu’ilestplusâgé.Maisaprèsunsilence,ilajouta,pensif:—Quoique...Ils’absorbadansuneprofonderéflexion.—Oui...murmura-t-il d’une voix à peine audible.Oui, ce serait possible... à condition

que...Jen’enentendispasplusetneposaipasdequestions.Aprèsunlongmoment,jevisle

visagedemoncompagnons’éclairer.—Jet’aime,dit-il,commesicesparolesétaientlaconclusionlogiquedesaméditation.—Moiaussi.Seulement,j’ail’impressionquetoutestcontrenous.Rienneserapossible

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tantquenousseronssoumisauxcapricesd’Éric.Ilfaudraitaussiquel’enquêteaboutisseetquel’ondémasquelemeurtrier.Jusque-là,nousnepourronspasvivreenpaix,toietmoi.

Jecomptaisurmesdoigts.—Maudette,Dawn,Granny...sansparlerdetestroisamis.De nouvelles larmes me montèrent aux yeux. Avec le temps, je m’étais habituée à

trouverlamaisonvideàmonretourdutravail,maisl’absencedeGranrestaitdouloureuse.—Quiteditqu’uneseuleetmêmepersonneestresponsabledestroisassassinatsetde

l’incendiedeMonroe?Les gensd’ici ne sontpasdesbrutes. Ilsn’auraient jamais envisagéde commettreun

acte d’une telle barbarie si onne les y avait pas fortement poussés. Je suis persuadée quec’estletueurquileurasuggérédemettrelefeuàlamaisondesvampires.

Billréfléchituninstant.— Tu as peut-être raison... Tu n’as pas essayé d’écouter les pensées des personnes

autourdetoi,récemment?—Si,maisçan’ariendonné.Pourl’instant.—Tuesuneoptimiste,Sookie.—Jen’aipaslechoix.Jeluicaressailajoue.DepuisqueBillétaitentrédansmavie,j’avaisplusderaisonsque

jamaisd’êtreoptimiste.—Alors,continued’écouter,si tupensesquecelapeutnousêtreutile–Encequime

concerne,jevaisattaquerleproblèmeparunautrebiais.Jepourrais...Non,ilvautmieuxquejet’expliquemonidéeuneautrefois.Jepasseraicheztoidemainsoir.Situesd’accord.

—Biensûr.J’étaiscurieusedeconnaîtreleplanqueBillavaitéchafaudé,maispuisqu’ilnesemblait

pasdisposéàm’endireplus,jem’interdisdeposerlamoindrequestion.Sur le chemin du retour, je songeai que les semaines qui venaient de s’écouler, si

éprouvantesqu’ellesaientété,auraienttournéaucauchemarsijen’avaispaseuàmescôtéslaprésencerassurantedeBillCompton.

Toutenlongeantl’alléeensous-boisquimenaitdelarouteàlamaison,jeregrettaiqueBill ne m’ait pas raccompagnée jusque chez moi. Les nuits où j’étais seule, j’étais d’uneextrêmenervosité– j’allaisd’unepièceà l’autrepourvérifierqueporteset fenêtresétaientbienfermées,jesursautaisaumoindrecraquementdanslesboisalentour.Laperspectivedelanuitsolitairequim’attendaitn’étaitpaspourmeréconforter.

Avantdedescendredevoiture, j’observai la cour, toutenme félicitantd’avoirpenséàallumerlalampedelavérandaavantdequitterlamaison.Riennebougeait.Jenevismêmepas Tina. Depuis la disparition de Granny, la chatte avait pris l’habitude de venir à marencontrelorsquejerentraisdutravail.Elledevaitêtrepartiechasserdanslesbois,songeai-jeenouvrantmaportière.

Jetraversairapidement lacour, insérai laclédans laserrure,ouvris laporteetrentraidanslamaisonenuntempsrecord.Puisjem’appuyaicontrelebattantenbois,haletante.

Bonsang,cen’étaitpasunefaçondevivre!Àpeineeus-jeformulécetteidéequ’unchocsourdfit trembler laportedansmondos.Dansunsursautde frayeur, jemeruai loinde laporte.

Jetendisl’oreille,maisneperçusaucunautrebruit.J’auraisdûregarderparlafenêtre,voireouvrirlaportepourcomprendrecequis’étaitpassé,maisjen’eneuspaslecourage.Jedécrochailetéléphonesansfilposéprèsducanapé.

D’une main tremblante, je composai le numéro de Bill. Pourvu qu’il ne soit pas en

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ligne ! Ilm’avaitditqu’ilavaitdescoupsde téléphoneàpassercesoir.Non,Dieumerci, ilétaitlà!

—Oui?demanda-t-ild’unevoixtendue.—Bill?Ilyaquelqu’undehors!J’entendislecombinéretombersursonsocle.Moinsd’uneminuteplustard,Billétait là.Domptantmapeur, jem’étaispostéeàune

fenêtre,derrièrelestorequejesoulevaisd’unemain,pourobserverlacour.EnvoyantBillsortirdubois,qu’ilavaittraverséavecuneextraordinairerapidité,jem’en

voulusdel’avoirdérangé.J’auraispumedébrouillersanslui.Maisn’était-ilpasnaturelquej’appellemonamantàl’aide?

Enretenantmonsouffle,jeregardaiBillinspecterlesabordsdelamaison,puisgravirlavoléedemarchesquimenaitàl’entrée.Justedevantlaporte, ilsepencha,commes’ilavaitvu quelque chose d’inhabituel. L’angle était trop aigu pour que je distingue ce qu’il avaittrouvé.Puisilseredressa,unobjetàlamain,levisagetotalementdénuéd’expression.

Celanemedisaitriendebon.Inquiète,j’allailuiouvrirlaporte.Billtenaitdanssesbraslecadavredemonchat.—Tina?demandai-jed’unevoixchevrotante.Est-cequ’elleest...morte?Billhochalatête.—Comment?—Probablementétranglée.Jesuisdésolé,Sookie.J’essuyai les larmesquiavaientcommencéàcoulersurmonvisagesansmêmeque je

m’enaperçoive.—Suis-moi,dis-jeenpassantdevantBilletendescendantlesmarches.Nous contournâmes lamaison jusqu’au trou que j’avais creusé dans le jardin. Je n’y

planterais pas de chêne, finalement. Avec précaution, Bill déposa son petit fardeau. J’allaichercherunepellepourcomblerl’excavation,maisàlapremièrepelletéedeterrequejejetaisurmonchat,toutmoncouragem’abandonna.

Sansunmot,Bills’emparadel’outiletachevalasinistrebesogne.—Rentrons,dit-ilensuite,enmeprenantparlamainavecdouceur.Une fois dans lamaison, jeme jetai dans les bras deBill et le serrai contremoi avec

ferveur.Etsiluiaussim’étaitenlevé?Jenelesupporteraispas!Bill,lui,paraissaitfurieux.Sonregardnoirbrillaitdecolère.

—Tun’asrienvudanslacour?luidemandai-je.—Ilestpasséici.Jel’aisenti,dit-ilavecunfrémissementdenarines.—Qui?—L’assassin.—Çanetedérangepasderestericicettenuit?—Biensûrquenon.Sij’enjugeaisparsavoix,ill’auraitfaitmêmesijeneleluiavaispasdemandé.Jeposai

ma tête sur son épaule. Si je devais n’avoir qu’un seul ami aumonde, je n’en voulais pasd’autrequelui.

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L’indignationd’ArlèneetdeCharlsie,lelendemain,lorsquejeleurexpliquaicequiétait

arrivéàTina,meréconfortaquelquepeu,sanstoutefoisatténuermacolèreetmonchagrin.Sam,lui,réagitdefaçonpluspragmatique.

—Tudevraisappelerleshérif,oubienAndyBellefleur.Après réflexion, je choisis la première option. Je n’avais pas très envie de parler à

l’inspecteur,surtoutdepuisquejeconnaissaissessoupçonsenversJason.Jem’installaidanslebureaudeSampourpassermonappeltranquillement.

—En général, marmonna Bud Dearborn lorsque je lui eus exposé les faits, ce genred’acten’estpasisolé.Pourl’instant,onnem’apasrapportéd’autrescasdechatsétranglés.Jecrainsqu’ilnes’agissed’unevengeancepersonnelle,Sookie.

Puis,aprèsunehésitation,ildemanda:—Tonvampire,ilaimeleschats?Jem’obligeai à prendre une profonde inspiration, puis à expirer lentement. Ce n’était

paslemomentdeperdremoncalme.BillComptonétaitchezluiquandTinaaétéprojetéecontremaporte,probablementpar

celuiquil’atuée.J’aiaussitôttéléphonéàBill,etilarépondudèslapremièresonnerie.Enfacedemoi,Sam,occupéàtrierdesfactures,m’interrogeaduregard.Jegrimaçaiune

mimiquefurieusepourluifairecomprendremonagacement.—Etc’estluiquit’aditquelechatavaitétéétranglé,repritBud.—Oui.—Maisiln’apasputemontrerlelienquiavaitétéutilisé.Bonsang,oùvoulait-ilenvenir?—Non,répondis-jeendissimulantmonimpatience.Budpoussaunsoupirlourddesignification.—Qu’as-tufaitducadavre?—Nousl’avonsenterré.—Nous?—Billetmoi.—Biensûr.C’étaitsonidée?—Pasdutout,c’étaitlamienne!Leshérifobservaunpetitsilenceavantdepoursuivre:—Il sepeutquenousdevionsexhumer lecorpsde tonchat.L’inspecteurvoudrasans

doutel’examiner,pourvoirsilaméthodedestrangulationcorrespondàcelleemployéepourlesmeurtresdeDawnetdeMaudette.Jesuisdésolé,Sookie.

—Jecomprends.Jen’avaispaspenséàça.Je raccrochai quelquesminutes plus tard, un peu trop brusquement. Samme jeta un

regardinterrogateur.—Jehaiscethomme,marmonnai-je,unpeugênée.—Bud n’est pas unmauvais bougre, Sookie. Il est juste dépassé par la situation. La

policen’apasl’habitudedetraitercegenred’affaires,parici.— Je suppose que tu as raison. Je n’aurais pas dû me mettre en colère, même si je

n’aimepassafaçondeposerdesquestions.

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—Tun’espasobligéed’êtreparfaite,Sookie.—Bonneidée.Désormais,jevaisêtregrincheuseetacariâtre.Jemelevai,maussade.J’avaispasséunemauvaisenuit,enproieàunelongueinsomnie

entrecoupée de cauchemars, avant de sombrer à l’aube dans un sommeil lourd. Je n’avaisqu’unehâte:finirmonserviceetrentrermecoucher.

Jem’étirai en étouffant un bâillement. En laissant retombermes bras, je surpris lesyeuxdeSam,poséssurmeshanches.Jereculai,malàl’aise.

— Allez, au travail ! m’exclamai-je avec un enthousiasme factice, pressée de mesoustraireauregarddemonpatron.

Jequittailapièced’unpasraide,enprenantbiensoindenepasadopterunedémarcheaguichante.

—Sookie,medemandaArlèneenfindeservice,tupourraisgarderlesenfants,cesoir?Elleavaitparléd’untonprudent.Elledevaitsesouvenirdenotrequerelle,lejouroùelle

m’avaitfaitlamêmedemande,quelquetempsauparavant.Quantàmoi,jen’avaispasoubliésa méfiance envers Bill, ni ses craintes à l’idée de laisser ses enfants en compagnie d’unvampire.Essayait-elledemefairecomprendrequ’elleacceptaitmonsiétrangecompagnon?

—Biensûr.Jeserairaviedelesavoirtouslesdeuxàlamaison.Aquelleheure?—Vers6h30,sic’estpossible.Reném’emmèneaucinémaàMonroe.—Pasdeproblème.Jeleurprépareàmanger?—Inutile,ilsaurontdîné.Ilsvontêtretoutexcitésàl’idéederevoirtatieSookie.—Etmoidonc!Àtoutàl’heure,Arlène.—Merci,Sookie.Elleparutsur lepointd’ajouterquelquechose,maisellese ravisaet s’éloigna. Ilétait

presque 17 heures, ma journée de travail était finie. Je rentrai chez moi, me changeai etgrignotaiunsandwichsansgrandappétit.Lamaisonmesemblaitgrande,videettriste.JefussoulagéedevoirarriverRené,encompagniedeLisaetCoby.

—Arlène est occupée à se faire les ongles, expliqua-t-il, mais les gosses trépignaientd’impatience,alorsj’aipréférélesamenercheztoitoutdesuite.

—Tuaseuraison.René portait encore ses vêtements de travail. Je connaissais assez Arlène pour savoir

qu’ilsnepartiraientpasaucinématantqu’ilneseseraitpasdouchéetchangé.—Vas-y,ajoutai-jeenprenantlesenfantsparlamain.NefaispasattendreArlène.Lisaavaitcinqans,etCobyhuit.Ilsétaientàl’âgeoùunebonnecrèmeglacéefaitpartie

desgrandesjoiesdel’existence.—Directionlacuisine!déclarai-jeenlesentraînantversl’arrièredelamaison.—Onrepasseralesprendrevers22h30,23heuresauplustard,ditRené,lamainsurla

poignéedelaporte.—Entendu.Amusez-vousbien,touslesdeux!J’emmenaiLisaetCobydanslacuisine.Quelques secondesplus tard, j’entendis la voituredeRenéquitter la cour. Je soulevai

Lisadansmesbras.—Quetueslourde!m’exclamai-je.Bientôt,c’esttoiquimeporteras!Ettoi,Coby,ilva

falloirquejesongeàt’offrirtonpremierrasoir.Vousgrandissezàvued’œil!Deuxsouriresradieuxmerépondirent.Uneminuteplustard,nousétionsattabléstous

lestroisdevantunpotdeglaceàlavanille.Ilnefallutpasmoinsd’unevingtainedeminutesàLisaetCobypourmedresserlalistedeleursprogrèsàl’écoledepuisleurdernièrevisiteàlamaison.

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PuisLisamedemandaunlivrepourmemontrertouslesmotsqu’elleconnaissait.Coby,quinevoulaitpasêtreenreste,demandaunautrelivrepourprouversasupérioritédansledomainedelalecture.Ensuite,cefutl’heuredel’émissionpréféréedesdeuxpetits.Lanuittombaavantquejenem’enaperçoive.

—Monamivapasser,cesoir,expliquai-je.Ils’appelleBill.—Mamanditqu’ilestunpeuspécial,déclaraCoby.Ilaintérêtàêtregentilavectoi.Cobybombaletorseetexhibasesmuscles,prêtàmeprotégercontremonami«unpeu

spécial » au cas où la gentillesse de ce dernier n’aurait pas correspondu à ses critèrespersonnelsenlamatière.

—Oh,ill’est!m’empressai-jederépondre.Est-cequ’ilt’offredesfleurs?s’enquitLisad’untoninquiet.—Ilnel’apasencorefait.Vouspourriezpeut-êtreleluisuggérerdiscrètement?—Oui!répondirentdeuxvoixàl’unisson.—Ilt’ademandédetemarieraveclui?—Non.Remarque,jeneluiaipasnonplusposélaquestion.Billchoisitprécisémentcetinstantpourfrapperàlaporte.—J’aidesinvités,expliquai-jeenl’invitantàentrer.Jeleprisparlamainetleguidaijusqu’àlacuisine.—Bill,jeteprésenteCobyetLisa.—Ravidefairevotreconnaissance,ditBillens’inclinant.Lespetitsleregardèrentavecgravité.—LisaetCoby,est-cequevousêtesd’accordpourquejevoustiennecompagnie,àvous

etàvotretanteSookie,cesoir?—Cen’estpasnotre vraie tante, en fait, expliquaCoby.C’estune trèsbonneamiede

maman.—Oh,vraiment?—Oui,etelleditquetuluioffrespasdefleurs,répliquaLisa.Billmecoulaunregardenbiais.—Ilsm’ontposélaquestion,expliquai-je,malàl’aise.—Jevois.Ehbien,voilàunoubliqu’ilfaudraquejerépare.Mercidemel’avoirsignalé,

Lisa.Tuconnaisladatedel’anniversairedetanteSookie?Lapetitesecoualatête.—Cen’estvraimentpaslapeine...commençai-je,deplusenplusgênée.—Ettoi,Coby?poursuivitBill,commes’ilnem’avaitpasentendue.Aucuneidée?

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Àsontour,legaminfitnondelatête,manifestementvexéd’êtreprisendéfaut.—Mais jesaisquec’estenété,parceque ladernière foisquemamana invité tatieau

restaurantpoursonanniversaire,c’étaitpendantlesgrandesvacances.Nous,onestrestésàlamaisonavecRenéetilnousaapprisàjouerauxcartes.

—Jevoisquetuesungarçonintelligent,commentaBilld’untonadmiratif.—Etencore,tusaispastout!Devinecequej’aiapprisl’autrejouràl’école?Quelques instants plus tard, Coby avait repris l’interminable énumération de ses

exploits,enclassecommedanslacourderécréation.Duranttoutcetemps,LisanequittapasBilldesyeux.

—Pourquoituestoutblanc,Bill?demanda-t-ellesoudain,desapetitevoixflûtée.Billnesedémontapas.—C’estmacarnationnaturelle,dit-il.Les deux enfants échangèrent des regards inquiets, d’où il ressortait clairement que

pour eux, la « carnation naturelle » était une très gravemaladie... ce en quoi ils n’étaientpeut-êtrepasloindelavérité.

Par lasuite, ilss’abstinrentdetoutequestiongênante.Lesenfants fontparfoispreuved’untactparfait.

À mesure que la soirée s’écoulait, Bill se détendit. J’étais épuisée et je lui auraisvolontiersconfiélespetits,maisparrespectpourArlène,jerestaiéveilléejusqu’àsonretour,unpeuavant23heures.

Arlène aidait les enfants àmonter dans la voiture tandis que Bill et René discutaient

quandjevissortirduboisunvampirequejeneconnaissaispas.Grand,brun,lescheveuxpeignésenarrièreenuneimprobablebanane,iladressaàBill

unsignedelamainetsedirigeaversRenéetlui,commes’ilétaitattendu.Depuislaplushautemarchedelavéranda,j’assistaiàlascène,intriguée.Billprésenta

son ami à René, qui serra la main du nouveau venu avec un naturel dont je lui fusreconnaissante.Mais, trèsvite, je remarquaiqueRené regardait l’inconnucommes’il avaitl’impressiondel’avoirdéjàcroiséquelquepart.Alorsqu’ilsemblaitsurlepointdeluiposerune question, Bill lui lança un regard sévère, et René parut ravaler l’interrogation qui luibrûlaitleslèvres.Quecelasignifiait-il?

J’observai le vampire avec attention. Il portait un jean râpé, un tee-shirt à l’effigied’ElvisPresleyetunepairedesantiagsuséesauxtalons. Incroyable.LeKingavaitdes fansjusquechezlesmortsvivants!

Levampiretenaitnégligemmentàlamainunecanettedesangsynthétiquequ’ilportaitdetempsàautreàseslèvres,qu’ilavaitépaissesetsensuelles.Jenesauraisdiresic’étaitlaréaction de René qui avait insinué le doute en moi, mais il me semblait à mon tourreconnaître le personnage.Nomde nom, où l’avais-je vu ? Je tentai d’imaginer sa versionhumaine–teintpluscoloré,corpulenceplusforte...Oh,non!

Ilnes’agissaitpasd’unfanduKing,maisduKingenpersonne.Tandis que René s’éloignait, Bill invita notre visiteur à me rejoindre avec lui sur la

véranda.—Bill m’a dit qu’on avait tué votre chat, déclara le King avec un accent du Sud très

prononcé.Jehochailatête,incapabled’articulerunmot.—Désolé.J’adoreleschats,dit-ild’untonambigu.

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Qu’entendait-ilexactementpar«adorer»?Jen’osaiposerlaquestion.—Sookie,ditBill,jeteprésenteBubba.—Bubba,répétai-je,interdite.— C’est ça, Bubba, dit l’autre avec un grand sourire. Ravi de vous rencontrer,

mademoiselle.Telunautomate,jeprislamainqu’ilmetendait.Bontédivine!Sionm’avaitditqu’un

jour,jeluiserreraislamain!Carc’étaitbienlui,enchairetenos!—Bubba,çane t’ennuiepasdenousattendre iciun instant?Jen’aipasencoreeu le

tempsd’exposernotreplanàSookie.—Pasdeproblème,mec,réponditBubbaens’asseyantsurlabalancelledelavéranda.JesuivisBilldanslesalon.—J’avaisprévudetoutt’expliqueravantsonarrivée,murmuracelui-ciendésignantla

portedumenton.—Est-cequ’ils’agitbiende...quijepense?—Oui.Maintenant,tusaisqu’unepartiedesrumeursàsonsujetontunfondementde

vérité.Maisne l’appelle jamais par sonnom.Contente-toi deBubba. Sa transformationnes’estpastrèsbienpassée,peut-êtreàcausedetouteslessubstancesqu’ilavaitdanslesang.

—Alors,c’estvrai?Iln’estpasmort?—Non,pastoutà fait.L’undenoustravaillaità lamorgue,undeses fans.Quandila

comprisqu’ilrestaituneétincelledevieenlui,ill’atransformé.—Envampire?—Exactement.Leproblème,c’estque lemalheureuxnes’estpasbienréveillé.Toutes

cesdroguesdanssonsang,jesuppose...Quoiqu’ilensoit, ilestàpeuprèsaussiintelligentqu’unverdeterre,etcomplètementimprévisible.Impossibledelesortirenpublic.

—Jecomprends,murmurai-je,encoremalremisedemasurprise.—Deplus, ilpossèdeuneforcecolossale.N’oublie jamaisqu’ilpeutêtredangereux,et

nel’appellequeBubba.Encequiconcernelaraisondesaprésenceici...Billcherchasesmots.—Écoute,jedoism’absenterquelquetemps.Comprenantqu’ilnem’endiraitpasplus,jeneluidemandaipaspourquoi.—Et...Bubba?Tul’emmènesavectoi?J’avaisposélaquestionàtouthasard,maisjeconnaissais–hélas!–déjàlaréponse.—Ilvaveillersurtoipendantmonabsence.D’accord,cen’estpasunelumière,maisil

esttrèsfort.Tantqu’ilseraici,personnen’entreracheztoi.—Etlui?Iln’essaierapasdeforcerlaporte?—Jeleluiaistrictementinterdit.Ildoitresterdanslebois,d’oùilsurveilleratamaison

pendantlanuit.Iln’estmêmepascensét’adresserlaparole.—Tuauraisquandmêmepumedemandermonavisavantdel’appeleràlarescousse.Et

puis,tuessûrquec’estbiennécessaire?La perspective de passer plusieurs nuits sous le regard de ce personnage me rendait

nerveuse.—Machérie,ditBilld’untonpatient,pardonnemesmaladresses,mais je faisdemon

mieuxpourcomprendredequellefaçonlesfemmesduXXIesiècleveulentêtretraitées,etjepeuxtedirequecen’estpasunesinécure.Etjet’assurequejen’aipasd’autrechoixquedet’imposercegardeducorpsunpeuinhabituel.

—Jesupposequetuasraison.D’ailleurs, je ne pouvais qu’accepter. Je n’avais aucun moyen de chasser Bubba, à

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présentqueBill l’avaitconvoqué.Quantàlapolicemunicipale,quin’étaitpaséquipéepourcapturerunvampireordinaire,qu’aurait-ellefaitdupersonnageassissurlabalancelledemavéranda, sinon le regarder avec des yeux ronds de stupeur en se demandant s’il était bienceluiqu’ilsemblaitêtre?

Billavaitagiaumieux.Jenepouvaisqueleremercier.—Jecomprends,dis-jeenposantmatêtesursonépaule.Oùdois-tualler?—ALaNouvelle-Orléans.J’airéservéunechambreàNuitBlanche.J’avais entendu parler de ce tout nouvel hôtel situé dans le Quartier français et

exclusivement destiné à une clientèle de vampires. J’aurais tout donné pour accompagnerBill,maispuisqu’ilnemeleproposaitpas,j’endéduisisqu’ilavaitdebonnesraisonsdemeteniràl’écartdesonexpédition.

—Tuparscesoir?luidemandai-je.—Toutdesuite.Jeleserraicontremoi.—Soisprudent,Bill.Il déposa surmon front un baiser léger comme la brise nocturne et s’en fut sans un

bruit.Jedemeurai immobile, telleunepetite filleperdue.Jamais jenem’étaissentieaussiseule.

ChezMerlotte, le lendemain, les premiersmots d’Arlène furent pourme demander la

raisondelaprésencedeBubbachezmoi.— Bill a dû s’absenter quelques jours, et il se faisait du souci pour ma sécurité,

expliquai-jed’untonaussidésinvoltequepossible.—Tuveuxdireque tonhommea loué les servicesd’ungardedu corps rienquepour

toi?demandaCharlsied’untonrêveur.—Euh...enquelquesorte.—C’esttellementromantique!s’exclama-t-elleenjoignantlesmains.—Etattendsdevoirlegorille!luiditArlène.C’estleportraitcrachéde...Jem’empressaidel’interrompre.—Maisnon ! Il suffit de lui parler pour voir la différence.D’ailleurs, il déteste qu’on

prononcecenomdevantlui.Celalerendnerveux.—Oh,fitArlèneenbaissantlavoix,commesiBubbas’étaittrouvéjustederrièreelle.—Entoutcas,turemercierasRené,dis-je.Ils’estmontrécharmantavecBill,hiersoir.—C’estd’autantplusméritoirequ’ilaunedentcontre lesvampires,sans jeudemots,

réponditArlène en s’esclaffant. Tu savais queCindy, sa sœur, était sortie avec l’un d’entreeux?

—Non.Commentva-t-elle,aufait?—Ilya longtempsque jene l’aipasvue.Reném’aditqu’elleavait trouvéun jobà la

cafétériadel’hôpitaldeMonroe.—Elleneseraitpasintéresséeparuneplaceici?demandaSam,quis’étaitapprochéde

notrepetitgroupe.Jecommenceàmanquerdepersonnel.—Jeluienparlerai,promitArlène.—Merci. À propos, Sookie, tu peuxme rendre un service ?Quand tu auras le temps,

passedansmonbureaupourregarder lescandidatures.Tuconnaismieuxquemoi lesgensd’ici.

Defait,Samn’étaitàBonTempsquedepuiscinqousixans,etilpassaitleplusclairdesesjournéesderrièrelebarouenfermédanssonbureau.Endehorsdesontravail,ilsemêlait

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peuànotrepetitecommunauté.Jenesavaisrien–pasplusquelesautres,d’ailleurs–desavieavantsonarrivéeici.

Unpeuplustarddanslajournée,jem’attelaiàlatâche.Trèsrapidement,jeséparailesfichesdescandidatesendeux tas–«déjà recrutéesailleurs»et«bonnes recrues».Aprèsréflexion,j’ajoutaideuxpiles:«mauvaisesrecrues»(pourcaused’incompatibilitéd’humeuravecmoi-même)et«décédées».

ParmilespostulantesappartenantàcederniergroupesetrouvaientDawnetMaudette.Je laissai échapperun soupirde tristesse–pour lesdeux jeunes femmes,mais aussi pourmonnaïfdefrère,quiavaiteul’idéegénialedefilmersesébatsavecelles.

J’enétaislàdemesréflexionslorsqueSamentradanslebureau.—Ehbien,tonverdict?demanda-t-ilenposantlesyeuxsurlesliassesdecandidatures.

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Jeprisundossiersurledessusdeladeuxièmepileetleluitendis.—AmyBurley, dis-je. Elle est disponible et elle connaît bien lemétier.Demande son

avisàCharlsie,elleatravailléavecelleauGoodTimeBar.—Merci,Sookie.J’appréciebeaucouptonaide.—Jet’enprie.—Tuasl’airdistante,cestemps-ci,dit-ilaprèsunsilence.Çanevapas?Je le regardai avec attention. Il avait exactement lamême expression que d’habitude.

Encore une fois, son esprit m’était complètement fermé. Comment faisait-il cela ? Iln’existait qu’une autre personne aumonde dont je ne pouvais pénétrer les pensées : Bill,parcequ’ilétaitunvampire.Sam,pourtant,étaittoutcequ’ilyavaitd’humain...non?

—Si,dis-je,saisied’uninexplicablemalaise.Billmemanque,c’esttout.—Tuleverrascesoir.Je faillis lui expliquer que «mon homme », comme disait Charlsie, était parti pour

quelques jours,mais jem’abstins,prised’unesoudaineméfiance.Le restede la journéesedéroulasans incident.Àplusieurs reprises, toutefois, je surprissurmoi les regardscurieuxd’ArlèneetdeCharlsie.

Je rentrai chezmoi le cœur lourd, inquiète de savoir Bill si loin demoi. Je tentai dejoindreJason,d’abordchezlui,puis,plustard,ChezMerlotte,sanssuccès.Enerrantdanslamaison, j’aperçus depuis la fenêtre du salon la silhouette de Bubba entre les arbres, à latombéedelanuit.

Je frémis en songeant à la force qu’il possédait. Était-ce à lui queBill avait fait appel

pourenvoyerl’oncleBartlettadpatres?Jepréféraisnepaslesavoir.Ayant renoncé à lire – tous les livres me tombaient des mains – et à regarder la

télévision – les films étaient plus ineptes les uns que les autres –, je m’apprêtais à mecoucherlorsquelasonneriedutéléphonemefitsursauter.C’étaitTerryBellefleur,quitenaitlebarcesoir-làenl’absencedeSam.JasonétaitarrivéChezMerlotteetsouhaitaitmeparler.

—J’arrive ! répondis-je, refusantdepenser qu’ilme faudrait par la suite rentrerdansunemaisonvide–ou,entoutcas,qu’ilétaitpréférablequejetrouvevideàmonretour.

Lorsque j’arrivai ChezMerlotte, jemegarai sur le parkingdes employés– la forcede

l’habitude, je suppose.Unchienerrant se trouvait là. J’envoyais souventdans le coin.Lesgens abandonnaient les pauvres bêtes dans les bois ou les « perdaient » sur la route quivenait de La Nouvelle-Orléans, et il n’était pas rare que Sam doive faire intervenir lafourrière.

Jecaressaimachinalementl’animaletpoussailaportedeservice.Terrysetrouvaitderrièrelecomptoir.—OùestJason?demandai-jeenmehissantsurl’undestabouretsdebar.—Jason?Pasvucesoir.Jetel’aidéjàditautéléphone,fillette.—Maistum’asrappeléepourmedirequ’ilétaitarrivéetmedemandait.—Pasdutout.Je le regardai, surprise. Il était dans un de ses mauvais jours, l’esprit empli des

cauchemarsque lui avaient laissés ses annéesdans l’arméeet sesnuits sous l’emprisedesstupéfiants.LepauvreTerryétaitconfus,maladroit...pitoyable.

—Tuessûr?demandai-jeavecdiplomatie.—Certain!tonnaTerry.

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Jebattisenretraite.J’éclairciraiscettequestionplustard,songeai-jeenbalayantlasalledu regard. Le chien se trouvait à la porte de service, les yeux posés sur moi. Il jappadoucement.

—Tuasfaim,monvieux?Lorsquejem’approchaidelui,l’animalremualaqueue.Ilavaitl’airgentil.Jel’observai

attentivement.Sonpoillustréetsonregardintelligentindiquaientqu’ilavaitétébiendressé.L’abandon devait être récent. J’envisageai un instant d’aller faire un tour à la cuisinedemanders’ilyavaitdesrestesàluidonner,maisjemeravisai.

—Etsituvenaisàlamaison?JesaisqueBubbaveilleaugrain,maisavectoi,jeseraiplusrassurée.Seulement,ilfautmepromettredenepasfairepipisurlestapis!

Commes’ilm’avaitcomprise,ils’assitetémitunpetitjappement.—Tuesunbontoutou!Allez,viens,dis-jeenquittantlebar.Jet’emmèneàlamaison.Le chien surmes talons, je traversai leparking.Enouvrant laportièredemavoiture,

j’eusuninstantd’hésitation.N’étais-jepasentraindecommettreuneerreur?Sicetanimalavaitunmaître,malgrétout?S’ilétaitmoinspacifiquequ’iln’enavaitl’air?

Maisavantquej’aieeuletempsdemeraviser,lechienbonditdanslavoitureets’assitsur le siège passager, comme s’il avait fait cela toute sa vie. C’était un signe, décidai-je enrefermantlaportière,avantdem’installerauvolant.Jequittaileparkingetprislaroutedelamaison.

—Ilvafalloirquejetetrouveunnom.Quedirais-tude...Buffy?Unaboiemententhousiastemerépondit.—C’estentendu.Alors,écoute-moibien,Buffy.Quandjemeseraigaréedanslacour,on

sedépêcheradecourirdanslamaison,toietmoi,d’accord?Denouveau,l’animalémitunjappement.Celamefaisaitunbienfoud’avoirquelqu’un

à qui parler. Et avec lui, me dis-je, inutile de contrôler mon esprit. N’étant pas un êtrehumain, il ne m’assaillirait pas de pensées parasites... Décidément, Buffy serait uncompagnonparfait.

Deretourchezmoi, jecoupai lemoteurdelavoitureetprisdansmamainlaclédelamaison.

—Onyva!m’écriai-je.Apeineeus-jeouvertmaportièrequeBuffybonditpar-dessusmesgenouxetsautadans

lacour.Jelevisfaireuntoursurlui-même,lesoreillesdressées,latruffelevéepourhumerl’air.Puisilémitungrondementsourd.

—Cen’estqueBubba,expliquai-je.Ilestgentil,c’estluiquisurveillemamaison.Allons,viens,Buffy!

Comme à regret, le chienme suivit jusqu’en haut desmarches de la véranda. Jemehâtaidelefaireentreretdeverrouillerlaportederrièrenous.

Buffy commença par parcourir le salon en flairant meubles et tapis. Je lui laissai letempsdes’habitueràcettedemeurenouvellepourlui,puisjemerendisdanslacuisine.Jeremplisunbold’eauquejedéposaiparterre,puisjevidaidansuneassiettecreuseuneboîtedenourriturepourchatsdeTina.

Buffy s’approcha des deux récipients, qu’il renifla prudemment avant deme jeter unregarddéçu.

— Désolée, mon vieux, je n’ai pas de croquettes pour chiens. Si tu te plais ici, jet’achèteraicequ’iltefaut.

Aprèsunedernièrehésitation,Buffyapprochasa truffede l’assiette.C’étaitgagné !Jem’assispourleregardermanger,heureusedel’avoiravecmoi.Unefoissonrepasterminé,je

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l’entraînaidansmachambreetluidésignailetapis.Docilement,ils’yassit.Ils’ytrouvaitencorelorsquejesortisdeladouche,vêtued’unechemisedenuit.—Couché!dis-je,d’untonquej’espéraisautoritaire.Buffy jeta un coup d’œil envieux à la courtepointe, mais je restai ferme. Granny se

retournerait dans sa tombe si elle savait qu’un chien dormait sur son lit ! Ilme semblaitencorel’entendredéclarerdesavoixferme:«Lesanimaux,dehors!»Jepoussaiunsoupir.Les tempsavaientbien changé.Àprésent, j’avaisunvampiredansmacour etun chienaupieddemonlit.

Finalement,Buffyhumaletapis,tournasurlui-mêmeetsecouchaavecungrognementd’aise.J’éteignisma lampedechevetetm’allongeai. J’étais épuisée.J’avais consciencequemonnouveaucompagnonàquatrepattesn’étaitpasencoresuffisammentattachéàmoipourmeprotégerencasdedanger,maissaprésenceétaitrassurante.

Alors que je sombrais dans le sommeil, je sentis un poids surmes pieds. Buffy étaitmontésurle lit.Jen’euspaslecouragedel’obligeràendescendre.Jeposai lamainsursafourrurechaudeetm’endormispaisiblement.

Je fus réveillée à l’aube par un concert de pépiements d’oiseaux. Je m’étiraiparesseusement. Sansme retourner, je posai lamain sur la tête deBuffy pour le caresser.Celui-cis’approchademoi,reniflamanuque,puisposasonbrassurmoi.

Sonbras?Dansunhurlement,jebondishorsdulit.Samseredressanégligemmentsuruncoudeetmedécochaunregardamusé.Ilétaitnu

commeunver.—Oh,non!Jemeretournaiencachantmonvisageentremesmains.—Quefais-tuici?m’écriai-je.EtoùestBuffy?Jenel’aipasentenduaboyer!—Ouaf!fitSam.Jeleregardaisanscomprendre.Ouplutôt,enrefusantdecomprendre.Ce n’était pas possible ! Sam et Buffy n’étaient qu’une seule etmême... Que fallait-il

dire?Créature?Jefermailesyeux,prisedevertige.Toutcecin’étaitqu’unrêve.J’allaismeréveiller,etlaviereprendraitsoncoursnormal...

Lessecondespassèrent,rythméesparlechantdesoiseaux.Jerouvrislesyeux.Samétaittoujourssurmonlit.

Je songeai au fantôme d’Elvis quimontait la garde dansmon jardin, au vampire quej’aimais etquidormait àLaNouvelle-Orléansdansunhôtelpourmorts vivants, à tous lesphénomènesétrangesquelavieavaitmissurmonchemincesdernierstemps...Aprèstout,pourquoiSamnepouvait-ilpasêtreunesortede loup-garou,versioncanine?Jen’enétaisplusàunprodigeprès!

Samselevadulitets’approchademoi.J’eusletempsd’apercevoirsatoisonrousse,quisedéployaitsursonlargetorseavantdefilerenlignedroitevers...Jefermaidenouveaulesyeux.

—Arlènem’aditquetuétaisseule,expliquaSam.Jen’aipasvoulutelaisser.—Ellenet’apasparlédeBubba?—Levampirequiressembleà...—Bubba!coupai-jeprécipitamment.Nel’appellejamaisautrementqueparcenom.Et

méfie-toidelui,iladoreboirelesangdesanimaux.Lorsquejerouvrislesyeux,jevisqueSamavaitpâli.Bienfaitpourlui!

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—Danscecas,jesupposequej’aidelachancequetum’aieslaisséentrer.Jesouris.Puisjeposailaquestionquimebrûlaitleslèvres.—Quies-tu,Sam?—Ehbien...tuasdéjàentenduparlerdesloups-garous?Jehochailatête.C’étaitbiencequejepensais!— C’est un peu mon cas, poursuivit-il. Sauf que je peux prendre l’apparence de

n’importequelanimal.—Quandtuveux?Tupeuxchoisir?Pas tout à fait. Quoi que je fasse, jeme transforme à la pleine lune. Je prends alors

l’apparencedudernieranimalque j’aivu.Tous lesmois, je laissesurmatabledechevet laphotod’uncolley.C’estunchiensolidemaispasmenaçant.Le restedu temps, jepeuxmetransformersijeledésire,maiscelamedemandebeaucoupd’énergie.

—Tuasdéjàprislaformed’unoiseau?—Oui,etj’aifaillifinirrôtisuruneligneàhautetension.J’éclataiderire.Jecommençaispresqueà trouver lasituationnaturelle.Grannydisait

souventqu’ons’habitueàtout.Ellenesavaitpasàquelpointelleavaitraison...—Tun’étaispasobligédemediretoutça.—J’avaisprévudepartiravanttonréveil.Celadit,jeneregrettepasd’êtreresté.Jedois

avouerquej’étaiscurieuxdevoirtaréaction.Tut’esaccoutuméesifacilementaufaitqueBillsoitunvampire...presquetrop!

Jeluijetaiunregardindigné.

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—Qu’essaies-tudemedire?—Quetunepeuxpasraisonnablementenvisagerdefinirtavieavecunhommequiest

mortilyaplusd’unsiècle,Sookie.—Billestvivant!Etsitut’imaginesquetuvasmeséparerdelui...Samlevalesmainsensigned’apaisement.— Je n’essaierai même pas, dit-il d’un ton conciliant. Quoique... Au fond, je ne me

plaindraispassicelaarrivait.Ilm’adressaundesesraressourires,brillantet lumineuxcommeunleverdesoleil.Il

mesemblaitqu’ilétaitplusdétenduavecmoi,maintenantqu’ilm’avaitdévoilésonsecret.—Alors,queveux-tu,Sam?Veillersurtoi.Tantquel’assassinneserapasderrièrelesbarreaux,tuserasendanger.

Jenesupporteraispasqu’ilt’arrivedumal.Monseulbutestdeteprotéger.—Entecouchantnudansmonlit?— Je suis désolé si je t’ai choquée. Mais je n’avais pas d’autre solution que de me

transformerenanimalpourquetuacceptesmaprésence.—TusemblesoublierBubba.—Ah,oui,tongorille!Billadûluirendredesacrésservicesdanslepassé,pourqu’ilait

acceptédetesurveiller.C’estbienconnu,lesvampiressontdesmonumentsd’égoïsme.—Possible...Je ne voulais pasm’attarder sur les relations qui unissaient Bill à Bubba. Une autre

réflexions’imposaitàmonesprit,autrementpluspassionnante.—Des vampires, des loups-garous... Je commence àme demander quels autres êtres

fantastiqueslanatureacréés,murmurai-je.L’abominable hommedesneiges ? Lemonstre duLochNess ?Entre nous, j’avais un

faiblepourNessie.—Jesupposequ’ilvautmieuxquejerentrechezmoi,maintenant,ditSam.Il me regarda d’un air interrogateur. Qu’attendait-il ? Il me fallut quelques secondes

pourcomprendre.—Oh,bien sûr !m’écriai-je en rougissant. Je vais voir s’ilme restedes vêtementsde

Jasonàteprêter.Parchance,jetrouvaidansleplacardducouloirunjeanetunechemisepropres.Jeles

tendisàSametmedirigeaiversmasalledebains.—Jetelaisset’habiller,dis-jeavantderefermerlaportederrièremoi.J’envisageaiuninstantdetournerlaclé,maisjemeravisai.Samn’étaitpasunebrute,

et je l’auraisinsultéenmontrantunetelleméfianceenverslui.Jepassaiunjeanetuntee-shirtenun tempsrecord.Je finissaisdemecoiffer lorsqu’unbruitdans lacourattiramonattention.Unevoiturevenaitdesegarer.

JesortisdelasalledebainsenpriantpourqueSamaiteuletempsdes’habiller.Ilavaitfaitmieux.Lorsquej’ouvrislaporte,Buffysetenaitdevantmoi,lesoreillesdressées,latêteinclinéesurlecôté.

Jelecaressaientrelesoreillesavecreconnaissance,puisjemepenchaiàlafenêtre.—Nousavonsunvisiteur,annonçai-je.AndyBellefleur.J’allaiouvrir,Buffysurmestalons.—Vous avez l’air épuisé, Andy. On dirait que vous n’avez pas fermé l’œil de la nuit.

Entrez,jevaisfaireducafé.—Cen’estpasderefus,ditl’inspecteurenétouffantunbâillement.Buffyémitungrondement.

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—Vousavezunbonchiendegarde,commentaBellefleurenmesuivantdanslacuisine.Jem’abstinsdetoutcommentaire.Àl’évidence,Andyn’étaitpaslàpourmeparlerdela

pluieetdubeautemps.—Venez-enaufait,Andy,dis-jeenluitendantunetassedecafé,quelquesminutesplus

tard.—Sookie,avez-vouspassélanuitici?—Biensûr.—EtBillCompton?Ilétaitavecvous?—Non,ilestàLaNouvelle-Orléans.Ilestdescendudanscenouvelhôtelpourvampires.—Vousenêtesbiensûre?—C’estcequ’ilm’adit.Jen’aiaucuneraisondenepaslecroire.Andysemorditleslèvres,commepourretenirdesparolesdouloureuses.—Andy,sivousmedisiezpourquelleraisonvousêtesici?—Ilyaeuunmeurtrecettenuit,murmura-t-il.—AmyBurley?—Commentdiable...—Lediablen’a rienàvoiravec cela,Andy.Vous l’avezpensé tellement fortque jene

pouvaisquel’entendre.JesuisdésoléepourAmy.Amy, qui travaillait au Good Time Bar. Amy, dont j’avais donné le dossier à Sam, la

veille.Amy,qu’onnereverraitplusjamaisàBonTemps...Buffy,couchéàmespieds,geignitdoucement.Ilsemblaitsincèrementtouchéparcettetristenouvelle.Jeluigrattailatêtepourleconsoler.

—Mêmescénarioquepourlesautres,jesuppose?demandai-je.—Identique,àpartquelesmorsuresétaientrécentes.Jeme laissai tomber surune chaise, plus ébranléeque jene voulais lemontrer.Amy

était jeune, jolie, elle avait la vie devant elle. Et à présent, tout était fini pour elle. Il étaittempsquequelqu’unmetteuntermeàcettehorreur.

—Billestpartiavant-hier,dis-je.—Avez-vouseudesnouvellesdevotrefrère?—Non.Sur une intuition, je ne lui parlai pas du mystérieux coup de téléphone de Terry, la

veille.Jevenaisdecomprendre.L’auteurdel’appeln’étaitautrequeSam,quim’avaittenduun piège pourm’attirer au bar ! Un regard en direction de Buffyme confirma que j’avaisraison.

—Toutescesfemmes...ditAndyd’untonlas.Ellesseressemblenttellement,quandj’ypense.

Enquelquesmots,jerésumailespenséesqu’iln’osaitexprimer.— Peu diplômées, employées de bar, ne refusant pas à l’occasion une nuit avec un

vampire...Unpeucommemoi,n’est-cepas?Bellefleurhochalatêteendétournantlesyeux.—Nesoyezpasmalà l’aise,Andy.C’estvotreboulotdechercher lespointscommuns

entretouscesmeurtres.D’ailleurs,jesuispersuadéequecen’étaitpasmagrand-mèrequ’onvisait,maismoi.Ilsemblequejesoislaseulequiaitéchappéaumeurtrier.

—C’estpossible.Il paraissait si épuisé que je crus qu’il allait s’endormir sur sa chaise. Si je le laissais

prendre levolantdanscetétatetqu’ilavaitunaccident, lavieilleMmeBellefleurneme lepardonneraitjamais,etPortianonplus.

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— Andy, pourquoi n’iriez-vous pas vous reposer quelques heures dans la chambred’amis?J’aiunecourseàfaire,jevousréveilleraiàmonretour.

Uneexpressiondesurpriseéclairasonvisage.Manifestement, ilnes’attendaitpasà lamoindrebienveillancedemapart.Ilm’adressaunsourirereconnaissant.

—Celanevousennuiepas?demanda-t-il,presquetimide.—Jepréfère vous savoir chezmoiquedans le fossé.Allons, venez, je vousmontre le

chemin.Jerefermailaportedelachambred’amisuninstantplustard,laissantderrièremoiun

AndyBellefleurdéjàendormi.PuisjemetournaiversBuffy.—Etmaintenant,jeteramènecheztoi!murmurai-je.Aprèsavoirfaitmonterlechiensurlabanquettearrièredemavoitureetposéàcôtéde

luilesacquicontenaitlesvêtementsdeJason,jeprislaroutedeChezMerlotte.Lorsquejeme garai sur le parking du personnel, Sam était assis à l’arrière, correctement vêtu, l’airinnocent.

Cenefutqu’encoupantlemoteurquejeremarquai,stationnénonloindelà,unpick-upnoirornédeflammesrosesetbleues.JasonétaitdoncChezMerlotte?

—Quefait-ilici?murmurai-je,intriguée.—Qui?demandaSam.—Jason.Sonpick-upestgarédevantnous.Toutenparlant,jecrusapercevoirunesilhouettedanslevéhicule.Celledemonfrère?

Pourquoinebougeait-ilpas?Saisied’unmauvaispressentiment,j’ouvrismaportièreetmedirigeaiverslepick-up.Malgrélebruitdemespassurlegravier,Jasonneréagitpas.

Jem’approchaidelavitre.Monfrèreétaitinconscient,lementonsurlapoitrine,lefrontbarréd’unelongueestafilade.Sachemiseétaittachéedesang.Àcôtédelui,surlabanquette,setrouvaitunecassettevidéo.

—Sam!Viensvite!Enunéclair,celui-cimerejoignit.Ilm’écartaavecdouceuretouvritlaportièredupick-

up. Une bouffée d’air tièdeme parvint, chargée de senteurs lourdes – l’odeur du sang, del’alcooletdusexe.

—Ilfautappeleruneambulance!m’entendis-jedired’unevoixétrangléeparl’angoisse.—Pasdeprécipitation,ditSamenprenantlepoulsdeJason.—Enfin,tuvoisbienqu’ilest...qu’ilest...Lesmotsmoururentdansmagorge.— Il va se réveiller. Et il aura peut-être sur la conscience des choses qu’il préférerait

garder...Sams’interrompit.Unevoiturevenaitdes’engagersurleparkingdesemployés.Bientôt,

Arlènenousrejoignit.Sams’éloignaenmaugréantpourappelerlessecours.Avec le recul, jen’en revienspasd’avoirété sinaïve.Laissantderrièremoidesagents

inspecterlepick-updeJason,jesuivisl’ambulancequiemmenaitmonfrèrejusqu’àl’hôpitallocal,sansprendregardeàlavoituredepolicequinousescortait.Jen’éprouvaipasuneoncedeméfiancelorsquelemédecinmerenvoyachezmoienmepromettantqu’onm’appelleraitdèsqueJasonseréveillerait.

À aucun instant je ne mesurai les conséquences de mon manque de réflexion. Siseulementj’avaisécoutéSam!

Je rentrai chezmoi etme retrouvaidésœuvrée.AndyBellefleur, qui s’était réveillé enmonabsence,m’avaitlaisséunmotpourmeremercier.

Ce n’est que plus tard que j’appris que l’inspecteur se trouvait à l’hôpital en même

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tempsquemoietqu’ils’étaitempressé,àpeineavais-jeeuledostourné,demenottermonfrèreauxbarreauxdesonlit.

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13

Sampassachezmoivers11heuresdumatinpourm’annoncerlanouvelle.—Ilsvontlemettreenétatd’arrestationdèsqu’ilseréveillera,c’est-à-diretrèsbientôt,

m’expliqua-t-ild’untongrave.Je le regardai, éberluée. Pourquoi la police s’en prenait-elle à mon frère ? Que lui

reprochait-on?Jasonn’étaitpasundélinquant.C’étaituneerreurjudiciaire!EtBillquinerentraitpas!Deslarmesderageetdedésespoirnetardèrentpasàroulersurmesjoues.

— Ils pensent que Jason a tué Amy Burley dans un moment de démence, avant des’enivreroudeprendredeladrogue.

—C’estridicule!—Peut-être,maispourl’instant,aucunélémentnesembleinnocentertonfrère.Samnemeditpasdequellesourceiltenaitsesinformations,etjemegardaibiendelui

poserlaquestion.J’avaiseumoncomptedesurprisespourlàjournée.Après le départ de mon patron, j’appelai les renseignements pour connaître les

coordonnées de l’hôtel Nuit Blanche à La Nouvelle-Orléans. Je composai le numéro del’établissementd’unemaintremblantedenervosité.Billserait-ilcontrariéquejechercheàlejoindre?

—NuitBlanche,votre cercueil quand vous êtes loin de lamaison ! annonça une voixd’untonunpeumécanique.

—Bonjour.J’aimeraislaisserunmessagepourl’undevospensionnaires,s’ilvousplaît.—Dequis’agit-il?—M.Compton.—Delapartdequi?—SookieStackhouse,deBonTemps.Il faudraitdireàM.Comptonderevenirdèsque

possible.—C’estnoté,mademoiselle.Nousallonsluifaireparvenirvotremessageauplusvite.Je remerciai poliment mon interlocuteur, puis je raccrochai. Après un moment de

réflexion, j’appelai Sid Matt Lancaster, qui me promit de se rendre en fin d’après-midi àl’hôpitalpourassisterJason.Jeluidemandaidemeteniraucourantetraccrochai.

Quefaire,àprésent?Jemesentaisdésespérémentimpuissante.Suruneimpulsion,jepris ma voiture et roulai jusqu’à l’hôpital. On refusa de me laisser voir mon frère, sousprétexte qu’il ne s’était pas encore réveillé. J’eus la désagréable impression que l’on mementait,maisjedusm’incliner.Jen’avaispaslechoix.

Alorsque jequittais lehall, j’aperçusunesilhouette familière.AndyBellefleur.Enmereconnaissant,ilfitdemi-tour,commes’ilnem’avaitpasvue.Lesalaud!

La vue brouillée par les larmes, je rentrai chez moi. Tout mon univers s’écroulait.Pourquoinemelaissait-onpasvoirJason?Queluireprochait-t-on?D’avoirassassinétoutescesjeunesfilles?J’éclataid’unriresansjoie.Pourquoinepasl’accuserd’avoirtuéGranny,aupointoùonenétait?

Puisjesongeaiaveceffroiquelesenquêteursprenaientsansdoutecettehypothèsetrèsausérieux.J’éprouvaisl’oppressantesensationdemedébattredansunpiègequiserefermaitunpeuplusàchacundesmouvementsquejefaisaispourm’enlibérer.

Àmesurequelesheurespassaient,jeprisconsciencequesansmonincroyablenaïveté,

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j’auraispuépargneràJasoncettehumiliation.J’avaiscommistantd’erreurs!Sij’avaisportémonfrèrejusqu’aumobilehomedeSampourlelaver,sij’avaissubtilisélacassettepourladétruire,sijen’avaispasinsistépourqueSamappellelessecours...

Samavaittoutcompris,dèslapremièreseconde.Maisjenel’avaispasécouté.SidMattLancastersonnachezmoivers16h30.Ilm’annonçasanspréambule:—Jasonestinculpédemeurtre.Je fermai lesyeux,sous lechoc.Lorsque je lesrouvris,Sidm’observaitavecavidité.Il

ressemblaitàuncharognard,songeai-je,malàl’aise.—Ilaavoué?—Ilaseulementreconnuqu’ilavaitpassélanuitdernièreavecAmy.—C’esttout?Sidpoussaunsoupirrésigné.Oui.Ilditquec’étaitlapremièrefoisdepuislongtemps.Ilssortaientensembleautrefois,

maiselleétaitsi jalousedesesrelationsavecd’autresjeunesfemmesqu’ilavaitcessédelavoir.ElleluiafaitdesavanceshiersoirauGoodTimeBar;iln’apasrésisté.D’aprèslui,elles’estmontréedifférente,commesielleavaitune idéeentêteouqu’elleobéissaitàunplanbien précis. Il se rappelle avoir eu des rapports sexuels avec elle, puis avoir bu de l’alcool.Ensuite,iln’aaucunsouvenir,jusqu’àsonréveildanssonlitd’hôpital.

—Onl’adrogué,affirmai-jeavecgravité.J’avaisl’impressiondejouerdansunmauvaistéléfilm.—Évidemment, répondit Sid avec autant d’assurance que s’il s’était chargé lui-même

d’administrerlenarcotiqueàJason.Quisait,peut-êtreétait-celecas?Jesecouailatête.Voilàquejedevenaisparanoïaque!—Écoutez,jepeuxadmettreàlalimitequemonfrèresoitl’assassind’Amy,deDawnet

deMaudette,bienquejen’ycroiepasunseulinstant,maispersonnenemepersuaderaqu’ilatuénotregrand-mèredesesmains!

—Ilyauneautrehypothèse.Jasonpourraitêtreresponsabledelamortdecesjeunesfemmes,etComptondecelledevotregrand-mère.

Jeleregardai,indignée.—Bill?IlauraittuéGranny?—Ellen’apastentédevousséparer?Avectoutlecalmedontj’étaiscapable,jetoisaiLancaster.—GrannyadoraitBill.Elleétaitraviequejesorteaveclui.L’espace d’un instant, l’avocat laissa tomber sonmasque d’impassibilité. Ses pensées

déferlèrent sur mon esprit avec la force d’une rivière en crue. Il serait fou de rage etd’inquiétude si sa propre fille fréquentait un vampire. Il fallait être inconscient pourpermettre une telle abomination. Ces vampires étaient des êtres tellement répugnants !D’ailleurs, aucun jury ne croirait que feu Mme Stackhouse avait fermé les yeux sur lesrelationsquesacingléedepetite-filleentretenaitavecun...unrefroidi!

—Dites-moi,Sid,avez-vousdéjàrencontréBill?Ilsecoualatêted’unairdégoûté.—LeSeigneurabâtiunmurentrecescréaturesetnous,etIlnepermettraitpasqu’onle

fassetomber.Qu’onlaissecesmortslàoùilssont,voilàmonavis!—Leproblème,voyez-vous,c’estqu’ilm’acrééeàchevalsurcemur.Depuismonenfance, j’avaisconsacré lamajeurepartiedemonénergieàrefoulermes

talentsdetélépatheouàlesdissimuleràmonentourage.Ilétaittempsquecelacesse.J’avaisledroitdevivretellequeledestin,ouleSeigneur,ouquiquecesoitm’avaitfaite,etj’étais

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prêtedésormaisàleclamerhautetfort...àplusforteraisonsicelapouvaitm’aideràsauverJasondesgriffesd’unejusticeaveugle.

—J’aientenduparlerdevotre...handicap,ditLancasterenrajustantseslunettes.Pourmapart,jesuispersuadéquesileSeigneurvousenaaffligée,c’estpourquevousappreniezàlemettreàSonservice.

Jemepromisdeméditer cette idéedès que j’en aurais le loisir. Pour l’instant, j’avaisd’autrespriorités.

Nousnouséloignonsdusujet,etjem’envoudraisdevousfaireperdrevotretemps,Sid.Jasonpeut-ilêtrelibérésouscaution?Àmaconnaissance,sonimplicationdanslemeurtred’Amyn’apasétéformellementdémontrée,n’est-cepas?

—Sookie,votrefrèreaadmisqu’ilétaitladernièrepersonneàavoirvuAmyvivante,etlavidéoqu’onaretrouvéeàcôtédeluimontresesébatsdelanuitaveclavictime,quelquesminutes avant le décès, si on en croit l’heure indiquée sur le film. Reconnaissez que c’estaccablant.

—C’estmêmetrèsaccablant.Presquetrop.—Qu’entendez-vousparlà?—Qu’onnes’yprendraitpasautrementsionvoulait lefaireaccuserà laplaceduvrai

coupable.Écoutez, je connais Jason. Il a ses défauts,mais il ne boit que de la bière.Or, ilempestait l’alcool.Jesuisprêteàparierqu’onavidésurluiunebouteilledewhisky.Est-cequ’onluiafaituntestd’alcoolémie,aumoins?

Lancastersecoua la tête,visiblementvexéd’êtreprisendéfautparunepauvre filledemonespèce.

—Dixcontreunqu’onnetrouverarien,poursuivis-je.—Sij’aibiensuivivotreraisonnement,levéritableassassinauraitmanipulévotrefrère

pourqu’ilsoitaccuséàsaplace?—Oui.—PourquoiJasonetpasunautre?Jedécidaidejouercartessurtable.—D’abord,parcequemon frèredoitêtreprochedumeurtrier.Ensuite,parcequ’ilest

assezstupidepours’êtrevantéunsoiraubardeses tournagesclassésX.Celaadûdonnerdesidéesautueur,quiadécidédeluifairepayersescrimes.

Jemarquaiunepause.—Entre nous, Sid,mon frère n’est pas un ange. Filmer ses exploits au lit était aussi

malsainqueridicule.Maiscelanefaitpasdeluiunmeurtrier.IlyadeslimitesqueJasonnefranchiraitjamais.Vousavezvusondossier?

—Casier judiciaire vierge, membre de la communauté bien intégré et estimé de sesconcitoyens, grande stabilité professionnelle, récita Lancaster, prouvant qu’il avait étudiél’affaireavecsoin.Oui,j’aipeut-êtredeschancesd’obtenirsalibérationsouscaution...Maisattention!S’ilenprofitepours’enfuir,jenepourraiplusrienpourlui.

Voilàunehypothèsequejen’avaispasenvisagée.Jenesavaisriendelamiseenlibertésous cautionetn’avaisaucune idéedesdémarchesquecela impliquait,mais j’étaisprêteàtout pour faire sortir Jason de prison. J’avais l’impression que son séjour derrière lesbarreauxnepourraitquejouercontre lui lorsduprocès...si levéritableassassinn’étaitpasdémasquéentretemps.

—Toutcequejevousdemande,c’estdefairevotrepossiblepourluirendresa liberté,dis-je d’une voix ferme. Et de m’aider à le voir. On ne m’a pas laissée l’approcher, pourl’instant.

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—C’estluiquiarefuséquevousveniez.—Quoi?Maispourquelleraison?—Ilahonte.Jeréprimaiunéclatderiresurpris.C’étaitbienlapremièrefoisqueJasonmanifestait

untelsentiment!—Danscecas...Tenez-moiaucourantdevosdémarches.Promis.Àbientôt,Sookie.L’avocatmequitta,visiblementsoulagéquenotrediscussionsetermine.Maprésencele

mettaitmalàl’aise.Àlatombéedelanuit, jedescendisdanslacourpourm’assurerqueBubbaétaitàson

poste.Jetrouvaimongardeducorpsassissousunarbre,unflacondesangàmoitiévideàlamain.Àsespieds,j’aperçusquelquescadavresdebouteilles.

—Salut,monchou!dit-ilenlevantsonflacondansungestedebienvenue.Vousvenezmetenircompagnie?

Jesecouailatêteenfrémissantdedégoût.—Jesuisjustesortiem’assurerquevousnemanquiezderien!Ilagitasonflacon,dontlecontenurougeetvisqueuxmoussauninstant,mesoulevant

lecœur.—Onfaitaller,dit-ildesonaccenttraînant.Pasdechatdanslesparages?—Non,désolée.Billserabientôtderetour,etvouspourrezrentrerchezvous,ajoutai-je

avectoutelapolitessedontj’étaiscapable.Bonsoir.Presséederetrouverlasécuritédemamaison,jem’éloignaienmedemandantàquoile

vampire assis dans ma cour occupait ses longues nuits de veille. À fredonner Love MeTender?

—Etlechien?demandaBubbaderrièremoi.—Jel’airenduàsonpropriétaire,dis-jesansmeretourner.—Dommage...

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Une fois à l’abri derrière ma porte verrouillée, j’allai à la cuisine chercher de quoigrignoter,puisjem’installaidevantlatélévision.Aprèsavoirchangédechaîneunedizainedefois, jerenonçai.Cesoir, jen’avaisenviederien.Monfrèreétaitenprison,magrand-mèreétaitmorte,onavait tuémonchat,et jenesavaispasquandBillrentreraitdeLaNouvelle-Orléans.Jetaisplusseulequejamais.

Bill ne répondit pas àmonmessage. Il devait prendre du bon temps avec une de cesmorduesquirôdaientautourdel’hôtelNuitBlancheenquêtedesensationsfortes,songeai-jedansunmomentdedéprime.

Si j’avais été portée sur l’alcool, je me serais soûlée. Si j’avais été portée sur le sexecommeJason,j’auraisappeléJBduRoneetcouchéaveclui.N’étantriendecela,jepassailasoiréeàmangerde lacrèmeglacéedevantdevieillesséries télé ineptes.Jemecouchai tôt,presséedemettrefinàcettejournéecalamiteuse.

Au beaumilieu de la nuit, je fus réveillée par un cri strident. Cela venait du bois. Jem’assissurmonlitentendant l’oreille.J’entendisunbruitdepas,puisdescoupsétouffés,suivisd’ungrognement.

—Reviensici,fumier!Lesilenceretomba,plusinquiétantquelescris.Jemelevai,passaiunpeignoiretallai

ouvrir la porte. Rien ne bougeait dans la cour, éclairée par la lampe de la véranda. Aprèsquelquesminutesd’observation,j’aperçusunmouvementàlalisièredubois.JereconnuslalourdesilhouettedeBubba.

—Qu’ya-t-il?Levampiresetournaversmoi.—C’estuneespècedefilsdep...,saufvot’respect,mademoiselle,quitournaitautourde

lamaison.J’aibiencruquej’allaisl’attraper,maisils’estsauvédanslebois.Ilavaitgarésacamionnettesurleborddelaroute.

—Vouspourriezlereconnaître?—Pasvusafigure,marmonnaBubba.—Etsonvéhicule?—Nonplus.Lacarrosserieétaitsombre.— Tant pis. Merci quand même, Bubba. Vous m’avez sans doute sauvé la vie. Il me

réponditparunsourire.Jeleregardai,troublée.Avecsonvisagerejetéenarrièreetsestraitssensuels,ilétaitleportraitcrachéde...del’hommequ’ilavaitétéautrefois.Jefaillisl’appelerparsonnom.Jerefermaiprécipitammentlaporteenmemordantleslèvres.

Jasonfutlibérélelendemain.Salibérationcoûtaunefortune.EnsignanttouslespapiersqueSidMattLancasterme

présenta, jecomprisque lesbienspersonnelsdemon frère–samaison,sacamionnetteetson bateau de pêche – servaient de caution. C’était une chance que Jason n’ait jamais euaffaireàlajusticeauparavant.S’ilavaitcommislamoindreinfractiondanslepassé,l’avocatn’auraitpufaireaboutirlarequêtedemiseenliberté.

Deboutsur lesmarchesquimenaientautribunal, je leviss’approcherdemoi.Malgrél’heurematinale, il faisait déjà une chaleur éprouvante. Jeme souviens que je transpiraisdansmontailleurbleumarineetquejen’avaisqu’uneenvie:rentrerchezmoipourprendreunedouchefraîche.

—Jasondescenditlesmarchespuiss’arrêta,lesbrasballants,àmahauteur.Unevaguedepitiém’envahit. Il avait les épaules voûtées, le regard vide.Enquelquesheures, il avaitvieillideplusieursannées

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—Nemeposepasdequestions,dit-ild’unevoix lasse.Toutceque jepeuxdire,c’est

quejesuisinnocentdecesmeurtres.Ildétournaleregard.— Je n’ai jamais pensé que tu étais coupable, Jason. Jem’en veux d’avoir appelé les

secours,hiermatin.Sij’avaiscomprisquecesangsurtoin’étaitpasletien,j’auraisétéplusmaligne.J’auraiseffacétouteslestracesquit’accusaient,jet’auraisprotégé.

Leslarmesmemontaientauxyeux.—Jesuisdésolée,repris-je.J’aipaniqué.Jasonm’adressaunsouriremachinal.Sonespritn’étaitque tumulte.J’yentendaisun

bouillonnement d’émotions confuses – humiliation d’avoir été arrêté, honte que sespratiquessexuellesaientétérévéléespubliquement,indignationàl’idéequ’onaitpulecroirecapabled’avoirtuésapropregrand-mère,culpabilitéd’avoirmalgré luiassociénotrenomàtoutesceshorreurs...

—Onvas’ensortir,dis-je.—Onvas’ensortir,répéta-t-ilsansconviction.Combiende tempsnous faudrait-ilpouroublier?Jasonne retrouveraitpasavantdes

annéessonsourirearrogantetcetteassuranceàtouteépreuvequilerendaientirrésistible.S’illesretrouvaitunjour.Nous nous séparâmes devant le tribunal. Nous n’avions plus rien à nous dire. Tout

l’après-midi,jerestaiderrièrelebar,incapabledetravailler.Jemeconnectaimentalementàchaqueclientquipoussaitlaporte,dansleseulbutdesavoircequel’onpensaitdeJason.Àmonsoulagement,jen’entendisquepeudejugementsnégatifssurmonfrère.

JevisRenéetHoytapparaîtrederrière lavitre,puisbattre en retraite. Ilsm’évitaient.

J’étaisdevenueunefréquentationunpeugênante,jesuppose.Finalement,Sammerenvoyaàlamaisonendisantquej’avaisuneminededéterréeet

quej’allaisfairefuirsaclientèle.Lorsquej’ouvrislaportedeservice,lesoleilétaitdéjàtrèsbas sur l’horizon. Je songeai à Bill, à Bubba, à toutes ces créatures des ténèbres quis’apprêtaientàsortirdeleursommeilpourmarcheràlasurfacedelaterre.

Sur le chemin du retour, jem’arrêtai à Grabbit Kwik pour faire quelques courses. Lenouveau caissier, un boutonneux à grosses lunettes rondes, m’observa sans cacher sacuriosité. Pensez donc, il avait sous les yeux la sœur du tueur en série présumé de BonTemps!

Jeluiretournaisonregardsansaménité.Ilétaitpressédemevoirpartirpourpouvoirappeler sa petite amie et lui annoncer le scoop. Il regrettait de ne pas voir demarques demorsures sur mon cou. Il se demandait si les vampires étaient plus doués au lit que leshumains.

Voilà le typedepenséesque jedevaissupporter laplupartdu temps.J’avaisbeauêtreblindée,j’ensouffrais.

Je rentrai chezmoi à la nuit tombée. Après avoir déposémon sac de courses dans lacuisine,j’ôtaimonuniformedeserveuseetenfilaiunjeanetuntee-shirt.Commentoccupermasoirée?J’étaistropnerveusepourlireoumêmesuivreunfilmàlatélévision.Jecherchaisans conviction une cassette vidéo,mais aucune de celles que je possédais ne convenait àmon humeur, et je n’avais pas le courage de reprendre la voiture pour aller en louer uneautre.

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Je venais de me rendre dans la salle de bains pour me démaquiller lorsqu’un

miaulementdéchirantmefitsursauter.Quesepassait-il?Jecoupailerobinetetmefigeai,aux aguets. Je restai longtemps immobile, à guetter les bruits de la nuit, en vain. Le criinhumainnesereproduisitpas.

Il fallait que je sache ce qui se passait. À pas de loup, je me dirigeai vers la ported’entrée,quej’entrebâillai.Pasunmouvement,pasunson.

—Bubba?murmurai-je.Ilnemeréponditpas.Je l’appelaidenouveau, sansplusde succès.Unsilenceabsolu

régnait dans la cour et les bois environnants.Même les oiseaux et les insectes de la nuits’étaient tus. Pourtant, dans l’obscurité, je sentais une présence. Quelqu’un, ou quelquechose,rôdait.

Jedemeuraipétrifiéequelquesinstants,commefrappéedeparalysie.Moncœurbattaitàtoutrompre,maismonespritrefusaitdefonctionner.Enfin,jem’arrachaiàmatorpeuretmedirigeaiversletéléphone.Jedevaisappelerlapolice!

Laligneétaitcoupée.Jeme tordis lesmains avec angoisse.Que faire ? Enfin, je parvins à rassemblermes

esprits. Deux solutions s’offraient à moi : soit je me terrais chez moi en attendant lacatastrophe, soit je couraismemettre à l’abri dans les bois. Sans réfléchir une secondedeplus, jefis letourdelamaisonpouréteindretoutesles lumières,puis jecherchai l’issuelaplussûrepouropérermasortie.

J’optaifinalementpourlaportedeservicequi,situéesurl’arrièredelamaison,étaitlaplusprochedel’oréedubois.Là,jepourraismecacherdanslesfourrésenattendantlejour,oupeut-êtremarcherjusqu’àlamaisondeBill.J’avaisundoubledesaclé,etsontéléphonedevaitfonctionner.

Je glissaimon trousseaude clésdans lapochedemon jean, ainsi qu’un coupe-papierqueGrannyconservait sur laconsolede l’entréeetqu’elleutilisaitpourouvrir lespaquets.Suruneimpulsion,j’ajoutaiunepetitelampedepoche.

C’est alors que jeme souvinsdupetit revolver queGranny rangeait dans la penderie.L’armeavaitappartenuàmonpèreautrefois,etGrans’enservaitpourtuerlesserpents.Moiaussi,j’avaisunserpentàaffronter.J’ouvrislegrandplacard.

Lerevolveravaitdisparu.Jetâtonnaisurlesrayonnages,envain.Cen’étaitpaslemomentdeperdredutemps.À

regret, jem’éloignaiversl’arrièredelamaison.Toutenattachantmescheveuxpournepasles avoir dans les yeux, je passai en revue la liste des personnes qui étaient venues à lamaisonrécemment. Ilyenavaituncertainnombre :Bill,Jason,Arlène,René, lesenfants,AndyBellefleur,Sam,SidMatt...Jelesavaistouslaissésseulsàunmomentouàunautre– assez longtemps pour que l’un d’eux puisse sortir l’arme de la penderie et la cacher àl’extérieurdelamaisondanslebutdelarécupérerplustardentoutediscrétion.

Je chassai cespenséesdemonesprit.Dans l’immédiat, j’avaisuneautrepriorité :meprotégerdudangerquirôdaitdehors.

Avec d’infinies précautions, j’ouvris la porte de service. Pas de bruit. Je me faufilaidehors, avant de refermer derrièremoi. Puis, courbée en deux, je traversai la véranda quicourait également le long de la façade arrière de la maison, enjambai la rambarde et melaissaiglisserjusqu’àterre.

J’avaisl’impressiond’avoirdenouveauhuitansetdejoueràcache-cacheavecJason.Saufquecettefois-ci,moncamaradedejeuétaitautrementplusmenaçant.

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Unepenséem’effleura,quimeglaçalesang.Etsij’étaisvraimententraindejoueràcache-cacheavecJason?Je refoulai cette idée avec horreur et me dirigeai vers ma première étape, la vieille

mangeoirequeGrannyavait transforméeenbacàfleurs,situéeaumilieude lapelouse.Lanuitétaitclaire,lecielemplid’étoiles.Ilfaisaitchaud,maisl’airétaitsaturéd’humidité.

Jem’élançaietatteignismonbutsansencombre.J’essuyailevoiledesueurquicoulaitdemonfrontetcourusensuiteversmadeuxièmeétape,lemimosadel’autrecôtédujardin.Dans ma nervosité, je trébuchai sur une souche aux bords acérés. Je roulai sur le sol enretenantungémissement.Desélancementsdouloureuxtraversaientmajambeetmahanche.Je maudis Jason, qui n’était jamais venu scier cette souche, comme Granny le lui avaitpourtantsisouventdemandé.

Jemerelevaislorsquejeperçusunmouvementsurmadroite.Unhomme.Ilsedirigeaitvers moi. Je me ruai vers le couvert des arbres, mais mon poursuivant m’avait prise enchasse.Alors,retrouvantlesréflexesdemonenfance,jemehissaisurlaplusbassebranchedel’arbreoùJasonm’avaitdonnémespremièresleçonsd’escalade.

Si je survivais à cette nuit de cauchemar, je le paierais de quelques cicatrices etcourbatures,maisjem’estimeraisheureusedem’ensortiràsiboncompte!

Unefoisàquelquesmètresdusol, jem’immobilisai,tousmessensauxaguets.J’avaisenvie de gémir de douleur, et mes poumons me brûlaient, mais je m’interdis de respirerbruyamment.

Refusantdesongerquej’étaisseule,arméeentoutetpourtoutd’unelampedepoche–j’avaisperdumoncoupe-papierdansmacourseeffrénéepouratteindrelebois–,j’inspectailesalentoursàlafaiblelueurquitombaitducielnocturne.Toutn’étaitquecalmeetsilence.Avais-jerêvé?

Aprèsquelquesminutesd’attente,jedécidaidem’enaller.Monpoursuivantdevaitêtreloin,àprésent.J’entamaimadescente...etmefigeai,glacéedeterreur.

Là,justesousmespieds,l’hommevenaitdepassersansunbruit.Iltenaitunecordeàlamain. Dire que j’avais failli trahir ma présence ! Je tentai de voir son visage, en vain.Impossibledesavoiràquij’avaisaffaire.

Jelesuivisdesyeuxjusqu’àcequ’ildisparaisseentrelesarbres.Puisjelaissaiéchapperlesoupirquejeretenaisdepuisd’interminablessecondes.C’étaitlemomentdepartir.

Jemelaissaiglisseraubasdel’arbreetatterrissurlesolendouceur,puisjememisàmarcheràtraversbois,endirectiondelaroute.Avecunpeudechance,jepourraishélerunevoiture.Puisjesongeaiquelesautomobilistesétaientrares,àcetteheuretardive.Nevalait-ilpasmieuxquejem’entienneàmonplaninitialetquejemerendechezBill?

Jem’arrêtai, indécise. J’avais plus de chances d’appeler à l’aide en allant à ComptonHouse, mais la perspective de traverser le cimetière par cette nuit de pleine lunem’épouvantait.

Soudain,monregardfutattiréparuneforme,àquelquespasdemoi.Jem’approchaietvisqu’ils’agissaitd’unchatsauvage,probablementceluidontlemiaulementm’avaitalertée.Lapauvrebêtegisaitsurleflanc,égorgée,lepoilsouillédesang.Jemerelevaietfisquelquespas en chancelant, saisie d’un haut-le-cœur, avant de remarquer une seconde silhouetteinaniméeunpeuplusloin.

Bubba.Levampireétaitétendusurlesol,immobile.Était-ilmortousimplementinconscient?

Jepenchaispourlasecondehypothèse,étantdonnéqu’aucunpieunetraversaitsoncœuretquesatêteétaittoujourssursesépaules.

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Jereconstituaimentalementlascène.Quelqu’unavaitadministréunsomnifèreauchatavantdel’apporteràBubba.Quelqu’unquisavaitquecelui-ciétaitmongardeducorpsetquiconnaissaitsongoûtpourlesanimaux.Qui,parmimonentourage,correspondaitàcesdeuxcritères?

Uncraquementderrièremoimefitsursauter.Onvenait.Enunéclair,jebondisderrièreunfourré.Jeregrettaisplusquejamaisdenepasavoirle

revolver sur moi. Puis je songeai que si je n’avais pas d’arme, je n’étais pas totalementdémuniepourautant.

Les yeux fermés pour mieux me concentrer, je me mis à l’écoute des pensées quipassaientàmaportée.

Ilétaitlà!Uneboufféedehainemeparvint,âpre,implacable.Je frissonnai. Allons, ce n’était pas lemoment deme laisser impressionner ! Au prix

d’un effort sur moi-même, je m’obligeai à rester réceptive aux images qui m’arrivaient àprésent par vagues. Dawn, qui demandait qu’on la frappe, s’apercevait soudain qu’il nes’agissaitplusd’unjeuetécarquillaitlesyeuxd’effroi...Maudette,nue,quisuppliaitqu’onluiépargne une mort déjà certaine... Une inconnue, le corps couvert de bleus... Granny, oui,Granny,danslacuisinedelamaison,sebattantavecbravoure...

Bonsang,àquiavais-jeaffaire?Levisaged’Arlèneapparutensuite...Laprochainevictimedecemonstre?Jevisensuite

desenfants.LisaetCoby.Mais...ilsétaientdansmonsalon?Etcettejeunefemmederrièreeux...Cenepouvaitêtremoi!Avecdégoût,jeregardailablondelubriqueàlagorgemarquéedemorsures,étenduesurlecanapédansuneattitudesuggestive...

Voilàcommentl’assassinmevoyait.VoilàcommentRenéLeniermevoyait.Àprésent,jecomprenaispourquoijen’avaisjamaisréussiàlirecorrectementdansses

pensées.Illesdissimulaitdansunepartiedesonesprit,bienséparéedesaconscience.Carilyavaitenluideuxpersonnalités:docteurRenéetMisterLenier...

M’interdisantdecouperlaconnexion,jemefocalisaisurlespenséesquiémanaientdelui.Ilvenaitd’apercevoirunesilhouettederrièreunarbreetsedemandaits’ils’agissaitd’unefemme.

Ilm’avaitreconnue.Sansplusréfléchir,jem’élançaiendirectionducimetière.Jenepouvaisplusentendre

lespenséesdeRené;toutemonattentionétaitconcentréesurmacourse–viserlepluscourtchemin, anticiper les obstacles, éviter la chute, regarder où je posais les pieds, et surtout,surtout,nepasmeretourner,souspeinedemetransformerenstatuedesel...oudesang.

Lorsquejesortisdubois,j’étaisennageetjen’avaisplusdesouffle,maisj’avaisréussiàmettredeladistanceentremonpoursuivantetmoi.

Je traversaien trombe lapartierécenteducimetière,endirectiondeComptonHouse,plusaunord.Si jeneparvenaispasjusque-là, jepourraistoujoursmecacherdanslapartieancienneducimetière,plusricheenrecoins.

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Hélas, derrièremoi, l’écho des pas demon poursuivant se rapprochait de seconde enseconde.Toutenm’interdisantdetournerlatête,jeredoublaidevitesse.

Jemetrouvaisàprésentenvuedespremièresgrandestombes.Encorequelquespasetje pourrais me cacher, retrouver mon souffle, réfléchir à un plan pour échapper au fousanguinairelancéàmestrousses.

Estimant que j’avais mis suffisamment de distance entre lui et moi, je me glissaiderrièreunehautecolonnedegranitsurmontéed’unecroix.Là,jedemeuraiimmobile,unemainsurmeslèvrespourcomprimerlebruitdemarespiration.

Jecherchaidenouveauàmeconnecterà l’espritdeRené,mais sespenséesétaient siincohérentes que je ne parvins pas à les déchiffrer. Son cerveaumalade n’émettait qu’uneémotion:uneragemeurtrière.

Maisnon,ilyavaitautrechose.Unprénom,celuid’unefemmechèreàRené.Suruneimpulsion,jecriai:

—CommentvaCindy?Tusais,René,tapetitesœur?—Traînée!Tuvaspayerpourtouteslesautres!vociféra-t-il.JesusàcetinstantqueCindyavaitétélapremièredesesvictimes.Cindy,quiavaiteule

tortd’entreteniruneliaisonavecunvampire.Renél’avaitétrangléeaveclescordonsdesontablierdeserveuse,avantdefairedisparaîtresoncorps.

Jefrémisd’horreuràlavisiondesimagesquis’imposaientàmoi.LecadavredeCindy,gisantsurlebitumed’unparkingtelunpantindésarticulé.Untablierrouléenbouleetjetédans une poubelle, au pied d’un bâtiment blanc – probablement l’hôpital deMonroe, à lacafétériaduquelCindytravaillait.Lecorpsdelajeunefemmetransportéenhâteàl’arrièredupick-up, puis brûlé sur un bûcher improvisé, au milieu des bois. Les flammes quicommençaientàléchersescheveuxblonds...

J’avais été comme happée par l’esprit de René. Il me fallut quelques secondes pourrevenirà l’instantprésent... etcomprendreque lemeurtriervenaitdese jetersurmoi.Sonpoings’abattitavecforcesurmonvisage,mefaisantvaciller.

Instinctivement, je portai lamain àmon nez. Il était inondé de sang. Cette brute deRenél’avaitsansdoutecassé!Galvaniséeparlacolère,jemeredressaidetoutematailleetlefrappaiàmontour.Hélas,jemanquaisd’expérience.Jenefisquel’atteindreauxcôtes.

Dansungrognementdesurprise,Renérevintà l’assautetm’assenaunnouveaucoup.Maclaviculecédaavecuncraquementsignificatif,maisjeparvinsàresterdebout.Jamaisjen’auraiscruquej’étaissisolide.

Renésemblaitluiaussiétonnéparmarésistance.Ilnes’étaitpasattenduàcombattre.Grâceausangquem’avaitdonnéBill,etpeut-êtreaussiàceluideGrandeOmbre,mesforceset mes réflexes étaient décuplés. Je songeai à Granny, qui s’était défendue comme unetigresse.CefumierallaitvoirdequelboissechauffaientlesfemmesStackhouse!

Jem’élançaivers lui et, le saisissantpar lesoreilles, tentaidecogner sa têtecontre lacolonnedegranit.Ilmepritlespoignetspourmefairelâcherprise.Nousluttâmesquelquesinstants.Ileutledessus,maispourlapremièrefois,ildoutadel’issuedelabagarre.

Celamerenditunpeudecourage.Jevoulusjetermonassaillantàterre,maisilcompritmonintentionets’écartavivement,mefaisantperdrel’équilibreetm’envoyantrouleràterre.

L’occasion était tropbelle ! Il se rua surmoipourm’immobiliser.Par chance, il avaitperdusacordedanslabataille,cequil’obligeaàmelâcherpartiellement.Meretenantd’uneseulemain,iltâtonna,del’autre,àlarecherchedesonarme.

Mamaingaucheétaitlibre.Jepalpaiauhasardletorseetlatailledemonadversaireetsentisbientôtsousmesdoigtsuneformequejereconnus:uncouteauàcrand’arrêt,glissé

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danssaceinture.Jasonm’avaitapprisàmeservirdecesarmes-là.Jedépliailalame,quiémitunlégerdéclic.

Renécompritaussitôt.Jel’entendispenser:«J’auraisdûmedébarrasserdeça»,maisilétaittroptard.

J’avaisdéjàenfoncélalamedanssonventre.Un hurlement de douleur déchira la nuit. Je vis René se relever, les mains sur sa

blessure,sansparveniràcontenirleflotdesangquienjaillissait.J’enprofitaipourmeredresser,presséedem’éloignerdecemonstre.—Qu’est-cequetum’asfait?J’aimal!gémit-il.Ilavaitpeur,àprésent.Lafinétaitproche,illesavait.Quantàmoi,jen’éprouvaispasla

moindrepitié.JeregardaiRenémarcherversmoid’unpasvacillant.—Jevaistetuer,traînée!Espècedemonstre!—C’esttoi,lemonstre!m’entendis-jesiffler.Jeserraimonarmedansmamain,prêteàlefrapperdenouveau.Lentement,telleune

bêteblessée,ilentamauncercleautourdemoi.Jel’observai,l’espritsoudéausien.Ilsavaitsamort imminente. Il sentait déjà le froid le gagner. Sa volonté se dissolvait, ses penséess’égaraient.Ilselaissatombersurlesgenoux,sansforce.

Jeleregardaiuninstant,hébétée.Lecombatétaitfini.Jemedétournai, lecœurauborddes lèvres,etpris lechemindeComptonHouse.Par

miracle, mon double de la clé se trouvait encore au fond de ma poche. Proche del’évanouissement,jel’inséraidanslaserrure,traversailesalon,marchaijusqu’autéléphone.911.Jedevaisappelerle911.Voilàlaseulepenséedontj’étaiscapable.Jecomposailenumérodesurgencesetm’effondraisurleparquet,sansconnaissance.

Avant même d’ouvrir les yeux, je compris que je me trouvais dans une chambre

d’hôpital. Une odeur d’éther et de draps propres flottait dans l’air... ainsi qu’un parfumd’après-rasage.Ilyavaitunhommeàmonchevet.

Jesoulevailespaupièresavecpeine.AndyBellefleur. Ilavait l’airencoreplus fatiguéque ladernière foisque je l’avaisvu.

Cethommenedormaitdoncjamais?—Sookie?Vousm’entendez?demanda-t-ilàmi-voix.Jehochaifaiblementlatête.Toutmoncorpsn’étaitquedouleur.—Onl’aeu,dit-il.Je refermai lesyeux, tandisque l’inspecteur se lançaitdans le récitde l’arrestationde

René,dontjen’entendisqueledébut.Jem’étaisdéjàrendormie.Ilfaisaitgrandjourlorsquejemeréveillaidenouveau.J’avaisunpeumoinsmal,etles

idéesunpeuplusclaires.Unesilhouetteenuniformese levad’unechaise installéeprèsdemonlit.

—OùestKenya?demandai-jeàl’agentKevinPrior.—Jel’aienvoyéedéjeuner.Elleserabientôtderetour.Ilmarquaunepause.—Vousêtesquelqu’un,vous,ajouta-t-il.—Jenesaispas...—Vousavezétéblessée.—Ça,parcontre,jelesais!Ilsourit.—EtRené?

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—Nous l’avons trouvé dans le cimetière. Vous l’avez sacrément amoché,mais il étaitencoreconscient.Ilaavouéavoirtentédevoustuer.

—Tantmieux.—Ilavait l’airsurprisdenepasyêtrearrivé. Iladitquevousn’étiezpasaussidocile

quelesautresetquevousétiezlaseule,àpartvotregrand-mère,àvousêtredéfendue.Ilsetut,visiblementgêné.—Elles’estbattuejusqu’aubout,dis-je.Jesuisfièred’elle.—Et vous êtes sa digne petite-fille. Si les autres ne s’étaient pas inclinées devant la

volontédeRené,ellesauraienteuunechancedesauverleurpeau.Kenyaentra,unetassedecaféàlamain.—Elleestréveillée,annonçaKevin.—Tantmieux.Elleapuracontercequis’étaitpassé?Kevinhochalatête.—Parfait,onappelleBellefleurtoutdesuite.Jefermailesyeux,vaincueparlafatigue.Quelquesminutesplustard,l’inspecteurnousrejoignitdanslachambre.Aprèsavoirfait

signeauxdeuxKdenouslaisser,ils’assitàmonchevetetsortitunmagnétophoneminiaturedesapoche.

—Maintenant, vousallezme raconter cequi s’estpassé,dit-il aprèsm’avoirdemandél’autorisationdemettre l’appareilenmarche.Prenezvotre temps,parlezàvoixbasse.Vousavezétésérieusementblesséeàlagorge.

Dansunmurmure,jerelatailesévénementsdelasoiréeetdelanuit,sansomettreunseuldétail.Lorsquej’eusterminé,Andymedemandasij’avaisvuBillrécemment.

—IlesttoujoursàLaNouvelle-Orléans.L’inspecteurs’apprêtaitàmeposerdenouvellesquestionsquandunejeunefemmeen

blouse blanche entra dans la pièce. Aprèsm’avoir examinée, elle le pria deme laissermereposer.

—Commentvoussentez-vous?medemandalemédecin,unefoisqu’Andyfutsorti.—Commesij’avaisétépasséeàlamoulinette.—Pasétonnant.Vousavezlaclaviculefracturée,deuxcôtesbriséesetlenezcassé,dit-

elleencomptantsursesdoigts.Sansparlerdesnombreusesblessuresàvotregorgeetàvotrevisage.

Jenedevaisplusavoirfigurehumaine!—Jevousaiprescritdesantalgiques,maisn’hésitezpasàappelerl’infirmièresicelane

suffitpas.Unvisiteurfrappaàlaporteàcetinstant.—Jepeuxentrer?demandaunevoixquinem’étaitpasinconnue.—Oui, j’ai terminé,dit lemédecin.Maispasplusde cinqminutes,MlleStackhousea

besoinderepos.—Promis,doc!JBduRoneentradanslachambre,unbouquetdefleursàlamain.Ilétaittoujoursaussi

beaugarçon.Lemédecindevait êtredemonavis, car elle ledévisagea sansdissimuler sonadmiration.

—Commentvas-tu,Sookie?demanda-t-ilendéposantunbaisersurmonfront,lorsquenousfûmesseuls.

—Jemesuissentiemieux.— Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu n’as qu’à demander. Des magazines ? Des

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biscuits?J’étais bien incapable de lire, et je ne savais pas quand je pourrais utiliser mes

mâchoiresdenouveau.JesecouailatêteetremerciaiJB.—Drôlementjolie,tatoubib,déclara-t-ild’unairconnaisseur.Mariée?—Aucuneidée.—Lesdocteursn’étaientpasaussisexyquandj’étaisgosse.—Tun’aspasvudemédecindepuiscetteépoque?—Pasbesoin.Jesuissolidecommeunbœuf!Et sans doute aussi intelligent, ne pus-je m’empêcher de songer. Mais il était si

charmant!Jetentaideluisourire,envain.Ladouleurs’étaitréveillée.—Tuasl’airdesouffrir,dit-ilaussitôt.Nebougepas,j’appelleuneinfirmière.JBs’éclipsasurundernierbaiser.—A un de ces jours, Sookie. Je file demander à tonmédecin plus de détails sur ton

traitement.L’infirmière arriva ensuite pour injecter un analgésique dans ma perfusion. Je

m’adossai à l’oreiller, de nouveau abattue par la fatigue. J’allais sombrer dans le sommeillorsquelaportes’ouvrit.Jasonentradanslachambred’unpashésitant.

—Jeviensdeparleraumédecinquis’occupedetoi.Paslongtemps,ellen’avaitriendeplusurgentqued’allerboireuncaféavecJBduRone.

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Jesouris,amusée.SacréJB!Ilresteraittoujourslemême.Puis,aprèsm’avoirexaminéeavecunmélangedepitiéetd’effroi,Jasonreprit:—CesalauddeRenét’adrôlementesquintée.Iltenditunemainversmajoue,qu’ileffleurasansconviction,avantdelaisserretomber

sonbras.—Jetedoisdesremerciements,maisjesuisfurieuxquetuaiesprismaplace.C’estmoi

quiauraisdûréglersoncompteàcetteordure...Direquejeleprenaispourunami!Jecomprenais lessentimentsdemonfrère. Ilavaitété trahiparundeshommesqu’il

appréciaitleplus.Ladéceptiondevaitêtrerude.Arlène arriva à cet instant. Je ne reconnus pas immédiatement la mégère hirsute et

débraillée qui venait d’apparaître dansma chambre. Arlène, d’habitude si pomponnée ! Lepluschoquantétaitsonexpression.Sonvisageétaitdur,sesyeuxpleinsdehaine,sespoingsfermés,commeprêtsàfrapper.

—Arlène?coassai-je,soudainempliedepitié.Jevissestraitss’adoucir,seslèvrestrembler,deslarmesbrillerdanssesyeuxcernés.— Alors, c’est vrai... murmura-t-elle, hébétée. Moi qui étais venue te demander des

comptes ! J’étais prête à te rouer de coups quand j’ai vu dans quel état était René. Etmaintenantquejetevois...

Elleselaissatomberàgenouxàmonchevetensanglotant.—Oh,Sookie !Pardon !Pardonpour lemalqu’il t’a fait !Si j’avais su...Si seulement

j’avaispuimaginer...J’étais émue par sa détresse, mais trop épuisée pour lui dire les mots de réconfort

qu’elle attendait. J’implorai Jason du regard. Il comprit le message, car je le vis prendreArlèneparlesépaulespourl’aideràserelever,puislaguiderverslaporte.

Unpeuplustard,dansl’après-midi, jeréussisàmeleverpourallerà lasalledebains.Un exploit ! Je décidai deme regarder dans le petitmiroir fixé au-dessus du lavabo,maisregrettai aussitôtma curiosité.Mon teint était livide,mon nez avait doublé de volume, etmonœilgaucheétaitsigonfléquejenepouvaispresqueplussouleverlapaupière.

Je me recouchai, désespérée. Il me faudrait une éternité pour me remettre de mesblessures ! Quand pourrais-je retourner au travail, oublier le cauchemar de ces dernièressemaines ? Je fermai les yeux, épuisée. Je n’avais qu’une envie : dormir, pour que cetteaffreusejournéenesoitplusqu’unsouvenir.

Malheureusement, on frappa de nouveau. J’envoyai mon nouveau visiteur au diable,maismavoixnedutpasporterbienloin,carlaportes’ouvritsurunedameauxcheveuxgrisquejeneconnaissaispas.L’inconnue,quiportaitletablierjaunedesbénévoleschargéesdeveiller au confort des malades à l’hôpital, poussait un chariot couvert de bouquets et depaquets.

—Jevousapportedesfleurs!déclaracettebravefemmeensouriant.Jetentaide luirendresonsourire,mais,àen jugerpar l’expressiondecommisération

quisepeignitsurlestraitsdeladameenjaune,lerésultatnefutpasbrillant.—Voyons...ceciestpourvous,dit-elleenprenantsursonchariotunesortedepalmier

miniatureentouréd’unnœudrouge.Tenez,ilyaunepetitecarte.Elleposalaplantesurmatabledechevet,puismedonnauneenveloppe.—Ilyaaussiceci,reprit-elle.En la voyant prendre un bouquet de fleurs dans les nuances rose dragée, je me dis

qu’elle avait dû confondremon étage avec lamaternité de l’hôpital. Pourtant, la carte quiaccompagnaitlebouquetportaitbienmonnom.

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—Oh,ilyenaencore!s’exclamamavisiteuse.Cettefois-ci,ils’agissaitd’unecompositionfloraledanslestonsrougesang.Nettement

plus en accord avecmon état de santé, me dis-je en regardantma bienfaitrice déposer cetroisièmeprésentencompagniedesdeuxautressurmatabledenuit,avantdes’éloignersurundernierregardapitoyé.

C’était une chance qu’il n’y en ait pas plus :ma table de nuit ressemblait déjà à unejungle,songeai-jeenouvrantlapremièreenveloppe.LepalmierétaituncadeaudeSam«etdetoustescollèguesdeChezMerlotte,quiattendenttonretouravecimpatience».Lacarteétaitsignéedel’écriturerapidedeSam.

LebouquetrosebonbonvenaitdeSidMattetElvaDeeneLancaster.Quantautroisièmecadeau... Je regardai plus attentivement la fleur exotique qui constituait le centre de lacomposition.Jen’avaisjamaisvucetteplante-là,maisellememettaitmalàl’aise,avecsesformesrenfléesquiévoquaientirrésistiblement...unsexeféminin.

Quiavaiteul’idéesaugrenuedem’envoyeruncadeaudesimauvaisgoût?Jedécachetail’enveloppe,intriguée.Lacartedisaitsimplement:«Bonventàtouslesdeux.Éric.»

Comment savait-il que j’avais été hospitalisée ? Et pour quelle raison Bill, lui, nesemblait-iltoujourspasenavoirétéaverti?Luiétait-ilarrivémalheur?

Sans réponse à ces questions, je sombrai dans un sommeil lourd, peuplé de visionsterrifiantes. J’errais dans un cimetière sans fin, trébuchais sur des tombes, croisais lesvisagesdeceuxquej’avaisenterrés–mesparents,Granny,MaudettePickens,DawnGreen...Ilmefallaittrouverunecertainepierretombale,seulmoyendemedélivrerdetouslesmortsqui me poursuivaient à présent pour me demander des comptes en me suppliant de lesrendre à la paix éternelle. En proie à une terreur croissante, je continuais à chercher lasépulturequimedélivreraitdemestourments.Enfin,jetrouvaisl’inscriptionquej’espéraistant.

—Chérie,tuessauve,ditunevoixglacialeetfamilière.Danslapierreétaitgravé«WilliamErasmusCompton».Unemainfroidecaressamon

visage.J’ouvrislesyeuxdansunsursaut.—Tuesrevenu!dis-jeenreconnaissantceluiquisepenchaitversmoi.—Monamour...murmuraBillenparcourantmonvisaged’unregardnavré.Cemonstre

t’afaittropdemal.Jevaisletuer!—Pourquoinem’as-tupasrappelée?Tun’aspaseumonmessage?—Jevoulaistediredevivevoixcequiétaitarrivé.Je regardai Bill avec plus d’attention. Il arborait l’air fier de celui qui a accompli une

missiondésespérée.—Maisd’abord,reprit-il,jeveuxvoircequ’ilt’afait.Sansattendremonautorisation,ilsoulevamondrap.Jefrémis,gênéed’êtreainsil’objet

desesregardsattentifs.Avecmesjambescouvertesdebleusetmonaffreusechemisedenuitd’hôpital,jedevaisoffriruntristespectacle.

—Jeteramèneàlamaison,déclaraBilld’untonsansréplique.—Impossible,murmurai-je.D’un geste, je désignai la perfusion. Bill leva les yeux, examina la perche et la poche

transparentequiyétaitfixée,puissonregardsuivitlefiljusqu’aucathéterplacéàlasaignéedemoncoude.

—Cen’estpasunproblème,dit-il.Je secouai la tête avec véhémence. De quel droit Bill se permettait-il de jouer les

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médecins, à présent ? S’il avait été là quand j’avais besoin de lui, tout ceci ne serait pasarrivé!

—Tuneveuxpasquejeprennesoindetoi?D’unnouveausignedetête,jerefusai.—Laisse-moiaumoinstedonnerdemonsang.—Pasquestion!dis-jed’unevoixéraillée.Uneexpressiondecruelledéceptioncrispasestraits.—Pourquoi?— Tout le monde a remarqué que j’avais commencé à changer, expliquai-je avec

difficulté.Mescheveux,monteint...Jenepeuxplusprendredetonsang.—Commetuvoudras.—Tusaiscequim’estarrivé?—Bubbam’enaditunepartie,Samuneautre.Lereste, je l’ai ludans les rapportsde

police.—Ont’alaisséyavoiraccès?—Jen’aipasdemandéd’autorisation,dit-il,désinvolte.Jedésapprouvaiscesméthodes,maisjen’avaispasassezd’énergiepoursermonnerBill.—Maintenant,dis-moicequis’estpasséàLaNouvelle-Orléans.—Oui,ilesttempsquejetemetteaucourant.Voyons,paroùcommencer?D’abord,tu

dois savoirque, contrairementà ceque leshumains imaginent, les vampiresneviventpasdans l’anarchie.Notre communauté est structuréeparuneorganisationpolitique.Nos élusdisposentd’une certaineprotection. Jeme suisdoncditque si l’onmeconfiaitunmandatélectoral,Éricauraitbeaucoupplusdemalàs’immiscerdansmesaffairespersonnelles.

Malgrémoi,jejetaiunregardàl’affreusecompositionflorale.Jefrissonnai.—Etalors?—Alors, jeme suis présenté aux élections, qui avaient lieu il y a quelques jours àLa

Nouvelle-Orléans.Ilmarquaunepause,visiblementfierdelui.—Tuasdevanttoil’investigateurdelacinquièmezone,déclara-t-il.—Lequoi?—Jet’expliquerai.—Commentas-tuétéélu?Tun’esqu’undébutantenpolitique!—Oh,j’aipum’appuyersurungroupedepressionassezefficace,ditBillmodestement.Jen’osailuidemandersilelobbyenquestionavaitassassinésesconcurrentsouoffert

auxélecteursdes«boissonsgratuites»...—C’estmerveilleux,dis-jeavectoutel’admirationqu’ilsemblaitattendredemoi.Situ

veuxmefaireplaisir,montre-toimagnanime.Billhaussalessourcilsd’unairinterrogateur.—Épargne René. Il y a déjà eu assez demorts comme ça. Laisse la justice faire son

travail.Situletues,lachasseauxvampiresreprendradeplusbelle,etnousneseronsjamaisenpaix,toietmoi.

Billmeregarda longuementensilence.Puis il sepenchaversmoietmepritdanssesbras avecmille précautions. Je laissai échapper un soupir de bien-être. Que c’était bon depouvoirlesentirdenouveaucontremoi!

—Jetedonnemaparoledenepasletuer,murmura-t-ilalorsàmonoreille.Jefrottaimonnezcontresonépauleavecreconnaissance.

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—Tum’astellementmanqué!—Toiaussi.Alors,fais-moiunepromesseàtontour.—Jet’écoute.—Guérisleplusvitepossible,avecousansmonsang.—Promis.Àcetinstant,unchienpassasonmuseauparlaporteentrebâillée.—Ouaf!fitl’animald’untonétrangementamical,avantdes’éloigner.— Tout va rentrer dans l’ordre, murmura Bill en me déposant sur le matelas avec

tendresse.Jetelejure.Jem’endormaisdéjà.—Jet’aime,ajouta-t-il.—Moiaussi.Dansundemi-sommeil, je levisouvrir la fenêtre.Puis levampireque j’aimaisbondit

aveclégèretésurlerebord,avantdes’envolerdanslanuit.