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© Sabrina Zouaghi, 2018 L'influence du salafisme dans le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne Mémoire Sabrina Zouaghi Maîtrise en études internationales - avec mémoire Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada

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© Sabrina Zouaghi, 2018

L'influence du salafisme dans le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne

Mémoire

Sabrina Zouaghi

Maîtrise en études internationales - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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L’influence du salafisme dans le processus de

rédaction de la nouvelle constitution tunisienne

Mémoire

Sabrina Zouaghi

Sous la direction de :

Francesco Cavatorta, directeur de recherche

Muriel Gomez-Perez, codirectrice de recherche

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RÉSUMÉ

Le présent mémoire tente d’apporter un éclairage nouveau sur le phénomène du salafisme et

son implication au cœur du processus de constitution-making de la transition tunisienne en

répondant à la question de recherche suivante : « les salafistes tunisiens, de par leur idéologie

qui ne privilégie que la légitimité de leurs propres revendications et de par leurs actions qui

ne favorisent pas la négociation, le compromis et la coexistence de différentes factions

sociétales, ont-ils influencé le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne,

et si oui, de quelle(s) manière(s) et quels ont été les impacts ? ».

Les résultats du mémoire font état que les salafistes tunisiens ont influencé le processus

constitutionnel, mais pas le contenu de la constitution. En effet, ils ont réussi à remettre sur

la table la question de la charî’a dans les débats constitutionnels et plus particulièrement dans

les discussions internes du parti Ennahda grâce à des formes de mobilisation para-

institutionnelle.

Cependant, ces formes de mobilisation n’ont pas eu l’effet escompté d’inscrire la charî’a

dans la nouvelle constitution. En réalité, le contexte socio-politique a plutôt favorisé

l’exclusion des salafistes à cause de leurs discours qui discréditaient les autres factions

sociétales et politiques et de leurs actions qui ne favorisaient pas la négociation, le compromis

et la coexistence avec ces factions. Les salafistes, comme groupe social particulier qui attire

les franges populaires de la société, véhiculent une idéologie religieuse entraînant des impacts

politiques et sociaux qui les distingue de la majorité des Tunisiens.

Si Ennahda entretenait certains objectifs communs avec les salafistes, ses deux partenaires

politiques ne se retrouvaient pas dans une situation similaire, bien au contraire. Les salafistes,

par leurs discours et leurs actions, empêchaient l’atteinte d’un compromis démocratique entre

ces partis politiques et représentaient une menace pour les règles de garantismo qu’ils étaient

en train de négocier. Ils exacerbaient la polarisation entre « islamistes » et « non-islamistes »

et menaçaient la coexistence des deux camps.

Lers intérêts paraissaient ainsi ne pas faire partie d’un consensus possible entre les factions

les plus importantes qui ne considéraient pas les salafistes comme des acteurs significatifs au

sein de la société tunisienne. Ils ont été dès lors exclus du jeu démocratique, à la fois des

débats et du processus. La mise au rancart de leurs intérêts a été l’un des coûts à assumer

pour Ennahda, afin d’assurer l’adoption de la nouvelle constitution tunisienne et la réussite

de la transition démocratique.

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Table des matières RÉSUMÉ .......................................................................................................................................................... iii

GLOSSAIRE .................................................................................................................................................... vi

LISTE DES ABRÉVIATIONS ..................................................................................................................... ix

DÉDICACE ....................................................................................................................................................... x

REMERCIEMENTS ....................................................................................................................................... xi

CHAPITRE INTRODUCTIF ........................................................................................................................ 1

CHAPITRE 1 - PRÉSENTATION DU PROJET DE RECHERCHE ..................................................... 8

La transitologie et le « printemps arabe », une conciliation possible ? ............................................... 8

Le projet de recherche : problématique et hypothèses ......................................................................... 17

La méthodologie employée ...................................................................................................................... 21

Conclusion ................................................................................................................................................. 27

CHAPITRE 2 - LE SALAFISME, UN MOUVEMENT RELIGIEUX LITTÉRALISTE ................. 28

Un intérêt académique récent sur le salafisme au regard de l’actualité ............................................. 28

Des éléments définitionnels ..................................................................................................................... 31

Débats sur les origines polémiques du salafisme ............................................................................. 31

Un objectif pieux en réaction aux sociétés grugées par le capitalisme ........................................ 35

Le minhâj salafî, une méthode stricte et littéraliste ......................................................................... 39

Des concepts-clés au cœur du salafisme ........................................................................................... 41

Une catégorisation traditionnelle des salafistes .................................................................................... 42

Le salafisme scientifique : une salafisation sociétale ...................................................................... 43

Le salafisme politique : une salafisation institutionnelle ................................................................ 44

Le salafisme jihadiste : une salafisation révolutionnaire ............................................................... 45

Conclusion ............................................................................................................................................. 46

CHAPITRE 3 - LE PAYSAGE SALAFISTE TUNISIEN À L’ÈRE POSTRÉVOLUTIONAIRE .. 48

Les organisations salafistes en Tunisie : un mouvement multiforme en quête d’un rôle dans le

processus transitionnel tunisien ............................................................................................................... 49

L’amnistie générale du 19 février 2011 : l’essor publique d’un courant orthodoxe .................. 49

Des formations organisationnelles hétéroclites, une hiérarchie éclatée et des structures

horizontales ........................................................................................................................................... 54

Tension idéologique sur le plan de la reconnaissance juridique ................................................... 60

La qualification salafiste : processus de (dé)légitimation .............................................................. 64

L’absence de représentation politique et la présence de programmes généraux au profit de la

mosquée, le principal lieu de rencontre des salafistes .................................................................... 66

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Les discours des salafistes tunisiens : entre des objectifs communs et des stratégies divergentes 69

L’État et la société islamiques : une solution à tous les maux ....................................................... 69

Vers une redéfinition de l’identité tunisienne : la charî’a comme demande identitaire salafiste

................................................................................................................................................................. 71

À la recherche d’une clientèle sociale et politique ultra-conservatrice ....................................... 78

Le recours à deux stratégies complémentaires ................................................................................. 81

La renonciation au recours à la violence, l’emploi de la da’wa et l’implication politique : entre

convergences et divergences ............................................................................................................... 84

Conclusion ................................................................................................................................................. 89

CHAPITRE 4 - LE PROCESSUS CONSTITUTIONNEL TUNISIEN : POINT DE FRICTION

DES ACTIONS SALAFISANTES ............................................................................................................. 94

L’absence d’actions politiques structurantes ......................................................................................... 95

La politique de la rue : le mot d’ordre implicite chez les salafistes .............................................. 96

Manifestations publiques et rassemblements politiques, des méthodes d’action politique

traditionnelles .................................................................................................................................... 97

L’instrumentalisation ou la politisation des actions sociales et religieuses ........................... 100

Une timide intégration aux instances participatives de l’Assemblée nationale constituante .. 108

Ennahda, un allié potentiel dans l’agenda salafiste de la Tunisie postrévolutionnaire ........... 113

La logique de dialogue adoptée par les salafistes, un rapprochement utilitariste ?............... 113

La charî’a chez Ennahda : les résultats d’une influence modeste............................................ 122

Le refus d’Ennahda d’inscrire la charî’a dans la constitution: le début d’une rupture des salafistes

................................................................................................................................................................... 129

La logique de distanciation des salafistes, une réaction dynamique aux actions nahdaouies 130

Des conséquences portant un changement de ton et d’action bien présent dans les rangs

salafistes ............................................................................................................................................... 135

La constitution tunisienne de 2014, une influence indirecte des salafistes ..................................... 144

Conclusion ............................................................................................................................................... 147

CHAPITRE CONCLUSIF ......................................................................................................................... 150

SOURCES .................................................................................................................................................... 157

BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................... 170

ANNEXES ................................................................................................................................................... 180

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GLOSSAIRE

‘amel tanzimî Le concept de travail organisé

‘aqîda Le credo

‘ibâdat Les actes cultuels et d’adoration

‘ijmâ’ Le concept d’interprétation juridique des textes

religieux qui consiste en le consensus parmi les

chouyoûkh

‘ourf L’une des sources de du fiqh, soit la coutume

Ahâdîth (hadîth) Les communications orales qui expriment les actes et

paroles du Prophète Mohammed et ceux que ce dernier

a approuvés parmi ses Compagnons (au pluriel)

Ahâdîth sahîha Les communications orales qui expriment les actes et

paroles du Prophète Mohammed et ceux que ce dernier

a approuvés parmi ses Compagnons et qui sont avérés

(chaque rapporteur de la isnad est retracé) (au pluriel)

Ahl- al-hadîth Les gens du hadîth

Aima (imâm) L’imam (au pluriel)

Allâhou akbar Dieu est grand

Al-amr bil-ma’roûf wal-nahî Le concept de promouvoir la vertu et de prévenir le vice

Al-firqa al-najiya La secte élue parmi les soixante-treize sectes en islam

Al-tâbi’oûn La première génération qui ont suivi les Compagnons

du Prophète (deuxième génération de musulmans)

Al-walâ wal-barâ’ Le concept de loyal et de désaveu

Ansârî Les partisans

Assâla L’authenticité

Ayât Les versets coraniques (au pluriel)

Bid’a (bidâ’) Les innovation religieuse (au singulier)

Bidâ’ (bid’a) Les innovations religieuses (au pluriel)

Chahâda L’attestation de foi

Charî’a La loi islamique

Cheikh (chouyoûkh) Le sage religieux (au singulier)

Choumouliya al-islâm Le principe de globalité en islam

Choûra Le conseil consultatif

Chouyoûkh (cheikh) Les sages religieux (au pluriel)

Da’wa La prédication religieuse

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Dâr al-islâm La terre de l’islam, lorsque la population d’un pays est

majoritairement musulmane

Destour al-khilafa La constitution du califat

Dhimmis Le statut de minorités

Fatâwâ (fatwâ) Les avis juridiques émis par des spécialistes religieux

(au pluriel)

Fatwâ (fatâwâ) L’avis juridique émis par des spécialistes religieux (au

singulier)

Fitna La division entre les musulmans, initialement compris

comme celle entre les sunnites et les chiites

Furoû’ Les principes secondaires

Hadîth (ahâdîth) Les communications orales qui expriment les actes et

paroles du Prophète Mohammed et ceux que ce dernier

a approuvés parmi ses Compagnons (au singulier)

Hâj Le pèlerinage religieux à faire obligatoirement une fois

pour le musulman qui en a les moyens

Halaqât Les cercles d’études religieuses

Halâl Ce qui est permis en islam, licite

Harâm Ce qui est interdit en islam, illicite

Hijâb Le voile qui couvre les cheveux (aussi le principe de

porter des vêtements modestes)

Hisba Le principe islamique désignant le devoir de

promouvoir la vertu et de prévenir le vice

Hizbiyya La partisannerie

Hudoûd Les sanctions pénales religieuses

Imâm (aima) Le guide spiritual religieux

Îmâne La foi

Isnad La chaîne des transmetteurs des ahâdîth

Istislah L’une des méthodes d’interprétation des sources

juridiques, soit l’intérêt commun

Janna Le paradis

Jihâd fî sabîllilâh La lutte armée dans le chemin de Dieu

Jiziyya La taxe ou le tribut de protection

Joumou’a Le vendredi

Kalam L’une des méthodes d’interprétation des sources

juridiques religieuses, soit la parole

Khuttab Écoles coraniques (au pluriel)

Khalaf Le successeur

Kuffar Les mécréants (au pluriel)

Matn Le contenu des ahâdîth

Madhab (madhâhib) L’école islamique de pensée juridique (au singulier)

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Madhâhib (madhab) Les écoles islamiques de pensée juridique (au pluriel)

Maslaha L’une des méthodes d’interprétation des sources

juridiques, soit le bien-être public

Minhâj La méthode d’interprétation des sources religieuses

Minhâj salafî La méthode d’interprétation salafiste des sources

religieuses

Muftî Le jurisconsulte

Mujâhidîn Le combattant engagé dans le jihâd fî sabîllilâh

Mu’âmalat Les prescriptions et pratiques sociales en islam

Muttâwa’a La police religieuse en Arabie saoudite

Oumma La communauté islamique

Qîyâs Les raisonnements analogiques comme méthode

d’interprétation en islam

Ribâ Le prêt usurier interdit en islam

Salaf L’ancêtre, le prédécesseur

Salafiyya Le salafisme

Salaf al-salîh Les pieux prédécesseurs

Salât La prière

Sunna La tradition

Tablighi L’un des mouvements islamiques fondamentalistes

Tâbi’ al-tâbi’în La deuxième génération qui suit les Compagnons du

Prophète (troisième génération de musulmans)

Takbîr La magnification de Dieu

Takfîr Le principe d’excommunication

Taqlîd L’imitation de la pratique religieuse des ancêtres

Tarbiyya L’éducation

Tawhîd Le principe d’unicité de Dieu

Tazkiyya La purification de soi

Thawra La révolution

Usoûl al-fiqh Les sources, les connaissances du droit islamique

Walî al-amr L’obéissance à celui qui détient l’autorité

Zatla Le cannabis

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

ANC Assemblée nationale constituante

ARP Assemblée des représentants du peuple

AST Ansâr al-Charî’a en Tunisie

CPR Congrès pour la République

Ettakatol Forum démocratique pour le travail et les libertés

FTAI Front tunisien des associations islamiques

ISIE Instance supérieure indépendante pour les élections

MENA Afrique du Nord et Moyen-Orient

ONG Organisation non-gouvernementale

OTAN Organisation du traité de l’Atlantique nord

RCD Rassemblement constitutionnel démocratique

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DÉDICACE

Le fruit de ce travail de longue haleine, je le dédie d’abord et avant tout à mon grand cœur

d’amour qui, j’espère, est très fière de son petit rayon de soleil.

Je le dédie également à toutes ces personnes qui désirent changer le monde, un pas à la fois.

À toutes ces personnes qui parfois doutent d’elles-mêmes, mais dont la soif de connaissances

et la volonté de contribuer à un monde meilleur ne cessent de se tarir.

À nous tous, puissions-nous ne jamais oublier ces quelques mots…

« S’instruire sans agir, c’est labourer sans semer. »

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xi

REMERCIEMENTS

La rédaction est un exercice trop souvent solitaire, mais dont l’aboutissement ne peut se

concrétiser sans l’apport remarquable de plusieurs collaborateurs. L’accomplissement de ce

mémoire n’y fait nullement exception.

Je tiens à remercier de tout cœur mon oncle Khémaïs Zouaghi qui s’est révélé d’une précieuse

aide en sachant me préparer avec intelligence aux entrevues que j’allais mener, mais aussi en

m’indiquant comment aborder les députés.

Je dois également remercier chaleureusement Salah Mtiraoui sans qui je n’aurais pas eu les

accès privilégiés qui représentent l’apport significatif de ce mémoire à la littérature sur le

salafisme tunisien.

Un merci tout particulier à mon directeur de recherche qui a su me donner la chance

d’accomplir une recherche de terrain et de partager les fruits de mon dur labeur auprès de

pairs, ainsi qu’à ma co-directrice dont les précieux commentaires ont su enrichir et bonifier

grandement la qualité de ce mémoire.

Je dois également remercier ma famille qui m’a grandement supporté tout au long de ce

fastidieux parcours de rédaction.

Enfin, je tiens à remercier mon ange gardien qui m’a fourni d’inestimables conseils et qui

m’a sans cesse encouragé à persévérer et à compléter ce mémoire.

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1

CHAPITRE INTRODUCTIF

L’immolation du vendeur ambulant de fruits, Mohammed Bouazizi, à Sidi Bouzid le 10

décembre 2010, a suscité une vague d’indignations au sein de la population tunisienne.

S’ensuivirent dès lors des manifestations et une séquence d’événements d’une ampleur

inégalée1 depuis la révolte du pain de 1984 et la saga de la révolte du bassin minier de Gafsa

en 2008, révolte concentrée précisément sur cette ville2. Si les soulèvements populaires

touchèrent en premier la Tunisie, ils se répandirent rapidement à travers l’Afrique du Nord

et le Moyen-Orient : de l’Égypte au Bahreïn, en passant par la Syrie et le Yémen, ils ont

fortement déstabilisé des régimes à la légitimité en réalité vacillante3. Fragilisant ces régimes

longtemps perçus comme solides, le printemps arabe a fait la démonstration de la frustration

populaire accumulée par des indicateurs économiques peu réjouissants, d’une corruption

rampante à tous les échelons de la société et du désespoir de ne pouvoir accéder à de

meilleures conditions de vie, assortis par de nombreux cas de violations de droits et libertés

civiles, politiques et socio-économiques4.

1 Pour une chronologie des événements, voir : Fethi BELAID, « Chronologie : les 30 jours qui ont fait basculer

la Tunisie », Le Parisien, [En ligne], 15 janvier 2011, http://www.leparisien.fr/crise-tunisie/chronologie-les-

30-jours-qui-ont-fait-basculer-la-tunisie-14-01-2011-1227217.php, (Page consultée le 28 juin 2017). 2 Le 5 janvier 2008 à Redeyef, les résultats du concours d’embauche à la Compagne des phosphates de Gafsa

(CPG), principal employeur de la région, furent dévoilés et aussitôt dénoncés par les habitants locaux. Ils ont

été qualifiés comme frauduleux, puisque certains accords pris entre l’entreprise et les syndicats n’ont pas été

respectés et que de forts soupçons de corruption sur l’octroi d’emploi à certains individus demeuraient. Les

protagonistes, particulièrement des diplômés chômeurs, mais aussi des mères de familles, des adolescents, des

militants syndicaux, des étudiants, des professeurs, désiraient dénoncer l’autoritarisme du régime. Les répliques

de ce dernier ont été impitoyables : trois décès et des centaines d’arrestation de manifestants et de leaders

syndicaux, assorties de condamnations de lourdes peines de prison ferme. Voir à ce sujet : Amr AL-MISRI, « 5

janvier 2008 : révolte du bassin minier de Gafsa en Tunisie », Divergens, [En ligne], 2008,

http://diversgens.com/revolte-bassin-minier-gafsa-tunisie, (Page consultée le 28 juin 2017); Larbi CHOUIKHA

et Vincent GEISSER, « Retour sur la révolte du bassin minier. Les cinq leçons politiques d’un conflit social

inédit », Année Maghreb, 6, 2010, pp. 415‑426; Béatrice GURREY, « Retour à Redeyef, creuset de la révolution

tunisienne », Le Monde, [En ligne], 4 mars 2011, http://www.lemonde.fr/week-end/article/2011/03/04/retour-

a-redeyef-creuset-de-la-revolution-tunisienne_1488163_1477893.html, (Page consultée le 28 juin 2017).

3 Pour une chronologie globale des événements, voir : Hélène SALLON, « Chronologie des « printemps

arabes » », Le Monde, [En ligne], 13 janvier 2014, http://www.lemonde.fr/proche-

orient/article/2014/01/13/chronologie-des-printemps-arabes_4347112_3218.html, (Page consultée le 28 juin

2017). 4 Emma C. MURPHY, « Under the Emperor’s Neoliberal Clothes! Why the International Financial Institutions

Got it Wrong in Tunisia » dans Nouri GANA (dir.), The Making of the Tunisian Revolution : Contexts,

Architects, Prospects, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2013, pp. 35‑57.

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Si certains dirigeants consentirent à la mise en place de réformes pour satisfaire un tant soit

peu les revendications des manifestants et demeurer au pouvoir, à l’instar du roi Mohammed

VI qui a promis des réformes constitutionnelles5 ou le président algérien Bouteflika qui a

annoncé une réforme constitutionnelle le 15 avril 20116, d’autres recoururent à la répression

violente tel le Bahreïn, ayant reçu l’aide des forces saoudiennes et émiraties pour mater la

révolte7.

Dans d’autres situations, les dirigeants ont dû quitter la tête de l’État comme le président

tunisien Zine Al-Abidine Ben Ali ayant pris la fuite vers l’Arabie saoudite le 14 janvier 2011,

au plus grand étonnement de son gouvernement et du peuple8. En Égypte, après avoir promis

de réformer la constitution et de ne pas se présenter aux prochaines élections tout en

réprimant les manifestants, Hosni Moubarak a quitté le pouvoir le 11 février 20119. Au

Yémen, le président Ali Abdallah Saleh a cédé les rênes du pouvoir à Abdel Rabbo Mansour

le 27 février 2012 après de violentes manifestations des rebelles houthis10. Après

l’intervention de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) qui soutenait les

rebelles libyens, Qaddhafi a pris la fuite et a été assassiné par ces derniers11.

5 Till BRUCKNER, « Sept mythes sur la démocratie au Maroc », Huffington Post, [En ligne], 7 octobre 2015,

http://www.huffingtonpost.fr/till-bruckner/democratie-maroc-mythes_b_7720852.html, (Page consultée le 28

juin 2017). 6 LE MONDE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Algérie : Bouteflika va réviser la Constitution pour renforcer

la démocratie », Le Monde, [En ligne], 15 avril 2011,

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/04/15/algerie-le-president-bouteflika-pret-a-annoncer-des-

decisions-importantes_1508461_3212.html, (Page consultée le 28 juin 2017). 7 ASSOCIATED PRESS IN MANAMA, « Bahrain’s Young People Mark Fifth Anniversary of Arab Spring »,

The Guardian, [En ligne], 14 février 2016, https://www.theguardian.com/world/2016/feb/14/bahrains-young-

people-mark-fifth-anniversary-arab-spring, (Page consultée le 28 juin 2017). 8 Pour une chronologie des événements, voir entre autres : Abdelaziz BELKHODJA et Tarak

CHEIKROUHOU, 14 janvier : L’enquête, 3ème édition, Tunis, Apollonia, 2013, 191 p.; Yadh BEN

ACHOUR, Tunisie. Une révolution en pays d’islam, Tunis, Cérès Éditions, 2016, 387 p. 9 AL JAZEERA & AGENCIES, « Hosni Mubarak Resigns as President », Al Jazeera, [En ligne], 11 février

2011, http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2011/02/201121125158705862.html (Page consultée le 29

juin 2017). 10 L’ESSENTIEL & AGENCE FRANCE PRESSE, « Saleh quitte le pouvoir après 33 ans de règne »,

L’Essentiel, [En ligne], 27 février 2012 http://www.lessentiel.lu/fr/news/monde/story/Saleh-quitte-le-pouvoir-

apr--s-33-ans-de-r--gne-31364181, (Page consultée le 29 juin 2017). 11 LIBÉRATION, « La Libye célèbre la mort du colonel Kadhafi », Libération, [En ligne], 20 octobre 2011,

http://www.liberation.fr/planete/2011/10/20/la-libye-celebre-la-mort-du-colonel-kadhafi_769291, (Page

consultée le 29 juin 2017).

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Bien que des épisodes violents plus ou moins longs aient semé le parcours de la transition de

certains États, notamment de l’Égypte12, de la Libye13 et du Yémen14, la Tunisie a semblé à

l’abri d’une telle situation chaotique. Cependant, un événement particulier a suscité de vives

appréhensions de la part d’observateurs locaux et internationaux sur un phénomène encore

méconnu en Tunisie : l’attaque de l’ambassade et d’une école états-uniennes à Tunis le 12

septembre 201115. Survenue à la suite de la diffusion d’une bande-annonce du « film »

L’innocence des musulmans16 représentant le Prophète Mohammed et tenant des propos peu

flatteurs à l’égard de l’islam, cette attaque a permis de mettre l’éclairage sur de « nouveaux

acteurs » qui ont été à l’origine de cet élan de violence : les salafistes tunisiens.

Le peu d’écrits et de couverture médiatique en Tunisie sur le phénomène salafiste ont donné

l’impression que ce courant a été importé après le printemps arabe par des pays du Golfe

reconnus pour leur financement d’activités religieuses relevant de cette tendance, soit

l’Arabie saoudite et le Qatar. Le salafisme paraissait un intrus dans l’équation de la thawra

(révolution), particulièrement parce que le fer-de-lance de la révolution était représenté par

la jeunesse laïque17 et le syndicat de l’Union générale tunisienne des travailleurs18 (UGTT).

La répression de la liberté religieuse et le processus de sécularisation des institutions

publiques menées par Bourguiba et poursuivies par son successeur Ben Ali portaient à croire

12 RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Violences en Egypte: la fin de la transition démocratique? »,

Radio France Internationale - Afrique, [En ligne], 16 août 2013, http://www.rfi.fr/moyen-orient/20130816-

violences-egypte-fin-transition-democratique-mohamed-el-baradei, (Page consultée le 29 juin 2017). 13 Ximena SAMPSON, « 5 questions pour comprendre les violences en Libye », Radio-Canada, [En ligne], 1

août 2014, http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/678371/libye-affrontements-violence-milices-analyse-enjeux-

zahar, (Page consultée le 29 juin 2017). 14 Hélène SALLON, « Les défis de la transition politique au Yémen », Le Monde, [En ligne] 21 février 2012,

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/02/21/les-defis-de-la-transition-politique-au-

yemen_1646503_3218.html, (Page consultée le 29 juin 2017). 15 Lilia WESTLATY, « Attaque de l’ambassade américaine à Tunis : Quatre morts, zéro responsable », Nawaat,

[En ligne], 2012, http://nawaat.org/portail/2012/09/26/attaque-de-lambassade-us-a-tunis-quatre-morts-zero-

responsable (Page consultée le 28 juin 2017). 16 Corentin CHAUVEL, « «L’Innocence des musulmans» : le film qui n’existait pas », 20 minutes, [En ligne],

21 septembre 2012, http://www.20minutes.fr/monde/1008013-20120921-l-innocence-musulmans-film-existait

(Page consultée le 29 juin 2017).

17 Tarek KAHLAOUI, « The Powers of Social Media » dans Nouri GANA (sous la direction de), The Making

of the Tunisian Revolution. Contexts, Architects, Prospects, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2013, pp.

147‑158. 18 Sami ZEMNI, « From Socio-Economic Protest to National Revolt : The Labor Origins of the Tunisian

Revolution » dans Nouri GANA (dir.), The Making of the Tunisian Revolution. Contexts, Architects, Prospects,

Edinburgh, Edinburgh University Press, 2013, pp. 127‑146.

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que la population tunisienne avait accepté la modernité telle que véhiculée et promue par

l’Occident et avait relégué la religion comme une simple pratique relevant de la tradition.

L’étude ethnographique d’Haugbølle19 persuade du contraire. Cette stratégie, synonyme de

mise sous tutelle des institutions religieuses20 ou d’étatisation de l’islam, a plutôt eu comme

conséquence une transformation et une adaptation de la pratique religieuse dans la sphère

privée21. L’islam demeure ainsi un élément fondamental et au cœur de l’identité de nombreux

Tunisiens.

Néanmoins, la littérature mentionne des éléments tunisiens dits « salafistes jihadistes » dès

les années 1980 et plus spécifiquement dans le cadre de la lutte contre l’envahisseur

soviétique en Afghanistan22 et de l’assassinat du Général afghan Massoud en 200123. Si

certains pourraient de prime abord pointer le fait que ce sont des Tunisiens de la diaspora qui

ont participé à ces manœuvres à l’étranger, il semble important de se remémorer les attentats

survenus sur le territoire tunisien : celui de la synagogue El Ghriba à Djerba en 200224 et

l’affaire de Grombalia et de Solimane en 2006-200725. Le milieu académique ne semble pas

s’intéresser à l’expansion du salafisme en Tunisie; le premier très court billet de blogue

produit par un universitaire date de 201126. Quoiqu’il en soit, la société tunisienne réalise

qu’elle contient en elle les germes insoupçonnés d’une tendance orthodoxe qui multiplie, aux

lendemains du printemps arabe, les manifestations publiques.

19 Rikke Hostrup HAUGBØLLE, « New Expressions of Islam in Tunisia : an Ethnographic Approach », The

Journal of North African Studies, 30 (3), 2015, pp. 319-335. 20 Malika ZEGHAL, « État et marché des biens religieux. Les voies égyptienne et tunisienne », Critique

internationale, 5 (1), 1999, pp. 75-95. 21 Rikke Hostrup HAUGBØLLE, op. cit., p. 321. 22 Hakim BEN HAMMOUDA, « Le choix des armes a-t-il un avenir en Tunisie (1) ? », Réalités, [En ligne], 24

janvier 2013, http://www.realites.com.tn/2013/01/un-autre-regard-le-choix-des-armes-a-t-il-un-avenir-en-

tunisie-1/, (Page consultée le 29 juin 2017). 23 Jean-Pierre STROOBANTS, « Vie et mort des assassins de Massoud », Le Monde, [En ligne], 19 avril 2005,

http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2005/04/19/vie-et-mort-des-assassins-de-massoud_640563_3208.html,

(Page consultée le 29 juin 2017). 24 ÉQUIPE DE PERSPECTIVES MONDE, « Attentat terroriste en Tunisie », Perspectives Monde, [En ligne],

http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=922>, (Page consultée le 29 juin 2017). 25 Seif SOUDANI, « Tunisie. Un documentaire sur l’affaire de Soliman fait polémique », Le courrier de l’Atlas,

[En ligne], 9 mai 2012, http://www.lecourrierdelatlas.com/tunisie-un-documentaire-sur-l-affaire-de-soliman-

fait-polemique--2607, (Page consultée le 29 juin 2017). 26 Aaron Y. ZELIN, « The Rise of Salafists in Tunisia After the Fall of Ben Ali », Combating Terrorism Center,

[En ligne], 2011, https://ctc.usma.edu/posts/the-rise-of-salafists-in-tunisia-after-the-fall-of-ben-ali, (Page

consultée le 28 juin 2017).

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L’expansion du salafisme en Tunisie paraît, au regard de la transition démocratique

enclenchée après la fuite de Ben Ali, un enjeu socio-politique très intéressant et important à

analyser. En effet, les idées véhiculées, de même que les actions posées, par le courant

salafistes semblent par nature antidémocratiques et antilibérales, alors qu’elles prennent

place dans un contexte de demandes généralisées de renforcement de la démocratie et des

droits et libertés27. Cette prise de position et les actions menées par ces acteurs ont influencé,

voire ont menacé, le processus transitionnel constitutionnel qui est de nature démocratique.

De plus, l’ancrage du salafisme semble bien prendre racine au sein d’une tranche défavorisée

et marginalisée de la population, à la fois dans des quartiers populaires des villes, mais aussi

dans les régions intérieures où les disparités économiques font rage28. Le salafisme attire plus

particulièrement les jeunes, paraissant ainsi leur offrir une « raison de vivre » et un moyen

respectable d’élever d’échelon social grâce à ce processus qualifié de « sheikh-ism » par

Cavatorta et Merone29. D’ailleurs, les élites tunisoises et la gauche laïque semblent perplexes

et étonnées face à ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur30, alors qu’elles sont

déjà désemparées par la victoire du parti islamiste Ennahda aux premières élections

démocratiques de la Tunisie. Ayant remporté 89 sièges sur les 217 mises en jeu à l’Assemblée

nationale constituante (ANC)31, Ennahda est devenu la première force politique dans le pays

et a formé un gouvernement de coalition, la Troïka, avec le Congrès pour la République

(CPR) et le Forum démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol), détenant

respectivement 29 et 20 sièges. Il s’agit dès lors de la première occasion pour des salafistes

27 Fabio MERONE et Francesco CAVATORTA, « The Rise of Salafism and the Future of Democratiation »

dans Nouri GANA (dir.), The Making of the Tunisian Revolution. Contexts, Architects, Prospects, Edinburgh,

Edinburgh University Press, 2013, p. 252. 28 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The Fight for Identity beyond Political Islam »,

British Journal of Middle Eastern Studies, 42 (1), 2015, pp. 74-87. 29 Fabio MERONE et Francesco CAVATORTA, « Salafist Movement and Sheikh-ism in the Tunisian

Democratic Transition », Middle East Law and Governance, 5 (3), 2013, pp. 308-330. 30 Zied KRICHEN, « Le mouvement Ennahda à l’épreuve du processus constituant, de la consécration de la

Charia à la liberté de conscience » dans La constitution tunisienne. Processus, principes et perspectives,

Programme des Nations unies pour le développement, 2016, 183‑198. 31 CARTER CENTER. Les élections de l’Assemblée constituante en Tunisie. Le 23 octobre 2011, Atlanta, [En

ligne], https://www.cartercenter.org/resources/pdfs/news/peace_publications/election_reports/tunisia-final-

oct2011-fr.pdf (Page consultée le 29 juin 2017).

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d’interagir dans un environnement où les droits et libertés sont rétablis et où un parti

islamiste, en l’occurrence Ennahda, est au pouvoir.

Cette situation paraît d’autant plus extraordinaire qu’elle émerge dans une période de

transition où la principale mission de l’ANC consistait en la rédaction d’une nouvelle

constitution remplaçant celle promulguée le 1er juin 1959. Généralement, ce processus

constitutionnel demeure exclusivement entre les mains des représentants élus au sein d’une

assemblée constituante. Cependant, une certaine forme de participation citoyenne peut

survenir, par l’entremise d’un référendum populaire, une fois que le projet constitutionnel est

complété. En Tunisie, la société civile, incluant les salafistes, a été interpellée à plusieurs

reprises au cours de ce processus. Il est alors intéressant d’analyser si et comment la présence

salafiste a pu influencer l’élaboration de cette constitution.

Le présent mémoire tentera de faire la lumière sur cet enjeu. Il se décline en quatre chapitres.

Le premier chapitre présente les assises théoriques sur lesquelles repose la présente

recherche. La manière dont les chercheurs ont traité du processus de démocratisation au

prisme de la transitologie, discipline popularisée au cours de la fin du XXème siècle, sera

abordé en soulignant la pertinence de transposer les constats sur la négociation et le

compromis entre les acteurs significatifs dans le contexte de la transition démocratique

tunisienne. La question de recherche et les hypothèses sont ensuite formulées afin d’aboutir

à la présentation de la méthodologie employée en faisant la mention limites de la recherche.

Dans le deuxième chapitre, il est identifié les origines de ce courant et il est procédé à sa

définition à travers la production scientifique. Ce chapitre aborde aussi de manière générale

l’objectif de salafisation de l’État et de la société entretenu par les adhérents de ce courant et

la façon dont ils entendent y parvenir grâce à la méthode d’interprétation salafiste, le minhâj

salafî, et à une pratique guidée par trois concepts-clés, al-walâ wal-barâ (loyal et désaveu),

al-amr bil-ma’rûf wa al-nahî ‘an al-munkar (promouvoir la vertu et prévenir le vice) et le

takfîr (excommunication). La catégorisation traditionnelle des salafistes utilisée dans la

recherche y est également présentée.

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Dans le troisième chapitre, il est expliqué que les salafistes ont voulu jouer un rôle dans le

processus transitionnel tunisien après avoir été libérés de prison ou de retour d’exil. Ils ont

employé à cet effet deux stratégies de salafisation. Il est analysé également le mouvement

salafiste tunisien postrévolutionnaire en mettant l’accent sur l’hétérogénéité des groupes, les

divergences quant à la reconnaissance juridique, l’emploi du label salafiste comme processus

de légitimation, l’absence de hiérarchie formelle, la mosquée comme lieu de rencontre et

l’adoption de programmes généraux et de l’absence de représentation politique. Enfin, il est

décortiqué les discours des salafistes tunisiens sur le plan des objectifs communs et des

stratégies divergentes. S’ils s’accordaient sur l’importance de la création d’un État et d’une

société islamiques en Tunisie qui débuterait par l’insertion de la charî’a (loi islamique) dans

la constitution tunisienne, s’alliant ainsi une clientèle sociale et politique ultra-conservatrice,

ils entretenaient quelques différends quant à la position à tenir par rapport au recours à la

violence, à l’emploi de la da’wa (prédication) et de l’implication politique.

Dans le dernier chapitre, il est traité des actions des salafistes dans le cadre du processus

constitutionnel tunisien. Il est souligné l’absence d’actions politiques structurantes des

salafistes tunisiens, bien qu’ils aient occupé la sphère publique notamment par une politique

de la rue grâce aux manifestations publiques, aux rassemblements politiques, et aux actions

sociales et religieuses qui ont été instrumentalisées à des fins politiques. Les salafistes ont

également tenté une timide intégration dans les instances participatives de l’Assemblée

nationale constituante et ont concentré leurs efforts de lobbying auprès d’Ennahda. Dans ce

chapitre, il est aussi analysé la distanciation entreprise par les salafistes après le refus

d’Ennahda d’inscrire la charî’a dans la nouvelle constitution et leur changement de ton et

d’actions. Finalement, l’influence exercée par les salafistes dans le processus de rédaction

de la nouvelle constitution tunisienne est expliquée.

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CHAPITRE 1 - PRÉSENTATION DU PROJET DE RECHERCHE

Le présent chapitre pose les jalons théoriques du projet de recherche qui permettront au

lecteur de se familiariser avec la façon dont les chercheurs en science politique ont abordé le

sujet du processus démocratique au cours du XXème siècle. Si les études ont permis de

constater l’importance cruciale de la négociation entre les factions les plus significatives au

sein d’une société pour assurer la réussite d’une transition démocratique, elles ont négligé de

transposer les constats qui ont émergé dans la zone du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord

(MENA). La présente recherche se distingue par sa pertinence à appliquer ces grilles

d’analyse au contexte tunisien au lendemain de la révolution du jasmin. La particularité de

la concentration de la recherche sur les acteurs salafistes tunisiens sera explicitée, de même

que la question de recherche et l’hypothèse suivie seront formulées. Le chapitre se conclura

par la description de la méthodologie employée et la mention des limites de la recherche.

La transitologie et le « printemps arabe », une conciliation possible ?

Le long processus de démocratisation mené au cours des XIXème et XXème siècles à travers

de nombreux continents, a suscité beaucoup d’intérêt de la part de chercheurs et d’analystes

politiques. Le processus de démocratisation est généralement dépeint en trois vagues

successives illustrées par Samuel Huntington32. La première s’étend de 1828 à 1926 et touche

principalement l’Europe occidentale, les États-Unis, le Canada et l’Australie. La deuxième

vise encore une fois l’Europe, certains pays d’Asie et d’autres issus de la décolonisation au

cours de 1943 à 1962. Le dernier volet prend place de 1974 à la fin des années 90 ou début

des années 2000 et concerne le Portugal, l’Espagne, la Grèce, l’Amérique latine et certains

pays d’Afrique. À travers ces trois vagues, la seconde moitié du XXème siècle, période forte

de la décolonisation et de l’émergence du droit des peuples à l’autodétermination, s’est

présentée comme la période de l’accélération de la démocratisation. L’expansion du modèle

32 Samuel P. HUNTINGTON, The Third Wave : Democratization in the Late Twentieth Century, Norman,

University of Oklahoma Press, 1991, 366 p.

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démocratique libérale par le choix d’un régime démocratique lors de l’accès à l’indépendance

ou par le passage de régimes autoritaires à des régimes démocratiques a été l’objet de

l’analyse de Fukuyama qui estimait que la voie vers la démocratisation s’effectuait de façon

linéaire et devrait représenter un aboutissement inévitable33.

Cependant, cette théorie n’est pas partagée par l’ensemble des chercheurs. Comme cela sera

vu ci-dessous, ces derniers mettent plutôt l’accent sur la nécessité de la présence de certains

paramètres qui favorisent la négociation et le compromis. Ces chercheurs essaient de

comprendre comment se définit et se structure le passage de régimes autoritaires à des

régimes démocratiques. Ils donnent ainsi essor à la « transitologie », l’étude des transitions,

qui devient un thème incontournable de la science politique plus particulièrement au courant

des années 1990.

Les chercheurs estiment que des paramètres viennent structurer le chemin vers un régime

démocratique. Ils tentent donc de comprendre les causes initiant un tel processus et les

facteurs internes et externes qui facilitent ou qui entravent une telle transition. Ils

s’interrogent sur les événements qui ont amené les élites au pouvoir à entériner un

changement qui met en péril leurs acquis notamment économiques et politiques. Les auteurs

tels qu’O’Donnell et Schmitter, deux pionniers des théories de la démocratisation, attribuent

ce choix à la théorie de l’agent selon laquelle les acteurs, dotés d’une raison pratique,

prennent des décisions raisonnables qui représentent les meilleurs choix possibles au regard

des circonstances qui les entourent, le tout dans une perspective de dialectique entre les

dirigeants en faveur du statu quo, les duros, et les opposants qui désirent un changement de

préférence démocratique, les blandos34.

L’ensemble des auteurs semble être en accord avec l’idée avancée par O’Donnell et Schmitter

selon laquelle ces transitions sont initiées par une crise de légitimité du régime autoritaire.

Cette crise, relevant essentiellement d’un conflit, nécessite que les duros réévaluent la

33 Francis FUKUYAMA, Francis, La fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, Paris, 1992, 452 p. 34 Guillermo A. O’DONNELL, « Democracy, Law, and Comparative Politics », Studies in Comparative

International Development, 36 (1), 2001, pp. 7-36.

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situation politique au regard de l’importance économique, politique et sociale des blandos35.

Selon Haggard et Kaufman, un tel conflit peut notamment survenir lors de problèmes d’ordre

économique qui dégradent les conditions de vie des citoyens, créant dès lors une situation

propice à la gronde sociale. Ils précisent d’ailleurs que l’apogée de ces crises de légitimité

survient généralement lors d’une crise économique36.

Comment les duros négocient-ils avec les blandos ? En poursuivant la logique de l’acteur

rationnel avancée par O’Donnell, les duros effectuent conséquemment un calcul des coûts et

bénéfices de différents paramètres. Haggard et Kaufman37 identifient les considérations

économiques qui influenceraient la prise de décision des dirigeants. Selon eux, plus grande

est la disparité dans la redistribution de la richesse nationale dans la société, plus les élites au

pouvoir craignent la transition vers la démocratie qui mettrait en péril leur emprise

économique. Cela a pour effet que les incitatifs à réprimer les contestataires sont plus élevés

que ceux à négocier38. Pour Pusić, ce sont les considérations d’ordre politique qui priment

sur la décision d’entreprendre une transition vers des élections démocratiques, libres,

transparentes et pluralistes. La démocratie, motivée par l’incertitude de l’accès au pouvoir,

représente la meilleure issue à la fois pour les duros, dont la légitimité au pouvoir est

vacillante, et les blandos39. Cette incertitude et cette insécurité du pouvoir devraient créer un

espace pour les libertés individuelles et civiles, permettant à tous de se concurrencer

ouvertement et d’avoir une garantie provisoire de détenir le pouvoir pour une période

limitée40. La réussite d’une transition n’est donc possible, selon Rustow, que dans les pays

où prévalent des conditions favorables à la conclusion d'un pacte politique entre les duros et

35 Guillermo A. O’DONNELL et Philippe C. SCHMITTER, Transitions from Authoritarian Rule. Tentative

Conclusions About Uncertain Democracies, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986, 190 p. 36 Stephan HAGGARD et Robert R. KAUFMAN., Political Economy of Democratic Transitions, Princeton,

Princeton University Press, 1995, 391 p. 37 Stephan HAGGARD et Robert R. KAUFMAN, « Inequality and Regime Change : Democratic Transitions

and the Stability of Democratic Rule », American Political Science Review, 106 (3), 2012, pp. 495-516. 38 Ibid., p. 495. 39 Vesna PUSIĆ, « La dictature à légitimité démocratique. Démocratie ou nation? », Cahiers internationaux

de sociologie, Les sociétés post-totalitaires, Tome 1 : Paradoxes de la transition, 95, 1993, pp. 369–388. 40 Ibid., p. 376.

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les blandos41, à savoir une certaine forme de balance des pouvoirs à l’image de la théorie sur

la polyarchie de Dahl42.

Les études précitées négligent, dans le choix de leurs études de cas, la zone du MENA. Cette

négligence s’expliquerait par le fait que les régimes de l’époque avaient échoué sur les rives

de l’autoritarisme. Huntington et Lewis justifient cette mise au rancart par le fait que l’islam,

par nature, serait incompatible avec l’esprit de la démocratie libérale, les valeurs islamiques

entrant en conflit direct avec celles des droits et libertés individuels43. Cette prise de position

de l’exception arabe, qualifiée de néo-orientalisme, est vivement décriée par Khalidi44. En

accordant une place prépondérante à la question religieuse, spécifiquement islamique, la

région du MENA n’est pas évaluée selon des paramètres similaires à ceux employés pour les

autres régions. S’ensuivent dès lors des débats et une remise en question de

l’exceptionnalisme arabe45.

Pourtant, les récents soulèvements du printemps arabe ont ravivé l’intérêt des chercheurs

pour la transitologie, bien que certains affirment que ce paradigme n’est plus d’actualité. Le

modèle employé devrait plutôt être celui de la résilience autoritaire ou upgraded

authoritarism de Valbjørn et Bank46, car si les régimes ont semblé s’ouvrir à la démocratie

en favorisant par exemple l’essor d’organisations non-gouvernementales (ONG), ces simili

ouvertures ont plutôt renforcé le pouvoir autoritaire entre autres par la cooptation de ces ONG

par les gouvernements (government-organized non-governmental organization). Ce concept,

répandu au cours des années 2000, inverse donc l’analyse. Il s’agit d’observer plutôt les

41 Dankwart A. RUSTOW, « Transitions to Democracy : Toward a Dynamic Model », Comparative Politics, 2

(3), 1970, pp. 337-363. 42 Robert Alan DAHL, Polyarchy : Participation and Opposition, New Haven, Yale University Press, 1971,

257 p. 43 Samuel P. HUNTINGTON, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2000, 545 p. 44 Rashid KHALIDI, « Is There a Future for Middle East Studies? », Middle East Studies Association Bulletin,

29 (1), 1995, pp. 1-6. 45 Simon BROMLEY, « Middle East Exceptionalism : Myth or Reality » dans Democratization, David

POTTER et Open University (édité par), Democracy from classical times to the present, Cambridge, Blackwell

Publishers, 2000. 46 Morten VALBJØRN et André BANK, « Examining the ‘Post’ in Post-Democratization : The Future of

Middle Eastern Political Rule through Lenses of the Past », Middle East Critique, 19 (3), 2012, pp. 183-200.

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mécanismes sous-jacents au régime autoritaire qui permettent sa survie47. Le pouvoir

autoritaire est alors reconfiguré au lieu d’être libéralisé, ce qui n’exclut pas toutefois la

possibilité du réveil de la société civile48. Le printemps arabe constitue une ouverture de

régimes autoritaires à la démocratie qui a mené certains États comme l’Égypte vers un retour

à l’autoritarisme, alors que d’autres comme la Tunisie se sont démocratisés. Cavatorta et

Pace49 soulignent qu’il serait absurde en réalité d’observer ces soulèvements populaires à

travers la lentille exclusive des deux principaux paradigmes, à savoir le modèle de

démocratisation et de transition représenté principalement par O’Donnell et Schmitter50 et le

modèle de la résilience autoritaire de Valbjørn et Bank51. Ils avancent qu’il est préférable de

considérer un entre-deux plutôt que de se limiter à une interprétation rigoriste et exclusive de

ces deux paradigmes.

Quoiqu’il en soit, au moins un auteur, Hinnebusch, a cherché à appliquer les théories

développées dans le cadre de la transitologie en analysant la manière dont les élites au

pouvoir ont réagi face aux manifestations monstres que leur État rencontrait durant le

printemps arabe. Il compare les situations évolutives et distinctes de l’Égypte, de la Syrie et

de la Tunisie en observant les différents acteurs impliqués dans ce processus. Il étudie les

différentes variables qui ont eu un impact sur les négociations et il en vient à la conclusion

que les États présentaient des caractéristiques qui les destinaient à trois issues possibles :

l’État failli (Syrie), le régime hybride (Égypte) ou la polyarchie (Tunisie)52.

D’autres auteurs se sont penchés sur l’aspect religieux des acteurs parmi lesquels se

retrouvent des islamistes. Ils soulignent qu’une polarisation a été créée entre les vainqueurs

islamistes des élections, notamment en Égypte et en Tunisie, et l’opposition essentiellement

47 Michelle PACE et Francesco CAVATORTA, « The Arab Uprisings in Theoretical Perspective – An

Introduction », Mediterranean Politics, 17 (2), 2012, p. 127. 48 Ibid., p. 128. 49 Id., « The Arab Uprisings in Theoretical Perspective – An Introduction », Mediterranean Politics, 17 (2),

2012, pp. 125-138. 50 , Guillermo A. O’DONNEL. et Philippe C. SCHMITTER, Transitions from Authoritarian Rule. Tentative

Conclusions About Uncertain Democracies, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986, 190 p. 51 Morten VALBJØRN et André BANK, op. cit. 52 Raymond HINNEBUSCH, « Conclusion : Agency, Context and Emergent Post-Uprising Regimes »,

Democratization, 2015, pp. 1‑17.

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laïque. La question de la coexistence entre la démocratie et la religion a été abordée dans

l’article de Stepan sur les « twin tolerations » : les deux domaines doivent être relativement

différenciés et indépendants l’un de l’autre pour pouvoir coexister53. Stepan et Linz

approfondissent cette théorie en comparant la situation de l’Égypte et de la Tunisie. Selon

eux, la question de l’identité et de la religion représentait un obstacle pour conduire à un

consensus entre les élites islamistes et celles laïques. Le cas de la Tunisie se révélerait comme

une réussite parce que la démocratie était une demande partagée à la fois par les islamistes

nahdaouis et par les partis laïcs qui ont maintenu un dialogue entre autres grâce au pacte du

18 octobre 200554. De nombreux articles ont plus particulièrement traité d’Ennahda et de son

processus de modération au cours de la transition tunisienne. Par exemple, Guazzone s’est

intéressée spécifiquement à ce processus de modération et son comportement pragmatique

en ayant formé le gouvernement55. Haugbølle et Cavatorta se sont concentrés sur les

transformations internes du parti islamiste, s’adaptant au contexte dynamique de la transition

tunisienne56. Les impacts de la recherche du consensus sur les valeurs islamiques promues

par Ennahda a fait l’objet d’études de Bedig57.

Quant à la société civile, représentée par diverses associations professionnelles, syndicales

et militantes pour les droits humains, et aux partis politiques laïcs formant l’opposition,

Stepan et Linz soulignent qu’ils n’ont cessé de se développer et de réagir aux actions du

53 Alfred C. STEPAN, « Religion, Democracy, and the “Twin Tolerations” », Journal of Democracy, 11 (4),

2000, pp. 37-57. 54 Le Pacte du 18 octobre 2005 représentait l’alliance entre les laïcs et les islamistes contre le pouvoir répressif

de Ben Ali. Ils ont exigé ensemble le rétablissement de droits et libertés individuels, notamment la liberté

d’expression et d’association. Synda TAJINE, « Pacte du 18-Octobre : la hache de guerre déterrée entre

islamistes et laïcs », Businessnews, [En ligne], 17 octobre 2013, http://www.businessnews.com.tn/pacte-du-18-

octobre--la-hae-de-guerre-deterree-entre-islamistes-et-laics,519,41569,3 (Page consultée le 21 décembre

2017); Frida DAHMANI, « Tunisie : le Mouvement du 18 octobre 2005, 10 ans après », Jeune Afrique, [En

ligne], 27 octobre 2015, http://www.jeuneafrique.com/274962/politique/tunisie-le-mouvement-du-18-octobre-

2005-10-ans-apres (Page consultée le 24 septembre 2017). 55 Laura GUAZZONE, « Ennahda Islamists and the Test of Government in Tunisia », The International

Spectator : Italian Journal of International Affairs, 48 (4), 2013, pp. 30-50. 56 , Rikke Hostrup HAUGBØLLE et Francesco CAVATORTA, « Beyond Ghannouchi : Islamism and Social

Change in Tunisia », Middle East Report, 262, 2012, p. 20-25. 57 Alysha BEDIG, « Ennahda’s Split Personality : Identity Crises in Tunisian Politics », The Fletcher Forum of

World Affairs, 36 (2), 2012, pp. 117-119.

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gouvernement d’Ennahda58, ce qui expliquerait en majeure partie sa capacité réactionnelle à

l’encontre des forces jugées ultraconservatrices tels que les salafistes.

L’un des éléments majeurs survenant lors d’une transition démocratique est la révision ou

l’élaboration d’une nouvelle constitution, document-clé qui régule le fonctionnement des

institutions de base de l’État et qui revêt un caractère supra-législatif. Le processus de

rédaction, connu sous le terme de constitution-making, en tant qu’objet d’études a été négligé

dans le cadre de la transitologie59. L’importance de ce document fait en sorte que tous les

acteurs de la société devraient avoir un intérêt marqué à participer, d’une manière ou d’une

autre, au processus d’élaboration. La participation citoyenne et l’inclusion sont deux

caractéristiques qui colorent le constitution-making d’aujourd’hui60 parce qu’il ne demeure

pas une exclusivité des constituants. Cet engouement entraîne forcément une confrontation

des intérêts qui divergent parmi l’ensemble des acteurs impliqués.

Les auteurs sur le constitution-making abondent dans le sens de la théorie de l’acteur

rationnel qui cherche à maximiser ses intérêts dans une perspective de redistribution et de

balance des pouvoirs entre les factions de duros et de blandos61. Ces intérêts doivent faire

l’objet d’un marchandage et de compromis pour qu’un consensus permette l’adoption de la

constitution62 et que ces intérêts soient intégrés dans la constitution pour assurer sa stabilité63.

Wandan ajoute sur ce point que les constituants sont tout aussi sensibles aux demandes

populaires que les politiciens lors de mandats normaux64.

58 Alfred C. STEPAN et Juan J. LINZ, « Democratization Theory and the “« Arab Spring »” », Journal of

Democracy, 24 (2), 2013, p. 23. 59 David LANDAU, « The Importance of Constitution-Making », Denver University Law Review, 89 (3), 2012,

p. 612. 60 Cheryl SAUNDERS, « Constitution-Making in the 21st Century », International Review of Law, 4, 2012, p.

3. 61 Solongo WANDAN, « Nothing Out of the Ordinary : Constitution Making as Representative Politics »,

Constellations, 22 (1), 2015, pp. 44-58. 62 Jon ELSTER, « Forces and Mechanisms in the Constitution-Making Process », Duke Law Journal, 45(2),

1995, pp. 388-389. 63 BROWN, Nathan J. « Reason, Interest, Rationality, and Passion in Constitution Drafting », Perspectives on

Politics, 6 (4), 2008, p. 676. 64 Solongo WANDAN, op. cit., p. 49.

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Le relatif intérêt suscité par le constitution-making dans le cadre du printemps arabe a permis

la publication de quelques articles scientifiques. Parolin s’est penchée sur les feuilles de route

établies lors des transitions en Égypte et en Tunisie. Sa recherche s’inspire des travaux menés

par Elster65 sur les forces et les mécanismes impliqués dans le processus de rédaction de

constitution et leurs impacts, ainsi que des travaux de Madison66 sur les compromis s’opérant

entre les différentes factions en présence : la théorie du Big Bang représente le point de

friction entre les factions de Madison et les intérêts d’Elster67. Selon Parolin, ce moment

crucial survient lors du choix d’une carte de route68. C’est à ce moment précis que le rôle

attribué à chaque protagoniste est décidé, de même que la détermination d’un nouveau

gouvernement69. Néanmoins, la recherche de Parolin se limite à n’observer que les positions

de force des principales figures politiques au regard de la détermination du parcours à

effectuer jusqu’à l’adoption d’une nouvelle constitution. La feuille de route ne détermine pas

les façons dont seront traités les intérêts des différents acteurs, par exemple les anciens

membres du Rassemblement démocratique constitutionnel (RCD), d’Ennahda, des partis

d’opposition, mais surtout des salafistes, ni les gains et les pertes de chacun70.

Merone, pour sa part, s’est intéressé aux compromis entre l’ancien et le nouveau régime, en

l’occurrence les islamistes, en soulignant que la confrontation va beaucoup plus loin qu’un

simple conflit idéologique. Selon lui, elle représenterait bel est bien une lutte entre la classe

moyenne, libérale, et la classe défavorisée, islamiste et ce, depuis les années 198071.

Traditionnellement, les islamistes représentaient la classe sociale défavorisée, mais Merone

avance qu’Ennahda représenterait aujourd’hui essentiellement la classe moyenne plus

sensible à l’idéologie islamiste et que le parti islamiste serait ainsi plus enclin à faire des

compromis et à accepter une certaine continuité avec le passé pour bénéficier de l’inclusion

65 Jon ELSTER, op. cit. 66 James MADISON, « The Federalist », Daily Advertiser, [En ligne], 1787,

https://archive.csac.history.wisc.edu/Publius_10.pdf (Page consultée le 21 avril 2018). 67 PAROLIN, Gianluca P., « Constitutions Against Revolutions : Political Participation in North Africa »,

British Journal of Middle Eastern Studies, 42 (1), 2015, p. 32. 68 Ibid., p. 33. 69 Ibid., p. 35. 70 Ibid., pp. 43-44. 71 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisian : The Fight for Identity beyond Political Islam », op.

cit., p. 75.

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de la sphère politique au lieu de jouer le jeu de l’exclusion72. Ainsi, la classe sociale

défavorisée se retrouverait sous-représentée et s’orienterait davantage vers des groupes

salafistes tels qu’Ansâr al-Charî’a en Tunisie (AST), véritable mouvement social travaillant

à la mobilisation des laissés-pour-compte pour un changement profondément radical73.

Sami Zemni a étudié la polarisation de la société entre les personnes laïques et religieuses,

présente dès la création de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE) et

au sein de l’Assemblée nationale constituante (ANC), et a abordé l’impact d’une telle

polarisation sur la constitution. Il mentionne que la frange salafiste était sous-représentée au

sein de l’ANC et que les politiques institutionnelles étaient régulièrement défiées par

différents types de mobilisation. Ces manifestations présentaient une occasion pour divers

courants sociétaux, qui étaient connectés de manière marginale à l’arène politique formelle,

de faire part de leurs demandes constitutionnelles74.

En définitive, les recherches exposées ci-dessus sont pertinentes comme assises pour le

travail proposé, mais elles n’ont pas le même objectif. D’une part, peu de chercheurs se sont

intéressés aux salafistes tunisiens, bien que certains articles aient été publiés pendant et après

la période transitionnelle. Ces articles traitent des salafistes en essayant de comprendre leur

attrait et leur institutionnalisation, alors qu’ils sont qualifiés de marginaux75, leurs impacts

sociaux76, la radicalisation et l’essor du jihadisme77 et se concentrent bien souvent sur un

seul groupe social salafiste, soit d’Ansâr Al-Charî’a en Tunisie (AST)78. D’autre part, la

tangente des articles touchant à la transition politique tunisienne se concentre sur l’évolution

72 Ibid., p. 76. 73 Loc. cit. 74 Sami ZEMNI, « The Extraordinary Politics of the Tunisian Revolution : The Process of Constitution

Making », Mediterranean Politics, 20 (1), 2014, p. 3. 75 Fabio MERONE et Francesco CAVATORTA, « Salafist Movement and Sheikh-ism in the Tunisian

Democratic Transition », op. cit. 76 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The Fight for Identity beyond Political Islam », op.

cit. 77 Stefano M. TORELLI, « Radicalisation and Jihadist Threat in Tunisia : Internal Root Causes, External

Connections and Possible Responses », Barcelone, European Institute of the Mediterranean, 2017, pp. 109-127. 78 Alaya ALLANI, « Mouvements religieux radicaux pendant la transition. L’exemple d’Ansar Al-Charia en

Tunisie : naissance et expansion. Perspectives 2011-2014 » dans La constitution tunisienne. Processus,

perspectives et principes, Programme des Nations unies pour le développement, 2016, pp. 211-231.

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et l’efficacité de l’action gouvernementale d’Ennahda79. Parolin s’est intéressée au processus

de constitutionnalisation via la détermination d’une feuille de route et les subséquentes

stratégies menées par les différents acteurs pour obtenir un avantage sur leurs adversaires sur

cette détermination80. La recherche de Merone est très intéressante, mais elle ne se concentre

uniquement que sur l’institutionnalisation de ce groupe salafiste, afin de comprendre son

modus operandi. Elle ne traite pas à proprement parler de l’influence que les salafistes ont

eu ni sur le processus constitutionnel par l’entremise des négociations ni sur la mouture finale

de la nouvelle constitution tunisienne. Par ailleurs, quelques auteurs traitant du processus

constitutionnel ont discuté de la question de la charî’a en mentionnant la présence sociale

des salafistes81, mais aucun article n’a abordé directement la question de l’influence des

salafistes dans le cadre de la rédaction de la constitution tunisienne.

Le travail de Zemni constitue le point de départ de la présente recherche qui vise à

comprendre comment ces acteurs sous-représentés politiquement, qui ne cachent pas leur

grande réticence à l’égard de ce qui est en train de se développer, ont influencé,

essentiellement en dehors des institutions établies, le processus et les négociations autour de

la nouvelle constitution dans le cadre de la transition d’un régime autoritaire vers un régime

démocratique.

Le projet de recherche : problématique et hypothèses

L’esprit de cette recherche dépasse les débats entourant la compatibilité entre l’islam et la

démocratie82. Elle ne se concentre pas non plus comme d’autres recherches à déterminer si

le modus operandi du mouvement nahdaoui est conforme à l’esprit démocratique ou s’il ne

s’agit que d’une instrumentalisation du mécanisme démocratique en vue de mener à bien un

agenda caché. Elle n’essaie pas non plus de comprendre le degré d’acceptation des islamistes

79 Laura Guazzone, op. cit. 80 Gianluca P. PAROLIN, op. cit. 81 Zied KRICHEN, op. cit. et Sami ZEMNI, « The Extraordinary Politics of the Tunisian Revolution : The

Process of Constitution Making », op. cit. 82 Samuel P. HUNTINGTON, Le choc des civilisations, op. cit.

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par les autres partis politiques ni de tenter d’éclaircir la dynamique interne des partis

islamistes et leurs réactions à l’égard de leurs adversaires politiques ou encore moins

d’expliquer les causes de l’essor du salafisme en Tunisie.

Ce projet de recherche veut apporter un éclairage nouveau sur le phénomène du salafisme et

son implication au cœur du processus de constitution-making dans le cadre de la transition

tunisienne. En effet, aucune recherche n’a été menée sur l’objet précis traité dans ce mémoire.

Bien que la recherche se trouve limitée par l’absence d’entrevues auprès des salafistes et du

manque de sources primaires et secondaires, elle tente d’apporter des éléments de réponse

quant à l’influence indirecte des salafistes dans le processus de rédaction de la nouvelle

constitution tunisienne.

Au regard de ce qui a déjà été dit, il paraît donc pertinent de se pencher sur la question du

constitution-making dans le cadre de la transition tunisienne. La présente recherche transpose

en partie les constats de Zemni sur les travaux menés par Giuseppe Di Palma dans son

ouvrage To Craft Democracies83. Di Palma s’intéresse aux régimes autoritaires qui vivent

des bouleversements internes dus à une crise de légitimité qui entraîne une période transitoire

pouvant éventuellement mener à un régime démocratique. Son modèle théorique et ses

scénarios hypothétiques prolongent les idées des auteurs précités, à savoir que les transitions

représentent des périodes de négociation entre les factions de duros et de blandos dont les

actions des membres poussent vers la maximisation de leurs intérêts. Di Palma se concentre

plus précisément sur la sphère politique en avançant que les négociations ont pour objectif

de créer des règles institutionnelles qui devraient garantir la coexistence de ces diverses

factions et d’assurer leur participation et leur implication politiques futures. Ces règles

servant de garantie, qualifiées d’ailleurs de « garantismo », doivent rompre avec le passé

pour éviter une continuité des pratiques, le « continuismo ». Ainsi, le choix vers un régime

démocratique est motivé par ces règles de garantismo qui provoqueraient une incertitude des

résultats électoraux par rapport à l’accès aux pouvoirs exécutif et législatif84.

83 Giuseppe DI PALMA, To Craft Democracies ?, Berkeley & Los Angeles, University of California Press,

1990, 248 p. 84 Ibid., pp. 44-45.

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Ce choix relève donc d’un calcul stratégique des coûts et des bénéfices d’une coexistence

entre les différents groupes politiques. Pour reprendre les propos de Di Palma, « consenting

to lose is a condition for winning [and] the costs of toleration are lower than those of

suppression85 ». De telles règles doivent cependant faire consensus parmi la classe politique

qui représente, du moins théoriquement, les intérêts de ses électeurs. Mais quels sont ces

intérêts qui nécessitent d’être pris en compte et d’être intégrés lors de cette transition ?

Puisque le succès de la transition repose sur une entente collective, Di Palma avance qu’il est

nécessaire que les intérêts de tous les acteurs significatifs soient pris en compte lors de

l’élaboration de cet accord. Il va sans dire que si des membres de la société considèrent que

leurs propres intérêts vitaux sont perçus par le reste de la société comme minoritaires, ils

auraient tout à gagner d’investir le champ politique pour les défendre86. Cependant, ce ne

sont pas tous ces individus qui sont considérés en tant qu’acteurs significatifs. Par

raisonnement inverse, il faut s’assurer qu’aucun acteur n’ait la possibilité de mettre en péril

cet accord, ce qui signifie qu’aucun acteur significatif ne doit être exclu87. Advenant un tel

cas, les parties prenantes de l’entente doivent trouver un moyen de les coopter, afin d’éviter

de faire capoter la transition. Di Palma nuance par la suite que la conclusion d’un tel accord

ne nécessite pas le partage de motivations similaires, de la part de l’ensemble des parties

prenantes, à l’égard de la construction d’un régime démocratique. Elles doivent cependant

adhérer au processus démocratique et aux règles de garantismo, afin que leurs

comportements soient modifiés en conséquence et favorisent leur coexistence88. Une

transition se conclurait donc soit par une négociation entraînant la formation de larges

alliances entre groupes idéologiques divergents, sous la condition de l’exclusion des

mouvements et des acteurs se situant à l’extrême des pôles politiques du processus, soit par

un retour à un régime autoritaire.

85 Ibid., p. 55. 86 Ibid., p. 46. 87 Ibid., p. 111. 88 Loc. cit.

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La question de recherche s’intéresse alors à l’articulation entre le processus de rédaction de

la constitution tunisienne, événement phare de la période transitionnelle, et l’essor du

mouvement salafiste. Elle se pose ainsi : « les salafistes tunisiens, de par leur idéologie qui

ne privilégie que la légitimité de leurs propres revendications et de par leurs actions qui ne

favorisent pas la négociation, le compromis et la coexistence de différentes factions

sociétales, ont-ils influencé le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne,

et si oui, de quelle(s) manière(s) et quels ont été les impacts ? ».

La première hypothèse suivie consiste à avancer l’argument selon lequel les salafistes

tunisiens ont influencé le processus constitutionnel, mais n’ont pas influencé le contenu de

la constitution. Les salafistes ont remis sur la table la question de la charî’a dans les débats

constitutionnels et plus particulièrement dans les discussions internes du parti Ennahda grâce

à des formes de mobilisation para-institutionnelle.

La deuxième hypothèse suivie repose sur le fait que ces formes de mobilisation n’ont

cependant pas eu l’effet escompté, soit d’inscrire la charî’a dans la nouvelle constitution

adoptée. En réalité, le contexte socio-politique a plutôt favorisé l’exclusion des salafistes à

cause de leurs discours qui discréditaient les autres factions sociétales et politiques et de leurs

actions qui ne favorisaient pas la négociation, le compromis et la coexistence avec ces

factions. Les salafistes, comme groupe social particulier qui attire les franges populaires de

la société, véhiculent une idéologie religieuse entraînant des impacts politiques et sociaux

qui les distingue de la majorité des Tunisiens. Dans le cadre du processus de

constitutionnalisation, cette idéologie a fait place à des demandes identitaires qui les ont

catégorisés comme un mouvement extrémiste, ce qui les a situés à l’un des extrêmes du

spectre politique et a entraîné leur marginalisation.

Bien qu’ils ne constituent pas un corps élu au sein de l’ANC, les salafistes, en tant que

membres de la société civile à intérêt spécifique, ont tenté d’influencer les députés et plus

précisément ceux d’Ennahda. Les députés constituants islamistes sont demeurés sensibles

aux demandes des électeurs dont faisaient partie les salafistes. De pair à cette situation

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politique, sociale et religieuse, le vainqueur des élections, le parti d’Ennahda, a formé une

coalition avec le CPR et Ettakatol. Cette coalition lui a permis d’obtenir une majorité de

sièges à l’ANC pour pouvoir entre autres adopter des projets législatifs et former le

gouvernement. Cette large alliance avec des partis a priori laïcs a nécessité des négociations

constantes entre ces trois partenaires. Faut-il ajouter à cela la volonté des constituants

d’adopter la nouvelle constitution au deux tiers afin d’éviter le référendum populaire à tenir

si l’ANC n’obtenait qu’une simple majorité en faveur lors du vote sur l’adoption de la

constitution.

La dernière hypothèse est que par ailleurs, si Ennahda entretenait certains objectifs communs

avec les salafistes, ses deux partenaires politiques ne se retrouvaient pas dans une situation

similaire, bien au contraire. Les salafistes, par leurs discours et leurs actions, empêchaient

l’atteinte d’un compromis démocratique entre ces partis politiques et représentaient une

menace pour les règles de garantismo qu’ils étaient en train de négocier. Ils exacerbaient la

polarisation entre « islamistes » et « non-islamistes » et menaçaient la coexistence des deux

camps. Leurs intérêts paraissaient ainsi ne pas faire partie d’un consensus possible entre les

factions les plus importantes qui ne considéraient pas les salafistes comme des acteurs

significatifs au sein de la société tunisienne. Ils ont été dès lors exclus du jeu démocratique,

à la fois des débats et du processus. La mise au rancart de leurs intérêts a été l’un des coûts à

assumer pour Ennahda, afin d’assurer l’adoption de la nouvelle constitution tunisienne et la

réussite de la transition démocratique.

La méthodologie employée

Le projet de recherche repose sur une analyse qualitative. Ce type de recherche a été

privilégiée au regard de la nature du phénomène observé et de la volonté de fournir des

explications détaillées dans un souci d’approfondir les connaissances sur l’influence des

salafistes pendant le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne. Il paraît

dès lors impossible d’analyser la manière dont les salafistes ont tenté d’influencer le

processus constitutionnel en mettant de l’avant leurs demandes identitaires dans une analyse

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quantitative. En effet, le recours à des statistiques ou à des corrélations semble inapproprié

en raison de la nature des variables étudiées, impossibles à quantifier, et les pistes de

recherche explorées dans le cadre ce projet.

Premièrement, des documents écrits et audio-visuels ont été analysés. Les sources

documentaires primaires, essentiellement rédigées en anglais et en français, ont été

employées pour recueillir des données à analyser. Les sources documentaires primaires sont

principalement constituées d’articles parus dans les journaux tunisiens ou internationaux

disponibles en ligne. Parmi les journaux numériques tunisiens se retrouvent Businessnews,

Tunisie Numérique, Express FM, Leaders et Mosaïque FM. Ils ont été spécifiquement choisis

parce qu’ils publient quotidiennement de nombreux articles sur l’actualité tunisienne. Il a

cependant fallu adopter une posture réflexive en recourant à de tels articles, puisque les

journalistes, s’inscrivant majoritairement dans le courant laïc, y apportaient souvent des

analyses très subjectives sur les événements couverts. Cette posture est jusqu’à un certain

point compréhensive puisqu’ils font partie de la société tunisienne, qu’ils se sentent

concernés et impliqués dans les situations qui surviennent et qu’ils ont parfois subi des

attaques de la part de salafistes.

Quant aux journaux internationaux, il s’agit du HuffingtonPost, Jeune Afrique, Radio-

Canada, Le Monde et Radio France Internationale parce qu’ils fournissent en continu de

l’information sur les événements marquants, particulièrement dans le cadre de la transition

en Tunisie. Ces journaux semblent également constituer des sources d’informations plus

objectives parce que les auteurs des articles ne sont pas personnellement ou

émotionnellement engagés dans la transition tunisienne et semblent y présenter les faits sans

nécessairement faire part de leur propre analyse des faits. . Cependant peu de journalistes se

sont intéressés aux actions politiques menées par les salafistes et ont plutôt couvert de

manière disproportionnée les actions violentes imputées à ces acteurs. L’ensemble de ces

articles ont néanmoins permis de situer avec certitude certains événements impliquant les

salafistes grâce notamment au croisement des sources. Les articles de ces journaux ont été

sélectionnés de manière aléatoire grâce aux résultats du moteur de recherche Google et au

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moteur de recherche de chaque journal en employant une liste de mots-clés établie lors de la

lecture de sources secondaires.

Parallèlement à ces articles, deux rapports d’institutions spécialisées ont également été

utilisés. Il s’agit du rapport spécial du International Crisis Group « Tunisie : violences et défi

salafiste89 » qui constitue le premier travail de longue haleine portant sur le salafisme en

Tunisie. Bien qu’il accorde une forte attention sur le volet des violences, le rapport tente de

brosser un portrait des différentes tendances salafistes en Tunisie, d’éclaircir des liens

entretenus avec Ennahda et la réaction de ce dernier aux violences salafistes. Le rapport « The

Reckoning. Tunisia’s Perilous Path to Democratic Stability90 » rédigé par Anouar Boukhars

au profit de Carnegie a également été utilisé parce qu’il traite des divisions internes au parti

d’Ennahda et aussi de la question des violences salafistes. Enfin, les articles de l’ouvrage

collectif La constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives91 financé par le

Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) s’est révélé très utile.

Rassemblant les témoignages d’acteurs ayant participé directement au processus de rédaction

de la constitution et provenant d’Ennahda, des partis laïcs et de la société civile, cet ouvrage

a permis d’obtenir la perception de divers acteurs sur le processus de transition et de

constitutionnalisation.

Concernant les documents audio-visuels, il s’agit essentiellement de reportages qui traitent

du salafisme en Tunisie après les soulèvements du printemps arabe et qui ont été réalisés par

des journalistes français. D’autres documents audio-visuels, ceux montrant le chef du parti

Ennahda Ghannouchi discuter avec des salafistes par téléphone, ont été produits

89 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, Tunisie - violences et défi salafiste, Bruxelles & Tunis, [En ligne],

2013, https://d2071andvip0wj.cloudfront.net/tunisia-violence-and-the-salafi-challenge-french.pdf. 90 Anouar BOUKHARS, The Reckoning Tunisia’s Perilous Path to Democratic Stability, Washington,

Carnegie Endowment for International Peace, 2015, [En ligne]

http://carnegieendowment.org/files/tunisia_reckoning.pdf. 91 PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE DÉVELOPPEMENT. La constitution de la Tunisie.

Processus, principes et perspectives, [En ligne], 2016,

http://www.tn.undp.org/content/tunisia/fr/home/library/democratic_governance/la-constitution-de-la-tunisie-

.html.

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anonymement, mais ont été repris par des agences de nouvelles tunisiennes. L’ensemble des

documents audio-visuels ont été trouvés grâce à YouTube.

L’analyse documentaire a permis de comprendre le contexte propre à la Tunisie avant,

pendant et après les soulèvements du printemps arabe et de situer la présence des salafistes

tunisiens pendant la transition. Les documents ont aidé à dresser un tableau de la situation

des salafistes en Tunisie et à se familiariser avec les récriminations de membres se qualifiant

de laïcs dans la société civile à l’encontre de leurs concitoyens salafistes. L’analyse

documentaire a permis de compléter les informations fournies par les personnes interrogées.

Deuxièmement, une enquête de terrain d’une durée d’un mois a été menée au courant de

l’année 2017 à Tunis en Tunisie. À ce titre, le projet de recherche a obtenu l’approbation du

Comité plurifacultaire d’éthique de la recherche de l’Université Laval (numéro d’approbation

2017-092/31-05-2017). Au total, dix personnes ont été interrogées. Elles possèdent toutes un

lien avec Ennahda : sept sur neuf ont été députés constituants pour le parti islamiste après les

élections de 2011, deux ont été des cadres haut placés au sein de la structure du parti et un

était sympathisant nahdaoui. Le choix d’interroger des membres du parti islamiste s’explique

par la proximité alléguée du parti auprès des interlocuteurs salafistes. De plus, mener des

entrevues principalement auprès de députés constituants permet d’obtenir leur opinion sur

l’influence salafiste lors du processus de rédaction de la constituion. Parmi les députés

constituants rencontrés, six sur sept demeuraient députés au sein de l’Assemblée des

représentants du peuple (ARP) lors de la conduite des entrevues.

Ces personnes ont été recrutées de deux façons. Premièrement, un membre de la famille de

la chercheure a organisé une rencontre entre cette dernière et un des anciens cadres hauts

placés dans la structure d’Ennahda. Ce cadre a permis à la chercheure de contacter par

téléphone des députés qui ont contribué à la rédaction de la constitution en siégeant comme

député constituant, mais aussi un autre cadre haut placé qui a été impliqué dans le processus

de recrutement de nouveaux membres nahdaouis. Deuxièmement, le même membre de la

famille de la chercheure l’a conduite au siège social d’Ennahda où une rencontre fortuite lui

a permis de prendre rendez-vous avec une députée et un ancien député nahdaouis.

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Chaque participant a été rencontré une seule fois à l’exception d’un participant qui a été

interrogée à deux reprises parce que la liste des questions n’avait pas été épuisée après le

premier entretien. Les entrevues ont duré de trente minutes à une heure selon la fluidité des

réponses que fournissaient les participants, sauf une qui s’est étalée sur deux heures. Cette

rencontre s’est divisée en une heure trente de questions-réponses avec la chercheure et une

demi-heure de prédication religieuse et de présentation du travail effectué lors de

l’emprisonnement de la personne interrogée sous Ben Ali. Une prise de notes dites actives a

été effectuée, aucun enregistrement n’a été fait dans le souci de préserver la confiance et

l’aisance des personnes interrogées, de même que le lieu de l’entretien était choisi à leur

convenance. Les entrevues ont été essentiellement réalisées à l’Assemblée des représentants

du peuple (ARP), que ce soit dans le local réservé à Ennahda, dans le hall, dans la salle des

députés, dans la cafétéria ou encore dans le bureau de l’un des députés. D’autres ont eu lieu

dans un café, dans le bureau de travail des personnes interrogées ou à leur domicile.

L’entrevue était semi-dirigée et les questions étaient de nature ouverte. Ainsi, bien que les

questions structurent l’entrevue, les participants avaient le loisir d’aborder des sujets

connexes qui leur paraissaient importants à discuter, de passer plus de temps sur une question

ou une autre. Le canevas d’entretien avec les membres d’Ennahda était constitué de deux

types de questions : des questions générales et des questions spécifiques92. Le premier type

servait à cerner ce qu’entendaient les nahdaouis par salafisme, s’ils s’identifiaient eux-mêmes

comme salafistes, comment ils percevaient leur organisation en Tunisie, de même que leurs

revendications dans le cadre de la constitution et leur engagement politique. Le second type

servait à cerner la présence d’intégration des salafistes au sein du parti politique, d’établir

leur niveau d’influence et la prise en compte de leurs intérêts dans les discussions internes

d’Ennahda et de comprendre la conduite du parti dans le processus de rédaction de la nouvelle

constitution après leurs échanges avec les salafistes. Il est à souligner qu’aucune question n’a

été reformulée dans la mesure où les interlocuteurs n’ont pas montré de gêne devant une

question.

92 Le canevas se retrouve à l’annexe II du mémoire.

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Après chaque entrevue, les notes prises ont été retranscrites à l’ordinateur pour éviter

d’interférer dans les propos recueillis. Elles ont par la suite été transférées dans un document

Excel et ont fait l’objet d’une analyse de contenu. Elles ont d’abord été divisées selon les

questions posées, puis catégorisées selon différentes thématiques qui ressortaient dans les

réponses fournies par les personnes interrogées, ce qui a permis de confronter certaines

contradictions entre les faits avancés, parfois par la position maintenue par la personne

interrogée au sein d’Ennahda.

Ces entrevues ont permis de comprendre un peu plus les liens entre Ennahda et le mouvement

salafiste et comment le parti islamiste percevait les individus salafistes. Une différence

singulière dans les réponses données est à noter si l’interlocuteur demeurait, au moment de

l’entrevue, un député d’Ennahda à l’ARP ou s’il n’était plus lié à la structure du parti.

Ces entrevues ont permis de combler un vide de connaissances dans la littérature, puisque

peu de chercheurs ont posé des questions sur la nature de l’influence des salafistes dans le

processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne à des députés et des cadres haut

gradé d’Ennahda. Il n’en demeure pas moins que l’apport des entretiens doit être nuancé, car

les salafistes n’ont pas pu être rencontrés étant donné que la chercheure est tombée gravement

malade lors de son séjour et qu’elle n’a pas pu reporter ou prolonger son séjour pour des

raisons personnelles. Un canevas de questions avait néanmoins été préparé, regroupant les

questions générales mentionnées plus haut et ayant des questions plus spécifiques qui visaient

à faire la lumière sur leur compréhension de l’enjeu constitutionnel et des politiques, sur leur

perception de la manière dont différents acteurs de la société les perçoivent et leurs liens avec

Ennahda93. Le faible nombre d’entretiens n’a donc pas permis à la chercheure d’atteindre une

saturation des données recueillies dès lors qu’il n’a pas été possible à la chercheure de

prolonger son séjour pour augmenter le nombre d’interlocuteurs et approfondir les réponses

fournies par les personnes interrogées. Afin de pallier ce manque, leur positionnement

93 Le canevas se retrouve à l’annexe III au mémoire.

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notamment à l’endroit d’Ennahda a été inféré à partir des témoignages recueillis auprès des

personnes interrogées.

Conclusion

Ce chapitre a permis de prendre connaissance des constats issus des recherches menées dans

le cadre de la transitologie, l’étude des transitions des régimes politiques, au cours du XXème

siècle. Il a également souligné la pertinence de transposer ces constats aux pays touchés par

le « printemps arabe », annonciateur de changements révolutionnaires pour certains, mettant

ainsi fin à la doctrine persistante de « l’exceptionnalisme arabe ». Bien au contraire, les

mêmes théories sur les rapports de force entre acteurs lors des périodes de (re)négociation

politique s’appliquent peu importe la trame religieuse ou culturelle. Ainsi, les pays à

population majoritairement musulmane ne se voient-ils pas exclus du schéma théorique par

l’argument que « l’islam n’est pas conciliable avec la démocratie ». Ce chapitre a également

démontré l’originalité de la recherche, prenant pour cas d’étude la Tunisie, de centrer le

niveau d’analyse de l’étude sur le plan des acteurs salafistes tunisiens. En effet, ces derniers

ont semblé susciter peu d’intérêt de la part des chercheurs en science politique dans le

contexte précis de négociation de la nouvelle constitution tunisienne, alors qu’ils représentent

une partie de la société qui accroît ses manifestations publiques. Il paraît dès lors intéressant

de se pencher sur la manière dont les salafistes tunisiens ont essayé d’influencer le processus

de rédaction de la constitution et les impacts de cela. Les hypothèses suivies sont qu’ils ont

influencé le processus constitutionnel mais n’ont pas influencé le contenu de la constitution,

à travers des formes de mobilisation qui n’ont cependant pas eu l’effet escompté, et que leurs

discours et leurs actions empêchaient l’atteinte d’un compromis démocratique entre les partis

politiques et représentaient une menace pour les règles de garantismo qu’ils étaient en train

de négocier. Finalement, l’explication sur la méthodologie employée permet d’éclairer la

provenance et la manière dont ont été recueillies les informations, tout en soulignant les

limites de la recherche.

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CHAPITRE 2 - LE SALAFISME, UN MOUVEMENT RELIGIEUX

LITTÉRALISTE

Ce chapitre, qui vise à définir la manière dont les adeptes du mouvement salafiste se

distinguent des autres tendances musulmanes, se divise en trois principales parties. La

première aborde l’essor de l’intérêt académique, somme toute récente, envers ce mouvement

sunnite orthodoxe en lien avec les aléas de la politique internationale. Les chercheurs ont

principalement concentré leurs efforts sur les groupes salafistes opérant sur la péninsule

arabique. La deuxième présente, à travers la littérature, les éléments définitionnels du

salafisme. Bien que les débats entourant l’origine de l’emploi du terme salafiste ne fassent

pas l’unanimité, ce courant se définit par la volonté d’instaurer un État et une société

islamiques par une méthode d’interprétation littéraliste des sources. De plus, trois concepts

se retrouvent au cœur de la pratique salafiste : al-walâ wal-barâ, al-amr bil-ma’rûf wa al-

nahî ‘an al-munkar et le takfîr. Ces concepts seront brièvement expliqués afin de bien saisir

l’impact qu’ils ont sur la façon dont les adeptes du salafisme se comportent en société. La

troisième partie explique la catégorisation traditionnelle utilisée par les chercheurs pour

étudier différents acteurs salafistes, soit les salafistes scientifiques, politiques et jihadistes.

Un intérêt académique récent sur le salafisme au regard de l’actualité

L’intérêt académique porté sur le salafisme en tant qu’objet d’étude demeure relativement

récent, car il faut attendre l’attentat du 11 septembre 2001 du World Trade Center aux États-

Unis pour que ce courant idéologique retienne l’attention, à la fois de la part des universitaires

et des différents gouvernements occidentaux. Quelques études94 intéressantes ont été

publiées, mais elles n’ont abordé qu’un aspect de ce courant, soit le salafisme comme matrice

du jihâd dans sa conception de la lutte armée dans le cadre restrictif de la lutte antiterroriste.

C’est le cas du livre de Vincenzo Oliveti qui identifiait le salafisme et le wahhabisme comme

94 Voir notamment Gilles KEPEL, Jihad : expansion et déclin de l'islamisme, Paris, Gallimard, 2000, 452 p. et

Peter L. BERGEN, Guerre sainte, multinationale, Paris, Gallimard, 2002, 288 p.

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les sources du terrorisme contemporain95. La littérature à ce sujet se concentre plus

particulièrement sur la zone géographique du MENA et sur les organisations à vocation

armée classifiées comme terroristes, plus spécifiquement Al-Qâ’ida et ses ramifications

régionales. Ces études sont cependant menées dans le contexte précis de la lutte contre le

terrorisme et cherchent plus précisément à non seulement à analyser le fonctionnement de

ces réseaux jihadistes, mais aussi à fournir des explications à la radicalisation menant à la

violence.

À compter de la moitié des années 2000, la littérature sur le salafisme a opéré un changement

relativement significatif. Les chercheurs ont tenté de définir les contours de ce courant

nébuleux, tout en essayant de comprendre la manière dont il s’enracinait dans des cadres

nationaux. Éclaircir les fondements de ce courant a été l’objectif de la monographie d’Olivier

Roy, Globalised Islam96, et du volume collectif Global Salafism97. L’écrit de Roy semble

avoir été l’un des premiers ouvrages à se pencher sur les principes fondamentaux du

traditionnalisme, terme généraliste qu’il préfère employer pour désigner le courant sans

distinguer les groupes salafistes et tablighis. Dans le second ouvrage, cinq chapitres ont été

consacrés à la description de l’idéologie salafiste à travers les intellectuels qui ont inspiré les

membres du mouvement, le champ d’action des salafistes, les concepts qui sous-tendent cette

idéologie et la légitimité qu’elle semble acquérir au regard des autres courants par le recours

aux sources d’un groupe important, les ahl al-hadîth.

Les salafistes des États de la péninsule arabique ont constitué le principal centre d’intérêt des

spécialistes du salafisme. Chaque universitaire a développé une expertise portant sur le

salafisme dans un pays particulier. Les travaux de Stéphane Lacroix ont porté sur les

salafistes d’Arabie saoudite et plus particulièrement sur l’apport du penseur Nasir Al-Din Al-

Albani comme référence-clé du mouvement salafiste98. Les salafistes du Yémen ont fait

95 Vincenzo OLIVETI, Terror’s Source : The Ideology of Wahhabi-Salafism and Its Consequences, Amadeus

Books, Chicago, 2002, 112p. 96 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, London, Hurst & Company, 2004, 349p. 97 Roel MEIJIER, dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York,

Oxford University Press, 2013, 400p. 98 Stéphane LACROIX, « Between Revolution and Apoliticism : Nasir al-Din al-Albani and his Impact on the

Shaping of Contemporary Salafism » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious

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l’objet d’étude de Laurent Bonnefoy qui a examiné leur processus d’appropriation nationale

de l’idéologie salafiste99. Joas Wagemakers s’est intéressé à l’expansion du phénomène en

Jordanie tout en approfondissant l’interprétation salafiste de l’un de ses concepts-clés, celui

d’al-walâ’ w-al-barâ100. Les théories des mouvements sociaux ont été utilisées par

Hegghammer pour fournir des explications de la violence motivée par le jihadisme salafiste

en Arabie saoudite101. Quelques cas d’études portant sur des pays occidentaux ont commencé

à paraître. Mohamed-Ali Adraoui s’est concentré sur le phénomène salafiste dans les

banlieues françaises102, alors que Samir Amghar l’a analysé en tant que mouvement sectaire

dans l’environnement de la France103. Mårtensson s’est intéressée au développement et à

l’interaction des salafistes en Norvège104 et De Koning a étudié leurs interactions avec des

musulmans d’autres tendances et le gouvernement au sein des Pays-Bas105. Quelques articles

ont traité du Soudan106, du Pakistan107 et de l’Indonésie108, mais ils constituent une

Movement, New York, Oxford University Press, 2013, pp. 58‑80 et Stéphane LACROIX, « L’apport de

Muhammad Nasir al-Din al-Albani au salafisme contemporain » dans Qu’est-ce que le salafisme ?, Bernard

ROUGIER (sous la direction de), Paris, Presses universitaires de France, 2008, pp. 45‑64. 99 Laurent BONNEFOY, « L’illusion apolitique : adaptations, évolutions et instrumentalisations du salafisme

yéménite » dans Qu’est-ce que le salafisme?, Bernard ROUGIER (sous la direction de), Paris, Presses

universitaires de France 2008, pp. 137‑160 et Laurent BONNEFOY, « How Transnational is Salafism in

Yemen ? » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York, Oxford

University Press, 2013, pp. 321‑341. 100 Joas WAGEMAKERS, « The Transformation of a Radical Concept : al-wala wa-l-bara’ in the Ideology of

Abu Muhammad al-Maqdisi » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious Movement,

New York, Oxford University Press, 2013, pp. 81‑106. 101 Thomas HEGGHAMMER, « Violence politique en Arabie Saoudite : grandeur et décadence d’« Al-Qaida

dans la péninsule arabique » » dans Qu’est-ce que le salafisme ?, Bernard ROUGIER (sous la direction de),

Paris, Presses universitaires de France, 2008, pp. 105‑122. 102 Mohamed-Ali ADRAOUI, Du Golfe aux banlieues : le salafisme mondialisé, Paris, Presses universitaires

de France, 2013, 233p. 103 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, Michalon Éditions, Paris,

2011, 280p. 104 Ulrika MÅRTENSSON, « Norwegian Ḥarakī Salafism: “The Saved Sect” Hugs the Infidels », Comparative

Islamic Studies, 8 (1), 2014, pp. 113-138.

105 Martijn DE KONING, « The “Other” Political Islam : Understanding Salafi Politics » dans Whatever

Happened to the Islamists? : Salafis, Heavy Metal Muslims and the Lure of Consumerist Islam, New York,

Columbia University Press, 2012, pp. 153‑178. 106 Noah SALOMON, « The Salafi Critique of Islamism : Doctrine, Difference and the Problem of Islamic

Political Action in Contemporary Sudan » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious

Movement, New York, Oxford University Press, New York, 2013, pp. 143‑168. 107 Noah ABOU ZAHAB, « Salafism in Pakistan : The Ahl-e Hadith Movement » dans Roel MEIJER (éditeur),

Global Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York, Oxford University Press, 2013, pp. 126‑142. 108 Noorhaidi HASAN, « Ambivalent Doctrines and Conflicts in the Salafi Movement in Indonesia » dans Roel

MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York, Oxford University Press,

2013, pp. 169‑188.

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infinitésimale part de la littérature sur le sujet. L’une des raisons avancées expliquant ce

constat serait que la langue arabe, si chère au courant salafiste ne prédomine pas dans les

communautés musulmanes de ces régions109. Après le printemps arabe, l’intérêt académique

s’est orienté vers l’Afrique du Nord, les salafistes égyptiens faisant l’objet d’analyse de

Khalil Al-Anani110, alors que Merone s’est intéressé au groupe d’AST111.

Au regard de la récente littérature et du faible nombre d’articles sur le sujet, le mouvement

salafiste apparaît clairement comme un objet d’étude qui mériterait d’être approfondi. Il

s’agit sans aucun doute d’un phénomène qui tend à croître en importance au sein de la société

vu l’augmentation du nombre d’adhérents au salafisme et la multiplication de leurs

manifestations publiques qui méritent d’être étudiées et comprises. Néanmoins, la littérature

existante a permis de cerner des éléments définitionnels du mouvement salafiste.

Des éléments définitionnels

Débats sur les origines polémiques du salafisme

Le terme salafisme est une adaptation francophone du mot arabe salafiyya.

Étymologiquement, la salafiyya fait référence aux ancêtres. Ce terme renvoie logiquement à

deux conditions sine qua non, celui de salaf, c’est-à-dire d’ancêtre, le père, et celui de khalaf,

c’est-à-dire de successeur, le fils. Il est alors employé pour désigner les individus suivant

l’exemple donné par leurs ancêtres. A priori, tous les musulmans sont des salafistes parce

qu’ils sont les successeurs de la religion de leurs pères. Ils exercent la prière et divers rites

tels qu’enseignés par leurs parents qui ont eux-mêmes imité ces pratiques et intégré ces

109 Bernard HAYKEL, « On the Nature of Salafi Thought and Action » dans Roel MEIJER (éditeur), Global

Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York, Oxford University Press, 2013, pp. 33‑50. 110 Khalil AL-ANANI, « Unpacking the Sacred Canopy : Egypt’s Salafis between Religion and Politics » dans

Francesco CAVATORTA et Fabio MERONE (éditeurs), Salafism after the Arab Awakening. Contending with

People’s Power, London, Hurst & Company, 2016, pp. 25‑42. 111 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The Fight for Identity beyond Political Islam », op.

cit.

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connaissances et traditions de leurs parents précédemment et ainsi de suite. Il y a donc un

passage de successeurs à ancêtres au fil des générations.

Les études académiques qui portent sur le salafisme font abstraction de ce point et font plutôt

référence à un courant religieux précis qui repose sur l’expression arabe salaf al-sâlih qui

signifie les « pieux ancêtres » ou les « pieux prédécesseurs »112. Pris dans ce sens, ce terme

inclut les trois premières générations de musulmans, soit le Prophète Mohammed et ses

Compagnons et les deux générations qui leurs succédèrent (al-tâbi’oûn et tâbi’ al-tâbi’în).

Ces individus sont qualifiés de pieux ancêtres en raison de la proximité temporelle et spatiale

qu’ils détenaient auprès du Prophète. Ces salaf al-sâlih sont ainsi reconnus par les salafistes

comme ayant pratiqué le « véritable islam » tel qu’enseigné par le Prophète, ses leçons

n’ayant pas été dénaturées ni par le temps ni par des velléités individuelles.

Le salafisme est une tendance religieuse qui prend racine dans le sunnisme, terme provenant

du mot arabe Sunna signifiant tradition, qui représente le courant majoritaire en islam. Le

salafisme s’ancre dans l’école de pensée juridique hanbalite qui se concentre essentiellement

sur deux sources : le Coran et la sunna. La Sunna est composée des paroles du Prophète, de

ses actes et de ses pratiques (s. hâdith, p. ahâdîth) tels que rapportés par la chaîne de

rapporteurs113 , interprète des passages du Coran et le complète lorsqu’il demeure muet sur

des thématiques assez importantes telles que la manière de procéder à la prière, la direction

à laquelle les fidèles doivent l’accomplir ou la façon d’exécuter les ablutions. La création de

cette école est survenue en réaction à l’éclatement de la pratique des musulmans et au

foisonnement de raisonnements juridiques et de fatâwâ (avis juridiques) émises par différents

acteurs. Ibn Hanbal percevait la nécessité de revenir aux sources primaires étant donné que

l’écart entre la pratique des nouvelles générations de musulmans et celle des générations

ayant vécu auprès du Prophète ne cessait de s’allonger. Il espérait ainsi purifier l’islam de

toute bid’a (p. bidâ’), innovation, de la pratique des musulmans en se tenant strictement à

celle des ancêtres des trois premières générations. La volonté d’uniformiser le droit et la

112 Bernard ROUGIER, « Introduction » dans Qu’est-ce que le salafisme ?, Bernard ROUGIER (sous la

direction de), Paris, Presses universitaires de France, 2008, p. 3. 113 Slim LAGHMANI, « Les écoles juridiques du sunnisme », Pouvoirs, 1, 2003, p. 21.

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pratique des affaires cultuelles (‘ibâdat) et sociales (mu’âmalât) a motivé la création de

l’école hanbalite.

Bien que le courant salafiste soit ancrée historiquement dans cette école, beaucoup de

confusion perdure quant à l’origine de l’emploi du terme salafisme. Utilisé aujourd’hui

comme instrument de légitimation et de délégitimation, le terme semble avoir connu une

évolution historique. Le salafisme tel que conceptualisé dans la littérature depuis les années

70114, tire ses fondements des siècles antérieurement. Si certains auteurs remontent le premier

emploi du terme à quelques décennies après la mort du Prophète, d'autres renvoient la

première utilisation plutôt au cours du XIXème siècle. À ce titre, il est pertinent de faire

référence à l’ouvrage d’Henri Lauzière115 qui traite en détail de cette polémique. Quoiqu’il

en soit, trois-moments-clés semblent ponctuer l’évolution du terme salafisme116.

Le premier moment survient lors de la fondation du hanbalisme par Ibn Hanbal. Si les

salafistes se targuent de la pureté de leur pratique qui repose uniquement sur celle de leurs

ancêtres, c’est l’école hanbalite, par sa méthodologie particulière, qui a initié l’idée d’un

retour aux sources. Le deuxième moment est la poursuite du travail d’Ibn Hanbal par Ibn

Taymiyya117. Ce dernier a élargi la notion de jihâd fî sabilillâh, le recours à la lutte armée,

dans un contexte où les Mongols envahisseurs s’étaient convertis à l’islam avec l’objectif

précis de mieux régner sur les sujets musulmans118. Bien que certaines différences notables

distinguent les deux penseurs119, leurs discours convergeaient vers une idée centrale : un

retour aux sources. Ce retour aux sources est caractérisé par des éléments centraux de la

pensée salafiste : l’adhésion aux sources que représentent le Coran et la sunna, la primauté

des textes révélés sur la raison et le rejet du kalam, la discussion théologique120. Le troisième

114 Henri LAUZIÈRE, The Making of Salafism : Islamic Reform in the Twentieth Century, New York, Columbia

University Press, 2016, p. 199. 115 Ibid. 116 Samir AMGHAR, op. cit. 117 Laurent BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, New York, Columbia

University Press, 2011, p. 42. 118 Bernard ROUGIER, « Introduction », op. cit., pp. 12-13. 119 Contrairement à Ibn Hanbal, Ibn Taymiyya rejetait le taqlid (l’imitation aveugle) et l’ijma’ (le consensus),

mais approuvait le recours au qiyas (raisonnement analogique). 120 Chems-Eddine HAFIZ, « Éléments de droit musulman », Droit Déontologie Soin, 10 (1), 2010, p. 3

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moment-clé est lié à Abdelwahhab et à son alliance politico-religieuse avec la famille des

Sa’ud au XVIIIème siècle pour « construire un État sunnite […] et restaurer l’islam dans sa

pureté première, en luttant contre toutes les innovations suspectées ou les superstitions

populaires121 » et ce, à un moment où l’Empire ottoman montrait des signes de faiblesse.

Abdelwahhab, demeurant dans la logique d’Ibn Hanbal et d’Ibn Taymiyya, poursuivait une

interprétation littéraliste de l’islam. Il appelait également à une purification de la religion par

des réformes sociale et morale et à l’unité entre les musulmans122. C’est Abdelwahhab qui

développe ce qu’on appelle le wahhabisme, la doctrine officielle de l’Arabie saoudite

aujourd’hui. À ce titre, il n’existe pas non plus de consensus parmi les chercheurs à savoir si

le salafisme et le wahhabisme sont deux courants distincts ou seulement deux frères jumeaux.

Bien que cela demeure controversé, quelques chercheurs, comme Adraoui123, Roy124 et

Hourani125 ont inséré le parcours du salafisme dans la trajectoire du mouvement de la réforme

revivaliste, al-salafiyya al-islahiyya, initié par Jamal Al-Din Al-Afghani. Cet homme

représentait à l’époque le « renouveau politique, social et culturel de l’esprit musulman » et

appelait à un « réveil de la conscience islamique »126. Ce mouvement de la réforme salafiste

comptait plusieurs membres notables, entre autres Mohammed Abduh, Rachid Rida et ‘Ali

Abderrazziq. Si Al-Afghani préconisait une approche plus radicale quant à l’opposition

exercée à l’encontre du pouvoir, son disciple Abduh privilégiait une attitude de coopération

avec les élites détenant le pouvoir dans l’optique de modifier à l’interne les institutions

étatiques127. Abduh est considéré par certains comme le père du salafisme, car il aurait été le

premier à se qualifier de salafiste128. Il définissait d’ailleurs ce courant comme une idéologie

« to liberate thought from de shackles of taqlid, and understand religion as it was understood

by the elders of the community before dissension appeared; to return, in acquisition of

121 Henri LAOUST, Les schismes dans l’Islam : introduction à une étude de la religion musulmane, Paris,

Payot, 1965, p. 323. 122 Chems-Eddine HAFIZ, op. cit. p. 4. 123 Mohamed-Ali ADRAOUI, op. cit., p. 201. 124 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, London, Hurst & Company, 2004, p. 233. 125 Albert HOURANI, L’âge d’un monde arabe libéral, 2ème édition, Références, Clamecy, Atlande, 2016, 471p. 126 Ibid., p. 4. 127 Loc. cit. 128 Ibid., p. 3.

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religious knowledge, to its first sources, and to weigh them in the scales of human reason129».

Les prises de position de ces hommes de religion ont incarné leur volonté d’adopter un rôle

de loi. À l’instar de leurs prédécesseurs, ceux qui se revendiquent aujourd’hui du salafisme

désirent commenter et recommander des éléments concernant les lois régissant l’État, car

leurs connaissances du Coran et de la Sunna en feraient des experts du droit musulman, et

agissent dans la volonté de modeler leur société en fonction de leur vision du monde.

Un objectif pieux en réaction aux sociétés grugées par le capitalisme

S’immerger dans le monde salafiste est synonyme d’intégrer un mode de vie particulier. La

psyché sociale tend à dépeindre les salafistes comme des hommes barbus portant le qamîs,

vêtement long traditionnel masculin, des femmes portant le niqâb, voile intégral couvrant le

visage, refusant d’écouter la radio ou de regarder la télévision, voire même de jouer au

football. Il s’agit d’une représentation très caricaturale d’un courant religieux complexe et

multiforme qui ne se résume pas à quelques caractéristiques physiques. Agissant

conformément aux actions du Prophète, même dans les gestes les plus profanes du quotidien

tels que manger, s’habiller et dormir130, certains salafistes préfèrent se définir de manière

évasive :

For Salaffiyyah is neither a group and [sic] nor an exclusive party. Rather it

is the following of what the Prophet and his companions were upon in aqidah

(creed), manhaj (methodology) and ibaadah (worship)… distinguished from

the various Islamic factions due to their ascription to what guarantees for them

the correct and true Islam, which is adherence to what the Messenger and his

Companions were upon, as occurs in the authentic Hadiths.131

Cette désignation plutôt large rejoint la pensée de Roy qui estime que le recours au terme

salafisme renvoie, pour certains dans la littérature, à un groupe précis d’individus, alors que

les salafistes ne représentent pas un groupe particulier en tant que tel, mais fait plutôt

129 Ibid., p. 12. 130 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit., p. 16. 131 Adis DUDERIJA, « Constructing the religious Self and the Other : neo-traditional Salafi Manhaj », Islam

and Christian-Muslim Relations, 21 (1), 2010, p. 76.

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référence à un mouvement132. Roy se distancie de ce précipice sémantique et préfère

employer le terme de néo-fondamentalisme. Il s’agit d’un courant, d’un état d’esprit et de

l’importance de la relation dogmatique avec les principes fondamentaux de l’islam133.

Le salafisme, c’est également embrasser une vision totalitaire et manichéenne du monde.

Totalitaire ou choumouliya al-islâm qui signifie l’intégralité de l’islam134, car les objectifs

d’un tel courant concernent la mise en pratique des enseignements islamiques dans

l’ensemble des facettes de la vie des musulmans, que cela relève du domaine privé ou public.

Les salafistes désirent mettre en œuvre la volonté de Dieu, ce qui passerait par la création

d’un État islamique régulé par la loi islamique, la charî’a. Manichéenne, car ils ne distinguent

que le bien du mal et que rien ne semble pouvoir s’immiscer entre les deux.

La montée en popularité du salafisme s’expliquerait en partie selon Amghar par une

valorisation d’un âge d’or imaginaire de la civilisation islamique qui repose sur les mythes

fondateurs du salafisme135. L’imaginaire salafiste décrit l’époque des salâf al-salîh comme

l’apogée de l’islam dans laquelle prennent place les innombrables conquêtes musulmanes et

l’expansion fulgurante de la civilisation islamique. Cette construction idéaliste occulte

cependant l’instabilité politique suivant le décès du Prophète et les guerres intestines

entourant sa succession politique136. Les salafistes, en tant qu’idéologie réactionnaire aux

sociétés contemporaines137, comparent cette époque à la présente période où les musulmans

se sentent lésés, humiliés par l’Occident et ce, en raison de facteurs externes et internes. Les

facteurs externes expriment l’humiliation subie par les populations arabes et musulmanes

depuis la colonisation, en passant par l’établissement de l’État d’Israël sur les terres

palestiniennes et les luttes subséquentes aux guerres du Golfe depuis les années 1990.

Internes parce que le salafisme représente un pied de nez à un mode de vie structuré autour

du capitalisme et du consumérisme, modèles promus par des autorités en place qui n’ont

132 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit. 133 Ibid., p. 234. 134 Mohamed-Ali Adraoui, op. cit., p. 200. 135 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit. 136 Henri LAOUST, op. cit., pp. 1-23. 137 Mark SEDGWICK, « Introduction : Salafism, the Social, and the Global Resurgence of Religion »,

Comparative Islamic Studies, 8 (1-2), 2014, p. 63.

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connu que d’incessants échecs, alors qu’il s’agit de modèles importés de l’Occident138. Les

dirigeants sont considérés comme des marionnettes occidentales, motivés par leurs propres

intérêts, alors que leurs populations sont négligées et volées par ces individus supposés agir

en faveur de l’intérêt public. Le libéralisme et l’introduction et l’expansion des droits

individuels sont perçus comme des menaces à l’ordre divin.

Nécessité est de « réintroduire le référent religieux comme source d’identité socio-

culturelle139 » et de rétablir une justice et une équité, une conception alternative de solidarité

sociale140. Cet intérêt marqué par les adhérents au salafisme s’explique également dans la

lignée du débat sur le post-islamisme qui se fonde sur les travaux de Bayat et de Roy 141,

estimant que l’islam politique comme « projet idéologique cohérent et absolu » a échoué, ou

du moins s’est transformé en mouvement réformiste prompt aux compromis et à la

realpolitik142. Le salafisme se présenterait comme un second souffle au projet islamiste

révolutionnaire.

L’islam représente donc l’unique façon de revivre cet « âge d’or », un islam épuré

d’innovations qui minent sa grandeur143 et qui servent les intérêts de dirigeants considérés à

la solde des Occidentaux144. Si le slogan « l’islam est la solution » demeure un discours

partagé par différents islamistes, il est au cœur de l’agenda salafiste. Bien que les islamistes

entretiennent des griefs similaires contre les gouvernements, leur version privilégiée de

l’islam et la façon de la répandre sont caractérisés par le compromis. Les discours des

salafistes se différencient de ceux des discours des islamistes, plus spécifiquement ceux des

Frères musulmans, notamment parce que ces derniers reposent sur la raison humaine, ce que

138 Dominique THOMAS, « Le rôle d’Internet dans la diffusion de la doctrine salafiste » dans Qu’est-ce que le

salafisme ?, Bernard ROUGIER (sous la direction de), Paris, Presses universitaires de France, 2008, p. 88. 139 Mohamed-Ali ADRAOUI, op. cit., p. 199. 140 Mark SEDGWICK, op. cit., p. 64. 141 Voir notamment Assef BAYAT, Life as Politics : How Ordinary People Change the Middle East, Stanford,

Stanford University Press, 2010, 304p. et Olivier ROY, L’échec de l’islam politique, Paris, Seuil, 1992, 251p. 142 Francesco CAVATORTA et Stefano M. TORELLI, « From Victim to Hangman? Al-Nahda Salafism and

the Tunisian Transition », à paraître. 143 Adis DUDERIJA, « Islamic Groups and Their World-views and Identities : Neo-Traditional Salafis and

Progressive Muslims », Arab Law Quarterly, 21 (4), 2007, p. 348 144 Loc. cit.

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les salafistes abhorrent145. Volpi et Ewan apportent une distinction éclairante entre les

islamistes qu’il appelle « statist islamists », et les salafistes qu’il qualifie de « non-statist

islamists ». Les premiers se caractériseraient par « leur accentuation de la proche relation

entre les structures nationales de gouvernance et les stratégies des activistes dans leur

contexte socio-culturel et socio-économique146 », alors que les seconds se distinguent par « la

primauté qui est accordée à leur relation à la communauté au lieu de l’État147 ». Pour

reformuler, les islamistes seraient plus enclins à utiliser les institutions étatiques pour

apporter des changements, alors que les salafistes miseraient sur les changements au sein de

la communauté musulmane.

Le salafisme, tel que mentionné en introduction, tire son nom des salaf al-sâlih. Les salafistes

sont persuadés que le message coranique a été corrompu de son essence, l’islam véritable

étant en danger148 par des bidâ’149, des hérésies fabriquées par les hommes pour servir leurs

propres intérêts, déviant ainsi les musulmans de l’esprit de la Révélation. Il s’agit d’une

véritable quête de l’authenticité, afin d’épurer l’islam de toutes superstitions et croyances

populaires150 typiques de l’islam traditionnel relevant de pratiques locales et coutumières et

des pratiques plus particulières aux chiites et aux soufis151. Pour éviter d’adopter des

comportements justifiés par une bid’a ou de reproduire un rite altéré par l’homme, les

salafistes ne se fient qu’aux pratiques exercées par les trois premières générations de

musulmans. La pratique épurée permet, de façon subsidiaire mais non moins importante, de

« transform the humiliated, the downtrodden, disgruntled young people, the discriminated

migrant, or the politically repressed into a chosen sect152 » et est nommée minhâj salafî.

145 Mohamed-Ali ADRAOUI, op. cit., pp. 201-202. 146 Frédéric VOLPI et Ewan STEIN, « Islamism and the State after the Arab Uprisings : Between People Power

and State Power », Democratization, 22 (2), 2015, pp. 277. 147 Loc. cit. 148 Guido STEINBERG, « Jihadi-Salafism and the Shi‘is : Remarks about the Intellectual Roots of anti-

Shi‘ism » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York, Oxford

University Press, 2013, p. 108. 149 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit., p. 243. 150 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit., p. 13. 151 Martijn DE KONING, op. cit., p. 157. 152 Roel MEIJIER, « Introduction », op. cit., p. 13.

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Le minhâj salafî, une méthode stricte et littéraliste

Cette recherche de l’authenticité (asâla) ne serait seulement possible que grâce à un strict

minhâj, une méthodologie pour exposer les règles islamiques, le minhâj salafî153. C’est

précisément les principes de l’aqîda et la forme du minhâj qui permet de distinguer le

salafisme des autres tendances islamiques154. Ce minhâj repose sur les deux sources

principales du hanbalisme : le Coran et la Sunna. À ce titre, les salafistes se basent

uniquement sur les ahâdîth qui ont été soigneusement évalués et filtrés, car il a été reconnu

que certains d’entre eux auraient été forgés afin de fournir des avantages temporels à des

particuliers155. Ainsi est vérifiée la musnad, la chaîne des transmetteurs, qui est composée de

l’isnad, les noms des gens impliqués, et du matn, le contenu du hâdîth156. Ne sont conservés

que les ahâdîth sahîha, ceux avérés157, plus précisément ceux consignés par Al-Bukhari et

Al-Muslim158.

Une interprétation littérale est nécessaire pour ne pas interférer avec la Révélation.

Conséquemment, les salafiste se méfient de la production juridique des écoles autres que

celle hanbalite, car elles s’appuient sur des sources « humaines » telles que le qîyâs, le

raisonnement analogique, et l’’ijmâ’, le consensus, leurs raisonnements juridiques risquant

d’être altérés. Ainsi, le salafisme tente de saper toute once de « légitimité à l’ensemble des

doctrines, des écoles ou encore de mouvements [qui n’adhèrent pas au salafisme et qui

cherchent] à affirmer une identité ou méthodologie propre159 ». Selon les salafistes, rien dans

le Coran ni dans la Sunna ne préconise qu’un musulman doive suivre un madhâb. Au

contraire, ils estiment qu’il est erroné d’imiter (taqlîd) les pratiques de telles écoles et qu’il

faut plutôt se fier uniquement au Coran et à la Sunna160.

153 Laurent BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., p. 44. 154 Bernard HAYKEL, op. cit., p. 35. 155 Albert HOURANI, op. cit., p. 11. 156 Adis DUDERIJA, Constructing a Religiously Ideal « Believer » and « Woman » in Islam : Neo-Traditional

Salafi and Progressive Muslims’ Methods of Interpretation, New York, Palgrave Macmillan, 2011, pp. 34-35. 157 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit., p. 244. 158 Laurent BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., p. 45. 159 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit., p. 13. 160 Ibid., pp. 13-14.

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Pour reformuler, le salafisme se veut être une interprétation normative, statique et universelle,

décontextualisée, qui doit être adhérée de manière littérale et imitée sans remise en

question161. Tout individu qui se qualifie comme musulman doit suivre le minhâj salafî à la

lettre. Ils renforcent leur légitimité en se clamant être al-firqa al-najiyya162, le groupe qui se

retrouvera au janna, le Paradis, lors du jugement dernier. Cette idée vient de la croyance que

les musulmans seront divisés en 73 sectes et que seule l’une d’entre elles agira conformément

aux enseignements du Prophète. C’est d’ailleurs pourquoi les salafistes tiennent tant à se

réclamer de l’héritage direct des ahl al-hadîth163.

Selon Duderija, le minhâj salafî se définirait suivant trois caractéristiques. Premièrement, les

salafistes ont recours à un amalgame d’âyât, les versets coraniques, et de ahâdîth sans établir

de cadre cohérent lorsqu’ils émettent une fatwa. Deuxièmement, ils ne fournissent aucune

interprétation en lien avec cette fatwa, toujours dans le but d’éviter d’interférer avec la

Révélation. Troisièmement, ils affirment que leur travail s’appuie sur des spécialistes qui

sont demeurés fidèles au ahl al-hadîth et au minhâj hanbalî. Afin de souligner la légitimité

du fruit de leur labeur, ils ne tiennent aucunement compte des apports des spécialistes d’autres

madhâhib même si leurs travaux sont reconnus à travers le monde islamique164.

Le salafisme ne représente en aucun cas un mouvement uniforme ou homogène, bien au

contraire. La pensée salafiste ne forme pas un bloc monolithique et est tout aussi caractérisé,

à l’instar des madhâhib, de divergences entre les théologiens. Comme le dit Amghar, il s’agit

d’une « mouvance complexe et évolutive [qui] couvre un large spectre de positionnements

idéologiques165 ». Cependant, le mouvement salafiste s’entend sur l’importance de trois

concepts.

161 Adis DUDERIJA, « Constructing the religious Self and the Other : neo-traditional Salafi Manhaj », op. cit.,

p. 76. 162 Mohamed-Ali ADRAOUI, op. cit., pp. 62-63. 163 Adis DUDERIJA, « Constructing the religious Self and the Other : neo-traditional Salafi Manhaj », op. cit.,

p. 76. 164 Adis DUDERIJA, Constructing a Religiously Ideal « Believer » and « Woman » in Islam : Neo-Traditional

Salafi and Progressive Muslims’ Methods of Interpretation, op. cit., p. 51. 165 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit., p. 12.

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Des concepts-clés au cœur du salafisme

La littérature sur le salafisme met l’accent sur trois concepts-clés qui paraissent vitaux dans

la mesure où ils guident leurs actions et ils expliquent parfois leur absence d’intégration

sociale au sein des sociétés auxquelles ils appartiennent.

Premièrement, selon Wagemakers, le mouvement salafiste s’est approprié et a fait évoluer le

concept de al-walâ wal-barâ, qui signifie loyal et désaveu166. Wagemakers le définit comme

suit : « undivided loyalty (walâ’) Muslims should show to God, Islam and their coreligionists

over all other things on the one hand and the disavowal (barâ) they must show to anything

deemed un-Islamic on the other167 ». Ainsi, ils se retrouveraient face à l’interdiction de

côtoyer et de se lier d’amitié avec des individus ne partageant pas leur foi, voire même

d’interagir avec eux168, ce qui pose indubitablement le problème par exemple dans les

sociétés où les musulmans sont minoritaires. Bien souvent, cette interdiction est interprétée

à un niveau supérieur, c’est-à-dire que plusieurs d’entre eux affirment qu’ils ne peuvent

fréquenter des musulmans qui n’adhèrent pas au minhâj salafî, puisqu’ils versent dans une

interprétation religieuse erronée, la seule valable étant le salafisme.

Deuxièmement, le concept de al-amr bil-ma’rûf wa al-nahî ‘an al-munkar169 sous-tend

l’action salafiste. Il s’agit en fait de promouvoir la vertu et de prévenir le vice. Il se lie au

concept d’al-walâ’ wal-barâ, car il lui donne une forme concrète. Est promu ce qui est

islamique et est diabolisé ce qui n’est pas islamique. En tant qu’agent religieux maîtrisant la

seule interprétation correcte des textes religieux, le salafiste est investi de la mission de

répandre cette version approuvée de l’islam à travers les comportements à privilégier et à

honnir. Alors que le premier vise à réguler le comportement de l’acteur salafiste, le second a

plutôt pour objectif d’encadrer celui de ses pairs. Cela peut se faire par la da’wa, la

166 Joas WAGEMAKERS, « The Transformation of a Radical Concept : al-wala wa-l-bara’ in the Ideology of

Abu Muhammad al-Maqdisi », op. cit. 167 Ibid., p. 3. 168 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 169 Laurent BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., p. 53.

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prédication religieuse, comme le font les salafistes scientifiques, mais aussi par la hisba, une

police religieuse. Meijer a d’ailleurs analysé ce concept à travers l’action d’al-jama’a al-

islamiyya dans l’un de ses articles170.

Troisièmement, le concept de takfîr (excommunication) permet d’excommunier un

musulman de l’islam pour des actes de haute gravité tels que l’associationnisme (shirk)171.

La notion employée aujourd’hui plus particulièrement par les jihadistes, a été développée par

Sayyid Qutb et Abou Mohammed Al-Maqdisi. Il faut comprendre que l’acte de takfirisme

est grave et est souvent, pour ne pas dire exclusivement, employé à des fins politiques et

religieuses. Il permet de décréter, en prenant en considération ce qui a été mentionné

antérieurement, l’allié islamique et l’ennemi auquel il est nécessaire de s’éloigner. Le recours

au takfîr diffère selon la catégorisation des salafistes. En effet, certains exigeront des

conditions d’application plus souples, comme certains jihadistes à l’égard de ceux qui

n’adhèrent pas à leur doctrine172, alors que d’autres, tels les salafistes scientifiques,

préfèreront des conditions d’application plus strictes, au regard des conséquences que l’usage

entraîne.

Ces concepts soulignent bien la vision manichéenne du courant salafiste entre ce qui est et

ce qui n’est pas islamique. Ce courant prône conséquemment une homogénéité religieuse et

interprétative qui n’empêche nullement une division doctrinaire profonde et bien réelle parmi

les salafistes concernant notamment leur rôle en tant qu’acteurs sociaux au sein de la société

et du champ politique institutionnel.

Une catégorisation traditionnelle des salafistes

170 Roel MEIJER, « Commanding Right and Forbidding Wrong as a Principle of Social Action : The Case of

the Egyptian al-Jama’a al-Islamiya » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious

Movement, New York, Oxford University Press, 2013, pp. 189‑220. 171 Quintan WIKTOROWICZ, « Anatomy of the Salafi Movement », Studies in Conflict & Terrorism, 29 (3),

2006, p, 228. 172 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit., p. 270.

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Bien que l’ensemble des salafistes partagent un credo essentiellement commun, la littérature

sur le salafisme173 classe généralement le mouvement salafiste en trois catégories au regard

du mode d’action privilégié sur la place publique174 et selon leur positionnement à l’encontre

des politiques175. Cette nomenclature176 va comme suit : le salafiste scientifique, politique ou

jihadiste. À vrai dire, cette classification suscite de plus en plus de contestation parmi les

chercheurs177 principalement du fait que cette typologie représente des archétypes, des

idéaux-types, qui ne semblent plus correspondre adéquatement à la réalité actionnelle et

institutionnelle des groupes salafistes. Il semble davantage pertinent de comprendre et

d’imager les différentes catégories suivant un continuum d’actions non exclusives.

D’ailleurs, les personnes catégorisées selon ces types ne forment pas un mouvement

homogène. Cependant, pour des fins analytiques au présent mémoire et au regard des

informations collectées sur le terrain, cette classification demeure intéressante.

Le salafisme scientifique : une salafisation sociétale

Les salafistes scientifiques, parfois nommés piétistes ou quiétistes, se tiennent à l’écart des

politiques et à l’obéissance des dirigeants en place178. Leur position tient de l’idée selon

laquelle les acteurs de la société musulmane demeurent sous le joug de leurs propres intérêts

humains, ne pouvant donc agir pour favoriser le bien-être général de la communauté et les

objectifs de l’islam. La recherche de gains matériels alimente la fitna, la division entre les

musulmans, et rend caduque l’utilité du recours à la violence et aux politiques179. Il est

nécessaire de purifier les états d’âme avant de se lancer dans l’arène politique. Se

173 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit. et Laurent

BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit. 174 Adis DUDERIJA, « Constructing the religious Self and the Other : neo-traditional Salafi Manhaj », op. cit.,

p. 88. 175 Martijn DE KONING, op. cit., p. 160. 176 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit. 177 Zoltan PALL, Lebanese Salafis between the Gulf and Europe, Amsterdam, Amsterdam University Press,

2013, 116p. et Joas WAGEMAKERS, « Revisiting Wiktorowicz : Categorising and Defining the Branches of

Salafism » dans Francesco CAVATORTA et Fabio MERONE (éditeurs), Salafism after the Arab Awakening.

Contending with People’s Power, London, Hurst & Company, 2016, pp. 7‑24. 178 Bernard ROUGIER, « Introduction », op. cit., p. 15. 179 BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., p. 46.

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positionnant tels les défenseurs de la religion180, les salafistes scientifiques préfèrent se

concentrer principalement sur trois actions sociales et religieuses: la da’wa, la prédication

qui sert à véhiculer les principes de l’islam, la tazkiyya, la purification pour retirer de la

pratique toute innovation religieuse, et la tarbiyya, l’éducation religieuse181. Ils refusent

généralement le recours au takfîr, ou du moins prônent de strictes balises, préférant une

stigmatisation plus subtile182. De plus, les salafistes scientifiques préconisent l’obéissance

aux dirigeants qui démontrent leur foi musulmane, le walî al-amr, par crainte de créer de la

fitna au sein de la communauté et dénoncent la partisannerie, la hizbiyya, suscitée par la

fondation de partis politiques183. Refuser la hizbiyya équivaut à une renonciation à la

participation dans la vie politique184 bien qu’elle équivaille en soi à une prise de position

politique. C’est pourquoi ils critiquent généralement l’action des Frères musulmans et des

partis islamistes qui y sont liés comme Ennahda185. Ne s’impliquant pas sur la place publique

par une prise de position politique ou critique, ils peuvent néanmoins émettre des

recommandations, permises grâce à la da’wa, à l’égard des dirigeants lorsque ces derniers le

demandent186. En agissant de la sorte, la stratégie des salafistes scientifiques vise une

‘’islamisation’’ de la société par le bas (bottom-up). Cela a pour conséquence une absence

d’implication directe dans le cadre démocratique, bien que leurs actions entraînent forcément

des impacts sociaux.

Le salafisme politique : une salafisation institutionnelle

Au contraire, les salafistes politiques investissent l’arène politique. Le credo religieux et les

objectifs poursuivis par l’islam sont identiques à ceux des salafistes scientifiques, mais la

stratégie adoptée par ces derniers ne semblent pas produire les effets escomptés et ne

paraissent avoir eu très peu d’impact sur la société. Leurs conseils sont plus ou moins écoutés

180 Bernard ROUGIER, « Introduction », op. cit., p. 15. 181 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit., p. 217. 182 BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., p. 47. 183 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit., p. 245. 184 Noorhaidi HASAN, op. cit., p. 171. 185 Ibid., p. 172. 186 BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., pp. 52-53.

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par les dirigeants qui, bien qu’ils se qualifient comme musulmans, demeurent corrompus et

assujettis à leurs intérêts personnels. Ces élites ne permettent pas l’implantation des valeurs

islamiques au sein de la société, alors que l’islam la rendrait plus juste et équitable. De

surcroît, d’autres partis qui se réclament de l’islamisme promeuvent des idéologies qui

paraissent, aux yeux des salafistes, s’égarer de la véritable voie islamique. Conséquemment,

l’implication en politique semble nécessaire et justifiée, dans l’optique de contrer le

libéralisme, de s’assurer que la charî’a régule bel et bien la vie publique et privée187, de

rétablir la véritable interprétation des corpus religieux et de sauver l’héritage islamique. Les

salafistes politiques peuvent alors intégrer les syndicats et les différentes associations

professionnelles ou étudiantes, voire en instituer, et même constituer des partis politiques. Ils

acceptent les règles procédurales du jeu démocratique sans pour autant en accepter la saveur

libérale en termes de droits et libertés qui demeurent restreints selon les principes véhiculés

par l’islam. Ils estiment ainsi que la meilleure stratégie à adopter est celle du top-down, une

‘’islamisation’’ des institutions pour parvenir à celle de la société.

Le salafisme jihadiste : une salafisation révolutionnaire

Quant aux salafistes jihadistes, ils sont persuadés de lutter pour une « noble cause », la justice

et un état islamique, et rejettent tout moyen passif ou politique pour arriver à leurs fins188. Ils

estiment que les stratégies employées à la fois par les salafistes scientifiques et politiques se

sont avérées infructueuses et n’ont pas eu l’impact désiré sur les dirigeants et les sociétés.

Les jihadistes reprochent aux premiers d’agir comme agents de légitimation du pouvoir des

dirigeants infidèles par la promotion du principe de walî al-amr189. Les seconds sont empêtrés

dans un système inefficace et se retrouvent bien souvent derrière les barreaux à cause de leur

engagement politique et de leurs critiques virulentes à l’égard du régime190. Les salafistes

jihadistes viennent donc à la conclusion que l’unique façon d’établir le règne de l’islam passe

187 Martijn DE KONING, op. cit., p. 161. 188 Samir AMGHAR, « La France face au terrorisme islamique : une typologie du salafisme jihadiste » dans

Qu’est-ce que le salafisme ?, Bernard ROUGIER (sous la direction de), Paris, Presses universitaires de France,

2008, pp. 245-247. 189 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit., pp. 225-227. 190 Ibid., p. 226.

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par la lutte armée, le jihâd fî sabillilâh. Les salafistes jihadistes rejettent ainsi toute forme de

participation politique, notamment dans un contexte démocratique qu’ils estiment importé

d’Occident et qui ne revêt pas de valeur légitime au regard de l’islam.

Conclusion

Il est important de retenir que l’intérêt récent à l’égard du salafisme a d’abord été motivé par

des considérations politiques. Cela a eu pour conséquence que les recherches se sont

concentrées de manière plutôt démesurée sur les groupuscules salafistes jihadistes employant

le jihâd comme matrice à l’action terroriste. Cette prémisse a cependant laissé place à un

intérêt accru des chercheurs à observer et à étudier d’autres acteurs salafistes qui recourent à

une dialectique similaire, mais qui emploient des méthodes pacifiques. C’est cela qui a

réellement marqué le début de la recherche scientifique sur le mouvement global salafiste.

Ces études se sont cependant concentrées principalement sur les groupes évoluant dans la

péninsule arabique, bien que des recherches éparses aient été menées en Europe, en Afrique

et en Asie. Elles ont permis de développer un corpus solide traitant des éléments

définitionnels qui caractérisent le mouvement salafiste contemporain, dérivant de la branche

sunnite, bien qu’il faille toujours souligner l’absence de consensus quant à l’exacte origine

du salafisme.

Si trois événements-clés ponctuent le développement historique de la pensée salafiste, soit la

fondation de l’école hanbalite, la poursuite du travail d’Ibn Hanbal par Ibn Taymiyya et

l’alliance politico-religieuse d’Abdelwahhab et de la famille Sa’ud, la trajectoire du salafisme

dans le courant revivaliste d’Al-Afghani ne rallie pas l’ensemble des chercheurs. L’objectif

des salafistes, qui ne se représentent pas tel un groupe mais plutôt telle une tendance, fait par

contre l’unanimité dans la littérature dans la mesure où ils veulent ressusciter la perfection

de la société islamique à l’époque du Prophète. Exaltant cet âge d’or, ils se réclament d’une

stricte pratique orthodoxe, le minhâj salafî, qui permettrait d’éviter toute innovation.

S’inscrivant dans la méthode de l’école hanbalite, ils privilégient une interprétation

littéraliste des sources coraniques limitées au Coran et à la Sunna et délégitiment toute autre

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école de pensée islamique. C’est ainsi qu’ils se conçoivent comme la secte élue parmi les

musulmans.

Trois concepts se retrouvent au cœur de la pratique salafiste et dictent la conduite qu’ils

adoptent dans leurs interactions quotidiennes. La notion d’al-walâ wal-barâ est interprétée

comme la dévotion pour toute chose islamique et la détestation pour toute chose qui ne l’est

pas. Le concept d’al-amr bil-ma’rûf wa al-nahî ‘an al-munkar leur commande de

promouvoir les comportements islamiques dans la société et de désapprouver ceux qui ne le

sont pas. Enfin, le takfîr permet d’excommunier un musulman qui commettrait une faute

grave, niant ses devoirs islamiques.

Finalement, les chercheurs ont développé une catégorisation qui décline les salafistes en trois

sections selon leur mode d’action publique et leur positionnement à l’égard des politiques.

Les salafistes scientifiques recourent à des actions de prédication religieuse tout en

s’abstenant de critiquer les dirigeants politiques. Les salafistes politiques s’engagent de

manière pacifique sur la scène politique et n’hésitent pas à critiquer ouvertement les

dirigeants. Les salafistes jihadistes emploient la force pour renverser les dirigeants qu’ils

critiquent. Les éléments définitionnels du salafisme enfin posés, il convient maintenant de se

pencher sur les caractéristiques spécifiques du mouvement salafiste tunisien

postrévolutionnaire.

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CHAPITRE 3 - LE PAYSAGE SALAFISTE TUNISIEN À L’ÈRE

POSTRÉVOLUTIONAIRE

L’actuel chapitre a pour objectif de détailler le paysage salafiste tunisien à l’ère

postrévolutionnaire. Il s’articule autour de deux principaux axes : l’hétérogénéité du

mouvement salafiste tunisien à la recherche d’un rôle dans le processus transitionnel tunisien

et les discours tenus par les groupes salafistes tunisiens.

Le premier axe souligne la présence des adhérents au courant salafiste avant les débuts de la

révolution du jasmin. Soumis à un régime répressif, c’est précisément la chute de ce régime

qui leur a permis d’occuper la scène publique avec la libération de plusieurs prisonniers et le

retour d’exil de personnes de tendance salafiste. Il est également traité des choix

organisationnels des salafistes qui se sont formés en plusieurs organisations qui indiquent le

caractère multiforme du mouvement. Leurs formations se sont avérées hétéroclites et ont

démontré une hiérarchie plutôt éclatée, misant sur des structures horizontales. Elles ont fait

preuve de divergence idéologique sur le plan de la reconnaissance juridique et ont employé

le label « salafiste » comme un moyen de légitimation. Les organisations salafistes ont adopté

des programmes très généraux et n’ont pas obtenu une réelle représentation politique, misant

plutôt sur une présence soutenue dans les mosquées.

Quant au second axe, il s’avère que peu importe l’organisation à laquelle ils appartenaient,

ils partageaient des objectifs communs, soit l’établissement d’un État et d’une société

islamiques. Cela passait par une redéfinition de l’identité tunisienne en imposant la charî’a

dans la nouvelle constitution tunisienne. Les organisations salafistes ont donc agi pour rallier

une clientèle sociale et politique ultraconservatrice. Dans leur volonté de participer

activement à la transition tunisienne, le mouvement a opté pour deux stratégies

complémentaires visant la salafisation, l’une se concentrant sur l’État et ses institutions,

l’autre sur la société. Néanmoins, leurs stratégies et leurs discours se différenciaient par

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rapport à d’autres mouvements en raison du recours à la violence, de l’emploi de la da’wa et

de l’implication politique.

Les organisations salafistes en Tunisie : un mouvement multiforme en

quête d’un rôle dans le processus transitionnel tunisien

L’amnistie générale du 19 février 2011 : l’essor publique d’un courant orthodoxe191

Le salafisme s’est propagé en Tunisie au courant des trente dernières décennies grâce au

vacuum créé par Bourguiba et Ben Ali. Bourguiba a débuté un processus de laïcisation en

marge de la modernisation des institutions qui a froissé les traditions et les croyances de la

société tunisienne. Il estimait que la religion, telle que pratiquée à l’époque, exerçait sur le

pays des contraintes le maintenant au stade de sous-développement192. Il a notamment

supprimé les habous qui généraient les revenus autonomes des établissements religieux193, a

unifié le système d’éducation et de justice194 et a retiré la fonction d’université de la

prestigieuse mosquée Zeitouna195. Quant à Ben Ali, il a poursuivi ces mesures tout en

cooptant les symboles religieux, afin de se présenter comme un défenseur de l’islam pour

contrer la montée de la ferveur religieuse196. Selon un ancien député d’Ennahda, il faut

également attribuer la faute à l’emprisonnement de nahdaouis :

Avant les années 80 à 2000, l’islam modéré était représenté par Mourou,

Ghannouchi, Ellouze et les cheikhs de la Zitouna, non pas les salafistes. C’était

le MTI. On avait une génération bien cultivée et modérée. Il était impossible de

voir des salafistes ou d’introduire la pensée salafiste. […] Cependant, sous Ben

191 Voir en annexe III la liste des associations, groupes et individus salafistes tunisiens mentionnés dans ce

mémoire. 192 Marion BOULBY, « The Islamic challenge: Tunisia since independence », Third World Quarterly, 10 (2),

1988, p. 592. 193 Malika ZEGHAL, op. cit., p. 84. 194 Susan WALTZ, « Islamist appeal in Tunisia », Middle East Journal, 40 (4), 1986, p. 660. 195 « La mosquée Ezzitouna », Agence de mise en valeur du Patrimoine et de Promotion culturelle - Ministère

de la Culture - République tunisienne, [En ligne],

http://www.patrimoinedetunisie.com.tn/fr/monuments/ezzitouna.php (Page consultée le 13 janvier 2017). 196 Rikke HOSTRUP HAUGBØLLE, op. cit., p. 326.

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Ali, c’était un désert sur la scène religieuse parce que tout le monde, les religieux

(et les personnes nommées ci-haut) étaient en prison. Ils ne pouvaient influencer

les jeunes, on voyait les islamistes écrasés par le régime. Il n’y avait pas de

sources ni de culture religieuses, alors que les gens ont tendance à chercher à

connaître. Il y avait une vague, une ferveur religieuse. L’apparition du courant

salafiste remonte à ce moment-là.197

Ce vacuum a eu pour effet que les jeunes ont délaissé les mosquées contrôlées par l’État et

se sont plutôt tournés vers des sources alternatives de discours religieux influencées par la

doctrine salafiste et wahhabite. Des chaînes satellitaires saoudiennes telles qu’Iqraa, Al-

Khalijiyya, la Mecque parabolique, Ben Athaymin, et égyptiennes comme Al-Nass, Ar-

Rahma, Al-Hikma, ont diffusé plus précisément les enseignements salafistes198. Leur

auditoire est devenu plus conséquent avec l’expansion d’Internet qui a aussi contribué à

l’essor de la doctrine salafiste199. Prédication et informations sont disponibles en ligne,

ajoutées aux prêches vidéo qui sont conservés et diffusés à grande échelle200. Les subventions

accordées par l’Arabie saoudite ont permis l’achat de livres qui promouvaient ces doctrines

et qui étaient distribués à travers les mosquées et les kiosques de livres religieux en Tunisie,

la mise sur pied de programmes pour l’accomplissement du hâj201 et l’attribution de bourses

comprenant les frais d’études, de transport et de subsistance pour étudier à l’Université

islamique de Médine à des jeunes désireux d’occuper des fonctions d’imam en retournant au

pays d’origine.

Pendant cette période, si la prédication religieuse des salafistes scientifiques a été tolérée,

voire encouragée par le régime autoritaire, les salafistes jihadistes ont été au contraire

constamment réprimés. La présence salafiste n’est ainsi pas en soi une chose nouvelle dans

le paysage tunisien, bien que plusieurs préfèrent y voir un phénomène conséquent à la période

post-printemps arabe202. Au contraire, le printemps arabe a plutôt permis aux adhérents du

197 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 198 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 11. 199 Dominique THOMAS, op. cit. 200 Ibid., p. 89. 201 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit., p. 236. 202 Ridha BEN KACEM, « Le salafisme et la naissance d’Ansar al-Charia », Actualités Tunisie Focus, [En

ligne], 25 mars 2013, <http://www.tunisiefocus.com/politique/le-salafisme-et-la-naissance-dansar-al-charia-

41333/ (Page consultée le 29 mai 2017).

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salafisme de revendiquer leurs intérêts, d’occuper une place considérable dans la sphère

publique et médiatique et de diffuser leurs idées :

Après la révolution, c’était l’anarchie. Cela a favorisé la propagation de

l’idéologie salafiste : il y a eu la création de plusieurs associations, les salafistes

ont obtenu la mainmise sur les mosquées, ils donnaient des leçons et des

conférences… Il n’y avait personne pour les arrêter, aucune autorité. Ainsi, tout

le monde en a profité.203

Le départ de Ben Ali, la désorganisation des forces policières et du Ministère de l’Intérieur

et le lancement du processus transitionnel ont entraîné un plus grand respect des autorités

étatiques des droits et libertés civiles et politiques dont la liberté d’expression, d’association

et de religion qui a consacré le déverrouillage des sphères politique, sociale et religieuse. Le

plein exercice de ces droits a permis à l’ensemble des membres de la société civile de se

constituer en diverses associations et d’exprimer leurs revendications. Comme cela sera vu

dans les pages suivantes, les salafistes, en tant que membres de cette société civile tunisienne,

se sont retrouvés devant la possibilité de s’organiser en diverses associations, de diffuser

leurs discours et de mener leurs activités sans entraves dès 2011204.

L’idée d’une amnistie générale pour les prisonniers politiques et d’opinion a émergé assez

tôt au cours de la transition, comme en témoigne le projet de loi d’amnistie générale annoncé

le 20 janvier 2011205. Les salafistes jihadistes et certains salafistes politiques, transfuges

d’Ennahda, ont retrouvé leur liberté après cette amnistie générale finalement promulguée le

19 février 2011 aux côtés de prisonniers politiques et d’opinion206. Ils avaient été

emprisonnés sous la loi antiterroriste 2003-75 du 10 décembre 2003207 adoptée dans la foulée

de la lutte internationale contre le terrorisme et en accord avec la résolution 1373 de 2001 du

203 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 204 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », The Journal of

North African Studies, 20, 2015, pp. 1-14. 205 LE MONDE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Tunisie : le gouvernement adopte un projet de loi d’amnistie

générale », Le Monde, [En ligne], 20 janvier 2011, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/01/20/nouvelle-

manifestation-hostile-au-gouvernement-a-tunis_1468128_3212.html (Page consultée le 27 mai 2017). 206 OFPRA. Tunisie : Loi d’amnistie générale du 19 février 2011, Note d’information, 8 août 2014. 207 CHAMBRE DES DÉPUTÉS, Tunisie, Loi relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le

terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent, n° 2003-75, adoptée le 10 décembre 2003.

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Conseil de sécurité des Nations unies208. Malgré le libellé de cette loi, l’appareil coercitif

étatique l’a employée pour renforcer son système répressif, condamnant indistinctement des

individus à des peines d’emprisonnement pour divers motifs. Des personnes ont ainsi fait

face à des procès inéquitables et se sont retrouvées en prison pour la consultation d’un site

web à contenu jihadiste ou pour la tentative, réussie ou non, de rejoindre les rangs des

mujâhidîn d’Afghanistan ou d’Irak après l’invasion américaine de 2003209. D’autres ont été

arrêtés après l’affaire de Soliman et Grombalia de 2006 quand une cellule du Groupe salafiste

de prédication et de combat algérien avait réussi à infiltrer la Tunisie pour rejoindre des

jihadistes tunisiens préparant des attentats sur le sol tunisien. Après un mois de cavale et au

bout d’un combat contre les forces de sécurité, ils finissent par être arrêtés. Le procès de

l’affaire Soliman s’est conclu par deux condamnations à mort, huit condamnations à

perpétuité et vingt peines d’emprisonnement allant de cinq à trente ans de prison210.

Les séjours en prison se sont révélés bénéfiques pour le mouvement salafiste tunisien. Réunis

dans plusieurs prisons, les salafistes jihadistes et politiques ont pu y jeter respectivement les

bases de structures organisationnelles grâce à la constitution de réseaux informels qui

opèreront librement après l’amnistie de février 2011. Les salafistes se retrouvaient parfois

aux côtés de jeunes délinquants condamnés pour des crimes de droit commun et d’islamistes.

La proximité et l’absence d’activités leur ont permis de partager leurs idées et leur projet à

leurs codétenus et à travers les prisons211. Cette rencontre et cette mixité représentaient la

prise de contact entre des individus plus âgés au « lourd » passé jihadiste, des jeunes frustrés

par l’impossibilité d’élévation sociale et attirés par les discours véhiculés par les salafistes et

des islamistes212. L’une des personnes interrogées a d’ailleurs confirmé que les individus

salafistes entretenaient des discussions avec des jeunes et des islamistes lorsqu’ils n’étaient

208 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Résolution 1373, S/RES/1373 (2001), adoptée le 28

septembre 2001. 209 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 13. 210 Samy GHORBAL, « Comment les salafistes ont été neutralisés », Jeune Afrique, [En ligne], 7 janvier 2008,

http://www.jeuneafrique.com/128126/archives-thematique/comment-les-salafistes-ont-t-neutralis-s, (Page

consultée le 21 mai 2017). 211 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 5. 212 Ibid., p. 4.

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pas mis en isolement213. Cela tend à confirmer l’hypothèse selon laquelle les prisons

tunisiennes ont été des incubateurs pour la radicalisation d’individus et leur adhérence au

courant salafiste214.

C’est à cette période qu’est venue l’idée de créer des organisations formelles pour propager

les discours salafistes et pour contribuer à la salafisation de l’État et de la société tunisiennes.

Les embryons de l’organisation jihadiste et caritative d’AST et du parti salafiste Jabhat Al-

Islâh se sont formés dans les milieux carcéraux via ces réseaux informels. Mohamed Khouja,

chef du parti politique Jabhat Al-Islâh, a confirmé que la décision finale de créer un parti

politique s’est faite « avec les frères libérés de prison à la suite de l’amnistie générale215 ».

La libération de ces salafistes jihadistes et politiques et le contexte de libertés civiles et

politiques ont permis à ces individus de se reconnecter à la population tunisienne et d’adapter

leurs discours à ses griefs socio-économiques suscitant les soulèvements populaires du

printemps arabe, telles la lutte contre la corruption, le chômage et l’inflation. Des figures

médiatisées telles que le jihadiste Seif Allah Ben Hassine, alias Abu Iyadh, le futur chef

d’AST, ont compté parmi ces individus qui ont recouvert leur liberté216. Outre cette

libération, des salafistes scientifiques exilés de Tunisie sont revenus au bercail, à l’instar du

controversé imam Béchir Ben Hassen.

Dans ce contexte précis de liberté et de transition, les salafistes font face à un

dilemme : comment doivent-ils réagir pour influencer le processus de rédaction de la

nouvelle constitution tunisienne en faveur de leurs objectifs et intérêts ?

213 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 214 Imen LAJMI, Les trajectoires individuelles vers l’engagement radical : récits derrière les barreaux,

Mémoire de maîtrise – version préliminaire du mémoire non déposée, Université Laval, à paraître. 215 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23. 216 Élodie AUFFREY, « Abou Iyadh, la disgrâce du jihad », Libération, [En ligne] 5 août 2013,

http://www.liberation.fr/planete/2013/08/05/abou-iyadh-la-disgrace-du-jihad_923008 (Page consultée le 22

avril 2018).

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Des formations organisationnelles hétéroclites, une hiérarchie éclatée et des structures

horizontales

Le niveau organisationnel du mouvement salafiste tunisien varie grandement en fonction du

degré d’acceptation de la fondation de groupes formels, issu d’une divergence théologique

quant au ‘amel tanzimî (travail organisé). Cette différenciation entraîne l’absence d’un front

commun entre les protagonistes salafistes autant sur les plans politiques que sociaux et

religieux dans le contexte de la transition. Une personne interrogée qualifiait le salafisme

comme « un radicalisme ‘’normal’’ en période de crises [et qu’il s’agissait d’un] salafisme

social plutôt que politique. C’est une nébuleuse, car il n’y a pas de mouvement organisé217 ».

Il faut cependant rappeler que si les différentes tendances opéraient selon une logique

discursive et actionnelle différente et ont obtenu une asymétrie sur le plan des résultats de

leurs efforts de salafisation étatique et sociétale, le mouvement salafiste tunisien tendait tout

de même vers un objectif commun, la mise en place d’un État et d’une société islamique.

À cet égard, le mouvement salafiste tunisien, à l’instar du mouvement salafiste général, s’est

scindé en deux principales branches. D’abord, il y a ceux qui réfutent la mise sur pied

d’organisations formelles comme porte-étendards de leur cause. Selon eux, cette situation

risquerait d’engendrer de la hizbiyya, puisque les Tunisiens salafistes sont appelés à choisir

une organisation au détriment d’une autre, ce qui entraînerait de la fitna218. Les salafistes

scientifiques tiennent cette position. Étant donné leur appréhension d’une forme

organisationnelle, il n’existe pas à proprement parler d’organisation salafiste scientifique. Ils

agissent plutôt à titre individuel et indépendamment les uns des autres. Certaines figures sont

reconnues par leur engagement individualiste219 : Béchir Ben Hassen, Khamis Mejri, Hassan

Brik, Mohammed Ali Hurrath ou Farid Al-Béji. Malgré ce positionnement, deux salafistes

scientifiques, Adel Almi et Khatib Idrissi, ont créé deux associations salafistes scientifiques

qui ont pour mission d’émettre des recommandations aux dirigeants, de promouvoir les

217 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 218 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit., p. 218. 219 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 18.

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bonnes mœurs et d’éviter la radicalisation violente220, soit l’Association centriste pour la

sensibilisation et la réforme (Al-Jam’iyya al-Wâsîtiyya li-l-Taw’iyya wal-l-Islâh) et le

Conseil des sages (Majlis al-chouyoûkh).

Puis, il y a ceux qui acceptent la création de groupes afin de favoriser la défense et la

promotion de leurs intérêts, d’œuvrer pour des activités de bienfaisance ou de mener le jihâd.

De surcroît, cette séparation se sous-divise parmi ceux qui acceptent d’entrer dans le jeu de

la démocratie en investissant le champ politique221, et ceux qui le refusent et préfèrent soit

recourir à la force pour parvenir à leurs fins, soit mobiliser autrement la population autour de

leur projet révolutionnaire222.

Les premiers, les salafistes politiques, acceptent donc le processus électoral et les

mécanismes sous-jacents à la démocratie mis en branle après le départ de Ben Ali223, se

constituent en partis politiques accrédités auprès de l’ISIE et exercent une forme de lobbying

pour influencer le processus constitutionnel, sans toutefois souscrire à la teneur libérale de la

démocratie. À leurs yeux, les droits et libertés doivent être assujettis aux prescriptions de

l’islam. Cependant, la majorité des personnes interrogées estimait qu’« il n’y a[vait] pas de

distinction à opérer entre la sphère scientifique et politique224 ». Néanmoins, cette division

sera conservée pour la présente recherche. Les salafistes politiques tunisiens sont constitués

autour de quatre principaux partis : Jabhat al-Islâh, Al-Rahma, Al-Assâla et Hizb Al-Tahrir.

Les seconds, les salafistes jihadistes, considèrent la démocratie comme un mode de

gouvernance importé de l’Occident et qui n’est justifié par aucune référence islamique, voire

même contredit le message coranique en reconnaissant une forme de souveraineté au peuple.

Il s’agit dès lors d’un système illégitime et illicite de gouvernance au regard de leur

interprétation du corpus religieux. :

220 Ibid., p. 20. 221 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit., p. 221. 222 Ibid., p. 225. 223 Stefano M. TORELLI, « The Multi-Faced Dimensions of Tunisian Salafism » dans Francesco

CAVATORTA et Fabio MERONE (éditeurs), Salafism after the Arab Awakening. Contending with People’s

Power, London, Hurst & Company, 2016, p. 159. 224 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.

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La société arabo-musulmane ne respecte plus les dispositions divines et il y a lieu

d’obliger les gens, même par la force, de respecter ces dispositions. D’où

l’autorisation d’utiliser la force et un degré de force qui permet d’attenter à la vie

des personnes pour les obliger à respecter leurs points de vue.225

Plusieurs groupuscules jihadistes semblent avoir émergé après la fuite de Ben Ali et la chute

de l’appareil sécuritaire. Seul AST, qui estimait d’ailleurs qu’une organisation permettait de

mobiliser les forces jihadistes226, ne sera retenu dans la présente analyse étant donné

l’ampleur de ce groupe. Cependant, il ne représente nullement l’entièreté de la mouvance

jihadiste tunisienne, car certains jihadistes se sont plutôt regrouper en petits groupuscules

sans alliance réelle ni effective entre eux227.

Qu’ils soient formés en groupe ou en association, l’ensemble des structures de ces groupes

et associations salafistes présentait plutôt une hiérarchie éclatée et des structures horizontales.

Cependant, peu d’information circule sur certaines structures salafistes. Par exemple, les

partis Al-Assâla et Al-Rahma et l’association Majlis Al-Chouyoûkh n’ont que très peu

d’écrits à leur sujet, mis à part que cette dernière réunissait cinq chouyoûkh. Lorsque quelques

informations transparaissent, les différents groupes ou associations ne semblaient pas adopter

une structure très formelle ni hiérarchiquement pyramidale. Par exemple, l’Association

centriste pour la sensibilisation et la réforme, issue de la Commission pour la promotion de

la vertu et la prévention du vice228, a une structure plutôt floue qui comporterait trois

principaux comités : la première a trait à la charî’a, la deuxième à la science religieuse et la

troisième aux affaires juridiques229.

225 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 226 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 9. 227 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », Jadaliyya, [En

ligne], 2013, http://www.jadaliyya.com/pages/index/11166/salafism-in-tunisia_an-interview-with-a-member-

of- (Page consultée le 21 mai 2017). 228 Asma GHRIBI, « Tunisia Recognizes Controversial Islamist Organization », Tunisia Live, [En ligne], 21

février 2012, http://www.tunisia-live.net/2012/02/21/tunisia-recognizes-controversial-islamist-organization

(Page consultée le 29 mai 2017). 229 Anna MAHJAR-BARDUCCI, « Tunisia’s New Islamist Police », Gatestone Institute, [En ligne], 2012,

http://www.gatestoneinstitute.org/2899/tunisia-islamist-police (Page consultée le 29 mai 2017).

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Néanmoins, quelques données plus détaillées circulent sur trois organisations qui ont fait

l’objet d’une attention plus accrue par les médias et les chercheurs : Hizb Al-Tahrir, Jabhat

Al-Islâh et AST. Ces trois organisations paraissaient les mieux structurées peut-être parce

qu’elles s’inspiraient de structures déjà existantes. Hizb Al-Tahrir Tunisie s’inspirait d’un

concept de parti politique panislamiste développé par Taqiuddin Al-Nabhani aux alentours

de 1953, soit à Al-Quds (Jérusalem) ou à Amman230. Au fil des ans, le modèle s’est propagé

dans de nombreux pays, ayant même des racines locales dans des pays occidentaux tels que

l’Australie ou la Grande-Bretagne. Certaines ramifications locales font cependant face à des

interdictions d’opérer, l’Indonésie étant le dernier État à empêcher Hizb Al-Tahrir d’agir sur

son territoire231. Le volet national tunisien d’Hizb Al-Tahrir serait actif de manière non-

officielle depuis les années 80. Le parti est divisé en halaqât. Quant à Jabhat Al-Islâh, les

racines de son leadership remonteraient au Front islamique tunisien232, l’équivalent tunisien

du Front islamique du salut algérien. Bien que le FIT prônait à l’époque le recours à la force

armée pour atteindre ses objectifs à la fin des années 80233, certains considèrent Jabhat Al-

Islâh comme son héritier234. Par contre, AST n’aurait pas eu de modèle, bien que certains

médias aient souligné des liens avec Ansâr Al-Charî’a en Libye et au Yémen et même avec

Al-Qâ’ida. À ce titre, il faut se référer à l’article d’Allani qui a analysé plus amplement la

structure d’AST235.

Malgré le peu d’informations disponibles, il convient de souligner que les membres des

associations et partis politiques salafistes ont tendance à se rassembler autour d’un leader

doté d’un charisme indéniable qui revêt un rôle politique et religieux ou social et religieux.

Ce charisme, qui se traduit par exemple par une maîtrise de la rhétorique comme le chef du

230 Saad HASAN, « The lingering shadow of Hizb-ut-Tahrir », TRT World, [En ligne],

http://www.trtworld.com/magazine/the-lingering-shadow-of-hizb-ut-tahrir-10302 (Page consultée le 22

septembre 2017). 231 COURRIER INTERNATIONAL, « Indonésie. Bannissement du parti islamiste Hizb ut-Tahrir », Courrier

international, [En ligne], 21 juillet 2017, http://www.courrierinternational.com/article/indonesie-

bannissement-du-parti-islamiste-hizb-ut-tahrir (Page consultée le 22 septembre 2017). 232 Aaron Y. ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », Carnegie Endowment for International Peace, [En ligne],

2012, http://carnegieendowment.org/sada/?fa=48885 (Page consultée le 12 mai 2017). 233 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23. 234 TRAC, « Front Islamique Tunisien (FIT) », Terrorism Research & Analysis Consortium, [En ligne],

https://www.trackingterrorism.org/group/front-islamique-tunisien-fit (Page consultée le 28 mai 2017). 235 Alaya ALLANI, op. cit.

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parti Al-Assâla, Mouldi Ali Al-Moujahid, qui fait la démonstration de ses compétences

rhétoriques, de sa maîtrise du français et de son charisme dans une vidéo236, est vital pour

susciter l’adhésion de futurs membres, militants ou disciples. Ils attiraient des adhérents

différents selon le type d’aura qu’ils projetaient : une aura de quiétude pour les salafistes

scientifiques à la quête de réflexion religieuse, ou de fougue pour les salafistes jihadistes à la

recherche d’adrénaline.

Le leader, peu importe la catégorie attribuée à la mouvance, a parfois eu un passé trouble ou

a vécu des épisodes de violence qui peuvent à la fois renchérir sa notoriété auprès de ses

disciples, mais aussi le discréditer aux yeux des individus qui n’adhèrent pas au salafisme.

Par exemple, Saïd Jaziri, qui occupait la présidence du parti Al-Rahma, était connu pour ses

démêlés avec Citoyenneté et Immigration Canada après avoir caché son dossier criminel à

des agents de l’immigration pour obtenir le statut de réfugié politique237. Le fondateur d’AST,

Abu Iyadh, a accumulé des expériences militaires notamment en Afghanistan, au Pakistan,

en Irak et en Syrie au cours des années 90 et au début des années 2000238. Arrêté en 2003 en

Turquie, il a été extradé vers la Tunisie où il a été jugé par un tribunal militaire239, puis relâché

lors de l’amnistie générale en 2011. Béchir Ben Hassen, qui a occupé le poste d’imam durant

son exil en France, est revenu en Tunisie au lendemain de la fuite de Ben Ali en emmenant

ses enfants sans l’autorisation de leur mère, ce qui a entraîné une poursuite judiciaire jusqu’au

Maroc sous motif de kidnapping de ses enfants240. En Tunisie, il a occupé la fonction d’imam

à la mosquée de M’saken avant d’être limogé en 2015241. L’emphase mis sur ces individus

236 OUMMA.TV, Entretien avec le président du parti salafiste tunisien, Oumma.tv, 5 mars 2013. 237 Philippe TEISCEIRA-LESSARD, « L’imam Saïd Jaziri tire les ficelles de l’étranger », La Presse, [En

ligne], 3 février 2015, http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201502/02/01-4840753-limam-said-jaziri-

tire-les-ficelles-de-letranger.php (Page consultée le 28 mai 2017). 238 L. M., « Tunisie – Abou Iyadh : L’illustre inconnu », Tunisie Numérique, [En ligne], 18 septembre 2012,

https://www.tunisienumerique.com/abou-iyadh-lillustre-inconnu (Page consultée le 27 décembre 2017). 239 Nathaniel GREENBERG, « The Rise and Fall of Abu ‘Iyadh: Reported Death Leaves Questions

Unanswered », Jadaliyya, [En ligne], 2015, http://www.jadaliyya.com/pages/index/22176/the-rise-and-fall-of-

abu-‘iyadh_reported-death-lea Page (consultée le 21 mai 2017). 240 ADMINISTRATOR, « Béchir Ben Hassen, salafiste à Carthage », Mag14 Tunisie, [En ligne], 18 novembre

2012, http://www.mag14.com/encre-noire/47-encre-noire/1184-bechir-ben-hassen-salafiste-a-carthage.html,

(Page consultée le 8 novembre 2017). 241 R. B. H., « Le limogeage de l’imam Béchir Ben Hassen a été décidé par Noureddine Khadmi »,

Businessnews, [En ligne], 2 juillet 2015, http://www.businessnews.com.tn/le-limogeage-de-limam-beir-ben-

hassen-a-ete-decide-par-noureddine-khadmi,520,57152,3 (Page consultée le 29 mai 2017).

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et la généralisation de leur passé trouble expliquent pourquoi la société et les médias

attribuaient une variété de quolibets péjoratifs tels qu’écervelés, kamikazes, ayant des liens

avec Al-Qâ’ida, etc242.

Enfin, certains leaders ont partagé la route auprès d’islamistes nahdaouis comme Mohammed

Khouja, le fondateur de Jabhat Al-Islâh, ancien membre du Mouvement de la tendance

islamique243. Cette croisée des chemins souligne la porosité de la frontière entre les salafistes

et les nahdaouis et ce, autant pour leur auditoire que pour leurs détracteurs. Ces derniers

percevaient l’absence d’une claire frontière entre les salafistes et les nahdaouis comme une

preuve d’une connivence alarmante entre ces acteurs lors de la redéfinition des institutions

tunisiennes au regard du rapport d’autorité que détenait Ennahda et de la possible influence

des salafistes sur les choix opérés par le parti au pouvoir244.

Quant aux membres de ces groupes salafistes, il s’avère ardu d’en quantifier l’ampleur avec

exactitude. Leur nombre semble varier grandement selon ces mêmes organismes. Pour des

considérations dites internes, le parti Hizb Al-Tahrir n’a pas dévoilé de chiffres concernant

le nombre de militants faisant partie de l’organisation245, mais lui et le groupe d’AST

compteraient des milliers d’adhérents au regard de l’évaluation de leur assistance aux

différentes activités et manifestations organisées. Le passé et la position sociale de ces

membres paraissent légèrement se différencier. S’il relève du commun que les jeunes

désenchantés provenant de quartiers défavorisés, tels qu’Ettadhamen et Douar Hicher ou de

villages ruraux comme Gasserine ou Sidi Bouzid, constituent le noyau des « nouveaux

salafistes » grâce aux positions intransigeantes de ces derniers, Jabhat Al-Islâh et Hizb Al-

242 Ridha BEN KACEM, op. cit. 243 Le Mouvement de la tendance islamique était le nom initial du parti. Stefano M. TORELLI, Francesco

CAVATORTA et Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia : Challenges and Opportunities for

Democratization », Middle East Policy, 19 (4), [En ligne], http://mepc.org/salafism-tunisia-challenges-and-

opportunities-democratization (Page consultée le 27 décembre 2017). 244 Zied KRICHEN, op. cit. et voir en annexe IV Salah OUESLATI, « Rached Ghannouchi et le monstre de

Frankenstein « salafiste » », Businessnews, [En ligne], 21 septembre 2012,

http://www.businessnews.com.tn/Rached-Ghannouchi-et-le-monstre-de-Frankenstein-%C2%AB-salafiste-

%C2%BB,526,33560,3 (Page consultée le 21 janvier 2018). 245 « Hizb ut-tahrir : Le retour du Califat comme solution? », Leaders, [En ligne], 2012,

http://www.leaders.com.tn/article/9556-hizb-ut-tahrir-le-retour-du-califat-comme-solution (Page consultée le

28 mai 2017).

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Tahrir attireraient également des membres exerçant des professions libérales246. D’autres

seraient des anciens prisonniers, libérés grâce à l’amnistie de 2011, qui ont entretenu un

certain réseau de contacts. Ils gonfleraient les rangs des salafistes jihadistes, plus

particulièrement ceux d’AST247. Enfin, des membres et des sympathisants d’Ennahda déçus

par la trajectoire prise au fil des mois par le parti islamiste viendraient rejoindre les partis

politiques salafistes et plus précisément ceux de Jabhat Al-Islâh. Ce dernier compterait

également dans ses cercles proches des salafistes jihadistes et scientifiques parmi lesquels

Kamel Marzouki, Béchir Ben Hassen, Hassin Shaouat et Hatem Bou Soma248.

Ces membres semblaient être assez autonomes. Les organisations salafistes étaient

structurées horizontalement et misaient sur la décentralisation et l’autonomie des entités

locales. C’est pourquoi on retrouvait des bureaux ou des comités locaux et régionaux assez

autonomes qui répondaient aux préoccupations spécifiques de ces villes et gouvernorats249.

Ils privilégiaient une réponse adéquate et adaptée aux réalités du terrain, ce qui favoriserait

la stratégie de salafisation bottom-up. Cette autonomie et cette hiérarchie horizontale

expliquaient probablement pourquoi les leaders centraux ont parfois eu de la difficulté à

coordonner et à diriger les actions de leurs membres qui pouvaient participer à des séquences

de violence. Ce manque de contrôle, par l’absence de chaîne de commandement précise et

effective, entachait la réputation et la crédibilité de ces groupes aux yeux du public et

restreignaient également leurs possibilités de jouer un rôle de premier plan sur le processus

de rédaction de la constitution.

Tension idéologique sur le plan de la reconnaissance juridique

Bien que ces organisations ou associations créées par les salafistes aient une certaine

structure, elles ne revêtaient pas toutes une personnalité juridique dans le système légal

246 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The Fight for Identity beyond Political Islam », op.

cit. 247 Ibid. 248 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23. 249 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 6.

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tunisien, ce qui s’expliquait par l’opposition de certains éléments à ce même système. Faire

un dépôt de demande de reconnaissance juridique officielle et recevoir une lettre

d’accréditation signifiait une légitimation implicite de ce système critiqué de manière si

véhémente. À cet effet, il faut relever le clivage entre les salafistes scientifiques et politiques,

et ceux jihadistes.

Si les salafistes scientifiques tunisiens ont refusé de créer des organisations formelles, ils se

sont retrouvés néanmoins devant l’obligation de former des associations, bien souvent

orientées vers le fonctionnement des mosquées, afin de faciliter la gestion de leurs activités

qui se trouvent alors légalisées. La reconnaissance juridique leur permettait d’organiser une

pléthore d’activités afin d’amasser des fonds pour poursuivre leurs vocations sociale et

religieuse. C’est ainsi que les deux associations salafistes scientifiques, l’Association

centriste pour la sensibilisation et la réforme fondée par Adel Almi, et le Majlis al-

chouyoûkh, créé par Khatib Idrissi250, ont reçu une reconnaissance officielle. Pourtant, Idrissi,

considéré comme le guide intellectuel d’AST, avait vivement décrié la création de ce dernier,

estimant qu’il n’était pas pertinent de créer une telle organisation pour parvenir à salafiser la

société tunisienne251.

Un constat similaire se dresse concernant les salafistes politiques. Puisqu’ils acceptaient de

se constituer en partis politiques pour influencer directement le processus transitionnel, le

contenu de la nouvelle constitution et plus largement, les institutions tunisiennes, ils devaient

obtenir une accréditation qui légalise leur structure et leur permette d’exercer des activités

politiques à l’instar des autres partis politiques, étant soumis aux mêmes lois. Les partis Al-

Assâla et Jabhat Al-Islâh ont obtenu leur visa en mars 2012 et les partis Al-Rahma et Hizb

Al-Tahrir, en juillet 2012.

250 Aaron Y. ZELIN, « Who is Tunisia’s Salafi Cleric Shaykh al-Khatib al-Idrisi? », Al-Wasat, [En ligne], 2013,

https://thewasat.wordpress.com/2013/10/24/who-is-tunisias-salafi-cleric-shaykh-al-khatib-al-idrissi (Page

consultée le 4 juin 2017). 251 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., pp. 20-21.

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Ainsi, la reconnaissance officielle de ces partis politiques par l’État tunisien n’est survenue

qu’après les élections d’octobre 2011 et après avoir essuyé quelques refus. En effet, le décret-

loi #2011-87 du 24 septembre 2011 portant sur l’organisation des partis politiques interdisait

que les programmes politiques de tout parti politique tunisien ne s’appuient sur « l’incitation

à la violence, à la haine, à l’intolérance et à la discrimination fondée sur la religion252 ». Des

membres de la société civile dénonçaient la reconnaissance juridique de tels partis politiques

qui ne reconnaissent même pas la République tunisienne. Ils estimaient que l’accréditation

officielle des partis politiques salafistes n’a été rendue possible que grâce aux machinations

d’Ennahda, alors au pouvoir, puisque ces partis n’avaient rien changé à leurs fondements

reposant sur la religion253. Cela semble tout à fait plausible étant donné qu’Ennahda, comme

cela sera vu plus tard, a incité les salafistes à fonder des partis politiques.

AST a délibérément refusé toute reconnaissance juridique, bien que le groupe ait été créé lors

d’un congrès ayant eu lieu à La Soukra en avril 2011254. Cette position se base sur le fait que

ses leaders n’adhèrent pas au système de gouvernance tunisien et privilégient plutôt la prise

du pouvoir non pas par les élections, mais par la force ou par le soutien populaire au-delà des

institutions. Obtenir une quelconque accréditation dans le paysage juridique tunisien

renverrait à une contradiction manifeste entre leur discours sur leur refus de reconnaître le

système qu’ils combattent et l’institutionnalisation de leur organisation dans ce même

système.

Cette tension idéologique entourant la reconnaissance juridique expliquait peut-être

l’interaction difficile entre les courants au sein de la mouvance salafiste et avec des

organismes islamistes et islamiques. Il n’était cependant pas rare de voir un salafiste politique

assister à des conférences de salafistes scientifiques de renom ou encore participer à des

activités à caractère social des salafistes d’AST, soulignant ainsi la porosité des

catégorisations des salafistes. Certains rapprochements entre des partis salafistes ou avec le

252 PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE TUNISIENNE PAR INTÉRIM, Décret-loi portant organisation des

partis politiques, Décret-loi n° 2011-87, émis le 24 septembre 2011. 253 Lilia WESLATY, « Tunisie : Fallait-il reconnaître légalement le parti islamiste Hizb ut-Tahrir ? », op. cit. 254 Ridha BEN KACEM, op. cit.

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parti nahdaoui survenaient parfois. Al-Assâla était considéré proche de Hizb Al-Tahrir, alors

que Jabhat Al-Islâh n’hésitait pas à se rapprocher d’Ennahda. Les salafistes scientifiques

menaient également des tentatives de création de liens avec d’autres associations, plus

particulièrement celles islamiques, pour renforcer leur position et tenter d’influencer leur

ligne des interprétations religieuses. Par exemple, les salafistes scientifiques ont intégré au

moins quatre associations islamiques à spectre idéologique varié : l’Association tunisienne

des sciences religieuses, la Ligue des scientifiques et des prédicateurs, l’Association

tunisienne des imams des mosquées et la Ligue des associations coraniques. Elles formaient

le Front tunisien des associations islamiques qui exerçait une certaine forme de lobbying

politique255. Cependant, si les salafistes scientifiques, politiques et jihadistes se côtoyaient et

participaient à des activités communes, ils ne s’empêchaient pas de se critiquer vertement.

Les salafistes scientifiques condamnaient le choix de leurs confrères dans la création

d’organisation. Un ancien député d’Ennahda confirmait « [qu’]ils s’isol[ai]ent et [qu’ils]

[n’étaient] même pas en accord avec le parti Jabhat Al-Islâh. Ils essa[ya]ient de les faire

revenir ‘’dans le droit chemin’’256 ». Les salafistes jihadistes rejetaient à la fois

l’institutionnalisation des partis politiques et l’absence d’engagement des salafistes

scientifiques257. Les jeunes salafistes jihadistes ne tenaient pas de propos élogieux à l’égard

de Jabhat Al-Islâh, considérant ce parti comme irréligieux et illégitime, composé de

chouyoûkh hypocrites d’Ennahda258. Cela n’a cependant pas empêché Jabhat Al-Islâh de faire

la promotion des activités d’AST en relayant les publications du groupe sur sa page

Facebook259. Ces critiques et l’absence de coordination des mouvements salafistes

fragilisaient leur capacité à mobiliser les troupes pour influencer l’État et la société tunisiens

dans le contexte de la rédaction de la constitution. Néanmoins, ces critiques laissaient place

à une volonté commune de se qualifier du même mouvement idéologique, le salafisme.

255 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., pp. 15-16. 256 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 257 Monica MARKS, « Youth Politics and Tunisian Salafism: Understanding the Jihadi Current »,

Mediterranean Politics, 18 (1), 2013, p. 109. 258 Ibid., p. 113. 259 Aaron Y. ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit.

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La qualification salafiste : processus de (dé)légitimation

En effet, l’ensemble des organismes et des figures individuelles scientifiques, acceptaient et

employaient l’adjectif « salafiste » pour se désigner et qualifier leurs objectifs et démarches.

Le recours à ce terme a légitimé les organismes et leurs activités au regard de l’auditoire

qu’ils désiraient attirer et du projet de société qu’ils promouvaient. Simultanément, son usage

par des figures extérieures au mouvement, renvoyait plutôt à un processus de délégitimation

et de marginalisation au regard de leur absence de volonté de négocier et des violences qui

leur ont été imputées. Ce constat était partagé par les députés d’Ennahda, dont l’un des

anciens députés expliquait en ces termes :

Auparavant, la définition du salafisme était claire. Aujourd’hui, il ne l’est plus

parce qu’il y a eu politisation du terme. C’est un terme qui est politisé, pour à la

fois se légitimer, de la part de ceux qui se revendiquent tel quel, d’un point de

vue religieux, et délégitimer, d’un point de vue politique, comme un extrémiste.

On note donc une évolution dans le temps, une instrumentalisation.260

Ce double jeu de légitimation et de délégitimation explique la difficulté pour les chercheurs

d’identifier qui sont les salafistes. Par exemple, Béchir Ben Hassen n’est pas toujours

considéré comme un salafiste261. Le label salafiste paraît plus problématique lorsqu’il est

transféré dans la sphère politique et ce, autant dans la littérature que dans les entretiens

menés. Torelli estime que le seul parti politique tunisien qui pourrait recevoir le label salafiste

durant la transition serait Jabah Al-Islâh262. Ennahda le considérait d’ailleurs comme le

principal parti politique salafiste selon les propos de l’un de ses députés263. Cependant, un

constat a émergé sur le plan de la catégorisation des acteurs salafistes lors des entretiens. En

effet, l’ensemble des personnes interrogées ne mentionnait que les salafistes scientifiques et

ceux jihadistes, paraissant fonder leur catégorisation sur le choix du recours aux actions

pacifiques ou violentes. Hizb Al-Tahrir, dont la qualification « salafiste » est la plus mitigée,

260 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 261 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 262 Stefano M. TORELLI, « The Multi-Faced Dimensions of Tunisian Salafism », op. cit., p. 159. 263 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.

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serait l’unique parti politique parmi les quatre qui échapperait à cette étiquette. Ce constat est

partagé par Amghar et Cavatorta qui le justifiaient parce que le parti serait moins exigeant

sur la conduite individuelle de ses membres264. La qualification d’Hizb Al-Tahrir n’est pas

claire chez les députés d’Ennahda. Certains le considèrent salafiste265, d’autres non parce

qu’il y a des « différences considérables au niveau du respect des mœurs dans le

comportement des adhérents266 », alors que certains l’estiment moitié-moitié267. Le parti lui-

même refuse ce qualificatif, peut-être par opportunisme politique, pour éviter la charge

péjorative du terme véhiculée dans la psyché sociale268. À cet effet, le porte-parole à

l’époque, Ridha Belhaj, a affirmé que :

Dès le départ, on a voulu nous placer sous la bannière du salafisme dont nous

sommes bien loin. Il nous a fallu nous en démarquer nettement et rapidement et

nous nous sommes employés à lutter contre l’anarchie et la violence, appelant au

sens de la mesure, à la défense des biens et des personnes, au retour de la sécurité

et à la reprise des activités269.

Quant aux salafistes d’AST, ils se réclamaient ouvertement de cette tendance, bien qu’une

précision mérite d’être apportée. Nul doute ne subsiste quant au volet salafiste du groupe et

ce, autant dans la littérature que dans les entretiens menés dans la présente recherche.

Cependant, sa catégorisation de groupe « jihadiste » a fait l’objet de dissension entre la

théorie et la pratique270. Si la matrice fondatrice d’AST, par le passé de ses leaders271 et par

certains discours soutenus, baignait en effet dans l’univers jihadiste, ses actions font plutôt

264 Entretien avec Samir Amghar, à l’Université Laval, Québec, Canada, 2017 et entretien avec Francesco

Cavatorta, à l’Université Laval, Québec, Canada, 2017. 265 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 266 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 267 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 268 « Hizb ut-tahrir : Le retour du Califat comme solution? », op. cit. 269 Ibid. 270 TORELLI, Stefano M., « The Multi-Faced Dimensions of Tunisian Salafism », op. cit, p. 5. 271 Abû Iyadh a fait partie du Front islamique tunisien, qui légitimait le recours à la violence, et d’Al-Qâ’ida.

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écho à celles d’un groupe caritatif et associatif272. Par contre, pour des fins d’analyse du

présent mémoire, AST sera bel et bien considéré comme un groupe jihadiste.

Cette étiquette salafiste représentait à la fois un fardeau et un avantage. Un fardeau, parce

que leur réputation générale les a empêchés de participer aux négociations sur la constitution

parce que « le salafisme, dans les médias tunisiens, équivalait au terrorisme273 ». Cela les a

également empêchés d’accéder de manière égale aux députés constituants, peu importe les

partis auxquels ces derniers sont rattachés, nuisant à leurs efforts de salafisation (top-down).

Un avantage, car ils détenaient une aura de légitimité dans leurs actions de salafisation

(bottom-up) comme cela sera vu dans le prochain chapitre. L’étiquette salafiste n’explique

cependant pas à elle seule la raison pour laquelle les groupes salafistes n’ont plus ou moins

été des parties prenantes aux négociations sur la constitution tunisienne. En effet, leur

manque d’expérience politique a eu pour conséquence une absence de représentation

politique, la rédaction de programmes généraux et la priorisation des actions à proximité de

la mosquée au lieu des actions politiques per se.

L’absence de représentation politique et la présence de programmes généraux au profit de

la mosquée, le principal lieu de rencontre des salafistes

Outre la structure plutôt bancale, rares sont les organismes qui ont adopté un programme en

bonne et due forme spécifiant les moyens entrepris pour atteindre les objectifs visés. Les

salafistes scientifiques et jihadistes n’avaient pas de « programme politique », puisqu’ils

refusaient le jeu politique. AST détenait néanmoins un programme social qu’il a présenté lors

de son second congrès à Kairouan en mai 2012. Il contenait des propositions touchant

notamment le domaine de la santé, du tourisme et de l’éducation274. Quant aux associations

scientifiques, elles agissaient en fonction d’une mission religieuse qui consistait à diffuser la

272 Fabio MERONE et Francesco CAVATORTA, « Salafist Movement and Sheikh-ism in the Tunisian

Democratic Transition », op. cit. 273 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 274 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.

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pratique islamique. Par exemple, l’Association centriste pour la sensibilisation et la réforme

a pour mission de « préconiser un retour à la décence et à l’adhérence d’une forme modérée

de l’Islam275 » et de travailler ainsi à l’insertion « de la loi islamique en contrôlant les

comportements des personnes et en imposant des règles sociales276 ». Cela avait tout de même

eu un impact politique indirect parce que les missions de ces associations favorisaient la

salafisation de la société.

Adopter un programme politique fait partie de la joute politique et c’est pourquoi tous les

partis politiques salafistes s’en sont dotés. Cependant, en lisant leurs programmes, il est

possible d’en tirer deux conclusions. Premièrement, ils étaient rédigés en des termes très

généraux, relevant plutôt de grands principes que de mesures concrètes. Deuxièmement, ils

étaient constitués essentiellement d’éléments relevant de droits économiques, sociaux et

culturels s’adressant plus directement aux problèmes quotidiennement rencontrés par les

citoyens tunisiens. Ces propositions ne traitaient pas spécifiquement de la constitution et des

institutions, bien que les débats sur la constitution aient abordé des questions socio-

économiques et de décentralisation, mis à part la demande unanime d’insérer la charî’a

comme source de droit.

Ces programmes politiques ont été élaborés après l’élection des représentants

constitutionnels de 2011 et donc en prévision des élections suivant l’adoption de la

constitution et non pas pour l’élection de députés constituants. Par exemple, le parti Al-

Rahma proposait des réformes axées sur l’emploi, la santé, le logement et l’éducation277,

alors qu’Hizb Al-Tahrir présentait une plateforme électorale qui comprenait la réalisation

d’une révolution industrielle et d’une réforme agricole en suggérant une économie nationale

qui ne se fondait ni sur le tourisme ni sur l’investissement extérieur278. Quant à Jabhat Al-

Islâh, il appelait à favoriser le respect de la loi, la préservation des acquis du peuple, la

275 Asma GHRIBI, « Tunisia Recognizes Controversial Islamist Organization », op. cit. 276 Amel GRAMI, « The Debate on Religion, Law and Gender in Post-Revolution Tunisia », Philosophy and

Social Criticism, 40 (4-5), 2014, p. 394. 277 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23. 278 Mohammed Ali EL HAOU, « Les cinq familles qui représentent le champ de l’islam politique en Tunisie »,

Réalités Online, [En ligne], 2014, http://www.realites.com.tn/2014/08/les-cinq-familles-qui-representent-le-

champ-de-lislam-politique-en-tunisie (Page consultée le 28 mai 2017).

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consécration des valeurs républicaines, le droit du peuple de choisir ses représentants en toute

liberté, la préservation des acquis de la révolution et la protection de la patrie contre toute

menace279.

Malgré ces programmes, l’ensemble du mouvement salafiste ne possédait aucune

représentation politique au sein de l’ANC, ce qui limitait grandement leur capacité à

influencer directement le processus d’élaboration de la nouvelle constitution. D’une part, les

salafistes scientifiques et jihadistes refusaient de participer à l’exercice démocratique.

D’autre part, les partis politiques salafistes partaient avec un handicap en matière de

représentation politique, car ils n’ont pas pu se faire élire au sein de l’ANC. En effet, ces

partis salafistes n’ont été créés qu’en 2012, soit après les élections constitutionnelles de 2011.

Il faut néanmoins rappeler qu’à l’époque, Jabhat Al-Islâh avait présenté des candidats

indépendants sur la liste électorale du Front tunisien du travail et de la réforme (Jabhat al-

‘Amel wal-Islâh al-Tunisiyya)280. Ces candidatures n’ont cependant gagné aucun siège aux

élections de 2011. L’absence de représentation politique des salafistes a profité à

l’environnement religieux, puisqu’ils les salafistes ont plutôt misé sur une présence marquée

près des mosquées.

La mosquée a représenté le lieu de prédilection de rencontre pour les opposants aux régimes

et ce, bien avant les luttes indépendantistes. Lors de la transition tunisienne, elle conservait

cette utilité et incarnait un terreau d’affrontement entre factions salafistes, mais aussi contre

Ennahda et l’État, plus précisément le Ministère des Affaires religieuses. La mosquée

demeurait le principal vecteur de la stratégie de salafisation par le bas.

Le respect des libertés d’association et d’expression après le départ de Ben Ali ne faisait plus

craindre les salafistes d’être mis sous arrêt pour les idées qu’ils véhiculaient et les activités

qu’ils menaient, sous réserves d’être pacifiques. Cela les invitait à investir les lieux publics

à travers la Tunisie, en se concentrant plus spécifiquement sur les quartiers défavorisés des

279 Ibid. 280 Aaron Y. ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit.

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grandes villes et les villages éloignés des centres urbains. Cependant, ils se réunissaient peu

en des lieux étiquetés « politiques » comme auprès de l’ANC et d’autres institutions

semblables.

La mosquée occupait une place prépondérante chez ces acteurs, qu’ils se déclinent comme

politiques, scientifiques ou jihadistes, de par la centralité de la religion dans leurs objectifs,

leurs discours et leurs actions. Les salafistes se sous-divisaient en petits groupes qui ne

fréquentaient généralement qu’une seule mosquée qui devenait en quelque sorte leur quartier

général281. Ils y passaient le plus clair de leur temps, y accomplissaient la salât et y faisaient

leurs apprentissages religieux. Par exemple, des halaqât se formaient au sein du Hizb Al-

Tahrir, des cercles d’études, où le nombre de participants variait. Les membres y étaient

appelés à étudier divers thèmes religieux pour approfondir leurs connaissances, mais aussi

diffuser leur interprétation des textes religieux282.

C’est dans cette optique que les discours des salafistes tunisiens se centraient sur la religion

telle qu’interprétée par le minhâj salafî. Leurs discours ont également porté sur les stratégies

légitimes à recourir pendant cette période de transition.

Les discours des salafistes tunisiens : entre des objectifs communs et des

stratégies divergentes

L’État et la société islamiques : une solution à tous les maux

Les salafistes tunisiens présentaient effectivement l’islam comme la solution : « [w]e have

the Quran and the sunna that give us an alternative: with our religion we can dominate the

world, just like we used to in the past283 ». Pour eux, l’islam représenterait la seule alternative

281 Pietro LONGO, Salafism and Takfirism in Tunisia. Between Al-Nahda’s Discourses and Local Peculiarities,

Working paper présenté au Middle East Studies Center, 16 novembre 2016. 282 Mohammed Ali EL HAOU, op. cit. 283 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.

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viable et durable au modèle d’État-nation et des épisodes ratés du socialisme de Bourguiba

et de la démocratie benalienne, dont les bénéfices ont été détournés des classes populaires à

la faveur de l’élite tunisoise284 : « [s]ocialism, capitalism, they have been tried and they

failed. Besides, they do not come from us, they come from another world (e.g. the West)285 ».

En effet, les abus incessants du pouvoir centralisé autoritaire qui avait recours à la démocratie

comme un moyen justifiant le bien-fondé de ses actions les confortaient dans leur rôle à jouer

dans le cadre de la transition tunisienne. C’est d’ailleurs ce que soulignaient les femmes

salafistes interrogées dans le documentaire réalisé par Agnès de Féo286. Ils partageaient

également les deux principaux objectifs : créer un état islamique et vivre au sein d’une société

islamique, à l’image de la communauté parfaite de Médine à l’époque du Prophète287.

Cette conclusion survient parce que les salafistes faisaient un double constat. D’une part, les

socles législatifs et institutionnels de la République tunisienne, par leur fondation sur le

modèle de l’État-nation moderne, n’étaient pas conformes aux principes véhiculés par la

charî’a : le système politique démocratique conséquent alimentait la hizbiyya entre les

différents protagonistes politiques, le système financier et capitaliste entérinait le ribâ, le prêt

usurier interdit en Islam, les lois cristallisaient des droits, des libertés et des pratiques qui

allaient à l’encontre de l’esprit islamique, les dirigeants ne présentaient pas de hautes valeurs

morales islamiques, etc. Pour reformuler selon les mots employés par Grami, « secular laws

conflict with some interpretations of shariah, such as those concerning adoption and single

mothers who give their own names to their children288 ». D’autre part, les mœurs des

Tunisiens, entachés par le mode de vie occidental favorisé par les élites corrompues et

empreints de croyances populaires coutumières, n’étaient pas non plus conforme à la charî’a.

Les salafistes tunisiens reprochaient entre autres la vente permise d’alcool dans certains

supermarchés, généralement français, l’ouverture et la fréquentation de discothèques, les

284 Lahouari ADDI, « Islam Re-Observed: Sanctity, Salafism, and Islamism », The Journal of North African

Studies, 14 (3), 2009, p. 341. 285 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit. 286 Agnès DE FÉO, La Tunisie et ses femmes salafistes, Sasana Production, 21 mai 2015. 287 Samir AMGHAR, « Le salafisme à la conquête du pouvoir », Le Monde, [En ligne], 10 juillet 2013,

http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/07/10/le-salafisme-a-la-conquete-du-pouvoir_3445712_3232.html

(Page consultée le 28 mai 2017). 288 Amel GRAMI, op. cit., p. 3.

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classes mixtes, l’augmentation des « dé-jeûneurs » lors du Ramadan et le culte des saints.

Pour reformuler, les piliers du pouvoir, les actions étatiques et les comportements de la

société tunisienne ne favorisaient pas l’application de la charî’a.

Le salafisme tunisien se définissait donc comme un mouvement réactionnaire et très critique

à l’encontre des dernières décennies considérées comme décadentes. Les salafistes détenaient

la volonté d’incarner une rupture avec les régimes politiques précédents. Constatant la

perdition de la société et la possibilité de s’exprimer librement après le printemps arabe, ils

souhaitaient rouvrir le débat sur l’identité des Tunisiens en y soulignant l’importance, ou

plutôt la centralité, de la référence religieuse islamique comme élément identitaire central289.

Les salafistes avaient conscience de l’inestimable opportunité que représentait la transition

politique tunisienne pour eux et leur projet politique, social et religieux, d’autant plus en

raison de la prise du pouvoir par un parti islamiste, potentiellement sensibles à leurs

reviendications. C’est pourquoi les salafistes ont tenté, malgré leur absence de représentation

politique à l’ANC, d’influencer le processus constitutionnel en faveur de leur principale

revendication constitutionnelle.

Vers une redéfinition de l’identité tunisienne : la charî’a comme demande identitaire

salafiste

Les salafistes entretenaient des attentes propres à la rédaction de la constitution et à la

conséquente construction de la société tunisienne aux lendemains des soulèvements

populaires. Ces attentes, faisant l’objet d’une tentative d’influence du processus

constitutionnel, étaient intimement liées à la redéfinition de l’identité tunisienne, identité

monopolisée par les élites tunisiennes et leurs visées laïques290 parce que

Depuis 1956, il y a une accaparation de notre culture, de la tunisianité qui est liée

à la laïcisation, la sécularisation forcée. Il y a une marginalisation de la Zeitouna.

289 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 290 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia: The Fight for Identity beyond Political Islam », op.

cit.

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La révolution [était] une occasion pour réfléchir à ce que [c’était] d’être Tunisien,

quel rôle [devait] jouer l’islam.291

Recentrer, ou plutôt focaliser, l’identité tunisienne autour de la composante religieuse

permettrait ce retour si souhaité à l’âge d’or islamique. Revendiquer cet élément vital et

exclusif passerait par l’assurance, toujours selon les salafistes, que la charî’a régule le

fonctionnement de la République tunisienne via par exemple l’application du fiqh dans les

cours de justice ou une politique étrangère définie en termes d’intérêts islamiques. Elle

devrait également encadrer les interactions entre personnes privées, par exemple les

transactions commerciales ou la façon d’interagir entre personnes de sexes différents. Il

s’agissait donc d’une revendication qui ne se voulait pas uniquement symbolique, mais qui

entraînerait bel et bien des effets concrets notamment sur les plans juridiques, institutionnels

et sociaux.

Inscrire la charî’a dans la nouvelle constitution tunisienne était la principale demande

formulée par les salafistes aux députés constituants, peu importe la classification attribuée à

ces acteurs292. Selon les propos de salafistes recueillis par Marks, « [w]here there is shariah,

there is a complete programme – no more divisions, injustice293 ». La charî’a représentait

pour eux « [a] straightforward path with clear-cute, reassuring rules governing dress,

devotional practice and gendered behaviour294 ». Les deux principaux partis politiques

salafistes, Jabhat Al-Islâh et Hizb Al-Tahrir, en ont fait le cœur de leur programme politique.

Si Hizb Al-Tahrir revendiquait la mise en œuvre de la charî’a295, Jabhat Al-Islâh en exigeait

la constitutionnalisation et que tous les éléments de la vie, de nature privée ou publique, y

soient subordonnés296. De cette manière, la charî’a devrait servir de base fondamental au

291 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 292 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 293 Monica MARKS, op. cit., p. 108. 294 Ibid., p. 111. 295 Voir en annexe V HIZB AL-TAHRIR, « The Colonial Kaffir Plunders the Wealth of the Muslims in

Tunisia », Hizb Al-Tahrir, [En ligne], 2013, (http://www.hizb-ut-tahrir.org/index.php/EN/nshow/2191 (Page

consultée le 3 juin 2017). 296 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., pp. 23-24.

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cadre constitutionnel tunisien297. Les salafistes scientifiques ne demeuraient pas en reste et

en avaient formulé la demande par l’entremise notamment de l’Association fondée par Adel

Almi298, de Béchir Ben Hassen, ainsi que de Khatib Idrissi299.

Si l’unanimité ressortait de cette requête, la formulation propre de son inscription variait

selon les acteurs salafistes. Pour certains salafistes, la charî’a devait être inscrite comme

l’une des sources de la législation300. Cette formulation inclusive impliquait que le recours à

d’autres sources de législation, de pair à la charî’a, demeurait possible. Pour d’autres, la

charî’a devait constituer la seule et unique source légitime de la législation301.

Conséquemment, toute loi promulguée par la subséquente ARP ne devrait pas être contraire

à la charî’a. Enfin, les salafistes jihadistes et même certains salafistes politiques estimaient

que le temps pris pour rédiger une constitution représentait une perte de temps pour tous. Il

s’agissait conséquemment d’un exercice inutile, comme en témoignait le chef du parti Al-

Assâla qui affirmait que « [les salafistes ont] une constitution islamique déjà prête qui nous

fera[it] gagner tout ce temps où se démènent les élus de l’Assemblée [nationale

c]onstituante302 ». Ces derniers valorisaient plutôt le recours direct aux textes religieux,

puisque la seule constitution valable pour eux était le Coran303. Cette idée paraissait

contradictoire pour un député d’Ennahda qui soulignait leur intention d’introduire des textes

297 Georges FAHMI, « The Future of Political Salafism in Egypt and Tunisia », Carnegie Middle East Center,

[En ligne], 2015, http://carnegie-mec.org/2015/11/16/future-of-political-salafism-in-egypt-and-tunisia-pub-

61871 (Page consultée le 21 mai 2017). 298 « Adel Almi et l’application de la Chariaa: Amputation des mains, lapidation, flagellation, polygamie… »,

Directinfo, [En ligne], 11 janvier 2013, http://directinfo.webmanagercenter.com/2013/01/11/adel-almi-et-

lapplication-de-la-chariaa-amputation-des-mains-lapidation-flagellation-polygamie (Page consultée le 3 juin

2017). 299 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 18. 300 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 301 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 302 DIRECTINFO & TUNISIE AFRIQUE PRESSE, « Le parti salafiste Al-Assala accuse Ennahdha de vouloir

“« monopoliser »” la scène politique », Directinfo, [En ligne], 24 novembre 2014,

http://directinfo.webmanagercenter.com/2012/11/24/le-parti-salafiste-al-assala-accuse-ennahdha-de-vouloir-

monopoliser-la-scene-politique (Page consultée le 28 mai 2017). 303 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.

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religieux dans une constitution issue de l’ANC qui détenait le pouvoir via l’autorité du

peuple304.

Qu’entendaient les salafistes par la notion de charî’a ? Souvent traduite comme la Loi

islamique, elle se traduit par « chemin » en arabe. Définie dans un contexte religieux, la

charî’a signifie le bon chemin à prendre pour respecter la volonté de Dieu. La loi islamique

est donc d’origine divine et « la loi est une décision de Dieu305 ». Elle repose sur des principes

qui doivent être à tout prix protégés par les musulmans et qui touchent à la fois à la vie privée

et publique, d’où découlent des règles relevant à la fois du culte (ibâdat) et des affaires

sociales (mu’amallât). Bien qu’un flou ait subsisté au courant des XIXème et XXème siècles

parmi les chercheurs306, il faut distinguer la charî’a du fiqh, le droit musulman. La charî’a

est un « normative order contained within the corpus of the Qur’anic revelation and early

Islamic precedent (sunna)307 », une « normative construction of law for societies that

articulate their world308 », alors que le fiqh représente les « efforts and activities to discover

and give expression to the many facets of Qur’an (and Sunna) derived principles of shari’a

law309 ». Si le fiqh est un corpus juridique positif qui diffère selon les États, elle doit se

rattacher aux principes de la charî’a, dont les frontières paraissent plutôt grises. Quoiqu’il en

soit, le respect à l’égard de la religion rime avec le respect à l’endroit du concept de tawhîd,

l’unicité de Dieu. De cette manière, les salafistes remettaient en cause le processus de

législation tel qu’élaboré et conçu au sein de la République tunisienne. Cette prérogative ne

devait pas dépendre d’un Parlement dont l’autorité provenait du peuple tunisien, car cette

autorité n’appartenait qu’à Dieu uniquement.

304 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 305 Louis MILLIOT et François-Paul BLANC, Introduction à l’étude du droit musulman, 2ème, Paris, Recueil

Sirey, 1987, p. 172. 306 Yvonne Y. HADDAD et Barbara F. STOWASSER, « Introduction » dans Islamic Law and the Challenges

of Modernity, Yvonne Y. HADDAD et Barbara F. STOWASSER (sous la direction de), Walnut Creek,

AltaMira Press, 2004, p. 4. 307 Ibid. 308 Wael B. HALLAQ, Sharī’a : Theory, Practice, Transformations, Cambridge, Cambridge University Press,

2009, p. 74. 309 Yvonne Y HADDAD et Barbara F. STOWASSER, op. cit., p. 5.

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Pour un député d’Ennahda, « il n’y avait pas vraiment d’autres revendications à part la

charî’a, [ni] de propositions bien formulées [ou] écrites. Ce [n’étaient essentiellement] que

des slogans [lancés] au cours des manifestations310 ». Néanmoins, la mention de la charî’a

en tant que source principale ou l’une des sources légitimes dans la constitution tunisienne et

la zone grise du terme ouvrirait éventuellement la porte à une panoplie de changements. Les

salafistes étaient pleinement conscients de l’ambiguïté définitionnelle de la charî’a et de leur

demande constitutionnelle et ont joué avec cette ambiguïté pour renforcer leurs demandes

para-constitutionnelles constituées de ces changements. Ils n’ont d’ailleurs pas apporté de

claire définition dans leurs programmes politiques. Les membres de Jabhat Al-Islâh se sont

en effet questionnés à savoir quelle était la meilleure façon d’implanter la charî’a, sur quel

niveau ils devaient axer son implantation et quelle dispositions ils devaient inclure311. Selon

Fahmi, cette situation s’expliquait par leur manque de vision politique de l’État312. Les

demandes para-constitutionnelles visaient une modification de l’État tunisien en fonction de

leurs deux objectifs de salafisation de l’État et de la société.

En premier lieu, certains salafistes appelaient à une réforme du système de gouvernance et

ont interpellé les députés nahdaouis à ce sujet313. Bien que le Prophète n’ait pas légué

d’indications précises sur la manière de conduire et de gérer les affaires politiques et

militaires de l’oumma, les salafistes estimaient que le califat, modèle adopté par les califes

bien-guidés et leurs successeurs, devrait substituer au modèle républicain actuel de l’État

tunisien parce qu’il permettrait de rétablir la justice et l’équité. Bien qu’elle ne faisait pas

l’unanimité parmi les salafistes tunisiens, cette demande de califat transcendait les catégories.

En effet, des figures scientifiques comme Khatib Idrissi en ont expressément fait la

mention314, ainsi que le groupe jihadiste AST. Fait intéressant, les salafistes politiques qui

interagissaient dans l’actuel système politique tunisien en adhérant aux procédures,

n’adhéraient pas pour autant au principe d’État-nation ni à celui de démocratie. Ils appelaient

310 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 311 Georges FAHMI, op. cit. 312 Ibid. 313 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 314 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 18.

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d’ailleurs à une modification de l’essence même de ce mode de gouvernance démocratique,

à une renonciation à la démocratie, comme l’a souligné Hizb Al-Tahrir dans l’extrait du

communiqué de presse suivant :

The basis of governance and politics is a law above all, the rulers and the ruled

alike: Thus how are we to ensure this through a man-made law that gives the

people the right to legislate and to establish constitutions and laws that serve the

interests of the powerful? How do we ensure a law above all without taking the

Revelation of the Lord of the Worlds as a basis and measure, making the people

equal, the rulers and ruled alike. […] So do not allow any concern to distract you

from your real issues; by changing the system from the contemptible man-made

system to the ruling system of Islam that resolves and does not oppress, unites

rather than divides, restores rights to their owners, and ensures the dignity to live

as per the system itself and not as a favor from anyone. And this is through

establishing the Khilafah Rashidah that pleases the inhabitants of the heaven and

the inhabitants of the earth.315

Sans entrer de façon pointue dans les détails, le califat serait dirigé par un calife, choisi par

ses congénères, reconnu comme pieux et doté de qualités extraordinaires. Il serait assisté

dans ses fonctions par la choûra, un conseil consultatif. Évidemment, cet État islamique serait

régulé par la charî’a. Encore une fois, les propositions et les programmes politiques ne

fournissaient pas de plus amples détails sur la façon d’y parvenir. Par exemple, Jabhat Al-

Islâh a demandé l’établissement d’un état islamique, sans toutefois indiquer si cela ne passait

qu’uniquement par la mise en œuvre de la charî’a ou par la création explicite d’un califat316.

En second lieu, les salafistes demandaient à ce que les droits et libertés soient limités en vertu

des prescriptions islamiques. Par exemple, l’interdiction du blasphème à l’égard de la religion

restreindrait la liberté d’expression. Une initiative allant dans ce sens avait d’ailleurs été

déposée sous forme de projet de loi devant l’ANC par Ennahda, appuyé par des adhérents au

courant salafiste. Certains arts considérés comme blasphématoires dans leur contenu ou

représentant des éléments anthropomorphiques pourraient être censurés dans le cadre de la

315 Voir en annexe VI HIZB AL-TAHRIR, « Four Years since the Launch of the Ummah’s Revolution from

Tunisia », Hizb Al-Tahrir, [En ligne], 2014, http://www.hizb-ut-tahrir.org/index.php/EN/nshow/2702 (Page

consultée le 3 juin 2017). 316 Georges FAHMI, op. cit.

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diffusion de films, de pièces de théâtre, d’expositions artistiques, de concerts de musique ou

de spectacles humoristiques. Durant le processus constitutionnel, plusieurs salafistes

tunisiens scientifiques et jihadistes se sont justement attaqués à de tels emblèmes. Les droits

des femmes, codifiés dans le Code du statut personnel, seraient possiblement en péril,

notamment le droit à l’avortement ou le droit au travail, les salafistes ayant répété que le

foyer familial constituait la place légitime des femmes. Une restauration du statut de dhimmis

(minorités) et de la jiziyya, la taxe de protection ou le tribut à payer par les chrétiens ou les

juifs, risquerait d’attenter aux droits des minorités.

D’autres pratiques pourraient être rétablies, les salafistes scientifiques ayant émis plusieurs

demandes et propositions à ce propos. L’imam Béchir Ben Hassen a demandé à ce que le

vendredi, jour de la prière communautaire de joumou’a, soit un jour de congé317. La fermeture

complète des restaurants durant les heures de jeûne de Ramadan, l’application des hudoûd,

châtiments corporels et la fin de la mixité notamment dans les établissements d’enseignement

ont fait l’objet de demande explicite de la part de l’Association d’Almi318. Ce dernier a même

proposé la création d’une police religieuse qui assurerait le respect des Tunisiens aux

principes islamiques319, à l’image de ce qu’accomplit la muttâwa’a en Arabie saoudite. La

restauration de la pratique de la polygamie a aussi été l’une de ces demandes320.

Ces demandes para-constitutionnelles en matière de droits et libertés paraissaient beaucoup

plus développées en terme pratique que leur demande constitutionnelle d’inscrire la charî’a

dans la nouvelle constitutionnelle possiblement pour trois raisons. Premièrement, elles ne

remettaient pas en cause la légitimité du processus de constitutionnalisation. Deuxièmement,

elles constituaient des pratiques et non pas des principes. Les salafistes n’avaient donc pas

317 Voir en annexe VII Rabaa H., « Tunisie - Un prédicateur salafiste montrera le “droit” chemin aux

prisonniers », Tunisie Numérique, [En ligne], 23 novembre 2012, https://www.tunisienumerique.com/tunisie-

un-predicateur-salafiste-montrera-le-droit-chemin-aux-prisonniers (Page consultée le 21 mai 2017). 318 « Adel Almi et l’application de la Chariaa: Amputation des mains, lapidation, flagellation, polygamie… »,

op. cit. 319 Stefano M. TORELLI, « Radicalisation and Jihadist Threat in Tunisia: Internal Root Causes, External

Connections and Possible Responses », op. cit., p. 160. 320 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.

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besoin d’élaborer des définitions pragmatiques. Troisièmement, elles relevaient de la sphère

sociale, domaine d’action privilégiée par les salafistes au détriment des politiques.

L’inscription de la charî’a et les demandes para-constitutionnelles ont cependant suscité de

la méfiance de la société qui estimait qu’elles risqueraient d’entraîner des dérapages

sociétales à l’instar de ce qui est survenu dans l’Iran clérical, l’Arabie saoudite wahhabite et

l’Afghanistan talibane. Les revendications identitaires salafistes l’ont forcée à réagir aux

propos tenus. Par exemple, les attaques discursives répétées contre les femmes par la volonté

d’une légalisation de la polygamie, du mariage forcé et du port obligatoire du voile, ont

mobilisé les factions féministes sur la scène publique pour contrebalancer ces idées

considérées rétrogrades321. Cette crainte des salafistes laissait entrevoir que seule une

audience spécifique et rétrécie ne pouvait être attentive à leurs revendications

postrévolutionnaires, une clientèle sociale et politique ultra-conservatrice.

À la recherche d’une clientèle sociale et politique ultra-conservatrice

Ces discours appelant à une redéfinition de l’identité tunisienne et à l’inscription de la charî’a

s’adressait à tous les Tunisiens musulmans sur la base de leur identité religieuse, mais aussi

nationale. Les références à l’islam, au Coran et à la Sunna, devraient susciter l’intérêt de tous

les musulmans qui ne pouvaient, s’ils étaient profondément sincères dans leur îmâne, leur

foi, qu’être en accord avec eux particulièrement parce qu’ils estimaient représenter al-firqa

al-najiya. Même si les salafistes tunisiens partageaient un désir d’unifier l’oumma qu’ils

estimaient divisée et égarée, l’essentiel de leurs champs discursifs et d’action se concentrait

sur le territoire tunisien. Leur implantation dans le cadre national, particulièrement dans le

contexte de processus transitionnel et constitutionnel, soulignait leur volonté de contribuer à

la redéfinition de cette tunisianité322, bien que l’attitude se dégageant du concept al-walâ’ w-

al-barâ pouvait créer une certaine tension entre une position d’ouverture ou de fermeture au

321 Amel GRAMI, op. cit., p. 6. 322 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia: The Fight for Identity beyond Political Islam », op.

cit.

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dialogue. Cette redéfinition de la tunisianité entrait en rupture avec la tunisianité avancée par

Bourguiba et les élites tunisoises depuis l’indépendance de la Tunisie et également celle

adoptée par Ennahda après la reformulation pragmatique de ses assises politiques depuis les

années 90 qui mettaient l’accent sur la modernité, le pluralisme, la tolérance, les identités

multiples et l’importance de la nation tunisienne323.

Malgré leurs intentions initiales, leurs discours ne rejoignaient concrètement qu’une fraction

de la population tunisienne. Cette frange populaire, constamment négligée par les élites au

pouvoir depuis l’indépendance, représentait la couche plus pauvre de la société. Les salafistes

obtenaient une oreille attentive dans les régions intérieures de la Tunisie, défavorisées au

profit des régions côtières et des grandes villes. Les problématiques y étaient multiples : taux

de chômage et d’analphabétisation élevés, revenu moyen très faible, services publics

minimes, absence d’eau courante et d’électricité, peu d’investissements gouvernementaux,

etc. Les discours salafistes trouvaient également écho dans les quartiers populaires des

grandes villes où se présentaient des enjeux relativement semblables sur le plan de

l’éducation et du chômage324. Les plus jeunes, souvent qualifiés de désillusionnés parce

qu’ils étaient les plus touchés par le chômage325, représentaient la portion de la population la

plus encline au discours salafiste, extrêmement teinté de populisme326. Ces jeunes

accumulaient parfois un passé de criminalité pour diverses infractions de droit commun ou

pénal327, comme de la vente de zalta (marijuana), de vol ou de meurtre : « there is a new

radical Islamism composed mostly of a younger generation, belonging to the main

disenfranchised social class and integrating into the public scene in the name of jihad328 ».

Cet attrait s’expliquait peut-être justement par le fait que le salafisme constituait un moyen

323 Francesco CAVATORTA et Fabio MERONE, « Post-Islamism, Ideological Evolution and ‘la tunisianité’

of the Tunisian Islamist Party Al-Nahda », Journal of Political Ideologies, 20 (1), 2015, pp. 34-35. 324 Voir à cet effet INTERNATIONAL ALERT, Les jeunes de Douar Hicher et d’Ettadhamen. Une enquête

sociologique, Arabesque, Tunis, 2015. 325 TUNISIE NUMÉRIQUE, Le deuxième congrès du parti Hizb Al-Tahrir, Tunisie Numérique, 22 juin 2013. 326 AL HUFFINGTON POST MAGHREB & TUNISIE AFRIQUE PRESSE, « 1 jeune tunisien sur 3 éprouve

de la sympathie pour la prédication salafiste selon une étude », Al Huffington Post Maghreb, [En ligne], 21

décembre 2016, http://www.huffpostmaghreb.com/2016/12/21/salafisme-tunisie_n_13762066.html (Page

consultée le 21 mai 2017). 327 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 10. 328 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.

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facile de s’élever dans l’échelon social à défaut d’avoir mené des études supérieures ou

d’occuper un emploi bien rémunéré, et par un discours constamment récriminatoire et

vindicatif à l’égard des élites et du système tunisiens.

Les discours radicaux et revendicateurs notamment d’AST et d’Hizb Al-Tahrir concernant

la redéfinition de l’identité tunisienne qui passait par l’imposition de la charî’a et les

conséquents changements vers la justice et l’équité donnaient la perception à ces jeunes d’être

enfin écoutés et que leurs griefs étaient crédibilisés. Au contraire, cette redéfinition de la

tunisianité par l’apport du salafisme en inquiétait plusieurs dont l’éditrice du journal

électronique Alternatives citoyennes, Nadia Omrane, qui parlait du salafisme en ces termes :

Tant que ce mouvement restera étranger à notre langue, à nos mœurs, à nos

codes, à notre art de vivre ensemble, tant qu’il tentera d’introduire des réformes

contraires à nos traditions et à nos usages, tant qu’il essaiera de réorienter notre

géopolitique et notre culture vers un arabo-wahhabisme tournant le dos à notre

patrimoine pluricivilisationnel, ce mouvement et ses supplétifs seront perçus

par nous comme étrangers à notre histoire et à notre nation.329

Si l’honneur et la fierté seraient rétablis grâce à une histoire minutieusement construite qui a

conduit les jeunes vers ces groupes salafistes et les a rendus plus attentifs au minhâj salafî330,

elle soulignait plutôt l’absence de volonté de coexistence des salafistes avec d’autres

communautés et le renforcement de la polarisation entre les islamistes, toutes tendances, et

les laïcs.

Dans le contexte de rédaction constitutionnelle, la charî’a constituait le seul enjeu digne

d’intérêt pour ces jeunes salafistes, représentant un « clé-en-main » : nul besoin de se pencher

sur les modes de votation, la séparation des pouvoirs, le choix d’un système parlementaire

ou présidentiel. Pour les autres partis politiques et membres de la société, l’échec des

salafistes de définir la charî’a en termes concrets a influencé de manière négative la

crédibilité de ces acteurs salafistes dans leur capacité à proposer des idées constitutionnelles

329 Jean FONTAINE, Du côté des salafistes en Tunisie. Tactiques... ou stratégie ?, Arabesques, Tunis, 2016, p.

106. 330 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23.

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qui assureraient la stabilité de la Tunisie, notamment en matière de gouvernance et de droits

et libertés. Ils ont organisé des campagnes médiatiques pour souligner le flou définitionnel

de la charî’a et pour miser sur les pratiques considérées « archaïques » des hudoûd telles que

le coupage de main en cas de vol331. L’un des anciens députés renchérissait en avançant que

Les gauchistes perçoivent la charî’a seulement par rapport aux sanctions

pénales et à la polygamie. Ils ont une mauvaise compréhension de la charî’a.

Les médias, qui sont d’ailleurs sous la main des gauchistes, ont relayé cette

incompréhension et ont essayé de compliquer les choses.332

Afin de sensibiliser la société tunisienne à leur principale revendication, les salafistes ont eu

recours à deux stratégies complémentaires.

Le recours à deux stratégies complémentaires

Les salafistes tunisiens ont à cœur un désir de réforme et allant dans ce sens, une volonté de

jouer un rôle de premier plan au niveau politique, social et religieux, ce qui implique des

discours et des actions concrètes. L’un des jeunes membres d’AST confiait à Merone : « [w]e

wanted play a role in the post-revolutionary environment333 ». Ces éléments se traduisent par

deux stratégies différentes, mais complémentaires, au regard des discours et des moyens

visant la salafisation de la société tunisienne grâce aux apports de la révolution pendant le

processus de transition334.

La première concerne une salafisation par le haut (top-down) à l’instar de ce qu’a opéré

Bourguiba en tentant de séculariser la société via les institutions étatiques. Elle inclut les

discours et les actions qui contribuent à influencer l’État dans sa conception large, c’est-à-

dire les détenteurs du pouvoir et la structure, les institutions qui soutiennent l’État dans ses

331 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 332 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 333 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit. 334 Loïc LE PAPE, « La renaissance du « salafisme » tunisien ? », Les politiques du religieux, [En ligne], 2013,

http://politicsofreligion.hypotheses.org/575 (Page consultée le 29 mai 2017).

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charges quotidiennes, afin d’obtenir des répercussions concrètes sur la société. Il s’agit donc

pour les acteurs salafistes de réformer les institutions tunisiennes en accord avec les principes

islamiques selon l’interprétation salafiste.

Cette stratégie est à lier au processus de l’élaboration de la constitution au regard de la

fonction de cette dernière. La constitution, en tant qu’acte fondateur de l’État, pose les jalons

des principales structures assurant le fonctionnement de l’État, les valeurs qui orienteront son

action, la séparation des pouvoirs ainsi que les droits et libertés accordées à sa population,

tout comme ses devoirs et responsabilités. La constitution représente le contrat social liant

l’État à la société. Les salafistes, en tant que composante intégrante de cette société tunisienne

et ayant des objectifs et des intérêts qui leurs sont propres, avaient ainsi intérêt à militer pour

que leurs revendications soient incorporées au sein de ce document constitutionnel et à

exercer un travail de lobbying auprès des députés siégeant à l’ANC. Leurs actions visaient à

salafiser l’État, un processus inversé de celui amorcé depuis l’indépendance de la Tunsisie

qui consistait en l’étatisation de l’islam335. Bien que cette stratégie ait été plus

particulièrement employée par les salafistes politiques qui percevaient l’utilité de la

constitution dans leur projet de réforme de la société, cet exercice n’a pas été leur unique

action. Certains salafistes scientifiques ont contribué, par leurs discours et leurs actions dans

la société, à influencer les décideurs politiques et l’armature de la constitution, comme cela

sera vu au prochain chapitre.

La seconde stratégie fait référence à la salafisation de la société par le bas (bottum-up). Il

s’agit ici de modifier le comportement des individus au sein de la société et dans leurs

interactions quotidiennes. Elle prône à la fois un « retour à la pratique individuelle et

l’inscription de normes islamiques [salafistes] dans la vie quotidienne336 ». Si la constitution

est un contrat social liant l’État à la société, elle doit refléter les valeurs de cette société et

répondre à ses aspirations. D’une part, si la société devenait plus pieuse, appliquait le minhâj

salafî et adoptait les revendications des salafistes, les constituants devraient en prendre

335 Olivier ROY, « Les voies de la ré-islamisation », Pouvoirs, 62, 1992, p. 87. 336 Ibid., p. 82.

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compte lors de l’élaboration de la constitution et de la fondation des nouvelles institutions.

D’autre part, les salafistes qui rejetaient le processus de constitution utilisaient cette stratégie

pour mobiliser le plus grand nombre possible d’adhérents, afin de modifier les institutions

ou de contester la légitimité de la constitution.

Pour parvenir à une telle socialisation, les salafistes ont employé la da’wa et ont mis en

pratique le concept d’al-amr bil-ma’rûf wal-nahî ‘an al-munkar et ce, autant dans les lieux

de culte que dans la rue ou dans les médias sociaux. Les salafistes scientifiques et jihadistes

ont principalement eu recours à ce type d’activités, bien que les salafistes politiques aient pu

également utiliser cette stratégie.

Ces deux stratégies visent une « islamisation » institutionnelle et sociétale selon la pratique

religieuse orthodoxe salafiste et se nourrissent mutuellement. Elles s’insèrent dans la présente

recherche de deux façons. Premièrement, les salafistes, en tentant d’avoir un impact sur

l’État, possédaient un potentiel en matière d’influence directe sur le contenu même de la

nouvelle constitution et ce, même s’ils ne constituaient pas une force vive politique

représentée au sein du corps élu de l’ANC. Cette influence se résumait par le travail de

lobbying que des salafistes exerçaient auprès des constituants, plus particulièrement auprès

des députés nahdaouis. Deuxièmement, l’augmentation de la pratique religieuse salafiste au

sein de la population tunisienne pouvait entraîner une influence sur le plan de la constitution.

En effet, en retenant l’argument de Wandan selon lequel les députés constituants demeurent

aussi sensibles aux demandes des électeurs que les députés élus lors d’un mandat ordinaire337,

si les revendications des salafistes étaient partagées par un plus grand nombre de citoyens,

cela aurait pour effet de tempérer leur niveau de marginalisation au fur et à mesure que

s’accroissait le nombre d’adhérents au salafisme. Les salafistes se seraient dès lors centrés

sur le spectre politique et leurs demandes se seraient rapprochées de celles de l’électeur

moyen, ce qui devrait être prise en considération par les députés de tous les partis politiques.

Cette stratégie permet également de rassembler et de mobiliser la population pour contester

337 Solongo WANDAN, « Nothing Out of the Ordinary : Constitution Making as Representative Politics », op.

cit., p. 49.

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la légitimité de l’ANC. Ils y sont parvenus notamment en multipliant les œuvres de charité

et en prêchant dans de nombreuses mosquées. Ces stratégies de salafisation reposaient sur la

renonciation au recours à la violence et l’emploi de la da’wa, et la préférence de l’une des

stratégies se basait sur la reconnaissance ou non de la légitimité de l’implication politique.

La renonciation au recours à la violence, l’emploi de la da’wa et l’implication politique :

entre convergences et divergences

Les salafistes ont fait face à la problématique de la manière dont ils devaient revendiquer leur

demande identitaire pour parvenir à rallier la population à leur cause. Tel que constaté en

début de chapitre, ils adhéraient à deux stratégies de salafisation et en proposaient différentes

actions selon le rapport qu’ils entretenaient avec les autorités publiques. Les actions

privilégiées, comme cela sera vu au prochain chapitre, reposaient sur des discours qui

convergeaient et transcendaient les catégories de salafistes. Dans le cadre transitionnel et du

processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne, les salafistes étaient conscients

de l’enjeu de légitimation que jouaient les partis politiques auprès de la population. Cet enjeu

faisait également l’objet d’une lutte entre les différentes composantes de la société, chacune

d’entre elles tentant d’influencer la rédaction de la constitution vers leurs propres intérêts.

Les salafistes tunisiens ont dû s’impliquer, grâce à leurs deux stratégies, dans ce jeu

d’influence tout en trouvant les moyens efficaces de sensibiliser les acteurs politiques et les

citoyens à leurs revendications. C’est pourquoi ils ont multiplié les appels à la renonciation

à la violence tout en misant sur la da’wa et ce, bien qu’il y avait un clivage sur la légitimité

de l’implication dans les politiques et de la stratégie de salafisation via l’État.

Selon Jabhat Al-Islâh, la renonciation à la lutte armée était une nécessité dans le contexte

tunisien, parce que « la dictature [était] tombée et que les libertés publiques [étaient]

respectées338 ». Les salafistes se retrouvaient devant la possibilité de faire valoir leur agenda

et leurs opinions sur l’élaboration de la constitution et le processus qui y était lié sans crainte

de se faire réprimer ni emprisonner. Ce contexte faisait en sorte que le recours à la violence

338 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., pp. 23-24.

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ne représentait pas un moyen efficace de rallier la population à la cause salafiste, puisqu’il

existait des moyens alternatifs pacifiques qui risquaient de mieux sensibiliser la société. Hizb

Al-Tahrir a d’ailleurs qualifié la violence comme un véritable crime et l’a banni de toute

action que le parti entreprenait339. Il est intéressant de souligner ici la contradiction notable

de l’argumentaire salafiste qui employait les libertés publiques, telle la liberté d’expression,

pour promouvoir ses intérêts tout en militant pour que ces mêmes libertés soient restreintes.

Cette prise de position a entraîné un effet majeur sur la nature des actions effectuées par les

salafistes tunisiens. Si cela semble aller de soi pour les salafistes scientifiques et politiques,

cette prise de position paraît extrêmement surprenante en ce qui concerne AST, étant donné

que la principale caractéristique des salafistes jihadistes repose sur la matrice du jihâd fî

sabîllilâh, la lutte armée, qui devrait motiver leurs actions. Le cas d’AST est atypique, car si

le groupe a formulé un appel au jihâd armé en Irak et en Syrie340, il n’a pas fait de même sur

le territoire tunisien entre 2011 et 2014341. Même s’il avait pu décréter le jihâd en Tunisie s’il

estimait que les dirigeants tunisiens trahissaient leurs devoirs islamiques par leurs actions

dans la logique de la pensée de Sayyid Qutb342, AST croyait qu’il était possible de parvenir

à un État et une société islamiques sans recourir à la violence. Au contraire, AST a préconisé

le recours à la da’wa sur le sol tunisien, à l’instar des autres associations, groupes et individus

salafistes343. L’un de ses membres expliquait cette apparente contradiction :

The chance is the possibility to operate in a context of freedom. If you live in a

Muslim society and the system is letting you practice and “live” according to your

values, there is no reason to conduct a violent jihad. At the same time, when you

preach freely, society holds you accountable—a society that may question or be

afraid of you. This leads to the transformation of your jihad into a peaceful

process.344

339 « Hizb ut-tahrir : Le retour du Califat comme solution? », op. cit. 340 Aaron Y. ZELIN, « Jihadi Soft Power in Tunisia: Ansar al-Shari’ah’s Convoy Provides Aid to the Town of

Haydrah in West Central Tunisia », Al-Wasat, [En ligne], 2012,

https://thewasat.wordpress.com/2012/02/21/jihadi-soft-power-in-tunisia-ansar-al-shariahs-convoy-provides-

aid-to-the-town-of-haydrah-in-west-central-tunisia-with-pictures (Page consultée le 12 mai 2017). 341 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 5. 342 John CALVERT, Sayyid Qutb and the Origins of Radical Islamism, New York, Columbia University Press,

2010, 377p. 343 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 5. 344 MERONE, Fabio, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.

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De plus, les leaders véhiculaient l’idée selon laquelle le jihâd ne se présentait pas uniquement

en termes de lutte armée, mais qu’il pouvait également revêtir diverses formes telles que la

da’wa, la distribution de littérature salafiste et la protestation contre les offenses

religieuses345. Le Pape soulignait cependant le rapport ambigu d’AST et de la mouvance

salafiste par rapport à la violence346. Si les appels au calme se sont révélés nombreux, il

demeure que tout au long de la transition, la Tunisie a fait face à plusieurs épisodes de

violence qui ont eu un impact significatif sur la crédibilité des salafistes comme interlocuteurs

aux yeux du public. Après chaque épisode attribué aux jihadistes, le chef d’AST, Abû Iyadh,

intervenait rapidement sur différents médias, que ce soit les radios nationales ou encore les

réseaux sociaux, pour rappeler que les salafistes devaient mettre l’accent sur la prédication

pacifique. AST a cependant reçu l’appui de groupes considérés comme terroristes tels qu’Al-

Qâ’ida au Maghreb islamique, Ansar Al-Charî’a en Libye et de groupes en Syrie lors de

l’annonce de l’annulation du 3ème congrès de Kairouan347. L’appui de ces groupes, qui

luttaient contre leurs gouvernements respectifs et avaient un puissant pouvoir de

déstabilisation dans la région, a réduit la crédibilité d’AST lorsqu’il appelait aux actions

pacifiques, ce qui le distinguait pourtant de ces autres organisations. Quelques dérapages

discursifs sont également survenus, comme Adel Almi qui a affirmé publiquement que la

féministe Amina Tyler méritait d’être lapidée à mort après qu’elle ait publié des

photographies d’elle la poitrine dénudée sur les médias sociaux348.

Bien que les salafistes aient mis l’accent sur la renonciation à la violence et l’application de

la da’wa, la disparité entre leurs discours et leurs actions a également suscité la méfiance de

la société civile. L’ex-président Marzouki a d’ailleurs appelé les jeunes à « bannir la violence

345 Monica MARKS, op. cit., p. 111. 346 Loïc LE PAPE, op. cit. 347 RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Tunisie: Ansar al-Charia soutenu par d’autres mouvances

salafistes », Radio France Internationale - Afrique, [En ligne], 20 mai 2013,

http://www.rfi.fr/afrique/20130520-tunisie-ansar-al-charia-soutenu-autres-mouvances-salafistes (Page

consultée le 29 mai 2017). 348 CHAMPION, Marc, « Prosecute the Cleric, Not the Topless Woman in Tunisia », Bloomberg.com, [En

ligne], 22 mars 2013, https://www.bloomberg.com/view/articles/2013-03-22/prosecute-the-cleric-not-the-

topless-woman-in-tunisia (Page consultée le 29 mai 2017).

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physique et morale d'où qu'elle vienne et à rejeter la polarisation idéologique porteuse de

dissension et d'animosité, en faisant prévaloir le dialogue349 ». De tels discours ne serviraient

qu’à endormir la vigilance de la société et mettent en doute l’honnêteté de la démarche

entreprise par les salafistes à intégrer la société tunisienne.

L’accent mis sur la da’wa et la renonciation à la violence dans le contexte d’élaboration de

la constitution démontraient que les salafistes étaient persuadés que la salafisation de la

société et de l’État tunisiens pouvait se faire de manière pacifique. Éveiller la conscience de

la société et la convaincre de l’importance de mentionner la charî’a dans la constitution

étaient possibles étant donné les circonstances, d’autant plus que les dirigeants, provenant

essentiellement d’Ennahda, devraient prêter une oreille attentive à leur revendication. Cette

unanimité ne s’est cependant pas reflété dans la question entourant la légitimité de jouer le

jeu des politiques. Il existait donc un fossé parmi les salafistes quant au discours portant sur

les politiques, la légitimité et l’utilité, de s’impliquer au sein du processus de rédaction de la

nouvelle constitution.

Les salafistes politiques tunisiens voulaient influencer directement le processus de rédaction

de la nouvelle constitution. Pour y parvenir, Hizb Al-Tahrir s’est impliqué en politique en

mémoire des martyrs de la révolution. Le parti appelait les citoyens musulmans à faire de

même : « [t]he lives lost call upon you, so do not let them go in vain through your silence

upon the unjust man made system imposed upon you350 ». Jabhat Al-Islâh a invoqué que la

renonciation à la violence, de pair à l’acceptation de l’action politique pacifique de la part

des salafistes, permettraient leur intégration au processus démocratique et à la rédaction de

la nouvelle constitution351. Ce sentiment semble avoir été partagé par les autres partis

politiques. Ali Al-Moujahid, chef du parti Al-Assâla, a affirmé dans une entrevue que les «

349 RADIO-CANADA, « Tunisie : le président Marzouki lance un avertissement aux fondamentalistes », Radio-

Canada, [En ligne], 12 mars 2012, http://radio-canada.ca/nouvelle/553393/tunisie-marzouki-salafistes-drapeau

(Page consultée le 3 juin 2017). 350 Voir en annexe VIII HIZB AL-TAHRIR, « The Rule of the Tyrant, Ben Ali, Left Secretly from the Door

and Then Returned Back from the Window, After All of the Bloodshed! », Hizb Al-Tahrir, [En ligne], 2011,

http://www.hizb-ut-tahrir.org/index.php/EN/nshow/1230 (Page consultée le 3 juin 2017). 351 Georges FAHMI, op. cit.

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salafistes [étaient] des citoyens et des musulmans comme les autres352 », soulignant ainsi le

fait qu’ils avaient le droit et le devoir de s’impliquer dans la vie citoyenne et qu’ils ne

devraient pas faire l’objet d’une marginalisation de la part du reste de la société. Cette prise

de position, bien qu’elle n’ait pas été partagée par l’ensemble des partis politiques siégeant à

l’ANC, était également adoptée par Ennahda qui concevait la participation de ces individus

au processus constitutionnel comme nécessaire.

La vision des salafistes scientifiques tunisiens différait quelque peu. Ils ne désiraient pas

s’engager sur la scène politique comme l’a souligné Béchir Ben Hassen : « [i]l ne faut pas

diviser la société musulmane. En Égypte, un groupe salafiste est entré dans le processus

démocratique, mais la majorité n'a pas participé353 ». Ils préféraient mettre l’accent sur les

activités de da’wa et acceptaient le recours à la constitution comme outil de construction

étatique. La salafisation de la société et de l’État passait plutôt par le bas. D’ailleurs, les

figures scientifiques du salafisme tunisien profitaient des tribunes permises par la liberté

d’expression dans le cadre de la transition politique pour promouvoir avec vigueur leurs idées

sans crainte lors de leurs prêches dans les mosquées354.

Quant aux salafistes jihadistes tunisiens, ils adoptaient une posture antisystème. S’ingérer

dans les rouages politiques d’un État qui ne repose pas sur les bases du califat ne représentait

pas un moyen légitime pour parvenir à leurs fins : « [w]e do not recognize the State, nor

democracy, for the simple reason that we are guided by the sunna and the Quran. The only

law with worth for us is God’s law, and not secular law355 ». Cela nécessite d’autant plus un

dialogue avec des partis véhiculant des idées à l’encontre de ce que promouvaient les

salafistes et un effort de compromis sur des points que les salafistes jihadistes jugeaient non-

négociables. Il y avait également la nécessité d’entamer un dialogue avec les forces

352 OUMMA.TV, op. cit. 353 Isabelle MANDRAUD, « Enquête sur la radicalisation des salafistes tunisiens », Le Monde, [En ligne], 20

mars 2012, http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2012/03/20/la-tentation-radicale-des-salafistes-

tunisiens_1672645_1466522.html (Page consultée le 27 mai 2017). 354 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 14. 355 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.

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antérieures responsables des sévices subis par la population tunisienne356. De même, la

constitution ne constituait pas un outil valable, que soit inscrite ou non la charî’a, car le

Coran représentait la seule source légitime de pouvoir et de régulation de la société. Ils

reprochaient aux quatre partis politiques salafistes leur implication en politique en avançant

que la prise de pouvoir était leur seule motivation, alors que pour eux, « [o]ur target is the

people, not the state357 ». Ils qualifiaient le régime tunisien, même gouverné par Ennahda, et

les mécanismes démocratiques déployés à la suite des soulèvements, soit les élections, le

processus de rédaction de constitution incluant la consultation des citoyens, comme

illégitimes358. Ils étaient

Méfiants par rapport aux partis islamistes, [qu’ils] n’accept[aient] pas la

démocratie, la politique, la citoyenneté [et étaient] contre la modernité). Ils

per[cevaient ces méthodes] comme […] de la stratégie, une tactique [et

n’acceptaient pas] les principes d’Ennahda.359

Néanmoins, l’un de ses membres nuançait la position d’AST en affirmant que :

We are not absolutely in opposition to pluralism and elections. Our project is an

entirely new initiative. At its heart is the idea of adapting a pure Islam to modern

times that is why we are not against pluralism and elections in principle. The main

point is that we could conceive of such a development, but only in the context of

an Islamic state.360

Conclusion

Ce chapitre a permis de mettre en lumière la présence et l’organisation des groupes salafistes

lors de la transition. La société tunisienne contenait déjà les germes du mouvement salafiste

avant la chute du régime de Ben Ali, notamment grâce à l’augmentation de la disponibilité

des éléments véhiculant la doctrine salafiste, incluant les chaînes satellitaires et l’accès à

356 Georges FAHMI, op. cit. 357 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit. 358 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 7. 359 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 360 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.

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Internet, qui remplissaient le vacuum créé à la suite des mesures répressives de leaders

religieux et d’Ennahda au dire des membres du parti islamiste. Le départ de Ben Ali a permis

aux salafistes, essentiellement scientifiques ou politiques, en exil de revenir au pays, de

même que la promulgation de l’amnistie générale du 19 février 2011 a libéré de nombreux

salafistes jihadistes.

L’analyse des organisations salafistes en Tunisie a révélé la présence d’un mouvement

multiforme où de nombreuses ressemblances se sont démarquées, mais également des

différences. Dépendamment de leur vision du ‘amel tanzimî, les salafistes se sont rassemblés

ou non autour de différentes organisations, ce qui démontre que le mouvement était

hétéroclite. Les salafistes scientifiques tunisiens, qui ont refusé de s’inscrire dans cette lignée,

sont reconnus publiquement plutôt par leur engagement individualiste : Béchir Ben Hassen,

Khamis Mejri, Hassan Brik, Mohammed Ali Hurrath ou Farid Al-Béji. Cependant, deux

salafistes scientifiques ont créé des associations : Adel Almi, l’Association centriste pour la

sensibilisation et la réforme, et Khatib Idrissi, le Majlis al-chouyoûkh. Les salafistes

politiques tunisiens ont formé quatre partis politiques : Jabhat al-Islâh, Al-Rahma, Al-Assâla

et Hizb Al-Tahrir. Quant aux jihadistes, plusieurs groupuscules ont émergé, mais AST s’est

révélé comme le plus important.

Les groupes salafistes tunisiens se caractérisent également par l’absence d’une structure

hiérarchique rigide, misant plutôt sur une décentralisation au profit des comités locaux. Ce

constat doit cependant être nuancé au regard de l’importance cruciale que revêtent les leaders.

Si les associations salafistes scientifiques et politiques ont accepté de s’insérer dans le

système juridique en s’inscrivant officiellement comme association, les jihadistes l’ont

toujours refusé.

Néanmoins, ces groupes et individus ont partagé la volonté de se qualifier comme

« salafistes » dans un objectif précis de légitimer leurs discours et actions au regard de la

clientèle visée, des classes défavorisées et marginalisées, à l’exception d’Hizb Al-Tahrir qui

entrevoyait la délégitimation d’un tel qualificatif dans l’environnement politique. Les

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groupes salafistes tunisiens se caractérisent également par l’absence d’une structure

hiérarchique rigide, misant plutôt sur une décentralisation au profit des comités locaux. Ce

constat doit cependant être nuancé au regard de l’importance cruciale que revêtent les leaders.

S’il est cohérent que les salafistes scientifiques n’aient pas développé de programme

particulier étant donné leur engagement individualiste, les salafistes politiques et jihadistes

ont tenté de rédiger et de faire la promotion de leurs programmes ou plateformes électorales.

Ces derniers se sont toutefois révélés décrits en termes généraux, sans réelle mesure concrète.

L’ensemble des salafistes n’a également pas fait élire de représentants à l’ANC lors des

élections constituantes de 2011. La mosquée a toujours demeuré le principal lieu de rencontre

des groupes et ce, même pour les salafistes politiques, étant donné que la religion était au

cœur de leur mission.

Les salafistes tunisiens partageaient également des objectifs communs, mais entretenaient

des stratégies divergentes. En effet, ils adhéraient au slogan que l’islam représente la solution

à tous les maux de la société tunisienne en l’absence du socle islamique depuis la fondation

de la République tunisienne. Les salafistes tunisiens s’inscrivaient donc comme un

mouvement réactionnaire et très critique des dernières décennies. Une seule solution se

présentait à eux : l’inscription de la charî’a dans la nouvelle constitution. Cette principale

demande constitutionnelle représentait en fait bien plus qu’une simple demande politique.

Elle constituait une revendication identitaire, une volonté de redéfinir l’identité tunisienne.

Elle leur permettrait, incidemment, de revenir à un niveau d’égalité avec leurs concitoyens

laïcs et de participer à la redéfinition des institutions étatiques.

Cependant, l’absence d’une définition claire de la charî’a et l’apparente absence de

consensus des salafistes autour d’une telle définition, a fait craindre le pire chez leurs

détracteurs qui estimaient qu’il s’agissait bien plus que l’ajout d’un simple terme dans la

constitution. La charî’a risquait de modifier le système de gouvernance et de restreindre la

portée des droits et libertés individuelles. Plusieurs demandes para-constitutionnelles émises

par certains salafistes tunisiens telles que la création d’une police religieuse ou la fin de la

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mixité dans les établissements scolaires renforçaient cette crainte. C’est ainsi que les

salafistes, par leurs discours radicaux qui misaient sur la justice et l’équité islamique par la

destruction du système actuel, les salafistes attiraient à eux une clientèle bien particulière,

celle des classes les plus défavorisées et marginalisées de la société tunisienne, ne profitant

pas de la redistribution des richesses ni du système tunisien en général. Il s’agissait bien

souvent de jeunes issus de quartiers populaires des grandes villes ou de villages ruraux.

Jouissant des droits et libertés à l’instar de leurs concitoyens et percevant la possibilité de

jouer un rôle de vecteur de changement, les salafistes ont recouru à deux stratégies

salafisantes complémentaires dont l’adoption dépendait de la vision des salafistes par rapport

à leurs actions publiques. Les salafistes politiques ont préféré miser sur les actions politiques

pour influencer l’État et ses institutions en adoptant une stratégie top-down. Ils estimaient

que les changements sur le plan législatif étaient nécessaires pour que la société suive la voie

du salafisme et c’est ainsi que la constitution suscitait l’objet de lobbying. Cependant, les

salafistes scientifiques et jihadistes se sont plutôt orientés vers les actions influençant

directement la société en privilégiant une stratégie bottom-up. Ils étaient convaincus que les

changements devaient s’enraciner d’abord dans la société avant de parvenir à toute tentative

de modifier l’État notamment en multipliant les œuvres de charités et les prêches dans les

mosquées.

Les stratégies utilisées par les salafistes tunisiens pour revendiquer leur demande identitaire

ont été caractérisées par plusieurs convergences et divergences dans leurs discours.

Conscients des jeux de légitimation entourant le processus de rédaction de la nouvelle

constitution, ils devaient trouver le moyen leur permettant de rallier le plus de gens possible

à leur cause. Si l’ensemble des salafistes tunisiens, incluant les salafistes jihadistes, a misé

sur la renonciation au recours à la violence et sur l’emploi de la da’wa, l’implication politique

ne les a pas ralliés. Selon eux, la dictature renversée et le respect des droits et libertés leurs

permettaient d’agir pacifiquement pour la salafisation de la société.

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Néanmoins, cette situation ne justifiait pas pour autant, selon les salafistes tunisiens

scientifiques et jihadistes, l’implication dans les politiques et plus précisément dans les

tractations sur la rédaction de la nouvelle constitution. Si les membres des quatre partis

politiques salafistes tablaient sur la pertinence d’entrer dans les politiques en tant que

citoyens et de changer le système de gouvernance, les salafistes tunisiens scientifiques et

jihadistes reprochaient l’inefficacité d’une telle action et l’illégitimité même de ce système.

Maintenant que les objectifs constitutionnels postrévolutionnaires des salafistes tunisiens

sont précisés et que leur vision différente quant à la légitimité de certains répertoires d’actions

possibles sont connus, le prochain chapitre traitera précisément de ces actions entreprises par

les salafistes pour influencer le processus de rédaction de la nouvelle constitution.

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CHAPITRE 4 - LE PROCESSUS CONSTITUTIONNEL TUNISIEN :

POINT DE FRICTION DES ACTIONS SALAFISANTES

Ce chapitre a pour objectif de comprendre quelles actions les salafistes tunisiens ont mis de

l’avant pour influencer le processus de la rédaction de la nouvelle constitution tunisienne et

quels ont été leurs impacts. Il aborde trois aspects. Le premier aspect fournit l’éventail

d’actions mis en branle par les salafistes en soulignant l’absence d’actions politiques

structurantes au sein du mouvement salafiste tunisien. Cette absence de stratégie et de front

communs ont réduit l’effectivité de ces actions. Si les salafistes étaient divisés sur le plan de

la stratégie à adopter et si l’implication dans les politiques était légitime, l’ensemble de leurs

activités ont eu un très léger impact politique, puisqu’ils misaient sur la politique de la rue.

Certains recourraient à des méthodes d’action politique traditionnelles telles que la tenue de

manifestations publiques et de rassemblements politiques, alors que d’autres préféraient

privilégier des actions sociales et religieuses, instrumentalisées à des fins politiques. Les

salafistes tunisiens ont également tenté une timide intégration au sein des instances

participatives de l’Assemblée nationale constituante, en plus d’exercer du lobbying auprès

d’Ennahda. Cet exercice de lobbying a démontré que les salafistes ont adopté une logique de

dialogue à l’égard du parti islamiste, sous-tendant un rapprochement utilitariste. Ces efforts

pour inscrire la charî’a dans l’agenda politique d’Ennahda et dans la constitution tunisienne

ont mené en réalité à une influence modeste. Le deuxième aspect analyse le refus du parti

islamiste d’inscrire la charî’a dans la constitution qui est l’une des premières causes de la

rupture avec les salafistes. Cette décision, de pair à plusieurs événements opposant Ennahda

aux salafistes, ont conduit les salafistes à prendre leur distance. Cela a eu pour conséquence

un changement de ton et d’action dans les rangs salafistes au cours de la transition tunisienne.

Le troisième et dernier aspect donne les résultats de l’influence finalement indirecte des

salafistes sur la constitution tunisienne de 2014.

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L’absence d’actions politiques structurantes

Peu d’actions de nature politique ont fait l’objet d’une couverture médiatique dans les médias

tunisiens et internationaux, à l’inverse des actions de nature sociale ou religieuse ou des

épisodes de violences attribués aux salafistes. Ce faible nombre d’actions politiques semble

s’expliquer par trois principaux points. Premièrement, les salafistes politiques tunisiens

étaient en réalité peu nombreux. Malgré leur réelle volonté de « participer à la vie sociale,

intellectuelle et politique du pays361 » comme l’a affirmé Mohamed Khouja, ils se

retrouvaient marginalisés au sein même de la mouvance salafiste à cause des divergences

théologiques sur la légitimation de l’implication en politique tel que vu précédemment.

Deuxièmement, les partis politiques salafistes n’existaient tout simplement pas avant 2011.

L’emprisonnement des salafistes et leur impossibilité d’exercer un rôle citoyen au sein de la

société ne permettaient pas une mobilisation rapide et efficace, en dépit de la formation

d’embryons organisationnels formés en prison. Étant des acteurs inexpérimentés, les

salafistes ne possédaient pas non plus de savoir-faire militant ou d’expérience politique pour

mettre sur pied de nouveaux partis politiques. À l’exception des listes de candidats

indépendants présentés par le parti Jabhat Al-Islâh, ils n’ont donc pas pu se présenter aux

élections constitutionnelles de 2011.

Troisièmement, les potentiels électeurs salafistes ont démontré de l’ambivalence de deux

manières. En premier lieu, les personnes interrogées et des analystes estiment que la très

grande majorité des électeurs salafistes, n’ont pas exercé leur droit de vote puisqu’ils les

considéraient comme harâm362. En second lieu, ceux qui se sont présentés aux urnes ont soit

voté pour les listes indépendantes de Jabhat Al-Islâh, soit voté en faveur d’Ennahda.

D’ailleurs, des aima (imams) salafistes ne qualifiant pas les élections comme harâm leur ont

conseillé de voter pour Ennahda363, une action qui a également été effectuée par Jabhat Al-

361 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23. 362 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 363 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 27.

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Islâh qui appelait ses partisans et les électeurs à voter pour le parti islamiste lorsqu’il n’avait

pas de candidat dans l’une des circonscriptions364. Cependant, certaines personnes

interrogées estiment que si « certains [salafistes] ont voté pour Ennahda, [c’est] parce que le

parti est plus proche de leurs idées que les autres partis, mais [qu’ils forment] une minorité365

» et que « quelques salafistes sont allés voter, mais la plupart ne l’ont pas fait en 2011366 ».

Ces trois points ont contribué à la sous-représentation, pour ne pas dire la quasi-absence de

représentation, des salafistes au sein de l’ANC367 et ce, malgré leur présence au sein de la

société tunisienne. Ils se sont conséquemment retrouvés devant l’impossibilité d’effectuer un

travail constitutionnel et législatif au sein de l’ANC, contrairement au parti salafiste égyptien

Al-Nour, arrivé second aux élections tenues après le renversement de Moubarak. Face à ce

contexte, ils ont donc dû, pour influencer le processus constitutionnel, adopter une politique

de la rue, intégrer timidement les instances participatives de l’ANC et exercer des activités

de lobbying auprès d’Ennahda.

La politique de la rue : le mot d’ordre implicite chez les salafistes

L’une des principales armes employées par les salafistes a été la politique de la rue. Adoptant

les outils politiques pacifiques contestataires légitimes en démocratie, ils ont investi la rue

pour revendiquer leurs demandes identitaires à l’instar des citoyens qui avaient exigé le

départ de Ben Ali le 14 janvier 2011, mais ont également organisé des rassemblements pour

diffuser leurs idées. Cependant, les salafistes ont également employé des actions sociales et

religieuses pour transmettre un message fort politisé à l’égard des dirigeants et des citoyens.

364 Aaron Y., ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit. 365 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 366 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 367 Sami ZEMNI, Sami, « The Extraordinary Politics of the Tunisian Revolution : The Process of Constitution

Making », op. cit.

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Manifestations publiques et rassemblements politiques, des méthodes d’action politique

traditionnelles

Les démonstrations publiques qu’ils ont organisées remplissaient deux fonctions : exiger

l’inscription de la charî’a dans la constitution et la légifération de demandes para-

constitutionnelles, mais aussi de faire connaître un autre pan de la société muselé sous le

régime postcolonial tunisien. Si plusieurs manifestations modestes exigeant la charî’a se

sont déroulées dans différents gouvernorats de Tunisie après la fuite de Ben Ali368, trois

principales démonstrations ont été menées dans les rues symboliques de Tunis les 3, 16 et 25

mars 2012. Prenant place sur la mythique avenue Bourguiba et devant le siège de l’ANC à

Bardo, le fait qu’elles aient eu lieu en mars 2012 ne relève pas du fait divers. Les salafistes

semblaient avoir été mis au courant des discussions au sein d’Ennahda, car le parti islamiste

était à l’époque en train de tenir un important débat interne sur la question de mettre ou non

à l’agenda nahdaoui l’insertion de la charî’a.

Ces manifestations ont été l’occasion de constater que cette demande ne relevait pas

uniquement des salafistes. Elle était partagée également par une frange plus conservatrice de

la population tunisienne qui se définissait par cette identité musulmane mais sans pour autant

adhérer au salafisme. L’un des participants à la grande manifestation du 16 mars 2012 devant

l’ANC expliquait d’ailleurs sa présence en ces termes : « [n]ous sommes ici pour réclamer

pacifiquement l'application de la charia dans la nouvelle constitution369 ».

Il s’agissait de l’un des rares moments où une coopération et une synergie entre différentes

associations islamiques étaient visibles sur la place publique, mettant de côté les nombreuses

divergences entre les courants théologiques. Cette manifestation, organisée par le FTAI, a

rassemblé plus de 112 associations différentes, y compris des salafistes de Jabhat Al-Islâh370,

368 Duncan PICKARD, « The Current Status of Constitution Making in Tunisia », Carnegie Endowment for

International Peace, [En ligne], 2012, http://carnegieendowment.org/2012/04/19/current-status-of-

constitution-making-in-tunisia-pub-47908 (Page consultée le 8 octobre 2017). 369 Voir en annexe IX RADIO-CANADA & AGENCE FRANCE PRESSE, « Manifestation pro-charia en

Tunisie », Radio-Canada, [En ligne], 16 mars 2012, http://radio-canada.ca/nouvelle/554029/tunisie-islamistes-

salafiste (Page consultée le 3 juin 2017). 370 Aaron Y., ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit.

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ainsi que des partisans et des membres d’Ennahda qui s’y sont également présentés même en

l’absence de directive formelle du parti à cet égard. L’un des membres d’Ennahda justifiait

sa participation : « [j]e suis du parti Ennahda. Le parti ne me demande pas de manifester,

mais moi, à cause de mes propres croyances, je dois être présent, car je crois en la charia371 ».

D’importants députés nahdaouis, tels que Sahbi Atig372 et Habib Ellouze, connus pour être

en faveur de l’inscription de la charî’a dans la constitution, se retrouvaient parmi les

manifestants. Selon les propos rapportés par l’Agence France Presse, Atig aurait crié que la

charî'a devait être la principale source de législation de la constitution tunisienne, la foule

lui répondant qu’elle devait être l’unique source de législation373. Néanmoins, cette

manifestation n’a pas rassemblé tous les acteurs salafistes d’importance, exprimant ainsi la

cassure au sein du mouvement. Même si AST partageait l’idée selon laquelle l’État tunisien

devait être régulé par la charî’a, le groupe a refusé d’y participer, justifiant sa position par

son absence de reconnaissance de la légitimité de l’ANC374.

D’autres manifestations, qui ont parfois dégénéré en confrontations violentes, se sont

déroulées lorsque « le sacré » avait été considéré être profané à la suite d’événements locaux

ou internationaux. Par exemple, l’exposition tunisienne d’œuvres d’art contemporain

considérées offensantes pour l’islam au palais d’El-Abdellia le 11 juin 2012 a suscité une

vague d’indignation non seulement chez les salafistes, mais également chez des musulmans

d’autres tendances375. S’y trouvait notamment un « tableau figurant une femme dénudée qui

[tenait] un bol de couscous à hauteur de son sexe, entourée de têtes d’hommes barbus376 ».

Ainsi, salafistes de divers horizons, de Jabhât Al-Islâh à l’Association centriste pour la

371 RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Manifestation de Tunisiens pour réclamer l’instauration de la

charia », Radio France Internationale – Afrique, [En ligne], 17 mars 2012, http://www.rfi.fr/afrique/20120316-

manifestation-tunisiens-reclamer-instauration-charia (Page consultée le 1 novembre 2017) 372 Sahbi Atig a agi à titre de président du groupe parlementaire d’Ennahda. 373 RADIO-CANADA & AGENCE FRANCE PRESSE, « Manifestation pro-charia en Tunisie », op. cit. 374 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 375 WESTLATY, Lilia, « Des salafistes détruisent des œuvres artistiques au Palais Abdellia », Nawaat, [En

ligne], 2012, http://nawaat.org/portail/2012/06/11/des-salafistes-detruisent-des-oeuvres-artistiques-au-palais-

abdellia/ (Page consultée le 24 avril 2018). 376 Priscille LAFITTE, « Une exposition d’art contemporain à l’origine des heurts à Tunis ? », France 24, [En

ligne], 14 juin 2012, http://www.france24.com/fr/20120612-tunisie-heurts-tunis-exposition-art-contemporain-

printemps-marsa-salafistes (Page consultée le 30 décembre 2017).

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sensibilisation et la réforme, nahdaouis et membres des associations formant le FTAI ont

manifesté pour exiger de la part de l’ANC « la codification de la protection des symboles du

peuple tunisien musulman377 ». Quelques députés d’Ennahda y ont d’ailleurs répondu en

présentant un projet de criminalisation des offenses contre l’islam au nom de l’identité arabo-

islamique de la Tunisie, témoignant de leur écoute à l’égard des franges religieuses de la

société tunisienne. Ce projet de loi prévoyait de punir les atteintes au sacré telles les insultes,

la dérision et la représentation d’Allah et de Mohammed et les violations de valeurs sacrées

par des peines d’emprisonnement et des amendes378. Un autre exemple est celui de la

manifestation organisé par Hizb Al-Tahrir le samedi 29 septembre 2012, à Bab Souika pour

défendre le Prophète et demander l’instauration du califat dans la foulée de la diffusion du

vidéo amateur L’innocence des musulmans sur la vie du Prophète379.

Témoins de la pression exercée par ces démonstrations publiques où se sont présentés des

milliers de personnes, les Tunisiens qui ne partageaient pas ces demandes identitaires et qui

y étaient opposés ont répliqué par la tenue de contre-manifestations au mois de mars 2012,

afin d’exercer également de la pression sur Ennahda. Profitant du 20 mars, jour de fête de

l’indépendance tunisienne, des milliers de personnes provenant de divers groupes de la

société civile et de partis politiques au positionnement idéologique différent se sont rejoints

sur l’avenue Bourguiba pour demander un État civil, moderne et démocratique, faisant ainsi

contrepied aux salafistes et islamistes380.

377 Asma GHRIBI, « Divisions within the Tunisian Islamist Party Around Islamist and Ultra-Conservative

Protest Plans? », Islamopedia Online, [En ligne], 2012, http://www.islamopediaonline.org/news/divisions-

within-tunisian-islamist-party-around-islamist-and-ultra-conservative-protest-plans (Page consultée le 29 mai

2017). 378 Sarah J. FEUER, « Islam and Democracy in Practice: Tunisia’s Ennahdha Nine Months In », Crown Center

for Middle East, 66, 2012, pp. 1-9. 379 Mourad S., « Le Hizb Ettahrir préconise le califat pour imposer le respect des musulmans », Tunisie

Numérique, [En ligne], 29 septembre 2012, https://www.tunisienumerique.com/le-hizeb-ettahrir-preconise-le-

califat-pour-imposer-le-respect-des-musulmans (Page consultée le 5 novembre 2017). 380 Voir en annexe X Nadia OMRANE, « 20 mars 1956-20 Mars 2012 : Nous sommes la République! »,

Kapitalis, [En ligne], 24 mars 2012, http://www.kapitalis.com/tribune/8978-20-mars-1956-20-mars-2012-

nous-sommes-la-republique.html (Page consultée le 24 avril 2018) et en annexe XI Monia BEN HAMADI, «

Tunisie - Manifs et contre-manifs sur la Chariâa : Qui est le peuple? », Businessnews, [En ligne] 20 mars 2012,

http://www.businessnews.com.tn/Tunisie---Manifs-et-contre-manifs-sur-la-Chari%C3%A2a-Qui-est-le-

peuple,519,30018,1 (Page consultée le 24 avril 2018).

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La politique de la rue, employée par les salafistes, a également fait appel à un autre principal

moyen politique pour faire connaître leurs idées : la tenue de rassemblements de partis

politiques ou d’AST. Les rassemblements des partis leur permettaient de diffuser leurs

programmes et de faire la démonstration des alliances stratégiques avec d’autres acteurs. Par

exemple, le rassemblement menant à la création officielle de Jabhat Al-Islâh a compté

d’importants membres nahdaouis dont le chef du parti, Rachid Ghannouchi381. Ceux d’AST,

bien qu’estimés religieux au premier regard, ne dérogeaient pas à la règle et représentaient le

moment propice pour promouvoir leurs idées et programmes politiques, économiques,

sociaux et religieux. C’est de cette façon qu’AST a dévoilé ses programmes lors de ses deux

congrès se déroulant à Kairouan en 2011 et 2012. Même si le groupe niait toute implication

politique, ses rassemblements, fortement médiatisés, ont influencé la politique en suscitant

la controverse chez les partis d’opposition de l’ANC. Cette méfiance accrue de la part des

partis d’opposition et la politisation de ces rassemblements se sont avérées importantes, car

elles ont permis de créer des liens et de créer des contacts avec d’autres associations et des

partis politiques, dont ceux de Jabhat Al-Islâh, d’Al-Assâla et d’Ennahda. Habib Ellouze et

Sadok Chourou ont d’ailleurs participé aux deux congrès d’AST, ce dernier ayant même tenté

une ouverture inopinée vers les militants des droits de l’homme en invitant Radhia Nasraoui

qui a cependant décliné l’invitation.

Néanmoins, ces méthodes traditionnelles d’action politique ne représentaient qu’un faible

pourcentage de l’ensemble des actions qui ont eu un impact sur le contexte social entourant

le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne. En effet, la majeure partie

de ces actions est de nature sociale ou religieuse.

L’instrumentalisation ou la politisation des actions sociales et religieuses

Par ailleurs, s’il paraît au premier regard que les actions caritatives et religieuses ne jouaient

qu’un rôle social, il en est autrement lorsque le contexte fait l’objet d’une analyse plus macro.

Bien que les salafistes scientifiques et jihadistes avaient des réticences à participer aux

381 Aaron Y. ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit.

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activités politiques, leurs actions sociales et religieuses véhiculaient dans les faits un message

politique qui contredisait leur posture, mais qui s’avérait jouer un rôle de sensibilisation à la

cause islamique afin de renforcer leur stratégie de salafisation par le bas.

En effet, l’une des récriminations clamées lors des soulèvements du printemps arabe était

que les inégalités économiques se maintenaient en raison d’un système corrompu lequel ne

bénéficiait qu’aux élites urbaines. Les disparités entre les différentes classes sociales se

faisaient particulièrement ressentir dans les régions intérieures de la Tunisie, négligées par

les autorités gouvernementales et ne profitant pas des projets de modernisation dès l’époque

de Bourguiba, mais également dans certains quartiers populaires des grandes villes, comme

Ettadhamen ou Douar Hicher382383. Leurs habitants sont davantage touchés par divers

problèmes socioéconomiques tels qu’un taux de chômage plus élevé, l’absence d’eau

courante et d’électricité ou une inflation importante. Représentant pourtant le berceau de la

révolution du jasmin, les citoyens de ces zones reculées se sentaient négligés par les

constituants pendant la transition, considéraient que leurs besoins étaient oubliés de l’ANC

et étaient désillusionnés devant maintes promesses révolutionnaires pour une meilleure

répartition des richesses384.

Les salafistes, à la tête de convois bien organisés, se présentaient alors comme les « sauveurs

se souciant des moins nantis ». Leurs actions caritatives visaient à pallier les défaillances du

modèle d’État-Providence du régime tunisien en venant en aide aux plus démunis et tout en

rompant avec les pratiques des anciens régimes. Elles répondaient également à l’un de leurs

devoirs religieux, soit celui d’aider les musulmans dans le besoin :

The spiritual leader of Ansar al-Shari’ah in Tunisia Shaykh Abu Ayyad al-

Tunisi emphasized to his followers the wajib (obligation) of providing aid to

those in need as an Islamic duty and that these services were an aspect of jihad

382 C’est ce qu’on peut en déduire du travail de Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The

Fight for Identity beyond Political Islam », op. cit. 383 Ibid. 384 Ibid. Le fait que rien n’ait changé après la révolution explique en partie pourquoi ces populations sont attirées

vers par le salafisme.

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fi sabil Allah (in the cause of God), which would hopefully lead eventually to

the creation of an Islamic state or Caliphate385.

Le groupe s’étant le plus illustré à ce type d’actions est sans nul doute AST. Par exemple,

lors des chutes de neige à Haydrah durant l’hiver 2011, ses membres ont été les premiers à

répondre aux besoins des habitants en apportant notamment des vêtements plus chauds, alors

que l’État n’arrivait pas à fournir les besoins de première nécessité386. Le groupe a d’ailleurs

offert de l’argent à des enfants dans certains hôpitaux, aux orphelins et aux pauvres et a

contribué à l’organisation de mariages et à la planification du hâj, le pèlerinage obligatoire à

La Mecque387. AST a aussi organisé plusieurs autres convois, par exemple à Kef dans des

villages éloignés en octobre 2012 et à Siliana en janvier 2013.

Parallèlement à ces dons, des prêches religieux, des vêtements islamiques et des livres sur le

salafisme sont aussi offerts. Ils étaient distribués de manière cérémonielle et accompagnés

par des takbîr (Allâhou akbar, Dieu est grand). Cela avait pour objectif d’inciter les

bénéficiaires à remercier Dieu pour ses bienfaits et à adopter davantage un comportement

halâl, les salafistes espéraient que ces actions auraient des effets d’entraînement388. Ils

labouraient ainsi un terreau fertile pour leur idéologie :

Assisting in social work gave space to preach ones ideology. As a result, if Ansar

al-Shari’ah in Tunisia is able to continue with similar efforts along with

protesting cultural policies (the niqab and appropriate levels of freedom of

expression/speech), one may see its small movement gain wider popularity. This

could be especially true in rural areas where many citizens are more

conservative, religious, and extremely disillusioned with the governments lack of

attention to it.389

385 Aaron Y. ZELIN, « Jihadi Soft Power in Tunisia: Ansar al-Shari’ah’s Convoy Provides Aid to the Town of

Haydrah in West Central Tunisia », op. cit. 386 Ibid. 387 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 19. 388 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 9. 389 Aaron Y. ZELIN, « Jihadi Soft Power in Tunisia: Ansar al-Shari’ah’s Convoy Provides Aid to the Town of

Haydrah in West Central Tunisia », op. cit.

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Pallier l’État signifiait, en plus d’offrir des services publics dans ces régions, de nettoyer les

rues et d’arrêter les bandits : « là où l’État n’était pas présent, Ansar Al-Charî’a l’était390 ».

Cela démontrait bien la volonté de « profiter à court-terme des faiblesses de l’État pour

prêcher et s’enraciner, pour discréditer l’ensemble des institutions391 » étatiques. Ils

pouvaient aussi assumer le rôle de médiateurs dans divers conflits administratifs, familiaux

ou de voisinage392.

Les salafistes étaient confortés dans leur idéologie grâce à leurs actions sociales. En plus de

constater la misère rampante et la dichotomie entre la vie de la capitale et des plus aisés, ils

apportaient une aide concrète qui avait un réel impact dans le quotidien de ces populations,

loin des préoccupations institutionnelles qui teintaient la transition et les acteurs participant

au processus constitutionnel. Cela expliquait peut-être pourquoi les salafistes jihadistes sont

plus portés vers l’aide sociale que les considérations structurelles considérées illégitimes. Ils

ont le sentiment d’accomplissement du devoir religieux, d’aider ceux dans le besoin. La

perception d’appartenir à al-firqa al-najiyya, le bon groupe qui agit pour le bien-être des

Tunisiens, était renforcée.

De telles actions faisaient l’objet d’une bonne médiatisation sur les réseaux sociaux de la part

d’AST qui avait le souci de photographier et de prendre en vidéo les multiples convois

organisés et de diffuser ce matériel sur Internet. AST apparaissait comme le groupe salafiste

qui revendiquait le plus ces actes à l’aide de moult drapeaux noirs avec la chahâda inscrite

en blanc, de membres portant des dossards bien identifiés, de voitures et de camionnettes

abordant le nom et le logo d’AST393. Les vidéos qui circulaient visaient à rétablir la légitimité

du groupe jihadiste malmenée dans les médias qui le qualifiaient de groupe terroriste. Elles

pouvaient inciter d’autres Tunisiens à rejoindre les rangs des salafistes, puisque « les partis

390 Sara BEN HAMADI, « Qui est Khatib Al Idrissi, le “guide spirituel” d’Ansar Al Charia? », Al Huffington

Post Maghreb, [En ligne], 25 octobre 2013, http://www.huffpostmaghreb.com/2013/10/25/khatib-al-

idrissi_n_4163808.html (Page consultée le 21 mai 2017). 391 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 18. 392 Ibid., p. 20 et voir également le documentaire très éclairant de BBC, The Battle for Bizaerte : Tunisia’s

War with Islamists, 2013. 393 ARTE, Tunisie, les islamistes, les salafistes et le jihad, Tunisie, 28 mai 2015.

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salafistes bénéfici[ai]ent d'une image positive, plus en phase avec les aspirations populaires,

en raison du travail social qu'ils réalis[ai]ent auprès des groupes sociaux marginalisés394 ».

Les actions sociales fournissaient d’ailleurs l’occasion aux salafistes de renforcer l’appui des

communautés locales dans leurs efforts de transformation de la société tunisienne vers une

société islamique juste et équitable en rassemblant davantage de citoyens sensibles à leurs

revendications constitutionnelles et percevant la charî’a comme la réponse aux maux de la

Tunisie395.

À travers les actions religieuses, l’islam était présenté comme la voie alternative à celle

proposée par une constitution laïque. Elles servaient, grâce à la da’wa et au concept al-amr

bil-mar’roûf wal-nahi ‘an al-munkar, à répandre un discours différent de celui tenu par les

constituants et plus radical que celui des nahdaouis. À maintes reprises, les salafistes ont

souligné que la Tunisie demeurait une terre d’islam, dâr al-islâm, ce qui impliquait que les

salafistes détenaient la responsabilité d’éduquer (tarbiyya) la population tunisienne aux

enseignements islamiques et plus précisément au minhâj salafî. C’est pourquoi la lutte pour

le contrôle des mosquées, le rôle de « police religieuse » adopté par certains salafistes et la

tenue de conférences et de rassemblements religieux faisaient partie de la stratégie de

salafisation par le bas. Elles permettaient, à défaut d’avoir une constitution islamique, de

mobiliser une base sociale qui critiquerait cette même constitution.

L’effondrement partiel de l’appareil sécuritaire et le relâchement de la surveillance des

mosquées après la fuite de Ben Ali ont souligné le rôle politique de ces lieux de prières qui

faisaient l’objet d’une chaude lutte de contrôle de la part de plusieurs protagonistes, dont les

salafistes, toutes tendances confondues396. Lieu de rassemblement, la mosquée réunissait une

large audience en quête de spiritualité propice pour la tenue de discours également politique.

Ainsi, contrôler les mosquées équivalait à maîtriser les discours et messages émis. C’est

394 Samir AMGHAR, « Le salafisme à la conquête du pouvoir », op. cit. 395 Aaron Y. ZELIN, « The Rise of Salafists in Tunisia After the Fall of Ben Ali », Combating Terrorism Center,

[En ligne], 2011, https://ctc.usma.edu/posts/the-rise-of-salafists-in-tunisia-after-the-fall-of-ben-ali, (Page

consultée le 28 juin 2017). 396 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 15.

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pourquoi les salafistes ont misé sur une prise de contrôle des lieux de prières en délégitimant

les aima désignés par l’ancien régime comme traîtres et les ont remplacés par de jeunes aima

salafistes autoproclamés chouyoûkh. Leur imposition dans le plus grand nombre de mosquées

à travers la Tunisie devait assurer le maintien et l’expansion des enseignements et de

l’idéologie salafistes. Les aima qui y étaient placés ne détenaient pas d’autorisation du

Ministère des Affaires religieuses pour prêcher397. Selon le ministre de l’Intérieur Lotfi Ben

Jeddou, il demeurait jusqu’à 380 mosquées sous le contrôle de salafistes jihadistes au mois

de mars 2014398. D’ailleurs, les salafistes politiques « concentraient leurs actions religieuses

auprès des mosquées, formant des halaqât399 ».

Les salafistes faisaient aussi partie des protagonistes se disputant le contrôle de la mythique

mosquée Zeitouna. En charge de la formation de l’imâm, du ‘âlim et du mujtahid, la Zeitouna

représentait un atout stratégique, notamment en raison de son aura symbolique, pour assurer

la pérennité de l’idéologie salafiste en Tunisie. La restitution de ses fonctions

d’enseignements religieux après les soulèvements populaires a suscité moult convoitises de

divers acteurs religieux dont des chouyoûkh malékites ultraconservateurs, des nahdaouis, des

salafistes scientifiques et jihadistes et des militants de Jabhat al-Islâh et d’Hizb al-Tahrir400.

Outre le contrôle des mosquées, plusieurs salafistes, particulièrement ceux jihadistes et

scientifiques, se sont employés à sensibiliser leurs concitoyens aux préceptes islamiques

salafistes dans la continuité de la salafisation par le bas. Agissant à titre de police religieuse

en appliquant le concept d’al-amr bil-mar’roûf wal-nahi ‘an al-munkar, ils réprimandaient

ceux qui ne se conformaient pas à leurs interprétations religieuses. Abu Iyadh a rappelé

l’importance de renforcer l’application de la charî’a en incitant les membres d’AST à adopter

397 Anne WOLF, « The Radicalization of Tunisia’s Mosques », Combating Terrorism Center, [En ligne], 2014,

https://www.ctc.usma.edu/posts/the-radicalization-of-tunisias-mosques (Page consultée le 29 mai 2017). 398 MOSAÏQUE FM, « Le MI donne la liste des imams extrémistes à limoger », Mosaïque FM, [En ligne], 2

mars 2014, http://archivev2.mosaiquefm.net/fr/index/a/ActuDetail/Element/33904-le-mi-donne-la-liste-des-

imams-extremistes-a-limoger (Page consultée le 21 mai 2017). 399 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 400 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 35.

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ce rôle de police religieuse401 et ce, partout où ils le pouvaient. Ils intervenaient entre autres

pour réaffirmer l’interdiction de la vente et de la consommation de l’alcool et pour

sensibiliser les femmes à revêtir des habits décents402. Adel Almi avait demandé la

permission de filmer les « dé-jeûneurs » durant le ramadan à l’été 2013 sur l’avenue

Bourguiba, afin de pouvoir les identifier et sévir403. Ces actions ont souvent dégénéré vers la

violence par l’emploi de l’agression physique et verbale, afin de modifier les comportements

sociaux des Tunisiens et de lutter contre les innovations religieuses. Par exemple, plusieurs

salafistes ont attaqué des maisons closes dans l’ensemble de la Tunisie404. Menaçant les

prostituées et les clients, ils ont tenté de fermer la célèbre maison close d’Abdallah Guech,

située dans la médina de Tunis, en février 2011405. De nombreux tombeaux de marabouts ont

également été détruits comme celui de Sidi Yacoub à Beni Zelten le 4 mai 2012406, ou la

zaouia de Saïda Manoubia, incendiée le 16 octobre de la même année407. Bien que les

salafistes jihadistes aient été les plus prompts à utiliser la violence, les salafistes scientifiques

ont aussi recouru à des tactiques agressives pour influencer le processus constitutionnel. Ils

ont notamment agressé physiquement des journalistes, des syndicalistes et des activistes408

comme Iqbal Gharni, ancienne directrice de la radio Zeitouna, qui a fait l’Objet de

harcèlement et d’agression d’Adel Almi et de confrères409.

401 Nathaniel GREENBERG, « The Rise and Fall of Abu ‘Iyadh: Reported Death Leaves Questions

Unanswered », op. cit. 402 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 10. 403 Maurgaux LERIDON, « Tunisie: ils ne jeûnent pas et se prennent en photo pour répondre à la menace du

salafiste Adel Almi », Slate, [En ligne], 12 juillet 2013, http://www.slate.fr/monde/75261/tunisie-photo-

ramadan-cheikh-adel-almi-facebook (Page consultée le 8 novembre 2017). 404 Frida DAHMANI, « Prostitution : islamistes et maisons closes, le blues des filles de joie tunisiennes » Jeune

Afrique, [En ligne], 25 avril 2014, http://www.jeuneafrique.com/133742/societe/prostitution-islamistes-et-

maisons-closes-le-blues-des-filles-de-joie-tunisiennes (Page consultée le 23 juin 2017). 405 Imed BENSAIED, « Les islamistes s’attaquent aux maisons closes », France 24, [En ligne], 18 mars 2011,

http://www.france24.com/fr/20110318-prostituees-tunis-tunisie-prostitution-bordel-avenue-bourguiba-

mosquee-islamistes (Page consultée le 23 juin 2017). 406 WEBDO, « Profanation de Sidi Bou Saïd : Le maire de la ville accuse Ghannouchi », Webdo, [En ligne], 13

janvier 2013, http://www.webdo.tn/2013/01/13/profanation-de-sidi-bou-said-le-maire-de-la-ville-accuse-

ghannouchi (Page consultée le 8 novembre 2017). 407 I. N., « Tunisie - Le mausolée de Saïda Manoubia incendié » Businessnews, [En ligne], 16 octobre 2012,

http://www.businessnews.com.tn/Tunisie---Le-mausol%C3%A9e-de-Sa%C3%AFda-Manoubia-

incendi%C3%A9-(vid%C3%A9o),520,34031,3 (Page consultée le 8 novembre 2017). 408 Anna MAHJAR-BARDUCCI, « Tunisia’s New Islamist Police », op. cit. 409 Asma GHRIBI, « Tunisia Recognizes Controversial Islamist Organization », op. cit.

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Différents événements ont été organisés par des salafistes qui maintenaient une présence dans

les rues tunisiennes : des séminaires et cercles d’études, des prières à l’extérieur des

mosquées, des ventes de livres religieux, de petits rassemblements dans les cafés. Faisant des

prêches après les matchs de soccer et distribuant des pamphlets410, ils érigeaient également

des tentes de da’wa pour tenir des discussions et des prêches411. Certaines de ces activités

ont parfois été menées de concert avec d’autres associations islamiques et le Ministère des

Affaires religieuses, dont plusieurs conférences où la tribune était accordée à divers

prédicateurs aux propos polémiques. Le prédicateur saoudien Mohammed Ben Ali Chanqiti

a effectué une tournée des mosquées en Tunisie en février 2013412. L’imâm égyptien

Mohammed Hassan, promouvant l’excision des femmes, a visité la Zeitouna le 30 avril 2013,

visite à laquelle ont assisté les députés nahdaouis Sadok Chourou et Habib Ellouze413. Ces

conférences suscitaient cependant l’indignation parmi la population qui saluait d’ailleurs les

quelques occasions où les autorités avaient refusé l’accès au territoire à des conférenciers

ayant été reconnus coupables d’agissements criminels414. Le 14 mai 2012, les agents de la

douane tunisienne ont refusé l’entrée de deux prédicateurs marocains, Omar Al-Haddouchi

et Hassan Kettani, qui avaient été condamnés pour avoir organisé les attentats de 2003 à

Casablanca415. Lors de la visite de Wajdi Ghanim, un collectif de citoyens, dirigé par Emna

Mnif, a dénoncé la série de conférences qu’il menait, estimant qu’il s’agissait « d’incitation

à la haine et à la violence et d’ingérence dans les affaires tunisiennes416 ».

410 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit. 411 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit. 412 Jean FONTAINE, op. cit., p. 178. 413 DIRECTINFO, « Le prédicateur égyptien Mohamed Hassen débarque en Tunisie », Directinfo, [En ligne],

18 avril 2013, https://directinfo.webmanagercenter.com/2013/04/18/le-predicateur-egyptien-mohamed-hassen-

debarque-en-tunisie (Page consultée le 8 novembre 2017). 414 Voir en annexe XII Rabaa H., « Tunisie : (vidéo) Le prédicateur Mohamed Hassan accueilli sur les

chapeaux de roues », Tunisie Numérique, [En ligne], 30 avril 2013,

https://www.tunisienumerique.com/tunisie-le-tres-controverse-mohamed-hassan-ce-mardi-a-tunis (Page

consultée le 8 novembre 2017). 415 Synda TAJINE, « L’arrivée de deux prédicateurs marocains provoque l’agitation à l’aéroport Tunis-

Carthage », Businessnews, [En ligne], 15 mai 2012, http://www.businessnews.com.tn/larrivee-de-deux-

predicateurs-marocains-provoque-lagitation-a-laeroport-tunis-carthage,520,31054,3 (Page consultée le 8

novembre 2017). 416 Voir en annexe XIII JEUNE AFRIQUE, « Tunisie : colère après les déclarations du prêcheur égyptien Wajdi

Ghanim », Jeune Afrique, [En ligne], 16 février 2012, http://www.jeuneafrique.com/177322/politique/tunisie-

col-re-apr-s-les-d-clarations-du-pr-cheur-gyptien-wajdi-ghanim (Page consultée le 12 novembre 2017).

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Ces actions sociales et religieuses ont donc bel et bien eu un impact sur le contexte entourant

le processus de rédaction de la nouvelle constitution. De pair à cela, certains salafistes ont

voulu intégrer les instances participatives de l’Assemblée nationale constituante.

Une timide intégration aux instances participatives de l’Assemblée nationale constituante

Cette intégration a pu être permise grâce à un souci constant de l’ANC de bénéficier de

l’apport des citoyens et favoriser leur participation et ce, tout au long du processus de

rédaction de la constitution. Bien que certains membres de la société civile aient perçu le

contraire, l’objectif de l’ANC par l’entremise de ces instances était que chaque citoyen ait le

sentiment que la constitution reflète la société tunisienne. En plus d’élire un représentant qui

devrait assurer les intérêts de ses électeurs, un Président des relations avec la société civile et

une équipe à sa disposition ont été mis sur pied pour assurer la pleine participation des

Tunisiens au processus constitutionnel. À ce titre, trois activités institutionnelles ont été

organisées pour assurer la participation concrète des citoyens, en plus des possibilités pour

eux d’interpeller directement leur député à son bureau de circonscription et du projet de

Marsad Al-Majles par l’envoi électronique de questions aux députés417. Certains salafistes

ont donc tenté d’intégrer ces instances participatives de l’ANC.

Premièrement, 160 réunions regroupant des experts, universitaires, professionnels ou autres,

provenant de différents horizons et de domaines distincts, ont été organisées au sein des six

commissions constitutionnelles établies418. Parmi les spécialistes convoqués, au moins un

représentant de la tendance salafiste scientifique, nommément Béchir Ben Hassen, a été

invité à prendre la parole lors de ces audiences. Il était cependant accompagné par des aima

417 « Questions », Marsad, [En ligne], http://majles.marsad.tn/fr/questions (Page consultée le 17 juin 2017). 418 Les six commissions constitutionnelles sont les suivantes : la commission des droits et libertés, la

commission des pouvoirs législatifs, exécutif et des relations entre eux, la commission du préambule, des

principes fondamentaux et de révision de la Constitution, la commission des collectivités publiques, régionales

et locales, la commission des instances constitutionnelles et la commission des juridictions judiciaires,

administratives, financières et constitutionnelles.

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d’autres tendances419, ce qui a probablement eu pour effet de diluer le message qu’il désirait

diffuser. Lors de ces audiences, les députés des commissions constitutionnelles désiraient

connaître leurs propositions concernant le projet de constitution et la manière dont ils

percevaient le rôle de l’islam dans la société tunisienne postrévolutionnaire420. Cependant,

ces commissions constitutionnelles n’ont jamais convoqué de représentants des quatre partis

politiques salafistes accrédités, alors que ces derniers ont voulu être entendus, ou de membres

d’AST pour prendre connaissance de leurs points de vue421.

Deuxièmement, deux jours de consultations nationales ont été organisées les 14 et 15

septembre 2012 au siège de l’ANC. Ces consultations nationales correspondaient à six

ateliers renvoyant au travail effectué par les six commissions constitutionnelles. Les

échanges entre les participants et les constituants se basaient sur la première mouture du

projet de constitution complétée au mois d’août 2012. Les deux ateliers qui ont suscité le plus

grand intérêt de la part des participants au regard du nombre d’inscription, où plus d’une

centaine de citoyens se sont manifestés à chacun de ces ateliers, étaient celui sur les droits

et libertés et celui sur le préambule et les principes généraux. Selon Abdelkafi, le président

des relations avec la société civile, cet engouement s’expliquerait par la « crainte que les

droits fondamentaux ne soient pas expressément consacrés ni les garanties clairement

prévues de manière à assurer le respect des libertés de certains et à bafouer l’identité et les

références des autres ». Dans le contexte épineux de l’essor du salafisme, de la polémique

entourant leurs revendications, de la saga des manifestations pro et anti-charî’a de mars 2012

et des épisodes de violence attribués à ces derniers, cette hypothèse paraissait tout à fait

plausible. Bien que les ateliers aient été médiatisés et ouverts à tous les citoyens, peu importe

leurs convictions, « la présence salafiste s’est avérée minoritaire422 ». Cette présence peu

marquée semblait tout à fait surprenante particulièrement de la part des salafistes politiques

419 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 420 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 421 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 422 Entrevue avec G, député d'Ennahda, dans le local d'Ennahda à l'Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie.

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qui ont reproché à maintes reprises leur manque d’inclusion dans le processus d’élaboration

de la nouvelle constitution. Cela se justifiait peut-être par les circonstances de l’attaque de

l’ambassade américaine deux jours plus tôt ou la désillusion et la méfiance ressentie par ces

acteurs après le refus d’Ennahda de mettre à son agenda l’inscription de la charî’a dans la

constitution peuvent être des facteurs explicatifs à cette non-collaboration. Quoiqu’il en soit,

« les idées qui sont ressorties [de ces deux jours de consultations] étaient plus centristes,

bien qu’il y en a eu quelques-unes extrêmes, mais ça ne représent[ait qu’]une minorité423 ».

Troisièmement, une tournée de l’ensemble des gouvernorats a été organisée dans le but

d’aider « les membres de [l’ANC] à mieux comprendre les positions, tendances et intérêts du

peuple424 » dans le sillage du succès remporté par les deux journées de consultations

nationales auprès des citoyens. Il apparaît difficile d’établir avec certitude la présence et la

participation des salafistes, car les députés d’Ennahda ne s’entendaient pas sur ce point. Si la

majorité des députés d’Ennahda interrogés a affirmé que les salafistes, peu importe leur

affiliation, n’ont pas participé aux instances participatives de l’ANC425, l’une a cependant

confirmé la participation de salafistes au moins lors des consultations de Monastir426. Bien

que la députée estimait qu’il s’agissait de jeunes salafistes jihadistes, ils n’abordaient pas

d’apparente affiliation à un groupe quelconque et ne se sont pas réclamés d’un groupe. Ils

sont entrés dans le local et

Ont émis de nombreuses critiques sur la légitimité du processus d’élaboration et

de rédaction de la constitution, comme quoi le processus allait à l’encontre de

l’islam, que la constitution est contre l’islam, qu’elle ne vaut rien du tout et

qu’elle ne devrait même pas être écrite. Écrire une constitution n’est pas en

accord avec l’islam et l’oumma, la seule constitution valable étant le Coran.427

423 Entrevue avec G, député d'Ennahda, dans le local d'Ennahda à l'Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie. 424 Badreddine ABDELKAFI, « L’Assemblée nationale constituante et la société civile : quelle relation ? » dans

La constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, Programme des Nations unies pour le

développement, 2016, pp. 143. 425 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 426 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 427 Ibid.

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Refusant d’échanger avec les députés et optant pour un mode de confrontation verbale et

physique, ils ont finalement été expulsés de la salle par des agents de sécurité428. Cette

irruption de salafistes témoignait de la volonté de certains d’entre eux de participer aux

instances participatives afin de perturber le bon déroulement des travaux et signifier leur

présence et leur non-reconnaissance quant à la légitimité de ce même processus. Néanmoins,

une autre députée a martelé que bien qu’ils n’aient pas été nombreux à intégrer les

consultations de la tournée des gouvernorats, « ils ont été présents et très ressentis (bruyants)

[…] émettant de fortes critiques sur la constitution et Ennahda429 ». L’absence d’uniformité

dans les propos des personnes interrogées relative à la participation de salafistes aux

consultations régionales s’explique peut-être en raison du niveau d’implication dans cette

tournée des différents acteurs interrogés.

Outre cette timide participation aux instances participatives développées par l’ANC, certains

salafistes, essentiellement scientifiques, ont usé d’autres moyens pour rencontrer des acteurs-

clés du processus de rédaction constitutionnelle comme le Président Marzouki qui faisait

preuve d’une certaine ouverture. Dès février 2012, il a rencontré discrètement le guide

spirituel d’AST, Khatib Idrissi430. Cependant, pratiquement aucune information n’a circulé

dans les médias officiels de la Présidence ou dans les médias tunisiens, laissant planer une

onde de mystère sur la nature de ces échanges. Après les événements de l’attaque de

l’ambassade états-unienne en septembre 2012 et des violences qui ont suivi, Marzouki a

répété l’expérience en rencontrant d’autres salafistes scientifiques, incluant Khamis Mejri, le

11 octobre 2012 au palais présidentiel de Carthage431. Cette rencontre a permis au Président

de réaffirmer que « chaque Tunisien [avait le droit] d’exprimer ses opinions et d’exercer sa

religion selon ses convictions, sans aucune contrainte », tout en rappelant cependant « la

nécessité de l’engagement de toutes les composantes de la société à combattre la violence et

à instaurer le dialogue et la tolérance dans la défense des différentes positions et convictions

428 Ibid. 429 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 430 Isabelle MANDRAUD, « Enquête sur la radicalisation des salafistes tunisiens », op. cit. 431 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017.

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religieuses »432. Il témoignait ainsi de sa certitude que les salafistes possédaient une place au

sein des négociations sous réserve d’accepter le dialogue auprès des groupes de la société qui

ne partageaient pas leur idéologie et d’agir pacifiquement. Les chouyoûkh salafistes présents

ont cependant reproché « la tension qui a empreint les derniers discours du président à l’égard

des salafistes, [des discours qui ont créé] une certaine aversion pour les jeunes envers leur

mouvance », tout en dénonçant « la campagne médiatique féroce menée contre les

salafistes »433. Ils exprimaient la teneur d’un certain double-discours tenu par les autorités

étatiques434 qui tendaient une main vers les salafistes tout en les menaçant d’une matraque

dans l’autre main. Ils ont par la suite affirmé que « leur présence au Palais de Carthage

représent[ait] d’importants sacrifices, étant donné que cette rencontre [était] contestée par la

majorité des jeunes salafistes, en cette période délicate où les membres de la mouvance

[étaient] persécutés435 », soulignant l’absence de consensus au sein de la mouvance et le choc

générationnel entre les salafistes scientifiques et jihadistes. Cet entretien a effectivement été

vivement décrié par des salafistes, profondément mécontents, appartenant plus

particulièrement à AST :

The youth of the movement were against this meeting. It was a mistake, and we

are not ashamed to admit this before our sheikhs. If the state wants to open a

dialogue, it has to come to us and not the opposite. There is a saying from the

classical era: “If one that goes to princes, it is because something is not clear.”

[…] They acted just like the others (the politicians), in an elitist manner. […]

Who has delegated them with the power to negotiate with the state? Who gave

them the right to speak in the name of the entire movement?436

Lors de ces rencontres, il s’est cependant avéré que les salafistes n’ont jamais proposé de

projets législatifs concrets, préférant plutôt énoncer de grands principes généraux sur

432 S. T., « Tunisie – Moncef Marzouki accueille les chefs salafistes au Palais de Carthage », Businessnews, [En

ligne], 11 octobre 2012, http://www.businessnews.com.tn/tunisie--moncef-marzouki-accueille-les-efs-

salafistes-au-palais-de-carthage,520,33969,3 (Page consultée le 17 juin 2017). 433 Ibid. 434 Voir en annexe XIV Syrine GUEDICHE, « Tunisie : Le double discours de Rached Ghannouchi à propos

des Salafistes », Tunisie Numérique, [En ligne], 24 septembre 2012,

https://www.tunisienumerique.com/tunisie-le-double-discours-de-rached-ghannouchi-a-propos-des-salafistes

(Page consultée le 21 janvier 2018). 435 S. T., op. cit. 436 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.

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l’implication de la religion dans la vie publique437. Les salafistes ont cependant bénéficié

d’une oreille attentive à leurs revendications par l’entremise du parti islamiste Ennahda qui

a finalement constitué leur principal interlocuteur.

Ennahda, un allié potentiel dans l’agenda salafiste de la Tunisie postrévolutionnaire

La logique de dialogue adoptée par les salafistes, un rapprochement utilitariste ?

Les liens entre le parti islamiste Ennahda et les salafistes ont fait l’objet de nombreux

fantasmes dans les médias qui y voyaient un pur mariage islamiste438. Néanmoins, il apparaît

difficile de cerner avec exactitude la nature de ces liens. Que ce soit à l’aide de la littérature

ou des entrevues menées sur le terrain, ces liens laissent toujours place à plusieurs

spéculations, le sujet demeurant toujours aussi sensible. Quoiqu’il en soit, il s’est avéré que

l’ensemble des salafistes, se sont tournés vers le parti islamiste, croyant y trouver un allié

dans la lutte identitaire pour l’inscription de la charî’a dans la constitution. Adoptant une

logique de dialogue, leurs efforts de lobbying auprès du parti islamiste, qui constituaient en

fait leurs principales actions politiques, ont eu un impact sur la dynamique interne du parti

qui a considéré et évalué leur demande identitaire.

Parmi l’ensemble des acteurs politiques présents lors de la période transitionnelle tunisienne,

Ennahda représentait le meilleur allié potentiel des salafistes et ce, malgré la réticence

soulevée par la majorité des salafistes à l’égard du degré d’acceptabilité et de légitimation du

milieu politique. Ennahda s’est révélé un allié naturel dans le paysage politique tunisien où

le nombre de partis séculaires élus excède celui des partis islamistes. Ennahda, se qualifiant

de parti islamiste, affirmait employer les valeurs islamiques comme vecteurs de ses actions

politiques en tant que parti, législateur et gouvernement. Ce référent commun entre nahdaouis

437 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 438 Isabelle MANDRAUD, « Ennahda est complaisant avec les salafistes », Le Monde, [En ligne], 28 février

2012, http://www.lemonde.fr/international/article/2012/02/28/ennahda-est-complaisant-avec-les-

salafistes_1649314_3210.html (Page consultée le 21 janvier 2018).

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et salafistes devrait faciliter les échanges des protagonistes, malgré les divergences

théologiques qui les séparaient. D’ailleurs, certains cadres et députés nahdaouis ont partagé

les expériences en exil ou en prison avec leurs confrères salafistes pour des raisons similaires

sous Ben Ali. L’une des personnes interrogées a affirmé que lorsqu’il « étai[t] en prison, [il

a eu] des contacts avec certains membres salafistes, non pas des leaders, mais des membres

de deuxième et troisième rangs et [qu’ils] cria[ient] pour communiquer entre [eux]439 ». Ces

éléments facilitateurs semblaient avoir mené vers l’établissement d’un dialogue entre les

salafistes et le parti nahdaoui qui a débuté peu avant la victoire électorale d’Ennahda. En

juillet 2011 à La Soukra, des acteurs important du parti islamiste se sont réunis avec des

représentants du courant salafiste pour établir une feuille de route qui répartissait les tâches

entre les protagonistes pour islamiser la société440.

Ennahda, détenant les rênes du pouvoir, devait bénéficier d’un poids important et d’une

marge de manœuvre au regard de l’opposition tunisienne divisée. Inscrire ses priorités à

l’agenda constitutionnel et législatif de l’ANC aurait dû s’avérer plus aisé. Bien qu’il « y

a[vait] des différences entre les salafistes et les personnes qui siège[aien]nt à l’ANC, surtout

au niveau de la compréhension du Coran et de la Sunna, [il y avait] cependant des facteurs

communs, comme la charî’a441 ». La volonté, considérée comme commune entre les

salafistes et les nahdaouis, d’islamiser la société et l’État par le haut devrait les unir face à

leurs adversaires politiques sécularistes, aux syndicats et autres associations militantes qui se

positionnaient à l’encontre d’un tel objectif.

Selon l’interprétation des salafistes politiques, les résultats des urnes devaient démontrer le

désir des électeurs de redéfinir la tunisianité par une islamisation de l’État et de la société

tunisiens. L’atteinte d’un tel objectif, dans le cadre du processus de rédaction de la nouvelle

constitution, se concrétisait par l’inscription de la charî’a comme l’une des sources

principales de la législation ou la principale source, ce qui représentait la principale demande

identitaire des salafistes. Par ce fait, les salafistes s’attendaient à ce que le travail effectué par

439 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 440 Alaya ALLANI, op. cit., p. 213. L’auteur ne donne cependant pas le résultat de la division des tâches. 441 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017.

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le parti nahdaoui abonde dans le sens d’une islamisation de la société top-down, par celle des

institutions étatiques et plus particulièrement dans ce contexte, de la constitution.

Cette impression de faire partie de la même famille était confortée par la sensibilité des

membres, des partisans et des électeurs d’Ennahda à l’égard des salafistes. Même si Ennahda

s’est montré et continue de se montrer avare de commentaires sur les liens entretenus avec

les salafistes au cours du processus transitionnel, sentiment se dégageant des informations

fournies par les personnes interrogées, une partie de l’électorat nahdaoui était effectivement

plus conservatrice que l’élite dirigeante à un tel point qu’il paraissait parfois ardu de la

distinguer des salafistes442. Ainsi, le corps du parti n’était pas à l’abri des clivages

théologiques. En effet, Ennahda se présentait plutôt comme un mouvement hétérogène qui

abritait des islamistes de différentes tendances443 : « [i]l y a plusieurs courants au sein du

parti, y compris des tendances conservatrices. Il s’agit d’un parti qui n’est pas homogène,

mais on recherche le consensus et la ligne de parti, très importante, est suivie.444 » Parmi

ceux-ci, deux députés, Sadok Chourou et Habib Ellouze, constituaient le noyau conservateur

du parti qui se tenait près des cercles salafistes445. Si la société les qualifiait aisément de

salafistes, leurs collègues ne partageaient pas cet avis et préféraient employer le terme

d’ultraconservateurs446 probablement pour ne pas délégitimer les deux députés aux yeux de

leurs collègues laïcs à l’ANC. L’un des députés interrogés a affirmé qu’Ellouze n’était pas

un salafiste, mais qu’il « [était] un peu extrémiste sur le plan politique447 ». Un autre député

affirmait plutôt que si

442 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017, Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis),

Tunisie, 2017, Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017, Entrevue avec H, membre d’Ennahda, dans un café, Tunis, Tunisie, 2017. 443 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 444 Ibid. 445 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 446 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 447 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017.

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Chourou et Ellouze [étaient] parfois exigeants sur le plan individuel, [que

c’étaient] des gens très disciplinés [et] très farouches dans la lutte contre l’ancien

régime, [i]ls accept[ai]ent la démocratie comme mode de gouvernance, ce qui

[était] une grande différence [comparé aux] salafistes. En Tunisie, on essa[yait]

de les attaquer en les qualifiant de salafistes, [alors qu’i]ls étaient parmi les

membres qui ont adopté la constitution tunisienne.448

Quoiqu’il en soit, Chourou et Ellouze se sont avérés de précieux partenaires pour la

mouvance salafiste et ont agi à titre de facilitateurs des échanges et de médiateurs entre

Ennahda et les salafistes449.

Néanmoins, l’une des personnes interviewées a reconnu qu’il y avait bel et bien eu une

présence salafiste au sein des rangs nahdaouis, du moins en 2013. L’affiliation au parti

n’avait pas eu pour objectif une participation accrue aux politiques internes du parti, mais

aurait servi plutôt d’immunité. En effet, les salafistes auraient cru qu’appartenir à Ennahda

les aurait empêchés d’affronter la police pour des méfaits qui leur étaient allégués. L’un des

coordonnateurs du parti a exigé la vérification de tous les nouveaux membres des cités

populaires, afin d’éviter les critiques de l’opposition d’abriter des criminels450.

Malgré la relative centralité du concept d’al-walâ’ w-al-barâ qui dictait aux salafistes de ne

côtoyer que les individus partageant une interprétation religieuse similaire, ces derniers ont

adopté une posture d’ouverture à l’égard d’Ennahda et ce, même si le parti se réclamait d’un

islam modéré. L’acceptation de ce dialogue dénotait un relatif pragmatisme de certains

acteurs salafistes qui, au regard du jeu de pouvoir s’opérant au sein de l’ANC et même au

sein de la société tunisienne, recherchaient une alliance leur permettant d’accentuer leur poids

dans la négociation entourant la redéfinition de l’identité tunisienne postrévolutionnaire. La

convergence des intérêts d’Ennahda, du moins d’une partie de sa base populaire et d’une

certaine élite dirigeante, et des salafistes suggérait cette alliance naturelle parce

« [qu’]Ennahda, comme parti islamiste, [voulait] la charî’a, qui reflète des principes comme

448 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 449 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., pp. 15, 33. 450 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.

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la liberté, la citoyenneté et la justice451 ». Ainsi, la volonté de plusieurs salafistes et nahdaouis

de s’afficher conjointement de manière ouverte pouvait démontrer à leurs partisans et à

l’ensemble de la population tunisienne qu’ils agissaient sur un front commun. L’ouverture et

le rapprochement politique des salafistes vers Ennahda se sont exprimés à travers plusieurs

activités politiques et religieuses.

Dès la victoire électorale d’Ennahda, Ghannouchi avait vivement conseillé aux salafistes

d’employer les canaux légaux et pacifiques pour exprimer leurs revendications en créant

notamment des partis politiques qui pourraient par la suite participer au processus

constitutionnel. C’est ainsi que les salafistes politiques ont suivi cette recommandation en

créant les quatre partis politiques salafistes. Afin d’entériner et de saluer ce saut en politique,

Ghannouchi s’est présenté au congrès fondateur de Jabhat Al-Islâh452. Le dialogue a pu

s’opérer grâce à des rencontres peu médiatisées à l’intérieur du parti politique. Selon les

témoignages recueillis, plusieurs rencontres à la fois formelles et informelles, ont permis aux

salafistes d’échanger directement avec des cadres et des députés nahdaouis453. Ce sont plus

particulièrement les salafistes scientifiques qui ont bénéficié de cette tribune et qui ont, à

chaque fois, accepté de rencontrer leurs interlocuteurs politiques. Il n’est cependant pas clair

si ces rencontres ont été initiées par le parti ou par les salafistes scientifiques. Encore une

fois, Béchir Ben Hassen a semblé être l’interlocuteur, le porte-parole de la mouvance salafiste

privilégié par le parti islamiste, son nom revenant régulièrement lors des entrevues. Selon les

propos d’une députée, il semblerait que certains salafistes, sans qu’il ne soit possible de les

catégoriser, ont entrepris des initiatives personnelles pour rencontrer les députés d’Ennadha,

et que la réponse de ces derniers ait variée. Elle donnait à titre d’exemple « les femmes

niqabées de la Manouba qui lui ont demandé de les aider dans le cadre de leurs démarches

pour l’approbation du port du niqab dans les classes454 », chose à laquelle elle a refusé

d’adhérer. En général, les salafistes scientifiques ne sont arrivés qu’avec des principes

généraux, ne sachant pas retirer des bénéfices concrets de leur accès privilégié auprès des

451 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 452 Aaron Y. Zelin, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit. 453 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 454 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017.

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élites politiques, au grand dam des salafistes politiques. Ce constat est également confirmé

par les propos d’un ancien député qui affirmait que

les salafistes scientifiques ont essayé d’influencer Ennahda et la rédaction du

destour. Ils n’ont pas agi de la même manière que les autres salafistes, car ils

sont entrés au Parlement mais ils n’ont pas présenté de projets législatifs, ni

entamé de discussions spécifiques à ce sujet.455

La volonté d’ouverture s’exprimait également par la déception de ces salafistes politiques

par rapport au comportement d’Ennahda à leur égard. En effet, Ennahda les avait incités à

moult reprises à intégrer le paysage politique postrévolutionnaire, ce qu’ils ont fait.

Néanmoins, malgré les réelles intentions des salafistes de contribuer à la construction des

nouvelles institutions tunisiennes, Ennahda ne les a pas consultés. Jabhat Al-Islâh a

explicitement dénoncé qu’Ennahda n’ait pas ouvertement consulté le parti pour recueillir ses

idées et propositions sur la constitution456, alors que le parti avait signifié sa volonté de le

rencontrer. Al-Assala a renchéri en mentionnant que malgré l’ouverture du parti à dialoguer

avec Ennahda, le parti et les salafistes ont en général été exclus et marginalisés du processus,

alors qu’Hamadi Jebali, chef du gouvernement nahdaoui, avait rencontré l’ensemble des

partis politiques à l’exception de ceux d’obédience salafiste457. Quant au parti Al-Rahma,

rien n’indique qu’il a été, d’une manière ou d’une autre, rencontré par Ennahda. L’attitude

du parti islamiste s’expliquait peut-être par le fait que les partis politiques salafistes

constituaient somme toute des adversaires politiques qui risquaient de voler des voix lors des

prochaines élections et de diviser le vote islamiste458. Cependant, des membres du parti Hizb

Al-Tahrir ont rencontré le rapporteur général de la constitution, le nahdaoui Habib Kheder,

et plusieurs autres députés lors du Dialogue national459. Ils leurs ont remis une copie du

destour al-khilafa qu’ils avaient élaborée460. Malgré son rôle-clé dans la rédaction de la

455 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 456 Aaron Y. Zelin, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit. 457 OUMMA.TV, op. cit. 458 Id., « Tunisia’s Contentious Transition », Al-Wasat, [En ligne], 2012,

https://thewasat.wordpress.com/category/hizb-ut-tahrir-tunisia (Page consultée le 28 mai 2017). 459 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 460 Entrevue avec G, député d'Ennahda, dans le local d'Ennahda à l'Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie.

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nouvelle constitution et la volonté des salafistes d’influencer le processus, aucun membre

d’autres partis politiques salafistes n’ont sollicité d’entretien avec lui461.

Même les salafistes jihadistes d’AST, malgré leur rengaine contre Ennahda et les politiques

sous le système de gouvernance actuel de la Tunisie, ont démontré une certaine ouverture.

Lors de leur premier rassemblement à Kairouan en 2011, d’importants membres d’Ennahda

comptaient au sein de l’assistance, nommément Chourou, Ellouze et Ghannouchi. D’ailleurs,

Aboû Iyadh avait également affirmé qu’il était impossible de distinguer AST d’Ennahda462,

insinuant peut-être une symbiose des objectifs entre les groupes. Cette déclaration paraîtrait

impromptue si le groupe jihadiste adoptait effectivement une attitude de distanciation pleine

et entière. En fait, AST a plutôt démontré une ouverture non-avouée, ou plutôt non visible

médiatiquement parlant, du groupe à l’égard d’Ennahda. Cette prudence et cette ambivalence

témoigneraient d’une stratégie de l’organisation leur permettant une liberté d’action et de

réaction au regard des comportements qu’adopterait Ennahda par la suite tout en conservant

une mainmise sur ses membres enclin aux discours radicaux du groupe.

Outre ces rencontres, les salafistes et les nahdaouis ont pu échanger lors des quelques

manifestations tenues pour exiger la constitutionnalisation de la charî’a en mars 2012 ou lors

des manifestations pour la promotion de la protection du sacré comme celle du palais

Abdellia. Les salafistes et les nahdaouis, encore une fois principalement par l’entremise de

Chourou et Ellouze, ont assisté conjointement à des conférences de prédicateurs salafistes

provenant notamment du Maroc, de l’Égypte ou des pays du Golfe, prédicateurs qui ont

parfois été traités avec les honneurs des invités de la République tunisienne. Ils ont d’ailleurs

été présents lors des conférences de Mohammed Hassan463 et de Wajdi Ghanim464, deux

461 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 462 Alaya Allani, op. cit., p. 216. 463 Synda TAJINE, « Tunisie – Le prédicateur Mohamed Hassen remplit la coupole d’El Menzah »,

Businessnews, [En ligne], 30 avril 2013, http://www.businessnews.com.tn/Tunisie-%E2%80%93-Le-

pr%C3%A9dicateur-Mohamed-Hassen-remplit-la-coupole-d%E2%80%99El-Menzah,520,37828,1>. (Page

consultée le 21 décembre 2017). 464 Synda TAJINE, « Tunisie : Les prédicateurs en terre de mission », Businessnews, [En ligne], 3 février 2013,

https://www.algerie1.com/face-b/tunisie-les-predicateurs-en-terre-de-mission (Page consultée le 21 décembre

2017).

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prédicateurs salafistes controversés. À cet effet, certains nahdaouis ont promu les activités

religieuses des salafistes465. Il est intéressant de souligner que ces activités rassemblant

salafistes et nahdaouis n’ont jamais été mentionnées lors des entrevues, probablement pour

demeurer évasifs sur la profondeur ou pas des liens salafistes-nahdaouis.

L’agrément d’Ennahda à répondre à la volonté des salafistes d’entamer un dialogue dénotait

selon Cavatorta une stratégie d’inclusion du parti islamiste à l’endroit des salafistes466.

Cependant, une députée nuançait ces propos, estimant « qu’il n’y a pas eu à proprement parler

de stratégie d’inclusion de la part d’Ennahda, mais plutôt une certaine ouverture à la

discussion et au dialogue », ajoutant « qu’une telle ouverture aurait dû se faire au niveau de

la société »467. Selon Ennahda, la révolution tunisienne se présentait comme une occasion en

or pour intégrer ces acteurs à la sphère publique et politique. Cette intégration éviterait un

processus de marginalisation au sein de la société, une exclusion qui était promue

essentiellement par différents acteurs de la société et partis politiques laïcs tels qu’Ettakatol.

Cependant, selon Ennahda, cela aurait eu pour effet pervers, d’inciter les salafistes à prendre

les armes contre leurs concitoyens. L’impossibilité de prendre part aux discussions sur les

enjeux et l’avenir de la Tunisie les inciterait à employer des méthodes violentes supplétives

aux moyens pacifiques pour mettre de l’avant leur agenda de salafisation et leur revendication

d’inscrire la charî’a dans la constitution. Pour reformuler, exclure tous les salafistes au

processus constitutionnel et à la redéfinition de l’identité tunisienne risquerait de

compromettre à la fois la sécurité, la stabilité et les chances de succès du processus

transitionnel en Tunisie en les incitant à recourir à la violence à l’endroit des individus et des

institutions468. Dans le contexte d’instabilité politique et sécuritaire qui caractérisait la

transition, Ennahda estimait qu’il ne pouvait courir le risque d’une menace accrue de

terrorisme.

465 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 39. 466 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 5. 467 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 468 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.

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Il s’agissait donc d’une politique d’inclusion qui avait pour double objectif de les pacifier,

mais également de « modérer leurs discours à travers la négociation469 », le dialogue étant

dès lors présenté comme l’unique moyen de corriger les interprétations religieuses rigoristes

des salafistes470. Ce cheminement-type a d’ailleurs été poursuivi antérieurement par Ennahda

au cours de leur intégration dans les années 1990 et 2000. C’est pourquoi Ellouze « a fait des

leçons dans les mosquées pour les salafistes, afin qu’ils comprennent ce qu’est la charî’a. À

la suite de ces leçons, certains salafistes se sont modérés, mais il est possible que d’autres

soient partis faire le jihâd471 ».

Même si les salafistes adoptaient parfois une attitude revendicatrice, fermée au compromis

et idéaliste, Ghannouchi était convaincu que le dialogue saurait emmener un gradualisme

dans la poursuite des objectifs idéologiques des salafistes472. Adoptant un ton paternaliste,

Ghannouchi avait affirmé que ces jeunes, qui lui rappelaient sa jeunesse, étaient ses enfants473

et qu’ils étaient immatures politiquement474 et qu’ils devaient mûrir dans leurs réflexions et

qu’on devait leur offrir ce temps. Si le processus de modération avait été possible chez les

jeunes nahdaouis, un constat similaire pourrait s’appliquer aux jeunes salafistes.

Cette situation exprimait pourquoi le parti islamiste a tenté, initialement dans le processus

transitionnel, d’inclure les salafistes qui employaient des moyens pacifiques pour exprimer

leurs demandes identitaires, représentant d’ailleurs la majorité des salafistes475, et de

favoriser les échanges avec eux476. Néanmoins, selon l’une des personnes interviewées,

« cette stratégie d’inclusion a été à la fois mal comprise par ses partenaires politiques et mal

469 Ibid. et Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 470 Nathaniel GREEBERG, op. cit. 471 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 472 Anouar BOUKHARS, op. cit., p. 16. 473 Voir en annexe XV I. B., « Tunisie-Politique : Ghannouchi persiste et signe : «Les salafistes sont mes

enfants» », Kapitalis, [En ligne], 20 mai 2013, http://www.kapitalis.com/politique/16188-tunisie-politique-

ghannouchi-persiste-et-signe-les-salafistes-sont-mes-enfants.html (Page consultée le 21 janvier 2018). 474 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 2. 475 Mustapha EL HADDAD, « Chronique de la violence politique » dans La Tunisie en transition. Des élections

au dialogue national (2011-2014), Diwen Editions, L’Observatoire Tunisien de la Transition démocratique,

Tunis, 2016, p. 59. 476 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.

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médiatisée à l’intention de la société civile477 ». La stratégie d’inclusion lui a valu une vague

d’indignation et la réprobation de la part de la société et des partis politiques, incluant ses

deux partenaires de la troïka. Le dialogue instauré au bénéfice des salafistes a été assimilé à

une tentative d’obtenir un gain politique478 et à la confirmation de l’existence d’un agenda

caché d’islamisation de l’État et de la société chez les nahdaouis qui n’hésiteraient pas, une

fois le pouvoir consolidé entre leurs mains, à le mettre de l’avant au détriment des droits et

libertés des Tunisiens. Les salafistes serviraient, selon cette hypothèse fortement véhiculée

au sein de la société, à préparer le terrain en intimidant les opposants par le truchement de la

violence et par la prédication religieuse. Ennahda, en invitant les salafistes aux discussions

internes du parti, a commis une faute d’appréciation importante479. Il aurait fallu plutôt les

inciter à participer plus fortement au sein des instances de participation citoyenne telles que

les commissions d’audience de l’ANC, les jours de consultation nationale ou la tournée des

gouvernorats, à l’instar des autres groupes de mobilisation citoyenne. Malgré l’apparente

volonté d’Ennahda, sa stratégie d’inclusion et de modération s’est révélée être un échec, les

salafistes n’ayant pas modéré leurs discours ni étant enclins au compromis480. D’ailleurs, la

logique de dialogue des salafistes s’est également révélée être un échec.

La charî’a chez Ennahda : les résultats d’une influence modeste

Lors de la campagne électorale de 2011, l’inscription de la charî’a dans la constitution ne

constituait pas une promesse électorale d’Ennahda. Au contraire, son programme électoral481

visait le statu quo par l’adoption de l’article premier de la constitution de 1959 qui énonçait

que « [l]a Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'islam est sa religion, l'arabe

sa langue et la République son régime482». Ce choix politique exprimait probablement la

stratégie d’Ennahda, à titre d’acteur politique rationnel, d’élargir le spectre politique de son

477 Ibid. 478 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 6. 479 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 480 Anouar BOUKHARS, op. cit., p. 18. 481 Ennahda. Ennahdha Electoral Programme, 2011. 482 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE, Constitution de la République tunisienne, 14/355, adoptée

le 26 janvier 2014.

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électorat potentiel en attirant également les Tunisiens qui ne désiraient pas nécessairement

l’octroi d’un rôle public accru à la religion. Cette décision stratégique a tout de même suscité

de la suspicion chez les partis laïcs et libéraux et chez les diverses associations luttant pour

la défense des droits de la personne, avançant que le parti islamiste essaierait d’accroître le

rôle de la religion dans la vie publique d’une manière ou d’une autre.

Bien qu’il soit difficile d’établir si la seule tenue des manifestations publiques de mars 2012

aient éveillé les membres plus conservateurs du parti qui aspiraient toujours à une

islamisation étatique plus poussée de l’État et ce, malgré le programme électoral initial du

parti, il demeurait que l’intérêt marqué de ces nahdaouis était d’ailleurs encouragé par les

premières actions pacifiques des salafistes. Malgré des discours parfois plus radicaux et une

attitude peu encline au compromis, les salafistes ont démontré une certaine ouverture pour

engager le dialogue avec les députés et cadres concernant plus précisément leur principale

demande constitutionnelle, la charî’a. Ils ont ainsi profité pour exercer du lobbying auprès

des députés conservateurs nahdaouis Chourou et Ellouze détenant un siège à la choûra du

parti, qui ont été appuyés par certains députés modérés qui demeuraient sensibles aux

revendications des salafistes, par espérance de gain politique483. Les différentes rencontres

formelles et informelles ont entraîné de chaudes et d’âpres discussions au sein du parti

islamiste entre les différentes tendances présentes et a même mis en exergue la dissension

entre les cadres du parti et le chef Ghannouchi484.

La remise à l’agenda d’Ennahda de la question de la charî’a s’est illustrée de trois façons.

Premièrement, le député nahdaoui Sadok Chourou a formellement exigé qu’elle soit inscrite

dans la nouvelle constitution lors de la première rencontre des constituants au sein de l’ANC

le 22 novembre 2011. Sans apparente consultation de son parti, Chourou a imposé l’enjeu du

rôle de l’islam dans la sphère publique dans l’agenda de l’ANC, extériorisant la

problématique du cercle nahdaoui, au grand dam des autres partis représentés.

Deuxièmement, un projet préliminaire non-officiel d’Ennahda qui circulait concernant la

483 Christopher ALEXANDER, « Tunisia’s Islamists II: The Salafis », Wilson Center, [En ligne], 2013,

https://www.wilsoncenter.org/article/tunisias-islamists-ii-the-salafis (Page consultée le 15 juin 2017). 484 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.

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constitution contenait une clause mentionnant que la charî’a était l’une des sources de

législation485. Troisièmement, l’une des personnes interviewée a mentionné l’enthousiasme

marqué de Ghannouchi à l’idée de rouvrir le débat sur la charî’a au sein de son parti après

son éclatante victoire et de « sa volonté jusqu’au-boutiste486 ». Il semblait convaincu qu’il

s’agissait du moment propice pour rouvrir le chantier sur le sujet de la tunisianité et de la

culture étant donné l’absence de base culturelle commune au sein de la société tunisienne.

La choûra a par la suite accordé une séance spéciale pour déterminer la ligne du parti en la

matière à l’ANC.

Ces quatre événements soulignaient deux choses. Premièrement, force est de constater que

les salafistes, bien qu’absents des structures du parti, ont réussi à exercer une pression sociale

suffisamment forte, notamment sur les députés conservateurs, pour rouvrir le débat et ce,

même s’ils n’étaient ni très nombreux à s’investir de la sorte, ni très organisés dans leurs

actions. Bien que peu d’informations aient été disponibles sur les liens et les entretiens menés

entre octobre 2011 et mars 2012, il semblerait que les salafistes aient été suffisamment

puissants pour créer un véritable engouement chez les partisans d’Ennahda. Sans nul doute,

l’accent mis sur les actions pacifiques et l’ouverture au dialogue des salafistes ont facilité, en

ce début de période transitionnelle, la légitimation de la stratégie d’inclusion du parti à leur

égard.

Deuxièmement, Ennahda détenait sans aucun doute une base électorale et des députés plus

conservateurs qui se sont révélés des sympathisants à la cause salafiste. Cette sympathie s’est

illustrée par la participation conjointe à différentes manifestations, conférences et accueil de

prédicateurs, diverses activités et par des éléments revendicatifs communs, principalement la

charî’a, qui liait les membres et les députés nahdaouis aux salafistes, bien qu’ils n’aient pas

nécessairement la même compréhension de ce concept487. Pour plaire à une partie de son

électorat et de sa députation plus conservateurs488 et au regard des gains et pertes potentiels

485 Zied KRICHEN, op. cit., p. 186. 486 Entrevue avec H, membre d’Ennahda, dans un café, Tunis, Tunisie, 2017. 487 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 488 Christopher ALEXANDER, « Tunisia’s Islamists II: The Salafis », op. cit.

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aux prochaines élections, le parti s’est penché sur cette question. Comment la demande de

l’inscription de la charî’a dans la nouvelle constitution a-t-elle été prise en compte ? À ce

titre, les cadres du parti ont agi de manière rationnelle en effectuant une analyse des bénéfices

et des coûts d’un tel projet en mettant dans la balance une partie de la base électorale et des

députés du parti, les salafistes et le reste de la société tunisienne. Inscrire la charî’a dans la

constitution allait-il profiter ou nuire à Ennahda ?

Sur le plan des bénéfices, aborder la question remplissait l’obligation de se pencher sur le

sujet et ce, « conformément à la volonté d’une certaine partie de la population, y compris

d’une partie de sympathisants et de partisans d’Ennahda » selon Ghannouchi489. Sur ce plan,

Ennahda obtiendrait « le soutien fort et inconditionnel » du réseau d’associations et de

courants salafistes et des fondamentalistes du parti490, entraînant la satisfaction de cette base

militante sympathisante au salafisme. Le succès de la mission islamiste du parti résulterait

en l’inscription de la charî’a dans la constitution. Les résultats de ce succès pourraient se

concrétiser par un gain politique potentiel aux prochaines élections, mais ce calcul devait être

nuancé, tempéré par le fait que peu de salafistes avaient exercé leur droit de vote et que la

présence éventuelle des partis politiques salafistes allait les concurrencer491. Bien que

certains aient tenté d’influencer Ennahda par le dialogue, les salafistes et leurs sympathisants

demeuraient peu nombreux et leurs demandes se sont perdues dans la masse492.

Sur le plan des coûts, les cadres d’Ennahda ont estimé que l’insertion de la charî’a aurait eu

pour effet de polariser la société tunisienne autour de la question de l’identité et de la

référence culturelle en deux factions, les pros et les anti-charî’a. Au cours des quelques mois,

Ennahda a pu constater que la majorité du peuple ne comprenait pas la signification de la

charî’a ni ce qu’elle englobait, le concept étant employé essentiellement de manière

péjorative. Le parti a reconnu le flou définitionnel entourant le terme qui a entraîné de

489 Rached GHANNOUCHI, « L’évolution de l’Islam politique durant la transition » dans La constitution de la

Tunisie. Processus, principes et perspectives, Programme des Nations unies pour le développement, 2016, p.

177. 490 Zied KRICHEN, op. cit., p. 187. 491 Aaron Y. Zelin, « Tunisia’s Contentious Transition », op. cit. 492 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017.

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nombreuses spéculations de toute part493. Bien que « Ghannouchi et [des membres

d’Ennahda] ont manifesté auprès des salafistes pour inscrire la charî’a [dans la constitution],

[ils étaient conscients] qu’elle n’[était] pas définie [et qu’elle constituait] un terme au sens

ouvert, multiple494 ». La transition avait déjà suscité moult préoccupations et l’insertion de

la charî’a dans le document constitutionnel risquait de créer une fracture au sein de la société

tunisienne et d’accroître la tension entre les camps des laïcs, incluant les « les gauchistes, les

marxistes et les élites très laïques495 » et celui des islamistes. D’ailleurs, les médias, les partis

d’opposition et la société civile semblaient mieux préparés et plus mobilisés pour contrer les

revendications des salafistes. Pour les partis laïcs, dont le CPR et Ettakatol, l’inscription de

la charî’a constituait la ligne rouge à ne pas franchir496. Selon les propos d’un ancien député,

« le problème venait de la gauche qui ne voulait rien savoir de son inscription. Les élites de

gauche, laïques, ont été élevées à la façon française dans les écoles et ne voulaient qu’un

modèle laïc à la française497 ». Le tapage médiatique à l’encontre des salafistes témoignait à

quel point le reste de la société ne se sentait pas inclus ni interpellé positivement par leurs

demandes. Cette situation donnait l’impression que « les Tunisiens venaient de tourner la

page à une dictature » et que l’insertion de la charî’a « imposerait une autre dictature, mais

sous forme religieuse »498. Une députée résumait ce constat ainsi : « les salafistes n’ont pas

eu d’engagement politique. Ils opéraient une rupture, n’avaient pas de relations politiques et

ne voulaient pas établir de relations avec la politique. Ils refusaient le dialogue et désiraient

imposer leurs idées499 ». Finalement, il demeurait somme toute que les salafistes et leurs

sympathisants paraissaient peu nombreux et concentrés dans les régions et quartiers

populaires. Étant constamment marginalisés, ils accentuaient cette situation en opérant une

rupture avec le reste de la société, malgré les quelques élans de dialogue entamés avec le

493 Duncan PICKARD, op. cit. 494 Entrevue avec H, membre d’Ennahda, dans un café, Tunis, Tunisie, 2017. 495 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017 et Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 496 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 497 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 498 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 499 Ibid.

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parti islamiste. Ennahda aurait donc à subir un coût politique accru et à faire face aux

difficultés liées à l’adoption de la constitution aux deux-tiers des députés de l’ANC, sous

peine d’être soumise à un référendum populaire qu’Ennahda risquait de perdre.

Bien qu’il s’agissait effectivement du moment propice pour œuvrer à l’insertion de la charî’a

dans la constitution et pour satisfaire une partie de son électorat et de ses députés, l’évaluation

des bénéfices et des coûts a freiné les ardeurs du parti et de son chef. De proches conseillers

de Ghannouchi lui ont fortement déconseillé de s’engouffrer sur cette pente glissante, lui

suggérant plutôt d’adopter un fort pragmatisme durant cette période délicate et instable et

une vision à moyen-terme500. Ce serait à la suite de cela que « Ghannouchi a[urait] tranché

que ce n’était pas le bon moment et qu’il valait mieux se rabattre sur l’article 1 de la

constitution de 1959, que cela suffisait501 ». Le parti ne voulait pas ajouter un terme si

controversé dans la constitution, préférant se rabattre sur des termes ayant un sens plus large

et plus consensuel502. C’est pour cette raison que lors des discussions de la choûra en mars

2012, les membres ont voté aux deux-tiers contre le projet, estimant que « la constitution doit

être celle de tous les Tunisiens » et pour démontrer la modération avérée du parti503.

Cependant, il s’est avéré « ardu d’arriver à un consensus général sur la constitution, surtout

au niveau de la charî’a et de la liberté de conscience, même si le parti a voté en bloc à la

fin504 ».

C’est ainsi que le 26 mars 2012, Ennahda a émis un communiqué allant dans ce sens,

Ghannouchi défendant cette prise de position par le fait que la « controverse sur le sujet de

l'application de la charî’a, la loi islamique, dans la future Constitution, [a failli diviser la

société] sur des bases idéologiques en deux clans : des pros et anti-charî’a505 ». Savoir si la

500 Entrevue avec H, membre d’Ennahda, dans un café, Tunis, Tunisie, 2017. 501 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 502 Rached GHANNOUCHI, op. cit., p. 178. 503 Amel GRAMI, op. cit., p. 394. 504 Entrevue avec G, député d'Ennahda, dans le local d'Ennahda à l'Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie. 505 Isabelle MANDRAUD, « Ennahda renonce à inscrire la charia dans la Constitution », Le Monde, [En ligne],

27 mars 2012, http://www.lemonde.fr/international/article/2012/03/27/ennahda-renonce-a-inscrire-la-charia-

dans-la-constitution_1676310_3210.html (Page consultée le 29 novembre 2017).

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prise de décision est revenue au chef Ghannouchi506, qu’il ait ou non très influencé l’issue du

vote ou que les membres aient eu une liberté totale dans ce positionnement, ne relève pas de

la présente recherche.

Cependant, cette décision n’a clairement pas fait l’unanimité au sein du parti et a fortement

ébranlé son unité. L’une des personnes interviewées a d’ailleurs souligné que le vote de la

choûra n’exprimait pas la pensée des nahdaouis, « 95 % d’entre eux étant pour l’inscription

de la charî’a dans la constitution507 ». La réaction des cadres du parti paraissait ambivalente

aux yeux des membres qui ne savaient pas clairement le positionnement de la direction508.

Nombreux étaient ceux déçus par l’issue du vote, croyant fermement qu’il s’agissait du

moment idéal pour atteindre ce but509. Malgré cela, les députés en faveur de l’inscription de

la charî’a ont suivi la ligne de parti lors des différents votes subséquents au sein de l’ANC510.

Ce refus a mis en lumière la tension persistante au cœur du parti entre un leadership

pragmatique et flexible, et une base militante511 moins encline au compromis, à l’instar des

salafistes : « la majorité de la direction n’était pas pour la charî’a. Ennahda [a décidé de

privilégier] une interprétation progressiste. Il y a eu une dissension entre la direction et la

base du parti au niveau de la charî’a512. Cela a reflété le fossé entre les membres fondateurs

« modérés » et la jeunesse formant la base plus radicale du parti513. Cette jeunesse qui

reprochait d’ailleurs aux cadres du parti leur pragmatisme, ceux-là qui se sont laissés

influencer par l’opinion publique et par la recherche du consensus par le dialogue514,

respectant ces principes érigés dans la feuille de route du dialogue national de 2011. L’une

des personnes interrogées a affirmé que :

506 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 507 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 508 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 509 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017 et entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 510 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 511 Anouar BOUKHARS, op. cit., p. 186. 512 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 513 Laura GUAZZONE, op. cit., p. 46. 514 Ibid., p. 39.

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N’eût été le tapage médiatique entériné par les interventions de la gauche et la

pression de la France et de la Grande-Bretagne sur les élites, tout le peuple

tunisien aurait été en faveur de l’inscription de la charî’a. Malheureusement,

chacun (politicien) préfère se cacher derrière la modernité et suivre la ligne de

parti.515

Si « cette décision [a suscité] des évaluations défavorables [à l’égard d’Ennahda] de la

part des salafistes, elle a été bien reçue [au sein] de la société civile et des autres partis

[politique prenant part à la rédaction] de la constitution516 ». En effet, les salafistes ont,

à partir de ce moment, fait preuve d’un éloignement marqué à l’égard d’Ennahda.

Le refus d’Ennahda d’inscrire la charî’a dans la constitution: le début

d’une rupture des salafistes

La décision d’Ennahda de ne pas insérer la charî’a dans la nouvelle constitution a entraîné

plusieurs répercussions sur les comportements adoptés par les salafistes dans le cadre du

processus de rédaction de la constitution et sur les liens entretenus entre le parti nahdaoui et

la mouvance salafiste. Le choix stratégique d’Ennahda de « n’avoir rien donné aux

salafistes517 » a entraîné l’adoption d’une logique de distanciation par les salafistes, des

changements sur le plan des discours et des actions des salafistes, bien qu’une relative

continuité ait persisté à l’égard de certains registres. L’évolution de l’attitude générale des

salafistes n’a cependant pas été uniquement attribuable au refus d’Ennahda d’acquiescer à

leur principale demande, bien que cela ait joué un rôle central, mais elle est également liée

au contexte sociétal entourant le processus de rédaction de la constitution, aux attaques

discursives répétées à l’encontre des salafistes notamment de la part des partis et des

associations laïcs et également au refus de la tenue du troisième congrès d’AST et de sa

catégorisation comme groupe terroriste.

515 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 516 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 517 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017.

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La logique de distanciation des salafistes, une réaction dynamique aux actions nahdaouies

Le moment où la logique de distanciation remplaçait celle du dialogue dépend, tel que

mentionné ci-haut, des salafistes et de l’environnement politique et sociétal de la Tunisie.

Pour les salafistes scientifiques, le dialogue n’a jamais réellement pris fin. Ils n’ont ainsi

jamais réellement agi selon une logique de distanciation. Cela s’expliquait probablement par

le fait que ces derniers ne désiraient pas s’interposer dans les affaires politiques et dans les

jeux d’alliances qu’Ennahda entreprenait avec les partis laïcs. L’absence d’agenda politique

et leurs appels au calme expliquaient probablement pourquoi ils ont été les principales figures

consultées du courant salafiste à quelques reprises par Ennahda et Marzouki au cours de la

transition.

Pour les salafistes politiques, bien que le refus du parti islamiste d’inscrire la charî’a en mars

2012 ne les a pas empêché de poursuivre le processus d’accréditation de partis politiques ni

de demeurer quelque peu présents dans le paysage politique et public de la Tunisie, cette

situation a jeté un froid sur leur relation. À l’exception des actions d’Hizb Al-Tahrir, peu

d’actions politiques ont été menés par les autres partis politiques salafistes, ce qui contredisait

leur rhétorique d’implication dans les débats sociétaux sur la constitution. Une série

d’événements ont symbolisé leur distanciation d’Ennahda et leur rupture : la chasse aux

responsables de l’attaque de l’ambassade américaine en septembre 2012, le refus de la tenue

du troisième congrès d’AST en mai 2013 et la catégorisation d’AST comme groupe terroriste

en août 2013.

Quant aux salafistes jihadistes d’AST, leur logique de distanciation reposait essentiellement

sur la dénonciation de l’acceptation des nahdaouis du modèle démocratique au lieu de

favoriser le modèle califale. Ces salafiste lui reprochaient de favoriser un modèle occidental,

au détriment des références culturelles islamiques518. Cette reconnaissance des règles du jeu

518 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.

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politique démocratique signifiait la trahison de l’esprit islamique par Ennahda et entachait sa

crédibilité en tant « qu’acteur islamique », en plus de sérieusement miner sa crédibilité sur

sa volonté d’islamiser l’État et la société. La politique et les valeurs islamiques qu’Ennahda

mettait de l’avant, telles que la modération, le dialogue, l’égalité, le consensus et les droits et

libertés, n’étaient tout simplement pas entérinés par les salafistes519. Allani estimait d’ailleurs

que les salafistes d’AST avaient adopté une posture de convergence entre décembre 2011 et

mai 2013, puis une posture de confrontation520. Les trois événements mentionnés ci-dessus

ont également exprimé la distanciation des salafistes jihadistes.

La mise en place d’un dialogue avec d’anciens caciques du régime de Ben Ali, responsables

de la persécution des islamistes y compris salafistes, a fortement déplu aux salafistes. Tout

semblant de réconciliation, d’amnistie, de pardon ou d’impunité était considéré comme un

déni du passé et un aveuglement volontaire. De plus, l’esprit de compromis qui a motivé

l’action d’Ennahda en tant que principale force politique de l’ANC auprès de forces libérales

et laïques a alimenté la suspicion des salafistes521. La coalition formée avec le CPR et

Ettakatol, de farouches opposants aux salafistes, a été fortement décriée522. Ces partis

militaient contre les objectifs des salafistes et des islamistes et mettaient de la pression sur

Ennahda pour que ce dernier marginalise les salafistes et les exclut des négociations sur la

constitution. Ce grief a aussi été soulevé par des membres et des partisans d’Ennahda qui

n’étaient pas d’accord avec le partenariat entretenu avec les autres partis politiques523. Pour

eux, les jeux d’alliance et de stratégie auxquels Ennahda devait adhérer ne devraient en aucun

cas primer sur les objectifs et les intérêts communs des salafistes et des islamistes. En agissant

de la sorte, les salafistes et les membres et sympathisants nahdaouis à la cause salafiste

estimaient que le parti islamiste luttait pour ses propres intérêts en tant qu’entité politique et

non pas, comme il le prétendait, pour les intérêts des musulmans. Cette situation a suscité

519 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 520 Alaya ALLANI, op. cit., p. 225. 521 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 522 Anour BOUKHARS, op. cit. 523 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017.

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une méfiance importante des salafistes à l’endroit d’Ennahda au fur et à mesure que les mois

défilaient, une méfiance définitivement plus marquée chez les jihadistes524.

L’adoption de la logique de distanciation, qui soulignait le refus de l’engagement politique

au profit de la confrontation525, servait les intérêts stratégiques et organisationnels des

salafistes jihadistes d’AST. Elle leur permettait d’acquérir et de conserver l’aura de légitimité

que lui accordaient ses adhérents, car AST employait cette logique pour légitimer sa posture

antisystème et révolutionnaire tout en s’opposant aux compromis effectués par l’élite. En

effet, ses discours, considérés comme radicaux, dénonçaient le système inique du processus

constitutionnel tunisien qui ne reposait pas sur des préceptes islamiques et qu’Ennahda

contribuait à maintenir depuis qu’il était au pouvoir. Dialoguer avec le parti islamiste se

révèlerait donc irrationnel, puisque AST se serait incorporé dans un système qu’il critiquait

avec véhémence, agissant ainsi en contradiction avec ses reproches. Cette situation expliquait

pourquoi AST n’a jamais voulu suivre le pas aux partis salafistes en ne déposant pas une

demande d’inscription en tant qu’association officiellement reconnue par les autorités

tunisiennes. C’était précisément son discours et ses actions qui attiraient autant ses ansarî,

ses partisans et sympathisants, qui ont été et demeuraient négligés par ce système

récompensant les mieux nantis et ceux détenant des liens privilégiés avec les élites. AST

devait maintenir ses actions cohérentes avec son discours pour conserver et augmenter sa

popularité auprès de ses partisans, tout en grossissant ses rangs pour assurer la pérennité du

mouvement.

C’est d’ailleurs pourquoi AST conservait l’idée d’imposer sa vision en adoptant un discours

refusant tout compromis et toute concession. Refusant le dialogue, que ce soit avec Ennahda

ou n’importe quelle autre composante de la société526, AST demeurait convaincu qu’il

s’agissait du seul et unique moyen de parvenir à une société juste. Si la société ignorait ce

qui était bon pour elle, AST était convaincu de le savoir.

524 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 525 Anouar BOUKHARS, op. cit., p. 16. 526 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.

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L’adoption de la logique de distanciation des salafistes concordait en réalité avec la stratégie

d’exclusion menée par Ennahda, mis sous pression par des membres de l’opposition, des

associations et des membres de la société civile dans un contexte d’instabilité politique,

sécuritaire et économique. Si Ennahda voulait inclure les salafistes qui agissaient de manière

pacifique, il excluait les salafistes jihadistes qui ont légitimé et employé le recours à la

violence, que ce soit dans leurs discours que dans leurs actions. Selon un ancien cadre,

Ennahda a fait des fautes d’appréciation. Le mouvement n’a pas eu le courage de

se démarquer pleinement et ouvertement de la frange salafiste. L’impact [ressenti

sur le parti islamiste] a été [la création d’]un amalgame […]dans la perception

des Tunisiens. [Cette inclusion] a été fait[e] pour la sécurité du pays. On a essayé

d’attirer les salafistes dans l’espace politique pour assurer la sécurité du pays. Le

danger a[urait] été la militarisation […] [Ennahda a] essayé d’inviter tout le

monde à la même table, mais il n’aurait pas fallu que ce soit celle [du parti].527

Cette exclusion s’est exprimée par le durcissement du ton du parti après l’attaque de

l’ambassade américaine du 12 septembre 2012. Le Ministre de l’intérieur de l’époque,

Khaled Tarrouche, avait affirmé « que tous les outils permis par la loi en cas d’attaque des

islamistes radicaux528 » étaient en place et seraient utilisés. Le parti islamiste se retrouvait

devant l’impossibilité de collaborer avec eux, car il aurait alors sanctionné le recours à la

force comme un moyen légitime d’influencer le processus de rédaction de la nouvelle

constitution, ce qui s’avérerait inacceptable dans une société démocratique à laquelle aspirait

la société tunisienne. De plus, Ennahda risquait de créer un dangereux précédent en montrant

que la violence permettait de faire fléchir le gouvernement. Cela ouvrait également la porte

à une vendetta des salafistes à l’encontre du parti s’il ne réagissait pas. Les discours

revanchards et les attentats provoqués par les salafistes jihadistes témoignaient aux yeux de

la société de leur refus d’entamer un dialogue avec les forces constituantes ou n’importe

quelle autre composante de la société. A contrario, ils soulignaient leur volonté d’imposer

leur vision de la société islamique idéale à tous.

527 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 528 Vincent DUHEM, « Tunisie : le gouvernement déterminé à combattre les islamistes radicaux ? », Jeune

Afrique, [En ligne], 31 octobre 2012, http://www.jeuneafrique.com/173628/politique/tunisie-le-gouvernement-

d-termin-combattre-les-islamistes-radicaux (Page consultée le 14 octobre 2017).

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Le parti islamiste a également tenté de se distancer de certains propos et de revendications

para-constitutionnelles tenus par les salafistes et parfois partagés par ses députés plus

conservateurs. Ennahda a essayé de se positionner comme un parti politique ouvert et

embrassant la modernité qui n’avait rien à voir avec les salafistes : « la modernité est plus

près d’Ennahda que le salafisme et ses adeptes qui vivent aux VIIIème et IXème siècles529 ».

Les salafistes représentaient, selon les propos d’une députée « des intrus dans l’islam », des

« gens de l’extrême de l’extrême »530. Elle ajoutait également qu’Ennahda se distinguait du

salafisme parce que le parti était en faveur de la démocratie, qu’il promouvait les acquis de

la femme en maintenant le Code du statut personnel et qu’il était contre la pratique de la

polygamie531. Selon les propos d’un autre député, les

Différences entre les salafistes et Ennahda tiennent du fait qu’Ennahda croit en

la modernité et au mariage entre l’islam et la démocratie, entre l’islam et

l’Occident. Il œuvre pour l’égalité des droits des femmes et des hommes, met de

l’avant les acquis de la femme comme dans le Code du statut personnel, qui est

d’ailleurs une loi modérée, progressive, et est contre la polygamie.532

Cependant, cette logique de distanciation, cette stratégie d’exclusion et le refus d’inscrire la

charî’a dans la constitution, ont eu un impact négatif dans les rangs nahdaouis. En effet, une

partie de la base militante sympathisante des salafistes a quitté le parti, profondément déçue

et désillusionnée par le pragmatisme des cadres et la priorisation du compromis533. Composée

essentiellement de jeunes, elle a rejoint et grossi les rangs des salafistes, attirée par leurs

discours radicaux. Ces départs ont confirmé la présence de sympathisants du salafisme et les

fractures bien présentes au sein du parti, en plus d’engendrer un coût politique pour Ennahda.

La logique de distanciation, la stratégie d’exclusion et le refus d’inscrire la charî’a dans la

constitution ont également eu un impact significatif au sein des rangs salafistes.

529 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 530 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 531 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 532 Ibid. 533 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017.

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Des conséquences portant un changement de ton et d’action bien présent dans les rangs

salafistes

La décision d’Ennahda de ne pas insérer la charî’a dans la nouvelle constitution a entraîné

plusieurs répercussions sur les comportements adoptés par les salafistes dans le cadre du

processus de rédaction de la constitution et sur les liens entretenus entre le parti nahdaoui et

la mouvance salafiste. Le choix stratégique d’Ennahda de « n’avoir rien donné aux

salafistes534 » a entraîné des changements sur le plan des discours et des actions des salafistes,

bien qu’une relative continuité ait persisté à l’égard de certains registres.

Premièrement, l’issue du vote de la choûra a suscité chez les salafistes une profonde

déception et de la frustration à l’égard du parti islamiste535 qui croyaient former un front

commun auprès des nahdaouis pour l’islamisation de l’État et de la société. Les salafistes ont

émis de nombreuses critiques virulentes à l’endroit du parti islamiste et de ses députés536. Ils

leur ont entre autres reproché d’avoir accordé trop de concessions à leurs partenaires de la

troïka et aux anciens caciques du RCD regroupé autour du parti Nidaa Tounes, ces

compromis ayant ébranlé la mission islamiste du parti537. Ennahda était considéré comme un

pantin de l’Occident et d’Israël538 et ayant trahi ses racines islamistes pour privilégier ses

propres intérêts en tant qu’entité politique pour conserver ou regagner le pouvoir lors de

futures élections. Selon le chef du parti Al-Assala, Ennahda « détrui[sait] les bases de la

pensée zitounienne juste [pour exécuter] les instructions des États-Unis et de l’Occident en

général539 ».

534 Ibid. 535 Ibid. 536 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 537 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 538 Ibid. 539 TUNISIE NUMÉRIQUE, Le parti salafiste Al Assala; Ennahdha a commis l’irréparable en empêchant la

venue du prédicateur marocain Hassen Kateni, Tunisie Numérique, 23 novembre 2012.

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Cette déception et ces critiques se sont assorties d’un processus de délégitimation, notamment

religieuse, et de propagande défavorable à l’égard d’Ennahda540. Les salafistes ont avancé

que les principes, considérés progressistes, adoptés par Ennahda allaient à l’encontre même

des valeurs promues par l’islam. Puisque le parti islamiste au pouvoir n’a pas valorisé

l’insertion de la charî’a dans la constitution, il a trahi la religion. Les salafistes tenaient leurs

« propos sur Ennahda [via] les réseaux sociaux, [qu’ils faisaient circuler] des messages

défavorables comme quoi Ennahda a quitté le cercle de l’islam et qu’il a trahi les électeurs541

». Conséquemment, les députés d’Ennahda agissaient en dehors de la religion, « car ils n’ont

pas été en mesure d’appliquer la charî’a542 ». Ses députés pouvaient dès lors être qualifiés

d’athées, de traîtres et de kuffâr543 parce qu’ils ont trahi la volonté et les intérêts de leurs

électeurs544 : « Ennahda sont des athées qui [ont] accept[é] de jouer le jeu démocratique et de

s’allier avec des gens libéraux […] la démocratie n’est pas une doctrine musulmane545 ».

Ennahda n’est devenu qu’une entité politique « normale », n’agissant pas en faveur de l’islam

aux yeux des salafistes546. Un membre d’Ennahda a affirmé que même si le parti islamiste

avait répondu positivement à leur demande, les salafistes auraient fort probablement

demandé davantage, car l’un de leurs objectifs était de détruire l’État tunisien. Il comparait

leur idéologie à celle de Daech547. Cette diffamation aurait, selon un député, « eu un impact

politique sur Ennahda, car les salafistes ont fait beaucoup de propagande pour que les gens

n’aillent pas voter (en 2014)548 ».

540 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 541 Ibid. 542 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 543 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017, entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants

du peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017 et entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux

députés à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 544 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 545 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 546 Anouar BOUKHARS, op. cit., p. 14. 547 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 548 Ibid.

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Deuxièmement, les salafistes qui ont tenté l’expérience du jeu politique, ont vécu une

désillusion. D’une part, l’absence d’une influence effective auprès de leur seul allié politique

qui pouvait les représenter au sein de l’ANC pouvait expliquer le désintérêt de ces salafistes

à l’égard de des instances de consultation et de participation citoyenne de l’ANC, notamment

les deux journées de consultation nationale et la tournée des gouvernorats. D’autre part,

l’absence de la mention de la charî’a dans la constitution rendait cette dernière illégitime par

rapport à l’islam549. Selon les salafistes, le maintien de l’article 1er de la loi constitutionnelle

de 1959 n’était pas suffisant pour souligner le lien étroit entre la République tunisienne et

l’islam. Au contraire, il véhicule plusieurs strates identitaires, alors que la constitution ne

devrait valoriser que la fibre musulmane, la seule devant agir à titre d’emblème identitaire

tunisien550 : « l’article 1 de la constitution de 1959 n’est pas suffisant. L’identité pour les

salafistes ne contient pas différentes strates, elle relève de l’identité musulmane

uniquement551 ».

Conséquemment, les salafistes estimaient que l’implication politique ne servait plus à rien,

puisque la charî’a ne régulerait pas, du moins officiellement, les lois de la République

tunisienne552. La politique ne constituait finalement pas le moyen approprié pour faire valoir

leurs intérêts ni pour améliorer le quotidien de leurs concitoyens de la manière dont ils le

concevaient. D’ailleurs, les expériences tunisiennes, égyptiennes et syriennes représentaient

des échecs pour les salafistes qui avaient tenté le pari de la politique553.

La vision de l’échec des islamistes modérés les ont fait réagir : c’est la

décontenance des islamistes qui sont rejetés du pouvoir. À ce moment, les

salafistes ont changé d’opinion : cette façon de gérer les choses, ce chemin,

n’aboutit pas au but islamique, c’est un essai raté. Ainsi, on voit une

augmentation, en apparence, du salafisme jihadiste, notamment Da’ech.554

549 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 550 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 551 Ibid. 552 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 553 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 554 Ibid.

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Cependant, l’accréditation de l’ensemble des partis salafistes est survenue après le vote de la

choûra et représente une ambigüité qui demeure aujourd’hui difficile à expliquer. En effet,

mis à part Hizb Al-Tahrir qui avait organisé une manifestation pour réclamer la charî’a

devant se dérouler devant l’ANC le vendredi 11 janvier 2013, mais ayant été interdite la

veille par le ministère de l’Intérieur, les partis salafistes ont mené peu d’actions politiques.

Peut-être conservaient-ils une once d’espoir de maintenir le dialogue avec Ennahda et de

parvenir à faire changer d’idée le leadership du parti. Quoiqu’il en soit, la conduite

d’Ennahda au fil du processus constitutionnel a déçu les partis salafistes. Le chef d’Hizb Al-

Tahrir, Ridha Belhaj, avait d’ailleurs reproché au parti islamiste son manque d’inclusion et

le résultat préliminaire de la constitution :

Personne jusqu’ici n’a voulu nous impliquer dans l’élaboration de la Constitution

ni [nous] consulter sur les grands problèmes qui se posent au pays. [La

constitution] oppose une vision laïque pour contrer l’aspiration islamique et

s’accompagne par une exclusion rapide de la charia. Ceux qui prennent le risque

de bannir la charia, sans lui donner d’autres dimensions, privent la révolution de

son ambition et de ses perspectives. Ils confisquent nos élans révolutionnaires.

Mais je demeure optimiste, car le grand éveil islamiste est fort, à l’état brut,

profondément ancré dans les cœurs. Nous allons bientôt multiplier les initiatives

pour dénoncer l’ANC et contester sa méthodologie, en rappelant nos

propositions, notamment notre projet de Constitution. D’ailleurs, n’est-il pas

déplorable que nous ne soyons nullement consultés à ce sujet et associés aux

options fondamentales y afférentes ?555

Les relents d’actions politiques avaient plutôt pour objectif de critiquer les prises de position

d’Ennahda et de délégitimer le processus institutionnel de consultation et de participation

citoyenne dans le cadre de la rédaction de la constitution, comme en témoigne la présence

des salafistes lors de la consultation de Monastir dans le cadre de la tournée des

gouvernorats556. La diminution, voire l’absence d’actions politiques pouvait également

s’expliquer par le manque d’intérêt pur et simple à l’endroit de la constitution d’une bonne

partie de la population salafiste. Les impacts constitutionnels sur la vie des citoyens

paraissaient trop abstraits et assez loin des préoccupations quotidiennes auxquelles faisait

555 « Hizb ut-tahrir : Le retour du Califat comme solution? », op. cit. 556 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,

Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.

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face la population tunisienne comme l’inflation, le chômage et la corruption, une situation

qui ne se révélait cependant pas très différente des autres citoyens qui s’inquiétaient

davantage des enjeux socio-économiques557. La constitution ne constituait pas pour les

salafistes un vecteur efficace de changement. D’ailleurs, la possibilité d’appliquer la charî’a

dans les interactions quotidiennes même si elle ne se retrouvait pas inscrite dans la

constitution demeurait présente, jusqu’à un certain point, pour les fervents de la charî’a. À

cet effet, il importe de garder à l’esprit les rôles de médiateurs et de juges que certains

salafistes occupaient durant la transition tunisienne dans des quartiers populaires.

Cette expérience courte et limitée du salafisme politique tunisien, très différente de son

homologue égyptien à travers Hizb Al-Nour, exprimait fort probablement la raison pour

laquelle l’ensemble des personnes interrogées dans la présente recherche ne distinguait

uniquement que les salafistes scientifiques des jihadistes.

Troisièmement, le retrait relatif des salafistes du champ politique a bénéficié aux actions

prosélytes, qu’elles aient été sociales et/ou religieuses. L’appel aux activités de da’wa et

l’accent mis sur les actions pacifiques se sont maintenus après le 26 mars 2012 chez la très

grande majorité des salafistes tunisiens. Abu Iyadh, chef d’AST, maintenait d’ailleurs que «

la Tunisie n’[était] pas une terre de jihâd mais […] une terre de prédication religieuse558 »

et que « tous [les actes d’AST] se résum[aient] à de la prédication morale et à des œuvres de

charité559 ». La perception que les actions sociales et religieuses permettaient aux salafistes

d’agir à titre de vecteurs de changement et d’amélioration de la vie de leurs concitoyens a

renforcé leur volonté de salafisation de la société par le bas. À cet effet, ils ont notamment

augmenté le nombre de caravanes en direction des zones négligées et ont également accru

les moyens de prise de contrôle des mosquées, afin de diffuser leurs discours et de mieux

critiquer religieusement les choix d’Ennahda. L’un des membres du parti islamiste croyait

557 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 558 Voir en annexe XVI I. N., « Abou Yadh : « La Tunisie n’est pas une terre de Jihad mais une terre de

prédication religieuse » », Businessnews, [En ligne], 30 mars 2012, http://www.businessnews.com.tn/abou-

yadh--la-tunisie-nest-pas-une-terre-de-jihad-mais-une-terre-de-predication-religieuse,520,30223,3 (Page

consultée le 30 novembre 2017). 559 Ibid.

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que ce positionnement stratégique de la part de certains salafistes a effectivement entraîné

une perte de votes pour le parti lors des élections de 2014560. Selon les propos d’un député, «

les salafistes ont tenu des discours « hors la loi » dans certaines mosquées et ont convaincu

beaucoup de gens de ne pas voter pour Ennahda qui a ainsi perdu de nombreuses voix561 ».

Ennahda a réagi en qualifiant ces imams d’obédience salafiste d’« hors la loi » et a proposé

un projet de neutralité des mosquées562. En entreprenant la reprise de contrôle de ces

mosquées en s’assurant que les imams qui prêchaient avaient bel et bien reçu une

accréditation du ministère des Affaires religieuses, le parti nahdaoui justifiait sa lutte par la

simple mise en application des lois déjà en vigueur qui limitaient les heures d’ouverture des

mosquées.

Néanmoins, de plus en plus de cas de discours haineux et incitant à la violence et d’actes

violents ont été signalés à partir de ce moment. Cela a fortement exacerbé la crainte de la

société tunisienne à l’égard des motivations réelles des salafistes et de la manière dont ils

entendaient accomplir leurs objectifs de salafisation de l’État et de la société. L’apologie

d’Oussama Ben Laden, même s’il était considéré comme un héros bien avant le printemps

arabe, s’est faite de manière plus éclatante dans les médias et les instances publiques, comme

l’a faite Khamis Mejri563. La mollesse de la réponse sécuritaire exprimée par Ennahda avant

2013 alimentait les spéculations concernant un agenda caché du parti, les salafistes

représentant alors possiblement la branche armée d’Ennahda. Cette situation renforçait les

sentiments d’insécurité et d’instabilité politique vécus par la société et les partis d’opposition,

incluant le CPR et Ettakatol, qui estimaient devoir s’ériger en chiens de garde de la

démocratie et des acquis tunisiens en matière des droits humains contre les dérapages des

salafistes et d’Ennahda. S’il s’avère ardu d’attribuer la responsabilité de la plupart des actes

violents commis à un groupe particulier de salafistes, d’autres ont été clairement imputés aux

560 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017. 561 Ibid. 562 Ibid. 563 Z. A, « Tunisie-Religion : Arrestation de l’imam extrémiste Khamis Mejri », Kapitalis, [En ligne], 10 mars

2014, http://www.kapitalis.com/societe/21113-tunisie-religion-arrestation-de-l-imam-extremiste-khamis-

mejri.html (Page consultée le 14 octobre 2017).

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membres d’AST qui niait la légitimité du processus constitutionnel et refusait de participer à

celui-ci.

De violentes attaques ont été menées à l’encontre de partis politiques laïcs et de groupes de

la société civile militant pour une séparation nette entre l’État et la religion, ainsi que sur des

membres précis de ces partis et groupes. Des militants du mouvement doustourna (notre

constitution), association qui avait pour objectif de sensibiliser et d’inciter les citoyens à

s’impliquer dans le processus constitutionnel, ont été agressés à Douz par des salafistes et

empêchés de tenir leur réunion le 20 avril 2012564. Neuf jours plus tard, les locaux du Parti

communiste ouvrier tunisien, présidé par Hamma Hammami, un virulent opposant aux

salafistes, ont été saccagés par ces derniers dans le quartier de Kabbaria à Tunis565. Au mois

de juin, de violents affrontements ont éclaté à Tunis et ont donné lieu au mis à sac et à la

tentative d’incendie des locaux d’Ettakatol, de l’UGTT, du parti républicain et du

Mouvement des patriotes démocrates566. L’une des réunions de ce dernier parti, présidé par

Chokri Belaïd, a d’ailleurs fait l’objet d’une attaque le 2 février 2013567. Des assassinats sont

également survenus et ont été attribués à des acteurs salafistes, bien que les procès n’aient

pas été concluants par la suite. Lotfi Nagdh, coordonnateur de Nidâ’a Toûnes à Tataouine,

aurait été assassiné par des membres des Ligues de protection de la révolution568. Deux

députés de partis de l’opposition à l’ANC reconnus pour leur haine à l’égard des salafistes,

564 Mourad S., « Comment Jawhar Ben Mbarek a été agressé à Douz », Tunisie Numérique, [En ligne], 25 avril

2012, https://www.tunisienumerique.com/videocomment-jawhar-ben-mbarek-a-ete-agresse-a-douz (Page

consultée le 3 novembre 2017). 565 Id., « Tunisie: Le bureau du PCOT à Kabaria endommagé après une attaque par un groupe d’individus »,

Tunisie Numérique, [En ligne], 30 avril 2012, https://www.tunisienumerique.com/tunisie-le-bureau-du-pcot-a-

kabaria-endommage-apres-une-attaque-par-un-groupe-dindividus (Page consultée le 3 novembre 2017). 566 N. I. « Nuit chaude à Tunis et à Jendouba », Businessnews, [En ligne], 12 juin 2012,

http://www.businessnews.com.tn/Nuit-chaude-%C3%A0-Tunis-et-%C3%A0-Jendouba-,520,31630,3 (Page

consultée le 3 novembre 2017). 567 Hélène SALLON, « La Tunisie en prise à un climat délétère de haine et de violence », Le Monde, [En ligne],

7 février 2013, http://www.lemonde.fr.acces.bibl.ulaval.ca/tunisie/article/2013/02/07/la-tunisie-en-prise-a-un-

climat-deletere-de-haine-et-de-violence_1828631_1466522.html (Page consultée le 3 novembre 2017). 568 DIRECTION DE RÉALITÉS, « Affaire Lotfi Nagdh: la libération des 4 accusés suscite l’ire de l’opinion

publique », Réalités, [En ligne], 15 novembre 2016, https://www.realites.com.tn/2016/11/affaire-lotfi-nagdh-

la-liberation-des-4-accuses-suscite-lire-de-lopinion-publique (Page consultée le 3 novembre 2017).

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Chokri Belaïd (Parti unifié des patriotes démocrates) le 6 février 2013569 et Mohammed

Brahmi (Mouvement du peuple)570 ont été respectivement assassinés les 6 février et 25 juillet

2013 par des salafistes jihadistes. Le salafiste scientifique Khamis Mejri a même pris la

défense de Kamel Gadhgaghi, le présumé assassin de Belaïd571. Des personnalités politiques,

même appartenant au mouvement nahdaoui, en ont fait les frais. Habib Kheder, le rapporteur

de la constitution, ainsi que sa famille, ont fait l’objet de menaces de mort de la part

d’éléments salafistes au cours de la période de rédaction de la constitution572.Ces attaques

exprimaient le rejet de plusieurs salafistes de la coexistence entre factions aux croyances

différentes et soulignaient l’intolérance de l’autre. La priorisation de la violence au détriment

de la discussion donnait l’impression généralisée à l’ensemble des salafistes que même si

certains salafistes, ceux politiques, semblaient adhérer aux politiques et jouer le jeu

démocratique, le processus constitutionnel finirait par être instrumentalisé.

Des prédicateurs de certaines mosquées ont appelé directement les jeunes à combattre le

gouvernement en n’hésitant pas à les inciter à mourir en martyrs, comme l’a fait Nasreddine

Alaoui de la mosquée Ennour dans la Manouba. Ce dernier a même affirmé qu’il a « préparé

[s]on linceul après la mort de deux martyrs et [qu’il] appelle les jeunes [au] réveil islamique

à faire de même car le mouvement Ennahdha et d’autres partis politiques veulent des

élections sur les ruines et les cadavres du mouvement salafiste573 » lors d’une émission

télévisée sur la chaîne Ettounisiyya. Ce à quoi a répondu Ali Laarayedh, alors ministre de

l’Intérieur : « ce genre de discours est en partie responsable du sang versé, tu ne réalises pas

569 Isabelle MANDRAUD, « Mort de l’opposant tunisien Chokri Belaïd : “« On a assassiné un démocrate »” »,

Le Monde, [En ligne], 6 février 2013, http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2013/02/06/mort-de-l-opposant-

tunisien-chokri-belaid-on-a-assassine-un-democrate_1827859_1466522.html (Page consultée le 23 juin 2017). 570 Benjamin ROGER, « La Tunisie sous le choc après l’assassinat de l’opposant Mohamed Brahmi », Jeune

Afrique, [En ligne], 25 juillet 2013, http://www.jeuneafrique.com/169481/politique/la-tunisie-sous-le-choc-

apr-s-l-assassinat-de-l-opposant-mohamed-brahmi (Page consultée le 23 juin 2017). 571 Z. A., « Tunisie-Religion : L’imam Khamis Mejri de nouveau interpellé », Kapitalis, [En ligne], 19 mars

2014, http://www.kapitalis.com/societe/21289-tunisie-religion-l-imam-khamis-mejri-de-nouveau-

interpelle.html (Page consultée le 8 novembre 2017). 572 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017. 573 Voir en annexe XVII JEUNE AFRIQUE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Tunisie : un imam salafiste

appelle au jihad contre le gouvernement », Jeune Afrique, [En ligne], 2 novembre 2012,

http://www.jeuneafrique.com/173592/politique/tunisie-un-imam-salafiste-appelle-au-jihad-contre-le-

gouvernement (Page consultée le 14 octobre 2017).

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que tes mots sont comme des balles. Je suis surpris de ton refus de l’autre574 ». À ce moment,

Abou Iyadh tempérait qu’il fallait mettre en contexte les derniers événements d’escalade de

la violence à la suite de l’attaque de l’ambassade des États-Unis et la série d’épisodes violents

à la Manouba, que « le mouvement salafiste est victime d’une répression systématique [et

qu’on] doit prendre en compte la situation psychologique de[s] frères [comme l’imam de la

mosquée Ennour] parce qu’ils ont eu deux martyrs575 ». Après qu’AST ait été classé comme

une organisation terroriste, Abou Iyadh ne prétendait plus que la Tunisie n’était pas une terre

de jihâd, laissant ainsi la possibilité à ses troupes et sympathisants salafistes de recourir à la

force armée576.

Également, de plus en plus de jeunes ont délaissé le salafisme politique au profit du jihadisme

qui apparaissait plus attrayant et plus efficace pour mener à bien leurs objectifs

révolutionnaires. Il était fréquent que les forces de sécurité découvrent des caches d’armes et

de fréquentes attaques survenaient entre les forces armées et des factions jihadistes.

L’embuscade la plus emblématique durant la transition tunisienne est survenue le 29 juillet

2013 à Jbel Cha’âmbî en plein mois sacré de ramadan. Huit soldats tunisiens ont trouvé la

mort, dont trois ont été égorgés577. Plusieurs Tunisiens ont également décidé de partir vers

l’Irak et la Syrie combattre auprès de Da’ech ou de Jabhat Al-Nousra à la suite de la

déconfiture de l’islamisme modéré selon un ancien député d’Ennahda578. Saïd Al-Jaziri

expliquait cette situation par le fait qu’ils « ont le sentiment de n’avoir aucune valeur [et

qu’ils] pensent que, s’ils vont en Syrie, ils pourront peut-être devenir des chefs une fois de

retour au pays579 ».

574 Ibid. 575 Ibid. 576 Alaya ALLANI, op. cit., p. 219. 577 Sana SBOUAÏ, « Tunisie : La tension monte d’un cran après la mort de huit soldats », Nawaat, [En ligne],

30 juillet 2013, https://nawaat.org/portail/2013/07/30/tunisie-la-tension-monte-dun-cran-apres-la-mort-de-

huit-soldats (Page consultée le 23 juin 2017). 578 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 579 Alice FORDHAM, « TUNISIE. Un nouveau vivier de djihadistes », Courrier international, [En ligne], 24

avril 2013, http://www.courrierinternational.com/article/2013/04/25/un-nouveau-vivier-de-djihadistes> (Page

consultée le 28 mai 2017).

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La constitution tunisienne de 2014, une influence indirecte des salafistes

Ainsi, l’absence de l’inscription de la charî’a au profit du maintien de l’article 1er de la loi

constitutionnelle de 1969 était nécessaire. Selon Ghannouchi, il « fai[sait] l'objet d'un

consensus entre toutes les composantes de la société et préserv[ait] l'identité arabo-

musulmane de la Tunisie, [en plus de garantir] les principes d'un État civil et

démocratique580 ». Des députés interrogés qui appuyaient les propos de Ghannouchi ont

ajouté que de toute façon, l’article premier respectait l’esprit de la charî’a et se révélait donc

suffisant581. Malgré cet apparent consensus, l’article premier suscitait toujours la controverse

dans le camp des laïcs à cause du flou au niveau de son interprétation. Ces derniers estimaient

qu’à l’époque de Bourguiba, les constituants n’avaient pas statué si l’islam était la religion

de l’État, ce qui aurait pour conséquence que les lois devraient s’inspirer de l’islam, ou si

c’était plutôt la religion du peuple et qu’elle relèverait donc de la pratique privée. Si les laïcs

étaient insatisfaits, les salafistes l’étaient tout autant, voire davantage. Ghannouchi a essayé

de tempérer leur réaction et de les amadouer de deux manières. En premier lieu, il a affirmé

que de toute manière, « 90 % de la loi tunisienne est inspirée de la charî’a582 ». L’un de ses

anciens députés a renchéri que 99 % des lois tunisiennes se conformaient à la charî’a, le

pourcent restant concernait les sanctions pénales auxquelles les salafistes avaient mis

l’accent583. Selon cette interprétation des faits, l’inscription de la charî’a comme source de

législation n’aurait été que symbolique, qu’un simple constat de la réalité. Néanmoins, cette

interprétation de l’article premier ne paraissait que valable dans le cadre d’une interprétation

progressiste des textes religieux, ce à quoi s’opposaient les salafistes584. En second lieu,

Ghannouchi a voulu rassurer les salafistes en avançant que le libellé actuel permettrait une

580 Isabelle MANDRAUD, « Ennahda renonce à inscrire la charia dans la Constitution », op. cit. 581 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017 et entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée

des représentants du peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 582 LE MONDE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Tunisie : Ennahda contre l’inscription de la charia dans la

Constitution tunisienne », Le Monde, [En ligne], 2012,

http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2012/03/26/ennahda-contre-l-inscription-de-la-charia-dans-la-

constitution-tunisienne_1675938_1466522.html (Page consultée le 29 juin 2017). 583 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 584 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.

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éventuelle ouverture pour l’application de la charî’a. Deux vidéos de Ghannouchi tournées

après le 26 mars 2012 ont été diffusées. Dans la première, il discutait avec un représentant

de la mouvance salafiste en disant

Maintenant, nous n’avons pas seulement une mosquée, mais plutôt le ministère

des Affaires religieuses […] Il faut travailler pour ajouter, au texte de la

constitution, un texte pour la charî’a afin de relier le gouvernement à l’islam

et vice versa. Il ne faut pas que le texte fasse peur aux gens, il faut qu’ils

comprennent que c’est une façon de vivre, des règles, des façons et une

méthode pour mieux vivre.585

Dans la seconde, il s’entretenait avec Béchir Ben Hassen au téléphone, lui affirmant

Mes frères, ne vous précipitez pas, réfléchissez. C’est dangereux de faire quoi

n’importe comment. Il faut que nous soyons structurés et organisés […]

Installez-vous, il faut avoir un islamiste dans chaque organisme pour aider les

pauvres, trouver et fournir du travail, payer les mariages pour ceux qui ont

besoin. 586.

Néanmoins, les salafistes, de par leurs discours et actions, ont influencé directement la teneur

d’un article dans la constitution, mais non pas en faveur de leurs demandes. Il s’agit de

l’article 6 qui énonce que :

L’État protège la religion, garantit la liberté de croyance, de conscience et de

l’exercice des cultes. Il assure la neutralité des mosquées et des lieux de culte de

l’exploitation partisane. L’État s’engage à diffuser les valeurs de modération et

de tolérance et à protéger le sacré et empêcher qu’on y porte atteinte. Il s’engage

également à prohiber et empêcher les accusations d’apostasie, ainsi que

l’incitation à la haine et à la violence et à les juguler.587

Cet article exprimait la crainte de la majorité de la société à l’égard des salafistes, plus

précisément jihadistes, et son refus d’entériner leurs pratiques. Premièrement, la notion de «

neutralité des mosquées et des lieux de culte de l’exploitation partisane » faisait référence à

la lutte pour le contrôle des mosquées exercée par les salafistes. Deuxièmement,

l’engagement de l’État à « prohiber et [à] empêcher les accusations d’apostasie, ainsi que

585 Frida DAHMANI, « Tunisie : les vidéos de Ghannouchi, « bad buzz » pour un théocrate », Jeune Afrique,

[En ligne], 11 octobre 2012, http://www.jeuneafrique.com/173908/politique/tunisie-les-vid-os-de-ghannouchi-

bad-buzz-pour-un-th-ocrate (Page consultée le 1 décembre 2017). 586 Amel MIZOURI, Tunisie Rached Ghannouchi filmé par une Caméra cachée, 9 octobre 2012. 587 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE, op. cit., article 6.

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l’incitation à la haine et à la violence et à les juguler » visait spécifiquement les salafistes en

leur interdisant de recourir au takfîr, espérant ainsi faire cesser cette pratique exercée par des

groupes radicaux comme AST et limiter les vagues de violence588. Ces derniers avaient

amplement employé ce moyen pour délégitimer des acteurs notamment politiques et

religieux et légitimer le recours à la violence contre leurs personnes. Les députés nahdaouis

Chourou et Ellouze, lors du vote article par article, se sont opposés à ce libellé qui constituait

une première dans le monde musulman, puisqu’aucune autre constitution d’un État à

population majoritairement musulmane ne contenait un pareil article. Ils estimaient que les

kuffâr et l’apostasie méritaient d’être condamnés par les érudits musulmans lorsque les

conditions nécessaires étaient réunies589. Khamis Al-Mejri a d’ailleurs qualifié cet article

« the worst law ever adopted in the Arab world and in opposition with article 1 of the

Constitution590 ».

Tout compte fait, bien qu’il y ait eu « une [petite] branche salafiste qui a eu un parti politique

(Jabhat Al-Islâh) et qui a essayé de jouer le jeu démocratique, [elle s’est révélée] peu

influent[e comparée à] la mouvance [salafiste] violente terroriste591 ». Comme l’a fait

remarquer un député d’Ennahda, l’ensemble de « la constitution a fait l’objet d’un consensus,

à la fois le préambule et le fond (contenu)592 ». Ces deux articles plus précisément

conjuguaient les visions contradictoires des islamistes et des laïcs en Tunisie. Leur adoption

témoignait de l’esprit de négociation, du compromis et de coexistence qui ont imprégné le

processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne entre deux camps ayant consenti

chacun à concéder certains points.

Ces camps, composés d’acteurs significatifs dont les intérêts devaient être pris en

considération, a formé une large alliance entre groupes idéologiques divergents. Les

salafistes, qui se situaient à l’extrême du pôle politique par leurs demandes conservatrices et

588 Pietro LONGO, op. cit. 589 Ibid., p. 11. 590 Ibid., p. 6. 591 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du

peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 592 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo

(Tunis), Tunisie, 2017.

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leurs actions menaçantes pour la coexistence, ne pouvaient pas faire l’objet d’un consensus

entre Ennahda et les partis séculaires. Ils ont tout simplement été écartés du processus de

rédaction de la nouvelle constitution, ce qui représentait le coût à assumer pour assurer

l’adoption de la constitution tunisienne et la réussite de la transition démocratique. La

constitution a d’ailleurs été adoptée au-delà du deux-tiers requis dans la nuit du 26 janvier

2014 par deux cents voix pour, douze voix contre et quatre abstentions.

Conclusion

Ce chapitre a permis de comprendre que les salafistes tunisiens, qu’ils aient misé sur une

stratégie de salafisation par le haut ou par le bas, ont mené des actions qui ont eu des impacts

politiques sur le processus de rédaction de la nouvelle constitution.

Cependant, l’ensemble des actions prises n’a pas reflété une vision structurée des efforts

déployés comme le laissait entendre l’absence d’une structure organisationnelle englobant

les différents groupes salafistes lors de la transition. De plus, l’absence de représentation

réelle au cœur de l’ANC a sévèrement limité les efforts de lobbying qu’ont exercé les

salafistes tunisiens. Ces derniers ont néanmoins misé sur la politique de la rue en tenant

diverses manifestations publiques ou rassemblements politiques. Ces démonstrations

publiques, relevant essentiellement des salafistes politiques et scientifiques, leur ont permis

de revendiquer l’inscription de la charî’a en compagnie d’autres acteurs islamistes, mais

également de faire connaître leurs programmes généraux. Si les salafistes scientifiques et

jihadistes désiraient se retirer de la sphère politique, leurs actions sociales et religieuses

faisaient partie intégrante de cette politique de la rue et ont été instrumentalisées à des fins

politiques.

En effet, les actions sociales, principalement menées par les salafistes jihadistes d’AST,

signifiaient aux populations pauvres que le groupe était en mesure de discréditer et de

remplacer l’État tunisien. Les actions religieuses, notamment par la lutte pour le contrôle des

mosquées et le comportement de police religieuse adopté par certains salafistes scientifiques

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et jihadistes, visaient à modifier le comportement religieux des Tunisiens par celui du minhâj

salafî et permettaient aussi de tenir des discours virulents à l’égard des partis laïcs et

d’Enanhda. Ces actions servaient donc à mobiliser une base sociale sensible au discours

ultraconservateur qui se révèlerait fortement critique à l’égard de la nouvelle constitution

tunisienne si elle ne contenait pas la charî’a comme l’une des sources de législation.

Si la participation des salafistes aux instances participatives de l’ANC est mitigée parmi les

personnes interrogées, il s’avère qu’ils n’y ont essentiellement pas contribuées. Si au moins

un salafiste scientifique, soit Béchir Ben Hassen, a été invité lors des audiences d’experts,

aucun ne s’est présenté aux deux jours de consultations nationales. Quelques salafistes,

apparemment jihadistes, se sont manifestés pour contester la constitution et le processus lors

des séances de consultations régionales. Les salafistes tunisiens ont cependant concentré

leurs efforts auprès du parti islamiste Ennahda qui représentait un allié potentiel pour leur

agenda. Cela s’est reflété par l’adoption salafistes d’une logique de dialogue chez les

salafistes qui répondait à une volonté d’intégration de la part d’Ennahda. Plusieurs membres

du parti, incluant le chef et des députés, ont participé à diverses activités organisées par des

salafistes et les ont rencontrés individuellement.

Néanmoins, ces rencontres ne se sont pas révélées fructueuses. Les épisodes de violences

attribuées aux salafistes et la crainte généralisée au sein de la société civile ont fait en sorte

qu’Ennahda a prudemment réévalué sa position envers les salafistes et leur demande

constitutionnelle. Si le lobbying salafiste trouvant écho chez la base du parti islamiste a réussi

à remettre sur la table la question de la charî’a, il a néanmoins échoué à l’inscrire à l’agenda

constitutionnel du parti. Ce refus a été l’annonciateur de la désunion entre les nahdaouis et

l’ensemble des salafistes, ces derniers adoptant une logique de distanciation.

Dénonçant les pratiques d’un parti qui n’avait plus rien d’islamique à leurs yeux, les salafistes

ont commencé à délégitimer Ennahda et à renoncer à influencer directement la nouvelle

constitution tunisienne. Ils ont préféré miser sur la da’wa et multiplier les actions sociales et

religieuses. Certains salafistes, plus particulièrement les jihadistes et quelques figures

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scientifiques, ont employé le recours à la force après l’échec des moyens pacifiques.

Finalement, les actions des salafistes ont influencé de manière indirecte le contenu de la

constitution. Si l’absence de l’inscription de la charî’a témoignait de la faible efficacité de

leur lobbying durant la transition, la présence d’un article énonçant la neutralité des mosquées

et l’interdiction du takfîr dénotait que les quelques épisodes violents ont davantage eu un

impact dans la psyché sociale et dans le travail des constituants.

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CHAPITRE CONCLUSIF

La présente recherche a démontré que la transposition des constats issus des théories sur la

transitologie sur le cas tunisien après le printemps arabe a permis de comprendre les

tractations politiques entourant le processus de rédaction de la nouvelle constitution

tunisienne adoptée en 2014. Recherche innovante sur le plan de la focalisation sur les

salafistes tunisiens et leurs actions politiques, elle a prouvé que le modèle développé par Di

Palma593 s’appliquait bel et bien sur l’environnement politique et sociétal dynamique dans

lequel évoluaient les salafistes. La recherche menée avait pour but de répondre à la question

de recherche suivante : « les salafistes tunisiens, de par leur idéologie qui ne privilégie que

la légitimité de leurs propres revendications et de par leurs actions et qui ne favorisent pas la

négociation, le compromis et la coexistence de différentes factions sociétales, ont-ils

influencé le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne, et si oui, de

quelle(s) manière(s) et quels ont été les impacts ? ».

Les précédents chapitres ont permis de vérifier les trois hypothèses posées dans le premier

chapitre du mémoire. La première hypothèse avançait que les salafistes tunisiens ont

influencé le processus constitutionnel, mais n’ont pas influencé le contenu de la constitution.

La deuxième hypothèse proposait que les différentes formes de mobilisation menées par les

salafistes n’ont pas eu l’effet escompté, soit d’inscrire la charî’a dans la nouvelle constitution

adoptée, mais ont plutôt favorisé leur exclusion du processus de rédaction de la nouvelle

constitution et l’insertion d’un article qui interdit le takfirisme. La dernière hypothèse

affirmait qu’Ennahda a penché du côté du consensus auprès de ses partenaires de la troïka et

ce, même si le parti islamiste partageait certains objectifs communs avec les salafistes. Ces

derniers représentaient plutôt une menace pour les règles de garantismo que la troïka était en

train de négocier.

593 Giuseppe Di Palma, To Craft Democracies ?, Berkeley & Los Angeles, University of California Press, 1990.

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En effet, les salafistes tunisiens libérés ou de retour d’exil après la fuite de Ben Ali se sont

retrouvés pour la première fois sous un régime dirigé par le parti islamiste Ennahda, bien que

ce dernier ait formé une alliance avec les partis laïcs CPR et Ettakatol. Le contexte de

rétablissement des droits et libertés et d’inclusion de la société au processus de redéfinition

des institutions tunisiennes par la rédaction d’une nouvelle constitution les a incités à

revendiquer et à entreprendre des actions pour mettre de l’avant leur agenda

postrévolutionnaire, mués par une forte envie de jouer un rôle actif dans le remodelage de la

Tunisie.

Néanmoins, cet agenda postrévolutionnaire était motivé par la volonté d’islamiser l’État et

la société tunisiens, corrompus au contact de la civilisation occidentale. Cette islamisation

devait cependant suivre le parcours spécifique du salafisme, une interprétation littéraliste des

sources religieuses islamiques et dont les adhérents se targuaient de la « pureté » de cette

pratique du minhâj salafî. Convaincus d’être al-firqa al-najiyya, les salafistes ne toléraient

aucune opinion dissidente, délégitimaient toute autre pratique provenant d’autres écoles de

pensée juridique et exerçaient le takfîr à l’encontre de ceux qui s’opposaient à eux.

L’organisation des salafistes tunisiens s’est révélée comme un mouvement multiforme.

L’absence de front commun, sans discours unifiés et sans actions structurées a fortement

hypothéqué leur capacité d’influence et de lobbying des élus constituants et de la société. Au

contraire, un front commun bénéficiant de l’audience et de l’autorité des figures salafistes

scientifiques telles que Béchir Ben Hassan ou Hassan Brik, de la capacité de mobilisation du

groupe jihadiste d’AST et de la bannière politique de Jabaht Al-Islâh ou d’Hizb Al-Tahrir

leur aurait octroyé une meilleure crédibilité à l’égard des autres acteurs ou de la troïka.

Afin de réaliser leur objectif de salafisation de l’État et de la société tunisiens, les salafistes

tunisiens ont concentré leurs efforts autour de deux stratégies complémentaires de

salafisation : par le haut (top-down) et par le bas (bottom-up). Si les salafistes politiques des

partis Al-Assala, Al-Rahma, Jabhat Al-Islâh et Hizb Al-Tahrir ont recouru à la première

stratégie, les différentes figures salafistes scientifiques et le groupe jihadiste d’ASY ont

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préféré se rabattre sur la seconde, leur choix reposant sur des divergences théologiques à

l’égard de la validité de l’implication dans la politique.

Cet objectif de salafisation ne pouvait être réalisé sans l’inscription de la charî’a comme

l’unique, la principale ou l’une des sources de législation dans la nouvelle constitution

tunisienne. Cependant, l’incapacité de l’ensemble du mouvement à définir précisément la

portée du concept et les revendications de différentes demandes para-constitutionnelles

entraînaient une forte incertitude ce qui adviendrait de la gouvernance de l’État et des droits

et libertés des individus, fort probablement restreints par les prescriptions islamiques telles

qu’interprétées par les salafistes. Par contre, cette exigence de redéfinir l’identité tunisienne

par la seule composante musulmane ne rejoignait qu’une partie de la société tunisienne, celle

occupant les villages éloignés des régions intérieures ou des quartiers populaires des grandes

villes. Cette frange déjà marginalisée au sein de la société, séduite par la teneur radicale des

discours salafistes, ne prenait pas part aux débats politiques et s’investissait peu sur la scène

politique.

Ainsi, l’absence d’une forte adhérence de plusieurs pans de la société tunisienne à l’idéologie

salafiste et à leurs revendications constitutionnelles a-t-elle nui au mouvement salafiste dans

sa recherche d’un rôle actif dans la Tunisie postrévolutionnaire. Sa rhétorique manichéenne

et absolutiste, pas encline à la négociation ou au compromis, lui a créé de nombreux

détracteurs et ce, malgré les récurrents appels à la renonciation à la lutte armée de l’ensemble

de la mouvance salafiste. Même si les salafistes jihadistes affirmaient que la Tunisie était une

terre de l’islam (dâr al-islâm) et que les efforts devaient se concentrer sur la da’wa et la

tarbiyya, cette renonciation au recours à la force armée ne légitimait pour autant la

participation de ces acteurs à la transition politique aux yeux de la majorité des citoyens

tunisiens. Le constat est similaire pour la participation des quelques salafistes politiques qui,

bien qu’ils aient légitimé l’implication dans la politique pour faire avancer leur agenda et la

demande de l’inscription de la charî’a dans la constitution tunisienne, n’étaient pas perçus

d’un bon œil chez les partis laïcs.

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La forme organisationnelle et les discours à l’endroit de la politique ont eu un impact négatif

sur l’ensemble des actions politiques menées par les salafistes qui, au final, étaient peu

structurantes. Les salafistes ont surtout employé une politique de la rue pour rappeler leur

présence sur la scène publique tunisienne et pour influencer les débats sur la constitution.

Ces démonstrations publiques se sont exprimées par la tenue de plusieurs manifestations

locales, régionales et nationales afin de réclamer la légifération de la charî’a, mais également

par des rassemblements religieux et politiques. La politique de la rue a également compris

une multitude d’actions sociales et religieuses qui, bien que les salafistes scientifiques et

jihadistes ne désiraient pas s’impliquer dans la politique, avaient un fort impact sur celle-ci

en suggérant la capacité des salafistes de remplacer l’État, en subvenant aux besoins des plus

démunis et en créant une méthode de gouvernance alternative à celle connue par les Tunisiens

jusqu’à maintenant. Ces manifestations et actions sociales et religieuses ont parfois versé

dans la violence. Si quelques épisodes violents attribués à certains salafistes sont survenus

lors de la transition, leur forte médiatisation a imprégné l’imaginaire collectif des Tunisiens.

Le recours à la violence comme méthode d’influence a conséquemment été généralisé à

l’ensemble du mouvement salafiste. Cela n’a pas empêché une poignée de salafistes de tenter

d’intégrer les instances participatives de l’ANC, notamment les consultations de la tournée

des gouvernorats dans le cadre du Dialogue national. Cette participation n’a toutefois pas

donné lieu à des échanges, mais plutôt à des vociférations, du mécontentement et des

tentatives de perturbation du déroulement des consultations.

Cependant, l’ensemble des salafistes a été enclin au dialogue avec le parti nahdaoui.

Convaincus de mener un front commun pour l’islamisation de l’État et de la société

notamment par l’inscription de la charî’a dans la constitution, les salafistes ont multiplié les

rencontres informelles avec des membres du parti, des cadres locaux et le leadership, incluant

Chourou, Ellouze et Ghannouchi. Cette ouverture, même de la part des jihadistes, a été

accueillie positivement par Ennahda qui tentait de les inclure dans le processus transitionnel

pour tenter de modérer leurs discours et éviter qu’ils ne versent dans la violence. Cette

convergence révélait une vision utilitariste du rapprochement de part et d’autre et n’a

cependant pas satisfait l’attente des salafistes. Bien que ces derniers aient remis sur la table

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la question de la charî’a au sein d’Ennahda, le parti a finalement refusé de pousser cet agenda

au sein de l’ANC. Cette décision, issue d’un calcul rationnel de coûts et bénéfices, a pris en

compte le potentiel électoral des salafistes et la colère montante des partis laïcs et de la société

civile qui multipliaient les actions pour dénoncer la connivence entre ces acteurs.

Cette décision, loin de satisfaire la base militante d’Ennahda, a entraîné la défection de

plusieurs militants, mais a également été synonyme du début d’une logique de distanciation

adoptée par les salafistes. C’est en effet à partir de ce moment que les salafistes ont modifié

leurs discours et leurs comportements. Si la majorité continuait de soutenir la renonciation à

la lutte armée et au maintien du recours à la da’wa, les voix dissidentes se sont multipliées et

leurs propos devenaient plus agressifs. Les salafistes politiques ont abandonné les actions

politiques stricto sensu, se dédiant plutôt aux activités sociales et religieuses. Les quelques

actions politiques qui étaient encore mis de l’avant servaient à critiquer vertement Ennahda

et les délégitimaient d’un point de vue religieux. Ce changement de paradigme a également

été annonciateur de l’accroissement des appels à la violence et des actions violentes à l’égard

de ceux qui méprisaient le mouvement salafiste. Le paroxysme de la violence a été atteint

lors des assassinats de deux députés laïcs en 2013, assassinats attribués aux salafistes.

Finalement, les actions menées par les salafistes, à la fois via une stratégie top-down et

bottom-up, se sont plus ou moins avérées fructueuses pour influencer la teneur de la

constitution. S’ils ont réussi à mettre de nouveau à l’ordre du jour le débat identitaire sur la

charî’a, ils ont échoué à faire avancer leur agenda politique, puisque leur revendication n’a

pas été prise en compte lors de la rédaction de la constitution tunisienne. Leurs discours et

leurs actions violentes, bien qu’attribuables à une minorité de coreligionnaires, auront le plus

imprégné les esprits et dicté le comportement d’Ennahda à l’endroit de leurs partenaires de

la troïka et des salafistes. En défiant ouvertement la coexistence de factions aux croyances

différentes et en menaçant le bon déroulement des négociations, les salafistes se sont eux-

mêmes exclus du processus de rédaction de la constitution, alors qu’ils désiraient jouer un

rôle réformateur, actif, lors de la transition. C’est pourquoi la constitution tunisienne contient

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aujourd’hui une disposition réaffirmant la neutralité des mosquées et interdisant le recours

au takfîr.

Pour reformuler, l’adoption de la nouvelle constitution tunisienne le 26 janvier 2014 a révélé

que les salafistes tunisiens n’ont pas influencé, du moins directement, le contenu propre de

la nouvelle constitution. Leurs deux stratégies de salafisation, dans le cadre du processus

constitutionnel, n’ont pas eu les effets escomptés. D’une part, la quasi absence d’actions

politiques et leur faible niveau d’efficacité ont témoigné de l’échec de la salafisation top-

down, notamment parce que les partis politiques salafistes n’ont pas eu l’écoute ni les accès

espérés auprès d’Ennahda. D’autre part, les efforts de la salafisation bottom-up se sont révélés

infructueux, puisque la sensibilisation et la mobilisation d’une part croissante de la société

tunisienne autour du salafisme n’ont pas incité les députés constituants à intégrer la principale

demande identitaires des salafistes. Cela signifiait que les salafistes ne représentaient pas des

acteurs significatifs pour les principales forces constituantes. Au contraire, la manière dont

ils ont agi pendant le processus constitutionnel notamment par l’emploi de la violence,

l’absence de volonté de compromis et l’intolérance affichée à l’encontre des factions qui ne

partageaient pas leurs convictions, ont convaincu les députés constituants qu’ils agissaient à

titre d’éléments déstabilisateurs et menaçaient la coexistence des principales forces

politiques. Pour un ancien cadre d’Ennahda, « les salafistes n’ont pas été des acteurs ayant

une influence directe sur les travaux de l’ANC [parce qu’ils] n’étaient ni présents, ni formés

en partis politiques, mais [qu’]ils consistaient [plutôt] en une force sociale, une pression

exercée à l’encontre d’Ennahda594 ».

Cette déconfiture a porté un sévère coup au mouvement salafiste qui s’est retiré peu à peu de

la sphère publique. La classification du principal groupe salafiste AST comme groupe

salafiste et l’abandon de la scène politique des partis politiques salafistes a entraîné un certain

désintérêt pour ce mouvement qui semblait pourtant être transporté par une vague populaire

après les soulèvements arabes. Si certaines figures salafistes scientifiques telles que Béchir

Ben Hassen et Hassan Brik ont continué à susciter de l’engouement de la part de fidèles, elles

594 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.

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ont néanmoins dû se montrer discrètes dans les mosquées, face à la lutte étatique contre les

discours radicaux. Néanmoins, leur retrait de la scène publique n’est possiblement que

temporaire puisque

Many of the reasons why a large number of young people looked to it for

revolutionary purity and inspiration have not [disappeared…] Salafism offers

different paths of mobilization, and a radical political agenda could re-emerge

in the face of Tunisia’s current social and economic difficulties.595

Les salafistes semblent bien avoir ouvert une brèche dans le tissu social tunisien en ayant

notamment revendiqué l’insertion de la charî’a dans la nouvelle constitution et ce, bien que

les députés constituants aient refusé de l’inclure dans la nouvelle constitution. Si certains

estiment que « le débat [a] fait rage entre pro et anti-charia […] au palais du Bardo, où siège

l'Assemblée constituante, comme dans la rue596 », d’autres croient que le débat per se sur

l’identité des Tunisiens et le rôle public de la religion a été oblitéré : « la révolution culturelle

(religieuse) en Tunisie n’a pas encore eu lieu […] La révolution culturelle est nécessaire et

passera par le salafisme, par un retour aux sources597 ». Il semblerait ainsi possible que la

Tunisie fasse de nouveau face à un débat identitaire dans les prochaines années.

595 Sabrina ZOUAGHI et Francesco CAVATORTA, « In Tunisia, a Doomed Alliance », Rice University’s

Baker Institute For Public Polucy, [En ligne] https://www.bakerinstitute.org/media/files/files/7129f507/bi-

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musulmane, Paris, Payot, 1965, 466p.

MILLIOT, Louis et François-Paul BLANC, Introduction à l’étude du droit musulman, 2ème,

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HOURANI, Albert, L’âge d’un monde arabe libéral, 2ème édition, Références, Clamecy,

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Salafisme en général

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AMGHAR, Samir, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident,

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178

BONNEFOY, Laurent, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, New

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Neo-Traditional Salafi and Progressive Muslims’ Methods of Interpretation, New

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LAUZIÈRE, Henri, The Making of Salafism : Islamic Reform in the Twentieth Century, New

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MEIJER, Roel, dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious

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ROY, Olivier, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, London, Hurst & Company,

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Transitologie

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California Press, 1990, 248p.

FAHL Robert Alan, Polyarchy : Participation and Opposition, New Haven, Yale University

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FUKUYAMA, Francis, La fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, Paris, 1992,

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HAGGARD, Stephan, et Robert R. KAUFMAN., Political Economy of Democratic

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Transitologie au Moyen-Orient

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HUNTINGTON, Samuel P., Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2000, 545p.

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179

Transition en Tunisie

BELKHODJA, Abdelaziz et Tarak CHEIKROUHOU, 14 janvier : L’enquête, 3ème édition,

Tunis, Apollonia, 2013, 191p.

BEN ACHOUR, Yadh, Tunisie. Une révolution en pays d’islam, Tunis, Cérès Éditions, 2016,

387p.

Violences en Tunisie

FONTAINE, Jean, Du côté des salafistes en Tunisie. Tactiques... ou stratégie ?, Arabesques,

Tunis, 2016, 256p.

Mémoire et working papers

CAVATORTA, Francesco, et Stefano M. TORELLI, From Victim to Hangman? Al-Nahda

Salafism and the Tunisian Transition, Working paper présenté à la conférence annuelle

au Middle East Studies Association, novembre 2016.

LAJMI, Imen, Les trajectoires individuelles vers l’engagement radical : récits derrière les

barreaux, Mémoire de maîtrise – version préliminaire du mémoire non déposée,

Université Laval, à paraître.

LONGO, Pietro, Salafism and Takfirism in Tunisia. Between Al-Nahda’s Discourses and

Local Peculiarities, Working paper présenté au Middle East Studies Center, 16

novembre 2016.

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L’influence du salafisme dans le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne

180

ANNEXES

ANNEXE I

Document pour recruter des participants

Ce document est un texte d’annonce verbale. Il a donc été adapté pour être lu par

téléphone ou en personne.

Dans les cas où se produirait un recrutement non planifié, ce document sera également

utilisé.

Bonjour, je me nomme Sabrina Zouaghi et je suis étudiante à la maîtrise en relations

internationales à l’Université Laval de Québec, au Canada. Je suis actuellement en Tunisie

pour mener des enquêtes de terrain dans le cadre de mon mémoire qui s’intitule « L’influence

du salafisme dans le processus de rédaction de la nouvelle constitution en Tunisie ».

La recherche a pour objectif principal de cerner si les salafistes ont eu une influence dans la

rédaction de la nouvelle constitution tunisienne et si tel a été le cas, l’impact de cette

influence. Le projet de recherche a obtenu l’approbation du Comité plurifacultaire d’éthique

de la recherche de l’Université Laval (numéro d’approbation 2017-092/31-05-2017).

Pour les membres d’Ennahda, les participants seront sélectionnés suivant leur appartenance

à ce parti politique, à leur élection lors des scrutins de 2011 et suivant leur implication dans

l’élaboration de la nouvelle constitution tunisienne.

Pour les membres salafistes, les participants seront sélectionnés suivant leur affiliation au

courant salafiste au moins durant la rédaction de la nouvelle constitution tunisienne (2011-

2014) et suivant leur intérêt à l’égard de la politique.

Le participant est invité à une seule entrevue d’une durée de quarante-cinq minutes durant

laquelle sont présents uniquement la chercheure et le participant. L’entrevue est composée

d’une dizaine de questions ouvertes et il est possible au participant d’élaborer sur des

questions connexes qu’il juge importantes d’aborder. L’entrevue demeure confidentielle et

aura lieu à l’Assemblée des représentants du peuple ou au lieu choisi par le participant par

souci de discrétion. En effet, le participant pourrait se sentir plus à l’aise de choisir le lieu de

rencontre à sa convenance, étant donné que la nature des échanges sur les liens entre Ennahda

et les salafistes est encore un sujet sensible en Tunisie.

Pour toute question ou information supplémentaire, il est possible de me rejoindre en tout

temps à l’adresse courriel suivante [email protected] et au numéro de téléphone

suivant (à confirmer lors de l’achat de la carte SIM en Tunisie).

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181

ANNEXE II

Questionnaire pour un membre d’Ennahda

Ordre général

Pour vous, qu’est-ce que salafisme ?

Qu’est-ce qui distingue les salafistes des autres musulmans ? (habits, pratiques

religieuses, doctrine, droit, etc.)

Qu’est-ce que revendiquent salafistes en Tunisie ? (demandes identitaires

spécifiques)

Est-ce que vous vous identifiez comme un musulman salafiste ? (oui/non, à

développer)

Comment percevez-vous l’engagement politique des salafistes ? (accord/désaccord,

pourquoi)

À votre connaissance, comment les salafistes sont-ils organisés en Tunisie ?

Ordre spécifique

Considériez-vous qu’il y avait la présence de salafistes au sein d’Ennahda pendant la

période de rédaction de la constitution ? Si oui, de quelle envergure ?

Comment décririez-vous l’influence des salafistes membres et non membres au sein

d’Ennahda ?

Lors des discussions internes d’Ennahda quant aux dispositions à intégrer dans la

constitution tunisienne, comment les demandes des salafistes ont été appréciées ?

Est-ce que la présence/les demandes des salafistes a provoqué un désaccord ou une

dissension au sein d’Ennahda ?

Estimeriez-vous avoir répondu aux demandes des salafistes dans la rédaction de la

nouvelle constitution ?

Est-ce que vous pensez qu’avoir répondu aux demandes des salafistes a ou aurait eu

un impact politique ou autre sur Ennahda ? Si oui, lequel ?

Pourquoi Ennahda n’a pas œuvré pour l’implantation de disposition concernant la

charî’a, la complémentarité femme-homme, l’interdiction du discours

blasphématoire ?

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Questionnaire pour un salafiste

Ordre général

Pour vous, qu’est-ce que salafisme ?

Qu’est-ce qui distingue les salafistes des autres musulmans ? (habits, pratiques

religieuses, doctrine, droit, etc.)

Est-ce que vous vous identifiez comme un musulman salafiste ? (oui/non, à

développer)

À votre connaissance, comment les salafistes sont-ils organisés en Tunisie ?

Ordre spécifique

Pourriez-vous me parler de votre parcours personnel, académique et professionnel ?

Pourquoi vous êtes-vous engagé sur la scène politique ? Quelles sont vos demandes ?

Comment justifiez-vous votre implication dans la sphère politique ? Que répondriez-

vous aux salafistes qui désapprouvent votre engagement politique ?

Quels ont été les résultats de votre implication politique ? Vos demandes ont-elles été

acceptées ?

Avez-vous quelque chose à reprocher à Ennahda au cours de la rédaction de la

nouvelle constitution tunisienne et lors de son adoption ? Si oui, qu’est-ce que c’est ?

Avez-vous eu des contacts avec des membres d’Ennahda lors de la période de

l’élaboration de la nouvelle constitution tunisienne ? De quelle nature étaient-ils ?

Quelles stratégies avez-vous adoptées pour influencer la population/Ennahda en votre

faveur ?

Vous êtes-vous sentis trahis par Ennahda ? Si oui, pourquoi ?

Pourquoi pensez-vous qu’Ennahda n’a pas pris en considération vos demandes ?

Comment pensez-vous que la société tunisienne, en général, vous perçoit ? Ennahda

? Les autres partis ? Les universitaires ?

Si vous aviez à rédiger une nouvelle constitution tunisienne, quels éléments vous

paraissent incontournables ?

Quelle a été votre réaction en apprenant qu’Ennahda n’a pas ajouté de disposition

constitutionnelle sur la charî’a, sur la complémentarité entre femme et homme, sur le

discours blasphématoire ?

Que pensez-vous de la couverture médiatique tunisienne à votre sujet ? Et celle

internationale ?

Avez-vous voté lors des élections de 2011 ?

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ANNEXE 3

CATÉGORISATION ET NOMS DES FIGURES INDIVIDUELLES ET DES PARTIS POLITIQUES, DES

ASSOCIATIONS ET DES GROUPES SALAFISTES EN TUNISIE

Salafistes politiques Salafistes scientifiques Salafistes jihadistes

Figures individuelles :

Ridha Belhaj (porte-parole

Hizb Al-Tahrir)

Mouldi Ali Al-Moujahid

(chef d’Al-Assala)

Saïd Jaziri (chef d’Al-

Rahma)

Mohammed Khouja (chef

de Jabhat Al-Islâh)

Partis politiques :

Al-Assala

Al-Rahma

Hizb Al-Tahrir598

Jabhat Al-Islâh

Figures individuelles :

Adel Almi (fondateur de l’Association centriste

pour la sensibilisation et la réforme)

Béchir Ben Hassen

Farid Al-Béji

Hassan Brik

Hassin Shaouat

Hatem Bou Soma

Kamel Marzouki

Khamis Mejri

Khatib Idrissi (fondateur du Conseil des sages)

Mohammed Ali Hurrath

Associations :

Association centriste pour la sensibilisation et la

réforme (Al-Jam’iyya al-Wâsîtiyya li-l-Taw’iyya

wal-l-Islâh)

Conseil des sages (Majlis al-chouyoûkh)

Figures individuelles :

Abu Iyadh (fondateur et

chef d’AST)

Groupe :

Ansâr Al-Charî’a (AST)

598 La littérature ni les acteurs interrogés ne s’entendent sur la labélisation salafiste du parti. Étant donné que certains députés d’Ennahda le considéraient comme

un parti politique salafiste, il a été inclus dans la présente recherche.

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ANNEXE IV

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

Salah OUESLATI, « Rached Ghannouchi et le monstre de Frankenstein « salafiste » »,

Businessnews, [En ligne], 21 septembre 2012, http://www.businessnews.com.tn/Rached-

Ghannouchi-et-le-monstre-de-Frankenstein-%C2%AB-salafiste-%C2%BB,526,33560,3

(Page consultée le 21 janvier 2018).

Certes, Ennahdha n’a pas créé les salafistes en Tunisie. Ces derniers existent bien avant la

révolution même si leur nombre était insignifiant. Ils ont été tolérés sous l’ex-dictateur car

ils n’ont jamais levé le petit doigt pour le critiquer et encore moins pour le renverser par le

jihad. Selon des documents Wikileaks, certains d’entre eux étaient même des indics à la

solde de l’ancien régime1.

Inoffensifs sous Ben Ali, ils ont réussi, grâce au financement wahhabite, à occuper des

mosquées par la force et, surtout grâce à la bienveillance, voire la connivence d’Ennahdha,

à tisser leur toile dans tout le pays. Certains nahdhaouis radicaux, notamment leur leader

Rached Ghannouchi, voient dans le renforcement de ce mouvement un instrument pour

réaliser le rêve auquel ils n’ont jamais renoncé : l’instauration d’un Etat théocratique en

Tunisie. Ghannouchi a signé un pacte qui ne dit pas son nom avec non seulement les

salafistes radicaux qui étaient dans les geôles de Ben Ali, mais aussi avec des repris de

justice, des criminels dangereux amnistiés dans la foulée et convertis au jihadisme pour

constituer une sorte de bras armé ou de milice aux ordres du « chef suprême ».

Sauf qu’il arrive que la « créature » échappe à son « créateur » car, obsédé et aveuglé par

son rêve, ce dernier est incapable de voir que celle-ci a opéré sa mue vers une véritable

autonomie. Encouragés par l’impunité totale dont ils jouissent même quand ils commettent

des actes criminels, les salafistes décident de voler de leurs propres ailes et de défier

Ennahdha ou tout au moins ceux de ses membres qui veulent une version light d’un Etat

islamiste. Ghannouchi, lui-même, se trouve ainsi dépassé par les événements comme un

apprenti sorcier qui a joué avec le feu sans disposer des moyens de l’éteindre. Dépourvu

de tout sens politique, M. Ghannouchi se trouve débordé à sa droite par « ses rejetons »,

oubliant au passage que les radicaux préfèrent l’original à la copie. Il est pris à son propre

piège : il ne peut mettre en cause les agissements de ses « enfants », sans renier sa propre

stratégie et sa propre légitimité en tant que leader du parti au pouvoir.

Les risques incalculables de l’impunité

L’impunité quasi-totale, dont les salafistes radicaux jouissent sous l’aile protectrice de leur

parrain, pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l’avenir du pays. Elle permet à

ces groupes non seulement de se structurer et d’asseoir leur domination dans la durée, mais

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aussi de tisser ou d’imposer des allégeances dans les quartiers, voire les régions qu’ils

contrôlent. C’est la situation idéale pour recruter de plus en plus d’adeptes et créer à terme

des zones de non-droit, à l’instar de certains groupes mafieux. Cette situation conduit à

l’affaiblissement inexorable de l’autorité et la légitimité de l’Etat. Le gouvernement qui

sera issu des élections de 2013, si celles-ci auront lieu un jour, quelle que soit son

appartenance idéologique, aura fort à faire avec ces groupes pour les années, voire pour les

décennies à venir.

Un problème nommé Ghannouchi

Les dysfonctionnements flagrants en matière sécuritaire, révélés au grand jour après

l’invasion de l’ambassade américaine, montrent que le ministre de l’Intérieur ne tient pas

les rênes du pouvoir au sein même de son département et que d’autres tirent les ficelles

derrière les coulisses pour ne pas aliéner le soutien des salafistes radicaux. On est en droit

de se demander si le ministère de l’Intérieur n’est pas infiltré par des groupes qui obéissent

à des ordres autres que ceux de leur propre ministre Ali Laârayedh. Qui d’autre a autant de

pouvoir pour jouer ce rôle ?

Ghannouchi n’a jamais renoncé au radicalisme de sa « jeunesse » et n’a jamais abandonné

son idée d’instaurer un régime théocratique en Tunisie. C’est pour cette raison qu’il

exploite le moindre événement, le tout dernier étant celui du film anti-Islam, pour remettre

la question de la Chariâa et l’atteinte au sacré dans la Constitution au centre de l’agenda

politique. L’obstination et l’entêtement de M. Ghannouchi à vouloir imposer aux Tunisiens

un système contraire à leur tradition et à leur histoire vont conduire le parti qu’il préside,

en l’occurrence Ennahdha, à sa perte.

Toute la stratégie imposée par Ghannouchi à ses amis commence à montrer ses limites. Ce

dernier n’a pas la vision nécessaire pour comprendre que toute stratégie aussi sophistiquée

soit-elle est sujette à des contingences et que certains facteurs imprévisibles peuvent

intervenir pour tout déjouer. La ligne rouge est atteinte avec l’invasion de l’ambassade

américaine. Le gouvernement Obama a misé sur les islamistes par pragmatisme, dans le

but de stabiliser la région et mettre en place ce qui pourrait ressembler à une démocratie.

Le soutien politique et financier des Américains au gouvernement Ennahdha s’inscrit dans

le cadre de cette stratégie. L’incident de l’ambassade risque de tout remettre en cause y

compris la caution apportée par le gouvernement américain pour permettre à la Tunisie

d’emprunter sur le marché financier à des taux d’intérêt relativement faibles.

Ghannouchi et la tentation de la stratégie du chaos ?

La situation catastrophique du pays sur le plan social, économique et sécuritaire a un impact

certain sur un parti au pouvoir qui a promis monts et merveilles à un peuple dont les attentes

étaient au-delà de ce que le pays pouvait offrir. L’affaiblissement inexorable d’Ennahdha

et son impopularité auprès d’un nombre croissant des Tunisiens risquent d’amener le leader

de ce parti à opter pour une stratégie du chaos. Ghannouchi continue de nourrir l’espoir

d’un printemps contre-révolutionnaire islamiste. Un fantasme vécu par procuration grâce

à ses « enfants salafistes ». Avec l’instabilité et le chaos qui règnent dans le pays, ces

derniers seraient capables de monter en puissance pour créer un mouvement qui prend

corps et serait en mesure de s’emparer du pouvoir pour imposer leur idéologie à l’ensemble

de la société tunisienne. Ghannouchi deviendrait alors une sorte de « guide suprême », à

l’instar de Khomeiny en Iran, un rôle pourtant totalement étranger à la tradition de l’Islam

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sunnite. Sauf que M. Ghannouchi oublie que la révolution a fait tomber le mur de la peur

pour toujours et que le peuple tunisien, qui a fait tomber une dictature policière, ne se

laissera pas écraser une seconde fois par une nouvelle forme de dictature. Le leader

d’Ennahdha continue pourtant d’agir dans l’ombre pour assouvir ses appétits mégalo-

narcissiques au mépris de l’intérêt de tout un peuple qui aspire à la liberté et à la dignité.

C’est peut être lui faire honneur que de le traiter de machiavélique. Le penseur florentin

n’avait qu’une seule obsession, sauver la cité-Etat de la dislocation et des convoitises de

ses ennemis. Pour lui, c’était la raison d’Etat qui primait sur toutes les autres. L’obsession

de notre « guide suprême » est, en revanche, guidée par la soif du pouvoir et le rêve

chimérique d’un projet politique d’un autre âge. Dès lors, il appartient aux nahdhaouis

sincères, épris de justice et attachés à la démocratie, et il en existe, de mettre leur « Cheikh

» hors d’état de nuire pour le bien de leur propre parti et, surtout et avant tout, pour l’avenir

de leur propre pays.

1L’auteur tient à préciser qu’il ne s’agit nullement de jeter l’anathème sur tous les

salafistes. Ce courant est loin d’être monolithique et tous salafistes ne sont ni violents ni

d’anciens repris de justice. Je connais personnellement deux salafistes d’une grande

probité et d’une honnêteté sans faille et, même si je ne partage pas leur vision, je sais qu’ils

sont mus par des motivations respectables. Ces derniers, et ils ne sont pas les seuls, n’ont

jamais eu recours à la violence pour imposer leurs idées. Par ailleurs, personne ne peut

reprocher aux salafistes de propager leurs idées car dans une démocratie digne de ce nom,

tout un chacun devrait faire sienne la fameuse citation attribuée à Voltaire : « Je ne suis

pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le

dire ». Tous les pays démocratiques ont leurs groupes radicaux et ces derniers ont compris

que le discours extrémiste constitue une sorte d’exutoire pour évacuer des frustrations

longtemps refoulées.

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ANNEXE V

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

HIZB AL-TAHRIR, « The Colonial Kaffir Plunders the Wealth of the Muslims in

Tunisia », Hizb Al-Tahrir, [En ligne], 2013, http://www.hizb-ut-

tahrir.org/index.php/EN/nshow/2191 (Page consultée le 3 juin 2017).

Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem

The Colonial Kaffir Plunders the Wealth of the Muslims in Tunisia

While the Rulers and Lawmakers are Creating a Manmade Constitution that

Legitimizes this Crime

Be their Hindrance and Prohibit them from Plundering your Wealth and Thwarting

your Revolution

(Translated)

While the people of Tunisia live in hardship in their livelihoods, increase of taxes,

higher prices and the deterioration of the situation, the rulers of the revolution and

alleged “legitimacy” hide what the country was blessed with from bounties and

resources, to swallow them up by British and French companies. UK-based British

Gas Company for example, looted profits amounting to $589 billion since 1992 from

the country’s gas, which excels Tunisia’s budget for 20 years. It is indeed a scandal

and misfortune! These are neither rulers nor statesmen. We are facing governments

(since Bourguiba, after that Ben Ali and to the present day), who do not rule, nor do

they own any control. They are simply employees who “sign wherever they are

asked to sign”. They are like protective walls from behind which their master preys

secretly and safely: The master orders and he is obeyed in policy-making, he

overpowers and is followed in legislation, law and the Constitution. He plots and

chooses the people’s rulers through coups, secular democratic elections or through

agreements that do not produce except “moderate” figures, malleable by the Western

master, whom such figures consign the wealth of the country and people.

Oh Rebelling Muslims:

You have begun a revolution that awakened the Ummah, toppled thrones and caused

anxiety to the colonial countries of Europe and America. Here you stand today at

risk of being influenced by these countries. The rulers’ inability, their betrayal and

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the complicity of many politicians and legislators through participation or silence

have been exposed to you. Denounce them!

(وقفوهم إنهم مسئولون )

“And stop them; indeed, they are to be questioned.” [As-Saffat: 24]

A revolution does not take place by a mere exchange of rulers, but by changing the

whole situation and expelling the influence of the Kaffir, his cronies and his aides.

Be their hindrance, and do not occupy yourselves with trivial matters, for his saying

(saw): «إن هللا يحب معالي المور وأشرافها، ويكره سفاسفها» “Allah loves excellent and

honorable matters, and He detests futile matters.” Narrated by at-Tabarani in al-

Kabeer and al-Awsat.

The Kaffir West will use its tools from the rulers, politicians, journalists and experts

to blur the issue of its abuse with lengthy, ambivalent dialogues about the size of

wealth, or by focusing on the corruption of an officer here or there, or by bloating

the issue to include marginal, vexatious matters, and fake political battles occupying

the public concern, to spend energy and effort in a cheap struggle. You will be like

someone occupied with treating colds and thus too busy for the treatment of cancer.

The Kaffir will re-enter into the contracts with some compromises and maneuvers

to increase the popularity of his servants and to avoid the fatal blow that would

permanently liberate the country and the people from his evil. Your issue is a

decisive one: To bring Islam into power so that your Lord is satisfied with you, and

to expel the influence of the colonial Kaffir so that you resume the authority you

were robbed and the wealth you were looted, whatever its amount. Today, you are

in dire need of a rightly guided Khaleefah such as Abu Bakr as-Siddiq (ra), who

ruled by Islam. He was protective of the wealth of the Muslims and of establishing

the Hudud (fixed punishments) of Allah in this matter, even if it were only for a

camel’s headband. He is the one who said: “By Allah, if they withheld a camel’s

headband from me they used to give to the Messenger of Allah, I would fight them

for it.”

Oh Rebelling Muslims:

Stand up to the rulers, the politicians and the Constituent Assembly before they

approve a Kufr Constitution that angers Allah and His Messenger (saw), based on

the republican that system separates Islam from life and enables the West to control

legislation and policy-making and to annex the wealth of the country. Stand up to

them before they approve a manmade constitution based on the republican system,

in which the state disclaims to provide enough for its people, and imposes unfair,

overwhelming taxes. Do not allow them to bring the loss of this world and

punishment in the Hereafter over us. Your anger shall be purely and sincerely for

Allah and His Messenger (saw). The least is to trample the Constitution of betrayal

and Kufr with your feet and to hold back the abusive hands of the rulers, politicians

and MPs who have sold their Islam and rendered us captives in the hands of our

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enemy. Curb and withhold them from proceeding with your destiny and wealth, for

they are Sufaha’!

لكم قياما) (ول تؤتوا السفهاء أموالكم التي جعل للا

“And do not give the weak-minded your property, which Allah has made a means

of sustenance for you” [An-Nisa: 5]

Oh revolting Muslims:

Complete your revolution by bringing Islam to power through the establishment of

a rightly guided Khilafah…A State as the state established by the Prophet (saw) in

Madinah. It is an obligation from your Lord, your source of dignity, the liberator of

your land, the guardian of your honor and the tormenters of the enemies of Islam

and Muslims.

( كما قال عيسى ابن مريم للحواري ين م قال الحواريون يا أيها الذين آمنوا كونوا أنصار للا ن أنصاري إلى للا

فآمنت طائفة من بني إسرائيل وكفرت طائفة فأيدنا الذين آمنوا عل هم فأصبحوا ظاهرين نحن أنصار للا ى عدو )

“Oh you who have believed, be supporters of Allah, as when Jesus, the son of Mary,

said to the disciples, “Who are my supporters for Allah?” The disciples said, “We

are supporters of Allah.” And a faction of the Children of Israel believed and a

faction disbelieved. So We supported those who believed against their enemy, and

they became dominant.” [As-Saff: 14]

24 Safar 1435 AH Tunisia

27.12.2013

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190

ANNEXE VI

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

HIZB AL-TAHRIR, « Four Years since the Launch of the Ummah’s Revolution from

Tunisia », Hizb Al-Tahrir, [En ligne], 2014, http://www.hizb-ut-

tahrir.org/index.php/EN/nshow/2702 (Page consultée le 3 juin 2017).

Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem

Four Years since the Launch of the Ummah’s Revolution from Tunisia

It was a Revelation of the Real Issues, Exposing the Patch Solutions

So Decide on your Command and Line up behind the Conscious Leadership for

Change on the Bases of the Great Islam

(Translated)

Four years since the launch of the Ummah’s revolution from Tunisia was enough to

reveal that the real issues are larger than the existing regimes. It is even larger than

all the governments which are committed to the same system no matter how much

it amended or how much it patched. The four major issues became clear and

unambiguous:

The basis of governance and politics is a law above all, the rulers and the ruled alike:

Thus how are we to ensure this through a man-made law that gives the people the

right to legislate and to establish constitutions and laws that serve the interests of the

powerful? How do we ensure a law above all without taking the Revelation of the

Lord of the Worlds as a basis and measure, making the people equal, the rulers and

ruled alike?

The sovereignty of the state is by its liberation from colonial control: Therefore how

will we emerge from indebtedness and dependence on foreigners? How will we

recover resources through a system that perceives squandering it as an investment?

How will we establish an industry that secures our weapons and medicines with a

system that abandons minds and wastes public money? And how will we utilize idle

land to secure our sustenance through a system that supports imported goods at the

expense of the peasants of the country?

Regional reality and supporting the Ummah’s Issues: How will Jihad become the

policy of the state and the task of the Army with a system that separates Islam from

the lives of Muslims leaving Jihad without Tafseel (elaborating) and Ta’seel

(rooting) to be exploited by the exploiters; out of ignorance or agency? How will the

Ummah’s issues be supported by a system that makes granting victory for Muslims

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a foreign affair under the slogan of “nationalism” but welcomes the intervention of

Western politicians, organizations and even armies in our issues? And how will

Muslim blood be protected by a system that refrains to mention the sanctity of the

Muslim blood on the Muslim even in a clause in its constitution?

The dignity of the people and taking care of their affairs: How will people’s dignity

and their rights for adequate living become more than bids and bargains, so it is

legislatively rooted, urgently implemented and judicially accounting for neglecting

it? How can that be, in a capitalist system that considers the state revenues as a basis

for the taxes imposed on the people of the country? How can that be in a capitalist

system that sees the state’s abandoning the taking care of affairs an economic

policy?

Instead of the rulers admitting their inability and failing, here they are today in the

entire region (Tunisia, Libya, Egypt, Yemen, Syria ...) trying their last desperate and

despairing attempt to return backwards. Hence the issues for them are a continuation

on the same man-made capitalist system and a continuation of compliance with the

West’s agenda and a diversion of the Ummah to an erroneous issue in its call to elect

people who will implement the same capitalist system that made us taste woes!!

O rulers, O politicians who scurried to rule

Enough failure and foiling, and enough wagering on the losing horse, for the West

was unable to resolve its own issues. Had it not been for it looting our wealth,

polarizing the intelligent of our children, enabling it military privileges in our region,

and had it not been for the industry of disability in Muslim countries to promote

dependency; without all that the strongest country would have collapsed long ago.

So support the real issues of the Ummah, do not obstruct the way of change, and do

not be a pickax in the hands of the enemies. If you cannot, then leave this Ummah

alone. For you to be remembered of the truthful or even the resigned and helpless is

better for you than to be listed as agents and traitors!!

Dear scholars, experts, businessmen and sincere politicians

Do not underestimate your abilities and the capabilities of your Ummah to manage

its affairs by Islam for this is the time of Islam and its Ummah; it is not the time of

the staggering bankrupt West. Put your efforts in serving the cause of “liberation

from colonialism and the restoration of the Islamic Ummah’s seat of leadership and

control” as that is the good in this world and the Hereafter.

O Muslims, O our People in Tunisia

O who launched the revolution that disrupted the slumber of the oppressors in East

and West

The revolution is on the man-made system that abandoned the basis of living,

abandoned Islam that brings us together as a basis for governance and politics, and

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abandoned the sovereignty of the state and from liberating it of the futility of

colonialism. It is on the system that abandoned the issues of Muslims, squandered

your rights as prescribed in the texts of Qur’an and Sunnah and deprived the country

of all the causes of power and glory. So do not allow any concern to distract you

from your real issues; by changing the system from the contemptible man-made

system to the ruling system of Islam that resolves and does not oppress, unites rather

than divides, restores rights to their owners, and ensures the dignity to live as per

the system itself and not as a favor from anyone. And this is through establishing

the Khilafah Rashidah that pleases the inhabitants of the heaven and the inhabitants

of the earth.

We in Hizb ut Tahrir, ensure everyone, that the party is based on Islam and does not

depart a hand-span from it. It stands with the interests of this great Ummah,

including the people of Tunisia, and extends its hand for all the sincere people until

we change the contemptible man-made system as a whole, a real change both in

legislation and implementation. Until we save the country and the region from what

is plotted against them of failure, thwarting, deepening of the crisis and the industry

of sedition, and until we meet at the sound word,

(( أل نعبد إل ول نشرك به شيئا ول يتخذ بعضنا بعضا أربابا من دون للا للا ))

“that we will not worship except Allah and not associate anything with Him and not

take one another as lords instead of Allah”. [Ali-Imran: 64]

And that the revolution is not over as they propagate so as to stun the morale of the

Ummah. But the time of distraction has ended and the validity period of the Western

projects in our country has expired. The falsity of non-conscious leadership and the

time of patching and procrastination have ended. And nothing is left in the arena,

but the giant Islamic alternative, the alternative of mercy, care, adequacy and

guidance to the worlds and, above all it is the glad tiding of the Messenger of Allah

(saw):

« المر ما بلغ الليل والنهار، ول يترك هللا بيت مدر ول وبر إل أدخله هللا هذا الدين بعز عزيز أو ليبلغن هذا

«بذل ذليل، عزا يعز هللا به اإلسالم، وذل يذل به الكفر

“This case is sure to come where the night and day appears, and Allah will not leave

a single house of settled or nomadic residents without this religion, exalt a noble and

belittle a worthless fellow. Allah will magnify the glory of Islam and humiliate

disbelief” (Narrated by Ahmad).

25th Safar 1436 AH Tunisia

17.12.2014

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ANNEXE VII

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

Rabaa H., « Tunisie - Un prédicateur salafiste montrera le “droit” chemin aux prisonniers »,

Tunisie Numérique, [En ligne], 23 novembre 2012,

https://www.tunisienumerique.com/tunisie-un-predicateur-salafiste-montrera-le-droit-

chemin-aux-prisonniers (Page consultée le 21 mai 2017).

Béchir Ben Hassan, vice président de la ligue tunisienne des prédicateurs a confirmé qu’il

prêchera la “bonne cause” dans les prisons.

Le prédicateur salafiste, wahabbiste a été enrôlé par le ministère de la justice afin de guider

“les âmes impies ” vers le droit chemin . Les prêches seront destinés à tous les prisonniers,

a précisé Ben Hassan .

Le prédicateur a affirmé qu’il ne faudrait pas renchérir et spéculer sur cette

initiative soulignant qu’il a été invité par plusieurs pays européens à faire des prêches en

milieu carcéral.

Il était temps que les institutions pénitentiaires tunisiennes deviennent des centre de

rééducation, comme leur nom l’indique. Mais rééducation dans quel sens et au profit de

quelle idéologie?

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ANNEXE VIII

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

HIZB AL-TAHRIR, « The Rule of the Tyrant, Ben Ali, Left Secretly from the Door and

Then Returned Back from the Window, After All of the Bloodshed! », Hizb Al-Tahrir, [En

ligne], 2011, http://www.hizb-ut-tahrir.org/index.php/EN/nshow/1230 (Page consultée le

3 juin 2017).

Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem

The rule of the tyrant, Ben Ali, left secretly from the door and then returned back

from the window, after all of the bloodshed!

On 17/01/2011 the formation of a government was announced in Tunisia under the

chairmanship of the Prime Minister, the old and new, Mohamed Ghannouchi, who

was a supporter and the right-hand man of the now fugitive tyrant Ben Ali.

The government was mainly formed of the party of the tyrant, namely the secular

Constitutional Democratic Rally (RCD). Six ministers of Ben Ali’s government

remain in the new government, retaining their positions in the “sovereign” ministries

of Defense, Interior, Finance and Foreign Affairs.

Ghannouchi added to this government three opposition parties in marginal ministries

to present the deception of what is called the government of national unity!

Thus, the cronies of Ben Ali have maintained the “continuity” of his rule and the

rule of his party after him, even after he was sacked and became a fugitive!

Many lives have been lost over the last thirty days, since the spark of the people’s

uprising started in 17/12/2010, after the hunger, poverty, disease and

unemployment, not to mention the injustice and oppression, forced the young man,

Al-Bouazizi, to death. He was still young but the cronies of the oppressive regime

crushed his vehicle on which he used to sell simple goods, whose income was hardly

enough for his hunger!

Then the movement of people rose against the unjust system demanding security

and livelihood under the just rule of Islam in a country whose wealth and power

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were looted by the authority, which possessed the palaces and luxury, and left the

public in poverty which drove them to graves!

Dear people in Tunisia,

Dear Muslims:

The bravery of the people of Tunisia are deeply rooted in history since Allah (swt)

honored them with Islam, and it became one of its guiding beacons from which the

spark of conquest of North Africa and Andalusia began.

It became known as the country of Uqbah, after Uqbah bin Nafi (ra) set out carrying

Islam to North Africa until he reached the shores of the Atlantic Ocean. There he

stood before its thundering waves saying: “Had I known that there are people behind

you I would have plunged in it with the heels of my horses as a conqueror!”

This is the green Tunisia, and these are her sons, they are Mujahideen:

(They are men who are not distracted by neither trade nor sale from the remembrance

of Allah, establishing prayer and paying zakat. They fear a Day when hearts and

sights change.)

The misery did not come to Tunisia except after the colonialists, led by France,

managed to occupy it and tore it out of the Ottoman State in 1881.

The colonists then spread corruption in it, and ruled it with suppression, oppression

and tyranny. However, Muslim heroes in Tunisia resisted and thousands were

martyred, but they continued to close ranks carrying their souls in the way of Allah

until Allah, the Strong, the Mighty, gave them victory. So France was forced to leave

Tunisia in defeat and humiliation at the middle of last century.

But before the people of Tunisia could enjoy the fruits of their victory, and restore

the rule of Islam, a group of its people sold their religion in return for thrones

replacing France with Britain and the rule of “Bourguiba” and “Ben Ali”, who

treated people with suppression!

Tunisia became the booty for greedy government officials, and a scene for

international conflict, especially after America popped its head “trying to” chase out

Old Europe in Tunisia!

We recall today what has passed while seeing pure blood being shed. But before the

people could enjoy the fruits of change, by removing the regime of despotic Ben Ali

to re-establish the rule of Islam, the rule of the tyrant has come again with the same

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faces that failed to maintain the sanctity of the country, nor establish justice among

people!

Dear parents in Tunisia

Dear Muslims:

The problem is not tyrant individuals like Ben Ali, but it is in the man made system

he left behind, which produces tyrants.

It is not right for the lives lost to be forgotten and wiped out when the cronies of the

tyrant take charge of her affairs again!

Are not Mebazaa, Ghannouchi and Kallal the pillars of the rule of the tyrant who

shed the blood of innocent people? Were not these old-new ministers the partners to

the tyrant and witnesses to the shedding of the blood?

The lives lost will never accept from you (the people) the rule of Mebazaa,

Ghannouchi and Kallal and their henchmen who shed blood and spread corruption

on earth.

It will not forgive you unless you achieve that for which lives were lost: the

uprooting of the unjust man made system from its roots and symbols, and the

establishment of the rule of Allah “the guided Khilafah” in its place. Then the earth

will shine with the light of its Lord, and goodness will prevail on its people, and

Muslims will rejoice in Allah’s victory.

Dear People in Tunisia

Dear Muslims:

The guide does not tell a lie to his family, and Hizb ut-Tahrir calls upon you to

answer the call of the lives lost during your great uprising for thirty days:

•The lives lost call upon you, so do not let them go in vain through your silence upon

the unjust man made system imposed upon you .

•The lives lost call upon you to uproot from your country the Western influence and

its tools and its agents who are fascinated by its culture.

•The lives lost call upon you to answer the call of Allah and establish the guided

Khilafah, which is the promise of Allah (swt) and the good tidings of your

Messenger (saw).

•The lives lost call upon you to enjoy a good life and for misery to disappear by

renouncing the laws of human beings and following the laws of the Lord of human

beings:

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(Whoever follows My guidance will neither go astray nor will they suffer, but

whoever turns away from My Reminder he will have a life of hardship.)

Are you responding?

14 Safar 1432 Hizb ut-Tahrir

18.01.2011

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ANNEXE IX

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

RADIO-CANADA & AGENCE FRANCE PRESSE, « Manifestation pro-charia en

Tunisie », Radio-Canada, [En ligne], 16 mars 2012, http://radio-

canada.ca/nouvelle/554029/tunisie-islamistes-salafiste (Page consultée le 3 juin 2017).

Des milliers de Tunisiens ont manifesté vendredi devant l'Assemblée nationale, à Tunis,

pour demander l'application de la charia dans la future constitution du pays.

Pas de constitution sans la charia! Notre Coran est notre constitution!

Slogans des manifestants

Certains des manifestants étaient venus en famille et l'ambiance était plutôt détendue, ont

observé les journalistes de l'Agence France Presse sur place. Les femmes et les hommes

manifestaient séparément. Certaines femmes portaient le niqab.

Nous sommes ici pour réclamer pacifiquement l'application de la charia dans la nouvelle

constitution. Nous n'imposons rien avec la force, on veut que le peuple lui-même soit

convaincu de ces principes.

Marouan, un commerçant de 24 ans

C'est le Front tunisien des associations islamiques qui a organisé la manifestation. L'une

des organisatrices, Hajer Boudali, assure que le groupe ne soutient ni le parti Ennahda,

majoritaire à l'Assemblée, ni les salafistes, un courant religieux qui prône une renaissance

de l'islam. « Nous sommes ici pour unir tous les Tunisiens grâce à la charia », résume-t-

elle.

Toutefois, deux députés d'Ennahda, Sahbi Atig et Habib Ellouze, étaient présents sur la

tribune où se succédaient les orateurs pendant la manifestation.

Marouan, un commerçant de 24 ans qui prenait part à la manifestation, a estimé que les

médias véhiculaient de fausses idées sur le salafisme qui aurait recours à la violence.

« Nous disons clairement que nous sommes contre toute forme de violence ».

Un autre manifestant déplorait que les gens ne connaissaient plus l'islam, et un autre encore

se déclarait « pour la liberté et contre l'homosexualité ».

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En début de semaine, le président tunisien Moncef Marzouki a mis en garde les

fondamentalistes contre toute tentative de déstabilisation du pays et de recours à la violence

pour des raisons idéologiques, une allusion claire aux salafistes de plus en plus actifs ces

derniers temps.

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ANNEXE X

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

OMRANE, Nadia, « 20 mars 1956-20 Mars 2012 : Nous sommes la République! »,

Kapitalis, [En ligne], 24 mars 2012, http://www.kapitalis.com/tribune/8978-20-mars-

1956-20-mars-2012-nous-sommes-la-republique.html (Page consultée le 24 avril 2018).

Ce mardi 20 mars, ouvrant au matin le moteur de recherche Google.tn, nous découvrons

qu’il fête lui aussi l’indépendance de la Tunisie par l’inscription dans son logo du drapeau

tunisien. Des drapeaux tunisiens, il y en avait par milliers sur l’avenue Bourguiba ce 20

Mars, agités par un peuple en fête de toutes les générations qui commémorait

l’indépendance du pays, à l’appel des associations de la société civile, puis plus

spontanément dans l’après-midi rejoint par des familles avec leurs enfants, dans une

ambiance de kermesse.

«Ni l’Amérique, ni le Qatar»

Cette dimension familiale, populaire, festive, de citoyens sur leur 31 – on devrait dire sur

leur 20 Mars – succédait aux revendications plus politiques de la fin de matinée : du théâtre

municipal au ministère de l’Intérieur, les pancartes portaient les slogans de la revendication

d’une république civile et démocratique, d’une constitution reconnaissant les libertés

publiques individuelles et particulièrement les droits des femmes dans une égalité sans

concession entre citoyen et citoyenne. Mais, en ce jour de l’indépendance, le peuple

entendait aussi se réapproprier une souveraineté à laquelle ne pourrait prétendre «ni

l’Amérique, ni le Qatar».

Car dans le souvenir d’une indépendance parfois dévoyée, chacun devait avoir présente à

l’esprit la façon dont la colonisation vieillissante, «dégagée» par la résistance nationale,

avait tenté de se redéployer sous la forme d’un néo-impérialisme plus diffus, pressant,

inspirant notre gouvernance économique et sociale et dictant quelquefois notre ligne de

conduite étrangère au point qu’un commando israélien vint assassiner le 16 avril 1988

Abou Jihad, pour ainsi dire sous les fenêtres du palais de Carthage ! Et quand d’aventure

le pouvoir tunisien prenait trop partie pour l’indépendance d’autres peuples en insurrection,

alors la puissance impériale ou ses supplétifs écrasaient Bizerte ou Hammam Chatt !

Les fondements civils de l’État tunisien

Alors, aujourd’hui, dans sa défense jalouse de sa souveraineté, le peuple tunisien met en

garde contre d’autres tentatives de tutelle et d’occupation, fussent-elles dissimulées sous le

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déguisement de l’aide financière ou du prosélytisme religieux. C’est pourquoi la

commémoration du 20 Mars s’appliqua-t-elle à rappeler les fondements civils de l’État

tunisien, séculier et moderne loin de toute prétention à un glissement théocratique par une

référence abusive à la chariâ dont l’inscription extensive dans notre prochaine Constitution

serait étrangère à notre histoire, à notre culture, à nos mœurs.

Reprenant le fil de ce passé, le président Moncef Marzouki a tenu le cap d’une République

civile, respectueuse de la diversité, dans le cadre d’une concorde nationale où tous

pourraient vivre ensemble avec et même malgré leurs différences. En la présence

symbolique des familles de Bourguiba et de Salah Ben Youssef, scellant une seule

mémoire nationale par-delà les fractures de l’histoire, il engagea à un devenir commun tout

autant les acteurs d’une indépendance confisquée que leurs victimes auxquelles il présenta

les excuses de la République tout en invitant à réparation et à réconciliation, au terme d’une

justice transitionnelle. Ce sera un processus long et douloureux où les historiens devront

être convoqués à l’analyse d’archives jusqu’ici closes pour éviter toute erreur de jugement,

mais la Tunisie en sortira grandie et unie.

Toutefois, tandis que convergeaient vers ce consensus civil et démocratique la population

descendue dans la rue et les volontés politiques exprimées au sommet de l’État ainsi que

par le chef du gouvernement Hamadi Jebali la veille du 20 Mars, d’autres voix

maintenaient, lors d’un rassemblement à la Coupole d’El Menzah, que la chariâ devait être

le fondement de l’État tunisien. Quelques jours plutôt, vendredi 16 mars, devant le siège

de l’Assemblée nationale constituante, une importante manifestation d’hommes et de

femmes séparés, portant des tenues étrangères à nos mœurs, réclamait un Etat charaïque en

levant des pancartes qui disaient «Non à la République», «Non à la démocratie», «Oui au

Califat» et «Oui à la polygamie».

La stratégie de billard à deux bandes d’Ennahdha

Cette manifestation était, selon un porte-parole du mouvement d’Ennahdha (s’exprimant,

mercredi 14 mars vers 17h30, sur Shems FM) «une expression démocratique à laquelle il

apportait «son soutien», aveu que lui arracha le journaliste et que confirment de multiples

affirmations d’un certain nombre d’élus du mouvement Ennahdha.

Contradiction entre deux tendances au sein d’Ennahdha, l’une Akpiste version

gouvernance islamiste modérée dans un système turc laïc et l’autre plutôt qataro-

wahhabiste ? Ou stratégie de billard à deux bandes de la part d’Ennahdha, qui lancerait

tantôt une balle dans le camp civil puis une autre dans le camp salafiste ? Les éléments de

ce dernier camp, dont on ne sait pas au juste s’il n’est pas mêlé d’ex-RCDistes ou même

de policiers et que des observateurs chiffrent à quelques 20.000 personnes, semblent s’être

mis d’eux-mêmes en dehors de la république puisqu’ils la refusent dans leurs slogans.

À propos de ces fondamentalistes portés parfois au jihad, on signalera que le secrétaire

d’État aux Affaires étrangères a, mercredi 14 mars vers 18h30 sur les ondes de Rtci,

annoncé fièrement sous forme d’un «scoop» qu’il allait cette semaine aux Etats-Unis pour

envisager le retour en Tunisie des prisonniers tunisiens de Guantanamo, du moins ceux

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contre lesquels les autorités américaines n’auraient pas retenu de preuves d’actes de

terrorisme et dont on pourrait vérifier «la traçabilité». Nombre d’entre eux sont en effet

passés par les réseaux jihadistes d’Al-Qaida au Pakistan et en Afghanistan, comme

l’actualité française de ce jour nous le confirme malheureusement pour le cas de ce jeune

Franco-algérien de Toulouse, présumé coupable des terribles assassinats de ces derniers

jours.

Faut-il grossir les rangs des extrémistes violents ?

Certes Guantanamo a été un lieu carcéral extrêmement dur, au mépris des conventions

internationales, et le gouvernement d’Obama voudrait pouvoir clore ce chapitre noir de

l’histoire des Etats-Unis, pour peu que certains États acceptent de rapatrier des détenus non

condamnés, y compris des détenus non ressortissants de ces États. Tout Tunisien a vocation

et droit à rentrer dans son pays. Tout de même, les prisonniers de Guantanamo ne doivent

pas être des enfants de chœur, surtout ceux passés par les camps d’entraînement du

Pakistan et de l’Afghanistan.

En témoigne le livre de Malika El Aroud, l’épouse belge d’origine marocaine d’Abdessatar

Dahmane, le journaliste tunisien qui assassina le commandant Massoud avec la complicité

d’un autre Tunisien, technicien textile de Sousse (cf. notre article paru dès septembre 2002

dans le journal ‘‘Réalités’’). Un certain nombre de Tunisiens, dont le footballeur Nizar

Trabelsi et d’autres encore dont les noms ont été rendus publics par des observateurs du

terrorisme, sont passés par l’Afghanistan et l’Irak, pays d’où le président de la République

devrait ramener également d’autres détenus...

Faut-il vraiment grossir chez nous les rangs d’extrémistes portés à la violence et dont

certains s’illustrent à Bir Ali Ben Khalifa ou même, à un moindre degré de violence, sont

parmi les «héros» du commando de Soliman menant, selon des journalistes, le sit-in de la

faculté de la Manouba ? Ou au moins dans quelles conditions sécuritaires et d’encadrement

socio-psychologique ces rapatriements doivent-ils être organisés ?

Dans son discours du 20 Mars, le président Marzouki a promis «du sang et des larmes»

dans la lutte contre l’extrémisme. Nous espérons qu’il ne sera pas fatal d’en arriver là et

que le dialogue accompagné d’une stricte application de la loi suffira.

Mais lors de son célèbre discours à la nation en 1940, Winston Churchill disait qu’il

«n’avait à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur» : l’urgence n’est-elle pas

la sueur au travail ? Précisément, en ce 20 mars 2012, autant sur l’avenue Bourguiba que

dans les régions déshéritées du pays, les demandeurs d’emploi continuaient de réclamer la

vraie revendication de la révolution : du travail ! Or, ce même 20 Mars, les exclus du pacte

républicain voyaient démanteler leur siège de protestation par les forces de l’ordre à

Mdhilla tandis que Menzel Bouzayane entrait en grève générale et que les chemins de fer,

arrêtés depuis dix jours, bloquaient toute la circulation dans le sud. Pour tous ceux-là, il

n’y avait aucune indépendance à fêter...

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Aussi, pourvu qu’elle soit aussi sociale que civile et démocratique, avec le président

Marzouki nous serons la République.

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ANNEXE XI

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

Monia BEN HAMADI, « Tunisie - Manifs et contre-manifs sur la Chariâa : Qui est le

peuple? », Businewssnews, [En ligne] 20 mars 2012,

http://www.businessnews.com.tn/Tunisie---Manifs-et-contre-manifs-sur-la-

Chari%C3%A2a-Qui-est-le-peuple,519,30018,1 (Page consultée le 24 avril 2018).

«La Chariâa est une revendication populaire» ! Ce sont là les propos de Sahbi Atig,

président du groupe parlementaire d’Ennahdha, suite à la manifestation du vendredi,

appelant à l’instauration de la Chariâa. Plusieurs milliers de personnes s’étaient alors

rassemblées devant le siège de l’Assemblée constituante, estrades, chaises, micros et

cheikhs élevés au rang de Star étaient au rendez-vous. Sur les réseaux sociaux, les pages

islamistes dont celle de la Jeunesse d’Ennahdha mettent la pression, photo de profil à

l’appui: «Oui à la Chariâa» et le discours qui va avec… toute cette effervescence avait

touché certains responsables d’Ennahdha qui, sur la base de ces manifestations, concluront

que la Chariâa doit être inscrite dans la Constitution, car il faut répondre à «la volonté du

peuple».

Un discours qui aurait pu tenir, si ce n’était les autres manifestations, dont celle qui fait la

une des médias aujourd’hui, la manifestation du 20 mars, sur l’Avenue Habib Bourguiba à

Tunis et dans toutes les grandes villes du pays, pour fêter l’indépendance, la liberté et,

polémique du moment oblige, dire «Non à la Chariâa». Alors que manifs et contre-manifs

se multiplient dans le pays… Qui est le peuple?

Aujourd’hui sur l’Avenue Habib Bourguiba, à Tunis, devant le Théâtre municipal ou

derrière les barbelés du ministère de l’Intérieur, il faisait bon revivre l’Histoire, d’un début

de printemps, sous un soleil de plomb. L’avenue s’est drapée pour l’occasion des couleurs

du drapeau national. Des milliers d’exemplaires du drapeau tunisien flottaient sur l’artère

principale de la capitale.

Des milliers oui, des dizaines de milliers, il faut en douter! La guerre des chiffres

toujours… Sur sa page Facebook officielle, le Mouvement Kolna Tounes, mené par Emna

Menif, se prend à rêver, 30 mille, 40 mille, voire même plus de 50 mille personnes

présentes lors de la manifestation! Un 14 janvier bis, plus besoin de traficoter les photos,

certains se plairont à gonfler les chiffres à leur convenance…

Etaient-ils plus que les salafo-islamistes appelant à la Chariâa? Peut-on comparer avec la

manifestation de l’UGTT? Car la question est là… plus le nombre est élevé, plus on se

prend pour le peuple! Oui ils étaient des milliers à manifester aujourd’hui 20 mars 2012 à

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Tunis, pour un Etat civil, pour les libertés, contre l’inscription de la Chariâa dans la

Constitution comme source législative… unique? principale? parmi d’autres? où se situe

le peuple?

Cette représentation d’une partie du peuple qui manifestait aujourd’hui à Tunis, à Sousse,

à Sfax et ailleurs, a peur. Sur plusieurs pancartes, nous pouvons lire : «Non à l’iranisation

de la Tunisie»… la Chariâa fait peur et il y a de quoi! Dans les pays où elle est appliquée,

la liberté se fait rare, selon les interprétations de courants divers, selon les intérêts

changeants des hommes et ce qu’ils disent être la volonté de Dieu, affirment plusieurs

manifestants sur place, insistant sur le fait qu’ils sont musulmans et qu’ils n’accepteront

pas que des «fanatiques» remettent en cause cette partie de leur identité, au nom d’un Islam

obscur.

Partant du Théâtre municipal, les manifestants chantent l’hymne national. Des pancartes

cocasses : «Pourquoi réviser si on peut porter le niqab? », d’autres à la gloire d’Habib

Bourguiba, le père de l’indépendance, un hommage qui ne sera pas du goût de tous, certains

jugeant qu’il n’est pas de bon ton de brandir l’image du premier dictateur de la Tunisie

moderne.

Un peu plus loin, en se dirigeant vers le ministère de l’Intérieur, les militants de gauche et

les communistes mettent l’ambiance. Un groupe du PCOT, fidèle à ses aspirations «

révolutionnaires », scande : «Le peuple veut une nouvelle révolution», d’autres plus loin

entonnent des chants de stade revisités, tournant en dérision le gouvernement actuel et,

accessoirement, Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste au pouvoir. Des «dégage»

répétés font monter la température déjà élevée, devant le ministère: un arrière-goût de 14

janvier, les barbelés en plus, la violence policière en moins. Les policiers, en ce jour de

fête, ont effectivement été exemplaires. Youssef, un manifestant sur place, drapeau à la

main, nous montre de jeunes policiers souriants: «Regardez ceux-là, ils sont très jeunes,

c’est la nouvelle génération de policiers, ils ne sont pas formés pour tabasser».

Les forces de l’ordre, après les bavures de la manifestation de l’UGTT, avaient à cœur de

se racheter une conduite. En distribuant des drapeaux aux manifestants, ils leur promettent

de défendre la Patrie et le drapeau coûte que coûte. Mais certains restent sceptiques: «Moi

je ne pardonne pas et je n’oublie pas», lance un autre manifestant.

Des personnalités politiques étaient également présentes lors de ce grand rendez-vous,

PDP, Ettajdid, mouvements citoyens tels que Kolna Tounes ou encore Doustourna, avec

son leader, Jaouhar Ben Mbarek, différents mouvements féministes également, appelant à

l’égalité entre les sexes.

Politique politicienne oblige, nous nous attardons avec des militants et responsables des

partis politiques. Le grand parti dit centriste semble se profiler à l’horizon. Les discours

ont changé, le processus est relancé, les négociations sont en bonne voie pour un

aboutissement final prévu début avril.

L’optimisme est de rigueur et les différends se sont estompés. Youssef, le jeune manifestant

cité plus haut, ne cache pas pour autant sa déception: «Le problème est que ce type de

manifestations, de même que les PDP, Ettajdid et alliés, ne touchent pas toutes les couches

sociales, ni toutes les franges de la société, il suffit de voir, il n’y a quasiment pas de

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femmes voilées, pourtant elles devraient être là, avec nous, pour défendre leurs droits».

Et Youssef d’ajouter sur un autre plan: «Il y a des gens autour de moi qui rêveraient de

revivre l’époque de Ben Ali, car ils ont peur de quelques barbus… je préfère encore discuter

avec ces barbus dont certains sont plus démocrates que ces personnes qui ne voient pas

plus loin que leurs petits intérêts! Quant aux Tunisiens qui vivent à l’étranger et qui, par

leurs discours, font croire que la Tunisie est devenue l’Afghanistan, ils ne servent à rien

d’autre que donner une image biaisée à des touristes ou investisseurs potentiels.

Aujourd’hui nous sommes là, en Tunisie, nous nous battons quotidiennement pour garantir

nos droits, et nous sommes optimistes, car nous ne laisserons pas faire, mais que ceux qui

ne font que se plaindre et amplifier certains événements comme étant généralisés se taisent,

car ils desservent notre cause».

Petite ombre au tableau et comme pour le 14 janvier, aucune décoration ou cérémonie n’ont

été organisées pour fêter l’occasion, à part celle, guindée et en petit comité, au Palais de

Carthage. La veille, Hamadi Jebali tiendra un discours raisonnable, tourné vers les

Tunisiens dans leur ensemble. Il affirmera que la Constitution doit être celle de tous les

citoyens tunisiens et non celle d’une partie au détriment de l’autre. Il déclarera, en

substance, que la majorité ne doit pas être grisée par une victoire électorale et doit prendre

ses responsabilités, en tendant la main à l’opposition, en assurant au peuple tunisien une

Constitution pour tous.

Sahbi Atig, quant à lui, a affirmé, après la démonstration de force des islamistes au Bardo,

que ces manifestants-là étaient le peuple et qu’ils appelaient à l’application de la Chariâa.

Mais qui sont alors les manifestants du 20 mars qui appellent à un Etat civil à travers toute

la Tunisie? Des «zéros virgule», dirait «diplomatiquement» notre chef de la diplomatie,

gendre de Ghannouchi.

La guerre des chiffres toujours… mais toujours est-il que la Constitution doit englober

approximativement 11 millions de Tunisiens, sans discrimination… le seul nombre par

lequel il est possible de parler de «peuple» !

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ANNEXE XII

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

Rabaa H., « Tunisie : (vidéo) Le prédicateur Mohamed Hassan accueilli sur les chapeaux

de roues », Tunisie Numérique, [En ligne], 30 avril 2013,

https://www.tunisienumerique.com/tunisie-le-tres-controverse-mohamed-hassan-ce-

mardi-a-tunis (Page consultée le 8 novembre 2017).

Le prédicateur wahabite égyptien, Mohamed Hassan, est arrivé cet après-midi à l’aéroport

Tunis Carthage, rapporte la correspondante de Tunisie Numérique présente sur place.

Un large dispositif sécuritaire a été déployé aux alentours de l’aéroport afin de palier à tout

dérapage pouvant incomber à cette visite fortement décriée par les défenseurs des droits de

l’homme et des militants de la société civile.

Attendu de pied ferme et en conclave par des dizaines de partisans et d’activistes

d’associations islamistes dont celle présidée par Habib Ellouze, membre de l’aile dure

d’Ennahdha et faisant l’analogie de ses thèses, le prédicateur a été reçu aux youyous et

aux cris d'”Allah Akbar” de ses soutiens qui ont déployé l’étendard noir salafiste. Ayant

même droit à quelques honneurs et privilèges, Mohamed Hassan est apparu par la porte

réservée aux pèlerins.

Prônant des positions très controversées, Mohamed Hassan, éminent porte-voix

de l’excision des femmes, inaugurera sa tournée par un prêche à la coupole d’El Manzah

qui se suivra d’un tour de propagande à travers plusieurs régions du pays.

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ANNEXE XIII

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

JEUNE AFRIQUE, « Tunisie : colère après les déclarations du prêcheur égyptien Wajdi

Ghanim », Jeune Afrique, [En ligne], 16 février 2012,

http://www.jeuneafrique.com/177322/politique/tunisie-col-re-apr-s-les-d-clarations-du-

pr-cheur-gyptien-wajdi-ghanim (Page consultée le 12 novembre 2017).

La visite du prédicateur égyptien radical Wajdi Ghanim en Tunisie a déclenché un tollé

dans la société civile. En cause : ses propos appelant à l’instauration de la charia et sa

justification de l’excision des femmes.

Vives réactions en Tunisie autour de la visite du prédicateur égyptien radical Wajdi

Ghanim. Arrivé samedi 11 février, le religieux répondait à l’invitation d’obscures

associations islamistes nées après la révolution. Dès dimanche, Wajdi Ghanim a prêché

dans plusieurs villes comme Sousse, Mahdia (dans le sud-est) avant de rassembler une

foule de plusieurs milliers de personnes lors d’une conférence dans un grand centre sportif

de la capitale tunisienne.

Appel à l’application de la charia en Tunisie, critique virulente des « laïcs et des libéraux

» et des « apostats », justification de l’excision des femmes comme une « opération

esthétique », l’Égyptien a déclenché de vives réactions dans la société civile.

Emna Mnif, ancienne responsable du parti libéral Afek Tounes, et qui dirige aujourd’hui

un « mouvement citoyen », a été l’une des premières à réagir. Elle a dénoncé mercredi 15

février « la succession de passages en Tunisie de ceux qui prétendent être des savants en

religion mais sont les tenants d’un islam obscurantiste et wahhabite ». Car Wajdi Ghanim

n’est pas le premier invité sur le sol tunisien. D’autres prêcheurs, notamment saoudiens,

auraient plus tôt fait le déplacement. Le mouvement d’Emna Mnif a donc exhorté les

autorités tunisiennes, via un courrier d’huissier, à empêcher le cycle de conférences de

Wajdi Ghanim, accusé notamment « d’incitation à la haine et à la violence » et «

d’ingérence dans les affaires tunisiennes ».

"Respecter la révolution tunisienne"

Des avocats ont pour leur part déposé plainte contre le prêcheur égyptien, dénonçant «

l’utilisation des mosquées à des fins politiques ». « Il y a une atteinte à la souveraineté de

la Tunisie, et il n’y a pas de raison d’utiliser les mosquées pour diffuser un discours de

haine et de dissension », a indiqué l’une des plaignantes, l’avocate Bochra Belhaj Hmida.

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Un discours qui, selon de nombreux Tunisiens, va à l’encontre de l’islam pratiqué dans le

pays. « La Tunisie est islamique depuis plus de 14 siècles et on n’a pas besoin (de

prédicateurs radicaux étrangers) » a fustigé le grand mufti de la République, Othman

Battikh, sur les ondes de la radio Shems FM.

Les libéraux reprochent également au gouvernement dominé par le parti islamiste

Ennahdha son inertie face à de tels discours radicaux. Sur Shems FM, le porte-parole du

ministère des Affaires religieuses, Ali Lafi, a indiqué que les déclarations de Wajdi Ghanim

étaient « étudiées » par ses services. « Il faut respecter la révolution tunisienne et nos

spécificités, et personne ne peut porter atteinte aux acquis de la Tunisie », a-t-il déclaré.

« Les autorités n’ont pas mesuré l’importance d’élaborer un discours religieux attaché à la

spécificité tunisienne, alors les gens vont chercher des idées ailleurs », explique pour sa

part le chercheur Slah Jourchi, de la mouvance « islamiste de gauche ». « S’il n’y a pas de

réaction, il y aura un bouleversement du paysage religieux d’ici cinq à six ans et une

dislocation du discours modéré », fustige-t-il.

Wajdi Ghanim, qui figure depuis 2009 sur une liste de personnes interdites d’entrée en

Grande-Bretagne pour « apologie de la violence terroriste », devrait pour sa part repartir

au plus tard vendredi.

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ANNEXE XIV

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

Syrine GUEDICHE, « Tunisie : Le double discours de Rached Ghannouchi à propos des

Salafistes », Tunisie Numérique, [En ligne], 24 septembre 2012,

https://www.tunisienumerique.com/tunisie-le-double-discours-de-rached-ghannouchi-a-

propos-des-salafistes (Page consultée le 21 janvier 2018).

Une coïncidence apparait comme relativement troublante aux yeux des observateurs

tunisiens et étrangers, à savoir l’émergence concomitante du phénomène salafiste en

Tunisie après le 14 janvier 2011 avec la montée en puissance du mouvement Ennahdha qui

est sorti de la clandestinité et qui a reconstruit en quelque mois à peine son réseau dans

tous les gouvernorats du pays.

Ce succès pour Ennahdha en général et pour Rached Ghannouchi, le leader du mouvement,

en particulier a tenu à des facteurs spécifiques à savoir son enracinement en profondeur

dans le pays, malgré la répression politique dont il a fait l’objet et à des sources de

financement importantes et diversifiées, partiellement d’origine interne et essentiellement

d’origine externe.

Les Salafistes « enfants prodigues » de Rached Ghannouchi !!

Le phénomène salafiste est jugé par certains comme une forme de maladie. Au début, les

actions des salafistes étaient localisées dans certaines régions et elles semblaient

relativement peu importantes à l’échelle de la Tunisie dans la période de désordre qui a

suivi le 14 janvier 2011.

Ils représentaient dans le corps social tunisien une forme de maladie bénigne, comme un

simple refroidissement à ses débuts. Cette maladie aurait pu être soignée facilement si les

mesures nécessaires avaient été prises par le gouvernement provisoire pour faire respecter

la loi avec fermeté et sans utilisation de la force brute.

Mais l’extrême indulgence du gouvernement actuel et particulièrement des dirigeants

d’Ennahdha qui considèrent les salafistes comme leurs enfants, leur rappelant leur

jeunesse « dissolue » a été à l’origine d’une dégradation accélérée et dangereuse de la

situation dont le point d’orgue a été l’assaut sanglant contre l’ambassade américaine à

Tunis qui a gravement nui à l’image de la Tunisie à l’échelle internationale.

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Notons que le mouvement salafiste apparu dans la société civile tunisienne semblait au

départ pacifique, exprimant ses opinions par des discours officiels et dans les prêches des

mosquées sans avoir recours à la violence.

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ANNEXE XV

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

I. B., « Tunisie-Politique : Ghannouchi persiste et signe : «Les salafistes sont mes

enfants» », Kapitalis, [En ligne], 20 mai 2013, http://www.kapitalis.com/politique/16188-

tunisie-politique-ghannouchi-persiste-et-signe-les-salafistes-sont-mes-enfants.html (Page

consultée le 21 janvier 2018).

M. Ghannouchi s'adressait ainsi, dans un entretien avec la radio Jawhara FM, à tous ceux

qui ne cessent de rappeler ses précédentes déclarations à propos des salafistes, qualifiés

tour-à-tour de «mes enfants», qui «me rappellent ma jeunesse» et «cherchent à promouvoir

une nouvelle culture».

Pour justifier l'extrémisme religieux, M. Ghannouchi est revenu à sa rengaine: «C'est l'ex-

président et le système de Bourguiba qui sont derrière le désert religieux qui a donné

naissance à des groupes extrémistes religieux après la révolution».

Le laxisme des deux gouvernements nahdhaouis successifs (Hamadi Jebali et Ali

Lârayedh) vis-à-vis des mouvements extrémistes religieux, considérés comme des réserves

électorales et des instruments pour faire pression sur l'opposition et la société civile, n'y

sont, bien sûr, pour rien!

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ANNEXE XVI

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

I. N., « Abou Yadh : « La Tunisie n’est pas une terre de Jihad mais une terre de prédication

religieuse » », Businessnews, [En ligne], 30 mars 2012,

http://www.businessnews.com.tn/abou-yadh--la-tunisie-nest-pas-une-terre-de-jihad-mais-

une-terre-de-predication-religieuse,520,30223,3 (Page consultée le 30 novembre 2017).

«La Tunisie n’est pas une terre de Jihad mais elle est une terre de prédication religieuse».

C’est ce qu’a affirmé Seif Allah Ben Hassine, le leader des salafistes jihadistes en Tunisie,

connu sous le nom d’Abou Yadh dans une interview accordée au journal Le Temps et parue

aujourd’hui, vendredi 30 mars 2012.

Le chef de file des salafistes jihadistes a, dans ce contexte, indiqué que son mouvement ne

prêche pas la violence: «Tous nos actes se résument actuellement à de la prédication morale

et à des œuvres de charité». Concernant les menaces de mortscandées à l’encontre des juifs,

il a précisé qu’il «n’a pas lancé de menaces contre les juifs tunisiens mais contre les

sionistes qui spolient les terres saintes en Palestine et tuent des innocents dans l’impunité

totale», ajoutant qu’il a les enregistrements du sit-in du dimanche dernier et qu’il«défie

quiconque lui dira qu’il appelé à tuer les juifs de Tunisie». Rappelons que les appels au

meurtre avaient été proférés à l’adresse des «juifs» et non à l’encontre des «sionistes», lors

de la manifestation salafiste.

Evoquant le sujet de l’image des jihadistes auprès de l’opinion publique, Abou Yadh a

souligné qu’ils «n’ont pas à soigner leur image de marque car leur image n’est pas ternie

aux yeux des gens qui prennent la peine de les connaître de près pour éviter les préjugés».

Il a également indiqué : «Jamais nous n’avons traité de mécréants les Tunisiens. Ce ne sont

que de fausses allégations médiatiques», ajoutant que «les détracteurs d’Ennahdha

instrumentalisent le salafisme jihadiste pour discréditer ce parti auprès de son électorat réel

et potentiel».

Concernant la décision d’Ennahdha de garder l’article premier dans la Constitution en

cours d’élaboration, le leader des salafistes jihadistes en Tunisie a expliqué : «Honnêtement

je peux vous dire que je remercie Allah qu’Ennahdha n’ait pas adopté la Chariâa dans

l’article premier de la prochaine Constitution, autrement on déclarera la guerre contre nous

et on nous exécutera au nom de la Chariâa».

Autre point à relever, Abou Yadh s’est dit «sidéré» de voir des nahdhaouis comme Ellouze

ou Atig renoncer à leurs principes et qu’il a du respect pour Ben Jaâfar«qui n’a pas fait

entorse à ses principes en refusant toute adoption de la Chariaâ dans la Constitution et il

s’en est tenu».

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ANNEXE XVII

Extrait d’article de journal en ligne

Source :

JEUNE AFRIQUE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Tunisie : un imam salafiste appelle

au jihad contre le gouvernement », Jeune Afrique, [En ligne], 2 novembre 2012,

http://www.jeuneafrique.com/173592/politique/tunisie-un-imam-salafiste-appelle-au-

jihad-contre-le-gouvernement (Page consultée le 14 octobre 2017).

L'émotion est vive en Tunisie, où la violence est encore montée d'un cran, jeudi 1er

novembre au soir. Sur la chaîne Ettounsiya, l’imam salafiste de la mosquée Ennour, dans

la banlieue de la Manouba à Tunis, Nasreddine Aloui, a appelé la jeunesse à mourir en

martyr pour lutter contre le gouvernement.

En Tunisie, c’est un choc. Jeudi 1er novembre au soir, au cours d’une émission télévisée

de la chaine Ettounsiya et devant deux ministres, l’imam salafiste Nasreddine Aloui n’a

pas hésité à appeler les jeunes tunisiens à se préparer à mourir pour lutter contre le pouvoir.

« J’ai préparé mon linceul après la mort de deux martyrs et j’appelle les jeunes du réveil

islamique à faire de même car le mouvement Ennahdha et d’autres partis politiques veulent

des élections sur les ruines et les cadavres du mouvement salafiste », a lancé le nouvel

imam de la mosquée Ennour, dans la banlieue de la Manouba, à Tunis, en brandissant un

drap blanc à la caméra.

Son prédécesseur est l’un des deux militants salafistes tués par les forces de l’ordre mardi,

en riposte à une attaque contre deux postes de la garde nationale. « Je vais faire la guerre à

ces gens là, a-t-il poursuivi, car le ministre de l’Intérieur et les dirigeants d’Ennahdha ont

choisi les États-Unis comme leur bon dieu, ce sont [les Américains, NDLR] qui écrivent

les lois et préparent la nouvelle Constitution », a-t-il martelé, toujours lors de son passage

en direct à l’antenne.

"Des mots comme des balles"

« Ce genre de discours est en partie responsable du sang versé, tu ne réalises pas que tes

mots sont comme des balles. Je suis surpris de ton refus de l’autre », a riposté Ali Larayedh,

le ministre tunisien de l’Intérieur. Également présent sur le plateau, Samir Dilou, ministre

tunisien des droits de l’Homme, a surenchéri : « Tu n’es pas digne d’être un imam, ce

discours est de l’incitation à la haine ».

Le porte-parole d’« Ansar al-charia », dont le leader est recherché pour avoir appelé à

prendre d’assaut l’ambassade américaine, le 14 septembre dernier, a cependant essayé

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d’éteindre l’incendie provoqué par les paroles de l’imam Alaoui. « La Tunisie est une terre

de prédication et non de jihad », a déclaré Abou Iyed, sur l’antenne d’Express-FM. Et de

souligner que, selon lui, « le mouvement salafiste est victime d’une répression

systématique. (…) On doit prendre en compte la situation psychologique de nos frères

[comme l’imam de la mosquée Ennour, NDLR] parce qu’ils ont eu deux martyrs », a-t-il

essayé de relativiser.

Selon le ministre des Affaires religieuses, Noureddine El Khadmi, une centaine de

mosquées tunisiennes sont sous le contrôle d’islamistes radicaux. Il a rejeté l’appel à la

violence de Nasreddine Aloui, tout en soulignant l’irresponsabilité de ce dernier, dont la

nomination n’a pas relevé de son ministère, a-t-il souligné. Une enquête a été ouverte par

les autorités tunisiennes contre l’imam de la mosquée Ennour pour incitation à la haine.