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© Sabrina Zouaghi, 2018
L'influence du salafisme dans le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne
Mémoire
Sabrina Zouaghi
Maîtrise en études internationales - avec mémoire
Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
L’influence du salafisme dans le processus de
rédaction de la nouvelle constitution tunisienne
Mémoire
Sabrina Zouaghi
Sous la direction de :
Francesco Cavatorta, directeur de recherche
Muriel Gomez-Perez, codirectrice de recherche
iii
RÉSUMÉ
Le présent mémoire tente d’apporter un éclairage nouveau sur le phénomène du salafisme et
son implication au cœur du processus de constitution-making de la transition tunisienne en
répondant à la question de recherche suivante : « les salafistes tunisiens, de par leur idéologie
qui ne privilégie que la légitimité de leurs propres revendications et de par leurs actions qui
ne favorisent pas la négociation, le compromis et la coexistence de différentes factions
sociétales, ont-ils influencé le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne,
et si oui, de quelle(s) manière(s) et quels ont été les impacts ? ».
Les résultats du mémoire font état que les salafistes tunisiens ont influencé le processus
constitutionnel, mais pas le contenu de la constitution. En effet, ils ont réussi à remettre sur
la table la question de la charî’a dans les débats constitutionnels et plus particulièrement dans
les discussions internes du parti Ennahda grâce à des formes de mobilisation para-
institutionnelle.
Cependant, ces formes de mobilisation n’ont pas eu l’effet escompté d’inscrire la charî’a
dans la nouvelle constitution. En réalité, le contexte socio-politique a plutôt favorisé
l’exclusion des salafistes à cause de leurs discours qui discréditaient les autres factions
sociétales et politiques et de leurs actions qui ne favorisaient pas la négociation, le compromis
et la coexistence avec ces factions. Les salafistes, comme groupe social particulier qui attire
les franges populaires de la société, véhiculent une idéologie religieuse entraînant des impacts
politiques et sociaux qui les distingue de la majorité des Tunisiens.
Si Ennahda entretenait certains objectifs communs avec les salafistes, ses deux partenaires
politiques ne se retrouvaient pas dans une situation similaire, bien au contraire. Les salafistes,
par leurs discours et leurs actions, empêchaient l’atteinte d’un compromis démocratique entre
ces partis politiques et représentaient une menace pour les règles de garantismo qu’ils étaient
en train de négocier. Ils exacerbaient la polarisation entre « islamistes » et « non-islamistes »
et menaçaient la coexistence des deux camps.
Lers intérêts paraissaient ainsi ne pas faire partie d’un consensus possible entre les factions
les plus importantes qui ne considéraient pas les salafistes comme des acteurs significatifs au
sein de la société tunisienne. Ils ont été dès lors exclus du jeu démocratique, à la fois des
débats et du processus. La mise au rancart de leurs intérêts a été l’un des coûts à assumer
pour Ennahda, afin d’assurer l’adoption de la nouvelle constitution tunisienne et la réussite
de la transition démocratique.
iv
Table des matières RÉSUMÉ .......................................................................................................................................................... iii
GLOSSAIRE .................................................................................................................................................... vi
LISTE DES ABRÉVIATIONS ..................................................................................................................... ix
DÉDICACE ....................................................................................................................................................... x
REMERCIEMENTS ....................................................................................................................................... xi
CHAPITRE INTRODUCTIF ........................................................................................................................ 1
CHAPITRE 1 - PRÉSENTATION DU PROJET DE RECHERCHE ..................................................... 8
La transitologie et le « printemps arabe », une conciliation possible ? ............................................... 8
Le projet de recherche : problématique et hypothèses ......................................................................... 17
La méthodologie employée ...................................................................................................................... 21
Conclusion ................................................................................................................................................. 27
CHAPITRE 2 - LE SALAFISME, UN MOUVEMENT RELIGIEUX LITTÉRALISTE ................. 28
Un intérêt académique récent sur le salafisme au regard de l’actualité ............................................. 28
Des éléments définitionnels ..................................................................................................................... 31
Débats sur les origines polémiques du salafisme ............................................................................. 31
Un objectif pieux en réaction aux sociétés grugées par le capitalisme ........................................ 35
Le minhâj salafî, une méthode stricte et littéraliste ......................................................................... 39
Des concepts-clés au cœur du salafisme ........................................................................................... 41
Une catégorisation traditionnelle des salafistes .................................................................................... 42
Le salafisme scientifique : une salafisation sociétale ...................................................................... 43
Le salafisme politique : une salafisation institutionnelle ................................................................ 44
Le salafisme jihadiste : une salafisation révolutionnaire ............................................................... 45
Conclusion ............................................................................................................................................. 46
CHAPITRE 3 - LE PAYSAGE SALAFISTE TUNISIEN À L’ÈRE POSTRÉVOLUTIONAIRE .. 48
Les organisations salafistes en Tunisie : un mouvement multiforme en quête d’un rôle dans le
processus transitionnel tunisien ............................................................................................................... 49
L’amnistie générale du 19 février 2011 : l’essor publique d’un courant orthodoxe .................. 49
Des formations organisationnelles hétéroclites, une hiérarchie éclatée et des structures
horizontales ........................................................................................................................................... 54
Tension idéologique sur le plan de la reconnaissance juridique ................................................... 60
La qualification salafiste : processus de (dé)légitimation .............................................................. 64
L’absence de représentation politique et la présence de programmes généraux au profit de la
mosquée, le principal lieu de rencontre des salafistes .................................................................... 66
v
Les discours des salafistes tunisiens : entre des objectifs communs et des stratégies divergentes 69
L’État et la société islamiques : une solution à tous les maux ....................................................... 69
Vers une redéfinition de l’identité tunisienne : la charî’a comme demande identitaire salafiste
................................................................................................................................................................. 71
À la recherche d’une clientèle sociale et politique ultra-conservatrice ....................................... 78
Le recours à deux stratégies complémentaires ................................................................................. 81
La renonciation au recours à la violence, l’emploi de la da’wa et l’implication politique : entre
convergences et divergences ............................................................................................................... 84
Conclusion ................................................................................................................................................. 89
CHAPITRE 4 - LE PROCESSUS CONSTITUTIONNEL TUNISIEN : POINT DE FRICTION
DES ACTIONS SALAFISANTES ............................................................................................................. 94
L’absence d’actions politiques structurantes ......................................................................................... 95
La politique de la rue : le mot d’ordre implicite chez les salafistes .............................................. 96
Manifestations publiques et rassemblements politiques, des méthodes d’action politique
traditionnelles .................................................................................................................................... 97
L’instrumentalisation ou la politisation des actions sociales et religieuses ........................... 100
Une timide intégration aux instances participatives de l’Assemblée nationale constituante .. 108
Ennahda, un allié potentiel dans l’agenda salafiste de la Tunisie postrévolutionnaire ........... 113
La logique de dialogue adoptée par les salafistes, un rapprochement utilitariste ?............... 113
La charî’a chez Ennahda : les résultats d’une influence modeste............................................ 122
Le refus d’Ennahda d’inscrire la charî’a dans la constitution: le début d’une rupture des salafistes
................................................................................................................................................................... 129
La logique de distanciation des salafistes, une réaction dynamique aux actions nahdaouies 130
Des conséquences portant un changement de ton et d’action bien présent dans les rangs
salafistes ............................................................................................................................................... 135
La constitution tunisienne de 2014, une influence indirecte des salafistes ..................................... 144
Conclusion ............................................................................................................................................... 147
CHAPITRE CONCLUSIF ......................................................................................................................... 150
SOURCES .................................................................................................................................................... 157
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................... 170
ANNEXES ................................................................................................................................................... 180
vi
GLOSSAIRE
‘amel tanzimî Le concept de travail organisé
‘aqîda Le credo
‘ibâdat Les actes cultuels et d’adoration
‘ijmâ’ Le concept d’interprétation juridique des textes
religieux qui consiste en le consensus parmi les
chouyoûkh
‘ourf L’une des sources de du fiqh, soit la coutume
Ahâdîth (hadîth) Les communications orales qui expriment les actes et
paroles du Prophète Mohammed et ceux que ce dernier
a approuvés parmi ses Compagnons (au pluriel)
Ahâdîth sahîha Les communications orales qui expriment les actes et
paroles du Prophète Mohammed et ceux que ce dernier
a approuvés parmi ses Compagnons et qui sont avérés
(chaque rapporteur de la isnad est retracé) (au pluriel)
Ahl- al-hadîth Les gens du hadîth
Aima (imâm) L’imam (au pluriel)
Allâhou akbar Dieu est grand
Al-amr bil-ma’roûf wal-nahî Le concept de promouvoir la vertu et de prévenir le vice
Al-firqa al-najiya La secte élue parmi les soixante-treize sectes en islam
Al-tâbi’oûn La première génération qui ont suivi les Compagnons
du Prophète (deuxième génération de musulmans)
Al-walâ wal-barâ’ Le concept de loyal et de désaveu
Ansârî Les partisans
Assâla L’authenticité
Ayât Les versets coraniques (au pluriel)
Bid’a (bidâ’) Les innovation religieuse (au singulier)
Bidâ’ (bid’a) Les innovations religieuses (au pluriel)
Chahâda L’attestation de foi
Charî’a La loi islamique
Cheikh (chouyoûkh) Le sage religieux (au singulier)
Choumouliya al-islâm Le principe de globalité en islam
Choûra Le conseil consultatif
Chouyoûkh (cheikh) Les sages religieux (au pluriel)
Da’wa La prédication religieuse
vii
Dâr al-islâm La terre de l’islam, lorsque la population d’un pays est
majoritairement musulmane
Destour al-khilafa La constitution du califat
Dhimmis Le statut de minorités
Fatâwâ (fatwâ) Les avis juridiques émis par des spécialistes religieux
(au pluriel)
Fatwâ (fatâwâ) L’avis juridique émis par des spécialistes religieux (au
singulier)
Fitna La division entre les musulmans, initialement compris
comme celle entre les sunnites et les chiites
Furoû’ Les principes secondaires
Hadîth (ahâdîth) Les communications orales qui expriment les actes et
paroles du Prophète Mohammed et ceux que ce dernier
a approuvés parmi ses Compagnons (au singulier)
Hâj Le pèlerinage religieux à faire obligatoirement une fois
pour le musulman qui en a les moyens
Halaqât Les cercles d’études religieuses
Halâl Ce qui est permis en islam, licite
Harâm Ce qui est interdit en islam, illicite
Hijâb Le voile qui couvre les cheveux (aussi le principe de
porter des vêtements modestes)
Hisba Le principe islamique désignant le devoir de
promouvoir la vertu et de prévenir le vice
Hizbiyya La partisannerie
Hudoûd Les sanctions pénales religieuses
Imâm (aima) Le guide spiritual religieux
Îmâne La foi
Isnad La chaîne des transmetteurs des ahâdîth
Istislah L’une des méthodes d’interprétation des sources
juridiques, soit l’intérêt commun
Janna Le paradis
Jihâd fî sabîllilâh La lutte armée dans le chemin de Dieu
Jiziyya La taxe ou le tribut de protection
Joumou’a Le vendredi
Kalam L’une des méthodes d’interprétation des sources
juridiques religieuses, soit la parole
Khuttab Écoles coraniques (au pluriel)
Khalaf Le successeur
Kuffar Les mécréants (au pluriel)
Matn Le contenu des ahâdîth
Madhab (madhâhib) L’école islamique de pensée juridique (au singulier)
viii
Madhâhib (madhab) Les écoles islamiques de pensée juridique (au pluriel)
Maslaha L’une des méthodes d’interprétation des sources
juridiques, soit le bien-être public
Minhâj La méthode d’interprétation des sources religieuses
Minhâj salafî La méthode d’interprétation salafiste des sources
religieuses
Muftî Le jurisconsulte
Mujâhidîn Le combattant engagé dans le jihâd fî sabîllilâh
Mu’âmalat Les prescriptions et pratiques sociales en islam
Muttâwa’a La police religieuse en Arabie saoudite
Oumma La communauté islamique
Qîyâs Les raisonnements analogiques comme méthode
d’interprétation en islam
Ribâ Le prêt usurier interdit en islam
Salaf L’ancêtre, le prédécesseur
Salafiyya Le salafisme
Salaf al-salîh Les pieux prédécesseurs
Salât La prière
Sunna La tradition
Tablighi L’un des mouvements islamiques fondamentalistes
Tâbi’ al-tâbi’în La deuxième génération qui suit les Compagnons du
Prophète (troisième génération de musulmans)
Takbîr La magnification de Dieu
Takfîr Le principe d’excommunication
Taqlîd L’imitation de la pratique religieuse des ancêtres
Tarbiyya L’éducation
Tawhîd Le principe d’unicité de Dieu
Tazkiyya La purification de soi
Thawra La révolution
Usoûl al-fiqh Les sources, les connaissances du droit islamique
Walî al-amr L’obéissance à celui qui détient l’autorité
Zatla Le cannabis
ix
LISTE DES ABRÉVIATIONS
ANC Assemblée nationale constituante
ARP Assemblée des représentants du peuple
AST Ansâr al-Charî’a en Tunisie
CPR Congrès pour la République
Ettakatol Forum démocratique pour le travail et les libertés
FTAI Front tunisien des associations islamiques
ISIE Instance supérieure indépendante pour les élections
MENA Afrique du Nord et Moyen-Orient
ONG Organisation non-gouvernementale
OTAN Organisation du traité de l’Atlantique nord
RCD Rassemblement constitutionnel démocratique
x
DÉDICACE
Le fruit de ce travail de longue haleine, je le dédie d’abord et avant tout à mon grand cœur
d’amour qui, j’espère, est très fière de son petit rayon de soleil.
Je le dédie également à toutes ces personnes qui désirent changer le monde, un pas à la fois.
À toutes ces personnes qui parfois doutent d’elles-mêmes, mais dont la soif de connaissances
et la volonté de contribuer à un monde meilleur ne cessent de se tarir.
À nous tous, puissions-nous ne jamais oublier ces quelques mots…
« S’instruire sans agir, c’est labourer sans semer. »
xi
REMERCIEMENTS
La rédaction est un exercice trop souvent solitaire, mais dont l’aboutissement ne peut se
concrétiser sans l’apport remarquable de plusieurs collaborateurs. L’accomplissement de ce
mémoire n’y fait nullement exception.
Je tiens à remercier de tout cœur mon oncle Khémaïs Zouaghi qui s’est révélé d’une précieuse
aide en sachant me préparer avec intelligence aux entrevues que j’allais mener, mais aussi en
m’indiquant comment aborder les députés.
Je dois également remercier chaleureusement Salah Mtiraoui sans qui je n’aurais pas eu les
accès privilégiés qui représentent l’apport significatif de ce mémoire à la littérature sur le
salafisme tunisien.
Un merci tout particulier à mon directeur de recherche qui a su me donner la chance
d’accomplir une recherche de terrain et de partager les fruits de mon dur labeur auprès de
pairs, ainsi qu’à ma co-directrice dont les précieux commentaires ont su enrichir et bonifier
grandement la qualité de ce mémoire.
Je dois également remercier ma famille qui m’a grandement supporté tout au long de ce
fastidieux parcours de rédaction.
Enfin, je tiens à remercier mon ange gardien qui m’a fourni d’inestimables conseils et qui
m’a sans cesse encouragé à persévérer et à compléter ce mémoire.
1
CHAPITRE INTRODUCTIF
L’immolation du vendeur ambulant de fruits, Mohammed Bouazizi, à Sidi Bouzid le 10
décembre 2010, a suscité une vague d’indignations au sein de la population tunisienne.
S’ensuivirent dès lors des manifestations et une séquence d’événements d’une ampleur
inégalée1 depuis la révolte du pain de 1984 et la saga de la révolte du bassin minier de Gafsa
en 2008, révolte concentrée précisément sur cette ville2. Si les soulèvements populaires
touchèrent en premier la Tunisie, ils se répandirent rapidement à travers l’Afrique du Nord
et le Moyen-Orient : de l’Égypte au Bahreïn, en passant par la Syrie et le Yémen, ils ont
fortement déstabilisé des régimes à la légitimité en réalité vacillante3. Fragilisant ces régimes
longtemps perçus comme solides, le printemps arabe a fait la démonstration de la frustration
populaire accumulée par des indicateurs économiques peu réjouissants, d’une corruption
rampante à tous les échelons de la société et du désespoir de ne pouvoir accéder à de
meilleures conditions de vie, assortis par de nombreux cas de violations de droits et libertés
civiles, politiques et socio-économiques4.
1 Pour une chronologie des événements, voir : Fethi BELAID, « Chronologie : les 30 jours qui ont fait basculer
la Tunisie », Le Parisien, [En ligne], 15 janvier 2011, http://www.leparisien.fr/crise-tunisie/chronologie-les-
30-jours-qui-ont-fait-basculer-la-tunisie-14-01-2011-1227217.php, (Page consultée le 28 juin 2017). 2 Le 5 janvier 2008 à Redeyef, les résultats du concours d’embauche à la Compagne des phosphates de Gafsa
(CPG), principal employeur de la région, furent dévoilés et aussitôt dénoncés par les habitants locaux. Ils ont
été qualifiés comme frauduleux, puisque certains accords pris entre l’entreprise et les syndicats n’ont pas été
respectés et que de forts soupçons de corruption sur l’octroi d’emploi à certains individus demeuraient. Les
protagonistes, particulièrement des diplômés chômeurs, mais aussi des mères de familles, des adolescents, des
militants syndicaux, des étudiants, des professeurs, désiraient dénoncer l’autoritarisme du régime. Les répliques
de ce dernier ont été impitoyables : trois décès et des centaines d’arrestation de manifestants et de leaders
syndicaux, assorties de condamnations de lourdes peines de prison ferme. Voir à ce sujet : Amr AL-MISRI, « 5
janvier 2008 : révolte du bassin minier de Gafsa en Tunisie », Divergens, [En ligne], 2008,
http://diversgens.com/revolte-bassin-minier-gafsa-tunisie, (Page consultée le 28 juin 2017); Larbi CHOUIKHA
et Vincent GEISSER, « Retour sur la révolte du bassin minier. Les cinq leçons politiques d’un conflit social
inédit », Année Maghreb, 6, 2010, pp. 415‑426; Béatrice GURREY, « Retour à Redeyef, creuset de la révolution
tunisienne », Le Monde, [En ligne], 4 mars 2011, http://www.lemonde.fr/week-end/article/2011/03/04/retour-
a-redeyef-creuset-de-la-revolution-tunisienne_1488163_1477893.html, (Page consultée le 28 juin 2017).
3 Pour une chronologie globale des événements, voir : Hélène SALLON, « Chronologie des « printemps
arabes » », Le Monde, [En ligne], 13 janvier 2014, http://www.lemonde.fr/proche-
orient/article/2014/01/13/chronologie-des-printemps-arabes_4347112_3218.html, (Page consultée le 28 juin
2017). 4 Emma C. MURPHY, « Under the Emperor’s Neoliberal Clothes! Why the International Financial Institutions
Got it Wrong in Tunisia » dans Nouri GANA (dir.), The Making of the Tunisian Revolution : Contexts,
Architects, Prospects, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2013, pp. 35‑57.
2
Si certains dirigeants consentirent à la mise en place de réformes pour satisfaire un tant soit
peu les revendications des manifestants et demeurer au pouvoir, à l’instar du roi Mohammed
VI qui a promis des réformes constitutionnelles5 ou le président algérien Bouteflika qui a
annoncé une réforme constitutionnelle le 15 avril 20116, d’autres recoururent à la répression
violente tel le Bahreïn, ayant reçu l’aide des forces saoudiennes et émiraties pour mater la
révolte7.
Dans d’autres situations, les dirigeants ont dû quitter la tête de l’État comme le président
tunisien Zine Al-Abidine Ben Ali ayant pris la fuite vers l’Arabie saoudite le 14 janvier 2011,
au plus grand étonnement de son gouvernement et du peuple8. En Égypte, après avoir promis
de réformer la constitution et de ne pas se présenter aux prochaines élections tout en
réprimant les manifestants, Hosni Moubarak a quitté le pouvoir le 11 février 20119. Au
Yémen, le président Ali Abdallah Saleh a cédé les rênes du pouvoir à Abdel Rabbo Mansour
le 27 février 2012 après de violentes manifestations des rebelles houthis10. Après
l’intervention de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) qui soutenait les
rebelles libyens, Qaddhafi a pris la fuite et a été assassiné par ces derniers11.
5 Till BRUCKNER, « Sept mythes sur la démocratie au Maroc », Huffington Post, [En ligne], 7 octobre 2015,
http://www.huffingtonpost.fr/till-bruckner/democratie-maroc-mythes_b_7720852.html, (Page consultée le 28
juin 2017). 6 LE MONDE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Algérie : Bouteflika va réviser la Constitution pour renforcer
la démocratie », Le Monde, [En ligne], 15 avril 2011,
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/04/15/algerie-le-president-bouteflika-pret-a-annoncer-des-
decisions-importantes_1508461_3212.html, (Page consultée le 28 juin 2017). 7 ASSOCIATED PRESS IN MANAMA, « Bahrain’s Young People Mark Fifth Anniversary of Arab Spring »,
The Guardian, [En ligne], 14 février 2016, https://www.theguardian.com/world/2016/feb/14/bahrains-young-
people-mark-fifth-anniversary-arab-spring, (Page consultée le 28 juin 2017). 8 Pour une chronologie des événements, voir entre autres : Abdelaziz BELKHODJA et Tarak
CHEIKROUHOU, 14 janvier : L’enquête, 3ème édition, Tunis, Apollonia, 2013, 191 p.; Yadh BEN
ACHOUR, Tunisie. Une révolution en pays d’islam, Tunis, Cérès Éditions, 2016, 387 p. 9 AL JAZEERA & AGENCIES, « Hosni Mubarak Resigns as President », Al Jazeera, [En ligne], 11 février
2011, http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2011/02/201121125158705862.html (Page consultée le 29
juin 2017). 10 L’ESSENTIEL & AGENCE FRANCE PRESSE, « Saleh quitte le pouvoir après 33 ans de règne »,
L’Essentiel, [En ligne], 27 février 2012 http://www.lessentiel.lu/fr/news/monde/story/Saleh-quitte-le-pouvoir-
apr--s-33-ans-de-r--gne-31364181, (Page consultée le 29 juin 2017). 11 LIBÉRATION, « La Libye célèbre la mort du colonel Kadhafi », Libération, [En ligne], 20 octobre 2011,
http://www.liberation.fr/planete/2011/10/20/la-libye-celebre-la-mort-du-colonel-kadhafi_769291, (Page
consultée le 29 juin 2017).
3
Bien que des épisodes violents plus ou moins longs aient semé le parcours de la transition de
certains États, notamment de l’Égypte12, de la Libye13 et du Yémen14, la Tunisie a semblé à
l’abri d’une telle situation chaotique. Cependant, un événement particulier a suscité de vives
appréhensions de la part d’observateurs locaux et internationaux sur un phénomène encore
méconnu en Tunisie : l’attaque de l’ambassade et d’une école états-uniennes à Tunis le 12
septembre 201115. Survenue à la suite de la diffusion d’une bande-annonce du « film »
L’innocence des musulmans16 représentant le Prophète Mohammed et tenant des propos peu
flatteurs à l’égard de l’islam, cette attaque a permis de mettre l’éclairage sur de « nouveaux
acteurs » qui ont été à l’origine de cet élan de violence : les salafistes tunisiens.
Le peu d’écrits et de couverture médiatique en Tunisie sur le phénomène salafiste ont donné
l’impression que ce courant a été importé après le printemps arabe par des pays du Golfe
reconnus pour leur financement d’activités religieuses relevant de cette tendance, soit
l’Arabie saoudite et le Qatar. Le salafisme paraissait un intrus dans l’équation de la thawra
(révolution), particulièrement parce que le fer-de-lance de la révolution était représenté par
la jeunesse laïque17 et le syndicat de l’Union générale tunisienne des travailleurs18 (UGTT).
La répression de la liberté religieuse et le processus de sécularisation des institutions
publiques menées par Bourguiba et poursuivies par son successeur Ben Ali portaient à croire
12 RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Violences en Egypte: la fin de la transition démocratique? »,
Radio France Internationale - Afrique, [En ligne], 16 août 2013, http://www.rfi.fr/moyen-orient/20130816-
violences-egypte-fin-transition-democratique-mohamed-el-baradei, (Page consultée le 29 juin 2017). 13 Ximena SAMPSON, « 5 questions pour comprendre les violences en Libye », Radio-Canada, [En ligne], 1
août 2014, http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/678371/libye-affrontements-violence-milices-analyse-enjeux-
zahar, (Page consultée le 29 juin 2017). 14 Hélène SALLON, « Les défis de la transition politique au Yémen », Le Monde, [En ligne] 21 février 2012,
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/02/21/les-defis-de-la-transition-politique-au-
yemen_1646503_3218.html, (Page consultée le 29 juin 2017). 15 Lilia WESTLATY, « Attaque de l’ambassade américaine à Tunis : Quatre morts, zéro responsable », Nawaat,
[En ligne], 2012, http://nawaat.org/portail/2012/09/26/attaque-de-lambassade-us-a-tunis-quatre-morts-zero-
responsable (Page consultée le 28 juin 2017). 16 Corentin CHAUVEL, « «L’Innocence des musulmans» : le film qui n’existait pas », 20 minutes, [En ligne],
21 septembre 2012, http://www.20minutes.fr/monde/1008013-20120921-l-innocence-musulmans-film-existait
(Page consultée le 29 juin 2017).
17 Tarek KAHLAOUI, « The Powers of Social Media » dans Nouri GANA (sous la direction de), The Making
of the Tunisian Revolution. Contexts, Architects, Prospects, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2013, pp.
147‑158. 18 Sami ZEMNI, « From Socio-Economic Protest to National Revolt : The Labor Origins of the Tunisian
Revolution » dans Nouri GANA (dir.), The Making of the Tunisian Revolution. Contexts, Architects, Prospects,
Edinburgh, Edinburgh University Press, 2013, pp. 127‑146.
4
que la population tunisienne avait accepté la modernité telle que véhiculée et promue par
l’Occident et avait relégué la religion comme une simple pratique relevant de la tradition.
L’étude ethnographique d’Haugbølle19 persuade du contraire. Cette stratégie, synonyme de
mise sous tutelle des institutions religieuses20 ou d’étatisation de l’islam, a plutôt eu comme
conséquence une transformation et une adaptation de la pratique religieuse dans la sphère
privée21. L’islam demeure ainsi un élément fondamental et au cœur de l’identité de nombreux
Tunisiens.
Néanmoins, la littérature mentionne des éléments tunisiens dits « salafistes jihadistes » dès
les années 1980 et plus spécifiquement dans le cadre de la lutte contre l’envahisseur
soviétique en Afghanistan22 et de l’assassinat du Général afghan Massoud en 200123. Si
certains pourraient de prime abord pointer le fait que ce sont des Tunisiens de la diaspora qui
ont participé à ces manœuvres à l’étranger, il semble important de se remémorer les attentats
survenus sur le territoire tunisien : celui de la synagogue El Ghriba à Djerba en 200224 et
l’affaire de Grombalia et de Solimane en 2006-200725. Le milieu académique ne semble pas
s’intéresser à l’expansion du salafisme en Tunisie; le premier très court billet de blogue
produit par un universitaire date de 201126. Quoiqu’il en soit, la société tunisienne réalise
qu’elle contient en elle les germes insoupçonnés d’une tendance orthodoxe qui multiplie, aux
lendemains du printemps arabe, les manifestations publiques.
19 Rikke Hostrup HAUGBØLLE, « New Expressions of Islam in Tunisia : an Ethnographic Approach », The
Journal of North African Studies, 30 (3), 2015, pp. 319-335. 20 Malika ZEGHAL, « État et marché des biens religieux. Les voies égyptienne et tunisienne », Critique
internationale, 5 (1), 1999, pp. 75-95. 21 Rikke Hostrup HAUGBØLLE, op. cit., p. 321. 22 Hakim BEN HAMMOUDA, « Le choix des armes a-t-il un avenir en Tunisie (1) ? », Réalités, [En ligne], 24
janvier 2013, http://www.realites.com.tn/2013/01/un-autre-regard-le-choix-des-armes-a-t-il-un-avenir-en-
tunisie-1/, (Page consultée le 29 juin 2017). 23 Jean-Pierre STROOBANTS, « Vie et mort des assassins de Massoud », Le Monde, [En ligne], 19 avril 2005,
http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2005/04/19/vie-et-mort-des-assassins-de-massoud_640563_3208.html,
(Page consultée le 29 juin 2017). 24 ÉQUIPE DE PERSPECTIVES MONDE, « Attentat terroriste en Tunisie », Perspectives Monde, [En ligne],
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=922>, (Page consultée le 29 juin 2017). 25 Seif SOUDANI, « Tunisie. Un documentaire sur l’affaire de Soliman fait polémique », Le courrier de l’Atlas,
[En ligne], 9 mai 2012, http://www.lecourrierdelatlas.com/tunisie-un-documentaire-sur-l-affaire-de-soliman-
fait-polemique--2607, (Page consultée le 29 juin 2017). 26 Aaron Y. ZELIN, « The Rise of Salafists in Tunisia After the Fall of Ben Ali », Combating Terrorism Center,
[En ligne], 2011, https://ctc.usma.edu/posts/the-rise-of-salafists-in-tunisia-after-the-fall-of-ben-ali, (Page
consultée le 28 juin 2017).
5
L’expansion du salafisme en Tunisie paraît, au regard de la transition démocratique
enclenchée après la fuite de Ben Ali, un enjeu socio-politique très intéressant et important à
analyser. En effet, les idées véhiculées, de même que les actions posées, par le courant
salafistes semblent par nature antidémocratiques et antilibérales, alors qu’elles prennent
place dans un contexte de demandes généralisées de renforcement de la démocratie et des
droits et libertés27. Cette prise de position et les actions menées par ces acteurs ont influencé,
voire ont menacé, le processus transitionnel constitutionnel qui est de nature démocratique.
De plus, l’ancrage du salafisme semble bien prendre racine au sein d’une tranche défavorisée
et marginalisée de la population, à la fois dans des quartiers populaires des villes, mais aussi
dans les régions intérieures où les disparités économiques font rage28. Le salafisme attire plus
particulièrement les jeunes, paraissant ainsi leur offrir une « raison de vivre » et un moyen
respectable d’élever d’échelon social grâce à ce processus qualifié de « sheikh-ism » par
Cavatorta et Merone29. D’ailleurs, les élites tunisoises et la gauche laïque semblent perplexes
et étonnées face à ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur30, alors qu’elles sont
déjà désemparées par la victoire du parti islamiste Ennahda aux premières élections
démocratiques de la Tunisie. Ayant remporté 89 sièges sur les 217 mises en jeu à l’Assemblée
nationale constituante (ANC)31, Ennahda est devenu la première force politique dans le pays
et a formé un gouvernement de coalition, la Troïka, avec le Congrès pour la République
(CPR) et le Forum démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol), détenant
respectivement 29 et 20 sièges. Il s’agit dès lors de la première occasion pour des salafistes
27 Fabio MERONE et Francesco CAVATORTA, « The Rise of Salafism and the Future of Democratiation »
dans Nouri GANA (dir.), The Making of the Tunisian Revolution. Contexts, Architects, Prospects, Edinburgh,
Edinburgh University Press, 2013, p. 252. 28 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The Fight for Identity beyond Political Islam »,
British Journal of Middle Eastern Studies, 42 (1), 2015, pp. 74-87. 29 Fabio MERONE et Francesco CAVATORTA, « Salafist Movement and Sheikh-ism in the Tunisian
Democratic Transition », Middle East Law and Governance, 5 (3), 2013, pp. 308-330. 30 Zied KRICHEN, « Le mouvement Ennahda à l’épreuve du processus constituant, de la consécration de la
Charia à la liberté de conscience » dans La constitution tunisienne. Processus, principes et perspectives,
Programme des Nations unies pour le développement, 2016, 183‑198. 31 CARTER CENTER. Les élections de l’Assemblée constituante en Tunisie. Le 23 octobre 2011, Atlanta, [En
ligne], https://www.cartercenter.org/resources/pdfs/news/peace_publications/election_reports/tunisia-final-
oct2011-fr.pdf (Page consultée le 29 juin 2017).
6
d’interagir dans un environnement où les droits et libertés sont rétablis et où un parti
islamiste, en l’occurrence Ennahda, est au pouvoir.
Cette situation paraît d’autant plus extraordinaire qu’elle émerge dans une période de
transition où la principale mission de l’ANC consistait en la rédaction d’une nouvelle
constitution remplaçant celle promulguée le 1er juin 1959. Généralement, ce processus
constitutionnel demeure exclusivement entre les mains des représentants élus au sein d’une
assemblée constituante. Cependant, une certaine forme de participation citoyenne peut
survenir, par l’entremise d’un référendum populaire, une fois que le projet constitutionnel est
complété. En Tunisie, la société civile, incluant les salafistes, a été interpellée à plusieurs
reprises au cours de ce processus. Il est alors intéressant d’analyser si et comment la présence
salafiste a pu influencer l’élaboration de cette constitution.
Le présent mémoire tentera de faire la lumière sur cet enjeu. Il se décline en quatre chapitres.
Le premier chapitre présente les assises théoriques sur lesquelles repose la présente
recherche. La manière dont les chercheurs ont traité du processus de démocratisation au
prisme de la transitologie, discipline popularisée au cours de la fin du XXème siècle, sera
abordé en soulignant la pertinence de transposer les constats sur la négociation et le
compromis entre les acteurs significatifs dans le contexte de la transition démocratique
tunisienne. La question de recherche et les hypothèses sont ensuite formulées afin d’aboutir
à la présentation de la méthodologie employée en faisant la mention limites de la recherche.
Dans le deuxième chapitre, il est identifié les origines de ce courant et il est procédé à sa
définition à travers la production scientifique. Ce chapitre aborde aussi de manière générale
l’objectif de salafisation de l’État et de la société entretenu par les adhérents de ce courant et
la façon dont ils entendent y parvenir grâce à la méthode d’interprétation salafiste, le minhâj
salafî, et à une pratique guidée par trois concepts-clés, al-walâ wal-barâ (loyal et désaveu),
al-amr bil-ma’rûf wa al-nahî ‘an al-munkar (promouvoir la vertu et prévenir le vice) et le
takfîr (excommunication). La catégorisation traditionnelle des salafistes utilisée dans la
recherche y est également présentée.
7
Dans le troisième chapitre, il est expliqué que les salafistes ont voulu jouer un rôle dans le
processus transitionnel tunisien après avoir été libérés de prison ou de retour d’exil. Ils ont
employé à cet effet deux stratégies de salafisation. Il est analysé également le mouvement
salafiste tunisien postrévolutionnaire en mettant l’accent sur l’hétérogénéité des groupes, les
divergences quant à la reconnaissance juridique, l’emploi du label salafiste comme processus
de légitimation, l’absence de hiérarchie formelle, la mosquée comme lieu de rencontre et
l’adoption de programmes généraux et de l’absence de représentation politique. Enfin, il est
décortiqué les discours des salafistes tunisiens sur le plan des objectifs communs et des
stratégies divergentes. S’ils s’accordaient sur l’importance de la création d’un État et d’une
société islamiques en Tunisie qui débuterait par l’insertion de la charî’a (loi islamique) dans
la constitution tunisienne, s’alliant ainsi une clientèle sociale et politique ultra-conservatrice,
ils entretenaient quelques différends quant à la position à tenir par rapport au recours à la
violence, à l’emploi de la da’wa (prédication) et de l’implication politique.
Dans le dernier chapitre, il est traité des actions des salafistes dans le cadre du processus
constitutionnel tunisien. Il est souligné l’absence d’actions politiques structurantes des
salafistes tunisiens, bien qu’ils aient occupé la sphère publique notamment par une politique
de la rue grâce aux manifestations publiques, aux rassemblements politiques, et aux actions
sociales et religieuses qui ont été instrumentalisées à des fins politiques. Les salafistes ont
également tenté une timide intégration dans les instances participatives de l’Assemblée
nationale constituante et ont concentré leurs efforts de lobbying auprès d’Ennahda. Dans ce
chapitre, il est aussi analysé la distanciation entreprise par les salafistes après le refus
d’Ennahda d’inscrire la charî’a dans la nouvelle constitution et leur changement de ton et
d’actions. Finalement, l’influence exercée par les salafistes dans le processus de rédaction
de la nouvelle constitution tunisienne est expliquée.
8
CHAPITRE 1 - PRÉSENTATION DU PROJET DE RECHERCHE
Le présent chapitre pose les jalons théoriques du projet de recherche qui permettront au
lecteur de se familiariser avec la façon dont les chercheurs en science politique ont abordé le
sujet du processus démocratique au cours du XXème siècle. Si les études ont permis de
constater l’importance cruciale de la négociation entre les factions les plus significatives au
sein d’une société pour assurer la réussite d’une transition démocratique, elles ont négligé de
transposer les constats qui ont émergé dans la zone du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord
(MENA). La présente recherche se distingue par sa pertinence à appliquer ces grilles
d’analyse au contexte tunisien au lendemain de la révolution du jasmin. La particularité de
la concentration de la recherche sur les acteurs salafistes tunisiens sera explicitée, de même
que la question de recherche et l’hypothèse suivie seront formulées. Le chapitre se conclura
par la description de la méthodologie employée et la mention des limites de la recherche.
La transitologie et le « printemps arabe », une conciliation possible ?
Le long processus de démocratisation mené au cours des XIXème et XXème siècles à travers
de nombreux continents, a suscité beaucoup d’intérêt de la part de chercheurs et d’analystes
politiques. Le processus de démocratisation est généralement dépeint en trois vagues
successives illustrées par Samuel Huntington32. La première s’étend de 1828 à 1926 et touche
principalement l’Europe occidentale, les États-Unis, le Canada et l’Australie. La deuxième
vise encore une fois l’Europe, certains pays d’Asie et d’autres issus de la décolonisation au
cours de 1943 à 1962. Le dernier volet prend place de 1974 à la fin des années 90 ou début
des années 2000 et concerne le Portugal, l’Espagne, la Grèce, l’Amérique latine et certains
pays d’Afrique. À travers ces trois vagues, la seconde moitié du XXème siècle, période forte
de la décolonisation et de l’émergence du droit des peuples à l’autodétermination, s’est
présentée comme la période de l’accélération de la démocratisation. L’expansion du modèle
32 Samuel P. HUNTINGTON, The Third Wave : Democratization in the Late Twentieth Century, Norman,
University of Oklahoma Press, 1991, 366 p.
9
démocratique libérale par le choix d’un régime démocratique lors de l’accès à l’indépendance
ou par le passage de régimes autoritaires à des régimes démocratiques a été l’objet de
l’analyse de Fukuyama qui estimait que la voie vers la démocratisation s’effectuait de façon
linéaire et devrait représenter un aboutissement inévitable33.
Cependant, cette théorie n’est pas partagée par l’ensemble des chercheurs. Comme cela sera
vu ci-dessous, ces derniers mettent plutôt l’accent sur la nécessité de la présence de certains
paramètres qui favorisent la négociation et le compromis. Ces chercheurs essaient de
comprendre comment se définit et se structure le passage de régimes autoritaires à des
régimes démocratiques. Ils donnent ainsi essor à la « transitologie », l’étude des transitions,
qui devient un thème incontournable de la science politique plus particulièrement au courant
des années 1990.
Les chercheurs estiment que des paramètres viennent structurer le chemin vers un régime
démocratique. Ils tentent donc de comprendre les causes initiant un tel processus et les
facteurs internes et externes qui facilitent ou qui entravent une telle transition. Ils
s’interrogent sur les événements qui ont amené les élites au pouvoir à entériner un
changement qui met en péril leurs acquis notamment économiques et politiques. Les auteurs
tels qu’O’Donnell et Schmitter, deux pionniers des théories de la démocratisation, attribuent
ce choix à la théorie de l’agent selon laquelle les acteurs, dotés d’une raison pratique,
prennent des décisions raisonnables qui représentent les meilleurs choix possibles au regard
des circonstances qui les entourent, le tout dans une perspective de dialectique entre les
dirigeants en faveur du statu quo, les duros, et les opposants qui désirent un changement de
préférence démocratique, les blandos34.
L’ensemble des auteurs semble être en accord avec l’idée avancée par O’Donnell et Schmitter
selon laquelle ces transitions sont initiées par une crise de légitimité du régime autoritaire.
Cette crise, relevant essentiellement d’un conflit, nécessite que les duros réévaluent la
33 Francis FUKUYAMA, Francis, La fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, Paris, 1992, 452 p. 34 Guillermo A. O’DONNELL, « Democracy, Law, and Comparative Politics », Studies in Comparative
International Development, 36 (1), 2001, pp. 7-36.
10
situation politique au regard de l’importance économique, politique et sociale des blandos35.
Selon Haggard et Kaufman, un tel conflit peut notamment survenir lors de problèmes d’ordre
économique qui dégradent les conditions de vie des citoyens, créant dès lors une situation
propice à la gronde sociale. Ils précisent d’ailleurs que l’apogée de ces crises de légitimité
survient généralement lors d’une crise économique36.
Comment les duros négocient-ils avec les blandos ? En poursuivant la logique de l’acteur
rationnel avancée par O’Donnell, les duros effectuent conséquemment un calcul des coûts et
bénéfices de différents paramètres. Haggard et Kaufman37 identifient les considérations
économiques qui influenceraient la prise de décision des dirigeants. Selon eux, plus grande
est la disparité dans la redistribution de la richesse nationale dans la société, plus les élites au
pouvoir craignent la transition vers la démocratie qui mettrait en péril leur emprise
économique. Cela a pour effet que les incitatifs à réprimer les contestataires sont plus élevés
que ceux à négocier38. Pour Pusić, ce sont les considérations d’ordre politique qui priment
sur la décision d’entreprendre une transition vers des élections démocratiques, libres,
transparentes et pluralistes. La démocratie, motivée par l’incertitude de l’accès au pouvoir,
représente la meilleure issue à la fois pour les duros, dont la légitimité au pouvoir est
vacillante, et les blandos39. Cette incertitude et cette insécurité du pouvoir devraient créer un
espace pour les libertés individuelles et civiles, permettant à tous de se concurrencer
ouvertement et d’avoir une garantie provisoire de détenir le pouvoir pour une période
limitée40. La réussite d’une transition n’est donc possible, selon Rustow, que dans les pays
où prévalent des conditions favorables à la conclusion d'un pacte politique entre les duros et
35 Guillermo A. O’DONNELL et Philippe C. SCHMITTER, Transitions from Authoritarian Rule. Tentative
Conclusions About Uncertain Democracies, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986, 190 p. 36 Stephan HAGGARD et Robert R. KAUFMAN., Political Economy of Democratic Transitions, Princeton,
Princeton University Press, 1995, 391 p. 37 Stephan HAGGARD et Robert R. KAUFMAN, « Inequality and Regime Change : Democratic Transitions
and the Stability of Democratic Rule », American Political Science Review, 106 (3), 2012, pp. 495-516. 38 Ibid., p. 495. 39 Vesna PUSIĆ, « La dictature à légitimité démocratique. Démocratie ou nation? », Cahiers internationaux
de sociologie, Les sociétés post-totalitaires, Tome 1 : Paradoxes de la transition, 95, 1993, pp. 369–388. 40 Ibid., p. 376.
11
les blandos41, à savoir une certaine forme de balance des pouvoirs à l’image de la théorie sur
la polyarchie de Dahl42.
Les études précitées négligent, dans le choix de leurs études de cas, la zone du MENA. Cette
négligence s’expliquerait par le fait que les régimes de l’époque avaient échoué sur les rives
de l’autoritarisme. Huntington et Lewis justifient cette mise au rancart par le fait que l’islam,
par nature, serait incompatible avec l’esprit de la démocratie libérale, les valeurs islamiques
entrant en conflit direct avec celles des droits et libertés individuels43. Cette prise de position
de l’exception arabe, qualifiée de néo-orientalisme, est vivement décriée par Khalidi44. En
accordant une place prépondérante à la question religieuse, spécifiquement islamique, la
région du MENA n’est pas évaluée selon des paramètres similaires à ceux employés pour les
autres régions. S’ensuivent dès lors des débats et une remise en question de
l’exceptionnalisme arabe45.
Pourtant, les récents soulèvements du printemps arabe ont ravivé l’intérêt des chercheurs
pour la transitologie, bien que certains affirment que ce paradigme n’est plus d’actualité. Le
modèle employé devrait plutôt être celui de la résilience autoritaire ou upgraded
authoritarism de Valbjørn et Bank46, car si les régimes ont semblé s’ouvrir à la démocratie
en favorisant par exemple l’essor d’organisations non-gouvernementales (ONG), ces simili
ouvertures ont plutôt renforcé le pouvoir autoritaire entre autres par la cooptation de ces ONG
par les gouvernements (government-organized non-governmental organization). Ce concept,
répandu au cours des années 2000, inverse donc l’analyse. Il s’agit d’observer plutôt les
41 Dankwart A. RUSTOW, « Transitions to Democracy : Toward a Dynamic Model », Comparative Politics, 2
(3), 1970, pp. 337-363. 42 Robert Alan DAHL, Polyarchy : Participation and Opposition, New Haven, Yale University Press, 1971,
257 p. 43 Samuel P. HUNTINGTON, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2000, 545 p. 44 Rashid KHALIDI, « Is There a Future for Middle East Studies? », Middle East Studies Association Bulletin,
29 (1), 1995, pp. 1-6. 45 Simon BROMLEY, « Middle East Exceptionalism : Myth or Reality » dans Democratization, David
POTTER et Open University (édité par), Democracy from classical times to the present, Cambridge, Blackwell
Publishers, 2000. 46 Morten VALBJØRN et André BANK, « Examining the ‘Post’ in Post-Democratization : The Future of
Middle Eastern Political Rule through Lenses of the Past », Middle East Critique, 19 (3), 2012, pp. 183-200.
12
mécanismes sous-jacents au régime autoritaire qui permettent sa survie47. Le pouvoir
autoritaire est alors reconfiguré au lieu d’être libéralisé, ce qui n’exclut pas toutefois la
possibilité du réveil de la société civile48. Le printemps arabe constitue une ouverture de
régimes autoritaires à la démocratie qui a mené certains États comme l’Égypte vers un retour
à l’autoritarisme, alors que d’autres comme la Tunisie se sont démocratisés. Cavatorta et
Pace49 soulignent qu’il serait absurde en réalité d’observer ces soulèvements populaires à
travers la lentille exclusive des deux principaux paradigmes, à savoir le modèle de
démocratisation et de transition représenté principalement par O’Donnell et Schmitter50 et le
modèle de la résilience autoritaire de Valbjørn et Bank51. Ils avancent qu’il est préférable de
considérer un entre-deux plutôt que de se limiter à une interprétation rigoriste et exclusive de
ces deux paradigmes.
Quoiqu’il en soit, au moins un auteur, Hinnebusch, a cherché à appliquer les théories
développées dans le cadre de la transitologie en analysant la manière dont les élites au
pouvoir ont réagi face aux manifestations monstres que leur État rencontrait durant le
printemps arabe. Il compare les situations évolutives et distinctes de l’Égypte, de la Syrie et
de la Tunisie en observant les différents acteurs impliqués dans ce processus. Il étudie les
différentes variables qui ont eu un impact sur les négociations et il en vient à la conclusion
que les États présentaient des caractéristiques qui les destinaient à trois issues possibles :
l’État failli (Syrie), le régime hybride (Égypte) ou la polyarchie (Tunisie)52.
D’autres auteurs se sont penchés sur l’aspect religieux des acteurs parmi lesquels se
retrouvent des islamistes. Ils soulignent qu’une polarisation a été créée entre les vainqueurs
islamistes des élections, notamment en Égypte et en Tunisie, et l’opposition essentiellement
47 Michelle PACE et Francesco CAVATORTA, « The Arab Uprisings in Theoretical Perspective – An
Introduction », Mediterranean Politics, 17 (2), 2012, p. 127. 48 Ibid., p. 128. 49 Id., « The Arab Uprisings in Theoretical Perspective – An Introduction », Mediterranean Politics, 17 (2),
2012, pp. 125-138. 50 , Guillermo A. O’DONNEL. et Philippe C. SCHMITTER, Transitions from Authoritarian Rule. Tentative
Conclusions About Uncertain Democracies, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986, 190 p. 51 Morten VALBJØRN et André BANK, op. cit. 52 Raymond HINNEBUSCH, « Conclusion : Agency, Context and Emergent Post-Uprising Regimes »,
Democratization, 2015, pp. 1‑17.
13
laïque. La question de la coexistence entre la démocratie et la religion a été abordée dans
l’article de Stepan sur les « twin tolerations » : les deux domaines doivent être relativement
différenciés et indépendants l’un de l’autre pour pouvoir coexister53. Stepan et Linz
approfondissent cette théorie en comparant la situation de l’Égypte et de la Tunisie. Selon
eux, la question de l’identité et de la religion représentait un obstacle pour conduire à un
consensus entre les élites islamistes et celles laïques. Le cas de la Tunisie se révélerait comme
une réussite parce que la démocratie était une demande partagée à la fois par les islamistes
nahdaouis et par les partis laïcs qui ont maintenu un dialogue entre autres grâce au pacte du
18 octobre 200554. De nombreux articles ont plus particulièrement traité d’Ennahda et de son
processus de modération au cours de la transition tunisienne. Par exemple, Guazzone s’est
intéressée spécifiquement à ce processus de modération et son comportement pragmatique
en ayant formé le gouvernement55. Haugbølle et Cavatorta se sont concentrés sur les
transformations internes du parti islamiste, s’adaptant au contexte dynamique de la transition
tunisienne56. Les impacts de la recherche du consensus sur les valeurs islamiques promues
par Ennahda a fait l’objet d’études de Bedig57.
Quant à la société civile, représentée par diverses associations professionnelles, syndicales
et militantes pour les droits humains, et aux partis politiques laïcs formant l’opposition,
Stepan et Linz soulignent qu’ils n’ont cessé de se développer et de réagir aux actions du
53 Alfred C. STEPAN, « Religion, Democracy, and the “Twin Tolerations” », Journal of Democracy, 11 (4),
2000, pp. 37-57. 54 Le Pacte du 18 octobre 2005 représentait l’alliance entre les laïcs et les islamistes contre le pouvoir répressif
de Ben Ali. Ils ont exigé ensemble le rétablissement de droits et libertés individuels, notamment la liberté
d’expression et d’association. Synda TAJINE, « Pacte du 18-Octobre : la hache de guerre déterrée entre
islamistes et laïcs », Businessnews, [En ligne], 17 octobre 2013, http://www.businessnews.com.tn/pacte-du-18-
octobre--la-hae-de-guerre-deterree-entre-islamistes-et-laics,519,41569,3 (Page consultée le 21 décembre
2017); Frida DAHMANI, « Tunisie : le Mouvement du 18 octobre 2005, 10 ans après », Jeune Afrique, [En
ligne], 27 octobre 2015, http://www.jeuneafrique.com/274962/politique/tunisie-le-mouvement-du-18-octobre-
2005-10-ans-apres (Page consultée le 24 septembre 2017). 55 Laura GUAZZONE, « Ennahda Islamists and the Test of Government in Tunisia », The International
Spectator : Italian Journal of International Affairs, 48 (4), 2013, pp. 30-50. 56 , Rikke Hostrup HAUGBØLLE et Francesco CAVATORTA, « Beyond Ghannouchi : Islamism and Social
Change in Tunisia », Middle East Report, 262, 2012, p. 20-25. 57 Alysha BEDIG, « Ennahda’s Split Personality : Identity Crises in Tunisian Politics », The Fletcher Forum of
World Affairs, 36 (2), 2012, pp. 117-119.
14
gouvernement d’Ennahda58, ce qui expliquerait en majeure partie sa capacité réactionnelle à
l’encontre des forces jugées ultraconservatrices tels que les salafistes.
L’un des éléments majeurs survenant lors d’une transition démocratique est la révision ou
l’élaboration d’une nouvelle constitution, document-clé qui régule le fonctionnement des
institutions de base de l’État et qui revêt un caractère supra-législatif. Le processus de
rédaction, connu sous le terme de constitution-making, en tant qu’objet d’études a été négligé
dans le cadre de la transitologie59. L’importance de ce document fait en sorte que tous les
acteurs de la société devraient avoir un intérêt marqué à participer, d’une manière ou d’une
autre, au processus d’élaboration. La participation citoyenne et l’inclusion sont deux
caractéristiques qui colorent le constitution-making d’aujourd’hui60 parce qu’il ne demeure
pas une exclusivité des constituants. Cet engouement entraîne forcément une confrontation
des intérêts qui divergent parmi l’ensemble des acteurs impliqués.
Les auteurs sur le constitution-making abondent dans le sens de la théorie de l’acteur
rationnel qui cherche à maximiser ses intérêts dans une perspective de redistribution et de
balance des pouvoirs entre les factions de duros et de blandos61. Ces intérêts doivent faire
l’objet d’un marchandage et de compromis pour qu’un consensus permette l’adoption de la
constitution62 et que ces intérêts soient intégrés dans la constitution pour assurer sa stabilité63.
Wandan ajoute sur ce point que les constituants sont tout aussi sensibles aux demandes
populaires que les politiciens lors de mandats normaux64.
58 Alfred C. STEPAN et Juan J. LINZ, « Democratization Theory and the “« Arab Spring »” », Journal of
Democracy, 24 (2), 2013, p. 23. 59 David LANDAU, « The Importance of Constitution-Making », Denver University Law Review, 89 (3), 2012,
p. 612. 60 Cheryl SAUNDERS, « Constitution-Making in the 21st Century », International Review of Law, 4, 2012, p.
3. 61 Solongo WANDAN, « Nothing Out of the Ordinary : Constitution Making as Representative Politics »,
Constellations, 22 (1), 2015, pp. 44-58. 62 Jon ELSTER, « Forces and Mechanisms in the Constitution-Making Process », Duke Law Journal, 45(2),
1995, pp. 388-389. 63 BROWN, Nathan J. « Reason, Interest, Rationality, and Passion in Constitution Drafting », Perspectives on
Politics, 6 (4), 2008, p. 676. 64 Solongo WANDAN, op. cit., p. 49.
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Le relatif intérêt suscité par le constitution-making dans le cadre du printemps arabe a permis
la publication de quelques articles scientifiques. Parolin s’est penchée sur les feuilles de route
établies lors des transitions en Égypte et en Tunisie. Sa recherche s’inspire des travaux menés
par Elster65 sur les forces et les mécanismes impliqués dans le processus de rédaction de
constitution et leurs impacts, ainsi que des travaux de Madison66 sur les compromis s’opérant
entre les différentes factions en présence : la théorie du Big Bang représente le point de
friction entre les factions de Madison et les intérêts d’Elster67. Selon Parolin, ce moment
crucial survient lors du choix d’une carte de route68. C’est à ce moment précis que le rôle
attribué à chaque protagoniste est décidé, de même que la détermination d’un nouveau
gouvernement69. Néanmoins, la recherche de Parolin se limite à n’observer que les positions
de force des principales figures politiques au regard de la détermination du parcours à
effectuer jusqu’à l’adoption d’une nouvelle constitution. La feuille de route ne détermine pas
les façons dont seront traités les intérêts des différents acteurs, par exemple les anciens
membres du Rassemblement démocratique constitutionnel (RCD), d’Ennahda, des partis
d’opposition, mais surtout des salafistes, ni les gains et les pertes de chacun70.
Merone, pour sa part, s’est intéressé aux compromis entre l’ancien et le nouveau régime, en
l’occurrence les islamistes, en soulignant que la confrontation va beaucoup plus loin qu’un
simple conflit idéologique. Selon lui, elle représenterait bel est bien une lutte entre la classe
moyenne, libérale, et la classe défavorisée, islamiste et ce, depuis les années 198071.
Traditionnellement, les islamistes représentaient la classe sociale défavorisée, mais Merone
avance qu’Ennahda représenterait aujourd’hui essentiellement la classe moyenne plus
sensible à l’idéologie islamiste et que le parti islamiste serait ainsi plus enclin à faire des
compromis et à accepter une certaine continuité avec le passé pour bénéficier de l’inclusion
65 Jon ELSTER, op. cit. 66 James MADISON, « The Federalist », Daily Advertiser, [En ligne], 1787,
https://archive.csac.history.wisc.edu/Publius_10.pdf (Page consultée le 21 avril 2018). 67 PAROLIN, Gianluca P., « Constitutions Against Revolutions : Political Participation in North Africa »,
British Journal of Middle Eastern Studies, 42 (1), 2015, p. 32. 68 Ibid., p. 33. 69 Ibid., p. 35. 70 Ibid., pp. 43-44. 71 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisian : The Fight for Identity beyond Political Islam », op.
cit., p. 75.
16
de la sphère politique au lieu de jouer le jeu de l’exclusion72. Ainsi, la classe sociale
défavorisée se retrouverait sous-représentée et s’orienterait davantage vers des groupes
salafistes tels qu’Ansâr al-Charî’a en Tunisie (AST), véritable mouvement social travaillant
à la mobilisation des laissés-pour-compte pour un changement profondément radical73.
Sami Zemni a étudié la polarisation de la société entre les personnes laïques et religieuses,
présente dès la création de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE) et
au sein de l’Assemblée nationale constituante (ANC), et a abordé l’impact d’une telle
polarisation sur la constitution. Il mentionne que la frange salafiste était sous-représentée au
sein de l’ANC et que les politiques institutionnelles étaient régulièrement défiées par
différents types de mobilisation. Ces manifestations présentaient une occasion pour divers
courants sociétaux, qui étaient connectés de manière marginale à l’arène politique formelle,
de faire part de leurs demandes constitutionnelles74.
En définitive, les recherches exposées ci-dessus sont pertinentes comme assises pour le
travail proposé, mais elles n’ont pas le même objectif. D’une part, peu de chercheurs se sont
intéressés aux salafistes tunisiens, bien que certains articles aient été publiés pendant et après
la période transitionnelle. Ces articles traitent des salafistes en essayant de comprendre leur
attrait et leur institutionnalisation, alors qu’ils sont qualifiés de marginaux75, leurs impacts
sociaux76, la radicalisation et l’essor du jihadisme77 et se concentrent bien souvent sur un
seul groupe social salafiste, soit d’Ansâr Al-Charî’a en Tunisie (AST)78. D’autre part, la
tangente des articles touchant à la transition politique tunisienne se concentre sur l’évolution
72 Ibid., p. 76. 73 Loc. cit. 74 Sami ZEMNI, « The Extraordinary Politics of the Tunisian Revolution : The Process of Constitution
Making », Mediterranean Politics, 20 (1), 2014, p. 3. 75 Fabio MERONE et Francesco CAVATORTA, « Salafist Movement and Sheikh-ism in the Tunisian
Democratic Transition », op. cit. 76 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The Fight for Identity beyond Political Islam », op.
cit. 77 Stefano M. TORELLI, « Radicalisation and Jihadist Threat in Tunisia : Internal Root Causes, External
Connections and Possible Responses », Barcelone, European Institute of the Mediterranean, 2017, pp. 109-127. 78 Alaya ALLANI, « Mouvements religieux radicaux pendant la transition. L’exemple d’Ansar Al-Charia en
Tunisie : naissance et expansion. Perspectives 2011-2014 » dans La constitution tunisienne. Processus,
perspectives et principes, Programme des Nations unies pour le développement, 2016, pp. 211-231.
17
et l’efficacité de l’action gouvernementale d’Ennahda79. Parolin s’est intéressée au processus
de constitutionnalisation via la détermination d’une feuille de route et les subséquentes
stratégies menées par les différents acteurs pour obtenir un avantage sur leurs adversaires sur
cette détermination80. La recherche de Merone est très intéressante, mais elle ne se concentre
uniquement que sur l’institutionnalisation de ce groupe salafiste, afin de comprendre son
modus operandi. Elle ne traite pas à proprement parler de l’influence que les salafistes ont
eu ni sur le processus constitutionnel par l’entremise des négociations ni sur la mouture finale
de la nouvelle constitution tunisienne. Par ailleurs, quelques auteurs traitant du processus
constitutionnel ont discuté de la question de la charî’a en mentionnant la présence sociale
des salafistes81, mais aucun article n’a abordé directement la question de l’influence des
salafistes dans le cadre de la rédaction de la constitution tunisienne.
Le travail de Zemni constitue le point de départ de la présente recherche qui vise à
comprendre comment ces acteurs sous-représentés politiquement, qui ne cachent pas leur
grande réticence à l’égard de ce qui est en train de se développer, ont influencé,
essentiellement en dehors des institutions établies, le processus et les négociations autour de
la nouvelle constitution dans le cadre de la transition d’un régime autoritaire vers un régime
démocratique.
Le projet de recherche : problématique et hypothèses
L’esprit de cette recherche dépasse les débats entourant la compatibilité entre l’islam et la
démocratie82. Elle ne se concentre pas non plus comme d’autres recherches à déterminer si
le modus operandi du mouvement nahdaoui est conforme à l’esprit démocratique ou s’il ne
s’agit que d’une instrumentalisation du mécanisme démocratique en vue de mener à bien un
agenda caché. Elle n’essaie pas non plus de comprendre le degré d’acceptation des islamistes
79 Laura Guazzone, op. cit. 80 Gianluca P. PAROLIN, op. cit. 81 Zied KRICHEN, op. cit. et Sami ZEMNI, « The Extraordinary Politics of the Tunisian Revolution : The
Process of Constitution Making », op. cit. 82 Samuel P. HUNTINGTON, Le choc des civilisations, op. cit.
18
par les autres partis politiques ni de tenter d’éclaircir la dynamique interne des partis
islamistes et leurs réactions à l’égard de leurs adversaires politiques ou encore moins
d’expliquer les causes de l’essor du salafisme en Tunisie.
Ce projet de recherche veut apporter un éclairage nouveau sur le phénomène du salafisme et
son implication au cœur du processus de constitution-making dans le cadre de la transition
tunisienne. En effet, aucune recherche n’a été menée sur l’objet précis traité dans ce mémoire.
Bien que la recherche se trouve limitée par l’absence d’entrevues auprès des salafistes et du
manque de sources primaires et secondaires, elle tente d’apporter des éléments de réponse
quant à l’influence indirecte des salafistes dans le processus de rédaction de la nouvelle
constitution tunisienne.
Au regard de ce qui a déjà été dit, il paraît donc pertinent de se pencher sur la question du
constitution-making dans le cadre de la transition tunisienne. La présente recherche transpose
en partie les constats de Zemni sur les travaux menés par Giuseppe Di Palma dans son
ouvrage To Craft Democracies83. Di Palma s’intéresse aux régimes autoritaires qui vivent
des bouleversements internes dus à une crise de légitimité qui entraîne une période transitoire
pouvant éventuellement mener à un régime démocratique. Son modèle théorique et ses
scénarios hypothétiques prolongent les idées des auteurs précités, à savoir que les transitions
représentent des périodes de négociation entre les factions de duros et de blandos dont les
actions des membres poussent vers la maximisation de leurs intérêts. Di Palma se concentre
plus précisément sur la sphère politique en avançant que les négociations ont pour objectif
de créer des règles institutionnelles qui devraient garantir la coexistence de ces diverses
factions et d’assurer leur participation et leur implication politiques futures. Ces règles
servant de garantie, qualifiées d’ailleurs de « garantismo », doivent rompre avec le passé
pour éviter une continuité des pratiques, le « continuismo ». Ainsi, le choix vers un régime
démocratique est motivé par ces règles de garantismo qui provoqueraient une incertitude des
résultats électoraux par rapport à l’accès aux pouvoirs exécutif et législatif84.
83 Giuseppe DI PALMA, To Craft Democracies ?, Berkeley & Los Angeles, University of California Press,
1990, 248 p. 84 Ibid., pp. 44-45.
19
Ce choix relève donc d’un calcul stratégique des coûts et des bénéfices d’une coexistence
entre les différents groupes politiques. Pour reprendre les propos de Di Palma, « consenting
to lose is a condition for winning [and] the costs of toleration are lower than those of
suppression85 ». De telles règles doivent cependant faire consensus parmi la classe politique
qui représente, du moins théoriquement, les intérêts de ses électeurs. Mais quels sont ces
intérêts qui nécessitent d’être pris en compte et d’être intégrés lors de cette transition ?
Puisque le succès de la transition repose sur une entente collective, Di Palma avance qu’il est
nécessaire que les intérêts de tous les acteurs significatifs soient pris en compte lors de
l’élaboration de cet accord. Il va sans dire que si des membres de la société considèrent que
leurs propres intérêts vitaux sont perçus par le reste de la société comme minoritaires, ils
auraient tout à gagner d’investir le champ politique pour les défendre86. Cependant, ce ne
sont pas tous ces individus qui sont considérés en tant qu’acteurs significatifs. Par
raisonnement inverse, il faut s’assurer qu’aucun acteur n’ait la possibilité de mettre en péril
cet accord, ce qui signifie qu’aucun acteur significatif ne doit être exclu87. Advenant un tel
cas, les parties prenantes de l’entente doivent trouver un moyen de les coopter, afin d’éviter
de faire capoter la transition. Di Palma nuance par la suite que la conclusion d’un tel accord
ne nécessite pas le partage de motivations similaires, de la part de l’ensemble des parties
prenantes, à l’égard de la construction d’un régime démocratique. Elles doivent cependant
adhérer au processus démocratique et aux règles de garantismo, afin que leurs
comportements soient modifiés en conséquence et favorisent leur coexistence88. Une
transition se conclurait donc soit par une négociation entraînant la formation de larges
alliances entre groupes idéologiques divergents, sous la condition de l’exclusion des
mouvements et des acteurs se situant à l’extrême des pôles politiques du processus, soit par
un retour à un régime autoritaire.
85 Ibid., p. 55. 86 Ibid., p. 46. 87 Ibid., p. 111. 88 Loc. cit.
20
La question de recherche s’intéresse alors à l’articulation entre le processus de rédaction de
la constitution tunisienne, événement phare de la période transitionnelle, et l’essor du
mouvement salafiste. Elle se pose ainsi : « les salafistes tunisiens, de par leur idéologie qui
ne privilégie que la légitimité de leurs propres revendications et de par leurs actions qui ne
favorisent pas la négociation, le compromis et la coexistence de différentes factions
sociétales, ont-ils influencé le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne,
et si oui, de quelle(s) manière(s) et quels ont été les impacts ? ».
La première hypothèse suivie consiste à avancer l’argument selon lequel les salafistes
tunisiens ont influencé le processus constitutionnel, mais n’ont pas influencé le contenu de
la constitution. Les salafistes ont remis sur la table la question de la charî’a dans les débats
constitutionnels et plus particulièrement dans les discussions internes du parti Ennahda grâce
à des formes de mobilisation para-institutionnelle.
La deuxième hypothèse suivie repose sur le fait que ces formes de mobilisation n’ont
cependant pas eu l’effet escompté, soit d’inscrire la charî’a dans la nouvelle constitution
adoptée. En réalité, le contexte socio-politique a plutôt favorisé l’exclusion des salafistes à
cause de leurs discours qui discréditaient les autres factions sociétales et politiques et de leurs
actions qui ne favorisaient pas la négociation, le compromis et la coexistence avec ces
factions. Les salafistes, comme groupe social particulier qui attire les franges populaires de
la société, véhiculent une idéologie religieuse entraînant des impacts politiques et sociaux
qui les distingue de la majorité des Tunisiens. Dans le cadre du processus de
constitutionnalisation, cette idéologie a fait place à des demandes identitaires qui les ont
catégorisés comme un mouvement extrémiste, ce qui les a situés à l’un des extrêmes du
spectre politique et a entraîné leur marginalisation.
Bien qu’ils ne constituent pas un corps élu au sein de l’ANC, les salafistes, en tant que
membres de la société civile à intérêt spécifique, ont tenté d’influencer les députés et plus
précisément ceux d’Ennahda. Les députés constituants islamistes sont demeurés sensibles
aux demandes des électeurs dont faisaient partie les salafistes. De pair à cette situation
21
politique, sociale et religieuse, le vainqueur des élections, le parti d’Ennahda, a formé une
coalition avec le CPR et Ettakatol. Cette coalition lui a permis d’obtenir une majorité de
sièges à l’ANC pour pouvoir entre autres adopter des projets législatifs et former le
gouvernement. Cette large alliance avec des partis a priori laïcs a nécessité des négociations
constantes entre ces trois partenaires. Faut-il ajouter à cela la volonté des constituants
d’adopter la nouvelle constitution au deux tiers afin d’éviter le référendum populaire à tenir
si l’ANC n’obtenait qu’une simple majorité en faveur lors du vote sur l’adoption de la
constitution.
La dernière hypothèse est que par ailleurs, si Ennahda entretenait certains objectifs communs
avec les salafistes, ses deux partenaires politiques ne se retrouvaient pas dans une situation
similaire, bien au contraire. Les salafistes, par leurs discours et leurs actions, empêchaient
l’atteinte d’un compromis démocratique entre ces partis politiques et représentaient une
menace pour les règles de garantismo qu’ils étaient en train de négocier. Ils exacerbaient la
polarisation entre « islamistes » et « non-islamistes » et menaçaient la coexistence des deux
camps. Leurs intérêts paraissaient ainsi ne pas faire partie d’un consensus possible entre les
factions les plus importantes qui ne considéraient pas les salafistes comme des acteurs
significatifs au sein de la société tunisienne. Ils ont été dès lors exclus du jeu démocratique,
à la fois des débats et du processus. La mise au rancart de leurs intérêts a été l’un des coûts à
assumer pour Ennahda, afin d’assurer l’adoption de la nouvelle constitution tunisienne et la
réussite de la transition démocratique.
La méthodologie employée
Le projet de recherche repose sur une analyse qualitative. Ce type de recherche a été
privilégiée au regard de la nature du phénomène observé et de la volonté de fournir des
explications détaillées dans un souci d’approfondir les connaissances sur l’influence des
salafistes pendant le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne. Il paraît
dès lors impossible d’analyser la manière dont les salafistes ont tenté d’influencer le
processus constitutionnel en mettant de l’avant leurs demandes identitaires dans une analyse
22
quantitative. En effet, le recours à des statistiques ou à des corrélations semble inapproprié
en raison de la nature des variables étudiées, impossibles à quantifier, et les pistes de
recherche explorées dans le cadre ce projet.
Premièrement, des documents écrits et audio-visuels ont été analysés. Les sources
documentaires primaires, essentiellement rédigées en anglais et en français, ont été
employées pour recueillir des données à analyser. Les sources documentaires primaires sont
principalement constituées d’articles parus dans les journaux tunisiens ou internationaux
disponibles en ligne. Parmi les journaux numériques tunisiens se retrouvent Businessnews,
Tunisie Numérique, Express FM, Leaders et Mosaïque FM. Ils ont été spécifiquement choisis
parce qu’ils publient quotidiennement de nombreux articles sur l’actualité tunisienne. Il a
cependant fallu adopter une posture réflexive en recourant à de tels articles, puisque les
journalistes, s’inscrivant majoritairement dans le courant laïc, y apportaient souvent des
analyses très subjectives sur les événements couverts. Cette posture est jusqu’à un certain
point compréhensive puisqu’ils font partie de la société tunisienne, qu’ils se sentent
concernés et impliqués dans les situations qui surviennent et qu’ils ont parfois subi des
attaques de la part de salafistes.
Quant aux journaux internationaux, il s’agit du HuffingtonPost, Jeune Afrique, Radio-
Canada, Le Monde et Radio France Internationale parce qu’ils fournissent en continu de
l’information sur les événements marquants, particulièrement dans le cadre de la transition
en Tunisie. Ces journaux semblent également constituer des sources d’informations plus
objectives parce que les auteurs des articles ne sont pas personnellement ou
émotionnellement engagés dans la transition tunisienne et semblent y présenter les faits sans
nécessairement faire part de leur propre analyse des faits. . Cependant peu de journalistes se
sont intéressés aux actions politiques menées par les salafistes et ont plutôt couvert de
manière disproportionnée les actions violentes imputées à ces acteurs. L’ensemble de ces
articles ont néanmoins permis de situer avec certitude certains événements impliquant les
salafistes grâce notamment au croisement des sources. Les articles de ces journaux ont été
sélectionnés de manière aléatoire grâce aux résultats du moteur de recherche Google et au
23
moteur de recherche de chaque journal en employant une liste de mots-clés établie lors de la
lecture de sources secondaires.
Parallèlement à ces articles, deux rapports d’institutions spécialisées ont également été
utilisés. Il s’agit du rapport spécial du International Crisis Group « Tunisie : violences et défi
salafiste89 » qui constitue le premier travail de longue haleine portant sur le salafisme en
Tunisie. Bien qu’il accorde une forte attention sur le volet des violences, le rapport tente de
brosser un portrait des différentes tendances salafistes en Tunisie, d’éclaircir des liens
entretenus avec Ennahda et la réaction de ce dernier aux violences salafistes. Le rapport « The
Reckoning. Tunisia’s Perilous Path to Democratic Stability90 » rédigé par Anouar Boukhars
au profit de Carnegie a également été utilisé parce qu’il traite des divisions internes au parti
d’Ennahda et aussi de la question des violences salafistes. Enfin, les articles de l’ouvrage
collectif La constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives91 financé par le
Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) s’est révélé très utile.
Rassemblant les témoignages d’acteurs ayant participé directement au processus de rédaction
de la constitution et provenant d’Ennahda, des partis laïcs et de la société civile, cet ouvrage
a permis d’obtenir la perception de divers acteurs sur le processus de transition et de
constitutionnalisation.
Concernant les documents audio-visuels, il s’agit essentiellement de reportages qui traitent
du salafisme en Tunisie après les soulèvements du printemps arabe et qui ont été réalisés par
des journalistes français. D’autres documents audio-visuels, ceux montrant le chef du parti
Ennahda Ghannouchi discuter avec des salafistes par téléphone, ont été produits
89 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, Tunisie - violences et défi salafiste, Bruxelles & Tunis, [En ligne],
2013, https://d2071andvip0wj.cloudfront.net/tunisia-violence-and-the-salafi-challenge-french.pdf. 90 Anouar BOUKHARS, The Reckoning Tunisia’s Perilous Path to Democratic Stability, Washington,
Carnegie Endowment for International Peace, 2015, [En ligne]
http://carnegieendowment.org/files/tunisia_reckoning.pdf. 91 PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE DÉVELOPPEMENT. La constitution de la Tunisie.
Processus, principes et perspectives, [En ligne], 2016,
http://www.tn.undp.org/content/tunisia/fr/home/library/democratic_governance/la-constitution-de-la-tunisie-
.html.
24
anonymement, mais ont été repris par des agences de nouvelles tunisiennes. L’ensemble des
documents audio-visuels ont été trouvés grâce à YouTube.
L’analyse documentaire a permis de comprendre le contexte propre à la Tunisie avant,
pendant et après les soulèvements du printemps arabe et de situer la présence des salafistes
tunisiens pendant la transition. Les documents ont aidé à dresser un tableau de la situation
des salafistes en Tunisie et à se familiariser avec les récriminations de membres se qualifiant
de laïcs dans la société civile à l’encontre de leurs concitoyens salafistes. L’analyse
documentaire a permis de compléter les informations fournies par les personnes interrogées.
Deuxièmement, une enquête de terrain d’une durée d’un mois a été menée au courant de
l’année 2017 à Tunis en Tunisie. À ce titre, le projet de recherche a obtenu l’approbation du
Comité plurifacultaire d’éthique de la recherche de l’Université Laval (numéro d’approbation
2017-092/31-05-2017). Au total, dix personnes ont été interrogées. Elles possèdent toutes un
lien avec Ennahda : sept sur neuf ont été députés constituants pour le parti islamiste après les
élections de 2011, deux ont été des cadres haut placés au sein de la structure du parti et un
était sympathisant nahdaoui. Le choix d’interroger des membres du parti islamiste s’explique
par la proximité alléguée du parti auprès des interlocuteurs salafistes. De plus, mener des
entrevues principalement auprès de députés constituants permet d’obtenir leur opinion sur
l’influence salafiste lors du processus de rédaction de la constituion. Parmi les députés
constituants rencontrés, six sur sept demeuraient députés au sein de l’Assemblée des
représentants du peuple (ARP) lors de la conduite des entrevues.
Ces personnes ont été recrutées de deux façons. Premièrement, un membre de la famille de
la chercheure a organisé une rencontre entre cette dernière et un des anciens cadres hauts
placés dans la structure d’Ennahda. Ce cadre a permis à la chercheure de contacter par
téléphone des députés qui ont contribué à la rédaction de la constitution en siégeant comme
député constituant, mais aussi un autre cadre haut placé qui a été impliqué dans le processus
de recrutement de nouveaux membres nahdaouis. Deuxièmement, le même membre de la
famille de la chercheure l’a conduite au siège social d’Ennahda où une rencontre fortuite lui
a permis de prendre rendez-vous avec une députée et un ancien député nahdaouis.
25
Chaque participant a été rencontré une seule fois à l’exception d’un participant qui a été
interrogée à deux reprises parce que la liste des questions n’avait pas été épuisée après le
premier entretien. Les entrevues ont duré de trente minutes à une heure selon la fluidité des
réponses que fournissaient les participants, sauf une qui s’est étalée sur deux heures. Cette
rencontre s’est divisée en une heure trente de questions-réponses avec la chercheure et une
demi-heure de prédication religieuse et de présentation du travail effectué lors de
l’emprisonnement de la personne interrogée sous Ben Ali. Une prise de notes dites actives a
été effectuée, aucun enregistrement n’a été fait dans le souci de préserver la confiance et
l’aisance des personnes interrogées, de même que le lieu de l’entretien était choisi à leur
convenance. Les entrevues ont été essentiellement réalisées à l’Assemblée des représentants
du peuple (ARP), que ce soit dans le local réservé à Ennahda, dans le hall, dans la salle des
députés, dans la cafétéria ou encore dans le bureau de l’un des députés. D’autres ont eu lieu
dans un café, dans le bureau de travail des personnes interrogées ou à leur domicile.
L’entrevue était semi-dirigée et les questions étaient de nature ouverte. Ainsi, bien que les
questions structurent l’entrevue, les participants avaient le loisir d’aborder des sujets
connexes qui leur paraissaient importants à discuter, de passer plus de temps sur une question
ou une autre. Le canevas d’entretien avec les membres d’Ennahda était constitué de deux
types de questions : des questions générales et des questions spécifiques92. Le premier type
servait à cerner ce qu’entendaient les nahdaouis par salafisme, s’ils s’identifiaient eux-mêmes
comme salafistes, comment ils percevaient leur organisation en Tunisie, de même que leurs
revendications dans le cadre de la constitution et leur engagement politique. Le second type
servait à cerner la présence d’intégration des salafistes au sein du parti politique, d’établir
leur niveau d’influence et la prise en compte de leurs intérêts dans les discussions internes
d’Ennahda et de comprendre la conduite du parti dans le processus de rédaction de la nouvelle
constitution après leurs échanges avec les salafistes. Il est à souligner qu’aucune question n’a
été reformulée dans la mesure où les interlocuteurs n’ont pas montré de gêne devant une
question.
92 Le canevas se retrouve à l’annexe II du mémoire.
26
Après chaque entrevue, les notes prises ont été retranscrites à l’ordinateur pour éviter
d’interférer dans les propos recueillis. Elles ont par la suite été transférées dans un document
Excel et ont fait l’objet d’une analyse de contenu. Elles ont d’abord été divisées selon les
questions posées, puis catégorisées selon différentes thématiques qui ressortaient dans les
réponses fournies par les personnes interrogées, ce qui a permis de confronter certaines
contradictions entre les faits avancés, parfois par la position maintenue par la personne
interrogée au sein d’Ennahda.
Ces entrevues ont permis de comprendre un peu plus les liens entre Ennahda et le mouvement
salafiste et comment le parti islamiste percevait les individus salafistes. Une différence
singulière dans les réponses données est à noter si l’interlocuteur demeurait, au moment de
l’entrevue, un député d’Ennahda à l’ARP ou s’il n’était plus lié à la structure du parti.
Ces entrevues ont permis de combler un vide de connaissances dans la littérature, puisque
peu de chercheurs ont posé des questions sur la nature de l’influence des salafistes dans le
processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne à des députés et des cadres haut
gradé d’Ennahda. Il n’en demeure pas moins que l’apport des entretiens doit être nuancé, car
les salafistes n’ont pas pu être rencontrés étant donné que la chercheure est tombée gravement
malade lors de son séjour et qu’elle n’a pas pu reporter ou prolonger son séjour pour des
raisons personnelles. Un canevas de questions avait néanmoins été préparé, regroupant les
questions générales mentionnées plus haut et ayant des questions plus spécifiques qui visaient
à faire la lumière sur leur compréhension de l’enjeu constitutionnel et des politiques, sur leur
perception de la manière dont différents acteurs de la société les perçoivent et leurs liens avec
Ennahda93. Le faible nombre d’entretiens n’a donc pas permis à la chercheure d’atteindre une
saturation des données recueillies dès lors qu’il n’a pas été possible à la chercheure de
prolonger son séjour pour augmenter le nombre d’interlocuteurs et approfondir les réponses
fournies par les personnes interrogées. Afin de pallier ce manque, leur positionnement
93 Le canevas se retrouve à l’annexe III au mémoire.
27
notamment à l’endroit d’Ennahda a été inféré à partir des témoignages recueillis auprès des
personnes interrogées.
Conclusion
Ce chapitre a permis de prendre connaissance des constats issus des recherches menées dans
le cadre de la transitologie, l’étude des transitions des régimes politiques, au cours du XXème
siècle. Il a également souligné la pertinence de transposer ces constats aux pays touchés par
le « printemps arabe », annonciateur de changements révolutionnaires pour certains, mettant
ainsi fin à la doctrine persistante de « l’exceptionnalisme arabe ». Bien au contraire, les
mêmes théories sur les rapports de force entre acteurs lors des périodes de (re)négociation
politique s’appliquent peu importe la trame religieuse ou culturelle. Ainsi, les pays à
population majoritairement musulmane ne se voient-ils pas exclus du schéma théorique par
l’argument que « l’islam n’est pas conciliable avec la démocratie ». Ce chapitre a également
démontré l’originalité de la recherche, prenant pour cas d’étude la Tunisie, de centrer le
niveau d’analyse de l’étude sur le plan des acteurs salafistes tunisiens. En effet, ces derniers
ont semblé susciter peu d’intérêt de la part des chercheurs en science politique dans le
contexte précis de négociation de la nouvelle constitution tunisienne, alors qu’ils représentent
une partie de la société qui accroît ses manifestations publiques. Il paraît dès lors intéressant
de se pencher sur la manière dont les salafistes tunisiens ont essayé d’influencer le processus
de rédaction de la constitution et les impacts de cela. Les hypothèses suivies sont qu’ils ont
influencé le processus constitutionnel mais n’ont pas influencé le contenu de la constitution,
à travers des formes de mobilisation qui n’ont cependant pas eu l’effet escompté, et que leurs
discours et leurs actions empêchaient l’atteinte d’un compromis démocratique entre les partis
politiques et représentaient une menace pour les règles de garantismo qu’ils étaient en train
de négocier. Finalement, l’explication sur la méthodologie employée permet d’éclairer la
provenance et la manière dont ont été recueillies les informations, tout en soulignant les
limites de la recherche.
28
CHAPITRE 2 - LE SALAFISME, UN MOUVEMENT RELIGIEUX
LITTÉRALISTE
Ce chapitre, qui vise à définir la manière dont les adeptes du mouvement salafiste se
distinguent des autres tendances musulmanes, se divise en trois principales parties. La
première aborde l’essor de l’intérêt académique, somme toute récente, envers ce mouvement
sunnite orthodoxe en lien avec les aléas de la politique internationale. Les chercheurs ont
principalement concentré leurs efforts sur les groupes salafistes opérant sur la péninsule
arabique. La deuxième présente, à travers la littérature, les éléments définitionnels du
salafisme. Bien que les débats entourant l’origine de l’emploi du terme salafiste ne fassent
pas l’unanimité, ce courant se définit par la volonté d’instaurer un État et une société
islamiques par une méthode d’interprétation littéraliste des sources. De plus, trois concepts
se retrouvent au cœur de la pratique salafiste : al-walâ wal-barâ, al-amr bil-ma’rûf wa al-
nahî ‘an al-munkar et le takfîr. Ces concepts seront brièvement expliqués afin de bien saisir
l’impact qu’ils ont sur la façon dont les adeptes du salafisme se comportent en société. La
troisième partie explique la catégorisation traditionnelle utilisée par les chercheurs pour
étudier différents acteurs salafistes, soit les salafistes scientifiques, politiques et jihadistes.
Un intérêt académique récent sur le salafisme au regard de l’actualité
L’intérêt académique porté sur le salafisme en tant qu’objet d’étude demeure relativement
récent, car il faut attendre l’attentat du 11 septembre 2001 du World Trade Center aux États-
Unis pour que ce courant idéologique retienne l’attention, à la fois de la part des universitaires
et des différents gouvernements occidentaux. Quelques études94 intéressantes ont été
publiées, mais elles n’ont abordé qu’un aspect de ce courant, soit le salafisme comme matrice
du jihâd dans sa conception de la lutte armée dans le cadre restrictif de la lutte antiterroriste.
C’est le cas du livre de Vincenzo Oliveti qui identifiait le salafisme et le wahhabisme comme
94 Voir notamment Gilles KEPEL, Jihad : expansion et déclin de l'islamisme, Paris, Gallimard, 2000, 452 p. et
Peter L. BERGEN, Guerre sainte, multinationale, Paris, Gallimard, 2002, 288 p.
29
les sources du terrorisme contemporain95. La littérature à ce sujet se concentre plus
particulièrement sur la zone géographique du MENA et sur les organisations à vocation
armée classifiées comme terroristes, plus spécifiquement Al-Qâ’ida et ses ramifications
régionales. Ces études sont cependant menées dans le contexte précis de la lutte contre le
terrorisme et cherchent plus précisément à non seulement à analyser le fonctionnement de
ces réseaux jihadistes, mais aussi à fournir des explications à la radicalisation menant à la
violence.
À compter de la moitié des années 2000, la littérature sur le salafisme a opéré un changement
relativement significatif. Les chercheurs ont tenté de définir les contours de ce courant
nébuleux, tout en essayant de comprendre la manière dont il s’enracinait dans des cadres
nationaux. Éclaircir les fondements de ce courant a été l’objectif de la monographie d’Olivier
Roy, Globalised Islam96, et du volume collectif Global Salafism97. L’écrit de Roy semble
avoir été l’un des premiers ouvrages à se pencher sur les principes fondamentaux du
traditionnalisme, terme généraliste qu’il préfère employer pour désigner le courant sans
distinguer les groupes salafistes et tablighis. Dans le second ouvrage, cinq chapitres ont été
consacrés à la description de l’idéologie salafiste à travers les intellectuels qui ont inspiré les
membres du mouvement, le champ d’action des salafistes, les concepts qui sous-tendent cette
idéologie et la légitimité qu’elle semble acquérir au regard des autres courants par le recours
aux sources d’un groupe important, les ahl al-hadîth.
Les salafistes des États de la péninsule arabique ont constitué le principal centre d’intérêt des
spécialistes du salafisme. Chaque universitaire a développé une expertise portant sur le
salafisme dans un pays particulier. Les travaux de Stéphane Lacroix ont porté sur les
salafistes d’Arabie saoudite et plus particulièrement sur l’apport du penseur Nasir Al-Din Al-
Albani comme référence-clé du mouvement salafiste98. Les salafistes du Yémen ont fait
95 Vincenzo OLIVETI, Terror’s Source : The Ideology of Wahhabi-Salafism and Its Consequences, Amadeus
Books, Chicago, 2002, 112p. 96 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, London, Hurst & Company, 2004, 349p. 97 Roel MEIJIER, dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York,
Oxford University Press, 2013, 400p. 98 Stéphane LACROIX, « Between Revolution and Apoliticism : Nasir al-Din al-Albani and his Impact on the
Shaping of Contemporary Salafism » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious
30
l’objet d’étude de Laurent Bonnefoy qui a examiné leur processus d’appropriation nationale
de l’idéologie salafiste99. Joas Wagemakers s’est intéressé à l’expansion du phénomène en
Jordanie tout en approfondissant l’interprétation salafiste de l’un de ses concepts-clés, celui
d’al-walâ’ w-al-barâ100. Les théories des mouvements sociaux ont été utilisées par
Hegghammer pour fournir des explications de la violence motivée par le jihadisme salafiste
en Arabie saoudite101. Quelques cas d’études portant sur des pays occidentaux ont commencé
à paraître. Mohamed-Ali Adraoui s’est concentré sur le phénomène salafiste dans les
banlieues françaises102, alors que Samir Amghar l’a analysé en tant que mouvement sectaire
dans l’environnement de la France103. Mårtensson s’est intéressée au développement et à
l’interaction des salafistes en Norvège104 et De Koning a étudié leurs interactions avec des
musulmans d’autres tendances et le gouvernement au sein des Pays-Bas105. Quelques articles
ont traité du Soudan106, du Pakistan107 et de l’Indonésie108, mais ils constituent une
Movement, New York, Oxford University Press, 2013, pp. 58‑80 et Stéphane LACROIX, « L’apport de
Muhammad Nasir al-Din al-Albani au salafisme contemporain » dans Qu’est-ce que le salafisme ?, Bernard
ROUGIER (sous la direction de), Paris, Presses universitaires de France, 2008, pp. 45‑64. 99 Laurent BONNEFOY, « L’illusion apolitique : adaptations, évolutions et instrumentalisations du salafisme
yéménite » dans Qu’est-ce que le salafisme?, Bernard ROUGIER (sous la direction de), Paris, Presses
universitaires de France 2008, pp. 137‑160 et Laurent BONNEFOY, « How Transnational is Salafism in
Yemen ? » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York, Oxford
University Press, 2013, pp. 321‑341. 100 Joas WAGEMAKERS, « The Transformation of a Radical Concept : al-wala wa-l-bara’ in the Ideology of
Abu Muhammad al-Maqdisi » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious Movement,
New York, Oxford University Press, 2013, pp. 81‑106. 101 Thomas HEGGHAMMER, « Violence politique en Arabie Saoudite : grandeur et décadence d’« Al-Qaida
dans la péninsule arabique » » dans Qu’est-ce que le salafisme ?, Bernard ROUGIER (sous la direction de),
Paris, Presses universitaires de France, 2008, pp. 105‑122. 102 Mohamed-Ali ADRAOUI, Du Golfe aux banlieues : le salafisme mondialisé, Paris, Presses universitaires
de France, 2013, 233p. 103 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, Michalon Éditions, Paris,
2011, 280p. 104 Ulrika MÅRTENSSON, « Norwegian Ḥarakī Salafism: “The Saved Sect” Hugs the Infidels », Comparative
Islamic Studies, 8 (1), 2014, pp. 113-138.
105 Martijn DE KONING, « The “Other” Political Islam : Understanding Salafi Politics » dans Whatever
Happened to the Islamists? : Salafis, Heavy Metal Muslims and the Lure of Consumerist Islam, New York,
Columbia University Press, 2012, pp. 153‑178. 106 Noah SALOMON, « The Salafi Critique of Islamism : Doctrine, Difference and the Problem of Islamic
Political Action in Contemporary Sudan » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious
Movement, New York, Oxford University Press, New York, 2013, pp. 143‑168. 107 Noah ABOU ZAHAB, « Salafism in Pakistan : The Ahl-e Hadith Movement » dans Roel MEIJER (éditeur),
Global Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York, Oxford University Press, 2013, pp. 126‑142. 108 Noorhaidi HASAN, « Ambivalent Doctrines and Conflicts in the Salafi Movement in Indonesia » dans Roel
MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York, Oxford University Press,
2013, pp. 169‑188.
31
infinitésimale part de la littérature sur le sujet. L’une des raisons avancées expliquant ce
constat serait que la langue arabe, si chère au courant salafiste ne prédomine pas dans les
communautés musulmanes de ces régions109. Après le printemps arabe, l’intérêt académique
s’est orienté vers l’Afrique du Nord, les salafistes égyptiens faisant l’objet d’analyse de
Khalil Al-Anani110, alors que Merone s’est intéressé au groupe d’AST111.
Au regard de la récente littérature et du faible nombre d’articles sur le sujet, le mouvement
salafiste apparaît clairement comme un objet d’étude qui mériterait d’être approfondi. Il
s’agit sans aucun doute d’un phénomène qui tend à croître en importance au sein de la société
vu l’augmentation du nombre d’adhérents au salafisme et la multiplication de leurs
manifestations publiques qui méritent d’être étudiées et comprises. Néanmoins, la littérature
existante a permis de cerner des éléments définitionnels du mouvement salafiste.
Des éléments définitionnels
Débats sur les origines polémiques du salafisme
Le terme salafisme est une adaptation francophone du mot arabe salafiyya.
Étymologiquement, la salafiyya fait référence aux ancêtres. Ce terme renvoie logiquement à
deux conditions sine qua non, celui de salaf, c’est-à-dire d’ancêtre, le père, et celui de khalaf,
c’est-à-dire de successeur, le fils. Il est alors employé pour désigner les individus suivant
l’exemple donné par leurs ancêtres. A priori, tous les musulmans sont des salafistes parce
qu’ils sont les successeurs de la religion de leurs pères. Ils exercent la prière et divers rites
tels qu’enseignés par leurs parents qui ont eux-mêmes imité ces pratiques et intégré ces
109 Bernard HAYKEL, « On the Nature of Salafi Thought and Action » dans Roel MEIJER (éditeur), Global
Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York, Oxford University Press, 2013, pp. 33‑50. 110 Khalil AL-ANANI, « Unpacking the Sacred Canopy : Egypt’s Salafis between Religion and Politics » dans
Francesco CAVATORTA et Fabio MERONE (éditeurs), Salafism after the Arab Awakening. Contending with
People’s Power, London, Hurst & Company, 2016, pp. 25‑42. 111 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The Fight for Identity beyond Political Islam », op.
cit.
32
connaissances et traditions de leurs parents précédemment et ainsi de suite. Il y a donc un
passage de successeurs à ancêtres au fil des générations.
Les études académiques qui portent sur le salafisme font abstraction de ce point et font plutôt
référence à un courant religieux précis qui repose sur l’expression arabe salaf al-sâlih qui
signifie les « pieux ancêtres » ou les « pieux prédécesseurs »112. Pris dans ce sens, ce terme
inclut les trois premières générations de musulmans, soit le Prophète Mohammed et ses
Compagnons et les deux générations qui leurs succédèrent (al-tâbi’oûn et tâbi’ al-tâbi’în).
Ces individus sont qualifiés de pieux ancêtres en raison de la proximité temporelle et spatiale
qu’ils détenaient auprès du Prophète. Ces salaf al-sâlih sont ainsi reconnus par les salafistes
comme ayant pratiqué le « véritable islam » tel qu’enseigné par le Prophète, ses leçons
n’ayant pas été dénaturées ni par le temps ni par des velléités individuelles.
Le salafisme est une tendance religieuse qui prend racine dans le sunnisme, terme provenant
du mot arabe Sunna signifiant tradition, qui représente le courant majoritaire en islam. Le
salafisme s’ancre dans l’école de pensée juridique hanbalite qui se concentre essentiellement
sur deux sources : le Coran et la sunna. La Sunna est composée des paroles du Prophète, de
ses actes et de ses pratiques (s. hâdith, p. ahâdîth) tels que rapportés par la chaîne de
rapporteurs113 , interprète des passages du Coran et le complète lorsqu’il demeure muet sur
des thématiques assez importantes telles que la manière de procéder à la prière, la direction
à laquelle les fidèles doivent l’accomplir ou la façon d’exécuter les ablutions. La création de
cette école est survenue en réaction à l’éclatement de la pratique des musulmans et au
foisonnement de raisonnements juridiques et de fatâwâ (avis juridiques) émises par différents
acteurs. Ibn Hanbal percevait la nécessité de revenir aux sources primaires étant donné que
l’écart entre la pratique des nouvelles générations de musulmans et celle des générations
ayant vécu auprès du Prophète ne cessait de s’allonger. Il espérait ainsi purifier l’islam de
toute bid’a (p. bidâ’), innovation, de la pratique des musulmans en se tenant strictement à
celle des ancêtres des trois premières générations. La volonté d’uniformiser le droit et la
112 Bernard ROUGIER, « Introduction » dans Qu’est-ce que le salafisme ?, Bernard ROUGIER (sous la
direction de), Paris, Presses universitaires de France, 2008, p. 3. 113 Slim LAGHMANI, « Les écoles juridiques du sunnisme », Pouvoirs, 1, 2003, p. 21.
33
pratique des affaires cultuelles (‘ibâdat) et sociales (mu’âmalât) a motivé la création de
l’école hanbalite.
Bien que le courant salafiste soit ancrée historiquement dans cette école, beaucoup de
confusion perdure quant à l’origine de l’emploi du terme salafisme. Utilisé aujourd’hui
comme instrument de légitimation et de délégitimation, le terme semble avoir connu une
évolution historique. Le salafisme tel que conceptualisé dans la littérature depuis les années
70114, tire ses fondements des siècles antérieurement. Si certains auteurs remontent le premier
emploi du terme à quelques décennies après la mort du Prophète, d'autres renvoient la
première utilisation plutôt au cours du XIXème siècle. À ce titre, il est pertinent de faire
référence à l’ouvrage d’Henri Lauzière115 qui traite en détail de cette polémique. Quoiqu’il
en soit, trois-moments-clés semblent ponctuer l’évolution du terme salafisme116.
Le premier moment survient lors de la fondation du hanbalisme par Ibn Hanbal. Si les
salafistes se targuent de la pureté de leur pratique qui repose uniquement sur celle de leurs
ancêtres, c’est l’école hanbalite, par sa méthodologie particulière, qui a initié l’idée d’un
retour aux sources. Le deuxième moment est la poursuite du travail d’Ibn Hanbal par Ibn
Taymiyya117. Ce dernier a élargi la notion de jihâd fî sabilillâh, le recours à la lutte armée,
dans un contexte où les Mongols envahisseurs s’étaient convertis à l’islam avec l’objectif
précis de mieux régner sur les sujets musulmans118. Bien que certaines différences notables
distinguent les deux penseurs119, leurs discours convergeaient vers une idée centrale : un
retour aux sources. Ce retour aux sources est caractérisé par des éléments centraux de la
pensée salafiste : l’adhésion aux sources que représentent le Coran et la sunna, la primauté
des textes révélés sur la raison et le rejet du kalam, la discussion théologique120. Le troisième
114 Henri LAUZIÈRE, The Making of Salafism : Islamic Reform in the Twentieth Century, New York, Columbia
University Press, 2016, p. 199. 115 Ibid. 116 Samir AMGHAR, op. cit. 117 Laurent BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, New York, Columbia
University Press, 2011, p. 42. 118 Bernard ROUGIER, « Introduction », op. cit., pp. 12-13. 119 Contrairement à Ibn Hanbal, Ibn Taymiyya rejetait le taqlid (l’imitation aveugle) et l’ijma’ (le consensus),
mais approuvait le recours au qiyas (raisonnement analogique). 120 Chems-Eddine HAFIZ, « Éléments de droit musulman », Droit Déontologie Soin, 10 (1), 2010, p. 3
34
moment-clé est lié à Abdelwahhab et à son alliance politico-religieuse avec la famille des
Sa’ud au XVIIIème siècle pour « construire un État sunnite […] et restaurer l’islam dans sa
pureté première, en luttant contre toutes les innovations suspectées ou les superstitions
populaires121 » et ce, à un moment où l’Empire ottoman montrait des signes de faiblesse.
Abdelwahhab, demeurant dans la logique d’Ibn Hanbal et d’Ibn Taymiyya, poursuivait une
interprétation littéraliste de l’islam. Il appelait également à une purification de la religion par
des réformes sociale et morale et à l’unité entre les musulmans122. C’est Abdelwahhab qui
développe ce qu’on appelle le wahhabisme, la doctrine officielle de l’Arabie saoudite
aujourd’hui. À ce titre, il n’existe pas non plus de consensus parmi les chercheurs à savoir si
le salafisme et le wahhabisme sont deux courants distincts ou seulement deux frères jumeaux.
Bien que cela demeure controversé, quelques chercheurs, comme Adraoui123, Roy124 et
Hourani125 ont inséré le parcours du salafisme dans la trajectoire du mouvement de la réforme
revivaliste, al-salafiyya al-islahiyya, initié par Jamal Al-Din Al-Afghani. Cet homme
représentait à l’époque le « renouveau politique, social et culturel de l’esprit musulman » et
appelait à un « réveil de la conscience islamique »126. Ce mouvement de la réforme salafiste
comptait plusieurs membres notables, entre autres Mohammed Abduh, Rachid Rida et ‘Ali
Abderrazziq. Si Al-Afghani préconisait une approche plus radicale quant à l’opposition
exercée à l’encontre du pouvoir, son disciple Abduh privilégiait une attitude de coopération
avec les élites détenant le pouvoir dans l’optique de modifier à l’interne les institutions
étatiques127. Abduh est considéré par certains comme le père du salafisme, car il aurait été le
premier à se qualifier de salafiste128. Il définissait d’ailleurs ce courant comme une idéologie
« to liberate thought from de shackles of taqlid, and understand religion as it was understood
by the elders of the community before dissension appeared; to return, in acquisition of
121 Henri LAOUST, Les schismes dans l’Islam : introduction à une étude de la religion musulmane, Paris,
Payot, 1965, p. 323. 122 Chems-Eddine HAFIZ, op. cit. p. 4. 123 Mohamed-Ali ADRAOUI, op. cit., p. 201. 124 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, London, Hurst & Company, 2004, p. 233. 125 Albert HOURANI, L’âge d’un monde arabe libéral, 2ème édition, Références, Clamecy, Atlande, 2016, 471p. 126 Ibid., p. 4. 127 Loc. cit. 128 Ibid., p. 3.
35
religious knowledge, to its first sources, and to weigh them in the scales of human reason129».
Les prises de position de ces hommes de religion ont incarné leur volonté d’adopter un rôle
de loi. À l’instar de leurs prédécesseurs, ceux qui se revendiquent aujourd’hui du salafisme
désirent commenter et recommander des éléments concernant les lois régissant l’État, car
leurs connaissances du Coran et de la Sunna en feraient des experts du droit musulman, et
agissent dans la volonté de modeler leur société en fonction de leur vision du monde.
Un objectif pieux en réaction aux sociétés grugées par le capitalisme
S’immerger dans le monde salafiste est synonyme d’intégrer un mode de vie particulier. La
psyché sociale tend à dépeindre les salafistes comme des hommes barbus portant le qamîs,
vêtement long traditionnel masculin, des femmes portant le niqâb, voile intégral couvrant le
visage, refusant d’écouter la radio ou de regarder la télévision, voire même de jouer au
football. Il s’agit d’une représentation très caricaturale d’un courant religieux complexe et
multiforme qui ne se résume pas à quelques caractéristiques physiques. Agissant
conformément aux actions du Prophète, même dans les gestes les plus profanes du quotidien
tels que manger, s’habiller et dormir130, certains salafistes préfèrent se définir de manière
évasive :
For Salaffiyyah is neither a group and [sic] nor an exclusive party. Rather it
is the following of what the Prophet and his companions were upon in aqidah
(creed), manhaj (methodology) and ibaadah (worship)… distinguished from
the various Islamic factions due to their ascription to what guarantees for them
the correct and true Islam, which is adherence to what the Messenger and his
Companions were upon, as occurs in the authentic Hadiths.131
Cette désignation plutôt large rejoint la pensée de Roy qui estime que le recours au terme
salafisme renvoie, pour certains dans la littérature, à un groupe précis d’individus, alors que
les salafistes ne représentent pas un groupe particulier en tant que tel, mais fait plutôt
129 Ibid., p. 12. 130 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit., p. 16. 131 Adis DUDERIJA, « Constructing the religious Self and the Other : neo-traditional Salafi Manhaj », Islam
and Christian-Muslim Relations, 21 (1), 2010, p. 76.
36
référence à un mouvement132. Roy se distancie de ce précipice sémantique et préfère
employer le terme de néo-fondamentalisme. Il s’agit d’un courant, d’un état d’esprit et de
l’importance de la relation dogmatique avec les principes fondamentaux de l’islam133.
Le salafisme, c’est également embrasser une vision totalitaire et manichéenne du monde.
Totalitaire ou choumouliya al-islâm qui signifie l’intégralité de l’islam134, car les objectifs
d’un tel courant concernent la mise en pratique des enseignements islamiques dans
l’ensemble des facettes de la vie des musulmans, que cela relève du domaine privé ou public.
Les salafistes désirent mettre en œuvre la volonté de Dieu, ce qui passerait par la création
d’un État islamique régulé par la loi islamique, la charî’a. Manichéenne, car ils ne distinguent
que le bien du mal et que rien ne semble pouvoir s’immiscer entre les deux.
La montée en popularité du salafisme s’expliquerait en partie selon Amghar par une
valorisation d’un âge d’or imaginaire de la civilisation islamique qui repose sur les mythes
fondateurs du salafisme135. L’imaginaire salafiste décrit l’époque des salâf al-salîh comme
l’apogée de l’islam dans laquelle prennent place les innombrables conquêtes musulmanes et
l’expansion fulgurante de la civilisation islamique. Cette construction idéaliste occulte
cependant l’instabilité politique suivant le décès du Prophète et les guerres intestines
entourant sa succession politique136. Les salafistes, en tant qu’idéologie réactionnaire aux
sociétés contemporaines137, comparent cette époque à la présente période où les musulmans
se sentent lésés, humiliés par l’Occident et ce, en raison de facteurs externes et internes. Les
facteurs externes expriment l’humiliation subie par les populations arabes et musulmanes
depuis la colonisation, en passant par l’établissement de l’État d’Israël sur les terres
palestiniennes et les luttes subséquentes aux guerres du Golfe depuis les années 1990.
Internes parce que le salafisme représente un pied de nez à un mode de vie structuré autour
du capitalisme et du consumérisme, modèles promus par des autorités en place qui n’ont
132 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit. 133 Ibid., p. 234. 134 Mohamed-Ali Adraoui, op. cit., p. 200. 135 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit. 136 Henri LAOUST, op. cit., pp. 1-23. 137 Mark SEDGWICK, « Introduction : Salafism, the Social, and the Global Resurgence of Religion »,
Comparative Islamic Studies, 8 (1-2), 2014, p. 63.
37
connu que d’incessants échecs, alors qu’il s’agit de modèles importés de l’Occident138. Les
dirigeants sont considérés comme des marionnettes occidentales, motivés par leurs propres
intérêts, alors que leurs populations sont négligées et volées par ces individus supposés agir
en faveur de l’intérêt public. Le libéralisme et l’introduction et l’expansion des droits
individuels sont perçus comme des menaces à l’ordre divin.
Nécessité est de « réintroduire le référent religieux comme source d’identité socio-
culturelle139 » et de rétablir une justice et une équité, une conception alternative de solidarité
sociale140. Cet intérêt marqué par les adhérents au salafisme s’explique également dans la
lignée du débat sur le post-islamisme qui se fonde sur les travaux de Bayat et de Roy 141,
estimant que l’islam politique comme « projet idéologique cohérent et absolu » a échoué, ou
du moins s’est transformé en mouvement réformiste prompt aux compromis et à la
realpolitik142. Le salafisme se présenterait comme un second souffle au projet islamiste
révolutionnaire.
L’islam représente donc l’unique façon de revivre cet « âge d’or », un islam épuré
d’innovations qui minent sa grandeur143 et qui servent les intérêts de dirigeants considérés à
la solde des Occidentaux144. Si le slogan « l’islam est la solution » demeure un discours
partagé par différents islamistes, il est au cœur de l’agenda salafiste. Bien que les islamistes
entretiennent des griefs similaires contre les gouvernements, leur version privilégiée de
l’islam et la façon de la répandre sont caractérisés par le compromis. Les discours des
salafistes se différencient de ceux des discours des islamistes, plus spécifiquement ceux des
Frères musulmans, notamment parce que ces derniers reposent sur la raison humaine, ce que
138 Dominique THOMAS, « Le rôle d’Internet dans la diffusion de la doctrine salafiste » dans Qu’est-ce que le
salafisme ?, Bernard ROUGIER (sous la direction de), Paris, Presses universitaires de France, 2008, p. 88. 139 Mohamed-Ali ADRAOUI, op. cit., p. 199. 140 Mark SEDGWICK, op. cit., p. 64. 141 Voir notamment Assef BAYAT, Life as Politics : How Ordinary People Change the Middle East, Stanford,
Stanford University Press, 2010, 304p. et Olivier ROY, L’échec de l’islam politique, Paris, Seuil, 1992, 251p. 142 Francesco CAVATORTA et Stefano M. TORELLI, « From Victim to Hangman? Al-Nahda Salafism and
the Tunisian Transition », à paraître. 143 Adis DUDERIJA, « Islamic Groups and Their World-views and Identities : Neo-Traditional Salafis and
Progressive Muslims », Arab Law Quarterly, 21 (4), 2007, p. 348 144 Loc. cit.
38
les salafistes abhorrent145. Volpi et Ewan apportent une distinction éclairante entre les
islamistes qu’il appelle « statist islamists », et les salafistes qu’il qualifie de « non-statist
islamists ». Les premiers se caractériseraient par « leur accentuation de la proche relation
entre les structures nationales de gouvernance et les stratégies des activistes dans leur
contexte socio-culturel et socio-économique146 », alors que les seconds se distinguent par « la
primauté qui est accordée à leur relation à la communauté au lieu de l’État147 ». Pour
reformuler, les islamistes seraient plus enclins à utiliser les institutions étatiques pour
apporter des changements, alors que les salafistes miseraient sur les changements au sein de
la communauté musulmane.
Le salafisme, tel que mentionné en introduction, tire son nom des salaf al-sâlih. Les salafistes
sont persuadés que le message coranique a été corrompu de son essence, l’islam véritable
étant en danger148 par des bidâ’149, des hérésies fabriquées par les hommes pour servir leurs
propres intérêts, déviant ainsi les musulmans de l’esprit de la Révélation. Il s’agit d’une
véritable quête de l’authenticité, afin d’épurer l’islam de toutes superstitions et croyances
populaires150 typiques de l’islam traditionnel relevant de pratiques locales et coutumières et
des pratiques plus particulières aux chiites et aux soufis151. Pour éviter d’adopter des
comportements justifiés par une bid’a ou de reproduire un rite altéré par l’homme, les
salafistes ne se fient qu’aux pratiques exercées par les trois premières générations de
musulmans. La pratique épurée permet, de façon subsidiaire mais non moins importante, de
« transform the humiliated, the downtrodden, disgruntled young people, the discriminated
migrant, or the politically repressed into a chosen sect152 » et est nommée minhâj salafî.
145 Mohamed-Ali ADRAOUI, op. cit., pp. 201-202. 146 Frédéric VOLPI et Ewan STEIN, « Islamism and the State after the Arab Uprisings : Between People Power
and State Power », Democratization, 22 (2), 2015, pp. 277. 147 Loc. cit. 148 Guido STEINBERG, « Jihadi-Salafism and the Shi‘is : Remarks about the Intellectual Roots of anti-
Shi‘ism » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious Movement, New York, Oxford
University Press, 2013, p. 108. 149 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit., p. 243. 150 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit., p. 13. 151 Martijn DE KONING, op. cit., p. 157. 152 Roel MEIJIER, « Introduction », op. cit., p. 13.
39
Le minhâj salafî, une méthode stricte et littéraliste
Cette recherche de l’authenticité (asâla) ne serait seulement possible que grâce à un strict
minhâj, une méthodologie pour exposer les règles islamiques, le minhâj salafî153. C’est
précisément les principes de l’aqîda et la forme du minhâj qui permet de distinguer le
salafisme des autres tendances islamiques154. Ce minhâj repose sur les deux sources
principales du hanbalisme : le Coran et la Sunna. À ce titre, les salafistes se basent
uniquement sur les ahâdîth qui ont été soigneusement évalués et filtrés, car il a été reconnu
que certains d’entre eux auraient été forgés afin de fournir des avantages temporels à des
particuliers155. Ainsi est vérifiée la musnad, la chaîne des transmetteurs, qui est composée de
l’isnad, les noms des gens impliqués, et du matn, le contenu du hâdîth156. Ne sont conservés
que les ahâdîth sahîha, ceux avérés157, plus précisément ceux consignés par Al-Bukhari et
Al-Muslim158.
Une interprétation littérale est nécessaire pour ne pas interférer avec la Révélation.
Conséquemment, les salafiste se méfient de la production juridique des écoles autres que
celle hanbalite, car elles s’appuient sur des sources « humaines » telles que le qîyâs, le
raisonnement analogique, et l’’ijmâ’, le consensus, leurs raisonnements juridiques risquant
d’être altérés. Ainsi, le salafisme tente de saper toute once de « légitimité à l’ensemble des
doctrines, des écoles ou encore de mouvements [qui n’adhèrent pas au salafisme et qui
cherchent] à affirmer une identité ou méthodologie propre159 ». Selon les salafistes, rien dans
le Coran ni dans la Sunna ne préconise qu’un musulman doive suivre un madhâb. Au
contraire, ils estiment qu’il est erroné d’imiter (taqlîd) les pratiques de telles écoles et qu’il
faut plutôt se fier uniquement au Coran et à la Sunna160.
153 Laurent BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., p. 44. 154 Bernard HAYKEL, op. cit., p. 35. 155 Albert HOURANI, op. cit., p. 11. 156 Adis DUDERIJA, Constructing a Religiously Ideal « Believer » and « Woman » in Islam : Neo-Traditional
Salafi and Progressive Muslims’ Methods of Interpretation, New York, Palgrave Macmillan, 2011, pp. 34-35. 157 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit., p. 244. 158 Laurent BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., p. 45. 159 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit., p. 13. 160 Ibid., pp. 13-14.
40
Pour reformuler, le salafisme se veut être une interprétation normative, statique et universelle,
décontextualisée, qui doit être adhérée de manière littérale et imitée sans remise en
question161. Tout individu qui se qualifie comme musulman doit suivre le minhâj salafî à la
lettre. Ils renforcent leur légitimité en se clamant être al-firqa al-najiyya162, le groupe qui se
retrouvera au janna, le Paradis, lors du jugement dernier. Cette idée vient de la croyance que
les musulmans seront divisés en 73 sectes et que seule l’une d’entre elles agira conformément
aux enseignements du Prophète. C’est d’ailleurs pourquoi les salafistes tiennent tant à se
réclamer de l’héritage direct des ahl al-hadîth163.
Selon Duderija, le minhâj salafî se définirait suivant trois caractéristiques. Premièrement, les
salafistes ont recours à un amalgame d’âyât, les versets coraniques, et de ahâdîth sans établir
de cadre cohérent lorsqu’ils émettent une fatwa. Deuxièmement, ils ne fournissent aucune
interprétation en lien avec cette fatwa, toujours dans le but d’éviter d’interférer avec la
Révélation. Troisièmement, ils affirment que leur travail s’appuie sur des spécialistes qui
sont demeurés fidèles au ahl al-hadîth et au minhâj hanbalî. Afin de souligner la légitimité
du fruit de leur labeur, ils ne tiennent aucunement compte des apports des spécialistes d’autres
madhâhib même si leurs travaux sont reconnus à travers le monde islamique164.
Le salafisme ne représente en aucun cas un mouvement uniforme ou homogène, bien au
contraire. La pensée salafiste ne forme pas un bloc monolithique et est tout aussi caractérisé,
à l’instar des madhâhib, de divergences entre les théologiens. Comme le dit Amghar, il s’agit
d’une « mouvance complexe et évolutive [qui] couvre un large spectre de positionnements
idéologiques165 ». Cependant, le mouvement salafiste s’entend sur l’importance de trois
concepts.
161 Adis DUDERIJA, « Constructing the religious Self and the Other : neo-traditional Salafi Manhaj », op. cit.,
p. 76. 162 Mohamed-Ali ADRAOUI, op. cit., pp. 62-63. 163 Adis DUDERIJA, « Constructing the religious Self and the Other : neo-traditional Salafi Manhaj », op. cit.,
p. 76. 164 Adis DUDERIJA, Constructing a Religiously Ideal « Believer » and « Woman » in Islam : Neo-Traditional
Salafi and Progressive Muslims’ Methods of Interpretation, op. cit., p. 51. 165 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit., p. 12.
41
Des concepts-clés au cœur du salafisme
La littérature sur le salafisme met l’accent sur trois concepts-clés qui paraissent vitaux dans
la mesure où ils guident leurs actions et ils expliquent parfois leur absence d’intégration
sociale au sein des sociétés auxquelles ils appartiennent.
Premièrement, selon Wagemakers, le mouvement salafiste s’est approprié et a fait évoluer le
concept de al-walâ wal-barâ, qui signifie loyal et désaveu166. Wagemakers le définit comme
suit : « undivided loyalty (walâ’) Muslims should show to God, Islam and their coreligionists
over all other things on the one hand and the disavowal (barâ) they must show to anything
deemed un-Islamic on the other167 ». Ainsi, ils se retrouveraient face à l’interdiction de
côtoyer et de se lier d’amitié avec des individus ne partageant pas leur foi, voire même
d’interagir avec eux168, ce qui pose indubitablement le problème par exemple dans les
sociétés où les musulmans sont minoritaires. Bien souvent, cette interdiction est interprétée
à un niveau supérieur, c’est-à-dire que plusieurs d’entre eux affirment qu’ils ne peuvent
fréquenter des musulmans qui n’adhèrent pas au minhâj salafî, puisqu’ils versent dans une
interprétation religieuse erronée, la seule valable étant le salafisme.
Deuxièmement, le concept de al-amr bil-ma’rûf wa al-nahî ‘an al-munkar169 sous-tend
l’action salafiste. Il s’agit en fait de promouvoir la vertu et de prévenir le vice. Il se lie au
concept d’al-walâ’ wal-barâ, car il lui donne une forme concrète. Est promu ce qui est
islamique et est diabolisé ce qui n’est pas islamique. En tant qu’agent religieux maîtrisant la
seule interprétation correcte des textes religieux, le salafiste est investi de la mission de
répandre cette version approuvée de l’islam à travers les comportements à privilégier et à
honnir. Alors que le premier vise à réguler le comportement de l’acteur salafiste, le second a
plutôt pour objectif d’encadrer celui de ses pairs. Cela peut se faire par la da’wa, la
166 Joas WAGEMAKERS, « The Transformation of a Radical Concept : al-wala wa-l-bara’ in the Ideology of
Abu Muhammad al-Maqdisi », op. cit. 167 Ibid., p. 3. 168 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 169 Laurent BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., p. 53.
42
prédication religieuse, comme le font les salafistes scientifiques, mais aussi par la hisba, une
police religieuse. Meijer a d’ailleurs analysé ce concept à travers l’action d’al-jama’a al-
islamiyya dans l’un de ses articles170.
Troisièmement, le concept de takfîr (excommunication) permet d’excommunier un
musulman de l’islam pour des actes de haute gravité tels que l’associationnisme (shirk)171.
La notion employée aujourd’hui plus particulièrement par les jihadistes, a été développée par
Sayyid Qutb et Abou Mohammed Al-Maqdisi. Il faut comprendre que l’acte de takfirisme
est grave et est souvent, pour ne pas dire exclusivement, employé à des fins politiques et
religieuses. Il permet de décréter, en prenant en considération ce qui a été mentionné
antérieurement, l’allié islamique et l’ennemi auquel il est nécessaire de s’éloigner. Le recours
au takfîr diffère selon la catégorisation des salafistes. En effet, certains exigeront des
conditions d’application plus souples, comme certains jihadistes à l’égard de ceux qui
n’adhèrent pas à leur doctrine172, alors que d’autres, tels les salafistes scientifiques,
préfèreront des conditions d’application plus strictes, au regard des conséquences que l’usage
entraîne.
Ces concepts soulignent bien la vision manichéenne du courant salafiste entre ce qui est et
ce qui n’est pas islamique. Ce courant prône conséquemment une homogénéité religieuse et
interprétative qui n’empêche nullement une division doctrinaire profonde et bien réelle parmi
les salafistes concernant notamment leur rôle en tant qu’acteurs sociaux au sein de la société
et du champ politique institutionnel.
Une catégorisation traditionnelle des salafistes
170 Roel MEIJER, « Commanding Right and Forbidding Wrong as a Principle of Social Action : The Case of
the Egyptian al-Jama’a al-Islamiya » dans Roel MEIJER (éditeur), Global Salafism. Islam’s New Religious
Movement, New York, Oxford University Press, 2013, pp. 189‑220. 171 Quintan WIKTOROWICZ, « Anatomy of the Salafi Movement », Studies in Conflict & Terrorism, 29 (3),
2006, p, 228. 172 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit., p. 270.
43
Bien que l’ensemble des salafistes partagent un credo essentiellement commun, la littérature
sur le salafisme173 classe généralement le mouvement salafiste en trois catégories au regard
du mode d’action privilégié sur la place publique174 et selon leur positionnement à l’encontre
des politiques175. Cette nomenclature176 va comme suit : le salafiste scientifique, politique ou
jihadiste. À vrai dire, cette classification suscite de plus en plus de contestation parmi les
chercheurs177 principalement du fait que cette typologie représente des archétypes, des
idéaux-types, qui ne semblent plus correspondre adéquatement à la réalité actionnelle et
institutionnelle des groupes salafistes. Il semble davantage pertinent de comprendre et
d’imager les différentes catégories suivant un continuum d’actions non exclusives.
D’ailleurs, les personnes catégorisées selon ces types ne forment pas un mouvement
homogène. Cependant, pour des fins analytiques au présent mémoire et au regard des
informations collectées sur le terrain, cette classification demeure intéressante.
Le salafisme scientifique : une salafisation sociétale
Les salafistes scientifiques, parfois nommés piétistes ou quiétistes, se tiennent à l’écart des
politiques et à l’obéissance des dirigeants en place178. Leur position tient de l’idée selon
laquelle les acteurs de la société musulmane demeurent sous le joug de leurs propres intérêts
humains, ne pouvant donc agir pour favoriser le bien-être général de la communauté et les
objectifs de l’islam. La recherche de gains matériels alimente la fitna, la division entre les
musulmans, et rend caduque l’utilité du recours à la violence et aux politiques179. Il est
nécessaire de purifier les états d’âme avant de se lancer dans l’arène politique. Se
173 Samir AMGHAR, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, op. cit. et Laurent
BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit. 174 Adis DUDERIJA, « Constructing the religious Self and the Other : neo-traditional Salafi Manhaj », op. cit.,
p. 88. 175 Martijn DE KONING, op. cit., p. 160. 176 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit. 177 Zoltan PALL, Lebanese Salafis between the Gulf and Europe, Amsterdam, Amsterdam University Press,
2013, 116p. et Joas WAGEMAKERS, « Revisiting Wiktorowicz : Categorising and Defining the Branches of
Salafism » dans Francesco CAVATORTA et Fabio MERONE (éditeurs), Salafism after the Arab Awakening.
Contending with People’s Power, London, Hurst & Company, 2016, pp. 7‑24. 178 Bernard ROUGIER, « Introduction », op. cit., p. 15. 179 BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., p. 46.
44
positionnant tels les défenseurs de la religion180, les salafistes scientifiques préfèrent se
concentrer principalement sur trois actions sociales et religieuses: la da’wa, la prédication
qui sert à véhiculer les principes de l’islam, la tazkiyya, la purification pour retirer de la
pratique toute innovation religieuse, et la tarbiyya, l’éducation religieuse181. Ils refusent
généralement le recours au takfîr, ou du moins prônent de strictes balises, préférant une
stigmatisation plus subtile182. De plus, les salafistes scientifiques préconisent l’obéissance
aux dirigeants qui démontrent leur foi musulmane, le walî al-amr, par crainte de créer de la
fitna au sein de la communauté et dénoncent la partisannerie, la hizbiyya, suscitée par la
fondation de partis politiques183. Refuser la hizbiyya équivaut à une renonciation à la
participation dans la vie politique184 bien qu’elle équivaille en soi à une prise de position
politique. C’est pourquoi ils critiquent généralement l’action des Frères musulmans et des
partis islamistes qui y sont liés comme Ennahda185. Ne s’impliquant pas sur la place publique
par une prise de position politique ou critique, ils peuvent néanmoins émettre des
recommandations, permises grâce à la da’wa, à l’égard des dirigeants lorsque ces derniers le
demandent186. En agissant de la sorte, la stratégie des salafistes scientifiques vise une
‘’islamisation’’ de la société par le bas (bottom-up). Cela a pour conséquence une absence
d’implication directe dans le cadre démocratique, bien que leurs actions entraînent forcément
des impacts sociaux.
Le salafisme politique : une salafisation institutionnelle
Au contraire, les salafistes politiques investissent l’arène politique. Le credo religieux et les
objectifs poursuivis par l’islam sont identiques à ceux des salafistes scientifiques, mais la
stratégie adoptée par ces derniers ne semblent pas produire les effets escomptés et ne
paraissent avoir eu très peu d’impact sur la société. Leurs conseils sont plus ou moins écoutés
180 Bernard ROUGIER, « Introduction », op. cit., p. 15. 181 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit., p. 217. 182 BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., p. 47. 183 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit., p. 245. 184 Noorhaidi HASAN, op. cit., p. 171. 185 Ibid., p. 172. 186 BONNEFOY, Salafism in Yemen : Transnationalism and Religious Identity, op. cit., pp. 52-53.
45
par les dirigeants qui, bien qu’ils se qualifient comme musulmans, demeurent corrompus et
assujettis à leurs intérêts personnels. Ces élites ne permettent pas l’implantation des valeurs
islamiques au sein de la société, alors que l’islam la rendrait plus juste et équitable. De
surcroît, d’autres partis qui se réclament de l’islamisme promeuvent des idéologies qui
paraissent, aux yeux des salafistes, s’égarer de la véritable voie islamique. Conséquemment,
l’implication en politique semble nécessaire et justifiée, dans l’optique de contrer le
libéralisme, de s’assurer que la charî’a régule bel et bien la vie publique et privée187, de
rétablir la véritable interprétation des corpus religieux et de sauver l’héritage islamique. Les
salafistes politiques peuvent alors intégrer les syndicats et les différentes associations
professionnelles ou étudiantes, voire en instituer, et même constituer des partis politiques. Ils
acceptent les règles procédurales du jeu démocratique sans pour autant en accepter la saveur
libérale en termes de droits et libertés qui demeurent restreints selon les principes véhiculés
par l’islam. Ils estiment ainsi que la meilleure stratégie à adopter est celle du top-down, une
‘’islamisation’’ des institutions pour parvenir à celle de la société.
Le salafisme jihadiste : une salafisation révolutionnaire
Quant aux salafistes jihadistes, ils sont persuadés de lutter pour une « noble cause », la justice
et un état islamique, et rejettent tout moyen passif ou politique pour arriver à leurs fins188. Ils
estiment que les stratégies employées à la fois par les salafistes scientifiques et politiques se
sont avérées infructueuses et n’ont pas eu l’impact désiré sur les dirigeants et les sociétés.
Les jihadistes reprochent aux premiers d’agir comme agents de légitimation du pouvoir des
dirigeants infidèles par la promotion du principe de walî al-amr189. Les seconds sont empêtrés
dans un système inefficace et se retrouvent bien souvent derrière les barreaux à cause de leur
engagement politique et de leurs critiques virulentes à l’égard du régime190. Les salafistes
jihadistes viennent donc à la conclusion que l’unique façon d’établir le règne de l’islam passe
187 Martijn DE KONING, op. cit., p. 161. 188 Samir AMGHAR, « La France face au terrorisme islamique : une typologie du salafisme jihadiste » dans
Qu’est-ce que le salafisme ?, Bernard ROUGIER (sous la direction de), Paris, Presses universitaires de France,
2008, pp. 245-247. 189 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit., pp. 225-227. 190 Ibid., p. 226.
46
par la lutte armée, le jihâd fî sabillilâh. Les salafistes jihadistes rejettent ainsi toute forme de
participation politique, notamment dans un contexte démocratique qu’ils estiment importé
d’Occident et qui ne revêt pas de valeur légitime au regard de l’islam.
Conclusion
Il est important de retenir que l’intérêt récent à l’égard du salafisme a d’abord été motivé par
des considérations politiques. Cela a eu pour conséquence que les recherches se sont
concentrées de manière plutôt démesurée sur les groupuscules salafistes jihadistes employant
le jihâd comme matrice à l’action terroriste. Cette prémisse a cependant laissé place à un
intérêt accru des chercheurs à observer et à étudier d’autres acteurs salafistes qui recourent à
une dialectique similaire, mais qui emploient des méthodes pacifiques. C’est cela qui a
réellement marqué le début de la recherche scientifique sur le mouvement global salafiste.
Ces études se sont cependant concentrées principalement sur les groupes évoluant dans la
péninsule arabique, bien que des recherches éparses aient été menées en Europe, en Afrique
et en Asie. Elles ont permis de développer un corpus solide traitant des éléments
définitionnels qui caractérisent le mouvement salafiste contemporain, dérivant de la branche
sunnite, bien qu’il faille toujours souligner l’absence de consensus quant à l’exacte origine
du salafisme.
Si trois événements-clés ponctuent le développement historique de la pensée salafiste, soit la
fondation de l’école hanbalite, la poursuite du travail d’Ibn Hanbal par Ibn Taymiyya et
l’alliance politico-religieuse d’Abdelwahhab et de la famille Sa’ud, la trajectoire du salafisme
dans le courant revivaliste d’Al-Afghani ne rallie pas l’ensemble des chercheurs. L’objectif
des salafistes, qui ne se représentent pas tel un groupe mais plutôt telle une tendance, fait par
contre l’unanimité dans la littérature dans la mesure où ils veulent ressusciter la perfection
de la société islamique à l’époque du Prophète. Exaltant cet âge d’or, ils se réclament d’une
stricte pratique orthodoxe, le minhâj salafî, qui permettrait d’éviter toute innovation.
S’inscrivant dans la méthode de l’école hanbalite, ils privilégient une interprétation
littéraliste des sources coraniques limitées au Coran et à la Sunna et délégitiment toute autre
47
école de pensée islamique. C’est ainsi qu’ils se conçoivent comme la secte élue parmi les
musulmans.
Trois concepts se retrouvent au cœur de la pratique salafiste et dictent la conduite qu’ils
adoptent dans leurs interactions quotidiennes. La notion d’al-walâ wal-barâ est interprétée
comme la dévotion pour toute chose islamique et la détestation pour toute chose qui ne l’est
pas. Le concept d’al-amr bil-ma’rûf wa al-nahî ‘an al-munkar leur commande de
promouvoir les comportements islamiques dans la société et de désapprouver ceux qui ne le
sont pas. Enfin, le takfîr permet d’excommunier un musulman qui commettrait une faute
grave, niant ses devoirs islamiques.
Finalement, les chercheurs ont développé une catégorisation qui décline les salafistes en trois
sections selon leur mode d’action publique et leur positionnement à l’égard des politiques.
Les salafistes scientifiques recourent à des actions de prédication religieuse tout en
s’abstenant de critiquer les dirigeants politiques. Les salafistes politiques s’engagent de
manière pacifique sur la scène politique et n’hésitent pas à critiquer ouvertement les
dirigeants. Les salafistes jihadistes emploient la force pour renverser les dirigeants qu’ils
critiquent. Les éléments définitionnels du salafisme enfin posés, il convient maintenant de se
pencher sur les caractéristiques spécifiques du mouvement salafiste tunisien
postrévolutionnaire.
48
CHAPITRE 3 - LE PAYSAGE SALAFISTE TUNISIEN À L’ÈRE
POSTRÉVOLUTIONAIRE
L’actuel chapitre a pour objectif de détailler le paysage salafiste tunisien à l’ère
postrévolutionnaire. Il s’articule autour de deux principaux axes : l’hétérogénéité du
mouvement salafiste tunisien à la recherche d’un rôle dans le processus transitionnel tunisien
et les discours tenus par les groupes salafistes tunisiens.
Le premier axe souligne la présence des adhérents au courant salafiste avant les débuts de la
révolution du jasmin. Soumis à un régime répressif, c’est précisément la chute de ce régime
qui leur a permis d’occuper la scène publique avec la libération de plusieurs prisonniers et le
retour d’exil de personnes de tendance salafiste. Il est également traité des choix
organisationnels des salafistes qui se sont formés en plusieurs organisations qui indiquent le
caractère multiforme du mouvement. Leurs formations se sont avérées hétéroclites et ont
démontré une hiérarchie plutôt éclatée, misant sur des structures horizontales. Elles ont fait
preuve de divergence idéologique sur le plan de la reconnaissance juridique et ont employé
le label « salafiste » comme un moyen de légitimation. Les organisations salafistes ont adopté
des programmes très généraux et n’ont pas obtenu une réelle représentation politique, misant
plutôt sur une présence soutenue dans les mosquées.
Quant au second axe, il s’avère que peu importe l’organisation à laquelle ils appartenaient,
ils partageaient des objectifs communs, soit l’établissement d’un État et d’une société
islamiques. Cela passait par une redéfinition de l’identité tunisienne en imposant la charî’a
dans la nouvelle constitution tunisienne. Les organisations salafistes ont donc agi pour rallier
une clientèle sociale et politique ultraconservatrice. Dans leur volonté de participer
activement à la transition tunisienne, le mouvement a opté pour deux stratégies
complémentaires visant la salafisation, l’une se concentrant sur l’État et ses institutions,
l’autre sur la société. Néanmoins, leurs stratégies et leurs discours se différenciaient par
49
rapport à d’autres mouvements en raison du recours à la violence, de l’emploi de la da’wa et
de l’implication politique.
Les organisations salafistes en Tunisie : un mouvement multiforme en
quête d’un rôle dans le processus transitionnel tunisien
L’amnistie générale du 19 février 2011 : l’essor publique d’un courant orthodoxe191
Le salafisme s’est propagé en Tunisie au courant des trente dernières décennies grâce au
vacuum créé par Bourguiba et Ben Ali. Bourguiba a débuté un processus de laïcisation en
marge de la modernisation des institutions qui a froissé les traditions et les croyances de la
société tunisienne. Il estimait que la religion, telle que pratiquée à l’époque, exerçait sur le
pays des contraintes le maintenant au stade de sous-développement192. Il a notamment
supprimé les habous qui généraient les revenus autonomes des établissements religieux193, a
unifié le système d’éducation et de justice194 et a retiré la fonction d’université de la
prestigieuse mosquée Zeitouna195. Quant à Ben Ali, il a poursuivi ces mesures tout en
cooptant les symboles religieux, afin de se présenter comme un défenseur de l’islam pour
contrer la montée de la ferveur religieuse196. Selon un ancien député d’Ennahda, il faut
également attribuer la faute à l’emprisonnement de nahdaouis :
Avant les années 80 à 2000, l’islam modéré était représenté par Mourou,
Ghannouchi, Ellouze et les cheikhs de la Zitouna, non pas les salafistes. C’était
le MTI. On avait une génération bien cultivée et modérée. Il était impossible de
voir des salafistes ou d’introduire la pensée salafiste. […] Cependant, sous Ben
191 Voir en annexe III la liste des associations, groupes et individus salafistes tunisiens mentionnés dans ce
mémoire. 192 Marion BOULBY, « The Islamic challenge: Tunisia since independence », Third World Quarterly, 10 (2),
1988, p. 592. 193 Malika ZEGHAL, op. cit., p. 84. 194 Susan WALTZ, « Islamist appeal in Tunisia », Middle East Journal, 40 (4), 1986, p. 660. 195 « La mosquée Ezzitouna », Agence de mise en valeur du Patrimoine et de Promotion culturelle - Ministère
de la Culture - République tunisienne, [En ligne],
http://www.patrimoinedetunisie.com.tn/fr/monuments/ezzitouna.php (Page consultée le 13 janvier 2017). 196 Rikke HOSTRUP HAUGBØLLE, op. cit., p. 326.
50
Ali, c’était un désert sur la scène religieuse parce que tout le monde, les religieux
(et les personnes nommées ci-haut) étaient en prison. Ils ne pouvaient influencer
les jeunes, on voyait les islamistes écrasés par le régime. Il n’y avait pas de
sources ni de culture religieuses, alors que les gens ont tendance à chercher à
connaître. Il y avait une vague, une ferveur religieuse. L’apparition du courant
salafiste remonte à ce moment-là.197
Ce vacuum a eu pour effet que les jeunes ont délaissé les mosquées contrôlées par l’État et
se sont plutôt tournés vers des sources alternatives de discours religieux influencées par la
doctrine salafiste et wahhabite. Des chaînes satellitaires saoudiennes telles qu’Iqraa, Al-
Khalijiyya, la Mecque parabolique, Ben Athaymin, et égyptiennes comme Al-Nass, Ar-
Rahma, Al-Hikma, ont diffusé plus précisément les enseignements salafistes198. Leur
auditoire est devenu plus conséquent avec l’expansion d’Internet qui a aussi contribué à
l’essor de la doctrine salafiste199. Prédication et informations sont disponibles en ligne,
ajoutées aux prêches vidéo qui sont conservés et diffusés à grande échelle200. Les subventions
accordées par l’Arabie saoudite ont permis l’achat de livres qui promouvaient ces doctrines
et qui étaient distribués à travers les mosquées et les kiosques de livres religieux en Tunisie,
la mise sur pied de programmes pour l’accomplissement du hâj201 et l’attribution de bourses
comprenant les frais d’études, de transport et de subsistance pour étudier à l’Université
islamique de Médine à des jeunes désireux d’occuper des fonctions d’imam en retournant au
pays d’origine.
Pendant cette période, si la prédication religieuse des salafistes scientifiques a été tolérée,
voire encouragée par le régime autoritaire, les salafistes jihadistes ont été au contraire
constamment réprimés. La présence salafiste n’est ainsi pas en soi une chose nouvelle dans
le paysage tunisien, bien que plusieurs préfèrent y voir un phénomène conséquent à la période
post-printemps arabe202. Au contraire, le printemps arabe a plutôt permis aux adhérents du
197 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 198 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 11. 199 Dominique THOMAS, op. cit. 200 Ibid., p. 89. 201 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit., p. 236. 202 Ridha BEN KACEM, « Le salafisme et la naissance d’Ansar al-Charia », Actualités Tunisie Focus, [En
ligne], 25 mars 2013, <http://www.tunisiefocus.com/politique/le-salafisme-et-la-naissance-dansar-al-charia-
41333/ (Page consultée le 29 mai 2017).
51
salafisme de revendiquer leurs intérêts, d’occuper une place considérable dans la sphère
publique et médiatique et de diffuser leurs idées :
Après la révolution, c’était l’anarchie. Cela a favorisé la propagation de
l’idéologie salafiste : il y a eu la création de plusieurs associations, les salafistes
ont obtenu la mainmise sur les mosquées, ils donnaient des leçons et des
conférences… Il n’y avait personne pour les arrêter, aucune autorité. Ainsi, tout
le monde en a profité.203
Le départ de Ben Ali, la désorganisation des forces policières et du Ministère de l’Intérieur
et le lancement du processus transitionnel ont entraîné un plus grand respect des autorités
étatiques des droits et libertés civiles et politiques dont la liberté d’expression, d’association
et de religion qui a consacré le déverrouillage des sphères politique, sociale et religieuse. Le
plein exercice de ces droits a permis à l’ensemble des membres de la société civile de se
constituer en diverses associations et d’exprimer leurs revendications. Comme cela sera vu
dans les pages suivantes, les salafistes, en tant que membres de cette société civile tunisienne,
se sont retrouvés devant la possibilité de s’organiser en diverses associations, de diffuser
leurs discours et de mener leurs activités sans entraves dès 2011204.
L’idée d’une amnistie générale pour les prisonniers politiques et d’opinion a émergé assez
tôt au cours de la transition, comme en témoigne le projet de loi d’amnistie générale annoncé
le 20 janvier 2011205. Les salafistes jihadistes et certains salafistes politiques, transfuges
d’Ennahda, ont retrouvé leur liberté après cette amnistie générale finalement promulguée le
19 février 2011 aux côtés de prisonniers politiques et d’opinion206. Ils avaient été
emprisonnés sous la loi antiterroriste 2003-75 du 10 décembre 2003207 adoptée dans la foulée
de la lutte internationale contre le terrorisme et en accord avec la résolution 1373 de 2001 du
203 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 204 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », The Journal of
North African Studies, 20, 2015, pp. 1-14. 205 LE MONDE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Tunisie : le gouvernement adopte un projet de loi d’amnistie
générale », Le Monde, [En ligne], 20 janvier 2011, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/01/20/nouvelle-
manifestation-hostile-au-gouvernement-a-tunis_1468128_3212.html (Page consultée le 27 mai 2017). 206 OFPRA. Tunisie : Loi d’amnistie générale du 19 février 2011, Note d’information, 8 août 2014. 207 CHAMBRE DES DÉPUTÉS, Tunisie, Loi relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le
terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent, n° 2003-75, adoptée le 10 décembre 2003.
52
Conseil de sécurité des Nations unies208. Malgré le libellé de cette loi, l’appareil coercitif
étatique l’a employée pour renforcer son système répressif, condamnant indistinctement des
individus à des peines d’emprisonnement pour divers motifs. Des personnes ont ainsi fait
face à des procès inéquitables et se sont retrouvées en prison pour la consultation d’un site
web à contenu jihadiste ou pour la tentative, réussie ou non, de rejoindre les rangs des
mujâhidîn d’Afghanistan ou d’Irak après l’invasion américaine de 2003209. D’autres ont été
arrêtés après l’affaire de Soliman et Grombalia de 2006 quand une cellule du Groupe salafiste
de prédication et de combat algérien avait réussi à infiltrer la Tunisie pour rejoindre des
jihadistes tunisiens préparant des attentats sur le sol tunisien. Après un mois de cavale et au
bout d’un combat contre les forces de sécurité, ils finissent par être arrêtés. Le procès de
l’affaire Soliman s’est conclu par deux condamnations à mort, huit condamnations à
perpétuité et vingt peines d’emprisonnement allant de cinq à trente ans de prison210.
Les séjours en prison se sont révélés bénéfiques pour le mouvement salafiste tunisien. Réunis
dans plusieurs prisons, les salafistes jihadistes et politiques ont pu y jeter respectivement les
bases de structures organisationnelles grâce à la constitution de réseaux informels qui
opèreront librement après l’amnistie de février 2011. Les salafistes se retrouvaient parfois
aux côtés de jeunes délinquants condamnés pour des crimes de droit commun et d’islamistes.
La proximité et l’absence d’activités leur ont permis de partager leurs idées et leur projet à
leurs codétenus et à travers les prisons211. Cette rencontre et cette mixité représentaient la
prise de contact entre des individus plus âgés au « lourd » passé jihadiste, des jeunes frustrés
par l’impossibilité d’élévation sociale et attirés par les discours véhiculés par les salafistes et
des islamistes212. L’une des personnes interrogées a d’ailleurs confirmé que les individus
salafistes entretenaient des discussions avec des jeunes et des islamistes lorsqu’ils n’étaient
208 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Résolution 1373, S/RES/1373 (2001), adoptée le 28
septembre 2001. 209 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 13. 210 Samy GHORBAL, « Comment les salafistes ont été neutralisés », Jeune Afrique, [En ligne], 7 janvier 2008,
http://www.jeuneafrique.com/128126/archives-thematique/comment-les-salafistes-ont-t-neutralis-s, (Page
consultée le 21 mai 2017). 211 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 5. 212 Ibid., p. 4.
53
pas mis en isolement213. Cela tend à confirmer l’hypothèse selon laquelle les prisons
tunisiennes ont été des incubateurs pour la radicalisation d’individus et leur adhérence au
courant salafiste214.
C’est à cette période qu’est venue l’idée de créer des organisations formelles pour propager
les discours salafistes et pour contribuer à la salafisation de l’État et de la société tunisiennes.
Les embryons de l’organisation jihadiste et caritative d’AST et du parti salafiste Jabhat Al-
Islâh se sont formés dans les milieux carcéraux via ces réseaux informels. Mohamed Khouja,
chef du parti politique Jabhat Al-Islâh, a confirmé que la décision finale de créer un parti
politique s’est faite « avec les frères libérés de prison à la suite de l’amnistie générale215 ».
La libération de ces salafistes jihadistes et politiques et le contexte de libertés civiles et
politiques ont permis à ces individus de se reconnecter à la population tunisienne et d’adapter
leurs discours à ses griefs socio-économiques suscitant les soulèvements populaires du
printemps arabe, telles la lutte contre la corruption, le chômage et l’inflation. Des figures
médiatisées telles que le jihadiste Seif Allah Ben Hassine, alias Abu Iyadh, le futur chef
d’AST, ont compté parmi ces individus qui ont recouvert leur liberté216. Outre cette
libération, des salafistes scientifiques exilés de Tunisie sont revenus au bercail, à l’instar du
controversé imam Béchir Ben Hassen.
Dans ce contexte précis de liberté et de transition, les salafistes font face à un
dilemme : comment doivent-ils réagir pour influencer le processus de rédaction de la
nouvelle constitution tunisienne en faveur de leurs objectifs et intérêts ?
213 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 214 Imen LAJMI, Les trajectoires individuelles vers l’engagement radical : récits derrière les barreaux,
Mémoire de maîtrise – version préliminaire du mémoire non déposée, Université Laval, à paraître. 215 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23. 216 Élodie AUFFREY, « Abou Iyadh, la disgrâce du jihad », Libération, [En ligne] 5 août 2013,
http://www.liberation.fr/planete/2013/08/05/abou-iyadh-la-disgrace-du-jihad_923008 (Page consultée le 22
avril 2018).
54
Des formations organisationnelles hétéroclites, une hiérarchie éclatée et des structures
horizontales
Le niveau organisationnel du mouvement salafiste tunisien varie grandement en fonction du
degré d’acceptation de la fondation de groupes formels, issu d’une divergence théologique
quant au ‘amel tanzimî (travail organisé). Cette différenciation entraîne l’absence d’un front
commun entre les protagonistes salafistes autant sur les plans politiques que sociaux et
religieux dans le contexte de la transition. Une personne interrogée qualifiait le salafisme
comme « un radicalisme ‘’normal’’ en période de crises [et qu’il s’agissait d’un] salafisme
social plutôt que politique. C’est une nébuleuse, car il n’y a pas de mouvement organisé217 ».
Il faut cependant rappeler que si les différentes tendances opéraient selon une logique
discursive et actionnelle différente et ont obtenu une asymétrie sur le plan des résultats de
leurs efforts de salafisation étatique et sociétale, le mouvement salafiste tunisien tendait tout
de même vers un objectif commun, la mise en place d’un État et d’une société islamique.
À cet égard, le mouvement salafiste tunisien, à l’instar du mouvement salafiste général, s’est
scindé en deux principales branches. D’abord, il y a ceux qui réfutent la mise sur pied
d’organisations formelles comme porte-étendards de leur cause. Selon eux, cette situation
risquerait d’engendrer de la hizbiyya, puisque les Tunisiens salafistes sont appelés à choisir
une organisation au détriment d’une autre, ce qui entraînerait de la fitna218. Les salafistes
scientifiques tiennent cette position. Étant donné leur appréhension d’une forme
organisationnelle, il n’existe pas à proprement parler d’organisation salafiste scientifique. Ils
agissent plutôt à titre individuel et indépendamment les uns des autres. Certaines figures sont
reconnues par leur engagement individualiste219 : Béchir Ben Hassen, Khamis Mejri, Hassan
Brik, Mohammed Ali Hurrath ou Farid Al-Béji. Malgré ce positionnement, deux salafistes
scientifiques, Adel Almi et Khatib Idrissi, ont créé deux associations salafistes scientifiques
qui ont pour mission d’émettre des recommandations aux dirigeants, de promouvoir les
217 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 218 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit., p. 218. 219 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 18.
55
bonnes mœurs et d’éviter la radicalisation violente220, soit l’Association centriste pour la
sensibilisation et la réforme (Al-Jam’iyya al-Wâsîtiyya li-l-Taw’iyya wal-l-Islâh) et le
Conseil des sages (Majlis al-chouyoûkh).
Puis, il y a ceux qui acceptent la création de groupes afin de favoriser la défense et la
promotion de leurs intérêts, d’œuvrer pour des activités de bienfaisance ou de mener le jihâd.
De surcroît, cette séparation se sous-divise parmi ceux qui acceptent d’entrer dans le jeu de
la démocratie en investissant le champ politique221, et ceux qui le refusent et préfèrent soit
recourir à la force pour parvenir à leurs fins, soit mobiliser autrement la population autour de
leur projet révolutionnaire222.
Les premiers, les salafistes politiques, acceptent donc le processus électoral et les
mécanismes sous-jacents à la démocratie mis en branle après le départ de Ben Ali223, se
constituent en partis politiques accrédités auprès de l’ISIE et exercent une forme de lobbying
pour influencer le processus constitutionnel, sans toutefois souscrire à la teneur libérale de la
démocratie. À leurs yeux, les droits et libertés doivent être assujettis aux prescriptions de
l’islam. Cependant, la majorité des personnes interrogées estimait qu’« il n’y a[vait] pas de
distinction à opérer entre la sphère scientifique et politique224 ». Néanmoins, cette division
sera conservée pour la présente recherche. Les salafistes politiques tunisiens sont constitués
autour de quatre principaux partis : Jabhat al-Islâh, Al-Rahma, Al-Assâla et Hizb Al-Tahrir.
Les seconds, les salafistes jihadistes, considèrent la démocratie comme un mode de
gouvernance importé de l’Occident et qui n’est justifié par aucune référence islamique, voire
même contredit le message coranique en reconnaissant une forme de souveraineté au peuple.
Il s’agit dès lors d’un système illégitime et illicite de gouvernance au regard de leur
interprétation du corpus religieux. :
220 Ibid., p. 20. 221 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit., p. 221. 222 Ibid., p. 225. 223 Stefano M. TORELLI, « The Multi-Faced Dimensions of Tunisian Salafism » dans Francesco
CAVATORTA et Fabio MERONE (éditeurs), Salafism after the Arab Awakening. Contending with People’s
Power, London, Hurst & Company, 2016, p. 159. 224 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.
56
La société arabo-musulmane ne respecte plus les dispositions divines et il y a lieu
d’obliger les gens, même par la force, de respecter ces dispositions. D’où
l’autorisation d’utiliser la force et un degré de force qui permet d’attenter à la vie
des personnes pour les obliger à respecter leurs points de vue.225
Plusieurs groupuscules jihadistes semblent avoir émergé après la fuite de Ben Ali et la chute
de l’appareil sécuritaire. Seul AST, qui estimait d’ailleurs qu’une organisation permettait de
mobiliser les forces jihadistes226, ne sera retenu dans la présente analyse étant donné
l’ampleur de ce groupe. Cependant, il ne représente nullement l’entièreté de la mouvance
jihadiste tunisienne, car certains jihadistes se sont plutôt regrouper en petits groupuscules
sans alliance réelle ni effective entre eux227.
Qu’ils soient formés en groupe ou en association, l’ensemble des structures de ces groupes
et associations salafistes présentait plutôt une hiérarchie éclatée et des structures horizontales.
Cependant, peu d’information circule sur certaines structures salafistes. Par exemple, les
partis Al-Assâla et Al-Rahma et l’association Majlis Al-Chouyoûkh n’ont que très peu
d’écrits à leur sujet, mis à part que cette dernière réunissait cinq chouyoûkh. Lorsque quelques
informations transparaissent, les différents groupes ou associations ne semblaient pas adopter
une structure très formelle ni hiérarchiquement pyramidale. Par exemple, l’Association
centriste pour la sensibilisation et la réforme, issue de la Commission pour la promotion de
la vertu et la prévention du vice228, a une structure plutôt floue qui comporterait trois
principaux comités : la première a trait à la charî’a, la deuxième à la science religieuse et la
troisième aux affaires juridiques229.
225 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 226 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 9. 227 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », Jadaliyya, [En
ligne], 2013, http://www.jadaliyya.com/pages/index/11166/salafism-in-tunisia_an-interview-with-a-member-
of- (Page consultée le 21 mai 2017). 228 Asma GHRIBI, « Tunisia Recognizes Controversial Islamist Organization », Tunisia Live, [En ligne], 21
février 2012, http://www.tunisia-live.net/2012/02/21/tunisia-recognizes-controversial-islamist-organization
(Page consultée le 29 mai 2017). 229 Anna MAHJAR-BARDUCCI, « Tunisia’s New Islamist Police », Gatestone Institute, [En ligne], 2012,
http://www.gatestoneinstitute.org/2899/tunisia-islamist-police (Page consultée le 29 mai 2017).
57
Néanmoins, quelques données plus détaillées circulent sur trois organisations qui ont fait
l’objet d’une attention plus accrue par les médias et les chercheurs : Hizb Al-Tahrir, Jabhat
Al-Islâh et AST. Ces trois organisations paraissaient les mieux structurées peut-être parce
qu’elles s’inspiraient de structures déjà existantes. Hizb Al-Tahrir Tunisie s’inspirait d’un
concept de parti politique panislamiste développé par Taqiuddin Al-Nabhani aux alentours
de 1953, soit à Al-Quds (Jérusalem) ou à Amman230. Au fil des ans, le modèle s’est propagé
dans de nombreux pays, ayant même des racines locales dans des pays occidentaux tels que
l’Australie ou la Grande-Bretagne. Certaines ramifications locales font cependant face à des
interdictions d’opérer, l’Indonésie étant le dernier État à empêcher Hizb Al-Tahrir d’agir sur
son territoire231. Le volet national tunisien d’Hizb Al-Tahrir serait actif de manière non-
officielle depuis les années 80. Le parti est divisé en halaqât. Quant à Jabhat Al-Islâh, les
racines de son leadership remonteraient au Front islamique tunisien232, l’équivalent tunisien
du Front islamique du salut algérien. Bien que le FIT prônait à l’époque le recours à la force
armée pour atteindre ses objectifs à la fin des années 80233, certains considèrent Jabhat Al-
Islâh comme son héritier234. Par contre, AST n’aurait pas eu de modèle, bien que certains
médias aient souligné des liens avec Ansâr Al-Charî’a en Libye et au Yémen et même avec
Al-Qâ’ida. À ce titre, il faut se référer à l’article d’Allani qui a analysé plus amplement la
structure d’AST235.
Malgré le peu d’informations disponibles, il convient de souligner que les membres des
associations et partis politiques salafistes ont tendance à se rassembler autour d’un leader
doté d’un charisme indéniable qui revêt un rôle politique et religieux ou social et religieux.
Ce charisme, qui se traduit par exemple par une maîtrise de la rhétorique comme le chef du
230 Saad HASAN, « The lingering shadow of Hizb-ut-Tahrir », TRT World, [En ligne],
http://www.trtworld.com/magazine/the-lingering-shadow-of-hizb-ut-tahrir-10302 (Page consultée le 22
septembre 2017). 231 COURRIER INTERNATIONAL, « Indonésie. Bannissement du parti islamiste Hizb ut-Tahrir », Courrier
international, [En ligne], 21 juillet 2017, http://www.courrierinternational.com/article/indonesie-
bannissement-du-parti-islamiste-hizb-ut-tahrir (Page consultée le 22 septembre 2017). 232 Aaron Y. ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », Carnegie Endowment for International Peace, [En ligne],
2012, http://carnegieendowment.org/sada/?fa=48885 (Page consultée le 12 mai 2017). 233 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23. 234 TRAC, « Front Islamique Tunisien (FIT) », Terrorism Research & Analysis Consortium, [En ligne],
https://www.trackingterrorism.org/group/front-islamique-tunisien-fit (Page consultée le 28 mai 2017). 235 Alaya ALLANI, op. cit.
58
parti Al-Assâla, Mouldi Ali Al-Moujahid, qui fait la démonstration de ses compétences
rhétoriques, de sa maîtrise du français et de son charisme dans une vidéo236, est vital pour
susciter l’adhésion de futurs membres, militants ou disciples. Ils attiraient des adhérents
différents selon le type d’aura qu’ils projetaient : une aura de quiétude pour les salafistes
scientifiques à la quête de réflexion religieuse, ou de fougue pour les salafistes jihadistes à la
recherche d’adrénaline.
Le leader, peu importe la catégorie attribuée à la mouvance, a parfois eu un passé trouble ou
a vécu des épisodes de violence qui peuvent à la fois renchérir sa notoriété auprès de ses
disciples, mais aussi le discréditer aux yeux des individus qui n’adhèrent pas au salafisme.
Par exemple, Saïd Jaziri, qui occupait la présidence du parti Al-Rahma, était connu pour ses
démêlés avec Citoyenneté et Immigration Canada après avoir caché son dossier criminel à
des agents de l’immigration pour obtenir le statut de réfugié politique237. Le fondateur d’AST,
Abu Iyadh, a accumulé des expériences militaires notamment en Afghanistan, au Pakistan,
en Irak et en Syrie au cours des années 90 et au début des années 2000238. Arrêté en 2003 en
Turquie, il a été extradé vers la Tunisie où il a été jugé par un tribunal militaire239, puis relâché
lors de l’amnistie générale en 2011. Béchir Ben Hassen, qui a occupé le poste d’imam durant
son exil en France, est revenu en Tunisie au lendemain de la fuite de Ben Ali en emmenant
ses enfants sans l’autorisation de leur mère, ce qui a entraîné une poursuite judiciaire jusqu’au
Maroc sous motif de kidnapping de ses enfants240. En Tunisie, il a occupé la fonction d’imam
à la mosquée de M’saken avant d’être limogé en 2015241. L’emphase mis sur ces individus
236 OUMMA.TV, Entretien avec le président du parti salafiste tunisien, Oumma.tv, 5 mars 2013. 237 Philippe TEISCEIRA-LESSARD, « L’imam Saïd Jaziri tire les ficelles de l’étranger », La Presse, [En
ligne], 3 février 2015, http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201502/02/01-4840753-limam-said-jaziri-
tire-les-ficelles-de-letranger.php (Page consultée le 28 mai 2017). 238 L. M., « Tunisie – Abou Iyadh : L’illustre inconnu », Tunisie Numérique, [En ligne], 18 septembre 2012,
https://www.tunisienumerique.com/abou-iyadh-lillustre-inconnu (Page consultée le 27 décembre 2017). 239 Nathaniel GREENBERG, « The Rise and Fall of Abu ‘Iyadh: Reported Death Leaves Questions
Unanswered », Jadaliyya, [En ligne], 2015, http://www.jadaliyya.com/pages/index/22176/the-rise-and-fall-of-
abu-‘iyadh_reported-death-lea Page (consultée le 21 mai 2017). 240 ADMINISTRATOR, « Béchir Ben Hassen, salafiste à Carthage », Mag14 Tunisie, [En ligne], 18 novembre
2012, http://www.mag14.com/encre-noire/47-encre-noire/1184-bechir-ben-hassen-salafiste-a-carthage.html,
(Page consultée le 8 novembre 2017). 241 R. B. H., « Le limogeage de l’imam Béchir Ben Hassen a été décidé par Noureddine Khadmi »,
Businessnews, [En ligne], 2 juillet 2015, http://www.businessnews.com.tn/le-limogeage-de-limam-beir-ben-
hassen-a-ete-decide-par-noureddine-khadmi,520,57152,3 (Page consultée le 29 mai 2017).
59
et la généralisation de leur passé trouble expliquent pourquoi la société et les médias
attribuaient une variété de quolibets péjoratifs tels qu’écervelés, kamikazes, ayant des liens
avec Al-Qâ’ida, etc242.
Enfin, certains leaders ont partagé la route auprès d’islamistes nahdaouis comme Mohammed
Khouja, le fondateur de Jabhat Al-Islâh, ancien membre du Mouvement de la tendance
islamique243. Cette croisée des chemins souligne la porosité de la frontière entre les salafistes
et les nahdaouis et ce, autant pour leur auditoire que pour leurs détracteurs. Ces derniers
percevaient l’absence d’une claire frontière entre les salafistes et les nahdaouis comme une
preuve d’une connivence alarmante entre ces acteurs lors de la redéfinition des institutions
tunisiennes au regard du rapport d’autorité que détenait Ennahda et de la possible influence
des salafistes sur les choix opérés par le parti au pouvoir244.
Quant aux membres de ces groupes salafistes, il s’avère ardu d’en quantifier l’ampleur avec
exactitude. Leur nombre semble varier grandement selon ces mêmes organismes. Pour des
considérations dites internes, le parti Hizb Al-Tahrir n’a pas dévoilé de chiffres concernant
le nombre de militants faisant partie de l’organisation245, mais lui et le groupe d’AST
compteraient des milliers d’adhérents au regard de l’évaluation de leur assistance aux
différentes activités et manifestations organisées. Le passé et la position sociale de ces
membres paraissent légèrement se différencier. S’il relève du commun que les jeunes
désenchantés provenant de quartiers défavorisés, tels qu’Ettadhamen et Douar Hicher ou de
villages ruraux comme Gasserine ou Sidi Bouzid, constituent le noyau des « nouveaux
salafistes » grâce aux positions intransigeantes de ces derniers, Jabhat Al-Islâh et Hizb Al-
242 Ridha BEN KACEM, op. cit. 243 Le Mouvement de la tendance islamique était le nom initial du parti. Stefano M. TORELLI, Francesco
CAVATORTA et Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia : Challenges and Opportunities for
Democratization », Middle East Policy, 19 (4), [En ligne], http://mepc.org/salafism-tunisia-challenges-and-
opportunities-democratization (Page consultée le 27 décembre 2017). 244 Zied KRICHEN, op. cit. et voir en annexe IV Salah OUESLATI, « Rached Ghannouchi et le monstre de
Frankenstein « salafiste » », Businessnews, [En ligne], 21 septembre 2012,
http://www.businessnews.com.tn/Rached-Ghannouchi-et-le-monstre-de-Frankenstein-%C2%AB-salafiste-
%C2%BB,526,33560,3 (Page consultée le 21 janvier 2018). 245 « Hizb ut-tahrir : Le retour du Califat comme solution? », Leaders, [En ligne], 2012,
http://www.leaders.com.tn/article/9556-hizb-ut-tahrir-le-retour-du-califat-comme-solution (Page consultée le
28 mai 2017).
60
Tahrir attireraient également des membres exerçant des professions libérales246. D’autres
seraient des anciens prisonniers, libérés grâce à l’amnistie de 2011, qui ont entretenu un
certain réseau de contacts. Ils gonfleraient les rangs des salafistes jihadistes, plus
particulièrement ceux d’AST247. Enfin, des membres et des sympathisants d’Ennahda déçus
par la trajectoire prise au fil des mois par le parti islamiste viendraient rejoindre les partis
politiques salafistes et plus précisément ceux de Jabhat Al-Islâh. Ce dernier compterait
également dans ses cercles proches des salafistes jihadistes et scientifiques parmi lesquels
Kamel Marzouki, Béchir Ben Hassen, Hassin Shaouat et Hatem Bou Soma248.
Ces membres semblaient être assez autonomes. Les organisations salafistes étaient
structurées horizontalement et misaient sur la décentralisation et l’autonomie des entités
locales. C’est pourquoi on retrouvait des bureaux ou des comités locaux et régionaux assez
autonomes qui répondaient aux préoccupations spécifiques de ces villes et gouvernorats249.
Ils privilégiaient une réponse adéquate et adaptée aux réalités du terrain, ce qui favoriserait
la stratégie de salafisation bottom-up. Cette autonomie et cette hiérarchie horizontale
expliquaient probablement pourquoi les leaders centraux ont parfois eu de la difficulté à
coordonner et à diriger les actions de leurs membres qui pouvaient participer à des séquences
de violence. Ce manque de contrôle, par l’absence de chaîne de commandement précise et
effective, entachait la réputation et la crédibilité de ces groupes aux yeux du public et
restreignaient également leurs possibilités de jouer un rôle de premier plan sur le processus
de rédaction de la constitution.
Tension idéologique sur le plan de la reconnaissance juridique
Bien que ces organisations ou associations créées par les salafistes aient une certaine
structure, elles ne revêtaient pas toutes une personnalité juridique dans le système légal
246 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The Fight for Identity beyond Political Islam », op.
cit. 247 Ibid. 248 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23. 249 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 6.
61
tunisien, ce qui s’expliquait par l’opposition de certains éléments à ce même système. Faire
un dépôt de demande de reconnaissance juridique officielle et recevoir une lettre
d’accréditation signifiait une légitimation implicite de ce système critiqué de manière si
véhémente. À cet effet, il faut relever le clivage entre les salafistes scientifiques et politiques,
et ceux jihadistes.
Si les salafistes scientifiques tunisiens ont refusé de créer des organisations formelles, ils se
sont retrouvés néanmoins devant l’obligation de former des associations, bien souvent
orientées vers le fonctionnement des mosquées, afin de faciliter la gestion de leurs activités
qui se trouvent alors légalisées. La reconnaissance juridique leur permettait d’organiser une
pléthore d’activités afin d’amasser des fonds pour poursuivre leurs vocations sociale et
religieuse. C’est ainsi que les deux associations salafistes scientifiques, l’Association
centriste pour la sensibilisation et la réforme fondée par Adel Almi, et le Majlis al-
chouyoûkh, créé par Khatib Idrissi250, ont reçu une reconnaissance officielle. Pourtant, Idrissi,
considéré comme le guide intellectuel d’AST, avait vivement décrié la création de ce dernier,
estimant qu’il n’était pas pertinent de créer une telle organisation pour parvenir à salafiser la
société tunisienne251.
Un constat similaire se dresse concernant les salafistes politiques. Puisqu’ils acceptaient de
se constituer en partis politiques pour influencer directement le processus transitionnel, le
contenu de la nouvelle constitution et plus largement, les institutions tunisiennes, ils devaient
obtenir une accréditation qui légalise leur structure et leur permette d’exercer des activités
politiques à l’instar des autres partis politiques, étant soumis aux mêmes lois. Les partis Al-
Assâla et Jabhat Al-Islâh ont obtenu leur visa en mars 2012 et les partis Al-Rahma et Hizb
Al-Tahrir, en juillet 2012.
250 Aaron Y. ZELIN, « Who is Tunisia’s Salafi Cleric Shaykh al-Khatib al-Idrisi? », Al-Wasat, [En ligne], 2013,
https://thewasat.wordpress.com/2013/10/24/who-is-tunisias-salafi-cleric-shaykh-al-khatib-al-idrissi (Page
consultée le 4 juin 2017). 251 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., pp. 20-21.
62
Ainsi, la reconnaissance officielle de ces partis politiques par l’État tunisien n’est survenue
qu’après les élections d’octobre 2011 et après avoir essuyé quelques refus. En effet, le décret-
loi #2011-87 du 24 septembre 2011 portant sur l’organisation des partis politiques interdisait
que les programmes politiques de tout parti politique tunisien ne s’appuient sur « l’incitation
à la violence, à la haine, à l’intolérance et à la discrimination fondée sur la religion252 ». Des
membres de la société civile dénonçaient la reconnaissance juridique de tels partis politiques
qui ne reconnaissent même pas la République tunisienne. Ils estimaient que l’accréditation
officielle des partis politiques salafistes n’a été rendue possible que grâce aux machinations
d’Ennahda, alors au pouvoir, puisque ces partis n’avaient rien changé à leurs fondements
reposant sur la religion253. Cela semble tout à fait plausible étant donné qu’Ennahda, comme
cela sera vu plus tard, a incité les salafistes à fonder des partis politiques.
AST a délibérément refusé toute reconnaissance juridique, bien que le groupe ait été créé lors
d’un congrès ayant eu lieu à La Soukra en avril 2011254. Cette position se base sur le fait que
ses leaders n’adhèrent pas au système de gouvernance tunisien et privilégient plutôt la prise
du pouvoir non pas par les élections, mais par la force ou par le soutien populaire au-delà des
institutions. Obtenir une quelconque accréditation dans le paysage juridique tunisien
renverrait à une contradiction manifeste entre leur discours sur leur refus de reconnaître le
système qu’ils combattent et l’institutionnalisation de leur organisation dans ce même
système.
Cette tension idéologique entourant la reconnaissance juridique expliquait peut-être
l’interaction difficile entre les courants au sein de la mouvance salafiste et avec des
organismes islamistes et islamiques. Il n’était cependant pas rare de voir un salafiste politique
assister à des conférences de salafistes scientifiques de renom ou encore participer à des
activités à caractère social des salafistes d’AST, soulignant ainsi la porosité des
catégorisations des salafistes. Certains rapprochements entre des partis salafistes ou avec le
252 PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE TUNISIENNE PAR INTÉRIM, Décret-loi portant organisation des
partis politiques, Décret-loi n° 2011-87, émis le 24 septembre 2011. 253 Lilia WESLATY, « Tunisie : Fallait-il reconnaître légalement le parti islamiste Hizb ut-Tahrir ? », op. cit. 254 Ridha BEN KACEM, op. cit.
63
parti nahdaoui survenaient parfois. Al-Assâla était considéré proche de Hizb Al-Tahrir, alors
que Jabhat Al-Islâh n’hésitait pas à se rapprocher d’Ennahda. Les salafistes scientifiques
menaient également des tentatives de création de liens avec d’autres associations, plus
particulièrement celles islamiques, pour renforcer leur position et tenter d’influencer leur
ligne des interprétations religieuses. Par exemple, les salafistes scientifiques ont intégré au
moins quatre associations islamiques à spectre idéologique varié : l’Association tunisienne
des sciences religieuses, la Ligue des scientifiques et des prédicateurs, l’Association
tunisienne des imams des mosquées et la Ligue des associations coraniques. Elles formaient
le Front tunisien des associations islamiques qui exerçait une certaine forme de lobbying
politique255. Cependant, si les salafistes scientifiques, politiques et jihadistes se côtoyaient et
participaient à des activités communes, ils ne s’empêchaient pas de se critiquer vertement.
Les salafistes scientifiques condamnaient le choix de leurs confrères dans la création
d’organisation. Un ancien député d’Ennahda confirmait « [qu’]ils s’isol[ai]ent et [qu’ils]
[n’étaient] même pas en accord avec le parti Jabhat Al-Islâh. Ils essa[ya]ient de les faire
revenir ‘’dans le droit chemin’’256 ». Les salafistes jihadistes rejetaient à la fois
l’institutionnalisation des partis politiques et l’absence d’engagement des salafistes
scientifiques257. Les jeunes salafistes jihadistes ne tenaient pas de propos élogieux à l’égard
de Jabhat Al-Islâh, considérant ce parti comme irréligieux et illégitime, composé de
chouyoûkh hypocrites d’Ennahda258. Cela n’a cependant pas empêché Jabhat Al-Islâh de faire
la promotion des activités d’AST en relayant les publications du groupe sur sa page
Facebook259. Ces critiques et l’absence de coordination des mouvements salafistes
fragilisaient leur capacité à mobiliser les troupes pour influencer l’État et la société tunisiens
dans le contexte de la rédaction de la constitution. Néanmoins, ces critiques laissaient place
à une volonté commune de se qualifier du même mouvement idéologique, le salafisme.
255 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., pp. 15-16. 256 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 257 Monica MARKS, « Youth Politics and Tunisian Salafism: Understanding the Jihadi Current »,
Mediterranean Politics, 18 (1), 2013, p. 109. 258 Ibid., p. 113. 259 Aaron Y. ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit.
64
La qualification salafiste : processus de (dé)légitimation
En effet, l’ensemble des organismes et des figures individuelles scientifiques, acceptaient et
employaient l’adjectif « salafiste » pour se désigner et qualifier leurs objectifs et démarches.
Le recours à ce terme a légitimé les organismes et leurs activités au regard de l’auditoire
qu’ils désiraient attirer et du projet de société qu’ils promouvaient. Simultanément, son usage
par des figures extérieures au mouvement, renvoyait plutôt à un processus de délégitimation
et de marginalisation au regard de leur absence de volonté de négocier et des violences qui
leur ont été imputées. Ce constat était partagé par les députés d’Ennahda, dont l’un des
anciens députés expliquait en ces termes :
Auparavant, la définition du salafisme était claire. Aujourd’hui, il ne l’est plus
parce qu’il y a eu politisation du terme. C’est un terme qui est politisé, pour à la
fois se légitimer, de la part de ceux qui se revendiquent tel quel, d’un point de
vue religieux, et délégitimer, d’un point de vue politique, comme un extrémiste.
On note donc une évolution dans le temps, une instrumentalisation.260
Ce double jeu de légitimation et de délégitimation explique la difficulté pour les chercheurs
d’identifier qui sont les salafistes. Par exemple, Béchir Ben Hassen n’est pas toujours
considéré comme un salafiste261. Le label salafiste paraît plus problématique lorsqu’il est
transféré dans la sphère politique et ce, autant dans la littérature que dans les entretiens
menés. Torelli estime que le seul parti politique tunisien qui pourrait recevoir le label salafiste
durant la transition serait Jabah Al-Islâh262. Ennahda le considérait d’ailleurs comme le
principal parti politique salafiste selon les propos de l’un de ses députés263. Cependant, un
constat a émergé sur le plan de la catégorisation des acteurs salafistes lors des entretiens. En
effet, l’ensemble des personnes interrogées ne mentionnait que les salafistes scientifiques et
ceux jihadistes, paraissant fonder leur catégorisation sur le choix du recours aux actions
pacifiques ou violentes. Hizb Al-Tahrir, dont la qualification « salafiste » est la plus mitigée,
260 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 261 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 262 Stefano M. TORELLI, « The Multi-Faced Dimensions of Tunisian Salafism », op. cit., p. 159. 263 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.
65
serait l’unique parti politique parmi les quatre qui échapperait à cette étiquette. Ce constat est
partagé par Amghar et Cavatorta qui le justifiaient parce que le parti serait moins exigeant
sur la conduite individuelle de ses membres264. La qualification d’Hizb Al-Tahrir n’est pas
claire chez les députés d’Ennahda. Certains le considèrent salafiste265, d’autres non parce
qu’il y a des « différences considérables au niveau du respect des mœurs dans le
comportement des adhérents266 », alors que certains l’estiment moitié-moitié267. Le parti lui-
même refuse ce qualificatif, peut-être par opportunisme politique, pour éviter la charge
péjorative du terme véhiculée dans la psyché sociale268. À cet effet, le porte-parole à
l’époque, Ridha Belhaj, a affirmé que :
Dès le départ, on a voulu nous placer sous la bannière du salafisme dont nous
sommes bien loin. Il nous a fallu nous en démarquer nettement et rapidement et
nous nous sommes employés à lutter contre l’anarchie et la violence, appelant au
sens de la mesure, à la défense des biens et des personnes, au retour de la sécurité
et à la reprise des activités269.
Quant aux salafistes d’AST, ils se réclamaient ouvertement de cette tendance, bien qu’une
précision mérite d’être apportée. Nul doute ne subsiste quant au volet salafiste du groupe et
ce, autant dans la littérature que dans les entretiens menés dans la présente recherche.
Cependant, sa catégorisation de groupe « jihadiste » a fait l’objet de dissension entre la
théorie et la pratique270. Si la matrice fondatrice d’AST, par le passé de ses leaders271 et par
certains discours soutenus, baignait en effet dans l’univers jihadiste, ses actions font plutôt
264 Entretien avec Samir Amghar, à l’Université Laval, Québec, Canada, 2017 et entretien avec Francesco
Cavatorta, à l’Université Laval, Québec, Canada, 2017. 265 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 266 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 267 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 268 « Hizb ut-tahrir : Le retour du Califat comme solution? », op. cit. 269 Ibid. 270 TORELLI, Stefano M., « The Multi-Faced Dimensions of Tunisian Salafism », op. cit, p. 5. 271 Abû Iyadh a fait partie du Front islamique tunisien, qui légitimait le recours à la violence, et d’Al-Qâ’ida.
66
écho à celles d’un groupe caritatif et associatif272. Par contre, pour des fins d’analyse du
présent mémoire, AST sera bel et bien considéré comme un groupe jihadiste.
Cette étiquette salafiste représentait à la fois un fardeau et un avantage. Un fardeau, parce
que leur réputation générale les a empêchés de participer aux négociations sur la constitution
parce que « le salafisme, dans les médias tunisiens, équivalait au terrorisme273 ». Cela les a
également empêchés d’accéder de manière égale aux députés constituants, peu importe les
partis auxquels ces derniers sont rattachés, nuisant à leurs efforts de salafisation (top-down).
Un avantage, car ils détenaient une aura de légitimité dans leurs actions de salafisation
(bottom-up) comme cela sera vu dans le prochain chapitre. L’étiquette salafiste n’explique
cependant pas à elle seule la raison pour laquelle les groupes salafistes n’ont plus ou moins
été des parties prenantes aux négociations sur la constitution tunisienne. En effet, leur
manque d’expérience politique a eu pour conséquence une absence de représentation
politique, la rédaction de programmes généraux et la priorisation des actions à proximité de
la mosquée au lieu des actions politiques per se.
L’absence de représentation politique et la présence de programmes généraux au profit de
la mosquée, le principal lieu de rencontre des salafistes
Outre la structure plutôt bancale, rares sont les organismes qui ont adopté un programme en
bonne et due forme spécifiant les moyens entrepris pour atteindre les objectifs visés. Les
salafistes scientifiques et jihadistes n’avaient pas de « programme politique », puisqu’ils
refusaient le jeu politique. AST détenait néanmoins un programme social qu’il a présenté lors
de son second congrès à Kairouan en mai 2012. Il contenait des propositions touchant
notamment le domaine de la santé, du tourisme et de l’éducation274. Quant aux associations
scientifiques, elles agissaient en fonction d’une mission religieuse qui consistait à diffuser la
272 Fabio MERONE et Francesco CAVATORTA, « Salafist Movement and Sheikh-ism in the Tunisian
Democratic Transition », op. cit. 273 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 274 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.
67
pratique islamique. Par exemple, l’Association centriste pour la sensibilisation et la réforme
a pour mission de « préconiser un retour à la décence et à l’adhérence d’une forme modérée
de l’Islam275 » et de travailler ainsi à l’insertion « de la loi islamique en contrôlant les
comportements des personnes et en imposant des règles sociales276 ». Cela avait tout de même
eu un impact politique indirect parce que les missions de ces associations favorisaient la
salafisation de la société.
Adopter un programme politique fait partie de la joute politique et c’est pourquoi tous les
partis politiques salafistes s’en sont dotés. Cependant, en lisant leurs programmes, il est
possible d’en tirer deux conclusions. Premièrement, ils étaient rédigés en des termes très
généraux, relevant plutôt de grands principes que de mesures concrètes. Deuxièmement, ils
étaient constitués essentiellement d’éléments relevant de droits économiques, sociaux et
culturels s’adressant plus directement aux problèmes quotidiennement rencontrés par les
citoyens tunisiens. Ces propositions ne traitaient pas spécifiquement de la constitution et des
institutions, bien que les débats sur la constitution aient abordé des questions socio-
économiques et de décentralisation, mis à part la demande unanime d’insérer la charî’a
comme source de droit.
Ces programmes politiques ont été élaborés après l’élection des représentants
constitutionnels de 2011 et donc en prévision des élections suivant l’adoption de la
constitution et non pas pour l’élection de députés constituants. Par exemple, le parti Al-
Rahma proposait des réformes axées sur l’emploi, la santé, le logement et l’éducation277,
alors qu’Hizb Al-Tahrir présentait une plateforme électorale qui comprenait la réalisation
d’une révolution industrielle et d’une réforme agricole en suggérant une économie nationale
qui ne se fondait ni sur le tourisme ni sur l’investissement extérieur278. Quant à Jabhat Al-
Islâh, il appelait à favoriser le respect de la loi, la préservation des acquis du peuple, la
275 Asma GHRIBI, « Tunisia Recognizes Controversial Islamist Organization », op. cit. 276 Amel GRAMI, « The Debate on Religion, Law and Gender in Post-Revolution Tunisia », Philosophy and
Social Criticism, 40 (4-5), 2014, p. 394. 277 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23. 278 Mohammed Ali EL HAOU, « Les cinq familles qui représentent le champ de l’islam politique en Tunisie »,
Réalités Online, [En ligne], 2014, http://www.realites.com.tn/2014/08/les-cinq-familles-qui-representent-le-
champ-de-lislam-politique-en-tunisie (Page consultée le 28 mai 2017).
68
consécration des valeurs républicaines, le droit du peuple de choisir ses représentants en toute
liberté, la préservation des acquis de la révolution et la protection de la patrie contre toute
menace279.
Malgré ces programmes, l’ensemble du mouvement salafiste ne possédait aucune
représentation politique au sein de l’ANC, ce qui limitait grandement leur capacité à
influencer directement le processus d’élaboration de la nouvelle constitution. D’une part, les
salafistes scientifiques et jihadistes refusaient de participer à l’exercice démocratique.
D’autre part, les partis politiques salafistes partaient avec un handicap en matière de
représentation politique, car ils n’ont pas pu se faire élire au sein de l’ANC. En effet, ces
partis salafistes n’ont été créés qu’en 2012, soit après les élections constitutionnelles de 2011.
Il faut néanmoins rappeler qu’à l’époque, Jabhat Al-Islâh avait présenté des candidats
indépendants sur la liste électorale du Front tunisien du travail et de la réforme (Jabhat al-
‘Amel wal-Islâh al-Tunisiyya)280. Ces candidatures n’ont cependant gagné aucun siège aux
élections de 2011. L’absence de représentation politique des salafistes a profité à
l’environnement religieux, puisqu’ils les salafistes ont plutôt misé sur une présence marquée
près des mosquées.
La mosquée a représenté le lieu de prédilection de rencontre pour les opposants aux régimes
et ce, bien avant les luttes indépendantistes. Lors de la transition tunisienne, elle conservait
cette utilité et incarnait un terreau d’affrontement entre factions salafistes, mais aussi contre
Ennahda et l’État, plus précisément le Ministère des Affaires religieuses. La mosquée
demeurait le principal vecteur de la stratégie de salafisation par le bas.
Le respect des libertés d’association et d’expression après le départ de Ben Ali ne faisait plus
craindre les salafistes d’être mis sous arrêt pour les idées qu’ils véhiculaient et les activités
qu’ils menaient, sous réserves d’être pacifiques. Cela les invitait à investir les lieux publics
à travers la Tunisie, en se concentrant plus spécifiquement sur les quartiers défavorisés des
279 Ibid. 280 Aaron Y. ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit.
69
grandes villes et les villages éloignés des centres urbains. Cependant, ils se réunissaient peu
en des lieux étiquetés « politiques » comme auprès de l’ANC et d’autres institutions
semblables.
La mosquée occupait une place prépondérante chez ces acteurs, qu’ils se déclinent comme
politiques, scientifiques ou jihadistes, de par la centralité de la religion dans leurs objectifs,
leurs discours et leurs actions. Les salafistes se sous-divisaient en petits groupes qui ne
fréquentaient généralement qu’une seule mosquée qui devenait en quelque sorte leur quartier
général281. Ils y passaient le plus clair de leur temps, y accomplissaient la salât et y faisaient
leurs apprentissages religieux. Par exemple, des halaqât se formaient au sein du Hizb Al-
Tahrir, des cercles d’études, où le nombre de participants variait. Les membres y étaient
appelés à étudier divers thèmes religieux pour approfondir leurs connaissances, mais aussi
diffuser leur interprétation des textes religieux282.
C’est dans cette optique que les discours des salafistes tunisiens se centraient sur la religion
telle qu’interprétée par le minhâj salafî. Leurs discours ont également porté sur les stratégies
légitimes à recourir pendant cette période de transition.
Les discours des salafistes tunisiens : entre des objectifs communs et des
stratégies divergentes
L’État et la société islamiques : une solution à tous les maux
Les salafistes tunisiens présentaient effectivement l’islam comme la solution : « [w]e have
the Quran and the sunna that give us an alternative: with our religion we can dominate the
world, just like we used to in the past283 ». Pour eux, l’islam représenterait la seule alternative
281 Pietro LONGO, Salafism and Takfirism in Tunisia. Between Al-Nahda’s Discourses and Local Peculiarities,
Working paper présenté au Middle East Studies Center, 16 novembre 2016. 282 Mohammed Ali EL HAOU, op. cit. 283 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.
70
viable et durable au modèle d’État-nation et des épisodes ratés du socialisme de Bourguiba
et de la démocratie benalienne, dont les bénéfices ont été détournés des classes populaires à
la faveur de l’élite tunisoise284 : « [s]ocialism, capitalism, they have been tried and they
failed. Besides, they do not come from us, they come from another world (e.g. the West)285 ».
En effet, les abus incessants du pouvoir centralisé autoritaire qui avait recours à la démocratie
comme un moyen justifiant le bien-fondé de ses actions les confortaient dans leur rôle à jouer
dans le cadre de la transition tunisienne. C’est d’ailleurs ce que soulignaient les femmes
salafistes interrogées dans le documentaire réalisé par Agnès de Féo286. Ils partageaient
également les deux principaux objectifs : créer un état islamique et vivre au sein d’une société
islamique, à l’image de la communauté parfaite de Médine à l’époque du Prophète287.
Cette conclusion survient parce que les salafistes faisaient un double constat. D’une part, les
socles législatifs et institutionnels de la République tunisienne, par leur fondation sur le
modèle de l’État-nation moderne, n’étaient pas conformes aux principes véhiculés par la
charî’a : le système politique démocratique conséquent alimentait la hizbiyya entre les
différents protagonistes politiques, le système financier et capitaliste entérinait le ribâ, le prêt
usurier interdit en Islam, les lois cristallisaient des droits, des libertés et des pratiques qui
allaient à l’encontre de l’esprit islamique, les dirigeants ne présentaient pas de hautes valeurs
morales islamiques, etc. Pour reformuler selon les mots employés par Grami, « secular laws
conflict with some interpretations of shariah, such as those concerning adoption and single
mothers who give their own names to their children288 ». D’autre part, les mœurs des
Tunisiens, entachés par le mode de vie occidental favorisé par les élites corrompues et
empreints de croyances populaires coutumières, n’étaient pas non plus conforme à la charî’a.
Les salafistes tunisiens reprochaient entre autres la vente permise d’alcool dans certains
supermarchés, généralement français, l’ouverture et la fréquentation de discothèques, les
284 Lahouari ADDI, « Islam Re-Observed: Sanctity, Salafism, and Islamism », The Journal of North African
Studies, 14 (3), 2009, p. 341. 285 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit. 286 Agnès DE FÉO, La Tunisie et ses femmes salafistes, Sasana Production, 21 mai 2015. 287 Samir AMGHAR, « Le salafisme à la conquête du pouvoir », Le Monde, [En ligne], 10 juillet 2013,
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/07/10/le-salafisme-a-la-conquete-du-pouvoir_3445712_3232.html
(Page consultée le 28 mai 2017). 288 Amel GRAMI, op. cit., p. 3.
71
classes mixtes, l’augmentation des « dé-jeûneurs » lors du Ramadan et le culte des saints.
Pour reformuler, les piliers du pouvoir, les actions étatiques et les comportements de la
société tunisienne ne favorisaient pas l’application de la charî’a.
Le salafisme tunisien se définissait donc comme un mouvement réactionnaire et très critique
à l’encontre des dernières décennies considérées comme décadentes. Les salafistes détenaient
la volonté d’incarner une rupture avec les régimes politiques précédents. Constatant la
perdition de la société et la possibilité de s’exprimer librement après le printemps arabe, ils
souhaitaient rouvrir le débat sur l’identité des Tunisiens en y soulignant l’importance, ou
plutôt la centralité, de la référence religieuse islamique comme élément identitaire central289.
Les salafistes avaient conscience de l’inestimable opportunité que représentait la transition
politique tunisienne pour eux et leur projet politique, social et religieux, d’autant plus en
raison de la prise du pouvoir par un parti islamiste, potentiellement sensibles à leurs
reviendications. C’est pourquoi les salafistes ont tenté, malgré leur absence de représentation
politique à l’ANC, d’influencer le processus constitutionnel en faveur de leur principale
revendication constitutionnelle.
Vers une redéfinition de l’identité tunisienne : la charî’a comme demande identitaire
salafiste
Les salafistes entretenaient des attentes propres à la rédaction de la constitution et à la
conséquente construction de la société tunisienne aux lendemains des soulèvements
populaires. Ces attentes, faisant l’objet d’une tentative d’influence du processus
constitutionnel, étaient intimement liées à la redéfinition de l’identité tunisienne, identité
monopolisée par les élites tunisiennes et leurs visées laïques290 parce que
Depuis 1956, il y a une accaparation de notre culture, de la tunisianité qui est liée
à la laïcisation, la sécularisation forcée. Il y a une marginalisation de la Zeitouna.
289 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 290 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia: The Fight for Identity beyond Political Islam », op.
cit.
72
La révolution [était] une occasion pour réfléchir à ce que [c’était] d’être Tunisien,
quel rôle [devait] jouer l’islam.291
Recentrer, ou plutôt focaliser, l’identité tunisienne autour de la composante religieuse
permettrait ce retour si souhaité à l’âge d’or islamique. Revendiquer cet élément vital et
exclusif passerait par l’assurance, toujours selon les salafistes, que la charî’a régule le
fonctionnement de la République tunisienne via par exemple l’application du fiqh dans les
cours de justice ou une politique étrangère définie en termes d’intérêts islamiques. Elle
devrait également encadrer les interactions entre personnes privées, par exemple les
transactions commerciales ou la façon d’interagir entre personnes de sexes différents. Il
s’agissait donc d’une revendication qui ne se voulait pas uniquement symbolique, mais qui
entraînerait bel et bien des effets concrets notamment sur les plans juridiques, institutionnels
et sociaux.
Inscrire la charî’a dans la nouvelle constitution tunisienne était la principale demande
formulée par les salafistes aux députés constituants, peu importe la classification attribuée à
ces acteurs292. Selon les propos de salafistes recueillis par Marks, « [w]here there is shariah,
there is a complete programme – no more divisions, injustice293 ». La charî’a représentait
pour eux « [a] straightforward path with clear-cute, reassuring rules governing dress,
devotional practice and gendered behaviour294 ». Les deux principaux partis politiques
salafistes, Jabhat Al-Islâh et Hizb Al-Tahrir, en ont fait le cœur de leur programme politique.
Si Hizb Al-Tahrir revendiquait la mise en œuvre de la charî’a295, Jabhat Al-Islâh en exigeait
la constitutionnalisation et que tous les éléments de la vie, de nature privée ou publique, y
soient subordonnés296. De cette manière, la charî’a devrait servir de base fondamental au
291 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 292 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 293 Monica MARKS, op. cit., p. 108. 294 Ibid., p. 111. 295 Voir en annexe V HIZB AL-TAHRIR, « The Colonial Kaffir Plunders the Wealth of the Muslims in
Tunisia », Hizb Al-Tahrir, [En ligne], 2013, (http://www.hizb-ut-tahrir.org/index.php/EN/nshow/2191 (Page
consultée le 3 juin 2017). 296 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., pp. 23-24.
73
cadre constitutionnel tunisien297. Les salafistes scientifiques ne demeuraient pas en reste et
en avaient formulé la demande par l’entremise notamment de l’Association fondée par Adel
Almi298, de Béchir Ben Hassen, ainsi que de Khatib Idrissi299.
Si l’unanimité ressortait de cette requête, la formulation propre de son inscription variait
selon les acteurs salafistes. Pour certains salafistes, la charî’a devait être inscrite comme
l’une des sources de la législation300. Cette formulation inclusive impliquait que le recours à
d’autres sources de législation, de pair à la charî’a, demeurait possible. Pour d’autres, la
charî’a devait constituer la seule et unique source légitime de la législation301.
Conséquemment, toute loi promulguée par la subséquente ARP ne devrait pas être contraire
à la charî’a. Enfin, les salafistes jihadistes et même certains salafistes politiques estimaient
que le temps pris pour rédiger une constitution représentait une perte de temps pour tous. Il
s’agissait conséquemment d’un exercice inutile, comme en témoignait le chef du parti Al-
Assâla qui affirmait que « [les salafistes ont] une constitution islamique déjà prête qui nous
fera[it] gagner tout ce temps où se démènent les élus de l’Assemblée [nationale
c]onstituante302 ». Ces derniers valorisaient plutôt le recours direct aux textes religieux,
puisque la seule constitution valable pour eux était le Coran303. Cette idée paraissait
contradictoire pour un député d’Ennahda qui soulignait leur intention d’introduire des textes
297 Georges FAHMI, « The Future of Political Salafism in Egypt and Tunisia », Carnegie Middle East Center,
[En ligne], 2015, http://carnegie-mec.org/2015/11/16/future-of-political-salafism-in-egypt-and-tunisia-pub-
61871 (Page consultée le 21 mai 2017). 298 « Adel Almi et l’application de la Chariaa: Amputation des mains, lapidation, flagellation, polygamie… »,
Directinfo, [En ligne], 11 janvier 2013, http://directinfo.webmanagercenter.com/2013/01/11/adel-almi-et-
lapplication-de-la-chariaa-amputation-des-mains-lapidation-flagellation-polygamie (Page consultée le 3 juin
2017). 299 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 18. 300 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 301 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 302 DIRECTINFO & TUNISIE AFRIQUE PRESSE, « Le parti salafiste Al-Assala accuse Ennahdha de vouloir
“« monopoliser »” la scène politique », Directinfo, [En ligne], 24 novembre 2014,
http://directinfo.webmanagercenter.com/2012/11/24/le-parti-salafiste-al-assala-accuse-ennahdha-de-vouloir-
monopoliser-la-scene-politique (Page consultée le 28 mai 2017). 303 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.
74
religieux dans une constitution issue de l’ANC qui détenait le pouvoir via l’autorité du
peuple304.
Qu’entendaient les salafistes par la notion de charî’a ? Souvent traduite comme la Loi
islamique, elle se traduit par « chemin » en arabe. Définie dans un contexte religieux, la
charî’a signifie le bon chemin à prendre pour respecter la volonté de Dieu. La loi islamique
est donc d’origine divine et « la loi est une décision de Dieu305 ». Elle repose sur des principes
qui doivent être à tout prix protégés par les musulmans et qui touchent à la fois à la vie privée
et publique, d’où découlent des règles relevant à la fois du culte (ibâdat) et des affaires
sociales (mu’amallât). Bien qu’un flou ait subsisté au courant des XIXème et XXème siècles
parmi les chercheurs306, il faut distinguer la charî’a du fiqh, le droit musulman. La charî’a
est un « normative order contained within the corpus of the Qur’anic revelation and early
Islamic precedent (sunna)307 », une « normative construction of law for societies that
articulate their world308 », alors que le fiqh représente les « efforts and activities to discover
and give expression to the many facets of Qur’an (and Sunna) derived principles of shari’a
law309 ». Si le fiqh est un corpus juridique positif qui diffère selon les États, elle doit se
rattacher aux principes de la charî’a, dont les frontières paraissent plutôt grises. Quoiqu’il en
soit, le respect à l’égard de la religion rime avec le respect à l’endroit du concept de tawhîd,
l’unicité de Dieu. De cette manière, les salafistes remettaient en cause le processus de
législation tel qu’élaboré et conçu au sein de la République tunisienne. Cette prérogative ne
devait pas dépendre d’un Parlement dont l’autorité provenait du peuple tunisien, car cette
autorité n’appartenait qu’à Dieu uniquement.
304 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 305 Louis MILLIOT et François-Paul BLANC, Introduction à l’étude du droit musulman, 2ème, Paris, Recueil
Sirey, 1987, p. 172. 306 Yvonne Y. HADDAD et Barbara F. STOWASSER, « Introduction » dans Islamic Law and the Challenges
of Modernity, Yvonne Y. HADDAD et Barbara F. STOWASSER (sous la direction de), Walnut Creek,
AltaMira Press, 2004, p. 4. 307 Ibid. 308 Wael B. HALLAQ, Sharī’a : Theory, Practice, Transformations, Cambridge, Cambridge University Press,
2009, p. 74. 309 Yvonne Y HADDAD et Barbara F. STOWASSER, op. cit., p. 5.
75
Pour un député d’Ennahda, « il n’y avait pas vraiment d’autres revendications à part la
charî’a, [ni] de propositions bien formulées [ou] écrites. Ce [n’étaient essentiellement] que
des slogans [lancés] au cours des manifestations310 ». Néanmoins, la mention de la charî’a
en tant que source principale ou l’une des sources légitimes dans la constitution tunisienne et
la zone grise du terme ouvrirait éventuellement la porte à une panoplie de changements. Les
salafistes étaient pleinement conscients de l’ambiguïté définitionnelle de la charî’a et de leur
demande constitutionnelle et ont joué avec cette ambiguïté pour renforcer leurs demandes
para-constitutionnelles constituées de ces changements. Ils n’ont d’ailleurs pas apporté de
claire définition dans leurs programmes politiques. Les membres de Jabhat Al-Islâh se sont
en effet questionnés à savoir quelle était la meilleure façon d’implanter la charî’a, sur quel
niveau ils devaient axer son implantation et quelle dispositions ils devaient inclure311. Selon
Fahmi, cette situation s’expliquait par leur manque de vision politique de l’État312. Les
demandes para-constitutionnelles visaient une modification de l’État tunisien en fonction de
leurs deux objectifs de salafisation de l’État et de la société.
En premier lieu, certains salafistes appelaient à une réforme du système de gouvernance et
ont interpellé les députés nahdaouis à ce sujet313. Bien que le Prophète n’ait pas légué
d’indications précises sur la manière de conduire et de gérer les affaires politiques et
militaires de l’oumma, les salafistes estimaient que le califat, modèle adopté par les califes
bien-guidés et leurs successeurs, devrait substituer au modèle républicain actuel de l’État
tunisien parce qu’il permettrait de rétablir la justice et l’équité. Bien qu’elle ne faisait pas
l’unanimité parmi les salafistes tunisiens, cette demande de califat transcendait les catégories.
En effet, des figures scientifiques comme Khatib Idrissi en ont expressément fait la
mention314, ainsi que le groupe jihadiste AST. Fait intéressant, les salafistes politiques qui
interagissaient dans l’actuel système politique tunisien en adhérant aux procédures,
n’adhéraient pas pour autant au principe d’État-nation ni à celui de démocratie. Ils appelaient
310 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 311 Georges FAHMI, op. cit. 312 Ibid. 313 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 314 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 18.
76
d’ailleurs à une modification de l’essence même de ce mode de gouvernance démocratique,
à une renonciation à la démocratie, comme l’a souligné Hizb Al-Tahrir dans l’extrait du
communiqué de presse suivant :
The basis of governance and politics is a law above all, the rulers and the ruled
alike: Thus how are we to ensure this through a man-made law that gives the
people the right to legislate and to establish constitutions and laws that serve the
interests of the powerful? How do we ensure a law above all without taking the
Revelation of the Lord of the Worlds as a basis and measure, making the people
equal, the rulers and ruled alike. […] So do not allow any concern to distract you
from your real issues; by changing the system from the contemptible man-made
system to the ruling system of Islam that resolves and does not oppress, unites
rather than divides, restores rights to their owners, and ensures the dignity to live
as per the system itself and not as a favor from anyone. And this is through
establishing the Khilafah Rashidah that pleases the inhabitants of the heaven and
the inhabitants of the earth.315
Sans entrer de façon pointue dans les détails, le califat serait dirigé par un calife, choisi par
ses congénères, reconnu comme pieux et doté de qualités extraordinaires. Il serait assisté
dans ses fonctions par la choûra, un conseil consultatif. Évidemment, cet État islamique serait
régulé par la charî’a. Encore une fois, les propositions et les programmes politiques ne
fournissaient pas de plus amples détails sur la façon d’y parvenir. Par exemple, Jabhat Al-
Islâh a demandé l’établissement d’un état islamique, sans toutefois indiquer si cela ne passait
qu’uniquement par la mise en œuvre de la charî’a ou par la création explicite d’un califat316.
En second lieu, les salafistes demandaient à ce que les droits et libertés soient limités en vertu
des prescriptions islamiques. Par exemple, l’interdiction du blasphème à l’égard de la religion
restreindrait la liberté d’expression. Une initiative allant dans ce sens avait d’ailleurs été
déposée sous forme de projet de loi devant l’ANC par Ennahda, appuyé par des adhérents au
courant salafiste. Certains arts considérés comme blasphématoires dans leur contenu ou
représentant des éléments anthropomorphiques pourraient être censurés dans le cadre de la
315 Voir en annexe VI HIZB AL-TAHRIR, « Four Years since the Launch of the Ummah’s Revolution from
Tunisia », Hizb Al-Tahrir, [En ligne], 2014, http://www.hizb-ut-tahrir.org/index.php/EN/nshow/2702 (Page
consultée le 3 juin 2017). 316 Georges FAHMI, op. cit.
77
diffusion de films, de pièces de théâtre, d’expositions artistiques, de concerts de musique ou
de spectacles humoristiques. Durant le processus constitutionnel, plusieurs salafistes
tunisiens scientifiques et jihadistes se sont justement attaqués à de tels emblèmes. Les droits
des femmes, codifiés dans le Code du statut personnel, seraient possiblement en péril,
notamment le droit à l’avortement ou le droit au travail, les salafistes ayant répété que le
foyer familial constituait la place légitime des femmes. Une restauration du statut de dhimmis
(minorités) et de la jiziyya, la taxe de protection ou le tribut à payer par les chrétiens ou les
juifs, risquerait d’attenter aux droits des minorités.
D’autres pratiques pourraient être rétablies, les salafistes scientifiques ayant émis plusieurs
demandes et propositions à ce propos. L’imam Béchir Ben Hassen a demandé à ce que le
vendredi, jour de la prière communautaire de joumou’a, soit un jour de congé317. La fermeture
complète des restaurants durant les heures de jeûne de Ramadan, l’application des hudoûd,
châtiments corporels et la fin de la mixité notamment dans les établissements d’enseignement
ont fait l’objet de demande explicite de la part de l’Association d’Almi318. Ce dernier a même
proposé la création d’une police religieuse qui assurerait le respect des Tunisiens aux
principes islamiques319, à l’image de ce qu’accomplit la muttâwa’a en Arabie saoudite. La
restauration de la pratique de la polygamie a aussi été l’une de ces demandes320.
Ces demandes para-constitutionnelles en matière de droits et libertés paraissaient beaucoup
plus développées en terme pratique que leur demande constitutionnelle d’inscrire la charî’a
dans la nouvelle constitutionnelle possiblement pour trois raisons. Premièrement, elles ne
remettaient pas en cause la légitimité du processus de constitutionnalisation. Deuxièmement,
elles constituaient des pratiques et non pas des principes. Les salafistes n’avaient donc pas
317 Voir en annexe VII Rabaa H., « Tunisie - Un prédicateur salafiste montrera le “droit” chemin aux
prisonniers », Tunisie Numérique, [En ligne], 23 novembre 2012, https://www.tunisienumerique.com/tunisie-
un-predicateur-salafiste-montrera-le-droit-chemin-aux-prisonniers (Page consultée le 21 mai 2017). 318 « Adel Almi et l’application de la Chariaa: Amputation des mains, lapidation, flagellation, polygamie… »,
op. cit. 319 Stefano M. TORELLI, « Radicalisation and Jihadist Threat in Tunisia: Internal Root Causes, External
Connections and Possible Responses », op. cit., p. 160. 320 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.
78
besoin d’élaborer des définitions pragmatiques. Troisièmement, elles relevaient de la sphère
sociale, domaine d’action privilégiée par les salafistes au détriment des politiques.
L’inscription de la charî’a et les demandes para-constitutionnelles ont cependant suscité de
la méfiance de la société qui estimait qu’elles risqueraient d’entraîner des dérapages
sociétales à l’instar de ce qui est survenu dans l’Iran clérical, l’Arabie saoudite wahhabite et
l’Afghanistan talibane. Les revendications identitaires salafistes l’ont forcée à réagir aux
propos tenus. Par exemple, les attaques discursives répétées contre les femmes par la volonté
d’une légalisation de la polygamie, du mariage forcé et du port obligatoire du voile, ont
mobilisé les factions féministes sur la scène publique pour contrebalancer ces idées
considérées rétrogrades321. Cette crainte des salafistes laissait entrevoir que seule une
audience spécifique et rétrécie ne pouvait être attentive à leurs revendications
postrévolutionnaires, une clientèle sociale et politique ultra-conservatrice.
À la recherche d’une clientèle sociale et politique ultra-conservatrice
Ces discours appelant à une redéfinition de l’identité tunisienne et à l’inscription de la charî’a
s’adressait à tous les Tunisiens musulmans sur la base de leur identité religieuse, mais aussi
nationale. Les références à l’islam, au Coran et à la Sunna, devraient susciter l’intérêt de tous
les musulmans qui ne pouvaient, s’ils étaient profondément sincères dans leur îmâne, leur
foi, qu’être en accord avec eux particulièrement parce qu’ils estimaient représenter al-firqa
al-najiya. Même si les salafistes tunisiens partageaient un désir d’unifier l’oumma qu’ils
estimaient divisée et égarée, l’essentiel de leurs champs discursifs et d’action se concentrait
sur le territoire tunisien. Leur implantation dans le cadre national, particulièrement dans le
contexte de processus transitionnel et constitutionnel, soulignait leur volonté de contribuer à
la redéfinition de cette tunisianité322, bien que l’attitude se dégageant du concept al-walâ’ w-
al-barâ pouvait créer une certaine tension entre une position d’ouverture ou de fermeture au
321 Amel GRAMI, op. cit., p. 6. 322 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia: The Fight for Identity beyond Political Islam », op.
cit.
79
dialogue. Cette redéfinition de la tunisianité entrait en rupture avec la tunisianité avancée par
Bourguiba et les élites tunisoises depuis l’indépendance de la Tunisie et également celle
adoptée par Ennahda après la reformulation pragmatique de ses assises politiques depuis les
années 90 qui mettaient l’accent sur la modernité, le pluralisme, la tolérance, les identités
multiples et l’importance de la nation tunisienne323.
Malgré leurs intentions initiales, leurs discours ne rejoignaient concrètement qu’une fraction
de la population tunisienne. Cette frange populaire, constamment négligée par les élites au
pouvoir depuis l’indépendance, représentait la couche plus pauvre de la société. Les salafistes
obtenaient une oreille attentive dans les régions intérieures de la Tunisie, défavorisées au
profit des régions côtières et des grandes villes. Les problématiques y étaient multiples : taux
de chômage et d’analphabétisation élevés, revenu moyen très faible, services publics
minimes, absence d’eau courante et d’électricité, peu d’investissements gouvernementaux,
etc. Les discours salafistes trouvaient également écho dans les quartiers populaires des
grandes villes où se présentaient des enjeux relativement semblables sur le plan de
l’éducation et du chômage324. Les plus jeunes, souvent qualifiés de désillusionnés parce
qu’ils étaient les plus touchés par le chômage325, représentaient la portion de la population la
plus encline au discours salafiste, extrêmement teinté de populisme326. Ces jeunes
accumulaient parfois un passé de criminalité pour diverses infractions de droit commun ou
pénal327, comme de la vente de zalta (marijuana), de vol ou de meurtre : « there is a new
radical Islamism composed mostly of a younger generation, belonging to the main
disenfranchised social class and integrating into the public scene in the name of jihad328 ».
Cet attrait s’expliquait peut-être justement par le fait que le salafisme constituait un moyen
323 Francesco CAVATORTA et Fabio MERONE, « Post-Islamism, Ideological Evolution and ‘la tunisianité’
of the Tunisian Islamist Party Al-Nahda », Journal of Political Ideologies, 20 (1), 2015, pp. 34-35. 324 Voir à cet effet INTERNATIONAL ALERT, Les jeunes de Douar Hicher et d’Ettadhamen. Une enquête
sociologique, Arabesque, Tunis, 2015. 325 TUNISIE NUMÉRIQUE, Le deuxième congrès du parti Hizb Al-Tahrir, Tunisie Numérique, 22 juin 2013. 326 AL HUFFINGTON POST MAGHREB & TUNISIE AFRIQUE PRESSE, « 1 jeune tunisien sur 3 éprouve
de la sympathie pour la prédication salafiste selon une étude », Al Huffington Post Maghreb, [En ligne], 21
décembre 2016, http://www.huffpostmaghreb.com/2016/12/21/salafisme-tunisie_n_13762066.html (Page
consultée le 21 mai 2017). 327 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 10. 328 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.
80
facile de s’élever dans l’échelon social à défaut d’avoir mené des études supérieures ou
d’occuper un emploi bien rémunéré, et par un discours constamment récriminatoire et
vindicatif à l’égard des élites et du système tunisiens.
Les discours radicaux et revendicateurs notamment d’AST et d’Hizb Al-Tahrir concernant
la redéfinition de l’identité tunisienne qui passait par l’imposition de la charî’a et les
conséquents changements vers la justice et l’équité donnaient la perception à ces jeunes d’être
enfin écoutés et que leurs griefs étaient crédibilisés. Au contraire, cette redéfinition de la
tunisianité par l’apport du salafisme en inquiétait plusieurs dont l’éditrice du journal
électronique Alternatives citoyennes, Nadia Omrane, qui parlait du salafisme en ces termes :
Tant que ce mouvement restera étranger à notre langue, à nos mœurs, à nos
codes, à notre art de vivre ensemble, tant qu’il tentera d’introduire des réformes
contraires à nos traditions et à nos usages, tant qu’il essaiera de réorienter notre
géopolitique et notre culture vers un arabo-wahhabisme tournant le dos à notre
patrimoine pluricivilisationnel, ce mouvement et ses supplétifs seront perçus
par nous comme étrangers à notre histoire et à notre nation.329
Si l’honneur et la fierté seraient rétablis grâce à une histoire minutieusement construite qui a
conduit les jeunes vers ces groupes salafistes et les a rendus plus attentifs au minhâj salafî330,
elle soulignait plutôt l’absence de volonté de coexistence des salafistes avec d’autres
communautés et le renforcement de la polarisation entre les islamistes, toutes tendances, et
les laïcs.
Dans le contexte de rédaction constitutionnelle, la charî’a constituait le seul enjeu digne
d’intérêt pour ces jeunes salafistes, représentant un « clé-en-main » : nul besoin de se pencher
sur les modes de votation, la séparation des pouvoirs, le choix d’un système parlementaire
ou présidentiel. Pour les autres partis politiques et membres de la société, l’échec des
salafistes de définir la charî’a en termes concrets a influencé de manière négative la
crédibilité de ces acteurs salafistes dans leur capacité à proposer des idées constitutionnelles
329 Jean FONTAINE, Du côté des salafistes en Tunisie. Tactiques... ou stratégie ?, Arabesques, Tunis, 2016, p.
106. 330 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23.
81
qui assureraient la stabilité de la Tunisie, notamment en matière de gouvernance et de droits
et libertés. Ils ont organisé des campagnes médiatiques pour souligner le flou définitionnel
de la charî’a et pour miser sur les pratiques considérées « archaïques » des hudoûd telles que
le coupage de main en cas de vol331. L’un des anciens députés renchérissait en avançant que
Les gauchistes perçoivent la charî’a seulement par rapport aux sanctions
pénales et à la polygamie. Ils ont une mauvaise compréhension de la charî’a.
Les médias, qui sont d’ailleurs sous la main des gauchistes, ont relayé cette
incompréhension et ont essayé de compliquer les choses.332
Afin de sensibiliser la société tunisienne à leur principale revendication, les salafistes ont eu
recours à deux stratégies complémentaires.
Le recours à deux stratégies complémentaires
Les salafistes tunisiens ont à cœur un désir de réforme et allant dans ce sens, une volonté de
jouer un rôle de premier plan au niveau politique, social et religieux, ce qui implique des
discours et des actions concrètes. L’un des jeunes membres d’AST confiait à Merone : « [w]e
wanted play a role in the post-revolutionary environment333 ». Ces éléments se traduisent par
deux stratégies différentes, mais complémentaires, au regard des discours et des moyens
visant la salafisation de la société tunisienne grâce aux apports de la révolution pendant le
processus de transition334.
La première concerne une salafisation par le haut (top-down) à l’instar de ce qu’a opéré
Bourguiba en tentant de séculariser la société via les institutions étatiques. Elle inclut les
discours et les actions qui contribuent à influencer l’État dans sa conception large, c’est-à-
dire les détenteurs du pouvoir et la structure, les institutions qui soutiennent l’État dans ses
331 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 332 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 333 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit. 334 Loïc LE PAPE, « La renaissance du « salafisme » tunisien ? », Les politiques du religieux, [En ligne], 2013,
http://politicsofreligion.hypotheses.org/575 (Page consultée le 29 mai 2017).
82
charges quotidiennes, afin d’obtenir des répercussions concrètes sur la société. Il s’agit donc
pour les acteurs salafistes de réformer les institutions tunisiennes en accord avec les principes
islamiques selon l’interprétation salafiste.
Cette stratégie est à lier au processus de l’élaboration de la constitution au regard de la
fonction de cette dernière. La constitution, en tant qu’acte fondateur de l’État, pose les jalons
des principales structures assurant le fonctionnement de l’État, les valeurs qui orienteront son
action, la séparation des pouvoirs ainsi que les droits et libertés accordées à sa population,
tout comme ses devoirs et responsabilités. La constitution représente le contrat social liant
l’État à la société. Les salafistes, en tant que composante intégrante de cette société tunisienne
et ayant des objectifs et des intérêts qui leurs sont propres, avaient ainsi intérêt à militer pour
que leurs revendications soient incorporées au sein de ce document constitutionnel et à
exercer un travail de lobbying auprès des députés siégeant à l’ANC. Leurs actions visaient à
salafiser l’État, un processus inversé de celui amorcé depuis l’indépendance de la Tunsisie
qui consistait en l’étatisation de l’islam335. Bien que cette stratégie ait été plus
particulièrement employée par les salafistes politiques qui percevaient l’utilité de la
constitution dans leur projet de réforme de la société, cet exercice n’a pas été leur unique
action. Certains salafistes scientifiques ont contribué, par leurs discours et leurs actions dans
la société, à influencer les décideurs politiques et l’armature de la constitution, comme cela
sera vu au prochain chapitre.
La seconde stratégie fait référence à la salafisation de la société par le bas (bottum-up). Il
s’agit ici de modifier le comportement des individus au sein de la société et dans leurs
interactions quotidiennes. Elle prône à la fois un « retour à la pratique individuelle et
l’inscription de normes islamiques [salafistes] dans la vie quotidienne336 ». Si la constitution
est un contrat social liant l’État à la société, elle doit refléter les valeurs de cette société et
répondre à ses aspirations. D’une part, si la société devenait plus pieuse, appliquait le minhâj
salafî et adoptait les revendications des salafistes, les constituants devraient en prendre
335 Olivier ROY, « Les voies de la ré-islamisation », Pouvoirs, 62, 1992, p. 87. 336 Ibid., p. 82.
83
compte lors de l’élaboration de la constitution et de la fondation des nouvelles institutions.
D’autre part, les salafistes qui rejetaient le processus de constitution utilisaient cette stratégie
pour mobiliser le plus grand nombre possible d’adhérents, afin de modifier les institutions
ou de contester la légitimité de la constitution.
Pour parvenir à une telle socialisation, les salafistes ont employé la da’wa et ont mis en
pratique le concept d’al-amr bil-ma’rûf wal-nahî ‘an al-munkar et ce, autant dans les lieux
de culte que dans la rue ou dans les médias sociaux. Les salafistes scientifiques et jihadistes
ont principalement eu recours à ce type d’activités, bien que les salafistes politiques aient pu
également utiliser cette stratégie.
Ces deux stratégies visent une « islamisation » institutionnelle et sociétale selon la pratique
religieuse orthodoxe salafiste et se nourrissent mutuellement. Elles s’insèrent dans la présente
recherche de deux façons. Premièrement, les salafistes, en tentant d’avoir un impact sur
l’État, possédaient un potentiel en matière d’influence directe sur le contenu même de la
nouvelle constitution et ce, même s’ils ne constituaient pas une force vive politique
représentée au sein du corps élu de l’ANC. Cette influence se résumait par le travail de
lobbying que des salafistes exerçaient auprès des constituants, plus particulièrement auprès
des députés nahdaouis. Deuxièmement, l’augmentation de la pratique religieuse salafiste au
sein de la population tunisienne pouvait entraîner une influence sur le plan de la constitution.
En effet, en retenant l’argument de Wandan selon lequel les députés constituants demeurent
aussi sensibles aux demandes des électeurs que les députés élus lors d’un mandat ordinaire337,
si les revendications des salafistes étaient partagées par un plus grand nombre de citoyens,
cela aurait pour effet de tempérer leur niveau de marginalisation au fur et à mesure que
s’accroissait le nombre d’adhérents au salafisme. Les salafistes se seraient dès lors centrés
sur le spectre politique et leurs demandes se seraient rapprochées de celles de l’électeur
moyen, ce qui devrait être prise en considération par les députés de tous les partis politiques.
Cette stratégie permet également de rassembler et de mobiliser la population pour contester
337 Solongo WANDAN, « Nothing Out of the Ordinary : Constitution Making as Representative Politics », op.
cit., p. 49.
84
la légitimité de l’ANC. Ils y sont parvenus notamment en multipliant les œuvres de charité
et en prêchant dans de nombreuses mosquées. Ces stratégies de salafisation reposaient sur la
renonciation au recours à la violence et l’emploi de la da’wa, et la préférence de l’une des
stratégies se basait sur la reconnaissance ou non de la légitimité de l’implication politique.
La renonciation au recours à la violence, l’emploi de la da’wa et l’implication politique :
entre convergences et divergences
Les salafistes ont fait face à la problématique de la manière dont ils devaient revendiquer leur
demande identitaire pour parvenir à rallier la population à leur cause. Tel que constaté en
début de chapitre, ils adhéraient à deux stratégies de salafisation et en proposaient différentes
actions selon le rapport qu’ils entretenaient avec les autorités publiques. Les actions
privilégiées, comme cela sera vu au prochain chapitre, reposaient sur des discours qui
convergeaient et transcendaient les catégories de salafistes. Dans le cadre transitionnel et du
processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne, les salafistes étaient conscients
de l’enjeu de légitimation que jouaient les partis politiques auprès de la population. Cet enjeu
faisait également l’objet d’une lutte entre les différentes composantes de la société, chacune
d’entre elles tentant d’influencer la rédaction de la constitution vers leurs propres intérêts.
Les salafistes tunisiens ont dû s’impliquer, grâce à leurs deux stratégies, dans ce jeu
d’influence tout en trouvant les moyens efficaces de sensibiliser les acteurs politiques et les
citoyens à leurs revendications. C’est pourquoi ils ont multiplié les appels à la renonciation
à la violence tout en misant sur la da’wa et ce, bien qu’il y avait un clivage sur la légitimité
de l’implication dans les politiques et de la stratégie de salafisation via l’État.
Selon Jabhat Al-Islâh, la renonciation à la lutte armée était une nécessité dans le contexte
tunisien, parce que « la dictature [était] tombée et que les libertés publiques [étaient]
respectées338 ». Les salafistes se retrouvaient devant la possibilité de faire valoir leur agenda
et leurs opinions sur l’élaboration de la constitution et le processus qui y était lié sans crainte
de se faire réprimer ni emprisonner. Ce contexte faisait en sorte que le recours à la violence
338 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., pp. 23-24.
85
ne représentait pas un moyen efficace de rallier la population à la cause salafiste, puisqu’il
existait des moyens alternatifs pacifiques qui risquaient de mieux sensibiliser la société. Hizb
Al-Tahrir a d’ailleurs qualifié la violence comme un véritable crime et l’a banni de toute
action que le parti entreprenait339. Il est intéressant de souligner ici la contradiction notable
de l’argumentaire salafiste qui employait les libertés publiques, telle la liberté d’expression,
pour promouvoir ses intérêts tout en militant pour que ces mêmes libertés soient restreintes.
Cette prise de position a entraîné un effet majeur sur la nature des actions effectuées par les
salafistes tunisiens. Si cela semble aller de soi pour les salafistes scientifiques et politiques,
cette prise de position paraît extrêmement surprenante en ce qui concerne AST, étant donné
que la principale caractéristique des salafistes jihadistes repose sur la matrice du jihâd fî
sabîllilâh, la lutte armée, qui devrait motiver leurs actions. Le cas d’AST est atypique, car si
le groupe a formulé un appel au jihâd armé en Irak et en Syrie340, il n’a pas fait de même sur
le territoire tunisien entre 2011 et 2014341. Même s’il avait pu décréter le jihâd en Tunisie s’il
estimait que les dirigeants tunisiens trahissaient leurs devoirs islamiques par leurs actions
dans la logique de la pensée de Sayyid Qutb342, AST croyait qu’il était possible de parvenir
à un État et une société islamiques sans recourir à la violence. Au contraire, AST a préconisé
le recours à la da’wa sur le sol tunisien, à l’instar des autres associations, groupes et individus
salafistes343. L’un de ses membres expliquait cette apparente contradiction :
The chance is the possibility to operate in a context of freedom. If you live in a
Muslim society and the system is letting you practice and “live” according to your
values, there is no reason to conduct a violent jihad. At the same time, when you
preach freely, society holds you accountable—a society that may question or be
afraid of you. This leads to the transformation of your jihad into a peaceful
process.344
339 « Hizb ut-tahrir : Le retour du Califat comme solution? », op. cit. 340 Aaron Y. ZELIN, « Jihadi Soft Power in Tunisia: Ansar al-Shari’ah’s Convoy Provides Aid to the Town of
Haydrah in West Central Tunisia », Al-Wasat, [En ligne], 2012,
https://thewasat.wordpress.com/2012/02/21/jihadi-soft-power-in-tunisia-ansar-al-shariahs-convoy-provides-
aid-to-the-town-of-haydrah-in-west-central-tunisia-with-pictures (Page consultée le 12 mai 2017). 341 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 5. 342 John CALVERT, Sayyid Qutb and the Origins of Radical Islamism, New York, Columbia University Press,
2010, 377p. 343 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 5. 344 MERONE, Fabio, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.
86
De plus, les leaders véhiculaient l’idée selon laquelle le jihâd ne se présentait pas uniquement
en termes de lutte armée, mais qu’il pouvait également revêtir diverses formes telles que la
da’wa, la distribution de littérature salafiste et la protestation contre les offenses
religieuses345. Le Pape soulignait cependant le rapport ambigu d’AST et de la mouvance
salafiste par rapport à la violence346. Si les appels au calme se sont révélés nombreux, il
demeure que tout au long de la transition, la Tunisie a fait face à plusieurs épisodes de
violence qui ont eu un impact significatif sur la crédibilité des salafistes comme interlocuteurs
aux yeux du public. Après chaque épisode attribué aux jihadistes, le chef d’AST, Abû Iyadh,
intervenait rapidement sur différents médias, que ce soit les radios nationales ou encore les
réseaux sociaux, pour rappeler que les salafistes devaient mettre l’accent sur la prédication
pacifique. AST a cependant reçu l’appui de groupes considérés comme terroristes tels qu’Al-
Qâ’ida au Maghreb islamique, Ansar Al-Charî’a en Libye et de groupes en Syrie lors de
l’annonce de l’annulation du 3ème congrès de Kairouan347. L’appui de ces groupes, qui
luttaient contre leurs gouvernements respectifs et avaient un puissant pouvoir de
déstabilisation dans la région, a réduit la crédibilité d’AST lorsqu’il appelait aux actions
pacifiques, ce qui le distinguait pourtant de ces autres organisations. Quelques dérapages
discursifs sont également survenus, comme Adel Almi qui a affirmé publiquement que la
féministe Amina Tyler méritait d’être lapidée à mort après qu’elle ait publié des
photographies d’elle la poitrine dénudée sur les médias sociaux348.
Bien que les salafistes aient mis l’accent sur la renonciation à la violence et l’application de
la da’wa, la disparité entre leurs discours et leurs actions a également suscité la méfiance de
la société civile. L’ex-président Marzouki a d’ailleurs appelé les jeunes à « bannir la violence
345 Monica MARKS, op. cit., p. 111. 346 Loïc LE PAPE, op. cit. 347 RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Tunisie: Ansar al-Charia soutenu par d’autres mouvances
salafistes », Radio France Internationale - Afrique, [En ligne], 20 mai 2013,
http://www.rfi.fr/afrique/20130520-tunisie-ansar-al-charia-soutenu-autres-mouvances-salafistes (Page
consultée le 29 mai 2017). 348 CHAMPION, Marc, « Prosecute the Cleric, Not the Topless Woman in Tunisia », Bloomberg.com, [En
ligne], 22 mars 2013, https://www.bloomberg.com/view/articles/2013-03-22/prosecute-the-cleric-not-the-
topless-woman-in-tunisia (Page consultée le 29 mai 2017).
87
physique et morale d'où qu'elle vienne et à rejeter la polarisation idéologique porteuse de
dissension et d'animosité, en faisant prévaloir le dialogue349 ». De tels discours ne serviraient
qu’à endormir la vigilance de la société et mettent en doute l’honnêteté de la démarche
entreprise par les salafistes à intégrer la société tunisienne.
L’accent mis sur la da’wa et la renonciation à la violence dans le contexte d’élaboration de
la constitution démontraient que les salafistes étaient persuadés que la salafisation de la
société et de l’État tunisiens pouvait se faire de manière pacifique. Éveiller la conscience de
la société et la convaincre de l’importance de mentionner la charî’a dans la constitution
étaient possibles étant donné les circonstances, d’autant plus que les dirigeants, provenant
essentiellement d’Ennahda, devraient prêter une oreille attentive à leur revendication. Cette
unanimité ne s’est cependant pas reflété dans la question entourant la légitimité de jouer le
jeu des politiques. Il existait donc un fossé parmi les salafistes quant au discours portant sur
les politiques, la légitimité et l’utilité, de s’impliquer au sein du processus de rédaction de la
nouvelle constitution.
Les salafistes politiques tunisiens voulaient influencer directement le processus de rédaction
de la nouvelle constitution. Pour y parvenir, Hizb Al-Tahrir s’est impliqué en politique en
mémoire des martyrs de la révolution. Le parti appelait les citoyens musulmans à faire de
même : « [t]he lives lost call upon you, so do not let them go in vain through your silence
upon the unjust man made system imposed upon you350 ». Jabhat Al-Islâh a invoqué que la
renonciation à la violence, de pair à l’acceptation de l’action politique pacifique de la part
des salafistes, permettraient leur intégration au processus démocratique et à la rédaction de
la nouvelle constitution351. Ce sentiment semble avoir été partagé par les autres partis
politiques. Ali Al-Moujahid, chef du parti Al-Assâla, a affirmé dans une entrevue que les «
349 RADIO-CANADA, « Tunisie : le président Marzouki lance un avertissement aux fondamentalistes », Radio-
Canada, [En ligne], 12 mars 2012, http://radio-canada.ca/nouvelle/553393/tunisie-marzouki-salafistes-drapeau
(Page consultée le 3 juin 2017). 350 Voir en annexe VIII HIZB AL-TAHRIR, « The Rule of the Tyrant, Ben Ali, Left Secretly from the Door
and Then Returned Back from the Window, After All of the Bloodshed! », Hizb Al-Tahrir, [En ligne], 2011,
http://www.hizb-ut-tahrir.org/index.php/EN/nshow/1230 (Page consultée le 3 juin 2017). 351 Georges FAHMI, op. cit.
88
salafistes [étaient] des citoyens et des musulmans comme les autres352 », soulignant ainsi le
fait qu’ils avaient le droit et le devoir de s’impliquer dans la vie citoyenne et qu’ils ne
devraient pas faire l’objet d’une marginalisation de la part du reste de la société. Cette prise
de position, bien qu’elle n’ait pas été partagée par l’ensemble des partis politiques siégeant à
l’ANC, était également adoptée par Ennahda qui concevait la participation de ces individus
au processus constitutionnel comme nécessaire.
La vision des salafistes scientifiques tunisiens différait quelque peu. Ils ne désiraient pas
s’engager sur la scène politique comme l’a souligné Béchir Ben Hassen : « [i]l ne faut pas
diviser la société musulmane. En Égypte, un groupe salafiste est entré dans le processus
démocratique, mais la majorité n'a pas participé353 ». Ils préféraient mettre l’accent sur les
activités de da’wa et acceptaient le recours à la constitution comme outil de construction
étatique. La salafisation de la société et de l’État passait plutôt par le bas. D’ailleurs, les
figures scientifiques du salafisme tunisien profitaient des tribunes permises par la liberté
d’expression dans le cadre de la transition politique pour promouvoir avec vigueur leurs idées
sans crainte lors de leurs prêches dans les mosquées354.
Quant aux salafistes jihadistes tunisiens, ils adoptaient une posture antisystème. S’ingérer
dans les rouages politiques d’un État qui ne repose pas sur les bases du califat ne représentait
pas un moyen légitime pour parvenir à leurs fins : « [w]e do not recognize the State, nor
democracy, for the simple reason that we are guided by the sunna and the Quran. The only
law with worth for us is God’s law, and not secular law355 ». Cela nécessite d’autant plus un
dialogue avec des partis véhiculant des idées à l’encontre de ce que promouvaient les
salafistes et un effort de compromis sur des points que les salafistes jihadistes jugeaient non-
négociables. Il y avait également la nécessité d’entamer un dialogue avec les forces
352 OUMMA.TV, op. cit. 353 Isabelle MANDRAUD, « Enquête sur la radicalisation des salafistes tunisiens », Le Monde, [En ligne], 20
mars 2012, http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2012/03/20/la-tentation-radicale-des-salafistes-
tunisiens_1672645_1466522.html (Page consultée le 27 mai 2017). 354 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 14. 355 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.
89
antérieures responsables des sévices subis par la population tunisienne356. De même, la
constitution ne constituait pas un outil valable, que soit inscrite ou non la charî’a, car le
Coran représentait la seule source légitime de pouvoir et de régulation de la société. Ils
reprochaient aux quatre partis politiques salafistes leur implication en politique en avançant
que la prise de pouvoir était leur seule motivation, alors que pour eux, « [o]ur target is the
people, not the state357 ». Ils qualifiaient le régime tunisien, même gouverné par Ennahda, et
les mécanismes démocratiques déployés à la suite des soulèvements, soit les élections, le
processus de rédaction de constitution incluant la consultation des citoyens, comme
illégitimes358. Ils étaient
Méfiants par rapport aux partis islamistes, [qu’ils] n’accept[aient] pas la
démocratie, la politique, la citoyenneté [et étaient] contre la modernité). Ils
per[cevaient ces méthodes] comme […] de la stratégie, une tactique [et
n’acceptaient pas] les principes d’Ennahda.359
Néanmoins, l’un de ses membres nuançait la position d’AST en affirmant que :
We are not absolutely in opposition to pluralism and elections. Our project is an
entirely new initiative. At its heart is the idea of adapting a pure Islam to modern
times that is why we are not against pluralism and elections in principle. The main
point is that we could conceive of such a development, but only in the context of
an Islamic state.360
Conclusion
Ce chapitre a permis de mettre en lumière la présence et l’organisation des groupes salafistes
lors de la transition. La société tunisienne contenait déjà les germes du mouvement salafiste
avant la chute du régime de Ben Ali, notamment grâce à l’augmentation de la disponibilité
des éléments véhiculant la doctrine salafiste, incluant les chaînes satellitaires et l’accès à
356 Georges FAHMI, op. cit. 357 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit. 358 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 7. 359 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 360 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.
90
Internet, qui remplissaient le vacuum créé à la suite des mesures répressives de leaders
religieux et d’Ennahda au dire des membres du parti islamiste. Le départ de Ben Ali a permis
aux salafistes, essentiellement scientifiques ou politiques, en exil de revenir au pays, de
même que la promulgation de l’amnistie générale du 19 février 2011 a libéré de nombreux
salafistes jihadistes.
L’analyse des organisations salafistes en Tunisie a révélé la présence d’un mouvement
multiforme où de nombreuses ressemblances se sont démarquées, mais également des
différences. Dépendamment de leur vision du ‘amel tanzimî, les salafistes se sont rassemblés
ou non autour de différentes organisations, ce qui démontre que le mouvement était
hétéroclite. Les salafistes scientifiques tunisiens, qui ont refusé de s’inscrire dans cette lignée,
sont reconnus publiquement plutôt par leur engagement individualiste : Béchir Ben Hassen,
Khamis Mejri, Hassan Brik, Mohammed Ali Hurrath ou Farid Al-Béji. Cependant, deux
salafistes scientifiques ont créé des associations : Adel Almi, l’Association centriste pour la
sensibilisation et la réforme, et Khatib Idrissi, le Majlis al-chouyoûkh. Les salafistes
politiques tunisiens ont formé quatre partis politiques : Jabhat al-Islâh, Al-Rahma, Al-Assâla
et Hizb Al-Tahrir. Quant aux jihadistes, plusieurs groupuscules ont émergé, mais AST s’est
révélé comme le plus important.
Les groupes salafistes tunisiens se caractérisent également par l’absence d’une structure
hiérarchique rigide, misant plutôt sur une décentralisation au profit des comités locaux. Ce
constat doit cependant être nuancé au regard de l’importance cruciale que revêtent les leaders.
Si les associations salafistes scientifiques et politiques ont accepté de s’insérer dans le
système juridique en s’inscrivant officiellement comme association, les jihadistes l’ont
toujours refusé.
Néanmoins, ces groupes et individus ont partagé la volonté de se qualifier comme
« salafistes » dans un objectif précis de légitimer leurs discours et actions au regard de la
clientèle visée, des classes défavorisées et marginalisées, à l’exception d’Hizb Al-Tahrir qui
entrevoyait la délégitimation d’un tel qualificatif dans l’environnement politique. Les
91
groupes salafistes tunisiens se caractérisent également par l’absence d’une structure
hiérarchique rigide, misant plutôt sur une décentralisation au profit des comités locaux. Ce
constat doit cependant être nuancé au regard de l’importance cruciale que revêtent les leaders.
S’il est cohérent que les salafistes scientifiques n’aient pas développé de programme
particulier étant donné leur engagement individualiste, les salafistes politiques et jihadistes
ont tenté de rédiger et de faire la promotion de leurs programmes ou plateformes électorales.
Ces derniers se sont toutefois révélés décrits en termes généraux, sans réelle mesure concrète.
L’ensemble des salafistes n’a également pas fait élire de représentants à l’ANC lors des
élections constituantes de 2011. La mosquée a toujours demeuré le principal lieu de rencontre
des groupes et ce, même pour les salafistes politiques, étant donné que la religion était au
cœur de leur mission.
Les salafistes tunisiens partageaient également des objectifs communs, mais entretenaient
des stratégies divergentes. En effet, ils adhéraient au slogan que l’islam représente la solution
à tous les maux de la société tunisienne en l’absence du socle islamique depuis la fondation
de la République tunisienne. Les salafistes tunisiens s’inscrivaient donc comme un
mouvement réactionnaire et très critique des dernières décennies. Une seule solution se
présentait à eux : l’inscription de la charî’a dans la nouvelle constitution. Cette principale
demande constitutionnelle représentait en fait bien plus qu’une simple demande politique.
Elle constituait une revendication identitaire, une volonté de redéfinir l’identité tunisienne.
Elle leur permettrait, incidemment, de revenir à un niveau d’égalité avec leurs concitoyens
laïcs et de participer à la redéfinition des institutions étatiques.
Cependant, l’absence d’une définition claire de la charî’a et l’apparente absence de
consensus des salafistes autour d’une telle définition, a fait craindre le pire chez leurs
détracteurs qui estimaient qu’il s’agissait bien plus que l’ajout d’un simple terme dans la
constitution. La charî’a risquait de modifier le système de gouvernance et de restreindre la
portée des droits et libertés individuelles. Plusieurs demandes para-constitutionnelles émises
par certains salafistes tunisiens telles que la création d’une police religieuse ou la fin de la
92
mixité dans les établissements scolaires renforçaient cette crainte. C’est ainsi que les
salafistes, par leurs discours radicaux qui misaient sur la justice et l’équité islamique par la
destruction du système actuel, les salafistes attiraient à eux une clientèle bien particulière,
celle des classes les plus défavorisées et marginalisées de la société tunisienne, ne profitant
pas de la redistribution des richesses ni du système tunisien en général. Il s’agissait bien
souvent de jeunes issus de quartiers populaires des grandes villes ou de villages ruraux.
Jouissant des droits et libertés à l’instar de leurs concitoyens et percevant la possibilité de
jouer un rôle de vecteur de changement, les salafistes ont recouru à deux stratégies
salafisantes complémentaires dont l’adoption dépendait de la vision des salafistes par rapport
à leurs actions publiques. Les salafistes politiques ont préféré miser sur les actions politiques
pour influencer l’État et ses institutions en adoptant une stratégie top-down. Ils estimaient
que les changements sur le plan législatif étaient nécessaires pour que la société suive la voie
du salafisme et c’est ainsi que la constitution suscitait l’objet de lobbying. Cependant, les
salafistes scientifiques et jihadistes se sont plutôt orientés vers les actions influençant
directement la société en privilégiant une stratégie bottom-up. Ils étaient convaincus que les
changements devaient s’enraciner d’abord dans la société avant de parvenir à toute tentative
de modifier l’État notamment en multipliant les œuvres de charités et les prêches dans les
mosquées.
Les stratégies utilisées par les salafistes tunisiens pour revendiquer leur demande identitaire
ont été caractérisées par plusieurs convergences et divergences dans leurs discours.
Conscients des jeux de légitimation entourant le processus de rédaction de la nouvelle
constitution, ils devaient trouver le moyen leur permettant de rallier le plus de gens possible
à leur cause. Si l’ensemble des salafistes tunisiens, incluant les salafistes jihadistes, a misé
sur la renonciation au recours à la violence et sur l’emploi de la da’wa, l’implication politique
ne les a pas ralliés. Selon eux, la dictature renversée et le respect des droits et libertés leurs
permettaient d’agir pacifiquement pour la salafisation de la société.
93
Néanmoins, cette situation ne justifiait pas pour autant, selon les salafistes tunisiens
scientifiques et jihadistes, l’implication dans les politiques et plus précisément dans les
tractations sur la rédaction de la nouvelle constitution. Si les membres des quatre partis
politiques salafistes tablaient sur la pertinence d’entrer dans les politiques en tant que
citoyens et de changer le système de gouvernance, les salafistes tunisiens scientifiques et
jihadistes reprochaient l’inefficacité d’une telle action et l’illégitimité même de ce système.
Maintenant que les objectifs constitutionnels postrévolutionnaires des salafistes tunisiens
sont précisés et que leur vision différente quant à la légitimité de certains répertoires d’actions
possibles sont connus, le prochain chapitre traitera précisément de ces actions entreprises par
les salafistes pour influencer le processus de rédaction de la nouvelle constitution.
94
CHAPITRE 4 - LE PROCESSUS CONSTITUTIONNEL TUNISIEN :
POINT DE FRICTION DES ACTIONS SALAFISANTES
Ce chapitre a pour objectif de comprendre quelles actions les salafistes tunisiens ont mis de
l’avant pour influencer le processus de la rédaction de la nouvelle constitution tunisienne et
quels ont été leurs impacts. Il aborde trois aspects. Le premier aspect fournit l’éventail
d’actions mis en branle par les salafistes en soulignant l’absence d’actions politiques
structurantes au sein du mouvement salafiste tunisien. Cette absence de stratégie et de front
communs ont réduit l’effectivité de ces actions. Si les salafistes étaient divisés sur le plan de
la stratégie à adopter et si l’implication dans les politiques était légitime, l’ensemble de leurs
activités ont eu un très léger impact politique, puisqu’ils misaient sur la politique de la rue.
Certains recourraient à des méthodes d’action politique traditionnelles telles que la tenue de
manifestations publiques et de rassemblements politiques, alors que d’autres préféraient
privilégier des actions sociales et religieuses, instrumentalisées à des fins politiques. Les
salafistes tunisiens ont également tenté une timide intégration au sein des instances
participatives de l’Assemblée nationale constituante, en plus d’exercer du lobbying auprès
d’Ennahda. Cet exercice de lobbying a démontré que les salafistes ont adopté une logique de
dialogue à l’égard du parti islamiste, sous-tendant un rapprochement utilitariste. Ces efforts
pour inscrire la charî’a dans l’agenda politique d’Ennahda et dans la constitution tunisienne
ont mené en réalité à une influence modeste. Le deuxième aspect analyse le refus du parti
islamiste d’inscrire la charî’a dans la constitution qui est l’une des premières causes de la
rupture avec les salafistes. Cette décision, de pair à plusieurs événements opposant Ennahda
aux salafistes, ont conduit les salafistes à prendre leur distance. Cela a eu pour conséquence
un changement de ton et d’action dans les rangs salafistes au cours de la transition tunisienne.
Le troisième et dernier aspect donne les résultats de l’influence finalement indirecte des
salafistes sur la constitution tunisienne de 2014.
95
L’absence d’actions politiques structurantes
Peu d’actions de nature politique ont fait l’objet d’une couverture médiatique dans les médias
tunisiens et internationaux, à l’inverse des actions de nature sociale ou religieuse ou des
épisodes de violences attribués aux salafistes. Ce faible nombre d’actions politiques semble
s’expliquer par trois principaux points. Premièrement, les salafistes politiques tunisiens
étaient en réalité peu nombreux. Malgré leur réelle volonté de « participer à la vie sociale,
intellectuelle et politique du pays361 » comme l’a affirmé Mohamed Khouja, ils se
retrouvaient marginalisés au sein même de la mouvance salafiste à cause des divergences
théologiques sur la légitimation de l’implication en politique tel que vu précédemment.
Deuxièmement, les partis politiques salafistes n’existaient tout simplement pas avant 2011.
L’emprisonnement des salafistes et leur impossibilité d’exercer un rôle citoyen au sein de la
société ne permettaient pas une mobilisation rapide et efficace, en dépit de la formation
d’embryons organisationnels formés en prison. Étant des acteurs inexpérimentés, les
salafistes ne possédaient pas non plus de savoir-faire militant ou d’expérience politique pour
mettre sur pied de nouveaux partis politiques. À l’exception des listes de candidats
indépendants présentés par le parti Jabhat Al-Islâh, ils n’ont donc pas pu se présenter aux
élections constitutionnelles de 2011.
Troisièmement, les potentiels électeurs salafistes ont démontré de l’ambivalence de deux
manières. En premier lieu, les personnes interrogées et des analystes estiment que la très
grande majorité des électeurs salafistes, n’ont pas exercé leur droit de vote puisqu’ils les
considéraient comme harâm362. En second lieu, ceux qui se sont présentés aux urnes ont soit
voté pour les listes indépendantes de Jabhat Al-Islâh, soit voté en faveur d’Ennahda.
D’ailleurs, des aima (imams) salafistes ne qualifiant pas les élections comme harâm leur ont
conseillé de voter pour Ennahda363, une action qui a également été effectuée par Jabhat Al-
361 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23. 362 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 363 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 27.
96
Islâh qui appelait ses partisans et les électeurs à voter pour le parti islamiste lorsqu’il n’avait
pas de candidat dans l’une des circonscriptions364. Cependant, certaines personnes
interrogées estiment que si « certains [salafistes] ont voté pour Ennahda, [c’est] parce que le
parti est plus proche de leurs idées que les autres partis, mais [qu’ils forment] une minorité365
» et que « quelques salafistes sont allés voter, mais la plupart ne l’ont pas fait en 2011366 ».
Ces trois points ont contribué à la sous-représentation, pour ne pas dire la quasi-absence de
représentation, des salafistes au sein de l’ANC367 et ce, malgré leur présence au sein de la
société tunisienne. Ils se sont conséquemment retrouvés devant l’impossibilité d’effectuer un
travail constitutionnel et législatif au sein de l’ANC, contrairement au parti salafiste égyptien
Al-Nour, arrivé second aux élections tenues après le renversement de Moubarak. Face à ce
contexte, ils ont donc dû, pour influencer le processus constitutionnel, adopter une politique
de la rue, intégrer timidement les instances participatives de l’ANC et exercer des activités
de lobbying auprès d’Ennahda.
La politique de la rue : le mot d’ordre implicite chez les salafistes
L’une des principales armes employées par les salafistes a été la politique de la rue. Adoptant
les outils politiques pacifiques contestataires légitimes en démocratie, ils ont investi la rue
pour revendiquer leurs demandes identitaires à l’instar des citoyens qui avaient exigé le
départ de Ben Ali le 14 janvier 2011, mais ont également organisé des rassemblements pour
diffuser leurs idées. Cependant, les salafistes ont également employé des actions sociales et
religieuses pour transmettre un message fort politisé à l’égard des dirigeants et des citoyens.
364 Aaron Y., ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit. 365 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 366 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 367 Sami ZEMNI, Sami, « The Extraordinary Politics of the Tunisian Revolution : The Process of Constitution
Making », op. cit.
97
Manifestations publiques et rassemblements politiques, des méthodes d’action politique
traditionnelles
Les démonstrations publiques qu’ils ont organisées remplissaient deux fonctions : exiger
l’inscription de la charî’a dans la constitution et la légifération de demandes para-
constitutionnelles, mais aussi de faire connaître un autre pan de la société muselé sous le
régime postcolonial tunisien. Si plusieurs manifestations modestes exigeant la charî’a se
sont déroulées dans différents gouvernorats de Tunisie après la fuite de Ben Ali368, trois
principales démonstrations ont été menées dans les rues symboliques de Tunis les 3, 16 et 25
mars 2012. Prenant place sur la mythique avenue Bourguiba et devant le siège de l’ANC à
Bardo, le fait qu’elles aient eu lieu en mars 2012 ne relève pas du fait divers. Les salafistes
semblaient avoir été mis au courant des discussions au sein d’Ennahda, car le parti islamiste
était à l’époque en train de tenir un important débat interne sur la question de mettre ou non
à l’agenda nahdaoui l’insertion de la charî’a.
Ces manifestations ont été l’occasion de constater que cette demande ne relevait pas
uniquement des salafistes. Elle était partagée également par une frange plus conservatrice de
la population tunisienne qui se définissait par cette identité musulmane mais sans pour autant
adhérer au salafisme. L’un des participants à la grande manifestation du 16 mars 2012 devant
l’ANC expliquait d’ailleurs sa présence en ces termes : « [n]ous sommes ici pour réclamer
pacifiquement l'application de la charia dans la nouvelle constitution369 ».
Il s’agissait de l’un des rares moments où une coopération et une synergie entre différentes
associations islamiques étaient visibles sur la place publique, mettant de côté les nombreuses
divergences entre les courants théologiques. Cette manifestation, organisée par le FTAI, a
rassemblé plus de 112 associations différentes, y compris des salafistes de Jabhat Al-Islâh370,
368 Duncan PICKARD, « The Current Status of Constitution Making in Tunisia », Carnegie Endowment for
International Peace, [En ligne], 2012, http://carnegieendowment.org/2012/04/19/current-status-of-
constitution-making-in-tunisia-pub-47908 (Page consultée le 8 octobre 2017). 369 Voir en annexe IX RADIO-CANADA & AGENCE FRANCE PRESSE, « Manifestation pro-charia en
Tunisie », Radio-Canada, [En ligne], 16 mars 2012, http://radio-canada.ca/nouvelle/554029/tunisie-islamistes-
salafiste (Page consultée le 3 juin 2017). 370 Aaron Y., ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit.
98
ainsi que des partisans et des membres d’Ennahda qui s’y sont également présentés même en
l’absence de directive formelle du parti à cet égard. L’un des membres d’Ennahda justifiait
sa participation : « [j]e suis du parti Ennahda. Le parti ne me demande pas de manifester,
mais moi, à cause de mes propres croyances, je dois être présent, car je crois en la charia371 ».
D’importants députés nahdaouis, tels que Sahbi Atig372 et Habib Ellouze, connus pour être
en faveur de l’inscription de la charî’a dans la constitution, se retrouvaient parmi les
manifestants. Selon les propos rapportés par l’Agence France Presse, Atig aurait crié que la
charî'a devait être la principale source de législation de la constitution tunisienne, la foule
lui répondant qu’elle devait être l’unique source de législation373. Néanmoins, cette
manifestation n’a pas rassemblé tous les acteurs salafistes d’importance, exprimant ainsi la
cassure au sein du mouvement. Même si AST partageait l’idée selon laquelle l’État tunisien
devait être régulé par la charî’a, le groupe a refusé d’y participer, justifiant sa position par
son absence de reconnaissance de la légitimité de l’ANC374.
D’autres manifestations, qui ont parfois dégénéré en confrontations violentes, se sont
déroulées lorsque « le sacré » avait été considéré être profané à la suite d’événements locaux
ou internationaux. Par exemple, l’exposition tunisienne d’œuvres d’art contemporain
considérées offensantes pour l’islam au palais d’El-Abdellia le 11 juin 2012 a suscité une
vague d’indignation non seulement chez les salafistes, mais également chez des musulmans
d’autres tendances375. S’y trouvait notamment un « tableau figurant une femme dénudée qui
[tenait] un bol de couscous à hauteur de son sexe, entourée de têtes d’hommes barbus376 ».
Ainsi, salafistes de divers horizons, de Jabhât Al-Islâh à l’Association centriste pour la
371 RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Manifestation de Tunisiens pour réclamer l’instauration de la
charia », Radio France Internationale – Afrique, [En ligne], 17 mars 2012, http://www.rfi.fr/afrique/20120316-
manifestation-tunisiens-reclamer-instauration-charia (Page consultée le 1 novembre 2017) 372 Sahbi Atig a agi à titre de président du groupe parlementaire d’Ennahda. 373 RADIO-CANADA & AGENCE FRANCE PRESSE, « Manifestation pro-charia en Tunisie », op. cit. 374 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 375 WESTLATY, Lilia, « Des salafistes détruisent des œuvres artistiques au Palais Abdellia », Nawaat, [En
ligne], 2012, http://nawaat.org/portail/2012/06/11/des-salafistes-detruisent-des-oeuvres-artistiques-au-palais-
abdellia/ (Page consultée le 24 avril 2018). 376 Priscille LAFITTE, « Une exposition d’art contemporain à l’origine des heurts à Tunis ? », France 24, [En
ligne], 14 juin 2012, http://www.france24.com/fr/20120612-tunisie-heurts-tunis-exposition-art-contemporain-
printemps-marsa-salafistes (Page consultée le 30 décembre 2017).
99
sensibilisation et la réforme, nahdaouis et membres des associations formant le FTAI ont
manifesté pour exiger de la part de l’ANC « la codification de la protection des symboles du
peuple tunisien musulman377 ». Quelques députés d’Ennahda y ont d’ailleurs répondu en
présentant un projet de criminalisation des offenses contre l’islam au nom de l’identité arabo-
islamique de la Tunisie, témoignant de leur écoute à l’égard des franges religieuses de la
société tunisienne. Ce projet de loi prévoyait de punir les atteintes au sacré telles les insultes,
la dérision et la représentation d’Allah et de Mohammed et les violations de valeurs sacrées
par des peines d’emprisonnement et des amendes378. Un autre exemple est celui de la
manifestation organisé par Hizb Al-Tahrir le samedi 29 septembre 2012, à Bab Souika pour
défendre le Prophète et demander l’instauration du califat dans la foulée de la diffusion du
vidéo amateur L’innocence des musulmans sur la vie du Prophète379.
Témoins de la pression exercée par ces démonstrations publiques où se sont présentés des
milliers de personnes, les Tunisiens qui ne partageaient pas ces demandes identitaires et qui
y étaient opposés ont répliqué par la tenue de contre-manifestations au mois de mars 2012,
afin d’exercer également de la pression sur Ennahda. Profitant du 20 mars, jour de fête de
l’indépendance tunisienne, des milliers de personnes provenant de divers groupes de la
société civile et de partis politiques au positionnement idéologique différent se sont rejoints
sur l’avenue Bourguiba pour demander un État civil, moderne et démocratique, faisant ainsi
contrepied aux salafistes et islamistes380.
377 Asma GHRIBI, « Divisions within the Tunisian Islamist Party Around Islamist and Ultra-Conservative
Protest Plans? », Islamopedia Online, [En ligne], 2012, http://www.islamopediaonline.org/news/divisions-
within-tunisian-islamist-party-around-islamist-and-ultra-conservative-protest-plans (Page consultée le 29 mai
2017). 378 Sarah J. FEUER, « Islam and Democracy in Practice: Tunisia’s Ennahdha Nine Months In », Crown Center
for Middle East, 66, 2012, pp. 1-9. 379 Mourad S., « Le Hizb Ettahrir préconise le califat pour imposer le respect des musulmans », Tunisie
Numérique, [En ligne], 29 septembre 2012, https://www.tunisienumerique.com/le-hizeb-ettahrir-preconise-le-
califat-pour-imposer-le-respect-des-musulmans (Page consultée le 5 novembre 2017). 380 Voir en annexe X Nadia OMRANE, « 20 mars 1956-20 Mars 2012 : Nous sommes la République! »,
Kapitalis, [En ligne], 24 mars 2012, http://www.kapitalis.com/tribune/8978-20-mars-1956-20-mars-2012-
nous-sommes-la-republique.html (Page consultée le 24 avril 2018) et en annexe XI Monia BEN HAMADI, «
Tunisie - Manifs et contre-manifs sur la Chariâa : Qui est le peuple? », Businessnews, [En ligne] 20 mars 2012,
http://www.businessnews.com.tn/Tunisie---Manifs-et-contre-manifs-sur-la-Chari%C3%A2a-Qui-est-le-
peuple,519,30018,1 (Page consultée le 24 avril 2018).
100
La politique de la rue, employée par les salafistes, a également fait appel à un autre principal
moyen politique pour faire connaître leurs idées : la tenue de rassemblements de partis
politiques ou d’AST. Les rassemblements des partis leur permettaient de diffuser leurs
programmes et de faire la démonstration des alliances stratégiques avec d’autres acteurs. Par
exemple, le rassemblement menant à la création officielle de Jabhat Al-Islâh a compté
d’importants membres nahdaouis dont le chef du parti, Rachid Ghannouchi381. Ceux d’AST,
bien qu’estimés religieux au premier regard, ne dérogeaient pas à la règle et représentaient le
moment propice pour promouvoir leurs idées et programmes politiques, économiques,
sociaux et religieux. C’est de cette façon qu’AST a dévoilé ses programmes lors de ses deux
congrès se déroulant à Kairouan en 2011 et 2012. Même si le groupe niait toute implication
politique, ses rassemblements, fortement médiatisés, ont influencé la politique en suscitant
la controverse chez les partis d’opposition de l’ANC. Cette méfiance accrue de la part des
partis d’opposition et la politisation de ces rassemblements se sont avérées importantes, car
elles ont permis de créer des liens et de créer des contacts avec d’autres associations et des
partis politiques, dont ceux de Jabhat Al-Islâh, d’Al-Assâla et d’Ennahda. Habib Ellouze et
Sadok Chourou ont d’ailleurs participé aux deux congrès d’AST, ce dernier ayant même tenté
une ouverture inopinée vers les militants des droits de l’homme en invitant Radhia Nasraoui
qui a cependant décliné l’invitation.
Néanmoins, ces méthodes traditionnelles d’action politique ne représentaient qu’un faible
pourcentage de l’ensemble des actions qui ont eu un impact sur le contexte social entourant
le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne. En effet, la majeure partie
de ces actions est de nature sociale ou religieuse.
L’instrumentalisation ou la politisation des actions sociales et religieuses
Par ailleurs, s’il paraît au premier regard que les actions caritatives et religieuses ne jouaient
qu’un rôle social, il en est autrement lorsque le contexte fait l’objet d’une analyse plus macro.
Bien que les salafistes scientifiques et jihadistes avaient des réticences à participer aux
381 Aaron Y. ZELIN, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit.
101
activités politiques, leurs actions sociales et religieuses véhiculaient dans les faits un message
politique qui contredisait leur posture, mais qui s’avérait jouer un rôle de sensibilisation à la
cause islamique afin de renforcer leur stratégie de salafisation par le bas.
En effet, l’une des récriminations clamées lors des soulèvements du printemps arabe était
que les inégalités économiques se maintenaient en raison d’un système corrompu lequel ne
bénéficiait qu’aux élites urbaines. Les disparités entre les différentes classes sociales se
faisaient particulièrement ressentir dans les régions intérieures de la Tunisie, négligées par
les autorités gouvernementales et ne profitant pas des projets de modernisation dès l’époque
de Bourguiba, mais également dans certains quartiers populaires des grandes villes, comme
Ettadhamen ou Douar Hicher382383. Leurs habitants sont davantage touchés par divers
problèmes socioéconomiques tels qu’un taux de chômage plus élevé, l’absence d’eau
courante et d’électricité ou une inflation importante. Représentant pourtant le berceau de la
révolution du jasmin, les citoyens de ces zones reculées se sentaient négligés par les
constituants pendant la transition, considéraient que leurs besoins étaient oubliés de l’ANC
et étaient désillusionnés devant maintes promesses révolutionnaires pour une meilleure
répartition des richesses384.
Les salafistes, à la tête de convois bien organisés, se présentaient alors comme les « sauveurs
se souciant des moins nantis ». Leurs actions caritatives visaient à pallier les défaillances du
modèle d’État-Providence du régime tunisien en venant en aide aux plus démunis et tout en
rompant avec les pratiques des anciens régimes. Elles répondaient également à l’un de leurs
devoirs religieux, soit celui d’aider les musulmans dans le besoin :
The spiritual leader of Ansar al-Shari’ah in Tunisia Shaykh Abu Ayyad al-
Tunisi emphasized to his followers the wajib (obligation) of providing aid to
those in need as an Islamic duty and that these services were an aspect of jihad
382 C’est ce qu’on peut en déduire du travail de Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The
Fight for Identity beyond Political Islam », op. cit. 383 Ibid. 384 Ibid. Le fait que rien n’ait changé après la révolution explique en partie pourquoi ces populations sont attirées
vers par le salafisme.
102
fi sabil Allah (in the cause of God), which would hopefully lead eventually to
the creation of an Islamic state or Caliphate385.
Le groupe s’étant le plus illustré à ce type d’actions est sans nul doute AST. Par exemple,
lors des chutes de neige à Haydrah durant l’hiver 2011, ses membres ont été les premiers à
répondre aux besoins des habitants en apportant notamment des vêtements plus chauds, alors
que l’État n’arrivait pas à fournir les besoins de première nécessité386. Le groupe a d’ailleurs
offert de l’argent à des enfants dans certains hôpitaux, aux orphelins et aux pauvres et a
contribué à l’organisation de mariages et à la planification du hâj, le pèlerinage obligatoire à
La Mecque387. AST a aussi organisé plusieurs autres convois, par exemple à Kef dans des
villages éloignés en octobre 2012 et à Siliana en janvier 2013.
Parallèlement à ces dons, des prêches religieux, des vêtements islamiques et des livres sur le
salafisme sont aussi offerts. Ils étaient distribués de manière cérémonielle et accompagnés
par des takbîr (Allâhou akbar, Dieu est grand). Cela avait pour objectif d’inciter les
bénéficiaires à remercier Dieu pour ses bienfaits et à adopter davantage un comportement
halâl, les salafistes espéraient que ces actions auraient des effets d’entraînement388. Ils
labouraient ainsi un terreau fertile pour leur idéologie :
Assisting in social work gave space to preach ones ideology. As a result, if Ansar
al-Shari’ah in Tunisia is able to continue with similar efforts along with
protesting cultural policies (the niqab and appropriate levels of freedom of
expression/speech), one may see its small movement gain wider popularity. This
could be especially true in rural areas where many citizens are more
conservative, religious, and extremely disillusioned with the governments lack of
attention to it.389
385 Aaron Y. ZELIN, « Jihadi Soft Power in Tunisia: Ansar al-Shari’ah’s Convoy Provides Aid to the Town of
Haydrah in West Central Tunisia », op. cit. 386 Ibid. 387 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 19. 388 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 9. 389 Aaron Y. ZELIN, « Jihadi Soft Power in Tunisia: Ansar al-Shari’ah’s Convoy Provides Aid to the Town of
Haydrah in West Central Tunisia », op. cit.
103
Pallier l’État signifiait, en plus d’offrir des services publics dans ces régions, de nettoyer les
rues et d’arrêter les bandits : « là où l’État n’était pas présent, Ansar Al-Charî’a l’était390 ».
Cela démontrait bien la volonté de « profiter à court-terme des faiblesses de l’État pour
prêcher et s’enraciner, pour discréditer l’ensemble des institutions391 » étatiques. Ils
pouvaient aussi assumer le rôle de médiateurs dans divers conflits administratifs, familiaux
ou de voisinage392.
Les salafistes étaient confortés dans leur idéologie grâce à leurs actions sociales. En plus de
constater la misère rampante et la dichotomie entre la vie de la capitale et des plus aisés, ils
apportaient une aide concrète qui avait un réel impact dans le quotidien de ces populations,
loin des préoccupations institutionnelles qui teintaient la transition et les acteurs participant
au processus constitutionnel. Cela expliquait peut-être pourquoi les salafistes jihadistes sont
plus portés vers l’aide sociale que les considérations structurelles considérées illégitimes. Ils
ont le sentiment d’accomplissement du devoir religieux, d’aider ceux dans le besoin. La
perception d’appartenir à al-firqa al-najiyya, le bon groupe qui agit pour le bien-être des
Tunisiens, était renforcée.
De telles actions faisaient l’objet d’une bonne médiatisation sur les réseaux sociaux de la part
d’AST qui avait le souci de photographier et de prendre en vidéo les multiples convois
organisés et de diffuser ce matériel sur Internet. AST apparaissait comme le groupe salafiste
qui revendiquait le plus ces actes à l’aide de moult drapeaux noirs avec la chahâda inscrite
en blanc, de membres portant des dossards bien identifiés, de voitures et de camionnettes
abordant le nom et le logo d’AST393. Les vidéos qui circulaient visaient à rétablir la légitimité
du groupe jihadiste malmenée dans les médias qui le qualifiaient de groupe terroriste. Elles
pouvaient inciter d’autres Tunisiens à rejoindre les rangs des salafistes, puisque « les partis
390 Sara BEN HAMADI, « Qui est Khatib Al Idrissi, le “guide spirituel” d’Ansar Al Charia? », Al Huffington
Post Maghreb, [En ligne], 25 octobre 2013, http://www.huffpostmaghreb.com/2013/10/25/khatib-al-
idrissi_n_4163808.html (Page consultée le 21 mai 2017). 391 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 18. 392 Ibid., p. 20 et voir également le documentaire très éclairant de BBC, The Battle for Bizaerte : Tunisia’s
War with Islamists, 2013. 393 ARTE, Tunisie, les islamistes, les salafistes et le jihad, Tunisie, 28 mai 2015.
104
salafistes bénéfici[ai]ent d'une image positive, plus en phase avec les aspirations populaires,
en raison du travail social qu'ils réalis[ai]ent auprès des groupes sociaux marginalisés394 ».
Les actions sociales fournissaient d’ailleurs l’occasion aux salafistes de renforcer l’appui des
communautés locales dans leurs efforts de transformation de la société tunisienne vers une
société islamique juste et équitable en rassemblant davantage de citoyens sensibles à leurs
revendications constitutionnelles et percevant la charî’a comme la réponse aux maux de la
Tunisie395.
À travers les actions religieuses, l’islam était présenté comme la voie alternative à celle
proposée par une constitution laïque. Elles servaient, grâce à la da’wa et au concept al-amr
bil-mar’roûf wal-nahi ‘an al-munkar, à répandre un discours différent de celui tenu par les
constituants et plus radical que celui des nahdaouis. À maintes reprises, les salafistes ont
souligné que la Tunisie demeurait une terre d’islam, dâr al-islâm, ce qui impliquait que les
salafistes détenaient la responsabilité d’éduquer (tarbiyya) la population tunisienne aux
enseignements islamiques et plus précisément au minhâj salafî. C’est pourquoi la lutte pour
le contrôle des mosquées, le rôle de « police religieuse » adopté par certains salafistes et la
tenue de conférences et de rassemblements religieux faisaient partie de la stratégie de
salafisation par le bas. Elles permettaient, à défaut d’avoir une constitution islamique, de
mobiliser une base sociale qui critiquerait cette même constitution.
L’effondrement partiel de l’appareil sécuritaire et le relâchement de la surveillance des
mosquées après la fuite de Ben Ali ont souligné le rôle politique de ces lieux de prières qui
faisaient l’objet d’une chaude lutte de contrôle de la part de plusieurs protagonistes, dont les
salafistes, toutes tendances confondues396. Lieu de rassemblement, la mosquée réunissait une
large audience en quête de spiritualité propice pour la tenue de discours également politique.
Ainsi, contrôler les mosquées équivalait à maîtriser les discours et messages émis. C’est
394 Samir AMGHAR, « Le salafisme à la conquête du pouvoir », op. cit. 395 Aaron Y. ZELIN, « The Rise of Salafists in Tunisia After the Fall of Ben Ali », Combating Terrorism Center,
[En ligne], 2011, https://ctc.usma.edu/posts/the-rise-of-salafists-in-tunisia-after-the-fall-of-ben-ali, (Page
consultée le 28 juin 2017). 396 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 15.
105
pourquoi les salafistes ont misé sur une prise de contrôle des lieux de prières en délégitimant
les aima désignés par l’ancien régime comme traîtres et les ont remplacés par de jeunes aima
salafistes autoproclamés chouyoûkh. Leur imposition dans le plus grand nombre de mosquées
à travers la Tunisie devait assurer le maintien et l’expansion des enseignements et de
l’idéologie salafistes. Les aima qui y étaient placés ne détenaient pas d’autorisation du
Ministère des Affaires religieuses pour prêcher397. Selon le ministre de l’Intérieur Lotfi Ben
Jeddou, il demeurait jusqu’à 380 mosquées sous le contrôle de salafistes jihadistes au mois
de mars 2014398. D’ailleurs, les salafistes politiques « concentraient leurs actions religieuses
auprès des mosquées, formant des halaqât399 ».
Les salafistes faisaient aussi partie des protagonistes se disputant le contrôle de la mythique
mosquée Zeitouna. En charge de la formation de l’imâm, du ‘âlim et du mujtahid, la Zeitouna
représentait un atout stratégique, notamment en raison de son aura symbolique, pour assurer
la pérennité de l’idéologie salafiste en Tunisie. La restitution de ses fonctions
d’enseignements religieux après les soulèvements populaires a suscité moult convoitises de
divers acteurs religieux dont des chouyoûkh malékites ultraconservateurs, des nahdaouis, des
salafistes scientifiques et jihadistes et des militants de Jabhat al-Islâh et d’Hizb al-Tahrir400.
Outre le contrôle des mosquées, plusieurs salafistes, particulièrement ceux jihadistes et
scientifiques, se sont employés à sensibiliser leurs concitoyens aux préceptes islamiques
salafistes dans la continuité de la salafisation par le bas. Agissant à titre de police religieuse
en appliquant le concept d’al-amr bil-mar’roûf wal-nahi ‘an al-munkar, ils réprimandaient
ceux qui ne se conformaient pas à leurs interprétations religieuses. Abu Iyadh a rappelé
l’importance de renforcer l’application de la charî’a en incitant les membres d’AST à adopter
397 Anne WOLF, « The Radicalization of Tunisia’s Mosques », Combating Terrorism Center, [En ligne], 2014,
https://www.ctc.usma.edu/posts/the-radicalization-of-tunisias-mosques (Page consultée le 29 mai 2017). 398 MOSAÏQUE FM, « Le MI donne la liste des imams extrémistes à limoger », Mosaïque FM, [En ligne], 2
mars 2014, http://archivev2.mosaiquefm.net/fr/index/a/ActuDetail/Element/33904-le-mi-donne-la-liste-des-
imams-extremistes-a-limoger (Page consultée le 21 mai 2017). 399 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 400 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 35.
106
ce rôle de police religieuse401 et ce, partout où ils le pouvaient. Ils intervenaient entre autres
pour réaffirmer l’interdiction de la vente et de la consommation de l’alcool et pour
sensibiliser les femmes à revêtir des habits décents402. Adel Almi avait demandé la
permission de filmer les « dé-jeûneurs » durant le ramadan à l’été 2013 sur l’avenue
Bourguiba, afin de pouvoir les identifier et sévir403. Ces actions ont souvent dégénéré vers la
violence par l’emploi de l’agression physique et verbale, afin de modifier les comportements
sociaux des Tunisiens et de lutter contre les innovations religieuses. Par exemple, plusieurs
salafistes ont attaqué des maisons closes dans l’ensemble de la Tunisie404. Menaçant les
prostituées et les clients, ils ont tenté de fermer la célèbre maison close d’Abdallah Guech,
située dans la médina de Tunis, en février 2011405. De nombreux tombeaux de marabouts ont
également été détruits comme celui de Sidi Yacoub à Beni Zelten le 4 mai 2012406, ou la
zaouia de Saïda Manoubia, incendiée le 16 octobre de la même année407. Bien que les
salafistes jihadistes aient été les plus prompts à utiliser la violence, les salafistes scientifiques
ont aussi recouru à des tactiques agressives pour influencer le processus constitutionnel. Ils
ont notamment agressé physiquement des journalistes, des syndicalistes et des activistes408
comme Iqbal Gharni, ancienne directrice de la radio Zeitouna, qui a fait l’Objet de
harcèlement et d’agression d’Adel Almi et de confrères409.
401 Nathaniel GREENBERG, « The Rise and Fall of Abu ‘Iyadh: Reported Death Leaves Questions
Unanswered », op. cit. 402 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 10. 403 Maurgaux LERIDON, « Tunisie: ils ne jeûnent pas et se prennent en photo pour répondre à la menace du
salafiste Adel Almi », Slate, [En ligne], 12 juillet 2013, http://www.slate.fr/monde/75261/tunisie-photo-
ramadan-cheikh-adel-almi-facebook (Page consultée le 8 novembre 2017). 404 Frida DAHMANI, « Prostitution : islamistes et maisons closes, le blues des filles de joie tunisiennes » Jeune
Afrique, [En ligne], 25 avril 2014, http://www.jeuneafrique.com/133742/societe/prostitution-islamistes-et-
maisons-closes-le-blues-des-filles-de-joie-tunisiennes (Page consultée le 23 juin 2017). 405 Imed BENSAIED, « Les islamistes s’attaquent aux maisons closes », France 24, [En ligne], 18 mars 2011,
http://www.france24.com/fr/20110318-prostituees-tunis-tunisie-prostitution-bordel-avenue-bourguiba-
mosquee-islamistes (Page consultée le 23 juin 2017). 406 WEBDO, « Profanation de Sidi Bou Saïd : Le maire de la ville accuse Ghannouchi », Webdo, [En ligne], 13
janvier 2013, http://www.webdo.tn/2013/01/13/profanation-de-sidi-bou-said-le-maire-de-la-ville-accuse-
ghannouchi (Page consultée le 8 novembre 2017). 407 I. N., « Tunisie - Le mausolée de Saïda Manoubia incendié » Businessnews, [En ligne], 16 octobre 2012,
http://www.businessnews.com.tn/Tunisie---Le-mausol%C3%A9e-de-Sa%C3%AFda-Manoubia-
incendi%C3%A9-(vid%C3%A9o),520,34031,3 (Page consultée le 8 novembre 2017). 408 Anna MAHJAR-BARDUCCI, « Tunisia’s New Islamist Police », op. cit. 409 Asma GHRIBI, « Tunisia Recognizes Controversial Islamist Organization », op. cit.
107
Différents événements ont été organisés par des salafistes qui maintenaient une présence dans
les rues tunisiennes : des séminaires et cercles d’études, des prières à l’extérieur des
mosquées, des ventes de livres religieux, de petits rassemblements dans les cafés. Faisant des
prêches après les matchs de soccer et distribuant des pamphlets410, ils érigeaient également
des tentes de da’wa pour tenir des discussions et des prêches411. Certaines de ces activités
ont parfois été menées de concert avec d’autres associations islamiques et le Ministère des
Affaires religieuses, dont plusieurs conférences où la tribune était accordée à divers
prédicateurs aux propos polémiques. Le prédicateur saoudien Mohammed Ben Ali Chanqiti
a effectué une tournée des mosquées en Tunisie en février 2013412. L’imâm égyptien
Mohammed Hassan, promouvant l’excision des femmes, a visité la Zeitouna le 30 avril 2013,
visite à laquelle ont assisté les députés nahdaouis Sadok Chourou et Habib Ellouze413. Ces
conférences suscitaient cependant l’indignation parmi la population qui saluait d’ailleurs les
quelques occasions où les autorités avaient refusé l’accès au territoire à des conférenciers
ayant été reconnus coupables d’agissements criminels414. Le 14 mai 2012, les agents de la
douane tunisienne ont refusé l’entrée de deux prédicateurs marocains, Omar Al-Haddouchi
et Hassan Kettani, qui avaient été condamnés pour avoir organisé les attentats de 2003 à
Casablanca415. Lors de la visite de Wajdi Ghanim, un collectif de citoyens, dirigé par Emna
Mnif, a dénoncé la série de conférences qu’il menait, estimant qu’il s’agissait « d’incitation
à la haine et à la violence et d’ingérence dans les affaires tunisiennes416 ».
410 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit. 411 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit. 412 Jean FONTAINE, op. cit., p. 178. 413 DIRECTINFO, « Le prédicateur égyptien Mohamed Hassen débarque en Tunisie », Directinfo, [En ligne],
18 avril 2013, https://directinfo.webmanagercenter.com/2013/04/18/le-predicateur-egyptien-mohamed-hassen-
debarque-en-tunisie (Page consultée le 8 novembre 2017). 414 Voir en annexe XII Rabaa H., « Tunisie : (vidéo) Le prédicateur Mohamed Hassan accueilli sur les
chapeaux de roues », Tunisie Numérique, [En ligne], 30 avril 2013,
https://www.tunisienumerique.com/tunisie-le-tres-controverse-mohamed-hassan-ce-mardi-a-tunis (Page
consultée le 8 novembre 2017). 415 Synda TAJINE, « L’arrivée de deux prédicateurs marocains provoque l’agitation à l’aéroport Tunis-
Carthage », Businessnews, [En ligne], 15 mai 2012, http://www.businessnews.com.tn/larrivee-de-deux-
predicateurs-marocains-provoque-lagitation-a-laeroport-tunis-carthage,520,31054,3 (Page consultée le 8
novembre 2017). 416 Voir en annexe XIII JEUNE AFRIQUE, « Tunisie : colère après les déclarations du prêcheur égyptien Wajdi
Ghanim », Jeune Afrique, [En ligne], 16 février 2012, http://www.jeuneafrique.com/177322/politique/tunisie-
col-re-apr-s-les-d-clarations-du-pr-cheur-gyptien-wajdi-ghanim (Page consultée le 12 novembre 2017).
108
Ces actions sociales et religieuses ont donc bel et bien eu un impact sur le contexte entourant
le processus de rédaction de la nouvelle constitution. De pair à cela, certains salafistes ont
voulu intégrer les instances participatives de l’Assemblée nationale constituante.
Une timide intégration aux instances participatives de l’Assemblée nationale constituante
Cette intégration a pu être permise grâce à un souci constant de l’ANC de bénéficier de
l’apport des citoyens et favoriser leur participation et ce, tout au long du processus de
rédaction de la constitution. Bien que certains membres de la société civile aient perçu le
contraire, l’objectif de l’ANC par l’entremise de ces instances était que chaque citoyen ait le
sentiment que la constitution reflète la société tunisienne. En plus d’élire un représentant qui
devrait assurer les intérêts de ses électeurs, un Président des relations avec la société civile et
une équipe à sa disposition ont été mis sur pied pour assurer la pleine participation des
Tunisiens au processus constitutionnel. À ce titre, trois activités institutionnelles ont été
organisées pour assurer la participation concrète des citoyens, en plus des possibilités pour
eux d’interpeller directement leur député à son bureau de circonscription et du projet de
Marsad Al-Majles par l’envoi électronique de questions aux députés417. Certains salafistes
ont donc tenté d’intégrer ces instances participatives de l’ANC.
Premièrement, 160 réunions regroupant des experts, universitaires, professionnels ou autres,
provenant de différents horizons et de domaines distincts, ont été organisées au sein des six
commissions constitutionnelles établies418. Parmi les spécialistes convoqués, au moins un
représentant de la tendance salafiste scientifique, nommément Béchir Ben Hassen, a été
invité à prendre la parole lors de ces audiences. Il était cependant accompagné par des aima
417 « Questions », Marsad, [En ligne], http://majles.marsad.tn/fr/questions (Page consultée le 17 juin 2017). 418 Les six commissions constitutionnelles sont les suivantes : la commission des droits et libertés, la
commission des pouvoirs législatifs, exécutif et des relations entre eux, la commission du préambule, des
principes fondamentaux et de révision de la Constitution, la commission des collectivités publiques, régionales
et locales, la commission des instances constitutionnelles et la commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles.
109
d’autres tendances419, ce qui a probablement eu pour effet de diluer le message qu’il désirait
diffuser. Lors de ces audiences, les députés des commissions constitutionnelles désiraient
connaître leurs propositions concernant le projet de constitution et la manière dont ils
percevaient le rôle de l’islam dans la société tunisienne postrévolutionnaire420. Cependant,
ces commissions constitutionnelles n’ont jamais convoqué de représentants des quatre partis
politiques salafistes accrédités, alors que ces derniers ont voulu être entendus, ou de membres
d’AST pour prendre connaissance de leurs points de vue421.
Deuxièmement, deux jours de consultations nationales ont été organisées les 14 et 15
septembre 2012 au siège de l’ANC. Ces consultations nationales correspondaient à six
ateliers renvoyant au travail effectué par les six commissions constitutionnelles. Les
échanges entre les participants et les constituants se basaient sur la première mouture du
projet de constitution complétée au mois d’août 2012. Les deux ateliers qui ont suscité le plus
grand intérêt de la part des participants au regard du nombre d’inscription, où plus d’une
centaine de citoyens se sont manifestés à chacun de ces ateliers, étaient celui sur les droits
et libertés et celui sur le préambule et les principes généraux. Selon Abdelkafi, le président
des relations avec la société civile, cet engouement s’expliquerait par la « crainte que les
droits fondamentaux ne soient pas expressément consacrés ni les garanties clairement
prévues de manière à assurer le respect des libertés de certains et à bafouer l’identité et les
références des autres ». Dans le contexte épineux de l’essor du salafisme, de la polémique
entourant leurs revendications, de la saga des manifestations pro et anti-charî’a de mars 2012
et des épisodes de violence attribués à ces derniers, cette hypothèse paraissait tout à fait
plausible. Bien que les ateliers aient été médiatisés et ouverts à tous les citoyens, peu importe
leurs convictions, « la présence salafiste s’est avérée minoritaire422 ». Cette présence peu
marquée semblait tout à fait surprenante particulièrement de la part des salafistes politiques
419 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 420 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 421 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 422 Entrevue avec G, député d'Ennahda, dans le local d'Ennahda à l'Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie.
110
qui ont reproché à maintes reprises leur manque d’inclusion dans le processus d’élaboration
de la nouvelle constitution. Cela se justifiait peut-être par les circonstances de l’attaque de
l’ambassade américaine deux jours plus tôt ou la désillusion et la méfiance ressentie par ces
acteurs après le refus d’Ennahda de mettre à son agenda l’inscription de la charî’a dans la
constitution peuvent être des facteurs explicatifs à cette non-collaboration. Quoiqu’il en soit,
« les idées qui sont ressorties [de ces deux jours de consultations] étaient plus centristes,
bien qu’il y en a eu quelques-unes extrêmes, mais ça ne représent[ait qu’]une minorité423 ».
Troisièmement, une tournée de l’ensemble des gouvernorats a été organisée dans le but
d’aider « les membres de [l’ANC] à mieux comprendre les positions, tendances et intérêts du
peuple424 » dans le sillage du succès remporté par les deux journées de consultations
nationales auprès des citoyens. Il apparaît difficile d’établir avec certitude la présence et la
participation des salafistes, car les députés d’Ennahda ne s’entendaient pas sur ce point. Si la
majorité des députés d’Ennahda interrogés a affirmé que les salafistes, peu importe leur
affiliation, n’ont pas participé aux instances participatives de l’ANC425, l’une a cependant
confirmé la participation de salafistes au moins lors des consultations de Monastir426. Bien
que la députée estimait qu’il s’agissait de jeunes salafistes jihadistes, ils n’abordaient pas
d’apparente affiliation à un groupe quelconque et ne se sont pas réclamés d’un groupe. Ils
sont entrés dans le local et
Ont émis de nombreuses critiques sur la légitimité du processus d’élaboration et
de rédaction de la constitution, comme quoi le processus allait à l’encontre de
l’islam, que la constitution est contre l’islam, qu’elle ne vaut rien du tout et
qu’elle ne devrait même pas être écrite. Écrire une constitution n’est pas en
accord avec l’islam et l’oumma, la seule constitution valable étant le Coran.427
423 Entrevue avec G, député d'Ennahda, dans le local d'Ennahda à l'Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie. 424 Badreddine ABDELKAFI, « L’Assemblée nationale constituante et la société civile : quelle relation ? » dans
La constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, Programme des Nations unies pour le
développement, 2016, pp. 143. 425 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 426 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 427 Ibid.
111
Refusant d’échanger avec les députés et optant pour un mode de confrontation verbale et
physique, ils ont finalement été expulsés de la salle par des agents de sécurité428. Cette
irruption de salafistes témoignait de la volonté de certains d’entre eux de participer aux
instances participatives afin de perturber le bon déroulement des travaux et signifier leur
présence et leur non-reconnaissance quant à la légitimité de ce même processus. Néanmoins,
une autre députée a martelé que bien qu’ils n’aient pas été nombreux à intégrer les
consultations de la tournée des gouvernorats, « ils ont été présents et très ressentis (bruyants)
[…] émettant de fortes critiques sur la constitution et Ennahda429 ». L’absence d’uniformité
dans les propos des personnes interrogées relative à la participation de salafistes aux
consultations régionales s’explique peut-être en raison du niveau d’implication dans cette
tournée des différents acteurs interrogés.
Outre cette timide participation aux instances participatives développées par l’ANC, certains
salafistes, essentiellement scientifiques, ont usé d’autres moyens pour rencontrer des acteurs-
clés du processus de rédaction constitutionnelle comme le Président Marzouki qui faisait
preuve d’une certaine ouverture. Dès février 2012, il a rencontré discrètement le guide
spirituel d’AST, Khatib Idrissi430. Cependant, pratiquement aucune information n’a circulé
dans les médias officiels de la Présidence ou dans les médias tunisiens, laissant planer une
onde de mystère sur la nature de ces échanges. Après les événements de l’attaque de
l’ambassade états-unienne en septembre 2012 et des violences qui ont suivi, Marzouki a
répété l’expérience en rencontrant d’autres salafistes scientifiques, incluant Khamis Mejri, le
11 octobre 2012 au palais présidentiel de Carthage431. Cette rencontre a permis au Président
de réaffirmer que « chaque Tunisien [avait le droit] d’exprimer ses opinions et d’exercer sa
religion selon ses convictions, sans aucune contrainte », tout en rappelant cependant « la
nécessité de l’engagement de toutes les composantes de la société à combattre la violence et
à instaurer le dialogue et la tolérance dans la défense des différentes positions et convictions
428 Ibid. 429 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 430 Isabelle MANDRAUD, « Enquête sur la radicalisation des salafistes tunisiens », op. cit. 431 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017.
112
religieuses »432. Il témoignait ainsi de sa certitude que les salafistes possédaient une place au
sein des négociations sous réserve d’accepter le dialogue auprès des groupes de la société qui
ne partageaient pas leur idéologie et d’agir pacifiquement. Les chouyoûkh salafistes présents
ont cependant reproché « la tension qui a empreint les derniers discours du président à l’égard
des salafistes, [des discours qui ont créé] une certaine aversion pour les jeunes envers leur
mouvance », tout en dénonçant « la campagne médiatique féroce menée contre les
salafistes »433. Ils exprimaient la teneur d’un certain double-discours tenu par les autorités
étatiques434 qui tendaient une main vers les salafistes tout en les menaçant d’une matraque
dans l’autre main. Ils ont par la suite affirmé que « leur présence au Palais de Carthage
représent[ait] d’importants sacrifices, étant donné que cette rencontre [était] contestée par la
majorité des jeunes salafistes, en cette période délicate où les membres de la mouvance
[étaient] persécutés435 », soulignant l’absence de consensus au sein de la mouvance et le choc
générationnel entre les salafistes scientifiques et jihadistes. Cet entretien a effectivement été
vivement décrié par des salafistes, profondément mécontents, appartenant plus
particulièrement à AST :
The youth of the movement were against this meeting. It was a mistake, and we
are not ashamed to admit this before our sheikhs. If the state wants to open a
dialogue, it has to come to us and not the opposite. There is a saying from the
classical era: “If one that goes to princes, it is because something is not clear.”
[…] They acted just like the others (the politicians), in an elitist manner. […]
Who has delegated them with the power to negotiate with the state? Who gave
them the right to speak in the name of the entire movement?436
Lors de ces rencontres, il s’est cependant avéré que les salafistes n’ont jamais proposé de
projets législatifs concrets, préférant plutôt énoncer de grands principes généraux sur
432 S. T., « Tunisie – Moncef Marzouki accueille les chefs salafistes au Palais de Carthage », Businessnews, [En
ligne], 11 octobre 2012, http://www.businessnews.com.tn/tunisie--moncef-marzouki-accueille-les-efs-
salafistes-au-palais-de-carthage,520,33969,3 (Page consultée le 17 juin 2017). 433 Ibid. 434 Voir en annexe XIV Syrine GUEDICHE, « Tunisie : Le double discours de Rached Ghannouchi à propos
des Salafistes », Tunisie Numérique, [En ligne], 24 septembre 2012,
https://www.tunisienumerique.com/tunisie-le-double-discours-de-rached-ghannouchi-a-propos-des-salafistes
(Page consultée le 21 janvier 2018). 435 S. T., op. cit. 436 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », op. cit.
113
l’implication de la religion dans la vie publique437. Les salafistes ont cependant bénéficié
d’une oreille attentive à leurs revendications par l’entremise du parti islamiste Ennahda qui
a finalement constitué leur principal interlocuteur.
Ennahda, un allié potentiel dans l’agenda salafiste de la Tunisie postrévolutionnaire
La logique de dialogue adoptée par les salafistes, un rapprochement utilitariste ?
Les liens entre le parti islamiste Ennahda et les salafistes ont fait l’objet de nombreux
fantasmes dans les médias qui y voyaient un pur mariage islamiste438. Néanmoins, il apparaît
difficile de cerner avec exactitude la nature de ces liens. Que ce soit à l’aide de la littérature
ou des entrevues menées sur le terrain, ces liens laissent toujours place à plusieurs
spéculations, le sujet demeurant toujours aussi sensible. Quoiqu’il en soit, il s’est avéré que
l’ensemble des salafistes, se sont tournés vers le parti islamiste, croyant y trouver un allié
dans la lutte identitaire pour l’inscription de la charî’a dans la constitution. Adoptant une
logique de dialogue, leurs efforts de lobbying auprès du parti islamiste, qui constituaient en
fait leurs principales actions politiques, ont eu un impact sur la dynamique interne du parti
qui a considéré et évalué leur demande identitaire.
Parmi l’ensemble des acteurs politiques présents lors de la période transitionnelle tunisienne,
Ennahda représentait le meilleur allié potentiel des salafistes et ce, malgré la réticence
soulevée par la majorité des salafistes à l’égard du degré d’acceptabilité et de légitimation du
milieu politique. Ennahda s’est révélé un allié naturel dans le paysage politique tunisien où
le nombre de partis séculaires élus excède celui des partis islamistes. Ennahda, se qualifiant
de parti islamiste, affirmait employer les valeurs islamiques comme vecteurs de ses actions
politiques en tant que parti, législateur et gouvernement. Ce référent commun entre nahdaouis
437 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 438 Isabelle MANDRAUD, « Ennahda est complaisant avec les salafistes », Le Monde, [En ligne], 28 février
2012, http://www.lemonde.fr/international/article/2012/02/28/ennahda-est-complaisant-avec-les-
salafistes_1649314_3210.html (Page consultée le 21 janvier 2018).
114
et salafistes devrait faciliter les échanges des protagonistes, malgré les divergences
théologiques qui les séparaient. D’ailleurs, certains cadres et députés nahdaouis ont partagé
les expériences en exil ou en prison avec leurs confrères salafistes pour des raisons similaires
sous Ben Ali. L’une des personnes interrogées a affirmé que lorsqu’il « étai[t] en prison, [il
a eu] des contacts avec certains membres salafistes, non pas des leaders, mais des membres
de deuxième et troisième rangs et [qu’ils] cria[ient] pour communiquer entre [eux]439 ». Ces
éléments facilitateurs semblaient avoir mené vers l’établissement d’un dialogue entre les
salafistes et le parti nahdaoui qui a débuté peu avant la victoire électorale d’Ennahda. En
juillet 2011 à La Soukra, des acteurs important du parti islamiste se sont réunis avec des
représentants du courant salafiste pour établir une feuille de route qui répartissait les tâches
entre les protagonistes pour islamiser la société440.
Ennahda, détenant les rênes du pouvoir, devait bénéficier d’un poids important et d’une
marge de manœuvre au regard de l’opposition tunisienne divisée. Inscrire ses priorités à
l’agenda constitutionnel et législatif de l’ANC aurait dû s’avérer plus aisé. Bien qu’il « y
a[vait] des différences entre les salafistes et les personnes qui siège[aien]nt à l’ANC, surtout
au niveau de la compréhension du Coran et de la Sunna, [il y avait] cependant des facteurs
communs, comme la charî’a441 ». La volonté, considérée comme commune entre les
salafistes et les nahdaouis, d’islamiser la société et l’État par le haut devrait les unir face à
leurs adversaires politiques sécularistes, aux syndicats et autres associations militantes qui se
positionnaient à l’encontre d’un tel objectif.
Selon l’interprétation des salafistes politiques, les résultats des urnes devaient démontrer le
désir des électeurs de redéfinir la tunisianité par une islamisation de l’État et de la société
tunisiens. L’atteinte d’un tel objectif, dans le cadre du processus de rédaction de la nouvelle
constitution, se concrétisait par l’inscription de la charî’a comme l’une des sources
principales de la législation ou la principale source, ce qui représentait la principale demande
identitaire des salafistes. Par ce fait, les salafistes s’attendaient à ce que le travail effectué par
439 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 440 Alaya ALLANI, op. cit., p. 213. L’auteur ne donne cependant pas le résultat de la division des tâches. 441 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017.
115
le parti nahdaoui abonde dans le sens d’une islamisation de la société top-down, par celle des
institutions étatiques et plus particulièrement dans ce contexte, de la constitution.
Cette impression de faire partie de la même famille était confortée par la sensibilité des
membres, des partisans et des électeurs d’Ennahda à l’égard des salafistes. Même si Ennahda
s’est montré et continue de se montrer avare de commentaires sur les liens entretenus avec
les salafistes au cours du processus transitionnel, sentiment se dégageant des informations
fournies par les personnes interrogées, une partie de l’électorat nahdaoui était effectivement
plus conservatrice que l’élite dirigeante à un tel point qu’il paraissait parfois ardu de la
distinguer des salafistes442. Ainsi, le corps du parti n’était pas à l’abri des clivages
théologiques. En effet, Ennahda se présentait plutôt comme un mouvement hétérogène qui
abritait des islamistes de différentes tendances443 : « [i]l y a plusieurs courants au sein du
parti, y compris des tendances conservatrices. Il s’agit d’un parti qui n’est pas homogène,
mais on recherche le consensus et la ligne de parti, très importante, est suivie.444 » Parmi
ceux-ci, deux députés, Sadok Chourou et Habib Ellouze, constituaient le noyau conservateur
du parti qui se tenait près des cercles salafistes445. Si la société les qualifiait aisément de
salafistes, leurs collègues ne partageaient pas cet avis et préféraient employer le terme
d’ultraconservateurs446 probablement pour ne pas délégitimer les deux députés aux yeux de
leurs collègues laïcs à l’ANC. L’un des députés interrogés a affirmé qu’Ellouze n’était pas
un salafiste, mais qu’il « [était] un peu extrémiste sur le plan politique447 ». Un autre député
affirmait plutôt que si
442 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017, Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis),
Tunisie, 2017, Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017, Entrevue avec H, membre d’Ennahda, dans un café, Tunis, Tunisie, 2017. 443 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 444 Ibid. 445 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 446 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 447 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017.
116
Chourou et Ellouze [étaient] parfois exigeants sur le plan individuel, [que
c’étaient] des gens très disciplinés [et] très farouches dans la lutte contre l’ancien
régime, [i]ls accept[ai]ent la démocratie comme mode de gouvernance, ce qui
[était] une grande différence [comparé aux] salafistes. En Tunisie, on essa[yait]
de les attaquer en les qualifiant de salafistes, [alors qu’i]ls étaient parmi les
membres qui ont adopté la constitution tunisienne.448
Quoiqu’il en soit, Chourou et Ellouze se sont avérés de précieux partenaires pour la
mouvance salafiste et ont agi à titre de facilitateurs des échanges et de médiateurs entre
Ennahda et les salafistes449.
Néanmoins, l’une des personnes interviewées a reconnu qu’il y avait bel et bien eu une
présence salafiste au sein des rangs nahdaouis, du moins en 2013. L’affiliation au parti
n’avait pas eu pour objectif une participation accrue aux politiques internes du parti, mais
aurait servi plutôt d’immunité. En effet, les salafistes auraient cru qu’appartenir à Ennahda
les aurait empêchés d’affronter la police pour des méfaits qui leur étaient allégués. L’un des
coordonnateurs du parti a exigé la vérification de tous les nouveaux membres des cités
populaires, afin d’éviter les critiques de l’opposition d’abriter des criminels450.
Malgré la relative centralité du concept d’al-walâ’ w-al-barâ qui dictait aux salafistes de ne
côtoyer que les individus partageant une interprétation religieuse similaire, ces derniers ont
adopté une posture d’ouverture à l’égard d’Ennahda et ce, même si le parti se réclamait d’un
islam modéré. L’acceptation de ce dialogue dénotait un relatif pragmatisme de certains
acteurs salafistes qui, au regard du jeu de pouvoir s’opérant au sein de l’ANC et même au
sein de la société tunisienne, recherchaient une alliance leur permettant d’accentuer leur poids
dans la négociation entourant la redéfinition de l’identité tunisienne postrévolutionnaire. La
convergence des intérêts d’Ennahda, du moins d’une partie de sa base populaire et d’une
certaine élite dirigeante, et des salafistes suggérait cette alliance naturelle parce
« [qu’]Ennahda, comme parti islamiste, [voulait] la charî’a, qui reflète des principes comme
448 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 449 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., pp. 15, 33. 450 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.
117
la liberté, la citoyenneté et la justice451 ». Ainsi, la volonté de plusieurs salafistes et nahdaouis
de s’afficher conjointement de manière ouverte pouvait démontrer à leurs partisans et à
l’ensemble de la population tunisienne qu’ils agissaient sur un front commun. L’ouverture et
le rapprochement politique des salafistes vers Ennahda se sont exprimés à travers plusieurs
activités politiques et religieuses.
Dès la victoire électorale d’Ennahda, Ghannouchi avait vivement conseillé aux salafistes
d’employer les canaux légaux et pacifiques pour exprimer leurs revendications en créant
notamment des partis politiques qui pourraient par la suite participer au processus
constitutionnel. C’est ainsi que les salafistes politiques ont suivi cette recommandation en
créant les quatre partis politiques salafistes. Afin d’entériner et de saluer ce saut en politique,
Ghannouchi s’est présenté au congrès fondateur de Jabhat Al-Islâh452. Le dialogue a pu
s’opérer grâce à des rencontres peu médiatisées à l’intérieur du parti politique. Selon les
témoignages recueillis, plusieurs rencontres à la fois formelles et informelles, ont permis aux
salafistes d’échanger directement avec des cadres et des députés nahdaouis453. Ce sont plus
particulièrement les salafistes scientifiques qui ont bénéficié de cette tribune et qui ont, à
chaque fois, accepté de rencontrer leurs interlocuteurs politiques. Il n’est cependant pas clair
si ces rencontres ont été initiées par le parti ou par les salafistes scientifiques. Encore une
fois, Béchir Ben Hassen a semblé être l’interlocuteur, le porte-parole de la mouvance salafiste
privilégié par le parti islamiste, son nom revenant régulièrement lors des entrevues. Selon les
propos d’une députée, il semblerait que certains salafistes, sans qu’il ne soit possible de les
catégoriser, ont entrepris des initiatives personnelles pour rencontrer les députés d’Ennadha,
et que la réponse de ces derniers ait variée. Elle donnait à titre d’exemple « les femmes
niqabées de la Manouba qui lui ont demandé de les aider dans le cadre de leurs démarches
pour l’approbation du port du niqab dans les classes454 », chose à laquelle elle a refusé
d’adhérer. En général, les salafistes scientifiques ne sont arrivés qu’avec des principes
généraux, ne sachant pas retirer des bénéfices concrets de leur accès privilégié auprès des
451 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 452 Aaron Y. Zelin, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit. 453 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 454 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017.
118
élites politiques, au grand dam des salafistes politiques. Ce constat est également confirmé
par les propos d’un ancien député qui affirmait que
les salafistes scientifiques ont essayé d’influencer Ennahda et la rédaction du
destour. Ils n’ont pas agi de la même manière que les autres salafistes, car ils
sont entrés au Parlement mais ils n’ont pas présenté de projets législatifs, ni
entamé de discussions spécifiques à ce sujet.455
La volonté d’ouverture s’exprimait également par la déception de ces salafistes politiques
par rapport au comportement d’Ennahda à leur égard. En effet, Ennahda les avait incités à
moult reprises à intégrer le paysage politique postrévolutionnaire, ce qu’ils ont fait.
Néanmoins, malgré les réelles intentions des salafistes de contribuer à la construction des
nouvelles institutions tunisiennes, Ennahda ne les a pas consultés. Jabhat Al-Islâh a
explicitement dénoncé qu’Ennahda n’ait pas ouvertement consulté le parti pour recueillir ses
idées et propositions sur la constitution456, alors que le parti avait signifié sa volonté de le
rencontrer. Al-Assala a renchéri en mentionnant que malgré l’ouverture du parti à dialoguer
avec Ennahda, le parti et les salafistes ont en général été exclus et marginalisés du processus,
alors qu’Hamadi Jebali, chef du gouvernement nahdaoui, avait rencontré l’ensemble des
partis politiques à l’exception de ceux d’obédience salafiste457. Quant au parti Al-Rahma,
rien n’indique qu’il a été, d’une manière ou d’une autre, rencontré par Ennahda. L’attitude
du parti islamiste s’expliquait peut-être par le fait que les partis politiques salafistes
constituaient somme toute des adversaires politiques qui risquaient de voler des voix lors des
prochaines élections et de diviser le vote islamiste458. Cependant, des membres du parti Hizb
Al-Tahrir ont rencontré le rapporteur général de la constitution, le nahdaoui Habib Kheder,
et plusieurs autres députés lors du Dialogue national459. Ils leurs ont remis une copie du
destour al-khilafa qu’ils avaient élaborée460. Malgré son rôle-clé dans la rédaction de la
455 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 456 Aaron Y. Zelin, « Who is Jabhat al-Islah? », op. cit. 457 OUMMA.TV, op. cit. 458 Id., « Tunisia’s Contentious Transition », Al-Wasat, [En ligne], 2012,
https://thewasat.wordpress.com/category/hizb-ut-tahrir-tunisia (Page consultée le 28 mai 2017). 459 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 460 Entrevue avec G, député d'Ennahda, dans le local d'Ennahda à l'Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie.
119
nouvelle constitution et la volonté des salafistes d’influencer le processus, aucun membre
d’autres partis politiques salafistes n’ont sollicité d’entretien avec lui461.
Même les salafistes jihadistes d’AST, malgré leur rengaine contre Ennahda et les politiques
sous le système de gouvernance actuel de la Tunisie, ont démontré une certaine ouverture.
Lors de leur premier rassemblement à Kairouan en 2011, d’importants membres d’Ennahda
comptaient au sein de l’assistance, nommément Chourou, Ellouze et Ghannouchi. D’ailleurs,
Aboû Iyadh avait également affirmé qu’il était impossible de distinguer AST d’Ennahda462,
insinuant peut-être une symbiose des objectifs entre les groupes. Cette déclaration paraîtrait
impromptue si le groupe jihadiste adoptait effectivement une attitude de distanciation pleine
et entière. En fait, AST a plutôt démontré une ouverture non-avouée, ou plutôt non visible
médiatiquement parlant, du groupe à l’égard d’Ennahda. Cette prudence et cette ambivalence
témoigneraient d’une stratégie de l’organisation leur permettant une liberté d’action et de
réaction au regard des comportements qu’adopterait Ennahda par la suite tout en conservant
une mainmise sur ses membres enclin aux discours radicaux du groupe.
Outre ces rencontres, les salafistes et les nahdaouis ont pu échanger lors des quelques
manifestations tenues pour exiger la constitutionnalisation de la charî’a en mars 2012 ou lors
des manifestations pour la promotion de la protection du sacré comme celle du palais
Abdellia. Les salafistes et les nahdaouis, encore une fois principalement par l’entremise de
Chourou et Ellouze, ont assisté conjointement à des conférences de prédicateurs salafistes
provenant notamment du Maroc, de l’Égypte ou des pays du Golfe, prédicateurs qui ont
parfois été traités avec les honneurs des invités de la République tunisienne. Ils ont d’ailleurs
été présents lors des conférences de Mohammed Hassan463 et de Wajdi Ghanim464, deux
461 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 462 Alaya Allani, op. cit., p. 216. 463 Synda TAJINE, « Tunisie – Le prédicateur Mohamed Hassen remplit la coupole d’El Menzah »,
Businessnews, [En ligne], 30 avril 2013, http://www.businessnews.com.tn/Tunisie-%E2%80%93-Le-
pr%C3%A9dicateur-Mohamed-Hassen-remplit-la-coupole-d%E2%80%99El-Menzah,520,37828,1>. (Page
consultée le 21 décembre 2017). 464 Synda TAJINE, « Tunisie : Les prédicateurs en terre de mission », Businessnews, [En ligne], 3 février 2013,
https://www.algerie1.com/face-b/tunisie-les-predicateurs-en-terre-de-mission (Page consultée le 21 décembre
2017).
120
prédicateurs salafistes controversés. À cet effet, certains nahdaouis ont promu les activités
religieuses des salafistes465. Il est intéressant de souligner que ces activités rassemblant
salafistes et nahdaouis n’ont jamais été mentionnées lors des entrevues, probablement pour
demeurer évasifs sur la profondeur ou pas des liens salafistes-nahdaouis.
L’agrément d’Ennahda à répondre à la volonté des salafistes d’entamer un dialogue dénotait
selon Cavatorta une stratégie d’inclusion du parti islamiste à l’endroit des salafistes466.
Cependant, une députée nuançait ces propos, estimant « qu’il n’y a pas eu à proprement parler
de stratégie d’inclusion de la part d’Ennahda, mais plutôt une certaine ouverture à la
discussion et au dialogue », ajoutant « qu’une telle ouverture aurait dû se faire au niveau de
la société »467. Selon Ennahda, la révolution tunisienne se présentait comme une occasion en
or pour intégrer ces acteurs à la sphère publique et politique. Cette intégration éviterait un
processus de marginalisation au sein de la société, une exclusion qui était promue
essentiellement par différents acteurs de la société et partis politiques laïcs tels qu’Ettakatol.
Cependant, selon Ennahda, cela aurait eu pour effet pervers, d’inciter les salafistes à prendre
les armes contre leurs concitoyens. L’impossibilité de prendre part aux discussions sur les
enjeux et l’avenir de la Tunisie les inciterait à employer des méthodes violentes supplétives
aux moyens pacifiques pour mettre de l’avant leur agenda de salafisation et leur revendication
d’inscrire la charî’a dans la constitution. Pour reformuler, exclure tous les salafistes au
processus constitutionnel et à la redéfinition de l’identité tunisienne risquerait de
compromettre à la fois la sécurité, la stabilité et les chances de succès du processus
transitionnel en Tunisie en les incitant à recourir à la violence à l’endroit des individus et des
institutions468. Dans le contexte d’instabilité politique et sécuritaire qui caractérisait la
transition, Ennahda estimait qu’il ne pouvait courir le risque d’une menace accrue de
terrorisme.
465 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 39. 466 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 5. 467 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 468 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.
121
Il s’agissait donc d’une politique d’inclusion qui avait pour double objectif de les pacifier,
mais également de « modérer leurs discours à travers la négociation469 », le dialogue étant
dès lors présenté comme l’unique moyen de corriger les interprétations religieuses rigoristes
des salafistes470. Ce cheminement-type a d’ailleurs été poursuivi antérieurement par Ennahda
au cours de leur intégration dans les années 1990 et 2000. C’est pourquoi Ellouze « a fait des
leçons dans les mosquées pour les salafistes, afin qu’ils comprennent ce qu’est la charî’a. À
la suite de ces leçons, certains salafistes se sont modérés, mais il est possible que d’autres
soient partis faire le jihâd471 ».
Même si les salafistes adoptaient parfois une attitude revendicatrice, fermée au compromis
et idéaliste, Ghannouchi était convaincu que le dialogue saurait emmener un gradualisme
dans la poursuite des objectifs idéologiques des salafistes472. Adoptant un ton paternaliste,
Ghannouchi avait affirmé que ces jeunes, qui lui rappelaient sa jeunesse, étaient ses enfants473
et qu’ils étaient immatures politiquement474 et qu’ils devaient mûrir dans leurs réflexions et
qu’on devait leur offrir ce temps. Si le processus de modération avait été possible chez les
jeunes nahdaouis, un constat similaire pourrait s’appliquer aux jeunes salafistes.
Cette situation exprimait pourquoi le parti islamiste a tenté, initialement dans le processus
transitionnel, d’inclure les salafistes qui employaient des moyens pacifiques pour exprimer
leurs demandes identitaires, représentant d’ailleurs la majorité des salafistes475, et de
favoriser les échanges avec eux476. Néanmoins, selon l’une des personnes interviewées,
« cette stratégie d’inclusion a été à la fois mal comprise par ses partenaires politiques et mal
469 Ibid. et Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 470 Nathaniel GREEBERG, op. cit. 471 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 472 Anouar BOUKHARS, op. cit., p. 16. 473 Voir en annexe XV I. B., « Tunisie-Politique : Ghannouchi persiste et signe : «Les salafistes sont mes
enfants» », Kapitalis, [En ligne], 20 mai 2013, http://www.kapitalis.com/politique/16188-tunisie-politique-
ghannouchi-persiste-et-signe-les-salafistes-sont-mes-enfants.html (Page consultée le 21 janvier 2018). 474 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 2. 475 Mustapha EL HADDAD, « Chronique de la violence politique » dans La Tunisie en transition. Des élections
au dialogue national (2011-2014), Diwen Editions, L’Observatoire Tunisien de la Transition démocratique,
Tunis, 2016, p. 59. 476 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.
122
médiatisée à l’intention de la société civile477 ». La stratégie d’inclusion lui a valu une vague
d’indignation et la réprobation de la part de la société et des partis politiques, incluant ses
deux partenaires de la troïka. Le dialogue instauré au bénéfice des salafistes a été assimilé à
une tentative d’obtenir un gain politique478 et à la confirmation de l’existence d’un agenda
caché d’islamisation de l’État et de la société chez les nahdaouis qui n’hésiteraient pas, une
fois le pouvoir consolidé entre leurs mains, à le mettre de l’avant au détriment des droits et
libertés des Tunisiens. Les salafistes serviraient, selon cette hypothèse fortement véhiculée
au sein de la société, à préparer le terrain en intimidant les opposants par le truchement de la
violence et par la prédication religieuse. Ennahda, en invitant les salafistes aux discussions
internes du parti, a commis une faute d’appréciation importante479. Il aurait fallu plutôt les
inciter à participer plus fortement au sein des instances de participation citoyenne telles que
les commissions d’audience de l’ANC, les jours de consultation nationale ou la tournée des
gouvernorats, à l’instar des autres groupes de mobilisation citoyenne. Malgré l’apparente
volonté d’Ennahda, sa stratégie d’inclusion et de modération s’est révélée être un échec, les
salafistes n’ayant pas modéré leurs discours ni étant enclins au compromis480. D’ailleurs, la
logique de dialogue des salafistes s’est également révélée être un échec.
La charî’a chez Ennahda : les résultats d’une influence modeste
Lors de la campagne électorale de 2011, l’inscription de la charî’a dans la constitution ne
constituait pas une promesse électorale d’Ennahda. Au contraire, son programme électoral481
visait le statu quo par l’adoption de l’article premier de la constitution de 1959 qui énonçait
que « [l]a Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'islam est sa religion, l'arabe
sa langue et la République son régime482». Ce choix politique exprimait probablement la
stratégie d’Ennahda, à titre d’acteur politique rationnel, d’élargir le spectre politique de son
477 Ibid. 478 Francesco Cavatorta, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 6. 479 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 480 Anouar BOUKHARS, op. cit., p. 18. 481 Ennahda. Ennahdha Electoral Programme, 2011. 482 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE, Constitution de la République tunisienne, 14/355, adoptée
le 26 janvier 2014.
123
électorat potentiel en attirant également les Tunisiens qui ne désiraient pas nécessairement
l’octroi d’un rôle public accru à la religion. Cette décision stratégique a tout de même suscité
de la suspicion chez les partis laïcs et libéraux et chez les diverses associations luttant pour
la défense des droits de la personne, avançant que le parti islamiste essaierait d’accroître le
rôle de la religion dans la vie publique d’une manière ou d’une autre.
Bien qu’il soit difficile d’établir si la seule tenue des manifestations publiques de mars 2012
aient éveillé les membres plus conservateurs du parti qui aspiraient toujours à une
islamisation étatique plus poussée de l’État et ce, malgré le programme électoral initial du
parti, il demeurait que l’intérêt marqué de ces nahdaouis était d’ailleurs encouragé par les
premières actions pacifiques des salafistes. Malgré des discours parfois plus radicaux et une
attitude peu encline au compromis, les salafistes ont démontré une certaine ouverture pour
engager le dialogue avec les députés et cadres concernant plus précisément leur principale
demande constitutionnelle, la charî’a. Ils ont ainsi profité pour exercer du lobbying auprès
des députés conservateurs nahdaouis Chourou et Ellouze détenant un siège à la choûra du
parti, qui ont été appuyés par certains députés modérés qui demeuraient sensibles aux
revendications des salafistes, par espérance de gain politique483. Les différentes rencontres
formelles et informelles ont entraîné de chaudes et d’âpres discussions au sein du parti
islamiste entre les différentes tendances présentes et a même mis en exergue la dissension
entre les cadres du parti et le chef Ghannouchi484.
La remise à l’agenda d’Ennahda de la question de la charî’a s’est illustrée de trois façons.
Premièrement, le député nahdaoui Sadok Chourou a formellement exigé qu’elle soit inscrite
dans la nouvelle constitution lors de la première rencontre des constituants au sein de l’ANC
le 22 novembre 2011. Sans apparente consultation de son parti, Chourou a imposé l’enjeu du
rôle de l’islam dans la sphère publique dans l’agenda de l’ANC, extériorisant la
problématique du cercle nahdaoui, au grand dam des autres partis représentés.
Deuxièmement, un projet préliminaire non-officiel d’Ennahda qui circulait concernant la
483 Christopher ALEXANDER, « Tunisia’s Islamists II: The Salafis », Wilson Center, [En ligne], 2013,
https://www.wilsoncenter.org/article/tunisias-islamists-ii-the-salafis (Page consultée le 15 juin 2017). 484 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.
124
constitution contenait une clause mentionnant que la charî’a était l’une des sources de
législation485. Troisièmement, l’une des personnes interviewée a mentionné l’enthousiasme
marqué de Ghannouchi à l’idée de rouvrir le débat sur la charî’a au sein de son parti après
son éclatante victoire et de « sa volonté jusqu’au-boutiste486 ». Il semblait convaincu qu’il
s’agissait du moment propice pour rouvrir le chantier sur le sujet de la tunisianité et de la
culture étant donné l’absence de base culturelle commune au sein de la société tunisienne.
La choûra a par la suite accordé une séance spéciale pour déterminer la ligne du parti en la
matière à l’ANC.
Ces quatre événements soulignaient deux choses. Premièrement, force est de constater que
les salafistes, bien qu’absents des structures du parti, ont réussi à exercer une pression sociale
suffisamment forte, notamment sur les députés conservateurs, pour rouvrir le débat et ce,
même s’ils n’étaient ni très nombreux à s’investir de la sorte, ni très organisés dans leurs
actions. Bien que peu d’informations aient été disponibles sur les liens et les entretiens menés
entre octobre 2011 et mars 2012, il semblerait que les salafistes aient été suffisamment
puissants pour créer un véritable engouement chez les partisans d’Ennahda. Sans nul doute,
l’accent mis sur les actions pacifiques et l’ouverture au dialogue des salafistes ont facilité, en
ce début de période transitionnelle, la légitimation de la stratégie d’inclusion du parti à leur
égard.
Deuxièmement, Ennahda détenait sans aucun doute une base électorale et des députés plus
conservateurs qui se sont révélés des sympathisants à la cause salafiste. Cette sympathie s’est
illustrée par la participation conjointe à différentes manifestations, conférences et accueil de
prédicateurs, diverses activités et par des éléments revendicatifs communs, principalement la
charî’a, qui liait les membres et les députés nahdaouis aux salafistes, bien qu’ils n’aient pas
nécessairement la même compréhension de ce concept487. Pour plaire à une partie de son
électorat et de sa députation plus conservateurs488 et au regard des gains et pertes potentiels
485 Zied KRICHEN, op. cit., p. 186. 486 Entrevue avec H, membre d’Ennahda, dans un café, Tunis, Tunisie, 2017. 487 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 488 Christopher ALEXANDER, « Tunisia’s Islamists II: The Salafis », op. cit.
125
aux prochaines élections, le parti s’est penché sur cette question. Comment la demande de
l’inscription de la charî’a dans la nouvelle constitution a-t-elle été prise en compte ? À ce
titre, les cadres du parti ont agi de manière rationnelle en effectuant une analyse des bénéfices
et des coûts d’un tel projet en mettant dans la balance une partie de la base électorale et des
députés du parti, les salafistes et le reste de la société tunisienne. Inscrire la charî’a dans la
constitution allait-il profiter ou nuire à Ennahda ?
Sur le plan des bénéfices, aborder la question remplissait l’obligation de se pencher sur le
sujet et ce, « conformément à la volonté d’une certaine partie de la population, y compris
d’une partie de sympathisants et de partisans d’Ennahda » selon Ghannouchi489. Sur ce plan,
Ennahda obtiendrait « le soutien fort et inconditionnel » du réseau d’associations et de
courants salafistes et des fondamentalistes du parti490, entraînant la satisfaction de cette base
militante sympathisante au salafisme. Le succès de la mission islamiste du parti résulterait
en l’inscription de la charî’a dans la constitution. Les résultats de ce succès pourraient se
concrétiser par un gain politique potentiel aux prochaines élections, mais ce calcul devait être
nuancé, tempéré par le fait que peu de salafistes avaient exercé leur droit de vote et que la
présence éventuelle des partis politiques salafistes allait les concurrencer491. Bien que
certains aient tenté d’influencer Ennahda par le dialogue, les salafistes et leurs sympathisants
demeuraient peu nombreux et leurs demandes se sont perdues dans la masse492.
Sur le plan des coûts, les cadres d’Ennahda ont estimé que l’insertion de la charî’a aurait eu
pour effet de polariser la société tunisienne autour de la question de l’identité et de la
référence culturelle en deux factions, les pros et les anti-charî’a. Au cours des quelques mois,
Ennahda a pu constater que la majorité du peuple ne comprenait pas la signification de la
charî’a ni ce qu’elle englobait, le concept étant employé essentiellement de manière
péjorative. Le parti a reconnu le flou définitionnel entourant le terme qui a entraîné de
489 Rached GHANNOUCHI, « L’évolution de l’Islam politique durant la transition » dans La constitution de la
Tunisie. Processus, principes et perspectives, Programme des Nations unies pour le développement, 2016, p.
177. 490 Zied KRICHEN, op. cit., p. 187. 491 Aaron Y. Zelin, « Tunisia’s Contentious Transition », op. cit. 492 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017.
126
nombreuses spéculations de toute part493. Bien que « Ghannouchi et [des membres
d’Ennahda] ont manifesté auprès des salafistes pour inscrire la charî’a [dans la constitution],
[ils étaient conscients] qu’elle n’[était] pas définie [et qu’elle constituait] un terme au sens
ouvert, multiple494 ». La transition avait déjà suscité moult préoccupations et l’insertion de
la charî’a dans le document constitutionnel risquait de créer une fracture au sein de la société
tunisienne et d’accroître la tension entre les camps des laïcs, incluant les « les gauchistes, les
marxistes et les élites très laïques495 » et celui des islamistes. D’ailleurs, les médias, les partis
d’opposition et la société civile semblaient mieux préparés et plus mobilisés pour contrer les
revendications des salafistes. Pour les partis laïcs, dont le CPR et Ettakatol, l’inscription de
la charî’a constituait la ligne rouge à ne pas franchir496. Selon les propos d’un ancien député,
« le problème venait de la gauche qui ne voulait rien savoir de son inscription. Les élites de
gauche, laïques, ont été élevées à la façon française dans les écoles et ne voulaient qu’un
modèle laïc à la française497 ». Le tapage médiatique à l’encontre des salafistes témoignait à
quel point le reste de la société ne se sentait pas inclus ni interpellé positivement par leurs
demandes. Cette situation donnait l’impression que « les Tunisiens venaient de tourner la
page à une dictature » et que l’insertion de la charî’a « imposerait une autre dictature, mais
sous forme religieuse »498. Une députée résumait ce constat ainsi : « les salafistes n’ont pas
eu d’engagement politique. Ils opéraient une rupture, n’avaient pas de relations politiques et
ne voulaient pas établir de relations avec la politique. Ils refusaient le dialogue et désiraient
imposer leurs idées499 ». Finalement, il demeurait somme toute que les salafistes et leurs
sympathisants paraissaient peu nombreux et concentrés dans les régions et quartiers
populaires. Étant constamment marginalisés, ils accentuaient cette situation en opérant une
rupture avec le reste de la société, malgré les quelques élans de dialogue entamés avec le
493 Duncan PICKARD, op. cit. 494 Entrevue avec H, membre d’Ennahda, dans un café, Tunis, Tunisie, 2017. 495 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017 et Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 496 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 497 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 498 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 499 Ibid.
127
parti islamiste. Ennahda aurait donc à subir un coût politique accru et à faire face aux
difficultés liées à l’adoption de la constitution aux deux-tiers des députés de l’ANC, sous
peine d’être soumise à un référendum populaire qu’Ennahda risquait de perdre.
Bien qu’il s’agissait effectivement du moment propice pour œuvrer à l’insertion de la charî’a
dans la constitution et pour satisfaire une partie de son électorat et de ses députés, l’évaluation
des bénéfices et des coûts a freiné les ardeurs du parti et de son chef. De proches conseillers
de Ghannouchi lui ont fortement déconseillé de s’engouffrer sur cette pente glissante, lui
suggérant plutôt d’adopter un fort pragmatisme durant cette période délicate et instable et
une vision à moyen-terme500. Ce serait à la suite de cela que « Ghannouchi a[urait] tranché
que ce n’était pas le bon moment et qu’il valait mieux se rabattre sur l’article 1 de la
constitution de 1959, que cela suffisait501 ». Le parti ne voulait pas ajouter un terme si
controversé dans la constitution, préférant se rabattre sur des termes ayant un sens plus large
et plus consensuel502. C’est pour cette raison que lors des discussions de la choûra en mars
2012, les membres ont voté aux deux-tiers contre le projet, estimant que « la constitution doit
être celle de tous les Tunisiens » et pour démontrer la modération avérée du parti503.
Cependant, il s’est avéré « ardu d’arriver à un consensus général sur la constitution, surtout
au niveau de la charî’a et de la liberté de conscience, même si le parti a voté en bloc à la
fin504 ».
C’est ainsi que le 26 mars 2012, Ennahda a émis un communiqué allant dans ce sens,
Ghannouchi défendant cette prise de position par le fait que la « controverse sur le sujet de
l'application de la charî’a, la loi islamique, dans la future Constitution, [a failli diviser la
société] sur des bases idéologiques en deux clans : des pros et anti-charî’a505 ». Savoir si la
500 Entrevue avec H, membre d’Ennahda, dans un café, Tunis, Tunisie, 2017. 501 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 502 Rached GHANNOUCHI, op. cit., p. 178. 503 Amel GRAMI, op. cit., p. 394. 504 Entrevue avec G, député d'Ennahda, dans le local d'Ennahda à l'Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie. 505 Isabelle MANDRAUD, « Ennahda renonce à inscrire la charia dans la Constitution », Le Monde, [En ligne],
27 mars 2012, http://www.lemonde.fr/international/article/2012/03/27/ennahda-renonce-a-inscrire-la-charia-
dans-la-constitution_1676310_3210.html (Page consultée le 29 novembre 2017).
128
prise de décision est revenue au chef Ghannouchi506, qu’il ait ou non très influencé l’issue du
vote ou que les membres aient eu une liberté totale dans ce positionnement, ne relève pas de
la présente recherche.
Cependant, cette décision n’a clairement pas fait l’unanimité au sein du parti et a fortement
ébranlé son unité. L’une des personnes interviewées a d’ailleurs souligné que le vote de la
choûra n’exprimait pas la pensée des nahdaouis, « 95 % d’entre eux étant pour l’inscription
de la charî’a dans la constitution507 ». La réaction des cadres du parti paraissait ambivalente
aux yeux des membres qui ne savaient pas clairement le positionnement de la direction508.
Nombreux étaient ceux déçus par l’issue du vote, croyant fermement qu’il s’agissait du
moment idéal pour atteindre ce but509. Malgré cela, les députés en faveur de l’inscription de
la charî’a ont suivi la ligne de parti lors des différents votes subséquents au sein de l’ANC510.
Ce refus a mis en lumière la tension persistante au cœur du parti entre un leadership
pragmatique et flexible, et une base militante511 moins encline au compromis, à l’instar des
salafistes : « la majorité de la direction n’était pas pour la charî’a. Ennahda [a décidé de
privilégier] une interprétation progressiste. Il y a eu une dissension entre la direction et la
base du parti au niveau de la charî’a512. Cela a reflété le fossé entre les membres fondateurs
« modérés » et la jeunesse formant la base plus radicale du parti513. Cette jeunesse qui
reprochait d’ailleurs aux cadres du parti leur pragmatisme, ceux-là qui se sont laissés
influencer par l’opinion publique et par la recherche du consensus par le dialogue514,
respectant ces principes érigés dans la feuille de route du dialogue national de 2011. L’une
des personnes interrogées a affirmé que :
506 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 507 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 508 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 509 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017 et entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 510 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 511 Anouar BOUKHARS, op. cit., p. 186. 512 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 513 Laura GUAZZONE, op. cit., p. 46. 514 Ibid., p. 39.
129
N’eût été le tapage médiatique entériné par les interventions de la gauche et la
pression de la France et de la Grande-Bretagne sur les élites, tout le peuple
tunisien aurait été en faveur de l’inscription de la charî’a. Malheureusement,
chacun (politicien) préfère se cacher derrière la modernité et suivre la ligne de
parti.515
Si « cette décision [a suscité] des évaluations défavorables [à l’égard d’Ennahda] de la
part des salafistes, elle a été bien reçue [au sein] de la société civile et des autres partis
[politique prenant part à la rédaction] de la constitution516 ». En effet, les salafistes ont,
à partir de ce moment, fait preuve d’un éloignement marqué à l’égard d’Ennahda.
Le refus d’Ennahda d’inscrire la charî’a dans la constitution: le début
d’une rupture des salafistes
La décision d’Ennahda de ne pas insérer la charî’a dans la nouvelle constitution a entraîné
plusieurs répercussions sur les comportements adoptés par les salafistes dans le cadre du
processus de rédaction de la constitution et sur les liens entretenus entre le parti nahdaoui et
la mouvance salafiste. Le choix stratégique d’Ennahda de « n’avoir rien donné aux
salafistes517 » a entraîné l’adoption d’une logique de distanciation par les salafistes, des
changements sur le plan des discours et des actions des salafistes, bien qu’une relative
continuité ait persisté à l’égard de certains registres. L’évolution de l’attitude générale des
salafistes n’a cependant pas été uniquement attribuable au refus d’Ennahda d’acquiescer à
leur principale demande, bien que cela ait joué un rôle central, mais elle est également liée
au contexte sociétal entourant le processus de rédaction de la constitution, aux attaques
discursives répétées à l’encontre des salafistes notamment de la part des partis et des
associations laïcs et également au refus de la tenue du troisième congrès d’AST et de sa
catégorisation comme groupe terroriste.
515 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 516 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 517 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017.
130
La logique de distanciation des salafistes, une réaction dynamique aux actions nahdaouies
Le moment où la logique de distanciation remplaçait celle du dialogue dépend, tel que
mentionné ci-haut, des salafistes et de l’environnement politique et sociétal de la Tunisie.
Pour les salafistes scientifiques, le dialogue n’a jamais réellement pris fin. Ils n’ont ainsi
jamais réellement agi selon une logique de distanciation. Cela s’expliquait probablement par
le fait que ces derniers ne désiraient pas s’interposer dans les affaires politiques et dans les
jeux d’alliances qu’Ennahda entreprenait avec les partis laïcs. L’absence d’agenda politique
et leurs appels au calme expliquaient probablement pourquoi ils ont été les principales figures
consultées du courant salafiste à quelques reprises par Ennahda et Marzouki au cours de la
transition.
Pour les salafistes politiques, bien que le refus du parti islamiste d’inscrire la charî’a en mars
2012 ne les a pas empêché de poursuivre le processus d’accréditation de partis politiques ni
de demeurer quelque peu présents dans le paysage politique et public de la Tunisie, cette
situation a jeté un froid sur leur relation. À l’exception des actions d’Hizb Al-Tahrir, peu
d’actions politiques ont été menés par les autres partis politiques salafistes, ce qui contredisait
leur rhétorique d’implication dans les débats sociétaux sur la constitution. Une série
d’événements ont symbolisé leur distanciation d’Ennahda et leur rupture : la chasse aux
responsables de l’attaque de l’ambassade américaine en septembre 2012, le refus de la tenue
du troisième congrès d’AST en mai 2013 et la catégorisation d’AST comme groupe terroriste
en août 2013.
Quant aux salafistes jihadistes d’AST, leur logique de distanciation reposait essentiellement
sur la dénonciation de l’acceptation des nahdaouis du modèle démocratique au lieu de
favoriser le modèle califale. Ces salafiste lui reprochaient de favoriser un modèle occidental,
au détriment des références culturelles islamiques518. Cette reconnaissance des règles du jeu
518 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.
131
politique démocratique signifiait la trahison de l’esprit islamique par Ennahda et entachait sa
crédibilité en tant « qu’acteur islamique », en plus de sérieusement miner sa crédibilité sur
sa volonté d’islamiser l’État et la société. La politique et les valeurs islamiques qu’Ennahda
mettait de l’avant, telles que la modération, le dialogue, l’égalité, le consensus et les droits et
libertés, n’étaient tout simplement pas entérinés par les salafistes519. Allani estimait d’ailleurs
que les salafistes d’AST avaient adopté une posture de convergence entre décembre 2011 et
mai 2013, puis une posture de confrontation520. Les trois événements mentionnés ci-dessus
ont également exprimé la distanciation des salafistes jihadistes.
La mise en place d’un dialogue avec d’anciens caciques du régime de Ben Ali, responsables
de la persécution des islamistes y compris salafistes, a fortement déplu aux salafistes. Tout
semblant de réconciliation, d’amnistie, de pardon ou d’impunité était considéré comme un
déni du passé et un aveuglement volontaire. De plus, l’esprit de compromis qui a motivé
l’action d’Ennahda en tant que principale force politique de l’ANC auprès de forces libérales
et laïques a alimenté la suspicion des salafistes521. La coalition formée avec le CPR et
Ettakatol, de farouches opposants aux salafistes, a été fortement décriée522. Ces partis
militaient contre les objectifs des salafistes et des islamistes et mettaient de la pression sur
Ennahda pour que ce dernier marginalise les salafistes et les exclut des négociations sur la
constitution. Ce grief a aussi été soulevé par des membres et des partisans d’Ennahda qui
n’étaient pas d’accord avec le partenariat entretenu avec les autres partis politiques523. Pour
eux, les jeux d’alliance et de stratégie auxquels Ennahda devait adhérer ne devraient en aucun
cas primer sur les objectifs et les intérêts communs des salafistes et des islamistes. En agissant
de la sorte, les salafistes et les membres et sympathisants nahdaouis à la cause salafiste
estimaient que le parti islamiste luttait pour ses propres intérêts en tant qu’entité politique et
non pas, comme il le prétendait, pour les intérêts des musulmans. Cette situation a suscité
519 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 520 Alaya ALLANI, op. cit., p. 225. 521 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 522 Anour BOUKHARS, op. cit. 523 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017.
132
une méfiance importante des salafistes à l’endroit d’Ennahda au fur et à mesure que les mois
défilaient, une méfiance définitivement plus marquée chez les jihadistes524.
L’adoption de la logique de distanciation, qui soulignait le refus de l’engagement politique
au profit de la confrontation525, servait les intérêts stratégiques et organisationnels des
salafistes jihadistes d’AST. Elle leur permettait d’acquérir et de conserver l’aura de légitimité
que lui accordaient ses adhérents, car AST employait cette logique pour légitimer sa posture
antisystème et révolutionnaire tout en s’opposant aux compromis effectués par l’élite. En
effet, ses discours, considérés comme radicaux, dénonçaient le système inique du processus
constitutionnel tunisien qui ne reposait pas sur des préceptes islamiques et qu’Ennahda
contribuait à maintenir depuis qu’il était au pouvoir. Dialoguer avec le parti islamiste se
révèlerait donc irrationnel, puisque AST se serait incorporé dans un système qu’il critiquait
avec véhémence, agissant ainsi en contradiction avec ses reproches. Cette situation expliquait
pourquoi AST n’a jamais voulu suivre le pas aux partis salafistes en ne déposant pas une
demande d’inscription en tant qu’association officiellement reconnue par les autorités
tunisiennes. C’était précisément son discours et ses actions qui attiraient autant ses ansarî,
ses partisans et sympathisants, qui ont été et demeuraient négligés par ce système
récompensant les mieux nantis et ceux détenant des liens privilégiés avec les élites. AST
devait maintenir ses actions cohérentes avec son discours pour conserver et augmenter sa
popularité auprès de ses partisans, tout en grossissant ses rangs pour assurer la pérennité du
mouvement.
C’est d’ailleurs pourquoi AST conservait l’idée d’imposer sa vision en adoptant un discours
refusant tout compromis et toute concession. Refusant le dialogue, que ce soit avec Ennahda
ou n’importe quelle autre composante de la société526, AST demeurait convaincu qu’il
s’agissait du seul et unique moyen de parvenir à une société juste. Si la société ignorait ce
qui était bon pour elle, AST était convaincu de le savoir.
524 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 525 Anouar BOUKHARS, op. cit., p. 16. 526 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.
133
L’adoption de la logique de distanciation des salafistes concordait en réalité avec la stratégie
d’exclusion menée par Ennahda, mis sous pression par des membres de l’opposition, des
associations et des membres de la société civile dans un contexte d’instabilité politique,
sécuritaire et économique. Si Ennahda voulait inclure les salafistes qui agissaient de manière
pacifique, il excluait les salafistes jihadistes qui ont légitimé et employé le recours à la
violence, que ce soit dans leurs discours que dans leurs actions. Selon un ancien cadre,
Ennahda a fait des fautes d’appréciation. Le mouvement n’a pas eu le courage de
se démarquer pleinement et ouvertement de la frange salafiste. L’impact [ressenti
sur le parti islamiste] a été [la création d’]un amalgame […]dans la perception
des Tunisiens. [Cette inclusion] a été fait[e] pour la sécurité du pays. On a essayé
d’attirer les salafistes dans l’espace politique pour assurer la sécurité du pays. Le
danger a[urait] été la militarisation […] [Ennahda a] essayé d’inviter tout le
monde à la même table, mais il n’aurait pas fallu que ce soit celle [du parti].527
Cette exclusion s’est exprimée par le durcissement du ton du parti après l’attaque de
l’ambassade américaine du 12 septembre 2012. Le Ministre de l’intérieur de l’époque,
Khaled Tarrouche, avait affirmé « que tous les outils permis par la loi en cas d’attaque des
islamistes radicaux528 » étaient en place et seraient utilisés. Le parti islamiste se retrouvait
devant l’impossibilité de collaborer avec eux, car il aurait alors sanctionné le recours à la
force comme un moyen légitime d’influencer le processus de rédaction de la nouvelle
constitution, ce qui s’avérerait inacceptable dans une société démocratique à laquelle aspirait
la société tunisienne. De plus, Ennahda risquait de créer un dangereux précédent en montrant
que la violence permettait de faire fléchir le gouvernement. Cela ouvrait également la porte
à une vendetta des salafistes à l’encontre du parti s’il ne réagissait pas. Les discours
revanchards et les attentats provoqués par les salafistes jihadistes témoignaient aux yeux de
la société de leur refus d’entamer un dialogue avec les forces constituantes ou n’importe
quelle autre composante de la société. A contrario, ils soulignaient leur volonté d’imposer
leur vision de la société islamique idéale à tous.
527 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 528 Vincent DUHEM, « Tunisie : le gouvernement déterminé à combattre les islamistes radicaux ? », Jeune
Afrique, [En ligne], 31 octobre 2012, http://www.jeuneafrique.com/173628/politique/tunisie-le-gouvernement-
d-termin-combattre-les-islamistes-radicaux (Page consultée le 14 octobre 2017).
134
Le parti islamiste a également tenté de se distancer de certains propos et de revendications
para-constitutionnelles tenus par les salafistes et parfois partagés par ses députés plus
conservateurs. Ennahda a essayé de se positionner comme un parti politique ouvert et
embrassant la modernité qui n’avait rien à voir avec les salafistes : « la modernité est plus
près d’Ennahda que le salafisme et ses adeptes qui vivent aux VIIIème et IXème siècles529 ».
Les salafistes représentaient, selon les propos d’une députée « des intrus dans l’islam », des
« gens de l’extrême de l’extrême »530. Elle ajoutait également qu’Ennahda se distinguait du
salafisme parce que le parti était en faveur de la démocratie, qu’il promouvait les acquis de
la femme en maintenant le Code du statut personnel et qu’il était contre la pratique de la
polygamie531. Selon les propos d’un autre député, les
Différences entre les salafistes et Ennahda tiennent du fait qu’Ennahda croit en
la modernité et au mariage entre l’islam et la démocratie, entre l’islam et
l’Occident. Il œuvre pour l’égalité des droits des femmes et des hommes, met de
l’avant les acquis de la femme comme dans le Code du statut personnel, qui est
d’ailleurs une loi modérée, progressive, et est contre la polygamie.532
Cependant, cette logique de distanciation, cette stratégie d’exclusion et le refus d’inscrire la
charî’a dans la constitution, ont eu un impact négatif dans les rangs nahdaouis. En effet, une
partie de la base militante sympathisante des salafistes a quitté le parti, profondément déçue
et désillusionnée par le pragmatisme des cadres et la priorisation du compromis533. Composée
essentiellement de jeunes, elle a rejoint et grossi les rangs des salafistes, attirée par leurs
discours radicaux. Ces départs ont confirmé la présence de sympathisants du salafisme et les
fractures bien présentes au sein du parti, en plus d’engendrer un coût politique pour Ennahda.
La logique de distanciation, la stratégie d’exclusion et le refus d’inscrire la charî’a dans la
constitution ont également eu un impact significatif au sein des rangs salafistes.
529 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 530 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 531 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 532 Ibid. 533 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017.
135
Des conséquences portant un changement de ton et d’action bien présent dans les rangs
salafistes
La décision d’Ennahda de ne pas insérer la charî’a dans la nouvelle constitution a entraîné
plusieurs répercussions sur les comportements adoptés par les salafistes dans le cadre du
processus de rédaction de la constitution et sur les liens entretenus entre le parti nahdaoui et
la mouvance salafiste. Le choix stratégique d’Ennahda de « n’avoir rien donné aux
salafistes534 » a entraîné des changements sur le plan des discours et des actions des salafistes,
bien qu’une relative continuité ait persisté à l’égard de certains registres.
Premièrement, l’issue du vote de la choûra a suscité chez les salafistes une profonde
déception et de la frustration à l’égard du parti islamiste535 qui croyaient former un front
commun auprès des nahdaouis pour l’islamisation de l’État et de la société. Les salafistes ont
émis de nombreuses critiques virulentes à l’endroit du parti islamiste et de ses députés536. Ils
leur ont entre autres reproché d’avoir accordé trop de concessions à leurs partenaires de la
troïka et aux anciens caciques du RCD regroupé autour du parti Nidaa Tounes, ces
compromis ayant ébranlé la mission islamiste du parti537. Ennahda était considéré comme un
pantin de l’Occident et d’Israël538 et ayant trahi ses racines islamistes pour privilégier ses
propres intérêts en tant qu’entité politique pour conserver ou regagner le pouvoir lors de
futures élections. Selon le chef du parti Al-Assala, Ennahda « détrui[sait] les bases de la
pensée zitounienne juste [pour exécuter] les instructions des États-Unis et de l’Occident en
général539 ».
534 Ibid. 535 Ibid. 536 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 537 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 538 Ibid. 539 TUNISIE NUMÉRIQUE, Le parti salafiste Al Assala; Ennahdha a commis l’irréparable en empêchant la
venue du prédicateur marocain Hassen Kateni, Tunisie Numérique, 23 novembre 2012.
136
Cette déception et ces critiques se sont assorties d’un processus de délégitimation, notamment
religieuse, et de propagande défavorable à l’égard d’Ennahda540. Les salafistes ont avancé
que les principes, considérés progressistes, adoptés par Ennahda allaient à l’encontre même
des valeurs promues par l’islam. Puisque le parti islamiste au pouvoir n’a pas valorisé
l’insertion de la charî’a dans la constitution, il a trahi la religion. Les salafistes tenaient leurs
« propos sur Ennahda [via] les réseaux sociaux, [qu’ils faisaient circuler] des messages
défavorables comme quoi Ennahda a quitté le cercle de l’islam et qu’il a trahi les électeurs541
». Conséquemment, les députés d’Ennahda agissaient en dehors de la religion, « car ils n’ont
pas été en mesure d’appliquer la charî’a542 ». Ses députés pouvaient dès lors être qualifiés
d’athées, de traîtres et de kuffâr543 parce qu’ils ont trahi la volonté et les intérêts de leurs
électeurs544 : « Ennahda sont des athées qui [ont] accept[é] de jouer le jeu démocratique et de
s’allier avec des gens libéraux […] la démocratie n’est pas une doctrine musulmane545 ».
Ennahda n’est devenu qu’une entité politique « normale », n’agissant pas en faveur de l’islam
aux yeux des salafistes546. Un membre d’Ennahda a affirmé que même si le parti islamiste
avait répondu positivement à leur demande, les salafistes auraient fort probablement
demandé davantage, car l’un de leurs objectifs était de détruire l’État tunisien. Il comparait
leur idéologie à celle de Daech547. Cette diffamation aurait, selon un député, « eu un impact
politique sur Ennahda, car les salafistes ont fait beaucoup de propagande pour que les gens
n’aillent pas voter (en 2014)548 ».
540 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 541 Ibid. 542 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 543 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017, entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants
du peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017 et entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux
députés à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 544 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 545 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 546 Anouar BOUKHARS, op. cit., p. 14. 547 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 548 Ibid.
137
Deuxièmement, les salafistes qui ont tenté l’expérience du jeu politique, ont vécu une
désillusion. D’une part, l’absence d’une influence effective auprès de leur seul allié politique
qui pouvait les représenter au sein de l’ANC pouvait expliquer le désintérêt de ces salafistes
à l’égard de des instances de consultation et de participation citoyenne de l’ANC, notamment
les deux journées de consultation nationale et la tournée des gouvernorats. D’autre part,
l’absence de la mention de la charî’a dans la constitution rendait cette dernière illégitime par
rapport à l’islam549. Selon les salafistes, le maintien de l’article 1er de la loi constitutionnelle
de 1959 n’était pas suffisant pour souligner le lien étroit entre la République tunisienne et
l’islam. Au contraire, il véhicule plusieurs strates identitaires, alors que la constitution ne
devrait valoriser que la fibre musulmane, la seule devant agir à titre d’emblème identitaire
tunisien550 : « l’article 1 de la constitution de 1959 n’est pas suffisant. L’identité pour les
salafistes ne contient pas différentes strates, elle relève de l’identité musulmane
uniquement551 ».
Conséquemment, les salafistes estimaient que l’implication politique ne servait plus à rien,
puisque la charî’a ne régulerait pas, du moins officiellement, les lois de la République
tunisienne552. La politique ne constituait finalement pas le moyen approprié pour faire valoir
leurs intérêts ni pour améliorer le quotidien de leurs concitoyens de la manière dont ils le
concevaient. D’ailleurs, les expériences tunisiennes, égyptiennes et syriennes représentaient
des échecs pour les salafistes qui avaient tenté le pari de la politique553.
La vision de l’échec des islamistes modérés les ont fait réagir : c’est la
décontenance des islamistes qui sont rejetés du pouvoir. À ce moment, les
salafistes ont changé d’opinion : cette façon de gérer les choses, ce chemin,
n’aboutit pas au but islamique, c’est un essai raté. Ainsi, on voit une
augmentation, en apparence, du salafisme jihadiste, notamment Da’ech.554
549 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 550 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017. 551 Ibid. 552 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 553 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 554 Ibid.
138
Cependant, l’accréditation de l’ensemble des partis salafistes est survenue après le vote de la
choûra et représente une ambigüité qui demeure aujourd’hui difficile à expliquer. En effet,
mis à part Hizb Al-Tahrir qui avait organisé une manifestation pour réclamer la charî’a
devant se dérouler devant l’ANC le vendredi 11 janvier 2013, mais ayant été interdite la
veille par le ministère de l’Intérieur, les partis salafistes ont mené peu d’actions politiques.
Peut-être conservaient-ils une once d’espoir de maintenir le dialogue avec Ennahda et de
parvenir à faire changer d’idée le leadership du parti. Quoiqu’il en soit, la conduite
d’Ennahda au fil du processus constitutionnel a déçu les partis salafistes. Le chef d’Hizb Al-
Tahrir, Ridha Belhaj, avait d’ailleurs reproché au parti islamiste son manque d’inclusion et
le résultat préliminaire de la constitution :
Personne jusqu’ici n’a voulu nous impliquer dans l’élaboration de la Constitution
ni [nous] consulter sur les grands problèmes qui se posent au pays. [La
constitution] oppose une vision laïque pour contrer l’aspiration islamique et
s’accompagne par une exclusion rapide de la charia. Ceux qui prennent le risque
de bannir la charia, sans lui donner d’autres dimensions, privent la révolution de
son ambition et de ses perspectives. Ils confisquent nos élans révolutionnaires.
Mais je demeure optimiste, car le grand éveil islamiste est fort, à l’état brut,
profondément ancré dans les cœurs. Nous allons bientôt multiplier les initiatives
pour dénoncer l’ANC et contester sa méthodologie, en rappelant nos
propositions, notamment notre projet de Constitution. D’ailleurs, n’est-il pas
déplorable que nous ne soyons nullement consultés à ce sujet et associés aux
options fondamentales y afférentes ?555
Les relents d’actions politiques avaient plutôt pour objectif de critiquer les prises de position
d’Ennahda et de délégitimer le processus institutionnel de consultation et de participation
citoyenne dans le cadre de la rédaction de la constitution, comme en témoigne la présence
des salafistes lors de la consultation de Monastir dans le cadre de la tournée des
gouvernorats556. La diminution, voire l’absence d’actions politiques pouvait également
s’expliquer par le manque d’intérêt pur et simple à l’endroit de la constitution d’une bonne
partie de la population salafiste. Les impacts constitutionnels sur la vie des citoyens
paraissaient trop abstraits et assez loin des préoccupations quotidiennes auxquelles faisait
555 « Hizb ut-tahrir : Le retour du Califat comme solution? », op. cit. 556 Entrevue avec B, députée d’Ennahda, dans le local d’Ennahda à l’Assemblée des représentants du peuple,
Bardo (Tunis), Tunisie, 2017.
139
face la population tunisienne comme l’inflation, le chômage et la corruption, une situation
qui ne se révélait cependant pas très différente des autres citoyens qui s’inquiétaient
davantage des enjeux socio-économiques557. La constitution ne constituait pas pour les
salafistes un vecteur efficace de changement. D’ailleurs, la possibilité d’appliquer la charî’a
dans les interactions quotidiennes même si elle ne se retrouvait pas inscrite dans la
constitution demeurait présente, jusqu’à un certain point, pour les fervents de la charî’a. À
cet effet, il importe de garder à l’esprit les rôles de médiateurs et de juges que certains
salafistes occupaient durant la transition tunisienne dans des quartiers populaires.
Cette expérience courte et limitée du salafisme politique tunisien, très différente de son
homologue égyptien à travers Hizb Al-Nour, exprimait fort probablement la raison pour
laquelle l’ensemble des personnes interrogées dans la présente recherche ne distinguait
uniquement que les salafistes scientifiques des jihadistes.
Troisièmement, le retrait relatif des salafistes du champ politique a bénéficié aux actions
prosélytes, qu’elles aient été sociales et/ou religieuses. L’appel aux activités de da’wa et
l’accent mis sur les actions pacifiques se sont maintenus après le 26 mars 2012 chez la très
grande majorité des salafistes tunisiens. Abu Iyadh, chef d’AST, maintenait d’ailleurs que «
la Tunisie n’[était] pas une terre de jihâd mais […] une terre de prédication religieuse558 »
et que « tous [les actes d’AST] se résum[aient] à de la prédication morale et à des œuvres de
charité559 ». La perception que les actions sociales et religieuses permettaient aux salafistes
d’agir à titre de vecteurs de changement et d’amélioration de la vie de leurs concitoyens a
renforcé leur volonté de salafisation de la société par le bas. À cet effet, ils ont notamment
augmenté le nombre de caravanes en direction des zones négligées et ont également accru
les moyens de prise de contrôle des mosquées, afin de diffuser leurs discours et de mieux
critiquer religieusement les choix d’Ennahda. L’un des membres du parti islamiste croyait
557 Entrevue avec J, députée d’Ennahda, dans le café de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 558 Voir en annexe XVI I. N., « Abou Yadh : « La Tunisie n’est pas une terre de Jihad mais une terre de
prédication religieuse » », Businessnews, [En ligne], 30 mars 2012, http://www.businessnews.com.tn/abou-
yadh--la-tunisie-nest-pas-une-terre-de-jihad-mais-une-terre-de-predication-religieuse,520,30223,3 (Page
consultée le 30 novembre 2017). 559 Ibid.
140
que ce positionnement stratégique de la part de certains salafistes a effectivement entraîné
une perte de votes pour le parti lors des élections de 2014560. Selon les propos d’un député, «
les salafistes ont tenu des discours « hors la loi » dans certaines mosquées et ont convaincu
beaucoup de gens de ne pas voter pour Ennahda qui a ainsi perdu de nombreuses voix561 ».
Ennahda a réagi en qualifiant ces imams d’obédience salafiste d’« hors la loi » et a proposé
un projet de neutralité des mosquées562. En entreprenant la reprise de contrôle de ces
mosquées en s’assurant que les imams qui prêchaient avaient bel et bien reçu une
accréditation du ministère des Affaires religieuses, le parti nahdaoui justifiait sa lutte par la
simple mise en application des lois déjà en vigueur qui limitaient les heures d’ouverture des
mosquées.
Néanmoins, de plus en plus de cas de discours haineux et incitant à la violence et d’actes
violents ont été signalés à partir de ce moment. Cela a fortement exacerbé la crainte de la
société tunisienne à l’égard des motivations réelles des salafistes et de la manière dont ils
entendaient accomplir leurs objectifs de salafisation de l’État et de la société. L’apologie
d’Oussama Ben Laden, même s’il était considéré comme un héros bien avant le printemps
arabe, s’est faite de manière plus éclatante dans les médias et les instances publiques, comme
l’a faite Khamis Mejri563. La mollesse de la réponse sécuritaire exprimée par Ennahda avant
2013 alimentait les spéculations concernant un agenda caché du parti, les salafistes
représentant alors possiblement la branche armée d’Ennahda. Cette situation renforçait les
sentiments d’insécurité et d’instabilité politique vécus par la société et les partis d’opposition,
incluant le CPR et Ettakatol, qui estimaient devoir s’ériger en chiens de garde de la
démocratie et des acquis tunisiens en matière des droits humains contre les dérapages des
salafistes et d’Ennahda. S’il s’avère ardu d’attribuer la responsabilité de la plupart des actes
violents commis à un groupe particulier de salafistes, d’autres ont été clairement imputés aux
560 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017. 561 Ibid. 562 Ibid. 563 Z. A, « Tunisie-Religion : Arrestation de l’imam extrémiste Khamis Mejri », Kapitalis, [En ligne], 10 mars
2014, http://www.kapitalis.com/societe/21113-tunisie-religion-arrestation-de-l-imam-extremiste-khamis-
mejri.html (Page consultée le 14 octobre 2017).
141
membres d’AST qui niait la légitimité du processus constitutionnel et refusait de participer à
celui-ci.
De violentes attaques ont été menées à l’encontre de partis politiques laïcs et de groupes de
la société civile militant pour une séparation nette entre l’État et la religion, ainsi que sur des
membres précis de ces partis et groupes. Des militants du mouvement doustourna (notre
constitution), association qui avait pour objectif de sensibiliser et d’inciter les citoyens à
s’impliquer dans le processus constitutionnel, ont été agressés à Douz par des salafistes et
empêchés de tenir leur réunion le 20 avril 2012564. Neuf jours plus tard, les locaux du Parti
communiste ouvrier tunisien, présidé par Hamma Hammami, un virulent opposant aux
salafistes, ont été saccagés par ces derniers dans le quartier de Kabbaria à Tunis565. Au mois
de juin, de violents affrontements ont éclaté à Tunis et ont donné lieu au mis à sac et à la
tentative d’incendie des locaux d’Ettakatol, de l’UGTT, du parti républicain et du
Mouvement des patriotes démocrates566. L’une des réunions de ce dernier parti, présidé par
Chokri Belaïd, a d’ailleurs fait l’objet d’une attaque le 2 février 2013567. Des assassinats sont
également survenus et ont été attribués à des acteurs salafistes, bien que les procès n’aient
pas été concluants par la suite. Lotfi Nagdh, coordonnateur de Nidâ’a Toûnes à Tataouine,
aurait été assassiné par des membres des Ligues de protection de la révolution568. Deux
députés de partis de l’opposition à l’ANC reconnus pour leur haine à l’égard des salafistes,
564 Mourad S., « Comment Jawhar Ben Mbarek a été agressé à Douz », Tunisie Numérique, [En ligne], 25 avril
2012, https://www.tunisienumerique.com/videocomment-jawhar-ben-mbarek-a-ete-agresse-a-douz (Page
consultée le 3 novembre 2017). 565 Id., « Tunisie: Le bureau du PCOT à Kabaria endommagé après une attaque par un groupe d’individus »,
Tunisie Numérique, [En ligne], 30 avril 2012, https://www.tunisienumerique.com/tunisie-le-bureau-du-pcot-a-
kabaria-endommage-apres-une-attaque-par-un-groupe-dindividus (Page consultée le 3 novembre 2017). 566 N. I. « Nuit chaude à Tunis et à Jendouba », Businessnews, [En ligne], 12 juin 2012,
http://www.businessnews.com.tn/Nuit-chaude-%C3%A0-Tunis-et-%C3%A0-Jendouba-,520,31630,3 (Page
consultée le 3 novembre 2017). 567 Hélène SALLON, « La Tunisie en prise à un climat délétère de haine et de violence », Le Monde, [En ligne],
7 février 2013, http://www.lemonde.fr.acces.bibl.ulaval.ca/tunisie/article/2013/02/07/la-tunisie-en-prise-a-un-
climat-deletere-de-haine-et-de-violence_1828631_1466522.html (Page consultée le 3 novembre 2017). 568 DIRECTION DE RÉALITÉS, « Affaire Lotfi Nagdh: la libération des 4 accusés suscite l’ire de l’opinion
publique », Réalités, [En ligne], 15 novembre 2016, https://www.realites.com.tn/2016/11/affaire-lotfi-nagdh-
la-liberation-des-4-accuses-suscite-lire-de-lopinion-publique (Page consultée le 3 novembre 2017).
142
Chokri Belaïd (Parti unifié des patriotes démocrates) le 6 février 2013569 et Mohammed
Brahmi (Mouvement du peuple)570 ont été respectivement assassinés les 6 février et 25 juillet
2013 par des salafistes jihadistes. Le salafiste scientifique Khamis Mejri a même pris la
défense de Kamel Gadhgaghi, le présumé assassin de Belaïd571. Des personnalités politiques,
même appartenant au mouvement nahdaoui, en ont fait les frais. Habib Kheder, le rapporteur
de la constitution, ainsi que sa famille, ont fait l’objet de menaces de mort de la part
d’éléments salafistes au cours de la période de rédaction de la constitution572.Ces attaques
exprimaient le rejet de plusieurs salafistes de la coexistence entre factions aux croyances
différentes et soulignaient l’intolérance de l’autre. La priorisation de la violence au détriment
de la discussion donnait l’impression généralisée à l’ensemble des salafistes que même si
certains salafistes, ceux politiques, semblaient adhérer aux politiques et jouer le jeu
démocratique, le processus constitutionnel finirait par être instrumentalisé.
Des prédicateurs de certaines mosquées ont appelé directement les jeunes à combattre le
gouvernement en n’hésitant pas à les inciter à mourir en martyrs, comme l’a fait Nasreddine
Alaoui de la mosquée Ennour dans la Manouba. Ce dernier a même affirmé qu’il a « préparé
[s]on linceul après la mort de deux martyrs et [qu’il] appelle les jeunes [au] réveil islamique
à faire de même car le mouvement Ennahdha et d’autres partis politiques veulent des
élections sur les ruines et les cadavres du mouvement salafiste573 » lors d’une émission
télévisée sur la chaîne Ettounisiyya. Ce à quoi a répondu Ali Laarayedh, alors ministre de
l’Intérieur : « ce genre de discours est en partie responsable du sang versé, tu ne réalises pas
569 Isabelle MANDRAUD, « Mort de l’opposant tunisien Chokri Belaïd : “« On a assassiné un démocrate »” »,
Le Monde, [En ligne], 6 février 2013, http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2013/02/06/mort-de-l-opposant-
tunisien-chokri-belaid-on-a-assassine-un-democrate_1827859_1466522.html (Page consultée le 23 juin 2017). 570 Benjamin ROGER, « La Tunisie sous le choc après l’assassinat de l’opposant Mohamed Brahmi », Jeune
Afrique, [En ligne], 25 juillet 2013, http://www.jeuneafrique.com/169481/politique/la-tunisie-sous-le-choc-
apr-s-l-assassinat-de-l-opposant-mohamed-brahmi (Page consultée le 23 juin 2017). 571 Z. A., « Tunisie-Religion : L’imam Khamis Mejri de nouveau interpellé », Kapitalis, [En ligne], 19 mars
2014, http://www.kapitalis.com/societe/21289-tunisie-religion-l-imam-khamis-mejri-de-nouveau-
interpelle.html (Page consultée le 8 novembre 2017). 572 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),
Tunisie, 2017. 573 Voir en annexe XVII JEUNE AFRIQUE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Tunisie : un imam salafiste
appelle au jihad contre le gouvernement », Jeune Afrique, [En ligne], 2 novembre 2012,
http://www.jeuneafrique.com/173592/politique/tunisie-un-imam-salafiste-appelle-au-jihad-contre-le-
gouvernement (Page consultée le 14 octobre 2017).
143
que tes mots sont comme des balles. Je suis surpris de ton refus de l’autre574 ». À ce moment,
Abou Iyadh tempérait qu’il fallait mettre en contexte les derniers événements d’escalade de
la violence à la suite de l’attaque de l’ambassade des États-Unis et la série d’épisodes violents
à la Manouba, que « le mouvement salafiste est victime d’une répression systématique [et
qu’on] doit prendre en compte la situation psychologique de[s] frères [comme l’imam de la
mosquée Ennour] parce qu’ils ont eu deux martyrs575 ». Après qu’AST ait été classé comme
une organisation terroriste, Abou Iyadh ne prétendait plus que la Tunisie n’était pas une terre
de jihâd, laissant ainsi la possibilité à ses troupes et sympathisants salafistes de recourir à la
force armée576.
Également, de plus en plus de jeunes ont délaissé le salafisme politique au profit du jihadisme
qui apparaissait plus attrayant et plus efficace pour mener à bien leurs objectifs
révolutionnaires. Il était fréquent que les forces de sécurité découvrent des caches d’armes et
de fréquentes attaques survenaient entre les forces armées et des factions jihadistes.
L’embuscade la plus emblématique durant la transition tunisienne est survenue le 29 juillet
2013 à Jbel Cha’âmbî en plein mois sacré de ramadan. Huit soldats tunisiens ont trouvé la
mort, dont trois ont été égorgés577. Plusieurs Tunisiens ont également décidé de partir vers
l’Irak et la Syrie combattre auprès de Da’ech ou de Jabhat Al-Nousra à la suite de la
déconfiture de l’islamisme modéré selon un ancien député d’Ennahda578. Saïd Al-Jaziri
expliquait cette situation par le fait qu’ils « ont le sentiment de n’avoir aucune valeur [et
qu’ils] pensent que, s’ils vont en Syrie, ils pourront peut-être devenir des chefs une fois de
retour au pays579 ».
574 Ibid. 575 Ibid. 576 Alaya ALLANI, op. cit., p. 219. 577 Sana SBOUAÏ, « Tunisie : La tension monte d’un cran après la mort de huit soldats », Nawaat, [En ligne],
30 juillet 2013, https://nawaat.org/portail/2013/07/30/tunisie-la-tension-monte-dun-cran-apres-la-mort-de-
huit-soldats (Page consultée le 23 juin 2017). 578 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017. 579 Alice FORDHAM, « TUNISIE. Un nouveau vivier de djihadistes », Courrier international, [En ligne], 24
avril 2013, http://www.courrierinternational.com/article/2013/04/25/un-nouveau-vivier-de-djihadistes> (Page
consultée le 28 mai 2017).
144
La constitution tunisienne de 2014, une influence indirecte des salafistes
Ainsi, l’absence de l’inscription de la charî’a au profit du maintien de l’article 1er de la loi
constitutionnelle de 1969 était nécessaire. Selon Ghannouchi, il « fai[sait] l'objet d'un
consensus entre toutes les composantes de la société et préserv[ait] l'identité arabo-
musulmane de la Tunisie, [en plus de garantir] les principes d'un État civil et
démocratique580 ». Des députés interrogés qui appuyaient les propos de Ghannouchi ont
ajouté que de toute façon, l’article premier respectait l’esprit de la charî’a et se révélait donc
suffisant581. Malgré cet apparent consensus, l’article premier suscitait toujours la controverse
dans le camp des laïcs à cause du flou au niveau de son interprétation. Ces derniers estimaient
qu’à l’époque de Bourguiba, les constituants n’avaient pas statué si l’islam était la religion
de l’État, ce qui aurait pour conséquence que les lois devraient s’inspirer de l’islam, ou si
c’était plutôt la religion du peuple et qu’elle relèverait donc de la pratique privée. Si les laïcs
étaient insatisfaits, les salafistes l’étaient tout autant, voire davantage. Ghannouchi a essayé
de tempérer leur réaction et de les amadouer de deux manières. En premier lieu, il a affirmé
que de toute manière, « 90 % de la loi tunisienne est inspirée de la charî’a582 ». L’un de ses
anciens députés a renchéri que 99 % des lois tunisiennes se conformaient à la charî’a, le
pourcent restant concernait les sanctions pénales auxquelles les salafistes avaient mis
l’accent583. Selon cette interprétation des faits, l’inscription de la charî’a comme source de
législation n’aurait été que symbolique, qu’un simple constat de la réalité. Néanmoins, cette
interprétation de l’article premier ne paraissait que valable dans le cadre d’une interprétation
progressiste des textes religieux, ce à quoi s’opposaient les salafistes584. En second lieu,
Ghannouchi a voulu rassurer les salafistes en avançant que le libellé actuel permettrait une
580 Isabelle MANDRAUD, « Ennahda renonce à inscrire la charia dans la Constitution », op. cit. 581 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017 et entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée
des représentants du peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 582 LE MONDE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Tunisie : Ennahda contre l’inscription de la charia dans la
Constitution tunisienne », Le Monde, [En ligne], 2012,
http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2012/03/26/ennahda-contre-l-inscription-de-la-charia-dans-la-
constitution-tunisienne_1675938_1466522.html (Page consultée le 29 juin 2017). 583 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 584 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.
145
éventuelle ouverture pour l’application de la charî’a. Deux vidéos de Ghannouchi tournées
après le 26 mars 2012 ont été diffusées. Dans la première, il discutait avec un représentant
de la mouvance salafiste en disant
Maintenant, nous n’avons pas seulement une mosquée, mais plutôt le ministère
des Affaires religieuses […] Il faut travailler pour ajouter, au texte de la
constitution, un texte pour la charî’a afin de relier le gouvernement à l’islam
et vice versa. Il ne faut pas que le texte fasse peur aux gens, il faut qu’ils
comprennent que c’est une façon de vivre, des règles, des façons et une
méthode pour mieux vivre.585
Dans la seconde, il s’entretenait avec Béchir Ben Hassen au téléphone, lui affirmant
Mes frères, ne vous précipitez pas, réfléchissez. C’est dangereux de faire quoi
n’importe comment. Il faut que nous soyons structurés et organisés […]
Installez-vous, il faut avoir un islamiste dans chaque organisme pour aider les
pauvres, trouver et fournir du travail, payer les mariages pour ceux qui ont
besoin. 586.
Néanmoins, les salafistes, de par leurs discours et actions, ont influencé directement la teneur
d’un article dans la constitution, mais non pas en faveur de leurs demandes. Il s’agit de
l’article 6 qui énonce que :
L’État protège la religion, garantit la liberté de croyance, de conscience et de
l’exercice des cultes. Il assure la neutralité des mosquées et des lieux de culte de
l’exploitation partisane. L’État s’engage à diffuser les valeurs de modération et
de tolérance et à protéger le sacré et empêcher qu’on y porte atteinte. Il s’engage
également à prohiber et empêcher les accusations d’apostasie, ainsi que
l’incitation à la haine et à la violence et à les juguler.587
Cet article exprimait la crainte de la majorité de la société à l’égard des salafistes, plus
précisément jihadistes, et son refus d’entériner leurs pratiques. Premièrement, la notion de «
neutralité des mosquées et des lieux de culte de l’exploitation partisane » faisait référence à
la lutte pour le contrôle des mosquées exercée par les salafistes. Deuxièmement,
l’engagement de l’État à « prohiber et [à] empêcher les accusations d’apostasie, ainsi que
585 Frida DAHMANI, « Tunisie : les vidéos de Ghannouchi, « bad buzz » pour un théocrate », Jeune Afrique,
[En ligne], 11 octobre 2012, http://www.jeuneafrique.com/173908/politique/tunisie-les-vid-os-de-ghannouchi-
bad-buzz-pour-un-th-ocrate (Page consultée le 1 décembre 2017). 586 Amel MIZOURI, Tunisie Rached Ghannouchi filmé par une Caméra cachée, 9 octobre 2012. 587 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE, op. cit., article 6.
146
l’incitation à la haine et à la violence et à les juguler » visait spécifiquement les salafistes en
leur interdisant de recourir au takfîr, espérant ainsi faire cesser cette pratique exercée par des
groupes radicaux comme AST et limiter les vagues de violence588. Ces derniers avaient
amplement employé ce moyen pour délégitimer des acteurs notamment politiques et
religieux et légitimer le recours à la violence contre leurs personnes. Les députés nahdaouis
Chourou et Ellouze, lors du vote article par article, se sont opposés à ce libellé qui constituait
une première dans le monde musulman, puisqu’aucune autre constitution d’un État à
population majoritairement musulmane ne contenait un pareil article. Ils estimaient que les
kuffâr et l’apostasie méritaient d’être condamnés par les érudits musulmans lorsque les
conditions nécessaires étaient réunies589. Khamis Al-Mejri a d’ailleurs qualifié cet article
« the worst law ever adopted in the Arab world and in opposition with article 1 of the
Constitution590 ».
Tout compte fait, bien qu’il y ait eu « une [petite] branche salafiste qui a eu un parti politique
(Jabhat Al-Islâh) et qui a essayé de jouer le jeu démocratique, [elle s’est révélée] peu
influent[e comparée à] la mouvance [salafiste] violente terroriste591 ». Comme l’a fait
remarquer un député d’Ennahda, l’ensemble de « la constitution a fait l’objet d’un consensus,
à la fois le préambule et le fond (contenu)592 ». Ces deux articles plus précisément
conjuguaient les visions contradictoires des islamistes et des laïcs en Tunisie. Leur adoption
témoignait de l’esprit de négociation, du compromis et de coexistence qui ont imprégné le
processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne entre deux camps ayant consenti
chacun à concéder certains points.
Ces camps, composés d’acteurs significatifs dont les intérêts devaient être pris en
considération, a formé une large alliance entre groupes idéologiques divergents. Les
salafistes, qui se situaient à l’extrême du pôle politique par leurs demandes conservatrices et
588 Pietro LONGO, op. cit. 589 Ibid., p. 11. 590 Ibid., p. 6. 591 Entrevue avec F, député d’Ennahda, dans la salle réservée aux députés à l’Assemblée des représentants du
peuple, Bardo (Tunis), Tunisie, 2017. 592 Entrevue avec A, député d’Ennahda, dans son bureau à l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo
(Tunis), Tunisie, 2017.
147
leurs actions menaçantes pour la coexistence, ne pouvaient pas faire l’objet d’un consensus
entre Ennahda et les partis séculaires. Ils ont tout simplement été écartés du processus de
rédaction de la nouvelle constitution, ce qui représentait le coût à assumer pour assurer
l’adoption de la constitution tunisienne et la réussite de la transition démocratique. La
constitution a d’ailleurs été adoptée au-delà du deux-tiers requis dans la nuit du 26 janvier
2014 par deux cents voix pour, douze voix contre et quatre abstentions.
Conclusion
Ce chapitre a permis de comprendre que les salafistes tunisiens, qu’ils aient misé sur une
stratégie de salafisation par le haut ou par le bas, ont mené des actions qui ont eu des impacts
politiques sur le processus de rédaction de la nouvelle constitution.
Cependant, l’ensemble des actions prises n’a pas reflété une vision structurée des efforts
déployés comme le laissait entendre l’absence d’une structure organisationnelle englobant
les différents groupes salafistes lors de la transition. De plus, l’absence de représentation
réelle au cœur de l’ANC a sévèrement limité les efforts de lobbying qu’ont exercé les
salafistes tunisiens. Ces derniers ont néanmoins misé sur la politique de la rue en tenant
diverses manifestations publiques ou rassemblements politiques. Ces démonstrations
publiques, relevant essentiellement des salafistes politiques et scientifiques, leur ont permis
de revendiquer l’inscription de la charî’a en compagnie d’autres acteurs islamistes, mais
également de faire connaître leurs programmes généraux. Si les salafistes scientifiques et
jihadistes désiraient se retirer de la sphère politique, leurs actions sociales et religieuses
faisaient partie intégrante de cette politique de la rue et ont été instrumentalisées à des fins
politiques.
En effet, les actions sociales, principalement menées par les salafistes jihadistes d’AST,
signifiaient aux populations pauvres que le groupe était en mesure de discréditer et de
remplacer l’État tunisien. Les actions religieuses, notamment par la lutte pour le contrôle des
mosquées et le comportement de police religieuse adopté par certains salafistes scientifiques
148
et jihadistes, visaient à modifier le comportement religieux des Tunisiens par celui du minhâj
salafî et permettaient aussi de tenir des discours virulents à l’égard des partis laïcs et
d’Enanhda. Ces actions servaient donc à mobiliser une base sociale sensible au discours
ultraconservateur qui se révèlerait fortement critique à l’égard de la nouvelle constitution
tunisienne si elle ne contenait pas la charî’a comme l’une des sources de législation.
Si la participation des salafistes aux instances participatives de l’ANC est mitigée parmi les
personnes interrogées, il s’avère qu’ils n’y ont essentiellement pas contribuées. Si au moins
un salafiste scientifique, soit Béchir Ben Hassen, a été invité lors des audiences d’experts,
aucun ne s’est présenté aux deux jours de consultations nationales. Quelques salafistes,
apparemment jihadistes, se sont manifestés pour contester la constitution et le processus lors
des séances de consultations régionales. Les salafistes tunisiens ont cependant concentré
leurs efforts auprès du parti islamiste Ennahda qui représentait un allié potentiel pour leur
agenda. Cela s’est reflété par l’adoption salafistes d’une logique de dialogue chez les
salafistes qui répondait à une volonté d’intégration de la part d’Ennahda. Plusieurs membres
du parti, incluant le chef et des députés, ont participé à diverses activités organisées par des
salafistes et les ont rencontrés individuellement.
Néanmoins, ces rencontres ne se sont pas révélées fructueuses. Les épisodes de violences
attribuées aux salafistes et la crainte généralisée au sein de la société civile ont fait en sorte
qu’Ennahda a prudemment réévalué sa position envers les salafistes et leur demande
constitutionnelle. Si le lobbying salafiste trouvant écho chez la base du parti islamiste a réussi
à remettre sur la table la question de la charî’a, il a néanmoins échoué à l’inscrire à l’agenda
constitutionnel du parti. Ce refus a été l’annonciateur de la désunion entre les nahdaouis et
l’ensemble des salafistes, ces derniers adoptant une logique de distanciation.
Dénonçant les pratiques d’un parti qui n’avait plus rien d’islamique à leurs yeux, les salafistes
ont commencé à délégitimer Ennahda et à renoncer à influencer directement la nouvelle
constitution tunisienne. Ils ont préféré miser sur la da’wa et multiplier les actions sociales et
religieuses. Certains salafistes, plus particulièrement les jihadistes et quelques figures
149
scientifiques, ont employé le recours à la force après l’échec des moyens pacifiques.
Finalement, les actions des salafistes ont influencé de manière indirecte le contenu de la
constitution. Si l’absence de l’inscription de la charî’a témoignait de la faible efficacité de
leur lobbying durant la transition, la présence d’un article énonçant la neutralité des mosquées
et l’interdiction du takfîr dénotait que les quelques épisodes violents ont davantage eu un
impact dans la psyché sociale et dans le travail des constituants.
150
CHAPITRE CONCLUSIF
La présente recherche a démontré que la transposition des constats issus des théories sur la
transitologie sur le cas tunisien après le printemps arabe a permis de comprendre les
tractations politiques entourant le processus de rédaction de la nouvelle constitution
tunisienne adoptée en 2014. Recherche innovante sur le plan de la focalisation sur les
salafistes tunisiens et leurs actions politiques, elle a prouvé que le modèle développé par Di
Palma593 s’appliquait bel et bien sur l’environnement politique et sociétal dynamique dans
lequel évoluaient les salafistes. La recherche menée avait pour but de répondre à la question
de recherche suivante : « les salafistes tunisiens, de par leur idéologie qui ne privilégie que
la légitimité de leurs propres revendications et de par leurs actions et qui ne favorisent pas la
négociation, le compromis et la coexistence de différentes factions sociétales, ont-ils
influencé le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne, et si oui, de
quelle(s) manière(s) et quels ont été les impacts ? ».
Les précédents chapitres ont permis de vérifier les trois hypothèses posées dans le premier
chapitre du mémoire. La première hypothèse avançait que les salafistes tunisiens ont
influencé le processus constitutionnel, mais n’ont pas influencé le contenu de la constitution.
La deuxième hypothèse proposait que les différentes formes de mobilisation menées par les
salafistes n’ont pas eu l’effet escompté, soit d’inscrire la charî’a dans la nouvelle constitution
adoptée, mais ont plutôt favorisé leur exclusion du processus de rédaction de la nouvelle
constitution et l’insertion d’un article qui interdit le takfirisme. La dernière hypothèse
affirmait qu’Ennahda a penché du côté du consensus auprès de ses partenaires de la troïka et
ce, même si le parti islamiste partageait certains objectifs communs avec les salafistes. Ces
derniers représentaient plutôt une menace pour les règles de garantismo que la troïka était en
train de négocier.
593 Giuseppe Di Palma, To Craft Democracies ?, Berkeley & Los Angeles, University of California Press, 1990.
151
En effet, les salafistes tunisiens libérés ou de retour d’exil après la fuite de Ben Ali se sont
retrouvés pour la première fois sous un régime dirigé par le parti islamiste Ennahda, bien que
ce dernier ait formé une alliance avec les partis laïcs CPR et Ettakatol. Le contexte de
rétablissement des droits et libertés et d’inclusion de la société au processus de redéfinition
des institutions tunisiennes par la rédaction d’une nouvelle constitution les a incités à
revendiquer et à entreprendre des actions pour mettre de l’avant leur agenda
postrévolutionnaire, mués par une forte envie de jouer un rôle actif dans le remodelage de la
Tunisie.
Néanmoins, cet agenda postrévolutionnaire était motivé par la volonté d’islamiser l’État et
la société tunisiens, corrompus au contact de la civilisation occidentale. Cette islamisation
devait cependant suivre le parcours spécifique du salafisme, une interprétation littéraliste des
sources religieuses islamiques et dont les adhérents se targuaient de la « pureté » de cette
pratique du minhâj salafî. Convaincus d’être al-firqa al-najiyya, les salafistes ne toléraient
aucune opinion dissidente, délégitimaient toute autre pratique provenant d’autres écoles de
pensée juridique et exerçaient le takfîr à l’encontre de ceux qui s’opposaient à eux.
L’organisation des salafistes tunisiens s’est révélée comme un mouvement multiforme.
L’absence de front commun, sans discours unifiés et sans actions structurées a fortement
hypothéqué leur capacité d’influence et de lobbying des élus constituants et de la société. Au
contraire, un front commun bénéficiant de l’audience et de l’autorité des figures salafistes
scientifiques telles que Béchir Ben Hassan ou Hassan Brik, de la capacité de mobilisation du
groupe jihadiste d’AST et de la bannière politique de Jabaht Al-Islâh ou d’Hizb Al-Tahrir
leur aurait octroyé une meilleure crédibilité à l’égard des autres acteurs ou de la troïka.
Afin de réaliser leur objectif de salafisation de l’État et de la société tunisiens, les salafistes
tunisiens ont concentré leurs efforts autour de deux stratégies complémentaires de
salafisation : par le haut (top-down) et par le bas (bottom-up). Si les salafistes politiques des
partis Al-Assala, Al-Rahma, Jabhat Al-Islâh et Hizb Al-Tahrir ont recouru à la première
stratégie, les différentes figures salafistes scientifiques et le groupe jihadiste d’ASY ont
152
préféré se rabattre sur la seconde, leur choix reposant sur des divergences théologiques à
l’égard de la validité de l’implication dans la politique.
Cet objectif de salafisation ne pouvait être réalisé sans l’inscription de la charî’a comme
l’unique, la principale ou l’une des sources de législation dans la nouvelle constitution
tunisienne. Cependant, l’incapacité de l’ensemble du mouvement à définir précisément la
portée du concept et les revendications de différentes demandes para-constitutionnelles
entraînaient une forte incertitude ce qui adviendrait de la gouvernance de l’État et des droits
et libertés des individus, fort probablement restreints par les prescriptions islamiques telles
qu’interprétées par les salafistes. Par contre, cette exigence de redéfinir l’identité tunisienne
par la seule composante musulmane ne rejoignait qu’une partie de la société tunisienne, celle
occupant les villages éloignés des régions intérieures ou des quartiers populaires des grandes
villes. Cette frange déjà marginalisée au sein de la société, séduite par la teneur radicale des
discours salafistes, ne prenait pas part aux débats politiques et s’investissait peu sur la scène
politique.
Ainsi, l’absence d’une forte adhérence de plusieurs pans de la société tunisienne à l’idéologie
salafiste et à leurs revendications constitutionnelles a-t-elle nui au mouvement salafiste dans
sa recherche d’un rôle actif dans la Tunisie postrévolutionnaire. Sa rhétorique manichéenne
et absolutiste, pas encline à la négociation ou au compromis, lui a créé de nombreux
détracteurs et ce, malgré les récurrents appels à la renonciation à la lutte armée de l’ensemble
de la mouvance salafiste. Même si les salafistes jihadistes affirmaient que la Tunisie était une
terre de l’islam (dâr al-islâm) et que les efforts devaient se concentrer sur la da’wa et la
tarbiyya, cette renonciation au recours à la force armée ne légitimait pour autant la
participation de ces acteurs à la transition politique aux yeux de la majorité des citoyens
tunisiens. Le constat est similaire pour la participation des quelques salafistes politiques qui,
bien qu’ils aient légitimé l’implication dans la politique pour faire avancer leur agenda et la
demande de l’inscription de la charî’a dans la constitution tunisienne, n’étaient pas perçus
d’un bon œil chez les partis laïcs.
153
La forme organisationnelle et les discours à l’endroit de la politique ont eu un impact négatif
sur l’ensemble des actions politiques menées par les salafistes qui, au final, étaient peu
structurantes. Les salafistes ont surtout employé une politique de la rue pour rappeler leur
présence sur la scène publique tunisienne et pour influencer les débats sur la constitution.
Ces démonstrations publiques se sont exprimées par la tenue de plusieurs manifestations
locales, régionales et nationales afin de réclamer la légifération de la charî’a, mais également
par des rassemblements religieux et politiques. La politique de la rue a également compris
une multitude d’actions sociales et religieuses qui, bien que les salafistes scientifiques et
jihadistes ne désiraient pas s’impliquer dans la politique, avaient un fort impact sur celle-ci
en suggérant la capacité des salafistes de remplacer l’État, en subvenant aux besoins des plus
démunis et en créant une méthode de gouvernance alternative à celle connue par les Tunisiens
jusqu’à maintenant. Ces manifestations et actions sociales et religieuses ont parfois versé
dans la violence. Si quelques épisodes violents attribués à certains salafistes sont survenus
lors de la transition, leur forte médiatisation a imprégné l’imaginaire collectif des Tunisiens.
Le recours à la violence comme méthode d’influence a conséquemment été généralisé à
l’ensemble du mouvement salafiste. Cela n’a pas empêché une poignée de salafistes de tenter
d’intégrer les instances participatives de l’ANC, notamment les consultations de la tournée
des gouvernorats dans le cadre du Dialogue national. Cette participation n’a toutefois pas
donné lieu à des échanges, mais plutôt à des vociférations, du mécontentement et des
tentatives de perturbation du déroulement des consultations.
Cependant, l’ensemble des salafistes a été enclin au dialogue avec le parti nahdaoui.
Convaincus de mener un front commun pour l’islamisation de l’État et de la société
notamment par l’inscription de la charî’a dans la constitution, les salafistes ont multiplié les
rencontres informelles avec des membres du parti, des cadres locaux et le leadership, incluant
Chourou, Ellouze et Ghannouchi. Cette ouverture, même de la part des jihadistes, a été
accueillie positivement par Ennahda qui tentait de les inclure dans le processus transitionnel
pour tenter de modérer leurs discours et éviter qu’ils ne versent dans la violence. Cette
convergence révélait une vision utilitariste du rapprochement de part et d’autre et n’a
cependant pas satisfait l’attente des salafistes. Bien que ces derniers aient remis sur la table
154
la question de la charî’a au sein d’Ennahda, le parti a finalement refusé de pousser cet agenda
au sein de l’ANC. Cette décision, issue d’un calcul rationnel de coûts et bénéfices, a pris en
compte le potentiel électoral des salafistes et la colère montante des partis laïcs et de la société
civile qui multipliaient les actions pour dénoncer la connivence entre ces acteurs.
Cette décision, loin de satisfaire la base militante d’Ennahda, a entraîné la défection de
plusieurs militants, mais a également été synonyme du début d’une logique de distanciation
adoptée par les salafistes. C’est en effet à partir de ce moment que les salafistes ont modifié
leurs discours et leurs comportements. Si la majorité continuait de soutenir la renonciation à
la lutte armée et au maintien du recours à la da’wa, les voix dissidentes se sont multipliées et
leurs propos devenaient plus agressifs. Les salafistes politiques ont abandonné les actions
politiques stricto sensu, se dédiant plutôt aux activités sociales et religieuses. Les quelques
actions politiques qui étaient encore mis de l’avant servaient à critiquer vertement Ennahda
et les délégitimaient d’un point de vue religieux. Ce changement de paradigme a également
été annonciateur de l’accroissement des appels à la violence et des actions violentes à l’égard
de ceux qui méprisaient le mouvement salafiste. Le paroxysme de la violence a été atteint
lors des assassinats de deux députés laïcs en 2013, assassinats attribués aux salafistes.
Finalement, les actions menées par les salafistes, à la fois via une stratégie top-down et
bottom-up, se sont plus ou moins avérées fructueuses pour influencer la teneur de la
constitution. S’ils ont réussi à mettre de nouveau à l’ordre du jour le débat identitaire sur la
charî’a, ils ont échoué à faire avancer leur agenda politique, puisque leur revendication n’a
pas été prise en compte lors de la rédaction de la constitution tunisienne. Leurs discours et
leurs actions violentes, bien qu’attribuables à une minorité de coreligionnaires, auront le plus
imprégné les esprits et dicté le comportement d’Ennahda à l’endroit de leurs partenaires de
la troïka et des salafistes. En défiant ouvertement la coexistence de factions aux croyances
différentes et en menaçant le bon déroulement des négociations, les salafistes se sont eux-
mêmes exclus du processus de rédaction de la constitution, alors qu’ils désiraient jouer un
rôle réformateur, actif, lors de la transition. C’est pourquoi la constitution tunisienne contient
155
aujourd’hui une disposition réaffirmant la neutralité des mosquées et interdisant le recours
au takfîr.
Pour reformuler, l’adoption de la nouvelle constitution tunisienne le 26 janvier 2014 a révélé
que les salafistes tunisiens n’ont pas influencé, du moins directement, le contenu propre de
la nouvelle constitution. Leurs deux stratégies de salafisation, dans le cadre du processus
constitutionnel, n’ont pas eu les effets escomptés. D’une part, la quasi absence d’actions
politiques et leur faible niveau d’efficacité ont témoigné de l’échec de la salafisation top-
down, notamment parce que les partis politiques salafistes n’ont pas eu l’écoute ni les accès
espérés auprès d’Ennahda. D’autre part, les efforts de la salafisation bottom-up se sont révélés
infructueux, puisque la sensibilisation et la mobilisation d’une part croissante de la société
tunisienne autour du salafisme n’ont pas incité les députés constituants à intégrer la principale
demande identitaires des salafistes. Cela signifiait que les salafistes ne représentaient pas des
acteurs significatifs pour les principales forces constituantes. Au contraire, la manière dont
ils ont agi pendant le processus constitutionnel notamment par l’emploi de la violence,
l’absence de volonté de compromis et l’intolérance affichée à l’encontre des factions qui ne
partageaient pas leurs convictions, ont convaincu les députés constituants qu’ils agissaient à
titre d’éléments déstabilisateurs et menaçaient la coexistence des principales forces
politiques. Pour un ancien cadre d’Ennahda, « les salafistes n’ont pas été des acteurs ayant
une influence directe sur les travaux de l’ANC [parce qu’ils] n’étaient ni présents, ni formés
en partis politiques, mais [qu’]ils consistaient [plutôt] en une force sociale, une pression
exercée à l’encontre d’Ennahda594 ».
Cette déconfiture a porté un sévère coup au mouvement salafiste qui s’est retiré peu à peu de
la sphère publique. La classification du principal groupe salafiste AST comme groupe
salafiste et l’abandon de la scène politique des partis politiques salafistes a entraîné un certain
désintérêt pour ce mouvement qui semblait pourtant être transporté par une vague populaire
après les soulèvements arabes. Si certaines figures salafistes scientifiques telles que Béchir
Ben Hassen et Hassan Brik ont continué à susciter de l’engouement de la part de fidèles, elles
594 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.
156
ont néanmoins dû se montrer discrètes dans les mosquées, face à la lutte étatique contre les
discours radicaux. Néanmoins, leur retrait de la scène publique n’est possiblement que
temporaire puisque
Many of the reasons why a large number of young people looked to it for
revolutionary purity and inspiration have not [disappeared…] Salafism offers
different paths of mobilization, and a radical political agenda could re-emerge
in the face of Tunisia’s current social and economic difficulties.595
Les salafistes semblent bien avoir ouvert une brèche dans le tissu social tunisien en ayant
notamment revendiqué l’insertion de la charî’a dans la nouvelle constitution et ce, bien que
les députés constituants aient refusé de l’inclure dans la nouvelle constitution. Si certains
estiment que « le débat [a] fait rage entre pro et anti-charia […] au palais du Bardo, où siège
l'Assemblée constituante, comme dans la rue596 », d’autres croient que le débat per se sur
l’identité des Tunisiens et le rôle public de la religion a été oblitéré : « la révolution culturelle
(religieuse) en Tunisie n’a pas encore eu lieu […] La révolution culturelle est nécessaire et
passera par le salafisme, par un retour aux sources597 ». Il semblerait ainsi possible que la
Tunisie fasse de nouveau face à un débat identitaire dans les prochaines années.
595 Sabrina ZOUAGHI et Francesco CAVATORTA, « In Tunisia, a Doomed Alliance », Rice University’s
Baker Institute For Public Polucy, [En ligne] https://www.bakerinstitute.org/media/files/files/7129f507/bi-
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Violences en Tunisie
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Mémoire et working papers
CAVATORTA, Francesco, et Stefano M. TORELLI, From Victim to Hangman? Al-Nahda
Salafism and the Tunisian Transition, Working paper présenté à la conférence annuelle
au Middle East Studies Association, novembre 2016.
LAJMI, Imen, Les trajectoires individuelles vers l’engagement radical : récits derrière les
barreaux, Mémoire de maîtrise – version préliminaire du mémoire non déposée,
Université Laval, à paraître.
LONGO, Pietro, Salafism and Takfirism in Tunisia. Between Al-Nahda’s Discourses and
Local Peculiarities, Working paper présenté au Middle East Studies Center, 16
novembre 2016.
L’influence du salafisme dans le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne
180
ANNEXES
ANNEXE I
Document pour recruter des participants
Ce document est un texte d’annonce verbale. Il a donc été adapté pour être lu par
téléphone ou en personne.
Dans les cas où se produirait un recrutement non planifié, ce document sera également
utilisé.
Bonjour, je me nomme Sabrina Zouaghi et je suis étudiante à la maîtrise en relations
internationales à l’Université Laval de Québec, au Canada. Je suis actuellement en Tunisie
pour mener des enquêtes de terrain dans le cadre de mon mémoire qui s’intitule « L’influence
du salafisme dans le processus de rédaction de la nouvelle constitution en Tunisie ».
La recherche a pour objectif principal de cerner si les salafistes ont eu une influence dans la
rédaction de la nouvelle constitution tunisienne et si tel a été le cas, l’impact de cette
influence. Le projet de recherche a obtenu l’approbation du Comité plurifacultaire d’éthique
de la recherche de l’Université Laval (numéro d’approbation 2017-092/31-05-2017).
Pour les membres d’Ennahda, les participants seront sélectionnés suivant leur appartenance
à ce parti politique, à leur élection lors des scrutins de 2011 et suivant leur implication dans
l’élaboration de la nouvelle constitution tunisienne.
Pour les membres salafistes, les participants seront sélectionnés suivant leur affiliation au
courant salafiste au moins durant la rédaction de la nouvelle constitution tunisienne (2011-
2014) et suivant leur intérêt à l’égard de la politique.
Le participant est invité à une seule entrevue d’une durée de quarante-cinq minutes durant
laquelle sont présents uniquement la chercheure et le participant. L’entrevue est composée
d’une dizaine de questions ouvertes et il est possible au participant d’élaborer sur des
questions connexes qu’il juge importantes d’aborder. L’entrevue demeure confidentielle et
aura lieu à l’Assemblée des représentants du peuple ou au lieu choisi par le participant par
souci de discrétion. En effet, le participant pourrait se sentir plus à l’aise de choisir le lieu de
rencontre à sa convenance, étant donné que la nature des échanges sur les liens entre Ennahda
et les salafistes est encore un sujet sensible en Tunisie.
Pour toute question ou information supplémentaire, il est possible de me rejoindre en tout
temps à l’adresse courriel suivante [email protected] et au numéro de téléphone
suivant (à confirmer lors de l’achat de la carte SIM en Tunisie).
181
ANNEXE II
Questionnaire pour un membre d’Ennahda
Ordre général
Pour vous, qu’est-ce que salafisme ?
Qu’est-ce qui distingue les salafistes des autres musulmans ? (habits, pratiques
religieuses, doctrine, droit, etc.)
Qu’est-ce que revendiquent salafistes en Tunisie ? (demandes identitaires
spécifiques)
Est-ce que vous vous identifiez comme un musulman salafiste ? (oui/non, à
développer)
Comment percevez-vous l’engagement politique des salafistes ? (accord/désaccord,
pourquoi)
À votre connaissance, comment les salafistes sont-ils organisés en Tunisie ?
Ordre spécifique
Considériez-vous qu’il y avait la présence de salafistes au sein d’Ennahda pendant la
période de rédaction de la constitution ? Si oui, de quelle envergure ?
Comment décririez-vous l’influence des salafistes membres et non membres au sein
d’Ennahda ?
Lors des discussions internes d’Ennahda quant aux dispositions à intégrer dans la
constitution tunisienne, comment les demandes des salafistes ont été appréciées ?
Est-ce que la présence/les demandes des salafistes a provoqué un désaccord ou une
dissension au sein d’Ennahda ?
Estimeriez-vous avoir répondu aux demandes des salafistes dans la rédaction de la
nouvelle constitution ?
Est-ce que vous pensez qu’avoir répondu aux demandes des salafistes a ou aurait eu
un impact politique ou autre sur Ennahda ? Si oui, lequel ?
Pourquoi Ennahda n’a pas œuvré pour l’implantation de disposition concernant la
charî’a, la complémentarité femme-homme, l’interdiction du discours
blasphématoire ?
182
Questionnaire pour un salafiste
Ordre général
Pour vous, qu’est-ce que salafisme ?
Qu’est-ce qui distingue les salafistes des autres musulmans ? (habits, pratiques
religieuses, doctrine, droit, etc.)
Est-ce que vous vous identifiez comme un musulman salafiste ? (oui/non, à
développer)
À votre connaissance, comment les salafistes sont-ils organisés en Tunisie ?
Ordre spécifique
Pourriez-vous me parler de votre parcours personnel, académique et professionnel ?
Pourquoi vous êtes-vous engagé sur la scène politique ? Quelles sont vos demandes ?
Comment justifiez-vous votre implication dans la sphère politique ? Que répondriez-
vous aux salafistes qui désapprouvent votre engagement politique ?
Quels ont été les résultats de votre implication politique ? Vos demandes ont-elles été
acceptées ?
Avez-vous quelque chose à reprocher à Ennahda au cours de la rédaction de la
nouvelle constitution tunisienne et lors de son adoption ? Si oui, qu’est-ce que c’est ?
Avez-vous eu des contacts avec des membres d’Ennahda lors de la période de
l’élaboration de la nouvelle constitution tunisienne ? De quelle nature étaient-ils ?
Quelles stratégies avez-vous adoptées pour influencer la population/Ennahda en votre
faveur ?
Vous êtes-vous sentis trahis par Ennahda ? Si oui, pourquoi ?
Pourquoi pensez-vous qu’Ennahda n’a pas pris en considération vos demandes ?
Comment pensez-vous que la société tunisienne, en général, vous perçoit ? Ennahda
? Les autres partis ? Les universitaires ?
Si vous aviez à rédiger une nouvelle constitution tunisienne, quels éléments vous
paraissent incontournables ?
Quelle a été votre réaction en apprenant qu’Ennahda n’a pas ajouté de disposition
constitutionnelle sur la charî’a, sur la complémentarité entre femme et homme, sur le
discours blasphématoire ?
Que pensez-vous de la couverture médiatique tunisienne à votre sujet ? Et celle
internationale ?
Avez-vous voté lors des élections de 2011 ?
183
ANNEXE 3
CATÉGORISATION ET NOMS DES FIGURES INDIVIDUELLES ET DES PARTIS POLITIQUES, DES
ASSOCIATIONS ET DES GROUPES SALAFISTES EN TUNISIE
Salafistes politiques Salafistes scientifiques Salafistes jihadistes
Figures individuelles :
Ridha Belhaj (porte-parole
Hizb Al-Tahrir)
Mouldi Ali Al-Moujahid
(chef d’Al-Assala)
Saïd Jaziri (chef d’Al-
Rahma)
Mohammed Khouja (chef
de Jabhat Al-Islâh)
Partis politiques :
Al-Assala
Al-Rahma
Hizb Al-Tahrir598
Jabhat Al-Islâh
Figures individuelles :
Adel Almi (fondateur de l’Association centriste
pour la sensibilisation et la réforme)
Béchir Ben Hassen
Farid Al-Béji
Hassan Brik
Hassin Shaouat
Hatem Bou Soma
Kamel Marzouki
Khamis Mejri
Khatib Idrissi (fondateur du Conseil des sages)
Mohammed Ali Hurrath
Associations :
Association centriste pour la sensibilisation et la
réforme (Al-Jam’iyya al-Wâsîtiyya li-l-Taw’iyya
wal-l-Islâh)
Conseil des sages (Majlis al-chouyoûkh)
Figures individuelles :
Abu Iyadh (fondateur et
chef d’AST)
Groupe :
Ansâr Al-Charî’a (AST)
598 La littérature ni les acteurs interrogés ne s’entendent sur la labélisation salafiste du parti. Étant donné que certains députés d’Ennahda le considéraient comme
un parti politique salafiste, il a été inclus dans la présente recherche.
184
ANNEXE IV
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
Salah OUESLATI, « Rached Ghannouchi et le monstre de Frankenstein « salafiste » »,
Businessnews, [En ligne], 21 septembre 2012, http://www.businessnews.com.tn/Rached-
Ghannouchi-et-le-monstre-de-Frankenstein-%C2%AB-salafiste-%C2%BB,526,33560,3
(Page consultée le 21 janvier 2018).
Certes, Ennahdha n’a pas créé les salafistes en Tunisie. Ces derniers existent bien avant la
révolution même si leur nombre était insignifiant. Ils ont été tolérés sous l’ex-dictateur car
ils n’ont jamais levé le petit doigt pour le critiquer et encore moins pour le renverser par le
jihad. Selon des documents Wikileaks, certains d’entre eux étaient même des indics à la
solde de l’ancien régime1.
Inoffensifs sous Ben Ali, ils ont réussi, grâce au financement wahhabite, à occuper des
mosquées par la force et, surtout grâce à la bienveillance, voire la connivence d’Ennahdha,
à tisser leur toile dans tout le pays. Certains nahdhaouis radicaux, notamment leur leader
Rached Ghannouchi, voient dans le renforcement de ce mouvement un instrument pour
réaliser le rêve auquel ils n’ont jamais renoncé : l’instauration d’un Etat théocratique en
Tunisie. Ghannouchi a signé un pacte qui ne dit pas son nom avec non seulement les
salafistes radicaux qui étaient dans les geôles de Ben Ali, mais aussi avec des repris de
justice, des criminels dangereux amnistiés dans la foulée et convertis au jihadisme pour
constituer une sorte de bras armé ou de milice aux ordres du « chef suprême ».
Sauf qu’il arrive que la « créature » échappe à son « créateur » car, obsédé et aveuglé par
son rêve, ce dernier est incapable de voir que celle-ci a opéré sa mue vers une véritable
autonomie. Encouragés par l’impunité totale dont ils jouissent même quand ils commettent
des actes criminels, les salafistes décident de voler de leurs propres ailes et de défier
Ennahdha ou tout au moins ceux de ses membres qui veulent une version light d’un Etat
islamiste. Ghannouchi, lui-même, se trouve ainsi dépassé par les événements comme un
apprenti sorcier qui a joué avec le feu sans disposer des moyens de l’éteindre. Dépourvu
de tout sens politique, M. Ghannouchi se trouve débordé à sa droite par « ses rejetons »,
oubliant au passage que les radicaux préfèrent l’original à la copie. Il est pris à son propre
piège : il ne peut mettre en cause les agissements de ses « enfants », sans renier sa propre
stratégie et sa propre légitimité en tant que leader du parti au pouvoir.
Les risques incalculables de l’impunité
L’impunité quasi-totale, dont les salafistes radicaux jouissent sous l’aile protectrice de leur
parrain, pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l’avenir du pays. Elle permet à
ces groupes non seulement de se structurer et d’asseoir leur domination dans la durée, mais
185
aussi de tisser ou d’imposer des allégeances dans les quartiers, voire les régions qu’ils
contrôlent. C’est la situation idéale pour recruter de plus en plus d’adeptes et créer à terme
des zones de non-droit, à l’instar de certains groupes mafieux. Cette situation conduit à
l’affaiblissement inexorable de l’autorité et la légitimité de l’Etat. Le gouvernement qui
sera issu des élections de 2013, si celles-ci auront lieu un jour, quelle que soit son
appartenance idéologique, aura fort à faire avec ces groupes pour les années, voire pour les
décennies à venir.
Un problème nommé Ghannouchi
Les dysfonctionnements flagrants en matière sécuritaire, révélés au grand jour après
l’invasion de l’ambassade américaine, montrent que le ministre de l’Intérieur ne tient pas
les rênes du pouvoir au sein même de son département et que d’autres tirent les ficelles
derrière les coulisses pour ne pas aliéner le soutien des salafistes radicaux. On est en droit
de se demander si le ministère de l’Intérieur n’est pas infiltré par des groupes qui obéissent
à des ordres autres que ceux de leur propre ministre Ali Laârayedh. Qui d’autre a autant de
pouvoir pour jouer ce rôle ?
Ghannouchi n’a jamais renoncé au radicalisme de sa « jeunesse » et n’a jamais abandonné
son idée d’instaurer un régime théocratique en Tunisie. C’est pour cette raison qu’il
exploite le moindre événement, le tout dernier étant celui du film anti-Islam, pour remettre
la question de la Chariâa et l’atteinte au sacré dans la Constitution au centre de l’agenda
politique. L’obstination et l’entêtement de M. Ghannouchi à vouloir imposer aux Tunisiens
un système contraire à leur tradition et à leur histoire vont conduire le parti qu’il préside,
en l’occurrence Ennahdha, à sa perte.
Toute la stratégie imposée par Ghannouchi à ses amis commence à montrer ses limites. Ce
dernier n’a pas la vision nécessaire pour comprendre que toute stratégie aussi sophistiquée
soit-elle est sujette à des contingences et que certains facteurs imprévisibles peuvent
intervenir pour tout déjouer. La ligne rouge est atteinte avec l’invasion de l’ambassade
américaine. Le gouvernement Obama a misé sur les islamistes par pragmatisme, dans le
but de stabiliser la région et mettre en place ce qui pourrait ressembler à une démocratie.
Le soutien politique et financier des Américains au gouvernement Ennahdha s’inscrit dans
le cadre de cette stratégie. L’incident de l’ambassade risque de tout remettre en cause y
compris la caution apportée par le gouvernement américain pour permettre à la Tunisie
d’emprunter sur le marché financier à des taux d’intérêt relativement faibles.
Ghannouchi et la tentation de la stratégie du chaos ?
La situation catastrophique du pays sur le plan social, économique et sécuritaire a un impact
certain sur un parti au pouvoir qui a promis monts et merveilles à un peuple dont les attentes
étaient au-delà de ce que le pays pouvait offrir. L’affaiblissement inexorable d’Ennahdha
et son impopularité auprès d’un nombre croissant des Tunisiens risquent d’amener le leader
de ce parti à opter pour une stratégie du chaos. Ghannouchi continue de nourrir l’espoir
d’un printemps contre-révolutionnaire islamiste. Un fantasme vécu par procuration grâce
à ses « enfants salafistes ». Avec l’instabilité et le chaos qui règnent dans le pays, ces
derniers seraient capables de monter en puissance pour créer un mouvement qui prend
corps et serait en mesure de s’emparer du pouvoir pour imposer leur idéologie à l’ensemble
de la société tunisienne. Ghannouchi deviendrait alors une sorte de « guide suprême », à
l’instar de Khomeiny en Iran, un rôle pourtant totalement étranger à la tradition de l’Islam
186
sunnite. Sauf que M. Ghannouchi oublie que la révolution a fait tomber le mur de la peur
pour toujours et que le peuple tunisien, qui a fait tomber une dictature policière, ne se
laissera pas écraser une seconde fois par une nouvelle forme de dictature. Le leader
d’Ennahdha continue pourtant d’agir dans l’ombre pour assouvir ses appétits mégalo-
narcissiques au mépris de l’intérêt de tout un peuple qui aspire à la liberté et à la dignité.
C’est peut être lui faire honneur que de le traiter de machiavélique. Le penseur florentin
n’avait qu’une seule obsession, sauver la cité-Etat de la dislocation et des convoitises de
ses ennemis. Pour lui, c’était la raison d’Etat qui primait sur toutes les autres. L’obsession
de notre « guide suprême » est, en revanche, guidée par la soif du pouvoir et le rêve
chimérique d’un projet politique d’un autre âge. Dès lors, il appartient aux nahdhaouis
sincères, épris de justice et attachés à la démocratie, et il en existe, de mettre leur « Cheikh
» hors d’état de nuire pour le bien de leur propre parti et, surtout et avant tout, pour l’avenir
de leur propre pays.
1L’auteur tient à préciser qu’il ne s’agit nullement de jeter l’anathème sur tous les
salafistes. Ce courant est loin d’être monolithique et tous salafistes ne sont ni violents ni
d’anciens repris de justice. Je connais personnellement deux salafistes d’une grande
probité et d’une honnêteté sans faille et, même si je ne partage pas leur vision, je sais qu’ils
sont mus par des motivations respectables. Ces derniers, et ils ne sont pas les seuls, n’ont
jamais eu recours à la violence pour imposer leurs idées. Par ailleurs, personne ne peut
reprocher aux salafistes de propager leurs idées car dans une démocratie digne de ce nom,
tout un chacun devrait faire sienne la fameuse citation attribuée à Voltaire : « Je ne suis
pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le
dire ». Tous les pays démocratiques ont leurs groupes radicaux et ces derniers ont compris
que le discours extrémiste constitue une sorte d’exutoire pour évacuer des frustrations
longtemps refoulées.
187
ANNEXE V
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
HIZB AL-TAHRIR, « The Colonial Kaffir Plunders the Wealth of the Muslims in
Tunisia », Hizb Al-Tahrir, [En ligne], 2013, http://www.hizb-ut-
tahrir.org/index.php/EN/nshow/2191 (Page consultée le 3 juin 2017).
Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem
The Colonial Kaffir Plunders the Wealth of the Muslims in Tunisia
While the Rulers and Lawmakers are Creating a Manmade Constitution that
Legitimizes this Crime
Be their Hindrance and Prohibit them from Plundering your Wealth and Thwarting
your Revolution
(Translated)
While the people of Tunisia live in hardship in their livelihoods, increase of taxes,
higher prices and the deterioration of the situation, the rulers of the revolution and
alleged “legitimacy” hide what the country was blessed with from bounties and
resources, to swallow them up by British and French companies. UK-based British
Gas Company for example, looted profits amounting to $589 billion since 1992 from
the country’s gas, which excels Tunisia’s budget for 20 years. It is indeed a scandal
and misfortune! These are neither rulers nor statesmen. We are facing governments
(since Bourguiba, after that Ben Ali and to the present day), who do not rule, nor do
they own any control. They are simply employees who “sign wherever they are
asked to sign”. They are like protective walls from behind which their master preys
secretly and safely: The master orders and he is obeyed in policy-making, he
overpowers and is followed in legislation, law and the Constitution. He plots and
chooses the people’s rulers through coups, secular democratic elections or through
agreements that do not produce except “moderate” figures, malleable by the Western
master, whom such figures consign the wealth of the country and people.
Oh Rebelling Muslims:
You have begun a revolution that awakened the Ummah, toppled thrones and caused
anxiety to the colonial countries of Europe and America. Here you stand today at
risk of being influenced by these countries. The rulers’ inability, their betrayal and
188
the complicity of many politicians and legislators through participation or silence
have been exposed to you. Denounce them!
(وقفوهم إنهم مسئولون )
“And stop them; indeed, they are to be questioned.” [As-Saffat: 24]
A revolution does not take place by a mere exchange of rulers, but by changing the
whole situation and expelling the influence of the Kaffir, his cronies and his aides.
Be their hindrance, and do not occupy yourselves with trivial matters, for his saying
(saw): «إن هللا يحب معالي المور وأشرافها، ويكره سفاسفها» “Allah loves excellent and
honorable matters, and He detests futile matters.” Narrated by at-Tabarani in al-
Kabeer and al-Awsat.
The Kaffir West will use its tools from the rulers, politicians, journalists and experts
to blur the issue of its abuse with lengthy, ambivalent dialogues about the size of
wealth, or by focusing on the corruption of an officer here or there, or by bloating
the issue to include marginal, vexatious matters, and fake political battles occupying
the public concern, to spend energy and effort in a cheap struggle. You will be like
someone occupied with treating colds and thus too busy for the treatment of cancer.
The Kaffir will re-enter into the contracts with some compromises and maneuvers
to increase the popularity of his servants and to avoid the fatal blow that would
permanently liberate the country and the people from his evil. Your issue is a
decisive one: To bring Islam into power so that your Lord is satisfied with you, and
to expel the influence of the colonial Kaffir so that you resume the authority you
were robbed and the wealth you were looted, whatever its amount. Today, you are
in dire need of a rightly guided Khaleefah such as Abu Bakr as-Siddiq (ra), who
ruled by Islam. He was protective of the wealth of the Muslims and of establishing
the Hudud (fixed punishments) of Allah in this matter, even if it were only for a
camel’s headband. He is the one who said: “By Allah, if they withheld a camel’s
headband from me they used to give to the Messenger of Allah, I would fight them
for it.”
Oh Rebelling Muslims:
Stand up to the rulers, the politicians and the Constituent Assembly before they
approve a Kufr Constitution that angers Allah and His Messenger (saw), based on
the republican that system separates Islam from life and enables the West to control
legislation and policy-making and to annex the wealth of the country. Stand up to
them before they approve a manmade constitution based on the republican system,
in which the state disclaims to provide enough for its people, and imposes unfair,
overwhelming taxes. Do not allow them to bring the loss of this world and
punishment in the Hereafter over us. Your anger shall be purely and sincerely for
Allah and His Messenger (saw). The least is to trample the Constitution of betrayal
and Kufr with your feet and to hold back the abusive hands of the rulers, politicians
and MPs who have sold their Islam and rendered us captives in the hands of our
189
enemy. Curb and withhold them from proceeding with your destiny and wealth, for
they are Sufaha’!
لكم قياما) (ول تؤتوا السفهاء أموالكم التي جعل للا
“And do not give the weak-minded your property, which Allah has made a means
of sustenance for you” [An-Nisa: 5]
Oh revolting Muslims:
Complete your revolution by bringing Islam to power through the establishment of
a rightly guided Khilafah…A State as the state established by the Prophet (saw) in
Madinah. It is an obligation from your Lord, your source of dignity, the liberator of
your land, the guardian of your honor and the tormenters of the enemies of Islam
and Muslims.
( كما قال عيسى ابن مريم للحواري ين م قال الحواريون يا أيها الذين آمنوا كونوا أنصار للا ن أنصاري إلى للا
فآمنت طائفة من بني إسرائيل وكفرت طائفة فأيدنا الذين آمنوا عل هم فأصبحوا ظاهرين نحن أنصار للا ى عدو )
“Oh you who have believed, be supporters of Allah, as when Jesus, the son of Mary,
said to the disciples, “Who are my supporters for Allah?” The disciples said, “We
are supporters of Allah.” And a faction of the Children of Israel believed and a
faction disbelieved. So We supported those who believed against their enemy, and
they became dominant.” [As-Saff: 14]
24 Safar 1435 AH Tunisia
27.12.2013
190
ANNEXE VI
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
HIZB AL-TAHRIR, « Four Years since the Launch of the Ummah’s Revolution from
Tunisia », Hizb Al-Tahrir, [En ligne], 2014, http://www.hizb-ut-
tahrir.org/index.php/EN/nshow/2702 (Page consultée le 3 juin 2017).
Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem
Four Years since the Launch of the Ummah’s Revolution from Tunisia
It was a Revelation of the Real Issues, Exposing the Patch Solutions
So Decide on your Command and Line up behind the Conscious Leadership for
Change on the Bases of the Great Islam
(Translated)
Four years since the launch of the Ummah’s revolution from Tunisia was enough to
reveal that the real issues are larger than the existing regimes. It is even larger than
all the governments which are committed to the same system no matter how much
it amended or how much it patched. The four major issues became clear and
unambiguous:
The basis of governance and politics is a law above all, the rulers and the ruled alike:
Thus how are we to ensure this through a man-made law that gives the people the
right to legislate and to establish constitutions and laws that serve the interests of the
powerful? How do we ensure a law above all without taking the Revelation of the
Lord of the Worlds as a basis and measure, making the people equal, the rulers and
ruled alike?
The sovereignty of the state is by its liberation from colonial control: Therefore how
will we emerge from indebtedness and dependence on foreigners? How will we
recover resources through a system that perceives squandering it as an investment?
How will we establish an industry that secures our weapons and medicines with a
system that abandons minds and wastes public money? And how will we utilize idle
land to secure our sustenance through a system that supports imported goods at the
expense of the peasants of the country?
Regional reality and supporting the Ummah’s Issues: How will Jihad become the
policy of the state and the task of the Army with a system that separates Islam from
the lives of Muslims leaving Jihad without Tafseel (elaborating) and Ta’seel
(rooting) to be exploited by the exploiters; out of ignorance or agency? How will the
Ummah’s issues be supported by a system that makes granting victory for Muslims
191
a foreign affair under the slogan of “nationalism” but welcomes the intervention of
Western politicians, organizations and even armies in our issues? And how will
Muslim blood be protected by a system that refrains to mention the sanctity of the
Muslim blood on the Muslim even in a clause in its constitution?
The dignity of the people and taking care of their affairs: How will people’s dignity
and their rights for adequate living become more than bids and bargains, so it is
legislatively rooted, urgently implemented and judicially accounting for neglecting
it? How can that be, in a capitalist system that considers the state revenues as a basis
for the taxes imposed on the people of the country? How can that be in a capitalist
system that sees the state’s abandoning the taking care of affairs an economic
policy?
Instead of the rulers admitting their inability and failing, here they are today in the
entire region (Tunisia, Libya, Egypt, Yemen, Syria ...) trying their last desperate and
despairing attempt to return backwards. Hence the issues for them are a continuation
on the same man-made capitalist system and a continuation of compliance with the
West’s agenda and a diversion of the Ummah to an erroneous issue in its call to elect
people who will implement the same capitalist system that made us taste woes!!
O rulers, O politicians who scurried to rule
Enough failure and foiling, and enough wagering on the losing horse, for the West
was unable to resolve its own issues. Had it not been for it looting our wealth,
polarizing the intelligent of our children, enabling it military privileges in our region,
and had it not been for the industry of disability in Muslim countries to promote
dependency; without all that the strongest country would have collapsed long ago.
So support the real issues of the Ummah, do not obstruct the way of change, and do
not be a pickax in the hands of the enemies. If you cannot, then leave this Ummah
alone. For you to be remembered of the truthful or even the resigned and helpless is
better for you than to be listed as agents and traitors!!
Dear scholars, experts, businessmen and sincere politicians
Do not underestimate your abilities and the capabilities of your Ummah to manage
its affairs by Islam for this is the time of Islam and its Ummah; it is not the time of
the staggering bankrupt West. Put your efforts in serving the cause of “liberation
from colonialism and the restoration of the Islamic Ummah’s seat of leadership and
control” as that is the good in this world and the Hereafter.
O Muslims, O our People in Tunisia
O who launched the revolution that disrupted the slumber of the oppressors in East
and West
The revolution is on the man-made system that abandoned the basis of living,
abandoned Islam that brings us together as a basis for governance and politics, and
192
abandoned the sovereignty of the state and from liberating it of the futility of
colonialism. It is on the system that abandoned the issues of Muslims, squandered
your rights as prescribed in the texts of Qur’an and Sunnah and deprived the country
of all the causes of power and glory. So do not allow any concern to distract you
from your real issues; by changing the system from the contemptible man-made
system to the ruling system of Islam that resolves and does not oppress, unites rather
than divides, restores rights to their owners, and ensures the dignity to live as per
the system itself and not as a favor from anyone. And this is through establishing
the Khilafah Rashidah that pleases the inhabitants of the heaven and the inhabitants
of the earth.
We in Hizb ut Tahrir, ensure everyone, that the party is based on Islam and does not
depart a hand-span from it. It stands with the interests of this great Ummah,
including the people of Tunisia, and extends its hand for all the sincere people until
we change the contemptible man-made system as a whole, a real change both in
legislation and implementation. Until we save the country and the region from what
is plotted against them of failure, thwarting, deepening of the crisis and the industry
of sedition, and until we meet at the sound word,
(( أل نعبد إل ول نشرك به شيئا ول يتخذ بعضنا بعضا أربابا من دون للا للا ))
“that we will not worship except Allah and not associate anything with Him and not
take one another as lords instead of Allah”. [Ali-Imran: 64]
And that the revolution is not over as they propagate so as to stun the morale of the
Ummah. But the time of distraction has ended and the validity period of the Western
projects in our country has expired. The falsity of non-conscious leadership and the
time of patching and procrastination have ended. And nothing is left in the arena,
but the giant Islamic alternative, the alternative of mercy, care, adequacy and
guidance to the worlds and, above all it is the glad tiding of the Messenger of Allah
(saw):
« المر ما بلغ الليل والنهار، ول يترك هللا بيت مدر ول وبر إل أدخله هللا هذا الدين بعز عزيز أو ليبلغن هذا
«بذل ذليل، عزا يعز هللا به اإلسالم، وذل يذل به الكفر
“This case is sure to come where the night and day appears, and Allah will not leave
a single house of settled or nomadic residents without this religion, exalt a noble and
belittle a worthless fellow. Allah will magnify the glory of Islam and humiliate
disbelief” (Narrated by Ahmad).
25th Safar 1436 AH Tunisia
17.12.2014
193
ANNEXE VII
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
Rabaa H., « Tunisie - Un prédicateur salafiste montrera le “droit” chemin aux prisonniers »,
Tunisie Numérique, [En ligne], 23 novembre 2012,
https://www.tunisienumerique.com/tunisie-un-predicateur-salafiste-montrera-le-droit-
chemin-aux-prisonniers (Page consultée le 21 mai 2017).
Béchir Ben Hassan, vice président de la ligue tunisienne des prédicateurs a confirmé qu’il
prêchera la “bonne cause” dans les prisons.
Le prédicateur salafiste, wahabbiste a été enrôlé par le ministère de la justice afin de guider
“les âmes impies ” vers le droit chemin . Les prêches seront destinés à tous les prisonniers,
a précisé Ben Hassan .
Le prédicateur a affirmé qu’il ne faudrait pas renchérir et spéculer sur cette
initiative soulignant qu’il a été invité par plusieurs pays européens à faire des prêches en
milieu carcéral.
Il était temps que les institutions pénitentiaires tunisiennes deviennent des centre de
rééducation, comme leur nom l’indique. Mais rééducation dans quel sens et au profit de
quelle idéologie?
194
ANNEXE VIII
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
HIZB AL-TAHRIR, « The Rule of the Tyrant, Ben Ali, Left Secretly from the Door and
Then Returned Back from the Window, After All of the Bloodshed! », Hizb Al-Tahrir, [En
ligne], 2011, http://www.hizb-ut-tahrir.org/index.php/EN/nshow/1230 (Page consultée le
3 juin 2017).
Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem
The rule of the tyrant, Ben Ali, left secretly from the door and then returned back
from the window, after all of the bloodshed!
On 17/01/2011 the formation of a government was announced in Tunisia under the
chairmanship of the Prime Minister, the old and new, Mohamed Ghannouchi, who
was a supporter and the right-hand man of the now fugitive tyrant Ben Ali.
The government was mainly formed of the party of the tyrant, namely the secular
Constitutional Democratic Rally (RCD). Six ministers of Ben Ali’s government
remain in the new government, retaining their positions in the “sovereign” ministries
of Defense, Interior, Finance and Foreign Affairs.
Ghannouchi added to this government three opposition parties in marginal ministries
to present the deception of what is called the government of national unity!
Thus, the cronies of Ben Ali have maintained the “continuity” of his rule and the
rule of his party after him, even after he was sacked and became a fugitive!
Many lives have been lost over the last thirty days, since the spark of the people’s
uprising started in 17/12/2010, after the hunger, poverty, disease and
unemployment, not to mention the injustice and oppression, forced the young man,
Al-Bouazizi, to death. He was still young but the cronies of the oppressive regime
crushed his vehicle on which he used to sell simple goods, whose income was hardly
enough for his hunger!
Then the movement of people rose against the unjust system demanding security
and livelihood under the just rule of Islam in a country whose wealth and power
195
were looted by the authority, which possessed the palaces and luxury, and left the
public in poverty which drove them to graves!
Dear people in Tunisia,
Dear Muslims:
The bravery of the people of Tunisia are deeply rooted in history since Allah (swt)
honored them with Islam, and it became one of its guiding beacons from which the
spark of conquest of North Africa and Andalusia began.
It became known as the country of Uqbah, after Uqbah bin Nafi (ra) set out carrying
Islam to North Africa until he reached the shores of the Atlantic Ocean. There he
stood before its thundering waves saying: “Had I known that there are people behind
you I would have plunged in it with the heels of my horses as a conqueror!”
This is the green Tunisia, and these are her sons, they are Mujahideen:
(They are men who are not distracted by neither trade nor sale from the remembrance
of Allah, establishing prayer and paying zakat. They fear a Day when hearts and
sights change.)
The misery did not come to Tunisia except after the colonialists, led by France,
managed to occupy it and tore it out of the Ottoman State in 1881.
The colonists then spread corruption in it, and ruled it with suppression, oppression
and tyranny. However, Muslim heroes in Tunisia resisted and thousands were
martyred, but they continued to close ranks carrying their souls in the way of Allah
until Allah, the Strong, the Mighty, gave them victory. So France was forced to leave
Tunisia in defeat and humiliation at the middle of last century.
But before the people of Tunisia could enjoy the fruits of their victory, and restore
the rule of Islam, a group of its people sold their religion in return for thrones
replacing France with Britain and the rule of “Bourguiba” and “Ben Ali”, who
treated people with suppression!
Tunisia became the booty for greedy government officials, and a scene for
international conflict, especially after America popped its head “trying to” chase out
Old Europe in Tunisia!
We recall today what has passed while seeing pure blood being shed. But before the
people could enjoy the fruits of change, by removing the regime of despotic Ben Ali
to re-establish the rule of Islam, the rule of the tyrant has come again with the same
196
faces that failed to maintain the sanctity of the country, nor establish justice among
people!
Dear parents in Tunisia
Dear Muslims:
The problem is not tyrant individuals like Ben Ali, but it is in the man made system
he left behind, which produces tyrants.
It is not right for the lives lost to be forgotten and wiped out when the cronies of the
tyrant take charge of her affairs again!
Are not Mebazaa, Ghannouchi and Kallal the pillars of the rule of the tyrant who
shed the blood of innocent people? Were not these old-new ministers the partners to
the tyrant and witnesses to the shedding of the blood?
The lives lost will never accept from you (the people) the rule of Mebazaa,
Ghannouchi and Kallal and their henchmen who shed blood and spread corruption
on earth.
It will not forgive you unless you achieve that for which lives were lost: the
uprooting of the unjust man made system from its roots and symbols, and the
establishment of the rule of Allah “the guided Khilafah” in its place. Then the earth
will shine with the light of its Lord, and goodness will prevail on its people, and
Muslims will rejoice in Allah’s victory.
Dear People in Tunisia
Dear Muslims:
The guide does not tell a lie to his family, and Hizb ut-Tahrir calls upon you to
answer the call of the lives lost during your great uprising for thirty days:
•The lives lost call upon you, so do not let them go in vain through your silence upon
the unjust man made system imposed upon you .
•The lives lost call upon you to uproot from your country the Western influence and
its tools and its agents who are fascinated by its culture.
•The lives lost call upon you to answer the call of Allah and establish the guided
Khilafah, which is the promise of Allah (swt) and the good tidings of your
Messenger (saw).
•The lives lost call upon you to enjoy a good life and for misery to disappear by
renouncing the laws of human beings and following the laws of the Lord of human
beings:
197
(Whoever follows My guidance will neither go astray nor will they suffer, but
whoever turns away from My Reminder he will have a life of hardship.)
Are you responding?
14 Safar 1432 Hizb ut-Tahrir
18.01.2011
198
ANNEXE IX
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
RADIO-CANADA & AGENCE FRANCE PRESSE, « Manifestation pro-charia en
Tunisie », Radio-Canada, [En ligne], 16 mars 2012, http://radio-
canada.ca/nouvelle/554029/tunisie-islamistes-salafiste (Page consultée le 3 juin 2017).
Des milliers de Tunisiens ont manifesté vendredi devant l'Assemblée nationale, à Tunis,
pour demander l'application de la charia dans la future constitution du pays.
Pas de constitution sans la charia! Notre Coran est notre constitution!
Slogans des manifestants
Certains des manifestants étaient venus en famille et l'ambiance était plutôt détendue, ont
observé les journalistes de l'Agence France Presse sur place. Les femmes et les hommes
manifestaient séparément. Certaines femmes portaient le niqab.
Nous sommes ici pour réclamer pacifiquement l'application de la charia dans la nouvelle
constitution. Nous n'imposons rien avec la force, on veut que le peuple lui-même soit
convaincu de ces principes.
Marouan, un commerçant de 24 ans
C'est le Front tunisien des associations islamiques qui a organisé la manifestation. L'une
des organisatrices, Hajer Boudali, assure que le groupe ne soutient ni le parti Ennahda,
majoritaire à l'Assemblée, ni les salafistes, un courant religieux qui prône une renaissance
de l'islam. « Nous sommes ici pour unir tous les Tunisiens grâce à la charia », résume-t-
elle.
Toutefois, deux députés d'Ennahda, Sahbi Atig et Habib Ellouze, étaient présents sur la
tribune où se succédaient les orateurs pendant la manifestation.
Marouan, un commerçant de 24 ans qui prenait part à la manifestation, a estimé que les
médias véhiculaient de fausses idées sur le salafisme qui aurait recours à la violence.
« Nous disons clairement que nous sommes contre toute forme de violence ».
Un autre manifestant déplorait que les gens ne connaissaient plus l'islam, et un autre encore
se déclarait « pour la liberté et contre l'homosexualité ».
199
En début de semaine, le président tunisien Moncef Marzouki a mis en garde les
fondamentalistes contre toute tentative de déstabilisation du pays et de recours à la violence
pour des raisons idéologiques, une allusion claire aux salafistes de plus en plus actifs ces
derniers temps.
200
ANNEXE X
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
OMRANE, Nadia, « 20 mars 1956-20 Mars 2012 : Nous sommes la République! »,
Kapitalis, [En ligne], 24 mars 2012, http://www.kapitalis.com/tribune/8978-20-mars-
1956-20-mars-2012-nous-sommes-la-republique.html (Page consultée le 24 avril 2018).
Ce mardi 20 mars, ouvrant au matin le moteur de recherche Google.tn, nous découvrons
qu’il fête lui aussi l’indépendance de la Tunisie par l’inscription dans son logo du drapeau
tunisien. Des drapeaux tunisiens, il y en avait par milliers sur l’avenue Bourguiba ce 20
Mars, agités par un peuple en fête de toutes les générations qui commémorait
l’indépendance du pays, à l’appel des associations de la société civile, puis plus
spontanément dans l’après-midi rejoint par des familles avec leurs enfants, dans une
ambiance de kermesse.
«Ni l’Amérique, ni le Qatar»
Cette dimension familiale, populaire, festive, de citoyens sur leur 31 – on devrait dire sur
leur 20 Mars – succédait aux revendications plus politiques de la fin de matinée : du théâtre
municipal au ministère de l’Intérieur, les pancartes portaient les slogans de la revendication
d’une république civile et démocratique, d’une constitution reconnaissant les libertés
publiques individuelles et particulièrement les droits des femmes dans une égalité sans
concession entre citoyen et citoyenne. Mais, en ce jour de l’indépendance, le peuple
entendait aussi se réapproprier une souveraineté à laquelle ne pourrait prétendre «ni
l’Amérique, ni le Qatar».
Car dans le souvenir d’une indépendance parfois dévoyée, chacun devait avoir présente à
l’esprit la façon dont la colonisation vieillissante, «dégagée» par la résistance nationale,
avait tenté de se redéployer sous la forme d’un néo-impérialisme plus diffus, pressant,
inspirant notre gouvernance économique et sociale et dictant quelquefois notre ligne de
conduite étrangère au point qu’un commando israélien vint assassiner le 16 avril 1988
Abou Jihad, pour ainsi dire sous les fenêtres du palais de Carthage ! Et quand d’aventure
le pouvoir tunisien prenait trop partie pour l’indépendance d’autres peuples en insurrection,
alors la puissance impériale ou ses supplétifs écrasaient Bizerte ou Hammam Chatt !
Les fondements civils de l’État tunisien
Alors, aujourd’hui, dans sa défense jalouse de sa souveraineté, le peuple tunisien met en
garde contre d’autres tentatives de tutelle et d’occupation, fussent-elles dissimulées sous le
201
déguisement de l’aide financière ou du prosélytisme religieux. C’est pourquoi la
commémoration du 20 Mars s’appliqua-t-elle à rappeler les fondements civils de l’État
tunisien, séculier et moderne loin de toute prétention à un glissement théocratique par une
référence abusive à la chariâ dont l’inscription extensive dans notre prochaine Constitution
serait étrangère à notre histoire, à notre culture, à nos mœurs.
Reprenant le fil de ce passé, le président Moncef Marzouki a tenu le cap d’une République
civile, respectueuse de la diversité, dans le cadre d’une concorde nationale où tous
pourraient vivre ensemble avec et même malgré leurs différences. En la présence
symbolique des familles de Bourguiba et de Salah Ben Youssef, scellant une seule
mémoire nationale par-delà les fractures de l’histoire, il engagea à un devenir commun tout
autant les acteurs d’une indépendance confisquée que leurs victimes auxquelles il présenta
les excuses de la République tout en invitant à réparation et à réconciliation, au terme d’une
justice transitionnelle. Ce sera un processus long et douloureux où les historiens devront
être convoqués à l’analyse d’archives jusqu’ici closes pour éviter toute erreur de jugement,
mais la Tunisie en sortira grandie et unie.
Toutefois, tandis que convergeaient vers ce consensus civil et démocratique la population
descendue dans la rue et les volontés politiques exprimées au sommet de l’État ainsi que
par le chef du gouvernement Hamadi Jebali la veille du 20 Mars, d’autres voix
maintenaient, lors d’un rassemblement à la Coupole d’El Menzah, que la chariâ devait être
le fondement de l’État tunisien. Quelques jours plutôt, vendredi 16 mars, devant le siège
de l’Assemblée nationale constituante, une importante manifestation d’hommes et de
femmes séparés, portant des tenues étrangères à nos mœurs, réclamait un Etat charaïque en
levant des pancartes qui disaient «Non à la République», «Non à la démocratie», «Oui au
Califat» et «Oui à la polygamie».
La stratégie de billard à deux bandes d’Ennahdha
Cette manifestation était, selon un porte-parole du mouvement d’Ennahdha (s’exprimant,
mercredi 14 mars vers 17h30, sur Shems FM) «une expression démocratique à laquelle il
apportait «son soutien», aveu que lui arracha le journaliste et que confirment de multiples
affirmations d’un certain nombre d’élus du mouvement Ennahdha.
Contradiction entre deux tendances au sein d’Ennahdha, l’une Akpiste version
gouvernance islamiste modérée dans un système turc laïc et l’autre plutôt qataro-
wahhabiste ? Ou stratégie de billard à deux bandes de la part d’Ennahdha, qui lancerait
tantôt une balle dans le camp civil puis une autre dans le camp salafiste ? Les éléments de
ce dernier camp, dont on ne sait pas au juste s’il n’est pas mêlé d’ex-RCDistes ou même
de policiers et que des observateurs chiffrent à quelques 20.000 personnes, semblent s’être
mis d’eux-mêmes en dehors de la république puisqu’ils la refusent dans leurs slogans.
À propos de ces fondamentalistes portés parfois au jihad, on signalera que le secrétaire
d’État aux Affaires étrangères a, mercredi 14 mars vers 18h30 sur les ondes de Rtci,
annoncé fièrement sous forme d’un «scoop» qu’il allait cette semaine aux Etats-Unis pour
envisager le retour en Tunisie des prisonniers tunisiens de Guantanamo, du moins ceux
202
contre lesquels les autorités américaines n’auraient pas retenu de preuves d’actes de
terrorisme et dont on pourrait vérifier «la traçabilité». Nombre d’entre eux sont en effet
passés par les réseaux jihadistes d’Al-Qaida au Pakistan et en Afghanistan, comme
l’actualité française de ce jour nous le confirme malheureusement pour le cas de ce jeune
Franco-algérien de Toulouse, présumé coupable des terribles assassinats de ces derniers
jours.
Faut-il grossir les rangs des extrémistes violents ?
Certes Guantanamo a été un lieu carcéral extrêmement dur, au mépris des conventions
internationales, et le gouvernement d’Obama voudrait pouvoir clore ce chapitre noir de
l’histoire des Etats-Unis, pour peu que certains États acceptent de rapatrier des détenus non
condamnés, y compris des détenus non ressortissants de ces États. Tout Tunisien a vocation
et droit à rentrer dans son pays. Tout de même, les prisonniers de Guantanamo ne doivent
pas être des enfants de chœur, surtout ceux passés par les camps d’entraînement du
Pakistan et de l’Afghanistan.
En témoigne le livre de Malika El Aroud, l’épouse belge d’origine marocaine d’Abdessatar
Dahmane, le journaliste tunisien qui assassina le commandant Massoud avec la complicité
d’un autre Tunisien, technicien textile de Sousse (cf. notre article paru dès septembre 2002
dans le journal ‘‘Réalités’’). Un certain nombre de Tunisiens, dont le footballeur Nizar
Trabelsi et d’autres encore dont les noms ont été rendus publics par des observateurs du
terrorisme, sont passés par l’Afghanistan et l’Irak, pays d’où le président de la République
devrait ramener également d’autres détenus...
Faut-il vraiment grossir chez nous les rangs d’extrémistes portés à la violence et dont
certains s’illustrent à Bir Ali Ben Khalifa ou même, à un moindre degré de violence, sont
parmi les «héros» du commando de Soliman menant, selon des journalistes, le sit-in de la
faculté de la Manouba ? Ou au moins dans quelles conditions sécuritaires et d’encadrement
socio-psychologique ces rapatriements doivent-ils être organisés ?
Dans son discours du 20 Mars, le président Marzouki a promis «du sang et des larmes»
dans la lutte contre l’extrémisme. Nous espérons qu’il ne sera pas fatal d’en arriver là et
que le dialogue accompagné d’une stricte application de la loi suffira.
Mais lors de son célèbre discours à la nation en 1940, Winston Churchill disait qu’il
«n’avait à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur» : l’urgence n’est-elle pas
la sueur au travail ? Précisément, en ce 20 mars 2012, autant sur l’avenue Bourguiba que
dans les régions déshéritées du pays, les demandeurs d’emploi continuaient de réclamer la
vraie revendication de la révolution : du travail ! Or, ce même 20 Mars, les exclus du pacte
républicain voyaient démanteler leur siège de protestation par les forces de l’ordre à
Mdhilla tandis que Menzel Bouzayane entrait en grève générale et que les chemins de fer,
arrêtés depuis dix jours, bloquaient toute la circulation dans le sud. Pour tous ceux-là, il
n’y avait aucune indépendance à fêter...
203
Aussi, pourvu qu’elle soit aussi sociale que civile et démocratique, avec le président
Marzouki nous serons la République.
204
ANNEXE XI
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
Monia BEN HAMADI, « Tunisie - Manifs et contre-manifs sur la Chariâa : Qui est le
peuple? », Businewssnews, [En ligne] 20 mars 2012,
http://www.businessnews.com.tn/Tunisie---Manifs-et-contre-manifs-sur-la-
Chari%C3%A2a-Qui-est-le-peuple,519,30018,1 (Page consultée le 24 avril 2018).
«La Chariâa est une revendication populaire» ! Ce sont là les propos de Sahbi Atig,
président du groupe parlementaire d’Ennahdha, suite à la manifestation du vendredi,
appelant à l’instauration de la Chariâa. Plusieurs milliers de personnes s’étaient alors
rassemblées devant le siège de l’Assemblée constituante, estrades, chaises, micros et
cheikhs élevés au rang de Star étaient au rendez-vous. Sur les réseaux sociaux, les pages
islamistes dont celle de la Jeunesse d’Ennahdha mettent la pression, photo de profil à
l’appui: «Oui à la Chariâa» et le discours qui va avec… toute cette effervescence avait
touché certains responsables d’Ennahdha qui, sur la base de ces manifestations, concluront
que la Chariâa doit être inscrite dans la Constitution, car il faut répondre à «la volonté du
peuple».
Un discours qui aurait pu tenir, si ce n’était les autres manifestations, dont celle qui fait la
une des médias aujourd’hui, la manifestation du 20 mars, sur l’Avenue Habib Bourguiba à
Tunis et dans toutes les grandes villes du pays, pour fêter l’indépendance, la liberté et,
polémique du moment oblige, dire «Non à la Chariâa». Alors que manifs et contre-manifs
se multiplient dans le pays… Qui est le peuple?
Aujourd’hui sur l’Avenue Habib Bourguiba, à Tunis, devant le Théâtre municipal ou
derrière les barbelés du ministère de l’Intérieur, il faisait bon revivre l’Histoire, d’un début
de printemps, sous un soleil de plomb. L’avenue s’est drapée pour l’occasion des couleurs
du drapeau national. Des milliers d’exemplaires du drapeau tunisien flottaient sur l’artère
principale de la capitale.
Des milliers oui, des dizaines de milliers, il faut en douter! La guerre des chiffres
toujours… Sur sa page Facebook officielle, le Mouvement Kolna Tounes, mené par Emna
Menif, se prend à rêver, 30 mille, 40 mille, voire même plus de 50 mille personnes
présentes lors de la manifestation! Un 14 janvier bis, plus besoin de traficoter les photos,
certains se plairont à gonfler les chiffres à leur convenance…
Etaient-ils plus que les salafo-islamistes appelant à la Chariâa? Peut-on comparer avec la
manifestation de l’UGTT? Car la question est là… plus le nombre est élevé, plus on se
prend pour le peuple! Oui ils étaient des milliers à manifester aujourd’hui 20 mars 2012 à
205
Tunis, pour un Etat civil, pour les libertés, contre l’inscription de la Chariâa dans la
Constitution comme source législative… unique? principale? parmi d’autres? où se situe
le peuple?
Cette représentation d’une partie du peuple qui manifestait aujourd’hui à Tunis, à Sousse,
à Sfax et ailleurs, a peur. Sur plusieurs pancartes, nous pouvons lire : «Non à l’iranisation
de la Tunisie»… la Chariâa fait peur et il y a de quoi! Dans les pays où elle est appliquée,
la liberté se fait rare, selon les interprétations de courants divers, selon les intérêts
changeants des hommes et ce qu’ils disent être la volonté de Dieu, affirment plusieurs
manifestants sur place, insistant sur le fait qu’ils sont musulmans et qu’ils n’accepteront
pas que des «fanatiques» remettent en cause cette partie de leur identité, au nom d’un Islam
obscur.
Partant du Théâtre municipal, les manifestants chantent l’hymne national. Des pancartes
cocasses : «Pourquoi réviser si on peut porter le niqab? », d’autres à la gloire d’Habib
Bourguiba, le père de l’indépendance, un hommage qui ne sera pas du goût de tous, certains
jugeant qu’il n’est pas de bon ton de brandir l’image du premier dictateur de la Tunisie
moderne.
Un peu plus loin, en se dirigeant vers le ministère de l’Intérieur, les militants de gauche et
les communistes mettent l’ambiance. Un groupe du PCOT, fidèle à ses aspirations «
révolutionnaires », scande : «Le peuple veut une nouvelle révolution», d’autres plus loin
entonnent des chants de stade revisités, tournant en dérision le gouvernement actuel et,
accessoirement, Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste au pouvoir. Des «dégage»
répétés font monter la température déjà élevée, devant le ministère: un arrière-goût de 14
janvier, les barbelés en plus, la violence policière en moins. Les policiers, en ce jour de
fête, ont effectivement été exemplaires. Youssef, un manifestant sur place, drapeau à la
main, nous montre de jeunes policiers souriants: «Regardez ceux-là, ils sont très jeunes,
c’est la nouvelle génération de policiers, ils ne sont pas formés pour tabasser».
Les forces de l’ordre, après les bavures de la manifestation de l’UGTT, avaient à cœur de
se racheter une conduite. En distribuant des drapeaux aux manifestants, ils leur promettent
de défendre la Patrie et le drapeau coûte que coûte. Mais certains restent sceptiques: «Moi
je ne pardonne pas et je n’oublie pas», lance un autre manifestant.
Des personnalités politiques étaient également présentes lors de ce grand rendez-vous,
PDP, Ettajdid, mouvements citoyens tels que Kolna Tounes ou encore Doustourna, avec
son leader, Jaouhar Ben Mbarek, différents mouvements féministes également, appelant à
l’égalité entre les sexes.
Politique politicienne oblige, nous nous attardons avec des militants et responsables des
partis politiques. Le grand parti dit centriste semble se profiler à l’horizon. Les discours
ont changé, le processus est relancé, les négociations sont en bonne voie pour un
aboutissement final prévu début avril.
L’optimisme est de rigueur et les différends se sont estompés. Youssef, le jeune manifestant
cité plus haut, ne cache pas pour autant sa déception: «Le problème est que ce type de
manifestations, de même que les PDP, Ettajdid et alliés, ne touchent pas toutes les couches
sociales, ni toutes les franges de la société, il suffit de voir, il n’y a quasiment pas de
206
femmes voilées, pourtant elles devraient être là, avec nous, pour défendre leurs droits».
Et Youssef d’ajouter sur un autre plan: «Il y a des gens autour de moi qui rêveraient de
revivre l’époque de Ben Ali, car ils ont peur de quelques barbus… je préfère encore discuter
avec ces barbus dont certains sont plus démocrates que ces personnes qui ne voient pas
plus loin que leurs petits intérêts! Quant aux Tunisiens qui vivent à l’étranger et qui, par
leurs discours, font croire que la Tunisie est devenue l’Afghanistan, ils ne servent à rien
d’autre que donner une image biaisée à des touristes ou investisseurs potentiels.
Aujourd’hui nous sommes là, en Tunisie, nous nous battons quotidiennement pour garantir
nos droits, et nous sommes optimistes, car nous ne laisserons pas faire, mais que ceux qui
ne font que se plaindre et amplifier certains événements comme étant généralisés se taisent,
car ils desservent notre cause».
Petite ombre au tableau et comme pour le 14 janvier, aucune décoration ou cérémonie n’ont
été organisées pour fêter l’occasion, à part celle, guindée et en petit comité, au Palais de
Carthage. La veille, Hamadi Jebali tiendra un discours raisonnable, tourné vers les
Tunisiens dans leur ensemble. Il affirmera que la Constitution doit être celle de tous les
citoyens tunisiens et non celle d’une partie au détriment de l’autre. Il déclarera, en
substance, que la majorité ne doit pas être grisée par une victoire électorale et doit prendre
ses responsabilités, en tendant la main à l’opposition, en assurant au peuple tunisien une
Constitution pour tous.
Sahbi Atig, quant à lui, a affirmé, après la démonstration de force des islamistes au Bardo,
que ces manifestants-là étaient le peuple et qu’ils appelaient à l’application de la Chariâa.
Mais qui sont alors les manifestants du 20 mars qui appellent à un Etat civil à travers toute
la Tunisie? Des «zéros virgule», dirait «diplomatiquement» notre chef de la diplomatie,
gendre de Ghannouchi.
La guerre des chiffres toujours… mais toujours est-il que la Constitution doit englober
approximativement 11 millions de Tunisiens, sans discrimination… le seul nombre par
lequel il est possible de parler de «peuple» !
207
ANNEXE XII
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
Rabaa H., « Tunisie : (vidéo) Le prédicateur Mohamed Hassan accueilli sur les chapeaux
de roues », Tunisie Numérique, [En ligne], 30 avril 2013,
https://www.tunisienumerique.com/tunisie-le-tres-controverse-mohamed-hassan-ce-
mardi-a-tunis (Page consultée le 8 novembre 2017).
Le prédicateur wahabite égyptien, Mohamed Hassan, est arrivé cet après-midi à l’aéroport
Tunis Carthage, rapporte la correspondante de Tunisie Numérique présente sur place.
Un large dispositif sécuritaire a été déployé aux alentours de l’aéroport afin de palier à tout
dérapage pouvant incomber à cette visite fortement décriée par les défenseurs des droits de
l’homme et des militants de la société civile.
Attendu de pied ferme et en conclave par des dizaines de partisans et d’activistes
d’associations islamistes dont celle présidée par Habib Ellouze, membre de l’aile dure
d’Ennahdha et faisant l’analogie de ses thèses, le prédicateur a été reçu aux youyous et
aux cris d'”Allah Akbar” de ses soutiens qui ont déployé l’étendard noir salafiste. Ayant
même droit à quelques honneurs et privilèges, Mohamed Hassan est apparu par la porte
réservée aux pèlerins.
Prônant des positions très controversées, Mohamed Hassan, éminent porte-voix
de l’excision des femmes, inaugurera sa tournée par un prêche à la coupole d’El Manzah
qui se suivra d’un tour de propagande à travers plusieurs régions du pays.
208
ANNEXE XIII
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
JEUNE AFRIQUE, « Tunisie : colère après les déclarations du prêcheur égyptien Wajdi
Ghanim », Jeune Afrique, [En ligne], 16 février 2012,
http://www.jeuneafrique.com/177322/politique/tunisie-col-re-apr-s-les-d-clarations-du-
pr-cheur-gyptien-wajdi-ghanim (Page consultée le 12 novembre 2017).
La visite du prédicateur égyptien radical Wajdi Ghanim en Tunisie a déclenché un tollé
dans la société civile. En cause : ses propos appelant à l’instauration de la charia et sa
justification de l’excision des femmes.
Vives réactions en Tunisie autour de la visite du prédicateur égyptien radical Wajdi
Ghanim. Arrivé samedi 11 février, le religieux répondait à l’invitation d’obscures
associations islamistes nées après la révolution. Dès dimanche, Wajdi Ghanim a prêché
dans plusieurs villes comme Sousse, Mahdia (dans le sud-est) avant de rassembler une
foule de plusieurs milliers de personnes lors d’une conférence dans un grand centre sportif
de la capitale tunisienne.
Appel à l’application de la charia en Tunisie, critique virulente des « laïcs et des libéraux
» et des « apostats », justification de l’excision des femmes comme une « opération
esthétique », l’Égyptien a déclenché de vives réactions dans la société civile.
Emna Mnif, ancienne responsable du parti libéral Afek Tounes, et qui dirige aujourd’hui
un « mouvement citoyen », a été l’une des premières à réagir. Elle a dénoncé mercredi 15
février « la succession de passages en Tunisie de ceux qui prétendent être des savants en
religion mais sont les tenants d’un islam obscurantiste et wahhabite ». Car Wajdi Ghanim
n’est pas le premier invité sur le sol tunisien. D’autres prêcheurs, notamment saoudiens,
auraient plus tôt fait le déplacement. Le mouvement d’Emna Mnif a donc exhorté les
autorités tunisiennes, via un courrier d’huissier, à empêcher le cycle de conférences de
Wajdi Ghanim, accusé notamment « d’incitation à la haine et à la violence » et «
d’ingérence dans les affaires tunisiennes ».
"Respecter la révolution tunisienne"
Des avocats ont pour leur part déposé plainte contre le prêcheur égyptien, dénonçant «
l’utilisation des mosquées à des fins politiques ». « Il y a une atteinte à la souveraineté de
la Tunisie, et il n’y a pas de raison d’utiliser les mosquées pour diffuser un discours de
haine et de dissension », a indiqué l’une des plaignantes, l’avocate Bochra Belhaj Hmida.
209
Un discours qui, selon de nombreux Tunisiens, va à l’encontre de l’islam pratiqué dans le
pays. « La Tunisie est islamique depuis plus de 14 siècles et on n’a pas besoin (de
prédicateurs radicaux étrangers) » a fustigé le grand mufti de la République, Othman
Battikh, sur les ondes de la radio Shems FM.
Les libéraux reprochent également au gouvernement dominé par le parti islamiste
Ennahdha son inertie face à de tels discours radicaux. Sur Shems FM, le porte-parole du
ministère des Affaires religieuses, Ali Lafi, a indiqué que les déclarations de Wajdi Ghanim
étaient « étudiées » par ses services. « Il faut respecter la révolution tunisienne et nos
spécificités, et personne ne peut porter atteinte aux acquis de la Tunisie », a-t-il déclaré.
« Les autorités n’ont pas mesuré l’importance d’élaborer un discours religieux attaché à la
spécificité tunisienne, alors les gens vont chercher des idées ailleurs », explique pour sa
part le chercheur Slah Jourchi, de la mouvance « islamiste de gauche ». « S’il n’y a pas de
réaction, il y aura un bouleversement du paysage religieux d’ici cinq à six ans et une
dislocation du discours modéré », fustige-t-il.
Wajdi Ghanim, qui figure depuis 2009 sur une liste de personnes interdites d’entrée en
Grande-Bretagne pour « apologie de la violence terroriste », devrait pour sa part repartir
au plus tard vendredi.
210
ANNEXE XIV
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
Syrine GUEDICHE, « Tunisie : Le double discours de Rached Ghannouchi à propos des
Salafistes », Tunisie Numérique, [En ligne], 24 septembre 2012,
https://www.tunisienumerique.com/tunisie-le-double-discours-de-rached-ghannouchi-a-
propos-des-salafistes (Page consultée le 21 janvier 2018).
Une coïncidence apparait comme relativement troublante aux yeux des observateurs
tunisiens et étrangers, à savoir l’émergence concomitante du phénomène salafiste en
Tunisie après le 14 janvier 2011 avec la montée en puissance du mouvement Ennahdha qui
est sorti de la clandestinité et qui a reconstruit en quelque mois à peine son réseau dans
tous les gouvernorats du pays.
Ce succès pour Ennahdha en général et pour Rached Ghannouchi, le leader du mouvement,
en particulier a tenu à des facteurs spécifiques à savoir son enracinement en profondeur
dans le pays, malgré la répression politique dont il a fait l’objet et à des sources de
financement importantes et diversifiées, partiellement d’origine interne et essentiellement
d’origine externe.
Les Salafistes « enfants prodigues » de Rached Ghannouchi !!
Le phénomène salafiste est jugé par certains comme une forme de maladie. Au début, les
actions des salafistes étaient localisées dans certaines régions et elles semblaient
relativement peu importantes à l’échelle de la Tunisie dans la période de désordre qui a
suivi le 14 janvier 2011.
Ils représentaient dans le corps social tunisien une forme de maladie bénigne, comme un
simple refroidissement à ses débuts. Cette maladie aurait pu être soignée facilement si les
mesures nécessaires avaient été prises par le gouvernement provisoire pour faire respecter
la loi avec fermeté et sans utilisation de la force brute.
Mais l’extrême indulgence du gouvernement actuel et particulièrement des dirigeants
d’Ennahdha qui considèrent les salafistes comme leurs enfants, leur rappelant leur
jeunesse « dissolue » a été à l’origine d’une dégradation accélérée et dangereuse de la
situation dont le point d’orgue a été l’assaut sanglant contre l’ambassade américaine à
Tunis qui a gravement nui à l’image de la Tunisie à l’échelle internationale.
211
Notons que le mouvement salafiste apparu dans la société civile tunisienne semblait au
départ pacifique, exprimant ses opinions par des discours officiels et dans les prêches des
mosquées sans avoir recours à la violence.
212
ANNEXE XV
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
I. B., « Tunisie-Politique : Ghannouchi persiste et signe : «Les salafistes sont mes
enfants» », Kapitalis, [En ligne], 20 mai 2013, http://www.kapitalis.com/politique/16188-
tunisie-politique-ghannouchi-persiste-et-signe-les-salafistes-sont-mes-enfants.html (Page
consultée le 21 janvier 2018).
M. Ghannouchi s'adressait ainsi, dans un entretien avec la radio Jawhara FM, à tous ceux
qui ne cessent de rappeler ses précédentes déclarations à propos des salafistes, qualifiés
tour-à-tour de «mes enfants», qui «me rappellent ma jeunesse» et «cherchent à promouvoir
une nouvelle culture».
Pour justifier l'extrémisme religieux, M. Ghannouchi est revenu à sa rengaine: «C'est l'ex-
président et le système de Bourguiba qui sont derrière le désert religieux qui a donné
naissance à des groupes extrémistes religieux après la révolution».
Le laxisme des deux gouvernements nahdhaouis successifs (Hamadi Jebali et Ali
Lârayedh) vis-à-vis des mouvements extrémistes religieux, considérés comme des réserves
électorales et des instruments pour faire pression sur l'opposition et la société civile, n'y
sont, bien sûr, pour rien!
213
ANNEXE XVI
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
I. N., « Abou Yadh : « La Tunisie n’est pas une terre de Jihad mais une terre de prédication
religieuse » », Businessnews, [En ligne], 30 mars 2012,
http://www.businessnews.com.tn/abou-yadh--la-tunisie-nest-pas-une-terre-de-jihad-mais-
une-terre-de-predication-religieuse,520,30223,3 (Page consultée le 30 novembre 2017).
«La Tunisie n’est pas une terre de Jihad mais elle est une terre de prédication religieuse».
C’est ce qu’a affirmé Seif Allah Ben Hassine, le leader des salafistes jihadistes en Tunisie,
connu sous le nom d’Abou Yadh dans une interview accordée au journal Le Temps et parue
aujourd’hui, vendredi 30 mars 2012.
Le chef de file des salafistes jihadistes a, dans ce contexte, indiqué que son mouvement ne
prêche pas la violence: «Tous nos actes se résument actuellement à de la prédication morale
et à des œuvres de charité». Concernant les menaces de mortscandées à l’encontre des juifs,
il a précisé qu’il «n’a pas lancé de menaces contre les juifs tunisiens mais contre les
sionistes qui spolient les terres saintes en Palestine et tuent des innocents dans l’impunité
totale», ajoutant qu’il a les enregistrements du sit-in du dimanche dernier et qu’il«défie
quiconque lui dira qu’il appelé à tuer les juifs de Tunisie». Rappelons que les appels au
meurtre avaient été proférés à l’adresse des «juifs» et non à l’encontre des «sionistes», lors
de la manifestation salafiste.
Evoquant le sujet de l’image des jihadistes auprès de l’opinion publique, Abou Yadh a
souligné qu’ils «n’ont pas à soigner leur image de marque car leur image n’est pas ternie
aux yeux des gens qui prennent la peine de les connaître de près pour éviter les préjugés».
Il a également indiqué : «Jamais nous n’avons traité de mécréants les Tunisiens. Ce ne sont
que de fausses allégations médiatiques», ajoutant que «les détracteurs d’Ennahdha
instrumentalisent le salafisme jihadiste pour discréditer ce parti auprès de son électorat réel
et potentiel».
Concernant la décision d’Ennahdha de garder l’article premier dans la Constitution en
cours d’élaboration, le leader des salafistes jihadistes en Tunisie a expliqué : «Honnêtement
je peux vous dire que je remercie Allah qu’Ennahdha n’ait pas adopté la Chariâa dans
l’article premier de la prochaine Constitution, autrement on déclarera la guerre contre nous
et on nous exécutera au nom de la Chariâa».
Autre point à relever, Abou Yadh s’est dit «sidéré» de voir des nahdhaouis comme Ellouze
ou Atig renoncer à leurs principes et qu’il a du respect pour Ben Jaâfar«qui n’a pas fait
entorse à ses principes en refusant toute adoption de la Chariaâ dans la Constitution et il
s’en est tenu».
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ANNEXE XVII
Extrait d’article de journal en ligne
Source :
JEUNE AFRIQUE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Tunisie : un imam salafiste appelle
au jihad contre le gouvernement », Jeune Afrique, [En ligne], 2 novembre 2012,
http://www.jeuneafrique.com/173592/politique/tunisie-un-imam-salafiste-appelle-au-
jihad-contre-le-gouvernement (Page consultée le 14 octobre 2017).
L'émotion est vive en Tunisie, où la violence est encore montée d'un cran, jeudi 1er
novembre au soir. Sur la chaîne Ettounsiya, l’imam salafiste de la mosquée Ennour, dans
la banlieue de la Manouba à Tunis, Nasreddine Aloui, a appelé la jeunesse à mourir en
martyr pour lutter contre le gouvernement.
En Tunisie, c’est un choc. Jeudi 1er novembre au soir, au cours d’une émission télévisée
de la chaine Ettounsiya et devant deux ministres, l’imam salafiste Nasreddine Aloui n’a
pas hésité à appeler les jeunes tunisiens à se préparer à mourir pour lutter contre le pouvoir.
« J’ai préparé mon linceul après la mort de deux martyrs et j’appelle les jeunes du réveil
islamique à faire de même car le mouvement Ennahdha et d’autres partis politiques veulent
des élections sur les ruines et les cadavres du mouvement salafiste », a lancé le nouvel
imam de la mosquée Ennour, dans la banlieue de la Manouba, à Tunis, en brandissant un
drap blanc à la caméra.
Son prédécesseur est l’un des deux militants salafistes tués par les forces de l’ordre mardi,
en riposte à une attaque contre deux postes de la garde nationale. « Je vais faire la guerre à
ces gens là, a-t-il poursuivi, car le ministre de l’Intérieur et les dirigeants d’Ennahdha ont
choisi les États-Unis comme leur bon dieu, ce sont [les Américains, NDLR] qui écrivent
les lois et préparent la nouvelle Constitution », a-t-il martelé, toujours lors de son passage
en direct à l’antenne.
"Des mots comme des balles"
« Ce genre de discours est en partie responsable du sang versé, tu ne réalises pas que tes
mots sont comme des balles. Je suis surpris de ton refus de l’autre », a riposté Ali Larayedh,
le ministre tunisien de l’Intérieur. Également présent sur le plateau, Samir Dilou, ministre
tunisien des droits de l’Homme, a surenchéri : « Tu n’es pas digne d’être un imam, ce
discours est de l’incitation à la haine ».
Le porte-parole d’« Ansar al-charia », dont le leader est recherché pour avoir appelé à
prendre d’assaut l’ambassade américaine, le 14 septembre dernier, a cependant essayé
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d’éteindre l’incendie provoqué par les paroles de l’imam Alaoui. « La Tunisie est une terre
de prédication et non de jihad », a déclaré Abou Iyed, sur l’antenne d’Express-FM. Et de
souligner que, selon lui, « le mouvement salafiste est victime d’une répression
systématique. (…) On doit prendre en compte la situation psychologique de nos frères
[comme l’imam de la mosquée Ennour, NDLR] parce qu’ils ont eu deux martyrs », a-t-il
essayé de relativiser.
Selon le ministre des Affaires religieuses, Noureddine El Khadmi, une centaine de
mosquées tunisiennes sont sous le contrôle d’islamistes radicaux. Il a rejeté l’appel à la
violence de Nasreddine Aloui, tout en soulignant l’irresponsabilité de ce dernier, dont la
nomination n’a pas relevé de son ministère, a-t-il souligné. Une enquête a été ouverte par
les autorités tunisiennes contre l’imam de la mosquée Ennour pour incitation à la haine.