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Foreveur

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Dumêmeauteur

FrèreetSœur,Plon,2003Kathy,AlbinMichel,2006LaTailled’unange,AlbinMichel,2008Tousleshommess'appellentRichard,Écriture,2015

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sentir trahi ou non. J’ai eu un blanc, mais d’une ou deuxsecondesseulement.Puismamyaenchaînéenracontantqueçane s’était pas passé comme elle l’avait pensé et qu’ellem’expliqueraitplus tardpourquoiçaavait foiré.Ellea terminéavecunedesformulespréféréesdepapy.«Croixdebois,croixde fer, si jemens je vais en enfer, croix de fer, croix de bois,c’est toi qui y vas si tu neme crois pas. » J’ai soufflé sur lamouche,maisçan’a riendonné.Ellea justevalsécommeunetoupie et elle est allée s’empaler les ailes dans une toiled’araignée. J’ai répété à mamy la formule de papy et j’airaccroché.

Commedeuxprécautions valentmieuxqu’une et que troisvalentmieuxquedeux, jenesuispasallédanslagrotte, làoùmamym’avaitconseillédemecacher.J’aichoisiunemeilleureplanque. Que personne ne connaissait. Où je m’étais réfugiéquandj’étaispetitparceque j’avais faituneconnerieetque jenevoulaispasquepapaetmamanmepunissentmêmesic’étaitunepetiteconneriederiendutout.Cejour-là,j’avaischipélespoissonsquepapaetpapyavaientpêchésetqu’ondevait fairecuireaubarbecuepourdéjeuner.Ilsétaientraidesmorts,maisjelesavaisrejetésdansl’étangenespérantqu’aucontactdel’eau,ilsreprendraientvie.J’avaisétédéçudevoirleurventreargentéflotterà lasurfaceetse laisserdéporterauralentivers le largeau lieu de déguerpir en frétillant de la queue. Quand j’avaisentendumamydemanderoùétaientpasséslesdeuxbrochetsetla perche qui devaient nous servir de repas, j’avais détalé enquatrièmevitesseet trouvé l’endroit idéalpourmecacher.Unegrandepoubelleenplastiquequitrônaitenchaînéeàunpoteauàcôtéduponton.Àl’époque,jen’étaisrestéenferméàl’intérieurquepeudetempsparcequej’avaispeurdunoiretquel’odeurétait insupportable,vuque lapoubelle était àmoitiépleinedesacs remplis de détritus en état de décomposition avancée.

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Finalement, jem’étais faitchoperet j’avaiscraché lemorceau.Du coup, je m’étais fait doublement passer un savon, vuqu’après m’avoir engueulé, maman m’avait arrosé au jet touthabilléetfrottéavecunebrosseàgodassespourmedécrasserdel’odeur de pourriture qui me collait aux basques comme unechienne en chaleur.Par contre, je n’avais avoué à personnedequellemanièrej’avaispumetartinerdepartoutavecceparfumdégueulasse.

La poubelle était vide et aucune odeur particulière ne s’endégageait.J'aigrimpédedans,j’airécupérémonsacquej’avaisposésur lesolet j’ai rabattu lecouvercle. J’aiattenduàpeineunquartd’heureavantd’entendreunbruitdemoteuretceluidepneus crissant dans les gravillons de l’allée qui menait à lacabane.Jetranspiraisdéjàcommeunmalade,vulachaleurqu’ilfaisaitàl’intérieur,maisçaaempiréd’uncoup.J’aientendudesportières claquer, des bruits de pas qui passaient tout près demoi,qu’onouvraitlaportedelacabane,desvoixquihurlaientmonprénometquisequestionnaientpoursavoiroùjepouvaisbienmetrouver.Puis, j’aientendulavoixdemamansangloter.Et j’ai failli flancher.Mais jemesuisretenu.J’aientrouvert lecouvercledelapoubelleetj’aiglissédanslepetitintersticedejourlapairedejumellesdepapyquejevenaisdeluiemprunterendemandantlapermissionàl’âmesolitairedesoncadavre.J’aifaitunpanoramiqueet j’aivud’aborddeuxgendarmes, tontonJacquesquileurcausaitsansquejepuissecomprendredequoi,puiscegroscondeFranckquiressortaitl’airfuraxdelacabaneet enfinmaman qui pleurait appuyée contre la voiture du grosconense tenant leventrequ’elleavaitdrôlementgonflé.Etçam’a refroidi. Tellement que ça a séché la sueur qui medégoulinaitdepartout etquime faisaitdans le slipcommeunétangminiature.Jemesuisrecroquevillécommepourdisparaîtretoutaufonddemacachette.

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La dernière fois où j’avais passé unmoment avecmaman,c’était il y a environ sixmois. Enfin, cinqmois et vingt-deuxjours pour être tout à fait précis. J’étais venu à l’improvisteparcequej’enavaisressentilebesoinenmelevantcematin-là,parce que j’avais rêvé d’elle pendant la nuit et qu’elle memanquait au point d’en avoir mal aux boyaux de l’estomac.J’avaissonnéàlaportedelamaisonquiavaitétélanôtreaussiàpapaetàmoi. Jem’étais faitbeauavecunedeschemisesdepapa,unedesescravatesetlemoinscradedemesblue-jeans.Jem’étais peigné. Je m’étais parfumé et j’avais chaussé mesConverse. Je m’étais curé les ongles des mains, même si lerésultatn’étaitpasparfait.C’estcegroscondeFranckquiavaitouvertlaporte,lescheveuxenpétardetlagueuledansleculdutypequivientdesebagarreraveclanuitetque,demevoir,çan’apasarrangée.Ilm’avaitdemandécequejefoutaislà.Jeluiavaisrépondupourquoi.Ilavaitcontinuéavecsavoixdebaiseurdepoulequemamandormait.Comme j’insistais, ilm’avaitditenrésuméd’allermefairefoutreetilm’avaitfermélaporteaunez.Maisjenem’étaispasdémonté.J’avaiscognédupoingsurla porte jusqu’à ce qu’elle s’ouvre à nouveau et que mamanapparaisseàmoitiéhabillée.Ellem’avait attrapépar lebrasetm’avaitemmenéunpeuplusloindanslarue.Ilfaisaitunfroiddecanarddépluméetj’aieupitiédemamanquiavaitlabouchequigrelottait.Ellen’avaitrienquesachemisedenuitsoussonmanteau. Ellem’avait dit de l’attendre là cinqminutes et elleétaitrentréedanslamaison.Elleenétaitressortieletempsquejefumeunecigarette,maismieuxhabilléepourl’hiver.

On avaitmarché un peu sans parler. Puis comme il faisaitquandmêmevraiment trop froid,onavaitpoussé laported’unsalonde théoùonavait commandédeuxcafés et un croissantpourmoi,vuquej’avaisladalleetquej’avaisoubliédeprendremon petit-déjeuner. On s’était réchauffés en les buvant. Puis

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tarabusté,pendantlanuit, lepeudecervellequimerestait.Dene pas savoir si l’âme de papa aurait le temps de riper sessemellespours’envolerjusqu’aucieletrejoindrecelledepapy.J’ai d’abord eu une idée qui n’était pas la bonne. J’en aiéchafaudé ensuite une demi-douzaine qui ne l’étaient pas nonplus. Puis je me suis endormi en même temps qu’une lueursanguinolente blessait l’horizon et que les oiseaux entamaientleur conversation, enme contentant d’un plan assez simple etefficace, dumoins c’est ce que j’ai eu envie de penser sur lecoup,rienquepourmetranquilliseretarrêterdemeprendrelatête.

Jeme suis réveillé bien plus tard que je ne l’aurais voulu.Versdixheures.J’étaissûrquej’avaisratélacérémonie.Jemesuis levé d’un bond en renversant la lampe qui trônait sur latable de nuit et en manquant glisser et me casser la gueule àcausedutapisdelit.Jemesuishabilléenquatrièmevitesse.Jen’ai pas touché au petit-déjeuner que Jo m’avait gentimentpréparéetjesuisallédirectementdanslagrange.J’aiattrapéuntournevisetunmarteauparcequejen’avaispastrouvédeburin.Je lesaifourrésdansunedessacochesdelamobyletteaveclapairedejumellesdepapy.J’aidécrochélecasqueintégralavecvisière fuméequi pendait à unepatère à côté d’un autre vieuxcasqueencuir. Je suis remonté surmonchevalde feu, commedisaitpapyquandilvoyaitpasserunemoto.Etj’aidémarré.J’airoulé à fond la caisse sans m’arrêter aux croisements, ni auxstops,niàrienquipouvaitmeralentir.J’aifaitunpeuplusgaffeseulement en atteignant le centre-ville au cas où j’auraisrencontrédesflicssurmonchemin.J’aicontinuétranquillementjusqu’àlasortienordoùsetrouvaitlecimetièremunicipal.Unefoisarrivéàdestination, j’ai rouléencoreunpeuet jemesuisgarédanslarueadjacente.Jesuisdescendudelamobylettesansenlevermoncasque.J’aisimplementrelevélavisière.J’aisorti

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lesoutilsdelasacocheetjelesaiplanquéssousmonblouson.J’aitrottinéautourdumurducimetièrejusqu’àunepetiteportedefer.Àl’intérieur,c’étaitplusgrandqu’onpouvaitcroire.Destombesàpertedevue.Descentainesd’arbrespourlesprotégersousleurombre.Unegrandecheminéequidépassaitleurcime.Je n’ai pas erré longtemps avant de remarquer un petitattroupementdansunedesallées. J’aicontinuémoncheminetjemesuiscachéderrièreunestèlesculptéeenformed’ange.Jemesuisaccroupietj’airegardéentresesjambes.J’aireconnuledosdemamy,celuidemaman,celuidecegroscondeFranck,celuidetontonJacquesetceuxdeLolaetManu,maispasceuxde deux autres personnes habillées en costume noir. Ilsregardaient tousendirectionduclapierà lapinsetsurtoutversunedesnichesqu’un typeétaiten traindereboucheravecuneplaque de marbre. Cinq minutes plus tard, ils se sont tousretournésetilsontcommencéàs’enaller.Ilssontpassésjusteàcôté de moi sans me voir, si près que j’ai senti le parfum demamanetmêmeceluidel’after-shavepourridugroscon.Mamyavait le visage tout rouge avec les rides encore humides deslarmes qu’elle avait dû verser. Tonton Jacques avait le regardperdudanslesnuagesetmamanavaitlesienrivéausol.LolaetManuavaientl’airaussitristequequandonmataitcertainssoirschez euxun documentaire sur la faim enAfrique ou l’histoiredesjuifspendantlaSecondeGuerremondiale.

J’ai attendu qu’ils s’éloignent suffisamment et que le typeait terminé son boulot de rebouchage pour m’extirper de macachette.Leprénometlenomdepapaétaientgravésenorsurlaplaquedemarbre,avecsadatedenaissanceetcelledesamort.J’ai compté la différence entre les deux. Quarante-cinq. J’aicomparé avec les dates des autres plaques. Papa était l’un desplusjeunesàêtreenfermédansunedecesniches.Jemesuisditques’ilavaitvécuaussivieuxqueletypequiseraitmaintenant

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son voisin pour l’éternité, j’aurais eu cinquante-six ans à samort.C’est-à-direonzeansdeplusquesontempsdevieàlui.J’ai sorti mes outils de sous mon blouson et j’ai pointél’extrémité du tournevis sur la ligne de joint encore frais quientouraitlaplaque.

C’est à ce moment-là que quelqu’un a posé unemain surmonépaule.J’aitoutdesuitepenséàpapy.Maiscen’étaitpaslui,c’étaitManu.J’aisursautétellementquej’aifailliluifoutreun coup de boule, ou plutôt un coup de casque, en tout casl’érafleravecleborddemavisière.J’avaislecœurquitapaitdupoingsurmestempesàtouteberzinguepours’échapperdemoncrâne.Manuajusteditqu’ilétaitsûrquec’étaitmoi,qu’ilétaitvenu vérifier. Ilm’a pris les outils desmains et il s’estmis àl’ouvrageàmaplace.Enmoinsdedeux,ilavaitretirélaplaque.J’aiattrapé l’urnequicontenait lesquatre-vingtskilosqu’avaitétémonpapaetquiressemblaitàunvaseenplastiquenoir.Onarebouchélanicheencoinçantlaplaqueavecdespetitscailloux.PuisManum’a fait le signede lavictoireavecdeuxdoigtsenforme de V et il a rejoint Lola qui faisait le guet au bout del’allée.Ilsm’ontfaitcomprendrequelavoieétaitlibre.

J’aibaissémavisière,serrél’urnecontremonventreet j’aidétalé si fort que je suis sûr que j’ai surpris mon ombre etqu’elleadûenchierpourmerecollerauxbasques.Jenemesuispasarrêtédesprinterjusqu’àcequej’arrivedevantlamobylette.J’aienfournél’urnedansunedessacoches.Lamobadémarréauquart de tour et j’ai repris le plus tranquillement possible larouteensensinverse.J’étaisentrainderemercierLolaetManuaposterioridansmoncasquequand,enrepassantdevantl’entréeprincipaleducimetière,j’aiaperçumamy,mamanetcegrosconde Franck qui se parlaient en faisant des grands gestes sur letrottoir. Des gestes qu’on fait genre lorsqu’on est en train des’engueuler. Ce quim’a refilé le pressentiment que tout ne se

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êtreceluitrèslégerdeviandegrillée,saufquejenesuispassûrqu’iln’étaitpas,commeondit,lefruitdemonimagination.

Deuxheuresplustard,lesoleilacommencéàsesuiciderense transformant en pastille à l’orange et se laissant lentementavalerparl’horizondelacolline.Lecielachangéplusieursfoisde costume, passant du bleu, au rouge, au violet, au noir. Lesétoilessesontalluméesuneàune,puiscentainesparcentaines.J’aiattenduencoreaumoinsuneheure,puisjemesuissecouélespucesetjesuisretournédanslarueoùhabitaitÉmilie.Elleétaitvide.Leslampadairesn’éclairaientplusquelesrangéesdevoitures garées devant les maisons qui la bordaient. Il y avaitencore de la lumière dans celle des parents d’Émilie. J’aiescaladélemuretquientouraitlejardin.Jemesuisdirigéàpasdeloupverslepignondelamaisonetmesuisplanquéderrièreunarbuste.

De là, j’avais une vue imprenable sur la fenêtre de lachambre demon amoureuse qui, par chance, était entrouverte.J’entendaislebruitdelatélé,desbribesdeparoles.J’aiessayédedeviner cequ’elles racontaientmais jen’aipas réussi.Puisj’ai eu envie de pisser et c’est ce que j’ai fait en visant lesluciolesquiscintillaientdansl’herbe.J’avaislusurinternetquec’était pour attirer la femelle que lemâle émettait des signauxlumineux avec son abdomen, pendant la période dereproduction. J’ai guetté lemoment où quelqu’un éteindrait latéléetoùtoutlemondeiraitsecoucher.Cequinetardapas.Lalumières’estalluméedanslachambred’Émilieetj’aperçussondoset lebasdesanuqueàtraversl’encadrementdelafenêtre.Mais je neme suis pasmanifesté. C’était trop tôt. D’ailleurs,j’ai bien fait parce que cinq minutes plus tard, sa maman estentrée, sansdoutepour lui souhaiter unebonnenuit.Puis j’aientendu le clic de l’interrupteur et le cadre de la fenêtre s’esttransforméentableauplusnoirquelanuit.

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Je me suis rendu compte que les grillons avaient striduléquandjenelesaiplusentendusetqueleventaforci.Unéclairaouvertsonœilquelquepartà l’horizonetquelquessecondesplus tard le tonnerre a grondé au lointain.Puis les nuagesontdéboulé à touteberzingueetontdévoré les étoiles. Jeme suisextirpédemacachetteetjemesuismisàmiauler.C’étaitundessignesde reconnaissancequ’on avait établisÉmilie etmoi.Lemême que celui que Tom Sawyer utilisait avec HuckleberryFinn. Un miaulement un peu mélancolique. Comme ça nedonnaitrien,jemesuisrapprochédupignonetj’airecommencéma sérénade. Ça n’a pas plus marché. Émilie devait dormir àpoings fermés ou peut-être qu’elle avaitmis des boulesQuiesdanssesoreillesparcequeçalarassuraitd’entendrebattresoncœur.

Unautreéclairadéchirélatoilesombreducieletcettefoisj’aivusatracesedessinercommeunecouléedelaveoucommeun fleuve, ses affluents et son delta. Il n’allait sans doute pastarder à pleuvoir. Le vent s’énervait dans les arbres, obligeaitleurs feuilles à jouer des castagnettes. La température avaitbaissé d’un coup d’au moins sept à huit degrés. Je n’ai plushésité.Jemesuisfaufilécommeunchatparlafenêtreetsouslerideau qui dansait comme la robe d’une fille dans une transevaudoue.À l’intérieur,mes yeux ontmis quelques secondes às’habituerà l’obscurité.J’ai failli renverserun trucenrampantsur la commode qui se tenait juste sous la fenêtre. Le truc avacillé, mais j’ai réussi à le choper avant qu’il ne se casse lagueule. Je me suis alors souvenu que c’était une statuette declown qui change de teinte en fonction de la météo. En rosepour lebeau tempsetenbleupour lemauvais. J’aicontinuéàramper vers l’endroit où jeme rappelais que se trouvait le lit.Puis, un autre éclair suivi d’un gros coup de tonnerre m’aconfirméquej’étaisdanslabonnedirectionetmêmeplusprès

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dubutquejenelepensais.J’aieujusteletempsaussidevoirundesesjolisbrasblancscommelacraiedépasseretpendredesoussondrap.Arrivéàdestination,j’aiarrêtéderamper,jemesuisaccroupi.Maintenantjepouvaisdevinerlaformeduvisagede ma Becky à moi et entendre sa respiration légèrementbouchéedunez.

Je me suis assis sur le rebord du lit et j’ai chatouillé satempeavecmondoigt.Ellearemuéunpeulesjambesetdéglutiavecunbruitmouillé.Puis jemesuispenchépourdéposerunbaiser timide sur ses lèvres. Sans résultat. Alors j’ai récidivémais en ymettant la langue et en forçant le passage entre sesdents.Cettefois,ellearéagi.Enserrantlesmâchoires.Unpeuplusetleboutdemalangueypassait.Maisçal’aempêchéedecriersasurprise.J’airéussiàbafouillerquec’étaitmoietj’aipurécupérerentiermonappendicebuccal.«C’estqui?»JeluiairetiréunedesesboulesQuies.«C’estmoi,Rémy!»«Rémy,monamour?»«Oui,Rémy,tonamourpourtoujours!»«Tuesvenumesauver?»«Oui,jesuisvenutesauver!»

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paspum’empêcherderectifier.«Unedemi-sœur!»«Oui,situveux, une demi-sœur. Alors tu comprends que tu ne peux pasrevenir à lamaison. Tu te souviens de ce qui se passait entrenousquandtutemettaistoutàcoupencolère?Jenepeuxpasprendre le risque, tu comprends, pas avec le bébé qui vaarriver. » J’ai baissé les yeux sur les ronds de café séché quisalissaient la table. Jeme suismis à siffler tout doucement lachanson de Johnny Cash. « Ne fais pas ça ! » « Quoi ? »« L’idiot, ne commence à faire l’idiot, sinon… » « OK. »«Rémy?»«Quoi?»«Jeveuxpouvoirtefaireconfiance.»

La jeune fille est revenue.Elle aposéma tasse surundesrondsdecaféetcoincéleticketdecaissedessous.Avantdes’enaller, elleaditqu’effectivemententremamanetmoi, ilyavaitun air de famille, qu’on ne pouvait pas se tromper. «Alors tucroisquejepeuxtefaireconfiance?»J’airéponduunouitoutfaiblard.Enmêmetemps,jemesuisimaginélapetitefillequiseprélassait au chaud dans son ventre, qu’il lui manquait deuxmembres,unejambeetunbrasetquelecordonombilicalétaitenrouléautourdesoncou.«Jeveuxquetumejuresquedansune semaine tu seras rentré et que tu retourneras sans faire deproblèmeàl’institution,tumelejures?»«Oui,jetelejure.»Ellem’ascruté le fondde l’œilpourvérifiersi jen’ycoinçaispasunmensonge.Jemeconcentraispourqu’ellenedevinepasl’enviebouillantequej’avaisdeluiouvrirlebide,deretirermafuture demi-sœur de là et de prendre sa place. « Maman ? »«Oui,monchéri?»«Tupeuxmefaireconfiance.»Elleaserréles lèvres comme quand on ne peut pas sourire autrement.«Rémy?»«Ouimaman?»«Tu saisque je t’aime.» Jenesavaispassijelesavais,maisj’aifaitsemblant.«Moiaussi.»Etça,jesavaisquejelesavais,mêmejenesavaispassimamanlesavait.Papadisaitquel’amourc’estunejoliepomme,laplusjolie pomme qui puisse se cueillir sur l’arbre de la vie, mais

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qu’ilfallaittoujoursvérifierqu’aucunversnesesoitintroduitàl’intérieur pour y pourrir le cœur. J’ai visualisé le cœur demamanetlatêtedecegroscondeFrancktransforméenasticotquicognaitsursonenveloppecommeunspermatozoïdecelledel’ovule.J’aivisualiséaussi lepetitcorpsgluantdubébé tenterdeluidamerlepion.

Ons’estséparéssur le trottoir.De lamêmemanièreque ladernière fois. Maladroitement. On ne savait pas comment s’yprendre.Alorsaprèsquelquessecondesd’hésitation,mamanm’aplanté furtivementunbaisersur le frontcommesielle risquaitdesebrûlerleslèvres.Puisellem’aconseillédefaireattentionàmoi. Elle a ajouté que je pouvais dire à mamy qu’elle étaitd’accordetelleestpartiedesoncôté.Jel’airegardées’éloigner,levisagepenchévers le trottoir,commesiellesedemandait sisespiedsétaientbienlessiens.

Pendant le trajetdu retour, j’ai essayédenepenserà rien.J’ai focalisé mon attention sur la route qui défilait sous lespneus de lamobylette, sur le vent qui s’engouffrait dansmoncasque, sur la chaleur du soleil resplendissant qui rinçait lepaysage. Je ne voulais pas gâcher le plaisir de la super bonnenouvelle que j’allais confirmer à mon amoureuse. Je me suisrépété une centaine de fois que j’étais heureux, content,heureux,contentetauboutd’unmomentçaamarché.Jem’ensuis persuadé. Parce qu’au bout du compte, pour la premièrefois depuis bien longtemps, je n’étais plus un looser. J’avaisgagné.J’avaisgagnéunesemaine,septjours,centsoixante-huitheures, dix mille quatre-vingts minutes, six cent quatre millehuit cents secondes de droit au bonheur. Presque une éternité.Oui,moi,Rémy,dix-septpresquedix-huitans,presqueorphelinethandicapépermanentduciboulot,j’avaisgagné.

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2epartie

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regard,jemelesuisplantédanslapaume.Aumatin,jemesuisréveillégrelottant,latêteenfouiesous

l’aisselledemamy.J’ai toutdesuitepenséàpapaquidormaittout seul dans le lit de la mezzanine, mais je n’ai pas eu lecourage d’aller le chercher. Je suis resté ainsi sans bougerjusqu’àcequemamyouvreunœil,mesourieetmecaresselescheveux. « Bien dormi, mon chéri ? » « Ouaip, mamy,impeccable ! » Jeme suis excusé dem’être incrusté sans sonautorisation.De toute façon, je neme souvenais pas commentj’étais arrivé là. J’ai argumenté que c’était sans doute laconséquence de mon somnambulisme. Mamy n’a pas moufté.Elles’estcontentéedefairecommesielleétaitconvaincue,cequim’arrangeaitbien.C’estlàquej’airemarquéqu’undesbrasd’Émilie lui faisait une écharpe autour du cou. J’ai trouvé çatrop mignon. Je le lui ai dit. Aussi qu’on était bien. Que jecommençaisàm’habitueràl’être.Ducoup,jemesuispermisderepiquerunpetitroupillon.

Deux heures plus tard, on était à nouveau sur la route.Lesoleiltartinaitlepaysageavecsesrayonsbeurrés.Versmidi,onacherchéunendroitpourmangerunmorceau.Ons’estarrêtéssur une aire de repos où s’était installé provisoirement uncamion-friterie. Le patron avait éparpillé trois quatre tables enplastique sous l’ombre étique de deux petits arbres rabougris.L’une d’entre elles était occupée par une autre famille,constituée d’un papa, d’une maman et de leurs deux enfantsd’une dizaine d’années. On a commandé des hot-dogs, desbarquettesdefritesetdescanettesdesoda.Enattendantqueletypenousserve,Émilieetmoi,ons’estdégourdilesjambesensuivant un parcours « forme » aménagé sur un carré d’herberoussie,genrebarrespoursesuspendreetenginsdemusculationrouillésjusqu’àl’os.

Onétaitentraindegrimpersuruntourniquetquandlepetit

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garçon de la famille est venu nous rejoindre. Sans riendemander,ils’estassisàcôtédenous.Ils’esttournéversÉmilieet l’a inspectéedehautenbascommesielleétaitunovni,unobjetvivantnonidentifié.J’aiessayédedétournersonattentionen pédalant pour faire tourner le tourniquet. Mais, il ne lalâchait pas d’un cil. Si bien que je lui ai dit comment jem’appelais,toutenluitendantuneperchepourqu’ilmebalancele sien, de blaze (mot familier dérivé de blason, à ne pasconfondre avec une blaze qui est un déchet ou résidu dudévidagedelasoie).«Hugo.Etelle,c’estquoisonnom?»J’aifaillileluidirepuisjemesuisraviséparcequejen’étaispassicon que je pouvais le croire et que je savais que le pays toutentier était à la recherched’une jeune trisoqui seprénommaitÉmilie, certes version 1.0,mais j’ai préféré ne pas prendre derisque.«Becky!Elles’appelleBecky.HeinBeckytut’appellesBecky?»Émiliem’adévisagéavecunpointd’interrogationsurtoutelafigure.Jeluiaifaitunénormeclind’œiletducoup,elles’estmiseàpoufferenhochantlatête.Onamangénosfritesetnos hot-dogs enquatrièmevitesse parce que j’avais raconté cequis’étaitpasséàmamyetquenosvoisinsn’arrêtaientpasdenousmaterenchuchotantetparcequemamyetmoions’estprisuncoupdeflipparano.Ons’esttrouvésunpeuridiculesquandHugoestvenunousoffrirdesmalabars,unàlamenthepourmoiet un rose à la je-n’ai-jamais-su-ce-que-c’était-comme-parfumpourmamyetÉmilie.

Le reste du trajet s’est déroulé sans incident.On a chantédeschansons,genrecoloniedevacances,etons’estlancésdansunconcoursde laplusgrossebulleen se foutantduchewing-gumpartoutsur levisageetc’estmamyquiagagnélepremierprix. Le seul hic étant qu’on a perdu un peu de temps en segourant de chemin une paire de fois à cause du manque designalisation. Si bien qu’on est arrivés à destination vers six

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heuresdu soir.Ona traversé les faubourgsde lapetite stationbalnéaire,puisons’estfaufilésàtraversdejoliespetitesruellesmoyenâgeuses flanquées de maisons à colombages toutesbiscornues,puisonadébouchédirectementsurleborddemer.Onacontinuéenlongeantlaplage,quiétaitbondéedegensquisedoraientlapilule,jusqu’àunpetitportdeplaisance.

Comme on désespérait de dénicher une place de parkinglibre,mamyen a eumarre et elle s’est garée surunede cellesréservées auxhandicapés. Je lui ai fait la remarqueque c’étaitinterditetqu’onrisquaitdeseprendreunepruneetqueetqueetque,parcequesurtoutdanslefondjenesupportaispasqu’onpuisse être considérés comme tels, c’est-à-dire comme deshandicapés,bordeldenomd’unchiendemerde.Jem’étaismisencolèresanslevouloir.Cequiasurpristoutlemonde,moiycompris. Mamy m’a dit qu’il n’y avait pas de quoi s’énerver,qu’onneresteraitquequelquesminutes.Jemesuisexcuséetjemesuiscalméaussivitequejem’étaisénervé.

On est allés demander des renseignements à l’office dutourisme,unecabaneenboissurleparvisdel’hôteldeville.Ladamederrière leguichetétait supersympa,saufqu’ellenousadit qu’il était trop tard pour qu’on puisse se rendre là où onvoulait aller, l’endroit où papa et maman avaient été les plusheureuxde toute leur vie, surtout papa, parce qu’il se trouvaitsur la petite île qu’on voyait juste en face et que la dernièrenavettequifaisaitlatraverséepartaità17h45etqu’ilétait18h22etquelaprochaineappareillaità8h30lelendemainmatin.Elle nous a aussi signalé que tous les hôtels du bled étaientcomplets sauf le plus huppé d’entre eux, mais que ses tarifsétaientvraimentprohibitifs.Mamyaaffirméquecen’étaitpasun problème et l’a priée de nous y réserver une chambre. Ladames’estaussitôtexécutéeen lâchantun«vousneserezpasdéçus.»

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stylesportgenreOxbow.Onnepouvaitpasfaireplustouristesàl’aise dans leurs tongs qui n’ont rien à se reprocher.Cela dit,heureusement que la traversée n’a pas duré plus d’une demi-heure,parcequ’enarrivantàdestination, j’étaisen traindemedemander si je n’avais pas envie de vomir, l’estomac un peuretourné,lescroissantsdumatinrefaisantcurieusementsurface,prêts à jouer au punching-ball avec ma luette. Du coup,concentré sur cette interrogation, j’ai à peine entendu lecapitaine nous annoncer que nous entrions dans une zoneprotégée,quetoutel’îlel’étaitetqu’onn’avaitpasledroitd’ychasser,d’ypêcher,d’ycampersauvagement,d’yfairedufeu.Ilnoussouhaitamalgrétoutunagréableséjour.Onadébarquésurun ponton de bois qui s’étirait au-dessus d’une petite criquedéserte.Unemoitié des excursionnistes a emprunté un cheminde randonnée balisé et a rapidement disparu derrière unpromontoire sablonneux. On a suivi l’autre moitié jusqu’à unarrêtdebus.J’aiobservéleballetguerrierdetroismouettesquisedisputaientlecadavred’unpoissonpastrèsfrais.J’aiadmiréle panorama au loin. La côte du continent qu’on devinaitvibrante sous la brume de chaleur. J’avais la sensation d’avoirquitté un monde, ni beau, ni laid, à peine hostile, que mamémoire effaçait à grands coups d’éponge humide pour qu’aubout du compte il me devienne étranger. Pendant ce temps-là,Émilie-Beckyfouillaitdesonindexunedesesnarines.Elleenretira une jolie boulette de mucus dont elle testa l’élasticité.Puis elle lamontra àmamy qui salua d’un hochement de têteconnaisseur en lui tendant un kleenex. J’ai eu une boufféed’amour presque asphyxiante pour ces deux femmes quis’entendaientsibien.Pourmonamoureusequiétaitunangeetpourmamyquinedoutaitpasqu’elleensoitun.

Dixminutesplus tard,unminibusnousdéposaitdevant leportailducamping«Beauséjour».D’aprèscequenousavait

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ditladamedel’Officedetourisme,c’étaitleseulétablissementqui avait obtenu un permis de s’établir sur l’île. Sur la cartequ’ellenousavaitdonnée,onendistinguaitlescontoursàl’est.Surlereste,àpartlerectanglehachuréenrouged’unhangarquiservait de base aux pompiers et de poste de secours, on neremarquait rien d’autre que les dénivelés du relief et les traitssinueuxquireprésentaientlessentiersderandonnées,dontl’und’euxmenait, à l’extrêmenord-ouest, à l’endroitoùmon futurpapa etmamaman future avaient scellémon sort de futur êtrehumain en s’aimant. «La criquedesnaufragés», làoù j’avaisl’intentiondesemerlescendresdemonmaintenantplusdutoutfuturmaisdéfuntpapa.

Depuisquej’avaisposélepiedsurl’île,j’avaisl’impressionde suivre leur trace, demettremonpas dans les leur. Je les aiimaginés dans le minibus, serrés l’un contre l’autre, les yeuxbrillants, s’émerveillant devant la beauté du décor, ne doutantpas un instant qu’ils s’aimeraient jusqu’à la fin des temps.Beaux,radieux, immortels,commeils l’étaientsur laphoto.Jelesai imaginésensuitepénétrantdanslecamping, leursvaliseslégères à la main, un peu timides, un peu saouls du bonheurdont ils commençaient à mesurer la valeur. Je les ai imaginésdiscutantaveclemêmedirecteur,maisrajeuni,quilesfélicitaitd’avoirunechancedecocus,quelecampingétaitcompletmaisqu’un des trente cinq bungalows venait de se libérer, que leslocataires avaient pris leur cliques et leur clacques plusrapidementqueprévuparcequelefrèred’undesmembresdelafamille s’était fait sauter la cervelle et que donc on pouvait yresterdeuxjoursavantquelesprochainsarrivent.Commequoi,effectivement, le malheur des uns peut faire le bonheur desautres.Jelesaiimaginéss’installantdansleurpetitecabanedebois,cellequisetrouvait«lespiedsdansl’eau»unpeuisoléetout au bout du camping. Le petit nid douillet idéal pour un

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jeune couple qui vient de se marier et qui cherchait l’endroitrêvé pour consommer leur nuit de noces tranquilles peinardsdevantl’éternitédel’océan.

J’ai déposé l’urne de papa sur la terrasse qui entourait lebungalowpourqu’ilpuissesesouveniretprofiterdelavue.J’aihumé l’air marin alourdi des effluves d’algues macérant ausoleil.J’aiallumédeuxcigarettes,unepourluietunepourmoi.Jelesaifuméesenregardantlamerquisemélangeaitauciel.Etj’airepenséàuntrucaberrantquej’avaisentenduunefoisàlaradio. À savoir que l’eau qui se trouve sur la terre, depuisqu’elle est terre, est toujours la même. C’est-à-dire qu’ellecircule en circuit fermé, comme dans les petites fontainesélectriques chinoises ou japonaises super moches qu’on peutposersuruneétagèresionaungoûtdechiottes.Cequisignifiequ’onboitlamêmeeauquecellequebuvaientlespremiersdespremiers hommes, les Australopithèques, les Cromagnons etcompagnie. Ce qui m’a aussi porté à conclure qu’on devaitingurgiterl’urinedesmilliardsd’individusquiavaientvidéleurvessiedepuis lesdébutsde l’humanité.Filtrée, reconditionnée,d’accord, mais ça restait malgré tout une idée pas trèsragoûtante.

Une fois mes deux clopes terminées, j’ai aidé mamy etÉmilie-Becky a rangé les affaires dans le bungalow. Puis j’aidemandéàmonamoureusesiellevoulaitbienmefileruncoupdepoucepourplanter la tente sur le petit carréd’herbe craméqui servait de jardin et délimitait chaque emplacement. Parcequ’ilétaithorsdequestionquejeratel’occasiondecamper,vuquec’étaitlapremièreetpeut-êtreladernièrequejepourraismele permettre.La tente de Jo était une tente à l’ancienne, genretoile épaisse comme du carton et tubulures en ferraille aussilourdesquesionlesavaitrempliesdemercure.Étantdonnéqueje n’étais pas d’un naturel manuel, ni d’une patience à toute

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conditionquetunesalopespasleboulotouquetunelebâclespas en deux trois coups de cuillère à pot. Je suis désolé. »«Pourquoi tuesdésolé?»«Pour l’imagedelacuillèreetdupot. Mais de toute manière, les premières fois sont presquetoujours une catastrophe. » « Je te remercie, c’est rassurant. »« Ne t’inquiète pas, bien forniquer, comme tu dis, ça nes’apprend pas dans les bouquins, mais sur le terrain. Pourprogresser, il faut savoir tâtonner. » « Mais si c’est une tellecatastrophequ’Émilieneveuilleplusrecommencer,qu’elle…»«Qu’ellequoi?»«Qu’ellenem’aimeplus!»«C’estqu’ellenet’aimaitpasvraiment.Jevaistedonnerunseulconseil,maiscelui-làestleplusprécieuxetleplusefficacedetous.Nefermejamaislesyeuxquandtuesenelle,garde-lesgrandsouvertsetplonge-les dans les siens. Essaie simplement de ressentir cequ’elleressentetcequiluifaitleplusd’effet.Situlesfermesautant te branler avec une entrecôte. Car chaque femme estuniqueettafaçondeforniqueravecchacuned’entreellesdevral’êtreégalement.»J’aiencoretroptiréunetaffesurlemégotdemacigarette.Jemesuisencorebrûléleslèvres.Pourlessoigner,jem’ensuisralluméuneautre.«T’enveuxune?»«Nonmerci,jenefumeplus.»«Tuveuxunebière?»«Non,merci, jeneboisplus.»«C’estmamanquivaêtrecontente!»«Mieuxvauttrop tard que jamais. » « Papa, tu crois que je suis fou ? »«C’estlemondequiestfou,fiston.»

Ona laissé un silence sanctifier ses paroles.Ensuite, on aparlé deClaudia, de regrets, puis demamy, de papy, de Jo. Ilétait d’accord avecmoi.Mamyméritait que quelqu’un prennesoin d’elle et Jo était le type idéal pour ça. Il était certain,comme moi, que papy ne lui refuserait pas cette dernièreopportunité et il allait d’ailleurs, dès qu’il le verrait, lui entoucher deux mots. Pour conclure, il m’a remercié de l’avoiremmenéjusqu’icietilm’aavouéqu’ilétaitimpatientd’êtreau

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matin pour revoir la crique oùmaman et lui s’étaient jurés des’aimerpourtoujours.«Jevaisteconfierunsecret.»«Lequelpapa ? » «C’est là-bas que tu as été conçu. » «Comment tupeux le savoir ?»«Parcequ’une foisaprèsavoir fait l’amouravec ta mère, j’ai pêché le plus gros poisson que j’ai jamaispêché. » « Je ne vois pas le rapport. » « Ce n’était pas unpoissoncommelesautres,sursesécaillesilyavait,gravéRémy,tonprénom.»«Tudisn’importequoi,papa.»«Qu’est-cequetu en sais !En tout cas, c’était le plus beau jour demavie. »«Alors,demain,ceseraleplusbeaujourdetamort.Papa?»«Oui,monfils?»«Pourquoi tum’asabandonné?»«Jenet’aipasabandonné,jesuisetjeseraitoujourslà,auplusprèsdetoi, comme Jiminy Cricket sur l’épaule de Pinocchio. » « Tun’aurais pas pum’emmener dans ton sac-à-dos ? » «C’est unvoyagequ’ondoitfaireseul,mongarçon.Etpuistuasmieuxàfaire.Jecomptesur toipour t’occuperde tamère,elleenaurabesoinaveccegroscondeFranckpourmari.»«Tuveuxdormiravec nous sous la tente. » « Je suis bien là sous le pin à lafraîche. » «Comme tu préfères. » « Eh fiston ? » «Quoi ? »«Bonnebourre!»«Tuestropcon,padre!»«Qu’est-cequetuveux,onneserefaitpas.»«Je t’aimetant,monpapa!»«Jet’aimetant,monfils!»«Alors,àdemain!»«Àdemain!»

Émilie-Beckyavaitprissesaises,étaléesurledosentraversde notre matelas improvisé. Je me suis faufilé dans un petitespace libre entre elle et la toile de tente. J’ai joué au fakircontorsionnistepourenlevermon tee-shirt,monshortet, aprèsunecourtehésitation,monslip.J’aiallumémalampedepoche.Ma bien-aimée dormait comme une bûche, si tant est qu’unebûche puisse avoir sommeil, ce qui serait de la mêmeextravagancequesielleétaituneenclume.Elles’esttournéesurlecôtéenfaisantdubruitavecsabouchecommesielletétaitlevidedelanuit.J’aidirigélefaisceaudelalampesurlesjolies

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formesdesoncorpsetjelesaicaresséesavecenimaginantquec’était mes mains. J’étais aussi ému qu’Howard Carterdécouvrant, le 4 novembre 1922, l’entrée du tombeau deToutankhamon dans laVallée desRois.Mais je n’étais pas leseulà l’être.Monzobavait tendusoncoupourparticiperauxfestivités et butinait du casque le mollet dénudé de ma belle.Pourlecalmeretluiremettrelesidéesenplace,jeluiaienvoyéunedroiteetjel’aimenacédel’enfermerillicoànouveaudansles tréfonds demon slip. Comme il continuait à faire la fortetête,j’aimismamenaceàexécution.Sij’avaislabite,jen’avaispas le cœur à profiter du sommeil de mon amoureuse. Si ondevait pratiquer la « chose », je voulais que ce soit en pleineconscience et être certain qu’on le désirait autant l’un quel’autre.J’aidéglutipouravalerlasalivequimenoyaitlalangueetj’aisoupirélafrustrationquim’étreignaitlespoumons.

J’aieffleuréd’unbaiser lescheveux teintsd’Émilie-Becky,j’ai patienté en attendant que mon zob retrouve sa taille demollusqueinoffensifpuis,satisfaitethistoiredepenseràautrechose, j’aiprismonTomSawyeret je l’aiouvert à lapageoùj’avaisarrêtémalectureladernièrefois.C’est-à-direaumomentoù Tom et Becky et tous les invités au pique-nique que cettedernière avait organisé décident de visiter une grotte dont unepartieétait réputéedifficileetdangereused’accès. Ilsy restentplusieurs heures à jouer à cache-cache et à en explorer lesgaleries puis, émerveillés et couverts de boue, ils regagnentl’extérieurenentendantlaclochedubacquilesappellepourlesramenerauvillage.Onse rendcompte seulement le lendemainquenosdeuxhérosn’avaientpasétéduvoyagederetour,qu’ilsontdisparu.Évidemment,c’estlaconsternation,l’abattement,lebranle-basdecombatet tout lemondesemetà leurrecherche.Sans résultat.Pendant ce temps-là,TometBecky errent d’unegalerie à l’autre sans réussir à trouver la sortie.Si bienque le

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commesielleaspiraitlemaloutoutaumoinsl’engourdissait.Jecrois que l’amour peut guérir de tout. Même d’une crisecarabinéed’aérophagie,etceenuninstant.Jemesuismistoutàcoupàdouterdelaréalitédeladouleurquimetiraillaitencoreatrocementlesentraillesquelquessecondesauparavant.Commesil’échogargouillantquim’enrestaitn’étaitquelefruitvéreuxdemon imagination. Tel Lazare deBéthanie, nomqui signifie« Dieu vient en aide », un pote de Jésus que ce dernier aressuscité, jemesuislevé,j’aiesquisséunpasdedanse,genreMoonwalkmaismaladroit,j’aiprisÉmilieparsamainbéniteetonestallésretrouvermamysurlaterrasse.

On a continué à picoler gentiment pour tacler l’idée detristesse qui menaçait de nous envahir rien qu’à la pensée dulendemain et pouvoir décider sans trop s’émouvoir qu’onrentreraitchezJod’unetraitepourarriveravantlatombéedelanuit. J’ai proposé àmamyde la relayer auvolant, cequ’elle arefusé,étantdonnéque jen’avaispas lepermis,mêmesipapam’avaitapprisàconduireetque,selonlui,j’étaisnaturellementdoué. Jen’aipas insisté. Jevoulaisqu’onprenne lechemin leplus direct possible, mais mamy a rétorqué qu’il valait mieuxcontinueràêtreprudentsetqu’onsetaperaitlemêmeitinérairequ’àl’aller.Jen’aipasinsisténonplus.Onadécidépourfinirqu’onseréveilleraitverssixheures,et letempsdetoutranger,qu’onprendraitlapremièrenavettedumatin.Parcontre,onn’apas mis au point la manière dont on allait procéder une foisarrivés.Nimoi,nimamy,niÉmilien’avionsenvied’insistersurlesujet.

Une fois cette discussion technique terminée, on s’en estfuméune,histoiredefairepasserlapilule.Émilieaussi.Commec’était la première fois que je la voyais fumer, je croyais quec’étaitlapremièrefoisqu’ellefumait.Croyancedontj’aidoutérapidement,vuqu’ellesedébrouillaitcommeunepro,coinçant

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la cigarette entre son annulaire et sonmajeur.On s’est lancéstous les trois dans un concours de ronds de fumée pas trèsconcluants. Ensuite, comme on ne voulait pas s’apitoyer surnotresortdulendemainetsurtoutsurceluiquisuivrait,etpourne pas laisser le temps à notre angoisse de nous saloperl’ambiance, on s’est dit bonsoir et on s’est séparés en sesouhaitant du bout des lèvres une bonne dernière nuit avantl’apocalypse.

Unefoissouslatente,Émilieetmoi,onétaitsuffisammentbourrés pour que notre pudeur nous autorise à ne pas fairesemblantdezapperqu’onallaits’aimercommedesamantsquis’aimentmêmesic’estlapremièrefois.Ons’estassisentailleurl’unenfacedel’autre.Émiliem’aaidéàenlevermontee-shirt.J’ai aidé Émilie à déboutonner sa robe. Émilie a dégrafé labraguettedemon short. J’aidégrafé le soutien-gorged’Émilie.Émilie a titilléundemes tétonsavec son index. J’ai titilléundes siens avec lemien. J’étais hypnotisé par la pâle beauté desesseins.L’unlégèrementplusgrosquel’autre.Leurminusculelunule d’un rose tendre. J’aurais pu passer le reste dema vie,sans boire et sansmanger, à les dévorer des yeux. Puis jemesuisallongé.Émiliearetirémonslip.PuisÉmilies’estallongéeetjeluiairetirélesien.J’aicaresséchaquemillimètrecarréducorpsmagnifique d’Émilie.Émilie a caressé chaquemillimètrecarré du mien. J’ai doucement écarté les cuisses d’Émilie etdéposéunbaisersursabouchequin’avaitpasdelangue.Émilieahabillémonzobtoutémud’unpréservatif.J’aitoquéàlaportehumidedesonsecretetjen’aipluspenséniàpapa,niàmaman,niàmamy,niàpapy,niàcegroscondeFranck,niauxflics,niaux types de l’institution, ni à personne, ni au lendemaindésenchanté, ni à rien, juste que j’étais vivant comme je nel’avais jamais été.Que je nem’étais pas trompé.Que l’amourquejeportaisàÉmilien’avaitrienàfoutredutemps.Qu’ilétait

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unique. Que l’univers pouvait continuer son expansion, il neseraitjamaisaussigrandquelui,qu’ilneluiarriveraitjamaisàla cheville. Je n’ai plus pensé à Rémy, le garçon incontinent,zombisomnambuleàlacervellecarbonisée,niàÉmilie,latriso.Parcequ’onn’étaitplusnil’unnil’autre.Justelesdeuxenun,commelesshampoings.Rémy-Émilie.Rémily.

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adossé contre lemontant du lit. «Ça va, fiston ?Tu n’as pasl’airdanstonassiette.»Jeluiavaisavouécequimepréoccupaittoutenminimisantcombienj’enétaisbouleversé.Enréalité,jene comprenais pas qu’un jeune homme normal puisse avoirenvie de mettre fin à ses jours. Un garçon comme moi, à lalimite, même si je n’y avais jamais songé sérieusement,seulementsurlecoupdelacolèreetpourfairechiermaman,cegroscondeFranck,oul’infirmierdel’institutionquinepouvaitpasmevoirenpeinturenienquoiquecesoit.Quandjel’avaisinterrogé sur ce phénomène aberrant et contre nature, papam’avaitréponduénigmatiquement.«Parfois,lavieesttropbellepourcontinueràselagâcher.»Unephrasequi,àl’époque,avaitcliqueté dansmon esprit comme une pièce d’un centime jetéedans une tirelire sans fond. Aujourd’hui, sa significationm’apparaissait beaucoup plus clairement. J’avais goûté aubonheur et je me doutais que je ne serais plus jamais aussiheureuxquependantlesquelquesjoursquejevenaisdevivreencompagniedemonamoureuse.Ceconstatétaitinacceptable.

C’était comme si on disait à un type qui a crevé la dalletoutesavieetàquionaoffertunesemainedepensioncomplètedansunhôtelcinqétoilesquemaintenantlafêteétait terminéeet qu’il allait devoir retourner à la racine de ses pissenlits.J’avais peut-être donc, plus ou moins inconsciemment, refuséqu’onmereprennecequ’onm’avaitdonné.C’étaitundroit.Ledroitduchoixdenepasaccepter.Maisest-cequej’avaispourautantledroitd’inclureÉmilieetmamydanscechoixsansleurdemander leur avis. Le pire de tout étant que je n’avaismêmepasfaitcechoixdélibérément.Mamyetpapyn’avaientpaseulecouragedesesuiciderparcequ’ilsnesupportaientpasl’idée,envieillissant,quel’unmeureavantl’autre.Moi,jen’avaispaseulecouragededemanderàmonamoureusesielledésiraitautantque moi qu’on meure ensemble plutôt que de permettre à la

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saloperie de connerie des hommes de nous obliger, pour desraisonsquinetiendraientpasdeboutmêmeavecdesbéquilles,àvivreséparés?

J’étaisunminable,unecouillemolleégoïstequineméritaitpas d’être aimée par la jolie jeune femme innocente que jeregardais rayonner de plaisir parce queKathy lui avait déposéPamsur lesgenoux.Lapetite filles’accrochaitmaintenantdesdeuxmainsauxcheveuxd’Émilietoutenexerçantunesériedeflexion-extension des jambes. Émilie n’avait aucune envie demourir. Elle avait envie d’avoir des enfants et j’étais certainqu’elle serait une mère formidable, attentionnée, aimante,dévouéepour eux.Etmoi, jen’étaisplus sûrdu toutd’être lepère qu’il leur faudrait. J’avais le moral dans les chaussettesmélangéauxcendresdela toutenouvelleconfiancequej’avaiscrupouvoiravoirenmoi.Àdéfautdemepardonner,j’aiquandmêmejurésurmatête,celled’Émilie,celledemaman,celledel’âmedepapaetdetouslessuicidésdelaterrequedorénavantjenemettraisplusjamaisnosviesendanger.

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nviron cinq kilomètres plus tard, on entrait dans la rueprincipaled’unepetiteville,stylecité-dortoirdiviséeenblocs,unpeucommecertainsbledsdesÉtats-Unis.Rien

que des petits pavillons jumelés, d’un étage presque tousidentiques.Onatournédansunedesruesperpendiculaires.Unemaisonsur troissemblaitabandonnée.Daniels’estgarédevantleportaildunuméro8bis.Labâtisseétaitaussimochequelesautres mais mieux entretenue. Un immense rosier grimpantrecouvrait la moitié de la façade. Une petite femme d’unequarantaine d’années nous a ouvert la porte. Une versionfatiguéedeKathy.Leurressemblanceétaittroublante.Onauraitditdessœursjumelles,néesàvingtansd’intervalle.MaisautantKathyétaitlumineuse,autantilsedégageaitdesonsosieunairgenre j’enaichiéet jenem’attendspasàceque le facteurnem’apportequedesbonnesnouvelles.ElleaconsentiàsedérideretànouslaisserentrerseulementaprèsqueDanielluieutfaitletopodelagalèredanslaquelleons’étaitfourrés.

Elle s’est excusée du désordre qui régnait dans le salon,mêmesiàpartunpaquetdelingespliésaucordeau,poséssurunfauteuilavachi,toutétaitnickeldechezchrome.Lesmeublesderécupn’étaientpasd’hier.Ladécoétaitrudimentairemaislesoin qu’on y avait apporté rendait l’atmosphère du lieuchaleureuse. Elle nous a fait signe de nous asseoir et nous ademandé si on voulait boire quelque chose, puis elle s’estéclipséedanscequidevaitêtrelacuisine.

Mamy et moi on était un peu gênés de s’inviter dansl’intimité de gens qui ne nous connaissaient pas. Par contre,

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4.Quependantunepériode,elleavaiteuunpenchantpourlascarification.C’est-à-direqu’elles’entaillaitlesavant-brasetlehautdescuissesavecuncutter.

5.Qu’elleavaitfaituncourtséjourenHP.6.Qu’elleavaitmultipliélesaventuresamoureusesavecdes

typeslespluszarbisqu’onpuisseimagineretqueceshistoiresseterminaienttoujoursparuneséparationspectaculaire,genreletype qui se tue àmoto, ou qui, vexé de se faire virer, veut sevengerenmenaçantdelavioler.

7. Que les choses s’étaient calmées quand maman avaitrencontrépapa.Ungarçond’une exceptionnellevitalité, prêt àdévorer le monde, toujours gai, optimiste, plein de projets,gentil.Ungendreidéal,mêmesimamys’étaitrapidementrenducompte que cette gaieté dissimulait un truc pas net, genredouloureux tapi derrière.Notamment quandon le questionnaitsursonpassé,sonenfance,sesparentsdisparusquelquesannéesplus tôt quand il était encore adolescent. « C’était un oiseaublesséquiluttaitpourcontinueràvoler.»

8. Que leur relation a commencé à partir en vrille quandmamans’enestrenducompte.

9.Quejen’étaispourriendanscettedéconfiture.10. Qu’au contraire, ma naissance leur avait offert une

seconde chance qu’ils avaient saisie comme on s’accroche aubâtonquelemaîtrenageurnoustendalorsqu’onestentraindecouler.Maisquecetteembellien’avaiteuqu’untemps.

11.Qu’unenfantnecomblejamaislefosséquiséparedeuxêtresmalgréleurdésirdelecombler.

12.Quelafauteenrevenaitàmamyetàpapyetàeuxseuls.Parcequ’ilss’aimaienttellement,genrefusionnelàfond,qu’ilsavaient donné un mauvais exemple de ce que devait être unerelation de couple à leurs enfants. Une version idéalisée del’amourquemamanet tontonJacquesontcherchéàreproduire

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sanssuccèstouteleurvie.Untrucaussialambiquéqueça.«Ce n’est qu’après lamort de ton grand-père, que j’ai pu

enfin comprendre la cause de tant de malentendus et desouffrance.Pendantdelongsmois,j’aiplongédanslanébuleusede la dépression et j’ai perdu le contact avec tous ceux quim’entouraient.Jen’ailaissépersonnepartagermadouleur.Jelacroyaistropviolente,tropexclusivepourquequiconquepuissem’aider à en mesurer l’étendue. Et puis, dans le fond, je nevoulais pas la combattre. Elle était le seul lien quim’unissaitencoreàtongrand-père.Grâceàelle,jelemaintenaissinonenvie dumoins présent. Il fallait que je souffre aussi fort que jel’avais aimé. Puis, un jour, ta mère est venue me voir. Je memorfondais dans mon lit. Elle s’est assise à mon chevet. Jevoyaisbienqu’elleétaitencolère.J’étaisincapabledeluiparler.Aprèsunlongtemps,elleasecouélatêteavecméprisetellem’agiflée."Maman,tuterendscomptequemêmemort,tucontinuesàaimerpapaplusquenous.Jetedéteste.Vatefairefoutreetluiavec.Alleztouslesdeuxvousfairefoutre."»

Mamyaconclusaconfessionenajoutantquec’étaitgrâceàmoi et à Émilie qu’elle se sentait dorénavant enfin capabled’affronter lacolèredesa fille,celle résignéedeson fils,d’enassumerpleinementlaresponsabilitéetdetrouverlesmotspourse faire pardonner. « Et toi, mon Rémy, tu pourras mepardonner?»J’aientourélecorpsfrêledemamyavecmesbras.J’aiattendusansbougerquelessanglotscessentpetitàpetitdelesecouer,qu’elles’abandonneausommeil.Etjeluiaisoufflédans l’oreille que je ne pouvais pas lui pardonner d’être lameilleure des mamys qu’on puisse rêver d’avoir et que j’étaisfier,honoréetsuperchanceuxd’êtresonpetit-fils.

Jesuisredescenduaurez-de-chausséeàpasdeloup,unpeutroublé,ému,tourneboulé,heureuxetétonnédel’êtreparcequeje venais d’entendre.Mamym’avait fait un cadeau dont je ne

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pouvais pas encoremesurer la valeur,mais que je savais aussiprécieuxqu’unerouedesecourspourunautomobilistequivientde crever en plein désert. La certitude que quoi qu’il arrivedésormais, j’allais m’en sortir. Qu’on m’avait libéré, commej’avaislibéréNapoléon-Solo.Quecommelui,j’avaismaintenantl’embarras du choix, même si m’en sortir dépendait de celuipourlequelfinalementj’opterais.

En passant dans le couloir pour regagner le salon, j’aientendudeuxportièresclaquer.J’aipenséqueçadevaitêtreDanou Kathy qui rentrait. Je suis quand même allé vérifierdiscrètement par la fenêtre de la cuisine.On ne savait jamais.Une vieille Mercedes grise toute pourrie, rapiécée comme unvieuxjean,étaitgaréedevantleportail.Unjeunetypebrunetunautrepluspetit,plusâgé,maigreavecunbidedebuveurdebièreregardaientdansmadirection. Jemesuis cachévite fait sur lecôté.Jemesuisbaissésousleniveaudelafenêtre,etj’airampéjusquedanslesalon.ÉmilieetPams’étaientassoupiesdanslecanapé, le visage décoré d’arabesques dessinées au feutre. J’aisecouémonamoureuse,luiaicollémonindexsurlabouche.Jel’aiprévenuequ’ilfallaitqu’onfassecommesionn’étaitpaslà.J’ai longé les murs pour atteindre la porte d’entrée et tirer leverrou.Jesuisalléfermeràclefcellequidonnaitdans lacourdederrière.ÉmilieaprisPamendormiedanssesbrasetons’esttapisdansuncoin.

Deux minutes après, quelqu’un tambourinait à la ported’entrée. Émilie ne paniquait pas, au contraire elle gloussait,commesionétaitentraindejoueràcache-cache.Jen’airienditpour ladétromper.Ces typesn’avaientpas l’airde flics,mêmedéguisés en civils. Ils ressemblaient plutôt à des gitans, genreferrailleurs ou qui veulent vous refourguer du matériel volé àmoitiéprix,dont laparoleestobligatoirementsuspecteetdontlebutprincipalestdevousarnaquer,selonl’imagedégueulasse

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si je le désirais. Que désormais, les choses allaient pouvoirs’arranger. Jen’aipaseu le tempsde lui répondrequoiquecesoit parce qu’on était arrivés au camping-car et que Jo m’ainterpelléenmemontrantungroscartonposéàsespiedsqu’ilavaitsoi-disantoubliédemedonneraumomentdelaremisedescadeaux.

La boîte était entourée d’un joli nœud en satin bleu. Elleremuait et j’entendais quelque chose gratter ses parois àl’intérieur.Jemesuisapproché,jemesuispenchédessusetj’aiaperçuleboutd’unpetitmuseaunoirquireniflaitl’airàtraversuntroudécoupéaucutter.Puis,j’aientenduunjappementaussiaigu que le couinement d’un rat. Je me suis précipité pourdéfairelenœudetunpetitchiottoutnoirajailliducarton.J’aieudumalà leprendredansmesbras tellement ilgigotait, sonmoignondequeuebattantfrénétiquementl’aircommelepouced’unparkinsonien.Ilneressemblaitàrien,saufàunchienmaisgenre bâtard de chez bâtard. Il m’a léché la trogne comme sij’étaitunesquimau. Je l’ai reposépar terreet il s’est accroupipourpissertroisgouttes.J’enaidéduitquec’étaitunefemelle.Du coup, je ne l’ai pas nomméeNapoléon-Solo, ni Bouddha.J’aivoulului trouverunblasepastropcompliqué.Finalement,je l’ai appelée Becky, en hommage à nos amoureuses à TomSawyeretàmoi.

Je n’ai ouvert la lettre d’Émilie que le soir quand tout lemonde était couché. Je me suis allongé sur mon lit au piedduquelBeckyronflaitdéjà.J’aiallumémalampetorcheet j’aidéchirésoigneusementl’enveloppepournepasrisquerd’abîmerl’unique feuille qu’elle contenait.Dessus,Émilie avait dessinéun gros cœur rouge à l’intérieur duquel cette fois elle avaitinscritnosinitialesainsiquelemot«Foreveur».Toutautour,elle avait écrit « Bonne aniversair, mon chéri d’amouuuuur ».J’ai serré les dents pour ne pas crier tout le bonheur qui

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m’emplissaitlespoumons.J’aiprismoncarnetetjeluiaiécritun petit mot à mon tour qui commençait par le récit de majournée d’anniversaire, la liste des cadeaux qu’on m’avaitofferts, la bataille de boules de neige et, cerise sur le Paris-Brest,marencontreavecBecky.Ilseterminaitparl’annonceduprojet de mariage de mamy et de Jo. En post-scriptum, je luipromettais qu’on serait bientôt réunis, que nous aussi on semarierait et que, comme dans toutes les histoires qui finissentbien,nousserionsheureuxetqu’onauraitbeaucoupd’enfants.Unepromessequej’avaisbienl’intentiondetenir.Parcequ’unepromesseestunepromesseetque,commedisaitpapy,«Lanuitn’estobscurequequandonn’apasencorealluméla lumière»ouencore«Cequiestditestditetdoitêtrefait».Etpourça,bien entendu, j’avais un plan. Un plan parfait. En bas de lalettre, j’ai signé«TonRémyqui t’aimera jusqu’à la findesesjoursetpasseulement»,parceque,maintenantjelesavais,tantqu’onestvivant,l’amourestplusfortquelamort.

JetiensàremercierArnaudLeGuerngrâceàquiForeveurapu ss'émanciper, l'équipe des Éditions du Rocher pour leurtravaildemiseenbeautédecelivre,mafamilleetmesamispour

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leur soutien indéfectible, les lecteursquiviennentde lire cettehistoire.JeremercieégalementRémy,Émilie,Mamy,Joettousles personnages de ce roman pour le bonheur du temps qu'ilsm'ontlaissépasseraveceux.

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