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Dumêmeauteur:

LesFilsderien,lesprinces,leshumiliés,Fayard2014.LeNomdesonpère,Stock,2011.LaPremièreNuitdetranquillité,Flammarion,2008.Unevieailleurs,Flammarion,2004.Sesadieux,Nouvelles,HachetteLittératures,2004.LeTrainfantôme,Flammarion,2001;Pocket,2004.Couvre-feux,Flammarion,1999.LaMesuredusoir,Flammarion,1997.LaRouletteafricaine,LaTableronde,1992.Saudade,LaTableronde,1991.Citronnade,Nouvelles,LeDilettante,1991.

Photographies:Sikkim,L’ŒilenSeyne,2009.Cuba/Yankee,éditionsNicolasChaudun,2005.

Chezd’autreséditeurs:Dernier exil à Tanger, photographies de Roland Beaufre,

éditionsduRegard,2007.

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Toutesnosvies

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lessecretssonttesrepaires.Voilà le cœur noir des forêts, pins douglas, chênes-liège,

barrières confuses, obstacles sous le ciel. Des frontièrestremblées. Volets tirés, villas closes, déjà les premières lueursrampentversl’océan.J’éteinslesphares,prolongelanuitencoreune seconde. La nuque lourde, les crampes, et ces odeursmêlées. Aiguilles de pins, terre sèche, parfums d’humus, debêtesaffolées,qu’unsouffledeventlibère,lesherbesagitéesetsoudain, jetées comme silex au visage, la mer, l’écume, lesvagues.

Onne se libèrepas sans fairedemal, tu sais, sansblesserautourdesoi,c’estunrapt,unbraquageviolent,c’estprendresavie au creux de ses poings, la serrer fort, et puis s’enfuir. Onn’est jamais soi-même que contre les autres. Un amour dejeunesse, une éducation, et même des enfants, beaucoup plustard. Il faut qu’ils soient balayés. J’ai 48 ans, j’ai 49 ans, j’ailaissé une existence derrière moi, une vie passée à séduire, àbriser, à délaisser. B. fut ma première victime. L’amour,l’engagement, la famille, cette imposture. Mon cœur est troppetit–c’estcequejecrois.Ladouceur,lalumière,lebonheur,celaaussicen’estpaspourmoi.Uneviepareilleàlapeaud’unlézard, d’un serpent, qu’on abandonne asséchée au bout d’unchemin. Une lettre que l’on tire de l’enveloppe et qu’on lirapeut-êtreausoir.

Aujourd’hui, mon rêve a passé. La liberté n’a pas tant desens–horslimite,elleestl’autrenomdelamélancolie.Alorsjeme penche un instant sur cet été-là, août 1989, comme si, enrevenantaupointdedépart, làoù j’aidérapépour lapremièrefois, je pourrais reprendre le contrôle, garder le cap, tenir maligne.C’estaussilaseulemanièrededemanderpardon.

JegarelavoitureàlagaredeBayonne,prendsunechambresur les rives de l’Adour.À la réception, la fille a des yeux de

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mica,descheveuxgris,descheveuxblancs,ellen’apas30ans.Allongé sur le lit, je ne trouve pas le sommeil. Les reflets dufleuve vacillent entre les rideaux, dansent au plafond. Il fautattendre, patienter jusqu’à la première course. Au-dehors, lesnuagessedispersentlentement.

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uandlanuittombeàl’horizonMalgrélesphotosetlessouvenirsL’inquiétudemontesansraison

Jemesensseul,jecrainslepire.

JepeuxparleretmêmerireDonnerlechangeetresterlàSitusavaiscommejevoudraisfuirEtcommejevoudraischasserl’effroiDerestermuetaufonddemoi.

Etquandjem’endorsàtescôtésInutileetdéjàglacéQuandtum’embrassesetquandj’aifroidEtsiloindemoiaufonddemoiJ’attendsunsignequinevientpas.

Nem’enveuxpasquandlanuitrevientSij’aibesoind’unnouveauguideSijerêved’unautredestinDecéderenfinàl’appelduvide.

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euxquel’onaimenesontpasloin, ilsfrappentàleursmanièresànoscœurs resserrés, et c’est ainsiquenousdevons les accepter, les accueillir puisqu’ils rêvent

sûrementdansl’ombrederevenirauprèsdenous.Ilssetiennentà notre porte, la nuit, le jour, chaque seconde, impalpables,visibles à peine,mais ils sont là et peut-être faut-il les laisserentrer.Nousnesavonsriendesmorts,maiscertainssoirsrevoiruncamaradesuicidé,unamidisparu(etnousétionscommedesfrèresalors,Gilles,t’ensouviens-tu,etqu’avons-nousfaitenseblessant de la sorte, à nous trahir ainsi ?), certains soirsretrouverunamourterrassé,uncompagnondélaissé,etl’enfantquenousfûmes.

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isage de parchemin où brûlent ses yeux enfoncés loinderrièrel’os.Leslèvresaspiréesparlecrâne,lesjouescreuses, délaissées, qu’aucun souffle ne ranime. Un

anorak grisâtre efface ses épaules, il fait trente degrés dans leclub, et lui crève de froid. Été 1983, été 1984, quelleimportance?J’ai17ans,j’ai18ans.Ilestassissuruntabouretqui paraît trop haut,micro ajusté en tremblant. Une trompetterepose inutile sur ses genoux, le piano lance le quartet, jouepourlui,autourdelui.Écheveau,gangue,chrysalide.Douceur?Désarroi.Leslignesdeflûte, lesnoteségrenéesaupiano,loin,tout au fond du temps, quand on ne les entend déjà presqueplus.Labasseposeun repère,unphare, lesautrespourront lerejoindre,unepoignéed’accordsàlaguitare,etc’est tout,riende plus, cette délicatesse infinie, une musique au-delà de lamusique, une musique tue. Ce murmure, une nuit d’été, quiaiguisentnotreprésenceaumonde,quelquechosedepoignantvousouvrelecœur.Delacompassion–peut-être.Lui,ilnejouepas,lesyeuxclos,vieilIndiendéfoncé,enmanque,lerictus,lesrides, le gouffre. La mort à l’œuvre si on veut. Enfin ils’approchedumicro,ilfredonne.Adieuàl’amour,àlajeunesse–etlacraintequ’ilnepuisseacheverlemorceau,quelachansondoive s’achever un jour, se termine avant l’aube, nous laisseseuls,orphelinsànous-mêmes.Ildélaisse lesparoles.Neresteque la mélodie, revisitée, détruite, rendue à sa plus simpleexpression,dépouillequesedisputentlesilenceetlanuit.Àla

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fin du morceau, il garde les paupières fermées, totalementimmobile,uneveinecogneàsonfront,seulsignedevie.Puisilquittelascène,commepassentlesombres.Ifyoucouldseemenow.

Hier, je suis retourné au New Morning. Nous étionsensemble, à nouveau, presque comme avant, notre premièresortiedepuis la rémission.Tescheveuxcourts, tesgrandsyeuxvertsoùpassentparinstantsunpeudecrainte,unpeud’effroi.StéphaneBelmondojouaitpourChetBaker.Plusdetrenteansontpassé,lesimages,l’atmosphère,lamélodieétrangedecettenuit-làsontrevenues,évidemment.

Quand nous sommes sortis de la salle toi et moi, tu étaisheureuse,etjamaisàmesyeux,malgrél’averse,lafraîcheurdusoir,leprintempsnefutsidoux.

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’abrite depuis l’enfance ce mélange de cruauté et desensibilité que seul peut éprouver quelqu’un qui espèretrop.Quelqu’unquidéçoit.Je suis de ces hommes qui se posent à l’écart après avoir

déserté les endroits où ils pouvaient vivre. Après s’être fermétouteslesportes.Unhommequis’éloigneets’enfoncedanslesbois.Peut-êtreest-ceaussiladernièrefaçondemeresterfidèle.

Aujourd’hui, je refuse de voir quiconque. Aujourd’hui, jen’abrite aucune nostalgie. Je n’ai que la honte, mais je veuxencore changer tant que je peux. Tu sais bien comme je veuxcombattre toujours. Aujourd’hui, je ne suis plus le fils, lecompagnon, l’ami de personne. Aujourd’hui, pour un coupled’heures,jesuisseulementl’enfantdemesactes,demesgestes,demespaslaissésdanslaboue.Mensonges,rêvesetillusionssesont peu à peu glissés en moi, pareils à une carapace del’intérieur, une forteresse sans rempart. Ils réduisent lesfractures,soutiennentlesjointures,recouvrentdesilencecequiestarraché.Ilsincitentpresqueàrenoncer.

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’estunevasteprairie, justeaprès lapluie.Une lumièrepareilleàl’aubedumondesurlesvallons,lescollines,àpertedevue.Auloin, lesBlackHillsourlent l’horizon

d’unmauvetrèsdoux,commesuspenduentrelaterresacréeetlecielsanslimite.Desherbeshautescouchéesparlevent,undouxtremblement sur les alentours.Le ciel semble recouvrir chaqueanfractuosité du terrain, épousant au plus près les vallons, lesmodestes combes, envelopper au loin les arbres rares d’unechrysalidenacrée.C’estunpaysageimmenseetvideàlafois,unpaysagequisemblehabitécependant.

Desfoulardsauxcouleursdélavéesparlesoleil,laneigeetle froid, s’agitent et claquentdans levent.Une lumière timidefiltredesnuages,puiscesontdesrayonspuissantsquiéclairent,çàetlà,despansentiersdelaprairiedéserte.Leventporteunemélodieétrangeet forteà travers le site.Le site ?Unmodestepromontoire,envahiparlesfleurssauvages.Descroixpenchées,desrubansaccrochésaugrillage,uncollier,descolifichets.Unearche de pierre rouge en marque vaguement l’entrée. Et puiscettefemme,surgiedenullepart,seslongscheveuxgris,tressésdans ledos :« Ilne fautpas rester trop longtemps ici…Vousallezlesdéranger…»Ellearaison.Cesmurmuresdanslabrise,cet écho au creux des vallons, ces formes étranges dans lesherbesquidansentsous leciel…Onpourraitpresque lesvoir,on pourrait presque les entendre…La silhouette, les voix desguerriers indiens, des Sioux Lakota… Ils chevauchent encore,

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ilssebattentencore.Leursespritspalpitentici.WoundedKnee.

WonyiyaWakan,l’airestsacré!Quelquechoseestlà,uneprésence.HeyanayowanaheneyoQuetoutarrivemaintenant!

Leslégendesmarchent.Ellesmarchentmaintenant!Danslalégendequejedis,Leslégendesmarchent!

HeyanayowanaheneyoHeyanayowanaheneyoHeyanayo,wanihiyanaHeyeyeyowai.

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eparsdansl’obscurité.Jeveuxgagnerlacrypte, lechœurde Saint-Germain-des-Prés avant que ne débute tonopération. La marche ne me réchauffe pas. Les façades

formentunblocplussombrequelanuit.Mespasrésonnentsurl’asphalte, je sens sousmes semelles les fissures abandonnéespar le gel. Les réverbères s’éteignent, Paris semble sans vie.L’égliseestpresquedéserte.Quelquesfidèlesàpeine,courbés,transisdefroid.Jem’assoisparmieux.J’attends.Jenedistingueaucune présence. La flamme des cierges vacille. Une odeurd’encensglacé.Unparfumsourdqui hésite.De la fumée, riend’autre. Un type à demi nu sur sa croix. Ses bras ouvertsébauchent une frontière, un geste pour nous empêcher detomber.Nouspréserventencoreunpeudel’abîme.

J’imagine qu’ils t’emmènent vers le bloc, les roulettes duchariot sur le sol plastifié. Est-ce que tu fixes le flacon de laperfusionau-dessusdetonvisage?Es-tudéjàsousanesthésie?Est-ce que tu penses à tes enfants ? Sais-tu comme je t’aime,comme je t’accompagne ? Je suis ton homme, ton soldat, jegardelefeu.

Alors nous chantons. Nous lançons un hameçon dans lenoir.Uneespérance.Iln’yapasderéponse.Nulécho.Justelesilence. Et puis encore cet espace au fond de soi. Quis’entrouvre peu à peu. Les chants prennent de l’ampleur. Cetespacequi,soudain–pourquoi?–vientdeseclore.Cetécho-là.Lesrameauxséchés.

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Nousespérons.Maisquoi?Nousguettons,nousappelons,nousattendons.Unerésurrection.Lasienne,lanôtre?Riennevient cependant. Pâques muettes et solitaires, qui veille surnous?Oùsontlesmarquesd’éternitécontreleciel?

Je suis incapable de céder, je pense à toi je pense à toi jepense à toi. La grâce se refuse. L’opération a-t-elle débuté, leProfesseur D. est-il penché sur toi ? Nous inventons deshistoires pour survivre. Tissons de pauvres légendes. Ce sontnos refuges. Mais les questions demeurent. Comment separdonner ? Qui pour me pardonner ? Je sais comme je t’aiblessée souvent, mon inquiétude, ce besoin d’attention, deregards,d’amour,jamaissatisfait,jamaisrassuré,etlacolère,laviolence, lesruades.Jeveuxquetuvives.Seigneur,protège-la,protègesesenfants,protègemesfils.

Nous passons des vies entières à chercher la paix, lebonheuroucequiyressemble.Nousoublionsleplusimportant.Nousnesommespaspréparésànepasfairedemal.Ilnousresteseulement à craindre le jugement.Nous errons seuls, pareils àdesnomadesprivésdeliberté.Nousvivonsdanslapeur.Lapeurd’être chassés parmi nos semblables. Isolés, marqués, rejetés.DesGitans, des fils de rien, des princes déchus, des humiliés.Cen’estpasdieuquinousjuge.Cesontceuxquenousavonsleplus aimés. Ceux qui nous aimaient aussi, ceux qui nousdélaissentenfin.Cetteguerrelasse.

Onapprendlatransparence.Lorsquepersonnenenousvoitplus.

Une femme est malade, la mort rôde, deux fils sontabandonnés. Je suis le compagnon inutile, je suis le père quidéfait.Celui qui n’est pas là quand son amour, quand ses filsl’appellent.

Jedétruismesmaisons.J’auraisvouluêtreunpont.Je reviens aux chants. La nuit collée aux vitraux, les

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flammes,lesciergesmalmenés.C’estunmatinquiprécède.Mes pensées dérivent, je quitte la cérémonie. Je n’entends

pluslespsaumes.Lesvoixtremblantesdanslenoir.Jeretrouvelamontagne.Lepèrequimènesonfilssurlamontagnepourlesacrifier.Lefilsquimarchedevantsonpèresurlesentier.Lefilsquiappelleetlepèrequirépond:jesuislà.

C’est un matin qui précède. C’est une absence qui sedéploie.L’OfficedesTénèbres.

ÀmasortiedeSaint-Germain,ilpleuttoujours.Jen’osepasrentrer. Je marche au hasard, trempé jusqu’à l’os, et soudain,moncherJean-Marc,tamainestsurmonbras,tumedemandesce que je fais-là, je suis incapable de te répondre, alors tum’entraînes jusqu’aux éditions, jusqu’à ton bureau, il n’y apersonneencore, je te regardeenfin, tu esmalade toi aussi, tuvasmieuxdepuisquelquessemainesmaiscematintum’avouesquetuasunpeudefièvre,quetuesinquietcar«c’estcommecelaqueçaacommencélapremièrefois»,cesonttesmotsalorsjecomprends,tusaisdéjàqu’ilyauraunesecondefois.

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n jour, il y a longtemps, tu m’as écrit : « Chez toi,j’aime l’intelligence en toute chose. Le savoir et lacompréhensionprofonde,letout-au-fond,lesavoiravec

le sens. Une vision englobante. J’aime comme tu regardes lemonde,leshommes,letout,ensemble.Ettapeurdel’autrecôté,cette angoisse, cenon en toi. Et cependant cette bienveillancepourlesmêmes.Tulesaimes,tun’enfaispaspartie,presque.»

L’intelligence,lapeur,tueslaseule–oupresque–quil’aitcompris :pourmoi,c’est lamêmechose.C’est l’enfantqui sedéfend,etquimalgrétouttendlesmainsencoreunefois.C’estle cerveau reptilien qui dicte sa loi, la vision d’une situationdans son ensemble, où se trouve la lumière, où se situel’horizon.Oùsetientledanger.

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uelqu’unpleure.Un homme, une femme, un enfant. Impossible de

savoir,uncriétouffé,uneplainteretenue,empêchée,ungémissement.Visage sous l’édredon.Quelqu’unpleuredans lanuit.Jenedorspas.

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’ai retrouvé dans mes cartons ce cahier d’une anciennehistoire, un carnet noirci par celle qui m’appelait Twinquandj’avais40ans,quandj’avais42ans.Unsoir,jemesouviens,nosdisputesétaientsirudes,jelui

avaisdemandésiellevoulaitquel’onfinisseparsebattre,ellem’avaitdittuesfouonfiniraitparsetuer,jumeauxoui,parlaviolence, la colère, le sentiment d’injustice. J’ai retrouvé soncarnetderoutelanuitdernière,sessouvenirsdereportage,sonmessageparasité,salumièresombre.HeyTwin,sœurd’ombres,jenet’oubliepas,moinonplus.

Amour,

Ici, la terre est rouge. Monté sur un pylône électrique àmoitiédécapité,unhommeenéquilibretentededécouperàlamachettelesbranchesd’unarbuste,enchevêtréesparmilesfilsà haute tension.Des toits couverts d’or jaillissent. Les cimesdestemplesbouddhistessontlibéréesparlachutedesarbres.

Je ne t’oublie pas, et cela me traverse parfois sanssommation.Jesuissifatiguée,maisjeveuxteracontertoutdemême. Je n’ai personne d’autre à qui parler. Te décrire ceslonguesminutes passées sur le parquet verni d’unmonastère,aunord-estdeRangoon.Jemesuisassisefaceàdejeunesgensvêtus d’une robe couleur safran qui laisse nue leur épaulegauche. Ils sont calmes et doux. Des enfants me regardent,amusés. Deux vieilles femmes marchent avec difficulté. L’une

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ancien,àcettevolontéancienne : rassembler toutemaviesousunseultoit.Làvoilà,commelereste,condamnéeàl’abandon.

C’estpourvousannoncercela,monrêveapassé,quejevousécris,mes chers fils, et peut-être aussi afin de vous demanderpardon.

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oilà, j’ai8ans, tuespostéeà lafenêtre, tum’escortesdu regard avec cette indulgence au fond des yeux quiest peut-être l’unique nom de l’amour – ce secret

seulementgardéparlesmèresetleursfils.J’ai8anscettenuit,ettouteslesnuitsàvenir,j’ai8ans,jesuisperdu,ettuattendsmonretour.

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a chanson m’est revenue tout à l’heure, tandis que jecommençaisàtriermesaffairesavantunnouveaudépart.Inde.Sikkim.Jenel’avaispasoubliéemais, je l’avoue,

elle s’était enfuie comme à l’heure des tourments les chosesimportantes trouvent refugedansquelque repli de l’âmeouducœur. Elles savent bien qu’alors leur apparitionmenacerait denousfairesombrertoutàfait.Ainsi,ànotreinsu,ellespréfèrentquitter la surface de la vie, rejoindre les grands fonds afin denous préserver. Cette chanson ne pourra jamais se perdrecomplètement. Elle est peut-être l’hymne de la petite enfance,unelumièredansunport,unfanalenlambeaux,tremblantsouslevent,quiindiqueencorelarouteauboutduchenal.Jerevienschaque fois à cette chanson, au visagedemamère, commeonrevient blessé d’un pays d’orage. Jeme souviens… Il suffisaitd’un léger chagrin, d’une angine ou d’un rhume, et elle meprenaitlamainenchantantàvoixbasse.

Je songe aussi à samain surmon front lorsque, enfant, lafièvreme prenait. De sa voix douce, elle me disait de ne pasm’inquiéter,quetoutiraitmieuxdemain.Alorsjem’endormaisenfin, sa main serrée contre ma bouche. Je la tenais si fortqu’elleavaitdumalàsedétacheraprèsquej’avaissombrédanslesommeil.Mamère, ilfaudraqueje l’appelle,queje luidisequejel’aime,quejemesouviens,avantqu’ilnesoittroptard.

Àlaclairefontaine.

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reddition.Unejeunesseéternelle.Éperdue.J’enveuxplus,j’envoudraisplus,jelesais.Jevaisdéraper,

sortirduchemin,ettoutemporter,oùest-elle,cellequipourraitme retenir,m’empêcher, celle qui sauraitme contenir sansmecontraindre?J’ai17ans,j’ai20ans.Jecroisquej’aimeencorelaviepourlemoment.

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onfils,Je t’ai promis cette lettre il y a trop longtemps

maintenant, et je n’ai pas su te l’envoyer à temps.Peut-être était-ce la peur de mal faire, de mal dire ce quim’étreintlorsquejepenseàtoi?Peut-êtreai-jetoutsimplementmanquédecourage?Iln’estpassimple,tusais,pourunpèrederevenirverssonfils.Iln’estpassimplederevenirverssonfilsensongeantàcesmomentsjadisoùjerevenaisverstoiavecunprésent,cesinstantsoùjepouvaisteprendredansmesbras,oùtu souriais en me voyant. Chaque matin, chaque soir, tu mesouriais, et cela suffisait à mon bonheur. J’aimais ta mère, jet’aimais,etcelasuffisaitàmonbonheur.Cequenous tentionsdeconstruire tous les trois,puisavec ton frère. J’aidevant lesyeux cette image de vous, cette photo de vous deux, rue deSèvres, unprintempsd’il y a trop longtemps.Vousvous tenezparlesépaules,vousavancezensemble,etriennesembledevoirrésister à vos sourires, à votre complicité. À présent, vous nevousadressezmêmepluslaparole.Pasunmot,etvotresilence,cetteviolencemeglace.

L’autre jour, le premier jour des vacancesdePâques, tu asrefusédeprendreletrainpourvenirmerejoindreàParis,ettonfrèreestvenuseul.

Le bonheur s’enfuit, mais d’autres nous sont offerts et tun’as pas de chance, Txomin, je suis un saltimbanque, lecontraire d’un homme libre, ne te méprends pas, un

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saltimbanque qui se bat chaque jour pour ne pas tomber dubanc,etresteràtescôtés.

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tj’aiposémonsacToutprèsdeCarrenacLesherbesétaientcouchées

Jemesuisallongé.

Surlapetit’placeJ’aibuquelquesbièresJ’avaisperdumatraceJ’avaistrouvéuneterre.

Est-cequetuterappellesCommelavieétaitbelleQuandj’aiposémonsacToutprèsdeCarennac?

Etj’aivécuderienDesoleil,d’eau,depainEtdutempsquipasseQuandlanuits’efface.

J’aiguettél’automneEtlesvoletstirésLeglasquirésonneEtlesmarronsbrûlés.

Est-cequetuterappelles

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CommelavieétaitbelleQuandj’aiposémonsacToutprèsdeCarennac?

Ohjen’attendsplusrienQuandlevieuxboiscraqueJeconnaismoncheminToutprèsdeCarennac.

Etpuisunsoird’étéJemesuiséloignéJ’aimarchéverslelacSanslaisserdemarque.

Est-cequetuterappellesCommelavieétaitbelleEtletempssuspenduCommelavieétaitnue?

Quandj’aireprismonsacToutprèsdeCarennacToutprèsdeCarennacToutprèsdeCarennac.

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e sors, jemarche, je ne peuxpas dormir j’ai envie demebattre.Personneneveutsebattre,quelestcefou,quelestcetype,cetégaré.Darknessdarknessbemypillow…LavoixdeRobertPlant

mecalmeenfincettenuit.Darkness darkness, takemy head and letme sleep in the

coolnessofyourshadow…Darknessdarkness…

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«Toutm’estpermis,maistoutnem’estpasutile.»1reépîtredePaulauxCorinthiens.

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u rêvais de voir Palerme, la Sicile, et tu vasmieux cesjours-ci, tes cheveux ont repoussé, tu as enfin laissé leturbanquiemprisonnait toncrâne,etpeut-êtrerenoues-

tuavec tes rêvesanciens, tesdésirs inassouvis.Jesuis là, je teregarde,jevoudraist’emmenerlà-bas,melaisseras-tufaireavantl’été?Ilexistedésormaisentrenousunedistancenouvelle,quetu imposes, tu reviens d’un pays que je ne connais pas etj’ignoresinousnousretrouveronsvraiment,unjour,unenuit.Jesaisseulementque tune t’aimesplus, tupensesque toncorpst’atrahie,quetabelleénergieneteporteplus.Commentaimersil’onnes’aimepas?Jet’attends,jet’espère,etsais-tuqu’enEspagne,c’estunseuletmêmemot?

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’est Paris la nuit, le printemps revenu, Paris intimecommeunlitretrouvé,lalumièrequitrembleparmilesdraps frais. C’est toujours lemême défi, tu sais, c’est

avoir le cœur assez fragile pour lever les yeux à la tombée dusoirets’émouvoirdesmouvementsduventdans lesfeuillages.C’est encore la même embardée, de jour en jour, le fil desannées, c’est toujours cette grande gerbe barbare mélangéed’émotions,de fleurs sauvages,de riresetdepeines,d’enfantschahuteurs et de compagnons enlevés, d’instants de grâce etd’étoilesmouchées,c’estmurmurerje t’aimedanslapénombreetc’estuneprièrepareilleàunsermentquetun’entendspas,ilnet’arriverarientunemourraspas.

C’est Paris la nuit, la même sagesse à la tombée du soir,c’estcequidemeuredecesmois,decesannéesdechaosetdepeur,lessaccadesetl’effroidansnosregards,c’estcequinousrestedelumièretoietmoi.

C’esttoujourslemêmedéfi,c’étaitmavie,placerunmotsurtouteschosesafindelessauverdel’oubli.

C’estlecœurdelavie,l’entends-tu?Ilbatàtoutrompre.Ilbatàenmourir.

Septembre2014-mai2015

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Achevéd’imprimerparXXXXXX,enXXXXX2015N°d’imprimeur:

Dépôtlégal:XXXXXXX2015

ImpriméenFrance