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L’ESPOIRMEURTENDERNIER

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BERNARDGRUÉ

L’ESPOIRMEURTENDERNIER

AveclaLégionétrangèreGuerreetcaptivitéenIndochine(1949-1954)

PréfacedeRenéCagnat

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Sathonay, dans la banlieue lyonnaise, pour prendre part àl’incorporation des jeunes recrues. Il s’agit essentiellement defils d’agriculteurs : la France est encore à 80 % paysanne.J’assiste à mon premier conseil de révision. Les hommes seprésentent nus devant un aréopage civilo-militaire qui lesdéclare bons pour le service, à moins d’infirmité visible.J’appartiens à une nouvelle génération et ce moded’incorporation,pouraussiégalitairequ’ilveuilles’afficher,mechoque sincèrement. J’ai l’impression d’être à la foire auxbestiaux,àmoinsquecenesoitaumarchéauxesclaves.Maispourlapremièrefoisaussi,lesappeléspassentdestests.Jesuiscetteexpérienceavecintérêt,etdécouvreavecstupeurqueprèsde 20 % d’entre eux sont illettrés ! C’est aussi mon premiercontact avec la troupe. Je m’en tire très bien et n’ai aucunproblème de discipline. J’en suis très heureux et suis loin depenser qu’il en sera toujours ainsi dans tous mescommandements.JeprofitedemonséjouràSathonaypourpassermespermis

de conduire auto etmoto, et pour visiter Lyon où résident lesparentsdemonamiHenrideBroca.Aucoursd’undéplacement,Henri,quiestvenumechercheravec lavoituredesesparents,me passe le volant. Jemets la voiture dans le fossé !… signeévident que je ne suis pas encore un conducteur confirmé. Àl’arrivéechezsesparents,Henridéclareraqu’ilafaitunefaussemanœuvre.Legestenemanquaitpasd’élégance.

ÀBourg-Saint-Maurice,avecle99erégimentd’infanteriealpine

L’arrivée à Bourg-Saint-Maurice est un enchantement. Lecadre montagneux est magnifique, et nos quartiers, près de

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l’Isère,sontpropresetaccueillants.Jepartagemachambreavecdeux camarades de promotion, anciens du Prytanée. Un autrecamarade de promotion fait fonction de sergent-fourrier, encharge d’habiller les recrues et de les fournir en nécessaire decouchage.Grâceàlui,nousavonstôtfaitdenousdébarrasserdenos vêtements et sous-vêtements que nous portions depuisAngers et de nous donner une nouvelle apparence quicorrespondmieuxànotregrade.Je suis affecté à une section, auprès d’un adjudant qui

comprend trèsvitequ’ilpeutme faireconfiance. Ilestdeplustrès humain et très compétent. Nous nous entendronsparfaitement.Nos activités sont surtout physiques : entraînement sportif,

randonnéesenmontagne,parcoursducombattant,tirs.Jerepèreviteunlieutenantmontéengradedanslesmaquis.Iln’estpasàsa place. Jeme fais une autre idée de l’officier, et je redouted’en rencontrer beaucoup d’autres de ce genre dans lesrégimentsdemétropole.Jegardeunsouvenirinoubliabledesdimanchesquejepasse

régulièrement en montagne, soit seul, soit avec mon vieil amiJean Dupoux qui m’a suivi à Bourg-Saint-Maurice. Nousdépassons les alpages pour aller jusqu’aux névés où nous nerencontrons personne. Nous faisons quelques escalades sansautreaidequenosmainsetnospieds.Etnousredescendonslesoir, brûlés par le soleil, les yeux encore remplis de beautégrandiose et sauvage, pour y retrouver nos camarades qui ontpassé leur journée à flâner en quête de bonnes fortunes, ou àtuerletempsdanslaseuleboîtedelaville.Un jour, alors que nous redescendions de nos hauteurs

ensoleillées, la brume s’est brusquement abattue sur nous etnous a totalement enveloppés. Nous n’y voyions pas à dixmètres.Nous étionsdans l’alpage,horsde tous sentiers.Nous

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sommes descendus lentement en scrutant le sol à la recherched’une piste, partant du principe qu’une piste tout comme unruisseau mène toujours quelque part. Nous avons fini par entrouverunequisemblaitdescendre.Aprèsl’avoirsuiviependantunquartd’heure,nousavonsaperçuunelumièreàquelquespasdenous.C’étaitunefruitièrecommeilyenatantenSavoie,oùl’onfabriqueunauthentiquegruyère…Nousyavonsétéreçuspar le maître et la maîtresse de céans avec amitié et chaleur.Nous nous sommes réchauffés et restaurés et sommes repartisparlamêmepistequinousavaitsibienportéchance,engardantlesouvenirdecettehospitalitémerveilleuse.

Aucampd’Opme,avecle92erégimentd’infanterie

Pour des raisons que j’ignore, vraisemblablement pour nousfaire connaître un autre corps de troupe et d’autres hommes,nousquittons,auboutdequelquessemaines,notrecher99pourde nouvelles garnisons. Je suis affecté au 92e régimentd’infanterie, au camp d’Opme, près de Clermont-Ferrand,toujours accompagné de Jean Dupoux, dont la famille habiteprécisémentClermont-Ferrand.Opme est un camp récemment construit par le général de

LattredeTassigny.Selonsaméthode,ilad’abordchoisilesite,l’amodifiéàsongoûtenrasantunepartiedelacolline,puisaplacé sesbâtiments équipésd’installations sanitairesmoderneset d’une piscine. Dans ce cadre, l’entraînement physique etl’instruction militaire sont un vrai plaisir auquel nous nesommespashabitués.Comme en Savoie, je passe mes dimanches à explorer la

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Outrel’équitation,ilyalesdistractionsdelavilleduMans,touteprochedenotrecamp.Les filles de la bonne société mancelle en quête de maris

s’ingénient à organiser rencontres et sauteries avec ces jeunesofficiers célibataires en mal de gracieuses compagnies. Àchacune son groupe… J’ai la chance de faire partie d’un lotparticulièrementsympathiqueetderencontrerrégulièrementdesjeunes filles charmantes dont certaines resteront des amies.L’uned’entreelles,Marie-Odile, laplusbelle et laplus racée,deviendramafemme…sixansplustard.

Et pendant ce temps les exercices de combat se suiventnéanmoins, mais sans soulever notre enthousiasme. Cela faitplus de deux ans que nous jouons au combattant contre unennemifictif,tantôtdanslepartibleu,tantôtdanslepartirouge.Cela devient lassant. Il apparaît par ailleurs de plus en plusclairementqueleMatafa lui-mêmeétéenvoyélàpourparfairesaformation.C’estdirequ’ilnenousestpasd’ungrandsecoursetquenosquestionstechniquesouphilosophiquesontledondeleplongerdansdesabîmesderéflexions.Mais certains exercicesnemanquentpasd’inattendu.Ainsi,

alorsquemongroupeavaitétépostéenembuscadeetchargédedétruire tout blindé « ennemi » qui surgirait, l’un de mescamaradesn’hésitepasàtireruneroquetted’exercicesurlechefde char « ennemi » qui vient d’apparaître dans son viseur,debout dans sa tourelle, visiblement occupé à vérifier nospositionsetnotrecamouflage.Bilan:unlieutenantinstructeuràl’hôpital, et une bonne engueulade pourmon camarade qui secontentera de déclarer : « J’avais reçu l’ordre de détruire toutchar qui surgirait, j’ai tiré ». Déjà l›esprit légionnaire… Jeretrouveraicecamaradetoutaulongdemacarrière.Ildeviendraunamipourlavie.

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Stagesetvoyagesd’étude.«Unponttroploin»…

Mais il y a heureusement quelques stages ou voyages quiviennentromprelamonotoniedenotre«entraînement».L’undesplusmarquantsetdesplusvivifiantsestnotrestage

deskiàBriançon.Raressontmescamaradesquisaventsetenirsur des skis à l’arrivée. Quinze jours plus tard nous dévalonssans complexe les pentes les plus fortes et faisons de longuesrandonnées à skis en montagne, après avoir été initiés auxsubtilités du fartage et du bon emploi des peaux de phoque.Aucunaccidentàdéclarer,cequidonneuneidéedenotreformephysique.Dans un tout autre genre, notre voyage d’études à Arnhem,

surleRhininférieur,aunorddeNimègue,estaussipassionnant.Nousfaisonsparlarouteletrajetdescolonnesblindéesdu30e

corps anglais qui devait faire sa jonction avec la 1re divisionparachutiste anglaise et la brigade aéroportée polonaiseencerclées par plusieurs divisions allemandes près de leurobjectif:lepontd’Arnhem.Lesblindésn’arriverontpasàtempspour sauver les parachutistes alliés de l’écrasement. C’est latriste histoire de plusieurs fautes tactiques et de l’orgueildéraisonnable du général Montgomery qui avait conçul’opération « Garden Market » pour arriver à Berlin avant legénéralPatton.Troismoisplustard,lapromotionserendenNormandiesur

lesplagesdudébarquementdu6juin1944,accompagnéeencoreparsonprofesseurd’histoiremilitaire.Aveclui,nousrefaisonslapercéedePattonau traversdesdéfensesallemandesdans larégiondeFalaise.NousnousrendonsàSainte-Mère-Églisepourvoir leschampssur lesquelsavaient sauté ledeuxdivisionsdeparachutistes américains, la 101e et la 82e Airborne. Les

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Allemands prévoyants avaient inondé ces terrains et y avaientplanté des pieux en grand nombre, hérissés de minesantipersonnel, connus sous lenomd’« aspergesdeRommel»,dans l’intention d’interdire les lâchers de parachutistes etl’atterrissagedesplaneurs. Inutiledepréciserque lespertesausol furent importantes mais que la mission des Alliés futnéanmoinsremplie.Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons àGranville où

pendant quelques jours nous allons nous entraîner au combatanticharàtirréel.Nousutilisonsenparticulierdescanonsanti-charsallemandsdutypePak75ou88etdescarcassesdecharsabandonnéslàaprèsledébarquementallié,quivontnousservirdecibles. J’y trouveungrand intérêt sansmedouterquedeuxansplustardcequejesuisentraind’apprendremepermettraderésisterpendantcinquanteheuresauxassautsd’unennemiréel.

Findenotreentraînementet«amphigarnisons»…JechoisislaLégionétrangère

Arrive enfin le terme de cette « année » qui devait faire denous des fantassins et des chefs de section de choc. Reste àchoisirnoscorpsdetroupe.Aucoursdel’«amphigarnisons»traditionnel, chacun jette son dévolu sur son régiment enfonctiondesonclassement.J’optepourlaLégionétrangèrequirépond lemieux àmes attentes et à l’idéal que jeme fais del’armée. J’aidoncchoisi l’arméed’Afriqueavecenthousiasme,sachantqu’elleesttoujoursenpremièreligneetpourfuircetteFrance qui n’en finit pas de régler ses comptes avecVichy aunomd’unpatriotismeparfoisdouteux, tropsouvent inspirépardesarrière-penséespolitiques.

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avoir doublé leSinaï, qu’unemervide et sans limite qui nousrenvoie la chaleurdu soleil.Sitôt franchi ledétroit deBab-el-Mandeb, nous retrouvons l’air du large. L’océan Indien estnettementplusagitéquelamerRouge.Lesventsconstantsentrel’Afrique et l’Indeont favorisé de bonneheure les navigateursarabes et le trafic d’esclaves entre Zanzibar, l’Arabie et lesIndes. Pour nous, ils apportent simplement un peu de cettebienfaisantefraîcheurquenousavionslaisséeenMéditerranée.

Del’océanIndienàlamerdeChine.ArrivéeaucapSaint-Jacques

Passé Aden encore britannique, nous mettons le cap surCeylan, ex-colonie britannique, indépendante depuis février1948.NousmouillonsaulargedeColombo,cequinouspermetd’admirerlespremiers«souffleurs»,reconnaissablesdeloinaujetquis’échappedeleursévents.AprèslespoissonsvolantsdelamerRouge,c’estunspectacledontnousnenouslassonspas.Puis nous nous dirigeons vers les détroits de Malacca et deSingapour, où nous rencontrerons les premières pirogues àbalancier. Nous doublons Singapour qui restera colonie de laCouronne jusqu’en 1965, après avoir été prise, pendant lasecondeguerremondiale,par les Japonaisqui s’emparerontenmême temps des 70 000 hommes de la garnison, militaires etcivilsconfondus.LefilmLepontdelarivièreKwaïpeutdonneruneidéedusorttragiqueréservéauxmilitairesfaitsprisonniers.Demêmequ’Adengardaitla«RoutedesIndes»ets’opposaitàlaprésencefrançaiseàDjibouti,audébouchédelamerRouge,de même Singapour gardait les détroits et s’opposait à laprédominancehollandaisedanslesîlesdelaSonde.Làoùestlamer,ilyal’Angleterre.

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NousarrivonsaucapSaint-Jacques le7 juin.Nous sommesenfinen Indochine,à l’entréedudeltaduMékong,àquelquesdizaines de kilomètres de Saigon. C’est de là qu’arrive unofficierdeLégionpournousdemanderdansquelrégimentnoussouhaiterions être affectés.Une telle sollicitude nous surprendagréablement.Tirat,Dupouxetmoin’hésitonspasuneseconde.Nous demandons à être affectés au 3e régiment étrangerd’infanterie,lecélèbre3eREI,lerégimentàtroisfourragères,leplusdécorédeFrance.Nousn’avonspaschoisilafacilité:notrerégimentestcantonnélelongdelaRoutecolonialen°4etdelafrontière chinoise, au nord du Tonkin, entre Langson et CaoBang, dans une zone de jungle et de montagnes qui se prêteparticulièrement à la guérilla. Notre chef de corps, le colonelSimon,asonPCàCaoBang,auboutdelaRC4.Nousdevronsnousprésenteràluipoursavoirdansquelbataillonnousseronsaffectés.Lagrandeaventurecommence.Nousenavionsrêvé.

1.PromotionNouveauBahut(1945-1942.Bordelmilitairedecampagne,institutiondel’arméed’Afrique.

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Q

CHAPITREII

LIEUTENANTAU3EÉTRANGER(juin1949–septembre1950)

EnrouteverslePCdu3eétranger

uelquescamaradesnousquittent aucapSaint-Jacques.Quantàmoi,toujoursencompagniedeMichelTiratet

de Jean Dupoux, je reste à bord et poursuis ma route vers lenord.Avantd’arriverauTonkin,nousfaisonsescaleàTourane,en

Annam.Nousyarrivonsaupetitmatin,auleverdusoleil,etjesuis tout de suite séduit par la beauté de la baie, encadrée decalcairescouvertsd’unevégétationluxurianteoùs’ébattentdessinges,avec,enfonddetableau, lacordillèreAnnamitiqueauxtonsbleutés,dontonpeut,ce jour-là,apercevoir le fameuxcoldes Nuages où se livreront encore de sanglants combats. Trèsvite,notrebateauestentouréd’unemultitudedepetitesnacellesrondesflottantes, faitesdefibresdebambouetpilotéesparunseul individu, en général, une femme coiffée de son chapeauconique,parapluieouparasolselonlecas,quiveutnousvendrefruits ou gâteaux de riz gluant empaquetés et ficelés dans desfeuillesdebananier.

Découvertedelabaied’Ha-LongetdeHaiphong

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pouvions jamais conserver plus de deux jours. « Comme enRussie»,medit-il.Grâceaussiàl’épaisseforêttouteprochequinous fournira à volonté les troncs d’arbre nécessaires à nosconstructions.J’imaginequelesRussesconstruisantleursisbasou leurs premiers kremlins ne faisaient pas autrement. Cesaménagementsquiaméliorentlesconditionsdevieetdesécuritédupostemepermettentd’imposerplusfacilementunedisciplineindividuelleetcollective.J’exigequemeslégionnairesserasenttous les matins et qu’ils prennent soin de leurs effets. Leschoses évoluent vite… Si bien que je peux me permettre, ledimanche, qui devient jour de repos, d’organiser la cérémoniedescouleursaupiedd’unmâtquin’existaitpasàmonarrivée,avecunegardeen tenuedesortie.Véritablegageure tenue!Jeveilleaussiàlapropretédupostepouréviterleretourdesrats,quenousavonstuéspardizaines,etfaisdisposerdespaniersàordures en plusieurs endroits. Je fais creuser de nouvellesfeuilléesentrehaiedebambousetréseauxdebarbelés,àvuedela sentinelle de jour et de nuit, et fais doubler les gardesnocturnes.Lemoralduposteestdenouveaudanslevert.Tousceshommesauxdestinsbrisésparladernièreguerreetvenusdetouslescoinsd’Europeseretrouventici,enpleinejungle,avecmoi,jeunesous-lieutenantfraisémouludenosécoles.Ilsm’ontjaugé, jugéetaccepté.Nousformonsdéjàunblocque l’avenirsechargerademettreàl’épreuve.

Attaquerepoussée

Etquand,un jourdenovembre,notreposteestattaqué, toutest en place et en condition pour repousser cette attaque sansuneseulepertedenotrecôtégrâceàunestrictedisciplinedefeuet à l’action déterminante de Molino, mon tireur au fusil-

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mitrailleur, qui stoppera l’élan des premiers assaillantsdéboulant sur lapistedeChine.Ce seramonbaptêmedu feu.Cejour-làmeslégionnairesontcomprisquejeseraistoujoursàleurs côtés en cas de coup dur. Il faut croire que même à laLégion,latraditionencedomainen’estpastoujoursrespectée.J’enauraidesexemplesfâcheuxquelquesmoisplus tard.Rienn’avait laisséprésagercetteattaque.Etcependant, laveille, eneffectuantunepatrouillede reconnaissance au fondd’un ravinboiséquiprenaitladirectiondelaChine,j’avaisaperçu,surletronc lisse et sec d’un arbre qui enjambait le ruisseau,l’empreinte humide d’un pied nu. L’homme qui était passé làpeu de minutes auparavant avait dû nous entendre et s’étaitenfui. Je compris par la suite qu’il ne pouvait s’agir que d’unéclaireur ennemi surpris par notre arrivée. Près d’un an plustard, une autre trace de ce genre dans le sable de la routem’annoncerauneattaqueimminenteetautrementplusmeurtrière!Jeferaipartàmeschefsdemonappréhensionmaispersonnenemecroira.L’attaqueaura lieu le lendemain !Sans lesavoir,j’aurai ainsi fait l’expérience amère de la perception et del’exploitation par l’autorité supérieure d’un renseignement quidérange. Que de fois par la suite aurai-je l’occasion de merappelercetteempreintedanslesable!Cette attaque ne durera que 24 heures. En fait, elle était

destinéeà«fixer»notrepostependantquel’attaqueprincipaleseportait sur lepostevoisin41ouest, situéde l’autrecôtéduSong-Ky-Kong, qui résistera et ne sera pas enlevé. Mais jen’oublierai pas que j’avais eu droit aux premiers obus tirés àpartird’uncanondontonn’avaitencore jamaisentenduparlersurlaRC4.

Unepréoccupationconstante:leravitaillementdu

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poste

Assurer la défense de mon poste, et nourrir mes hommesquand le convoi tarde à venir, restent mes préoccupationsquotidiennes.Lachasses’avèrepeurentable.Jemanqueleseulcerfquigîtedans lesparagesde41est,etmes légionnairesenpatrouille,surprisparledébouléd’uncoupledesangliersetdeleursmarcassins,videntleurschargeurssanslemoindrerésultat.Inquiétantbilan!L’achatd’unbuffleauxhabitantsd’unvillagesitué sur l’autre rive du Song-Ky-Kong s’avère plus rentable.Pendant plusieurs jours les quartiers de buffle seront fumésavantd’êtrependusdanslacuisineau-dessusdesmarmites.Reste la pêche. Mes partisans m’apprennent à barrer un

ruisseau et à choisir les arbustes qui conviennent, dont lesfeuillesécraséesetmélangéesà l’eaudu ruisseauenamontdubarrage, endorment les poissons et facilitent leur prise à lamain…LapêchedansleSong-Ky-Kongestbeaucoupmoinssubtile:

uneoudeuxgrenadesdansl’endroitleplusprofondpermettentdenousapprovisionnerpourplusieursjoursenpoissonstoutescatégories… et même en tortues d’eau dont une,particulièrement grande, que je vais chercher à la nage, melaboure la poitrine de ses longues griffes. Mes partisans enferontlesoirmêmeunesoupeexcellentequ’ilspartagerontavecmoi.

Le passage du convoi mensuel est une fête. Les camionschinoiss’arrêtentaupieddupostepourlivrerlesmarchandisescommandées.L’intendancelivreletonneaudevinréglementaireàmoncaporal-chefancienchargédessubsistancesqui,aidédedeux légionnaires, s’emploie à le monter jusqu’au poste. Lapente étant forte et longue, la chaleur lourde, il s’ensuit des

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aiséecardevantnouss’étendunglacisderizièresdeplusd’unkilomètre qu’il est facile de battre avec des tirs rasants. Nousaménageons donc un emplacement enterré de sorte que lamitrailleuse posée sur son trépied arrive au ras du sol. Unetranchée en U autour du socle en terre sur lequel est posé lamitrailleuse, permet au tireur, au chargeur et au chef de pièced’être à leur place dans les meilleures conditions de sécurité.L’expérience du sergent-chef Van Endern m’est très utile. Jem’instruis beaucoup auprès de lui, moi qui, dans nos écoles,n’aiapprisqu’àcreuserdestrousindividuels.

Àladécouverteduvillageetdeseshabitants

Jeprofitedemesloisirspourfaireletourdeséchoppesdelaville.Ellessontgénéralementtenuespardesfamilleschinoises.Jeme rappelleunvieillarddécharnéqui semblait centenaire etavaitbeaucoupdemalàs’éloignerdesapiped’opium.L’opiumn’est un luxe ou un vice que dans les grandes fumeries deSaïgon ou deCholon. Ici, il est aussi banal que peut l’être lehaschichdansleSudmarocain.Dansunesalleattenanteàl’unedeceséchoppes,jedécouvre

untripotdeba-quan,legrandjeuchinoisquejesuisincapabledecomprendretantilparaîtcompliquéàmesyeuxdeprofaneetàmesoreillesquin’entendentpaslechinois.L’ambiance,autourde la table, est bruyante et survoltée. On joue beaucoupd’argent. D’une mezzanine qui domine la table de jeudescendent, au bout de ficelles, de petits paniers remplis debillets.Lapassiondu jeu est vraiment unpoint communentrel’Orientetl’Extrême-Orient.Maisquandonyregarded’unpeuplusprès,lesOccidentauxontaussileursjeuxquinecessentdese multiplier. Longtemps réservé à l’aristocratie oisive et

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fortunée,lejeus’estdémocratiséetpopularisésouslaformedejeuxdehasardstupides,encouragéspar l’État,aupointquecesontlesmoinsfortunésetlesplusincultes,c’est-à-direlesplusnombreux, qui s’y adonnent le plus.Mais n’est-ce pas le butrecherché ? En offrant du rêve aux plus défavorisés, l’Étatremplitsescaissesàmoindresfraisetàmoindresrisques.

Lespectacledelaruen’estpasmoinsintéressant.L’arracheurdedentset lecoiffeuropèrentenpleinair. Ilsontchacun leurplacemarquée par la chaise du patient, sur laquelle est poséeuneserviettedetoilette.Unpeuplusloin,c’estunbufflequ’onest en trainde castrer.On l’a couchépar terre, sur le flanc, etentravé. Il est maintenu par quatre gaillards. On glisse unebriquesoussestesticules,etavecuncoinenboissurlequelonapplique un violent coup de maillet on écrase ses canauxspermatiques. Le buffle tourne réellement de l’œil et perdconnaissance, puis ne tarde pas à se relever et à repartir entitubantsousleregarddesbadaudsquis’écartentprudemment.Ailleurs,c’estunjeuneporcquivaêtrechâtré.Onl’apendu

parlespattesarrièrecontreuneplanchedebout,etonluiouvrele ventre pour en extraire les testicules. Puis on recoud. Ilsembleque l’animal se remetteparfaitementde cetteopérationqui va lui permettre de prendre rapidement des kilossupplémentairesetd’augmenterainsisavaleurmarchande.Auboutdelarueprincipale,deuxjeunesfemmesannamites

ont installé un restaurant. On y mange de délicieuses soupeschinoises. C’est le plat unique. La clientèle est exclusivementlégionnaire.Onprétendqu’ilyaaussiuneclientèledenuitenquêtedenourrituresplusvariées…

Unparifou:déboiserlajungleenpleinesaison

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despluies.Inondations…

Mon capitaine qui était à Berlin quelques semainesauparavant fait une fixation sur les sommets boisés quientourentunepartiedelaplainedeThat-Khêetquipourraientpermettre l’installation de « snipers » ou d’armes lourdesadverses. Nous nous rendons tous les jours dans cette jungle,pendantplusieurssemaines,armésdecoupe-coupeetdehachespour défricher la jungle. Le résultat est décevant quoiqueprévisible.Les sommets sontbienvite encombrésd’un fouillisinextricable d’arbres et de lianes vivaces au milieu duquel lavégétationrepousseàvued’œil,créantainsiautantdecachesetdepointsd’observationpour les reconnaissances ennemies.Lecapitaine finira par renoncer moins par sagesse que parlassitude, gagnépeut-être par le doute qui s’est emparé de seslégionnairesaguerrispardelongsmoisdeviedanslajungle.

Lasaisondespluiesn’arrangerien.Lespluiessuccèdentauxorages.Tous les coursd’eau sont encrueet envahissentpeuàpeulavillebasse.NonloindemonPCsurélevé,j’observeunemaison locale,auxmursen torchis, s’effondreret sedissoudredansuneeaucouleurdebouesurlaquelleflottenttoutessortesdematériauxoud’objetsdomestiques.Ungaminnucommeunveretdelacouleurdel’eau,enéquilibresuruneportequi luisertderadeau,suiviparsesfidèlescanards,chercheàassommerdesonbâtonunénormeratquinagedésespérémentverslaterreferme. Seuls quelques buffles, leur tête noire émergeant de cecloaque, l’air toujours aussi stupide et mauvais, paraissentprendreplaisiràcebainderizièreunpeuspécial.

NuitsinistreaucoldeDéo-Cat

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Versmidi,lestirss’arrêtent.Moncapitainesortdesontrouetjeluifaismonrapport.

Déjàlesmortsetlesblesséss’élèventàplusieursdizaines.Unobus demortier est tombé sur l’emplacement à ciel ouvert ducanon de 105. Les servants ont été tués et les gargousses depoudrestockéesprèsducanonontprisfeu,brûlantgravementlelieutenant chef de pièce. Il y a tellement de blessés qu’on nepeut plus les soigner sérieusement. Je profite de ce répit pouraller à la soute à munitions et faire assurer lesréapprovisionnements nécessaires. La soute est heureusementbienprotégéesousunedalledebéton.

La section de l’adjudant Oelschlagel, vieux soldat loyal etcourageux, est chargée de la défense du nord de la citadelle.C’est la partie la plus vulnérable, particulièrement le glacis leplusavancéqu’onappellela«plageavant».LapartiesuddelacitadelleesttenueparlasectiondulieutenantTensorer.C’estlelieutenant le plus ancien.Dès1940, il est passé enAngleterrepour rejoindre les cadets de la France libre. Il servait dans unrégimentblindéaumomentdesadésignationpourl’Indochine.Prèsde lui, se trouventmoncapitaineet lecapitaineadjudant-major, commandant le point d’appui de DongKhê, tous deuxarrivés depuis peu de temps du 46e régiment d’infanteriestationné à Berlin. Ces trois officiers ont été contre leur grédésignéspour l’Extrême-Orientetaffectésd’officeà laLégionpourcomblerlesvidesdusauxpertesaucombatdeplusenplusimportantes. Ils se retrouvent regroupés au PC de la citadelle.Les légionnaires ne leur manifestent ni confiance, niattachementexagérés.

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Lestirsreprennentavantlanuit.LepitonnordestprisparlesViêts

En fin d’après-midi, les tirs ennemis reprennent tout d’uncoup.Ilsvonts’intensifierduranttoutelanuit.Orlanuittombetrèsvite,etlesassautsvontcommencer,parvaguessuccessives.Cesontd’abordlespointsd’appuitenusparla5ecompagnieducapitaine Vollaire, en bas de la citadelle, qui subissent lespremierschocs.Maisd’autresassautsmenacent laplageavant,auxquelslasectionOelschlagelfaitfaceavecsuccès.Enmêmetemps,lesViêtss’emparentd’unpitonquidominelacitadelle,àmoinsde300mètresaunord.Et,de là,unearmeautomatiquetire ses rafales dans l’embrasure du blockhaus. Les balless’écrasent contre le tablier d’acier qui protège le tireur oupénètrentenclaquantdansleblockhauspourallerseficherdanslesparoisdetroncsd’arbre.Deuxlégionnairesdontmontireur,quis’étaientmisàdécouvertuninstant,sonttuésauprèsdemoi.Onrepousseleurscadavressurlecôtéetoncontinue.Jeprendslaplacedutireur.J’aitrèsbienrepérélesflammes

qui sortent du canon du fusil-mitrailleur tirant dans notredirection,etjelescentreparfaitementdansmalunettedevisée.L’armeautomatiqueestrapidementréduiteausilence…pouruntemps.

*

17SEPTEMBRE

Évacuationdelaplagependantlanuit

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Verslemilieudelanuit,lasectionOelschlagelestdébordée.Elle se replie vers mon blockhaus qui devient le pôle derésistance de la citadelle et l’objectif le plus visé parl’adversaire.Jefaistireraumortierde60mmsurlaplageavantpour protéger le repli de la section. Dès qu’elle a décroché,j’ouvrelefeuaucanonsurlesbâtimentsquimecachentlaplageavant et d’où partent des tirs d’armes automatiques. Les obusperforants sont parfaits pour ce travail. Le blockhaus a étéconstruitsurunepartielégèrementsurélevéequidominedeplusd’un mètre la partie nord de la citadelle. Quelques marchespermettentdepasserdel’uneàl’autre.Orc’estcetescalierqu’ilfaut emprunter pour se rendre à la soute à munitions. Il estmaintenant directement sous le feu adverse. Mes légionnaireshésitentàs’yrisquerpourallerchercherdenouveauxobus.J’enprends deux avec moi et nous bondissons vers la soute, d’oùnous revenonsaussivite. Jemerendscomptealorsque jesuisblesséauxdeuxjambes.Danslefeudel’action,jen’avaisriensenti.

Contre-attaqueauleverdujour.Combatsaucorps-à-corps

Au lever du jour, appuyée par un feu nourri d’armesautomatiques et du canon de 57, la section Oelschlagelregroupée repart à l’assaut de la plage avant, baïonnette aucanon et reprend les positions qu’elle occupait au début de lanuit,auprixdecombatsaucorpsàcorpsd’uneférocitéinouïe.Curieusement,c’estmoiquiluidonnesesordres.Moncapitaineest invisible et introuvable. Le jour finit par se lever sur unpaysage de ruines. Partout déjà l’odeur de la poudre et de lamort. Le ciel est clair. Tout le monde pense au parachutage à

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CHAPITREIV

QUATREANNÉESDERÉÉDUCATIONAUCAMPN°1(septembre1950–septembre

1954)

EnrouteverslePCviêt

Marchedanslanuitàlalueurdestorches

Je marche vers l’est pendant des heures sur une pisteinconnue tracée dans la jungle, à l’abri des reconnaissancesaériennes, tandisqu’ensens inverse trottinesansbruitune fileinterminable de femmes de race thô, portant en direction deDongKhêdelourdeschargesdemunitionsetd’armeschinoises.C’estcelalalogistiqueViêt-minhinconnuedenosétats-majors.Ces coolies embrigadés, plus ou moins volontaires, ontl’avantagesurnosGMCdepouvoirpasserpartoutsanssefaireremarquerparnotreaviationdereconnaissance.Meslégionnairesm’ontreconnu.Ilss’adressentàmoienme

tutoyant,«pourqu’onnesachepasquevousêtesunofficier»,me disent-ils. Je suis touché de cette marque de respect etd’affection.Lanuitvenue,lesbo-doïquisontmêlésànous,allumentdes

torches de bambou et nous devenons un serpent lumineuxondulant dans l’obscurité, apparaissant et disparaissant au grédescontoursdelapisteetdelavariétédesreliefs.Jesuisépuiséet commence à ressentir durement les effets demes blessures.

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Monoreillegauchedevientdeplusenplusdouloureuseetmatête est remplie de bruits et de sifflements étranges. Jen’apprendraiquebeaucoupplustardqu’ils’agitd’acouphènes.Je n’ai pratiquement pas mangé depuis trois jours et j’ai trèssoif.Verslemilieudelanuit,nousnousarrêtonsdansunvillageetjem’écrouledanslapremièremaisonquel’onmedésigne,àmêmeleplancherdebambous.Jenesaispasoùjesuismaisjesombredansunsommeilquiatoutdelapertedeconnaissance.

Premièrerencontreavecuncommissairepolitique.Trahiparunefemme!

Nousrepartonsdebonmatin,aprèsquelquesheuresdereposet un bol de riz accompagnéd’un autre bol de thé.Versmidi,nousfaisonshaltedansunevastecaverneetsommesrassemblésen colonne par trois devant un cadre viêt qui a l’assurance deceuxquienvoientlesautresaufeu:c’estmonpremiercontactavec un commissaire politique. Il est accompagné d’une jeunefemmequejereconnais.C’étaitlatenancièreduBMCdeDongKhê que j’avais rencontrée lors d’une patrouille de service enville dans son« établissement ».Elle en avait profité pourmefaire des avances que j’avais déclinées. Je l’avais visiblementvexéeetluiavaisfaitperdrelaface.Etlemomentestvenupourelle de se venger… dans l’espoir d’échapper à son sort deprisonnièretraîtresseàsonpays.

Je suis assis par terre au milieu de mes légionnaires. Jeconstate avec horreur qu’ils ne sont pas plus d’une trentaine.Maisoùsontdoncpasséstouslesautres?Uneseuleréponsemevient à l’esprit : morts ou blessés intransportables. Lecommissairepolitiqueprendlaparole:«Ilyaunofficierparmi

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vous. Qui est-ce ? » Pas un seul légionnaire ne bouge ni neparle. « Nous savons qu’il est parmi vous », poursuit lecommissaireensetournantverslajeunefemmeetenéchangeantquelquesmotsavecelle.Leslégionnairesnebronchenttoujourspas,mais j’ai trèsbiencomprisqu’ilétait inutiledemecacherdavantage, car cette femme semble prête à tout pour sauver sapeaudontjenedonnepascher.Jemelève:«C’estmoi.»Onme lie lesmainsderrière ledoset jepars, sous lagarde

d’un bo-doï armé, non sans avoir dit un au revoir à meslégionnairesémusetinquiets.

RetrouvaillesaveclelieutenantHéry.Notrepremierrepasdepuistroisjours

Je suis conduit dans un village proche où je retrouve lelieutenant Héry et trois de ses légionnaires qui viennentd’arriver. Ils ont tenté une sortie de la citadelle la veille aumatin, mais se sont fait capturer aussitôt par les Viêts. Jedemande des nouvelles des autres officiers. Ils ont quitté lacitadelleensemble,avant le leverdu jour, avecunepoignéedelégionnaires, pendantque, sans le savoir, je couvrais leur fuiteen continuant à tirer au canon sur les positions viêts. J’ail’impressiond’avoirétélâchéettrahiparmeschefs.Eux-mêmesporteront cette honte durant tout le reste de leur vie qui serabrève.Car,cejour-là,ilsontjetélediscréditsurlesdéfenseursde Dong Khê qui n’ont jamais reçu les honneurs qu’ilsméritaient.Touslesofficiersn’enrecevrontpasmoinslaLégiond’honneur«pour faits deguerre exceptionnels», commeon al’habitudedeladonnerauxofficiersquisontportésdisparusaucombat ou en service commandé. Simple décisionadministrative.

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J’ai beau protester dema culpabilité, il ne veut rien entendre.Maisdansmonforintérieur,jesensmonterenmoilahonte.JemedemandeaussicommentcechefdecampconnaîtsibienmonCV…etceluidemescamarades.Je suisnéanmoinsconduit chez lecommissairepolitique. Je

suppose que c’est la voie hiérarchique normale. Et là, autreaccueiletautreton.«Oui,jecroisquevousavezvolécepoulet.Vousvousêtesmalconduitenvers lepeuplevietnamiensibonqui vous loge et vous nourrit. Vous avez une mentalité decolonialisteetd’impérialiste.Vousserezpunipourcettefaute!»Lahaineselitdanssonregard.«Qu’avez-vousàmedire?».Jenerépondspas.Unmomentplustard,jesuisconduitaupieddelamaisonoù

logelechefdecamp,devant l’étableàbuffles.Lecommissairepolitique, en présence du chef de camp, lit mon acted’accusationd’oùilressortquejemesuisrenducoupabled’unefaute grave à l’égard du peuple vietnamien et que je suiscondamnéà24heuresd’enfermementaveclebuffle,sansboirenimanger.

Lepiren’estjamaiscertain

Commencealorsuntête-à-têteplutôtinsoliteaveccetanimalrendufurieuxparmonodeurdeBlancetheureusementattachéàunpiquetparunecordepasséedanssesnaseaux.Jem’assiedssuruntroncd’arbrecreux,contreunpilierdelamaison,horsdeportée du buffle qui ne cesse de tirer sur la corde dans madirectionensoufflantet enagitant la têtede façonmenaçante.apparemmentmaprésencedanssondomaineluiparaîtdéplacée.Jepartagesonopinion.Il n’est pas loin de midi. J’ai du temps devant moi ! Je

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constate avec soulagement que les porcs sont dans un enclosfermé. Dans l’espace réduit où je me trouve, entre porcs etbuffle, se trouve un van mécanique destiné au décorticage dupaddy.Lesenveloppesdegrainsderizmêléesàlapailleformentuntassuffisammentdouilletpourmedonnerl’idéed’yfairemacouche pour la nuit. En attendant, je réfléchis, assis sur montroncd’arbre.Ladifférencede comportement àmonégarddesofficiersdel’arméepopulairevietnamienneetdescommissairespolitiques, lescan-bô, formés à la chinoise dans les écoles duParticommuniste,estdéjàévidente.Lesunssebattentpourleurindépendance,lesautres,pourfairetriompherlarévolutiondontilsespèrentêtre,d’ailleurs, lespremiersbénéficiaires.Pour lesuns nous sommes de simples soldats vaincus, pour les autres,desennemisdeclasseetdescolonialistesàrééduquer.Chezlespremiers, un authentique patriotisme ; chez les seconds, unevéritablehainedeclasse.Jem’étonnequepersonnenenousaitparléde cegenredeguerred’unnouveau style.Mais, au fondqui pouvait la connaître ? J’ai l’impression de pénétrer unmonde nouveau, de me trouver aux avant-postes d’une guerreinconnue de nos états-majors. Mais je hais déjà lescommissairespolitiques.

Lanuittombetrèsvitedanscetteétable.Maisautraversdeslattes du plancher, j’aperçois un peu de lumière qui filtre au-dessus de ma tête. C’est la lumière de l’âtre qui ne s’éteintjamais, près duquel est posée la marmite qui garde le riz auchaudpourtoute lafamille.J’aifaimet j’aisoif.Soudain,unetrappe s’ouvre au-dessus demoi et un brasme tend une largecai-bat (un largebol)rempliederizetdemorceauxdeviande,suivie,uninstantplustard,d’unethéièrebrûlanteetd’unverre.Celafaitplusieursjoursquejen’aipasfaitunrepaspareil!Untempsplustard,latrappes’ouvredenouveauetlemêmebrasme

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fait signe qu’il veut récupérer sa vaisselle. Puis je reçois unecigarette,suivieaussitôtd’untisonpourl’allumer.Jecommenceà trouver ma prison plus vivable. Mais au moment où jecommenceàaménagermonemplacementpourdormiraupiedduvan, la trappe s’ouvre pour la troisième fois et le même brasanonyme et muet me tend une couverture. Je n’osemême pasdiremerci,tantjecrainsderomprecesilence.Maisjesuissûrque ces initiatives qui vont à l’encontre de la décision ducommissairepolitiquenepeuventémanerqueduchefdecamp.Je pense aussi, avec encore un peu plus de remord, qu’il esttoujours persuadé de mon innocence. Une chose me paraîtcertaine:jenevoleraiplus.Etcen’estpasl’attitudeméprisanteet hostile du commissaire politique quim’y encouragera,maiscelle, si noble et si humaine, de ce chef de camp qui ne secomportepasàmonégardcommeunennemi.

Adieubuffle,cochons,poulet!

Auleverdujour,jereçoisparlavoiehabituelleuneautrecai-batde rizetunverrede théquisontprestement récupérésdèsquejelesaividés,enmêmetempsquemacouverture.Ainsinesubsisteplusdansl’étableaucunetraced’infractionsauxordresducommissairepolitique.Mais cette fois, j’ai bien reconnu lechefdecampdansl’entrebâillementdelatrappe.En attendant l’heure dema libération, je reprendsma place

sur le tronc d’arbre. Et se produit alors un incidentinimaginable.Unpoulet,vraisemblablementchasséetblesséparquelque prisonnier maladroit dont l’estomac criait famine, etque mon exemple n’avait pas suffi à décourager, surgit dansl’étable,caquetantetbattantdesailes,etvientseréfugierdansle tronc d’arbre creux sur lequel je suis assis. La surpriseme

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l’habitant,toujourssoucieuxdenepasattirerlesmauvaisespritsdanssamaison.Suprêmedélicatesse…J’entendsmescamaradess’opposer énergiquement àmon transfert. Puis jeme remets àdélirer. Durant toute la nuit, je me vois gravir une montagne,monlourdfardeaudeboismortsurledos.Jeveuxarrivercoûtequecoûteausommetquelesarbresmecachent.Jeneveuxpasm’arrêter pour souffler. J’ai réellement la sensation d’êtredédoublé.Unepartiedemoiesten traindemourir.L’autres’yrefuse et lutte avec tout ce qui lui reste de forces. Je grimpetoujoursetsuisépuisé.Jegrimpeencore,quandsoudainj’arrivesur lesommet. Ilest recouvertd’uneherbe tendreetdefraîcherosée matinale. Je vois le soleil se lever et je me couchedélicieusementsurcetteherbehumide.Jesuisarrivé.Mafièvreest tombéeau leverdu septième jour. Je suis sauvé. J’aigagnémon combat contre la mort. Yves de La Croix-Vaubois s’entirera aussi. Nous sommes les deux seuls à avoir vaincu letyphus.Merciàmescamaradesquiontrefusémontransfertàlamorgue ! Leur amitié était plus lucide que la science de nosmédecins.

MortsdulieutenantHippertetdulieutenantBéraud-Sudreau

Lesjoursquisuiventonttoutdelarésurrection,maisjeperdstousmes cheveux, et je n’yvoisqu’au traversd’unbrouillard.En l’espace de trois semaines je suis sur pied et demande àrepartirencorvéederiz.Mavueest redevenuenormaleetmescheveuxrepousserontfriséscommeilsnel’ont jamaisétépourleplusgrandétonnementdemescompagnons.Mais avant de repartir sur les pistes, j’assiste dans ses

derniers moments Hippert, mon camarade légionnaire du 1er

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BEP.C’estuncolossequesarationquotidiennederizn’arrivepasànourrirsuffisamment.Déjàtrèsaffaibli,ilestatteintd’unedysenterie bacillaire qui l’a complètement vidé en quelquesjours. Il est déjà à lamorgue. Je profite dema convalescencepour m’occuper de lui avec mon camarade et ami Xavier deVilleneuve. Sentant la mort venir, Hippert, obsédé par lesmouchesqui flairentdéjà lecadavre,nousdemandede le lavercomplètement,deleraseretdelecoiffer,cequenousfaisonsdumieux possible, en pensant à la légende des trois centsSpartiates de Léonidas aux Thermopyles, qui se recoiffèrentavantd’affronterlesPersesetdemourir.Ilmourradanslanuit.J’airarementvuunemortaussidigne.Maisjen’aijamaisoubliél’odeur putride, caractéristique de ce genre demaladie, qui sedégageaitdececorpsagonisantdéjàendécomposition.Ellemepermettradediagnostiquercemalchezundemesvoisinsde«chambrée»,ClaudeBéraud-Sudreau,quis’éteindraàmescôtésetdontj’accueillerailafilleHélène,devenuepharmacienne,plusde trente ans plus tard, dans les Laboratoires Servier. Ellen’avaitjamaisconnusonpère…

MortducapitaineCazaux.ArrivéeducommissairepolitiqueKy-Thu

PuisvientletourducapitaineCazaux,commandantle3eBCCP, qui s’est fermement opposé à toute signature de

manifeste et qui suscite l’admiration et l’affection de tous. Ilmeurt en quelques jours, probablement emporté par unedysenterie bacillaire. Mais avant de nous quitter, il nousdemanded’accepter de signer lesmanifestes àpeuprès en cestermes:«Ceseraunemanièredefairesavoiràvosfamillesquevous êtes en vie, et plus vous serez nombreux à signer ces

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manifestes, plus ils s’en trouveront discrédités. Ne faites pascommemoi.»Ilenesttemps,carlenombrededécèsnecessed’augmenter.

Et c’est sans doute la cause du départ de notre chef de camp,gracieusement surnommé« leRongeur », et son remplacementpar un jeune can-bô, Ky-Thu, marxiste convaincu mais quis’avèrera intelligent,honnêteetsoucieuxdepréserver laviedesesotages.IlcréeunComitédepaixetderapatriement(sous-entendu:

ducorpsexpéditionnaire français…etnonpasdesprisonniersfrançais)dontladirectionestconfiéeparvoiedevoteàdeuxdenos camarades, le capitaine Faugas et le lieutenant Beucler4,tous deux du 11e tabor. Beucler est chargé en outre del’organisationdutravaildesprisonniers,cequireprésentepournousunprogrèssensible.Nousapprochonsdel’autogestion!

Et,dujouraulendemain,toutlemondesignelesmanifestesdès lors rédigés par le Comité. Je ne sais si le commissairepolitique est dupe ou s’il croit que notre niveau d’instructionpolitiques’estréellementamélioré,parsuited’unsautqualitatifbrusqueoudesoninfluencepersonnelle.Entoutcas,trèsvite,nosconditionsdevievonts’améliorer,encommençantparnotrealimentation.Nosrationsderizsontquotidiennementpeséesenprésencedenotre responsable,cequinesuffirapas toujoursàdéjouer les mauvais tours de « l’intendant » viêt. Nos treillismilitaires en loques sont remplacés par des vêtements denhà-quê(«paysan»)dudelta,c’est-à-dire,annamiteetnonthô.Leurcouleur aubergine (cunao) les distingue tout à fait du bleuindigo porté par les populations locales. La façon en est trèssimple : une tunique courte sans col et un pantalon très largequ’onpeutremonterenl’enroulantsurlescuissespourtravailler

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m’adresserlaparole.Jetrouveuneastucepourm’éloignerdelafoule.Jemeproposepouraiderlechamanquivapartiraveclebébédansuncouffin afinde luidénicherun lieude sépultureignorédetousetsibiencachéquelema-kouineretrouveraplussamaison.Nousnousenfonçonsdanslajungleenzigzaguantetenfaisantplusieursallers-retourspourégarerlemauvaisesprit.J’avoue avoir étémoi-même perdu au bout d’une heure.Maistoutenmarchant,Menendezmeracontesonhistoire.Ilsedéplaçaitdanslarégionavecungroupedelégionnaires

originairesdespaysnoncommunistes.Atteintd’unefortefièvrepersistante, peut-être d’un typhus, il avait été laissé dans cevillage jusqu’àguérison,sinonpourymourir.Cela faisaitplusde sixmoisqu’il était là, en excellents termes avec le chamanqui l’avait guéri et qui en avait fait son assistant. Sa seulepréoccupation était de savoir combien de temps il allaitcontinueràjouercejeu-là.

Nousabandonnons lebébéprèsd’un ruisseau,dansun trouquelechamanrecouvredeterre.Iln’estplusquestiondeprièressurcettetombepitoyable,presquehonteuse…Lapremièrecrueemporteralema-kouiavecl’enfant.Lechamanafaitsontravail.Ilvaprendrepartaurepasdefamille…avecMenendez.

Rencontreaveclechasseurdetigres

JereparsquelquesjoursplustardavecmongroupemaissansMenendez de plus en plus inquiet sur ses perspectivesd’avenir…Ilcraintd’êtredevenutroputileauchamanetd’êtreoubliédanscecoindejungleoùonl’aabandonnémourant.Enmarchantvers lecoldeLéa, jerencontreunvieilhomme

dontlebrasgaucheestsérieusementmutilé.Ilporteunepétoire

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rafistolée avec des bouts de fil de fer. C’est un chasseur detigres.Ilprétendqu’ilyenabeaucoupdanslarégionetconvientque lavétustéde sonarme l’obligeàprendredes risques.Sontonest amèneet amical. Il plaisante et rit avecmoi.Et je suistoujours surpris par l’affabilité de ces montagnards inconnusqu’ilm’arrivedecroisersurlespistes,preuvequelapropagandeanticolonialiste a peu d’effet sur ces hommes qui s’étaientrangésducôtédesFrançais,etquelesrapportshumainsrelèventd’une alchimie qui ignore les idéologies et les frontièrespolitiques.NousfranchissonslecoldeLéa.Jusqu’icileseauxdetoutes

les rivières rencontrées et traversées finissaient plus oumoinsdirectement en Chine, dans le Yang-Tsé-Kiang. Après ce col,noussommesdanslebassindufleuveRouge,c’est-à-direqu’ennous laissant emporter par le courant de la première rivièrevenue,nouspourrionsarriveràHanoienquelquesjours…Maisc’estplus facileà imaginerqu’à faireetc’estcomptersans lesrapides de la rivière Claire. Quelques camarades tenterontl’aventureetserontreprisunoudeuxjoursplustard.Personnene parviendra à s’évader du camp n° 1, situé toujours très enarrièredeslignesfrançaises,etprotégéparunefortedensitédezu-kich(«guérilleros»),voiredesimplesnhà-quê(«paysans»),stimulésparl’appâtdelarécompenseencasdecaptured’untu-binhévadé.

DirectionlarivièreClaire.RencontreémouvanteavecunMan

Parvenus à la hauteur deBacKan, nous quittons laRC3 etprenons plein ouest, à travers un massif montagneux couvertd’une épaisse jungle. La saison des pluies est de nouveau là.

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Cela fait plusieursmois que nousmarchons à raison d’étapesmodestes d’une quinzaine de kilomètres car la fatigue se faitsentirdurementpourquelques-uns.Maintenantquenousavonsquittélarouteplate,lapistedemontagnesouslapluiedevientdifficile et pénible. Nos pieds nus, avec le temps, se sonthabituésauxcaillouxduchemin.Lapistepartempssecestunegâteriecartousceuxquil’empruntentladébarrassentdelapluspetitepierreoudelamoindreronce,toutendamantdeleurspasla terreargileusequidevientau fildu tempsunvéritable tapisélastique.Maisquandilpleut,lapistequimonteouquidescendprenddes airs de tobogganpour ceuxqui, commenous, n’ontpas la chance d’avoir les orteils prenants. Je suis toujoursstupéfait par la façondont lesbo-doï savent se servir de leurspiedsquifinissentparêtreaussihabilesqueleursmains.Voilàquinousramèneàquelquesmillénairesenarrière.Etmalheuràceuxqui,descendusdel’arbre,nesaventplusyremonterquandlanécessitélesypousse!

Les paysages que je traverse sont splendides. Une fois deplus, j’ai pris la tête de la colonne pour être le premier à lesdécouvrir.Àunmomentnotrepistesurplombeunerivièredontles eaux sont encore si claires que l’on y voit passer de grospoissons. Nous montons toujours plus haut, au milieu d’uneflore impressionnante par ses dimensions, sa densité et savariété. La couleur verte domine très largement, mais sesnuancessontinfinies.L’odeurdepourriturequisedégagedelavégétationendécompositionestpartoutperceptible.Parvenusàun col, la forêt fait place à de hautes herbes extrêmementcoupantes qu’on appelle « herbes à éléphants ». Et là, je voisquelquespaillotesd’oùsortunhomme,unManapparemment,appartenant à une minorité montagnarde pro-française. Ils’avance versmoi avec des tasses de thé sur un plateau, signe

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communismeauratriomphéetlemondevivraenpaix.»J’avaiscomprisdepuislongtemps,etjenepuism’empêcherdepenserànos généraux, tout droit débarqués de France, qui font uneguerre classique à un ennemi de classe, dont ils ignorent lesmotivationsprofondes,lesméthodesetlesobjectifsréelsàlongterme.EtjepenseaussiàtouscesFrançaisquinecomprennentrienàlapartiequisejouesiloindechezeux.

Unjour,onrequiertdesvolontairespourallerdansunvillagevoisin chercher du « matériel », sans autre précision. Je parsdoncavecunpetitnombredecamaradesaussiintriguésquemoi,espérant quand même qu’il s’agit des restes d’un précédentparachutage. Il ne s’agit en fait que de matérielcinématographiqueetdequelquesbobinesdefilmsrépartisdansdespaniers. Je reviensaucamp,chargécommeuncoolie,avecmonbalancieretsesdeuxchargesdevingtkiloschacune.Celafait longtemps que j’ai appris à trottiner sur les pistes ou lesdiguettesavecuntelchargementetàfairepivotermonbalancierd’une épaule à l’autre en cours de route, sans interrompre lacadence.Car tout le secret de ce genre de transport consiste àmettre en phase le mouvement vertical et simultané des deuxchargesavec lespasduporteur. Iln’yapasd’autresfaçonsdeprocéderquedefairedepetitspasrapidesenrasantlesolpourévitertoutchaosintempestif.Etc’estainsiqu’avecunepoignéede camarades j’ai appris à transporter de lourds récipientsremplisd’eausansenrépandreunegoutteparterre.Maisilyalà encore un autre secret : il suffit de placer sur la surface del’eauquelqueslargesfeuillespourla«solidifier»etempêcherainsilesdébordementsencoursdetransport.Le retourdenotregroupeest attenduavecunecuriositéqui

tourne vite à la déception. Ce qui ne nous empêche pas, lelendemainsoir,d’assisteràlaprojectiond’unopérachinois:La

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fille aux cheveux blancs, dont le message idéologique nouséchapped’autantplusque lesdialoguessontenchinoisetqueles voixde tête des acteurs (hommesou femmes) finissent parnousagacer.

*

LachutedeDiênBiênPhu.Arrivéedenouveauxprisonniers

Quelques jours plus tard arrivent les premiers officiers faitsprisonniersàDiênBiênPhu.Pareux,nousapprenonsenfinlesdétailsdelanouvelletragédiequiestentraindesejouerlà-baset les raisons de cette absurde implantation dans une cuvettedominéedepartoutpardeslignesdehauteursquelesFrançaiscroienttenirparcequ’ellessontsouslefeudeleurartillerie!Ils’agitde«fixer»lesforcesduViêt-minhetdelesanéantirpourlesempêcherd’atteindreleLaos.Maisnousapprenonsenmêmetemps qu’une conférence doit se tenir « prochainement » àGenèveavecMendès-Francepourydéciderdesconditionsd’unarrêtdeshostilités…

LanouvelledelachutedeDiênBiênPhunousestannoncéedès le 8 mai par Ky-Thu, sur un ton qui surprend par sadélicatesse. Ce n’est pas le commissaire politique triomphant,maisunsoldatquiparleàd’autressoldats.Jen’aipasoubliécejour-là, tout enmedisant queKy-Thu avait sûrement reçu desinstructions pour nous parler avec cette retenue. Une choseparaît certaine : la fin de nosmalheurs approche.Et ceci peutexpliquercela.Un mois plus tard, ce qui reste des officiers prisonniers à

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Diên Biên Phu nous rejoint. Les voilà donc, les prisonniersfantômespour lesquelsnousavonsconstruit tantdepaillotes !Les Viêts avaient parfaitement prévu et organisé leur victoire.Décidément le géniemilitaire n’était pas du côté denos états-majors.Mais l’héroïsme sur le terrain, lui, était biendes deuxcôtés.Lalonguemarcheaépuisélesnouveauxvenus.Beaucoupsontmortsenroute.Laplupartsontblessés,encore«sonnés»par leurs durs combats, et les conditions humiliantes de leurcapture.Leurmoralestauplusbas.Leurschefsnesontpasaveceux. Ilsontétédirigéssurunautrecamppour leurévitercettemarcheharassantede400kilomètres.

Tout d’abord logés chez l’habitant, de l’autre côté de larivière,c’est làquejevaisvoir tous les joursmescompagnonsnouveaux venus, enma qualité toute récente de« responsableéludel’organisationdutravailpourlesnouveauxprisonniers».Jeretrouvedescamaradesperdusdevuedepuisdesannées.L’und’eux était mon lieutenant ancien au 7e tirailleurs algériens àTrèves, en 1947 ! Mon rôle consiste à faire bouger les plusvalidespourlesameneràprendrepartauxactivitésducampetàprotéger les plus handicapés.Mais pour en arriver là, je doisleurexpliquerquenousavonsconquispetitàpetit,enprèsdequatreans,lalibertéd’organisernotreexistencequotidienne,etque toute activité physique, tant qu’elle n’est pas imposée parlesViêts, ne peut être que salutaire.Dans l’ensemble, ils n’enreviennent pas de voir le dynamisme de ces vétérans qui ontpasséplusieursannéesdanslescampsaumilieudelajungle.IlsontdumalàcomprendrenotreorganisationetnesontpasloindepenserquenousfaisonsletravaildesViêts.Ilscomprennentvite quand je leur explique le prix que nous avons payé pourobtenircemodusvivendiqui,finalement,arrangetoutlemonde.Jeleurdisaussiquenousavonsattenduunanpourcommencer

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ANNEXEI

LettredemonchefdecorpsàmamèreLa lettre qui suit – dont une certaine naïveté reflète par

endroitsladésinformationdenostroupes–aétéenvoyéeàmamère en novembre 1950, soit deux mois seulement après macapture,parlecapitaineLabaume,commandantmonbataillon.Je garderai par la suite les excellentes relations que j’avais

entretenues avec lui sur la RC4 et, àma demande, servirai denouveausoussesordresen1959et1960,dans leSud-Oranaiset leConstantinois, comme commandant de compagnie au 30egroupedechasseursportés.Quelques annéesplus tarddans lesAlpesoù il commandait

une unité alpine, le commandant Labaume quoiqu’excellentskieur,futemportéparunecouléedeneigesouslesyeuxdesafemme.Avant l’Indochine, pendant la seconde guerre mondiale, il

avaitdébarquéenNorvègeàNarviken1940avec la13edemi-brigade de la Légion étrangère puis avait combattu en Libyecontrel’AfrikaKorpsen1943.J’aitoujoursregrettéladisparitiondecetofficierdontj’avais

éprouvé sur le terrain les grandes qualités d’honnêteté, demodestie et d’humanité que certains esprits superficiels etsimplistesauraientpuprendrepourdelafaiblesse.Sesbrillantsétats de service le destinaient à des postes importants où jel’auraiscertainementsuivi.Ainsiledestintient-ilparfoisàdesrencontresquisefontousedéfont.

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ANNEXEII

UneécolefrançaiseàDongKhê52 ans plus tard, grâce aux subventions de tous les anciens

prisonniers du Viêt-minh et à l’action personnelle de moncamarade légionnaire, le colonel Jack Bonfils, une écolefrançaiseestnéedanslevillagereconstruitdeDongKhê,surlesitemêmedessanglantscombatsquiavaientopposéFrançaisetVietnamiens en 1950, puis quelques années plus tard,VietnamiensetChinois.Ainsilavieareprisetcontinuedanscettecuvetteperduede

la Haute Région, dont le sol a été imbibé de tant de sanggénéreux.Etc’estsansdoutelarépliquelaplusintelligenteetlaplushumaineàlavanitédetouscescombats.MerciJack!

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REMERCIEMENTS

Jetiensàremercierplusparticulièrement:

– le colonelRenéCagnat pourm’avoir ouvert les portes deséditions Le Rocher, pour m’avoir fait partager sonexpérienced’écrivainets’êtreproposépourécrirelapréfacedemonlivre;

– lecontrôleurgénéralDanielHervouët,pourl’attentionqu’iln’apascessédemetémoigneretsesconseilsprofessionnelsquim’onététrèsutiles;

– legénéralClaudeAscensietlegénéralJean-PierreJacobquiont bien voulu assurer la relecture demonmanuscrit sanscraindre de semontrer des correcteurs impitoyables et quin’ontpasménagé leurs effortspourassurer ladiffusiondemonlivre.

À chacun je dis ma reconnaissance pour l’aide qu’ils m’ontspontanémentapportéeetquiabeaucoupfacilitélaparutiondecetouvrageenmêmetempsqu’elleaenrichinotreamitié.

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TABLEDESMATIÈRES

PRÉFACE

CHAPITREPREMIER–DESAINT-CYRÀLALÉGIONÉTRANGÈRE

CHAPITREII–LIEUTENANTAU3EÉTRANGER(juin1949–septembre1950)

CHAPITREIII–CAMERONEÀDONGKHÊ(7–18septembre1950)

CHAPITREIV–QUATREANNÉESDERÉÉDUCATIONAUCAMPN°1(septembre1950–septembre1954)

CHAPITREV–LIBRE,ENFIN!(28août–10septembre1954)

CONCLUSION

POSTFACE

QUELQUESRÉFLEXIONS

ANNEXEI

ANNEXEII

REMERCIEMENTS