boyer. christianisme et néo-platonisme dans la formation de saint augustin. 1920

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    Digitized by the Internet Archivein 2011 with funding from

    University of Toronto

    http://www.archive.org/details/christianismeeOOboye

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    LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN

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    CHRISTIANISME ET NO-PLATONISMEDANS

    la miinf di mummTHSE COMPLMENTAIRE

    POUR LE DOCTORAT ES LETTRESPrsente la Facult des Lettres de l'Universit de Paris

    PAR

    Charles BOYER Hoc nomen salvatoris mei

    Filii tui, in ipso adhuc lact matris,tenerum cor meum praebiberat etalte retinebat : et quidquid sine hocnomine fuisset, quamvis litteratumet expolitum et veridicum, non metStiim rapiebat.

    (Confessions, 1. III, c. iv, n. 8.)

    PARISGABRIEL BEAUCHE8NEII7, RUE DE RENNES, II7

    I92O

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    I G833

    Nihit obstatTolosae, I* maii 1920.

    F. Cavallera,Censor depiitoAus.Imprimatur

    Tolosae, 5 maii 1920.F. Saleicd,pic. ''',

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    A LA MMOIRE

    DU PERE EUGENE PORTALIEDR LA COMPAGNIE DE JSUS,PROFESSEUR A L'INSTITUT CATHOLIQUE

    DE TOULOUSE.

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    Ce travail doit beaucoup aux encouragements et auxdirections de deux matres dans l'histoire des premierssicles chrtiens : M. Aim Puech, professeur la Facultdes Lettres de l'Universit de Paris, et M. FerdinandCavallera, professeur de thologie positive VInstitutCatholique de Toulouse.

    Qu'ils veuillent bien agrer l'expression muede notre reconnaissance.

    Charles BOYER.

    Maison d'tudes philosophiques de Vais,prs Le Puy-en-Velay,le 21 avril 1920.

    80.5 ~T.619

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    INTRODUCTION

    Article premier. Notre objet.L'ardeur avec laquelle on s'est port depuis prs d'un

    sicle l'tude de l'histoire des dogmes ne pouvait man-quer de susciter un renouveau des tudes augustiniennes.Le rle de saint Augustin dans la formation de la thologiecatholique est hors de pair. Il a recueilli l'hritage desgrands docteurs qui l'avaient prcd, il a dgag despratiques traditionnelles les croyances qu'elles impli-quaient, il a scrut lui-mme pendant quarante-cinqannes les sources scripturaires. De tant de richessesamasses, il a compos une synthse puissante, o setrouvent intimement fondus les apports de la religionnouvelle et les acquisitions de la philosophie antique. Ilest le docteur de la grce et le docteur de la Trinit,dominant la fois, avec une autorit inconteste, lesdiscussions sur ce qu'il y a de plus dlicat dans les ensei-gnements pratiques du christianisme et sur ce qu'il y ade plus lev dans sa spculation. Il a t l'un des matresprincipaux du moyen ge. La "rforme et le jansnismese sont rclams de lui. Aujourd'hui, son nom et sestextes remplissent les manuels et les traits des tholo-giens ; et dans les problmes de l'apologtique, peu touchsau moyen ge, ses mthodes et ses solutions apparais-sent tonnamment opportunes. Expliquer saint Augustin,son volution et ses doctrines, ce serait avancer profon-dment dans la connaissance des sciences thologiques etde leur dveloppement.

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    2 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.

    1. La thorie rcente sur la conversionde saint Augustin.Depuis une trentaine d'annes, de nombreux travaux

    ont eu pour objet de raconter par quelles tapes saintAugustin est arriv soumettre, aussi pleinement qu'ill'a fait, sa pense et sa conduite l'autorit de l'Eglise.Jusqu'alors, si l'on excepte quelques rserves de JeanPhrpon 4 , on avait accept en toute confiance l'autobio-graphie que saint Augustin nous a laisse dans ses Confes-sions. Les rcentes tudes, au contraire, par des systmesdivers et mme opposs, tendent, pour le plus grandnombre, transformer profondment sur ce point lesides traditionnelles. Une thorie se rpand, identiquedans les grandes lignes, sous des variations secondaires,qui n'entend plus comme une conversion au christianismela (( conversion de saint x\ugustin. Ce ne serait queplus tard, aprs sa retraite Cassiciacum, aprs son bap-tme mme, que le fils de sainte Monique serait revenuvraiment la foi de son enfance et aurait mis au premierplan, dans son esprit, l'enseignement catholique. Enattendant, il se serait abandonn presque uniquement l'influence des no-platoniciens.

    La gravit de cette conception apparat aussitt. Nonseulement elle modifie l'interprtation d'un des faits lesplus touchants de l'histoire des mes, mais encore, en

    i. Jean Phrpon (pseudonyme de Jean Le Clerc), 1 657-1 736, dans sesannotations aux livres de saint Augustin, et particulirement aux Confes-sions, met beaucoup de doutes et d'hypothses qui ont t rcemmentrepris. A propos de la scne du jardin, il crit : Sed rhetor noster, quodcum pace ejus dictum sit, omnia exaggerat, quibus persuadere poterat nonagi hic de homine vulgari sed singulari vocatione divinitus ad Ecclesiamallecto; quae tamen ex alius calamo rectius fluxissent (Migne, P. L.,t. XLVII, col. 210). Parlant des raisons qui rendraient les Confessions sus-pectes, il dit : Quae suspiciones, quamvis forte iniquiores sunt, ex inusi-tata tamen nascuntur ratione qua Augustinus cum Deo garrit atque argu-taiur, rhetoricoque fuco quo pictae sunt hae Confessiones (ibid., col. 21 3).

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    INTRODUCTION. 6faisant au no-platonisme la part principale dans la forma-tion de saint Augustin, elle inclinerait rserver cettephilosophie l'inspiration de doctrines augustiniennes dontl'importance doctrinale et historique est considrable.

    2. Ses partisans.C'est en 1888 que la thorie prit naissance. Elle apparut,

    peu prs en mme temps, et avec un souci de modra-tion presque gal, dans deux publications, entre lesquellesnous ignorons si quelque dpendance peut tre tablie.Dans un article de la Bvue des Deux-Mondes, du

    i er janvier 1888 d , Gaston Boissier tudiait saint Augustindans sa retraite de Cassiciacum et il opposait vivement le pnitent que dcrit le rcit postrieur des Confes-sions au philosophe que rvlent les Dialogues com-poss au moment mme (pp. 320-323). Nanmoins, ilestompait lui-mme par endroits le contraste et il le rdui-sait une diffrence de point de vue et un changementde couleur gnrale (p. 292). De son ct, M. Ad. Har-nack publiait, la mme anne, et dans le mme sens, uneconfrence dont l'influence semble tre plus souventreconnaissable. Tout en prenant grand soin de nuancerl'expression de sa pense, il dclarait qu'Augustin, Cassiciacum, ne s'inquitait de rien d'autre que de philo-sopher, que sa conversion n'avait pas t le change-ment radical qu'il prtend, qu'il est facile d'opposerAugustin Augustin, et que le rcit de Fauteur des Con-fessions anticipe beaucoup sur son volution relle 2 .

    1. La conversion de saint Augustin. Cet article a t rimprim moins la conclusion dans La fin du paganisme, Hachette, 3e d., 1898,pp. 291-325. Nous citons d'aprs le livre.

    2. Ad. Harnack, Augustin''s Confessionen, 2 Auflag., Giessen, 1895,p. 16 : Vieles von dem, was erst wahrend dieser Zeit in Augustin zurReife gekommen ist, hat er unbewusst in den Moment des Umschwungsversetzt , et p. [7 : So ist es nicht schwer, Augustin aus Augustin zuwiderlegen .

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    4 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.Friedrich Loofs accentua ces tendances. Mettant gale-

    ment en conflit les Confessions avec les Dialogues, il esti-mait que jusqu'en 391, cinq ans aprs sa conver-sion , Augustin n'tait qu'un no-platonicien de plusen plus teint de christianisme 1 . En 1900, M. LouisGourdon prsentait la Facult de thologie protestantede Paris un Essai sur la conversion de saint Augustin 2 .Il y disait avec une clart parfaite que, dans les Confes-sions et dans les Dialogues, nous sommes en prsencede deux conversions et de deux hommes diffrents (p. 46)et que les Dialogues sont bien en contradiction flagranteavec les Confessions (p. 5i). Augustin se convertitau christianisme vers 390 seulement, et encore n'est-ilpleinement chrtien qu' l'poque des Confessions, versl'an 4oo 3 . Dans un travail publi en 1908, le docteurH. Becker dclarait aussi nettement, ds sa premirephrase : L'volution d'Augustin a suivi un cours toutdiffrent de celui qu'il a lui-mme dcrit dans les Confes-sions^... Il reconstituait l'volution de saint Augustinsans dire un mot de la scne du jardin (p. 38), et repor-tait la mort de Monique le dbut de la conversion chr-tienne d'Augustin (p. 57).

    1. Fr. Loofs, art. Augustinus dans la Realencyclopdie fur prot. Stud.3e d., t. II, Leipzig-, 1897, et Leitfaden zum Studium der Dogmenge-schichte, Halle*, 1906; vg. pp. 348 et 35i.

    2. L. Gourdon, Essai sur la conversion de saint Augustin, Cahors, 1900.3. Ibid.y p. 87 : La conversion de saint Augustin, intimement lie au

    dveloppement gnral de sa pense et de tout son tre spirituel, a eu effec-tivement son terme dans les quelques annes qui prcdent l'an 4oo. Tandisqu'il nous disait lui-mme, dans les Confessions, que sa conversion avaitt parfaite d'un seul coup, en 386, nous disons qu'elle s'est lentementgraduellement effectue, qu'elle s'est peu peu complte, pour n'tre par-faite qu'en l'an 4 ', et P- 45 : En 386, Augustin passa par une crisequi le convertit : i aux bonnes murs; 20 la philosophie no-platoni-cienne. Ce fut tout.

    4. Hans Becker, Augustin. Studien zu seiner geistigen Entwickelung,Leipzig, 1908 : Die Entwickelung Augustins ist ganz anders verlaufen,as sie von ihm selbst in seinen Confessionen aufgefasst und in dieser Auf-fassung dann traditionnel geworden ist.

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    INTRODUCTION. 3La mme anne paraissait une tude trs rudite, deW. Thimme, qui s'opposait d'une faon plus radicale

    encore au rcit des Confessions l . Augustin, pendant saretraite Cassiciacum, n'est encore ni chrtien, ni mmeaffranchi du doute acadmique (p. 17); il devient, peu peu, un no-platonicien presque parfait; plus tard, Rome, il s'ouvre sans retour aux influences chrtiennes(p. 253) ; mais encore, sa conversion fut-elle jamais com-plte 2 ? Tout rcemment, M. Prosper Alfaric a intitul unpremier volume sur l'volution intellectuelle de saint Augus-tin : Du Manichisme au Noplatonisme 3 . Il reprend,en effet, et il aggrave les reproches qu'adressent auxConfessions les auteurs prcdents. Il considre Augustin,au temps de Cassiciacum, bien moins comme un cat-chumne presque uniquement occup de l'idal chrtien

    1. Augustins geistige Entwickelung in den ersten Jahren nach seiner Bekehrung , 386-3gi, Berlin, 1908. On lit, la page 11, cette cita-tion de Scheel {Die Anschauung Augustins ber Christi Person undWerk, s. 8) : Die Confessionen sind rein historisch betrachtet keineGeschichtsquelle.

    2. P. 254 : ... wenn auch seine Bekehrung- zum Ghristentum nochimmer nicht abgeschlossen ist wurde sie es niemals? 3. P. Alfaric, L'volution intellectuelle de saint Augustin; I. Du Mani-

    chisme au Noplatonisme, Paris, 1918, pp. i-ix, 1-556. Notre propretravail tait peu prs termin quand nous avons pu prendre connaissancedu livre de M. Alfaric. Nous l'avons cependant tudi avec le plus grandsoin ; et, si nous avons cru devoir maintenir contre lui nos principales con-clusions, nous n'en avons pas moins utilis, plusieurs reprises, le richerecueil de renseignements qu'il constitue.

    Apprciant l'ouvrage de M. Alfaric, dans la Revue philosophique(nov.-dc. 19 19, pp. 497 _5o5), M. Etienne Gilson, aprs des loges peucommuns, fait les rserves suivantes qui nous paraissent fort graves :

    10 L'Augustin que M. Alfaric dpeint critiquant pour la premire fois lemanichisme est un personnage historique possible et vraisemblable, nousne sommes pas sr qu'il ait t rel , p. 5o2.

    2 Pour l'histoire du scepticisme d'Augustin, M. Alfaric semble avoir conclu de ce qui pouvait tre ce qui a t . p. 5o2.

    3 Pendant quelque temps, Augustin crut avoir retrouv une seule etmme vrit dans Plotin et dans le christianisme, mais cette confusionfconde ne fut possible que parce que, ds le dbut, il lut les Ennades enchrtien , p. 5o3.

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    O LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.que comme un disciple de Plotin avant tout soucieux deconformer sa vie la doctrine du Matre. Et il ajoute : Moralement comme intellectuellement, c'est au no-platonisme qu'il s'est converti , plutt qu' l'Evangile (P- 399)-

    l 3. Ses adversaires.Bien que cette conception s'affirme avec une confiance

    croissante, elle a constamment rencontr des contradic-teurs.Ds 1892, F. Wrter rpliquait, mais trs brivement,aux initiateurs Boissier et Harnack 1 . Avec un peu plusd'ampleur, l'abb J. Martin s'en prenait Gaston Bois-sier, et soutenait que l'inspiration des quatre dialoguesest aussi chrtienne que celle des Confessions 2 . ContreLoofs et Gourdon, le P. Portali montrait, en quelquesalinas vigoureux,, le converti des Confessions dans lesDialogues 3 . M. Louis de Mondadon a insist, pour uneintelligence exacte des Dialogues, sur les proccupationsapologtiques du nouveau converti 4 . Enfin, M. W. Mont-gomery a combattu, dans une confrence sur la conver-sion de saint Augustin, l'argumentation de L. Gourdonet de Becker 5 .

    1. Fr. Wrter, Die Geistesentwickelvng des hl. Aurelius Augustins,bis zu seiner Taufe, Paderborn, 1892, pp. 64-66. Dans le Zeitschriftfur Thologie und Kirche, 7 e anne, Heft 1, R. Schmid consacrait dix-sept pages chercher une voie moyenne entre Harnack et Wrter.

    2. J. Martin, Annales de philosophie chrtienne, dcembre 1898 : SaintAugustin Cassiciacum, veille et lendemain d'une conversion, p. 307. Voir aussi le Saint Augustin du mme auteur (Paris, 1901), c. 11, art. 1.

    3. E. Portali, Diction, de Thol. cathol., Vacant-Mangenot, art. Au-gustin {saint), t. I, col. 2273-2274, Paris, 1903.

    4- L. de Mondadon, Etudes du 20 mai et du 5 juin 1909 : Les premiresimpressions catholiques de saint Augustin.

    5. W. Montgomery, S. Augustine, Aspects of his life and thought,II. His conversion, pp. 32-66. Citons encore les auteurs suivants, qui sesont prononcs, sans en faire l'objet premier de leur tude, pour l'harmonieentre les Confessions et les Dialogues : Hatzfeld, Saint Augustin, Paris,1898: Th. Bret, La conversion de saint Augustin, Genve, 1900, p. 8; von

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    INTRODUCTION.

    4. Notre but.Le prsent travail a pour objet d'tudier le point central

    de cette importante controverse : partir de quelle poquesaint Augustin s'est-il soumis sans rserve l'autorit del'Eglise catholique?

    L'tat de la discussion oblige prciser et dire : partir de quelle poque saint Augustin a-t-il plac dansson esprit l'autorit de l'Eglise catholique au-dessus de laphilosophie no-platonicienne? Ainsi, notre tche revient dterminer les relations du christianisme et du no-pla-tonisme dans la formation de saint Augustin. Nous ver-rons s'il y a lieu de renoncer l'opinion traditionnelle, quis'appuie sur les Confessions, et qu'on peut rsumer endeux affirmations : en 386, saint Augustin s'est convertiau christianisme ; sa vie Cassiciacum est celle d'un no-phyte fervent qui se prpare au baptme par la prire etla pnitence.

    Article II. Les sources. 1. numration.

    Avant d'exposer notre mthode, nous devons faire con-natre nos sources. Ce sont presque uniquement : lesConfessions, les Dialogues, quelques lettres.

    i Saint Augustin crivit ses Confessions dans les pre-mires annes de son piscopat. Il a pu les commencerHertling, Augustin, Mainz, 1902, p. 34; Joseph Mausbach, Die Ethik desheiligen Augustinus, erster Band, Freiburg im Breisgau, 1909, pp. 6-1(dix pages pleines de choses); Louis Bertrand, Saint Augustin, Paris, 191 3,pp. 78-79 et 259 (bien qu'il fasse ici' et l quelques concessions la thseoppose, pp. 126 et 273-274); Johannes Hessen, Die Begriindung der Er-kenntnis nach dem hl. Augustinus, Munster, 1916 (Beitrge Baumker),page 3.

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    8 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.en 897 ; elles taient acheves vers Tan 4oo *. Son buttait de rechercher par quelles voies justes et misricor-dieuses Dieu l'avait conduit, et d'augmenter ainsi, en lui-mme comme dans les autres, la connaissance et l'amourde Dieu 2 . Il parle de cet ouvrage avec fiert 3 . Il y renvoiele comte Darius pour que celui-ci y apprenne le connatreexactement, ce qui veut dire dans sa misre native 4 .Des treize livres des Confessions , seuls les neuf pre-

    miers servent directement notre enqute. Ils racontentl'histoire de saint Augustin jusqu' la mort de sa mre,en 387, c'est--dire jusqu' sa trente-troisime anne. Ledixime livre se rapporte au temps mme o il fut crit.Les trois autres commentent le dbut de la Gense.

    2 Une vingtaine de jours aprs la conversion dontnous aurons prciser la nature, dans l'automne de 386,Augustin se retira Cassiciacum, une villa situe sur lescollines qui avoisinent Milan, et que son ami, le grammai-

    1. Il est impossible de prciser davantage (cf. Tillemont, Mm. pourservir Vhist. eccls., t. XIII, p. 292). Les bndictins disent : circiterannum Christi quadringentesimum (dans YAdmonitio dont ils font prc-der cet ouvrage, t. XXXII, col. 659), et dom Ceillier : vers l'an 397ou 4oo . Entre les Confessions et le De doctrina christiana, dont ledbut est de 397, saint Augustin ne place dans les Rtractations, o ilobserve gnralement l'ordre chronologique, qu'un ouvrage en deux livres :Contra partem Donati, ouvrage qui a t perdu (Migne, t. XXXII, col. 632).D'autre part, il dut s'couler entre l'achvement des Confessions et l'an-ne 45 un temps assez long pour permettre la composition du ContraFaastum en trente-trois livres (Migne, t. XLII, col. 207-518), grandeopus , dit saint Augustin, que son auteur, cette date, envoie saintJrme (p. LXXXII, c. 11, n. 17; Migne, t. XXXIII, col. 283).

    2. Confessionum mearum libri tredecim et de malis et de bonis meisDeum laudant justum et bonum, atque in eum excitant humanum intellec-tum et affectum {Retract., 1. I, c. vi, n. 1 ; Migne, t. XXXII, col. 632).3. Quid de illis alii sentiant, ipsi viderint ; multis tamen fratribus eosmultum placuisse et placere scio {Retract., 1. II, c. vi, n 1; Migne,t. XXXII, col. 632). Quid autem meorum opusculorum frequentius etdelectabilius innotescere potuit, quam libri Confessionum mearum? (Dedono perseveranti, c. xx, n. 53; Migne, t. XLV, col. 1026).

    4. Sume, inquam, libros quos desiderasti, Confessionum mearum : ibime inspice, ne me laudes ultra quam sum; ibi non aliis de me crede, sedmihi {Epist. CCXXX1 [crite vers 429], n. 6; Migne, t. XXXIII, col. 1025).

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    INTRODUCTION. 9rien Verecundus, mettait sa disposition. Il tait accom-pagn de sa mre Monique, de son fils Adodat, de sescousins Lastidianus et Rusticus, de son ami Alype et dedeux lves, Licentius, fils de son protecteur Romanianus,et Trygetius. Il demeura l jusque vers le dbut du carmede 387, poque laquelle il retourna Milan pour la pr-paration officielle au baptme 1 . Pendant ce sjour Cas-siciacum, il rdigea, en forme de dialogues, les quatreouvrages suivants 2 :

    1) Contra Academicos libri 1res 3 . Gomme le titrel'indique, l'objet de cet crit est de rfuter la NouvelleAcadmie. Le premier livre rapporte les confrences quetinrent Augustin et ses amis les 9, 10, 11 et 12 novembre :on laissait discuter ensemble les deux lves d'Augustin,Trygetius et Licentius. Alype dut bientt se rendre Milan. La discussion fut reprise son retour, le 19. Elleeut lieu entre Alype et Augustin, et forma le second livre.Enfin, on employa toute la journe du surlendemain, 21, vider la question : ce fut le troisime livre 4 . L'auteur,nous le verrons, ft toujours grand cas de ce dialogue.

    1. Cf. Confes.y 1. IX, ce. ni et iv; De beata vita, c. 1, n. 6.2. Nous donnons en appendice une analyse de ces Dialogues.3. Dans Migne, P. L., t. XXXII, col. 905-958.4. La justification de ces dates est donne par Tillemont, Mm. pour

    servir l'hist. eccl., t. XIII, note 5, pp. 959-961. D'aprs un ouvragercent de J.-H. van Haeringen, De Augustini ante baptismum rusticantisoperibus, Groningue, 191 7, les discussions auraient eu lieu selon un ordrediffrent. Celles des trois livres du Contra. Academicos auraient t ache-ves avant qu'aucune autre n'ait t commence; puis seraient venues cellesdu premier livre du De ordine; ensuite, celles du De beata vita, et enfincelles du second livre du De ordine.Les arguments de H. van Haeringen, dont Tillemont avait signal lesprincipaux, n'emportent pas la conviction. En particulier :

    10 M. van Haeringen ne dit rien de satisfaisant pour chapper au textedu Contra Academicos (1. III, n. 43), dans lequel saint Augustin nousapprend qu'il se trouve dans sa trente-troisime anne. Cela ne peut treexact que si ce livre et le livre prcdent ont t crits aprs le De beatavita, puisque les discussions du De beata vita ont t engages pour fterl'entre d'Augustin dans sa trente-troisime anne. Van Haeringen propose

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    O LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.2) De beata vita* . Cet ouvrage rapporte un dialogue

    qui commena le i3 novembre, jour anniversaire de lanaissance d'Augustin et qui fut achev en trois jours, enl'absence d'Alype. Il traite de la nature de la vie heu-reuse et des moyens d'y parvenir. Augustin fait remarquerle fond religieux du dialogue (n. 5).

    3) De ordine libriduo 2 . Il y est trait de l'harmonie uni-verselle et de la Providence. Le premier livre fut encorecommenc pendant la mme absence d'Alype. L'ouvragene fut termin qu'aprs l'achvement du Contra Acade-micos.

    4) Les Soliloquiorum libri duo*, ou dialogue d'Augustinavec sa raison sur Dieu et sur l'me. Il crivit ces livresvers la fin de dcembre 386 ou au dbut de janvier 387.Il les prfrait aux ouvrages prcdents 4 .

    3 Enfin, nous utiliserons quatre lettres de saint Augustinqu'il crivit Gassiciacum : une Hermogenianus, une Zenobius et deux Nebridius 5 .de lire trente-deux au lieu de trente-trois dans le texte en question, ou dumoins de supposer une correction postrieure faite par l'auteur. Il faudrait,pour en venir l, de bien graves raisons (cf. van Haeringen, pp. 43-45)-

    2 Quand saint Augustin crit dans les Rtractations : Librum De beatavita, non post libros De Academicis, sed inter illos ut scriberem, contigit ,il ne pense pas l'ordre de la rdaction dfinitive, mais celui des discus-sions qui taient recueillies mot pour mot par un scribe. En effet : a) c'estsur cet ordre seul que saint Augustin pouvait croire utile de renseigner lelecteur; b) le rapprochement du dernier mot de cette phrase : contigit et des premiers mots de la phrase suivante : Ex occasione quippe ortusest diei natalis mei le manifeste. Saint Augustin explique par quelle occa-sion les confrences du De beata vita ont eu lieu avant que n'aient t ter-mines celles du Contra Acadernicos.

    1. Dans Migne, P. L., t. XXXII, col. 959-976.*, Dans Migne, P. L., t. XXXII, col. 977-1020.3. Dans Migne, P. L., t. XXXII, col. 869-904.l\. Epist. III, n. 1 ( Nebridius); Migne, t. XXXIII, col. 64.5. Dans Migne, P. L., t. XXXIII, col. 61-67.

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    INTRODUCTION. I I 2. La valeur des Confessions .

    La valeur des Confessions et des Dialogues commesources pour l'histoire de saint Augustin sera dterminepar notre travail mme. Mais quelques principes gnrauxdoivent tre tablis ds maintenant. Ils lgitiment notremthode.Que penser tout d'abord de l'autorit des Confessions?Le fait dont il faut partir est que saint Augustin a pr-

    tendu y consigner l'histoire de ses trente-trois premiresannes. Trs souvent il rpte que ce sont ses souvenirsqu'il voque 1 . Il escompte que ses lecteurs croiront lavrit de ses rcits'2 . Les Confessions constituent donc letmoignage de saint Augustin sur des faits de sa proprevie. La valeur de ce tmoignage doit tre estime lalumire des principes connus de la critique historique.En premier lieu, on ne sjaurait trop rflchir l'excep-

    tionnelle gravit du tmoin . Sa sincrit ne peut tre mise enquestion. Sans doute, l'vque d'Hippone ne vise pas seule-ment raconter sa vie. Il entend bien que ce rcit serve de hautes fins. Il veut exalter la grce. Il veut tirer de l'his-toire qu'il connat le mieux tous les enseignements qu'ellepeut fournir sur Dieu, sur l'me, et sur l'action de Dieudans une me. Ne pouvant tout dire, il choisit naturelle-

    i. Recordari volo transactas fdilales meas (Confes., 1. Il, c. i, n. iMigne, t. XXXII, col. 675). Quid retribuam Domino, quod recolit haecmemoria mea? (1. II, c. vu, n. i5, col. 681). Proloquar in conspectuDei mei annum illum undetrigesimum aetatis meae (1. V, c. m, n. 3,col. 707). Deus meus, recorder in gratiarum actione tibi, et confitearmiserationes tuas super me (1. VIII, c. 1, n. 1, col. 747)- Revocat enimme recordatio mea, et dulce mihi fit, Domine, confiteri tibi quibus internisme stimulis perdomueris (1. IX, c. iv, n. 7, col. 766). Unde et quoduxisti recordationem meam, ut haec etiam confiterer tibi, quae magnaoblitus praeterieram? (1. IX, c. vu, n. 16, col. 770). Ad haec ei quidresponderim non satis recolo (1. IX, c. xi, n. 27, col. 775), etc.

    2. ... Ego quoque, Domine, etiam sic tibi confiteor, ut audiant homi-nes, quibus demonstrare non possum an vera confitear; sed credunt mihiquorum mihi aures charitas aperit , (1. X, c, m, n. 3, col. 780.)

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    12 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.ment ce qui lui parat plus propre son but. Il insiste surdes incidents qui, d'autres points de vue que le sien,sont insignifiants. Il s'arrte mditer sur la jalousie injus-tifie d'un bb la mamelle, parce qu'il y voit un dsor-dre introduit par le pch d'Adam 1 . Dans le larcin qu'ilcommit un jour de quelques mchantes pommes, il scrutelonguement les motifs de la volont mauvaise 2 . La mortd'un ami lui suggre d'tudier la psychologie et la moralede l'amour humain 3 . Ses intentions doctrinales ont dirigla mise en uvre de ses souvenirs. Mais elles ne l'ontcertainement jamais amen dfigurer sciemment le moin-dre fait.

    Si sur un point la morale de saint Augustin est intrai-table, c'est bien sur la question du mensonge. A l'poquedes Confessions, il avait dj crit son trait De Men-dacio (en 3g5), o il soutient qu'en aucun cas, et pasmme pour le salut ternel du prochain, il n'est permisde mentir 4 . Il avait envoy sa premire lettre saintJrme, o il blme hardiment le grand exgte d'avoirprtendu que saint Paul s'tait fch contre saint Pierreseulement par feinte 5 . Il avait lanc, l'adresse des mani-chens qui n'attribuaient au Christ qu'une chair apparente,cette phrase nergique : Qui ne gmirait de voir deshommes qui se disent chrtiens craindre que la vrit nesoit souille par le sein d'une vierge et ne pas craindrequ'elle le soit par le mensonge 6 ? . Avec une conception

    i. Confes., 1. I, c. vu, nn. 11-12; Migne, t. XXXII, col. 665-666.2. Conjes., 1. II, ce. iv-x, nn. 9-18, col. 678-682.3. L. IV, ce. iv-xiii, nn. 7-20, col. 696-701.4. ... cum veritati adipiscendae opitulante mendacio vult facere ido-neum, intercludit aditum veritati ; volens enim cum mentitur esse aptus, fitcum verum dicit incertus (De Mendacio, c. vin, n. 11; Migne, t. XL,

    col. 497).5. Epist. XXVIII (vers 395), c. m; Migne, t. XXXIIJ, col. 112.6. Quis non ingemiscat, homines qui se christianos dici volunt, timere

    ne polluatur veritas de virginis utero, et de mendacio non timere? (Contraepist. Manich. [en 397], c. vm, n. 9; Migne, t. XLII, col. 179).

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    INTRODUCTION. l3aussi rigide de la loyaut, un homme du caractre de saintAugustin ne peut, dans un rcit, solliciter les vnementspour le bnfice d'aucune thorie. De plus, c'est devantDieu, c'est en parlant Dieu lui-mme, et parfois en leprenant tmoin de sa parole i i que l'vque d'Hipponerelate ses souvenirs. Une manire si hardie n'est pointun procd littraire, mais la forme spontane d'un senti-ment religieux profond, dont l'influence sur la pit chr-tienne a t considrable et agit encore 2 . Le tmoignagedes Concessions en revt quelque chose de la garantie duserment.

    Il n'y a pas dans les Confessions d'inexactitude volon-taire. Nous prenons comme rgle directrice de notrerecherche celle d'accepter leur tmoignage toutes les foisqu'il nous serait impossible de le rcuser sans incriminerla bonne foi du tmoin.Toutefois, la dformation consciente des faits demeu-rant exclue, une forte proccupation doctrinale ne peut-elle pas causer des inexactitudes inconscientes? Tout entier l'exaltation de la grce divine, saint Augustin, avec safougue africaine, n'aurait-il pas vu son pass autrementqu'il n'tait, et n'en aurait-il pas, de la meilleure foi dumonde, fait entrer de force les vnements dans le cadrede ses ides sur la justification 3 ? Pareille hypothse,si on la propose avec modration, ne peut tre exclue

    i. Tu scis illius esse sensa omnia quae inseruntur ibi... (1. IX, c. vi,n. \l\ ;Migne, t. XXXII, col. 769). Vide cor meum, Domine, qui voluistiut hoc recordarer et confiterer tibi (1. VI, c. vi, n. 9, col. 723). Itaneest ut recolo, Domine Deus meus, arbiter conscientiae meae ? Coram te cormeum et recordatio mea (1. V, c. vi, n. 11, col. 711).

    2. Cf. A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3 Bd., Tbingen 4 ,1910, pp. 68-71 ; Christus, par J. Huby, etc., Paris, 3 d., 1916,pp. io85 sqq.

    3. M. P. Alfaric, qui rejette frquemment le tmoignage d'Augustin,reconnat sa sincrit et sa droiture. Il dit ; Augustin n'a point l'habitudede parler contre sa conviction (L'uol. Intel, de S. Aug., t. I, p. 397).Mais il juge que la passion a empch Augustin de voir correctement leschoses (cf. pp. 47, 244, 275, etc.).

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    l4 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.a priori. A parler dans l'abstrait, il est certain qu'unepassion violente est capable d'imprgner de sa colo-ration propre des vnements passs. Nous devrons,dans tous les cas particuliers o il y aura lieu, examinersi la prdominance d'un sentiment prsent n'a pas emp-ch la mmoire du narrateur de ressusciter les faits dansleur vraie lumire. Mais il importe de faire aussittquelques observations dont la porte est gnrale.

    Si les Confessions avaient t composes au moins douzeans plus tard, on concevrait peut-tre plus aisment que lapassion d'exalter la grce ait t chez Augustin assez excitepour troubler la vision de son pass. La controverse pla-gienne, dans laquelle il a combattu avec une ardeur crois-sante, a, en effet, commenc vers l\\i. Mais aux environs del'an 4oo, la toute-puissance misricordieuse de la grce luiapparaissait bien plutt comme une vrit acquise et douce mditer dans ses mystrieuses profondeurs que commeune doctrine en pril et dfendre. Le ton des deux livreso il expose Simplicien, en 397, l'essentiel de ses thoriessur la grce, rvle la srnit du docteur qui explique,bien plus que la passion du polmiste qui se bat 1 .

    D'ailleurs la cause de la grce aurait, aux yeux d'Au-gustin, gagn moins qu'on ne pense une dformationquelconque de ses souvenirs. Nul ne conteste, en effet,qu'au moment o il crivait les Confessions il ne ft rel-lement chrtien. Il l'tait donc devenu. Il y avait dans savie une srie d'vnements qui l'avaient conduit au chris-tianisme. Cette srie, quelle qu'elle ft, tait providen-tielle, et tout entire, cause de son terme, l'uvre de lagrce. Si saint Augustin tait rellement parvenu au chris-tianisme d'une manire diffrente de celle qu'il a rap-

    1. De diversis quaeslionibus ad Simplicianum libri duo, dans Migne,t. XL, col. 101-148. A la fin de sa vie, saint Augustin renvoyait les semi-plagiens cet ouvrage comme un expos exact de la vraie doctrine {Dedono persvrant iae, c. xxi, n. 55; Migne, t. XLVI, col. 1027).

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    INTRODUCTION. l5porte, ce n'est pas, croyons-nous, le souci de mettre lagrce en un plus vif relief qui serait responsable de sonillusion. De ce point de vue, il n'avait aucun intrt pr-frer un ordre plutt qu'un autre. Il et pu donner Dieudes louanges gales, au sujet de toute conversion relle.

    Enfin, prcisment cause de la porte doctrinale quesaint Augustin donnait son rcit, il n'est pas loisible,sans atteindre la probit mme du narrateur, de lui attri-buer trop de ngligence contrler ses souvenirs et segarder du parti pris. Prtendant montrer sur son exemplepersonnel la vrit de certaines doctrines chrtiennes, ildevait, sous peine de dloyaut scientifique, faire un effortsrieux pour retrouver les faits et pour les prsenter avecexactitude. Quant au commentaire dont il les accompagne,rien n'est facile, si on le dsire, comme d'en faire abstrac-tion. On peut ne pas admettre la thse qu'il dveloppe partir d'un fait. Gela n'autorise point rejeter le fait.

    Restent les infidlits possibles de la mmoire. Iciencore, aucune rgle gnrale ne satisferait. Il faut danschaque cas doser la possibilit d'un oubli ou d'uneconfusion. Il servira souvent, nanmoins, de se rappelerles deux remarques suivantes.

    Pour n'tre pas contemporain des vnements, le rcitdes Confessions ne date pas d'une poque dont l'loigne-ment suffirait le rendre suspect. C'est de dix treize ansaprs son baptme, de 397 4> que saint Augustina racont l'volution qui l'y a conduit. Des faits personnels,dont l'influence a t dcisive, s'effacent-ils de la mmoireen un si court intervalle? Si l'on songe l'autorit incon-teste de Joinville, qui cependant a attendu plus d'undemi-sicle avant d'crire ce qu'il avait vu auprs de saintLouis; si l'on pense qu'il se souvenait encore, soixante-quatre ans et plus de distance, aprs i3o5, de la courplnire tenue Saumur, en \il\\ , de l'ordre des convives,et de mes sires li roys de Navarre, en cote et en mantel

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    l6 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.de samit, bien parez de courroie, de fermail et de chapeld'or 1 , on doute qu'une douzaine d'annes aient nces-sairement obscurci, dans la mmoire d'Augustin, des faitsd'une importance telle que l'orientation entire de sa vieen a t change/2 . Le plus vraisemblable est qu'il en aitgard des souvenirs prcis.

    Les gardait-il en fait? Notre seconde remarque est qu'enpareille matire son tmoignage doit tre pris en srieuseconsidration. S'il affirme qu'il se souvient, soit par unedclaration explicite, soit par cela mme qu'il entre dansle dtail de choses passes, cette affirmation est elle-mmeun fait qu'on ne peut ngliger. Il faudra la recevoir oul'expliquer.

    Les considrations qui prcdent ne garantissent pas, elles seules, l'exactitude de tous les faits rapports dansles Confessions, mais elles obligent tudier cette uvrecomme un tmoignage d'une extrme gravit pour l'his-toire de la formation de saint Augustin.

    3. La valeur des Dialogues .La valeur historique des Dialogues tient leur date.

    Ils constituent une sorte de journal intellectuel, o lenophyte de Gassiciacum consigne le rsultat de ses mdita-tions, et o il indique, en passant, certains traits de sa viepasse et prsente. Ni les dfaillances de la mmoire, ni lesdformations du temps ne peuvent tre invoques contreeux. A ce titre, ils l'emportent sur les Confessions. Mais, d'autres points de vue, ils prsentent, comme sourcesd'histoire et par rapport l'autobiographie crite douzeans plus tard, des infriorits qu'il importe de signaler.

    i. Joinville, Histoire de saint Louis, d. de Wailly, Paris, i883, p. 4 1 -2. M. Alfaric dit nanmoins que saint Augustin a crit ses Confessions

    longtemps aprs les faits qu'il y raconte, une poque o il ne pouvait engarder qu'un souvenir trs vague (L'volut. intellect, de S. Aug., I, pr-face, p. vi).

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    INTRODUCTION. 17D'abord, ce sont des dialogues . Ils appartiennent

    un genre littraire, qui a ses coutumes, ses liberts, sesmanires de parler. Une part de fiction y est admise. Sansdoute, ils sont plus rels que les dialogues de Platon ou deCicron. Ils ont l vraiment tenus. Saint Augustin dclarequ'on crivait, sur l'instant mme, les paroles des interlo-cuteurs 1 . Toutefois, il les retouchait. Il ne conservait desparoles de ses disciples que le sens 2 . Pour le reste, il enrevoyait aussi le dtail. On croirait difficilement que desphrases aussi conslaniment soignes soient tombes tellesquelles des lvres des interlocuteurs ; et Augustin nousapprend lui-mme qu'il dut discuter avec Alype pourlaisser le nom du Christ dans ces ouvrages. Son ami letrouvait dplac dans ce genre de littrature 3 . Il fallaitmettre en forme les tablettes du stnographe avant d'enlivrer au public le contenu 4 . Enfin, tant avertis qu'ilscomposaient un dialogue, les interlocuteurs pouvaientparfois conformer leurs discours aux rgles du genre. Il

    1. Adhibito itaque notario, ne aurae laborem nostrum discerperent,nihil perire permisi (Contra Acad., 1. 1, n. 4; Migne, t. XXXII, col. 908).Cf. De online, 1. I, c. x, n. 29, t. XXXII, col. 991. Encore peut-on re-marquer que cette dclaration est faite dans le corps mme des Dialogues.Hirzel (Der Dialog, t. II, pp. 376-7) n'a vu l qu'une fiction de plus. Pournotre part, cause surtout de la faon dont les Rtractations racontent lacomposition du De beata viia : ex occasione quippe ortus est diei natalismei et tridui disputatione completus, sicut satis ipse indicat (Retract.1. I, c. n; Migne, t. XXXII, col. 588), nous pensons que les Dialogues deCassiciacum ont t de fait crits mesure qu'ils taient tenus (cf. D. Ohl-mann, De Augustini dialogis in Cassiciaco scriptis, Argentorati, 1897,pp. 8-17, et van Haeringen, De Augustini ante baptismum rusticantis ope-ribus, Groningue, 191 7, pp. 22-23).

    2. Sane in hoc libro res et sententias illorum, mea vero et Alypii etiamverba lecturus es (Contra Acad., 1. I, c. 1, n. l\, t. XXXII, col. 908).3. ... quoque modo ipsum etiam Alypium fratrem cordis mei subegeris

    nomini unigeniti tui Domini et Salvatoris nostri Jesu Christi, quod primodedignabatur inseri nostris litteris (Confes., 1. IX, c. iv, n. 7, t. XXXII*col. 766).

    4. Gaston Boissier dit : Il les a un peu accommods (les Dialogues)au public auquel ils taient destins (La fin du paganisme, Paris, 3e d.,1898, p. 323).

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    l8 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.nous semblerait peu prudent que l'on s'obliget prendretoujours les Dialogues selon la rigueur de la lettre. Les Confessions, au contraire, appartiennent au genrequi rpugne davantage la fiction.De plus, si l'auteur des Dialogues parle frquemmentde lui-mme, s'il expose l'tat de ses penses et fait maintesconfidences, son dessein principal ne consiste cependantpas nous raconter son histoire. Les renseignements qu'ily donne se prsentent par suite sous un aspect fragmen-taire et sans garantie d'intgralit.

    Enfin, il n'est pas certain que le rcit le plus rapprochdes faits par le temps en soit aussi le plus rapproch parl'exactitude. Pour raconter sa propre vie, comme pourtraiter un autre sujet d'histoire, un certain recul offre desavantages. Les rapports des vnements entre eux appa-raissent mieux une certaine distance. La porte d'unfait est rarement estime avec justesse sur le momentmme. Ce qui suit apporte sa lumire. On doit s'attendre ce que les Dialogues, malgr leur autorit de journalintime, nous racontent saint Augustin avec plus de confu-sion, avec un moindre sentiment des proportions, et parl mme avec moins de vrit que les Confessions.

    Article III. Notre mthode.L'tat de la question et la nature des sources dtermi-

    nent notre mthode. Dsirant connatre quel moment lapense chrtienne prend la direction suprme dans l'espritd'Augustin, nous tudierons l'volution de ses impressionsreligieuses, en en relevant les moindres traces ; nous ennoterons le degr de profondeur, les variations, lesalliances, les progrs, jusqu'au jour o nous pourronstablir qu'elles sont devenues dominantes.Nous suivrons pas pas le rcit des Confessions, sou-

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    INTRODUCTION. 10,cieux avant toutes choses d'en puiser la lumire et de lamontrer avec exactitude. Quand une autre source nousparatra confirmer ce rcit, nous serons attentifs l'indi-quer. Quand, au contraire, un passage d'une autre uvrede saint Augustin, et particulirement des Dialogues ,semblera le contredire, nous observerons la marche sui-vante :

    i Nous examinerons si le conflit est rel et si unaccord vritable n'est pas masqu par des diffrences devocabulaire, de composition ou de point de vue;

    2 Si l'opposition persiste, nous ne nous prononceronspas, sans autre examen, sur la seule considration dela date des sources. D'autres raisons seront coutes quipourront nous induire prfrer le texte des Confessions.

    Article IV. Christianisme et no-platonisme.Il reste prciser en quel sens sont employs ici les

    mots de christianisme et de no-platonisme .Par christianisme nous entendons la doctrine de l'Eglise

    catholique, telle qu'elle tait formule vers 384- Nousn'tudions pas, du moins pour eux-mmes, les contactsantrieurs de cette doctrine avec le no-platonisme ; nousla prenons en bloc sans en sparer les apports d'expressionou d'interprtation qui viendraient d'ailleurs. Les affirma-tions suivantes suffisent la caractriser. Elles sont pro-fesses non seulement par les docteurs, mais par la massedes fidles. On les retrouve constamment, en dehors desgrands traits, dans les sermons et les catchses, dans lessymboles, dans les rponses des martyrs.

    I. Les Ecritures, connues sous les noms d'Ancien etde Nouveau Testaments, sont des livres divins dont l'auto-rit ne peut tre mise en question. La rception de

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    20 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.l'Ancien Testament, entre autres diffrences, distinguaitl'Eglise du manichisme 1 .

    II. La hirarchie ecclsiastique, en vigueur depuisle temps des aptres, est la gardienne et l'interprte desEcritures 2 . Par elle, l'Eglise se distinguait des secteschrtiennes qui ne communiaient pas avec elle.

    III. Il faut croire au Pre, au Fils et au Saint Esprit,qui sont trois hypostases gales, un seul Dieu, uneseule substance 3 . Ce point distinguait l'Eglise des sectesariennes.

    IV. Jsus-Christ est le Fils de Dieu incarn pour lesalut des hommes 4 . Ce point distinguait l'Eglise desdiverses philosophies.On comprend mme aisment que pour tre catholiqueil n'tait pas ncessaire de tenir tous ces points avec unecorrection explicite. Il suffisait d'admettre l'autorit de

    rl'Ecriture, telle que la prsentait la hirarchie. Par li. Le synode romain de 382 dtermine le canon des divines critures ,

    tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, tel qu'il est reu dans l'Eglisecatholique (Enchiridion, Denzinger-Bannwart, 10e dit., Fribourg, 1908,no 84). Un catalogue analogue tait dress au concile de Garthage en 397(ibid., no 92).

    2. Cette croyance est videmment implique dans le fait de la runiondes conciles et dans l'usage des anathmes; vg. au concile de Nice(en 325) : Tou; 8 XYov-a..., vaOEuai^ei tj /.aoXtxr) ixxXqafa (Enchir.Denz.-Bannw., d. ioa , Fribourg, 1908, no 54).

    3. Le trs ancien symbole apostolique, en usage dans les rites du baptme,professe la foi au Pre, son Fils unique, au Saint Esprit (Enchir., Denz.-Bannw., 10e d., Fribourg, 1908, n. 6). Le concile de Nice, dont l'un dessignataires tait Caecilianus, vque de Carthage, dfinit, en 325, la con-substantialit du Pre et du Fils (Denz.-Bannw., no 54); et la lettre deDamase (375-384), celle des trois personnes (cf. 16* anathme, Denz.-Bannw., no 74). On sait que le symbole de Nice-Constantinople tait connuavant 38o : saint piphane le cite dans son Anchorat [Z'j l\] (Migne, t. XLIII,col. 23l).

    4. La foi de Nice est l-dessus trs explicite. Dans les Acta disputa-tionis S. Achatii, la divinit de Jsus-Christ est expose par le martyidevant son juge (Acta martyrum selecta, d. von Gebhardt, p. 118).

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    INTRODUCTION. 21mme, on adhrait implicitement tous les enseignementsde la foi catholique.

    Par no-platonisme, nous entendons la doctrine dePlotiu et de ses disciples, sans distinction de ce quin'appartiendrait qu' elle seule et de ce qu'elle emprunte Platon ou d'autres philosophes. La philosophie qui serencontre avec le christianisme dans l'esprit d'Augustin, Milan et Cassiciacum, a t puise dans des ouvragesno-platoniciens et conue en formules no-platoniciennes.Mme si ce que saint Augustin en a retenu drivaitde Platon, on devrait parler de son no-platonisme pluttque de son platonisme 1 .

    N. B. Nous citons saint Augustin selon le texte de l'ditionbndictine (Paris, 1G79-1690), et nous indiquons les tomes de laPatrologie latine de Migne qui reproduisent cette dition.

    L'dition de Vienne dans le Corpus scriplorum ecclesiasti-corum latinorum (CSEL) est, en effet, inacheve.On doit noter que les bndictins ont collationn plusieurs excel-lents manuscrits franais qui ont t perdus depuis 2 .Nous avons nanmoins contrl, dans l'dition de Vienne, tous lestextes des Confessions et des Rtractations que nous avons cits.

    1. Longtemps on a nomm le seul platonisme propos de saint Augustin.Vacherot pensait qu' travers Plotin c'tait Platon, presque uniquement,qu'il s'assimilait : ... sa doctrine est essentiellement platonicienne; lesides, les dmonstrations, la mthode, l'esprit de Platon se montrent par-tout... Il est beaucoup plus difficile d'y distinguer la trace du no-platonisme (Histoire critique de l'Ecole d'Alexandrie, t. III, Paris, i85i, p. l\). D'autre part, M. L. Robin n'est pas loign de croire que le no-platonismecontienne la vraie pense de Platon (cf. La thorie platonicienne des Ideset des Nombres d'aprs Arislote; tude historique et critique, Paris,1908; Etudes sur la signification et la place de la Physique dans la phi-losophie de Platon, Paris, 1919).

    2. Cf. Kukula, Die Mauriner Ausgabe des Augustinus, Vienne; Kai-serliche Akad. der Wissenschaft Sitzungsberichte Philos.-Hist.-Classe, Bd. 121, 122, 127, etc. (1890-1898) ; et A.-M. -P. Ingold, His-toire de l'dition bndictine de saint Augusti (les chapitres i-v sont duchanoine Didio; cf. note de la page 1), Paris, 1903.

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    CHAPITRE PREMIERLa foi de Monique. Abandon. Retour.

    Saint Augustin 1 avait trente-deux ans quand il a connule no-platonisme. Au contraire, ds son veil la vieconsciente, il s'est trouv en contact avec le christianisme.Il est ncessaire que nous tudiions la nature des impres-sions religieuses qu'il a reues encore enfant et que nous

    i . Nous ne rappelons le cadre et les vnements extrieurs de la vie desaint Augustin que lorsque notre sujet y est intress, et encore le faisons-nous par simple allusion. Le dveloppement est lire : dans les Confes-sions, dans la Vie crite par Possidius, commensal du saint, dansles Mmoires de Tillemont [Mmoires pour servir Vhist. eccls. dessix premiers sicles, t. XIII, Paris, 1710], et enfin dans le beau livrede Louis Bertrand : Saint Augustin, Paris, 191 3. [La Vita S. A. Au-gustini que les bndictins ont publie dans leur dition n'est gure quela traduction latine de l'uvre de Tillemont, comme celui-ci le note danssa prface (dans Migne, t. XXXII, col. 65-578.)] Il nous suffira de remmorerici le tableau suivant: Augustin nat Tagaste, le i3 novembre 354, d'unpre paen, Patricius, et d'une mre chrtienne, Monique. Il va aux colesde grammaire, d'abord dans sa ville natale, puis, de 365 369, Madaure.Il passe sa seizime anne dans l'oisivet, Tagaste. En 370, son prel'envoie Carthage pour y tudier la rhtorique. Il se lie avec une femmede condition infrieure et en a un fils, Adodat. En 373, il rentre Tagasteet y tient une cole de grammaire ; mais l'anne suivante il retourne Carthage, o il enseigne la rhtorique. En 383, il part pour Rome, et il yexerce la mme profession. Il concourt pour la chaire de rhtorique, Milan, et il l'obtient, en 384- Pendant deux ans, il reste Milan. C'est lqu'il entend l'vque Ambroise et qu'il lit les livres des platoniciens .A l'automne de 386, il se rend Cassiciacum; et, au commencement de 387,il revient Milan pour se prparer officiellement au baptme. Saint Am-broise le baptise. Quelques mois plus tard, Augustin part pour l'Afrique ;mais sa mre meurt pendant le voyage, Ostie; il se rend alors Rome etne regagne l'Afrique que l'anne suivante, en 388. L il vit en moine jus-qu'au jour o il est fait prtre, en 391, puis vque d'Hippone, en 395. Ilmeurt ce poste, le 28 aot 43o.

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    24 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.voyions comment elles se dveloppent, ou s'attnuent, ouse transforment. La manire dont le no-platonisme aaffect le rhteur de Milan et les relations qui se sont ta-blies en lui entre cette philosophie et la religion chrtienneont t dtermines, en effet, par l'tat de ses ides et deses sentiments, cette poque, l'gard du catholicisme;ides et sentiments que l'on ne peut bien saisir si on neles a suivis dans tout le cours de leur volution.

    Article. I. Premires impressions chrtiennes. Vous avez .vu, Seigneur, lorsque j'tais encore enfant,

    un jour qu'une oppression de poitrine m'touffait tout coup, et que je me trouvais presque la mort, vous avezvu, mon Dieu, puisque vous tiez dj mon protecteur,avec quel lan de l'me et avec quelle foi j'ai sollicit dela pit de ma mre et de votre Eglise, notre mre tous,le baptme de votre Christ, mon Dieu et mon Seigneur 1 . Un recours au baptme, aussi spontan et aussi ardent,manifeste que les premires impressions chrtiennes d'Au-gustin ont t profondes.Monique l'avait fait inscrire ds sa premire enfanceparmi les catchumnes. Avec eux, il recevait dans l'glise

    de Tagaste l'imposition du sel et il tait marqu du signede la croix. Ces rites taient frquemment renouvels,comme le suggre le texte. d'Augustin 2 . Il assistait ausermon prch au peuple, le dimanche, avec une rgula-

    i. Vidisti Domine, cum adhuc puer essem, et quodam die pressustomachi repente aestuarem pne morituras ; vidisti, Deus meus, quoniamcustos meus jam eras, quo motu animi et qua fide baptismum Christi tuiDei et Domini mei flagitavi a pietate matris meae, et matris omnium nos-trum Ecclesiae tuae {Confes., 1. I, c. xi, n. 17, t. XXXII, col. 669).

    2. ... et signabar jam signo crucis ejus, et condiebar ejus sale, jaminde ab utero matri meae {Confes., 1. I, c. xi, n. 17, col. 668-9). Noter l- simparfaits de rptition. (Cf. Mgr Duchesne, Origines du Culte chrtien,5e d., 1909, p. 3o3, note 3.)

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    LA FOI DE MONIQUE. ABANDON. RETOUR. 25rite dont le zle de Monique nous est garant. Dj, eneffet, celle qui avait engendr Augustin la vie naturelles'efforait de l'enfanter la vie du salut 1 .Sans doute, l'instruction religieuse qu'il s'assimila res-tait peu prcise. C'tait celle d'un enfant. Bien des annesplus tard, Milan,, il ignorait encore la vraie doctrine surl'Incarnation 2 . La foi catholique n'tait dpose en lui qu'l'tat de semence 3 . Mais elle avait t enfonce dans sesmoelles; c'est un livre de Gassiciacum qui l'assure, con-firmant ainsi l'impression que donnent les Confessions 1".La vie de sa mre s'alimentait aux sources chrtiennes.L'esprance des biens clestes aidait Monique se montrersi patiente que l'humeur trs vive de Patricius en tait con-tenue 5 . Elle devait parler souvent son fils prfr despenses dont elle vivait. Ce qui est certain, c'est qu'Au-gustin entendait prononcer le nom du Christ avec unevnration que l'on n'accordait aucun autre nom ; il savaitque ce Matre promettait la vie ternelle aux imitateurs deses abaissements 6 . Le sentiment se forma en lui que lesalut tait dans le Christ. Rien ne put jamais lui arracherdu cur cette impression de son enfance. Elle domineson volution.

    i. ... mater carnis meae, quoniam et sempiternam salutem meamcharius parturiebat corde casto in fide tua (Confes., 1. I, c. xi, n. 17,col. 669).

    2. Confes., 1. VII, c. xix, n. 26, col. 746.3. ... religionis verissimae semina mihi a pueritia salubriter insita

    (De duabus animabus [crit en 391 contre les Manichens], c. 1, n. 1,t. XLII, col. 93).

    4- Respexi... in illam religionem, quae pueris nobis insita est, etmedullitus implicata (Contra Acad., 1. II, n. 5, t. XXXII, col. 921).5. ... quae multum. speravit in te (Confes., 1. I, c. xi, n. 17,

    t. XXXII, col. 669; cf., 1. IX, c. ix).6. Audieram enim ego adhuc puer de vita aeterna nobis promissa per

    humilitatem Domini Dei nostri descendentis ad superbiam nostram (Confes., 1. I, c. xi, n. 17, t. XXXII, col. 668).

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    26 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.

    Article II. Abandon du catholicisme. 1. La conduite d'Augustin.

    Aussi long-temps qu'il frquenta l'cole de sa ville na-tale, Augustin, en dpit de quelques fredaines, gardaitune pit pratique. De tout son petit cur il priait Dieu,qu'il savait capable de le secourir, afin de n'tre pointbattu en classe 1 . Mais envoy dans la ville de Madaure,dans sa onzime anne, il commence glisser insensible-ment dans l'oubli de ses croyances religieuses. Le tonpaen de l'enseignement, l'indiffrence de ses matres l'gard du christianisme, l'absence de sa mre, la lgretde son ge, tout anmie la sve de sa foi d'enfant. Cetteinfluence dure quatre ans.

    L'anne qu'il passe ensuite Tagaste, la seizimeanne de sa chair 2 , est dvore par l'ardeur de ses pas-sions naissantes, et vcue loin des penses srieuses. Surce point, nous devons insister.

    Il n'est pas indiffrent, en effet, l'histoire de l'volu-tion religieuse d'Augustin, que les dsordres dont il s'ac-cuse aient t rels ou qu'ils aient t exagrs, imaginsmme, afin de rehausser l'action gurisseuse de la grce 3 .

    i. ... et rogabam te parvus non parvo affectu, ne in schola vapularem (Confes., 1. I, c. ix, n. i4, t. XXXII, col. 667).

    2. ... anno illo sexto decimo aetatis carnis meae {Confes., 1. II, c. 11,n. 4, t. XXXII, col. 677).

    3. Les mmes auteurs qui tendent restreindre l'influence chrtiennedans la formation de saint Augustin refusent de croire la jeunesse dis-sipe que dplorent les Confessions. Louis Gourdon, Essai sur la conver-sion de saint Augustin, Cahors, 1900, p. 56i, dclare : Le jugementqu'il porte sur sa jeunesse nous parat fort exagr. M. P. Alfaric, Lvol.inlel. de S. Aug., I, p. 57, crit : a Sa thologie le porte mdire de lui et s'attribuer force mfaits dont il est parfaitement innocent. Selon cet auteur,Augustin mena, pendant la seizime anne de sa chair, une existence chaste (p. 59), et, en rsum : Jusque dans ses annes les plus tumultueuses,Augustin a men une vie fort rgle. Toujours il a montr une moralit peucommune (p. 61). D'autres, comme Bayle et Vollet (art. de la Grande

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    LA FOI DE MONIQUE. ABANDON. RETOUR. 27Dans la lumire des Confessions, ces carts de conduitefont comprendre que le fils de Monique, au lieu d'appro-fondir son christianisme, lui ait donn peu de place dansses penses et que, par suite, il ait pu en tre dtach siaisment par les manichens de Carthage. Plus tard, ilsrendent compte des atermoiements d'Augustin avant saconversion totale. Or, on a beau supprimer dans le tableauque l'vque d'Hippone fait de sa premire jeunesse tousles traits d'une indignation rtrospective, il reste desdclarations prcises dont rien ne justifierait ni n'expli-querait l'inexactitude. Les termes sont trop vifs pour nese rapporter qu' des tourderies insignifiantes. Augustinparle de la sombre vgtation de ses amours varies 1 ;il ne distinguait plus l'amiti de la concupiscence2 ; il taitenglouti dans le gouffre des actes criminels 3 ; il avaitabandonn le sceptre ses dsirs et s'tait livr eux toutentier 4 ; il tait entran faire le mal non seulement parFattrait de la jouissance, mais encore par le dsir d'entre lou 5 ; tout enfivr, il se rpandait en fornications 6 .On peut invoquer sa dcharge les murs de son mi-lieu, qui, parfois, il le dclare lui-mme, taient pires queles siennes 7 ; on peut dire qu'il ne jugeait pas alors saEncyclopdie), ont, au contraire, accentu jusqu' l'injustice les aveux desConfessions.

    1. Silvescere ausus sum variis et umbrosis amoribus (Confes., 1. II,c. 1, t. XXXII, col. 67 5).

    2. ... ut non discerneretur serenitas dilectionis a caligine libidinis (1. II, c. 11, col. 675). Au dbut du livre suivant, il claire un aveu sem-blable par cette phrase : Amare et amari dulce mihi erat, magis si etamantis corpore fruerer (1. III, c. 1, n. 1, col. 683).3. ... mersabat gurgite flagitiorum (1. II, c. 11, n. 2, col. 675).

    4. ... cum accepit in me sceptrum, et totas manus ei dedi, vesania libi-dinis (l. II, c. n, n. 4, col. 677).

    5. ... et libebat facere non solum libidine facti, verum etiam laudis (1. II, c. m, n. 7, col. 678).

    6. ... ebulliebam per fornicationes meas (1. II, c. n, col. 676).7. ... et ubi non suberat quo admisso aequarer perditis, fingebam me

    fecisse quod non feceram (1. II, c. m, n. 7, col. 678). Salvien (De

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    28 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.conduite avec la mme svrit qu'il le fera plus tard,lev au sige d'Hippone. Pourtant, les dsordres de sonentourage ne lgitimaient point les siens, et, pour fairemal, il n'est point ncessaire de percevoir la malice d'unacte avec l'acuit implacable des Confessions. Les textesen disent assez pour autoriser le jugement de l'vque sursa vie d'tudiant 1 . Qu'on ne les croie pas affaiblis par levoisinage des lamentations d'Augustin sur les vices incons-cients des enfants la mamelle (1. I, c. vu). Ces lamen-tations ne viennent ni d'un pessimisme intemprant, nid'une aberration du jugement moral. Saint Augustinconstate simplement chez l'enfant l'existence des dsor-dres de la concupiscence. Il le sait autant que personne :ce ne sont des pchs qu'en un sens trs large, dans lamesure o ils drivent en fait, comme chtiment, dulibre pch d'Adam 2 . 11 ne les met point sur le mmeplan que ses fautes de Tagaste ou de Carthage. Maissurtout, ce qui importe ici, ce n'est pas l'apprciation quedonne des faits l'auteur des Confessions , c'est Fexistencedes faits. Sur ce point, son tmoignage s'imposerait,gubern. Dei, Migne, P. L., t. MI, col. 16-17), dnonce avec vigueur lesmurs africaines : Un Africain, dit-il, est impudique aussi naturellementqu'il est Africain. Tout le passage est cit par M. P. Alfaric {Vvol.iniel. d'Augustin, I, pp. 3o-3i).

    1. Avant mme d'tre vque, voici comment saint Augustin s'emportaitcontre les pchs pour lesquels l'usage rend indulgent : Vae peccatis homi-num, quae sola inusitata exhorrescimus : usitata vero pro quibus abluendisFilii Dei sanguis effusus est, quamlibet magna sint, et omnino claudi contrase faciant regnum Dei, saepe videndo omnia tolerare, saepe tolerandononnulla etiam facere cogimur ! (Epositio epist. ad Galatas, n. 35,Migne, t. XXXV, col. 2i3o). Saint Augustin a transcrit ce passage dansson Enchiridion de l\2\ (c. lxxx).

    2. C'est la doctrine qui ressort, par exemple, du passage suivant : ... pertinet originale peccatum ad hoc genus tertium, ubi sic peccatumest, ut ipsum sit et poena peccati; quod inest quidem nascentibus, sed in eiscrescentibus incipit apparere, quando est insipientibus necessaria sapientia,et mala concupiscentibus continentia origo tamen hujus peccati, descendita voluntate peccantis (Opus imperf. contra Julianum, 1. I, c. xlvii,M., t. XLV, col. 1068-9). Cf. Portali, Die. de thol, cath., art. Augus-tin (S*), col. 24o5.

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    LA FOI DE MONIQUE. ABANDON. RETOUR. 29mme si ses commentaires taient errons. La conclusionque nous retenons subsisterait : par ses proccupationssensuelles, cette anne de loisir forc, pendant laquellePatricius amassait le pcule ncessaire pour envoyer sonfils Cartilage, enleva de plus en plus Augustin l'in-fluence de Monique et, par l mme, l'atmosphre catho-lique. Il et rougi de suivre les chastes conseils de samre 1A Garthage, o il vint dans l'automne de 370, il retrouvales deux causes qui affaiblissaient son catholicisme. Comme Madaure, il assistait des cours tout pntrs par lestraditions et les ides paennes, les rhteurs ne faisantque dvelopper renseignement des grammairiens ; et,comme Tagaste, il se livrait, sans rgle encore, sespassions. La correction relative de ses murs, avantsa conversion, ne date que du jour o il connut la mred'Adodat. Celui-ci n'tant n qu'en 372 2, rien n'oblige fixer ce jour aux dbuts des tudes d'Augustin Carthage.Tout indique, au contraire, que plusieurs mois s'coulrentdepuis son arrive jusqu'au moment o il se rangea demi, par le moyen d'un concubinage que la loi chr-tienne interdisait, mais dont les murs paennes s'accom-modaient. Les aventures qui lui amenrent, avec des joiesqu'il ne nie point, colligabar laetus, un cortge dejalousies, d'inquitudes et de colres 3 , sont distinctes deson union avec la mre de son fils, union qu'une fidlitmutuelle devait rendre paisible. Il parle de cette uniondans un passage o il rapporte des faits son honneur,

    1. ... Qui mihi monitus muliebres videbantur, quibus obtemperare eru-bescerem (1. II, c. ni, n. 7, col. 678).

    2. En 387, lorsqu'il fut baptis avec Augustin, il avait peu prs quinzeans (Confes.y 1. IX, c. vi, n. i4, t. XXXII, col. 769).

    3. ... colligabar laetus aerumnosis nexibus, ut caederer virgis ferreisardentibus zeli, et suspicionum, et timorum, et irarum atque rixarum (1. III, c. 1, n. 1, col. 683; et ibid.> c. ni, n. 5, col. 685) : unde me verbe-rasti gravibus pnis.

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    3o LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.entre le rappel de sa probit professionnelle et le rcit durefus qu'il fit un aruspice d'utiliser ses services 1 . Ce n'estdonc pas de cette liaison, bien qu'il la reconnaisse coupable,qu'il aurait crit : Dans quelles grandes iniquits je mesuis corrompu! , ni tant d'autres expressions si fortes 2 .D'ailleurs, lorsqu'il dit qu' en ces annes-l il n'aimaitqu'une femme, il donne bien entendre qu'il n'en avaitpas toujours t ainsi. Les plus vives expressions quifltrissent son inconduite se rapportent l'anne dsu-vre de Tagaste et sa premire arrive Cartilage,tandis que son concubinage a persvr jusqu'au jour desa conversion totale 3 .

    Expuls de son esprit par l'encombrement des idespaennes, et de son cur par la tyrannie des amourssensuelles, qu'tait devenu le christianisme d'Augustin?Le fils de Monique allait encore Fglise, aux jours defte ; mais le passage qui nous l'apprend raconte que dansl'enceinte sacre il avait conu et prpar une liaison cou-pable 4 . Il ne lui restait gure que le souvenir du nom duChrist, et c'est par ce souvenir, si trange que cela paraissed'abord, que s'explique, cette poque, son adhsion aumanichisme.

    2. De 1' a Hortensius au manichisme.Les Confessions mettent en bonne lumire ce point

    important. Augustin a dix-neuf ans. Jusque-l, part des

    i. Cf. Conjes., 1. IV, c. n, on. 2-3, col. 693-694 : In Mis annis unamhabebam, non eo quod legitimum vocatur, conjugio cognitam, sed quamindagaverat vagus amor, inops prudentiae ; sed unam tamen, ei quoqueservans tori fidem (n. 2).

    2. In quantas iniquitates distabui ! (1. III, c. m, n. 5, col. 685). Fdus atqueinhonestus (l. III, c. 1, n. 1, col. 683) Talis vita mea,numquid vila erat, Deus meus? (1. III, c. n, n. 4, col. 684)-

    3. Il se spara, il est vrai, de la mre d'Adodat un peu avant la conver-sion; mais il la remplaa presque aussitt par une autre femme.

    4. Ausus sum etiam in celebritate solemnitatum tuarum, intra parietes

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    LA FOI DE MONIQUE. ABANDON. RETOUR. 3lcroyances chrtiennes devenues de bonne heure trsvagues, il est rest indiffrent aux doctrines. Il a traversdes influences; il ne s'est point form de convictions. Acemoment, le cours de ses tudes littraires l'amne lireVIfortensius de Cicron 1 . Cet ouvrage nommait et faisaitun peu connatre presque tous les philosophes 2 . Dans lesseuls fragments qui en restent, on trouve dsigns Thaes,Dmocrite, Socrate, Platon, Aristote, Thophraste> lespicuriens, Ariston de Ghios, Posidonius, Nicomaquede Tyr. Mais, surtout, il contenait une exhortation laphilosophie. De tout notre pouvoir, dit Cicron lui-mme, nous avons exhort l'amour de la philosophie,dans le livre qui porte le nom d' Ifortensius* . Au-dessusdes biens qui passent, il montrait la sagesse immortelle.C'est elle que, sans s'attacher aucune secte particulire,il faisait aimer 4 . Saint Augustin nous a conserv la fin dudialogue. Elle en fait connatre le ton lev et pressant :a Si nous mditons ces choses jour et nuit, si nous aigui-ecclesiae tuae concupiscere et agere negotium procurandi fructus mortis (1. III, c. m, d. 5, col. 685).

    i. VHortensius n'a pas t retrouv. Les fragments qu'en ont citsdivers auteurs, et surtout saint Augustin, ont t souvent runis depuisSigonius(i55o), [cf. dans l'dition Lemaire, Paris, i83i, M. T. Ciceronisfragmenta, pp. 222-241] , jusqu' Mller (pars iv, vol. III, pp. 312-397).[Cf. O. Plasberg, De M. Tullii Ciceronis Hortensia dialogo, Berlin, 1892.]

    2. ... prope omnes qui ex illis et supra temporibus taies erant, notanturin illo libro et demonstrantur (1. III, c. iv, n. 8, col. 686).

    3. Cohortali sumus, ut maxime potuimus, ad philosophiae studium, ineo libro, qui est inscriptus Hortensius. De divinatione, II, 1, 1 (Cf. 3& Tus-culana et De Fin., 1. I, 1, 2.) Une phrase de P. Souquet (dans laGrande Encyclopdie, art. Cicron [Philosophie], pp. 354-355), rsumebien les raisons de l'influence de Cicron sur le jeune Augustin : Cicrondemeure en philosophie un esprit minemment excitateur : grce au tourdiscursif de ses crits dialogues, en forme d'exposition contradictoire et deplaidoyers, nourris d'allusions aux diffrentes coles, de preuves, de rfuta-tions et d'essais de conciliation, la lecture de Cicron est trs propre veillerchez les tudiants philosophes le got de l'histoire et celui de la discussion,le got de l'rudition et celui des ides.

    4. ... non illam aut illam sectam, sed ipsam, quaecumque esset, sapien-tiam... (ibid).

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    32 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.sons notre intelligence, cette pointe de l'me, si nousveillons ne pas la laisser s'mousser, une grande esp-rance nous est permise. Ou bien, ce qui nous fait sentir etjuger est une chose mortelle et caduque ; et il nous sera doux,aprs l'accomplissement de notre tche d'homme, de finir,non dans une extinction pnible, mais, pour ainsi dire,dans le repos. Ou bien, comme l'ont dit les plus grandsdes anciens philosophes, et de beaucoup les plus illustres,nous avons une me ternelle et divine; et il est croireque plus elle se sera mise en marche, c'est--dire mieuxelle aura raisonn et cherch, moins elle se sera mle etembarrasse parmi les vices et les erreurs des hommes,plus il lui sera ais de monter et de retourner au ciel.Aussi, pour terminer ce discours, que nous cherchions nous teindre en paix, aprs avoir ainsi occup notre vie,ou que nous songions passer sans retard de cettedemeure dans une autre bien meilleure, c'est ces tudesqu'il faut appliquer notre effort et notre attention 1 .

    L'effet sur Augustin fut dcisif. Cette lecture le rvla lui-mme. Ds cette poque, la vrit lui apparat commeseule digne de ses poursuites. Les espoirs qui ne se termi-nent point elle, il les juge vains. Sa conversion estcommence 2 . Ses premiers crits s'accordent avec lesConfessions pour exalter le bienfait de cet vnement : Ds ma dix-neuvime anne, lit-on dans le De beatavita 3 , aprs avoir tudi l'cole du rhteur ce livre deGicron qui a nom Hortensius^ j'ai t enflamm d'unsi grand amour pour la philosophie, que je songeai aussitt m'y adonner ; et Je premier livre des Soliloques contientcette dclaration : Certes, un seul livre de Gicron me

    i. De Trinitafe, 1. XIV, c. xix, n. 26, t. XLII, col. io56.2. Viluit mihi repente omnis vana spes, et immortalilatem sapientiae

    concupiscebam aestu cordis incredibili; et surgere cperam ut ad te redi-rent (Confes., I. III, c. iv, n. 7, col. 685).

    3. C. i, n. 4, t. XXXII, col. 961.

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    LA FOI DE MONIQUE. ABANDON. RETOUR. 33persuada sans peine qu'il ne faut aucunement poursuivreles richesses 1 . Gela ne sig-nifie point qu'Augustin a effec-tivement renonc ds lors aux honneurs et la fortune.Mais la vie de l'esprit lui avait t dvoile, comme unidal. Son intelligence avait t sduite. Dsormais, iljuge que la recherche et la contemplation mritent tousles sacrifices. Long-temps encore, la force lui manquera deles accomplir; il se le reprochera plus tard amrement 2 .Mais, ds ce moment, un besoin profond de mditer surles grands problmes s'est veill en lui. Quand il fermaYHortensius, il tait devenu philosophe.

    Quelle sera l'issue de ce grand changement? Conquis la philosophie par Cicron, le jeune tudiant de Carthagene va-t-il pas se tourner vers les philosophes et chercherla sagesse uniquement aime dans l'une ou l'autre descoles que dcrit YHortensius, ou tout au moins adopterl'clectisme distingu et enthousiaste de son nouveau ma-tre? Une me vierge de tout pli antrieur et sans doutefait ainsi. Mais le fils de Monique ne pouvait chercher letout de la vie dans une direction o nulle part n'apparais-sait le Christ. Il le dclare en termes trop prcis et tropinsistants pour que son tmoignage puisse tre suspect,ou trait comme une inconsciente interpolation de senti-ments postrieurs : Vous le savez, lumire de mon cur :pour moi, bien que j'ignorasse encore, cette poque, lesparoles de l'aptre, cela seul me ravissait dans cette exhor-tation, de me sentir par elle excit, enflamm, embras aimer, chercher, conqurir, possder et treindrefortement non point tel ou tel systme, mais la sagesse

    i. G. x, n. 17, t. XXXII, col. 878.2. ... ab undevigesimo anno aetatis meae, lecto Giceronis Hortensio,

    excitatus sum studio sapientiae ; et differebam coatempta felicitate terrenaad eam investigandam vacare, cujus non inventio, sed vel sola inquisitiojam praeponenda erat etiam inventis thesauris regnisque gentium, et adnutum circumfluentibus corporis voluptatibus (Confes. 1. VIII, c. viijn. 17, t. XXXII, col. 757 ).

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    34 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.elle-mme, quelle qu'elle ft; et dans mon enthousiasme,une seule chose me contrariait: c'est que le nom du Christne se trouvt pas dans ce discours. Ce nom, en effet,par votre misricorde, Seigneur, ce nom de mon Sauveurvotre Fils, mon cur d'enfant l'avait bu avec le lait dema mre, et il le gardait profondment en lui; et rien dece qui ne contenait point ce nom, si littraire, si lgant,si vrai que cela ft, ne m'enlevait tout entier 1 .

    C'est pourquoi itaque Augustin rsolut d'tu-dier les Saintes Ecritures 8 . L'lan suscit par Cicron setournait spontanment vers le Christ.

    Qu'est-ce qui empcha Augustin d'accomplir ds lorsl'uvre qu'il entreprit, quatorze ans plus tard, Milan et Gassiciacum, d'approfondir intellectuellement la religionde Monique? Quelque temps, son ardeur de recherche futcontenue par une crainte : n'tait-ce point agir tm-rairement que de vouloir raisonner ses croyances? On luiavait inculqu, ou peut-tre rencontrait-il encore dansson entourage, une notion troite et timide de la foi.Plus tard, mme revenu au christianisme, il la jugeradraisonnable. Dans le De beata vita, il traite sa crainted'autrefois de scrupule puril , et il parle avec logede la libert d'esprit qui lui succda 3 . Et pourtant, quand

    i. Confes. 1. III, c. iv, n. 8, col. 686 : Quoniam hoc nomen secun-dum misericordiam tuam, Domine, hoc nomen Salvatoris mei Filii tui, inipso adhuc lact matris, tenerum cor raeum praebiberat, et alte retinebat ;et quidquid sine hoc nomine fuisset, quamvis literatum, et expolitum,et veridicum, non me totum rapiebat. M. Louis Bertrand pensebien tort qu'Augustin a cd, ici, la tentation d'une belle phrase .Saint Augustin, p. 126.

    2. Itaque institui animum intendere in Scripturas sanctas (1. III,c. v, n. 9, col. 686).

    3. Nam et superstitio quaedam puril is me ab ipsa inquisitione deter-rebat : et ubi factus erectior, illam caliginem dispuli De beata vita(c. 1, n. 4, t. XXXII, col. 961). I) nous semble qu'il y a inexactitude, aumoins dans l'expression, crire que cette superstitio quaedam purile tait la foi catholique de son enfance (Alfaric, Vvol. int.d'Atiff.,l. I, p. 70,note).

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    il crivait ainsi, il acceptait l'autorit de l'Eglise 1 , et dansle mme alina, il se rfrait l'autorit de ceux quiont enseign les divins mystres 2 .

    Cette entrave enleve, une autre se fit sentir. Augustinne comprit rien la Bible. Il fut rebut, du. Quelleraison donner ce fait? L'imprparation de son me,pense-t-il lui-mme. La simplicit de l'Ecriture choquaitses exigences de rhteur. Mon enflure dtestait sa per-fection mesure, et mon regard n'atteignait pas jusqu'son intrieur 3 . Il a, en effet, mentionn plus haut l'or-gueil et la vanit dont il s'emplissait l'cole : Ma joietait orgueilleuse et j'tais gonfl de vanit 4 . Il aimaitla vrit, il cherchait le Christ; mais il les voulait relevspar l'ampleur cicronienne et par de fastueuses appa-rences 5 . Un jour viendra o il se nourrira des LivresSaints. C'est qu'il aura t transform; il sera devenuamoureux de l'autorit; de la lettre il saura faire jaillirl'esprit. Mais l'tudiant de Carthage ddaigne les rcitsbibliques comme des contes de bonne femme 6 .

    Aussi (c'est encore saint Augustin qui indique ce lienlogique, itaque ), il tomba entre les mains desmanichens. Ils taient beaux parleurs ; ils avaientsans cesse la bouche les noms de Dieu, de Jsus-Christ,

    1. Quelques jours plus tard, il disait: Mihi autem certum est nusquamprorsus a Christi auctoritate discedere Contra Academ. (1. III, c xx,n. 43, t. XXXII, col. 95 7 ).

    2. ... collataque cum eis, quantum potui, etiam illorum auctoritate quidivina mysteria tradiderunt.

    3. Tumor enim meus refugiebat modum ejs; et acies mea non pene-trabat interiora ejus (1. III, c. v, n. 9, col. 686).

    4- ... et gaudebam superbe, et tumebam typho (1. III, c. m, n. 6,col. 685). Cf. De utilit. credendi, c. 1. n. 2, t. XLII, col. 66.

    5. Visa est mihi indigna, quam Tullianae dignitati compararem (1. III, c. v, n. 9, col. 686).

    6. DansleZte utilitate credendi, qu'il crivit vers 3gi pour arracher sonami Honort au manichisme, Augustin dit que les manichens le rencon-trrent lui-mme dans l'tat d'esprit d'un tudiant orgueilleux et prtentieuxet spernentem scilicet quasi aniles fabulas (c. 1, n. 2, t. XLII, col. 66).

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    36 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN.du Paraclet ; ils rptaient : vrit ! vrit 4 ! Mansse donnait pour aptre du Christ, au sens de Paracletenvoy par le Christ. Son ptre, dite du Fondement,dbutait ainsi : Mans, aptre de Jsus-Christ parla providence de Dieu le Pre \ Augustin lui reprochede chercher entre dans les mes ignorantes par lemoyen du nom du Christ 3 . Une imitation de la hi-rarchie catholique organisait la secte manichenne 4 .Ayant rompu avec eux, saint Augustin croira les rfutersuffisamment en montrant qu'ils dchirent l'Ecrituredu Christ et qu'ils ne sont pas chrtiens 5 .

    N'tait-ce pas ce qu'il fallait au fils de Monique, ausortir de sa lecture de 1' Hortensius'l II resterait chr-tien, il chercherait librement la vrit, il ne renon-cerait point ses prtentions de rhteur. Mais il s'ensuitque saint Augustin se fit manichen parce que le mani-chisme tait une secte chrtienne, et se donnait commele pur christianisme. S'il avait cherch seulement l'l-gance littraire et l'enthousiasme pour la vrit, il les

    i. Incidi itaque (CSEL, p. 5o, ligne i5 : Itaque incidi... ) inhomines superbe dlirantes, carnales nimis et loquaces, in quorum orelaquei diaboli et viscum confectum commixtione syllabarum nominis tui etdomini Jesu Christi et paracleti consolatoris nostri Spiritus Sancti. Haecnomina non recedebant de ore eorum... Et dicebant, Veritas, et veritas (1. III, c. vi, n. io, col. 686-687).

    2. Manichaeus apostolus Jesu Christi providentia Dei Patris. Contraepistolam Manichaei (c. v, n. 6, t. XLII, col. 176). Quand saint Augus-tin rencontra les manichens, il y avait peu prs un sicle que Mans taitmort. N vers 240, il s'teignit en effet vers 274. Il avait enseign sa doc-trine dans la Perse, sa patrie.

    3. ... per Christi nomen ad imperitorum animos aditum quaerit. Contra epistolam Manichaei (c. vm, n. 9, t. XLII, col. 178.)4- De Haeresibus (c. xlvi, t. XLII, col. 39).5. Nec omnino ullam relinquam testem sententiam productam de aposlo-

    lica disciplina, cui non de Veteri Testamento similem comparem ; ut si evigilaretandem, deposita pertinacia somniorum suorum, et in christianae fidei lucemaspirare voluerint, animadvertant et quam non sit christiana vita quamostentant, et quam sit Christi Scriptura quam lacrant. {De moribus Ecclc-si catholic, c. 1, n. 2, t. XXXII, col. i3ii.)

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    LA FOI DE MONIQUE. ABANDON. RETOUR. 3jet trouvs ailleurs. S'il s'tait dcid pour le seulappt d'une doctrine toute de raison et nullement d'au-torit, il et pu choisir n'importe quelle cole philoso-phique. La prtention rationaliste des manichens ne leurvalait un avantage que par rapport aux autres chrtiens,et en particulier, par rapport aux catholiques 1 .

    i . ... eoque Catholicam maxime criminantur quod illis qui ad eam veniuntpraecipitur ut credant ; se autem non jugum credendi imponere, sed docendifontem aperire gloriantur. (De utilitate credendi, c. ix, n. 21, t. XLII,col. 79. Cf. ibid., c. 1, n. 2, col. 66, etc.) Voici, selon l'ordre chro-nologique, la liste des ouvrages dans lesquels saint Augustin expose ourfute le manichisme, et qui constituent la principale source de renseigne-ments sur cette secte (selon M. Alfarie, L'eu. int. de S. Aug., I, p. 218,c'est Augustin qui nous fournit sur elle les renseignements les plus nom-breux, et, dans l'ensemble, les plus srs ) :De Genesi contra Mani-

    chaeos libri duo 388-3oo Migne, t. XXXIV, col. 178-220.Demoribus Ecclesiae cathol.etdemor. Manichaeorum . vers3oo t. XXXII, 1809-1378.De utilitate credendi adHonoratum 39(-392 t. XLII, 63-92.De duabus animabus con-tra Manichaeos 391-392 93-1 12.Acta seu Disputtio contraFortunatum 392 11 i-i3o.Contra Adimantum Mani-chaei discipulum 398-396 129-172.Contra epistolam Manichaeiquant vocant Fundamenti. 397 173-206.Contra Faustum Mani-chaeum libri XXXIII . .

    .

    4oo 207-518.De actis cum Felice Mani-chaeo, libri II Dec. 44 5 19-552.De natura boni contra Mani-chaeos 4o5 551-578.

    Contra Secundinum Mani-chaeum 4o5-4o6 577-602.De HaeresibuSy c. XL VI(rsum vigoureux) 42& 34-39.Epistola 236 a ( l'vqueDeutrius) ? t. XXXIII, io33-io34.Enfin, quelques sermons. On trouvera un long expos des ides manichennes dans le livre deM. Alfarie : L'volution intel. de S. Aug., I, Paris, 1918, pp. 95-i58. (Voir

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    38 LA FORMATION DE SAINT AUGUSTIN. 3. L'adhsion au manichisme.

    Pass aux manichens, Augustin resta en contact avecles Ecritures des catholiques. Les disciples de Mansrecevaient le Nouveau Testament, sauf en supprimer,sous quelque beau prtexte, les passages qui les gnaient 4 .Seulement, aux textes du canon catholique, ils ajou-taient et prfraient des apocryphes 2 . Mais surtout,ils taient les ennemis de l'Ancien Testament. C'est pardes attaques contre les anthropomorphismes de laGense 3 , et contre la vie des patriarches, qu'ils dta-du mme auteur : Les Ecritures manichennes, Paris, 1 9 1 7.) M. Alfaric faittrop aisment bon march du tmoignage de saint Augustin, quand il estdfavorable aux manichens. Les faits qu'Augustin avait constats lui-mmedans l'lite de la secte (et que d'ailleurs M. Alfaric rapporte, vg. pp. 3io-3i4) l'autorisaient porter un jugement svre sur ses anciens coreli-gionnaires et ne pas rejeter facilement les charges releves contre euxpar d'autres tmoins.

    Isaac Beausobre, {Histoire critique de Manicht et du Manichisme,Amsterdam, 1734 et 1739) a prtendu que saint Augustin n'a pas connuexactement la doctrine manichenne. Le manichen Fortunat tait d'unautre avis quand il rpondait son adversaire : Tu as t au milieu denous, tu as vcu parmi les manichens. Aussi est-ce bien les principes denotre foi que tu viens d'noncer. (Contra Fortunat. disput. i ae diei, n. 1,t. XLII, col. n3.)

    1. Cf. Confes. 1., V, c. xi, n. 21, t. XXXII, col. 710.2. De Haeresibus, c. xlvi, t. XLII, col. 38.3. 11 ne faut pas trop s'tonner de l'accusation d'antropomorphisme porte

    contre les catholiques par les manichens. Il suffisait ceux-ci de prendre la lettre les expressions bibliques. En dehors des manichens, une sected'anthropomorphites existait envers laquelle l'Eglise semble avoir montrplus de piti indulgente que de svrit.

    S. Augustin rapporte que ces antropomorphites ne s'taient pas spars,en Egypte, de la communion de l'Eglise. (De haeresibus, c. l, t. XLII,col. 3g). Depuis le commencement du IVe sicle, ils s'taient constitus etmaintenus dans un assez grand nombre de monastres orientaux. On lesappelait aussi Audiens, du nom de leur fondateur. Ils prenaient la lettreles locutions anthropomorphiques de la Bible. Tb yp xoc-c' etx6va ouio xat otfiei' auTo, Zr.zp 6 eb; BEu)pr)xa'. xw 'Aou., ^:oxp6Ta>; (BouXeiai pi'eiv eivai touto7:X7]pouaEvov xax to owaa (Saint Epiphane, Adversus haereses 1. 3, t. I. DeSchismate Audianorum, dans Migne P. G. t. XLII, col. 34i. On saitcomment ils s'insurgrent en 399 contre Thophile d'Alexandrie, qui les

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    LA FOI DE MONIQUE. ABANDON. RETOUR. 3qchrent Augustin du catholicisme 1 . La victoire leurtait facile, tant le jeune rhteur se trouvait maldispos envers la Bible, et tant il ignorait sa religion.Il explique lui-mme par cette ignorance la facilit aveclaquelle il fut sduit : L'ignorance de certains catho-liques en fait la proie des manichens... Tel a t notrecas, quand nous sommes tombs entre leurs mains 2 . En abandonnant la foi de Monique, Augustin pensaitaller vers la vrit 3 .

    Pendant neuf ans, il demeura dans la secte. Il s'entint au degr d'auditeur, sorte de catchumnat 4 . Dansquelle mesure adhra-t-il la doctrine manichenne 5 ?Il importe de faire cette question une rponse exacte,avait pris parti dans une lettre pascale. (Cf. Socratis hist. eccl. 1. VI,c. vu, Migne P. G. t. LXVII, col. 683. et Tillemont, Mmoires pour servir Vhisl. eccl. t. XI, pp. 461 s. qq.)

    i. ... reprehendentes Manichaei catholicam fidem, et maxime vtus tes-tamentum discerpentes et dilaniantes, commovent imperitos. De utilitatecredendi c. n, n. l\, t. XLII, col. 67. Les Confessions font cho : Quibusrerum ignarus perturbabar... Cf. tout le chapitre 7 du 1. 3, col. 688-689.

    2. Sed talis imperitia nonnullorum Catholicorum, venatio Manichaeorumest. Taies enim soient insectari, taies suis fallaciis irretire : taies in eos ceci-deramus, taies haeseramus. Contra Faustum, 1. i4, c. vin, t. XLII,col. 299). Les textes de la note prcdente contiennent le mme aveu. C'est dans le De duabus animabus que saint Augustin regrette de s'trelaiss sduire par les manichens tam facile ac diebus paucis (c. 1, n. 1,t. XLII, col. 93).

    3. ... et recedens a veritate, ire in eam mihi videbar (Conf., 1. III,c. vu, n. 12, t. XXXII, col. 688). Saint Augustin ne dit pas que les diffi-cults du problme du mal l'aient pouss dans le manichisme. Nous croi-rions qu'avant de rencontrer les disciples de Mans, il ne s'tait pas proc-cup de ce problme. Son matre Gicron s'en soucie peu. Mais il est clairque les questions des manichens sur ce sujet durent l'impressionner et quela rponse si simple qu'ils Leur faisaient dut contribuer le sduire. En touscas, une fois dans la secte, rien ne l'y retint plus fortement que le souci duproblme du mal.

    4- ... non illic ita appellari catechumenos tanquam eis baptismus quan-doque debeatur ; sed eos hoc vocari, qui etiam auditores vocantur {Contralitteras Petiliani, 1. III, c. xvn, n. 20, t. XLIII, col. 307) [ouvrage anti-do-natiste, crit vers l'an ^oo].

    5. Voici comment saint Augustin fait connatre, dans le De haeresibus,les trois principes fondamentaux de la mtaphysique manichenne : i Dua-

    4

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    40 LA FORMATION DR SAINT AUGUSTIN.si Ton veut comprendre de quelle manire le catho-licisme s'est de nouveau insinu dans son esprit pour lereprendre *.Une fois dgag du manichisme, saint Augustin aconstamment dclar qu'il ne lui avait jamais donnune adhsion absolue : c< J'avais march dans les voiesmauvaises d'une religion sacrilge, dit-il dans les Confes-sions, non point il est vrai avec certitude, mais en laprfrant aux autres 2 . La mme affirmation setrouve dans l'un de ses pre