a. paugam* - edimark · a. paugam* * laboratoire de parasitologie-myco-logie, hôpital cochin,...

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222 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 6 - novembre-décembre 2010 MISE AU POINT Le point sur l’antifongigramme Trends in antifungal susceptibility test methods A. Paugam* * Laboratoire de parasitologie-myco- logie, hôpital Cochin, Paris ; université Paris-Descartes. L a mycologie médicale est une discipline relativement récente. Son importance crois- sante tient notamment à l’augmentation du nombre de patients hospitalisés exposés aux infec- tions fongiques disséminées, comme les malades transplantés d’organes, ou les patients souffrant d’hémopathie et pour lesquels une chimiothérapie aplasiante est nécessaire. Rappel mycologique Le mycologue classe les micromycètes en 3 catégo- ries : levures, filamenteux et dimorphiques (tableau I). L’appartenance supposée ou démontrée du champi- gnon à l’une ou l’autre de ces catégories a des consé- quences importantes sur les moyens diagnostiques mis en œuvre au laboratoire (culture en boîte ou en tube, délai de rendu négatif, tests spécifiques) ainsi que sur les antifongiques à utiliser en première inten- tion (fluconazole inactif sur les filamenteux). Historique des antifongiques Bien que la commercialisation de l’amphotéricine B (Fungizone ® ) remonte à 1950, il a fallu attendre les années 1990 pour disposer de formes lipidiques de ce médicament (Ambisome ® , Abelcet ® ), moins toxiques pour la fonction rénale. C’est également dans les années 1990 que sont apparus les antifongiques triazolés : fluconazole (Triflucan ® ), itraconazole (Sporanox ® ), puis voriconazole (Vfend ® ) au début des années 2000. Durant cette même période, la caspofungine (Cancidas ® ), qui représente la nouvelle famille d’antifongiques des échinocandines, est commercialisée. En 2005, le posaconazole (Noxafil ® ), nouveau triazolé, arrive sur le marché. En 2009, enfin, la micafungine (Mycamine ® ) vient rejoindre la caspofungine. Et cette année, nous disposerons vraisemblablement d’une troisième échinocandine, l’anidulafungine (Ecalta ® ). Parallèlement, les tech- niques d’antifongigramme ont évolué et le biologiste dispose désormais d’un vaste panel permettant de tester in vitro la sensibilité des levures, voire des champignons filamenteux vis-à-vis des principaux antifongiques systémiques. Mode d’action des antifongiques Les antifongiques systémiques agissent à différents niveaux de la cellule fongique (figure). Cette cellule est une cellule eucaryote, tout comme les cellules humaines. Le fait que les échinocandines agissent sur une structure spécifiquement fongique – la paroi – explique que cette famille d’antifongiques est parti- culièrement bien tolérée et a peu d’interactions avec les autres médicaments. Tableau I. Principaux genres et espèces de champignons responsables d’infections profondes, classés selon les catégories “levures”, “filamenteux” et “dimorphiques”. Levures Filamenteux Dimorphiques Genre Espèce Genre Espèce Genre Espèce Candida C. albicans C. glabrata C. parapsilosis C. tropicalis Aspergillus A. fumigatus A. flavus A. nidulans A. terreus Histoplasma H. capsulatum H. duboisii Cryptococcus neoformans Fusarium F. solani F. oxysporum Coccidioides C. immitis C. posadasii

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  • 222 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 6 - novembre-décembre 2010

    MISE AU POINT

    Le point sur l’antifongigrammeTrends in antifungal susceptibil ity test methods

    A. Paugam*

    * Laboratoire de parasitologie-myco-logie, hôpital Cochin, Paris ; université Paris-Descartes.

    La mycologie médicale est une discipline relativement récente. Son importance crois-sante tient notamment à l’augmentation du nombre de patients hospitalisés exposés aux infec-tions fongiques disséminées, comme les malades transplantés d’organes, ou les patients souffrant d’hémopathie et pour lesquels une chimiothérapie aplasiante est nécessaire.

    Rappel mycologique

    Le mycologue classe les micromycètes en 3 catégo-ries : levures, filamenteux et dimorphiques (tableau I). L’appartenance supposée ou démontrée du champi-gnon à l’une ou l’autre de ces catégories a des consé-quences importantes sur les moyens diagnostiques mis en œuvre au laboratoire (culture en boîte ou en tube, délai de rendu négatif, tests spécifiques) ainsi que sur les antifongiques à utiliser en première inten-tion (fluconazole inactif sur les filamenteux).

    Historique des antifongiques

    Bien que la commercialisation de l’amphotéricine B (Fungizone®) remonte à 1950, il a fallu attendre les années 1990 pour disposer de formes lipidiques de ce médicament (Ambisome®, Abelcet®), moins toxiques pour la fonction rénale. C’est également dans les

    années 1990 que sont apparus les antifongiques triazolés : fluconazole (Triflucan®), itraconazole (Sporanox®), puis voriconazole (Vfend®) au début des années 2000. Durant cette même période, la caspofungine (Cancidas®), qui représente la nouvelle famille d’antifongiques des échinocandines, est commercialisée. En 2005, le posaconazole (Noxafil®), nouveau triazolé, arrive sur le marché. En 2009, enfin, la micafungine (Mycamine®) vient rejoindre la caspofungine. Et cette année, nous disposerons vraisemblablement d’une troisième échinocandine, l’anidulafungine (Ecalta®). Parallèlement, les tech-niques d’antifongigramme ont évolué et le biologiste dispose désormais d’un vaste panel permettant de tester in vitro la sensibilité des levures, voire des champignons filamenteux vis-à-vis des principaux antifongiques systémiques.

    Mode d’action des antifongiquesLes antifongiques systémiques agissent à différents niveaux de la cellule fongique (figure). Cette cellule est une cellule eucaryote, tout comme les cellules humaines. Le fait que les échinocandines agissent sur une structure spécifiquement fongique – la paroi – explique que cette famille d’antifongiques est parti-culièrement bien tolérée et a peu d’interactions avec les autres médicaments.

    Tableau I. Principaux genres et espèces de champignons responsables d’infections profondes, classés selon les catégories “levures”, “filamenteux” et “dimorphiques”.

    Levures Filamenteux Dimorphiques

    Genre Espèce Genre Espèce Genre Espèce

    Candida C. albicans C. glabrata C. parapsilosis C. tropicalis

    Aspergillus A. fumigatus A. flavus A. nidulans A. terreus

    Histoplasma H. capsulatum H. duboisii

    Cryptococcus neoformans Fusarium F. solani F. oxysporum

    Coccidioides C. immitis C. posadasii

  • Azolés(fluconazole, voriconazole, itraconazole, posaconazole)

    Amphotéricine B

    ADNARN

    Cytochrome P 450

    Fluorocytosine

    Membrane

    Paroi

    Échinocandines

    (caspofungine, micafungine, anidulafungine)

    Figure. Mode d’action des antifongiques systémiques sur la levure.

    La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 6 - novembre-décembre 2010 | 223

    RésuméLe but de l’antifongigramme est de détecter une résistance, donc un possible échec thérapeutique. Pour les souches sensibles, le succès thérapeutique dépend principalement des caractéristiques de l’hôte et de l’infection. Les concentrations minimales inhibitrices (CMI) seuils des techniques de référence américaines (CLSI) et européennes (EUCAST) diffèrent : ainsi, la résistance au fluconazole est définie par une CMI ≥ 2 µg/ml en EUCAST, et par une CMI ≥ 64 µg/ml pour la technique CLSI. Les résistances au fluconazole et à la caspofungine sont largement croisées avec les molécules de la même famille : voriconazole, itraconazole et posaconazole pour le fluconazole ; micafungine et anidulafungine pour la caspofungine.

    Mots-clésAntifongigrammeAntifongiquesRésistance

    SummaryThe goal of antifungal suscep-tibility testing is to detect resistance therefore a possible therapeutic failure. For suscep-tible strains therapeutic success depends largely on the charac-teristics of the host and infec-tion. The minimum inhibitory concentrations (MIC) levels of technical references American (CLSI) and European (EUCAST) are different. For example, to define resistance to flucon-azole with EUCAST the MIC ≥ 2 µg/ml is used whereas it is the MIC ≥ 64 µg/ml with CLSI. The resistance to fluconazole and caspofungin are widely crossed with the molecules of the same family: voriconazole, itraconazole and posaconazole for fluconazole; micafungin and anidulafungin for caspofungin.

    KeywordsAntifungal susceptibility testing

    Antifungal drugs

    Resistance

    Indications de l’antifongigrammeIl faut d’emblée souligner que l’antifongigramme ne concerne que les infections justifiant l’admi-nistration d’antifongiques systémiques. Pour les infections superficielles dont le traitement repose le plus souvent sur la seule administration d’anti-fongiques topiques, l’antifongigramme est inutile, car les concentrations d’antifongiques obtenues par les applications locales sont, en dehors de certains onyxis, bien supérieures aux concentrations tissu-laires des antifongiques systémiques. L’identification de la levure, qui précède le résultat de l’antifongi-gramme, est un élément capital dans le choix initial de la molécule antifongique. Cette identification bénéficie de l’apport de tests rapides, biochimiques ou immunologiques, qui permettent la détection des espèces C. albicans, C. krusei, C. glabrata et Cryptococcus neoformans, tests auxquels il faut ajouter la préidentification possible des espèces C. albicans, C. krusei et C. tropicalis, selon l’aspect des colonies sur milieu chromogène. Concernant le

    choix thérapeutique initial, en dehors du spectre des antifongiques (tableau II), divers éléments doivent aussi être pris en considération : l’état du patient (réanimation), les fonctions rénale et hépatique, la prise d’antifongiques dans les 2 mois qui précè-dent, l’existence d’une neutropénie, d’autres prises médicamenteuses (interactions potentielles) et la présence ou non de dispositifs intra-vasculaires (biofilms) [http://www.infectiologie.com/site/medias/_documents/consensus/antifongiques-court-04.pdf].Dans un deuxième temps, le résultat de l’antifon-gigramme permet de confirmer la sensibilité de la levure à l’antifongique administré et d’envisager une désescalade thérapeutique, en remplaçant la molécule initiale par une molécule aussi active mais moins coûteuse ou mieux tolérée comme le fluconazole. En cas d’échec thérapeutique, en dehors de l’étude de la sensibilité in vitro du champignon vis-à-vis de l’antifongique utilisé, il faut souligner l’intérêt du dosage de l’antifongique, qui est un élément majeur dans la recherche de la cause de l’inefficacité thérapeutique.

  • 224 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 6 - novembre-décembre 2010

    Le point sur l’antifongigrammeMISE AU POINT

    Tests de sensibilité aux antifongiquesQuelle que soit la technique utilisée, le meilleur critère de sensibilité reste la détermination de la concentration minimale inhibitrice (CMI). Les seuils définissant la sensibilité ou la résistance sont dispo-nibles uniquement pour les levures.

    Méthodes de référence

    Il existe deux techniques de référence : la technique CLSI (Clinical and Laboratory Standards Institute) et la technique EUCAST (European Committee on Anti-microbial Susceptibility). Ces méthodes n’étant pas commercialisées, elles sont réalisées uniquement par des centres de référence. La technique européenne, mise au point après la technique américaine, visait à standardiser la lecture des résultats (mesure spec-trophotométrique à la place de la lecture visuelle) et à raccourcir le délai de lecture (24 au lieu de 48 heures).

    ◆ Méthode CLSIEn 1992, après plus de 10 années d’études au sein du comité de standardisation des techniques biologiques à utilisation médicale NCCLS (National Committee for Clinical Laboratory Standards), les Américains ont défini les paramètres permettant de déterminer la sensibilité des levures aux principaux antifongiques systémiques. Réalisée initialement en tubes (macrodilutions), la méthode CLSI a rapi-dement été adaptée pour une utilisation en micro-plaques (microdilutions) [1]. Mais cette technique laborieuse, non commercialisée, reste l’apanage de laboratoires américains spécialisés. C’est avec cette technique que les premières CMI seuils vis-à-vis des principaux antifongiques systémiques ont pu être proposées (tableau II).

    ◆ Méthode EUCASTLa méthode EUCAST est une technique européenne dérivée de la méthode CLSI. Elle s’en distingue par une concentration supérieure en glucose (2 % au lieu de 0,2 %), un inoculum plus dense (1-5 x 105 UFC au lieu de 0,5-2,5 x 103 UFC) et une lecture par spectrophotométrie. Par rapport à la technique CLSI, ces modifications permettent une lecture plus rapide (24 heures au lieu de 48 heures) et la possible automatisation de lecture des plaques. Il faut souligner que les CMI obtenues par la méthode EUCAST sont généralement plus basses que celles obtenues avec la technique CLSI (2). Les seuils de CMI définissant la sensibilité ou la résistance par la méthode CLSI ne pouvant être transposés à la méthode EUCAST, des seuils spécifiques ont été définis (tableau II) [3].

    Tests d’utilisation courante

    ◆ Etest®

    Le Etest® est une méthode d’antifongigramme en bandelette. Le verso des bandelettes est imprégné d’un gradient exponentiel et continu d’antifongique ; le recto, gradué, représente une échelle de concen-trations permettant la lecture d’une CMI (µg/ml). Cette technique apparue dans les années 1990 a d’abord été utilisée comme une technique d’an-tibiogramme (4), puis a rapidement été adaptée aux antifongiques (5). Elle présente une excellente corrélation avec la technique CLSI. C’est la méthode actuellement utilisée par la quasi-totalité des labo-ratoires de mycologie en France.

    ◆ Autres testsLes autres tests commercialisés sont nombreux. Pour juger de la fiabilité d’un test, il est indispensable de connaître ses performances par rapport aux tech-niques de référence CLSI et/ou EUCAST.

    Tableau II. Spectre des antifongiques vis-à-vis des principales espèces de Candida.

    Candida Fluconazole Itraconazole Posaconazole Voriconazole Flucytosine Amphotéricine B Caspofungine

    C. albicans S S S S S/R S S

    C. tropicalis S/S-DD S S S S S S

    C. parapsilosis S S S S S S S**

    C. glabrata S-DD/R S-DD/R S-DD/R S* S S/I S

    C. krusei R S-DD/R S-DD/R S I/R S/I S

    C. lusitaniae S S S S S S/R S

    S : sensible ; S-DD : sensible dose-dépendant ; I : intermédiaire (S ou R, pas d’effet-dose) ; R : résistant.* Résistance croisée observée avec des souches de fluconazole R ; ** Chiffres de CMI significativement plus élevés qu’avec les autres espèces de Candida.

  • La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 6 - novembre-décembre 2010 | 225

    MISE AU POINT

    Actuellement, en dehors du Etest®, seul le Sensititre Yeast One® permet de tester les nouveaux antifon-giques (échinocandines, posaconazole) [6].

    Interprétation des tests

    Interprétation des CMI de Candida spp. (tableau III)

    ◆ Amphotéricine BÀ la différence des azolés et de la flucytosine, il n’existe pas de seuil officiel de CMI pour définir la résistance à l’amphotéricine B. Certains auteurs ont toute-fois proposé une CMI ≥ 2 µg/ml pour la technique NCCLS (7). Mais, pour distinguer sensibilité et résis-tance vis-à-vis de l’amphotéricine B, le Etest® semble plus performant que la méthode CLSI parmi les tests disponibles (8). Par cette technique, le seuil de CMI associé à un échec thérapeutique (traitement des candi-démies) a été observé à 0,38 µg/ml (9). C’est aussi par cette technique qu’il a été démontré que C. glabrata et C. krusei devaient être considérés comme moins sensibles vis-à-vis de l’amphotéricine B que les autres espèces de Candida avec, respectivement, seulement 72,5 % et 8 % des isolats ayant une CMI ≤ 1,0 mg/ml (10). Il faut souligner que pour les formulations d’amphotéricine B lipidiques (Ambisome®, Abelcet®), aucun seuil de CMI n’a été proposé à ce jour (11).

    ◆ Fluconazole, itraconazole et flucytosinePour ces antifongiques, les seuils retenus ont été définis en fonction des résultats obtenus princi-palement chez des malades sidéens souffrant de candidose oropharyngée ou œsophagienne et chez quelques malades non neutropéniques atteints de candidose disséminée. Ces valeurs ne sont appli-cables qu’aux levures. Pour la 5-flucytosine, il faut préciser que le classement en catégorie intermé-diaire, à la différence de la catégorie S-DD, implique que la résistance ou la sensibilité de la souche ne dépend pas d’une augmentation des posologies.

    ◆ VoriconazoleLe voriconazole est un dérivé du fluconazole ; son spectre a été élargi aux filamenteux (Aspergillus) et aux espèces de Candida résistantes (C. krusei). C’est en 2006 que le CLSI a proposé des valeurs seuils pour le voriconazole (12) :

    ➤ souche sensible : CMI ≤1 µg/ml ; ➤ souche sensible dose-dépendant (S-DD) : 2 µg/ ml

    ≤ CMI < 4 µg/ml ; ➤ souche résistante : CMI ≥ 4 µg/ml.

    Ces seuils ont été définis en fonction de la distribu-tion des CMI de souches cliniques, de la pharmaco-dynamie et de la pharmacocinétique du voriconazole, et de la corrélation clinico-biologique observée lors d’essais de phase III. Dans une étude de 2007, M.C. Arendrup et al. ont comparé les CMI obtenues avec différentes espèces de Candida ; les auteurs souli-gnent que pour C. glabrata, (responsable de 17 % des infections dans les essais de phase III), la CMI90 est de 4 µg/ml (90 % des souches ont une CMI inférieure à la valeur 4 µg/ml), soit une augmentation de 4 à 5 log par rapport aux autres espèces C. albicans, C. tropicalis et C. parapsilosis (13). Ces auteurs consi-dèrent donc que la CMI seuil ≥ 4 µg/ml qui définit la résistance est trop élevée. De plus, ils contestent la formulation S-DD pour les CMI comprises entre 2 et 4 µg/ml, en raison de la pharmacologie non linéaire du voriconazole. Sur ce point, M.A. Pfaller et al. (12) suggèrent, pour cette zone de CMI, de faire un dosage sérique de voriconazole pour s’assurer que celui-ci est bien dans la zone thérapeutique plutôt que d’augmenter d’emblée la posologie.

    ◆ Résistance croisée aux azolésPour C. krusei, on observe une résistance primaire au fluconazole, ce qui n’est pas le cas pour le vorico-nazole. En revanche, pour C. glabrata, espèce moins sensible ou résistante au fluconazole, on relève une forte corrélation entre les niveaux de CMI au fluconazole et ceux obtenus avec le voriconazole et le posaconazole (R = 0,9 et 0,8 respectivement). Selon les études, le pourcentage d’isolats résistant au fluconazole ayant une CMI élevée au voricona-zole, au ravuconazole (non encore disponible) ou au posaconazole varie de 83 à 92 % (14).

    ◆ ÉchinocandinesLes échinocandines sont les seuls antifongiques capables d’agir sur la paroi fongique. Les autres anti-fongiques agissent soit directement (polyènes), soit indirectement (azolés) sur la membrane (figure).

    Tableau III. Interprétation des CMI de Candida par les méthodes CLSI et EUCAST.

    CMI (µg/ml)

    SensibleSensible

    dose-dépendantIntermédiaire Résistant

    Fluconazole CLSI ≤ 8 16-32 ≥ 64

    EUCAST ≤ 0,25 0,5-1,0 ≥ 2

    Itraconazole CLSI ≤ 0,125 0,25-0,5 ≥ 1

    Flucytosine CLSI ≤ 4 8-16 ≥ 32

    Voriconazole CLSI ≤ 1 2 ≥ 4

    EUCAST ≤ 0,12 0,25-1,0 ≥ 2

  • 226 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 6 - novembre-décembre 2010

    Le point sur l’antifongigrammeMISE AU POINT

    L’atteinte de la paroi, structure spécifiquement fongique, limite d’autant les effets secondaires pour les cellules de l’hôte. Le chef de file de cette famille est la caspofungine (Cancidas®), récem-ment rejointe par la micafungine (Mycamine®), et bientôt par l’anidulafungine (Ecalta®) en France. Il faut souligner que si les échinocandines sont actives sur la plupart des levures, les basidiomy-cètes (Cryptococcus, Trichosporon, Rhodotorula) y sont naturellement résistants. En 2008, M.A. Pfaller et al. ont proposé un seuil à 2 µg/ml pour les échi-nocandines (15). Pour ce faire, ils ont considéré les CMI (méthode CLSI) de 5 346 souches de Candida isolées d’hémocultures et de sites stériles. Sur cet échantillon de souches sauvages, 98,8 % des isolats avaient une CMI ≤ 2 µg/ml vis-à-vis des 3 échi-nocandines. Par ailleurs, comme de rares souches de résistance clinique publiées avaient toutes des CMI > 2 et habituellement ≥ 8 µg/ml, ces auteurs ont proposé le seuil de 2 µg/ml pour séparer les souches sensibles des souches non sensibles. En préférant le terme “non sensibles” à celui de “résis-tants” en raison de la faible proportion de souches résistantes considérées, ils ont utilisé le même terme que les bactériologistes emploient dans ce type de situation. Compte tenu de la corrélation observée entre les niveaux de CMI obtenus avec les échinocandines (caspofungine et anidulafun-gine [R = 0,85] et caspofungine et micafungine [R = 0,84]), le seuil de 2, établi principalement sur des données concernant la caspofungine, a été élargi aux deux autres échinocandines. Par ailleurs, la résistance in vitro des Candida aux échinocan-dines a pu être associée à la présence de mutations du gène fks (16-18). Ce type de mutations a été retrouvé avec les souches impliquées dans des résistances cliniques (19-24).Plus récemment, G. Garcia-Effron et al. (25) ont étudié une douzaine de souches de C. albicans toutes mutées fks. Quatre-vingt-trois pour cent des souches avaient des CMI > 2 µg/ml vis-à-vis de la caspofungine, alors que ce pourcentage n’était que de 42 % pour la micafungine et de 0,8 % pour l’ani-dulafungine. Pourtant, par une étude de cinétique enzymatique (Km, Vmax) de l’inhibition de la (1-3)-β-D glucane synthétase, cible des échinocandines, ces auteurs ont observé que l’inactivation enzyma-tique obtenue avec la micafungine et l’anidulafun-gine était du même ordre que celle obtenue avec la caspofungine. Aussi, pour dépister les souches de C. albicans mutées fks, les auteurs proposent soit d’abaisser le seuil de CMI non sensibles à 0,5 µg/ml pour la micafungine et l’anidulafungine, soit de

    ne tester que la caspofungine et, pour les souches ayant une CMI > 2 µg/ml, de considérer que cette non-sensibilité est croisée avec les autres échino-candines, indépendamment de leurs valeurs de CMI. Cela doit inciter à relativiser la portée des obser-vations pour lesquelles, en cas de mutation fks1, la comparaison des CMI met en évidence des dif- férences pouvant paraître significatives (18). Enfin, aucune résistance croisée entre le fluconazole et les échinocandines n’a été observée ; toutes les souches résistantes, que ce soit par mécanisme CDR1, CDR3 et/ou MDR1, sont sensibles à la caspofungine (15, 26-27).

    Interprétation des CMI pour les champignons filamenteux

    Les méthodes de référence CLSI (28) et EUCAST (29) ont été adaptées pour la mesure des CMI des cham-pignons filamenteux, de même que les méthodes commercialisées Etest® et Sensititre Yeast One®. Mais il faut souligner que les CMI seuils permet-tant de distinguer les souches sensibles des souches résistantes n’ont pas été officiellement définies. Or, depuis que l’arsenal des antifongiques actifs sur les filamenteux s’est élargi aux nouveaux triazolés (voriconazole, posaconazole), s’ajoutant à l’am-photéricine B et à l’itraconazole, le choix thérapeu-tique pourrait légitimement s’appuyer, entre autres paramètres, sur la sensibilité in vitro du filamen-teux vis-à-vis de ces antifongiques. Dans une étude récente, M.A. Pfaller et al. ont étudié 657 isolats d’A. fumigatus par la méthode CLSI, afin de définir la CMI maximale des souches sauvages vis-à-vis de l’itraco-nazole, du posaconazole et du voriconazole (30). Ils ont considéré que les souches ayant acquis des résis-tances devaient avoir des CMI élevées. Pour 99,8 % des isolats, la CMI était ≤ 1 µg/ml (mode 0,25 µg/ml) pour l’itraconazole, ≤ 0,25 µg/ml pour le posacona-zole, et ≤ 1 µg/ml pour le voriconazole. De leur côté, J.L. Rodriguez-Tudela et al. ont étudié 553 isolats d’A. fumigatus par la technique EUCAST (31) : les souches pour lesquelles la CMI était supérieure à 2 µg/ml pour l’itraconazole avaient une forte proba-bilité d’être résistantes aux azolés (mutations du gène cyp51A). Concernant les résistances croisées aux azolés, M.A. Pfaller et al. ont étudié 43 souches résistantes à l’itraconazole (CMI de 2 à 8 µg/ml) ; ils ont observé une résistance croisée avec le posaco-nazole pour 53,3 % des souches et une résistance commune posaconazole/voriconazole pour 7 % des souches (30).

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    Conclusion

    Plus de 20 ans après la mise au point de la tech-nique de référence d’antifongigramme américaine CLSI, suivie de la technique européenne EUCAST, des progrès considérables ont été accomplis qui ont permis la mise au point de tests commercialisés fiables (Etest®, Sensititre Yeast One®), avec lesquels il est possible d’obtenir des CMI vis-à-vis des molé-cules antifongiques, même parmi les plus récentes (voriconazole, posaconazole, échinocandines). Ces tests ont également favorisé le développement de nos connaissances épidémiologiques et moléculaires sur la résistance des levures (Candida) et des fila-menteux (Aspergillus) aux antifongiques.L’antifongigramme est un apport indéniable pour le choix thérapeutique du clinicien, mais celui-ci doit impérativement s’accompagner d’une identifica-tion précise du champignon et de la nature du test utilisé, car, pour un même antifongique, une CMI pourra être interprétée différemment selon le test (CLSI ou EUCAST par exemple) et selon l’espèce (C. albicans ou C. glabrata par exemple). Enfin, les concentrations seuils permettant de détecter les résistances in vitro présentent des limites dont les études internationales précisent les paramètres et dont les connaissances, sans cesse actualisées, justi-fient une collaboration étroite entre biologistes et cliniciens. ■

    1. Reference method for broth dilution antifungal susceptibility testing: approved standard, 3rd ed; M27-A3. Clinical and Labo-ratory Standards Institute, Wayne, PA 2008.2. Espinel-Ingroff A, Barchiesi F, Cuenca-Estrella M et al. Interna-tional and multicenter comparison of EUCAST and CLSI M27-A2 broth microdilution methods for testing susceptibilities of Candida spp. to fluconazole, itraconazole, posaconazole, and voriconazole. J Clin Microbiol 2005;43:3884-9.3. Cuenca-Estrella M, Gomez-Lopez A, Mellado E, Rodriguez-Tudela JL. Correlation between the procedure for antifungal susceptibility testing for Candida spp. of the European Committee on Antibiotic Susceptibility Testing (EUCAST) and four commercial techniques. Clin Microbiol Infect 2005;11:486-92.4. Sanchez ML, Barrett MS, Jones RN. The E-Test applied to suscep-tibility tests of gonococci, multiply-resistant enterococci, and Enterobacteriaceae producing potent beta-lactamases. Diagn Microbiol Infect Dis 1992;15:459-63.5. Paugam A, Lassal H, Tourte-Schaefer C, Dupouy-Camet J. Évaluation d’une nouvelle technique d’antifongigramme : le Etest®. Étude de la sensibilité au fluconazole de souches de Candida réfé-rencées. J Mycol Med 1995;5:163-4.6. Pfaller MA, Espinel-Ingroff A, Jones RN. Clinical evaluation of the Sensititre YeastOne colorimetric antifungal plate for antifungal susceptibility testing of the new triazoles voriconazole, posaco-nazole, and ravuconazole. J Clin Microbiol 2004; 42:4577-80.

    Références bibliographiques

    Retrouvez l’intégralité des références bibliographiques sur www.edimark.fr