la faim des régimes - edimark

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Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 2 - février 2013 12 dossier thématique La faim des régimes La faim des régimes Hunger for diets Catherine Grangeard* * Psychanalyste, Beynes. RÉSUMÉ Highlights » La question “D’où vient cette appétence pour le régime ?” sera notre fil conducteur. La faim de régime est à décrypter pour que les personnes s’y soumettant puissent déceler ce qui les pousse à adopter des régimes nocifs. La promesse des régimes est souvent de l’ordre d’un idéal. Décrypter les mécanismes permettra de rendre plus rationnels les comportements. Le sujet de l’obésité, c’est la personne. Nous souhaitons la remettre au centre du débat et quitter l’obsession du poids. D’autres prises en charge, pluridisciplinaires, rendent possibles ces objectifs. Mots-clés : Appétence – Régimes nocifs – Obésité – Prises en charge pluridisciplinaires. » The question “Where does this appetence for diets come from?“ will be our thread. » The hunger for diets to which people submit themselves has to be analysed in order for them to understand which forces drive them towards these harmful diets. » Diets’ promises are often of an ideal kind. » Deciphering the mechanisms will lead to a more rational behaviour. » The obesity’s subject is the person. » We mean to put the person back in the heart of the discussion and leave this obsession with weight. » Other multidisciplinary follow-ups make these goals reachable. Keywords: Appetence – Diets – Obesity – Multidisciplinary follow-ups. Quand ils sont venus chercher les communistes, Je n’ai rien dit, Je n’étais pas communiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, Je n’ai rien dit, Je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les juifs, Je n’ai pas protesté, Je n’étais pas juif. Quand ils sont venus chercher les catholiques, Je n’ai pas protesté, Je n’étais pas catholique. Puis ils sont venus me chercher Et il ne restait personne pour protester. Martin Niemöller (14 janvier 1892-6 mars 1984), pasteur et théologien allemand anti-nazi – Pourquoi voulez-vous vous mettre au régime ? – Pour perdre du poids. – Ça ne marche pas. – Docteur, comprenez-moi bien, je n’en peux plus, je veux maigrir. Il faut que ça cesse. – Je ne dis pas que vous ne devez pas perdre du poids. Je vous dis que le moyen envisagé ne sert à rien. Enfin, à rien, je ne sais pas. Mais pas à perdre durablement du poids. – Comment ça, que voulez-vous dire, docteur ? – Je vous renvoie à un rapport très documenté sur les divers régimes, en avez-vous entendu parler ? – Le rapport de l’ANSES ? – C’est cela. Vous savez donc qu’aucun des régimes actuels ne sert à perdre durablement du poids. – Je l’ai lu effectivement. Stabiliser est difficile pour les gens comme moi. J’ai lu aussi que certains régimes sont dange- reux. C’est pour cela, que je m’adresse à vous, docteur, et que je ne fais pas n’importe quoi dans mon coin, sur internet. – Alors, pas de régime ! – Mais, docteur, que vais-je devenir ? Je dois perdre du poids, vous le dites aussi. – Dites-moi pourquoi, dans votre tête, perdre du poids est synonyme de régime ? – C’est une évidence ! Soit je me prive, soit je mange à ma guise. Si je me prive, je suis au régime. Si je fais comme je l’entends, vous voyez le résultat ! Comme je n’aime pas me

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Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 2 - février 201312

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La faim des régimes

La faim des régimesHunger for dietsCatherine Grangeard*

* Psychanalyste, Beynes.

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» La question “D’où vient cette appétence pour le régime ?” sera notre fil conducteur. La faim de régime est à décrypter pour que les personnes s’y soumettant puissent déceler ce qui les pousse à adopter des régimes nocifs. La promesse des régimes est souvent de l’ordre d’un idéal. Décrypter les mécanismes permettra de rendre plus rationnels les comportements. Le sujet de l’obésité, c’est la personne. Nous souhaitons la remettre au centre du débat et quitter l’obsession du poids. D’autres prises en charge, pluridisciplinaires, rendent possibles ces objectifs.

Mots-clés : Appétence – Régimes nocifs – Obésité – Prises en charge pluridisciplinaires.

» The question “Where does this appetence for diets come from?“ will be our thread.

» The hunger for diets to which people submit themselves has to be analysed in order for them to understand which forces drive them towards these harmful diets.

» Diets’ promises are often of an ideal kind.

» Deciphering the mechanisms will lead to a more rational behaviour.

» The obesity’s subject is the person.

» We mean to put the person back in the heart of the discussion and leave this obsession with weight.

» Other multidisciplinary follow-ups make these goals reachable.

Keywords: Appetence – Diets – Obesity – Multidisciplinary follow-ups.

Quand ils sont venus chercher les communistes,Je n’ai rien dit,

Je n’étais pas communiste.Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,

Je n’ai rien dit,Je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus chercher les juifs,Je n’ai pas protesté,

Je n’étais pas juif.Quand ils sont venus chercher les catholiques,

Je n’ai pas protesté,Je n’étais pas catholique.

Puis ils sont venus me chercherEt il ne restait personne pour protester.

Martin Niemöller (14 janvier 1892-6 mars 1984), pasteur et théologien allemand anti-nazi

– Pourquoi voulez-vous vous mettre au régime ?– Pour perdre du poids.– Ça ne marche pas.– Docteur, comprenez-moi bien, je n’en peux plus, je veux maigrir. Il faut que ça cesse.– Je ne dis pas que vous ne devez pas perdre du poids. Je vous dis que le moyen envisagé ne sert à rien. Enfin, à rien, je ne sais pas. Mais pas à perdre durablement du poids.– Comment ça, que voulez-vous dire, docteur ?– Je vous renvoie à un rapport très documenté sur les divers régimes, en avez-vous entendu parler ?– Le rapport de l’ANSES ?– C’est cela. Vous savez donc qu’aucun des régimes actuels ne sert à perdre durablement du poids.– Je l’ai lu effectivement. Stabiliser est difficile pour les gens comme moi. J’ai lu aussi que certains régimes sont dange-reux. C’est pour cela, que je m’adresse à vous, docteur, et que je ne fais pas n’importe quoi dans mon coin, sur internet.– Alors, pas de régime !– Mais, docteur, que vais-je devenir ? Je dois perdre du poids, vous le dites aussi.– Dites-moi pourquoi, dans votre tête, perdre du poids est synonyme de régime ?– C’est une évidence ! Soit je me prive, soit je mange à ma guise. Si je me prive, je suis au régime. Si je fais comme je l’entends, vous voyez le résultat ! Comme je n’aime pas me

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La faim des régimes

priver, chaque fois, ça ne dure pas éternellement. Mais, voyez-vous, je ne prends aucun plaisir avec les menus-minceur, même avec les jolies couleurs des fruits et des légumes, des assiettes et une vaisselle rajeunie, non, ça ne me satisfait pas comme une bonne sauce au beurre, un dessert crémeux, toutes ces choses qui ne me réussissent pas… J’aime la sensation d’avoir l’estomac bien rempli. C’est pour cela que j’alterne les moments raisonnables et les autres, agréables. C’est pour cela que, sur la durée, ça ne fonctionne pas. Soit les gens trouvent du plaisir à manger, soit c’est pas leur truc. Ceux-là n’ont pas mon problème, ils peuvent faire ce qui est conseillé dans les manuels diété-tiques. Comment, moi, je peux faire, docteur ?

Ce dialogue imaginaire nous rappelle à tous quelque chose…

D’où vient cette appétence pour le régime ?

La faim de régime, c’est la faim de la promesse du régime. C’est l’espoir d’atteindre un idéal. Idéal qui pré-existe intérieurement, plus ou moins consciemment. Explicitement, on imagine que sa vie sera mieux quand on sera moins gros. Les représentations de ce qui est associé au fait de ne plus être gros, ce à quoi on associe sa vie si l’excès de poids était résolu, c’est cela le principal déterminant de cette faim de régime. Perdre du poids, ce serait perdre tous ses maux…Le régime en tant que tel peut même être douloureux. Ce qui compte, c’est le but. Le régime peut être déséquilibré (et donc logiquement être perçu comme dangereux à long terme), il peut être loufoque, ça ne lui enlève rien de son pouvoir. Le régime n’est pas de l’ordre du rationnel. Il ne s’adresse pas à la raison. Après tout, on n’impose pas un régime, on l’adopte. On choisit, on élit un régime… Dissocier régime et but est un premier pas. Le conglo-mérat “régime/meilleure vie” empêche de penser. La quête d’une solution se circonscrit à considérer la réponse (maigrir) avant la question (être mieux dans sa peau), comme si annuler la question (complexe) en amenant rapidement une réponse (simple, comme se veut le régime) rassurait.Qu’en est-il du besoin d’un cadre, d’une protection contre des forces pulsionnelles incontrôlables, de la recherche de maîtrise ?

Examinons la promesse de réussir, sans faim, sans envie

“Les promesses n’engagent que ceux qui y croient” : il est souvent fait allusion à la maxime d’Henri Queuille, pré-sident du Conseil sous la IVe République, qui voulait

souligner le cynisme de certains hommes politiques et la naïveté de leurs électeurs. En cas de maladie, nos ancêtres s’adressaient d’abord à Dieu et à ses saints. Ils étaient spécialisés : saint Laurent pour les brûlures, sainte Apolline pour les maux de dents… Et les recettes de “bonne fame”, de bonne renom-mée, avaient comme composants exclusifs les plantes. Il ne faut pas entendre “bonne femme” dans le sens féminin. Les colporteurs apportaient de-ci, de-là les produits et les rendaient ainsi fameux. “Fame”, c’est la réputation.En dernier ressort, nous avons l’homme de l’art, le médecin. La lutte contre les charlatans a été de tous temps une préoccupation majeure. Y mettre bon ordre est tou-jours compliqué. Internet a remplacé les colporteurs et certains médecins y jouent une partition commerciale assez osée. Le conseil de l’Ordre est maintes fois saisi... Je ne compte pas nous positionner en juge des intentions, ni même des motivations, qu’elles soient conscientes ou inconscientes. En revanche, nous en jugeons tous les effets. C’est là toute la différence.Il ne s’agit pas de confondre plan juridique et plan moral.Lorsqu’une personne se fait escroquer, que faire ?Quand ce sont des milliers, des millions ? se taire ? Les marchands de régimes utilisent les failles (psy-chiques) des personnes. Il y a là malhonnêteté ET marchandisation de la personne humaine. On n’est plus dans le domaine du commerce, qui vise à répondre à un besoin par un service ou un produit. On est au-delà, dans l’exploitation de la vulnérabilité. Le poème en introduction montre la gravité de ne se mêler que de ce qui nous concerne individuellement.

Dénoncer. Décortiquer

En tant que psychanalyste, je dirai qu’il y a faim et même souvent faim sans faim. C’est moins de l’appétit que de l’envie, et sans fin, sans sensation de rassasiement comme vous le savez. Il n’empêche qu’il y a un commencement, un début de l’histoire, et en général, cela est ignoré. Plus la sécurité intérieure est fragile, plus la recherche de forces de l’ordre, à l’extérieur, s’impose. Et c’est cela, un régime : il dicte des règles de conduite. Il “suffit” de s’en remettre à ses prescriptions pour atteindre un objectif. Cela peut rassurer celui qui a peur de ne pas savoir ce qui est bon pour lui. Cela protège de l’anarchie interne res-sentie, puisque la plupart des personnes disent qu’elles ne savent ni se retenir ni être raisonnables. Accorder sa confiance à quelqu’un de reconnu, non seulement médiatiquement présent mais aussi omni-présent sur internet, c’est se dire : “Puisque pour des milliers de gens ça marche, peut-être que pour moi aussi…” C’est là que la renommée (fame) a des implica-

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La faim des régimes

tions sur les plus fragiles. Décrypter, nuancer implique une certaine distance. Or, plus ça va mal, plus le désir de s’en remettre à quelqu’un, à un sauveur, est fort.Le message doit être simple. L’adhésion en sera renforcée. Certains y verront de la manipulation. C’est certaine-ment une infantilisation de la personne en souffrance. Il n’est plus question de complexité, de décortiquer, de s’interroger. Il suffit de suivre. Les plans sont explicites, il faut s’y soumettre. Ce mot “régime” montre parfaitement que l’on peut, avec pertinence, utiliser des connaissances sur les régimes durs en politique et saisir les mouvements psychiques des personnes. La fragilité induit le res-pect de messages sans les contester. Là, on parlerait de démagogie, de populisme… voire de fascisme. Dans le domaine qui est le nôtre, la personne est à remettre au centre.Ce terme de “personne” concerne tout autant le patient dans sa globalité – psyché et soma, son histoire et pas uniquement son IMC ou son comportement – que… le praticien. Il s’agit de quitter le centrage sur le poids pour aller vers les déterminants, les diverses raisons sous-jacentes. Revenons à cela et quittons l’obsession de la réponse.

Le sujet, c’est la personne

Ici, on ne donne, ni n’enlève de points au Bac… petite parenthèse à cet égard : il a été partout relevé que cette proposition du Dr Pierre Dukan n’avait à voir avec son propos de gratifier un élève de points lors de cet examen de connaissances. Beaucoup se sont élevés contre l’injus-tice de favoriser ou de sanctionner une personne déjà en difficulté. Mais je veux souligner la haine de la personne en surpoids qu’il y a sous l’énoncé d’une telle proposition. C’est ce que nous appelons un contre-transfert négatif qui s’exprime ici sans la retenue habituelle. Nous avons tout intérêt à nous attarder sur notre propre rapport à la personne en obésité. C’est tout de même l’échec des interventions précédentes de nos confrères divers et variés qui est affiché avec ce poids. Or, aimons-nous les échecs ? Lorsque quelqu’un comme le docteur Pierre Dukan, avec sa notoriété, émet une telle proposition, au-delà de tout ce qui a pu déjà être dit, entendons bien la désapprobation ambiante envers les personnes en excès de poids. Quand une telle levée de refoulement vient d’un médecin, ce n’est pas anodin. Cet épisode dans le long chemin de la prise en charge de l’obésité mène à l’utilité d’un travail en profondeur sur les représentations sociales des médecins, des soi-gnants plus largement, à l’égard des personnes en obé-sité. C’est très en amont que la prise en charge débute.

Il est donc question de partir de la personne et avec elle. Car, si nous continuons à prendre la problématique de l’excès de poids de la même façon que toutes les autres fois, les mêmes résultats sont à craindre. Enfin, la faim de régime se retrouve chez les praticiens prescripteurs de régime, car ils ne savent pas quoi faire d’autre ! Si l’on reste dans une mesure comptable d’IMC, les dés sont pipés. L’évaluation est à envisager selon d’autres critères.

Illusion, illusion, quand tu nous tiens…

Ne pas nuire. Première devise ! Nous voilà arrivés au carrefour d’un autre point essen-tiel : qu’est-ce qui fait le succès des illusions ? Encore une fois, le préalable est de rassurer. C’est sur un terreau de peur que pousse le recours aux illusions de tous ordres. La peur fondamentale de l’être humain a ses racines dans la dépendance dans laquelle nous arrivons sur terre. La finitude qui est celle de notre condition humaine est un problème existentiel… Cette peur est la base de toutes les pathologies. La peur ne concerne pas uniquement ceux qui sont en souffrance, elle est démesurée. La peur est commune aux humains. Ajoutons qu’il y a dans ce propos une différence de quantité, pas de nature.Trop d’insécurité étant insupportable, la précipitation vers l’apaisement explique le mouvement vers ce qui apporte des solutions. Et plus elles sont magiques, irréa-listes, mieux c’est. Nous savons alors que les arguments rationnels ne servent plus à rien. En novembre 2010, le rapport de l’ANSES a fait basculer l’édifice. Maintenant, il faut tirer les conclusions de cette soif d’idéal derrière la promesse. Il s’agit d’apporter de l’espoir à ceux qui ont vu que le recours aux régimes n’apporterait pas ce qu’ils en attendaient. Sinon, le contenu du rapport sera vite refoulé, enterré dans la mémoire.Car les personnes en vulnérabilité sont justement celles qui vont le plus mettre de côté les éléments rationnels pour prendre leurs décisions. Alors il nous faut bien différencier les raisons du recours au régime (la faim de régimes) de la réponse (le régime C, D, ou X, Y…). Ensuite, il nous faut ouvrir de nouvelles voies, car on ne peut laisser des gens en vulnérabilité, en recherche, puisque nous venons de voir que, justement, cette recherche est une cause de vulnérabilité.La fin de la tyrannie du régime ?Si le sujet a toujours tort, si le régime est par définition bon, que ressent celui pour qui “ça ne marche pas” ?

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Il ressent qu’il a encore raté. Il s’en veut. Le médecin aussi est déçu, mécontent.On lui a fait croire que, par une modification temporaire, des résultats permanents étaient possibles. Il a bien voulu y croire, direz-vous. Bien sûr, celui qui espère suit ce qu’il a envie d’entendre. Bien sûr, puisque le régime infantilise le sujet avec des promesses. Alors la raison est abandonnée au profit de l’illusion.L’idée même de régime est porteuse de l’échec. Une per-sonne qui accepte un certain temps de se restreindre ne change pas. Or, c’est le changement qui apporte la résolution du problème. Réapprendre à se nourrir, en quantité et en qualité, réha-biliter la faim, qui guide l’acte de se nourrir, et réintroduire le plaisir sont les bases d’un mode de vie plus satisfaisant.Pour beaucoup, le symptôme a une fonction. Braquer le projecteur sur le poids, responsable de tous les maux, évite de regarder ailleurs. Le symptôme est l’arbre qui cache la forêt. Paradoxalement, un “complexe”, c’est bien pratique. Se plaindre de ne pas réussir à perdre ces kilos de trop, qui parfois font affreusement souffrir physiquement et psychologiquement, peut avoir une fonction dont se priver n’est pas imaginable.Et nous arrivons au fond du problème. Remonter vers les origines aide à quitter le symptôme en ne braquant plus le projecteur dessus. L’écoute analytique concerne la personne globale et dépasse la rééducation d’un des pans de son existence. Le régime n’est pas une fin en soi. Rien ne sert de se foca-liser dessus, c’est même lui accorder plus d’importance qu’il n’en mérite. Le régime est un problème de santé publique. C’est un produit dangereux ! Il y a des millions de personnes qui l’utilisent, en France ou ailleurs. Il faut le “remettre à sa place”, comme on remet à sa place quelqu’un qui se la joue…

Le corps est aussi psychique

Décentrons le propos pour mieux y revenir. Tout comme avec une personne qui vient consulter pour ses problèmes de poids, n’y restons pas uniquement, exclusivement. Ce pas de côté permet déjà en soi de relativiser, donc de quitter le tout ou rien. C’est la personne entière qui est concernée par sa conduite alimentaire. L’origine inconsciente d’une certaine relation à la nourriture, au corps, au manque, aux limites influe sur le comportement. Le Dieu régime et ses saints, le Roi-régime et ses ministres, le Bon Objet, tout ce qui règne sur des sujets relève de ce processus.En novembre 2010, j’ai accueilli le rapport de l’ANSES comme un rapport révolutionnaire. Il renverse la notion même de régime en proposant une alternative : sortir de la croyance. En tant que psychana-

lyste, je l’ai lu comme l’articulation du principe de plaisir et du principe de réalité. Mais, nul n’est parfait, ce rapport ignore la psychanalyse. La psychologie dont il parle reste trop cantonnée au conscient, trop comportementale, et il nous faut, à nous autres psychanalystes, avancer des démonstrations de notre utilité. Je tiens à la disposition de qui le veut des histoires de cas où telle personne venue pour une obésité massive retrouve le goût de sortir de chez elle, de travailler… et, ensuite, peut-être, de moins maltrai-ter son corps. Ainsi, le détour est long. Mais les résultats à 5 ans de tous les régimes sont de… combien d’échecs ?

En conclusion

Ce qui fait l’attrait du Régime, c’est qu’il se fait sexy. Il réveille la libido. Il fait rêver. Narcissiquement, c’est un moment important de “se mettre au régime”.C’est plus excitant, enfin, de suivre un régime, même dra-conien parce que ponctuel, que d’admettre d’avoir à être raisonnable, indéfiniment.La réalité est-elle inéluctablement à fuir ? La plus inadmis-sible des limites que la réalité impose étant notre mort programmée par la nature humaine... Tout ce qui peut détourner de cette perspective est en général bien accueilli par l’être humain !Face aux excès de nourriture, il ne saurait être possible de supprimer l’objet-nourriture, contrairement à d’autres pathologies de l’excès telles que l’alcoolisme ou les toxi-comanies en général. Il s’agit de dominer un recours intempestif lorsque cela va mal, lorsque l’ennui fait tourner en rond, etc., lorsque la sensation de faim, irrépressible, manifeste un vide. C’est pour cela qu’une démarche plus “philosophique” peut s’avérer tout à fait adaptée. Curieusement, ce mal du siècle qu’est le fléau de l’obésité, à un niveau planétaire, réintroduirait-il la nécessité de quit-ter l’immédiateté ? Sommes-nous dans un mouvement de réintroduction de la quête du sens dans cette civilisation de consommation sans bornes ? Le retour du religieux fut une prévision attribuée à Malraux pour le xxie siècle. Nous constatons un effet de balancier. L’excès mène à la dimension opposée. La faim du régime miracle révèle la recherche du miracle. Très honnêtement, tenir le discours de la réalité est une position qui n’enthousiasme pas les foules. Néanmoins, chaque personne sait bien, quelque part, chacun recon-naît, quand même, que, si ça lui était possible, il aimerait ne pas faire n’importe quoi… C’est avec cette part là que le thérapeute fait alliance pour nouer principe de plaisir et principe de réalité et pour glis-ser vers les conditions permettant d’adopter un mode de vie qui rende caduque le recours à tout régime totalitaire.En nous éloignant des régimes, en cherchant les racines de

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La faim des régimes

A U C O N G R È S D E L A S O C I É T É F R A N C O P H O N E D U D I A B È T E 2 0 13 [ M O N T P E L L I E R // 2 6 -2 9 M A R S 2 0 13 ]

Un exemplaire vous attend chaque jour sur le stand

Pierre Fabre [N° J0 3 - niveau 1 - Le Corum]

Avec le soutien institutionnel deSous l’égide de

Attention, ceci est un compte-rendu de congrès et/ou un recueil de résumés de communications de congrès dont l’objectif est de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées sont susceptibles de ne pas être validées par les auto-rités de santé françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique. Ces informations sont sous la seule responsabilité des auteurs.

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[N° J0 3 - niveau 1 - Le Corum][N° J0 3 - niveau 1 - Le Corum]

Sous l’égide de

Attention, ceci est un compte-rendu de congrès et/ou un recueil de résumés de communications de congrès dont l’objectif est de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées sont susceptibles de ne pas être validées par les auto-rités de santé françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique. Ces informations sont sous la seule responsabilité des auteurs.

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Venez nombreux !

Vous propose, chaque jour, une sélection des communications affi chées, commentées par un expertl’engouement pour certains objets, nous participons à une

prise en charge qui sera plurifactorielle, ou qui ne sera pas. La difficulté avec l’excès, puis avec la restriction, est la double base du recours à toutes sortes de régimes, plus farfelus et nocifs les uns que les autres.La raison ne suffit pas, le savoir non plus, mais sans eux on ne saurait avancer. Cependant, on ne peut laisser tomber les raisons pas raisonnables, inconscientes, qui pèsent lourd dans les actes de tout un chacun, et pas seulement dans les régimes alimentaires. L’illusion, c’est prendre ses désirs pour la réalité. C’est une croyance motivée par la réalisation du désir. Il y a deux types d’illusions, celles qui sont sans danger, puisque donnant l’illusoire comme tel, par exemple la magie, et celles qui sont dangereuses parce qu’elles se substituent à une appréhension objective de la réalité.Le pouvoir de l’illusion est issu de l’omnipotence des débuts de la vie. L’illusion tire sa puissance de se sous-traire à l’épreuve de réalité. L’illusion réalise un désir, elle se charge d’exaucer les vœux difficiles à réaliser. La seule exigence de cette croyance, c’est la confiance.

Modélisation de ce sur quoi repose la faim de régime

Schématiquement, nous arrivons tous sur terre si petits, si dépendants. À la naissance, tout être humain est incapable de se débrouiller seul. Sa survie dépend des autres. Et cela dure longtemps. Nous sommes tous animés par la recherche de sécurité. Il est tout à fait impossible que la bonne réponse arrive toujours au bon moment. De là découle un rapport personnel à l’insécurité. La fréquence à laquelle s’est produite une inadéquation des réponses aux besoins et la quan-tité, pourrions-nous dire, la répétition, voilà comment s’induit et s’enkyste le décalage entre ce dont il est question et la réponse, dans ces pathologies de l’excès.Ultérieurement, quand le gourou de la faim se présente en promettant la résolution des problèmes, moins la sécurité intérieure est forte, plus la croyance dans la promesse est susceptible d’être exploitée. On redoute les doutes. Et plus on est fragile, pire c’est…Lorsqu’une personne est vulnérable, elle est dans l’illu-sion et dans la quête de quelqu’un qui saurait pour elle, justement parce que cela rejoint un point archaïque resté en souffrance. Elle se rassure par la promesse, elle ressent le besoin d’y adhérer pour sa sérénité psychique.Renoncer à ce qu’on n’a pas reçu est particulièrement compliqué. Les mauvaises rencontres s’enracinent sur ce terreau.Deuxième point, il s’agit de réconcilier le principe de plai-

sir et le principe de réalité. J’en arrive à penser désormais qu’il faut s’appuyer sur d’autres satisfactions psychiques immédiates pour contrebalancer la perte. Je m’explique : le plaisir d’avoir dit “non” à ce qui entraîne une satisfaction sur le champ (mais est nocif à plus long terme) ne peut se produire spontanément au moment où, justement, la personne est mal en point. Pour que, à terme, la satisfaction psychique remplace la satisfaction pulsionnelle, une étape est indispensable. Nous avons à faire à des personnes qui sont dans la recherche de compensation. Il faut tirer conclusion de ce constat. Pour éviter de décompenser, compenser a été conçu comme intéressant. Il s’agit de maintenir un certain équilibre, même précaire, mais un équilibre tout de même. Pour sortir du symptôme, nous devons impérativement favoriser ce qui rehaussera une confiance en soi faible. Justement, tirer plaisir de cette capacité intérieure de reporter à plus tard et de substituer un type de réponses à un autre est à souligner par nous, narcissiquement, à chaque fois, comme un gain sur le chemin du renforce-ment de ses capacités d’autonomie. Le fait de considérer la personne en difficulté avec son poids d’abord comme une personne, sans la suivre dans cette obsession de mettre en avant ce poids, permet de relativiser et de la recentrer ailleurs, sur elle-même.

Le sujet de l’obésité, ce n’est pas tant le poids que la personne elle-même

Loin d’être exhaustif, cet exposé vise à ouvrir des pistes de travail pluridisciplinaire, car la personne en difficulté avec le poids, à tous les stades de ses difficultés, est d’abord une personne… Et le praticien de santé en face, aussi ! Nous l’avons souligné préalablement avec l’importance d’aborder les représentations sociales et de ne pas négliger le contre-transfert.Je voudrais conclure par une phrase que le psychiatre-psychanalyste Alain de Mijolla disait en 1973 à ses collègues : “Nous ne les aimons pas”, au sujet des patients alcooliques. Effectivement, pour bien traiter les patients dont on s’occupe, il est utile d’analyser notre rapport à ces personnes. Or, un patient obèse a mis en échec les traitements précédents, sinon il ne serait pas encore trop gros. Donc, un soupçon pèse d’emblée sur lui : “Vais-je être le prochain de la liste ?”… Cette question ne peut rester sans influencer sur la prise en charge. Autant y réfléchir, comme ce fut le cas pour les alcoologues, afin que les obésologues gagnent la partie sur les “régimenteurs” pour le plus grand bien des patients. ■

• C a t h e r i n e G ra n g e a r d. Obésités, le poids des mots, les maux du poids. Éditions Calmann Lévy. Paris, 2007.

• C a t h e r i n e G ra n g e a r d. Comprendre l’obésité, une question de personne, un problème de société. Éditions Albin Michel. Paris, 2012.

• Alain de Mijolla. Pour une psychanalyse de l’alcoolisme. Éditions Payot. Paris, 1973.

R é f ér en c es