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L’interface Images en Dermatologie • Vol. VI • n° 1 • janvier-février 2013 20 Cas clinique Une vulvovaginite récalcitrante A challenging vulvovaginitis S. Ly (Cabinet de dermatologie, Gradignan) U ne femme âgée de 60 ans consulte en mars 2012 pour des lésions vulvaires et anales extrêmement douloureuses évoluant depuis 2 mois, malgré de multiples traitements locaux (ovules de nystatine, bifonazole, kétoconazole et propionate de clobétasol en crème). De plus, elle présente depuis 1 semaine une éruption cutanée asymptomatique des épaules, des membres supérieurs et du décolleté. Elle ne signale aucun antécédent notable jusqu’à ces derniers mois. L’interro- gatoire apprend en effet que la patiente a successivement été traitée par antibio- thérapie orale (clarithromycine) pour une angine en juillet 2011 et pour une trachéite en septembre 2011, par norfloxacine pour une cystite en décembre 2011, et enfin à nouveau par clarithromycine pour une bronchite en janvier 2012. L’examen génital montre une anovulvite (figures 1 et 2), associant un érythème vif et bien limité à un œdème important des petites lèvres. La douleur est telle qu’elle limite l’examen vulvaire. L’examen cutané met par ailleurs en évidence une éruption érythématosquameuse en petites plaques siégeant sur la partie haute du tronc et sur les membres supérieurs (figure 3). Le reste de l’examen est sans particularité, la patiente étant apyrétique et asthénique. La biologie est sans particularité. Le prélèvement mycologique est négatif. Le prélè- vement bactériologique, effectué sur les lésions vulvaires et anales, met en évidence un streptocoque β hémolytique du groupe A (SGA), sensible à la pénicilline V. Un trai- tement par phénoxyméthylpénicilline est prescrit pour 3 semaines, associé à des applications locales de bétaméthasone sur les lésions cutanées. Une amélioration notable de l’ensemble des symptômes est alors observée, mais l’arrêt du traitement est suivi, 1 semaine plus tard, de la récidive des lésions vulvaires puis de celle de l’éruption cutanée. De nouveaux prélèvements bactériologiques sont alors effectués, retrouvant du SGA sur la vulve mais pas sur la peau ni sur la gorge. Une biopsie est effectuée sur les lésions vulvaires et cutanées. L’examen anatomopathologique est en faveur d’un psoriasis, tant au niveau cutané (figure 4) que vulvaire (figure 5). Enfin, les prélèvements bactériologiques (pharynx et anus) effectués chez le mari de la patiente sont négatifs. Un traitement par phénoxyméthylpénicilline est de nouveau prescrit pendant 3 semaines, associé à des applications locales de bétaméthasone sur les lésions cutanées et vulvaires. La guérison de l’ensemble des lésions est obtenue sans réci- dive. La recherche d’une protéinurie à distance de l’épisode infectieux est négative. Commentaire Si le SGA est une étiologie classique des vulvovaginites infectieuses chez la fillette prépubère, ce n’est pas le cas chez la femme adulte. La candidose, la trichomonase, la vaginose bactérienne ainsi que les infections à Chlamydia et à gonocoques sont en effet les étiologies infectieuses les plus communément évoquées. Or, dans une étude cas-témoins réalisée chez 1 010 femmes présentant une vulvovaginite, M.J. Bruins et al. (1) mettent en évidence un SGA dans 4,9 % des cas, contre aucun cas chez les 209 témoins (p < 0,01). Un prélèvement vaginal positif à SGA ne doit donc pas être négligé, la patiente devant être traitée efficacement. Vulvovaginite • Strepto- coque β hémolytique du groupe A • Psoriasis. Vulvovaginitis • Group A beta haemolytic streptococcus • Psoriasis. Légendes Figure 1. Érythème et œdème vulvaires. Figure 2. Érythème anal. Figure 3. Éruption érythématosquameuse du décolleté.

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Images en Dermatologie • Vol. VI • n° 1 • janvier-février 201320

Cas clinique

Une vulvovaginite récalcitranteA challenging vulvovaginitisS. Ly(Cabinet de dermatologie, Gradignan)

U ne femme âgée de 60 ans consulte en mars 2012 pour des lésions vulvaires et anales extrêmement douloureuses évoluant depuis 2 mois, malgré de

multiples traitements locaux (ovules de nystatine, bifonazole, kétoconazole et propionate de clobétasol en crème). De plus, elle présente depuis 1 semaine une éruption cutanée asymptomatique des épaules, des membres supérieurs et du décolleté.

Elle ne signale aucun antécédent notable jusqu’à ces derniers mois. L’interro-gatoire apprend en effet que la patiente a successivement été traitée par antibio-thérapie orale (clarithromycine) pour une angine en juillet 2011 et pour une trachéite en septembre 2011, par norfl oxacine pour une cystite en décembre 2011, et enfi n à nouveau par clarithromycine pour une bronchite en janvier 2012.

L’examen génital montre une anovulvite (fi gures 1 et 2), associant un érythème vif et bien limité à un œdème important des petites lèvres. La douleur est telle qu’elle limite l’examen vulvaire.

L’examen cutané met par ailleurs en évidence une éruption érythémato squameuse en petites plaques siégeant sur la partie haute du tronc et sur les membres supérieurs (fi gure 3). Le reste de l’examen est sans particularité, la patiente étant apyrétique et asthénique.

La biologie est sans particularité. Le prélèvement mycologique est négatif. Le prélè-vement bactériologique, effectué sur les lésions vulvaires et anales, met en évidence un streptocoque β hémolytique du groupe A (SGA), sensible à la pénicilline V. Un trai-tement par phénoxyméthylpénicilline est prescrit pour 3 semaines, associé à des applications locales de bétaméthasone sur les lésions cutanées. Une amélioration notable de l’ensemble des symptômes est alors observée, mais l’arrêt du traitement est suivi, 1 semaine plus tard, de la récidive des lésions vulvaires puis de celle de l’éruption cutanée. De nouveaux prélèvements bactériologiques sont alors effectués, retrouvant du SGA sur la vulve mais pas sur la peau ni sur la gorge. Une biopsie est effectuée sur les lésions vulvaires et cutanées. L’examen anatomopathologique est en faveur d’un psoriasis, tant au niveau cutané (fi gure 4) que vulvaire (fi gure 5). Enfi n, les prélèvements bactériologiques (pharynx et anus) effectués chez le mari de la patiente sont négatifs.

Un traitement par phénoxyméthylpénicilline est de nouveau prescrit pendant 3 semaines, associé à des applications locales de bétaméthasone sur les lésions cutanées et vulvaires. La guérison de l’ensemble des lésions est obtenue sans réci-dive. La recherche d’une protéinurie à distance de l’épisode infectieux est négative.

CommentaireSi le SGA est une étiologie classique des vulvovaginites infectieuses chez la fi llette prépubère, ce n’est pas le cas chez la femme adulte. La candidose, la trichomonase, la vaginose bactérienne ainsi que les infections à Chlamydia et à gonocoques sont en effet les étiologies infectieuses les plus communément évoquées. Or, dans une étude cas-témoins réalisée chez 1 010 femmes présentant une vulvovaginite, M.J. Bruins et al. (1) mettent en évidence un SGA dans 4,9 % des cas, contre aucun cas chez les 209 témoins (p < 0,01). Un prélèvement vaginal positif à SGA ne doit donc pas être négligé, la patiente devant être traitée effi cacement.

Vulvovaginite • Strepto-coque β hémolytique du groupe A • Psoriasis.

Vulvovaginitis • Group A beta haemolytic streptococcus • Psoriasis.

Légendes

Figure 1. Érythème et œdème vulvaires.

Figure 2. Érythème anal.

Figure 3. Éruption érythématosquameuse du décolleté.

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Cas clinique

À propos de 9 observations, H. Verstraelen et al. (2) ont dégagé les principales carac-téristiques des vulvovaginites à SGA de la femme adulte : les douleurs, vaginales et vulvaires, ainsi que la dyspareunie dominent les symptômes, associées à une sensa-tion d’irritation, de brûlure ou de prurit. Les pertes sont abondantes dans la majorité des cas, “louches”, voire purulentes. L’érythème et l’œdème sont particulièrement intenses, comme chez notre patiente. Le tableau de la vulvovaginite est typiquement plus sévère avec les SGA qu’avec les autres agents infectieux (2, 3).

Les facteurs de risque de vulvovaginite à SGA sont les antécédents familiaux ou personnels d’infection ORL ou cutanée à SGA, le contact sexuel, ainsi que l’atrophie vaginale ménopausique ou liée à la lactation (2, 3). Ainsi, notre patiente, ménopausée, avait présenté successivement plusieurs épisodes infectieux ORL traités par antibio-thérapie probabiliste, mais, surtout, une cystite avec un examen cytobactériologique des urines (ECBU) positif au SGA dont il n’avait pas été tenu compte ; en effet, le SGA n’était pas sensible à la norfloxacine prescrite alors pour traiter la cystite. Enfin, chez 2 patientes présentant une vulvovaginite à SGA récidivante, J.D. Sobel et al. (4) ont mis en évidence un portage asymptomatique chez leurs conjoints en région anale. Dans notre cas, la recherche d’un tel portage a été négative.

L’autre particularité de notre observation est l’association des poussées de vulvo-vaginite à SGA à celles d’un psoriasis “éruptif” non seulement cutané mais aussi vulvaire, chez une patiente sans antécédent familial ni personnel connu de psoriasis. Si l’angine à SGA est un facteur déclenchant classique du psoriasis en gouttes, en particulier chez l’enfant, l’association que nous décrivons n’a, à notre connaissance, pas été rapportée dans la littérature. II

Références bibliographiques1. Bruins MJ, Damoiseaux RA, Ruijs GJ. Association between group A beta-haemolytic strep-tococci and vulvovaginitis in adult women: a case-control study. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2009;28(8):1019-21.2. Verstraelen H, Verhelst R, Vaneechoutte M, Temmerman M. Group A streptococcal vaginitis: an unrecognized cause of vaginal symptoms in adult women. Arch Gynecol Obstet 2011;284(1):95-8.3. Meltzer MC, Schwebke JR. Lactational amenorrhea as a risk factor for group A streptococcal vagi-nitis. Clin Infect Dis 2008;46(10):e112-5.4. Sobel JD, Funaro D, Kaplan EL. Recurrent group A streptococcal vulvovaginitis in adult women: family epidemiology. Clin Infect Dis 2007;44(5):e43-5.

Légendes

Figure 4. Biopsie d’une lésion cutanée : dermite superficielle avec acanthose régu-lière, parakératose confluente et microabcès : psoriasis. (Coll. Muriel Canihac).

Figure 5. Biopsie vulvaire : hyperplasie psoriasiforme épidermique et pustules spongiformes évoquant en premier lieu un psoriasis. (Coll. Muriel Canihac).

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