voyage pittoresque dans les deux amériques. partie 2

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REPUBLIQUE ARGENTINE. 273 vu notre Université, due à la sollicitude de Riva- davia, et fondée par lui en 1820, indépendam- ment de vingt écoles primaires établies en même temps dans la capitale, et d'une école du même genre dans chaque district de campagne. Mal- heureusement sa vie politique a été trop courte pour qu'il pût achever et consolider son ou- vrage. Immédiatement après sa démission vo- lontaire, tous les hommes d'un mérite distingué qu'il avait fait appeler d'Europe pour le secon- der ont dû chercher ailleurs un autre emploi de leurs talens ; et l'avenir seul pourra nous ap- prendre ce que nous pouvons espérer de la réorganisation toute nouvelle de nos études na- tionales, sur un plan tout-à-fait analogue à celui de l'Université de France. Malgré tant de re- vers, nous avons encore beaucoup gagné, même dans cette partie si importante de l'administra- tion publique ; et, sans être une ville littéraire, Buenos-Ayres peut présenter un assez grand nombre de gens instruits, qui serait, sans doute, beaucoup plus considérable, sans les restric- tions apportées à la liberté de la presse. On y trouve encore six librairies, autant d'impri- meries , qui ont publié plusieurs ouvrages dis- tingués, et notamment celui du docteur Funes, le vénérable historien de notre pays; si nous n'avons plus dix-sept journaux, comme il y a deux ou trois ans, au moins nous en reste-t-il encore six, dont, à la vérité, il faut peut-être défalquer les trois que solde le gouvernement que beaucoup d'entre nous osent appeler obscur. » Ces réflexions d'un homme aussi impartial qu'éclairé résumaient pour moi l'état politi- que et moral de la république Argentine. Jointes à mes observations personnelles sur son aspect physique et sur son régime administratif, elles complétaient assez l'idée que je voulais m'en faire, pour que je crusse pouvoir pour- suivre mon voyage dans le Sud, qui me restait à voir, avant d'achever mon exploration de la république. Mes préparatifs étaient faits depuis long-temps. Je devais m'embarquer sur la Jua- nita, navire de D. José, qui allait au Carmen prendre du sel pour Buenos-Ayres, à l'effet d'en alimenter les saladeros ; il me serait facile , après avoir exploré les environs, de revenir par terre du Carmen à la capitale. Je n'avais plus qu'à faire mes adieux à mon hôte et à sa famille, sans renoncer à l'espérance de les revoir; le lendemain matin, de très-bonne heure, j'étais sous voile, en dehors de l'Amarado, et je faisais route pour la Patagonie. AM. CHAPITRE XXXV. RÉPUBLIQUE ARGENTINE. PATAGONIE. Il n'y a peut-être pas de pays au monde dont on ait plus parlé et qui soit moins connu que la Patagonie ; elle est regardée, depuis plus de deux siècles et demi, comme la patrie d'un peuple de géans qui n'a jamais existé que dans l'imagina- tion des premiers voyageurs, trop bien secondée, dans ses rêves, par la crédulité des uns, par l'ignorance des autres et par le manque de cri- tique de tous. Il est curieux de voir combien d'opinions divergentes et contradictoires ont eu cours, dans ce long intervalle, sur une pure question de fait, en apparence si facile à ré- soudre. Soulevée, en effet, par Magellan (mieux Magalanes), elle resta entière, sans faire l'objet d'aucun doute pour personne, jusqu'en 1762, époque où Bernardo Ibeñez de Echavarri, au- teur fort judicieux et qui passe pour très-véri- dique parmi tous les Espagnols, présenta le pre- mier la chose sous le point de vue le plus rap- proché de la vérité, ce qui n'empêcha pas le Commodore Byron et son équipage de remettre sur pied les vieilles idées, que l 'autorité de Wal- lis et de Carteret, en 1766, et celle de Bougain- ville, en 1 767, purent à peine ébranler de nou- veau , appuyées qu'elles étaient sur cet amour du merveilleux qui a consacré et perpétué tant d'erreurs; mais, enfin, d'autres écrivains ont commencé à leur porter des coups efficaces, en leur opposant le témoignage d'une longue ex- périence. Parmi ces derniers, il faut remar- quer , comme plus dignes de foi, en raison de leurs lumières acquises, les jésuites Dobrizhoffer et Falconer, tous deux missionnaires dans l'A- mérique méridionale, l'un pendant dix-huit ans, et l'autre pendant quarante. Le premier, résumant les opinions de plusieurs auteurs sur la nature des Patagons, et citant ce qu'ont dit les premiers navigateurs sur la dimension d'os- semens trouvés sur la côte , et par eux réputés humains, cherche à démontrer que ces ossemens appartiennent à quelque grande espèce d 'ani- maux de terre ou de mer, et conclut en ces ter- mes : « Qu'on croie, d'ailleurs, de ces ossemens tout ce qu'on en voudra croire ; mais qu'on n'en conclue pas qu'à mon avis les Patagons sont des géans. » Le second, en reconnaissant que les Indiens Patagons sont assez généralement de grande taille, déclare n'avoir jamais entendu parler d'une race gigantesque, et il explique les exagérations si long-temps consacrées par l'u- sage dans lequel il dit que sont les hommes de 36

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Auteur : sous la direction de A. d'Orbigny Partie 2 d'un Ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane

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  • R E P U B L I Q U E A R G E N T I N E . 2 7 3

    vu notre Universit, due la sollicitude de Riva-davia, et fonde par lui en 1820, indpendam-ment de vingt coles primaires tablies en mme temps dans la capitale, et d 'une cole du mme genre dans chaque district de campagne. Mal-heureusement sa vie politique a t trop courte pour qu'il pt achever et consolider son ou-vrage. Immdiatement aprs sa dmission vo-lontaire, tous les hommes d'un mrite distingu qu'il avait fait appeler d'Europe pour le secon-der ont d chercher ailleurs un autre emploi de leurs talens ; et l'avenir seul pourra nous ap-prendre ce que nous pouvons esprer de la rorganisation toute nouvelle de nos tudes na-tionales, sur un plan tout--fait analogue celui de l'Universit de France. Malgr tant de re-vers, nous avons encore beaucoup gagn, mme dans cette partie si importante de l'administra-tion publique ; e t , sans tre une ville littraire, Buenos-Ayres peut prsenter un assez grand nombre de gens instruits, qui serait, sans doute, beaucoup plus considrable, sans les restric-tions apportes la libert de la presse. On y trouve encore six librairies, autant d'impri-meries , qui ont publi plusieurs ouvrages dis-tingus, et notamment celui du docteur Funes, le vnrable historien de notre pays ; si nous n'avons plus dix-sept journaux, comme il y a deux ou trois ans, au moins nous en reste-t-il encore s ix , dont, la vri t , il faut peut-tre dfalquer les trois que solde le gouvernement que beaucoup d'entre nous osent appeler obscur.

    Ces rflexions d 'un homme aussi impartial qu'clair rsumaient pour moi l'tat politi-que et moral de la rpublique Argentine. Jointes mes observations personnelles sur son aspect physique et sur son rgime administratif, elles compltaient assez l'ide que je voulais m'en faire, pour que je crusse pouvoir pour-suivre mon voyage dans le Sud, qui me restait voir, avant d 'achever mon exploration de la rpublique. Mes prparatifs taient faits depuis long-temps. J e devais m'embarquer sur la Jua-nita, navire de D . Jos, qui allait au Carmen prendre du sel pour Buenos-Ayres, l'effet d'en alimenter les saladeros ; il me serait facile , aprs avoir explor les environs, de revenir par terre du Carmen la capitale. Je n'avais plus qu' faire mes adieux mon hte et sa famille, sans renoncer l 'esprance de les revoir; le lendemain matin, de trs-bonne heu re , j 'tais sous voile, en dehors de l 'Amarado, et je faisais route pour la Patagonie.

    A M .

    C H A P I T R E X X X V .

    R P U B L I Q U E A R G E N T I N E . P A T A G O N I E .

    Il n 'y a peut-tre pas de pays au monde dont on ait plus parl et qui soit moins connu que la Patagonie ; elle est regarde, depuis plus de deux sicles et demi , comme la patrie d 'un peuple de gans qui n 'a jamais exist que dans l'imagina-tion des premiers voyageurs, trop bien seconde, dans ses rves, par la crdulit des u n s , par l 'ignorance des autres et par le manque de cri-tique de tous. Il est curieux de voir combien d'opinions divergentes et contradictoires ont eu cours, dans ce long intervalle, sur une pure question de fait, en apparence si facile r-soudre. Souleve, en effet, par Magellan (mieux Magalanes), elle resta entire, sans faire l'objet d'aucun doute pour personne, jusqu'en 1762, poque o Bernardo Ibeez de Echavarr i , au-teur fort judicieux et qui passe pour trs-vri-dique parmi tous les Espagnols, prsenta le pre-mier la chose sous le point de vue le plus rap-proch de la vrit, ce qui n'empcha pas le Commodore Byron et son quipage de remettre sur pied les vieilles ides, que l 'autorit de Wal-lis et de Carteret, en 1766, et celle de Bougain-ville, en 1 767, purent peine branler de nou-veau , appuyes qu'elles taient sur cet amour du merveilleux qui a consacr et perptu tant d ' e r r eu r s ; mais , enfin, d'autres crivains ont commenc leur porter des coups efficaces, en leur opposant le tmoignage d'une longue ex-prience. Parmi ces derniers , il faut remar-quer , comme plus dignes de foi, en raison de leurs lumires acquises, les jsuites Dobrizhoffer et Falconer, tous deux missionnaires dans l'A-mrique mridionale, l 'un pendant dix-hui t ans , et l'autre pendant quarante . Le premier, rsumant les opinions de plusieurs auteurs sur la nature des Patagons, et citant ce qu'ont dit les premiers navigateurs sur la dimension d'os-semens trouvs sur la cte , et par eux rputs humains, cherche dmontrer que ces ossemens appartiennent quelque grande espce d 'ani-maux de terre ou de mer, et conclut en ces ter-mes : Qu'on croie, d'ailleurs, de ces ossemens tout ce qu 'on en voudra croire ; mais qu'on n 'en conclue pas qu' mon avis les Patagons sont des gans. Le second, en reconnaissant que les Indiens Patagons sont assez gnralement de grande taille, dclare n'avoir jamais entendu parler d'une race gigantesque, et il explique les exagrations si long-temps consacres par l'u-sage dans lequel il dit que sont les hommes de

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  • 2 7 4 V O Y A G E EN

    cette contre, de ne communiquer jamais avec les trangers que par l'intermdiaire des plus grands d'entre eux. Mais, pour me servir des expressions mmes de M. d'Orbigny, dans un des crits par lui publis, depuis son retour d'A-mrique en France : Le gigantesque fantme de ces fameux Patagons de sept huit pieds de haut , dcrit par les anciens voyageurs , s'est vanoui pour moi. J'ai vu l des hommes encore trs-grands, sans doute , comparativement aux autres races amricaines , mais qu i , pourtant , n 'ont rien d'extraordinaire, mme pour nous; car, sur plus de six cents individus observs, le plus grand n'avait que cinq pieds onze pouces de France, et je crois pouvoir valuer leur taille moyenne cino pieds quatre pouces. Peut-tre la manire dont ils se drapent avec de grandes pices de fourrure expliquerait-elle l 'ancienne erreur . Dans tous les cas , nul doute que mes Patagons ne soient la nation ou'ont vue les pre-miers navigateurs; car eux-mmes m'ont assur qu'ils faisaient tous les ans des voyages aux c-tes du Sud, et qu'ils ne connaissaient, la pointe de l'Amrique, d'autre nation que celle qui ha-bite la Ter re de Feu .

    Mais l'intrt qu'inspire la Patagonie n'est pas seulement un intrt de curiosit, fond sur l'observation d'une constitution physique et de murs nationales encore mal connues. C'est aussi, et plus encore , un intrt de politique , bas sur l'importance trs-relle de celte contre pour la province de Buenos-Ayres , quand les projets d'tablissement qu'on y mdite, et quand les tablissemens qu'on y a dj fonds, ou qu'on y fonde chaque jour, auront reu leur premire excution ou les dveloppemens dont la nature des lieux les a rendus ou peut les rendre sus-ceptibles.

    Cette importance peut tre considre sous un double point de vue; d 'abord, sous le point de vue particulier des avantages que prsente le pays par ses productions naturelles q u i , pour n'tre pas trs-varies, n 'en sont pas moins trs-prcieuses , en raison de leur abondance : son sel sur tou t , rpandu sur tous les points , dans l ' intrieur, et l'huile des lphans de m e r , dont abondent ses ctes, si propre remplacer, dans le commerce, l'huile de baleine, qu'il est bien plus difficile et plus coteux de se procu-rer , sans parler de l'immense quantit de bes-tiaux qui couvrent une partie de la province, et dont la conversion en charque ou tasajo est, pour toute la rpublique Argentine, une source aussi fconde qu'inpuisable de richesses. Con-sidre, en second lieu , sous un point de vue

    A M E R I Q U E .

    plus gnral , la Patagonie semble destine, par la nature, devenir le lien des rpubliques occi-dentales de l'Amrique du Sud avec les rpu-bliques orientales du mme continent; le lien des Etats ocaniques du P r o u , de la Bol. via et du Chil i , avec les Etats atlantiques de l'Uruguay et de la Plata. M. de Humboldt, en effet, a dsign le golfe de Saint-George , on la baie de Saint-Julien , comme un des points les plus propres tablir une communication effi-cace et constante entre les deux Ocans, tour-nant ainsi l'avantage immdiat et direct de l'A-mrique mridionale, la question souleve pour l'Amrique du Nord, par le projet de coupure ou de colonisation de l'isthme de Panama ; et, quand bien mme cette ide hardie d 'un grand observateur de la nature amricaine ne devrait tre regarde que comme une spculation ing-nieuse, il demeurerait toujours certain qu'il est extrmement facile de communiquer des ctes de la Patagonie aux ctes du Chili, par les affluens du Rio Negro, qui dbouche dans l'Ocan, vers le 4 1 e degr de lat. S., l'endroit o l'on a fond le village du Carmen, que sa po-sition peut rendre un jour le centre de toutes les relations commerciales tablir dans le pays.

    La premire notion qu'on ait eue de la Pata-gonie est due aux navigateurs. Les premiers points explors de cette contre en ont t les ctes orientales et mridionales, depuis le cap Saint-Antoine, au midi de la grande embou-chure de la Plata, jusques et y compris le cap de la Victoire, l'extrmit la plus occidentale du dtroit de Magellan. Ce dernier nom rappelle involontairement la mmoire le souvenir du noble aventurier qui, en dcouvrant un passage l'Ocan-Atlantique au Grand-Ocan, consomma si heureusement , au commencement du xviie sicle (1620), la grande rvolution gographi-que que Christophe Colomb et Vasco de Gama avaient commence, avec tant de bonheur, la fin du xv e , l'un par la dcouverte du conti-nent amricain en 1492, et l ' au t re , en dou-blant le cap de Bonne-Esprance en

    1498. Ds lors le l ien, jusqu'alors si mystrieux, qui unissait les deux mondes , cessa d'tre cach pour tous ; ds lors, le globe tout entier s'ouvrit l'avide curiosit des missionnaires de la science et l'ambition des spculateurs ; ds lors, il n'y eut plus de secrets pour le gographe , pour le naturaliste, pour le phi losophe, et il n'est pas indiffrent de remarquer que , par une compen-sation toute particulire de la Providence, premier trait de lumire qui vint clairer l'uni-

  • P A T A G O N I E . 2 7 ;

    vers est p a r t i d u fond d e ces r g ions g laces . Depuis M a g e l l a n , les n a v i g a t e u r s qu i o n t ex -plor success ivement les m m e s ctes o n t pu contredire ou rectifier q u e l q u e s u n e s d e ses donnes de d t a i l ; niais tous on t conf i rm le plus g r a n d n o m b r e d e ses d o n n e s gn ra l e s . Le voyage d e M a g e l l a n , vrifi d a n s ses pr inc i -paux rsul ta ts p a r les r e c h e r c h e s e t pa r les d-couvertes d e ses s u c c e s s e u r s , d e m e u r e l ' un d e s plus beaux m o n u m e n s q u e le gnie d e l ' h o m m e ait lev la s c i ence g o g r a p h i q u e . Ainsi les Cook, les W a l l i s , l'es W i n t e r , les N a r b o r o u g h , les C a r t e r e t , les B y r o n , les B o u g a i n v i l l e , n ' o n t rien dit qu i con t red i se pos i t i vemen t les asser-tions de leur immor te l devanc ie r . L e u r dissi-dence m m e sur la g r a n d e q u e s t i o n de la taille des Pa t agons justif ie assez les d o u t e s d o n t elle a t si l o n g - t e m p s l 'ob je t . Nous n e c royons plus sans d o u t e ce gan t d u b o n c h e v a l i e r Pigafetta, h i s t o r i e n d e Magel lan ; cet homme si grand que notre tte, dit-i l n a v e m e n t , tou-chait peine sa ceinture, et q u e le cheva l i e r rencontre a u bon p o r t d e S a i n t - J u l i e n , p a r 4 0 41 ' de lat . S . . W i n t e r , N a r b o r o u g h , Bouga in-ville n ' y c r o y a i e n t pas p lus q u e n o u s ; ma i s Byron, W a l l i s , G a r t e r e t , C o o k e t F o r s t e r y on t cru ; mais ces h o m m e s clairs on t p u , d e t rs -bonne fo i , se faire i l lus ion s u r ce sujet ; e t p o u r -quoi n 'aura ien t - i l s p a s eu sous les yeux des indi-vidus de taille r e l a t i v e m e n t g i g a n t e s q u e ? Q u a n t au surplus des obse rva t ions d e M a g e l l a n , il est curieux d ' e n vrif ier la parfai te i den t i t avec celle des au t re s n a v i g a t e u r s . I l es t cur ieux d e le suivre depuis le Rio de la P l a t a , rect i f iant l ' e r r e u r dj a n c i e n n e qu i voya i t , d a n s ce fleuve, u n canal d e c o m m u n i c a t i o n avec la m e r d u Sur (Sud); t r o u v a n t au p o r t Ds i r , c o m m e o n y e n trouve e n c o r e a u j o u r d ' h u i , d e s p i n g o u i n s (apte-nodita demersa, L in . ) q u e P iga fe t t a n o m m e d e s oies, e t d e s v e a u x m a r i n s ou p h o q u e s (phoca mina, L in . ) qu ' i l appe l l e d e s loups. Il dcr i t parfaitement b i e n le guanaco (camelus huanacus, Lin.), an ima l trange, d e la peau d u q u e l les gans son t tou jours v tus . I l n e d s igne p a s moins b i e n l ' a u t r u c h e a m r i c a i n e , le andu (struthio rhea, L i n . ) , e t la de sc r ip t i on qu ' i l fait des m u r s , d e s h a b i t u d e s des h o m m e s qu ' i l est porte d e voi r d a n s le p a y s , est fort a n a l o g u e celle q u e n o u s e n d o n n e n t l es o b s e r v a t e u r s Modernes. Il a r r i v e , le 21 a o t , la r iv i re d e Sainte-Croix, p a r 50 4 0 ' d e la t . S . , q u e Cook a place d ' un d e g r s e u l e m e n t p lu s bas ; il s journe l deux m o i s , ap rs avo i r p r o u v u n v io len t

    o r a g e , et y p r e n d possess ion d u pays au n o m d u r o i d ' E s p a g n e . Ce p o r t , b o n et sr ce t t e p o -

    q u e , p a r a t a v o i r c h a n g , depu i s , d e ca rac t r e ; c a r le va isseau e s p a g n o l le Saint-Antoine, le t r o u v a impra t i cab l e e n 1 7 4 6 , cause d e l'accu-, mula t ion d e s s a b l e s , quo iqu ' i l e t e n c o r e Servi d e r e l c h e Loaysa e n 1 5 2 6 , e t e n 1780 a u x frres N o d a l e s . L e 21 o c t o b r e , Mage l l an a r r i v e au c a p qu ' i l n o m m e d e s Onze mille Vierges, o s ' o u v r e u n d t ro i t d e cen t d ix l ieues m a r i n e s , d o n t la d c o u v e r t e do i t immor ta l i s e r s o n n o m . II voi t l d e s m o n t a g n e s trs-leves e t c o u v e r t e s d e n e i g e , e t sa de sc r ip t i on est e n c o r e ici c o n -fo rme cel les d e ses successeurs ; m a i s , su r les ca r t e s d ' a u j o u r d ' h u i , le mil lsime a d i spa ru ; e t , le 2 8 n o v e m b r e , pa r t i d u c a p d e la V i c t o i r e , ainsi n o m m du n o m d ' u n d e ses v a i s s e a u x , le nav iga t eu r t r i o m p h a n t p r e n a i t possess ion d u G r a n d - O c a n , q u i , p o u r la p r e m i r e f o i s , d a n s ce t t e d i r e c t i o n , e n t e n d a i t le b ru i t d u c a n o n e u r o p e n . S o n e s c a d r e , au d p a r t , se c o m p o s a i t d e c inq v a i s s e a u x , le Saint-Antoine, la Concep-tion, le Saint-Jacques, la Trinit, la Victoire. Le d e r n i e r seul r e n t r a , le 8 s e p t e m b r e 1522 , d a n s le p o r t d e S a n L u c a r , d o n t tous ta ien t p a r t i s le 20 du m m e m o i s 1519. ' Le Saint-Jac-ques avai t fait nau f r age d a n s le d t ro i t m m e des P a t a g o n s , o le Saint-Antoine s 'tai t s p a r de l ' e scadre e t ta i t r e v e n u e n E s p a g n e sous le c o m m a n d e m e n t d u t r a t r e E t i e n n e G G o m e z ; e t , des t ro i s va i sseaux r s t a n s , la Conception ava i t t b r l e , p r s d e s les M a r i e - A n n e , p a r s e s p r o p r e s qu ipages ; la Trinit a b a n d o n n e T idor ( M o l u q u e s ) , cause d ' u n e voie d ' e a u q u ' o n n ' av a i t p u d c o u v r i r . Mes l e c t e u r s m e par-d o n n e r o n t , sans d o u t e , ces d t a i l s , en ra i son d e l ' in t r t qu i s ' a t t a che u n e expd i t i on aussi i n -t r e s s a n t e q u e g n r a l e m e n t p e u c o n n u e . P o u r r e v e n i r m o n su je t , e t m e r s u m e r g o g r a p h i -q u e m e n t sur le l i t tora l o r i en ta l d e la P a t a g o n i e , d ' a p r s ce q u ' e n o n t d i t les n a v i g a t e u r s les p l u s a c c r d i t s , j e r e m a r q u e , en g n r a l , q u e ce t t e c t e , t e n d u e d u 36 4 1 ' au 52 2 0 ' d e la t . S . , cou r t d u c a p S a i n t - A n t o i n e au Cap Blanc, d a n s la d i r e c t i o n d u S . O . ; d u Cap-Blanc au Rio de los Gallegos, d a n s la d i r ec t i on S. S . O . , l , c o u p e d e p lu s i eu r s anses ; et d u R io d e los Ga l l egos au Cap des Vierges, d a n s la d i rec t ion S . E . , t e r r e b a s s e , d a n g e r e u s e p o u r les vais-seaux j u s q u ' a u 44e d e g r , fort leve d u 4 4 e de-g r la ba ie d e Sa in t - Ju l i en ; d e la ba i e d e Sa in t -J u l i e n au p o r t d e S a i n t e - C r o i x , b a s s e , s a n s fond, et avec p e u d e r i v a g e ; et , enfin, du p o r t de Sain te-C r o i x au R i o d e los G a l l e g o s , m d i o c r e m e n t h a u t e , puis t rs-basse j u s q u ' a u Cap des V i e r g e s , o elle se re lve d e n o u v e a u . Q u a n t au l i t to ra l m r i d i o n a l , ou d t ro i t d e M a g e l l a n , e x t r m e -

  • 27G V O Y A G E E N A M E R I Q U E .

    m e n t d c o u p d a n s t o u t e s o n t e n d u e , il offre p a r t o u t d e s p o r t s d o n t p l u s i e u r s son t s r s , d e la b o n n e e a u , d e s b o i s , d u p o i s s o n , d e s co-qu i l l ages e n a b o n d a n c e ; l 'apium dulce, le c o c h -lar ia avec d ' a u t r e s p l a n t e s a n t i - s c o r b u t i q u e s ; e t , s ans les v e n t s con t r a i r e s e t les c o u p s d e v e n t auxque l s o n y est s o u v e n t e x p o s , il offri-r a i t , a u d i r e d e C o o k , e n r a i s o n d e t a n t d ' a v a n -t a g e s , u n pas sage d e b e a u c o u p p r f rab le celui d u c a p H o r n , o , s a n s a u c u n e c o m p e n -s a t i o n , o n n e p e u t c o m p t e r q u e su r d e g r a n d s f ro ids , des p lu ies e t d e for tes m e r s .

    Q u e l q u e vagues e t q u e l q u e i nce r t a ine s q u e so ien t les conna i s sances g o g r a p h i q u e s su r les c tes d e ce p a y s , cel les q u ' o n a s u r s o n in t -r i e u r le son t p lus e n c o r e . L e p r e m i e r v o y a g e p a r t e r r e d a t e du c o m m e n c e m e n t d u x v i i e s icle , s ans q u ' o n puisse e n i n d i q u e r la da t e p r c i s e . Ou l ' a t t r i bue S a a v e d r a , g o u v e r n e u r d u P a r a -guay , q u i , a p r s avo i r conqu i s le P a t a n a e t d -c o u v e r t le C h a c o , au ra i t pn t r p a r t e r re j u s -q u ' a u d t ro i t d e Magel lan ; p r i s p a r les In-d i ens a v e c ses c o m p a g n o n s , pu i s mi r acu l eu -s e m e n t sous t ra i t l eur j o u g , il sera i t r e t o u r n d a n s le p a y s , e t , clans s o n s e c o n d v o y a g e , au -ra i t af f ranchi ses p r e m i e r s c o m p a g n o n s de c a p -t ivi t. C e t t e e x p d i t i o n , q u e l ' a b s e n c e d e t o u s dtai ls r e n d dj s u s p e c t e , est e n t a c h e d ' u n c a r a c t r e r o m a n e s q u e q u i . n e p e r m e t g u r e d 'y a jouter u n e foi impl ic i te ; mais o n en p e u t t ou -j o u r s conc lu r e q u e S a a v e d r a est le p r e m i e r Es -pagnol qu i ait t r ave r s la c o n t r e . C o n c u r r e m -m e n t ce r c i t , o n t r o u v e , v e r s n o v e m b r e d e 1 7 0 3 , la c o n t i n u a t i o n d ' u n e miss ion fonde Nuestra-Seora de Nahuelhuani y de la Languna, pa r 42 de la t . S . , au S . d u Sicu-Leuwu, c h e z les P u e l c h e s e t les P o y a s , vis--vis d e l ' le d e Ghi lo . Le f o n d a t e u r d e ce t t e miss ion avai t t u n P . Nicolas Mascard i ; les c o n t i n u a t e u r s e n furent le P . P h i l i p p e d e la L a g u n a e t s o n com-p a g n o n le P . J o s Maria Sessa ; mais c 'est t o u t ce q u ' e n d i t l ' h i s to i r e . P l u s t a r d , D . Basilio Vil-l a r i n o r e m o n t e deux fois le R i o N e g r o d e sa sou rce s o n e m b o u c h u r e , e t , s e lon Ignac io Nu-l l e s , p r i t assassin p a r les I n d i e n s e n 1 7 8 3 . O n n e t r ouve p lus ensu i te q u e les e x p l o r a t i o n s pa r -t iel les d e D . J u s t o Molina e n 1 8 0 5 , e t d e Luis d e la C ruz e n 1806 ; mais o n p e u t , au m o i n s e n p a r t i e , s u p p l e r au s i l ence d e l 'h i s to i re p a r le t r ava i l d u P . F a l c o n e r , q u e j ' a i dj cit et q u i a p o u r lui le p r j u g d ' u n l ong sjour d a n s le p a y s .

    Te l tai t l ' ta t d e m e s c o n n a i s s a n c e s s u r la P a t a g o n i e et l ' ide t h o r i q u e q u e j e m ' e n tais fai te par m e s l e c t u r e s , au m o m e n t o je m ' em-

    b a r q u a i p o u r la v i s i t e r . C ' ta i t la fin du mois d ' a o t 1 8 2 9 , e t j ' a v a i s p r i s mes m e s u r e s pour a r r i v e r m a des t i na t i on p e u p r s l 'poque d e la p c h e des l p h a n s d e m e r d a n s la baie de S a n Blas , t a n t for t c u r i e u x d e vo i r cette, pche l ' u n d e s t r a v a u x les p lus i m p o r t a n s du pays. J ' p a r g n e au l ec teur les dtai ls nau t iques qui ne l ' a m u s e r a i e n t p a s p lus q u e m o i , et j e lui dirai s i m p l e m e n t q u e , pousss p a r u n v e n t favorable n o u s s o r t m e s b ien t t de l ' es tua i re d e la Pla ta , e n v o y a n t pa s se r success ivement d e v a n t nous le vi l lage d e los Q u i l m e s , l ' e n s e n a d a d e Barragan la p o i n t e d e l ' I n d i e n , d fendue p a r des rcifs, celle d e las P i e d r a s , qu i p r s e n t e le m m e genre d ' o b s t a c l e s , et enfin le c a p S a n A n t o n i o , que q u e l q u e s g o g r a p h e s r e g a r d e n t c o m m e la pointe m r i d i o n a l e d e l ' e m b o u c h u r e d u R io d e la Plata. C e c a p est d e f o r m e a r r o n d i e , e t , d a n s son voi-s i n a g e , se t r o u v e n t las arenas gordas (les bancs p a i s ) , r e d o u t s d e s b t i m e n s . S u r ce t te cte s o n t d e pe t i t s lacs s a l s , m a r c a g e u x , peupls d e j a g u a r s ; p u i s , d e r r i r e , t rois r a n g s d e dunes au -de l desque l les s ' t end u n p a y s fertile qui nour r i s sa i t b e a u c o u p d e c h e v a u x sauvages et qui s ' appe l l e le Rincon de Tuyu (le r eco in de la fange o u d e la t e r r e g la i se ) , e n r a i son de la na-t u r e d u sol d e la c o n t r e a d j a c e n t e , de quarante c i n q u a n t e l ieues au N . O . La p r e m i r e localit r e m a r q u a b l e au S. d u cap S a n A n t o n i o , est le c a p d e los Lobos o le sol est. bas e t d o n t le voi-s inage se c o u v r e d e m a r a i s p ro fonds de deux l i eues d e l a r g e . T o u t e ce t t e c o n t r e tait , jadis, r e m p l i e de c h e v a u x s a u v a g e s qu i v a t t i ra ient les p e u p l e s m r i d i o n a u x . P r s d e la m e r , environ c inq l ieues d u cap d e los L o b o s , es t el Mar Chi-quito (la pe t i t e m e r ) , e spce d e lac d e cinq l ieues d e l o n g sur u n e d e l a r g e , d o n t les eaux son t sa les . Il r eo i t p lus i eu r s pe t i t e s rivires v e n a n t d e s m o n t a g n e s vois ines qu i sont peu l e v e s , mais q u ' o n d i s t i n g u e , n a n m o i n s , de v ing t l i eues e n m e r , cause d e la parfaite ho-r izonta l i t d e s c a m p a g n e s a u mil ieu desquelles el les se t r o u v e n t . Ces m o n t a g n e s n e forment p o i n t d e c h a n e s c o n t i n u e s , mais d e s chanons f r q u e m m e n t i n t e r r o m p u s e t coups de quel-q u e s r a v i n s . A six l ieues d e la m e r , elles com-m e n c e n t s ' lever p r e s q u e perpendiculai rement , s ' t endan t a lors q u a r a n t e l i eues l 'O . , cou-v e r t e s d ' h e r b e , a y a n t l eu r p i e d des sources qui d e s c e n d e n t d e s r a v i n s , d e s pra i r ies en am-p h i t h t r e sur la c r o u p e d e que lques -unes , et o des t r o u p e a u x n o m b r e u x p o u r r a i e n t trouver u n e a b o n d a n t e n o u r r i t u r e . T o u t e ce t te contre, t rs p r o p r e la c u l t u r e , n ' a p o i n t d e bois ; mais elle s e r a i t facile boiser ; e t l ' on y t rouve une

  • P A T A G O N I E . 2 7 7

    quantit d e p e t i t s l a c s , e n t r e lesquels se d i s t in -gue le Cabrillo ; t ous son t c o u v e r t s d e c a n a r d s en n o m b r e indf ini .

    Jusqu ' a lo r s n o u s av ions l o n g la c te ; m a i s , partir d e l , n o u s g a g n m e s la p l e i n e m e r , e t je ne sus p lu s d u p a y s , j u s q u ' m a des t i na t i on , que ce q u e j ' e n a p p r i s p a r m e s c o m p a g n o n s d e voyage, q u i y a v a i e n t a t t r i p lus d ' u n e fois. Ainsi, u n p e u a u S . d e l Mar C h i q u i t o , se t r o u v e ce qu 'on appe l le le Pays du Diable, appe l l a t ion qui n ' a n n o n c e r i en d e b i e n sat isfaisant p o u r la localit; puis v i e n n e n t les cerros de los Lobos o u collines des L o u p s - M a r i n s , a ins i n o m m e s d u grand n o m b r e d ' a n i m a u x d e c e t t e espce qu i s'y t r o u v e n t ; t a n d i s q u e , d a n s les bois vo i s ins , il y a des p u m a s , mais peu d e j a g u a r s ; e t , p lus bas, jusqu ' la R i v i r e - R o u g e (rio Colorado), les ctes sont trs-leves ; puis v i e n n e n t d e s b a n c s d e sable e x t r m e m e n t b a s . Nous p a s s m e s d e v a n t la Baie-Blanche, d e v a n t l ' e m b o u c h u r e du C o l o r a d o , devant la ba ie d e S a n Blas , q u e j e devais vis i ter plus t a r d ; enfin n o u s e n t r m e s d a n s le R i o Ne-gro, o n o u s e m e s aff ronter ce t t e b a r r e si redoute d e tous les m a r i n s . N o u s r e m o n t m e s la rivire, et n o u s finmes p a r j e t e r l ' a n c r e de vant le C a r m e n , n o n s a n s avo i r c o u r u le r i s q u e de faire c t e , ce q u i tai t a r r iv d e r n i r e m e n t plusieurs n a v i r e s , mais c e q u i n o u s fut p a r g n , grce l 'habi le t d e n o t r e p i lo te et au c h a n g e -ment i n a t t e n d u d u v e n t , q u i n o u s poussa i t beau-coup plus vi te q u e n o u s n e l ' au r i ons v o u l u . J e fus bientt instal l d a n s le f o r t , o D . J o s G a r c i a s avait des a m i s . Il devena i t p o u r m o i u n n o u v e a u centre d ' o b s e r v a t i o n s , e t j e m e p r o p o s a i s b i e n de pousser d e l d i v e r s e s r e c o n n a i s s a n c e s p a r mer ou p a r t e r r e , d a n s t ou t e s les d i r e c t i o n s , pour vrifier p a r m o i - m m e , a u t a n t q u e poss i -ble, les faits q u e j e n e conna i s sa i s e n c o r e q u e p a r les livres e t p a r la c o n v e r s a t i o n . C ' e s t ainsi q u e , vers le S . , p rof i tan t d e la n a v i g a t i o n d e que l -ques p c h e u r s d e loups m a r i n s q u i , t ous les a n s , parcourent cet te c t e , j e m ' a v a n a i j u s q u ' a u p o r t Saint-Julien, p a s s a n t p a r tous les p o i n t s i n t e r m -diaires, depu i s le Cap-Blanc , t e r r e fort leve e t entirement r a s e . Ains i j ' a i v u , t o u j o u r s e n de s -cendant, l ' anse et le p o r t Ds i r , r econna i s sab le Par un lot b l a n c qu i se t r o u v e l ' e n t r e , e t ou le pays, obse rv d u h a u t d ' u n e m o n t a g n e vo is ine , est sec, c revass , s a n s a r b r e s , n e p r s e n t a n t q u e des buissons et des h a l l i e r s , d e s r o c h e r s e t d e s pierres ca l ca i r e s . C e p o r t c o n v i e n d r a i t p o u r l 'h ivernement d e tou tes so r t e s d e n a v i r e s ; mais, c o m m e il es t d p o u r v u d ' e a u d o u c e , il serait assez difficile d ' y faire u n sjour p ro -

    LONG Q u a n t au p o r t Sa in t - Ju l ien , s i tu p a r 49

    12' d e l a t . S . , a u c u n e r iv i re n e s 'y j e t t e ; e t , q u o i q u e les p lus g r a n d s nav i r e s p u i s s e n t y p -n t r e r d ' u n e l ieue e t d e m i e , i n d p e n d a m m e n t d e ce q u e l ' en t re d e la ba i e est difficile, o n n ' y t r o u v e q u e p e u ou po in t d e r e s sou rce s d ' tab l i s -s e m e n t , p a r c e qu ' i l n ' y a p o i n t d ' e a u e n t , q u ' o n n ' y recuei l le e n h i v e r q u e ce l le d e s pe t i t s ru isseaux q u e fo rme la fonte d e s n e i g e s ; q u e le p a y s , e x t r m e m e n t s t r i l e , n 'offre p a s u n a r b r e exp lo i t e r , e t n ' a d ' a u t r e bois q u e d u bois d e chauf fage . Ce p o r t , au r e s t e , a t le d e r n i e r t e r m e d e m e s cour ses p e r s o n n e l l e s ve r s le m i d i , faute d ' o c c a s i o n p o u r a l le r p lus lo in ; mais h e u -r e u s e m e n t q u e le v o y a g e des vaisseaux angla i s l 'Advenlure e t le Beagle, c h a r g s , e n 1826 e t 1827, d e l ' exp lo ra t ion d u d t ro i t d e M a g e l l a n , va supp le r m o n s i l e n c e . Ces va i sseaux , p a r t i s cet effet d e M a l d o n a d o , a v a i e n t fait tou tes voi les d e ce l t e vil le p o u r la c te d e P a t a g o n i e , o ils n ' a t t r i r e n t q u e le 28 n o v e m b r e 1826, au p o r t Sa in t e -H lne , s i tu p a r 45 d e la t . S . Il y a l u n b o n a n c r a g e p o u r p lus ieurs b t imens ; mais il es t expos u n e for te h o u l e d u S . 0 . , e t l es va i s seaux y p r o u v r e n t u n e m e r t e r r i b l e , qu i faillit les j e t e r su r des r o c h e r s d o n t ils n ' t a i e n t lo igns q u e d ' u n e e n c b l u r e . Le pays e n v i r o n -n a n t est d ' u n e s tr i l i t e f f r a y a n t e : o n n ' y sau-r a i t v o i r la m o i n d r e t r a c e d e vg ta t ion ; u n c h a o s un ive r se l semble y r g n e r , e t l ' on n ' e n -t e n d sur la t e r r e q u e les cris d e s p o u l e s d ' e a u e t le m u g i s s e m e n t des v a g u e s , su r les no i r s r o c h e r s qu i b o r d e n t la c te , t e l l e m e n t dse r t e et dpoui l -l e , q u ' u n b t i m e n t nauf rag n ' y t r o u v e r a i t au-c u n e r e s s o u r c e . D e n o m b r e u x t r o u p e a u x d e g u a n a c o s sauvages p a r a i s s e n t en t r e les seuls m a t r e s , e t se la i ssent assez fac i lement a p p r o -c h e r , d i t le n a r r a t e u r , q u o i q u ' i l n e soi t pas t ou -j o u r s facile d e les avo i r a la p o r t e du m o u s -q u e t . Q u e l q u e s a u t r u c h e s , l ' a rmad i l l o h u i t b a n d e s , des c h a t s - h u a n s , d e s b u s a r d s e t di-ve r se s espces d ' o i s eaux d e m e r p a r t a g e n t avec eux ce t r i s t e e m p i r e .

    J e la issera i m a i n t e n a n t p r e s q u e tou jours p a r l e r l ' a u t e u r , e n n e m ' a r r t a n t p o u r t a n t q u ' a u x par-t i es d e s o n rc i t qu i p o u r r o n t t r e d ' u n in t r t g n r a l , c o m m e t ab l eau d e s m u r s et des l ieux .

    N o u s r e m m e s la voi le le 4 d c e m b r e . L a p r e m i r e t e r r e o n o u s a n c r m e s fut le c a p B e a u - T e m p s , o , m a l g r s o n n o m , n o u s p rou -v m e s d e for ts c o u p s d e v e n t d u S. O. C e t t e t e r r e n ' e s t p a s aussi m o n t a g n e u s e q u e le p o r t Sa in te -H lne ; m a i s , d e la m e r , el le p r s e n t e u n a s p e c t aussi t r i s te e t aussi d s e r t . L ' i n t r i e u r d u p a y s p a r a t v e r d o y a n t ; e t , p r s d e la c t e , il y a b e a u c o u p d e g a z o n , m a i s b r l p a r le soleil

  • 2 7 8 V O Y A G E E N A M E R I Q U E .

    O n v o y a i t , r p a n d u s d a n s les p l a ines lo ignes , d ' i n n o m b r a b l e s t r o u p e a u x d e g u a n a c o s . L e s ai-g les b r u n s , s u r p r i s l ' a spec t d e l ' h o m m e , p la -n a i e n t , e n t o u r n o y a n t , sur n o s t tes et s emb la i en t p r t s f o n d r e s u r n o u s . L , se t r o u v e n t e n quanti t , d e s bu i s sons c h a r g s d ' u n fruit r o u g e qu i e m b a u m e l ' a i r d ' u n pa r fum des plus agra -b l e s . D a n s t o u t le p a y s , p a s la m o i n d r e t r ace d ' u n t r e h u m a i n . T o u t e ce t te p a r t i e d e la cte d e la P a t a g o n i e , du p o r t Sa in te -H lne au c a p d e s V i e r g e s , offre le m m e a spec t s a u v a g e ; d a n s l 'es-p a c e d e p r s d e mi l le m i l l e s , o n n e ve r r a i t p a s u n a r b r e ou u n b u i s s o n ; e t t o u t e la c t e , l ' en-TRE s e p t e n t r i o n a l e d u d t ro i t de Mage l lan , p r -s e n t e le m m e c a r a c t r e . E n a r r i v a n t la h a u -t e u r d u c a p des V i e r g e s , n o u s v mes d i s t inc te -m e n t u n b a n c d e r o c h e r s q u i s ' a v a n c e d a n s la m e r la d i s t ance d ' e n v i r o n u n mi l l e . Ce c a p r e s s e m b l e , d i t - o n , au c a p S a i n t - V i n c e n t e n Es-p a g n e .

    D e ce t a n c r a g e , n o u s a p e r m e s , p o u r la p r e m i r e f o i s , la T e r r e d e F e u q u i s ' levai t l ' h o r i z o n . La p r e m i r e t e r r e q u i f r appe les y e u x q u a n d o n e n t r e d a n s le d t ro i t es t le m o n t Di-n e r o , q u i r e s s e m b l e b e a u c o u p au C e r r o d e M o n t e v i d e o , p o u r lA forme c o m m e p o u r la h a u -t e u r .

    D e s v e n t s c o n t r a i r e s , a c c o m p a g n s d e for tes pluies e t d ' u n ciel n u a g e u x , r e t i e n n e n t p lus i eu r s j o u r s les va i sseaux d a n s la baie d e la Possess ion , la t e r r e la p lu s vo i s ine du c a p d e s V ie rge s , et p e r m e t t e n t d ' y r e m a r q u e r , au n o r d , q u a t r e m o n t a g n e s con iques q u e sir J o h n N a r b o r o u g h a n o m m e s Aymond et ses Fils, et qu ' i l lui a p l u d ' a p p e l e r aussi les Oreilles d'Ane, cause d e la r e s s e m b l a n c e q u ' e l l e s p r s e n t e n t a v e c la p a r t i e sup r i eu re d e la tte d e cet a n i m a l .

    Le pas sage d e ce q u ' o n n o m m e le p r e m i e r G o u l e t , la p a r t i e la p l u s r e s s e r r e d u d t r o i t , p u i s q u e la T e r r e d e F e u et la c te d e la Pa ta -g o n i e n e sont loignes l, l ' u n e de l ' au t r e , q u e d e q u a t r e ou c inq milles au p l u s , es t aussi l ' un d e s p o i n t s les p lu s difficiles de ce t t e nav iga t i on , e t d e m a n d a aux n a v i g a t e u r s u n e d o u b l e t e n -ta t ive qui n e l e u r russi t q u e le 2 8 . Ce t te t e r r e est assez l e v e ; mais elle n ' a r i e n d e p i t t o r e s -q u e . Les g u a n a c o s son t l t r s - sauvages e t s ' en fuya ien t ds qu ' i l s v o y a i e n t les va i sseaux p r s d e la r i v e .

    L e s n a v i g a t e u r s n e t r o u v e n t rien d e r e m a r -q u a b l e j u s q u ' la ba i e d e S a i n t - G r g o i r e , o ils j e t t e n t l ' a n c r e le 1er j a n v i e r 1 8 2 7 . C'est un ex-ce l l en t a n c r a g e , p a r f a i t e m e n t c o u v e r t d e s v e n t s v io l ens q u i , d a n s ces p a r a g e s , soufflent c o n s t a m m e n t d u S . O . l 'O . S . O . ou S. S . O .

    L a c te es t l d ' u n a spec t p lu s agrab le qu'au-c u n e d e celles q u e n o u s av ions v u e s , depuis le c a p des V i e r g e s , t o u t e s s o m b r e s e t dser tes . On a p e r o i t , d e t e m p s e n t e m p s , u n e c h a n e de mon-t a g n e s couve r t e s de v e r d u r e ; m a i s , le plus sou. v e n t , des p rc ip i ces n o i r s e t d c h i r s , des ro-c h e r s m e n a a n s , p r ivs d e t o u t e vgtation c o u v r e n t le p a y s su r les d e u x c te s .

    V e r s le so i r , u n g r a n d feu brilla derrire la p o i n t e qu i s ' avance e n d e h o r s d u cap Saint-Gr-goi re ; e t , le l e n d e m a i n m a t i n , n o u s vmes aller et ven i r su r la c te d e u x h o m m e s cheval qui s embla i en t n o u s inv i t e r d e s c e n d r e . L'auteur dcr i t la p r e m i r e e n t r e v u e q u e lui e t ses com-p a g n o n s e u r e n t a v e c les I n d i e n s . Les deux p r e m i e r s q u e j e r e n c o n t r a i t a i en t u n homme et u n e f e m m e , t r a n q u i l l e m e n t assis sur la rive. L ' h o m m e para i s sa i t avo i r q u a r a n t e - c i n q ans et la f emme e n v i r o n q u a r a n t e . L ' h o m m e se distin-gua i t p a r u n e t te l o n g u e e t l a r g e , face trs-p l a t e , p o m m e t t e s des j o u e s t r s - sa i l l an tes , sans s o u r c i l s , n i b a r b e , le nez p l a t , les na r ine s ou-v e r t e s , les yeux p e t i t s , n o i r s , enfoncs ; les c h e v e u x t rs-noi rs e t p a r s . I l p o r t a i t autour de la tte u n e pe t i t e l a n i r e d e peau d e guanaco c o l o r e , r e t e n a n t u n e p l u m e d ' a u t r u c h e qui flottait sur son pau le d r o i t e e t q u i , malgr son l i e n , lui p e n d a i t auss i su r la face et jusque sur la p o i t r i n e . S o n te in t tai t d ' u n n o i r olive ou p lu t t d ' u n aspec t h u i l e u x et cu iv r . Il paraissait t r s - r o b u s t e . Sa taille tai t d ' e n v i r o n six pieds t ro i s p o u c e s ( m e s u r e a n g l a i s e ) , sa bouche re-m a r q u a b l e m e n t g r a n d e ; les l vres paisses et a v a n c e s ; les an g l e s d e la b o u c h e excessive-m e n t c o n t r a c t s , ce q u i , i n d p e n d a m m e n t d'un c e r t a i n c o u p - d ' i l ga r qu ' i l s o n t t o u s , comme j e l 'a i r e c o n n u p lus t a r d , lui d o n n a i t un IF froce qu i n ' e n g a g e a i t p a s d u t o u t a faire plus a m p l e conna i s sance avec l u i , e t qu i m e faisait p r e s q u e r e g r e t t e r d ' t r e sans a r m e s . L a femme para issa i t p lus a imable q u e l ' h o m m e , ce qui me dc ida lui offrir u n m o r c e a u d e biscui t qu'elle p r i t en t r e l ' i ndex e t le p o u c e e t se mi t a gri-g n o t e r avec la dl icatesse et la g rce d'une j e u n e p e n s i o n n a i r e . J e n ' e n offris point a l ' h o m m e , e t j e le r e g a r d a i s p o u r voi r s'il se for-ma l i se ra i t d e l ' oub l i . Il n e p a r u t pas y faire a t t e n t i o n . J e lui d o n n a i a lo r s que lques MOR-ceaux d e biscui t qu ' i l r eu t a v e c indiffrence d a n s la p a u m e d e la m a i n et qu ' i l mit en un clin-d'ceil d a n s sa b o u c h e , les c r o q u a n t avec une sat isfact ion v i d e n t e . Les d e n t s d e s deux. In-d iens ta ient un ies e t b l a n c h e s , e t le b ru i t qu'elles faisaient p e n d a n t leur serv ice n e ressemblait pas m a l ce lu i d ' u n m o u l i n caf en fonction.

  • P A T A G 0 N I E . 2 7 0

    D ' a u t r e s P a t a g o n s a r r i v r e n t b i e n t t AU galop avec que lques p e r s o n n e s d e l 'Adventure . Ils taient au n o m b r e d e v i n g t e n v i r o n , p a r m i lesquels p lus ieurs j e u n e s g a r o n s e t j e u n e s f i l les , tous vtus s e u l e m e n t d e p e a u x d e g u a n a c o e t ayant u n ce r t a in a i r e s p a g n o l . Ces j eunes sau-vages para issent fo r t b i e n e n t e n d r e le p i l l a g e ; car ils n e t a r d r e n t pas m ' e n t o u r e r , e t j e m e vis bientt d b a r r a s s p a r eux d e tout le t abac q u e j'avais appo r t su r la r i ve . La p l u p a r t d ' e n t r e eux avaient un air fminin e t il tait difficile d e discer-ner la diffrence des s e x e s ; s e u l e m e n t les h o m m e s avaient les pau les p lu s l a rges e t u n e x t r i e u r plus g r a v e . T o u s ta ient i m b e r b e s . D a n s la troupe il se t r o u v a i t u n i nd iv idu q u e n o u s a p -pelions la jeune Maria, d ' u n ex t r i eu r p l u s g ra -cieux et q u i n ' a v a i t pas la te in te o l iv t re d e s autres. L a j e u n e Mar ia sembla i t avo i r g a g n tous les c u r s . T o u s les c o l l i e r s , t ous les b o u -tons, tout le t a b a c ta ien t p o u r e l l e , e t , c o m m e marque pa r t i cu l i r e d e d i s t i n c t i o n , o n lu i avai t pass au cou u n e mdai l le f r appe en A n g l e t e r r e , avec l ' i n sc r ip t ion : L'Adventure e t le B e a g l e , vaisseaux d e S a M a j e s t , 1 8 2 7 . La j e u n e Ma-ria tait t ou jou r s d e b o n n e h u m e u r , e t m o n t r a i t une d e n t u r e d o n t la b l a n c h e u r et l 'un i formi t eussent fait h o n n e u r aux a te l iers d e n o s p lus clbres d e n t i s t e s . La j e u n e Maria avai t fait des passions p a r m i n o s q u i p a g e s ; m a i s , p lu s t a r d ,

    on dcouvri t q u e la j e u n e Maria ta i t u n homme.

    P lus ieurs d e ces I n d i e n s ta ien t p e i n t s au -dessus et a u - d e s s o u s d e s y e u x d ' u n e t e r r e d ' u n rouge no i r ; d ' a u t r e s a v a i e n t u n e l igne b l a n c h e sur les j o u e s e t s u r les sourc i l s . L e u r tai l le va -riait de six p i e d s d ix p o u c e s six p i e d s t r o i s . Quelques-uns p o r t a i e n t d e s b o t t i n e s qu i n ' a l -laient que j u s q u ' a u c o u - d e - p i e d , la issant les o r -teils d c o u v e r t . L e u r s p e r o n s s o n t fort cu -rieux. Ils s o n t fo rms d e d e u x m o r c e a u x d e bois d ' e n v i r o n c inq p o u c e s d e l o n g , c h a c u n deux pouces d e d i s t ance l ' u n de l ' a u t r e , e t d e s pointes de fer y t i e n n e n t lieu d e m o l e t t e s . Ces perons son t a t t achs au p i e d p a r u n e l an i re de peau d e g u a n a c o , q u i , se r a t t a c h a n t d e r r i r e chaque m o r c e a u d e b o i s , passe s u r le cou-de -pied et l 'assujett t la chev i l l e .

    Ils p o r t e n t s u s p e n d u e s a u t o u r d e la c e i n t u r e trois longues c o u r r o i e s a t t a ches e n s e m b l e , l'extrmit d e c h a c u n e desque l l e s se t r o u v e n t autant de b o u l e s d e g r a n i t e n v e l o p p e s d e Peaux et d o n t ils se s e r v e n t p o u r c h a s s e r les chevaux sauvages e t les a u t r u c h e s . La m a n i r e

    en faire u sage a dj t s o u v e n t dc r i t e . Les femmes von t c h e v a l j a m b e d e , j a m b e do

    l , c o m m e les h o m m e s , e t l e u r s s e l l e s , p o u r le pe t i t n o m b r e d e c e u x qu i e n o n t , r e s s emb len t a b s o l u m e n t a u recado d e s g a u c h o s , form d ' u n m o r c e a u d e bois c o u r b d e m a n i r e s ' a d a p t e r au dos d u c h e v a l , p e u p rs c o m m e u n b t , et p e r c , d e c h a q u e c t , d ' u n t r o u des t in r e c e v o i r la c o u r r o i e de l ' t r ie r . O n t e n d d e s s u s d e u x o u t ro is p e a u x , e t le t o u t est assujet t i sous le v e n t r e d u c h e v a l p a r u n e l a r g e s a n g l e . Les b r i d e s s o n t d e p e a u , le m o r s d e b o i s , fix la t te d u c h e v a l p a r u n e lan ire d e p e a u d e gua-n a c o . L e s t r i e r s s o n t d e f o r m e t r i a n g u l a i r e , d e bo i s aussi , a t t a c h s la s ang l e p a r des l an i e r e s d e p e a u , e t n ' o n t d e l a r g e u r q u e ce qu ' i l e n faut p o u r r e c e v o i r t ro is d o i g t s . L e u r s c h e v a u x , qu i s o n t p e u p r s d e la tai l le d e s p o n e y s a n -g l a i s , son t t r s -doux ; ils les font c o u r i r t r s -vi te e t l e u r d c h i r e n t l es f lancs d ' u n e m a n i r e h o r r i b l e .

    D a n s l ' ap rs -mid i d u m m e j o u r , p r o f i t a n t d e la m a r e , n o u s f mes vo i l e p o u r le s e c o n d G o u l e t , form p a r l ' le de Nassau e t p a r le c a p G r g o i r e . Ce s e c o n d G o u l e t a e n v i r o n t r e i ze mil les de l o n g s u r q u a t r e ou c i n q d e l a r g e . L e s n a v i g a t e u r s e s p a g n o l s l'ont appe l Saint-Simon, les nav iga t eu r s ang la i s Saint-Barthlemy. N o u s j e t m e s l ' a n c r e l ' ex t r mi t o r i e n t a l e d e l ' le E l i s a b e t h , h a u t e e t p r e , ma i s t r s -p l a t e s o n s o m m e t ; sans a r b r e s , mais v e r d o y a n t e e n p lu -s ieurs e n d r o i t s . Le 5 j a n v i e r , n o u s r e m m e s la vo i le a v e c u n v e n t d ' O . f avorab le p o u r p a s -se r e n t r e l ' le E l i sabe th e t les les d e s P i n g o u i n s , ce q u ' o n r e g a r d e , c o m m u n m e n t , c o m m e le p a s s a g e le p lus d a n g e r e u x d e t o u t le d t ro i t . N o u s e m e s b i en t t f r a n c h i l ' le E l i s a b e t h , e t n o u s a r r i v m e s la P o i n t e - N o i r e , L c o m m e n c e le pays bo i s , et la c te , j u s q u ' la Baie d e l 'eau d o u c e , es t c o u v e r t e d e for ts p a i s s e s , c o n -t r a s t e auss i f r a p p a n t q u ' a g r a b l e p o u r n o u s , ap rs les d s e r t s n u s e t a r i de s q u e n o u s av ions vus j u s q u ' ce m o m e n t . P l u s i e u r s c e n t a i n e s d e t r o n c s d ' a r b r e s arrachs p a r les v e n t s g isa ien t pa r s su r la r i ve . A la Baie d e l ' eau d o u c e , q u i est sur la c te p a t a g o n e , se t r o u v e u n e r a d e t r s -ouve r t e , mais d ' u n assez b o n a n c r a g e , en -v i r o n u n mil le e t d e m i d e la c t e . L e s d ive r s mara i s qu i b o r d e n t la r ive s o n t r emp l i s d ' o i e s e x c e l l e n t e s , d e c a n a r d s , d e sarcel les e t d e b -cass ines . Les o ies s o n t ici les p lu s g ro s se s et les m i e u x e m p l u m e s d e tou t le d t r o i t , avec d e pet i tes p l u m e s n o i r e s , semes d e pe t i t s p o i n t s b l ancs . El les p sen t d e h u i t d ix l iv res . D a n s la soire d u d e r n i e r j o u r de n o t r e r s idence e n ce l i e u , n o u s v m e s s e p t h a b i t a n s d e la T e r r e d e F e u t o u r n a n t u n e p o i n t e d a n s l eu r s CANOTS.

  • 2 8 0 V O Y A G E E N A M E R I Q U E .

    Ils t a i en t d e pe t i t e s t a t u r e , le p l u s g r a n d d ' e n t r e eux n ' a y a n t pas p l u s d e c inq p i eds d e u x p o u c e s , e t t o u s , h o m m e s e t f e m m e s , p a r a i s -s a i e n t d e s p lus mis rab le s . L e s p e a u x d e v e a u m a r i n qu i f o r m a i e n t l e u r s seu ls v t e m e n s flot-t a i en t en l a m b e a u x a u t o u r d e l e u r s c o r p s no i r -cis e t h u i l e u x . L e u r s c h e v e u x , r a i d e s e t n o i r s , r e s s e m b l a n t des f anons d e b a l e i n e , p e n d a i e n t e n d s o r d r e sur l e u r face e t s u r l eu r s p a u l e s , e t l ' o n a u r a i t p e i n e concevo i r d e s h o m m e s r du i t s u n e c o n d i t i o n p lu s t r i s t e . I ls d v o -r a i e n t a v e c avidi t q u e l q u e s morceaux d e v e a u m a r i n r a n c i .

    La c t e , d e p u i s la Baie d e l 'eau d o u c e j u s -q u ' a u p o r t Famine, v e r s leque l n o u s n o u s d i r i g i o n s , p r s e n t e tou jours le m m e a s p e c t , ce lu i d ' i m p n t r a b l e s for ts . L a t e r r e n ' e s t p a s t r s - l e v e , la cte d e la T e r r e d e F e u n e s ' a p e r c e v a n t q u ' g r a n d ' p e i n e d e cel le d e la P a t a g o n i e . N o u s fmes assa i l l i s , d a n s n o t r e pas sage a u p o r t F a m i n e , d e h o u l e s ex t r me-m e n t v i o l e n t e s , e t ce fut avec g r a n d e jo i e q u e , le 6 j anv ie r , n o u s j e t m e s l ' a n c r e d a n s ce p o r t . La t e r r e est ici la plus h a u t e q u e n o u s euss ions v u e j u s q u ' ce m o m e n t . Le p o r t F a m i n e a r e u s o n n o m d e l ' un d e s nav iga t eu r s q u i n o u s y o n t d e v a n c s . L e s E s p a g n o l s , e n 1 5 8 4 , y ava ien t form u n t a b l i s s e m e n t , e t , d e q u a t r e cen t s p e r s o n n e s q u i le c o n s t i t u a i e n t , il n ' e n s u r v c u t q u e t ro is o u q u a t r e , les a u t r e s t a n t l i t trale-m e n t m o r t e s d e fa im. O n y t r o u v e , e n q u a n t i t , d e l ' p ine -v ine t t e et d e s a r b o u s i e r s , mais t rs -peu d ' a u t r e s vg taux ; o n y t r o u v e auss i b e a u -c o u p d e m o u l e s , ma i s pas si g rosses q u e celles q u e B yron d i t y avo i r v u e s . C 'es t u n exce l l en t p o r t p o u r le bo i s e t p o u r l ' eau . V e r s la pa r t i e S . 0 . d e l a b a i e , il y a q u a n t i t d e g r o s a r b r e s qui pa r a i s s en t avoi r lu t t d e s sicles c o n t r e les v e n t s , e t d o n t q u e l q u e s - u n s son t e n t i r e m e n t p o u r r i s e t les a u t r e s b i e n conse rvs . E n fait d ' o i s e a u x , o n y voi t q u e l q u e s s a r c e l l e s , d e s m a r t i n s - p c h e u r s , d e s a u t o u r s , d e s v a u t o u r s , d e s f a u c o n s , d i v e r s e s e spces d e c h a t s - h u a n s , d ive r ses espces d e p o u l e s d ' e a u , d e s c o r b e a u x , d e s g r i v e s , q u a n t d ' o i s eaux p lu s p e t i t s , e t d u po i s son e n a b o n d a n c e . L a se ine d e l'Adventrure y fit u n e vr i t ab le p c h e m i r a c u l e u s e . Q u e l q u e s -u n s des p e r l a n s q u ' o n p r i t t a ien t d ' u n e tai l le e t d ' u n clat e x t r a o r d i n a i r e , p e s a n t c h a c u n p lus d e t ro is l i v res .

    Le 1 5 , le Beagle, la issant l'Adventrure l ' an -c r e d a n s le p o r t F a m i n e , d u t m e t t r e la vo i l e p o u r c o n t i n u e r la miss ion d ' e x p l o r a t i o n du d-t ro i t jusqu ' son e n t r e o c c i d e n t a l e . La nav iga -t ion p a r la p o i n t e Sainte-Anne ( cap Shut up d e

    B y r o n , San Isidro d e s Espagno l s ) e t p a r la baie d e Saint -Nicolas , m a u v a i s a n c r a g e aux environs for t t r i s t e s , n e lui p r s e n t e r i e n d e trs-intres-s a n t j u s q u ' a u c a p H o l l a n d , o il a r r ive aprs avo i r c o u r u d e s bo rdes e t s o n d plusieurs fois p a r p r u d e n c e . Ce c a p est t r s - h a u t e t large e t la c t e d e la T e r r e d e F e u c o m m e n c e pren-. d r e u n a spec t froid e t dso l . Les montagnes qu i b o r d e n t la r i v e s o n t trs-leves ; celles de l ' i n t r i eu r s o n t p lus h a u t e s e n c o r e e t couvertes d e ne ige ; e t q u a n d le t e m p s est c h a r g et temp, t u e u x , c e q u i a r r i v e s o u v e n t , la p e r s p e c t i v e n'en es t r i e n m o i n s q u ' a g r a b l e . S o u s le c a p Holland, le Beagle se t r o u v a assez b i e n l ' ab r i des vents d o m i n a n s d u S . O. L a cte d e la Pa tagon ie est, d e ce c t , t r s - m o n t a g n e u s e et t r s -bo i se , et le cana l y est d ' e n v i r o n c inq ou six mil les de large. L e 2 0 , le Beagle ta i t la h a u t e u r d u cap For-ward, p r o m o n t o i r e aussi t rs - lev . La cte y est c o u v e r t e d e bo i s pais et d ' a r b r e s qui s'l-v e n t p r e s q u e j u s q u ' a u s o m m e t des montagnes. L ' i n t r i eu r est t rs-lev e t c o u v e r t d ' u n e neige p e r p t u e l l e . J e r e m a r q u e , c o m m e fait gogra-p h i q u e assez i m p o r t a n t , q u e le c a p Forward, s i tu p e u p r s au mi l ieu d u d t r o i t d e Magel-l a n , es t v r a i m e n t l ' ex t r mi t la p lu s mridio-n a l e d u c o n t i n e n t amr i ca in , b i en q u e , dans l'o-p i n i o n du p lu s g r a n d n o m b r e , le c a p Horn, q u o i q u e s i tu d e l ' au t r e c t d e la T e r r e de Feu, soi t e n possess ion d e ce r l e . D u c a p Forward, le Beagle a r r i ve au port Gallant, l ' u n des hvres les p lus s r s e t les mei l l eurs d u d t r o i t , donnant u n exce l len t a n c r a g e , et q u e les t e r r e s d'alen-t o u r a b r i t e n t d e tous les v e n t s . D u c a p Gallant, d ' o il p a r t le 2 1 , j u s q u ' a u c a p Providence, le Beagle t r o u v e u n e c te ga rn i e d e h a u t e s monta-g n e s n e i g e u s e s , en t r em les d e n o i r s rochers c a v e r n e u x ou c o n i q u e s , e n t r e lesquels se mon-t r e n t p a r i n t e rva l l e d e s a r b r e s e t des rochers de l ' aspect le p lus s a u v a g e . Le c a p P r o v i d e n c e pr-s e n t e u n assez b o n a n c r a g e ; mais c 'est un port o il est d a n g e r e u x d ' e n t r e r , s u r t o u t dans les g r o s t e m p s , c a u s e d e s r o c h e r s q u ' o n y aper-o i t au-dessus d e l ' e au .

    L ' e x p d i t i o n v e n a i t d e p a r c o u r i r p rs de deux c e n t c i n q u a n t e mil les d e cte p a r des vents p r e s q u e c o n s t a m m e n t con t r a i r e s , avec des pluies e t u n f roid c o n t i n u e l s .

    I l fallait t o u t le c o u r a g e d u cap i t a ine pour ne p a s r e n o n c e r l ' a c c o m p l i s s e m e n t de sa mis-s ion ; le 31 j anv ie r , il se dc ide pousser jus-q u ' a u c a p P i l a r , d i s t an t e n c o r e d e trente-cinq m i l l e s , e t ce la e n dp i t d e s ven t s contraires et d e la v io lence d e la h o u l e v e n a n t du Grand-Ocan m a i s , r ep o u s s m a l g r ses efforts, il est

  • P A T G 0 N 1 E . 2 8 1

    forc de r e v e n i r au cap P r o v i d e n c e , ap r s avo i r essuy p lus ieurs g r o s t e m p s e t t o u c h p lu s i eu r s fois. Le 1 e r fvr ier , le c u t t e r d u Beagle fut ex-

    di pour c h e r c h e r d e s p o r t s , et r e v i n t aprs six jours d ' a b s e n c e . Il avai t r e c o n n u , su r la Terre de F e u , le Havre de la Sparation, .o le Beagle arriva le 15 d u m m e m o i s , e t se t r o u v a porte d e faire p lus i eu r s o b s e r v a t i o n s in t -ressantes sur u n c a m p e m e n t des n a t u r e l s . Ceux-ci plantent c i r c u l a i r e m e n t e n t e r r e u n g r a n d nombre de l ongues b r a n c h e s d ' a r b r e s , e n t r e les-quelles ils m n a g e n t u n te r ra in d ' e n v i r o n qu inze pieds; d ' au t r e s b r a n c h e s p l i a n t e s un i s sen t e n -semble les ex t rmi ts supr ieures des p remi res , qu'on r e c o u v r e ensu i t e d e peaux d e veau m a -rin et de b r a n c h a g e s , afin d ' e n chauffer l ' in t-rieur et d 'y i n t e r cep t e r l ' a i r . L e feu se fait au centre, e t les h a b i t a n s s ' a sseyen t a u t o u r , au mi-lieu de la fume , qu ' i l s n e p e u v e n t v i te r , p a r c e qu'il n 'y a p o i n t d ' o u v e r t u r e au s o m m e t d e la hutte, qu i n ' a d ' i s sue q u e p a r la p o r t e . Ce l t e porte m m e est t e l l e m e n t s u r b a i s s e , qu ' i l est trs-difficile d ' e n t r e r o u d e sor t i r a u t r e m e n t qu'en r a m p a n t sur les g e n o u x et sur les m a i n s .

    Le l endema in , les Angla i s , ayan t p r i s t e r r e , fu-rent assez h e u r e u x p o u r a r r ive r d a n s u n e d e s hut -tes, au m o m e n t m m e o les I n d i e n s p r p a r a i e n t et allaient p r e n d r e l eu r r e p a s . C e u x - c i ava i en t ramass u n e g r a n d e q u a n t i t de mou le s et d ' au t r e s coquillages qu ' i l s faisaient r t i r e n g r a n d e h t e . L'un d ' e u x , p r e n a n t u n e d e s p lus grosses m o u -les qui lui para issa i t assez cu i t e , la passa u n e o u deux fois d a n s sa b o u c h e , c o m m e p o u r la refroi-dir, et l'offrit, avec u n e g rce tou te pa r t i cu l i re , a l'un des h o m m e s d e l ' qu ipage , sans p a r a t r e offens le m o i n s d u m o n d e d e l ' accuei l fait sa politesse. U n d e s I n d i e n s admis b o r d d u vais-seau s'y m o n t r a p lus cu r i eux q u e les P a t a g o n s ; il regardait a u t o u r d e lui a v e c e m p r e s s e m e n t , tantt j e t an t les yeux su r le p o n t , t an t t les le -vant vers les m a n u v r e s . O n lui p r sen ta u n verre de P o r t o , qu ' i l p a r u t p r e n d r e avec le p lus grand plaisir, a ins i que d u t h , d u s u c r e e t d u grog. Il dvora i t auss i , avec u n e e x t r m e avi-dit, le buf, le b iscui t e t les a u t r e s comes t ib les , et ne mon t ra i t pas m o i n s d e go t p o u r la graisse des sondes.

    L 'quipage, d u r a n t son s jour p a r m i ces In-diens, les vi t c o n s t r u i r e u n c a n o t . Il tai t form de p lus ieurs m o r c e a u x d ' u n e espce d ' -corce, sur le b o r d desquels ils faisaient p lus ieurs trous, s e rvan t les l ier e n s e m b l e , l ' a ide d e

    boyaux de v e a u m a r i n . La n a t u r e semble avoir dou ces p e u p l e s d ' ad re s se e t d e p e r s v r a n c e ;

    car il leur faut u n t r a v a i l l o n g e t di f f ic i le , p o u r AM.

    c o n s t r u i r e ces c a n o t s , s ans a u t r e s out i ls q u e d e s coqui l l es d e m o u l e . P a r m i le g r a n d n o m b r e d ' a r b r e s q u i c o m p o s e n t les bo i s d e ce p o r t , le p lus lev est le b o u l e a u qu i a t te in t quelquefois u n e h a u t e u r d e v i n g t - c i n q v i n g t six p i e d s , mais qu i est g n r a l e m e n t t o r t u . O n p o u r r a i t l ' employer la c o n s t r u c t i o n de pe t i t s b t i m e n s . I l y a a u s s i , e n a b o n d a n c e , u n a r b r e d o n t les feuilles r e s s e m b l e n t cel les d u l a u r i e r , e t q u i a t t e in t j u s q u ' t r e n t e p ieds d e h a u t . O n y t r o u v e enf in des bu i s sons fleurs b l a n c h e s d e h u i t o u d ix p i eds d ' l va t ion , t r s - d u r s , e t l ' a r b o u s i e r , d o n t le t r o n c et les b r a n c h e s c ro i s sen t i r rgul i-r e m e n t .

    L e 2 0 fvr ie r , le vaisseau se r emi t e n r o u t e e t se t r o u v a b i e n t t a u mi l ieu d ' u n a r c h i p e l q u i n ' e s t m a r q u sur a u c u n e c a r t e . I l p a r a t r a i t q u e la c t e , depu i s le c a p P r o v i d e n c e j u s q u ' a u c a p V i c t o i r e , aura i t t fort m a l r e l eve p a r les p r -c d e n s n a v i g a t e u r s . Ces r o c h e r s p o r t e n t l ' E . S . E . p a r S . e t l 'O. S . S . O . A p r s avoi r fait tou tes les obse rva t i ons ncessa i res p o u r e n b i e n fixer la l a t i t u d e , le 2 7 , le vaisseau appa re i l l a d u p o r t Mard i p o u r s o n r e t o u r ; ca r sa miss ion tait r e m p l i e . E n l o n g e a n t la cte n o r d , i l e n t r a d a n s u n e i m m e n s e ba ie o se t r o u v e u n b o n a n c r a g e , e t laquel le le cap i ta ine du Beagle d o n n a le n o m d e cap Parker. C 'es t u n e r a d e o u v e r t e , d o n t les d e u x cts p r s e n t e n t t ro is les b a s s e s , t r s -p la tes . S o n ct s e p t e n t r i o n a l es t p e u p r o f o n d , u n e g r a n d e d i s t a n c e , e t l ' in-t r i eur du pays offre b e a u c o u p d e t e r r a ins i n o n -d s , d e ca t a r ac t e s e t d e g r a n d e s flaques d ' e a u . El le p a r a t avo i r c h a p p tous les nav iga t eu r s e t n ' e s t i n d i q u e su r a u c u n e c a r t e . D e s c e n d u s sur la c t e , que lques -uns d e s h o m m e s de l ' qui -p a g e , aprs avo i r t r a v e r s u n e fort , t r o u v r e n t u n e g r a n d e c h u t e d ' e a u , au -de l d e laquel le ils a p e r u r e n t u n e p la ine o u v e r t e , g a r n i e , d e c h a -q u e c t , d e h a u t e s m o n t a g n e s q u e c o u v r a i e n t d e s a r b r e s d e tou te t a i l l e , les u n s b l anch i s san t d e v ie i l lesse , les au t res p a r s d ' u n e r i c h e e t br i l lante v e r d u r e . U n s i lence d e m o r t r gna i t d a n s ce t te s o l i t u d e , e t n ' t a i t i n t e r r o m p u q u e p a r le b ru i t a lo r s affaibli d e la c h u t e . Les A n -glais y t r o u v r e n t de t r s - b o n n e eau d o u c e . E n r e v e n a n t au r i v a g e , ils r e m a r q u r e n t les ru ines d ' u n kraal o u v i l l age a b a n d o n n , e t c r u r e n t y r e c o n n a t r e q u e l q u e s indices d ' a n t h r o p o p h a g i e ; mais l eu r s con jec tu re s m e pa ra i s sen t au m o i n s h a s a r d e s . Apr s avoi r s journ q u e l q u e t e m p s au c a p T e m u r , l ' u n des plus mauva i s a n c r a g e s d e tou t le d t r o i t , ils a r r i v r en t le 1 e r m a r s a u c a p U p r i g h t , un d e s me i l l eu r s q u ' o n y p u i s s e t r o u v e r . On, fit le t o u r d u p o r t q u i est fort g r a n d

    3G

  • 2 8 2 V O Y A G E E N A M E R I Q U E .

    e t qu i se ra i t u n r e n d e z - v o u s exce l l en t e t d e s p lu s s r s p o u r d e pet i t s b t i m e n s . O n y vo i t p lus i eu r s o i seaux b e a u c o u p p lu s g r o s q u e des o ies . Leurs ailes s o n t t r s - c o u r t e s , d e s o r t e qu ' i l s n e p e u -v e n t s ' lever au-dessus d e l 'eau ; ma i s , q u a n d ils s o n t t roub l s , ils se m e u v e n t la surface avec u n b r u i t e t u n m o u v e m e n t qu i les f e ra i en t c o m -p a r e r d e s b a t e a u x v a p e u r . O n t r o u v e a u s s i , d a n s ce p o r t , q u e l q u e s b e a u x b o u l e a u x e t d e b e a u x p i n s .

    L e 3 m a r s , le Beagle r e n c o n t r a u n e ba le in i re m o n t e d e six h o m m e s , et a p p a r t e n a n t au s c h o o -n e r le Prince de Saxe-Cobourg, cap i ta ine Bris-b a n e , n a u f r a g le 19 d c e m b r e , d a n s la baie Furie, l ' en t r e s e p t e n t r i o n a l e d u cana l B a r b a r a (Ter re d e F e u ) . O n pe igna i t la s i t ua t i on d u cap i t a ine Bris-b a n e c o m m e e x t r m e m e n t d a n g e r e u s e , les na-t u r e l s a u g m e n t a n t c h a q u e j o u r e n n o m b r e et m a -ni fes tan t d e s i n t e n t i o n s h o s t i l e s ; ces h o m m e s s o n t d o u x , c e q u ' o n p r t e n d , q u a n d ils n e se s e n t e n t p a s e n f o r c e , mais l e u r ca rac t r e est t ou t diffrent d a n s le cas c o n t r a i r e . L e cap i t a ine du Beagle se h t a a lors d e r e g a g n e r le p o r t Ga l l an t , d ' o il expd ia u n officier d a n s la ba le in i re l 'Adventure , p o u r l e p r v e n i r d e s o n r e t a r d ; u n a u t r e officier fut e n v o y , avec des f o r c e s , d a n s l e c u t t e r et d a n s la c h a l o u p e , p o u r al ler c h e r c h e r l e cap i ta ine nauf rag au p o r t F u r i e , d i s t an t d e d i x - s e p t mi l les d u p o r t G a l l a n t . A moi t i d u cana l B a r b a r a , ces d e r n i e r s r e n c o n t r r e n t b e a u c o u p d ' I n d i e n s q u i , a v e c l eu r s c a n o t s , s 'ef forcrent d e g a g n e r d e v i t e s se les e m b a r c a t i o n s ang la i ses , t and i s q u e d ' a u t r e s , d u h a u t d e s r o c h e r s et d e s p o i n t e s d e t e r r e vo is ines d e la r i v e , p o u s s r e n t u n cr i d e g u e r r e e t les sa lu ren t , leur pa s sage , d ' u n e g r l e d e flches e t d e t ra i t s ; ce fut u n e r a i s o n d e p lu s p o u r se h t e r d e secour i r les nau-frags q u ' o n t r o u v a , d ' a i l l e u r s , e n b o n ta t d e d fense . Au r e t o u r , o n r e n c o n t r a e n c o r e b e a u -c o u p d ' I n d i e n s , la p l u p a r t p e i n t s d e r o u g e et d e b l a n c , e t d ' u n aspect si mi s rab le qu ' i l s ava i en t p e i n e f igure h u m a i n e ; ceux-c i , la diffrence d e s p r e m i e r s , se m o n t r r e n t t rs - c o n c i l i a n s , e t c d r e n t v o l o n t i e r s a u x E u r o p e n s , en c h a n g e d e c o u t e a u x , d e c o l l i e r s , e t c . , d e s l a n c e s , d e s a r c s , des flches e t d e u x d e l eu r s c h i e n s , r e s s emb lan t d e s r e n a r d s p a r l e u r tte effi le, l e u r s l ongues o r e i l l e s , l e u r q u e u e touffue , ma i s e n diffrant p a r l eu r c o u l e u r , q u i es t d ' u n gris s a l e .

    Le Beagle qu i t t a le p o r t Ga l l an t le 10 m a r s e t r e jo ign i t l 'Adventure le m m e j o u r , au por t F a -m i n e , ap r s u n e a b s e n c e d e c i n q u a n t e - q u a t r e j o u r s .

    L e s va isseaux p a r t i r e n t d u p o r t F a m i n e le 7

    av r i l . I ls n e r e n c o n t r r e n t r i e n d e remarquable j u s q u ' a u 1 0 , l e u r a p p r o c h e de la baie Gr-go i re ; m a i s , d a n s la m a t i n e d e ce j ou r , les feux d e s P a t a g o n s c o u v r a i e n t la r i v e . Quel-q u e s - u n s d ' e n t r e eux t a i en t cheva l et agi. t a ien t d a n s l 'a i r d e g r a n d e s p e a u x , comme pour n o u s inv i te r d e s c e n d r e . La r i v e tait alors au lo in g a r n i e d e n a t u r e l s , e t il pouva i t bien s'y t r o u v e r r a s s e m b l e s d e trois q u a t r e cents per-s o n n e s , h o m m e s , f e m m e s e t en fans . Ils s'taient v i d e m m e n t r u n i s p o u r u n m a r c h ; car une i m m e n s e q u a n t i t d e p l u m e s d ' a u t r u c h e s , de p eau x d e guanacos et d ' a u t r e s an imaux taient c o m m e exposes t ous les r e g a r d s . Presque tous les I n d i e n s ta ien t c h e v a l , e t de gros c h i e n s , au n o m b r e d e p r s d e c e n t cinquante, ta ien t c o u c h s a u mil ieu d e c e u x qu i taient p i e d , d is t r ibus e n d ive r s g r o u p e s , ou courant a u loin d a n s la p l a i n e , p a r t r o u p e s d e vingt ou t r e n t e . C'tai t u n spec tac le for t or ig inal que ce m l a n g e d ' I n d i e n s s a u v a g e s , d e ch iens et de c h e v a u x ; les p r e m i e r s , au n o m b r e desquels se t r o u v a i e n t d e s enfans la m a m e l l e , rangs en ce rc le a u t o u r d e g r a n d s f e u x , o ils faisaient cu i re d e la cha i r d e c h e v a l . B e a u c o u p d'entre e u x , e n c o r e j e u n e s , n ' t a i e n t p a s m a l , pour d e s P a t a g o n s ; ma i s les v i e u x ta ient bien les tres les p lu s ho r r ib l e s q u ' o n puisse voir sous figure h u m a i n e .

    L ' h i s t o r i e n d u v o y a g e dcr i t la rencontre qu ' i l fit d ' u n e t r o u p e d e P a t a g o n e s , dont la plus g e , d ' e n v i r o n v i n g t - c i n q a n s , n ' e t pas t m a l , sans les l o n g s c h e v e u x ra ides qu i lui pen-da ien t e n d s o r d r e j u s q u ' la c e in tu re . Il les t r ouva occupes p r p a r e r l e u r r e p a s autour d'un g r a n d feu. S a ga lan te r i e na tu re l l e le porta, mal-g r c e r t a i n e s r p u g n a n c e s , e n accepter sa p a r t ; mais la c ra in te d e se vo i r b ien t t totale-m e n t dval is p a r ses bel les h t e s s e s , fort dis-poses se p a y e r d e l e u r hosp i ta l i t , en le d-poui l lan t d ' u n e pa r t i e d e s effets qu ' i l portait sur l u i , le dcida p i q u e r d e s d e u x , p o u r se rendre au c a m p e m e n t gn ra l . C e c a m p e m e n t consis-ta i t e n qu inze ou v ing t h u t t e s , formes de pieux e t d e p e a u x , r e s s e m b l a n t b e a u c o u p aux bouti-q u e s d e n o s foires ; elles ta ient fermes de t ro i s c t s , ouve r t e s su r le d e v a n t , et dis-t a n t e s l ' u n e d e l ' a u t r e d ' e n v i r o n neu f douze p i eds . J ' a t t a c h a i m o n c h e v a l aux pieux de la p r e m i r e ; j ' y e n t r a i , e t j e v i s , assise dans un c o i n , u n e f e m m e qui p t r i s sa i t ensemble de ces t e r r e s d e d i v e r s e s c o u l e u r s , r o u g e , noire et b l a n c h e , d o n t ils se s e r v e n t p o u r se parer; elle l eur d o n n a i t p e u p rs la f o r m e , l'paisseur e t la l o n g u e u r d ' u n b t o n d e cire cacheter .

  • P A T A G O N I E 2 8 3

    paraissait fort ga ie et r ia i t d e for t b o n c u r a v e c une au t r e f e m m e . A u t o u r d e la h u t t e t a i en t suspendus d ive r s p r o d u i t s d e l eu r i n d u s t r i e , e t surtout des bolas b e a u c o u p p lus grosses e t mieux confectionnes q u e celles q u e p o r t a i e n t les P a -tagons de la r i v e . E n d e h o r s d e ce l te h u t t e e t des a u t r e s , t ou tes d s e r t e s , ca r je n ' y vis q u e ces deux femmes e t u n v i e i l l a r d , ta ien t acc ro -ches des t tes e t d e s p a u l e s d e d a i m s , qu i paraissaient tus d e p u i s peu et r s e r v s p o u r la table.

    Je b o r n e ici m e s ex t ra i t s et m o n ana lyse d u voyage de l 'Adventure et d u Beagle, qu i n 'offri-rait plus a u l ec t eu r r i e n d ' i n t r e s san t s u r la Patagonie; e t , la issant les deux va i sseaux angla i s suivre leur r o u t e j u s q u ' M o n t e v i d e o , o ils r e n -trrent le 24 avr i l 1 8 2 7 , j e p r e n d s c o n g d ' e u x pour r e t o u r n e r m a s t a t i on d u R i o N e g r o . J e leur e m p r u n t e r a i c e p e n d a n t u n e d e r n i r e o b -servation su r le c o n t r a s t e f r appan t q u e p r -sentent les d e u x en t r es o r i en t a l e et occ iden t a l e du dtroit d e Magel lan : la p r e m i r e of f re , e n gnral, des deux c t s , d e s t e r r e s aussi p l a t e s qu'elles son t l e v e s , p o u r la s e c o n d e , sur les deux rives o p p o s e s . O n p o u r r a i t aussi i ndu i r e de leurs r e m a r q u e s sur la T e r r e d e F e u , pa r t i cu -lirement aux e n v i r o n s d u p o r t F u r i e , q u e cet te terre est e n t r e c o u p e d e c a n a u x o u d e r iv i res dont les d iverses b r a n c h e s f o r m e n t d e s les n o m -breuses o pas u n e p l a n t e ag rab le n e p r e n d racine, o n e bri l le a u c u n e v e r d u r e ; mais d ' au -tres r en se ignemens p r s e n t e n t la T e r r e d e F e u comme forme d ' u n g r a n d n o m b r e d ' l e s , les unes l ' o u e s t , les au t r e s l 'es t ; celles-l b a s s e s , petites, toujours n o y e s ; celles-ci g r a n d e s , montagneuses, boises . L e sol e n est gn ra l e -ment s t r i l e , mais s e u l e m e n t faute d e c u l t u r e , et pourrait , avec d e s so ins , t r e fertilis ; ca r o n y trouve b e a u c o u p d e p lan tes t rs -var ies e n espces, s u r t o u t d u cler i s a u v a g e e t u n e so r t e de c resson , r e g a r d s c o m m e d ' exce l l ens a n t i scorbutiques. On y t r o u v e e n c o r e , su r p lus i eu r s Points, le b o u l e a u , le h t r e e t d ' a u t r e s g r a n d s arbres m i n e m m e n t u t i les . O n y r e n c o n t r e aussi de l'eau douce ; e t si l ' o n y d c o u v r a i t u n p o r t s r , peut-tre, c o m m e t a b l i s s e m e n t , p r s e n t e r a i t -elle plus d ' avan tages q u e les les Malou ines ou Falkland, p o u r v u e s d ' u n seul b o n p o r t , la Sole-fod, dans leque l , e n c o r e , o n n e p e u t e n t r e r q u e lorsque les v e n t s soufflent d u N . o u d u N . E . ; colonises pa r la F r a n c e e n 1 7 6 0 , les Malouines furent cdes l ' E s p a g n e , sous C h a r l e s I I I ,

    Pour cinq ou h u i t c en t mi l le d o l l a r s , e t pass-rent depuis sous la d o m i n a t i o n d e l ' A n g l e t e r r e , ou elles son t e n c o r e a u j o u r d ' h u i . Ces les fort

    n o m b r e u s e s , mais p e t i t e s , sauf d e u x , e t t o u t e s t r s - m a r c a g e u s e s , p r o d u i s e n t g r a n d ' p e i n e d e l ' o r g e , des p o i s , d e s f ves , d e s l a i t u e s ; c o m m e o i s e a u x , d e s p i n g o u i n s e t des o u t a r d e s ; c o m m e q u a d r u p d e s , d e s v a c h e s , d e s c o c h o n s , d e s c h e v a u x ; elles s o n t , d u r e s t e , t o t a l e m e n t d p o u r -vues d e bo i s , d o n t el les d o i v e n t s ' a p p r o v i s i o n n e r la Te r r e d e F e u .

    L e s h a b i t a n s d e la T e r r e d e F e u s o n t , s a n s c o n t r e d i t , les p lus laids e t les m o i n s in te l l i -g e n s d e tous les h a b i t a n s d e l ' A m r i q u e m r i -d iona l e . Bougainvi l le e t C o o k les o n t p e i n t s c o m m e incapab le s d e r i e n d i s c e r n e r e t c o m m e les p lus indi f frens d e tous les i nd ignes des t e r r e s aus t r a l e s ; a s s e r t i o n q u e p o u r r a i t faire r v o q u e r e n d o u t e l ' u n e des o b s e r v a t i o n s p rc -d e n t e s . L e u r t e in t se r a p p r o c h e d e la c o u l e u r d e la rou i l le mle avec d e l ' h u i l e . L e u r tai l le m o y e n n e est d e c inq p i e d s h u i t dix p o u c e s ; mais ils s o n t m a l faits . I ls se c o u v r e n t s e u l e -m e n t d e p e a u x d e g u a n a c o , d o n t l e u r c h a u s -s u r e es t auss i f o r m e . I ls s e p a r e n t d e b r a c e -lets d ' o s e t d e c o q u i l l a g e s , e t u n e espce d e rseau de fil b r u n o r n e l e u r t t e . L e u r s fem-m e s s o n t v tue s c o m m e e u x , sauf u n e espce d e t ab l ie r qu ' e l l e s o n t l ' h a b i t u d e d e p o r t e r ; les t ra i t s dist inctifs d e l e u r to i le t te s o n t le b l a n c d o n t elles s ' e n t o u r e n t les y e u x , e t l es l ignes h o r i z o n -ta les no i r e s e t r o u g e s q u i c o u v r e n t l e r e s t e d e leur v isage . L e u r indus t r i e est for t p e u a v a n c e . Ils v iven t d a n s d e s h u t t e s g r o s s i r e s , d e figure c o n i q u e , fo rmes d e p i eux fichs e n t e r r e e t c o u v e r t e s d e feui l lage e t d e fo in , avec u n e ou-v e r t u r e qu i s e r t la fois d e p o r t e e t d e c h e -m i n e . Les a r c s e t les flches s o n t l eu r s s eu l e s a r m e s . Ils les fabr iquent a v e c ad res se ; m a i s i ls s ' en s e r v e n t r a r e m e n t p o u r p o u r v o i r l e u r e x i s t e n c e , p a r c e qu ' i l s v i v e n t s u r t o u t d e c o -q u i l l a g e s , d o n t la p c h e est l ' o u v r a g e de l e u r s f emmes ; ce l les-c i su ivent la m a r e sa d e s -c e n t e e t a r r a c h e n t les coqu i l l ages d e s r o c h e r s p o u r les m e t t r e d ' a b o r d d a n s u n p a n i e r , d ' o elles les v e r s e n t d a n s u n sac q u ' e l l e s p o r t e n t , ce t e f fe t , s u r l eu r s p a u l e s . O n s u p p o s e q u ' i l s d o i v e n t p r o u v e r d e s diset tes f r quen te s ; ca r i l n ' y a , d a n s l e u r p a y s , q u e d e s p h o q u e s e t des c h i e n s , e r r a n t e n g r a n d n o m b r e sur les ctes d e la P a t a g o n i e , d ' o ils o n t p u fac i l ement t r e t r a n s p o r t s su r celles d e la T e r r e d e F e u . Q u a n t l e u r ta t m o r a l et p o l i t i q u e , o n l e u r a r e c o n n u d e s supers t i t ions qu i s u p p o s e n t l ' abus d e p r i n -c ipes r e l ig i eux q u e l c o n q u e s ; ma i s que l s s o n t ces p r i n c i p e s ? I l s n ' o n t p o i n t d e g o u v e r n e m e n t a p -p a r e n t , e t v i v e n t fort un i s e n t r e e u x . B a n k s e t Bougainvi l le les r e g a r d e n t c o m m e trs - m a l h e u -

  • 2 8 4 V O Y A G E E N A M E R I Q U E .

    r e u x ; et p o u r t a n t ( c e t t e o b s e r v a t i o n s ' a p p l i q u e g a l e m e n t aux h a b i t a n s d e la P a t a g o n i e ) ils s e m b l e n t satisfaits d e leur so r t . Depu i s q u e tous ces p e u p l e s son t c o n n u s , ils n e pa ra i s sen t pas avo i r c h a n g . E n v e l o p p s d a n s l e u r s p e a u x d e g u a n a c o et a ccou tums aux p r i v a t i o n s ds l e u r e n f a n c e , ils p a r c o u r e n t l i b remen t leurs d s e r t s , s a n s c o n n a t r e d ' au t r e s lois q u e leur v o l o n t , e t j o u i s s e n t , d a n s l eu r s sol i tudes s a u v a g e s , d ' u n c o n t e n t e m e n t et d ' u n b o n h e u r d o n t les hab i -t ans d u m o n d e civilis n e s a u r a i e n t se faire u n e i d e . A quel le cause a t t r i bue r ce p h n o m n e ? Se r a i t - c e au fait m m e d e l eu r i n d p e n d a n c e abso lue ?

    D e s P a t a g o n s d u mid i j e passe aux P a t a -g o n s s e p t e n t r i o n a u x , au n o r d e t a u sud d u R i o N e g r o , o la Juanita, qu i m ' ava i t a m e n , com-p l ta b ien t t son c h a r g e m e n t d e sel ; ce m i n r a l se t r o u v e e n a b o n d a n c e d a n s les lacs d ' e a u sale d e l ' in t r ieur d e s t e r r e s o il se cristall ise t o u t e l ' a n n e , mais s u r t o u t p e n d a n t la sa ison s c h e . Il fal lai t , au r e s t e , q u e j ' p r o u v a s s e b i e n v i v e m e n t le dsi r d e tou t vo i r et d e t o u t ob -server p a r m e s y e u x , a u t a n t q u e p o s s i b l e , d a n s ce t t e c o n t r e s a u v a g e , p o u r m e dc ider p r o l o n g e r m o n sjour a u C a r m e n , a p p e l , d a n s le p a y s , Patagones. Il s e r a i t difficile d ' i m a g i n e r u n e p lus t r i s te r s i d e n c e . Q u ' o n se r e p r s e n t e , e n effet, su r u n e col l ine ent i re-m e n t dpoui l le o u n 'off rant , p o u r t o u t e vgta-t i o n , q u e q u e l q u e s r a r s e t t r i s tes b r u y r e s , u n pe t i t f o r t i n , q u ' a n n o n c e n t pe ine quel-q u e s e m b r a s u r e s d e c a n o n et le d r a p e a u qu i le s u r m o n t e ; u n p e u a u - d e s s o u s , su r la p e n t e d u c o t e a u inc l in vers la r i v i r e , qu inze v ing t p e t i t e s m a i s o n s , en tou res d e q u e l q u e s pal is -s a d e s des t ines r e t e n i r les c h e v a u x et les bes-t i a u x ; de lo in l o i n , su r l ' une et l ' au t r e r i v e , u n pet i t n o m b r e d ' a r b r e s r a b o u g r i s qui s e m b l e n t n e c ro t r e q u ' r e g r e t s u r un sol i n g r a t , e t n e f o n t q u e m i e u x re s so r t i r l ' excess ive nud i t d u r e s t e d u p a y s a g e , d a n s t o u t e s les d i r ec t i ons e t j u s q u ' l ' h o r i z o n le p lus r ecu l Voi l le Car -m e n , d u mo ins tel qu ' i l se p r s e n t e d u ct de l ' o u e s t ; c a r , d u ct o p p o s , o n joui t de la v u e d ' u n e vgta t ion p lu s a n i m e , mais tou te d e t r ans -p o r t et p u r e m e n t e u r o p e n n e . V o i l , d a n s s o n ta t a c t u e l , le lieu qu i p e u t , u n jour , d e v e n i r la cap i ta le d e la P a t a g o n i e ( P L . X X X V 1 ) . Que l s q u e soient , c e p e n d a n t , ses d savan t ages sous le r a p p o r t p i t t o r e s q u e , ce t te locali t n ' e n e s t p a s m o i n s p r c i e u s e , e n r a i son d e sa pos i t ion c e n -t r a l e e n t r e B u e n o s - A y r e s e t les po in t s mr id io -n a u x d u pays ; c a r elle est b e a u c o u p plus r a p -p r o c h e d u c a p H o r n , e t n u l d o u t e q u ' u n ta-

    b l i s sement t r a n g e r s u r ce p o i n t n e d t beau-c o u p i n q u i t e r les Espagno l s . C'est , sans doute ce t t e c o n s i d r a t i o n q u i , ds la fin d u xviiie si-c l e , d t e r m i n a la v i ce - royau t de Buenos-Ayres p r e n d r e les d e v a n s su r t ou t e a u t r e puissance e t c o m m e n c e r la co lon isa t ion d e s r ives du Rio N e g r o , la p lus g r a n d e d e toutes les rivires de la P a t a g o n i e , q u o i q u ' o n a i t , c e r t a i n e m e n t , beau-c o u p e x a g r le n o m b r e et l ' i m p o r t a n c e de ses a f f luens ; o n p e u t t r a v e r s e r le c o n t i n e n t , avec d e s b a r q u e s su r le R io N e g r o , j u s q u ' la hauteur d e Valdivia , d a n s b i p a r t i e mr id iona le du Chili, Il a t b i en t t r e c o n n u q u e le C a r m e n tai t beau-c o u p p lus p r o p r e u n tab l i s sement d e ce genre q u e le p o r t S a i n t - J u l i e n e t le po r t D s i r , qui son t t o t a l e m e n t d p o u r v u s d e bois e t d ' eau . Le R io N e g r o s 'es t m m e dj vu assez p r o s p r e pour f o u r n i r , Buer ios -Ayres , s o n sel et u n e partie d e ses j a m b o n s ; s'il est d c h u d e p u i s , pa r suite d e s g u e r r e s d e la r v o l u t i o n , il est croire que, d e v e n u , d e n o u v e a u , l 'obje t d e s soins du gou-v e r n e m e n t , qu i pa ra t vou lo i r s ' e n occuper plus q u e j a m a i s , il r e g a g n e r a b i en t t son ancienne p r o s p r i t , qu i n e saura i t q u e s ' acc ro t r e ensuite. O n n e p e u t n a n m o i n s se d iss imuler q u e toute t en ta t ive d ' t ab l i s semen t ut i le s u r le R io Negro sera sans r s u l t a t , t a n t q u e n ' a u r o n t point t o u v e r t e s d e s c o m m u n i c a t i o n s rgul ires avec Buenos -Ayres e t le Chil i ; avec Buenos-Ayres, p a r d e b o n n e s rou les t r a v e r s les Pampas; a v e c le C h i l i , pa r la n a v i g a t i o n d u fleuve. Dj la fonda t ion de p lu s i eu r s forts au - de l du Rio S a l a d o , p r e m i r e l imite m r id iona l e de la pro-v i n c e , e t s u r t o u t cel le des forts d e l'Indpen-d a n c e e t de la Baie B l a n c h e , quatre-vingts l ieues et p lu s d e la c a p i t a l e , en r e c u l a n t d'autant cel te m m e l imi t e , on t c o m m e n c l'accomplis-s e m e n t d e ces v u e s . Le r e s t e s e r a l 'ouvrage du t e m p s e t d u pa t r i o t i sme d e s chefs d e la rpu-b l i q u e . E n a t t e n d a n t , le fleuve m m e offre aux h a b i t a n s d e la co lon ie na i s san te l ' immense res-s o u r c e d e ses exce l lens p o i s s o n s , si varis en e s p c e s , e n t r e au t r e s d e ses truchas et de ses p e j e r e y s , a b o n d a n s au mi l ieu des mares que f o r m e n t les d b o r d e m e n s d e la r ivire ; de ses l a m p r o i e s , d o n t s o n e m b o u c h u r e a b o n d e , de j a n v i e r e n a v r i l ; s a n s p a r l e r d u b a g r e , de la m o r u e e t d e la s o l e , qui. pu l lu len t dans la mer vo i s ine .

    Q u a n d j ' a r r i v a i au C a r m e n , t ou t y tait encore e n m o i p a r sui te d ' u n e a t t a q u e rcente des P u e l c h e s , d e s Aucas e t des T e h u e l c h e s ou pa-t a g o n s , qu i v e n a i e n t p e i n e d e lever l'espce d e sige qu ' i l s ava ien t fait du for t . Les co-lons ta ient tou jours sur le q u i - v i v e ; e t , malgr

  • P A T A G O N I E . 2 8 5

    la suprior i t d e l e u r s a r m e s , il l e u r e t p e u t -tre t difficile de t r i o m p h e r d e leurs e n n e -mis, sans l e u r a l l iance avec q u e l q u e s cac i -ques v o i s i n s , qu i l e u r ava i en t p r t le s e c o u r s et l 'appui d e s t r i bus q u ' i l s c o m m a n d a i e n t , t r i bus fort mal d i sc ip l ines , mais q u i , pa r l eu r conna i s -sance du pays , n e laissaient p a s q u e d e r e n d r e d e grands serv ices aux E u r o p e n s . P lus ieurs d ' e n t r e eux v e n a i e n t s o u v e n t au fort , et m o i - m m e j ' a l -lais p lus s o u v e n t l eu r s c a m p e m e n s qu i n ' -taient pas t r s - lo igns , cu r i eux d e m'instruire de leur s t a t i s t ique , e t d ' t u d i e r l eu r s h a b i t u d e s , en r e c h e r c h a n t l e u r soc i t .

    En r a s s e m b l a n t t o u t e s les no t i ons q u e j ' a i pu r e c u e i l l i r , j e t r o u v e d ' a b o r d , d ' a p r s Fa l -cone r , q u e t ous les h a b i t a n s d e la P a t a g o n i e se dist inguent p a r d e u x g r a n d e s d n o m i n a t i o n s gnr iques , s ' appe l an t e u x - m m e s , s e lon leur situation g o g r a p h i q u e , Moluches o u Puelches. Les Moluches o u Guerriers p a r a i s s en t v ivre p lus par t icul irement d u ct d e l ' O . , d e l ' ex t r -mit de l ' a n c i e n P r o u j u s q u ' a u d t ro i t d e Ma-grellan. Ce s o n t les Aucas ou A r a u c a n o s d e s E s -pagnols , d iviss e n t r o i s n a t i o n s diffrentes : les Picunches ou hommes du nord, qu i s ' ten-dent depu i s C o q u i m b o j u s q u ' S a n t i a g o d u Chil i et mme u n p e u p lus au S . , les p lus g r a n d s , les plus c o u r a g e u x des Moluches ; les Pehuenches, qui t i r e n t l eu r n o m d e l ' a b o n d a n c e d e s p ins qu'on t r o u v e chez e u x , e t qu i s ' t e n d e n t d e c h e z les P i cunches j u s q u ' a u 3 5 e d e g r d e la t . S . ; ces deux na t ions e u r e n t d e l o n g u e s g u e r r e s a v e c les E s p a g n o l s , e t s 'affaiblirent p a r ces g u e r r e s mme, ainsi q u e p a r l ' u sage d e s l i q u e u r s for tes et par la pe t i te vro le ; enfin les Huilliches, ou Mo-luches mridionaux, qu i s ' t e n d e n t d e Vald iv ia jusqu'au d t ro i t . Ma i s , toujours d ' a p r s l ' au t eu r cit, les p lus i n t r e s s a n s c o m m e les p lus c o n n u s des deux g r a n d s p e u p l e s p a t a g o n s son t , b i en ce r -tainement, ceux qu i h a b i t e n t les pa r t i e s o r i en ta l e s de la c o n t r e , les Puelches, ayan t les M o l u c h e s l'O., au N . l a r pub l ique A r g e n t i n e , l ' E . l 'Ocan-At lant ique , et le d t r o i t d e Magel lan au S. Ces p e u p l e s son t d iv i s s , c o m m e leurs voisins o c c i d e n t a u x , e n p lus ieurs t r ibus pr inc i -pales, q u ' o n d i s t ingue s u r t o u t p a r leur pos i t ion gographique, e t e n t r e lesquel les se r e m a r q u e n t les Taluhets a u N . , les Diuihets l ' O . e t au S. , le long du R i o C o l o r a d o , s e c o n d e r iv ire d u p a y s ; tous trs-affaiblis p a r les g u e r r e s ; ces d e r n i e r s vivent d e p i l l age s u r les t e r r e s d e la r p u b l i q u e Argentine e t s o n t les Pampas d e s E s p a g n o l s . Entre le R i o C o l o r a d o e t l e R i o N e g r o , s o n t les Chechehuets, n o m a d e s p a r h a b i t u d e , pacif iques Par c a r a c t r e , mais h a r d i s et p l e ins d 'ac t iv i t

    d a n s l es c o m b a t s ; enfin, les T e h u e l c h e s , q u ' o n n o m m e p r o p r e m e n t Patagons e n E u r o p e , h a -b i t an t u n p a y s m o n t a g n e u x , c o u p de va l les p r o f o n d e s , a r r o s d e r iv i res c o n s i d r a b l e s . Q u e l q u e s - u n e s d e l eu rs p e u p l a d e s o c c u p e n t les d e u x r ives d u R i o N e g r o ; d ' a u t r e s , q u e les Es -p a g n o l s n o m m e n t Serranos ( m o n t a g n a r d s ) , v i -v e n t , e n effet, p lus pa r t i cu l i r emen t sur les m o n -t agnes ; ils s o n t sans ag r i cu l tu re et se nou r r i s sen t d e la c h a i r des g u a n a c o s , d e s l i v r e s , des au -t r u c h e s , d e s j u m e n s ; ils sont g r a n d s , b i e n faits, h o n n t e s , o b l i g e a n s , mais i n c o n s t a n s et bel l i -q u e u x ; ils e r r e n t s a n s cesse p o u r se p r o c u r e r des p r o v i s i o n s e t d s e r t e n t , c h a q u e ' a n n e , l e u r s l a c s , leurs m a r a i s , l e u r s r iv i res p o u r v e n i r , a u b e s o i n , j u s q u e su r le t e r r i t o i r e d e B u e n o s -A y r e s , t rois o u q u a t r e cen ts l i eues d e l e u r p a y s .

    Te l tait l ' anc i en ta t des c o n n a i s s a n c e s go-g r a p h i q u e s su r le p a y s d e s P a t a g o n s ; mais d e s obse rva t i ons p lu s r c e n t e s n e p e r m e t t e n t g u r e d e l e r a p p e l e r m a i n t e n a n t q u e p o u r m m o i r e . M. d ' O r b i g n y a cons ta t q u ' a u j o u r d ' h u i tou tes les n a t i o n s c i -dessus ind iques se r d u i s e n t t r o i s b i e n d i s t inc tes : 1 les Tehuelches ou Patagons, q u i h a b i t e n t depuis le d t r o i t d e Magel lan j u s -q u ' a u R i o N e g r o ; 2 les Puelches, qu i h a b i t e n t d e p u i s le R i o Negro j u s q u ' a u C o l o r a d o , e n s '-t e n d a n t quelquefois j u s q u ' B u e n o s - Ayre s ; 3 enfin les n o m b r e u s e s t r ibus des Araucanos, con-n u s d a n s le pays sous les n o m s d e Pampas, d e Pehuenches, d e Huilliches, e t c . , e n r a i s o n d e s d ive r s l ieux qu ' i l s h a b i t e n t .

    Aza ra , tou jours p r o c c u p d e ses ides in jus tes c o n t r e les p e u p l e s s a u v a g e s d e l ' A m r i q u e , refuse aux Ind i ens P a t a g o n s q u ' i l n ' a pas v u s , d e m m e q u ' la p l u p a r t d e c e u x qu ' i l a p u v o i r , t o u t e re l ig ion et t o u t g o u v e r n e m e n t , c o m m e si la supe r s t i t i on m m e e t l ' ex i s t ence d u c o r p s social n ' a n n o n a i e n t pas l ' u n e e t l ' au t r e ; mais des o b s e r v a t i o n s p lus exac te s et p lus im-par t i a les rec t i f ie ront ce l te e r r e u r e t r e m p l i r o n t c e t t e l a c u n e .

    O n a m m e t r o u v , d a n s le sys tme re l ig i eux d e s P a t a g o n s , u n e cou l eu r po t ique et d e s t ra i t s d ' ana log ie fort p i q u a n s avec l ' anc ien p o l y t h i s m e d e s G r e c s ; t rai ts qu i f e ra ien t p r e s q u e p a r d o n n e r a u P . Lafi teau d ' a v o i r rv tan t d e r a p p o r t s fac-t ices e n t r e les p e u p l e s les p lus i g n o r a n s d u N o u v e a u - M o n d e e t le p eu p l e le p lu s clair d e l ' anc i en .

    L e u r tho log ie est m a n i c h e n n e . Ils a d m e t t e n t d e u x t r e s s u p r i e u r s , l ' u n b o n , l ' a u t r e m a u -va i s . Le b o n , c 'est , su ivan t les t r ibus , Toquichen, g o u v e r n e u r d u p e u p l e ; Soychu, p rs iden t d u

  • 2 8 6 V O Y A G E E N A M E R I Q U E

    p a y s des l i q u e u r s for tes ; Guayava- Cunny, sei-g n e u r d e la m o r t , s econd p a r d ' a u t r e s d ivini ts b i e n f a i s a n t e s , d o n t c h a c u n e p r s ide u n e fa-m i l l e , e t qu i h a b i t e n t d e s l ieux d s e r t s , des ca-v e r n e s , des l a c s , d e s co l l ines . L e mauva i s p r i n -c ipe , c 'es t le Gualichu, c 'est Huocuvu, ce lui q u i r d e a u - d e h o r s , l eque l c o m m a n d e b e a u c o u p d ' e sp