transcription du carnet de bord d’albert seyrolle (1887-1919)

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Transcription du carnet de bord d’Albert Seyrolle (1887-1919) Relation de l’expédition Rallier du Baty à bord de La Curieuse à destination des îles australes et du Pacifique, 15 juillet 1912 – 25 décembre 1914 Introduction Le texte de la transcription a été établi par Jacques Laurent et rédigé et saisi par Pierre Décréau pour la publication du carnet par l’Association des missions australes et polaires françaises (Amapof- Amaepf) en 1998, avec l’autorisation de René Vergnaud. Il a été relu, corrigé et adapté par Gilles Le Berre (Archives nationales) pour la présente version, autorisée par la famille Vergnaud ainsi que par l’Amaepf qui a mis à disposition des Archives nationales le fichier initial en format texte. Toute citation du texte transcrit doit porter les mentions suivantes : Publication du texte par l’association Amapof-Amaepf, avec l’aimable autorisation de René Vergnaud. Transcription : Jacques Laurent. Rédaction et saisie : Pierre Décréau. Relecture et adaptation pour la présente version : Gilles Le Berre (Archives nationales). Tous droits réservés. Toute réutilisation du texte doit auparavant faire l’objet d’une demande auprès des Archives nationales. La Loi du 11 Mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Avant-propos La présente transcription répond à un objectif multiple : - faciliter la lecture ; - faciliter la navigation entre les images numérisées et le texte ; - permettre la recherche plein texte. En conséquence, l’approche finalement retenue est un moyen terme entre la simple transcription et l’édition à l’identique (en fac-similé) du carnet, afin de satisfaire aussi bien les lecteurs qui souhaitent simplement lire un récit de voyage, que ceux qui préfèrent lire la version originale manuscrite sur l’image numérique et utiliseraient la transcription en cas de difficulté de lecture. Le curseur a cependant été placé du côté d’une restitution aussi proche que possible de l’original. Mise en page À quelques exceptions près, la mise en page tente de respecter celle d’origine. Sur chaque page de la transcription est indiqué en haut, entre crochets et en italique, le numéro de page correspondant dans le carnet. Celui-ci n’est pas paginé comme d’habitude de 1 à n, mais suit une numérotation particulière : il comporte 200 feuilles alternativement blanches et quadrillées, chaque paire de feuille étant numérotée de la même façon. La première feuille est blanche et 1 / 211

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Page 1: Transcription du carnet de bord d’Albert Seyrolle (1887-1919)

Transcription du carnet de bord d’AlbertSeyrolle (1887-1919)Relation de l’expédition Rallier du Baty à bord de La Curieuse à destination des îles australes et duPacifique, 15 juillet 1912 – 25 décembre 1914

Introduction

Le texte de la transcription a été établi par Jacques Laurent et rédigé et saisi par Pierre Décréau pourla publication du carnet par l’Association des missions australes et polaires françaises (Amapof-Amaepf) en 1998, avec l’autorisation de René Vergnaud.Il a été relu, corrigé et adapté par Gilles Le Berre (Archives nationales) pour la présente version,autorisée par la famille Vergnaud ainsi que par l’Amaepf qui a mis à disposition des Archivesnationales le fichier initial en format texte.

Toute citation du texte transcrit doit porter les mentions suivantes :Publication du texte par l’association Amapof-Amaepf, avec l’aimable autorisation de RenéVergnaud. Transcription : Jacques Laurent. Rédaction et saisie : Pierre Décréau. Relecture etadaptation pour la présente version : Gilles Le Berre (Archives nationales). Tous droits réservés.

Toute réutilisation du texte doit auparavant faire l’objet d’une demande auprès des Archivesnationales.La Loi du 11 Mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective.Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit,sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçonsanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

Avant-propos

La présente transcription répond à un objectif multiple :- faciliter la lecture ;- faciliter la navigation entre les images numérisées et le texte ;- permettre la recherche plein texte.

En conséquence, l’approche finalement retenue est un moyen terme entre la simple transcription etl’édition à l’identique (en fac-similé) du carnet, afin de satisfaire aussi bien les lecteurs quisouhaitent simplement lire un récit de voyage, que ceux qui préfèrent lire la version originalemanuscrite sur l’image numérique et utiliseraient la transcription en cas de difficulté de lecture.

Le curseur a cependant été placé du côté d’une restitution aussi proche que possible de l’original.

Mise en page

À quelques exceptions près, la mise en page tente de respecter celle d’origine.

Sur chaque page de la transcription est indiqué en haut, entre crochets et en italique, le numéro depage correspondant dans le carnet. Celui-ci n’est pas paginé comme d’habitude de 1 à n, mais suitune numérotation particulière : il comporte 200 feuilles alternativement blanches et quadrillées,chaque paire de feuille étant numérotée de la même façon. La première feuille est blanche et

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numérotée 1, la seconde, quadrillée, est également numérotée 1, la suivante est blanche etnumérotée 2, et ainsi de suite.Sur la transcription, le premier numéro correspond à celui indiqué sur le carnet ; il est suivi d’untiret puis d’un « q » s’il s’agit d’une feuille quadrillée, d’un « b » s’il s’agit d’une page blanche.Enfin, on a noté « r. » pour « recto » et « v. » pour « verso » selon le côté de la feuille où le textefigure.Devant le numéro de page est indiqué le nom du fichier-image auquel se reporter pour accéder autexte original.En règle générale, une page sur le carnet correspond à une page dans la transcription : une page videen regard d’une page d’écriture est restituée de la même façon ; seules les doubles-pages vides sontseulement mentionnées, sans être restituées.Pour bien marquer les changements de page sur le texte original, ceux-ci sont indiquées sur le textetranscrit par une double barre oblique « // ».

Les changements de paragraphe et retours à la ligne ont été conservés, mais non le simple passaged’une ligne à l’autre : autrement dit, les coupures de ligne ne sont pas identiques entre l’original etla transcription.

Chaque nouvelle date est indiquée avec un léger retrait, comme sur l’original, afin de faciliter lalecture.En revanche, les passages indiqués dans la marge, concernant en général l’arrivée ou le départ d’unport, ont été placés en retrait avant un paragraphe et précédés d’une ligne vide ; les éléments écritsen caractères plus gros sur l’original, comme le nom des ports, sont transcrits dans une cassesupérieure.

Il arrive souvent que la page de gauche du carnet contienne des notations éparses se rapportant à lapage d’écriture à droite. Comme la transcription conserve l’ordre des pages, ces notes sont donctranscrites sur la page où elles se trouvent et non sur la page d’écriture à laquelle elles serapportent : ce pourquoi il est conseillé, afin de mieux comprendre le texte, de visualiser latranscription en mode double-page, avec les pages impaires à droite et les pages paires à gauche.Pour y aider, on a également tenté de restituer la mise en page (retraits, etc.) de ces notations dans lamesure du possible.

Orthographe

Afin de rester au plus proche du texte d’origine, et notamment de son style télégraphique,l’orthographe a été conservée, à l’exception de certaines fautes systématiques comme l’oubli del’accent sur les majuscules : dans ces cas seulement, la transcription reprend l’orthographe correcte.On retrouvera ainsi, pour les noms propres, les graphies fréquentes de « Le Hâvre » pour « LeHavre », de « Buenos-Ayres » pour « Buenos Aires », etc.

Les abréviations ont été conservées, sauf dans les cas où elles sont peu compréhensibles : elles ontalors été développées entre crochets et/ou indiquées dans une liste des abréviations courammentutilisées, disponible ci-dessous ; cela concerne notamment les notations marines et météorologiques.De même, les passages en sténographie ont été traduits dans la mesure du possible ; ils sontindiqués en italiques et précédés de la mention « [sténo.] ».Les quelques phrases en anglais dans le texte sont suivies d’une traduction entre crochets précédéede « [trad.] ».Toutes incertitudes de lecture sont suivies d’un point d’interrogation entre crochets, éventuellementaccompagné de la variante proposée, ou bien d’une note de bas de page.

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Ponctuation

La ponctuation a été conservée autant que faire se peut, y compris lorsqu’elle comporte des erreurs,par exemple des parenthèses mal placées ou non fermées. Cependant, il est parfois difficile dedifférencier les ponctuations entre elles (double-point ou point virgule par exemple), voire dedéterminer s’il y a effectivement une ponctuation à tel endroit ou non, ou si un mot commence parune majuscule ou une minuscule ; aussi les cas litigieux ont dû être tranchés de façon arbitraire, enfonction du contexte. Dans les rares cas où la ponctuation originelle nuit quelque peu à lacompréhension, on s’est permis de faire des corrections, toujours entre crochets, à l’exception despoints en fin de ligne qui sont très souvent absents : on les a alors restitués (sans crochets) lorsque laphrase semblait s’y prêter.Les repentirs lisibles qui avaient été barrés sont également indiqués barrés sur la transcription ; ceuxillisibles sont indiqués par une mention entre crochets de type « [passage raturé] ».

Les noms entre guillemets dans le texte original sont restitués tels quels, y compris ceux dontl’usage moderne voudrait qu’ils soient en italiques, comme les noms de navires, les titres dejournaux ou d’ouvrages, etc.

Dessins, photographies et pièces jointes

Les documents iconographiques et coupures de presse sont décrits entre crochets, avec transcriptiondes éventuels passages écrits.

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Liste des abreéviations courantes

AM matin (de l’abréviation anglaise AM [du latin ante meridiem, « avant midi »] pour désigner une heure de la matinée)

AR arrière

AV avant

Bb bâbord

BT Beau temps

Comt Commandant

E Est (point cardinal)

G ou Go Longitude (peut-être pour « Greenwich », méridien de référence ?)

L ou Lo Latitude (le L seul se termine alors par une petite barre verticale attachée à la traverse)

Lieutt Lieutenant

N Nord

O ou Ot Ouest (utilisé concurremment avec « W »)

PM après-midi (de l’abréviation anglaise PM [du latin post meridiem, « après midi »] pour désigner une heure de l’après-midi)

pr pour

qq quelques

Rc Route c… (?) (semble indiquer la direction du navire)

S Sud

Tb Tribord

W ou We Ouest (pour « West » en anglais ; utilisé concurremment avec « O »)

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AÀ propos des notations geéographiques

Les directions géographiques (des vents ou du navire) sont indiqués par Albert Seyrolle en abrégésselon les conventions habituelles : N pour nord, S pour sud, etc. Ces directions peuvent êtreaffinées : NNO signifie par exemple « nord-nord-ouest », ce qui signifie une direction entre le nordet le nord-ouest. Plus précis encore, « SSO ½ S » signifie « sud-sud-ouest demi-sud », soit unedirection comprise entre le sud et le sud-sud-ouest ; une variante équivalente serait « S ¼ SO », soit« sud quart sud-ouest ».La latitude est la position d’un point géographique par rapport à l’Équateur, exprimée en degrés(notation °), minutes (notation ’) et secondes (’’) d’angle. 30° sud correspond ainsi au 30e parallèlesud, c’est-à-dire le tropique du Capricorne, qui forme un angle de 30° au centre de la terre parrapport à l’Équateur. Un degré est divisé en 60 minutes d’arc, eux-mêmes subdivisés en 60secondes d’arc.Le même système d’angle est utilisé pour les longitudes, qui désignent la position d’un pointgéographique par rapport à un méridien de référence, en général celui de Greenwich en Angleterre.Dakar est par exemple situé à 17° 25’ 54’’ de longitude ouest, soit à un peu plus de 17° d’angle duméridien de Greenwich.Dit plus simplement, pour représenter un point sur un planisphère, la longitude indique sonabscisse, et la latitude son ordonnée.

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Transcription du carnet

[FRAN_0287_0003_L]

[couverture de protection en papier du carnet, ajoutée par Albert Seyrolle ; gribouillages en bas àdroite]

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[FRAN_0287_0005_L]

[plat intérieur de la couverture : on distingue un morceau du tampon de la Mission Patrimoine duTerritoire des Terres australes et antarctiques françaises, apposé en 1998 sur une deuxièmecouverture en kraft, postérieure à Albert Seyrolle et non visible ici]

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[Page de garde, r.]

[Photographie d’Albert Seyrolle]

SEYROLLE Albert1887-1919

[Photographie de La Curieuse]

La “Curieuse”

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[FRAN_0287_0006_L] [Page de garde, v.]

[Planisphère : Livre des phares. Limites des séries J, K, L.]

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[FRAN_0287_0007_L]

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Expédition antarctique françaiseMission Rallier du Baty

CircumnavigationExploration des îles inhabitées de l’océan Indien et du Pacifique.Hémisphère sud.

Navire “La Curieuse”

1912Boulogne-s/Mer

– 15 juillet 1912. Divers travaux ont été effectués à bord en vue de l’expédition.Embarquement de matériel, doris, canot et canot automobile. Pris un chien répondant aunom approchant de “Dooch” ou “Looch” qui sera notre compagnon de voyage. Baptêmede la “Curieuse” vers 4h après-midi.

Départ de Boulogne le 16 juillet.Dans la matinée, appareillé du bassin à flot et amarré en face de la Chambre deCommerce. Départ à 1h10 après avoir reçu la visite de plusieurs notabilités de la Villede Boulogne venues pour nous saluer et nous exprimer les vœux que l’on forme enpareilles circonstances.Belle mer. Bonne brise. Voilure et moteur. Bonne traversée.

CalaisArrivée le 16 juillet au soir vers 6h. – Mouillé dans l’avant-port en attendant la marée.

Vers 11h30 du soir, fait le mouvement pour sortir des écluses. Amarré vers minuittrente.

17 juillet. 1 mois que je suis à bord. Pris les dispositions pour l’embarquement de pétrole pourle moteur. Fait le mouvement dans la soirée. Embarqué environ 6 000 kgr de pétrole.Nettoyé les fusils et graissés.

18 juillet Jeudi – Continué l’armurerie. Propreté, mâture grattée. Le soir à terre. Revuplusieurs camarades de la station des sous-marins de Bizerte, notamment Sulpice quim’invite à dîner demain soir.

19 juill. Vendredi. – Temps couvert. Grains par intermittences. Pluie froide. Changement detempérature appréciable. Continué armurerie. Le soir, dîné chez Sulpice du sous-marinVentôse, au 15 de la rue Berthois (Calais) en compagnie de sa “femme” et de Ferdinandqui était avec lui sur le “Cugnot” à Bizerte. Le passé a vécu à nouveau et c’est unegrande joie que d’éveiller des souvenirs passés. Rentré à bord vers 11h30. Pas de pluieau-dessus de nous et de toute la ville ainsi que sur le large. Le phare semble nousprotéger, les êtres et les choses de ses secteurs d’éclairage bizarres qui le fait prendrepour un gigantesque parapluie. //

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[FRAN_0287_0008_L] [p. 1-q v.]

CalaisDépart le 20 juill.

Samedi 20 juillet. Je quitte la barre, il est minuit.Appareillé de Calais à 3h15. Voile et moteur. Petite brise du nord-est qui va ens’affaiblissant. De quart de 8h à minuit. Changé les amures vers 11h15. Croisé l’EscadreAnglaise en manœuvre de nuit. Calme étonnamment plat avec grandes moires où sereflètent les feux de la côte anglaise que je vois pour la première fois. Eauphosphorescente. Marché au moteur. Roulé le hunier à minuit. Faisons route à l’ouestenviron ; nous nous rendons à l’île de Wight.

CowesÎle de WightArrivée dimanche 21 juillet

– Dimanche 21 juillet 1912 – À la mer dans la Manche tout en longeant la côte. Nombreuxnavires à vapeur et voiliers croisés en cours de route. Service de Dimanche ; de quart de4h à 8h du matin. Le navire gouverne bien. Faible brise qui est cause de différentesmanœuvres de voilure. Beau temps. Les vents changent. Mouillé devant Cowes (île deWight le soir à 7 heures. Moteur stoppé après 28 heures de marche, durée de notretraversée qui a été excellente. Nombreux yachts.

– Lundi 22 juillet – Propreté à bord. Temps couvert ; quelques gouttes de pluie. Temps assezdoux. L’âme humaine n’embrasse plus ici d’innombrables espaces mais en revanchel’œil est agréablement flatté par la beauté des sites proches. Allé à terre plusieurs foistant à la voile qu’à l’aviron. Fort courant. Après-midi propreté générale. Temps doux. Ilest question d’aller à Southampton.

– Mardi 23 juill.Temps doux, couvert. Quelques gouttes de pluie. De quart de 1h à 6h mat. Reposjusqu’à midi. Soir propreté long du bord. De quart de 8 à minuit. Temps couvert.Musique à terre dont les sons nous parviennent apportés par le vent de la nuit.

Départ le 24 juill.– Mercredi 24 juillet.

De repos le matin après le quart de nuit. Vers 10h mat. viré la chaîne au guindeau en vuede l’appareillage pour Southampton. Au moment de l’appareillage le moteur refuse demarcher. Mouillé de nouveau vers midi. Dîner. Démonté cylindre moteur. Reconnuéchauffement tête de bielle. [sténo.] Le second et le lieutenant, vêtus de leurs effets descaphandre font preuve de leur incompétence, de leur manque de sang-froid etd’énergie. Manifestement ils n’ont pas de positivisme. Je pense mais je ne dis rien. Jepose un point d’interrogation et je tâcherai de m’en rappeler par la suite.A 4h15 appareillé pour Southampton à la voile. Faible brise. Croisé plusieurs navires etun signal-cloche pour la brume. Le son est très joli. Le balancier ou plutôt les balancierssont isolés et ce sont les mouvements de la mer à cet appareil //

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[Carte postale : photographie de La Curieuse dans le port de Southampton ; écrit sur laphotographie :]

Circumnavigation :Navire mixte : La CurieuseCapitaine Rallier du BatyExploration des îles inhabitées du Pacifique et de l’océan Indien

Southampton, 27 juillet 12Angleterre

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flottant qui les fait heurter l’airain. Tantôt coupée tantôt continue la musique de cettecloche qui semble agitée par des mains invisibles et hésitantes attire l’attention et arrivetrès claire et très douce à l’oreille.Dans la rivière vent arrière faible. Passé devant de nombreux paquebots et transportsimmobilisés ayant à leur bord comme gardiens ou comme équipage réduit de nombreuxIndiens. Sur bâbord la côte est très gaie et très douce. Elle repose l’œil. Temps doux,couvert ; la pluie hésite à tomber. Les yachts mouillés sont très nombreux : il y en apour tous les goûts. Arrivé à Southampton vers 8h30 et mouillé.

SouthamptonArrivé 24 juillet, merc.

25 juill. Jeudi. Au matin allé à terre plusieurs fois. Pris un monteur pour réparer coussinet têtede bielle. Propreté. Temps doux et couvert. Soir allé changé de mouillage, nous trouvantau milieu de la passe des navires. Moteur fonctionné. Après souper, allé à terre prendrequelq. cartes et tabacs. Rentré vers 8h ½. De quart de 1h à 6h.

26 juillet. Vend. Temps doux et couvert. De repos jusqu’à midi. Le long du bord nombreusesmouettes ou mauves aux cris agaçants. Gratté et huilé le mât de misaine. Dans l’après-midi est arrivé le gigantesque paquebot français “La France” de la Cie Transatlantique.Quelq. gouttes pluie. Ce soir soir [sic] de quart de 8h à 1h. Sur le warf la musiqueanglaise joue et les sons nous parviennent. Devons repartir demain pour Le Hâvre. Vers10h30-11h gros grain. Orage.

27 juill. Sam. De repos jusqu’à midi. Pris qq photos du navire. [sténo.] Dame très jolie dansle canot. Soir pris dispositions pour appareillage.

28 juill. Dim. Repos toute la journée. Nous n’appareillons pas. Forte brise du SO avec grains.Ciel sale et plein de loques traînantes. Journée monotone. Au dehors on ne voitpersonne ; tout mouvement est suspendu ici dans ce pays où le repos dominical sembleêtre bien observé, c’est plutôt une ville morte en aspect qu’une cité au repos. Rien de gaiet de frais que la campagne dans ce décor. Le soir de quart de 1h à 6.

29 juill. Lundi. 3h mat. Pluie, vent, grains qui s’annoncent ; la brise a molli un peu. Il est déjàjour presque. Temps frais. Allons-nous partir aujourd’hui ?Repos jusqu’à midi. Photographiés dans l’après-midi par des gens du “The Daily Miror”[sic]. Après-midi, confectionné capots. Fait fourrures pour portage de diversesmanœuvres. Réparé guidon déchiré. Déjà ! Pluie par intermittences. Temps sale ; fortebrise assez. Le soir de quart de 8h à 1h. Même temps. Vers minuit accalmie. //

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30 juillet. Mardi – Au matin le vent se lève de nouveau. De repos. Vers 8h allumé moteur envue appareillage. Viré chaîne au guindeau. Reconnu échauffement tête de bielle. Stoppéet refilé la chaîne. Démonté de nouveau le moteur. Terminé dans la soirée. Nuit franche[ou fraîche ?].

31 juillet. Mercredi – Mauvais temps. Brise assez forte du sud qui tournera à l’Ouest dans lajournée. Pluie et même de la mer, allé terre avec canot dans matinée pr vivres. Travauxdivers et briquage. À midi sous pluie battante et fortes risées, horizon bouchée [sic],régates à la voile. Les départs des séries (H et L notamment) se suivent de près et c’estun véritable coup d’œil de cinéma que de les voir couchés ces petits yachts de plus de45° peut-être. Du côté de la côte la campagne disparaît presque et cette pluie obstinéemaintenant lui fait un grand voile de tristesse comme vraiment jalouse de sa beauté. Lebaromètre étant descendu de plusieurs mm dans peu de temps, il est naturellement pasquestion d’appareiller. De quart de 1h à 6h. Avons affourché vers les 4h.

SouthamptonDépart 1er août

1er août jeudi – 2h matin. Temps un peu dégagé. Quelq. éclaircies avec clair de lune. Brise deNO. Nous voilà au 1er août. De repos jusqu’à midi. Mais vers 8h viré chaîne auguindeau. Nous appareillons en profitant du beau temps. Parti vers 8h30. Je dis undernier adieu à cette magnifique côte anglaise qui semble avoir au moment de notredépart son maximum de verdure estivale. Après avoir doublé Portsmouth où nombre decroiseurs et cuirassés sont mouillés nous prenons le large. Vent d’ouest. Mer creuseavec forte brise. Croisé un sous-marin anglais convoyé par un torpilleur (s-m n°15). Leshommes ne doivent pas être à leur aise assurément. Route au S 10° E environ. Vitessemoyenne de 7 nœuds. Vers 8h30 soir aperçu feux de la côte française. Arrivé et mouillédevant Le Hâvre à 2h30. Forte houle. Attendons marée pour rentrer. 10h30 rentrons enmême temps que le transat France“”. Monde sur les jetées. De barre dans les passes.

Le HâvreArrivé Vendredi. 2 août 1912

2 août Vendredi. Amarré au quai. Étuis des voiles en place. Propreté. Bas l’ouvrage à 3h. Soirécrit et allé poste. Expédié 150 F. à mon beau-frère. Rentré à bord à 10h. Ville jolie etpropre, certains quartiers rappellent Paris. “Looch” le chien a fait une escapade ; àl’heure actuelle il n’est pas revenu.

3 août – Samedi –Temps couvert, qq gouttes de pluie. Dans la matinée photographiés en groupe. Travailléà dégager la crépine de la pompe B[âbor]d qui véritablement dénote le peu de scrupulesde ceux qui l’ont montée. Ils n’ont droit qu’à une seule épithète qui résume tout :patachons et saligauds. Fait le mouvement. Amarré quai d’Orléans. //

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Dans l’après-midi dégagé caisse de la cale et arrimé de nouveau pour mettre à portée demain les vivres de première nécessité. Travail qui aurait pu être épargné et quivraisemblablement sera à refaire ! Il est vrai que j’ai déjà posé un point d’interrogation !Pendant toute la journée bon nombre de curieux s’arrêtent le long du bord et nousregardent. Les journaux d’ici parlent de notre départ ainsi que de la formation, de lacomposition plutôt de l’équipage. Soir allé à terre et au grand cirque où s’effectue untravail admirable par dressage d’animaux. Rentré à minuit. Le chien n’est pas revenu.

4 août. Dimanche –Repos et de sortie dans la journée. Le matin pris un bain. Soir allé au cinéma. Le longdu bord nombreux curieux. Chacun dit son petit mot naturellement plus ou moins juste.Reçu lettre d’Hélène. Rentré 10h

5 août. Lundi – C’est aujourd’hui, d’après journal qu’ont lieu à Cowes les régates (Coupe desNations je crois) auxquelles assistent les souverains anglais. Nettoyé canot autom[obile]et canot. Mis voiles au sec. Propreté. Temps demi-couvert. Qq gouttes d’eau. Toujoursle même nombre de curieux. Le soir de quart mais sorti quand même avec un Belgeembarqué sur un 3 mâts et avec un Allemand. Ce belge a l’espoir de nous rencontrer enAustralie. Il se peut. L’avenir nous l’apprendra.

6 août – Mardi – Propreté. Gratté fargues du canot pr vernir. Qq gouttes de pluie avec tempscouvert et menaçant. Assez forte brise. Au large, la mer doit être mauvaise. Toujours lescurieux sur le quai. On nous ramène le chien “Looch” qu’un peintre avait trouvé errant.Vers 5h30, arrivée de 4 barriques de vin au moment même de mettre presque basl’ouvrage. Quelle idée ! Travaillé [en] cale pour les embarquer. Un point d’exclamation.Le soir de terre.

7 août. Mercredi – Reçu lettre de Renée. Propreté. Temps incertain. Travaux pour les bossoirsnouveaux. Rencontré le sec. maître Fouillard des s/marins de Bizerte, embarquéactuellement sur le “Fructidor”, ici avec le “Watt” et “L’Archimède”. Vu le soir Julienou Le Gallo, du “Watt”. Parti de Bizerte. Appris la mort de Charrot[?] q[uartier]m[aî]tr[e] (un fervent de la pêche) tombé dans un bassin à Sidi Abdallah par suited’ivresse. Très bonne soirée qui me rappelle celle passée à Calais en compagnie deSulpice etc. Vers 10h rentré, grains. J’ai vu hier sur journal que les régates n’avaient paseu lieu à Cowes à la date fixée par suite du mauvais temps. Aujourd’hui en allant àterre chercher des boulons, rencontré Jim ou Jym avec qui j’ai fait service en Corse. //

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8 août – Jeudi. Travaux généraux à bord.9 août – Vendredi. – Essayé les bossoirs pr embarcation tribord qui donnent satisfaction.

Propreté et travaux divers.10 août – Samedi. Propreté.11 août – Dimanche – De quart. Propreté. Peint la cuisine. Assez beau temps.12 août. Lundi – J’ai aujourd’hui (je crois) 25 ans. Payé apéritif à l’équipage en mon honneur.

Toute la journée de repos. Pluie beaucoup trop forte qui m’empêche de faire une bonnepromenade dans la ville du Hâvre. Envoyé quelques cartes notamment à Hélène en lapriant de m’expédier à Cherbourg quelq. numéros de “l’Intransigeant” sur lequel noussommes photographiés. Le soir, allé au phare (Cap de la Hève). Pluie. Brume en mer.Assisté du haut de la falaise aux tirs de l’artillerie.Soir rentrée ordinaire.

13 août – Mardi. Propreté. Grains. Travaillé à la mâchoire B[âbor]d du hunier dont le rouleauavait décapelé en l’établissant.

14 août – Mercredi. Qq grains. Propreté. Les travaux pr la machine étant terminés, nouscomptons partir demain qui est le 15, la fête de Marie (Assomption). Nettoyéinstruments de précision. Lochs, sextants, alidades, etc... Assez beau temps malgré laprésence continuelle d’un orage qui ne veut pas éclater. Plutôt froid. Allons-nous partirdemain ? Ce soir de quart.

15 août. Jeudi. – Propreté et dispositions en vue de l’appareillage qui n’a pas lieu par suite dumanque de rôle les (bureaux de la Marine étant fermés ce jour férié de l’Assomption).Bas l’ouvrage vers 9h15. Liberté de nouveau. Qq grains. Allé au cinéma. Embarquéjeune cuisinier. Appareillons-nous demain ?

16 août. Vendredi. – Nettoyé instruments de précision, théodolite etc.… jusqu’à midi. Après-midi, vers 3 heures appareillé pour sortir. En passant le pont une avarie de moteur nousoblige à nous amarrer en face la morgue et le long d’une péniche. Le départ pourCherbourg est prévu pour ce soir. Nous allons après dîner faire nos adieux aux gens quitiennent un café place Jules-Ferry (près de la Bourse). Nous sommes très bien reçus etemportons un très bon souvenir de cette maison. Rentrés à bord vers 9h [sténo.] Andréfait des adieux à son frère que nous trouvons à table et en compagnie dans un café enface l’église St François. Ils se sont embrassés. Vers 11h30 mis en marche mais lemoteur n’ayant pas un bon rendement nous remettons à plus tard l’appareillage. (Lepoint d’interrogation que j’ai posé se dresse encore !) //

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[Carte postale : photographie de La Curieuse dans le port, probablement celui du Havre]

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Nous nous couchons donc vers minuit après avoir fait un mouvement inutile.Samedi 17 août. Toute la journée dans la machine à visiter l’embrayeur où l’on croit que se

trouvent les inconvénients. Mais rien ! Une fois remis c’est la même chose, il faudradonc chercher ailleurs où [sic] faire venir un mécanicien. Pauvre point d’interrogation !Beau temps ; petite brise. Le soir de quart.

Dimanche18 août. Qq gouttes de pluie comme à l’ordinaire depuis un certain temps où l’on secroirait en automne pour ne pas dire en hiver. La matinée lavé linge. Après-midi sortiavec [sténo.] André. Allé campagne. Dîné en ville. Rentré 8h30 soir. Nous comptonsappareiller demain.

Lundi – 19 août – Propreté matin. Déjeuner vers 11h en vue de l’appareillage. Environ 1h,appareillé du Hâvre, brise ONO. Vu dans la nuit le feu de Barfleur. Le vent nousempêche de faire côte ainsi que la mer qui s’est creusée petit à petit.

En mer Mardi – 20 août – Forte brise et mer creuse assez dure. Pendant les quarts les pompesdonnent du travail ainsi que les différentes manœuvres. Nous ne comptons pas rentrer.Nous nous tenons à la cape. Nombreux grains assez violents qui nous fatiguent. La barreest dure. Le tangage et le roulis sont très fatigants aussi. Changé de route dans l’après-midi et pris les dispositions pour fuir devant le temps qui est le même. Dans la nuitgrains violents. Barre dure. Mis la fortune. Serré grand’voile et dundee. Faisons route àl’Est environ. Nous tournons par conséquent le dos à Cherbourg ; nous comptons nousrendre à Boulogne de nouveau. En vue des feux de la côte anglaise. Nous sommes sur laroute des courriers et cargos.

En mer. Mercredi. 21 août.De quart de minuit à 4h. La mer est dure, mais nous avons du soleil qui réconforte aprèsces grains. Par bâbord la côte anglaise. Nous comptons arriver ce soir à Boulogne. (Cematin pendant le quart de 8 à midi nous avons mis le moteur en marche et avons réussi àassécher la cale au moyen d’une garniture de fortune adaptée à la pompe T[ribor]d.

BoulogneArrivé de nouveau le mercredi soir 21 août.

Arrivé vers 5h45. Du large mer creuse rendant dangereuse l’entrée des digues. Amarré àquai. Le bassin est désert sans doute à cause du mauvais temps. Soir allé à terre etcinéma. Qq gouttes d’eau.

22 août – Jeudi – Propreté générale. Voiles au sec. Travaillé à confectionner une clé en ferpour le mât de hune. Soirée percé gra trous pour graisser colliers aux extrémités des guisde grand’voile et dundee. Vers 5h50 fait le mouvement ; mis en double de goélette.Mauvais temps. Sorti un instant. Promenade jusqu’à la plage qui était déserte. Vent. //

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23 août –Vendredi – Pluie toute la journée et froid. Démonté tête de bielle de moteur quichauffe. Visité coussinets et portage. Mis en marche après remontage et constaté encoreun échauffement. Soir de quart.

24 août – Samedi – Même temps d’automne. Pluie continuelle et pénétrante. Démonté moteurà nouveau. Remonté et mis en marche. Constaté un meilleur résultat. Démontéépontilles des caisses à eau et pétrole en vue de la recherche d’une fissure. Soir nettoyéposte. Bas l’ouvrage 5h. Je compte partir ce soir pour Paris par train 10h2 et rentrerdemain soir dans la nuit ou lundi de grand matin. Fait le mouvement et mis en couple duBoulonnais (goëlette).

25 août – Dimanche – Je suis parti hier soir pr Paris par train de 10h02 avec retard. ArrivéeParis vers 4h30. À 6h arrivée au 119. Surpris tout le monde et notamment Hélène.Déjeuné chez oncle Seyrolle et dîné avec Hélène au 60 rue de l’Arbre Sec. Vu Prosperavenue de la Grande Armée 61 (La Rotonde) (brasserie). Soir très fatigué. Pris train de10h20. Me réveille pas à Boulogne et m’arrête à Caffiers sur la ligne de Calais. Reprisun train de pèlerinage qui me débarque à Tintilleries.

26 août. Lundi. Arrivé à bord à 8h30. Repos jusqu’à midi. Soir confectionné dispositif pourcompas de route. Désarrimé cale en vue de la soudure à la caisse bâbord. Froid et venttoute la journée.

27 août – Mardi –Froid ; pas de pluie. Continué compas. Goudronnage des agrès. Soudure autogène à la[sténo.] caisse par Bouzague. Sorti le soir en sa compagnie. Rentré bord 1h.

28 août. Mercredi.Une belle journée au soleil sans trop de chaleur. Goudronné les manœuvres, agrès,haubans etc. Arrimé cale. Naturellement ce travail a été effectué sans qu’au préalable onse soit assuré de la parfaite étanchéité de la soudure autogène ! Heureusement quel’ouvrier Bouzague est apte et consciencieux. N’empêche que la forme est toujours là etque le point d’interrogation est toujours posé. Soir continué goudron. Vers midi nousavons fait le mouvement en vue de notre passage sur le “gril”. Trop tard. Éclusesfermées. Pris les coffres au milieu du bassin en attendant demain ; nous serons peut-êtreplus chanceux.

Jeudi. 29 août 1912. Minuit, je quitte le quart que j’ai pris ce soir. //

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Veillé les amarres et le décollage du navire de ses tins. À flot vers 10h30. Ce matin il aplu et il a fait froid. Propreté. Avons quitté le bassin à flot et les coffres vers 10h30.Amarré en face le pont pour le passage au carénage.Cet après-midi nettoyé coque qui est très jolie. Beau temps relatif à partir de 2h environ.

30 août – Vendredi. Repos jusqu’à midi. Temps douteux et toujours froid. Après mididémonté hélice et manchon. Calfaté un vide par où l’eau semblait venir. Travail de nuit,éclairé par une lampe, dans la cale. Soupé à 7h30. A minuit moins qq chose branle-bas.

31 août. Samedi.Ce matin un peu après minuit le mouvement a été fait ; nous avons changé de cale sèchepour présenter au large notre tribord. Couché à 2h. B[ranle]-bas à 5h30. Mis au travail.Les calfats sont venus et ont terminé juste à la marée. Cet après-midi repos pour moi.Écrit diverses lettres et fait une petite promenade. Vers 11h b[ranle]-bas. Appareillé àpleine mer et amarré quai à flot. Couché vers 1h ½-2h –

1er septembre – Dimanche –De quart toute la sainte journée. Propreté sur un pont excessivement sale. Arrimé dansla machine ce que la fainéantise des uns n’ont [sic] pu faire ! Retouché poulies prbossoirs vedette. Quand on est bête c’est pour longtemps ; quand on n’a ni sentiments niscrupules on se couche ou on se suicide. À Boulogne c’est une bande de patouilleurs etde maladroits qui de leur vie ne sauront jamais travailler. Mis bas l’ouvrage à 5h30.

2 septembre. Lundi –Repos toute la journée. Promenade. Allé chez Delort dans la soirée prendre café. C’estun intérieur pauvre comme tout intérieur de pêcheur. Les femmes, veuves de marinspour la plupart ont l’œil franc qui conserve dans son reflet ou dans sa profondeurquelque chose des transes, des angoisses par lesquelles elles sont passées. Soir rencontréune femme. Drôle par exemple…Rentré à 10h30.

3 septembre – Mardi – Propreté. Continué peinture. Sommes encore à quai. Soir allé aurendez-vous de cette femme. Naturellement elle ne s’y trouvait pas. Mais chez elle parcontre, il y avait de la lumière. Allé à la boxe. Rentré 10h30.

4 septembre – Mercredi – Vent et froid avec ciel couvert et quelq. rayons de soleil. Propreté.Peinture ; aluminium. //

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On n’entendait plus le long bruissement de l’eau tout le long de ses flancs de chêne…

Pareil à un oiseau, il se balançait encore, haletait de sa profonde respiration. Et sur sacarène, sur son pont dans sa mâture, tout en haut des vergues qui traçaient dans le cielqui s’assombrissait avec des teintes de cuivre de grandes croix, elle conservait à la fin decourse puissante [sic] les reflets lunaires de l’Atlantique, le soleil du Pacifique et del’Indien, les brumes froides et inconsistantes des mers australes, gardant comme jalouseet malgré elle les baisers brûlants du grand soleil pendant les journées claires etlumineuses et le frisson des nuits d’épouvante…

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5 septembre – Jeudi – Un peu de soleil mais du vent et de la fraîcheur. Continué propreté etaluminium depuis la pomme du grand mât jusqu’à la basse carène. Au large la mers’aperçoit d’une couleur très sale avec de l’écume. Vers 4h après-midi fait mouvementpour prendre coffre. Moteur en marche mais l’hélice ne travaille pas. C’est pour unecause bien simple. L’embrayeur qui est à cône de friction (système des autos) quimarchait à merveille a été inutilement “tripatouillé” sous prétexte de diminuer sacourse !! C’est égal le point d’interrogation est toujours là ! Avons enfin réussi àprendre notre poste à force d’aussières ! Soir allé à terre ; rentré 8h30. Réclamé “ForcePensée” et “El Ktab”.

6 septembre – Vendredi. –Temps au vent et surtout au froid. Aluminium. Nettoyage des canots et peinture.Démonté moteur de la vedette. Soir sorti faire une course et demandé “La VieMystérieuse” non arrivée encore. Rentré à 8h.

7 septembre – Samedi. Propreté dans matinée. Essayé moteur de la vedette. Réussi à le mettreen marche vers midi. Le chien “Looch” est revenu. Il s’en était allé chez ses ancienspatrons, ici il ne paraît pas enchanté de son retour. Soir relâche du travail vers 4h. Desyachts anglais rentrent assez nombreux ce qui occasionne un certain encombrementdans le port. Vers 5h B[ouzague?] est allé à terre débarquer Le Cozannet auquel nousavons souhaité bonne chance car il en a besoin à vrai dire. Appareillé à pleine mer(après souper) vers 6h. Sur la jetée un peu de monde. En route pour Cherbourg. Merhouleuse. Tiré plusieurs bordées par vents d’ONO, c-à-d contraires.

Dungeness(Arrivée le 8 sept. 12)

8 septembre. Dimanche – Après plusieurs bordées, mer houleuse, roulis et tangage, mer sale, dans la nuit ; le jours’est levé promettant la persistance dans la direction du vent. De quart de minuit à 4 etde 8 à 12. Vers 10h30, mouillé à Dungeness (côte sud d’Angleterre) entre Folkstone[sic] et Douvres. Nombreux bateaux sur le passage, pilotes, voiliers stationnaires etc.Mer d’un jaune sale avec temps couvert et un peu de froid. Repos. De quart comme à lamer de 10h à minuit.

9 septembre. Lundi.En mer. Les vents ont changé dans la nuit. J’écris ces lignes à la mer avec roulis. Noussommes vent arrière et de travers. Le moteur fonctionne bien et notre allure est bonne.Croisé nombreux bateaux. Peu de mer. Un peu de froid. Nous comptons arriver dans lanuit à Cherbourg.8h du soir, je quitte la barre. Rc OSO. Feu de Barfleur par le travers.

L’agonie du soleil a été très lente et très douce. Il est //

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descendu silencieux tel une énorme boule morte sans chaleur aucune, masqué parfoispar les vapeurs flottantes qui formeront tout à l’heure un écran de crépuscule. La“gueuse” n’a pas changé les plis de sa robe. Cependant elle a eu une longue traînée d’orsous le reflet de l’astre. Et certains oiseaux marins qui se baignaient dans ce miroitementont salué eux aussi, encore une fois la chute de l’astre là-bas, de l’autre côté del’horizon…

CherbourgArrivé 10 sept. mardi à 1h30 mat.

Mardi – 10 septembre –Arrivé cette nuit à Cherbourg. De barre dans les passes. Mouillé par 8 mètres de fond en

attendant la pleine mer. Vers 5h du matin viré l’ancre et rentré dans le port. Dans lasoirée repos pr l’équipage. De quart. Temps doux.

11 septembre – Mercredi.Propreté toute la journée. Temps doux. Briqué capots & voiles d’embarcation sur lequai. Naturellement les curieux étaient là. Soir sorti. Écrit plusieurs lettres. Fait quelq.emplettes. Rentré 9h.

12 septembre. Jeudi.Des calfats sont venus pour l’avant du pont. Embarqué 600 K de pommes de terre.Propreté. Nous comptons partir pr dimanche ou lundi. Temps beaucoup plus doux qu’àBoulogne avec toujours la même menace de pluie qui ne tombe pas.

13 septembre – Vendredi.Temps toujours doux. Propreté. Les calfats toujours à bord. Nettoyé armurerie.Confection d’un capot pr la vedette. Le soir de quart. Remplacé. Rencontré unq[uartier]-m[aî]tre du s/marin Floréal (comt Kirsh) avec qui j’ai passé la soirée. Rentré àbord à minuit. Allé poste toucher 50 F.

14 septembre – Samedi.Temps beau et doux. Propreté. Allé avec B[ouzague?] chercher au bout de la jetée300 Kg de fer destinés pr les sondages. Fait le marché. Commandé 600 K de Cardiff[charbon]. Soir gratté brai du pont. Photographiés pr l’ “Illustration”. Lavage. Embarquéle charbon. Briquage superficiel du poste. Soir allé au cinéma. Rencontré un anciensecond des s/marins de Bizerte qui doit venir demain à bord et avec qui je compte faireune promenade à la campagne. Rentré minuit 30. Beau temps.

15 septembre. Dimanche.Beau temps, doux et chaud même. J’ai attendu le second Hardy (aujourd’hui commis demarine à Cherbourg). Il n’a pas été présent au rendez-vous, j’ai du fait perdu mamatinée sans lui en vouloir cependant. Il s’est fait aujourd’hui à bord un travail utile //

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[Carte postale timbrée et affranchie : CHERBOURG. – Vue générale de la Ville et de la Rade]

[Carte postale timbrée et affranchie : Environs de CHERBOURG – AUDERVILLE, vue du phare]

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pour une fois ce n’est pas dommage. On a placé des claires-voies en verre au posted’équipage. Vers 1h30, Hardy est venu. Promenade (après visite du bateau et sarencontre avec B[ouzague?]) à la montagne du Roule. Panorama magnifique et ensuitepartie de campagne. Agréable journée où nous avons pu avec une communion d’idéesparler des sirènes psiychiques psychiques ce qui m’a procuré un agréable passe-tempsavec une satisfaction profonde. Soir sorti. Rentré vers 1h du matin.

16 septembre – Lundi –Même temps. Propreté du pont. Embarqué conserves, poëles, moteur etc... Nombreuxcurieux toute la journée. Soir sorti pour emplettes. Écrit à M. G. Amann pour réclamer ànouveau “El Ktab” et “Force Pensée”. Rentré 10h. Beau temps. J’ignore si nouspartirons demain pr Madère, St Vincent du Cap, les Canaries & Rio de Janeiro où nousdevons arriver pour la bonne saison

17 septembre Mardi – Beau temps, sommes pas partis. Propreté générale. Commencé àprendre dispositions pr appareillage. Vu Hardy une dernière fois. Nous avons embarquéaujourd’hui un appareil cinématographique et 3 000 mètres de films, cuvettes pr lavageet châssis pr séchage. Soir fait mouvement pr embarquer eau douce. Nous partonsdemain pr le grand large. Soir allé à terre malgré être de quart acheter diverses choses etécrit. Rencontré Delage q[uartier-]m[aître] méc[anicien] du sous-marin “Floréal”. Jen’ai pas rencontré le comt Kirsch. Rentré minuit.

Départ de Cherbourg le 18.18 septembre. Mercredi.

Pris dans matinée dernières dispositions. Partis à 11h45. Photographiés prl’ “Illustration”. Monde au pont tournant. Salué terre et “Jauréguiberry1” en passant.Belle mer. Vent d’Est. Bonne allure.6h soir. Nous voilà donc partis. La campagne s’annonce intéressante. J’ose espérer quela bonne humeur ne cessera de régner parmi nous. Le contraire serait regrettable. À lamer les passions naissent plus vite comme aussi le degré des sentiments s’altère plusfacilement. Au grand large l’état d’esprit changera facilement et il est à souhaiterardemment qu’une bonne harmonie saine et durable régisse les êtres abandonnés à leursseules ressources.Il y a 3 mois aujourd’hui que je suis à bord.

19 sept. Jeudi. Bonne allure. Mer un peu grosse. Dans la matinée par le travers du cap Lizard.Nombreux navires. Soir serré dundee après la grand’voile. //

1 Cuirassé français lancé en 1893, qui combattra aux Dardanelles en 1915.

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20 septemb. Vendredi. Fixe et fortune dessus.Il est 4h du matin : quitte le quart. La mer a hier soir au coucher du soleil masqué par degros nuages sales pris une teinte de métal sombre. Très creuse avec des lames trèslongues spéciales à l’Atlantique. Le soir à la surface de cette eau en mouvementmonstrueux ce sont des éclats phosphorescents perdus dans cette immensité : sur le pontil y a des agglomérations de ces petits animalcules et leur quantité infinie forme unnoyau tr brillant en silence d’un éclat bleu très doux et très riche. C’est le roulis desdiamants qui vont et viennent sur le pont pareils à des petites âmes très douces quierrent sans but depuis qu’échappés du sein de la “gueuse” et de sa robe glauque.

21 septemb. Samedi. La brise a molli. Mer est tombée. Moteur mis en marche toute lajournée. Croisé des thonniers. Véritablement ils prennent le grand large. Qq oiseauxmarins. Un tout petit est venu à plusieurs reprises se poser sur les manœuvres commeimplorant un peu de repos. Sommes à peu près par le travers de Bordeaux mais au grandlarge. Soir stoppé moteur. Observé lune avec jumelles. Très belle vue.

22 septemb. Dimanche. Très beau temps. Belle mer. Petite brise. Des pêcheurs de thon nousont accostés ce matin pr prendre lettres. Donné un thon. Repos dans la journée. Soird’autres pêcheurs qui invariablement demandent la latitude. Aujourd’hui c’est 44°30’ N, environ 100 milles dans le NNO du cap Finistère [sic]. Et ils nous quittent leursdernières paroles emportées par le vent quoique faible et l’au revoir se manifeste par unsigne.

23 sept. lundi. 24 mard. 25 mercr. 26 jeudi. 27 vend. passées à la mer.28 sept. Samedi. Beau temps. Nous comptons arriver demain à Madère. Pendant la traversée,

vents et calme : peu de choses pour rompre la monotonie. Qq vapeurs croisés et despêcheurs de thon. Qq souffleurs en surface. Moteur mis en marche. Bonfonctionnement. Aujourd’hui le vent est tombé : il y a de la houle très longueparticulière à l’Atlantique, image d’une force colossale. Superbe coucher de soleil. Sonagonie au-dessus de l’immensité qui nous environne est d’une splendeur inouïe. UnePensée supérieure domine certainement nos misérables conditions humaines de toute ladistance qui sépare l’Infini de l’être limité. J’ai revécu également le passé en passant à lalatitude de la Tunisie. Charme profond des choses agréables qui se réveillent en soimystérieusement.

Je compte demain avoir le courrier.J’évalue la distance du cap Lizard à Madère à environ 1 100 milles ou 1 200. Nousaurons donc mis 11 j. ½ sans voir de terre. Moyenne de 110, 115 milles par jour. C’estfaible ! //

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29 sept. Dimanche. Temps doux, chaud presque toute la journée. Ciel pur ; pas de brise ; rouléla toile et serré partout. Moteur en marche. En vue le matin des îles Porto Santo, distante[sic] de 40 milles du port de Funchal (Madère). Houle très longue produisant desondulations immenses pareilles à celles d’un gigantesque tapis secoué. Eau très limpided’un bleu profond et particulier qui repose l’œil. Soir arrivé et mouillé à Funchal par 22mètres de fond.

Arrivé à Funchal (Madère) 29 sept. Dim. 8h30 soir30 septembre. Lundi. Au matin la côte abrupte et accidentée très haute, avec des maisons

éparpillées partout et d’une façon invraisemblable, nous apparaît par temps clair. Lesoleil blanchit les murs et les palmiers aux tons un peu crus tranchent avec la verdureenvironnant dans le paysage qui semble comme lavé par les vapeurs qui couronnentsans cesse les monts et qui traînent languissamment sur les crêtes voire dans lesencaissements. Au matin allé à terre pr vivres. Rien de bien intéressant. Population(portugaise) bariolée dans ses costumes. Rue pavée de petites pierres noires provenantdes grèves. Là-dessus glissent non des voitures mais des petits traîneaux à larges patinsde métal qui passent silencieux, traînés par des vaches attelées d’une façon quasi-primitive. Je n’ai pas eu de courrier à ma surprise ; peut-être le paquebot prochain mel’apportera. Ce soir à la nuit faite nous avons mouillé le trémail que nous lèveronsdemain matin avant le jour. Cette nuit de quart. Beau clair de lune.

1er octobre 1912. Mardi.Vers 4h matin pêché requin-marteau au trémail environ 1 m. poids approximatif 5 à6 kg. Propreté. De repos toute la journée.

2 oct. Mercredi. Matin allé à terre pr observations au téodolithe [sic]. Soir propreté.3 oct. Jeudi. Allé terre plusieurs fois. Soleil et nuages gris. Propreté.4 octob. Vendredi. Temps doux et chaud. Mis doris à l’eau hier et continué à arrimer la cale

dont la cargaison a été dérangée pour placer les vivres à portée de main. Aujourd’hui jesuis de repos après avoir passé une nuit assez douce sur le pont.Madère est une île Portugaise de l’Océan Atlantique à 545 mil. du continent Africain.Centre d’un petit archipel comprenant en dehors de Madère même Porto Santo (1 700hab.) et les 3 [îles] Desertas inhabitées. Superficie 1 500 kil. carrés. Population(portugais avec quelq. traces de sang nègre de 135 000 individus (Madériens, ennes ouMadérois, oises). Très escarpée l’île renferme des pics de 2 000 m d’alt. jouit d’unclimat très doux et très sain : végétation & flore très riches. Produits de Madère : vin etcanne à sucre, bananes, oranges, fruits tropicaux (goyaves, mangues, ananas etc.)produits exportés surtout en Angleterre d’où l’île tire la plupart de ses produitsmanufacturés. Capitale Funchal. //

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5 octobre. Samedi. Beau temps. C’est de fête aujourd’hui à Funchal ainsi que pr tous lesPortugais (fête de la République). Canon. Fusées, cris, enthousiasme général à terre, dumoins en apparence. Soir illuminations. J’ai écrit cette après-midi quelques lettres pourla France. Arrivée sur rade d’un croiseur allemand.

6 octobre. Dimanche. Repos l’après-midi seulement. Beau temps. Soleil singulièrementchaud. Il est vrai que nous courrons [sic] dans l’été maintenant. Nous devons partirdemain pour Santa-Cruz je crois. J’emporterai le souvenir de cette côte aux couleurs sidouces et si enveloppantes, violettes au matin, mélangées au midi, et prenant parendroits, au couchant, des teintes de cuivre au pied de la mer qui s’assombrit dans lesoir qui tombe après un dernier reflet de métal. Cette nuit de quart.

Départ de Funchal le lundi 7 octobre 1912 à 2h30 du soir.7 octobre – Lundi – Beau temps. Nombreux navires sur rade. Appareillé de Funchal à 2h30 de

l’après-midi faisant route sur Santa-cruz je crois. 8h soir. La mer encore, la mer grise etplate uniformément plate comme de l’huile, si calme pour un Atlantique que les étoileslaissent sur l’eau une longue traînée. Le long du bord c’est la ronde ou la danse desdiamants avec cette particularité que ce soir la mer est si phosphorescente qu’onéprouve le besoin, qu’on sent l’envie de compter les points lumineux si nets et sidétachés qu’ils surprennent et charment l’œil par un unique spectacle. Quelques tâches[sic] grisâtres par moments, telles des nébuleuses parmi les étoiles sur un clichéphotographique très net ; sans doute ces animalcules ne sont pas encore arrivés à leurcomplet développement. Quelle somme de lumière froide dans ce gigantesqueréservoir ! Sur le pont, les choses ne sont pas crues dans cette nuit douce ; ellesapparaissent plutôt floues, comme voilée [sic] par le milieu ambiant avec desinconstances de rêve. Et l’on éprouve le besoin de dormir, ayant perdu la notion de lapesanteur, sans qu’aucun souffle ne passe sur le visage, au milieu de toutes ces lenteursde sommeil…

Une houle très douce très longue très lente, immense. Le regard au lointain – qui esttout proche – semble s’arrêter partout et nulle part. Tout se fond dans un milieu quisemble le même et qui ne l’est pourtant pas. A part la trépidation régulière du moteur, lavie semble s’être retirée du bord après avoir hypnotisé les êtres et les choses…

4 heures. Le long de la carène, la même lueur, un peu plus pâle, la même doucechanson qui se perd dans la douceur de cette pénombre qui est presque une ombre. Leslointains se précisent un peu plus et là-haut quelques étoiles ont troué cette enveloppegrise qui est partout. //

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[FRAN_0287_0030_L] [pages vides][FRAN_0287_0031_L] [p. 12-b v.]

[en verticale à gauche]Géographie année 1891.

[horizontal]Les Canaries. Au nombre de 7 îles montueuses et volcaniques, situées dans voisinage côte

saharienne. Le fameux pic de Teyde [sic] dans l’île Ténériffe dresse cône à 3715 m au-dessus des flots. Elles étaient connues des anciens sous le nom d’Îles Fortunées. Aucommencement XVe siècle un gentilhomme normand Jean de Béthencourt s’y installeavec hardis compagnons et les plaça sous la suzeraineté du roi d’Espagne. Maisindigènes de race berbère selon toute apparence résistèrent vaillamment (berbèresconnus sous le nom de Guanches) et il fallut un siècle pour les soumettre. ClimatCanaries, chaud relativement sec, très sain. Culture principale est celle du nopal àcochenille : ces îles produisent plus de cette précieuse teinture que tout le reste dumonde.

2 villes principales : Las Palmas (18 000 h.) dans Gran-Canaria siège du hauttribunal et Sta-Cruz de Ténériffe (17 000 h.) résidence du gouverneur général.

Voir dictionnaire pour renseignements plus récents.

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[p. 13-q r.]

8 octobre. Mardi – Calme plat. Moteur. La nuit moins de phosphorescence.9 octobre – Mercredi. Dès l’extrême-matin par le travers de l’île “Grande Salvage (signifie :

sauvage) inhabitée. Avons été sur le point de l’aborder. Présente un aspect dedésolation. Avons continué notre route. Vent arrière faible. Dans la nuit vers minuit 35,une étoile 10 filante unique. Direction apparente Est-Ouest entre Cassiopée et lesPléïades. Queue singulièrement longue d’un jaune spécial avec quelques pointes de vertpâle. Au lieu de disparaître comme à l’ordinaire, il y a eu persistance de luminosité. Laqueue, au début rigoureusement droite est devenue lentement sinueuse. On devinait untravail de gaz. Cette lumière a pris la teinte grisâtre des nébuleuses au bout de 2 à 3minutes. Deux demi-cercles dont la convexité était tournée vers le bas se sont formés,un grand et un petit reliés qu’ils semblaient être vers une sorte de noyau. La durée devisibilité a été d’environ 4 à 5 minutes. A la naissance, la clarté a été très vive ; elle ailluminé le temps d’une seconde toute la voilure. J’étais de barre à ce moment.

Arrivé à Santa-Cruz 10 oct. jeudi 8h30 matin.10 octobre – Jeudi – Arrivé matin à Santa-Cruz. Petite pluie provenant de ces nuages qui

couvrent les hautes montagnes. Pris un pilote. Mouillé. Arrivée 2ème pilote. Changé demouillage. Après un lent et laborieux travail, mouillé l’ancre de trib[ord] à l’arrière.Après midi beau temps. Repos à partir de 3h.

11 octobre. Vendredi. Petits grains. Potassé pont. Le pic (3 712 m de haut) reste invisibleenveloppé dans ses vapeurs. Nettoyé, monté et fait marcher petit moteur. Grattage canot.Soir de quart.

12 oct. Samedi. Beau temps. Propreté générale. De repos après le quart.13 oct. Dimanche. Repos. Allé terre après-midi et soir. Dans la ville aspect de deuil. Tout

fermé. Maisons colorées. Larges fenêtres. Personne dehors. Beaux jardins. Station deT.S.F. Allé campagne ; suivi route bordant la mer. Petites maisons construites à mêmele roc. Femmes fument. Soir rentré minuit. Beaucoup de monde et musique sur la Plazade la Constitucione.

14 oct. Lundi. Brise assez fraîche au matin. Propreté. Après-midi mis un collier cuivre, grandmât, pr portage sabot corne grand’voile. Fait fonctionner le De Dion Bouton en vue desa vente. De quart.

15 oct. Mardi. De repos aujourd’hui. Beau temps au matin.16 oct. mercredi. 17 jeudi. Vend. 18. 19 samedi. Propreté et travaux divers. Fait fonctionner

vedette. Arrivée dans la semaine d’un navire de guerre Russe. Départ de l’Espagnol etarrivé d’un contre-torpilleur (4 tuyaux) à turbines battant pavillon français. //

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[FRAN_0287_0032_L] [pages vides][FRAN_0287_0033_L] [p. 13-b v.]

[en face du 24 octobre]RC. SSO ½ S We 13 NO Temp. +22°,1 Cirro-stratus

[en face du 25 octobre]RC. S ¼ SO Cirrus

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[p. 14-q r.]

C’est le T. Rodriguez, refusé parait-il par l’État français et acquis par la marine Péruvienne.Soir, des Français (des civils qui le montent) sont venus à bord.

Di 20 octob. Dimanche. De quart. Beau temps. Écrit qq lettres. À Mathieu et Smadja frères.On pense souvent à la famille et chose bizarre on ne la désire pas. Avons pu ce matinapercevoir le pic de Teyde [sic] couvert de neige. Temps d’une rare pureté.

Départ de Sta-Cruz de Ténériffe le lundi 21 octob. 12[,] 5h30 soir21 oct. 1912. Lundi. Repos. Soir 5h30 départ pour le Cap Vert. Beau temps. Grand largue.

Houle.22 oct. Mardi. Temps beau. Marchons bien. Roulis très prononcé.23 oct. Mercredi. Temps beau. Brise fraîche de NE. Courons grand largue. Grosse mer ; fortes

lames. Un peu fraîche la température qui est cependant d’environ +22°. Le long du bordbruit de l’écume qui couvre la surface de l’eau. Parfois les inclinaisons produites par leroulis sont si fortes qu’on serait tenté, n’était la réflexion, d’essayer de quitter le navirepour marcher sur cette surface blanche. Parfois on perd le sentiment de la profondeur. Etpar dessus tout cela un ciel couvert en partie de nuages blancs éclairés par une lune quirépand sur les choses une lumière qui semble émaner d’un pays de neige.

24 oct. Jeudi – Beau temps. Houle. La mer a changé de couleur, elle a pris une teinte glauque.Gratté lisse dunette. Demain gréera ligne pr dorades.

25 oct. Vendredi. Temps superbe. Poissons volants. Disposé la petite éprouvette en soie pourcapturer le plancton (ensemble de petits animalcules qui causent la phosphorescence del’eau de mer). Pris nombreux échantillons après l’avoir filée. Examinés au microscoped’un grossissement de 4 à 600 fois. Soir ; le vent est tombé. Mis moteur en route à 9h30.Pleine lune. Qq oiseaux de mer planent au-dessus du navire de leurs ailes alourdies parl’humidité et le clair de lune. Leur cri qui surprend a une sonorité spéciale. Ce vol noirme fait songer au vol circonflexe des corneilles qui, le soir, dans les campagnes, rôdentautour des ruines des anciens castels, aimant l’âme qui se dégage des vieilles choses.Mais ici, ces cris n’ont pas d’écho et ils se perdent dans l’espace.

26 octobre. Samedi.Il y a un an aujourd’hui jour pour jour, que je quittais les sous-marins de Bizerte,congédié à la date du 22. Je me souviens de mon départ par le paquebot, avec beaucoupde retard. Temps menaçant ; mon passage sur les secteurs où des centaines de plongéesavaient été effectuées. Mes camarades m’accompagnant ; les souvenirs en foule quiaffluaient au moment du départ et ce commencement d’angoisse particulière qui medisait que je laissais quelque chose derrière moi… El Zarzouna et les feux de la côtedisparurent. //

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[FRAN_0287_0034_L] [pages vides][FRAN_0287_0035_L] [p. 14-b v.]

[en haut de la page]RC. Sud. Temp. +24°. Cirrus 5/10. Vent force 3

Direction NNE.

Lo : 17°, 20’

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[p. 15-q r.]

La quantité de plancton prise aujourd’hui a été examinée au microscope. C’estmerveilleux tout simplement. Les tons sont assez variés, très doux, ne fatiguant pas l’œilpar conséquent. Des millions d’êtres se meuvent là. Ce qui frappe c’est la symétrie danstout ce qui a été créé par cette Pensée Supérieure. Tout semble se mouvoir vers le mêmebut, sur un plan divin avec une Loi Harmonique. Certains de ces animalcules sont sipetits que pour égaler l’épaisseur de 1 m/m il en faudrait plus de 3 ou 400 !Et quand on songe que ces mêmes petits, appelés infiniment petits, sont dévorés par desmicrobes bien plus petits encore et que ces premiers sont à ces derniers ce que l’hommeest à ceux que je viens d’examiner[,] on reste confondu et l’on conçoit plus ou moinsfacilement que nos sens grossiers ont des limites et qu’avant tout nous ne sommes pasassez subtils pour profaner les mystères de ces êtres dans leur essence intime etprofonde.… Des poissons volants qui ne semblent pas être maîtres de leur manœuvre sontdérangés par notre passage. Ils quittent leur élément et s’élancent. Ils se heurtent tels desaveugles, à nous ; tombent sur le pont tout palpitants, leurs fines membranes leurservant d’ailes étendues encore comme voulant prendre encore un essor suprême et…font les délices des chiens.… J’oubliais de dire que le plancton sert à la nourriture des sardines. On a pu évaluerapproximativement à 15 millions d’individus la quantité que l’on a trouvée dansl’estomac d’un de ces poissons. La mer, qui a repris maintenant, sa belle couleur bleu etqui ces deux derniers jours était au vert glauque c’est le plancton en masse qui enaltérait la nuance.

27 octobre – Dimanche – 4h matin. Nous comptons voir l’après-midi la côte Sénégalaise. Laterre Africaine est par notre travers bâbord à environ 90 milles.… Décidément les poissons volants jouent de malheur. Nous les ramassons sur le pontcomme on ferait de châtaignes. Ils gisent sur le bois sec, déchirant dans leursconvulsions d’agonie la membrane délicate de leurs ailes ; leurs écailles se détachentargentées au clair de lune. Et dans leurs yeux tout ronds, noirs, profonds – j’allais direstupides – où l’on voit que la vie se retire avec hâte ils conservent comme un reflet del’intimité de leur sanctuaire tandis qu’une lueur d’effarement anime pour un instantencore ces pauvres petits corps humides… ces pauvres petites choses qui vontmourir… //

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[FRAN_0287_0036_L] [pages vides][FRAN_0287_0037_L] [p. 15-b v.]

[en face du 28 octobre] Température à 8h matin +29°

Hommes. Machines. Bois.

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Repos dans la journée. Faible brise. Dans l’après-midi fait fonctionner le grand sondeurqui a fait la campagne du Pôle Sud. Filé 559 brasses de fil et touché le fond. D’après lacorrection nécessitée par la forte inclinaison, avons trouvé environ 600 mètres. Lagueuse ne s’est pas déclanchée [sic]. Enroulé le fil. Il s’est rompu tout d’un coup parsuite d’oxidation [sic] sans doute. Avons perdu 40 brasses exactement ainsi que le crocà contrepoids du déclenchement de la gueuse au fond.Vers 9h soir aperçu les feux de la côte d’Afrique. Calme plat presque. Nombreuxmarsouins qui s’ébattent le long du bord au grand risque de se faire harponner.

DakarArrivé le 28 oct. 12[,] 6h mat.

28 octob. Lundi –Dans la nuit le calme s’est fait ; serré la toile et mis au moteur. Dans l’air c’est unaspect laiteux : on se sent brusquement imprégné d’une rosée très forte. Avons doublé àl’extrême matin l’île de Gorée qui sommeillait encore et rentré dans le port à 6h, aumoment le soleil [sic] avec sa couleur particulière se montrait nous promettant de lachaleur. Propreté générale.Dakar a bien changé depuis mon dernier passage. Les digues, quais, constructions sontterminés. Nombreuses maisons[,] nouvelles. Station de TSF.Le soir, descendu à terre avec [sténo.] second, faire photos. Promenade en ville ; c’est àne pas s’y reconnaître tant cela est changé. Des rues ont été tracées ; des édifices trèsélégants, conservant dans leur architecture quelque chose du style bysantin [sic],s’érigent coquettement. Au marché c’est une foule bariolée : des indigènes[,] desfemmes principalement, de toutes castes se coudoient, causent, discutent. La plupartsont assises ; les objets qu’elles vendent sont assez hétéroclites. La matière est étalée.Les gâteaux de mil voisinent avec les pierres. Certaines récitent des prières en faisanttourner machinalement un chapelet. Les autres sont jeunes. Parmi ces dernières il s’entrouve de jolies, les traits sont réguliers, le regard sans être provoquant n’est pas timide.La démarche est sûre[,] assez souple avec une sorte de désinvolture particulière parinstants. Elles se nettoient les dents avec un morceau de bois – crachent loin devantelles. La plupart ont le torse nu ; ces torses sont parfois irréprochables. Sur cette peaupresque noire qui reluit au soleil de nombreuses amulettes, gris-gris, etc. pendent aucou. Les oreilles, les bras, les chevilles en sont également recouverts. Elles ont unecertaine grâce à porter leurs enfants derrière le dos. Sous les linges tendus, drapéescomme elles sont, les formes se moulent, semblent augmenter leur souplesse, rendreleur marche plus silencieuse avec les pieds nus ou chaussés de babouches et merappellent //

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[FRAN_0287_0038_L] [pages vides][FRAN_0287_0039_L] [p. 16-b v.]

[Croquis d’une nourrice sénégalaise]

À Dakar ou aux environs, dans les villages disséminés parmi la campagnesénégalaise, on voit des nourrices, fidèles aux coutumes du pays…

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par instants certaines femmes juives ou arabes de Tunisie qui vivent aussi dans ce beaupays sous le grand manteau de l’Islam. Ces musulmanes ont un certain charme pourquiconque est observateur et principalement pour l’européen. Des filles Soussous, desfilles Ouolofs, des Bambaras aussi ont défilé devant nous. Sur le boulevard Nationalnous en avons photographiées mais il a fallu les payer pour la pose (photo en couleurs).À remarquer leurs calebasses sur la tête. Photographié aussi un indigène chargé de gris-gris convaincu, cela va sans dire, de l’efficacité de ces différents objets dont chacun ason rôle occulte particulier. Ils reluisent ces morceaux de cuir, de bois, de corne, decordons, attestant le long usage qui en est fait. Ils se les transmettent d’ailleurs (je crois)de génération en génération. C’est toujours la même croyance, par conséquent la mêmeconfiance dans leur religion qui les rend fanatiques. Comme c’est beau la foi ! Quelpuissant facteur pèse de tout son poids occulte sur ces mentalités !

Les pêcheurs de la rade et du large passent sur leurs pirogues. Ils ont tous ou à peuprès un gris-gris pour “requin”.

J’ai visité le village nègre. À notre approche des enfants (nus ceux-là) nous ontaccostés et demandé des sous ou des cigarettes. À l’entrée des cases, des femmes, nousapprochent et causent. Traversé le village qui pour être si près de la ville donnel’inévitable impression des mœurs de ces habitants de la Côte occidentale de l’Afrique.Les chemins poussiéreux qui y conduisent et qui les traversent sont très sinueux. Lescases sont couvertes en paille. Quelques bambous serrés en forment les murs. Quelquesunes ont des murs en planches comme des baraques. L’intérieur en est pauvre. Sur le solservant de plancher (ou parquet) c’est le désordre. On aperçoit parfois des lits en des feret des couvertures aux couleurs criardes qui jettent une note de civilisation européennedans tout cet ensemble, de couleur uniformément grise par ailleurs et bien particulièreaux villages indigènes. Sur une place minuscule des femmes font cuire du poisson ; desenfants et des jeunes filles pillent [sic, pour « pilent »] le couscous auprès d’un grandpuits autour duquel des vieilles somnolent n’attendant plus rien de la vie. Un homme duplus beau noir celui-là, aux traits réguliers, à l’œil noir et intelligent nous montre sonpetit négrillon tout rond et nu comme un ver : c’est sans doute pour avoir quelques sous.Une vieille, au torse nu, portant une calebasse toute rapiécée, toute cousue et recousue,arrive. Ses seins pareils à de longues outres vides pendent lamentablement de sapoitrine, de chaque côté des gris-gris. Elle est atteinte d’éléphantiasis //

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[FRAN_0287_0040_L] [pages vides][FRAN_0287_0041_L] [p. 17-b v.]

[en face du 29 octobre]Température 8h matin +29°

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aux jambes. Ces noirs sont je crois sujets à cette infirmité qui provient d’une longuemarche, pieds nus, dans le sable. Les jambes sont déformées et très grosses, pareilles àdes guêtres flasques par endroits, rigides en d’autres. Elles voudraient qu’on les J’aiacheté paie pour avoir leur portrait ; d’autres ne veulent pas poser devant l’objectif. Il sedégage de l’ensemble une odeur particulière.

J’ai acheté à un fabricant indigène un souvenir du Sénégal. Un “naffa” (porte-monnaie et un gris-gris pour le soleil (diélla).

Un peu avant la chute du jour vu de grands baobabs, bananiers etc. plantes exotiques.Des couples blancs passent auprès de nous avec un peu plus de langueur. De cettelangueur particulière aux blancs de ce coin de terre franç d’Afrique française. Lesmouvements sont plus lents, le silence se fait tout doucement, la vie semble se retirersans trop de hâte cependant et sans mettre trop d’eff tout en mettant un peu d’effarementaux êtres et aux choses tandis que de grosses mouches qui volent ça et là, bourdonnentlonguement.

Nous avons rencontré un vieux combattant de 1870. Campagne pénible et froided’après lui. Wissembourg. Siège de Paris etc. Sa confiance dans les Français, malgré ladéfaite, n’en est pas altérée ; il a compris que c’était par trahison qu’on avait fléchi.

Un peu de fraîcheur vient après le coucher du grand soleil qui a poursuivi tout le joursa course ronde et immense dans le ciel chaud. A l’heure de l’apéritif c’est la fel’absinthe et la glace qui procure [sic] un peu de fraîcheur à tous ces jeunes hommes quiaccomplissent ici, loin de leur pays, pauvres fleurs qui s’étiolent assez vite pareils à desfleurs transplantées dans un milieu différent de celui où ils sont faits pour mieux vivre.L’alcool tout doucement fait accomplit son œuvre… Et la plupart d’entre eux, ceux quine savent pas ou qui n’ont pas la force de réagir, subissent l’influence de ces pays, encontractent les habitudes et ne s’en aperçoivent pas !

29 octobre – Mardi – Beau temps. Mis voiles au sec. Désarrimé cale, ustensiles divers decuisine. Mis de l’ordre à l’arrière. Le soir de quart. En rade les requins, habitués de cespaysages. Disposé croc à émerillon avec du lard comme appât pour essayer d’encapturer.Minuit. C’est la même rosée qui pleut, humecte fortement tous [sic] les choses, vouspénètre et vous cause froid à l’extrême matin.

30 octobre – Mercredi.De repos. Mis café au sec au soleil sur le pont. De terre. Sorti dans l’après-midi. Je mesuis enfoncé dans la campagne pendant plusieurs kilom. sous le soleil qui flambe, degrosses mouches qui bourdonnent, des papillons magnifiques, sauterelles, gros lézardsetc. Sur la route poussiéreuse, rencontré nombreuses femmes avec //

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sur la tête l’habituelle calebasse, chargée d’arachides vertes. Les anneaux à leurschevilles sonnent. J’ai remarqué un peu plus de nonchalance dans leur allure même avecleurs enfants qu’elles portent derrière le dos soutenu par des linges. Champs de mil,cocotiers, bananiers, palmiers etc. Visité la TSF. qui n’a ici qu’un seul pylône. Rentrésoir en constatant l’inévitable langueur de certains couples européens.

31 octob. Jeudi –Fait fonctionner moteur. Mis pommes de terre au sec Propreté et travaux divers.

Beau temps. Calme plat et chaleur.1er novembre 1912 – Vendredi.

C’est aujourd’hui la fête de la Toussaint. Bien des fleurs auront été déposéesaujourd’hui sur la tombe des morts. Le culte des morts est servie servi différemment. Ily a des souvenirs sincères ; il y en a d’hypocrites. Lavé linge avant traversée Dakar-Rio.Calme plat en mer. Dans le ciel sans lune d’invisibles oiseaux de nuit pla piaillent dansl’espace. Leurs cris se perdent ; ils ne trouvent pas d’écho dans cette atmosphère lourdetandis que partout et comme toujours, il pleut de l’humidité. De quart toute la nuit.

2 novemb. Samedi.Repos aujourd’hui. Cette nuit avons levé le trémail que nous avions mouillé en rade toutprès du bord. Pris deux belles pièces et sept petits requins. C’est un beau coup de filet ;il est vrai qu’on en est infesté ici. Mouillé de nouveau et au petit jour pris quelquesautres pièces avec un autre petit requin et un autre bien plus gros, d’environ quarantekilogrammes. Le filet n’a aucun mal. Soir allé terre faire quelques observations. Faitconnaissance sur le quai d’un Shakalave (race de Madagascar) type ayant travaillé àParis, ayant navigué, servi chez des gouverneurs, cuisinier et ne demandant pas mieuxque d’embarquer à bord de la “Curieuse”. C’est un catholique. Je ne sais si nous leprendrons. Pris une consommation avec lui et causé. Promenade à terre. Beau temps.

3 nov. Dimanche.Lavé beaucoup de linge aujourd’hui. Soleil chaud propice. Sorti faire quelques courses.Vu cinq grandes autruches. Au marché même animation. Mêmes allures et mêmepropreté chez les femmes Ouolofs. Elles sont assez coquettes et s’habillent avec goût.Les jeunes filles catholiques menées par des sœurs en promenade s’habillent àl’européenne. Ce soir il y a dans l’air un peu de fraîcheur qui remplace agréablement lachaleur lourde du jour. On entend d’ici le tam-tam que des Sénégalais battent là-bas auvillage nègre qui se trouve dans l’ombre. Le bruit sourd qu’ils font me rappelle lesderboukas tunisiennes, jouées dans les mêmes conditions, avec ce rythme particulier,dans les nuits tropicales. //

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[FRAN_0287_0044_L] [pages vides][FRAN_0287_0045_L] [p. 19-b v.]

[en face du 7 novembre, 11h]RC : OSO Strato-nimbus 5/10°

[en face du 7 novembre, 4h]RC. OSO. Faible brise (2) Clair

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4 novemb 1912 – Lundi. Propreté générale. Potassé peinture machine. Passé au gris celle aujaune. Dans l’après-midi fait le mouvement et amarré au quai pr faire eau douce. Beautemps. Soir mêmes cris d’oiseaux invisibles qui piaillent dans l’air. L’eau est d’une rarephosphorescence ; le canot et les avirons semblent glisser sur du feu ou plutôt del’argent en fusion. Au loin dans le village nègre, le tam-tam. Le bruit nous en arrive ensourdine, atténué qu’il est, il semble, par un invisible et impalpable rideau d’humiditéqui tombe ici en ce pays. De quart toute la nuit.

5 nov. 1912 – Mardi. Repos pr moi. Continué peinture machine. Les femmes Ouolofs,toujours très propres, passent sur le quai. Leur démarche semble plus lente avec cebalancement particulier. Il y en a de très belles et parmi des catholiques bon nombrecausent assez bien le français.

6 nov. 1912. Mercredi. Propreté. Devons appareiller demain. Charles le nouveau cuisinier estembarqué. Enlevé tentes en vue dispositions appareillage. Hier, au marché indigène, j’aiété frappé de la forte odeur qui se dégageait de toutes les choses…

Départ de Dakar le jeudi 7 novemb. 1912 à 11h mat.7 nov. 1912. Beau temps. Chaleur. Pris dernières dispositions. Rentré et mis les ancres sur le

pont. Appareillé à 11h de Dakar. Vent arrière faible. Rencontré au large qq pirogues,telles des coquilles dans le creux des petites lames. Un peu plus d’air maintenant ; unpeu de fraîcheur. Je laisse le Sénégal derrière moi ; il va se développer encore. À part levillage indigène qui conservera son immuable cachet, ses mœurs, ses rites, le reste vas’européaniser de plus en plus. Je me souviendrai de ces quelques jours lumineux et detoutes ces femmes Ouolofs remarquables par leur démarche et surtout leur bonne tenueet l’amour de la propreté. Qu’elles puissent rester encore longtemps dans leurscoutumes ; loin des empreintes de la mode toujours nouvelle[s?] que des gens stupidess’ingénient à modifier pour le plaisir du beau sexe ! Ici les femmes semblent avoirinconsciemment le goût de l’esthétique ; elles ne connaissent pas les tortures et le rôleantihygiénique du fameux corset. Elles n’ont n’en sont pas plus laides et ne s’en portentpas plus mal sans cela ! Et j’ajoute qu’elles vivent aussi longtemps que nos mondaines.4 heures. Temps doux sans humidité. Dans la nuit nous réveillons qq oiseaux marinsendormis sur les flots. Notre passage les surprend dans leur sommeil, dans leur rêvepeut-être et les effare. À long battements d’ailes ils s’enfuient et leurs plumes frappantl’air bruissent dans la nuit. Au-dessus de nous pendant qu’à bord toutes les choses sontassoupies une lumière pâle et diffuse qui émane de la multitude d’étoiles tombe sur nouset sur la mer des profondeurs sidérales. //

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[FRAN_0287_0046_L] [pages vides][FRAN_0287_0047_L] [p. 20-b v.]

[en face du 8 novembre]RC : OSO ½ S L : 10° 30’ N Clair

G : 20° 30’ O

[9 novembre] RC : OSO ½ S Stratus

[10 novembre]RC. OSO ½ S nimbus 2/10

[11 novembre]RC : OSO ½ S cumulus 1/10°

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8 nov. 1912 – Vendredi. – Amené la toile et mis en marche au moteur. Des requins noussuivent. Mer calme avec houle. Confectionné des “œils” [sic] aux pavillons du CI[commandant?].Soir temps un peu lourd ; avec éclairs de chaleur. Sur l’avant de nombreuses bonitesnous précèdent révélant leur par leur passage par leur sillage phosphorescent. Harponnéssans succès.

9 novemb. 1912. Samedi. – Faible brise. Beau temps. Houle fatigante. Du roulis et du roulis !Journée monotone. Quelq. poissons volants des tout-petits ceux-là, s’envolent. C’est unvol ras. Briquage du poste. À 8h ce soir accalmie et temps un peu lourd.

10 nov. 12. Dimanche –Repos. Temps clair. Brise nulle. Avons voulu mettre moteur en marche mais il n’a pasfallu y songer. Le point d’interr[ogation] que j’ai posé au début me dispense de toutcommentaire. Je n’ai donc rien à développer. Soir calme plat. Barre sans effet. Ensomme sans y voir de monotonie[,] journée de béatitude ensoleillée sur la houleimmense & douce de l’Atlantique. Sirius brille sur notre gauche laissant sur la merd’huile une pâle traînée lumineuse tandis qu’au-dessus du Grand Chien trône le GrandOrion. Tandis que la pensée erre vague et lointaine[,] que l’esprit flotte commeindécis[,] des grillons qui ont embarqué sans doute à Dakar se mettent tout à coup àfaire entendre leur cri-cri. C’est une note bien drôle à bord en pleine mer. Invisibles,cachés sous quelque glène de filin de leur voix inlassable ils chantent une cantilène quel’on écoute cependant qu’involontairement on évoque une image champêtre et quelquecoin de village de France qui dort là-bas, bien loin, derrière l’horizon, sous le calmeinfini qui tombe des étoiles…Minuit. – … Et la cantilène dure toujours ! Ils sont deux maintenant chantant à quimieux mieux. Mon Dieu ! Que peuvent-ils bien dire ? Quels étranges poètes noirs etbizarres, peu encombrants aussi, qui se meuvent dans l’ombre ! … Regretteraient-ils leSénégal ?

11 nov. 1912. LundiBeau temps. Faible brise. Nettoyé outils machine. Soir qq. éclairs de chaleur. Horizonun peu sale ; mer plate. Toile serrée. Les mâts nus s’élèvent dans le ciel pareils à degrandes croix noires. Il y a peu de crépuscule dans les parages intertropicaux. Le matinpeu d’aurore également. La transition entre l’ombre et la lumière est si brusque qu’elleest sensible. Le soir les choses semblent avoir hâte de se voiler. Dans l’Ouest de grosnuages aux tons de cuivre illuminent le ciel cependant que dans l’Orient la couleur de lamer est vert-bouteille, très douce et très belle. Pendant l’agonie lointaine & douce dusoleil, dans ce //

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[FRAN_0287_0048_L] [pages vides][FRAN_0287_0049_L] [p. 21-b v.]

[en face du 12 novembre]RC OSO ½ S cumulo-nimbus.

[en face du 13 novembre]RC SO ¼ O couvert

Ô Chr

” Ô crucifié pitoyable ! muet et invisible dans la nuit ; toi qui te dressesV3. ” aux carrefours des chemins ; ouvres-leur [sic] tes deux grands bras moussus ;

” pardonnes-leur s’ils blasphèment comme jadis, brisé, résigné, sans colère,” tu accordas le suprême pardon aux stupéfiants bourreaux qui te” firent mourir pour la fraternité menteuse !

[en face du 15 novembre]RC : SO Couvert – Grains – Houleuse. O

Rattrapés par un navire italien portants des émigrants sénégali [sic] “HNTB"

[en face du 17 novembre]RC : SO Beau temps – Cumulus d’étraves[?] – 6/10. +27°

Lo : 5° N

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// qui reste de lumière, tout se réunit et se hâte , la vie se hâte. Le géant rouge est descendu là-bas derrière l’horizon. Source de lumière et de chaleur, réservoir gigantesque d’énergie,astre de Vie, grand régulateur des mondes, il semble s’en être allé, charriant soneffroyable fournaise à travers d’autres espaces.

… Et les grillons n’ont pas terminé leur cantilène ou plutôt ils l’ont repriseintentionnellement pour nous rapprocher de France…

12 nov. Mardi – 1912 – Mer belle avec un peu de houle.Nettoyé et réparé boîte de sextant. Il est à remarquer que plus nous av[anç]ons dans lesud ou plutôt à l’endroit appelé “Poteau noir” [sic] le temps se couvre de plus en plus.Horizon menaçant.

13 nov. Mercredi. Temps à grains. Rencontré un navire à voile.14 nov. Jeudi 1912. De gros grains sont tombés aujourd’hui. Nous avons pu recueillir de l’eau

douce au moyen de toiles tendues. Entre des nuages on aperçoit par instants un peu deciel qui paraît plus bleu. La température a fraîchi ; on est plus à son aise. Dans la nuitsouvent des éclairs ou autres phénomènes lumineux intenses de nature électrique.

Et cependant que cette fraîcheur relative chasse les lourdeurs de sommeil[,] lesgrillons frileux se sont tus. Leur cantilène est restée inachevée. Dieu ! Qu’il aura durépeu de temps ce chant ! Ces petits êtres noirs doivent être morts.

15 nov. 1912 – Vendredi. – Les calmes équatoriaux se font sentir.La pluie ! La pluie ! Nous nous trouvons dans le “condenseur de la Terre”. Ce

gigantesque amas de vapeur nous pèse un peu. Les journées un peu monotonesenfantent un peu de tristesse. Les lointains se rapprochent ; la ligne d’horizon et les eauxse confondent pendant la nuit sombre. Nous sommes en panne ; une mer plate, pas unsouffle de vent et pour comble le moteur ne marche pas (!) Les pièces chauffent ! Etd’ailleurs comment pourrait-il marcher et les pièces ne pas chauffer avec de tellesprofanations ? Le point d’interrog. se change tout doucement en point d’exclamation.En attendant nous sommes là, en pleine houle, ne gouvernant plus, sans toile, dans lebalancement long et stupide qui endort…

16 nov. 1912. Samedi – Pas de brise. Remonté le moteur et … abaissé le goût et le courage. Ilfaut réagir. C’est la première fois que je vais [vois?] visiter un cylindre quand un palierchauffe ! Il y aura toujours eu un prétexte de le nettoyer bien entendu ! Fait fonctionneret chauffe toujours. Petite pluie dans l’après-midi. Le soir temps se dégage.

17 nov. 12 Dimanche. – Temps magnifique avec lever de soleil d’une beauté inouïe dont lespectacle compense les journées de pluie monotones. Le [sténo.] second est un peufatigué. Moteur par instants. //

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[FRAN_0287_0050_L] [pages vides][FRAN_0287_0051_L] [p. 22-b v.]

[en face du 18 novembre]RC SO Cumulus & cirrus 5/10° 1

[en face du 19 novembre]RC SO ½ O. Cumulus et cirrus +27° 4/10° 3

[en face du 20 novembre]RC SO ¼ O. Cumulus 4/10° 3

[en face du 22 novembre]RC SSO. Équateur – Cumulus 4/10° 3 Houleuse

Alizés de SE

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18 nov. 1912. Lundi – Aujourd’hui 14ème anniversaire pour la famille. Gros grain ce matin ;avons pu nous procurer eau douce. Mer belle. Faible brise. Qq oiseaux marins jettentune note de vie dans l’immensité qui nous environne. Dans l’après-midi nombreuxmarsouins qui s’ébattent le long du bord, sautent hors de l’eau en faisant plusieurs tourssur eux-mêmes ou bien apparaissent de dos à la surface en faisant entendre un sifflementqui leur est particulier. Pendant quart de 8 à minuit marché au moteur. Sommes par desfonds d’environ 4 500 m. Lentement nous nous rendons à l’île San Fernando deNoronha (aux Portugais – pénitencier) je crois et située à 3 ou 4° au dessous del’Équateur.

19 nov. 1912. Mardi. Beau temps. Dépassés au point du jour par un cargot [sic] faisant mêmeroute. Un peu de brise. [sténo.] Le second is always tired [trad. est toujours fatigué].Nettoyé outils et percé qq trous pr les pitons des porte-fanaux. Soir beau clair de lune.… La nuit pendant les quarts silencieux et sans que la mer soit phosphorescente enapparence il s’élève parfois, tout proche ou dans le lointain une gerbe lumineuse etviolette (poissons qui sautent ou rencontre de 2 lames fausses) qui s’éteint aussitôt dansl’immensité. Cette lumière pâle et douce attire le regard ; elle est très douce. Si l’onsonge à ces vieilles légendes des côtes où les âmes des naufragés quittent pour uninstant les mystères des grands fonds pour apparaître et effrayer les marinssuperstitieux…

20 nov. 1912. Mercredi. Belle mer. Houle du SSE. Bonne brise. Dépassés dans l’après-midipar 1 3 mâts-barque danois. De la vigie où il fait bon vivre là-haut dans le grand vent,j’ai aperçu un vapeur par tribord, au grand large. Soir tangage brusque & roulis.

21 nov 1912. Jeudi. Même temps. Houle et dérive. Mis la flèche avant. Nettoyé outils.22 nov. 12. Vendredi. Passé dans la nuit par le travers des roches St Paul. Blocs volcaniques

surgis des flots d’autant plus redoutables qu’ils sont isolés et surmontés d’aucun feu lanuit. Les fonds ont diminué brusquement. Vulgairement appelés le “Caillou” ilsséparent les deux grandes passes de l’Atlantique Nord et Sud. Plusieurs attestent quedans les parages où nous sommes actuellement on a ressenti à plusieurs reprises diversessecousses de tremblements de terre. Nous devons aujourd’hui franchir la “Ligne” ouÉquateur. Il n’y aura pas de fête à bord comme c’est la coutume sur les long-courriers.Minuit. – Nuit magnifique toute remplie de clair de lune. Un cargot [sic] est passé toutprès de nous par B[âbor]d, allant à contre bord.Franchissons la Ligne tout à l’heure.

Équateur23 nov.e 1912. Samedi. Beau temps. Houle et tangage. Champagne pr la Ligne (Équateur) //

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24 nov. 12. Dimanche. Journée tranquille. Voiliers et vapeurs nous ont dépassés. Houle. Forttangage et roulis fatigants. Repos. … Décidément les petits grillons ont disparu.Emportés par l’eau des embruns ou par l’eau de pluie. Ils doivent être morts. Le Pot-au-Noir aura donc causé la mort de ces petits êtres noirs qui ne gênaient pas beaucoup.

25 nov. 12. Lundi. Ce matin magnifique lever de soleil tout rouge à travers des échancrures decumulus charg et de nimbus chargés de pluie. La splendeur du spectacle défie toutedescription. Qq. hirondelles de mer dans cette immensité déserte et aussi qq. poissonsvolants qui passent dans leur vol rigide de métal emportant pour un instant un rayon desoleil qui luit sur leurs écailles et leur met un reflet de nickel. Comptons arriver demainà Fernando de Norhona.

Arrivée à San Fernando de Noronha mardi 27 [sic] nov. 12[,] 7h45 matin26 novembre 12. Mardi.

Pendant quart minuit à 4h aperçu feu de terre. Manœuvré. Rentré au petit jour. Côtevolcanique. Un énorme rocher (comme une dent) se dresse. Un autre rappelle le mont StMichel. Houle. Navire “Nauctic” [sic] de Glasgow, mouillé ici a le feu à son bord. Uneéquipe de forçats s’y rend tous les jours pour tenter de circonscrire le feu qui dureparaît-il depuis 3 jours. Beau temps ; un peu de brise tempère l’ardeur du soleil. Changéde mouillage. Mouillé par huit m de fond auprès du radeau qui fait le va-et-vient.Travaillé toute la journée. Soir ridé (utilement) les haubans. À la nuit mouillé le trémail.Soir de quart. Il y a ici la tél[égraphie] sans fil.

27 nov. 12. Mercredi.Pendant le quart, nuit très douce avec clair de lune. Relevé à l’extrême matin le trémail.Poisson de roche, langoustes et requins. En ce moment une équipe de forçats nousapporte de l’eau douce. Embarquons également qq. fruits du pays. C’est une belle étudeà faire que ces visages bronzés de forçats où se reflète la crapulerie humaine. Deuxpoulets, deux petits cochons noirs viennent de faire leur apparition à bord à la grandefureur de la petite chienne qui proteste de la voix contre l’envahissement de sondomaine et la violation de “ses droits” !

28 nov. 12. Jeudi –Allé terre matin pr faire comparaisons temps au télégraphe. Route très ancienne

pavée de grosses pierres. Chaleur. Végétation rabougrie. Cris des sauterelles. Air quitremble. San Fernando encaissé entre deux montagnes en face la petite baie du“Cachore”[,] qq maisons espacées les unes couvertes tuiles, autres feuilles de coco.Grands et magnifiques palmiers. Aspect d’isolement. Au télégraphe les //

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[FRAN_0287_0054_L] [pages vides][FRAN_0287_0055_L] [p. 24-b v.]

Maïs. Manioc. Blé. Cocos. Bananes. Canne à sucre

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// appareils modernes jurent avec le cadre qui les entoure. Vieille bicoque abritant lesappareils reliant ce coin par câble sous-marin et par TSF avec les plus grandespuissances du monde. Deux Français, 2 Angl. et 1 Brésilien s’occupent de la Sans Filqui est de construct. franç[ai]se. Vers 10h mat. pris le breakfast chez les Anglais, servispar des forçats assassins. Ici c’est la coutume. On retrouve le confortable pour qq.instants très aimables.

Soir sorti pour aller à la SF. La lune n’est pas encore levée. Dans l’ombre la routes’enfonce. Qq peu de brise aux oreilles. Le long des cris-cris invisibles avec leurénigmatique chanson. Sur la place de l’Église le bruissement de deux magnifiquespalmiers qu’une légère brise fait chanter à travers leurs longues palmes. Bruit d’unphonographe jetant une note de modernisme en cet endroit où tout le monde se connaît(20 à 30 habit. – 500 forçats environ). Les notes expirent doucement dans la nuit où lalune commence à monter ; sous la grande paix qui tombe des étoiles ; les magnifiquesconstellations australes brillent intensément et à travers les cocotiers les Pléiades semontrent. Et Bételgeuse la rouge précède le Grand Orion qui bientôt se détache à sontour dans les profondeurs sidérales. On aime rêver dans ce recueillement religieuxparfois s’il n’était troublé par de brusques aboiements des chiens très nombreux dont lescris se perdent dans la nuit. La pensée vague, l’esprit flottant, tâchant de ramener lesimages chères sous les yeux afin de les associer au cadre qui vous environne, au milieudans lequel vous êtes béatement plongé, dans cette ambiance qui est très douce onpense…

Rentré à 1h matin. La “balsa” (radeau) est une véritable corvée ici. Phénomène assezcurieux ici : il y a 2 apports réguliers de sable par an. Pendant 6 mois le sable vient du“Cachore”[,] pendant les autres six il va à San-Antonio (petite baie où nous sommesmouillés).

29 nov. 12. Vendredi. – Propreté matin. Soirée topographie à terre en prenant une base sur lesable de la plage.Il fait chaud ici. On songe à novembre en France. Pourvu que nous le regrettions pas detrop ce temps. De quart la nuit.

30 nov. 12. Samedi.Repos cette journée. Beau temps et chaleur. Vers midi 30 allé terre pour dessiner lapointe sous la grande lumière au milieu du bourdonnement des grosses mouches.Promené sur la côte Est à marée basse. Aspect sauvage : rochers fouillés par la mer.Nombreux crabes s’enfuyant à notre approche. Dans l’île qq oiseaux s’enfuient encriant. Visité les ruines d’une //

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[FRAN_0287_0056_L] [pages vides][FRAN_0287_0057_L] [p. 25-b v.]

[en face du 1er décembre]Température +31°

V3 Le Christ a su – par sa bouche où naissait la vérité consolatrice – prononcer lesbonnes paroles qui bercent, au moins, la misère humaine, empêchent les déshérités desentir avec colère leur délaissement et l’inégalité des conditions.

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// ancienne forteresse hollandaise. De gros et anciens canons dorment maintenant auprèsde plusieurs amas de boulets déformés et agrandis même par une épaisse couche derouille. Le figuier sauvage, cet arbre des ruines, avec d’autres plantes y croisent pêle-mêle recouvrant le passé de leur fouillis qui rend la marche difficile. Et tout dort depuisles siècles de cette sorte de torpeur ou d’ensevelissement plutôt[,] gardant dans leur r sarigidité de métal l’énigme profonde des temps anciens, rappelant dans cette immobilitééloquente ce que furent les hommes ici, autrefois.

1er décembre 1912 – Dimanche. Jour de l’Avent ; il doit faire froid en France : ici c’est du+31° à midi. Les hommes sont allé [sic] à terre excursionner cette après-midi. Nombred’œufs et d’oiseaux (des fous) ont été victimes. Le soir, à leur retour, le pont en estencombré. Cochons, poules, chiens, chat, oiseaux, requins qui pendentlamentablement[,] tout y est pêle-mêle dans ce milieu hétéroclite. Soir j’ai dessiné aucouchant le pic (côté du Cachore). Les forçats, réunis pour la circonstance, ont mis ausec la “balsa”. Désormais il faudra aller au plein avec le canot pour assurer lacommunication avec la terre.

2 décemb. 12. Lundi.Pris dispositions d’appareillage en vue de notre partance demain. Nous allons sans

doute avoir la poste à bord. Peut-être irons-nous à Pernambuco avant Rio que nousattendons avec une pointe d’impatience devant y trouver des nouvelles de la famille.Nous avons essayé aujourd’hui les cartouches de dynamite pour la pêche ; l’effet estédifiant. Soir de quart.

Départ de Fernando de Noronha le 3 déc. 1912 à 14h3 décembre 12. Mardi.

Repos pour moi. Sur le pont ce sont les dernières dispositions pour l’appareillage. LesFrançais d d’ici sont venus faire leurs adieux ; ils ont pris un bon bain malgré eux ; lepire c’est qu’ils avaient pris leurs précautions pour ne pas se mouiller !Nous avons en partant la satisfaction de penser que nous avons pendant notre courtséjour ici mangé beaucoup de langoustes pêchées au trémail, beaucoup de bananes et denoix de coco. Partis vers 2h. Signalé au sémaphore. Des adieux partent de la côte. Bonvent. Côte sauvage où les pylônes de la sans-fil contrastent par leur modernisme. Houlefatigante. [sténo.] Le second est malade.

4 décembre 12. Mercredi. Bonne marche. Houle.5 décemb. 12. Jeudi. Houle qui berce et endort.6 décemb. 12. Vendredi. Menus travaux.7 décemb. 12. Samedi. Beau temps. Rien de particulier. //

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[FRAN_0287_0058_L] [pages vides][FRAN_0287_0059_L] [p. 26-b v.]

[en face du 11 décembre]RC SO ¼ S

L 15° 46’ S

[en face du 12 décembre]RC SO ½ S Couvert, orageux.

[en face du 13 décembre]RC SSO ½ O Cumulus

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8 décemb. 12. Dimanche. Beau temps. Repos. Dans l’après-midi mis les 2 flèches en place etla fortune. Belle mer. Qq poissons volants.

9 déc. Lundi. Fourbissage.10 déc. Mardi. Fourbissage et travaux d’entretien.11 déc. Mercredi. Beau temps. Mis le canot à la mer pour photogra. le bord. Étrange sensation

de quitter son navire en pleine mer. Mouvements désordonnés du canot à cause de lahoule. Horizon restreint. Rentré après avoir pris plusieurs clichés. Le soir le vent tombe.Dans la nuit, temps couvert, sombre. Mer phosphorescente.… Et les journées s’écoulent[,] en attendant notre arrivée à Rio[,] très régulières. Lamonotonie est rompue par la vue de qq cétacé qui s’ébat, des minuscules poissonsvolants, des navires qu’on rencontre, des oiseaux marins et enfin par les splendideslevers et couchers de soleil dont la beauté inouïe fait oublier tout. Constamment bercéspar cette houle on ne s’ennuie pas.

Les poules, cochons, tourterelles embarqués à Fernando, chiens et chat ainsi qu’unpalmipède qu’on avait conservé à bord et (qui a disparu), tout ce monde s’accorde tantbien que mal. On s’aperçoit facilement de leur présence à bord par la saleté qu’ils font.Et tout cela nous procure un peu de distraction !

Et je pense en ce moment aux pauvres grillons qui nous rappelaient les idylleschampêtres et le chant du pâtre par leurs cantilènes. Maintenant ils ne sont plus.

12 déc. Jeudi. 8h soir. Dans la nuit la brise s’est levée. Grande houle. Ce soir lune“embrumée”. Qq. éclairs dans l’Ouest. Le temps est à l’orage. Avons commencéaujourd’hui grattage vedette. Sommes (sans doute) à moins de 400 milles de Riomaintenant.

13 déc. Vendredi.Temps beau mais couvert par de nombreux cumulus encombrant tout le ciel et noustenant sous la menace d’un orage qui n’éclate pas ou qui avorte en petits grains commece soir. Minuit en quittant la barre un peu de brise ; belle mer. La lune s’est couchée ;nuit noire et temps dégagé un peu sur notre gauche la Croix du Sud semble perdre à tourde rôle un de ses bras dans quelque vapeur qui traîne bas à l’horizon – Aujourd’huicommencé grattage capot arrière au lieu de terminer la vedette ! [sténo.] Le paquet denerfs Delmas[?]2 recommence à nous emmerder.

14 déc. Samedi.Même temps. Continué grattage.

15 déc. Dimanche.Vers 1 heure 1/2 du matin grain brusque et violent. Repos dans //

2 Ici figure un nom propre que l’on n’arrive pas à identifier : la transcription la plus logique semblerait être D/T, L/R,M, A/O. Cela pourrait donner un nom plausible tel que Delmas ou Dermot, mais à notre connaissance, aucun membrede l’équipage ne possède un nom approchant. Il pourrait s’agir dans ce cas d’un prénom ou d’un surnom, ou bienencore d’un patronyme peu lisible : Charles ? D’Anglade ?

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[FRAN_0287_0060_L] [pages vides][FRAN_0287_0061_L] [p. 27-b v.]

[en face du 17 décembre, minuit]RC ONO Couvert

[en face du 20 décembre]Température +33°5

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// dans la journée. J’ai pu me laver aujourd’hui et avec quelle joie ! Depuis si longtemps,nous avons la peau brûlée, les pieds, les bras et surtout le cou par le soleil. La peau et Leteint du visage est particulier maintenant et nous en avons ainsi pour de nombreusessemaines !Dans l’après-midi taches roussâtres et nombreuses à la surface de la mer. Cela provientdes hauts fonds. Nous sommes ici par des fonds (de corail) qui varient de 60 mètres à1 500 et 2 000 rapidement. Coucher de soleil superbe.

16 déc. 12. Lundi.Changé les amures, enfin ! Depuis Madère nous avions je crois la même allure. Il y auramoins de “gîte” dans ma couchette. La brise semble vouloir fraîchir au soir. Houle.

17 déc. Mardi.Roulis violent[,] la brise est forte. Houle de NNE. Bonne allure pour la 1ère fois à la“Curieuse”. Cette nuit nous avons dû passer par le travers du cap San-Thomé. Croisé qq.vapeurs. Signalé avec un Anglais dans l’après-midi. Comptons arriver demain à Rio deJaneiro de bonne heure si la brise continue. 15 jours aujourd’hui que nous sommespartis de Fernando.

Minuit : la brise est tombée même celle de terre. Sommes par le travers du feu du capFrio Négro (le feu de) ne se voit pas encore [sic]. Nous allumons le moteur pourfranchir les quelques 60 milles qui nous séparent de la capitale du Brésil. Temps à rosée.

Arrivé à Rio de Janeiro le 19-12-12 à 1h matin18 déc. Mercredi. Avaries au moteur. Travail toute la journée pour réparer. Calme avec voiles

battantes. Remis moteur en marche vers le soir 5h. Remis en route sur Rio duquel nousnous sommes insensiblement rapprochés. Toujours calme le temps. Brume épaisse audéclin du jour nous promettant une nuit calme mais très humide.

19 déc. Jeudi. Arrivé à Rio vers 1h du matin. Mouillé à l’entrée de la rade. Illuminationimmense de la ville. Nuit humide. Dans la matinée changé de mouillage. Nombreuxnavires de commerce, voiliers, navires de guerre. Propreté et grand travail à bord.Potasse et Cie.

20 déc. 12. Vendredi. Dans Hier après-midi reçu les lettres de France. Pauvres enveloppes quidisent beaucoup ! Remuent en vous bien des choses : les “nouvelles” sont anciennes.Aujourd’hui travail. Pris vin à bord de l’Ouessant.

21 déc. 12. Vendredi. De quart. Canot fatigant pour faire le service. Pris une 2e barrique devin à bord de l’Ouessant. Temps à orage. //

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[FRAN_0287_0062_L] [pages vides][FRAN_0287_0063_L] [p. 28-b v.]

[extrait de journal : photo découpée de Raymond Rallier du Baty. Au crayon :]

Brésil. Rio de Janeiro. Journal illustré “O Imparcial". 27 décembre 1912.M. le capitaine au long cours R. Rallier du Baty, commandant “La Curieuse”.

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22 déc. Dimanche.Fait le mouvement ce matin en espérant avoir un mouillage meilleur en nousrapprochant davantage de terre. Sommes encore plus loin. Sûrement il y a eu erreur dela part du pilote dans les instructions qu’il a reçues à notre sujet. Repos ; lavage delinge. Temps à l’orage. Et tout doucement nous nous approchons de Noël et du 1er del’An. Ici il fait lourd ; en France ils doivent geler. Combien de temps allons-nous resterici ? Après notre départ de Rio nous resterons longtemps sans nouvelles ;, peut-êtrejusqu’en Australie. Et d’ici nous devons faire Tristan da Cunha ; les Kerguelen, sanscompter les autres ! …

23 déc. Lundi. Propreté et grattage des vernis qui sont à refaire.24 déc. Mardi. De quart. Grattage. Temps à pluie. Soir réveillon à 11h30. J’avais compté

passer la Noël à la mer ; il y aurait eu un peu plus de poésie, moins de tristesse…25 déc. Mercredi (Noël) Beau temps au matin. Pluie dans l’après-midi. Sommes toujours au

même mouillage. Le canotage devient un cauchemar qui ne s’évanouira sans doute qu’ànotre départ d’ici. Noël aujourd’hui. La pensée est loin ; la neige dans les campagnes deFrance ; ici le temps lourd, humide, avec pendant les nuits les beuglements des sirènesdes vedettes qui parcourent la rade. En cette terre brésilienne peu de vie, peu de reliefs ;c’est plat, tranquille. J’ai reçu les 2 ouvrages “El Ktab” et “Force Pensée”. Enfin !Repos.

26 déc. Jeudi. Grattage. Propreté.27 déc. Vendredi. Grattage[,] propreté. Travaillé au moteur vedette.28 déc. Samedi. Grattage. Continué travail vedette. Soleil & vent.29 déc. Dimanche. Repos. Beau temps, chaud.30 déc. Lundi. Propreté.31 déc. Vendredi. Propreté. L’année s’achève. Ici ce n’est pas le cadre de décembre auquel

nous sommes accoutumés. De la chaleur lourde et humide avec menace perpétuelled’orages qui n’éclatent pas toujours au lieu des journées froides et des nuits profondes etlumineuses de France en cette saison. [sténo.] Le soir, le second est retourné del’hôpital. [?]Pluie toute la nuit. Le cauchemar du canot continue toujours.

19131er janvier 1913. Mercredi. Une année vient de fuir emmenant par son agonie l’évocation du

passé et faisant involontairement tourner les yeux sur l’avenir. Toute la nuit il a plu.Nous avons déposé à l’arrière des lettres individuelles renfermant les souhaitsclassiques. Cette journée est par excellence celle où l’être humain //

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[FRAN_0287_0064_L] [pages vides][FRAN_0287_0065_L] [p. 29-b v.]

[Coupure de presse : photographie de La Curieuse dans le port de Rio ; légende :]

(Brésil) Rio de Janeiro Navire explorateur français “La Curieuse”Journal illustré O Imparcial[,] 27 décemb. 1912

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[p. 30-q r.]

// déploie le plus d’hypocrisie et où la bouche profère le plus de mensonges. Si lecontraire était, ce ne serait pas la véritable manifestation de l’esprit humain ! Doucejournée pour les uns[,] assommante pour d’autres. Ici en rade, loin de tout, nousn’assistons pas à ces manifestations plus ou moins sincères. Le temps, pluvieux àl’excès, nous incite à la tristesse voire même un peu de mélancolie contre laquelle il fautréagir. Pendant la nuit il y a eu dans la rade, au dessus des nombreux navires qui y sontmouillés un immense bourdonnement émanant des cloches diverses. Cela a été quelquechose de long et profond que j’ai perçu presque inconsciemment dans mon sommeil.C’était comme une clameur argentine, au dessus de l’onde lumineuse, comme un adieutrès doux, en même temps très grave, à l’année qui s’achevait et un appel et un salut àcelle qui s’annonçait. Nous avons formé des souhaits pour la réussite de l’entreprise.

Repos toute la journée.2 janvier 1913. Jeudi. Propreté à bord.3 janv. 1913. Vendredi. Propreté. Fait le mouvement pr nous rapprocher de terre. Le

cauchemar diminue simplement mais ne s’évanouit pas.4 janv. 13. Samedi. Propreté. Peinture.5 jan. 13. Dimanche. De quart. [sténo.] Aujourd’hui Serrandour s’est enivré. Total retrait de

ses fonctions.6 janv. 13. Lundi. Repos. Au matin allé dans la vedette. Panne survenue au milieu de la rade.

Aviron.7 janv 13. Mardi. Propreté et peinture.8 janv. 13. Mercredi. Propreté et peinture. [sténo.] Serrandour est allé chez le consul. Il

débarquera.9 janv. 13. Jeudi. De quart. Au matin mis canot sous palans et nettoyé sa carène vraiment sale.

L’eau de la rade a ce privilège de salir énormément les coques. Après-midi pluie. Mis del’ordre dans matériel du “pie” [sic pour « nid-de-pie »] et du poste. Pendant la nuit,grains, avec houle comme à la mer. Nous roulons.

10 janv. 13. Vendredi. De repos. Temps gris et humide, chargé de vapeurs. Nous avons apprisnotre départ pour aller d’ici pour Buenos-Ayres [sic] ? Tant que nous ferons des escalesque je connais déjà je ne considérerai pas le voyage aussi intéressant.La solitude morale est chez moi toujours la même. Personne avec qui je puisse échangermes idées, communiquer. Par auto-suggestion je fais en sorte de me dédoubler et … jecause avec moi-même. Heureusement il y a à bord de bons livres pour se distraire etsurtout les ouvrages de mes professeurs qui ne me quittent pas. La contrainte, dans l’étatd’esprit cité plus haut diminue donc.

Allé à terre visiter la ville de Rio de Janeiro. Très belle. Beaucoup de mouvement.Les autos sont inombrables [sic]. À la nuit tombante la pluie menace, l’eau devientphosphorescente. De la petite île située près de nous des accents de musique nousparviennent.Fait fonctionner le moteur avec mécanicien de terre. //

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[FRAN_0287_0066_L] [pages vides][FRAN_0287_0067_L]

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11 janv. 13. Samedi. Temps à grains. Peinture. Propreté et visite des boîtes de conserves. Lesmécaniciens de terre sont à bord toute la journée.

12 janv. 13. Dimanche. Je suis de quart aujourd’hui à cause de Serrandour qui débarque.Grains dans l’après-midi. Débarqué vers 2h par orage. Il prendra passage sur le“Formosa” des Transports Marit. de Marseille. Toute la journée visite des jeunes gensd’ici qui viennent en yole. Soir fête à terre. Défilé inombrable [sic] d’autos. Pluie.

13 janv. 13. Lundi. Repos. Temps à grains.14 janv. 13. Mardi. Travail au moteur. Il s’effectue à bord un travail d’ajustage fort délicat

pour être fait par nos moyens. Puisse-t-il être utile. Confectionné une “gratte” en ferpour la coque.

15 janv. 13. Mercredi. Moteur fonctionné au matin. Chauffe encore ! Nettoyé. Après-miditravail dans la cale. Soir de quart. Pluie grosse, on se croirait ici dans une Chiloëe3 duPacifique où il pleut, dit-on, depuis les siècles du monde. Phonographe.

16 janv. 13. Jeudi. Repos. Un peu de soleil ce matin mais pâle et faible comme le sourire d’unmalade. Grattage coque et travail au guindeau. Lu quelques journaux de France. Houleet roulis comme à la mer.

17 janv. Vendredi. – Au matin beau temps. Allé chez opticien prendre chronomètre laissépour réglage, cartes, lunette etc.. Allé à l’observatoire prendre un baromètre. Vunombreux appareils d’une délicatesse inouïe. Propreté de la vedette et fait fonctionnermoteur. Après-midi venu un monsieur qui s’en est rendu acquéreur ! Un débarras parexemple. Soir allé dans un coin lointain de cette grande rade. Nombreuses pannes[,] tropd’huile, bougie constamment encrassée. Après travail fatigant arrivé au but vers 9heures. Pris tramway. Soupé à la hâte avec [sténo.] le second. Grande promenadenocturne. Allé café-concert. Rentré vers 11h30 soir avec des pêcheurs qui nous ontconduits à bord.

18 janv. Samedi. Au matin pris dispositions pour appareillage. Le cauchemar du canot dureencore en attendant qu’il s’évanouisse. Appareillé à 2 heures. Mouillé vers 3 heures enface d’une petite plage. Allé à terre couper bambous et prendre sable. Chaleur grosse.Liannes [sic], cocotiers, bananiers, plantes exotiques et flore tropicale sans oublier leslézards. Rentré vers 5 heures à bord. Travaillé (pour ne pas changer) au moteur. Encoreun démontage ! N’appareillons pas de cette nuit. Temps clair.

Départ de Rio de Janeiro dim. 19 janv. 5h matin19 Dimanche. À 5h viré chaîne. Il y a un mois aujourd’hui que nous sommes ici. Personne ne

s’est guère amusé avec la vie si chère. Moteur et faible brise. Repos. Dans l’après-mididistraction en pêchant des dorades (très riches en couleurs). //

3 Isla Grande de Chiloé, île du Chili, située à près de 570 km au sud de Concepción.

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[FRAN_0287_0068_L] [p. 31-q v.]

20 janv. 13. Lundi. Brise nulle. Chaleur étouffante sous le ciel clair. Houle qui endort. Tempsinfiniment monotone à travers ces lenteurs de sommeil et au milieu de ces grandssilences. Pêché dorades.

21 janv. 13. Mardi. Une torpeur indéfinissable qui vous gagne sous le grand soleil qui flambe.Brise nulle ; mer plate avec de la houle. Le soir à l’heure du déclin la chute de l’ombresemble nous amener une faible brise et un semblant de fraîcheur. Et la nuit, la grandenuit solitaire s’étend sur nous. Les grands silences planent au-dessus de l’immensitémarine éclairés qu’ils sont par les reflets naissants d’une lune ronde, énorme, sanglantequi se lève au milieu des nuages qui flottent bas dans l’Orient. Et les êtres et les chosesau milieu de cet assoupissement prennent des airs drôles. La houle berceuse anime unpeu notre navire ; les mouvements sont comme indécis, incohérents comme dans lesrêves avec toujours ces mêmes lenteurs de sommeil…

Le soir couchons tous sur le pont. Confectionné pétrin en bois.22 janv. 13. Mercredi. Temps chaud. La série de beau temps continue comme pour mieux

nous le faire regretter sans doute si nous attrapons du mauvais temps. Prenons dans lajournée toutes les allures et tous les caps évidemment. Travaillé armurerie.

23 janv. 13. Jeudi. – Temps calme. Continué armurerie. Grains. Pêché un requin femelle (crocà émerillon) 5 petits, 2 m 40 de long. Soir à 18h moteur en marche. Stoppé à 23 heures.Petite brise avec grains.

24 janv. 13. Mercredi. – Le temps a changé et bien changé. Le matin vers 5h coup de ventrappelant le fameux “pampero” particulier aux côtes de l’Amérique du sud. Pris la cape.Grosse mer. Houle du Sud. Filé de l’huile (comme exercice). Dérive forte qui nousprotège un peu contre le choc des lames. Un peu frais. Ce soir temps couvert ; pas delune avec gémissements dans la mâture. Sur le pont, pendus au pied du mât de misaine,ne sont plus les bonites et les dorades qui jetaient dans la nuit une tâche [sic] lumineuseémanant de leur phosphorescence.

25 janv. 13. Samedi. – Faible brise. Fourbissage et “briquage” du poste. Mis moteur enmarche à 14h. Serré toile… Dans la nuit calme éclairée par une lune d’argent qui a euun magnifique lever c’est, à travers les manœuvres, comme un susurrement, comme laplainte monotone d’une oraison funèbre… d’un récit plaintif de prières mortuaire [sic],d’une psalmodie. Et ce [mot barré illisible] chant liturgique vous berce et vous endorttout comme la houle immense et douce qui nous porte.

26 janv. 13. Dimanche. Beau temps. Repos. Stoppé moteur ce matin à 6h30. Un peu dephonographe. Le soir coucher de soleil d’une splendeur inouïe qui défie toutedescription. //

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[en face du 30 janvier]Route “au plus près” – Houleuse. Temps à grains.

[en face du 1er février]R[oute] au plus près – Vent de SE. Houleuse ; très grosse.

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27 janv. 13. Lundi. Au matin un calme étonnamment plat. Des surfaces polies comme desmiroirs au point que s’y reflètent les agrès et la mâture ; ailleurs de grandes moires avecde petites rides. La mer semble recouverte d’un voile lourd. Ses ondulations immensesqui forment la houle donnent l’impression de quelque chose de puissant et deprofondément hypocrite sous ces apparences de calme, si calme que cela surprend…Chaleur vive. Croisé plusieurs vapeurs. Moteur fonctionne depuis ce matin 6h. Paliers etbutée chauffent. Soir un peu de brise. Avant le lever de la lune, des innombrables étoilesqui rayonnent au-dessus de nous dans les profondeurs sidérales, tombe doucement unelumière douces [sic], un peu froide, qui vous enveloppe, vous pénètre de son pouvoirocculte et vous porte à la rêverie…

Peint les bouées de sauvetage.28 janv. 13. Mardi. – Peint lettres des bouées. Propreté du moteur qui a été stoppé dans la

nuit. Fourbissage du compas.Le temps est excessivement monotone. Pas de brise ; peu de toile dessus les guis etsabots de pics qui gémissent au balancement produit par la houle. C’est un temps gris,nuageux, à grains que l’on voit crever à l’horizon. Ici quelques gouttes seulement. Maispas de lumière. Les êtres subissent manifestement l’invisible mais indéniable influencede la nature. Pour quiconque a le sixième sens un tant soit peu développé il lui est facilede réagir avec son entraînement. Les autres deviennent naturellement d’une humeurmassacrante et c’est alors que la dose de matérialisme apparaît et que le scepticismeridicule – et facteur principal du retard dans l’évolution intellectuelle et morale despeuples – deviennent évidents à celui qui sait voir par un sens qui n’est pas celui desyeux…

29 janv. 13. Mercredi. Au matin, calme plat. Mis moteur marche. Brise lève à midi ; elle estdebout par conséquent bien faite pour nous retarder dans la marche. Soir elle mollit.Serré toile. Clair de lune.

30 janv. 13. Jeudi. Et[?] le moteur À minuit moteur marche. Stop à 4h. Brise de NO favorable.Mer houleuse. Gros roulis et tangage. Continué l’aluminium. Soir brise tombe.

31 janv. 13. Vendredi. Au matin faible brise. Peint lettres des bouées. Aluminium. Après-midielle fraîchit. Soir forte. Petit foc en place. Pris ris dans les voiles. À remarquer lesalternances de vent froid et tiède. Voila qui est bien fait, par différence de densité, àamener le déséquilibre qui produit ces coups de vent, tourbillons etc. … Mer houleusedu S au SSO. Tangage fort. Phosphorescence. Temps à grains qui ne crèvent pas.

1er fév. 13. Samedi. – 1er fév ! Comme le temps passe vite ! Même brise toujours debout.Grosse dérive. Briquage poste. Soir le vent tombe. //

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[FRAN_0287_0070_L] [pages vides][FRAN_0287_0071_L] [p. 32-b v.]

[en face du 3 février]SO 1/4 S

[en face du 4 février]Gouverne à la lame. Vent de NE.

[en face du 6 février : croquis représentant un cadre de tableau ?]

Ciel gris sale

Horizon bande pourpre______________________________________________

Atlantique SudMervert bouteille

Coucher de soleil – Jeudi 6 fév. 1913. Rio de la Plata. Environ 6h45-7h

[en face du 7 février]RC O 1/4 NO. Clair

[en face du 8 février]RC. ONO. Clair. Brise de NE.

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2 fév. 13. Dimanche. La mer est tombée. Temps superbe et doux. Légère brise. Repos. Eautrès transparente donnant bien l’impression de la profondeur. Dans la nuit bel éclat de laCroix du Sud avec étoiles filantes. Calme avec houle légère.

3 fév. 13. Lundi – Calme au matin. Moteur en marche à 7h. Descendu vigie.4 fév. 13. Mardi – Moteur stoppé vers 2h matin. La brise se fait. Dans la journée elle fraîchit.

Pour une fois c’est du NE. Brise fraîche. Mer grosse. Gros roulis. Dans la nuit gouvernemal. Procédé à la toilette du baril de vigie.

5 fév. 13. Mercredi. Brise fraîche. Grosse mer. Striée. Des ombres passent sur les lamesproduites par le vent qui court. Pétrels dans la tempête. Au soir paré un coup de“pampero”. Manœuvre rapide. Qq. gouttes de pluie. Temps sombre avec éclairs. La merest tombée. Calme à 8h du soir. L’eau a changé de couleur. Sommes à l’entrée(embouchure) du Rio de la Plata.

6 fév. 13. Jeudi. Pluie et calme. Il fait presque froid. Nous sommes tout mouillés et sentonsl’humidité. Journée d’une indéfinissable tristesse. Soir la pluie cesse. Coucher de soleilunique. Un ciel gris sale ; une mer couleur vert bouteille et une bande pourpre, ou plutôtun trait de sang gigantesque délimitant nettement l’horizon. It is cold. [trad. Il fait froid]

7 fév. 13. Vendredi. Brume au matin dissipée au soleil levant. Beau temps et calme ; houlepersiste. It is warm now. [trad. Il fait chaud maintenant] Démonté encore une fois lemoteur après-midi je ne sais trop pourquoi. Si nous le conservons jusqu’à la fin de lacampagne celui-là nous pourrons nous estimer heureux ! Mis en marche pendant 2henviron. Soir calme presque ; faible brise ; établi voilure. Dans le SO. qq éclairs.

8 fév 13. Samedi – Calme au matin. Marche au moteur. Stoppé dans l’après-midi. Grattage dugrand sondeur. Minium. Remis en place baril de vigie. Nettoyage rapide du poste.Aperçu dans la journée des tortues de mer et de petits phoques. L’île Lobos (par letravers de laquelle nous sommes) est un lieu de pêche aux phoques. Relevé le feu deLobos par le travers 90° à 23h30. Nous allons tout d’abord à Montévidéo et aprèsBuenos-Ayres.

Arrivée à Montévidéo dimanche 9 fév. 13 à 21h9 fév. 13. Dim. Calme au matin. Moteur. Dimanche aujourd’hui. Repos. Travaillé démontage

moteur. Dépôts sur la surf. supér. du cylindre et sur la boule provenant de l’eau saléequ’on a introduite dans la caisse faute d’eau douce. Dans la soirée moteur a des accrocs.Rentrons à Montévidéo en pleine nuit. Cherché mouillage parmi tous ces navires. Avonsmis 22 jours pour venir de Rio de Janeiro.

10 fév. 13. Lundi. Propreté. Au matin changé mouillage. Mouillé les 2 ancres pour la premièrefois. Interview à bord et photographiés par le journal “La Razon”. Canotage. //

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[en face du 11 février]Clair, au soir

[coupure de presse à gauche : photographie de trois marins ; au crayon :]Montévidéo 10 fév. 1913Journal La Razon[légende] La marinería de “La Curieuse”

[coupure de presse à droite : photographie des deux officiers : au crayon :]Montévidéo – journal “La Razon”10 fév. 1913[légende] El segundo jefe, teniente de navio Mr. Loranchet, y el piloto, alférez de fragata Mr.

Saint Lannes Gramont

[en face du 15 février]Beau temps – chaud

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11 fév. 13. Mardi. Au matin pluie. Potassage du pont. Avons vu les photos. Boniments etbêtises au sujet des [sténo.] deux “officiers” du bord.Temps se dégage dans la matinée. Fait de l’eau douce. Sur rade de nombreux poissonsflottent et passent près de nous. Gratté coque à l’extérieur. Fourbissage. Au soir tempsclair et coucher de soleil superbe. Partirons-nous demain pour Buenos-Ayres ? [sténo.]Notre Charles est malade. Il se plaint. Le second est aussi malade !

Départ de Montévidéo le 12 fév. 13. Mercredi à 14h12 fév. 13. Mercredi. Propreté. Canotage à terre.À 1 heure viré les deux chaînes. Il y a dans le

fond de cette rade de Montévidéo une telle quantité de vase que c’est un véritablepoison. Le poste est transformé en porcherie. A 2h un remorqueur nous prend. Départ.Largué à plusieurs milles. Mis au moteur et à la voile. Soir temps menaçant. Vers 8h dusoir un coup de vent de SE violent ne tarde pas à manifester sa puissance. À 9 heuressommes obligés de mouiller les 2 ancres. Tangage violent. Grosses lames malgré le peude fond. L’eau jaunâtre de boue passe rapide le long du bord avec les embruns. Lamanœuvre a été dure et dangereuse pour amener la toile. On ne se croirait vraiment pasdans une rivière. Il est vrai que le Rio de la Plata est si large que nous n’en voyons pasles bords (en français : Rivière de l’Argent).

13 fév. 13. Jeudi. Le temps s’est un peu calmé. Appareillage dans la matinée. Nombreuxnavires de tous les bords. Dans la nuit apercevons la lueur de la ville de La Plata.L’ancienne capitale est devant nous, dans le lointain celle de Buenos-Ayres. Avonsmouillé encore [sic pour « ancre » probablement] B[âbor]d dans la soirée.

Arrivé à Buenos-Ayres le Vendredi. 14 fév. 1913 à 18h1014 fév. 13. Vendredi. Au matin vent assez fort. Appareillage vers 9h. Moteur et voilure. Vers

2h après-midi passé auprès du navire de la Santé. Mouillé et viré aussitôt la librepratique accordée. En route pour Buenos-Ayres que nous apercevons devant nous.Temps calme. Eau toujours jaunâtre. On aperçoit à sa surface la l vase qui brille ausoleil : elle remue, toujours agitée et forme une multitude de petits sillons.

15 fév. 13. Samedi. Nous sommes arrivés à Buenos-Ayres hier soir par un temps superbe.Foule sur les quais. Manœuvre assez longue pour prendre notre poste auprès du “Mont-Rose” des Transp. Maritimes de Marseille. Nombreux navires et remorqueurs. À peineamarrés, reporters, photographes, sont montés à bord. Pris au magnésium pour lesjournaux “La Prensa” et “La Nacion”. Aujourd’hui 15, samedi, beau temps, chaud.Propreté générale à bord. [sténo.] Nous allons toucher 90 francs. Boudoux va remplacerSerrandour ! C’était à prévoir.Au matin allé à bord du “Plata” chercher docteur. [sténo.] pour le second qui se saouleet va à l’hôpital. Visiteurs dans la journée. Après-midi repos.Je revois Buenos-Ayres après sept ans d’absence. Les souvenirs affluent depuis unecertaine “Suzanne” connue à bord de la “France” et par l’impression de bonté qu’elle aexercé sur mon esprit. //

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CE QUE VOIT LE PUBLIC

Je reproduis, ici, aussi fidèlement que possible, un dessin placé en 3e page du journal LaRazon de Buenos-Ayres, du Vendredi. 21 février 1913.

Un simple coup d’œil suffit pour être édifié sur l’adresse de l’exécuteur et surtout deses notions géographiques. Je ne recommande pas cette carte aux capitaines au long-cours soucieux de mener une entreprise qui ne consiste rien moins qu’à faire le tour dumonde !

[Dessin représentant un globe centré sur le Sud de l’Amérique du Sud avec le trajet et les étapesprévus de La Curieuse autour du monde]

Une partie de ce qu’on peut lire :“En el grabado que ilustra estas lineas esté diseñada la ruta que habrá de seguir elballenero “La Curieuse” en su viaje alrededor del mundo. Esta barca francés,comandado por el Sr. Rallier du Baty, será el primero que cruce el Canal de Panamadespues de realizar la vuelta completa al planéta por el hémisferio sud. …” etc. …

Dessin qu’on a essayé de rendre imposant en montrant notre planète roulant sa masseà travers l’espace. Mais cela ressemble plutôt à un globe énorme roulant également,silencieux dans le froid des immensités sidérales…

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16 fév. 13. Dimanche. Beau temps. Nombreux visiteurs à bord malgré que notre navire soitmasqué par d’autres. C’est réconfortant après les journées de mer de causer avec desFrançais. De leur visite il se dégage une impression de sympathie bien nette. On vousinvite à aller à terre, voire même à dîner et cela avec des gens que l’on voit pour lapremière fois.

17 fév. 13. Lundi. Propreté. Peinture cuisine. Potassage bord intérieur. Soir des visiteurs. Basl’ouvrage à 5h. Chaleur.

18 fév. 13. Mardi. Propreté. Peinture aux doris. Propreté dans la machine. Fait le mouvementavec le ballot seul à bord ! Quelle pochetée, Dieu ! Sommes à côté de l’ “Indiana” duLlyod Italien. Le “Bologna” (Italien) a démarré ce soir. Avons actuellement les amarresà quai, ce ne sera sans doute pas pour longtemps. Nous sommes harcelés par lesmoustiques qui semblent vouloir vous dévorer. Ceci me rappelle les années 1905-06passées en partie ici alors que je me trouvais à bord de la “France” et que j’essayais deconfectionner un hamac avec une couverture pour aller coucher sur la tamisaille ettâcher de me soustraire à leurs piqûres. Avons, ici, des nouvelles de France par lesjournaux Français.

19 fév. 13. Mercredi. Beau temps chaud. Propreté. Continué à gratter la mâture. Pluie dans lanuit.

20 fév. 13. Jeudi. Propreté. Continué grattage mâture. Après-midi court orage. Soir écritquelques lettres en France qu’emportera demain la Valdivia des Transp. Mar. qui partdemain pour la France.

21 fév. 13. Vendredi. Mouvement à cause des vapeurs. Continué grattage mâture. Lettresparties pour France par le Valvidia.

22 fév. 13. Samedi. Propreté. Potassage du pont. Terminé de gratter la mâture. Mixture aux“raccages” [sic pour « racage »] et vernis les fusées & pieds de mâts. Soir qq. visiteurs.Le “Cavour” (vap[eur] italien) nous empoisonne avec son charbon. Beau temps. Sur lepont où nous couchons, on sent un peu de fraîcheur à l’extrême matin.

23 fév. 13. Dimanche. Beau temps. Chaud. Journée monotone. À terre sur les quais nombreuxcurieux qui stationnent. A bord qq visiteurs.

24 fév. 13. Lundi. Beau temps. Sommes un peu moins empoisonnés par le charbon duvap[eur] Cavour qui a terminé hier dimanche son embarquement. Gratté le bout-dehorset huilé. Reçu un paquet d’ “Illustrations”[,] de magazines illustre et romans illustrésque des Français, venus hier à bord, avaient promis de nous envoyer. C’est très aimablede leur part.

25 fév. 13. Mardi. Beau temps. Gratté bout-dehors en dedans et petit gaillard. Huilé et vernisainsi que capot du poste. Je reproduis ci-contre un dessin stupide d’un journal d’ici ausujet de notre grand voyage de circumnavigation.

26 fév. 13. Mercredi. Aluminium. Propreté. Qq. visiteurs. Lavé et potassé le long du bordpour la peinture nouvelle. //

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[Coupure de presse intitulée La expedición de La Curieuse ; photo du haut :]El ballenero francés La Curieuse, en expedición de estudio por los mares antárticos, a su

llegada a la dársena norte.[photo du milieu :]

El jefe de la expedición, M. Rallier du Baty y la tripulación.[photo du bas :]

Una vista de la cubierta del buque.[au crayon :]

PBT illustré. Buenos-Ayres. 25 fév 1913.

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27 fév. 13. Jeudi. Aujourd’hui peint le long du bord. Hier soir nous avons (dans le poste)entendu : un grillon ! Est-ce l’un des mêmes de ceux qui étaient avec nous à Dakar ? Jene sais. Sont-ce des petits ? Depuis le temps comment auraient-il vécu ? J’ignore.Toujours est-il que la cantilène commencée sous le ciel d’Afrique se continue ici àBuenos-Aires. Et cette même “chanson noire” se continue ici comme là-bas sur la côteoccidentale avec la même énigme… la même incompréhension… Cela a pour effet, denous rapprocher quand même et toujours de France et nous permet d’éveiller lestableaux champêtres…

Il est question d’aller au “Tigre”4 c-à-d à une 30 de milles d’ici pour assister à unefête. (d’après une Revue illustrée).

28 fév. 13. Vendredi. Beau temps. Nous couchons toujours sur le pont. La nuit ce sont lesmoustiques. À l’extrême matin la fraîcheur. Cependant pas de traces d’humidité.Continué peinture le long du bord. Au matin allé terre chercher peinture blanche. Letemps a changé. Pluie. Pris tramway et allé jusqu’à la “Boca”5. Promenade assez longue.À midi 30 Charles le cuisinier musulman a été invité à se rendre chez le Consul (pourdébarquer). C’est le résultat de sa conduite. Pour un malgache devenu chrétien par suitede l’occupation française, il a conservé à travers toutes les vicissitudes sa mentalitémusulmane. Il a cessé d’être intéressant. Fourberie et mensonge, tel est le résumé de soncaractère. Quant au reste (que je crois connaître) je n’ai pas à le dire ici…

Toute la nuit nous sommes en éveil par les manœuvres des chalands qui accostentsans cesse le Cavour vap[eur] italien. Un peu de froid à l’extrême matin.

1er mars 13. Samedi. B[ranle]-b[as] à 6h matin. Lavage et propreté rapide. Disposition pourl’appareillage en vue de se rendre au “Tigre”. A 9h45 viré les chaînes. Pris unremorqueur qui nous conduit jusqu’à à environ 1 mille de Buenos-Aires. Mis au moteuret à la voile ; bonne voilure. Pilote à bord. Talonné plusieurs fois. Pris ensuite la rivièredu “Tigre”. Berges très proches et très sinueuses se déroulant à nos yeux émerveilléspresque. Verdure et qq. habitations dissimulées le long des rives. L’impression d’uncalme parfait vous prend à la vue de ces gens qui vivent là. Le rio est très long. Arrivé lesoir vers 6h. Mouillé presque à toucher terre tout près du casino. Demain il y a desrégates paraît-il… Musique etc. … en un mot travail en perspective. Nous avons eu àbord, aujourd’hui des passagers…

… 8h soir. Dans l’ombre qui naît des grands arbres qui surplombent les rives, lecrissement des cigales nous parvient tandis que des éclairs illuminent le ciel parinstants…

… Minuit. L’orage bat son plein. Le casino, l’hôtel, éclairés par en dessousparaissent gigantesques sous le fond noir. La pluie tombe à torrents. //

4 Arrondissement de la province de Buenos Aires.5 Quartier de la ville de Buenos Aires.

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[FRAN_0287_0078_L] [pages vides][FRAN_0287_0079_L] [p. 36-b v.]

[Coupure de presse :]Mundo argentino

[au crayon] 19 fév. 1913. Buenos-AiresExpedición antártica del ballenero francés “La Curieuse”

[photo de gauche : équipage]Los tripulantes del ballenero al mando del comandante Raùl Rallier du Baty ( X )

[photo du milieu : le navire amarré]“La Curieuse”, diminuto ballenero que se dispone a effectuar la expedición

[photo de droite : les deux chiens sur le pont]Luche y Fanchan, los dos únicos canes que completan el equipaje del ballenero.

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Page 93: Transcription du carnet de bord d’Albert Seyrolle (1887-1919)

[p. 37-q r.]

2 mars 13. Dimanche. Au matin la pluie a cessé. Les saules pleureurs de la rive “pendenttristement”. La fête annoncée pour aujourd’hui aura-t-elle lieu. Vers 10h tempss’éclaircit. A 3h après-midi une quarantaine d’invités hommes, femmes, enfantsembarquent. Nous appareillons et suivons les rives du Tigre sous le beau soleil. C’estune belle promenade. Rentré au même poste vers 6h soir.

3 mars 13. Lundi. Propreté au matin. Soleil chaud. Sur le Tigre, ronflement des moteurs devedettes, des sirènes… Sur les rives les mêmes peupliers, les mêmes platanes, lesmêmes saules qui pleurent toujours (A. Musset serait bien ici !) Et toujours aussi cemême crissement singulier des cigales dont le chant s’élève dans le ciel pâli de lumière.– Allé terre faire vivres. Appareillage vers 1h45 de l’ap. midi pour aller faire du pétrolepour notre moteur. Nous reprenons donc notre rivière, laissons le grand Rio de la Platasur notre droite et continuons. Nous entrons dans le Parana. Les rives sont les mêmes, lerio est un peu plus large ce qui diminue le charme. Les nombreuses habitations descolons se dissimulent dans la verdure. Ici, ils vivent loin du bruit des villes. S’ils sontmoins agités, menant il est évident une existence calme[,] n’ont-ils pas eux aussi leurspetits tracas ? … Vers 6h30 soir, nous sommes tout à coup harcelés, par d’innombrablesmoustiques qui sont insupportables. Sur le pont on se promène, en fumant, les chassant,avec des gestes de maniaques dans la pénombre. La nuit faite, nous marchons toujourspresque à toucher la rive. Quelques feux pâlots pointent dans l’ombre. Des piroguessans doute. Les grands arbres sont immobiles et les saules semblent toujours pleurer.Nous arrivons à Campana et mouillons vers 10h30 soir. Naturellement il ne faut pascompter dormir dans le poste. Encore une fois sur le pont.

4 mars 13. Mardi. Nous n’avons pas fermé l’œil de la nuit. Le pilote lui a sa moustiquaireavec lui en homme connaissant le pays. Beau temps. Fait le mouvement plusieurs foispour s’amarrer à un appontement. Dans l’après-midi embarqué pétrole. Rempli caissetribord sous la pluie battante. Soir il pleut. Et toute la nuit il en sera ainsi. Le mauvaistemps (grands éclairs et tonnerre illuminant le cours jaune du Parana) nous obligera àprendre possession de nos couchettes mais nous ne dormirons pas.

5 mars 13. Mercredi. Temps frais au matin. Viré l’ancre & appareillé vers 7h30. Au lieu derebrousser chemin nous allons continuer et remonter le Parana pendant 45 milles aumoins (je crois). Moteur en marche. Voilure établie. Il vente assez frais et nous avonsbeaucoup de “gîte”. Notre côté bâbord est constamment dans l’eau. Sur la rive les saulespendent toujours. Le vent qui les incline leur semble donner comme une attitude de fuiteperpétuelle. Q.q. bouleaux, frênes, palmiers, herbes marines. De vieilles bicoques (des“ranchas”) sont construites et cachées par le feuillage un peu partout. Les méandres sontnombreux et les courants violents par endroits nous obligent à manœuvrer souvent et àsurveiller la voilure… //

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[FRAN_0287_0080_L] [pages vides][FRAN_0287_0081_L] [p. 37-b v.]

[en face du 7 mars]Beau temps.

[en face du 8 mars]Beau temps. Chaud +31° Clair

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[p. 38-q r.]

Dans l’après-midi le temps s’adoucit et devient calme au soir. Sur les rives que noussuivons (tantôt l’une, tantôt l’autre suivant les fonds) c’est toujours la même profusiond’herbages et de saules pleureurs. Ces arbres paraissent toujours tristes malgré le décoradmirable, le Rio Parana qui s’enfonce devant nous, se dérobe, semble disparaître auloin sous le couvert des bois et sous le ciel pâli de lumière. Navigation de plaisance quivous porte à la rêverie, bien faite pour vous faire oublier un peu les heures grises et nousréconforter pour les heures noires là-bas… dans l’Antarctique !

… Le soir, au couchant. L’agonie rouge, immense et lointaine d’un soleil quis’enfonce dans le vert des plaines. Un peu de fraîcheur qui fait fuir les moustiques. Lanuit tombe ; elle est noire, si noire que nous distinguons à peine notre route. Il est vraique notre pilote (c’est celui du Présid. de la République argentine) est un hommeexpérimenté, connaissant tous les rios d’ici. Nous mouillons vers 8h soir. Sur la rive unfeu se montre. Des colons ? Oui. Et des Français. Nous causons puisque nous sommestout près… au-dessus de l’eau jaune de vase…

Je couche sur le pont enveloppé du foc. Au matin il est presque rigide ; l’humidité ouplutôt la rosée est très abondante.

6 mars 13. Jeudi. À l’extrême-matin je suis debout. Nous sommes environnés d’un brouillardintense. Le soleil levant le dissipe. Des vapeurs (courriers, cargot-boats etc...) passentprès de nous et font entendre ou leur cloche ou leur sirène. Nous nous rendons à terreavec notre canot pour faire quelques petites emplettes. Ils sont trois ces Français, vivantdans cette rancha construite entièrement par leurs propres moyens. Lui, le père est de laDordogne (nous causons donc patois avec un évident plaisir) Il ne s’attendait pas àcela ! Elle, la mère, est des Ardennes. Leur fille qui s’occupe de tout, chasse, canotage,mécanique, agriculture etc. … est née ici. Nous nous quittons après avoir échangéquelques petits souvenirs. Je leur cède suivant leur désir une photo de la “Curieuse”(prise à Southampton). La mère la fera encadrer. Puisse-t-elle le faire et en garder unagréable souvenir. Nous nous quittons et appareillons vers 8h. Temps clair. La brumes’est dissipée. Et notre route se poursuit. Les heures de barre quoique longues ne sontpas monotones. Le décor change un peu ; nous nous approchons du Rio de la Plata. Vers3h sommes dans Rio.

Dans le poste le grillon invisible reprend sa cantilène. Et vraiment on se sent un peurapproché de France au bruit de son organe ; il est vrai que nous y associons lecrissement des cigales des rives du Parana… L’auto-suggestion aidant, l’image mentaledevient plus forte, plus nette, augmentant le charme qu’on ne voudrait pas rompre.

Nous prenons un autre chenal ; nous rendons à la “Boca”. Arrivé à 23h30. Terminél’amarrage à minuit. Fini la vision des saules créoles !

7 mars 13. Vendredi. – Propreté générale. “Fait” de l’eau douce. Bas l’ouvrage à 17h.8 mars 13. Samedi – Commencé dans la matinée le démontage du moteur pour la visite des

paliers. Dans l’après-midi arrimé les bouteilles de lait et autres spiritueux de la cave. //

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[FRAN_0287_0082_L] [pages vides][FRAN_0287_0083_L] [p. 38-b v.]

[en face du 9 mars]Beau +30°

[12 mars]Beau +30° 4/10°

[13 mars]Couvert +28,29 9/10

[14 mars]+26° 6/10 Nimbus

[15 mars au soir]+21° au soir

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[p. 39-q r.]

9 mars 13. Dimanche. Avons-vu ce matin une vedette du croiseur “Descartes” arrivé ici.Parmi des visiteurs aujourd’hui s’est trouvé un ancien des sous-marins de Toulon (s/m“Ampère”. Après-midi, promenade sur quais. Vu mon ancien bateau “France”. TrouvéM. Luigi, second à bord. Rentré 18h30.

10 mars 13. Lundi. Propreté. Mastiqué et calfaté fissures mât d’artimon et remis le pied mât(toile) à neuf. Soir sorti avec Robert de l’expédition Charcot. Allé cinéma. Agréablesoirée où j’ai pu causer.

11 mars 13. Mardi. Propreté. Mastiqué et calfaté panneau arrière. Remis à neuf pied de mâtd’artimon (brai).

12 mars 13. Mercredi. Propreté. Mastiqué et calfaté panneau AV. Mis de l’ordre à l’AR oùrègne un fouillis sans nom. Mis trémail au sec.

13 mars 13. Jeudi. Mastiqué, calfaté panneau AV. Peint les “brais” de mât. Fourré, garniécoutes de foc. Dans l’après-midi temps lourd, orageux. Le soir vers 21h30 un violentcoup de vent (pampero) nous prend. Nous sommes assaillis avec une rapiditédéconcertante. C’est un hurlement dans la mâture et les agrès. Pluie torrentielle. La tentepart en “l’air”. Veillons sous la pluie à la lueur des éclairs. Des vapeurs, par paquets,cassent leurs amarres et partent en dérive dans la darsena sud. Pluie toute la nuit. Dansla journée remonté et fait fonctionner moteur.

14 mars 13. Vendredi. – Propreté au matin. Mis de l’eau dans [sténo.] caisse b[âbor]d pourcorriger la “gîte” au navire en vue de notre passage en cale sèche. Briquage poste. Viréchaîne à 11h. Pris remorqueur et fait un détour par les chenaux pour aller à darsenanorte. Amarré à quai. Le croiseur Descartes est parti [mot raturé] après-midi. Ironsdemain en cale sèche. Nous sommes harcelés non par les moustiques mais par uneespèce de fourmis ailées dont les piqûres sont comme des coups d’aiguilles. Soir sorti.Allé au cinéma à Baracas6 avec [sténo.] Rabre.

15. mars 13. Samedi. À 7h fait le mouvement par nos propres moyens pour rentrer au bassin.Y sommes à la même place que “le Français” ou le “Pourquoi-pas”[.] Derrière nous setrouve le vapeur autrichien “Laura” dont la grandeur forme un singulier contraste avecnous. Gratté et brossé coque. Dans l’après-midi commencé de passer une 1ère couche decoaltar.

Nous avons appris hier pendant que nous étions encore à quai, par des navigateursfrançais de passage, que certains organes de la presse française avaient, en France, faitcourir le bruit que nous “étions “au plein” dans la mer des Antilles” ! Comme c’estmalin !Ce soir, il y a eu, dans la salle du Collège Saint-Louis, une conférence (15 mois aux îlesKerguelen) faite par notre Commandant. Beaucoup de monde. Projections. Y avons tousassisté. Le public n’était composé que de Français. Très intéressant surtout l’allusionfaite à ceux qui sont tombés pour la bonne cause. //

6 Barracas, quartier de Buenos Aires.

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[FRAN_0287_0084_L] [pages vides][FRAN_0287_0085_L]

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[p. 40-q r..]

16 mars 1913. Dimanche. Travaillons toute la journée pour passer à notre navire une premièrecouche de peinture. Demain on remplira le bassin à cause du départ du “Laura”.Beaucoup de monde pour visiter. [sténo.] Le second est revenu hier. Naturellement !Seulement, se croire indispensable ici-bas, est une bien sotte prétention.

17 mars 13. Lundi. Continué peinture ; au matin rempli le bassin. Sortons avant midi (voir le18) et allons nous amarrer dans le 1er bassin. Propreté. Bas l’ouvrage à 4h. Soir allé àterre à Barracas. Je dois dire ici que pour 18 faire franchir une distance d’environ 6mètres à notre canot, un monsieur qui se trouvait dedans (au bassin) m’a donné 10piastres c-à-d près de 25 Fr !

18 mars 13. Mardi. Sorti du bassin. Hier, lundi, nous avons continué la peinture. (Je faiserreur, la journée du 18 doit être à la place du 17).

19 mars 13. Mercredi. Démonté complètement le moteur pour la visite des paliers. Journée degros travail. (Entraînement de métal).

20 mars 13. Jeudi. Continué le travail du moteur. Remonté.21 mars 13. Vendredi. Propreté générale dans la machine. Dans l’après-midi, potassage du

pont… … Les pavillons sont partout en berne. Aujourd’hui c’est Vendredi. Saint. En réalité

les hommes savent-ils ce qu’ils font pendant cet anniversaire sacré ? De plus avancésque moi m’ont certifié qu’ils étaient peu nombreux ceux qui le savaient… Nousprofessons peu de respect aujourd’hui pour ce drame sacré qu’est la Passion. La religionchrétienne est devenue un véritable commerce depuis que certains prêtres ont parodiéles paroles du Christ qui fut Homme parmi les hommes, notre maître à tous même auxathées, si toutefois ces êtres anormaux existent véritablement…

Aujourd’hui je me souviens avoir lu certains passages où l’on parlait de Lui ainsi quedu pays où Il s’en fut lorsqu’Il disparut de la scène du monde. C’est une terre decroyances, d’illusions, de fantasmagories où dans les temples, plus fermés que desplaces fortes[,] s’enseignent une religion et une métaphysique déconcertantes et qu’onappelle le vieux Tibet. En certain endroit on montre encore, je crois, parmi mille huttesabandonnées, le seuil d’un prêtre… miraculeux et très sain, qui avait des cheveux d’or,qui vivait il y a bientôt 2 000 ans, qui disparut un matin vers l’occident, sans que jamaisplus on ait entendu parler de lui et qui s’appelait en langue tibétaine : Jeshua – Jésus !

Dans notre société actuelle le vice a remplacé la piété ; l’hypocrisie est devenue lepropre de presque tous ceux qui vont à l’église y faire des grimaces. Au temps duCrucifié la politesse n’était pas, comme de nos jours un simple vernis…, elle nemasquait pas tant de choses crasseuses… tant d’égoïsme révoltant…

Cet homme, au magnétisme personnel puissant, crucifié et mort pour la fraternitémenteuse a eu le seul tort de naître avant son heure. //

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[FRAN_0287_0086_L] [pages vides][FRAN_0287_0087_L] [p. 40-b v.][en face du 22 mars]

+24°[23 mars]

+22°

[25 mars]Couvert au matin

[26 mars]Beau Frais au soir

[28 mars]Beau – +24°

[30 mars]Beau.

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[p. 41-q r.]22 mars 13. Samedi. Propreté au matin. Repos toute la journée pour remplacer notre journée

de dimanche dernier, passée au travail en cale sèche. Suis allé en ville dans la matinéechercher le produit d’une chasse. Dans l’après-dîner promenade sur les quais.

23 mars 13. Dimanche. Repos. Beau temps. Jour de Pâques ; nous l’oubliions un peu !24 marss 13. Lundi. Gymnastique dans la mâture. Cérusé les étais, galhaubans etc. …

Commencé à rider.25 mars 13. Mardi. Continué le ridage. Viré l’ancre et fait le mouvement. Accosté à quai.

Désarrimé la cale pour embarquer une partie des provisions demain. J’entends dire quenous devons partir au commencement de la semaine prochaine.

26 mars 13. Mercredi. Continué le travail d’arrimage dans la cale. On nous a apporté dansl’après-midi divers effets. J’ai pris quelques chemises, tricots, caleçons etc.… pourremplacer ceux brûlés par la sueur ou déchirés depuis notre départ d’Europe. Le soirpromenade à terre avec Robert qui est définitivement embarqué (3e voyage dansl’Antarctique). Nous avons rendu visite à Mme Maria T. de Guillard de la Croix-Rouge ; elle nous a fait cadeau d’un magnifique bouquet de fleurs artificielles que nousallons placer en évidence dans notre petit poste pour égayer un peu les yeux et orner lesplanches qui servent de cloison.

Ce soir le grillon s’est tu. Sa cantilène est-elle terminée ou bien la fraîcheur quicommence à s’accuser l’oblige-t-il à être silencieux ?

27 mars 13. Jeudi. Changé le portage des drisses. Matelotage. Redressé le vis-de-mulet du guidu dundee. Boulonné la lisse à t[ribor]d au pied de bossoir.

28 mars 13. Vendredi. – Matelotage. Repris les amarrages et enfléchures de hune. Après-midicommencé le goudronnage des agrès. Embarqué des provisions, notamment des vins,thé, café etc.…

29 mars 13. Samedi. Potassage général du pont. Après-midi nettoyage du poste.30 mars 13. Dimanche. Repos. Foule sur les quais pour admirer un courrier espagnol arrivé

dans la nuit. Plusieurs visites à bord.31 mars 13. Lundi. Beau. Goudronné la mâture. Travaux divers.

Ce soir j’ai – au moment où “j’amenais” les couleurs – rencontré mon vieuxChâtelain, mon ancien compagnon d’armes aux sous-marins de Toulon et de Bizerte. Ilest radiotélégraphiste à bord du “Formosa” des T[ransports] M[aritimes]. Sa rencontre aété pour lui comme pour moi une grande joie. Les souvenirs ont afflué ; ayant vécu dansle même milieu c’était inévitable. Comme le proverbe : il n’y a que les montagnes quine se rencontrent pas. J’ai également à bord du Formosa fait la connaissance d’uncapitaine au long cours (M. Malacau) avec qui nous avons pu – dans la cabine – causerlonguement sur le bord. Je n’ai rien à dire ici de cette conversation. Le souvenir seul mesuffit.

1er avril 13. Mardi. Divers travaux. Embarquement de vivres.2 avril 13. Mercredi. Travaux divers. Propreté. Dîné terre Châtelain & Robert.3 avril 13. Jeudi. Propreté. Un monteur de la maison Bolinder est venu pour la mise au point

du moteur. Va-t-il le mettre en état ?Embarqué un nouveau cuisinier. //

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[FRAN_0287_0088_L] [pages vides][FRAN_0287_0089_L] [p. 41-b v.]

[en face du 5 avril]Beau

[8 avril]10/10°

[10 avril]+23°

[11 avril]+22°

[12 avril]Beau +23°

[13 avril?]Couvert

[17 avril]Beau

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[p. 42-q r.]

4 avril 13. Vendredi. Propreté. Travaux divers. Allé à terre faire quelques courses. On a faitfonctionner le moteur. Les paliers chauffent encore ! Embarqué un cuisinier français.

5 avril 13. Samedi. Briquage du pont. Aluminium. Sommes empoisonnés par les vapeurs quicharbonnent. Essais du moteur : Les paliers chauffent toujours.

6 avril 13. Dimanche. Repos. Plusieurs visites à bord.7 avril 13. Lundi. Repris le ridage des haubans. Corrigé l’inclinaison du mât de misaine. Un

travail dont on aurait pu se passer. Quand on travaille il s’agit de le faire intelligemment.8 avril 13. Mardi. Pluie serrée au matin avec temps menaçant. Suis allé faire mes adieux à

Châtelain (vap[eur] “Formosa”) ainsi qu’au second M. Poli et M. Malacau, lieutenant.J’ai chargé mon ex-compagnon d’armes des sous-marins de Toulon et de Bizerte dem’adresser les derniers numéros de “la Vie Mystérieuse” en lui donnant, commeadresse, les îles Kerguelen via Durban. Quand les recevrai-je ? Nous n’y sommes pasencore aux îles. N’importe quand je les aurai ce sera pour moi un grand plaisir.

Aujourd’hui avons rereredémonté le moteur avec les mécaniciens de terre. Quanddonc les paliers ne chaufferont plus ?

9 avril 13. Mercredi. Fait les amarrages des haubans, guirlandes etc.. Confectionné unepantoire en fil d’acier pour les ancres.

10 avril 13. Jeudi. Propreté. Démonté appareil de la barre pour reprendre le jeu de tête.Embarqué diverses provisions provenant de cadeaux. Souliers américains. Soir allé terrefaire qq. courses.

11 avril 13. Vendredi. Propreté. Continué le travail de la barre. Garni de fer blanc la tête debarre et remis le chapeau de l’appareil en place. Travail d’autant plus pénible – quoiquefacile – parce que je ne travaille que de la main droite ayant la gauche blessée.

12 avril 13. Samedi. Potassage du pont. Embarqué huile à graisser. Lavage du poste quiressemblait à une écurie ! Terminé travail barre.

13 avril 13. Dimanche. Repos.14 avril 13. Lundi. Pluie continuelle. Fixé à l’arrière un abri pour thermo[mètre]s sec &

humide (psychromètre).15 avril 13. Mardi. Propreté. Les mécaniciens sont venus pour le moteur. Remonté et fait

fonctionner sans embrayeur ni butée en place.Les résultats ? Ils ne doivent pas être brillants.

16 avril 13. Mercredi. Remonté le moteur et essais. Nous sommes amarrés le long du“Deutschland” navire allemand qui est de retour d’une expédition antarctique. Devonspartir demain. Pris dispositions d’appareillage.

Départ de Buenos Aires le jeudi 17 avril 1913 à 15 heures.17 avril 13. Jeudi. Au matin pris les dernières dispositions. Viré les ancres. Appareillé à 3h

après-midi après les dernières visites d’adieux et souhaits d’heureuse expédition.Sommes cinématographiés au sortir des jetées. Le public argentin nous verra donc authéâtre pendant que le cinéma reproduira les actualités et que … nous serons en mer.Moteur en route et bonne brise. Dans la nuit (vers minuit 30) nous //

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[FRAN_0287_0090_L] [pages vides][FRAN_0287_0091_L] [p. 42-b v.]

[en face du 21 avril]Pluvieux

[24 avril]+21°

[27 avril]Beau – doux

[30 avril]Couvert.

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[p. 43-q r.]

talonnons plusieurs fois en passant le “Banc d’Ortise” [sic pour « Ortiz »]. La vitesse nouspermet de nous dégager et de continuer notre route sans encombres. À l’extrême-matinun peu de froid.

Arrivée à Montévidéo le vendredi 18 avril 1913 à 7h mat.

Vendredi 18 avril 1913. Arrivée ce matin à 7h après une bonne traversée. Mouillé aumouillage précédent ou à peu près. Propreté. Le mécanicien qui nous a accompagnédepuis Buenos-Aires débarque ce soir. Les essais sont satisfaisants ; ce n’est pasdommage ! Aurons-nous la chance dans les îles de voir ce moteur nous rendre sonservice ?

Samedi 19 avril 13. Changé de mouillage au matin. Rentré dans le port et amarré à quai.Pavoisé en l’honneur de la fête de l’Uruguay. Propreté générale. Bas l’ouvrage à 11h.

Dimanche 20 avril 13. Repos. Journée calme. Sacs.Lundi 21 avril 13. Pluie continuelle. Nettoyé l’armurerie.Mardi 22 av. 13. Propreté. Aluminium. Matelotage. Confectionné des pantoires en fil d’acier

pour le palan de retenue du dundee. Amarrages.Mercredi. 23 avril 13. Prop. Continué matelotage.Jeudi 24 avril 13. Disposé à l’AR des tringles pour l’amarrage des rideaux d’entourage de

dunette. Cette toile est appelée à nous abriter dans les parages froids. Robert qui a faitune escapade depuis 3 jours n’est pas encore rentré. Nous sommes sans nouvelles.

Vendredi 25 avril 13. Propreté. Travaux divers.Samedi 26 av. 13. Propreté. Potassé la peinture machine. Peint.Dimanche 27 av. 13. Repos. Confectionné un appareil pour le pointage en hauteur de notre

lunette astronomique (chêne d’Australie)Des matelots du 3 mâts-barque français “Jacques” sont venus visiter le bord. Nous leuravons fait croire que nous avions trouvé dans le ventre d’un requin (que nous avionscapturé) le crâne humain que j’ai dans ma couchette ! Nous avons bien ri après !

Ce voilier “Jacques” s’en va aux îles Kerguelen comme nous. Il doit prendre ici auxîles Malouines ou aux Falkland un chargement de moutons pour tenter l’élevage de cesanimaux là-bas. Peut-être nous portera-t-il des lettres après avoir fait escale à Falklandou aux Malouines7.

Lundi. 28 avril 13. Les toiles d’entourage de dunette sont en place depuis la semaine dernière.Elles nous abriteront bien contre les froids qui vont sévir bientôt. Travaux divers.

Mardi 29 avril 13. Propreté. Travaux divers.Mercredi 30 avril 13. Embarquement du pétrole dans la matinée. Démonté et conservé les

planches des caisses. Ces planches vont nous être utiles pour divers [sic]. L’huile àgraisser est aussi à bord maintenant ; le pétrole d’éclairage également.Demain 1er mai, déjà !

Jeudi 1er mai 13. [passage raturé, quasiment illisible]C’est l’évocation involontaire des paysages qui renaissent ; des sentiers //

7 “Malouines” est le nom français des îles Falkland

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[FRAN_0287_0092_L] [pages vides][FRAN_0287_0093_L] [p. 43-b v.]

[en face du 7 mai?]Pluvieux

[en face du 9 mai]Beau.

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[p. 44-q r.]

qui fleurissent ! Le mois de Marie avec sa piété et aussi ses espiègleries de la part des garçonset des jeunes filles. Il me faut presque un effort de mémoire pour revivre cela, ici, aumilieu de ce décor de l’Uruguay. Repos toute la journée.

Vendredi 2 mai 1913. Pluie toute la journée ; un temps bien gris et d’une monotoniedésespérante. Aucun travail à part cueillir de l’eau douce qui nous tombe du ciel.Puissions-nous ne pas regretter tout ce gaspillage pendant notre campagne ? Une fuitevient d’être découverte à la caisse B[âbor]d. Par flexion et travail au roulis, la soudureautogène que Bouzague nous a pourtant faite conscien en conscience s’est déchirée.Voilà donc encore notre départ retardé.Samedi Je me suis rendu ce matin chez M. de Maurel (des amis du poëte EdmondRostand). 45 m[inutes] de tram. parmi les rues de la ville de Montévidéo et de lacampagne de l’Uruguay pour diverses provisions dont on nous fait cadeau. Le mauvaistemps empêche les conducteurs de travailler. Retour par le tramway N°41 (Colon yLeyria). Rentré à bord à 13h.

Samedi 3 mai 13. Pluie torrentielle (le temps marqué à Vendredi est celui d’aujourd’hui).Aucun travail.

Dimanche 4 mai 13. Au matin repris le tram pour la villa Granjafiol[?]. Retour par un camion.3h environ de trajet. Arrivé à bord vers 1h30. Dans l’après-midi l’équipage du“Jacques” vient à bord. Qq. gouttes de pluie. Il y a un mois aujourd’hui que nous avonsembarqué un cuisinier français à Buenos-Ayres. Il a fait une partie de son service dansla Flotte (avec campagne de Chine – croiseur français “Descartes”), et une autre dans laLégion Étrangère. – (?) Robert ne donne plus signe de vie. Il est probable que demainnous embarquerons un autre maître d’hôtel.

Lundi 5 mai 13. Embarqué un autre maître d’hôtel. Travaux divers. Confectionné un tiroirpour la cuisine. Des ouvriers anglais viennent à bord pour la soudure autogène et pourpercer un trou d’homme à la [sténo.] caisse B[âbor]d.

Mardi 6 mai 13. Travaux divers. Continué le trou d’homme. Remis à poste les planches de lacale.

Mercredi 7 mai 13. Continué le trou d’homme ; mis une porte en place. Arrimage de la cale.Pluie dans la soirée. Cloué de la toile sur le panneau AR.

Jeudi 8 mai 13. Propreté. Fait le plein d’eau, ce qui nous corrige une “gîte” de 6 à 7° quidurait depuis plusieurs jours.

Vendredi 9 mai 13. (V. page : 45)

_________________________________________________________________________J’avais résolu, avant d’écrire ces simples lignes, de dédier le modeste journal

qu’elles formeront à tous les pleutres et à tous les cuistres ; à tous les hypocrites et tousles voleurs qui sont la honte de notre pâle société ; à tous les goujats et les sans-cœur quiévoluent tranquillement à travers notre atmosphère de fraternité menteuse ; à tous cesprêtres et pontifes qui parodient depuis des siècles la religion du Christ que le Koran desMusulmans //

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[FRAN_0287_0094_L] [pages vides][FRAN_0287_0095_L] [p. 44-b v.]

[en face du 9 mai]Belle

[en face du 10 mai](10 mai 13) Lo : 35° 41’ S (12 mai 13) Lo : 35° 33’ S

Go : 56° 13’ W Go : 51° 43’ W.(11 mai 13) Lo : 36° 09’ S

Go : 53° 43’ O.

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appelle « sublime moralisateur ». À tous les êtres, vils et lâches ; à tous ceux qui, arrivés audernier degré de l’abjection humaine et reniant tout ce qui est Beau, salissent la mémoire desScott, des Amundsen à la face desquels ils bavent leur venin ; bêchent les Charcot et autres. Àtous ceux qui par mauvais esprit jettent des bâtons dans les roues ; qui par jalousie évidentedénigrent les efforts des hommes de bonne volonté. À tous ces fainéants, apôtres du vilexemple, corrupteurs conscients, qui versent leur infect poison sur les âmes généreuses ; àtous ces avortons sociaux, pour la plupart décorés, cocus, battus et contents ; à tous ceux quiappellent fumisterie les expéditions scientifiques, proches ou lointaines, douces ou pénibles. Àtous ceux qui, sous notre soleil, assistent, totalement indifférents, à la déchéance humaine ennotre siècle de veulerie à outrance et d’appêtits grossiers et factices ; à tous ceux à qui le titrede Français devrait être impitoyablement enlevé. À tous ces matérialistes enfin qui, par leuraveuglement volontaire, ont formé la mentalité actuelle des peuples et qu’écrase le poids del’Occulte.

Mais, réflexion faite, j’ai songé aux petits, aux malheureux qui, dans l’obscurité, attendentd’un Christ par trop bafoué, quelques bonnes paroles qui, berçant, au moins, la misèrehumaine, empêchent tous ces déshérités de sentir avec colère leur délaissement et l’inégalitédes conditions. À tous ces travailleurs de la mer ; à toutes ces femmes rudes, qui valent biennos tristes mondaines ; et ces jeunes orphelins de nos côtes qui, de la douceur d’un foyer, neconnaissent que les embruns humides du large. À tous ceux – quels qu’ils soient – qui vont lefront haut, le regard droit, en parfait équilibre psychique et physique, s’élèvent au-dessus desmesquineries dont l’ensemble forme la plaie du monde ; calmes, poursuivant à l’aide de laVolonté toute puissante, leur Idéal élevé, travaillent et tombent pour la bonne Cause.

Alors, devant les souvenirs et sous leur influence, laissant les gâleux de côté et ne voulantsonger qu’aux bons, je préfère – et de beaucoup ! – dédier ces lignes que j’écrirai dansl’Antarctique :

À LA MÉMOIREDE MES CAMARADES INFORTUNÉS DES SOUS-MARINS :

LUTIN – FARFADET – PLUVIÔSE – VENDÉMIAIRE.

À CELLEDE TOUS CEUX QUI ONT PÉRI EN MER.

_______________

Départ de Montévidéo le Vend. 9 mai à 7h matin.Vendredi 9 mai 1913 – Nous sommes en mer ; cap à l’Est, faisant route vers les îles Tristan da

Cunha. Pour moi la campagne ne commence réellement qu’à partir de ce jour.En quittant Montévidéo ce matin, nous avons fait le tour du “Jacques” (trois-mâts

barque, du Havre) qui est mouillé en rade où il continue ses réparations nécessitées parun abordage en mer. Nous devons le retrouver aux îles Kerguelen où il va porter plus de1 500 moutons paraît-il pour en essayer l’élevage. Poussé 3 hurrahs le long du bord etsalué du pavillon.

Samedi 10 mai 13. Bâbord amures. Travaux divers.Dimanche 11 mai 13. Même allure. Un peu frais. Repos. Pris un albatros (au moyen d’un

triangle muni d’un flotteur). Recueilli q.q. parasites sur lui. Reconnu une tumeur.Lundi. 12 mai 13. Même temps. Nuit fraîche avec bonne brise. //

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[FRAN_0287_0096_L] [pages vides][FRAN_0287_0097_L] [p. 45-b v.][en face du 13 mai]

Lo : 34° 48’ 7’’ SGo : 50° 17’ 9’’ O[ues]t Couvert

[14 mai]Houleuse. Couvert

[15 mai]Temp. eau de mer : +20° Grains. Houleuse. Cumulo-nimbus

[18 mai]Lo : 34° 19’ S Go : 44° 11’ O[uest] Couvert au matin.

[25 mai]Lo : 30° 50’ S Beau, un peu chaudGo : 35° 26’ W Couvert au soir

[29 mai]En cape. (cap au NNE moyen)

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Mardi 13 mai 13. Houle. Tribord amures. Vent contraire. Travaux divers.Mercredi 14 mai 13. Changé les amures. Mer houleuse. Les embruns embarquent un peu

froids. Temps à grains. Roulis et tangage violents. Observations météorologiques.Aperçu dans notre sillage une tortue de mer. Recueilli du plancton et examen aumicroscope.

Jeudi 15 mai 13. Nous constatons aujourd’hui que toute notre provision de pétrole d’éclairageest perdue. C’est d’autant plus regrettable que nous n’allons pas pouvoir nous enprocurer de longtemps, les pays où nous allons ne doivent pas en avoir. La lumièrevenant à manquer c’est une grande privation que nous impose la négligence de [sténo.]Rabre. Temps froid et humide.

Vendredi. 16 mai 13. Changé les amures cette nuit. Vent arrière. Nous marchons. Aperçu dansl’après-midi une baleine.

Samedi 17 mai 13. Beau temps. Soleil qui réchauffe un peu. Les vents tournent à l’Est. Nuitde lune. Puisque le pétrole manque pour l’éclairage il nous faudrait une dynamo. Ah !Bien oui ! Alors nous serions au complet ! Avec ça et les petits oiseaux… Ce qu’il fautentendre !

Dimanche 18 mai 13. Repos.Lundi 19 mai 13. Visite des légumes secs.Mardi 20 mai 13. Rentré les lochs. Observations. Nettoyé et graissé les tourets des (fils de

sondeur de rechange).Mercredi 21 mai 13. Temps superbe. Huilé les cuivres.Jeudi 22 mai 13. Petits travaux.Vend. 23 mai 13. Propreté d’instruments. Essayé la bouteille Richard – Bons résultats.

Ramené échantillon d’eau à 50 mètres de fond seulement. La température de cette eaus’est montrée supérieure de 1/10 à celle de la surface.

Samedi 24 mai 13. Grains dans la nuit. Nombreux albatros derrière et autour du bord. Leurvol est superbe ; ils planent surtout et leurs ailes sont immenses à ces rois de l’air.Nettoyage des cuivres.

Dimanche 25 mai 13. Repos. Soleil. Brise molle. Fête des Argentins aujourd’hui (25 demayo)[.] Buenos-Aires, à l’heure actuelle, doit être en fête. Soir sombre. La lune estvoilée. Phonographe.

Lundi 26 mai 13. Temps chaud. Brise nulle ou par risées très faibles. Au soir temps secouvre ; la lune tarde à se montrer. La nuit est douce.

Mardi 27 mai 13. Travaux divers. Fourbi les cuivres et enduits d’une couche “d’Inoxydo”. Ausoir le temps se couvre.

Mercredi 28 mai 13. Dans la journée le temps change. Pris la cape au soir. La mer grossit àvue d’œil.

Jeudi 29 mai 13. En cape. Mer très grosse. Lames de 10 mètres. Roulis violent. Un cachalotde 12 à 15 mètres le long du bord. //

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Vendredi 30 mai 13 – Toujours en cape au matin. Grains violents. La mer tombe cependant.C’est un temps exceptionnel pour ces parages anticycloniques où nous nous trouvons.Nous dérivons énormément. L’huile de baleine, mise dans des sacs [passage raturé] aété filée pendant le gros temps8. Le roulis est énorme. Manger est une véritable corvée.Le canot a été soulevé de ses chantiers, les saisines cassées.

Samedi 31 mai 13. La mer tombe de plus en plus. La houle subsiste. Établi un peu de voilure.Dans la nuit grains avec saute de vent. Bonne marche. Soleil dans la journée.

Dimanche 1er juin 13. 1er juin ! La chaleur en France après le mois de Mai ! Nous sommesdans l’automne austral ici. Ce matin beau lever de soleil[,] beau temps. Dans l’après-midi le temps menace ; nous préparons l’huile de baleine prête à filer en cas de grostemps9.

Lundi 2 juin 13. Toujours le roulis et temps couvert. Enlevé et ramassé le dôme du compasétalon détérioré par le palan de retenue de grand’voile pendant un changement de panne.

Mardi 3 juin 13. La houle encore et avec elle son balancement. Tout roule à bord. Se tenirdroit ou marcher devient fatigant. Nous avons constaté que plusieurs coutures du pont etdu bordé manquent de calfatage. L’eau rentre. Réparé de fortune. Mis à l’extrême ARquelques placards de toile clouée. Au soir même roulis.

Mercredi 4 juin 13. Nous nous approchons tout doucement de Tristan da Cunha. Les crochetsque nous avons faits nous retardent. Nous sommes toujours sans pétrole. Encore 250milles environ et ce sera lors de notre arrivée au mouillage (si le temps et la houle lepermettent) un véritable événement dans la petite colonie. Nous préparons pour eux uncadran solaire qui leur donnera le temps moyen. Aujourd’hui temps couvert etmenaçant.

Jeudi 5 juin 13 – Temps couvert avec petite pluie. Gravé au ciseau le cadran solaire avec unedédicace et confectionné une arête triangle en cuivre pour la portée d’ombre. Soir tempsgris. Sommes à 125 milles de Tristan. La brise est bonne et pensons arriver demain.

En vue de Tristan da Cunha le vend. 6 juin 13[,] 8h ½ matinVendredi 6 juin 1913 – À l’extrême matin temps à “boucaille”. La pluie fine nous pénètre et

nous bouche l’horizon. Aperçu vers 8h30 du haut de la vigie une ligne blanche – celledes brisants de l’île – Nous sommes sur la terre. Manœuvré à la voile et au moteur etviré de bord. L’état de la mer ne nous permet pas d’accoster ; d’ailleurs il n’y a aucunabri. Nous prenons la cape. Toute la journée nous “capeyons” et dérivons énormément.Il y a aujourd’hui 28 jours que nous sommes partis de Montévidéo. Ce sont 28 jours demer sans rencontrer un navire seulement. Rien que //

8 « Filer l’huile » était une pratique de navigation, surtout utilisée à l’époque de la marine à voile, consistant à déverser de l’huile surle flanc au vent du navire, lorsqu’il est à la cape, afin d’atténuer les déferlantes et ainsi réduire le roulis.9 Voir ci-dessus.

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des oiseaux de tempête affamés qui entourent le bord avec obstination. Comme grostemps : le coup de vent que nous avons essuyé. Ce soir nous avons perdu la terre de vue.

Samedi 7 juin 13. En cape toute la nuit. La brise est tombée et n’avons tenu qu’avec nos focs.Au matin la brise se lève ainsi que la mer. Une éclaircie et encore de la boucaille.Changé la panne et à la recherche de Tristan da Cunha noyée dans la brumaille. Commece nom évoque la tristesse et combien le décor marin est gris ! Aperçu la terre vers 2haprès-midi. Le vert des cultures se dessine faiblement. Nous n’apercevons qu’une faiblepartie des falaises de 300 m. En nous approchant nous manœuvrons au moteur et à lavoile. Le pic est masqué par des brouillards très épais (environ 2 248 m). Dans l’après-midi mis en panne en face l’ “Établissement”[.] La cascade est en vue mais leschaloupes des insulaires, au sec, ne bougent pas. Au soir nous fuyons et prenons lelarge. Avons-nous été aperçus ? Si oui, l’état de la mer et l’heure tardive sont cause quenous n’avons aucune visite. Dans la nuit nous prenons la cape. 3 ris au dundee, lagrand’voile serrée, le hunier roulé, 1 ris à la trinquette et le petit foc. La dérive esténorme. Nous essuyons des grains de pluie. Un violent coup de roulis sous le vent nouscasse les saisines du canot, arrache les pitons d’attache et casse net aussi un ridoir àlumière et une filière en acier de la cuisine. Ce roulis rend la marche difficile, surtoutpénible.

Dimanche 8 juin 13. Ce temps gris et ce même roulis sont d’une monotonie désespérante.Toujours en cape avec la barre amarrée. Dans la nuit nous errons dans l’immensitémarine, les yeux abrutis par le pleins de sommeil avec notre mâture toute nue et nosvergues qui dressent leurs bras dans la grisaille toutes pareilles à des squelettes formantune croix géante qui se dresse, roule et tangue dans l’imprécis du vide.

Lundi 9 juin 13. Même cape et même lenteur de sommeil. Une sensation d’isolement vague ethumide s’empare des êtres ; nous ressemblons à un petit navire ayant besoin de secours.Au soir vers 6h30 mis le moteur en marche pour gagner un peu.

Mardi 10 juin 13. Au matin le temps s’éclaircit mais la terre n’est pas en vue. L’horizon estmasqué par des cumulo-nimbus. Le point observé nous apprend que nous sommes (àmidi) à 45 milles dans le NE de Tristan. Pris l’allure du plus près.

Communiqué avec l’île Tristan-da-Cunha le merc. 11 juin 13Mercredi 11 juin 13 – Dans la nuit le temps s’est calmé. Vers 4h du matin, l’horizon

débouché, nous a permis de distinguer le gris imprécis de la terre de Tristan. Au leverdu soleil – un lever sanglant qui ne promet rien de bon – nous profitons de l’occasion,très rare en cette saison, d’apercevoir le pic très nettement. Il est couvert de neige et lepoint //

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[à côté d’une tache]Gouttes d’eau tombant dans le poste d’équipage

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[p. 48-q r.]culminant qui bientôt se voile de vapeurs nouvelles et cela continuellement. Nousgouvernons sur l’ “Établissement”. Bientôt 2 chaloupes (bois et toile) montées nousaccostent tandis que nous mettons en panne. Les insulaires nous assaillent. Deséchanges divers se produisent ; ce qui nous donne l’occasion de manger quelqueslangoustes, poissons frais, du mouton, des oies etc. … Cette nourriture nous convientbeaucoup et nous change un peu de celle des conserves. L’eau douce ne peut être faitemaintenant, le temps devenant menaçant. Le chef de tous ces Anglais est Glass, petit-fils de celui qui d’après l’histoire, eût l’honneur de recevoir dans ses bras l’amiralanglais Nelson tombant etc. … La nuit se fait ; nous reprenons la cape ; ces parages sontvraiment inhospitaliers en cette saison. La mer grossit ; le ciel tourmenté à outranceavec de gros nuages qui courrent [sic] bas, chassés par le vent frais qui nous fait rouler.Les éclairs nous éclairent et l’eau est par instants d’une phosphorescence extrême. Noussentons le froid maintenant et le thermo de +13°4 est descendu à +8°.

Jeudi 12 juin 13. Nous nous maintenons entre les îles Tristan, Nightingale (?) etl’Inaccessible. La mer est grosse. Roulis énorme. Le pont est balayé par des paquets demer. Froid et gros grains de pluie avec grêle dans la nuit. Ciel chargé ; horizon bouché.La mer est grosse, la cape est dure. Je note ici un fait mémorable : on vient de désigner,à chacun, son poste de manœuvre ! Enfin ! Depuis un an ! Je n’en écris pas plus long !

Vendredi 13 juin 13. Dans la nuit la brise a fraîchi. La mer grossit à vue d’œil. Au matin elle“fume” sous l’intensité de la rafale qui souffle. Froid. De gros paquets de merembarquent. L’un d’eux venant de l’AR balaye et nettoie tout. L’abri météorologiqueest défoncé, cependant le psychromètre est sauf. Le chat – le seul que nous ayonsconservé jusqu’ici – est emporté. Quelques secondes après, cramponné au jersey quil’enveloppait (celui du chef de cuisine) nous l’apercevons faisant les délices des albatrosaffammés [sic] qui rôdent autour du bord parmi les pétrels géants, les oiseaux debaleines, les damiers, les satanites [sic]10 etc. …

Samedi 14 juin 13. Briquage du poste. Le temps se calme un peu. Allons-nous pouvoir enfinmettre nos effets à sécher au soleil ainsi que notre literie ? Tout est humide. Le canot estchaviré et amarré solidement pour que la mer ait moins de prise sur lui.

Dimanche 15 juin 13. Il ne faut pas compter sur le soleil !Le temps est redevenu plusmenaçant que jamais. Gros grain de pluie avec grêle. A midi c’est la cape avec un ris ! //

10 Pour « satanicle », ou pétrel tempête.

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[FRAN_0287_0104_L] [pages vides][FRAN_0287_0105_L] [p. 49-b v.]

[à côté d’une tache]Tâches d’eau suintant par le pont

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C’est la première fois, qu’à la mer, le vent souffle avec une telle violence Il y a moinsd’horreur, quand nous avons pour nous la lumière du jour. Quel dimanche ! On sedemande comment nous pouvons tenir avec un roulis et un tangage si violents. Où sont-ils ceux qui naviguent sur les paquebots géants ? Mer très grosse, toute lézardéed’écume. La nuit se fait vite ; la lune est masquée souvent ; tout autour de nous lesgrands oiseaux marins passent, silencieux, leurs grandes ailes lourdes d’humidité,étendues dans le gris des choses…

Lundi 16 juin 13. Nuit de grains et de froid. J’ai quitté ma capote pour mon “ciré” completcette fois. Quel temps ! Toujours en cape, sans soleil, petite chose mouvante sur lagrande chose mouvante aussi ! Il est difficile d’écrire au roulis. Dans le poste nousavons supprimé les deux planches qui nous servent de table. Il ne faut pas compterdessus pour manger. L’eau suinte un peu partout, dans les couchettes, par les trous despuits aux chaînes d’ancres qui traversent le pont. Les gravures que j’ai placées sur lescloisons (pour égayer un peu le poste) font triste figure, même la “Salomé” de Regnault,le martyr de Buzenval !

Mardi 17 juin 13. Le baromètre monte ; le temps se dégage un peu. Au soir nous faisons toileaprès avoir largué le ris de la voile de cape.

Mercredi 18 juin 13. Belle nuit avec grains très espacés. Gros cumulus et fracto-cumulus auzénith. Belle lune qui par instants éclaire la scène marine. Mer toujours houleuse.Sommes vent arrière. Fort roulis. Dans la journée le beau temps semble vouloir semaintenir. Allons-nous relâcher dans quelque port du Cap au lieu de faire route directepour les îles Kerguelen ? L’eau douce que nous n’avons pu faire à Tristan da Cunha àcause de la mauvaise mer, le manque absolu de pétrole d’éclairage, le charbon, le filindestiné à remplacer les drisses coupées etc. … seraient autant de motifs. Dans l’ap.-miditemps doux avec soleil qui nous permet d’aérer un peu. Changement de bordée encore ;c-à-d choses de polichinelle ! Aujourd’hui nous avons mangé du pain ; cela nous changeun peu du biscuit habituel.

Jeudi 19 juin 13. Temps maniable. La houle persiste. Nous marchons bien.Vendredi 20 juin 13. Même temps. Même roulis. Bonne marche. Nous allons relâcher à

Captown [sic]. Ceci nous permettra d’écrire aux familles et nous avancera de 8, 10 peut-être 1 an ! Les pays où nous nous rendrons ne sont pas privilégiés au point de vueP.T.T. ! Franchissons aujourd’hui le méridien de Paris. La nuit, ciel couvert d’alto-stratus rendus diaphanes par la lumière lunaire. Temps assez doux. Cependant la brisetend à mollir.

Samedi 21 juin 13. Briquage du poste. Temps calme. Vitesse diminue. //

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Dimanche 22 juin 13. Beau temps. Journée de soleil. Horizon nouveau auquel nous nesommes plus habitués. La houle tombe lentement. Depuis 20 ou 25 jours le pont étaitmouillé ; maintenant l’air sec nous permet de mettre au sec notre literie, vêtements delaine surtout imprégnés de sel marin. Nos vêtements huilés ainsi que nos bottes sontl’objet d’un soin spécial. Et l’huile de baleine dont nous nous servons pour le filage etgraissage fait le reste ; l’odeur ne nous gêne plus. Maintenant l’automne austral estmort. Son agonie a été bruyante par ses violents coups de vent de NO et affreuse parl’état de la mer et le décor marin d’une beauté grandiose et sauvage. Pluie froide, grêlecinglante, éclairs livides, nuits d’horreur etc. .. ont été ses dernières manifestations sousces latitudes. L’hiver [passage raturé] est doux pour l’instant en attendant les brisesglacées comme pour mieux nous faire regretter cette température très supportable. Mesmains sont toutes coupées : le dessus notamment est plein riche en plaies de toutessortes ; cela me rappelle la vie et le travail aux sous-marins.

Lundi 23 juin 13. Dans la nuit, brise molle ; voile battante. Journée couverte et très doucepour être d’hiver. Désarrimé la cale et mis un peu d’ordre parmi ce fouillis. Je medispense ici de tout commentaire.

Mardi 24 juin 13. Temps doux avec soleil. Tout le monde travaille sur le pont sec. Calfatageet masticage des coutures du pont. Il n’y a rien de surprenant. Les ouvriers de Boulogneont été peu scrupuleux et ceux qui les surveillaient auraient mieux fait de s’occuperailleurs. Résultat : les innocents paient pour les coupables. Mais ne faut-il pas s’éleverau dessus de ces mesquineries, de toutes ces choses dont le caractère peu sérieux sembleémaner de celui d’enfants ? Nous avons peint le panneau AR. Quelle idée !Naturellement il y a bien le prétexte d’étanchéité etc. … Et en quelle couleur ? Le blancc’est-à-dire le plus salissant ! Mon Dieu ! Quelle pitié en perspective pendant notrerelâche à Captown ! Quel fouillis ! Que de travaux ! Pour arriver à zéro ! Le mieux estd’en rire ; rire est une force ; c’est le principal facteur moral pour nous aider à surmonterces tours de polichinelle.

Mercredi 25 juin 13. Peinture toit cuisine et AR. Pluie. Prenons la cape au soir. Coup de vent– la série continue – de Sud cette fois-ci.

Jeudi 26 juin 13. Toujours en cape. Grains.Vendredi 27 juin 13. Même temps. Briquage du poste. Éclaircie au soirSamedi 28 juin 13. Temps relativement beau. Vers 4h marche au moteur la brise étant tombée.

Briquage poste. Vers 4h allumé moteur.Dimanche Stoppé mot 29 juin 13. Stoppé moteur. Brise et voilure dessus.Lundi 30 juin 13. Même roulis ; sommes surpris qu’il n’y ait pas encore eu d’accidents

sérieux avec ces mouvements désordonnés. Masticage panneau AV.Mardi 1er juillet 13. Brise diminue.Mercredi 2 juillet 13. Allumons moteur au soir. A midi sommes //

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[FRAN_0287_0108_L] [pages vides][FRAN_0287_0109_L] [p. 51-b v.]

[en face du 9 juillet]Beau

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[p. 52-q r.]à 104 milles de Cape-Town. Pensons arriver demain matin. Dans la nuit aperçu les feuxde la côte ainsi que la lueur de la ville.

Arrivée à Cape-Town le 3 juillet à 8h mat.

Jeudi 3 juillet 13. Arrivons au matin à Cape-Town après 55 jours de mer. La traversée a étélongue. Pendant 20 jours le pont a été presque noyé par le mauvais temps. Mouillé à8h10 en rade. La ville est dominée par le mont de la Table (1 080 Mètres je crois).Propreté. Dévergué les voiles pour réparer.

Vendredi 4 juillet 13. Propreté. Temps doux. Peinture. Confectionné une caisse bois pour lameule. Fait eau douce matin. Reçu de Châtelain – qui a pensé à moi – les derniersnuméros de “La Vie Mystérieuse” et une lettre partie de Paris depuis Mars ! Nousapprenons que notre courrier est parti pour les Kerguelen (par un baleinier). Lesnouvelles seront fraîches ! …

Samedi 5 juillet 13. Travaux divers. Réparé un seau en bois. Temps doux pour être en hiver.Petite pluie au matin. Mouillé le trémail. Poissons divers, langouste, ainsi qu’uneénorme raie.

Dimanche 6 juillet 13. Repos. (La névrose agit ! … C’est la couchette). Temps beau. Briquagedu linge. Je me débarbouille enfin aujourd’hui. Je n’avais pas fait toilette depuis 58jours ! À part les embruns, la pluie, la grêle qui cingle[,] mon visage n’avait pas vud’autre eau.

Lundi 7 juill. 13. Pluie. Grattage rouille.Mardi 8 juill. Terminé grattage mâture. Lavage coque, minium pitons de carène, mastiquage

etc. …Mercredi 9 juill. 13. Huilé mâture. Aluminium. Minium. Coaltar le long du bord. Au soir le

canot revient chargé de langoustes. Nous en abandonnerons certainement, que nesommes-nous en France pour en faire cadeau ! Ici nous allons nous en dégoûterrapidement. Et dire que là-bas une langouste… c’est presque un événement ! …

Jeudi 10 juill. 13. Huilé bout-dehors. Aluminium. Grattage. Minium. Embarq t de 2 000 Kgsde charbon. [sténo.] Le névrosé en traitement [sténo.] à l’hôpital !

Vendredi 11 juill. 13. Pluie forte toute la matinée. Potassé la peinture. Beau dans l’après-midi.Grattage et minium. Embarqut env. 200 lit. pétrole d’éclairage (Puisse la même bêtise nepas se renouveler !) Embarqt d’un nouveau fourneau de cuisine.

Samedi 12 juill. 13. Propreté. Fourbissage. Vernis la mâture et suiffé. Peinture des vergues au“Ripolin”. Mince !! Réparé le pavillon français du Consulat de Cape Town.

Dimanche 13 juill. 13. Temps pluvieux avec vent de NO. Repos.Lundi 14 juill. 13. Vent au matin. Grand pavois en l’honneur de la fête nationale. Pavillon

anglais en tête de grand mât. //

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[FRAN_0287_0110_L]

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Page 123: Transcription du carnet de bord d’Albert Seyrolle (1887-1919)

[p. 52-b r.]

[carte postale timbrée et compostée : Camp Bay, (showing pagoda and power station).][au stylo] A. Seyrolle. Navire “Curieuse”Expédition antarctique française aux îles Kerguelen

Océan Indien viâ Durban (Natal)

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[FRAN_0287_0111_L] [p. 52-b v.]

[dessin signé A. Seyrolle, d’un bâtiment de style antique à colonnes et fronton triangulaire](Cape-Town) – Public Library

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[p. 53-q r.]

Mardi 15 juill. 13. Beau temps. Peinture des guis et cornes. Rentré l’ancre de B[âbor]d etnettoyé puits à chaînes.

Mercredi 16 juill. 13. Calfatage à l’AR et aux flancs dunette. Mastiquage.Jeudi 17 juill. 13. Beau temps. L’hiver est doux. Au loin la neige cependant sur la crête des

hauts monts. Enlevé plinthes fronton dunette. Calfatage. Minium. Grattage rouille. Entretien etc. …Vendredi 18 juill. 13. Calfaté fronton dunette. Braie. Peinture.Samedi 19 juill. 13. Peinture panneau AR. Cuisine. Caisse. Briquage poste.Dimanche 20 juill. 13. Temps incertain au matin. Se dégage dans la soirée. Pour rompre

l’ennui travaillé au Code International.Lundi 21 juill. 13. Propreté. Confectionné un liston en bois pour le gui de dundee. Garni

estropes des guis.Mardi 22 juill. 13. Pluie. Grains. Remis en place plinthes dunette et caisse à eau douce.

Peinture intérieure.Mercredi 23 juill. 13. Grains. Propreté. Peinture ! Invités à bord.Jeudi 24 juill. 13. Temps doux. Viré ancre & rapproché de terre. Liteau du gui. Peinture.Vendredi 25 juill. 13. Soleil. Peinture extérieure.Samedi 26 juill. 13. Matelotage. Changé drisses de pic et de mât. (grand’mât et dundee)Dimanche 27 juill. 13. Pluie et vent pour le reposLundi 28 juill. 13. Matelotage, confection écoutes etc. … sous la pluie !Mardi 29 juill. 13. Peinture extérieure et matelotage sous la pluie !Mercredi 30 juill. 13. Envergué le dundee et la grand’voile.Jeudi 31 juill. 13. Abraham a disparu dans la nuit (?) [sténo.] C’est le quatrième cinquième

depuis le début de la campagne. Démonté ridoirs cuisine. Confectionné saisines acier.Vendredi 1er août 13. Continué estropes. Peinture.Samedi 2 août. 13. Brayage du pont. Grattage & lavage.Dimanche 3 août 13. Beau temps. Lavage linge. Photo et hauteurs au sextant.Lundi 4 août 1913. C’est fête en ville. Repos. Petit pavois.Mardi 5 août 1913. Arrimé l’AR. L’ordre sera de peu de durée.Mercredi 6 août 1913. Allé terre prendre barrique vin. Nettoyage laboratoire.Jeudi 7 août 13. Envergué trinquette. Ridoirs cuisine.Vendredi 8 août 13. Petits travaux. Peinture fanaux ; bouée lumineuse ; noms etc. …Samedi. 9 août 13. Briquage pont et poste. Ridoirs cuisine.Dimanche 10 août 13. Mauvais temps. Vent de NO. Calme un peu ap.-midi. Appareillé au

moteur avec qq. passagers. Doublé à peine la digue à cause houle et malades !Lundi 11 août 13. Même vent et grains de NO. Ridoirs. Soir mouillé la 2e ancre.Mardi 12 août 13. Temps clair ; brise fraîche. Ridoirs.Mercredi 13 août 13. Beau temps. Transbordé le charbon de l’AV-poste dans la cale.

Arrimage.Jeudi 14 août 13. Envergué le hunier. Fait le complét de charbon et terminé mise en place

ridoirs cuisine. A midi des Français (des pêcheurs en station de House Bay) ont déjeunéavec nous.

Vendredi 15 août 13. Repos (ou sorte de repos). Propreté. Appareillé dans l’après-midi pourchercher (aux docks) 1 500 ou 2 000 Kgs de sel pour la conservation des peaux. //

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[FRAN_0287_0112_L] [pages vides][FRAN_0287_0113_L] [p. 53-b v.]

[en face du 21 août]x s[?]

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Samedi 16 août 13. Grand arrimage de la cale. Sel. Propreté. Placé plusieurs sacs dans l’AV-poste. Pourvu qu’il ne fonde pas. Mon appareil photo est terminé. Bon essai. Nousprojetons pour demain l’ascension de la Table-Bay.

Dimanche 17 août 13. Propreté rapide et départ pour le mont de la Table vers 8h30. Tempslégèrement couvert. Marche dans les cailloux et les bois. L’ascension est lente et assezpénible. La paroi est presque à pic dans la grande faille par laquelle nous avons l’accèsau sommet. Quatre heures nous sont nécessaires pour atteindre l’altitude de1 080 mètres. Je ne suis pas trop fatigué cependant il y a un an jour pour jour presqueque je n’ai pas marché. En haut le panorama est superbe. Des vapeurs nous masquent.La “Curieuse” apparaît comme un point. Nous déjeunons vers 1h. La pluie tombe. Cebrouillard qui est très frais nous oblige à faire du feu pour nous sécher un peu. Départ à3h pour la descente qui est très fatigante. Arrivé à bord à 6h. Les rue de Cape-Town sonttristes le dimanche comme d’ailleurs dans toutes les villes anglaises. Au lieu de trouverla gaieté comme dans notre France, c’est ici une impression de tristesse ; quelque chosecomme un deuil national.

Lundi 18 août 13. Visité les garants des palans de notre canot. Garniture des saisines de lacuisine. Dans l’après-midi appareillage pour les docks. Avant d’entrer ici nous faisonsle tour de deux navires de guerre Anglais (Australia et Sydney) qui viennent ici pourquelque fête. Rentré vers 3h30 et amarré au warf.

Mardi 19 août 13. Fait de l’eau douce au matin. Ridoirs de sous-barbe. Palans etc. …Mercredi 20 août 13. Peinture de la lisse ; c’est une horreur comme chez les Napolitains.

Nettoyage des doris. Confectionné palans et saisines de la “Joconde” à qui il manque lesourire ! (c’est le nom ou plutôt surnom de notre canot)

Jeudi 21 août 13. Propreté générale. Mis un doris à l’eau et nettoyage. Peinture de la lisse.Saisines du canot. Trous de tolets à l’autre doris. Beaucoup de visiteurs aujourd’huiautour des navires de guerre anglais notamment sur le cuirassé “Australia”11. Ces deuxbâtiments s’en vont dit-on en Australie. Allons-nous les retrouver après les Kerguelen(Île de la Désolation) et les îles St-Paul et Amsterdam ?

Vendredi 22 août 13. Travaux divers. Confectionné un chantier pour le baril d’huile debaleine. Toute la journée beaucoup de monde pour voir l’ “Australia”, principalementdes élèves (d’écoles diverses) par miliers [sic].

Samedi 23 août 13. Propreté. Réparation des pavillons.Dimanche 24 août 13. Beau temps. Même affluence aux navires de guerre.Lundi 25 août 13. Nettoyage de l’armurerie du bord. Le cuirassé “Australia” nous donne du

pétrole lourd pour notre moteur, du filin, cosses, ligne d’amarrage etc. … Ce n’est passe moquer des gens.

Mardi 26 août 13. Départ au matin de l’ “Australia”, and the cruiser “Sydney” [trad. et ducroiseur Sydney]. Confectionné latte bois pour hunier. Coaltaré les ancres. Pris à bordde l’ “Espoir de Kristiana”, qui revient des îles de la Désolation, un baril d’huile debaleine pr filage par gros temps12. //

11 Il s’agit en réalité d’un croiseur de bataille. La toute jeune flotte royale australienne (Royal Australian Navy) créée en 1911, vientde réceptionner l’Australia le 21 juin dernier à Portsmouth, et en fera son navire amiral. On le voit ici durant son voyage inaugural,en compagnie du croiseur léger Sydney (réceptionné une semaine après lui), vers l’Australie, où tous deux feront leur entréeofficielle dans le port de Sydney le 4 octobre. L’escale en Afrique du Sud est l’occasion de resserrer les liens d’amitié entre les deuxpays du Commonwealth, d’où l’agitation autour des deux bâtiments.12 Voir note du 30 mai 1913.

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[FRAN_0287_0114_L] [pages vides][FRAN_0287_0115_L]

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[p. 55-q r.]

Mercredi 27 août 13. Vent de SE. Sommes couverts par la poussière des quais. Mis en place lalatte de bois au hunier. Confectionné porte-seaux et chantier pour baril à eau douce.

Jeudi 28 août 13. Appareillé au matin pour la rade. Confection d’estropes en fil de fer etd’acier pr plombs de sonde.

Vendredi 29 août 13. Pluie au matin. Viré vers 11h30 et appareillé pour aller en cale sècheavec le vapeur “Battenhall” de Cape Town. Stoppé les pompes à 5h. Raidi, au matin, lesgalhaubans de flèche. Le soir la police vient prendre le cuisinier… Rien à dire ici.

Samedi 30 août 13. Vidé le bassin au matin. Nettoyage et coaltar sur la coque. Au soir allé àterre chez un Corse nommé Bocognano. Souvenir du passé dont la puissance illumineun peu les pâles reflets de l’existence monotone d’ici ! Du cap Corse aux Bouches deBonifacio, le cimetière de Lavezzi où dorment les 750 victimes de la “Sémillante”13, lesgorges du Tavignano, les calanches de Piana tout a été évoqué rapidement. À travers letemps, Ajaccio et son golfe, la pointe d’Aspretto, Campo d’ell Oro, le cap Muro, les îlesSanguinaires… tout cela qui dormait s’est éveillé brusquement et s’est adouci, pareil àl’ombre de certain temple grec qui tombe de son campanile dans les après-midi d’étécomme dans la splendeur des nuits boréales… L’antique Cyrnos14 s’estompe pourapparaître plus lumineuse ! …

Dimanche 31 août 13. Beau temps. Repos. On nous fait cadeau d’un jeune caméléon perchésur une plante de géranium. De tous les animaux que j’ai vus à bord, c’est le premier decette espèce. En revanche les deux petits chiens, nés ici, sont partis.

Lundi 1er septembre 13. Deuxième couche de coaltar à la coque. Démonté le tunnel et l’arbrede couche ainsi que l’hélice. Réparé drisses pavillons. Travaux divers.

Mardi 2 sept. 13. 3e couche coaltar sur coque. Travaux divers. Réparé seaux. Vent de SE.Mercredi 3 sept. 13. Petits travaux. Matelotage. Un peu moins de poussière aujourd’hui.Jeudi 4 sept. 13. Passé composition sur coque au matin. Rempli le bassin à 2 heures. Sorti

dans ap.-midi et amarré au warf.Vendredi 5 sept. 13. Prop. Légère pluie au matin. Répar. Pavillons.Samedi 06 sept. 13. Propreté. Travail dans la cale pour … faire quelque chose. Le sel placé

dans l’AV-poste est enlevé et placé dans la cale ! Mon Dieu ! que d’enfantillages pource qu’on est convenu d’appeler : “travail” ! Que de bêtises ! Nettoyage du poste.

Dimanche 7 sept. 13. Lavage linge. Nous partons mercredi ou jeudi.Lundi. 8 sept. 13. Propreté. Filières pour toiles d’entourage dunette. Embarqué une tonne de

charbon et vivres divers.Mardi 9 sept. 13. Petits travaux. Continué filière d’entourage dunette.Mercredi 10 sept. 13. Petite pluie. Petits travaux. Au soir, écrit à Châtelain et commandé

d’autres numéros de “La Vie Mystérieuse” qu’il devra m’expédier en janvier ou févrierà Freemantle d’Australie.

Jeudi 11 sept. 13. Propr. Démarré du quai vers 11h. Revenus mouiller en rade. Dans l’ap.-midi peinture jaune ou plutôt jaunâtre sur les étuis. Nous ne pensons pas partir demain.

Vendredi 12 sept. 13. Contin. peint. jaune des étuis à voiles. Peint. grise aux capots. //

13 Frégate française naufragée dans la nuit du 15 au 16 février 1855 avec 773 hommes à son bord, en se rendant en Crimée pourapporter vivres et renforts aux forces françaises stationnées sur place durant la guerre de Crimée.14 Nom grec antique de la Corse.

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[FRAN_0287_0116_L] [pages vides][FRAN_0287_0117_L] [p. 55-b v.]

[en face du 30 octobre]Éclipse part. Soleil au lever 30 sept. 13 40° 02’ N ____ 28° 15’ SOcéan Indien

[dessin de l’éclipse ; sur la ligne d’horizon à gauche : Horizon de la mer]

[en face du 6 octobre]40° 10’ N ____ 36° 00’ Ot

[en face du 7 octobre]Soir +3,5°

[en face du 8 octobre]Temp : +4° à midi

[en face du 9 octobre]Froid

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Page 131: Transcription du carnet de bord d’Albert Seyrolle (1887-1919)

[p. 56-q r.]

Samedi 13. sept. 13. Cont. Peint. panneaux et machine. Changé de mouillage dans l’ap.-midipour laisser la place aux courses de yoles.

Dimanche 14 sept. 13. Vents de NO. Petite pluie, temps gris et un peu frais. Confectionné uneboîte pr études de minéralogie dans les îles.

Lundi 15 sept. 13. Pris dispositions d’appareillage. Embarqué un jeune homme de 14 ou 15ans (un Danois) pour remplacer René. Géraud est remplacé par d’Anglade. Que dechangements, mon Dieu ! (Ai-je dit que René s’est esquivé lui aussi ?)

Mardi 16 sept. 13. Paré au poste d’appareillage. Reçu des lettres. Les autres doiventsingulièrement moisir à la Désolation !

Mercredi 17 sept. 13. Trav. divers. Arrimage de l’AR.Jeudi 18 sept. 13. Il y a 1 an aujourd’hui que nous partions de Cherbourg ! Au soir

confectionné estropes pr éprouvettes (densités de l’eau). Coup de vent de SE. Mouilléles 2 ancres. Le cône mâle T[ribor]d ne fonctionne pas.

Vendredi 19 sept. 13. Travaillé à décoller cône du treuil. Soir “amuré” porte des W.C.

Départ de Cape Town le sam. 20 sept. 13 à 14hSamedi 20 sept. 13. Cont. treuil. Soir départ. Adieu les cormorans et les pingouins15 du Cap !

Marché au moteur. Soir voilure avec bonne brise.Dimanche. 21 sept. 13. En cape ! Et de bonne heure ! Mer très agitée. Vent de NO. Grains.

Tangage et roulis très violents. Pour un départ et pour un Dimanche c’est pas mal !Lundi 22 sept. 13. Toujours en cape, avec même balancement. Temps à grains[,] c’est le

temps des équinoxes. Rentré les ancres.Mardi 23 sept. 13. En cape. Roulis et tangage violents.Mercredi 24 sept. 13. En cape _ _ _ _Jeudi 25 sept. 13. En cape au matin. Fait route avec toile. Grosse houle et roulis. Le coup de

vent de NO aura duré. C’est notre premier dans l’océan Indien.Vendredi 26. Roulis avec périodes courtes. Temps à grains mais relativement beau.Samedi 27. Toile. Vent arrière. Grains. Petits travaux.Dimanche 28. Temps frais, gris, couvert, à grains. Mouv. de roulis et tang.Lundi 29 sept. 13. Même temps ; la brise mollit. Couvert. Grains faibles.Mardi 30 sept. 13. Au matin temps nuageux. L’horizon se dégage néanmoins dans l’Est à

l’aurore. Aperçu et observé l’éclipse partielle de soleil à son lever.Mercredi 1er oct. 13. Beau temps. Pet. brise.Jeudi 2 oct. 13. Beau temps. Faible brise.Vendredi 3 oct. 13. Assez b. temps. Confection pavillons pr topographie.Samedi 4 oct. 13. Temps couvert. Grains.Dimanche 5 oct. 13. Au soir pris la cape (comme tous les dimanches !)Lundi 6 oct. 13. En cape. Grosse houle. Un coup de mer nous défonce le pavois b[âbor]d

devant. Grains.Mardi 7 oct. 13. Grosse mer. Roulis & tangage violents. Grains.Mercredi 8 oct. 13. Grosse mer. En cape. Vent de NO. Grains.Jeudi 9 oct. 13. Temps meilleur ; faisons route. Nous nous rapprochons des îles Crozet.

Temps froid et à neige. //

15 Il s’agit bien sûr en réalité de manchots.

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[FRAN_0287_0118_L] [pages vides][FRAN_0287_0119_L] [p. 56-b v.]

[en face du 10 octobre] Lo : 44° 59’ S _ Go : 44° 13 E.[en face du 11 octobre] Lo : 45° 87’ S _ Go : 47° 06’ E.

[dessin du navire sur la mer déchaîné, signé A. Seyrolle]… Les vagues sont énormes et se suivent sans trêve dans une même course

puissante, mystérieuse et folle, poussées par la rafale, commandées par la grande voixqui domine tout. Il y a de la beauté partout, même dans l’horreur … (p. 57)

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Page 133: Transcription du carnet de bord d’Albert Seyrolle (1887-1919)

[p. 57-q r.]

Vendredi 10 octobre 13. Route. Repris l’amure du dundee.Samedi 11 oct. 13 – Dans la nuit cris des pingouins. À 1h après-midi aperçu l’île aux

Cochons. Soir temps menace : pris la cape. N’oublions pas que c’est demain Dimancheet que tous les dimanches… c’est la cape.

Dimanche 12 oct. 13. Avons fui dans la nuit pour nous éloigner de terre. Le baromètre est trèsbas. Il fait froid.… Au matin le vent souffle en tempête. Trinquette à 3 ris ; voile de cape ; caped’artimon ; les écoutes sont doublées partout. La mer est blanche d’écume marbrée parle vent. Horizon bouché. Grains de grêle pour nous laver la figure depuis plus de 3semaines que nous n’avons pas fait toilette. Le roulis est énorme le tangage très violent,très brusque. La goule en démence nous emporte dans un grand bruit de fureur. Deuxsacs à huile de phoque sont disposés à l’avant et fonctionnent continuellement enlubrifiant. Néanmoins lorsque la gueuse des gueuses “change” les plis de sa robe auxcouleurs “changeantes” d’énormes paquets embarquent et balaient tout. Le ciel del’Océan Indien s’est montré clément pendant quelques jours de la semaine dernière.Sous la clarté lunaire, bercé par une houle très longue et très douce, j’ai trouvé sur unplan matériel, dans l’aspect du ciel, dans la forme des nuages et dans la longuerespiration de la mer quelque chose de ce que j’ai entrevu autrefois dans mes rêvesd’enfant. La fiction s’est changée en réalité et à part l’absence “du bruit monotone de lamer brisant sur les bancs de corail et le bruissement des palmes des grands cocotiers surla rive de l’île proche” le reste se rapprochait singulièrement de l’image mentale…

Aujourd’hui c’est notre plus fort coup de vent. La mer, cette ennemie enpermanence, est bien le symbole de la perfidie et de la transformation. Je ne mesouviens plus où j’ai lu quelle [sic] fut toujours regardée par les peuples anciens commele réceptacle de toutes les monstruosités. Les poëtes orientaux ont eu des inspirationsbien bizarres à son sujet. Et la mythologie ? En a-t-elle enfanté ! Le tableau que nousavons sous les yeux aujourd’hui est réellement imposant dans sa brutalité. Les vaguessont énormes et se suivent sans trêve dans une même course puissante, mystérieuse etfolle, poussées par la rafale, commandées par la grande voix qui domine tout. Il y a de labeauté partout même dans l’horreur : cette dernière n’est qu’un mode de la beauté et sicette forme ne vous convient pas c’est uniquement parce qu’elle n’a pas le privilège ded’émouvoir de façon agréable les facultés de notre âme. Les conséquences d’une œuvrede Dieu ne sauraient être futiles et sans but : ce dernier seul nous échappe. Il en est demême pour la douleur qui a sa raison d’être puisqu’elle est possible dans la vieorganique et impossible dans la vie //

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Page 134: Transcription du carnet de bord d’Albert Seyrolle (1887-1919)

[FRAN_0287_0120_L] [pages vides][FRAN_0287_0121_L] [p. 57-b v.]

[dessin de La Curieuse signé A. Seyrolle]

… dans l’Océan Indien et sous ces latitudes, pendant la tempête… (p. 58)

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Page 135: Transcription du carnet de bord d’Albert Seyrolle (1887-1919)

[p. 58-q r.]

morganique [sic] comme l’a dit Edgar Poë.Les quatre heures pendant lesquelles nous sommes de « quart » nous paraissent

longues. Le froid et l’humidité nous pénètrent rapidement malgré nos vêtements huilés,peu élégants, mais excessivement utiles dans ces parages avec ce régime des vents. L’onattend la “relève” avec impatience qui nous permet de nous mettre un peu à l’abri. Sur lepont il n’y en a pas. Impossible de marcher pour se réchauffer ; les mouvementsdésordonnés du navire nous fatiguent tout en nous “immobilisant”. Il faut secramponner, éviter les paquets qui embarquent noyant le pont qui devient de plus enplus glissant par le dépôt du “plancton”.

… Dans le poste – si toutefois notre logement mérite ce nom puisqu’il sert deramassis à tout, magasin, puits aux chaînes d’ancres etc. … – il pleut aussi. L’eau suintepar les coutures. Tout est mouillé. Nos effets et nos matelas pourrissent peu à peu. Lemien est “malade” en plusieurs endroits ; les couvertures sont humides également. Nousnous couvrons comme nous pouvons et cherchons un sommeil illusoire coupé de rêvesfantastiques, cependant que notre personnalité est désintégrée, l’idéation vague etconfuse. Malgré tout on perçoit tous les bruits, tous les chocs de la mer, les cris. Auxenvirons de deux ou trois heures du matin, dans l’Indien et sous ces latitudes, pendant latempête les nuits froides, humides, agitées à l’excès, sont particulièrement tristes. Levent hurle avec rage dans la mâture suant les embruns : les agrès vibrent et rendent unson lugubre pareil aux gémissements d’une harpe éolienne…

… Les fibres de bois de notre parquet sont rongées par les clous en cuivre de nosgrosses bottes qui ont pour conséquence de le rendre très glissant. Nous nous tenonscomme nous pouvons, évitant les chutes autant que possible et tout comme dans noscouchettes, pareilles à des niches creusées dans le bois, nous installons des “planches àroulis” qui nous maintiennent un peu. Quant à manger, c’est plus difficile qu’on lepense ; on fait malgré soi et par habitude, des prodiges d’équilibre ; n’empêche que c’estune véritable corvée… Et nous retournons sur le pont, au grand air, avec au-dessus de latête l’éternelle menace, aux oreilles le grand bruit des choses, sur les joues la grêle quicingle, dans les yeux le sel des embruns, rendus enfin en face des éclairs aveuglants, à labrutale réalité…

… Dans la journée, quand le pâle soleil apparaît entre les déchirures des cumulo-nimbus c’est une étrange sensation. Il y a dans sa lumière affaiblie quelque chosecomme le regret d’un moribond, comme un faible sourire de malade, comme quelquechose d’indéfini et de lointain… très lointain…

… Alors pour “observer” l’un tient le sextant en évitant les paquets, l’autre s’arc-boute et le maintient pendant qu’il prend la hauteur, tandis que le tout monte et descendpar la houle… //

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Page 136: Transcription du carnet de bord d’Albert Seyrolle (1887-1919)

[FRAN_0287_0122_L] [pages vides][FRAN_0287_0123_L] [p. 58-b v.]

[en face du 13 octobre]Lo : 45° 23’ S _ Go : 47° 08’ S

[14 octobre]Îles Crozet

[15 octobre]46° 40’ S _ 52° 07’ E.

[16 octobre]46° 54 S _ 54° 47’ E.

[17 octobre]47° 06 S _

[18 octobre]57° 02 S _ Go : 60° 36 E

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[p. 59-q r.]

Et malgré cela le navire marche quand même. La santé est bonne ; c’est notre plus grandbien. Tous les autres petits bobos ne sont rien auprès de la solitude morale dans laquelleje vis. N’importe : on appréciera mieux un peu de repos à la fin de la campagne.----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Dans nos séances spirites, avec l’aide de bons médiums, nous obtenons desmatérialisations parfois complètes… Ici, sur le pont pendant le mauvais temps il y abien quelques apparitions, quelques fantômes, quelques ombres qui apparaissent parfois.C’est la vitalité puissante, l’énergie, le-sang froid qui se montrent, le calme, l’énergie lamaîtrise de soi-même ; l’exemple enfin auquel le moral se retrempe…----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Ces mots n’ont de sens que pour moi. Un profane sous les yeux duquel tomberaientces lignes, ne comprendrait pas ce qui est écrit entre elles…----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Lundi 13 oct. 13. La brise a molli. Nous avons dérivé pendant la cape. Faisons route. Laissél’île aux Cochons sur tribord. Vent arrière.

Mardi 14 oct. 13. Au matin passé par le travers de l’île des “Douze Apôtres” (îles). Au soirprès de l’île de la Possession. Sur notre bâbord l’île de l’Est, toutes couvertes de neige.Pris les dispositions pour le mouillage. Mais le moteur ne fonctionne pas… Fuyonsdevant les grains de neige et de grêle laissant les îles Crozet derrière nous. Froid.

Mercredi 15 oct. 13. Route sur les îles Kerguelen cette fois. Grains secs et humides.Température basse. Petite toile. Dans la nuit pleine lune.

Jeudi 16 oct. 13. Toujours en route. Essai de fonctionnement moteur. Tracé des diagrammesmétéorologiques. Bonne marche dans la nuit au plein vent arrière.

Vendredi 17 oct. 13. À 4h du matin nous prenons la cape la brise ayant fraîchi dans la nuit etle baromètre ayant baissé. Une fameuse onglée et un bel arrosage de tous nos effets parun paquet de mer. Conservé la cape toute la journée ; le temps n’est cependant pas tropmauvais. Petite pluie. Temps à boucaille. Au soir fait toile.

Samedi 18 oct. 13. Petite pluie. À midi il nous reste encore 249 milles à parcourir pour arriveraux Kerguelen.

Dimanche 19 oct. 13. Dans la nuit éclaircie. Puis brume et gros temps. Repris la cape… pourne pas changer ! Voilà le 4e dimanche que nous passons à la mer avec la cape.

Lundi 20 oct. 13. Fait de la route dans la journée. Saute de vent au SO. Mer grosse. Soir prisou plutôt repris la cape.A minuit temps un peu calme. Petite toile. Temps froid. Onglées. //

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[coupures de presse : article]

Quinze Mois aux Îles KerguelenLa croisière du “J.-B. Charcot” de Boulogne à Melbourne

Sur une barque de pêche de 40 tonneaux

Cette petite expédition, dont le but était à la fois scientifique et commercial, a étéorganisée et dirigée par les deux frères Henri et Raymond Rallier du Baty, capitaines aulong cours, et à leurs frais ; sous le patronage du Dr J. Charcot, avec l’appui duMinistère de la Marine, du Muséum, de la Société de Géographie et aidé de plusieursgénéreux souscripteurs. Le bateau, baptisé le “J.-B. Charcot”, était une barque de pêcheachetée à Boulogne pour la modique somme de quinze cent francs. C’était un ketch de17 mètres de longueur et de 40 tonneaux de jauge, construit en 1896.

Outre les deux frères Rallier du Baty, l’équipage comprenait quatre hommes : JeanBontemps, Léon Agnès, Eugène Larose et Louis Esnault. Le programme du voyagecomportait un séjour d’environ un an aux îles Kerguelen, pour y effectuer tous lestravaux scientifiques que permettraient les très modestes moyens de l’expédition. Pourcouvrir la paye de l’équipage, on devait aussi se livrer à la chasse aux phoques etfabriquer sur place une cargaison d’huile. La campagne devait prendre fin en Australie,à Melbourne.

La traversée d’aller ne s’accomplit pas sans danger ; elle prit cent six jours, sanscompter la durée des escales. Les quinze mois de séjour aux îles inhabitées deKerguelen furent très fertiles en aventures et aussi en dangers : deux échouages arrivésen des circonstances particulièrement dramatiques en donnent une idée. Quant à latraversée de retour, aucune description ne saurait en rendre toute l’horreur : ce fut unesuite de violentes tempêtes qui mirent souvent le petit navire en perdition. Seule, lamanœuvre qui consiste à filer de l’huile sur la mer le sauva du naufrage.

Enfin, le 25 juillet 1909, le “J.-B. Charcot” désemparé arrivait à Melbourne, ayantfranchi les 15 000 milles d’Océan et rempli sa mission à travers les périls et malgré lesobstacles. Durant tout ce voyage, les six marins qui le montaient n’eurent qu’unobjectif : l’honneur du pavillon national.

Les collections rapportées ont été remises entre les mains de MM. les professeurs duMuseum, à Paris.

[carte des Kerguelen accompagnant l’article : Croisière aux Îles Kerguelen par R. Rallier du Baty,capitaine au long cours]

Carte publiée par la Société de Géographie de Paris.

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Mardi 21 oct. 13. Nous approchons des îles. Temps à brise. Froid. Au soir reconnu l’îleRoland. Dans la nuit noire reconnu néanmoins la petite île du Rendez-Vous (rocher de60 m de haut). Au matin nous sommes sur la terre près du cap Français. Manœuvresdiverses. Dépassé Port-Christmas et filé au Sud vers la baie de la Gazelle. Alguesflottantes très épaisses. Cris étranges des pingouins en surface. Sommes vent arrière.

Arrivé aux îles Kerguelen (Désolation) le mercredi 11 oct. 13[,] 11h30 mat.Mercredi 22 oct. 13. L’aspect de la côte est revêche. Neiges et rafales. Cascades soulevées par

le vent. Reconnu la petite maison de la bergerie apportée par le “Jacques” ainsi quequelques moutons cherchant sur le sol dénudé une nourriture illusoire. Mouillé dans lebassin de la Gazelle, vers 11h30 du matin. Le moteur – qui ne marchait plus ces jours-cia “fonctionné” ce matin. L’hélice a pu couper les algues et goëmons, qui sont à foisonici. Pris connaissance du document laissé dans une bouteille au pied du mât de pavillonfrançais de l’île. Soir allé à terre prendre 3 hommes laissés ici après le départ du“Jacques” pour l’Australie. Ces gens sont chargés des moutons (sur 1 200 et plus jecrois il leur en reste 300 environ. Le climat froid d’ici, la traversée des Malouinesjusqu’à la Désolation, les fatigues et principalement l’insuffisance de nourriture ontfauché le reste. Ces robinsons sont heureux d’avoir une société pour quelques jours.

Jeudi 23 oct. 13. Au matin temps splendide – temps plutôt rare ici – Allé à terre faire desobservations à l’horizon artificiel. Nous atterrissons au mât de pavillon planté là en1893 par l’ “Eure”, date de la prise de possession. Ce pavillon est en tôle peinte auxcouleurs nationales. Ses ferrures qui geignent sous l’effort de la brise jettent une noteexcessivement bizarre parmi cette nature plus que désolée. À part le cri des sarcelles,des hirondelles de mer, des albatros, cormorans ou autres oiseaux ; le bruit de la cascadequi vous parvient atténué par la distance ; le grognement d’un éléphant de mer ; laplainte du vent aux oreilles tout le reste est silencieux et morne. Ce n’est certes pasencore “l’épouvantable vision d’un monde figé dans la mort” tel qu’on est tenté de lecroire en voyant une photo des paysages lunaires mais c’est quelque chose de trèsapprochant. La teinte générale du sol, les pierres, les caps, fantomatiques, les rocherslavés par les pluies ; cette terre dénudée de toute végétation ou presque ; la solitude quivous oppresse déjà ; l’aspect tourmenté de toutes choses, tout cela cause une étrangeimpression. Capturé des moules excellentes _ tué divers oiseaux _ recueilli diverséchantillons. Canotage _ Voiles au sec _ doris à l’eau _ Envoyé la vergue de hunier surle pont. Les bergers sont revenus aujourd’hui. Repas de mouton frais. Une bouteille devin cacheté en leur honneur (Nous avons du thé ou du café depuis que nous n’avonsplus de vin) Ce thé est pour moi la meilleure des boissons. Au soir le temps se couvre.Nous aurons je crois profité d’une des rares journées de beau temps. Vers minuit le ventse lève. Au long du bord c’est le clapotis de la mer ; dans le ciel noir des crisd’oiseaux. //

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[photographie : Albert Seyrolle, debout à droite, et un de ses camarades assis utilisant un sextant,à côté de la plaque commémorative « Eure 1893 », au pied du pavillon français]

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[dessin signé A. Seyrolle : quatre hommes dans le canot sur une mer houleuse]La “Joconde” ? C’est notre canot auquel il ne manque plus… que le sourire ! …

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Vendredi 24 oct. 13. On dort bien sur la terre découverte en 1772 par le baron de Kerguelen !Les nuits sont “franches” contrairement à celles passées en mer et coupées par le“quart”. Le ciel nous est clément pour l’instant. Aujourd’hui nous avons envoyé en basle mât de hune. La journée aura été bien remplie. Vergues et mât seront laissées ici, à labergerie, ainsi que leurs agrès, pendant notre croisière dans l’île que Cook a surnommé[sic] avec raison : île de la Désolation ; nous les reprendrons ensuite, pour nous rendre,après notre départ, aux îles St-Paul et Amsterdam, bien plus au Nord. À terre, travauxd’hydrographie au théodolithe. Chasse fructueuse pour notre cuisine. Au soir beau soleiléclairant cette scène sauvage et éloignée du monde, sauvage et fantastique, irréelleparfois sous un ciel tour à tour étonnamment pur et singulièrement tourmenté.

Samedi 25 oct. 13. Les trémails relevés ce matin ne rapportent qu’un seul poisson !Coquillages divers, astéries, holothuries, algues etc. … servirons d’échantillons pour leMuséum d’Histoire Naturelle de Paris. Travaux au magasin. Nettoyage du poste à l’eaudouce. À terre deux phoques sont tués à bout portant avec les canons du fusil dans lagueule. Les beefteacks [sic], d’un noir de jais, sont excellents ainsi que d’autresmorceaux dont le goût rappelle celui de la charcuterie ordinaire. Lapins, poules d’eauetc. … À midi, à terre, à la station 2, pris plusieurs circumméridiennes ; théodolithe,sextants, horizon artificiel, chronomètres, font un drôle d’effet sur le sol désert. (Lescalculs donnent une erreur sur la longitude observée par l’ “Eure” en 1893.) Sa valeurn’est pas encore déterminée rigoureusement. À la côte, de l’autre côté du bassin de laGazelle, travaux au graphomètre ; mesure des divers angles compris entre les différentsamers élevés sur les sommets les plus voyants et construits avec les innombrablespierres qui jonchent le sol.

Dimanche 26 oct. 13. À l’extrême matin violentes rafales de neige très épaisse. Grand froidtoute la matinée. Nous installons le poêle dans notre poste pour la première fois.L’humidité disparaîtra-t-elle un peu ? Dans l’après-midi temps plus clément. Pris deséchantillons de vase à la cascade. Tiré plusieurs lapins et sarcelles. Rentré à la nuit.

… Dans la journée nous dépouillons nos victimes : il y a du sang partout à bord. Lesfusils, haches, sabres, coutelas etc. … ; nos vêtements en guenilles ; nos visages plutôtsales ; les mains couvertes de pansements sur des écorchures qui ne veulent pas guérir ;nos grosses bottes sanguinolentes aussi ; tout cela donne à la “Curieuse” un aspectétrange pour ne pas dire sinistre : l’aspect d’un bateau pirate ! Et cela nous fait rire etdonne lieu à réflexions diverses…

Lundi 27 oct. 13. Au matin pris les dispositions pr changer de mouillage. Vidé et remorquéparmi les goëmons un doris. Je ne me souviens pas d’avoir eu fait corvée plus pénible.Mouillé devant la bergerie. Ap.-midi débarqué et mis à terre, au sec sur des fûts, notrevergue et mât de hune. Visité le magasin où se trouve déposé le matériel laissé par l’“Yves Kerguelen” et la maison des bergers (2 français et 1 espagnol). Ils ont toushabité //

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(Bureau central météorologique)Pr mémoire :

Diagrammes météorologiques tracés sur papier millimétréFeuille hebdomadaire

Mois. Jour. Quantième. Heures. (de 4 heures en 4 heures)

Pression Barométrique réduite à 0 (non corrigée de la gravité)Température de l’air.Humidité relative (de 0 à 100) calculée d’après les Tables et les indications du Psychromètre)Vent. Force. et Direction vraieNébulosité (de 0 à 10)Phénomènes :

● Pluie ≡ brume ⨁ couronne solaire ┬ tonnerre lointain

* neige ∞ Brouillard D halo lunaire ☈ orage -éclairs -tonnerre

▲ Grêle Grain secdirect. souffle.

couronne lunaire tempête de neige

rosée arc-en-ciel sol couvert de neige

⋁Gelée blancheGivre

Grain humideet direction

aurore australe mer Bellemer houleuse

Verglas ↀ Halo solaire ☇ Éclairs sans tonnerre mer grosse

Observations. (BT ou mauvais temps _ Pluie _ neige etc. … etc. …)Latitude observée.Longitude observée.Année et nom du navire.

_________________________________________________________Pr mémoire

Feuille mensuelle météorologique :Océan Indien (point du monde)Îles Kerguelen _ nom du navireMétéorologie (gros caractères)Résumé du mois de … année …

Pression atmosphérique (1)Température Vent

(1) Hauteurs réduites à 0 non corrigées de lagravité

Hauteur moyenneMoyenne des maxima ___ __ minimaMaximum observéMinimum observéPlus grande variation en 24h__ ___ ____ en 4h

Moyenne générale ____ des maxima ____ __ minimaMaximum observéMinimum observéPlus grande variation diurne

Humidité relative moyenneNébulosité moyenneJours de pluie ou neigeForce moyenne généraleDirectionForce moyennePourcentageObservationsNombre de jours de calme

Diagramme (encadré) de la variation Diagramme (encadré) de ladiurne de la pression atmosphérique variation diurne de la

température

Rose des vents. Rose de l’humidité. Rose de la température.Appréciation générale

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l’Argentine et parlent l’espagnol. Ils ont une vache et un petit veau. Le lait leur estprécieux. Comme vivres ils ont des conserves. L’installation est sommaire. Bon nombrede chiens leur tiennent société…

Mardi 28 oct. 13. Rafales de neige. Temps froid. Corvée de charbon ce matin ; c’est encoreune demi-journée bien remplie. Nettoyage du pont qui est encore plein de sang demouton ; le vent l’emporte ; il y a des éclaboussures partout. Ap.-midi mesuré une basede 100 m à terre. Je rends visite aux bergers et leur apporte des “Illustrations” quelquesmagazines illustrés, quelques journaux humoristiques ;, un petit manuel de chirurgied’urgence (en souhaitant qu’ils n’aient jamais l’occasion de s’en servir). Le reste aideraà leur faire paraître le temps plus court et atténuer aussi la tristesse de heures grises, lamonotonie des journées toujours les mêmes… Les conditions dans lesquelles ils viventest chose à part : pour bien le comprendre il faut s’en rendre compte soi-même. Il yaurait de quoi s’étendre sur un sujet de psychologie. Bref, ces quelques journaux leurfont extrêmement plaisir. Je mange avec eux et vraiment l’agneau rôti a été trouvéexcellent. À la nuit même rafales de neige épaisse.

Mercredi 29 oct. 13. De quart de minuit à 6h mat. Rafales de neige. Effectué quelquessondages. Sur la ligne de sonde il y a de la glace. À terre où nous allons prendre qq.relèvements au graphomètre tout est gelé aussi. Changé de mouillage pr faire de l’eaudouce à la captation faite par le “Jacques”. Soir rendu au même poste. À la nuittombante calme plat, étonnamment plat. Les environs sont impressionnants ; le silenceest rompu par le cri des “mauves” ou mouettes qui piaillent à terre, dans l’ombre. Surune crête, entre deux nuages de neige, on aperçoit aux environ de minuit le Grand Orionqui trône dans les profondeurs sidérales. Rigel est haute et Bételgeuse la rouge, un peupâle lui fait pendant ; au milieu les Mages font belle figure et à l’instar des Pléiades,invisibles pour l’instant, synthétisent eux aussi les éternelles harmonies….

Jeudi 30 oct. 13. Appareillé dès le matin pour nous rendre à Port Elisabeth. Temps assez doux(3 degrés seulement au-dessus de zéro). Effectué de nombreux sondages pour le ServiceHydrographique. Mouillé à 12h30, à l’abri. Aperçu de superbes effets de lumière dans lacôte inspirant les estampes japonaises. Soir fait des bancs pour doris. À la nuitobservations à terre avec le théodolite et le sextant ainsi qu’au chronomètre C. Méthodedes hauteurs correspondantes. Canopus au sextant ; Jupiter s’enfuit trop vite ; il sembleavoir hâte de se coucher dans un rayonnement jaunâtre et lumineux par delà lesmontagnes neigeuses. Fomalhaut est presque au méridien. Mais Sirius, le magnifiqueSirius est là qui se laisse prendre par l’objectif immobile. Alpha et Bêta du Centauresubissent le même sort. Enfin Orion, familier, monte à son tour dans le froid du cielaustral, entraîné par Rigel. Nous terminons par les Rois Mages à minuit… Il fait froidmaintenant ; la rosée est abondante ; elle couvre les verres, glaces, lentilles desappareils. La nuit est calme et magnifiquement étoilée, chose plutôt rare aux îlesKerguelen. Nous entendons les cris des phoques et des éléphants de mer, touts [sic]proches, qui se disputent et se battent. Ces cris, amplifiés par le calme et l’écho,semblent avoir parfois quelque chose d’humain surtout lorsqu’ils nous arrivent dulointain. Au-dessus de nous, ce sont des froissements d’ailes de mouettes ou decormorans //

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[photographie : Albert Seyrolle, accroupi au centre, et un de ses camarades, assis en tailleur àdroite avec un sextant, au pied du pavillon français]

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intrigués et attirés par les éclats de la lampe électrique. L’opération terminée nousrepartons ; le canot, échoué sur la plage minuscule, est poussé à l’eau, parmi les grandsgoëmons qui gênent pour la godille tandis qu’au-dessus de nos têtes un cielétonnamment pur nous protège…

Vendredi 31 oct. 13. Au matin mesure d’une base pour la topographie du port Elisabeth aveclevé de côte. Temps doux, sans vent. Une soixantaine de phoques et d’éléphants de merdorment sur la plage. De nombreuses femelles, sous la surveillance d’un très grandmâle, allaitent leurs petits. Nous faisons des niches à d’autres ; sont-ils comiqueslorsqu’ils font le geste de se gratter ! Et leurs gros yeux touts ronds, touts noirs, quelleexpression mon Dieu ! Je regrette de ne pas avoir apporté un pot de peinture pourbarbouiller le ventre de ceux qui dorment au soleil, couchés sur le dos, à moitié enfouisdans le sable. Quelle bonne farce ! … Sur la grève, des coquillages à profusion, desdents d’éléphants, des carcasses de baleines, des ossements gigantesques. Des sternesqui piaillent auprès de vous, des poules d’eau, des mouettes etc. … Sur la terre désolée,des lapins qu’on ne compte plus… Vers midi la brise se lève apportant un peu de froidqui nous fait pleurer et rend les visées plus difficiles. Nous rentrons à bord à 2h de l’ap.midi. Nous trouvons du feu ; du lapin cuit ; du mouton. Cela c’est de la viande fraîchevalant les conserves qui sont toutes cependant de première qualité il faut le dire.Lorsque nous avons du pain, réussi, c’est un vrai régal qui nous efface le goût du biscuitsec… Soir, repos. On met le doris à terre ; le pont est un peu plus dégagé ainsi. Brume àla nuit.

Samedi 1er nov. 13. Aujourd’hui Fête de la Toussaint. Repos. L’an dernier nous étions auSénégal. Sa chaleur nous fait défaut ici, où nous avançons cependant dans la bonnesaison. Temps triste et froid. La terre ici, dans sa désolation, est propice à la rêverie etau recueillement. Dans le grand silence qui pèse un peu par instants, nous pouvonssaluer nos morts d’une pensée, d’une pensée pieuse, d’une pensée franche si je puis dire.Laissons aux hypocrites le soin de jouer la comédie dans nos cimetières lointains. Pasde grimaces : soyons sincères, comme certains pauvres, certains malheureux, certainsdéshérités, qui se traînent parmi les tombes… Neige au soir par rafales et froid.

Dimanche 2 nov. 13. Neige alternant avec le soleil. Fait du dessin et travaux divers.Lundi 3 nov. 13. Grains de neige au matin. Tiré un léopard de mer. Pris la peau qui est en

assez bon état. Soir, on cinématographie les phoques sur la plage ainsi que les éléphantsde mer. Ces vues, lors des conférences, intéresseront les parisiens ou autres qui serontprésents. Nous en prendrons d’autres au cours de notre campagne. À la nuit et tandisqu’en France il fait encore jour, nous nous rendons à terre pour observer une occultationd’un des satellites de Jupiter (au théodolite et chronomètre). Un grain de neige nousmasque le ciel au bon moment. Nous n’avons donc rien fait à part quelques observationsd’étoiles (hauteurs correspondantes) Alpha et Bêta, Centaure principalement pour ladétermination de la longitude de Port Elisabeth où nous sommes toujours. Dansl’ombre, mêmes froissements d’ailes, mêmes souffles de phoques au plein qui rampentpéniblement tout près de nous…

Mardi 4 nov. 13. Trémails au sec. Tué et dépouillé un phoque. La peau est destinée auMuséum. Installation provisoire d’un abri météorologique à terre. Capture d’un jeunephoque vivant. //

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5 nov. 13. Mercredi. Toute la nuit le petit phoque n’a cessé de crier. Au matin nousl’assommons. La peau de la femelle, supposée sa mère, est traitée et salée. La peau dupetit subit le même sort sous la pluie battante, froide, chassée par les rafales. C’est de laneige fondue qui engourdit, paralyse les mains au contact de cette graisse froide et desos du crâne que nous nettoyons. Le pont est encore plein de sang et les mouches, parcette température, ne nous importunent guère. C’est égal, si un jour je revois cesphoques et le léopard (empaillé dans une des salles du Muséum à Paris, je me rappsouviendrai d’une fameuse onglée, d’un temps bien gris et de nos guenilles pleines desang. Dans l’ap-midi un jeune pingouin fait son entrée (impassible) à bord.

6 nov. 13. Jeudi. Fait de l’eau douce au moyen d’une barrique (au petit ruisseau).7 nov. 13. Vendredi. De nombreux pingouins ont été apportés hier soir salissant le pont à “qui

mieux mieux”. Aujourd’hui au matin, à terre on tue une femelle de phoque (avec unpetit). Les squelettes sont nettoyés, grattés à bord, pour être expédiés à Paris à notrearrivée en Australie. Observation au théo et réglage du sextant à terre. Rafales qui vousfont pleurer.

8 nov. 13. Samedi. Pluie dans la nuit. Nettoyage des squelettes. Observations. Photographie.9 nov. 13. Dimanche. Assez beau temps. Soleil et grains de neige. Risées très froides.

Menuiserie. Dans l’ap-midi, un peu de toilette. Mes cheveux si longs sont coupés. Leseffets que le lieutenant au long cours ainsi que Châtelain du “Formosa” m’ont donnés àBuenos-Ayres, me servent. Fabriqués sous le soleil de Chine, ils revoient le journeigeux ici. Très chauds, je les apprécie maintenant. J’ai bien fait de peu me vêtir et dem’entraîner pour le froid.

10 nov. 13. Lundi. Vers 9h30 mat. appareillé de Port Elisabeth pour revenir à Port Couvreuxoù sont les bergers. Mouillé vers 1h ap-midi. (Quand nous avons viré l’ancre bâbord,elle disparaissait sous la vase et le goëmon). Ces goëmons rendent le canotage difficileparce qu’ils sont excessivement nombreux : il faut une grande habitude de l’aviron pours’en dégager ce à quoi on arrive en nageant d’une certaine façon. Au soir fait eau douce.Revu les bergers. Remis le courrier pour le “Yves Kerguelen” quand il reviendra. Nousveillons et causons un peu avec les “insulaires” qui nous tiennent compagnie. Neige àterre. Lune pâle. (Je note ici que j’ai vu le jour ce matin vers 3h15).

11 nov. 13. Mardi. Au matin appareillé de Port Couvreux vers 9h45. Les bergers nousenvoient un mouton. Avec des lapins, des sarcelles, que nous nous procurons au moyende quelques cartouches, et cette viande fraîche, nous avons de quoi manger ! Lesbeefteaks de viande phoque sont excellents. Cette viande, que le froid conserve trèsbien, a un goût de charcuterie ; seule sa couleur d’encre de Chine la rend peuappétissante. Arrivé et mouillé vers 1h30 ap-midi dans une des nombreuses baies duPort d’Hiver. Les îlots sont très nombreux ; les goëmons aussi. Grains de neige alternentavec soleil. Froid. Continué grattage des squelettes de phoques. Les os, que nousimmergeons dans une caisse amarrée, sont nettoyés admirablement par une quantitéinfinie de petits animaux sous-marins qui sont très voraces et qui s’acquittent de cettetâche à merveille. Allé à terre. Relèvement au graphomètre. Construit des pyramides prsignaux. À la nuit observations au théodolite. //

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[croquis à peine esquissé d’un buste d’homme barbu, vraisemblablement en habits de bédouin :Abdelkader peut-être ?]

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12 nov. 13. Mercredi. Grattage squelette et immersion. À terre pour circumméridienne. Grainsde neige. Soir réparé pied du théodolite. Le trémail, mouillé hier soir et relevé ce matinn’a rien donné. Rien de que [sic] des étoiles de mer sans nombre. À terre, le soir, lescormorans passent un mauvais “quart” sous une pluie de pierres.

13 nov. 13. Jeudi. – Beau temps – superbe même pour ici. Calme. Température dépasse 10° !Cérusage des étais, galhaubans etc. … et goudronnage général.

14 nov. 13. Vendredi. – Temps frais. Vent violent et grains de neige. Continué céruse etgoudron. Réparé parquet du canot.

15 nov. 13. Samedi. – Rafales. Nettoy. poste. Entretien outils. Au soir rafales de neige.16 nov. 13. Dimanche. De quart de minuit à 6h. À 2h ce matin, pont complètement couvert

par la neige ainsi que les terres. Il est jour vers 3h15. Il fait calme ; c’est une étrangesensation d’isolement et de repos et de silence. Les côtes, que la couche blanche semblerapprocher, la mer au ton pâle, l’aspect du navire recouvert, l’absence de toutmouvement, tout cela “s’approche” des visions de l’Antarctique. Soir grains de pluie etneige.

17 nov. 13. Lundi. Petite brise au matin. Le Comt et le lieutt s’en vont en excursion. Doris enremorque avec la Joconde et paquets. Gagné à l’aviron le plus possible. Fait franchir uncol au doris : 150 m à bout de bras. Tout bien. Soir confectionné une ligne de sondegraduée jusqu’à 50 m.

18 nov. 13. Mardi. Aujourd’hui, au matin, souvenirs de famille… Déjà quinze ans de cela16 !Pluie. Continué et terminé ligne de sonde. Soir diagramme météorologique de lasemaine. Topographie et plan au 1/10 000 de Port Elisabeth. Rafales de neige et de venttrès violentes Nous chassons. Mouillé une 2e ancre. Au soir le baromètre est bas. Dans lanuit rafales et tourbillons très violents (9) et (8) de moyenne.

19 nov. 13. Mercredi. Temps froid. Grains de neige, très forts alternant avec violentes rafales.Le baromètre est toujours bas ; le temps bouché. Filé les 2 chaînes (120 m à T[ribor]d, 4maillons), pour éviter de chasser encore. Terminé le plan de Port Elisabeth et prisquelques relèvements au sextant dans le Port d’Hiver. Au soir mêmes rafales violenteset neige épaisse.

20 nov. 13. Jeudi. Violents grains de neige. Avec le canot effectué divers sondages. Neige,glace et vent rendant l’opération assez dure à cause des onglées. Le Comt et le lieutt

n’ont pas de chance s’ils ont ce même temps. Au soir enroulé 500 m de fil d’acier sur letambour du sondeur Thomson. A la nuit et sous la neige toujours allé à terre pr observerau théodolithe pendant les éclaircies. Hier nous n’avons pas eu l’occultation d’un dessatellites de Jupiter par suite des rafales et du temps bouché.

21 nov. 13. Vendredi. Même temps à rafales et grains de neige. Viré les chaînes au matin etresté sur 2 maillons à tribord. Entretien des poulies. Dans l’ap-midi je pars seul, pour lamontagne au lieu appelé : bloc ératique [sic]. Je mets mon graphomètre en station.Relèvement des îles sous un froid très grand. Grains qui masquent. Au retour, à lastation 2 bis, sous l’œil intrigué des cormorans et autres… continué les relèvements.

22 nov. 13. Samedi. Repos pr moi ce matin. J’en profite pour aller au grand cap prendred’autres relèvements pour la topographie des lieux. Vers 9h je suis en station au pointculminant (150 m de hauteur environ)[.] Les grains violents de neige rendent les viséestrès dures. Le froid aux doigts m’interdit toute tentative de dessin //

16 Seyrolle fait peut-être référence ici au décès de sa mère, survenu en 1898 ?

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[dessin d’un homme barbu en buste, de face]Tolstoï

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et d’écriture. J’abandonne le graphomètre et cherche un abri. Cette nature estextrêmement sauvage. Dans la grisaille des flocons qui tombent ce basalte paraît plusnu, plus désolé encore que le restant du pays peut-être. Aucun arbre ici, ni ailleurs, nirien de ressemblant : un peu de mousse c’est tout. J’aperçois entre deux découpures deroc le graphomètre et son pied, agrandis qu’ils semblent dans ce milieu. Cet appareil,dans cette solitude, alors qu’on a une sensation bien nette d’éloignement et d’abandon,tranche étrangement et se découpe sur le fond d’une façon bien drôle… Terminé versmidi. Dans l’ap-midi hydrographie. Le temps est doux, très doux ; nous en profitonspour effectuer quelques sondages, reconnaître des passes, faire quelques croquis dedétails etc. … Terminé vers 5h. Pour une fois je n’aurai pas eu l’onglée avec la ligne desonde ! La nuit tombe, noire, épaisse ; il fait calme, étrangement calme.

23 nov. 13. Dimanche. Beau au matin. Le Comt et le lieutt sont de retour : nous allons leschercher avec le canot. Le doris est laissé au sec de l’autre côté. Grains et froid dansl’apr-midi. Les 4 saisons dans une même journée quoi ! C’est le temps d’ici. À midi prisavant, pendant et après une quarantaine de hauteurs pour déterminer une fois pour toutesla latitude du lieu. Au repas, nous avons eu une bouteille de vin de… derrière les fagots.Nous n’y sommes plus habitués. Néanmoins l’eau pure d’ici et le thé restent encore lesdeux reines !

24 nov. 13. Lundi. Grains de neige alternant avec éclaircies. Nettoyage des appareils etinstruments nautiques. Grattage et minium.

25 nov. 13. Mardi. Appareillé vers 8h du matin. Sondages au départ. Petite et grande sonde.Le fil de 500 m du Thomson nous sert souvent et donne d’excellents résultats. LeLieutenant et moi restons à l’île Pâté cependant que les autres vont avec la “Curieuse” àla recherche du doris. Le temps est beau et doux, relativement, bien entendu. Prisrelèvements et fait divers croquis pour la topographie. Hydrographie en même tempsentre l’île du Port et la presqu’île de Bismarck. Un nom allemand ici, en terre française !Et il y en a d’autres ! Qu’on efface tout cela et vivement ! Ça sent trop la choucroutedans certains parages ! C’est honteux. Allé dans une “rockerie” [sic pour « rookerie »]chercher des œufs de pingouins au milieu d’un vacarme étourdissant. Œufs de damiers,sternes, poules de mer, canards, pétrels, “mégalestris”17, mauves, cormorans etc. …toute la ribambelle ! Mouillé au soir dans la baie de la Curieuse. Dans la journée nousavons été témoins de magnifiques effets de soleil sur les monts couverts de neige et deglaciers : nappe immense de satin blanc, avec ça et là de grandes moires aux dépressionsdu terrain ou produites par l’ombre des nuages d’un ciel toujours chargé, rarementserein, et formant des reflets d’une beauté imposante.

26 nov. 13. Mercredi. Au matin, calme. Hydrographie et recherche des points propices pourune base (topo). Recherche des œufs de pingouins. Sondages. Construction depyramides. Dans ap-midi exploration des îles et pages d’écriture sur les rochers avec dela peinture blanche (pour signaux). Les visées sont rendues difficiles par un tempsexécrable. De la pluie et de la pluie ! Une pluie fine, continuelle, pénétrante qui n’ad’autre mérite que celui de maintenir le thermomètre un peu – oh! pas beaucoup – au-dessus de zéro. Mouillé le marégraphe avant la nuit (marée de syzygies). C’est un pointintéressant. Calme et pluie à la nuit.

27 nov. 13. Jeudi. Temps à rafales courtes et violentes de vent. À la surface de l’eau ce //

17 Apparemment nom obsolète (Megalestris antarctica) du labbe de McCormick, aussi appelé skua antarctique ou labbe antarctique.

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sont des tourbillons, des trombes, des cyclones en miniature. Nettoyage des appareils.Minium. Dans ap-midi repos pr moi. Sondages et relèvements malgré cela. J’ai biendonné aujourd’hui plus de 150 coups de plomb ! Les mains sont polies par le frottementde la ligne. Pluie au soir c-à-d temps exécrable.

28 nov. 13. Vendredi. Rafales violentes et grains de neige. Décidément ce n’est pas ici unendroit choisi pour y laisser le nom du navire ! Dans ap-midi, construction du plan duPort d’Hiver (Baie de l’Exercice) à 1/20 000.

29 nov. 13. Samedi. Fait eau douce au matin après avoir découvert un petit ruisselet. Ap-midimesure d’une base et topographie. Temps assez beau aujourd’hui.

30 nov. 13. Dimanche. Temps exécrable qui durera toute la journée et toute la nuit.1er décembre. 13. Lundi. Temps froid. Rafales violentes jusqu’au soir. Repos au matin.

Météorologie et nettoyage des appareils dans l’ap-midi. À la nuit temps calme avec unciel criblé d’étoiles.

2e décembre. Mardi. Travaux divers. Entretien. Confection d’une ceinture de protection pourla “Joconde”. Soir neige très épaisse. Dans la nuit tout est recouvert.

3 décemb. 13. Mercredi. Au matin le pont disparaît sous la neige. Les monts sont blancs. Ausoir je construis un tableau de météorologie (résumé de Novemb.) Chaque fois quej’écris ou dessine quelque peu je suis observé comme une bête curieuse… Mon Dieu !Le nom de la baie est changé. Le nom de “Curieuse” est remplacé par celui de “Yacht-Club”. Un nom qui aurait pas mal convenu à l’endroit est : baie des Rafales ! Queltemps ! Recherche des œufs de pingouins à terre. Les omelettes faites avec les œufs depingouins sont plus qu’excellentes, plus fines que nos œufs de poule. Je ne m’étonneplus maintenant si à Cape Town on vend un œuf de manchot six ou huit pences !

4 décemb. 13. Jeudi. À 2h45 ce matin, il est jour. En France, à cette heure ils doivent tousdormir encore, pourvu toutefois qu’ils soient couchés déjà ! Nous appareillons à 4h.Temps doux. Visité la “rockerie” de pingouins[,] 500 ou 600 œufs telle est la récoltepour aujourd’hui. Sondages à la main et à la machine et relèvements pour le plan(méthode de l’amiral Mouchez18). Vers midi sommes arrêtés sur une roche dans unepetite passe ; décollé à marée haute. Mouillé au soir en face Port d’Hiver. Qq. gouttes depluie à la nuit tombante.

5 décemb. 13. Vend. Au matin appareillage. Hydrographie et suite des travaux d’hier. Mouilléau soir à l’île Marmite (dénommée ainsi à cause des nombreuses marmites danslesquelles les anciens baleiniers faisaient cuire les ou plutôt fondre les gros quartiers envue de la fabrication de l’huile). Sondages avant la nuit. Observations au théodolithe.Temps doux aussi en profitons-nous : ces journées sont si rares ! Le ciel aujourd’hui aprésenté l’aspect de nuages changeants rapidement avec nouvelles formationsdiverses. Vue du grand large du sommet de l’île. Une ligne d’horizon immense, droite etnue, sur laquelle on chercherait en vain quelque navire !

6 décemb. 13. Samedi. Travaux divers au matin. Allé à terre prendre une grosse barrique danslaquelle était encore de la mélasse depuis 30, 40 ou 50 ans je ne sais pas au juste !Appareillé dans l’ap-midi. Nous ne perdons pas de temps. Sondes. Arrivé au soir à PortCouvreux où nous retrouvons les bergers ; nous sommes tous contents de nous revoir ;les gens sont si rares ici et la société ne change pas beaucoup. Embarqué 1 000 ou1 200 kgr de charbon. Terminé rapidement. À la nuit pluie avec temps doux. Pasd’observations d’étoiles par conséquent. //

18 Ernest Mouchez (1821-1892), contre-amiral et directeur de l’Observatoire de Paris de 1878 à sa mort.

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7 décemb. 13. Dimanche. Vent frais et froid toute la journée. Petite pluie au soir. Pour romprela monotonie ambiante je vais à terre rendre visite aux insulaires. Ils ont terminé unetoute petite chambre qui leur procurera désormais un peu plus de bien-être. Sous le cielchargé comme d’habitude nous avons causé de choses et autres. Un certain mot, celuide : guitare, en parlant musique a, par sa puissance évocatrice, éveillé en moi une foulede souvenirs. Guitare ! Comme certains mots ont une étrange sonorité ! Sous le ciel griset bas où de gros cumulo-nimbus passaient en courant, chassés par la rafale d’ouest-nord-ouest, en une seconde de calme trompeur, alors que la neige ne tombait plus (cellequi cache les laideurs du sol ; atténue les bruits ; celle qui calme et endort la terre) encette seconde dis-je une foule de choses a défilé avec une vitesse vertigineuse…

… Morganti c’était son nom ! Berthe, celui de sa sœur rencontrée où donc ? Dans lesgorges sauvages du Tavignano ? Près des bords du Niolo ? Aux calanches de Piana ?Dans les environs pittoresques de Porto ou de Santa-Manza ? Où ? Le sais-je au juste ?J’ai déjà tant couru ! Le regard excessivement droit, beau par conséquent, de cette jeunefille honnête pour laquelle je n’ai jamais su non plus si quelque chose est né ou adisparu en moi ! Lui, surnommé le “fou”, musicien dans l’âme… sans pareil pour laguitare ! Qu’il faisait rire et pleurer. Puis les sous-marins de Toulon et de Bizerte. Leciel d’Afrique bleu à outrance sous lequel avait lieu la promenade… Les cafés mauresoù nous prenions le “kaoua”… l’odeur d’encens remplaçant celle du “tombae” dans la“chicha” brûlante… les morceaux d’opéra égyptien… des rois inconnus… desmodulations bizarres… le son vague d’une derbouka lointaine… la vision plus ou moinsnette des pays d’Orient entrevues sous le grand soleil. Puis au milieu de tout cela leslongues théories d’Arabes aux burnous blancs ou crasseux, poussant devant eux, touteune file de chameaux placides… les femmes voilées… Ensuite les longues plongées(moi avec la “Truite”) lui, avec l’ancien “Farfadet” de pénible mémoire. Les petiteséchappées dans la baie de la Carouba19, toute proche du coin de terre où nous vivions…la pointe de Ras-El-Kren20, vieille comme le monde… les bouquets de palmiers, decactus, de bambous… le bois d’oliviers où pendant les nuits d’hiver les chacalspassaient en glapissant… l’agonie lointaine et douce – trois fois belle – d’un énormesoleil, très rouge… le recueillement habituel et subit après cette fin grandiose, tout prèsdes marabouts ou des koubas en ruines qui s’endormaient très doucement, dans l’ombreviolette… où l’on se croyait, (n’eussent été le cri étrange de quelque oiseau de nuit et laplainte continuelle de la mer) au seuil d’une gigantesque nécropole… Puis la mortbrusque de Morganti après son retour dans l’antique Cyrnos… Cette fameuse guitareque, profane, je rendis à Berthe… Guitare maudite et sacrée que je ne devais plus jamaisentendre ! Mot sonore, au timbre bizarre, évoquant de toute sa puissance, tant de notesberceuses et farouches, difficilement compréhensibles pour tout autre que ce “fou” quej’aimais là-bas sur cette terre d’Islam…

Oui, en une seconde, une seule, toutes ces choses ont passé… Et aujourd’hui encore,(alors que la métamorphose douloureuse ne l’a pas détruit mais l’a seulement renduinvisible), par certaines nuits noires, quand l’âpre vent des nuits australes souffle dans lavoilure, semblent me parvenir de l’Au-delà, une plainte, un sanglot d’une tristessepoignante… quelque chose enfin comme les derniers accords plaqués par l’invisiblemain de Morganti ! … //

19 La Kharrouba, un peu à l’ouest de Bizerte, sur la côte nord de la rade.20 Probablement le Ras El Kram.

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8 déc. 1913. Lundi. Vent frais. Travaillé à la ceinture de protection. Dans l’PM [sic] fait del’eau douce.

9 déc. 1913. Mardi. Appareillé vers 8h30 matin. Louvoyé pendant plusieurs heures pour entrerà la baie de l’Espérance. Est-ce bien son nom ? Tant d’endroits qui ne sont pasnommés ! Mouillé au soir. Même brise de NO ou ONO.

10 déc. 1913. Mercredi. Diagrammes. Entretien appareils. Tué 2 phoques, à terre, pourdécouper dans leurs cadavres les meilleurs morceaux pour la cuisine.

11 déc. 1913. Jeudi. Temps à brise de NO. Grains de neige. Terminé la ceinture de la“Joconde”. J’ai un commencement de fluxion dentaire. Vais-je revivre ces bellesheures ? Mon visage est barbouillé de teinture d’iode au bon endroit : je “capèle” mesdeux “passe-montagne”. Va-t-il ou va-t-elle avorter ?

12 déc. 1913. Vendredi. Appareillé vers 9h matin. Sondages & relèvements. Temps assezdoux. La fluxion a avorté : ce n’est pas dommage ! Mouillé dans la baie X… Reconnul’impossibilité de passer avec le bord au moyen de sondages en canot. Mouillé versmidi. Soir allé terre faire station sur un sommet très élevé. “La vue est immense”, del’île Howe, les récifs – nombreux – Campbell, Cap Digby de la Presqu’île del’Observatoire, le mont Ross, le plus élevé des îles, le mont Richards, tout cela, aperçusous un ciel tantôt triste, tantôt ensoleillé. La brise souffle là-haut, aigre et constante,nous apportant “des échantillons de froid qui doit régner là-bas à l’horizon, sur lesglaciers… Notre “base” est mesurée avec des signaux de dynamite. Le temps estchronométré etc. … Looch et la petite chienne “tirent bordée”. Soir pluie.

13 déc. 13. Samedi. Pluie dans la nuit. Briquage écurie. Fait eau douce. Graduation limbeglace[?] compas. Soir les deux chiens rentrent, assez piteux. Risées.

14 déc. 13. Dimanche. Pluie et risées : journée monotone avec un peu de dessin d’ornementpour me distraire. Naturellement je suis observé curieusement. Dieu, que de bons mots !que de traits d’esprit ici. À la bonne heure ! On ne s’ennuie pas. Il n’y a pas à dire… il ya de l’intellectualité !

15 déc. 13. Lundi. Nettoyage, démontage d’une petite merveille : le loch de Walker. Soirdiagrammes météorol. Qq. gouttes de pluie. Dépouillement des oiseaux pr le Muséumde Paris.

16 déc. 13. Mardi. Appareillage à 9h30 mat. Hydrographie. Sondages à la main et à lamachine. Temps superbe. Mouillé à 5h30, soir, à l’Île Howe. Allé terre. Les phoquessont nombreux ici. Les Norvégiens21 ont laissé des traces : marmites, espars, bois etc. …tout cela est resté à la côte. Certains de ces débris que nous trouvons nous font songeraux apparences d’un naufrage ancien. Soir étoilé. À minuit une faible lueur persisteencore dans le couchant. Tout à l’heure, vers 2h15 du matin, cette lueur réapparaîtradans l’Est, cette fois. Ainsi il n’y a presque pas de nuit quand le temps est clair en cettesaison.

17 déc. 13. Mercredi. Au matin calme plat ; mer d’huile. Nous prenons la “Joconde” c’est lapluie. Graduation nouvelle de la sonde. Soir beau relatif. Mouillé le trémail. Pourvu queles phoques, les pingouins, cormorans et autres nous emportent pas ce filet. Visité de lepetit chenal [sic] les phoques sont très nombreux.

18 déc. 13. Jeudi. Nous avons pris du poisson dans la nuit. C’est le premier que nousmangerons depuis que nous sommes aux îles. Au matin, calme plat avec une merd’huile. Nous partons avec la “Joconde” pour faire des sondages et reconnaître diversespasses et îlots entourés d’amas d’algues gigantesques où toute une vie //

21 Il s’agit probablement de baleiniers occasionnels (voir également plus loin note du 13 février 1914), qui fréquentent lesKerguelen depuis le XIXe siècle. D’autres ressortissants norvégiens ont été envoyés par les armateurs Bossière quelques annéesauparavant, qui ont fondé Port-Jeanne-d’Arc. Cependant, ce dernier étant situé au sud de l’île principale (Grande Terre) desKerguelen, alors que l’île Howe se situe au nord, ce n’est sans doute pas d’eux dont il s’agit ici.

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infiniment petite se réfugie. L’eau est transparente. À 18 mètres nous voyons les étoilesde mer se promener sur le fond froid et silencieux. Recueilli divers crustacés pour leMuséum. En revenant nous avons à lutter contre un fort courant qui nous fait obstacle.Heureusement que nous avons un bon entraînement à l’aviron ! Soir allé prendrerelèvements à l’île Howe.

19 déc. 13. Vendredi. Matin repos pour moi. Je vais encore à Howe. Signaux à la dynamite.Beau relatif. Soir temps couvert. Petite pluie. Terres embrumées. Entretien du sondeur.À terre, c’est la nuit, la nuit noire, complète qui masque tout. Le cri des phoques nousparvient très net jusqu’ici. C’est rauque et profond ; ils soufflent beaucoup. On lesdevine se battant, se dressant, cherchant à s’embrasser sur “la bouche”[.] Et dans cebaiser, dans cet embrassement il y a quelque chose de monstrueux. Les dents crochent ;le sang coule. Dans la journée quels beaux films pour cinématographe !

20 déc. 13. Samedi. Travaux et réparations diverses. Sondage d’un banc de goëmon. Pluie fineet continuelle. Vent par risées. Brume au soir.

21 déc. 13. Dimanche. Brume au matin. Beau temps après-midi. Je profite d’un moment desolitude pr faire le plan de la baie du Yacht-club ! Cette baie que j’appelle baie desRafales !

22 déc. 13. Lundi. Appareillage dans matinée vers 9h30. Temps se couvre de brouillard.Sondages à la main et à la machine. Froid. Mouillé dans l’ap-midi dans une baie nonportée sur la carte. Ap-midi : pluie ; froid : temps exécrable et habituel sous un ciel oùpassent sans cesse des fantasmagories… Recherches à terre, d’un ruisseau pr faire eaudouce. D’Anglade vient avec nous, croyant assister à une partie de plaisir. Les a-t-ilremplies et remplies ses bottes ! Quelle baignade ! En a-t-il prononcé des “maudits”nom, expression chère aux matelots ! Le voilà guéri maintenant. All right ! Weather istoo bad ! [trad. Allons bon ! Le temps est trop mauvais !] Enfin, après être revenus aupoint de départ, nous finissons par remplir une barrique !

23 déc. 13. Mardi. Il a plu dans la nuit ; les ruisseaux coulent. Nous remplissons nos caisses àeau. Ap-midi sondages et topographie de la baie. Pluie et grains.

24 déc. 13. Mercredi. Travaux divers. Sondages. Pluie et vent. (Notre baie va prendre le nomde Port Girard.)

25 déc. 13. Jeudi. Noël. Ce matin, vers 4h30, grand jour déjà. Il est minuit en France en cemoment. Ici, c’est la rafale habituelle d’Ouest, avec du froid et de la pluie. Aucun écho,dans notre éloignement et isolement ne nous parvient de cette grande fête. Dansl’Antarctique, sous le ciel chargé et tourmenté à l’extrême il n’y a pas l’épanchement decette lumière invisible qui illumine le cœur des croyants, la nuit, lorsqu’ils cherchent lechemin de l’Église…

J’aurais voulu à terre prendre quelques relèvements de pointes au sextant de pochemais il fait trop mauvais. Donc repos, par force.

26 déc. 13. Vendredi. Mauvais temps. Grains violents de neige et de pluie à l’extrême 27 déc.13. Samedi. Appareillage au matin. Hydrographie matin. Beau relatif ensuite.Appareillage. Hydrographie. Au soir le temps se couvre. Mouillé dans Port Helène(grande île du Prince Adalbert. La pluie tombe à torrents. Montagnes très hautes.Nombreuses cascades.… Eh ! bien non… Cet endroit s’appelle Pt Hélène je sais, mais si j’avais un nom pareilà donner à un endroit de la côte, ce ne serait pas celui-là bien sûr… Non Hélène ! malgréqu’il y ait quelquefois beaucoup d’ombre violette… je ne donnerai pas ton prénom à cevilain endroit. //

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27 décemb. 1913. Samedi. Appareillage à 5h matin. Temps calme. Défilé, hydrographié,sondé, le détroit de Tücker. Les monts Richards et les glaciers flambent de neige et deglace sous un ciel étrangement bleu… étrangement pur pour la Désolation. Au soirtemps se couvre rapidement. Grains et froid. Touché de l’étrave, dans le fond de Bear-Up. Mouillé dans l’ap-midi[.] La pluie tombe. Voilà les quatre-saisons en peu de temps.

28 déc. 13. Dimanche. Rafales d’Ouest et grains violents dans la nuit. Temps abominable dansla journée. Fait le plan de Port Girard à 1/10 000.

29 déc. 13. Lundi. Canotage très fatigant. Signaux sonores pour la mesure des bases.Cartouches et dynamite. Relèvements.

30 déc. 13. Mardi. Temps menaçant. Petite pluie. Fait eau douce pour [sténo.] caisse moteur.31 déc. 13. Mercredi. Pluie et vent avec du froid. Entretien des appareils. Au soir, le temps

menace davantage. L’air s’engouffre dans la vallée de Ring et débouche entourbillonnant avec violence. La mâture gémit ; les drisses battent ; la chaîne force.Nous “évitons”. Dans le ciel ce sont de gros cumulo-nimbus et dans les rares éclaircieson aperçoit des strato-cumulus qui chassent rapidement. Le froid augmente : noustanguons et roulons comme à la mer, ici dans ce vilain trou où la rafale passe partoutdans l’obscurité. Nous allons certainement “chasser” si ce temps persiste. Et toutindique qu’au large il y passe certainement un joli coup de vent…

1914

1er janv. Jeudi. 1914 – Légère accalmie au matin après violent coup de vent d’Ouest. Toute lanuit des gémissements partout ; dans le grand ciel bas, toujours sombre, sur la meragitée par la houle… sur les monts où la neige et la glace sont comme figées à toutjamais. Un grand froid et de pluie [sic] par intervalles. Et par dessus tout cela la grandevoix qui passe partout en hurlant et domine tout de son concert impressionnant… Ici, encet endroit, plus sauvage, plus farouche, avec son basalte, que les autres, il semble qu’ily ait moins de vie que partout ailleurs… les oiseaux se font rares… ils s’effarent devantla grosse voix qui nous arrive de l’Ouest… cette voix puissante et dure qui sembleémaner des tuyaux sonores d’un orgue gigantesque…

Aujourd’hui, sous la lumière grise et diffuse, c’est le nouvel an. Les postmen sontrares en ce pays. Point de cartes, point de lettres suant le mensonge et l’hypocrisie. Nousadressons nos vœux mentalement. La Pensée est plus rapide que nos facteurs decampagne…

Repos en l’honneur du 1er Janvier. Le canotage, avec la “Joconde” qui prend de plusen plus l’allure d’une “ourcque22” préhistorique, est assez dur. Il y a de la houle et puisdes grains de pluie glacée et sur la petite plage la lame indienne déferle, méchante…

Au soir la brise reprend, aussi forte, aussi aigre, amenant les mêmes rafales quidébouchent toujours de la vallée Ring qu’on devine, devant nous, à cause de ses tâches[sic] de neige qui ne veulent pas disparaître…

2 janv. 14. Vendredi… Vers 3h du matin, mouillé une 2e ancre et filé de la chaîne pour ne pastrop “chasser”. Les fonds sont traîtres ici. Dans la journée //

22 Sic pour « hourque ».

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pluie continuelle qui noie toutes les choses. Je travaille aux feuilles météorologiques.Les moyennes sont édifiantes. Mais il est vraiment difficile de faire quelque chose depropre avec tout le va-et-vient et l’eau qui suinte partout… Sans hésitation j’appelle cesfeuilles – une fois terminées – des “chef-d’œuvres”. On a compris, ce que je veux dire,ici, à bord… Au soir, rafales et calme relatif.

3 janv. 14. Samedi – Nuit de calme et de rafales alternatives. Au matin, même lumière grise.Le Comt et le Lieutt partent. [sténo.?] A.[? pour Anglade] et B.[? pour Boudoux ?] lesaccompagnent pour le transport de la tente, matériel etc. … À midi la pluie reprend etcontinue jusqu’au soir.

4 janv. 14. Dimanche. Temps bouché ; les monts sont couverts partout. Travaillé aux feuillesmensuelles de météorologie. En compagnie des livres après ! De vrais amis ceux-là.

5 janv. 14. Lundi. Temps à rafales. Petits travaux.6 janv. 14. Mardi. Grains violents. Pluie battante. Terres embrumées. Travaux d’entretien.7 janv. 14. Mercredi. Dans la nuit violentes rafales. Une accalmie au matin. Fait eau douce.

Le Comt et le Lieutt reviennent au moment même où on partait aux nouvelles. Ausoir, saute de vent au Nord. Mer houleuse. Tangage et roulis comme à la mer. Fortesrafales et pluies abondantes. Temps froid. Visité les peaux de phoques en salaison (etcelle du léopard de mer).

8 janv. 14. Jeudi. Pluie ; changé le sel des peaux et mise en baril jusqu’en Australie d’où ellesseront expédiées en Europe. Travaux de cale. Soir repos pour moi. Dressé le tableau desdivers échantillons d’eau de mer en surface analysés pendant notre traversée du Cap deBonne Espérance aux Îles Kerguelen.

9 janv. 14. Vendredi. Temps calme et beau au matin. Allé prendre le restant du matériel decampement laissé sur les lieux par le Comt et le Lieutt. Canotage pendant plusieursmilles et sous la pluie qui n’a pas manqué de tomber. Ap-midi : Brume et pluie.

10 janv. 14. Samedi. Appareillage vers 4h30 matin. Temps calme. Hydrographie. Brume aularge avec vent froid de NE. Virons de bord. Pluie. Mouillé dans une petite baie dudétroit de Tücker.

11 janv. 14. Dimanche. Petites rafales. Allé à terre pour la méridienne. Pris un bain forcé pourrattraper la “Joconde” qui voulait faire des siennes. Ap-midi Rafales.

12 janv. 14. Lundi. Appareillé à 5h matin. Temps froid et bouché. Petite pluie glacée. Mouillévers 10h AM dans Port Fallières dans la petite baie. 2 ancres à la mer.

13 janv. 14. Mardi. Petits travaux. Un peu de soleil ap-midi. Cinématographe à terre, chez lesgrands albatros. R[abre] revient vers 9h du soir avec des gros œufs plein les bottes ! Il afait le chemin pieds nus dans la montagne. Vers 9h30 soir temps calme, avec dansl’occident, entre les déchirures de cumulo-nimbus, une lueur de lente agonie du jour quitraîne encore derrière les monts neigeux. À 10h, on y voit encore ; mais les nuagess’amoncellent dans le Nord-Ouest. Les phoques puants et les affreux éléphants de merse battent sur les plages. Leurs cris rauques nous parviennent amplifiés par la solitudedes îles et le grand silence qui semble étrange et lourd, ici, où les accalmies sont rares,rares… 11h… La lueur persiste… les caps sombres et immobiles se détachent sur les planslointains, au dessus du calme de la mer sans s’y refléter pourtant. Les mauves piaillent àterre : sur les paquets de goëmon d’autres sont posés, tâchant [sic] de points blancs cettelueur de crépuscule avancé mais qui tarde à disparaître… //

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14 janv. 14. Mercredi. Beau avec brise. Fait eau douce. Préparatifs pour développer 500 m defilms cinématographique. À terre recherche des moutons. Amenés au plein ils sontfusillés. Les balles passent et sifflent… Emporté 4 à bord ; cela fera de la viande fraîche.

15 janv. 14. Jeudi. Petits travaux. (les journées du 14 et 15 doivent être inversées).16 janv. 14. Vendredi. Temps à “boucaille”. Petits travaux. À terre dans PM on va à la

recherche d’un mouton tué la veille. Pris les gigots et épaules. À bord 2 de vivants.17 janv. 14. Samedi. Temps pluvieux. Lavage après développement des films du cinéma.

Nettoyage du poste.18 janv. 14. Dimanche. Le trémail est plein de poissons. Levé au matin par temps calme.

Appareillage à 7h. Hydrographie. Quelques grains. Fort roulis et tangage avec la houlede NO. Mouillé dans l’PM [sic] dans la baie du Centre. Sondages. Relèvements.

19 janv. 14. Lundi. Fort coup de vent. Mouillé 2 deux ancres. La mer “fume”. Rafales deneige[,] pluie et grêle très violentes. Repos aujourd’hui pr remplacer la journée d’hier.

20 janv. 14. Mardi. Coup de vent a cessé après avoir soufflé 24h. Petite pluie. Entretien desappareils. Relèvements au soir.

21 janv. 14. Mercredi. Temps beau. Fait eau douce. Tué un léopard de mer. Sondages. Virél’ancre B[âbor]d. Au soir temps couvert et pluvieux.

22 janv. 14. Jeudi. Tué un léopard de mer. La peau n’est pas prise. Fait eau douce et sondagesde la baie. Temps assez beau dans journée ; se couvre au soir. À minuit mouillé l’ancreBâbord. Grains violents et fortes rafales.

23 janv. 14. Vendredi. Travaux divers. Temps affreux. Confectionné une stadia23 pour latopographie. Terminé la graduation en degrés du limbe de la glace du compas étalon.Au soir, repos pour moi. Établi divers rapports et remarques océanographiques pendantnotre traversée de la Baie de la Table aux îles d’ici (20 sept.-22 oct. 1913) ainsi que 2cartes de la route suivie par la “Curieuse” et des feuilles de plankton [sic] océanique desurface. Au soir et dans la nuit, grains violents de NO avec pluie abondante.

24 janv. 14. Samedi. Rafales au matin c-à-d même programme. Nettoyage de l’écurie[,]continuation des rapports sous la lumière pâle… pâle, qui tombe comme à regret desquatre petites glaces du pont. Dans l’ap-midi beau temps. Appareillé de la Baie duCentre. Hydrographie et sondages nombreux à la machine. Mouillé à 6h30 dans la BaieBreakwater Il fait calme : c’est surprenant. Il ne pleut pas : c’est étrange. Il ne ventepas : c’est curieux ! Dans la petite baie, le basalte en prismes des côtes nous entoure.Les pierres sont dressées : elles ressemblent étrangement à des momies, debout, côte àcôte, se serrant les unes contre les autres sous l’empire de je ne sais quelle crainte. Ellessont là, depuis des siècles sans doute, témoins muets de la lavure[?] des temps et desgrisailles habituelles… À la tombée de la nuit elles semblent se ranger davantage ets’envelopper d’ombre crépusculaire…

Et dans la nuit qui est faite maintenant, une nuit exceptionnellement noire ici, dans lagrande et étonnante paix de la terre recueillie, les momies de pierre sont là… parmil’oppression des îles… parmi cet air vague et incertain de nécropole lointaine, dormantdans le noir des choses… //

23 Instrument de mesure topographique. Le mot est normalement masculin.

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25 janv. 14. Dimanche… À l’extrême matin le noir des choses se dissipe démasquantrapidement les éternelles momies de pierres, toujours immobiles, toujours muettes…toujours aux mêmes places. Sous le rayon tranchant d’un coup de soleil, échappé d’unamas de vapeurs, elles ont, l’espace d’une seconde, semblé vivre un instant Maisl’ombre s’est refaite aussitôt, les enveloppant de grisailles incertaines… vagues…vagues, ayant quelque chose d’un crépuscule arrivé avant l’heure, d’un crépusculeétreignant subitement les contours des mausolées de marbre, dans certaines nécropoles àl’instant où les cyprès commencent, sous l’effet de la brise qui passe, leur symphoniefunèbre…

Puis, dans la matinée des fantasmagories ; des jeux étranges de lumière sous le cieltourmenté comme toujours. Une nébulosité tantôt forte… tantôt faible… toujourschangeante… jamais la même pour longtemps… Les flancs de basalte, retiennent encorepar endroits des champs de neige ; de minuscules cascades (qui nous apparaissent tellesdans les lointains) ont, dans leur chute, leur jet relevé par la brise. Alors elless’empanachent, se dispersent, torturées par le grand souffle qui passe. De loin c’est às’y méprendre : leur ressemblance avec des cheminées d’usine est frappante. Il en estainsi pour les vols de cormorans qui passent au loin, sur la mer. Ceux-là, en certainescirconstances, ressemblent étrangement à la fumée noire qui sortirait d’un vapeurquelconque, ou de la cheminée d’une vedette… Alors, on se croirait dans un payshabité ; un pays où il y a des arbres, des maisons… Mais les cris des pingouins, deschionis24 etc.… nous rappellent immédiatement au sentiment de la réalité.

Et ce sont bien les îles, là… tout près. Les îles muettes… les îles immobiles commeles prismes de pierre, qui reposent avec leur uniformité désespérante… leurs côtesparticulièrement sauvages et tristes où il semble parfois, lorsqu’on s’oublie à rêver, quele Temps et l’Espace ne sont plus les mêmes, qu’ils sont abolis ou augmentés d’étrangefaçon ; que nous n’en avons plus les mêmes notions…

À midi, allé à terre, pour la méridienne. Observations nulles. La potentialité nerveuseest – comment dirais-je – enfin bref. Ap-midi de lecture pour rompre la monotonie ettrouver un dérivatif.

26 janv. 14. Lundi. À 6h matin, appareillé de la Baie de Breakwater. Grains de neige, grainsde grêle, alternant avec brise glacée, pluie et soleil. Tout cela en une demi-heure ! biensouvent. C’est le temps des îles. Temps maniable ap-midi. Mouillé vers 12h15 au fondde la baie de Cumberland, un peu plus ouverte, un peu plus lumineuse que l’autre, àcause de la grande dépression de terrain, dans l’Ouest, et par laquelle on communiqueen quelques heures avec la mer. Pris un tour d’horizon, au crayon, du navire aumouillage. Beaucoup de sondages à la machine aujourd’hui. Soir temps calme. Nuitnoire. Qq. gouttes de pluie.

27 janv. 14. Mardi. Petite brise d’W ¼ NW. Pluie fine ap. minuit. Petits travaux.28 janv. 14. Mercredi. Entretien appareils. Gravé les degrés sur limbe cuvette du compas

étalon.29 janv. 14. Jeudi. Dans la matinée 3 voyages d’eau douce. Ap-midi, station au téodolithe.30 janv. 14. Vendredi. Temps brumeux. Station au théodo. Mesure d’une base.31 janv. 14. Samedi. Temps couvert. Briquage doris et du poste. Grattage capot compas.1er fév. 14. Dimanche. Beau temps au matin. Allé terre pr observat. à l’horizon artificiel.

Rendu à la pyramide du fond de la baie de Cumberland pr faire station au grapho. etsignaux sonores (à l’aide de dynamite) avec la côte Ouest. Vu la mer. Dans //

24 Genre d’oiseaux, également appeléss bec-en-fourreau.

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l’ap-midi, allé pyramide Côte Nord, faire station et prendre croquis des îles du large etde la côte. Vu rockerie de pingouins. Ils étaient bien là 1 500 ou 1 800 au moins, graves,immobiles, vivant de contemplation, criant par instants, comme à discuter des chosessérieuses… Pétrels m’envoyant au passage de longs jets de liquide infect. Une vingtainede kilomètres aujourd’hui, parmi les cailloux sonores, la solitude des îles et les grandséboulis de choses mortes… Au soir, je quitte, la station et au retour je m’enfonce par3 fois dans la vase. Mes bottes sont pleines. – À la nuit pluie.

2 fév. Lundi. Pluie continuelle et abondante au matin avec rafale. Le bruit habituel du vent etde la mer. Diagrammes météorologiques. Fait plan baie du Centre.

3 fév. Beau au matin (mardi) Journée rarissime aux Kerguelen. Peinture et aluminium. Aumatin allé à observer à terre (horizon artificiel, à l’heure de la méridienne et au soir. LeComt et le Lieutt partent en doris pour la Côte Ouest.

4 fév. Mercredi. Assez beau. Sondages. Continué peinture. Au soir Comt et Lieutt rentrent.5 fév. 1914. Jeudi. Brume au matin. Sondages du fond de la baie de Cumberland. Appareillé

au matin. Hydrographie. Mouillé dans la petite baie Cristal vers 12h30. Temps calmeauquel nous ne sommes guère habitués. Fait deux voyages d’eau douce. Réparationmachine à sonder (plomb perdu). Mis doris au poste de mer en vue de notre partancepour la Côte Ouest. Au soir les sommets se couvrent. Les cirrus de ce matin se sonttransformés en cirro-cumulus gigantesques qui s’immobilisent, pour un instant, dans leciel. À terre, les phoques, les pingouins, les cormorans, les mauves, mènent grandtapage. Ces bruits nous parviennent aux oreilles ; il manque le bruit du vent… et celanous paraît étrange…

9h soir. – Il reste encore les dernières lueurs du jour. L’ombre violette enveloppant lebasalte sauvage s’est teintée de gris il y a quelques heures, au déclin du soleil derrièreles monts tachetés de neige. Ces grisailles ont préludé à l’arrivée d’un voile plus sombrequi tout doucement, ce soir, s’est transformé en un commencement de nuit. Puis touts’est tu ; maintenant les choses se reposent et s’endorment dans ce silenceinaccoutumé…

6 fév. 1914. Vendredi. C’est inouï ! Nous avons du beau temps (relatif bien entendu) ! À 4hdu matin nous appareillons. Hydrographie. Vent arrière dans la baie de Cumberland. Aularge la mer est belle. Passé dans les baies avant le cap Français. La pte arche estremarquable. Cette énorme roche (qui indique l’entrée du mouillage de Port-Christmas)était – il y a quelques années seulement – percée d’un trou naturel. La partie supérieures’est effondrée. Seuls les deux puissants piliers sont encore debout, à l’extrémité de laterre. Ce basalte particulièrement d’aspect sauvage et qui abrite toute une colonie depingouins et d’oiseaux marins, conserve encore une certaine grandeur…

Au cap Français, il y a de la houle. La mer est toujours belle ; c’est étrange ce peu debien-être – qui nous arrive tout à coup. Mouillé dans Port-Christmas vers midi trente.Ici, il y a des années et des années de grands navigateurs ont passé. Cook, Ross etc. …poussés par les découvertes…

Une vague d’air qui passe, nous apporte l’odeur particulière des rockeries depingouins qui sont légion à l’entrée du port. La mer qui brise sur la côte couvre de songrand bruit le concert étrange de leurs cris, pareils à des //

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milliers d’harmonicas jouant ensemble. Et toute cette musique est très drôle. Par instantselle nous arrive nettement et très discordante. L’instant d’après comme lointaine etcomme un murmure confus où se confondent en même temps la voix des phoques, lescris des mégalestris25, des cormorans et autres, du bruit de notre moteur et celui de lamer qui bruit sur quelques rochers…… Dans l’après-midi, le beau temps relatif persiste. À terre : observations au téodolithe.Nous tuons un léopard de mer ; sa peau n’est pas prise (époque où le poil change). Nousprenons cependant la tête. Le ventre ouvert nous recueillons dans les viscères denombreux vers intestinaux ; dans l’estomac c’est tout pareil. Dans des flacons d’alcooltout cela et… en route pour le Muséum. Ce sera très intéressant pour ces messieurs duMuséum là-bas… en France. Réparé le poteau portant la plaque “Eure 189326” au mât depavillon et déposé ici, par l’ “Eure”, navire de l’État, à la date indiquée, tout commecelui du bassin de la Gazelle. Le pavillon français, peint (sur tôle) aux couleursnationales n’y est plus, ne grince plus sous la brise, autour de son mât métallique. Cepoteau chaviré… cette plaque flanquée à terre… Est-ce l’œuvre du temps cela. Ce n’estguère probable. D’autres, ont passé ici, avant nous, alors il nous est venu une fouled’idées… Avant le retour à bord, pris plusieurs pingouins royaux. Dans le canot ilsmènent grand tapage nous frappant de leurs ailerons vigoureux. Observations au sextantencore. Après cette journée la nuit arrive et tombe très doucement.

Samedi 7 fév. 1914… Branle-bas à 3h du matin. Le temps est encore calme. Nousappareillons pour la côte Ouest. Il n’est pas jour encore ; peu importe c’est le momentd’en profiter de ce monsieur qui s’appelle ici : le Temps ! La côte est réputée et le pointoù nous nous rendons est à plus de 40 milles d’ici exposé au terrible vent d’Ouest.Marche au moteur ainsi que voilure établie. Vent d’ENE, très rare ici et nous favorisantà l’extrême pour une fois. Je prends de nombreux croquis de côte. Hydrographie. Merbelle. Roulis et tangage très accentués. Au large des caps sombres et déchiquetés desalgues flottent… flottent à l’instar de ces longues chevelures de noyés, tourmentées parla houle. Il y en a de toutes les formes et de toutes les couleurs sur la mer à l’étrangecouleur et se mouvant toujours. Après la méridienne, nous rencontrons des glaces,quelques petits icebergs, provenant des glaciers tout proches là… au fond de la baie duTonnerre (ce nom a été choisi à cause du bruit formidable des avalanches qui seproduisent dans ces tristes solitudes). L’île de l’Ouest est tout proche. Le détroit deMarianne franchi (le courant pour nous), nous mouillons à 2h30. Le temps est plussombre maintenant ; le voile immense de cirro-stratus s’est masqué ; la pluie arrivechassée par le vent. Confectionné une nouvelle ligne de sonde graduée jusqu’à50 mètres seulement. Au crépuscule c’est une lumière jaune et rouge, lumière étrangequi au lieu d’éclairer semble noyer les choses. Du Sud-Ouest nous arrive le bruit éternelet monotone des brisants. La mer indique son labeur incessant là, plus près, plus loin,partout. Cependant le temps, quoique menaçant, semble vouloir prendre des allures decalme… Dans le Nord il doit venter dur pourtant. Il ne doit pas faire beau à l’îleRoland27, à l’île Croy28, aux îles Nuageuses, à l’île Cluny29 qui sont loin maintenant… //

25 Voir note du 25 novembre 1913.26 Sur le manuscrit, écrit comme sur la plaque, sur deux lignes.27 Sic pour île du Roland.28 Sic pour île de Croÿ.29 Sic pour île Clugny.

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8 fév. 1914. Dimanche. Au matin temps couvert. La nuit a été calme. Les glaces flottantesnous ont laissés tranquilles. Observations à terre. Dans l’ap-midi fait station augraphomètre et dressé des pyramides de pierres pour les signaux. L’anse Duneau30 quise trouve sur ma route m’oblige à faire un long et pénible détour (surtout avec lesgrosses bottes. La pluie se met de la partie et le froid qui cingle à la Pointe Duneau merend difficile la prise des croquis. Vers Port Tonnerre aperçu les glaciers gigantesques.Le brouillard devient épais ; la pluie serrée. Je ruisselle, c’est le mot. La nuit tombe trèsvite. Je rentre à bord après avoir pu m’orienter. Et la nuit est complète en arrivant.

9 fév. 1914. Lundi. Au matin pluie fine. Entretien des instruments. À 1h allé terre faired’autres pyramides pour la topo et l’hydrog. Celle que j’ai dressée au promontoire del’Anse Duneau apparaît, d’ici, très distinctement quoique auréolée de brume. C’est macarte de visite, carte de basalte gris, que j’ai laissée là-bas exposée au vent du large etaux tourmentes glacées. Dans PM appareillé au moteur. Nombreux coups de plombdans l’endroit et mouillé un peu plus près de terre, en face d’une petite crique. Ici lesgoëmons sont très nombreux ; le courant est fort et l’accostage de la “Joconde” doit êtresurveillé à cause de la houle.

10 fév. 14. Mardi. Construction d’un indicateur de courant et d’un plomb de grande sonde.Pluie fine, pénétrante, habituelle. Dans PM repos pour moi. Allé terre ; relèvements etcourses à travers les monts. Ma moque de peinture me sert à faire des pages d’écrituresur le ventre des phoques, à l’haleine puante…

11 fév. 14. Mercredi. – Calme et houle. Levé trémail. Beaux poissons et assez nombreux. Alléà terre, dans le Sud de l’île de l’Ouest, pyramide. Relèv. au sextant et au téodolithe ;croquis de pho côtes. Phoques nombreux. Brisants impressionnants sous le rugissementde la lame Indienne. Les chionis31, habitués de ces lieux sauvages, peu farouches auxapproches de l’homme qu’ils ne connaissent guère, viennent sur vos genoux et selaissent caresser sans manifester trop d’effroi. Soir pluie.

12 fév. 1914. Jeudi. Pluie fine et continuelle. Brouillard. L’indicateur de courant ne sera pasmis en place. Ap. Midi : sondages et et redressé le marégraphe chaviré par la houle.

13 fév. 14. Vendredi. À 2h du matin temps calme. Les monts se reflètent dans l’eau. La houletrès longue et très douce agite les grandes moires et tourmente les grands goëmons quiflottent ou passent en dérive. Le temps est assez doux (+4°). Ce n’est guère mais noussentons bien que quatre degrés de chaleur sont bons ici. Au matin temps à brume.Sondages de la baie. Coups de plomb sur coups de plomb. Le canotage parmi cesgoëmons est particulièrement fatigant à la fin du jour. Dans l’PM repos. Continuationdes sondes même dans la passe où le courant n’est plus si violent. Nous prenons du boisdans une petite anse, où étaient établis, auparavant, les Norvégiens qui pratiquaient lachasse au phoque32. De nombreux débris attestent leur passage et leur séjour en ceslieux. Les phoques sont plus effrayés à la vue de l’homme cependant que sur la côte Est[où] ils ne semblent pas aussi agités à notre approche. Nous trouvons également desbarils, des planches etc. … Des troncs d’arbres sont là également apportés par les grandscourants marins ? Un échantillon est pris. Son essence sera reconnue et peut-être aussi laroute qu’il aura suivie avant de venir s’échouer en ces solitudes.

14 fév. 1914. Samedi. Dans la nuit, spectacle surprenant : un temps clair ! Vraiment on croitrêver en ce pays nébuleux ! Les constellations australes brillant dans //

30 Ou « anse Duncan » ?31 Voir note du 25 janvier 1914.32 Voir note du 16 décembre 1913.

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un ciel pur où ne sont plus les grands nuages. Et par dessus, ou plutôt avec cela unmagnifique clair de lune, à minuit, heure à laquelle je monte sur le pont prendre le quart.À l’extrême matin, mer calme, temps doux. Nettoyage du poste. Fait eau douce. Partifaire topo et hydrog. Sondages près des récifs battus par la mer. À la nuit, brumeépaisse, voile général sur les terres. Les goëmons flottent immobiles près du bord. Pasde cris d’oiseaux ni de phoques. Du silence où tout semble dormir.

15 fév. 14. Dimanche. Appareillage vers 9h AM. Hydrographie : anse Duneau, anseMonument, côte de l’île de l’Ouest, vers Shot-Bay, vers Port Tonnerre. Rentré aumouillage de l’anse Duneau dans l’ap-midi.

16 fév. 14. Lundi. Repos de dimanche. Qq. relèvements et sondages. Entendu de fortesdétonations vers Port Tonnerre (avalanches, craquements, contractions etc. de glace)

17 fév. 14. Mardi. Beau au matin. Appareillé vers 7h. Hydrog. vers Shot-Bay et PortTonnerre. Vers midi sommes entourés par des glaces (icebergs). Les grands glacierssont teintés de bleu sous le grand soleil qui les éclaire. Photos, et relèvements ausextant. Rentré dans PM vers 3h au mouillage après le détroit Marianne. Temps toujoursbeau. Téodolithe en station à terre. Fait eau douce. Pingouins capturés, tués, etdépouillés à bord. De nouveau le pont est tâché de sang. Au soir temps doux ; calme platavec les grandes moires presque immobiles et les goëmons qui dorment.

18 fév. 14. Au matin. Dégagé la cale pour transborder charbon de réserve. Profité pour“assainir” un peu ce qu’on est convenu d’appeler : cambuse. Beau au soir.

19 fév. Jeudi. 14. Appareillé vers 9h AM. Cinématographié le navire entrant dans la passeMarianne. Beau temps surprenant. Les monts neigeux feront bel effet. Hydrogr. ensuitevers baie Mussel, [baie] Mélissas et mouillé au soir dans la baie Young William. Jepeux certifier qu’il y a du fond dans cette baie : mes mains en ont eu des nouvelles avecla ligne de sonde. Cinématographié dans PM les grands glaciers et pris quelqueshauteurs au sextant. Soir calme avec nuit étoilée.

20 fév. 14. Vendredi. Beau temps. Travaux divers. Entretien appareils. Nettoyage d’uncalculimètre. Coaltar ancres et coque.

21 fév. 14. Samedi. Pluie et grains. Nettoy. poste. Diagrammes météo et feuille mensuelle.22 fév. 14. Dimanche. Temps à grains de neige et de grêle. Froid et lumière pâle en général.

Les cris des phoques, dans les silences subits de la baie, nous parviennent p étrangementamplifiés. Dans PM allé terre. Visité les glaciers. Caps fantastiques figés dans le froid.Crevasses dans même sens. Un bleu superbe règne dans les anfractuosités rigides ; cebleu a quelque chose de particulièrement beau, ici, dans ces solitudes désespérantes etsemble se complaire dans son sanctuaire inabordable. Sur la plage nombreux débris debois. Dans une grotte des baleiniers ou phoquiers (Américains ou Norvégiens) ont laisséde vieilles voitures qui devaient leur servir pour le transport des peaux ou des quartiersde graisse. Le temps, les pluie[s], les brumailles y ont mis leur cachet. La moisissure,lentement, fait son œuvre. Au plein, sous la pluie des embruns, tout près de la mer quiest mauvaise décidément aujourd’hui[,] des éléphants de mer, énormes, reposent,vautrés les uns par dessus les autres. De cet amas de graisse flasque, molle, il émane uneodeur puante qui écoeure. Tué quelq. canards. Rentré vers 6h30 avant les grains de grêleet neige. //

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Lundi 23 fév. 1914. Dans la nuit, fortes rafales de SSO. Grains violents de neige de pluie et degrêle alternant. Température voisine de zéro. Au jour nettoy. puits à chaîne etfourbissage.

Mardi 24 fév. 14. Rafales. Travaux divers. Nettoyage cuivres. 2ème ancre virée et remouillée.Mercredi 25 fév. 14. Rafales et violents grains pluie dans la nuit. Au jour cuivre et peinture.Jeudi 26 fév. 14. Même temps à grains avec faible lumière. Trav. divers.Vendredi 27 fév. 14. Peint coque pendant accalmie. Fait plan de Port Fallières au 1/10 000.Samedi 28 fév. 14. Propreté. Briq. poste. Peinture coque. Pluie au soir et dans nuit.Dimanche 1er mars 14. Grains de pluie, de neige, de grêle et Cie. Mouillé une 2e ancre au matin

à cause des rafales. Rentré cette dernière (pas de tours de chaînes cette fois) dans l’ap-midi. Temps froid et particulièrement triste ici, sous cette pâle lumière, qui nous arrivecomme à regret dont on ne sait où [sic]. Il semble qu’en cette baie de Young William lavie s’est retirée du moins en surface car la drague accuse (par les nombreux échantillonsrapportés du fond) une faune sous-marine assez riche. Sur les étages gigantesques debasalte retentit dans la tristesse ambiante le cri du “cordonnier” entre deux haleines devent. Et ce cri répercuté par l’écho ou étouffé par la tourmente d’Ouest estexcessivement plaintif et froid… froid comme de la glace ou comme un suaire. Au soirmême temps à rafales.

Lundi 2 mars 1914. Temps à rafales. Tué un phoque à terre. Peinture bouées de sauvetage.Mardi 3 mars 14. Même temps avec grains de pluie abondante, de la neige fondante, de la

grêle et du froid et du soleil ensuite pour quelques minutes seulement. Confect. despaliers.

Mercredi 4 mars 14. Rafales et pluies abondantes. Diagrammes de météorologie et plan dePort Curieuse au 1/10 000. La lumière fait toujours défaut sous le ciel bas ; et dans leposte, qui est sombre, elle tombe par les petites glaces de pont, lourde comme un regret.Au soir inscription des bouées et mouillé une 2e ancre. Rafales très violentes de NW.

Jeudi 5 mars 14. Temps à grains et rafales. Tourmente de NW au SW. Plan des îles au1/100 000 partie NO. Terminé inscription bouées. Dans PM fourbissage pendant uninstant de soleil. Le phoque que nous mangeons est toujours bon. Couvert au soir K etKN.

Vendredi 6 mars 14. Au matin chose surprenante ! Il fait calme. Pas de vent. Pas de pluie. Onen doute ! Graduat. ligne grande sonde. Terminé plan des îles. Au soir le temps secouvre. Commencé feuille météorol. mensuelle, sous la même lumière de crépuscule.

Samedi 7 mars 14. Temps bouché. Grosse mer à l’entrée. Terminé feuille météo. Continué lacarte (Feuille II Partie Nord-Est) des Îles Kerguelen au 1/100 000. Il faut vraiment avoirde bons yeux et de la patience en cet endroit où il pleut presque autant que sur le pont etoù la lumière le dispute à celle qui règne dans une cave. Sans compter le va-et-vient decôté & d’autre. Bref, une fois terminé, le travail mérite le nom de chef-d’œuvre ; c’estainsi désormais que j’appellerai ces travaux faits dans ces conditions.

Dimanche 8 mars 14. Même temps qui nous bloque et nous empêche d’appareiller. Les Portesd’Enfer sont masquées par cette brume et cette pluie fine et continuelle qui ferait pâlirde jalousie celle qui tombe, depuis des siècles, sur une Chiloë du Pacifique33 ! Journéemonotone, rompue par travaux d’hydrographie. Sur la partie NO des îles (Feuille III)que je viens de terminer au 1/100 000, des noms sont donné à différents îlots et caps. Lemien (j’ignore s’il y restera) me rappellera certain Dimanche (passé au fond de la baiede Cumberland) où je suis parti vers la côte Nord, faire station, en face des ÎlesNuageuses, avec le graphomètre pour relever notamment, aussi exactement que possiblele pic Charcot de l’île Roland //

33 Voir note du 15 janvier 1913.

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[dessin de trois manchots]Pingouins. (Quelques poses en quelques coups de crayon)

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s’estompant dans la brume. Ma course à travers les cailloux secs qui résonnaientétrangement dans mon cerveau, au milieu des grands éboulis de choses mortes… Lecap, qui porte mon nom, apparu tout à coup avec son architecture caractéristique debasalte et sa ligne imposante qui me fit aussitôt songer au Bec-d’Aigle de notre côte deProvence, là-bas, en France… Depuis nous sommes passés en face, à la mer ; j’ai prisdifférents croquis. Aujourd’hui et dorénavant, si le nom de la famille subsiste, cela merappellera une vision confuse et froide de choses grises lavées par la pluie et lesbrumailles, quelque chose d’affreusement triste et désolé, battues éternellement par lesvents du Nord-Ouest, les rafales habituelles, la mouillure constante, la menaceperpétuelle de la lame Indienne hurlant à la base de ce colosse noir ; cette même lamequi charrie et porte avec elle les grands goëmons épars sur la mer, détachés de la côte oudes grands fonds, bercés à la surface par la houle, avec des ondulations bizarres qui fontsonger aux grandes chevelures des noyés…

Lundi 9 mars 14. Temps bouché. Travaux divers.Mardi 10 mars 14. Même temps. Feuille hebdomadaire de météorologie. Pet. travaux. Nous

passons les nuit à veiller les rafales et à mouiller ou virer les ancres.Mercredi 11 mars 14. Pluie et boucaille. Entretien appareils. Brume au soir.Jeudi 12 mars 14. Pluie et brume. Mer houleuse de SW. Grattage des vernis.Vendredi 13 mars 14. Pluie et rafales. Temps bouché qui nous empêche toujours de prendre le

large. Grattage portes à l’abri.Samedi 14 mars 14. Pluie fine. La sacro-sainte pluie, habituelle, éternelle. Briquage de

l’écurie. Fait eau douce. PM. grattage vernis et huile de lin. Calme au soir.Dimanche15 mars 14. A 6h apparences de beau temps – relatif bien entendu. Nous

appareillons de Youg William. À l’entrée une grosse houle nous secoue rudement. Lamer est courte tout près des brisants. Brise de SW debout pour sortir. Après les Portesd’Enfer la mer est moins dure. Nous apercevons des fumerolles nombreuses sur unemontagne de la côte, provenant du fameux “volcan” porté sur la carte et dont l’existencea été si longtemps discutée. Il n’y a plus de doute ; ce sont bien des fumées cette fois. Lecontraste est frappant néanmoins parce qu’elles sortent tout près des glaciers. Il nous afallu le temps un peu clair pour les apercevoir et les photographier. Nous établissons unpeu de voilure vers midi, route au Sud et la côte défile… lentement. Nous doublons lecap Bourbon et passons entre ce dernier et les îles Solitaires, froides et tristes. Sondagesà la machine et cap à l’Est pour la partie Sud des Kerguelen. Cap Dauphin et petitesbaies dépassés. En face : le mont Ross, peu de neige, complètement visible, véritablepatriarche dominant la mer et écrasant de sa masse les faibles pains de sucre d’alentour(1 850 m env.). Défilé et sondé dans la baie Iceberg (pas d’autre nom) et mouillé le soirvers 6h30 par beau temps enfin. Nous aurons vu aujourd’hui, en outre d’un peu desoleil, des aspects nouveaux de côte Sud faisant songer surtout aux Sierras Espagnoleset des montagnes de prismes, dont le nombre et la grandeur sont très remarquables. Peuà peu nous nous approchons de Port Jeanne-d’Arc où nous comptons bien trouver desnouvelles fraîches de… plus d’un an sans doute ! //

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Lundi 16 mars 14. App[areillé] à 5h mat. Temps calme et couvert. Grésil. Hydrographie.Mouillé dans la matinée dans une baie toute proche d’Iceberg. Pluie fine et calme. Ausoir mer d’huile. Repos dans la journée.

Mardi 17 mars 1194. Temps à grains. Grattage vernis.Mercredi 18 mars 14. Temps à rafales de NW. Nett. loch. Grattage. Obs. à terre dans PM.Jeudi 19 mars 14. Temps à raf. Vers la méridienne allé à terre pr observer. La brise fraîchit de

retour à bord. L’accostage est si bien réussi qu’un Polichinelle en pâlirait de jalousie.Bientôt la mer “fume” sous l’intensité du vent ; nous chassons rapidement et tombonspour comble de malchance, par des fonds de 60 à 70 mètres ! Les 2 ancres mouillées,nous filons les chaînes à bout. Heureusement elles crochent (les ancres) et nous tiennent,nous évitant ainsi d’aller à la côte. Les tourbillons sont d’une extrême violence et àchaque rafale sifflante le navire s’incline…

Vendredi 20 mars 14. Vers minuit le temps se calme un peu. Au matin nous virons leschaînes. Bel exercice d’arrimage. Nous mouillons plus au fond de la baie par 15 mètresde fond. Dans le PM. les rafales reprennent avec une violence extrême qui frise presquele cyclone. À nouveau les 2 deux chaînes sont à bloc. Le navire, au milieu de ce grandbruit de fureur, s’incline toujours. Le baromètre est descendu de 8 mm en 2h. Il passe unfameux coup de vent sur les Kerguelen (Équinoxe) et si les chaînes cassent nous ironssur les cailloux. Nous rentrons la “Joconde” à bord par prudence.

Samedi 21 mars 14. Les chaînes ont tenu bon. Nous les virons au matin après le coup de vent.Briquage de l’écurie. Confection d’une porte pour l’abri météorol. L’autre a étéemportée, cette nuit, Dieu sait où. Fait le tour de la baie à l’aviron pour la retrouver.Peine perdue.

Dimanche 22 mars 14. Assez beau au matin. Appareillé vers 9h mat. Hydrographie. Brise deNW. Houle au large. Rentré dans le PM au mouillage au fond de la baie Sprightly (une2ème Cumberland). Calme au soir.

Lundi 23 mars 14. Calme plat. Repos pour hier. Allé à terre. Gravi le mont et pris des croquisà environ 300 m d’altitude. Reconnu aucun passage pour aller auprès du “Volcan”.Petite pluie fine au soir ; comme d’habitude !

Mardi 24 mars 14. Au matin, calme. Fait eau douce. Arc-en-ciel double qui persiste trèslongtemps et semble fuir devant nous au moment de l’appareillage. Nous mouillonsdans une baie du centre de Sprightly. Allons à terre pour chercher des ruisseaux etcontinuer à remplir des barriques d’eau douce. Au-dessus de la plage pleine d’ossementsd’animaux, nous apercevons une tombe. Une stèle en bois peint en blanc. Lettresgravées et peintes en noir. Le tout très défraîchi : In memory of L P. Gray – third mate –schooner Pilot o’Bride. Also: E B. Cole – Fl. De. Mandonsa – G. Gomez seamen, whowere drowned by boat capsizing – September 7th AD 188134.

C’est tout. Ainsi il y a 33 ans qu’ils reposent là, tous quatre. Leur canot a chaviréd’après l’indication, et ils ont trouvé la mort ici. Ce simple morceau de bois fiché enterre a quelque chose de poignant à force de simplicité et d’abandon. Quelquesexhaussements de terrain à chacun desquels correspond une grosse pierre ; de l’aréna ;de l’azorella ; un peu de mousse et plus rien. Pas de fleurs ; elles sont inconnues ici.L’herbe folle envahissant tout. Combien de fois leur ombre a dû frémir à la grande voixde l’Ouest alors que passent //

34 Trad. « À la mémoire de L. P. Gray, troisième lieutenant sur la goélette Pilot o’Bride. Ainsi que : E. B. Cole, Fl. De. Mandonsa,et G. Gomez, matelots, noyés lors du chavirage de leur bateau, le 7 septembre 1881. »

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les rafales aveuglantes. De la neige, de la grêle, de la pluie au-dessus d’eux tandisqu’alentour c’est la désolation la plus complète. Pas d’autres bruits que ceux desoiseaux marins et des phoques puants qui se battent là tout près de nous sous un cielcontinuellement changeant ; chargé comme toujours de fantastiques nuages quisemblent lourds, qui pèsent, pèsent, et oppressent à l’instar des îles…

Dans PM. signaux à terre et peinture sous la pluie qui se met à tomberMercredi 25 mars 1914 – Signaux à terre. Dans PM tué un phoque pour la cuisine. Allé au

monticule proche avec le téodolithe. Beaucoup de pierres posées sur le sol.Jeudi 26 mars 14. Beau, par extraordinaire. Relèvements à terre. Dans PM appareillage avec le

chalut pour la 1ère fois. Nous le traînons par deux fois. Peu de poissons mais en revanchebeaucoup d’holoturies35 et d’étoiles de mer qu’il faut, le soir, jeter par dessus bord, àl’aide d’une pelle. Nuit étoilée. Rayonnement maximum, d’où rosée abondante.

Vendredi 27 mars. 14. Beau. Nous laissons à terre un dépôt pour naufragés. Il a gelé cettenuit ; nous nous en apercevons en portant les caisses à terre. L’eau des trous à phoquesest gelée et l’herbe, à l’ombre, garde encore son givre. C’est sous une grotte que nousdisposons les objets : 1 caisse soudée renfermant poudre, allumettes, thé, denréesdiverses etc. … clous, hache… et 1 caisse (malle en fer) renfermant des effets. Nous ylaissons également une bouteille renfermant un document, lisible de l’extérieur : Dépôtpour naufragés – Depot for shipwrecked. et cette [passage raturé] note au dessous : Ledépôt a été laissé en mars 1914 par le ketch français “Curieuse, capitaine R. Rallier duBaty. Sur la muraille de roc, peint le nom en vert. Photographies du lieu. A la tombenous déposons une autre bouteille renfermant une feuille, lisible de l’extérieur, surlaquelle j’ai recopié les noms gravés sur la stèle et ajouté au-dessous : L’inscription decette tombe s’effaçant, le capitaine du ketch français “Curieuse” l’a transcrite sur cedocument ; 24 Mars 1914 – (À terre : observations à l’horizon artificiel. Chalut au sec.Dans PM appareillage. Mer belle ; houle de SW. Nombreux brisants. Dans le Sud, unepanne de vapeur languit au-dessus de l’horizon. Hydrographie de la Baie de la Table.Nous mouillons au soir dans une petite anse avec une petite bise aigrelette qui vousdonne rapidement et gratuitement l’onglée à la barre.

Samedi 28 mars 14. Vers 9h AM, appareillage et hydrographie. Reconnu le glacier et lamoraine du fond ainsi que 2 baies, petites, qui serpentent. Ces baies sont toutessemblables ici, en ce pays. Du large et même quand on entre on aperçoit le fond ou dumoins on le croit. Mais plus on avance plus on en trouve et on voit jamais la fin. Allez-vous en chercher des navires, ici, s’ils veulent se cacher. Du diable si on les trouve ! Ausortir de la grande baie, reconnu à la sonde et un [sic] canot un passage entre des îles.Nous mouillons dans PM vers 2h en face du mont Table. Aussitôt au mouillage leressort de Polichinelle de déclanche. À toute vitesse (flamme 6 !) Obs. à terre. À 100 md’altitude magnifique horizon marin avec sentiment réel de la distance et de laprofondeur. C’est si rare d’avoir une atmosphère pure aux Kerguelen ! Tué des lapins ausoir, nous en reprendrons le goût qui commence à nous échapper. Au crépuscule c-à-d,avant[,] le Géant d’ici, le Mont Ross, est superbe. Sa neige est tantôt //

35 Sic pour « holothuries » ou concombre de mer.

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blanche, tantôt rose, suivant l’éclairage de la grande boule lumineuse, qui se masque là-bas, dans un poudroiement fantastique. Et l’ombre violette, la belle ombre violette, laseule chose qui soit belle ici, descend doucement avec la nuit, très calme, sans bruit,prend possession des monts et les [passage raturé] noie dans son intimité tandis qu’enbas, sur la plage, vierge d’éléphants de mer pour l’instant, expire la lame Indienne etplaintive faisant taire les oiseaux qui sont je ne sais où.

Dimanche 29 mars 1914. Au matin temps couvert et pluie. La brise est Nord-Ouest et… il faittiède (relativement bien entendu !) C’est une chose surprenante cette tiédeur ; nousréserve-t-elle quelque surprise ? Je fais le lavage du matin, pantalons retroussés et lespieds nus. Pas de bottes ! Petite pluie PM.

Lundi 30 mars 14. Même temps tiède et surprenant avec brise de NW. Ciel à vent avec descirrus aux arrêtes aiguës et quelques “dirigeables” ou pots à tabac (comme nous lesappelons) et qui dénotent rien de bon. La brise fraîchit dans la matinée ; nous mouillonsla 2e ancre et filons de la chaîne. Dans l’ap-midi les monts se couvrent, la “Table” secoiffe… des bouchons passent tout d’abord en tempête et tournent bientôt à l’ouragan.Le chiffre 12 est noté sur le Journal Météorologique ; c’est le dernier de l’échelle desvents et la première fois que nous l’inscrivons. La mer, qui est tout près cependant estinvisible recouverte qu’elle est par un brouillard blanc et immense. Les embrunscouvrent, masquent tout alentour. Et ce grand bruit de fureur me rappelle celui déjàentendu, certain soir de “pampero” à Buenos-Aires, où passait dans l’air une effarantemusique de cyclone.

Mardi 31 mars 14. Un peu de répit à l’extrême matin pendant lequel nous changeons demouillage. Les ancres ont travaillé hier ; nous avons chassé. Canotage dans PM. Petitebrise de NE. Calme à la nuit tombante.

Mercredi 1er avril 14. Pour un 1er avril, le trémail posé hier, nous rapporte quelques deux ou 3maigres poissons. Peinture des nouveaux boudins de liège de sauvetage de la “Joconde”.Fourbissage dans PM.

Jeudi 2 avril 14. Brise de NW. Bulletin météorol. mensuel.Vendredi 3 avril 14. Viré ancre B[âbor]d dans l’AM. Entretien matériel. Grattage & coaltar.

Dans PM. fait une barrique d’eau douce sous l’œil stupide des éléphants de mer.Samedi 4 avril 14. Briquage de l’écurie. Gratt. minium matériel.Dimanche 5 avril 14. Nébulosité forte & coutumière avec, aux oreilles, le bruit de la brise.

Journée stupide, d’une monotonie générale, contagieuse par ambiance. L’étude et lalecture comme dérivatifs. D’étranges perspectives sous le ciel bas avec d’étonnants jeuxde lumière froide.

Lundi 6 avril 14. Dans la nuit rafales de NW. A 5h matin mouillé la 2 e ancre. Météorol.Rafales de NW. Au soir, ombres bleues dans Sud. Coucher soleil, cirrus rouges.

Mardi 7 avril 14. Rafales de NW. Temps couvert. Entretien matériel. Fourbissage. Au soirtemps semble vouloir se dégager. Le Mont Ross est visible. Sur une de ses arrêtesneigeuses des rayons de lune s’accrochent.

Mercredi 8 avril 14. Brumaille au matin. Viré et appareillé. Temps sombre & menaçant.Hydrograph. Houle de NW. Eau couleur étrange. Roulis. Effets de lumière fantastiqueémanant //

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de l’énorme quantité de vapeur d’eau en suspension dans l’atmosphère. À midi la côteSud tout près, se devine, à travers des nimbus bas à chasse rapide avec des jeuxd’ombres et de grisailles déconcertantes. Faisons environ 30 milles. La baie Swains, oùnous mouillons dans PM n’est pas du tout celle qui est portée sur la carte d’après lestravaux du navire anglais (bâtiment de guerre). Sommes, au soir, près du howlever[?],qui conduit à Port Jeanne d’Arc, à l’usine, où se trouvent les 2 Norvégiens. Au soir leComt et le Lieut. nous rapportent des lettres. Il y en a qui datent de plus d’un an. J’ai lules miennes, après avoir été écrites depuis plus de 400 jours ! Quelques détailsseulement qui comblent cependant les “vides” laissés par d’autres lettres reçues au Cap.Renée me donnait une adresse à Paris, adresse connue qu’aujourd’hui. Elle s’étonnera,ou se sera étonnée plutôt, de n’avoir pas reçu de lettres. Et comment l’aurais-je fait ?Pour ne citer que ma sœur. Les autres, c’est la même chose.

Les 2 insulaires ne languissent pas. Caractère des gens du Nord bien marqué, qui selaissent vivre avant que de vivre. Au soir, temps chargé et calme.

Jeudi 9 avril 14. Les 2 Norvégiens sont invités à bord. Temps à grains. Froid. “Campagne”couverte de neige. Dans PM. entre deux grains et mer houleuse reconduisons nos deuxhommes à terre.

Vendredi 10 avril 14. Vendredi-Saint. Repos. La mort d’Ibn Aïssa, le fils de Mariam ! Celuique les chrétiens appellent le Christ ! Même temps à grains. Neige. Grêle. Froid.

Samedi 11 avril 1914. Vilain temps en apparence. Appareillé néanmoins. Hydrographie de labaie Swains. Mouillé à 13h dans fond de baie. Qq grains. Dans PM nous capturons degrosses et excellentes moules. Soir reflets de cuivre dans le ciel.

Dimanche 12 avril 14. Pâques ! Le temps passe ; nous oublions les fêtes en ce pays dedésolation. En France le soleil ; ici l’automne austral, l’hiver plutôt et déjà. Dansmatinée faux appareillage à cause des grains de neige et de pluie glacée.

Lundi 13 avril 14. Appareillé au matin. Pluie pendant laquelle nous faisons néanmoins cinqvoyages chargés d’eau douce avec la “Joconde” qui n’a pas du tout le sourire… Reprismême mouillage à midi. Soir pluie encore.

Mardi 14 avril 14. Appareillé à 8h mat. Continué hydrographie de Baie Swains. Nous prenonsun peu le large. Mer houleuse. Voile et moteur. Sommes favorisés par grand largue etvent arrière. Vent de Suroît. Fortune dessus. Dépassons (sans nous arrêter) PortGreenland et entrons dans Royal Sound laissant à tribord la presqu’île du Prince deGalles. Nous mouillons avant la nuit derrière l’île Muray où se trouve un phare (placépar Norvégiens et fonctionnant pendant saison déterminée). Avons fait beaucoup plusqu’on ne pensait de milles. Au soir temps calme. Nombreux cris d’oiseaux de mer.Grains de neige dans la nuit pendant le quart.

Mercredi 15 avril 14. Brise de NW fraîche. Mer houle. Tangons [sic] fortement. Entretien desapparaux. Changé drisses palan canot. Dans PM. teinte spéciale aux nuages de neige quifrôlent en chassant les monts touts blancs, mais d’un blanc atténué. Temps gris, cielgris, mer grise, paysage gris. Au-dessus de cette partie de l’archipel semble planer uneimpalpable cendre terne, mélancolique qui prêterait à la songerie si le froid vif et cetangage accentué ne nous rappelaient pas à la réalité. Soir, ciel à CK36. Lune. Montséclairés. //

36 Sic. Difficile de dire à quoi fait ici référence Albert Seyrolle, « CK » ne semblant pas être un sigle couramment utilisé enmétéorologie ni en astronomie.

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Jeudi 16 avril 14. Appareillé à 7h30. Vérifié hydrographie. (Le plan des lieux a été fait par lesAnglais) .Vent de NNW. Froid et pluie de glace ou glace en pluie comme on voudra !Mouillé à 12h dans la baie de l’Observatoire en face de baraques en planches. Ici et dansles environs des Anglais et des Américains sont venus en mission (pour le passage deVénus devant le soleil en 1874 – Détermination plus exacte de la distance Soleil-Terre.)Des Allemands, laissés en 1893 par un navire de leur pays et s’en allant dansl’Antarctique, ont habité également l’endroit. En 1903, certain baron, gardait ici desmoutons paraît-il. A terre divers objets. Mâts. Signaux et pyramide sur sommet.

Vendredi 17 avril 14. Temps à grains de neige et froid. Décidément depuis plusieurs semainesle temps s’est encore accentué. Peu de lumière. La mauvaise saison s’avance (je dis“mauvaise” car j’ignore si on peut faire des comparaisons ici, en un pays où il fait plusmauvais que dans les parages du Pôle même et qui est d’ailleurs réputé par plusieurspersonnes compétentes, comme l’un des plus mauvais du monde.) Combien Cook futbien inspiré en l’appelant “Désolation” ! Et combien tous lui donnent raison. Canot àterre. Rapporté à bord multiples objets et vivres.

Samedi 18 avril 14. Au matin couche épaisse de neige sur le pont. Le thermomètre est bienau-dessous du zéro. Propreté poste. Allé à terre chercher un poële et bois. Grains deneige épaisse. Froid vif pendant. Onglées vives à l’aviron ; pendant la réaction qui estviolente c’est une sensation de pointes de feu ou acérées au bout des doigts. J’en airarement eues d’aussi fortes. Dans PM. la neige persiste sur les mâts et vergue defortune. A terre cette même neige, atténue affaiblit le bruit des pas et atténue les laideursdu sol tout en masquant les trous où l’on s’enfonce. Quelques tombes ici aussi(Plusieurs à l’île des Tombeaux à Port des Îles). Un savant Allemand je crois etquelques Chinois qui reposent ici. Où diable est-il venu mourir celui-ci ! Le soleil… lesrizières… sont peu connus dans les Kerguelen ! À bord monté le poële pour enleverhumidité et combattre le froid.

Dimanche 19 avril 14. Au matin NW et grains. Appareillons. Hydrograph. baie dansl’intérieur. Ces baies en ont beaucoup de semblables. Elles prennent toutes les directionset ont toutes les formes. A midi reconnu un passage goëmoneux au canot (à la sonde).Le navire talonne un peu mais passe. Au soir, cirrus en dirigeables, nuages de coup devent ici. Mouillé dans PM. à l’extrémité W de l’île Longue. Les h[ommes] à terrechercher moutons.

Lundi 20 avril 14. Mat. appareillé pendant que les h. sont à terre prendre moutons immobiliséshier à l’aide de filin. Hydrographie côté N. île Longue. Brise froide de NW ¼ N. À midiun bélier à bord. Tué dans PM. Continué hydrographie des longues baies. Séances deligne de sonde. Reconnu divers passages malgré le fort courant dans passe étroite. Soirtemps couvert. Mouillé dans la baie. Le Mt Ross a été très visible dans la matinée. //

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Mardi 21 avril 1914. Mat. repos pr compenser dimanche & hier. Dans PM. appareillage avecvent frais de NW. Hydrographie. Soir 4h30 faux mouillage devant Port Jeanne-d’Arc.Peu après viré et mouillé en face les établissements. Saluts aux pavillons.

Mercredi 22 avril 1914. Sec au matin. Voiles au sec. Calfatage. Nettoyage. Travail ut utile. Lapotentialité est très élevée aujourd’hui ! … Canotage pour travaux de forge. Quelledifférence ici avec Port Couvreux ! … Soir brise tourne SW.

Jeudi 23 avril 14. Matin repos. Météorolog. Carte Sud au 1/100 000 – titres – À terre travauxde forge. Dans PM. coup de vent de NNW avec pluie fine.

Vendredi 24 avril 14. Se calme dans nuit. Dans matinée appareillons pour nous amarrer auwharf d’ici. Charbon et eau douce. Cinéma. Boulines ; chaîne etc. … etc. … toutensemble. Au soir repris mouillage après une rude journée.

Samedi 25 avril 14. Appareillé au matin. Plaqué la potasse et nettoyage sérieux du pont qui estinfect. Allé Île Longue chercher moutons avec un Danois. Canotage. Sondages.Nettoyages. Embarqt et débarqt des animaux. Soir repris mouillage et porté terre3 moutons pour les Norvégiens. Terminé à la nuit. Rude journée.

Dimanche 26. BT. Comme hier avec voile de CS [cirro-stratus] mais plus clair avec quelquesC[umulus]. Le mont Ross se démasque et nous apercevons les glaciers. Reliure d’unbouquin.

Lundi 27. Calme matin. Météorol ; dans PM travaux divers de matelotage. Allé à terrechercher 1 baril de farine. Vu les logements des Norvégiens. Soir brise faible de NW.

Mardi 28. Travaux divers au matin. Appareillé dans PM. Saluts au pavillon. Grains de grêle.Sondages. Nous conservons à bord un chat noir… sans queue ! Comme le sont tousceux qui sont à terre, chez les Norvégiens. Ces chats qui sont nés sans queue sontvraiment comiques. Mouillé au soir dans fond de f baie vis à vis de Port Greenlandduquel nous ne sommes séparés que par une faible et basse bande de terre. Au soirmêmes grains. Reflets roses sur la neige et les glaces et sur la mer, des traînées d’or pâleau couchant.

Mercredi 29 avril 1914. BT au matin. Froid. Sec et soleil. Peinture le long du bord. CodeInternational au sec. Bande de ris à l’atim la cape d’artimon. Travaillé feuille V37 au1/100 000 carte partie SW.

Jeudi 30 avril 14. BT. Appareil[lé] au matin. Brise de NW. Sondage et hydrog. Défilé parmiles îles. Ciel à cirrus en dirigeables, (arêtes tranchantes pr coup de vent). Mouillé entreîles pendant 1h environ. Viré et continué. Passé à Port des Îles[.] Arrêt à l’île desTombeaux. Redressé les stèles et photographies les tombes. Continué notre route à lanuit tombante. Ciel chargé. Petite pluie fine. Mouillé un peu avant 6h entre Sghum [sic]et la Grande Terre. Couvert à la nuit.

Vendredi 1er mai 13. Premier Mai ! Du soleil là-bas… sans doute ! Du froid[,] de la neige, ici,par bourrasques. Les terres en sont couvertes. Travaux divers.

Samedi 2 mai 13. Temps bouché. Pas de lumière. Violents grains de neige épaisse avec grésil.Thermo au dessous de zéro. Les terres apparaissent toutes blanches entre deux grains. Etla mer avec sa couleur sombre spéciale. Travaux à l’arti la voile de cape d’artimon. Les5 moutons qui sont sur le pont, non contents de nous empêcher de dormir la nuit,bouchent complètement 2 glaces du pont. Dans le poste nous allumons la lampe en pleinjour. (Le fait de parler si souvent de la lumière a sa signification ici). //

37 Probablement « 5 » en chiffres romains.

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Dimanche 3 mai 1914. Un peu calme. Froid. Allé terre chercher nourriture pour les 5 moutonsqui n’ont rien mangé depuis 5 ou 6 jours.

Lundi 4 mai 14. Bourrasques de neige épaisse et froid. Travaux divers. Fait eau douce.Mardi 5 mai 14. Un peu de pluie. Températ. s’élève de 1ou 2 degrés que nous sentons. À terre

la neige fond. Hier, fameuse onglée pour faire l’eau. Stalactites de glace et neige épaisseprès d’une cascatelle. La tenue du canot dure à cause de la houle. Mer assez grosse. Bonbain pas chaud. Travaux divers et feuille mensuelle de météorologie.

Mercredi 6 mai 14. Temps à grains qui nous empêche de partir de Royal Sound pourcontinuer. Divers. Travaux de carte (générale au 1/300 000 cette fois38).

Jeudi 7 mai 14. Temps à rafales et à grains avec froid.

Quitté la terre de Kerguelen (Désolation) le 8 mai 1914.Vendredi 8 mai 14. Appareillage à 8h du matin. Défilé dans Royal Sound. Hydrographie. Côte

basse. Dans PM nous apercevons dans le Sud quantité de baleines qui s’ébattent et sepoursuivent. Grands bancs de goëmons. Au soir le temps se gâte. Nous sommes dépalésde la côte. La nuit tombe avec temps couvert et une lune qui apparaît toute rousse.Sommes à la mer.

Samedi 9 mai 14. Une nuit froide et humide passée à la mer. Damiers passant dans l’ombrepareils à des chauves-souris de rêve.

Dimanche 10 mai 14. Sommes en cape[.] (Repris allure vers le Nord à minuit)[.] Reflets decette lune étrange sur l’eau lourde et sombre.

Lundi 11 mai 14. Bonne allure. Nous partons. Rien d’extraordinaire. Nous laissons à Port-Couvreux nos agrès et mât de hune, hunier, vergue, vigie etc. … Le temps ne nouspermet pas d’accoster. Ma dernière vision de cette terre fantastique aura eu lieu cesjours-ci. Pauvre Campbell ! Minaret sans soleil au milieu d’un étrange plateau, marquépar un Cap Digby, dominant les Roches du Désespoir ! Nature aveugle ou intelligente,accouchant d’une beauté ou bien d’une horreur dans ses derniers soubresauts…

Roulis et tangage violents. Poste mouillé et sale. C’est une corvée que de manger ; secoucher est décourageant…

Mardi 12 mai 14. Même allure. Forte brise d’Ouest. Torturés tous par roulis & tangage.Mercredi 13 mai 14. Bonne marche. Dans la nuit, la lune avec un halo fantastique. Grosse

brise d’Ouest. À midi sommes à 300 milles au Sud de l’île Saint Paul. Au soir la brisede SSW mollit. Dans PM et nuit marche au moteur. Pour une fois nous faisons le quartsans l’onglée[,] sans le “ciré”. Mer phosphorescente.

Jeudi 14 mai 14. À l’extrême matin panne de vapeurs dans l’Orient. Temps beau. La brise deNW mollit se lève. Stoppé moteur. L’Océan Indien est superbe considéré après toutesces mouillures, toutes ces grisailles et ces horizons incertains. La différence detempérature varie de quelques degrés avec celle des îles, là-bas… C’est peu, il est vrai ;c’est énorme cependant pour nous ; nous le sentons bien : les quarts sont moins durs.

Vendredi 15 mai 14. Faisons de l’W. Bonne marche dans jour. Au soir calme. Amenons latoile pareils aux grands oiseaux du large qui replient leurs ailes. Le roulis nous balance :quart stupide. Des brumes grises montent de la mer, envahissent lentement le ciel oùbientôt palissent et disparaissent les magnifiques constellations australes comme ayanthâte de se retrancher dans les profondeurs sidérales. //

38 Il s’agit très probablement de celle jointe au carnet.

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Notre feu rouge de bâbord trace un reflet sanglant sur l’onde ; le vert une traînée pâle,sans nom, glauque presque, étrange. Le cercle immense de la mer est complètement videet nu. Nulle part d’où vienne le vent. L’humidité s’accroît. Mouillure des choses. Lesagrès du navire se dessinent dans le vide au milieu de ces tranquillités marines. Nousavons les pieds chauds maintenant dans nos couchettes ! …

Samedi 16 mai 14. Dans nuit vent subit de SE. Marche au Nord.Dimanche 17 mai 14. Ciel semble trop petit pour la quantité de nuages amoncelés. La l

marche est bonne ; la mer sombre et dure. Au soir, petite cape, c’est d’ailleurs dimancheaujourd’hui ! Roulis très gros.

Lundi 18 mai 14. Temps chargé. SE. Marche. L’île Saint-Paul s’estompe dans les nuages.(Est-ce bien Saint-Paul ?) Cette cape, avec vent de SSW maintenant, me rappelle lesabords de l’île Tristan-da-Cunha, là-bas, dans l’Atlantique Sud…

Mardi 19 mai 14. Assez beau temps. Qq. grains. Maintenons cape à cause grosse mer.

Arrivé à l’île Amsterdam merc. 20 mai 14. Mouillé à midi. Départ à 4h PMMercredi 20 mai 14. Dans la nuit faisons toile avec SW frais. Au matin temps chargé avec

roulis énorme et pont noyé. L’île Amsterdam est devant nous (et non l’île Saint-Paul). Ilse produit une éclaircie. Mouillons à midi. A terre nous apercevons des… arbres ! Il y alongtemps que pareil spectacle ne s’était offert à nos yeux. Des arbres ! Pas plus ! Etpuis des bœufs et des vaches, paissant en liberté. Comme la carte l’indique le poissonest abondant. Nous en pêchons à l’instar des Terre-Neuvas ou des Islandais. Le pont enest couvert. Les arcs[?] de fer de nos cornettes servent à confectionner (avec une partiede filet) un appareil de fortune pour pêcher les langoustes qui font foison… Le tub estbientôt plein malgré cet appareil rudimentaire. Et plus d’une de nos parisiennes oumondaines d’ailleurs envierait ce plat ! Repartons à 4h de l’ap-midi pour tâcher degagner Saint-Paul… Restons pas longtemps dans ces parages, à cause du temps quichange rapidement.

Jeudi 21 mai 14. Dans la nuit brise de SW. Prenons la cape à 3h du matin ! Le temps estmauvais. À midi cap à… l’Est ! Nous fuyons la terre puisqu’il est impossible d’ytoucher. Face au continent Australien maintenant, vers des terres plus p hospitalières.Grosse mer. Grosse brise. Bonne marche. Nettoyé poissons.

Vendredi 22 mai 14. Grosse brise. Mer. Bonne marche.Samedi 23 mai 14. Calme au matin. Briquage écurie. Travaux divers. Rentré les ancres.

Roulis et temps monotone. Journée de soleil. Soir brise WNW.Dimanche 24 mai 14. Brise. Marche. Temps gris. La barre est dure.Lundi 25 mai 14. Gros grains de grosse pluie. La barre est toujours dure.Mardi 26 mai 14. Brise mollit.Mercredi 27 mai 14. Brise molle avec grainasses. Changt de panne.Jeudi 28 mai 14. Faible brise. Nous faisons du 2 à l’heure ! … Journée de béatitude

ensoleillée. La mer est d’un beau bleu. Couleur superbe sous l’éclatante lumière.Vendredi 29 mai 14. Faible brise, conséquemment faible marche.Samedi 30 mai 14. Notre fortune est molle. Battons record durée sur place ! Nous mettons le

grand foc.Dimanche 31 mai 14.. Brise de NE. Tangage et roulis. Mouillure. Temps gris et gros se

prépare. C’est dimanche ! Ne l’oublions pas ! … //

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Lundi 1er juin 14. Lame du travers embarque. Fatigue. Petite Cape.Mardi 2 juin 14. Course sur dundee et foc, trinquette à ris. Dans nuit cape. Gros temps avec

saute de vent.Mercredi 3 juin 14. Toujours en cape. Soir brise mollit un peu. Jeudi 4 juin 14. Voilure dans la nuit. Au matin des grains sur la mer houleuse. L’horizon

apparaît à travers des vapeurs molles, nombreuses, peu épaisses.Vendredi 5 juin 14.. Forte brise partie SW. Grain de pluie. Houle.Samedi 6 juin 14. Temps à grains. Brise de SW. Briq. poste. Dans journée la brise mollit.

Dans PM, un vapeur ! (4 mâts) C’est le “Céramic” (anglais) que nous voyons. Depuis silongtemps ! C’est, pour nos yeux, une fête. Nous songeons que bientôt nous allons êtrede retour au monde civilisé. Les passagers sont ahuris de voir un si petit navire aumilieu de l’océan, et les profanes doivent se demander ce que nous pouvons bien faireici ! Depuis 8 mois c’est le premier que nous rencontrons. Signalé avec. Il se rend àAlbany (d’Australie). Soir, calme. Serré la toile. Marche au moteur. D’avoir vu des êtresvivants cela nous réconforte un peu. Coucher de soleil très doux. Nuit, clair de lune surla mer. Notre route est changée (Rien d’exhorbitant [sic]). Nous n’allons pas àFreemantle39. Nous nous arrêterons à Albany40.

Dimanche7 juin 14. Matin, stopp. moteur. Brise d’W favorable. Grains & éclaircies alternant.Nous nous approchons de la terre.

Lundi 8 juin 14. Bonne marche. Dans la nuit aperçu le feu de terre. Allum. moteur. Clair delune superbe.

Arrivé à Albany (d’Australie) le mardi 9 juin 1914, à 2h du matinMardi 9 juin 14. Sommes arrivés à Albany d’Australie, ce matin à 2 heures. Après avoir

manœuvré dans les îles et autour du feu de Break-Sea, Albany nous apparaît, très calmedans son sommeil. La terre ne me cause pas grande impression même après lasolitude… Au jour le docteur et la douane (têtes d’Anglais classiques !) viennent àbord. Il passe quelques grains. Nettoyage sérieux après les îles. Potasse générale.Changé de mouillage. Plus près du wharf.

Mercredi 10 juin 14. Dévergué et voiles au sec. Peinture. Les bruits de terre, (vapeurs,vedettes, trains, autos, voitures) ne nous surprennent pas de trop.

Jeudi 11 juin 14. Grains. Grattage de la mâture.Vendredi 12 juin 14. Grains. Céruse et grattage. Et nos lettres de France ? Elles n’arrivent pas

vite de Freemantle où elles doivent moisir…Samedi 13 juin 14. Allé à l’appontement au matin faire eau douce. Repris le mouillage

aussitôt. Contin. travaux.Dimanche 14 juin 14. Briq. du linge. Splendide coucher de soleil.Lundi 15 juin 14. Propreté. Goudron et céruse.Mardi 16 juin 14. Propreté.Mercredi 17 juin 14. Propreté.Jeudi 18 juin 14. Continué la propreté.Vendredi 19 juin 14. Propreté. Attendons toujours les lettres. //

39 Sic pour « Fremantle », ville de l’agglomération de Perth, capitale de l’État d’Australie-Occidentale, située sur la côte ouest.40 Ville située sur la côte sud de l’Australie-Occidentale, à 400 km au sud-est de Perth.

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Samedi 20 juin 14. Propreté du bord.Dimanche 21 juin 14. Un groupe de jeunes gens (société) à bord. Sommes envahis par tous

ces Anglais qui semblent ahuris de voir “La “Curieuse”. Le président et le Com t

échangent petits discours. Une foule de petits yachts nous entoure.Lundi 22 juin 14. Propreté.Mardi 23 juin 14. Propreté et travaux divers.Mercredi 24 juin 14. Propreté. Divers. Nos lettres n’arrivent toujours pas !Jeudi 25 juin 14. Propreté. Divers travaux. Ici, par intervalles, des grains passent sur la terre et

sur la mer. Mais combien plus doux que ceux de l’archipel !Vendredi 26 juin 14. Propreté.Samedi 27 juin 14. Propreté générale.Dimanche 28 juin 14. Repos. Grains continuels avec temps monotone.Lundi 29 juin 14. Propreté & divers.Mardi 30 juin 14. Propreté et divers travaux.Mercredi 1er juillet 14. Propreté du bord habituelle. Fourbissage etc. … divers.Jeudi 2 juillet 14. Propreté. L’hiver ici est doux. En France il doit faire chaud !Vendredi 3 juillet 14. Propreté et divers.Samedi 4 juillet 14. Propreté générale du bord.Dimanche 5 juillet 14. Temps à grains. Qq. visiteurs avec mer houleuse (Ô Joconde !)Lundi 6 juillet 14. Propreté. Grains. Réparé une partie du pavois B[âbor]d devant défoncé par

un coup de mer (celui-là même que j’ai pu éviter !)Mardi 7 juillet 14. Temps à grains. Un remorqueur prend nos colis et caisses d’échantillons

divers (recueillis aux îles Kerguelen pendant notre séjour) et destinés au Muséumd’Histoire Naturelle de Paris. Ces colis, caisse, barils de peaux de phoque etc. … ont étépréparés ces jours-ci. Ils sont au nombre de 7 et vont partir pour la Franceincessamment.

Mercredi 8 juillet 14. Le sieur [passage raturé] [sténo.] Loranchet part aujourd’hui par lepaquebot. Aucun commentaire à faire ici.

Jeudi 9 juillet 14. Propreté des cabines. Nettoyage des instruments nautiques.Vendredi 10 juillet 14. Propr. des cabines. Vernis. Envergué dundee. Temps à grains.Samedi 11 juillet 14. Peinture. Divers objets au sec et à l’air.Dimanche 12 juillet 14. Beau temps. Briq. linge. Allé terre sur plage pr observations.Lundi 13 juillet 14. Travaux divers. Peinture des noms.Mardi 14 juillet 14. Fête Nationale. Pavois (avec pavillon Australien).

Mons. [sténo.] Nozal41 embarque. Me souviens aujourd’hui du 14 Juillet dernier auCap !

Mercredi 15 juillet 14. Travaux au gréement.Jeudi 16 juillet 14. Contin. le gréement.Vendredi 17 juillet 14. Travail au gréement. Dans PM allé à terre pr observations. Nous

arrimons la cale. Nos lettres si attendues n’arrivent toujours pas !Samedi 18 juillet 14. Temps à grains. Travaillé à confectionner des antennes pour la T.S.F.

(avec bambous coupés au Brésil !) La Télégraphie Sans Fil à bord !! Où allons-nous ?Mon Dieu ! Attendons pour les fameux “point-trait".

Dimanche 19 juillet 14. Notre petit récepteur Ducretet a été influencé ce matin. Tempscalme. //

41 Un nouveau cuisinier ?

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Lundi 20 juillet 1914. Temps à grains. Travail au fil du grand sondeur.Mardi 21 juillet 14. Grains. Continué au sondeur (2 000 brasses de conservées).Mercredi 22 juillet 14. Grains. Nettoyage outils.Jeudi 23 juillet 14. Beau temps. Nettoyage et grattage du sondeur. Démontage.Vendredi 24 juillet 14. Beau temps chaud. Contin. au sondeur. Au matin, allé à terre pour

observer (place de la gare)[.] Mâtereau à l’artimon pour le récepteur (antennes) de laSans-Fil (!) Filet. Brai sur le pont.

Samedi 25. Minium. Briquage du poste.Dimanche 26. Journée de pluie. Rentrée du Comt (parti depuis 1 quinzaine environ). Je reçois

un paquet de VM [magazine La Vie Mystérieuse], (envoi de Châtelain). Mais delettres… point !

Lundi 27. Grains. Grattage. Minium.Mardi 28 juillet 14. Divers. Menuiserie. Grains.Mercredi 29 juillet 14. Grains. Remontage de la machine à souder [ou « sonder »?].Jeudi 30 juill. 14. Divers. Cale. Vidé eau grosse barrique (de Kerguelen) et [sténo.] caisse.Vendredi 31 juillet 14. Nettoy. caisse de la machine. Allé à quai faire du charbon (à bord du

“Marius Ricoux”) ancien voilier français.Samedi 1er août 14. Propreté. Pompé du pétrole. Matereau artimon (Sans Fil).Dimanche 2 août 14. Au matin, petit mouvement à cause de l’ “Eola”. Par les journaux nous

apprenons des bruits de guerre en Europe ! Nous en avions assez causé de cette guerrependant que nous étions dans les îles froides !

Lundi 3 août 14. Propr. Nettoyé petit moteur. Mêmes bruits de guerre ! C’est du propre et dujoli ! Il faut croire que les peuples ne sont pas encore assagis ! Mes parents vont êtreappelés42, il n’y a pas de doute ; nous autres, nous sommes ici, en attendant. Pour mapart, je ne crois pas avoir de sitôt cette belle chance d’être rappelé aux sous-marins ! Cesnouvelles de guerre m’ont laissé assez froid ; elles n’ont d’ailleurs pas surpris le monde.

Mardi 4 août 14. Prop. Nettoy. moteur. Embarqué une [sténo.] caisse à eau (carrée).

Départ d’Albany merc. 5 août 14[,] 2h15 PMMercredi 5 août 14. Au matin faisons des vivres. Nous partons pour la Tasmanie à 2h15 dans

le PM. Nous sommes au plus près dès que nous quittons le King’s Georges RoyalSound. Navire fatigue.

Jeudi 6 août 14. Bonne marche. Fatigue. (marchons sur Hobartwon43 [sic]). Dans nuitantennes de TSF cassent par suite tangage brusque ou d’un coup de corne degrand’voile. C’était à prévoir et facile à prévoir [ou « prévenir »?] !

Vendredi 7 août 14. BT. Faisons route.Samedi 8 août 14. Calme. Marche au moteur.Dimanche 9 août 14. Stop. moteur. Au soir faisons toile.Lundi 10 août 14. Toile. Temps beau.Mardi 11 août 14. Beau temps. Faisons toile.Mercredi 12 août 14. Temps beau avec forte brise et vent arrière.Jeudi 13 août 14. Forte brise mais temps menaçant.Vendredi 14 août 14. Sommes en cape.Samedi 15 août 14. Jour de l’Assomption. Sommes toujours en cape. Au matin, apercevons la

mer très longue ; elle est énorme. //

42 Albert Seyrolle étant orphelin depuis son enfance, le mot « parents » est bien sûr à prendre ici au sens de « famille ».43 Hobart, aussi appelé Hobarton ou Hobart Town, capitale de l’État de Tasmanie.

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Dimanche 16 août 14. Beau relatif. Marche avec fortune. À minuit reprenons la cape.Lundi 17 août 14. Cape. Lumière grise. Grains. Mer marbrée. Dans la nuit animaux

phosphorescents.Mardi 18 août 14. Au matin repris allure. Mer houleuse. Manipulation morse. Quelle barbe !Mercredi 19 août 14. Beau relatif. Petite allure.Jeudi 20 août 14. Calme au matin. Moteur. Houle immense. Dans PM, la terre de Van Diemen

(Tasmanie) est en vue. Temps superbe. Au soir aperçu le feu de la côte SW. Un voileléger de stratus s’étend dans le ciel au travers duquel on distingue les étoiles éparses del’hémisphère australe : un peu pâles par exemple, comme diffuses, lumineuses commecertains amas de la voie Lactée. La houle est toujours très longue. Horizon imprécis.

HytheVendredi 21 août 14. Toute la nuit marche au moteur. Dans matinée rentré dans le chenal

d’Entrecasteaux (Il y a 110 ans que ce dernier est venu mouiller, ici, avec ses deuxnavires, je crois). À midi nous mouillons devant Hythe, petit village dans Port du Sud.Canot à terre. Les nouvelles de la guerre sont bonnes pour l’instant et nous réconfortent.Bonne nuit tranquille de sommeil. Au réveil c’est le bruit sourd de la lame sur les plagesde sable & sur les rochers.

DoverSamedi 22 août 14. BT. Canotage pour les vivres. Le wharf est encombré de bois. Ce n’est

pas ce qui manque ici. Les petits navires le transportent à Hobart, plus au Nord. Repartidans PM pour Dover (Douvres) dans Port de l’Espérance (nom français ici) à une10ainede milles dans le Nord. Temps calme. Marche au moteur. On aperçoit, le long desbois de la côte, la fumée des scieries qui travaillent. Stoppé devant petite île. Reparti &mouillé près du wharf à Dover où des marins à quai, chargent du bois pour la Nouvelle-Zélande. Nuit calme.

Dimanche 23 août 14. Temps couvert au matin. Dans PM, ait une promenade dans les bois.Troncs nombreux et calcinés par le feu. Nous essuyons un grain. Beaucoup d’eucalyptus& de mimosas le long des chemins. Campagne humide et lavée par la pluie.

Hobartwon (Tasmanie) arriv. lundi 24 août 14.Lundi 24 août 14. À 8 heures appar. pour Hobartwon. Stoppé à l’île à l’entrée de Dover et fait

route ensuite. Rencontré quelques côtres et autres petits vapeurs faisant le service duchenal. Maisons enfouies dans les bois à terre. Temps superbe. Un navire nous faitstopper (Réserve Navale Australienne). Arrivé dans PM à 3h30 & mouillé suivantindications du pilote. Rayonnement de soleil. Nouvelles de la guerre sont bonnesencore.

Mardi 25 août 14. BT. Voiles au sec. À 2h quitté le mouillage pour le Port et amarré àQueen’s Pier. Grattage encore du “cagibi”.

Mercredi 26 août 14. Couvert & doux. Voiles au sec. Démontage machine. Au soir, après latombée de la nuit, les citoyens d’ici, font l’exercice du fusil dans les rues, et du poste,nous entendons les pas cadencés et les commandements dans le vaste hall près duquelnous sommes amarrés.

Jeudi 27 août 14. Suite démontage. Vernis. Peinture.Vendredi 28 août 14. Pluie dans la nuit. Prop. Voiles au sec. Démontage.Samedi 29 août 14. Prop. Pluie fine. Machine.Dimanche 30 août 14. BT. Nous lavons du linge, chose naturelle et courante à bord des

navires. Il n’en faut pas moins pour qu’il y ait foule //

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sur le quai. Ils ont plutôt l’air ahuris d’assister à cette opération. Les dames surtout.Croiraient-ils par hasard qu’au large nous avons des femmes de chambre ? Il en fautbien peu pour étonner ces Anglais !

Lundi 31 août 14. Petite pluie. Continué moteur.Mardi 1er sept. 14. Petite pluie. Remontage moteur. Un courrier va partir pour l’Europe.

J’écris aux familles une douzaine de lettres. Je m’étais bien promis, aux Kerguelen, d’enfaire de plus longues & plus intéressantes pour eux tous ; mais j’ai compris que c’étaitinutile maintenant à cause de la guerre. Les autres, il va sans dire, (je veux parler deslettres que nous attendions) sont perdues ou presque. Peut-être, af à force de rouler debureaux en bureaux quelques unes nous parviendront !

Mercredi 2 sept. 14. Petite pluie par intervalles. Tuyautage dans la machine pour [sténo.]caisse à eau du moteur. Ce travail est vraiment risible.

Jeudi 3 sept. 14. BT. Tuyautage. Peinture du bord. Sommes photographiés sur “TasmanianMail”.

Vendredi 4 sept. 14. BT. Soudure des tuyautages d’air et eau. Peint. du bord.Samedi 5 sept. 14. Vent et poussière. Fait fonctionner le moteur. Les résultats sont bons –

pour l’instant du moins. Propreté. Nettoyé le laboratoire.Dimanche 6 sept. 14. BT. Visiteurs pr le bord. Le “Tasmanian Mail de Thursday 3 sept., avec

photo, a annoncé “Round the world in a thirty-two ton ketch. Rien que cela ! Le Tour dumonde sur un navire de 32 tonnes !

Lundi 7 sept. 14. BT. Aluminium. Peinture lavabos AR. Grand sondeur.Mardi 8 sept. 14. Alum. Peint. Grand vent & poussière dans PM.Mercredi 9 sept. 14. Peint. Grattage vernis – qq gouttes de pluie.Jeudi 10 sept. 14. BT. Vernis & charpentage.Vendredi 11 sept. 14. BT. Vernis. Pavillonnerie. Peinture.Samedi 12 sept. 14. Prop. Changé de quai au matin. Amarré à King’s Pier. Pavillonnerie.

Grains. Au soir quelques Anglais viennent à bord. Nous entendons un peu…d’accordéon ! Je reçois 5 lettres de 12 ou 14 mois qui m’attendaient à Melbourne ! C’estagréable de les lire !

Dimanche 13 sept. 14. BT. Repos. Lundi 14 sept. 14. Temps à grains. Divers. Instruments.Mardi 15 sept. 14. BT. Divers.Mercredi 16 sept. 14. BT et divers. Expositions de chiens. Bruits dans le hall.Jeudi 17 sept. 14. BT. Divers. Chiens hurlent toujours.Vendredi 18 sept. 14. Grain. Filet et chalut au sec le matin. Divers.Samedi 19 sept. 14. Propreté générale. Temps couvert. Changt de mouillage. À Queen’s Pier. Dimanche 20 sept. 14. BT. Sculpture d’un panneau. Monde sur quai.Lundi 21 sept. 14. BT. Trémail au sec. Charpentage.Mardi 22 sept. 14. Grand vent et poussière. Entretien du matériel.Mercredi 23 sept. 14. Temps à grains. Entretien. Neige sur montagne dans PM.Jeudi 24 sept. 14. Grains & neige encore sur mont. Entretien.Vendredi 25 sept. 14. Beau relatif avec qq peu de neige. Entretien.Samedi 26 sept. 14. Prop. générale. Des troupes doivent partir bientôt pour l’Europe. Quais

pleins de familles allant aux visites et aux adieux. //

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Dimanche 27 sept. 14. BT. Foule au quai. Impossible continuer à sculpter le panneau.28 sept. 14. Lundi. Au matin d’Angl[lade] ne revient pas. Préparat. d’appar. pr départ.

Départ d’Hobart le 29 sept. 14Chenal d’Entrecastaux

29 sept. 14. Mardi. Au matin fait eau douce. Départ dans PM à 2h45. BT et bonne brise. Arrêtà 8 ou 10 milles plus bas et mouillé en face d’un petit village non loin de la station dupilote. Canotage à l’arrivée (vers 5 heures). Coin tranquille.

30 sept. 14. Mercredi. Restons au mouillage pr l’instant. Draguages de coquilles de mer.Mouillé trémail. Charpentage. Nett[oyé] puits à chaînes. Ici environs calmes & jolis.

Port-Arthur (Tasmanie)1er oct. 14. Jeudi. Calme. Relevé trémail avec coquilles. À l’extrême matin, à terre, des chants

étranges d’oiseaux tristes, plaintifs presque, comme celui des coucous dans uneatmosphère paisible. Appar. à 9h mat. (près station pilotage). Marche au moteur. Merd’huile avec houle. L’horizon se confond avec la mer, noyés qu’ils sont tous deux dansles brumes pâles et sans nom. Une sensation vague et froide comme celle du “non-être”nous prend ; c’est quelque chose d’extrêmement diffus où l’œil ne perçoit aucune ligne,où l’on se sent incapable d’assigner une teinte quelconque à ces alentours au seindesquels la lame nous soulève très doucement pour nous laisser retomber ensuite. Audevant de nous, face aux mers australes, la généralité des tons change par instants, maisl’impression première reste la même et reste en accord avec cet apaisement infini où il ya quelque chose de mort et de vivant à la fois, d’irréel et cependant vrai…

Avant la méridienne l’air devient transparent et laisse distinguer les lignes. Mouillé à4h dans Port-Arthur. Passé devant l’île-cimetière (anciennement il y avait ici des forçatsforçats). Trémail à l’eau. Monts roses avant coucher soleil. Tranquillité sous les grandseucalyptus. Beau clair de lune sur mer d’huile. Apaisement à l’extrême Sud du paysTasmanien.

2 oct. 14. Vendredi. Calme. Trémail donne mais requins avoisinent avec langoustes. Nett[oyé]caisse du silencieux de la machine. Dans PM chaluté dans le chenal. Quantité de bellescoquilles. Terminé à la nuit. Temps chaud.

3 oct. 14. Samedi. BT chaud (+24°)[.] Chalut et trémail au sec. Propreté. Canotage. Au soircalme. Des cris d’oiseaux se croisent, leur voix se perd dans le lointain où elle produitun écho prolongé avant de mourir. À terre, tout près de nous, c’est la chanson desinvisibles grillons, les gentils grillons alternant avec les coassements des grenouilles. Cen’est pas un chant cela, c’est un hymne dont l’intensité croît à mesure que la nuit tomberamenant de l’obscurité et de la fraîcheur sous les grands eucalyptus immobiles…

4 oct. 14. Dimanche. BT. Trémail rapporte poissons, langoustes, et requins. Dans PM, je vaisà terre, au plein, parmi les lézards gris courant sur les pierres chaudes près desquellesc’est le grouillement des crabes innombrables. Au soir, lune sanglante avec gigantesquehalo.

5 oct. 14. Lundi. Couvert & chaud. Divers. Dans PM brise.6 oct. 14. Mardi. Frais de SE. Divers. Trémail au soir.7 oct. 14. Merc. À midi appareill. pour Sydney. Roches de la côte Sud. Houle au large. Au

plus près qui fatigue.8 oct. 14. Jeudi. En cape. Déjà ? Mais oui ! Personnel fatigue spécialement. //

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9 oct. 14. Vendredi. En cape… pr ne pas changer.10 oct. 14. Samedi. Toujours en cape avec fatigue particulière, ce qui est surprenant. Dans

nuit gros grains froids de grêle. Au soir fait toile. Mer tombée.11 oct. 14. Dimanche. Étrange ! Aujourd’hui dimanche il fait beau !12 oct. 14. Lundi. BT. Petite allure. Belle mer.13 oct. 14. Mardi. BT. Petite marche.14 oct. 14. Mercr. Ciel voilé & humide. Vents contraires.15 oct. 14. Jeudi. Dans nuit temps à grains. Ciel sombre & chargé à l’excès. Éclairs nombreux

illuminant par instants l’énorme coupole australe. Dans journée vent arrière. Au soiraperçu feu de terre. Manœuvre dans la nuit.

Sydney (Australie) Arriv 16 oct. 14 vendredi.16 oct. 14. Vend. Au matin bonne marche. Pris le pilote à l’entrée de Sydney. Mouillé à

3h PM à Potts Point. Temps couvert. Douane à bord.17 oct. 14. Samedi. De la pluie, de la sainte pluie, toute la sainte journée.18 oct. 14. Dimanche. Temps à grains. Repos.19 oct. 14. Lundi. Grains. Déplacement & grattage [sténo.] caisse à eau du pont. Canotage.20 oct. 14. Mardi. Grains. Minium.21 oct. 14. Mercredi. BT. Voiles [au] sec et étuis. Peinture. Coaltar.22 oct. 14. Jeudi. BT chaud. Voiles au sec. Peintures.23 oct. 14. Vendredi. BT. Réparat. chalut. Cérusage.24 oct. 14. Samedi. Propreté. Eau douce. Tente à cause du soleil. A Kerguelen nous n’en

avions pas besoin ! Allé à bord du croiseur anglais “Sydney” que nous avons déjà vu auCap avec le cuirassé “Australia”44.

25 oct. 14. Dimanche. BT. Lav. linge.26 oct. 14. Lundi. BT chaud. Peinture. Le hunier servira à faire une tente. Mesures. 27 oct. 14. Mardi. BT. Peinture.28 oct. 14. Mercredi. Temps à grains. Peinture.29 oct. 14. Jeudi. BT. Le yach [sic] allemand “Komet” capturé par les Anglais est rentré à

Sydney aujourd’hui.30 oct. 14. Vend. BT. Peinture. Calfatage. Divers. Tous ces travaux sont faits dans le but de

laisser notre navire en bon état pour quelque temps, des mois sans doute, relégué dansun endroit sûr après le passage en cale sèche. Il y a beaucoup de chance pour que nousallions en France, participer à la guerre quoique jusqu’à présent nous n’ayons pas étérappelés par le gouvernement. Ensuite, si Dieu veut, nous reviendrons pour continuerl’expédition.

31 oct. 14. Samedi. BT chaud et voilé. Calfatage. Propreté. Tourné moteur.1er novemb. 14. Dimanche. Couvert. Toussaint. La Fête des Morts est de circonstance.2 nov.emb 14. Lundi. Lourd & petite pluie. Pavillonnerie.3 nov. 14. Mardi. Temps à grains. Peinture. Dans PM allé près des cales pr carénage.4 nov. 14. Mercredi. BT. Manœuvre pour placer le navire sur le “slip”. Ce travail dure toute la

matinée. Ah ! Ces Anglais ! Rentré en cale “slip” vers 3h PM. Les ouvriers, ici, font lecarénage. Peinture.

5 nov. 14. Jeudi. Peinture. Relevé le doublage de zinc de la coque au-dessus de la flottaison.Quitté le slip dans PM et mouillé à Potts’ Point, vers 5 heures, au même endroit. //

44 Voir note du jeudi 21 août 1913.

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6 nov. 14. Vendredi. Peinture. Calfatage.7 nov. 14. Samedi. Propreté. La “Mission” à bord dans PM.8 nov. 14. Dimanche. BT monotone.9 nov. 14. Lundi. Couvert et lourd. Commencé déverguer. Orage dans PM.10 nov. 14. Mardi. Peinture, calfatage. Pluie & orage au soir. Dévergué le dundee.11 nov. 14. Mercredi. Propreté. Confection supports en bois pour les guis X.12 nov. 14. Jeudi. ABT45. Charpentage. Confect. capot en toile.13 nov. 14. Vend. BT chaud. Continué déverguer.14 nov. 14. Samedi. BT chaud. Menace d’orage. Continué dépanner manœuvres.15 nov. 14. Dimanche. BT monotone. Dans PM orageux et lourd.16 nov. 14. Lundi. Chaud. Aluminium. Pluie au soir. Visite des boxeurs français.17 nov. 14. Mardi. Peinture coque. Lourd & orageux. Grains au soir comme d’habitude.18 nov. 14. Mercredi. Peint. coque.19 nov. 14. Jeudi. Filières. Tentes. Affalé vergue de fortune sur le pont après “savante

manœuvre”.20 nov. 14. Vend. BT. Lourd. Amarrage vergue de fortune. Filières. Inventaire cale.21 nov. 14. Samedi. ABT. Carénage Joconde. Fait l’eau comme une vieille écumoire !22 nov. 14. Dimanche. BT. Chaud. Monotone. Linge.23 nov. 14. Lundi. Temps orageux comme d’habitude. Aluminium. Au soir et pendant partie

nuit pluie torrentielle.24 nov. 14. Mardi. BT. Coaltar. [sténo.] André débarque. Un de moins. Nouveau canot.25 nov. 14. Mercredi. Orage dans PM. Peinture, aluminium. Le canotage est agréable

maintenant. Avons mis 30 mois environ pour cela !26 nov. 14. Jeudi. Propreté pont & machine. Divers. Charpentage.27 nov. 14. Vend. Divers. Nettoyage Joconde au sec à terre. Peinture.28 nov. 14. Samedi. Propreté. Ramené Joconde.29 nov. 14. Dimanche. Monotone. Linge.30 nov. 14. Lundi. Nettoyage instruments. Suiffé mâture.1er décemb. 14. Mardi. Visité les 2 lochs. Huilé autres pièces.2 déc. Mercredi. BT. Abattu chiens à coups de revolver (excepté Loock qui va faire un stage à

terre avec autorisation du Gouvernement Australien).3 déc. Jeudi. Lourd & pluie abondante. Nettoyage armurerie. 4 déc. Vend. Divers. Instruments. Notre chat, notre chat sans queue !, venant de Port Jeanne

d’Arc, là-bas à la Désolation, est débarqué lui aussi…5 déc. Samedi. BT. Visité maillons des chaînes. Propreté.6 déc. Dimanche. BT monotone. Machine à écrire pr distraction.7 déc. 14. Lundi. Pluvieux. Armurerie.8 déc. 14. Mardi. BT. Armurerie. Après 14 mois je reçois enfin des lettres de France. Elles ont

mis 55 jours pr venir d’Europe. Les nouvelles, relatives à la guerre, ne sont pas trèsbelles ! … J’en ai reçu 7. Il m’en manque encore plus d’une !

9 déc. Mercredi. 14. BT. Vent de NE. Confection d’une dame [de nage] pr canot léger. La“Joconde” sert de “déjeuner”[?] au remorqueur de la Douane ! Son AR est crevé.Débarqué les instruments pr les envoyer à l’Institut Météorol. de Sydney. //

45 Probablement pour « Assez beau temps » ?

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10 décemb. 14. Jeudi. Débarqt des 2 doris. Après un séjour complètement inutile d’environ30 mois à bord, n’ayant rendu d’autre service que d’ “engager la dunette”, ils s’en vontenfin… maintenant…

11 déc. 14. Vendredi. BT. Armurerie. Brai sur pont.12 déc. 14. Samedi. BT chaud. Terminé armurerie. Nettoy. sextants.13 déc. 14. Dimanche. BT. Linge. Vent dans PM.14 déc. 14. Lundi. Couvert & pluie. Outils. Galipoté46 pièces du moteur.15 déc. 14. Mardi. Pavillonnerie. Brai du pont. BT chaud.16 déc. 14. Mercredi. Propreté. Divers.17 déc. 14. Jeudi. Prop. Étuis sur guis et cornes. Dans PM allé au “Pacifique”.18 déc. 14. Vend. Au matin à bord du “Pacifique”. PM divers.19 déc. 14. Samedi. Propreté. Divers.20 déc. 14. Dimanche. Monotone. Pluie dans PM. Grisailles et vent.21 déc. 14. Lundi. Pluie abondante. Embarqt de nattes pour le pont.22 déc. 14. Mardi. Pluie abondante. Mise en place des nattes sur le pont.23 déc. 14. Mercredi. Malles. Je fais la mienne.24 déc. 14. Jeudi. Dans matinée le Remorqueur vient nous prendre et nous mène à Middle

Harbour, un petit coin tranquille mais assez éloigné de la ville.Après une 30ne de mois de séjour à bord, la guerre est cause que la mission est

interrompue. “La Curieuse” va rester sous la surveillance d’un gardien.L’équipage rentre en France par voies diverses (quoique n’ayant pas été rappelé par le

Gouvernement Français). Espérons qu’après la guerre nous pourrons terminerl’expédition.

Sydney (en chambre)25 Xbre 1914

46 Galipot : sorte de résine semblable à la poix.

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[de la p. 80-b r. à la p. 91-q v. : pages vides]

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[croquis à peine esquissé : buste de profil avec casque et bec de vautour ? Il pourrait s’agir d’unecaricature de soldat allemand, voir ci-dessous]

[FRAN_0287_0186_L] [pages vides][FRAN_0287_0187_L] [p. 92-b r.]

[croquis similaire au précédent : buste de profil avec casque à pointe et bec de vautour ou masqueà gaz]

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[à partir de la p. 92-b v. : pages vides]

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[quatrième de couverture du carnet et intérieur de la couverture protectrice en papier ; en bas surle rabat ]

Dans cette nuit longue parmi les effilochements de brumes pâless & grises courant bas sousles profondeurs du ciel austral[?]

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[extérieur de la couverture protectrice en papier, avec esquisses de manchots]

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