la tradition 1887-08 (n5)

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La Tradition (Paris. 1887) Source gallica.bnf.fr / MuCEM

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REVUE GENERALE des Contes, Légendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

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  • La Tradition (Paris.1887)

    Source gallica.bnf.fr / MuCEM

  • La Tradition (Paris. 1887). 1887-1907.

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  • N .5 Prix du Numro : Un franc. Aot 1887.

    SOCIETE DES TRADITIONNISTES

    LA TRADITION

    REVUE GENERALEdes Contes, Lgendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

    PARAISSANT LE 15 DE CHAQUE MOIS

    Abonnement : France, 13 francs. tranger, 15 francs.Cotisation de Socitaire donnant droit au service de la Berue : 15 francs

    PARISA, DUPRET, DITEUR

    3, rue de Mdicis, 3.

  • LIVRAISON DU 15 AOUT 1887

    MONSTRES ET GANTS- III. LYDERIC ET PHINAERT, par A. Des-rousscaax

    LA LGENDE DE LA BERGERONNETTE, NOUVELLE, par CharlesLancelin.

    CONTES DU VIEUX JAPON. III. MOMOTARO, traduit par J. Dautre-mer.

    CE MATIN JE ME SUIS LEVE, CHANSON POPULAIRE recueillie parCharles de Sivry.

    LES GANTS DE LA MONTAGNE ET LES NAINS DE LA PLAINE,par Alphonse Certeux.

    HORIZONS, POSIE de Ed. Guinand.LES RUSSES CHEZ EUX. LA PETITE RUSSIE. II. KIEV. - LE RAS-

    KOL, par Armand Sinval.SONNETS MYTHOLOGIQUES. I. Aux PIEDS D'OMPHALE. II. TAN-

    TALE. III. PROMTHEE, POSIES de Charles Fuster.LA CHAIRE DU DIABLE, LGENDE DU BOCAGE NORMAND, par Victor

    Brunet.LE DMON MAHIDIS, EXTRAIT DES Choses vues de Victor Hugo.VOCERO, POSIE de Alfred des Essarts.LE SAINT-MARTIN, CHANSON DE LA BRESSE, recueillie par Charles

    Guillon.A TRAVERS LES LIVRES ET LES REVUES, par C. de Warloy.BIBLIOGRAPHIE. Henry Carnoy.NOTES ET ENQUTES.

    La Tradition parat le 15 de chaque mois. Le prix de l'abon-nement est de 12 fr. pour la France (15 fr. pour l'tranger).

    La cotisation des Socitaires est de 15 francs payables dansle courant du premier semestre de l'anne, et donnant droit l'envoi de la Revue.

    Afin d'viter les frais de recouvrement, les socitaires et les abon-ns sont pris d'adresser leur cotisation ou leur abonnement, en unmandat-poste, l'adresse de M. DUPRET, 3, rue de Mdicis. Letalon servira de reu.

    Il sera rendu compte de tous les ouvrages adresss la Revue.Prire d'adresser les adhsions, la correspondance, les articles,

    changes, etc, M. Henry CARNOY, 33, rue Vavin.

    Les manuscrits seront examins par un Comit de rdactioncompos de MM. Emile BLMONT, Henry CARNOY, Raoul GI-NESTE, Ed. GUINAND, Charles LANCELIN, Frdric ORTOLI,Charles de SIVRY et Gabriel VICAIRE. Les manuscrits non ins-rs seront rendus.

  • LA TRADITION

    MONSTRES ET GANTS.

    III

    LYDERIC ET PHINAERT

    La Procession de Lille cre en 1269 par Marguerite de Constantinople,comtesse de Flandre et de Hainaut, laquelle a eu lieu chaque anne jus-qu'en 1793, le dimanche aprs la Trinit, except en 1596 cause de lapeste qui svissait Lille et dans ses environs, avait primitivement uncaractre purement religieux. Des personnes des deux sexes la suivaientpieusement et l'on en voyait marchant pieds nus. Mais dans le seizimesicle, chaque corps de mtier y reprsentait une histoire, c'est--direune scne de l'Ancien ou du Nouveau testament, et les ptissiers et lescorroyeurs y firent marcher deux gants en osier, un homme et unefemme, ayant soixante pieds de haut.

    Que reprsentaient ces gants ? Nos recherches cet gard sont restesinfructueuses. Il est cependant difficile d'admettre qu'ils n'avaient aucunesignification. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'ils firent la joie de nos aeux,et que lorsqu'on 1826 on organisa Lille un cortge historique l'occa-sion de la fte communale, on eut bien soin d'y faire figurer encore desgants comme une des grandes attractions du programme.

    Ces gants taient Lyderic et Phinaert ou Pinard. Mais qu'taient lespersonnages portant ces noms ?

    Or, d'une lgende rapporte par le chroniqueur Christian Masseeuw,n Warneton (Nord) le 13 mai 1469, il rsulte qu'en l'an 620, Salvaert,comte de Dijon, par suite des troubles qui rgnaient en Bourgogne, futforc de quitter son pays pour aller demander asile au roi d'Angleterre,son parent. Il partit avec Emelgade, sa femme, alors enceinte, et defidles serviteurs. Comme il passait dans une fort fameuse par les mas-sacres qu'on y avait commis et qu'on appelait, pour cette raison, BoisSans-Piti, un mchant homme nomm Phinaert, qui gouvernait sous lasuzerainet du roi des Franais le pays du Buc, tout en assassinant lesvoyageurs pour les voler ensuite, se jeta l'improviste avec les soudartsde sa bande sur Salvaert et sa suite et en fit un massacre gnral.

  • 130 LA TRADITION

    Emelgade suivie d'une de ses femmes, profitant du tumulte, se sauva travers les marais. En relevant les morts, l'assassin s'aperut de ladisparition de la princesse. Craignant alors qu'elle n'allt demander ven-geance quelque puissant seigneur, il la fit activement rechercher.

    Harasse, sans force, Emelgade s'tait arrte dans le voisinage d'unefontaine qu'ombrageait un bouquet de saules.Elle y accoucha d'un enfantmle qui paraissait plein de vigueur. Quelques heures aprs, sa suivantetant monte sur un monticule, aperut une troupe de gens arms, aunombre desquels se trouvait le meurtrier de son matre. Alors Emel-

    gade, voulant du moins soustraire son enfant une mort immdiate, lecacha dans un buisson et se laissa emmener prisonnire avec sa servante,dans les sombres cachots du chteau du Bue, qu'habitait le tyran Phinaert.

    Vers le soir du mme jour, un ermite nomm Lyderic,dont l'habitationtait prs de la fontaine .del Saulx, c'est--dire des saules, ayant entendules gmissements de l'enfant abandonn, s'empressa de le recueillir. Il lebaptisa, lui donna son nom, le fit nourrir par une biche, et l'leva enfinavec une sollicitude toute paternelle.

    Ne doutant pas que cet enfant ne fut le fils de l'infortune princesse, ill'instruisit de tout ce qu'il savait, lui parla souvent de la malheureuse finde son pre, de la captivit de sa mre et ne ngliga rien pour l'exciter punir le tratre. Puis il l'envoya en Angleterre o, sous la directiond'un savant abb, il devint un prince accompli. A dix-huit ans, il entraau service du roi d'Angleterre dont il aima, dit-on, la fille et en fut aim.On lui reprocha mme d'avoir trop longtemps oubli prs d'elle la capti-vit de sa mre. Il s'en souvint cependant, et, suivant les conseils que luiavait donns le bon Ermite, il alla trouver le roi de France, Clotaire II,et lui demanda l'autorisation de dfier et combattre Phinaert dans uncombat corps corps.

    Le roi autorisa ce duel qu'on appelait alors jugement de Dieu. Il eut lieu l'endroit mme o, vingt ans auparavant, le crime avait t commis.

    Aprs une lutte terrible, Lydric tua Phinaert et dlivra sa mre.Le roi, enchant de la bravoure de ce jeune homme, lui donna toutes

    les terres du vaincu, ainsi que le chteau du Bue, o il rsidait, et lenomma Premier forestier de Flandre.

    Il y a Lille une rue Lydric et une rue dite de La Fontaine del Saulx.En 1849, il a t question, dans la mme ville, d'lever un monumentcommmoratif sur l'emplacement qu'occupait, assure-t-on, la dite fon-

    taine, mais jusqu'ici, rien n'a encore t entrepris cet gard.Les gants Lydric et Phinaert ont paru dans les cortges historiques

    de 1826, 1827, 1828, 1829 et 1830. Ils ont en outre figur dans les cortgesdes Fastes de Lille en 1830, 1851, 1858 et 1863. Toujours l'annonce de leurparticipation ces ftes a attir Lille un nombre trs considrable de

    visiteurs, toujours ils ont t acclams, toujours ils seront revus avec leplus grand plaisir.. Leur lgende a t le sujet d'un nombre assez consi-

  • LA TRADITION 131drable de chansons, tant en franais qu'en patois. On en a aussi faitune pice de comdie, sous ce singulier titre : La vie barbarique de Finard,puis trs anciennement, une complainte on ne peut plus nave, en vingt-six couplets, que l'on vendait encore il y a une trentaine d'annes surfeuille volante, avec les portraits peu authentiques, comme on le pensebien, des deux gigantesques personnages.

    Voici quelques couplets de cette complainte :

    Fuyant par la campagne,Ce prince infortun,La Bourgogne et ChampagneIl a abandonn.Il avait sa suiteQuelques hommes de mrite,Les plus hardis au coup ;Et son pouse enceinteFuyait saisie de crainte,Ell' suivait son poux.

    L'infortune princesse,Cache sous un buisson,S'accoucha de dtresseD'un beau petit garon.Aide de sa servante,Malgr son pouvante ;La mre s'est dpouilleDe ses habits exquis,Dchirant sa chemise,Et l'a emmaillot.

    Le duc de SalvaertMarchant diligemment,Pour gagner l'Angleterre,O taient ses parents,En passant prs de Lille,O tait son asyle,Finard et ses soldats,L'attendant au passage,Pour faire un grand carnageSe portant sur ses pas.

    Elle fondit en larmes,En entendant la voixDe

    .ces cruels gens d'armes,Qui parcouraient le bois.Prvoyant son revers,Sous un buisson couvert,EH' cacha son poupon,Dit d'une triste oeillarde :Ciel ! je vous donne en gardeMon aimable garon.

    Finard et ses gens d'armes,Plus de quatre contre un,A grands coups de leurs armesCes cruels importuns,Mettant tout au cercueil,Sans qu'il en reste un seul,Du prince et ses soldats,Ne restant que madame,Avec une autre femme,Dans le bois se sauva.

    Un hermite au bocage,Allant puiser de l'eau,Prs, de son hermitageA la fontain del saulx,Il entendit naissante,Une voix languissantePleurer amrement ;Dedans le bois s'enfonce,Il trouve sous les roncesCe beau petit enfant.

  • 132 LA TRADITIONCet hermite trs sage,Sitt l'a emport.Dedans son hermitage,Il le fit allaiterSitt par une chvre.En approchant les lvresIl suait joliment.S'levant de la sorte,Et tenant dans sa grotteJusqu' ce qu'il ft grand.

    Quand il eut atteint l'geDu bon sens la raison,L'ayant rendu bien sagePar ducation,Lui dclarant d'avance,De Salvaert son preQue Finard ce grand tratreS'en tait rendu matreEt qu'il tenait sa mre

    De ce lieu solitaire,L'hermite l'envoyantTout droit en Angleterre.Pour y voir ses parents,Dans peu de temps s'avance.De joter la lanceEt autre' exploits guerriers,D'un courage ingal,Pour monter un chevalIl tait le premier.

    S'tant dress en guerre.S'en alla Soissons,Trouver le roi ClotaireLe premier de ce nom,Qui tait roi de France.Trs humblement s'avance

    Prs de sa majest.Il se mit en devoirDe conter son histoireCet infortunit.

    Finard devant la FranceVoulut nier son fait.Il lui dit: Prends ta lance,Je connais ton forfait.Sont arms de cuirasses,De casque et de rondaches,A la mode du temps;Frappant d'estoc et taille,Lydric la bataille,II n'avait que vingt ans,

    L'un sur l'autre s'avancent,En courant au plus fort,Cassant, brisant leurs lances.Frappant dessus le corps.Finard d'un coup fatal,Tomba de son cheval ;Lydric la mme heureSitt mit pied terre,Plus vite qu'un clairil lui pera le coeur.

    D'une voix authentique,Le voyant aux abois,Tout crie : Vive Lydric !Trs applaudi du roi.Il le fit sans attendreGrand Forestier de Flandre,Et de la part du roi,Courant d'un pas lgerDprisonner sa mreL'embrasser mille fois.

    Dans une fte populaire qui a eu lieu Lille, les 29 et 30 mai derniers

  • LA TRADITION 133

    Lydric et Phinaert ont t de nouveau montrs . la foule qui les a cha-leureusement acclams.

    Voici ce qu'en a dit le Progrs du Nord du 1er juin : II y n une quin-zaine d'annes qu'ils ne sont sortis et nos concitoyens les revoient avecun plaisir qui se manifeste bruyamment par des clats de rire sans fin!On les entoure comme de vieux amis, les enfants font des rondes sousles regards placides des deux hros lgendaires.

    A. DESROUSSEAUX.

    LA LGENDE DE LA BERGERONNETTEElle chante, la bergeronnette, elle chante sa chanson joyeuse

    d'oiseau, suivant les troupeaux qui pturent dans les chaumes. Leblier aux cornes enroules, lier de la conduite des ouailles, l'aregarde gravement sautiller autour de lui ; il sent en elle une amiequ'au sortir de l'table il retrouve dans la campagne verdoyanted'avril ou sur les coteaux que septembre brle de ses rayons. Lesbrebis jouent avec elle, et elle, voletant a et l, passe au milieudu troupeau, pendant que les petits agneaux qui sortent pour lapremire fois, contemplent, tonns, ses mouvements vifs et gra-cieux, et demandent leur mre, dans leur blement qui chevrotte : Est-ce que c'est mchant, dis, une bergeronnette ?

    Et le ptre lui-mme, qui voit en elle une compagne fidle de sasolitude, suit d'un oeil rveur l'oiseau mignon dont le chant lui faitoublier l'amertume de la vie, pendant que ses chiens au poil tom-bant, lorsqu'ils aboient aux moutons maraudeurs, s'crient bienvite et plus doucement dans leur rude langage de btes : N'aiecrainte, petite bergeronnette, ma mie, nous ne te voulons faireaucun mal.

    A tous, l'oiselet rpond dans son gazouillis qui fait : Pri-i...pri-i... pri-i.... et sautillant parmi les paillis coups, il parle tous au blier qui l'coute attentivement, aux brebis qui fixentsur lui leur placide regard, aux agneaux curieux et peu rassurs,au ptre pensif, aux chiens qui secouent pour mieux l'entendre leurtte essorille ; et voici ce que dit la bergeronnette au milieu desa chanson joyeuse :

    O est-il le Juste que j'ai vu dans les temps d'autrefois et sousle ciel bleu de l'Orient? Quel est le pasteur de troupeaux qui, demme que jadis, me conduira vers le Juste? O est celui qui doitrevenir sur terre, amenant sa suite la paix, la concorde, lebonheur et l'amour? O est-il donc, le Juste ?

  • 134 LA TRADITION

    Elle chante, la bergeronnette, elle chante sa claire chanson dusoir, l'heure du rappel, l'heure o les oiseaux fatigus de lachaleur crasante du jour, se groupent pour regagner ensembleleur abri de la nuit. Dj le soleil vient de disparatre dans la di-rection du couchant ; les troupeaux altrs par le flamboiementcontinu d'un ciel d'Orient, sans eau, sans nuage, ternellement etdsesprment bleu se sont couchs sur le sol torride.

    Dj les toiles piquent tout le firmament de leurs lueurs dia-mantes; la voix majestueuse du dsert fait taire tous les bruits,qui s'assoupissent peu peu ; la dernire cigale a jet son derniercri, et les ptres, assis en cercle, se prparent au sommeil dans legrand silence de la nature o veillent seuls les astres d'en haut quipanchent profusion sur le monde leurs tincelles d'or.

    Subitement, la bergeronnette s'est veille, et elle a chant : Pri-i... pri-i..., croyant saluer l'aurore. Mais ce n'est pas encorel'aurore; l'aube est bien loin du ct du levant, et le petit oiseauregarde, tonn, la grande lueur qui vient de se faire. Les bergersaussi se sont soulevs, et,tout tremblants, assistent une merveillequ'ils ne s'expliquent pas : Une nue lumineuse est descenduedu ciel, repose sur le sol devant eux ; elle vient de s'entr'ouvrir,et des contours vagues de sraphins ails s'en chappent, pendantque s'lve en l'air un chant si divinement harmonieux que la petitebergeronnette croit entendre la mlodie des bulbuls qui modulentdans les nuits tides.

    Mais les anges ont parl aux bergers, et ils leur disent dans unemlope cleste : Apprenez une grande joie : aujourd'hui mmeun Sauveur vous est n, qui sera le roi du monde. Vous le recon-natrez en voyant un petit enfant couch dans une crche : allez,son toile vous conduira vers lui.

    Et, tandis que les bergers surpris coutent ces paroles qui tra-versent l'air comme le murmure d'une harpe olienne, le concertdes messagers d'en haut s'est lev, ne laissant aprs lui qu'unbruissement mystrieux. En mme temps la nue s'est vanouie, et la place qu'elle occupait devant les pasteurs, brille au milieu dela nuit claire un astre blouissant, qui glisse en silence dans l'es-pace, invitant les ptres le suivre vers le Roi-Sauveur.

    Elle chante, la bergeronnette, elle chante la gaie chanson duvoyage, pendant que les ptres ceignent leurs reins et prennent lebton qui doit soutenir dans la route leurs pas fatigus. L'astre lu-mineux s'lve peu peu, puis s'loigne dans la direction indiquepar les messagers clestes, semant aprs lui une poussire scin-tillante qui s'attache aux brins d'herbe et trace sur le sol une voiesemblable un ple rayon de lune.

  • LA TRADITION 135

    Les pasteurs ont jet sur leur dos la besace qui porte leur nourri-ture ; et ils ont suivi la route lumineuse que leur trace l'toile, sedisant les uns les autres : Allons voir le Sauveur qui nous est n.

    La bergeronnette les accompagne, sautant devant leurs pas, etanimant pour un instant de son cri d'appel la solitude morne dudsert.

    Longtemps ils marchrent, s'arrtant seulement aux sources pourtancher leur soif. Peu peu les constellations disparaissaient lesunes aprs les autres derrire les collines rocheuses qui bornaientl'horizon. Peu peu, du ct de l'Orient, il se rpandait dans l'aircomme une pulvrulence diamante, qui est la messagre de l'au-rore ; puis une flche d'or stria le ciel bleu, et, sur la plaine d-nude, le soleil se leva dans sa gloire enflamme, salu par le con-cert de toutes les cratures.

    Comme ses frres les autres oiseaux, la bergeronnette jeta sa mo-dulation dans l'air sonore, et la gamme de son joyeux Pri-i...pri-i... monta vers le ciel...

    Mais ies plerins marchaient toujours, guids par l'toile mira-culeuse.

    Depuis longtemps dj, le jour panchait ses clarts, lorsqu'auloin des taches blanches apparurent, trouant l'horizon.

    C'est l ! dcrirent les pasteurs en voyant leur guide clesteles conduire vers la bourgade aux murs clatants de blancheur,pendant que la bergeronnette leur rpondait dans son langagechant : Oui! c'est l !... c'est l !...

    Ils arrivrent jusqu' l'endroit o l'toile demeurait suspenduecomme une veilleuse allume par la main du Crateur.

    Sous un toit en plein air servant alors d'abri un Boeuf aux grosyeux doux et un Ane qui inclinait ses longues oreilles, une jeunefemme berait un petit enfant dans une crche, pendant qu'auprsd'elle, un vieillard considrait ce tableau d'un air rveur. Une sorted'effluve lumineux entourait l'enfant, dont un nimbe d'or encadraitla figure souriante et rose.

    Les pasteurs se prosternrent alors et la petite bergeronnettelana joyeusement l'air son cri d'allgresse, pendant que desaccords merveilleux se faisaient entendre, et que partout dans l'es-pace clatait un cantique divin o les voix de mystrieuses cra-tures rptaient l'ternel Hosannah !

    Elle chante, la bergeronnette, elle chante la chanson vibrante dela libert; l'espace lui appartient, un coup d'aile la porte des flotsde la mer au sable du dsert : le ciel tout entier est sa demeure etchaque jour la voit promener ici ou l sa gat vagabonde et soncri joyeux d'oiseau libre.

  • 136 LA TRADITION

    Elle est venue dans le pays de Jude o les collines prennent desteintes bleutres dans la transparence, d'un air surchauff, o lesouffle accablant du midi pulvrise le sable qu'il soulve en tour-billons micacs.

    Au centre de la plaine s'lve un bois de sycomores; haletante,la bergeronnette s'y rfugie pour chercher un abri contre la cha-leur torride du jour. Mais elle n'a pas vu le gluau tenace qui l'at-tend, et lorsqu'elle veut regagner l'espace, sa patrie, elle sent sesailes retenues par un lien trange ; elle veut crier, se dbattre, fuirau plus vite : elle ne russit qu' resserrer davantage autour d'ellel'obstacle invisible qui l'enserre, tandis que, cachs derrire uneroche, des enfants saluent d'un cri de triomphe le succs de leurruse et se prcipitent avec des clameurs. Ils luttent qui aura lagloire d'arracher aux autres le petit oiseau terrifi, et celui d'entreles bourreaux qui, le premier, a pu saisir la bergeronnette, la serre l'touffer et sent entre ses doigts bondir d'angoisse le coeur dupetit martyr ail.

    Alors il le dbarrasse des gluaux visqueux qui se sont colls au-tour de son corps dlicat ; il lisse avec soin les plumes de son vte-ment souill de poussire et froiss dans-la lutte, puis, aprs avoirattach son pied tremblant une cordelette en poil de chameaudont il conserve l'autre extrmit, il rend son prisonnier unelibert feinte qui n'est que le commencement d'une dure captivitdont lui-mme sera le gelier. Et, avec un accent de triomphe, illance dans l'air son cri d'oiseleur heureux : Qui m'achte unebergeronnette vivante, pour un demi-ma de cuivre?... pendantque la pauvre captive jette au ciel un plaintif appel la justice.

    Or, cet appel d'angoisse monta plus haut que les nuages, plushaut que le voile bleu retenu par des clous d'or au firmament, plushaut que l'immensit de l'espace, o des sraphins aux ailes dia-phanes le recuillirent, et le portrent tout frmissant encore auxpieds de Yahv.

    Et voici qu'un homme s'avana, suivi d'un grand concours depeuple qui se pressait sur ses pas et criait : Hosannah !

    Sa figure jeune, ple et grave tait encadre par une chevelureboucle dont les tons fauves entouraient comme d'un nimbe lumi-neux sa tte que paraissait pencher le poids d'une mlancolie int-rieure. De ses yeux doux et suaves un rayonnement s'chappait;sa dmarche tait lente et son geste harmonieux.

    A ses cts se tenaient quelques gens l'humble apparence, quiparaissaient tre ses familiers et causaient ensemble, le laissantplong dans ses mditations.

    Voyant cette multitude qui s'avanait, le possesseur de l'oiseaucourut vers elle, esprant y raliser le gain dsir; sa voix s'leva,

  • LA TRADITION 137 .

    perante, aigu, et dominant pour un instant le bruit de l'assem-ble : Qui m'achte une bergeronnette vivante, pour un demi-ma de cuivre ?

    Et il agitait au-dessus de sa tte le lien au bout duquel l'oiseleteffar voletait de ci de l, toujours retenu, toujours meurtri cha-cun de ses lans par l'attache qui le rivait son tourmenteur.

    A ce cri, l'homme qui paraissait commander la foule releva len-tement la tte, regardant devant lui. Une flamme alors s'allumadans son regard, et marchant vers l'enfant, il s'cria : Quoidonc ! est-ce que le Pre d'en haut a cr l'homme pour torturer lesautres tres? Pourquoi donc a-t-il donn ses cratures ailes lalibert de l'espace et la chanson joyeuse, si la race d'Adam s'in-gnie dtruire ses dons?... Hlas! l'Ouvrier cleste et vouluvoir le chef-d'oeuvre de ses mains toujours bon comme lui-mme,ainsi qu'il l'avait form : pourquoi faut-il que dans toute veined'homme coule le sang de Can ?

    Puis, s'adressant l'enfant : Et toi, dit-il, n'as-tu donc jamaiseu devant les yeux que des exemples de cruaut, pour torturer plaisir un tre sorti comme toi des mains du Pre cleste ?

    Et tandis que le bourreau demeurait muet, interdit, devant cesreproches murmurs d'une voix triste, le Juste s'cria : Oiseau,crature du ciel au mme titre que l'homme, va ! reprends tonchant joyeux ! reprends ta libert !

    Comme il disait ces mots, le lien qui retenait captive la berge-ronnette se brisa tout coup, et le petit tre ail plana quelquesinstants avec des cris d'allgresse au-dessus de son librateur, puiss'leva dans la profondeur bleue du ciel o il disparut, semantparmi l'espace son hymne au bonheur retrouv.

    Elle chante, la bergeronnette, elle chante la mlope inquite desa tristesse... Son instinct lui rvle un grand frmissement quisecoue la nature entire.

    Le pauvre oiselet volte et l, toujours chass par une an-goisse secrte ; il franchit brusquement de vastes espaces d'air,toujours chass par la crainte du danger qui se prpare. Il fuit lesplaines accoutumes et les bois de cdres qui fleurent bon, il tra-verse en hte le pays des montagnes... Tout coup, il arrte sonessor, reploie ses ailes et se pose sur une crte de rocher. Enavant, sous les clatants rayons d'un soleil d'Orient, une cit, loin-taine encore, tage les terrasses innombrables de ses maisonscomme autant de plaques blanches qui rpercutent la lumireblouissante du ciel. Des portes de la ville sort, avec un tumulteassourdi par la distance, un immense concours de peuple; deshommes cheval ou pied couverts d'armures d'acier, portant la

  • 138 LA TRADITION

    lance et le bouclier, la tte surmonte d'un casque, cheminent dansune voie qui monte vers le sommet d'une hauteur dnude. Au mi-lieu d'eux marche un homme jeune encore, les pieds ensanglantspar les pierres du sol, le visage tumfi, le corps ploy sous le faixd'une sorte de charpente en forme de croix; derrire les soldats,viennent des vieillards en robe blanche menaant du poing le pri-sonnier bout de forces ; puis suit la longue thorie du peupledont le vaste murmure, form des clats de mille voix qui touteslancent des imprcations, devient de plus en plus distinct.

    Il a voulu donner l'esprance aux misrables, criaient les uns ;qu'il meure !

    Il a tent de remplacer la loi dure sous laquelle ont souffertnos pres par une loi qui gale le serviteur au matre, hurlaient lesautres ; qu'il meure !

    Il s'est dit l'gal de Csar, le fils de Yahv, disaient-ils tous :qu'il meure !

    Et, sous les pierres, sous les coups, sous les injures, sous les ma-ldictions, le souffre-douleur de celte multitude en dlire suivaitsa voie douloureuse.

    La bergeronnette le reconnut : C'tait lui, le Juste entre lesjustes, qui seul, un jour, avait eu piti d'elle, qui l'avait rendue la libert, alors qu'elle servait de jouet de cruels enfants !

    L'oiselet, cette vue, eut un doux cri de tristesse, volant versl'homme enchan. Lui, alors, devinant cet accent de compassionau milieu de tous les outrages qui l'abreuvaient, tourna lentementla tte vers sa consolatrice aile, tandis qu'un ple sourire illumi-nait son visage couvert de sueur et de sang. Un coup de verges lerappela la ralit de douleurs, tandis que l'oiseau effray du tu-multe s'enfuyait, montait vers le ciel o flambait le soleil d'or.

    Mais bientt des nuages tranges s'amoncelrent de tous les ctsde l'horizon, escaladant l'espace, cachant la lumire du jour; lesol tressaillit et se dchira ; la nature tout entire poussa un crid'horreur, sentant qu'un crime inexpiable venait d'tre commis.

    Affole, la bergeronnette fuyait, heurtant partout son vol destnbres opaques ; une lueur cependant striait le voile sombre quirecouvrait le monde; lire d'ailes, la bergeronnette accourut...Or, cette lueur merveilleuse se tenait comme une aurole au-dessusd'un poteau d'infamie o un supplici achevait de se tordre dansun spasme d'agonie lente : C'tait lui, c'tait le Juste. Tout fr-missant dans la dlicatesse de son tre, l'oiseau alla se poser sur undes bras du gibet d'ignominie, et, l, tristement, il modula sonchant l'oreille de celui qui dj n'entendait plus.

    Des tres immatriels s'approchrent alors, et, avec un murmuresraphique d'ineffable douleur, auquel la bergeronnette mla dou-

  • LA TRADITION 139

    cernent son cri lger, ils recueillirent l'me qui s'enfuyait vers lessphres ternelles, pendant que, dans le peuple, quelques voixveilles par l'esprance murmuraient tout bas :

    Qu'importe la mort ! Le Juste nous l'a promis : il reviendraparmi nous !

    Elle chante, la bergeronnette, elle chante son hymne d'espranceindestructible.

    Elle sait qu'un jour le Juste doit revenir ; elle se souvient quejadis elle fut conduite vers lui par les hommes qui gardent les trou-peaux, et sans cesse elle erre autour des troupeaux dont elle estl'amie, murmurant dans son langage d'oiseau qui se rappelle :

    O est-il, le Juste que j'ai vu dans les temps d'autrefois etsous le ciel bleu de l'Orient ? Quel est parmi les ptres d'aujour-d'hui, celui qui, de mme que jadis, me conduira vers le Juste?

    Et les agnelets craintifs jouent avec elle. Et les brebis l'oeildoux songent en la voyant : C'est notre compagne de tous lesjours ! Et les capricieux bliers la regardent d'un air mutin ! Et leschiens aux poils emmls lui disent dans leurs abois qu'ils adou-cissent : N'aie crainte, petit oiseau, nous ne te voulons faire au-cun mal ! Et les bergers s'crient en la voyant chaque aube nou-velle, chantant prs de leurs ouailles : C'est la fidle amie denotre solitude, la chre associe de notre vie...

    Mais ils ne la comprennent pas; ils ne savent pas qu'elle les suitpour tre mene par eux vers le Juste qui doit revenir un jour...

    Et, dans chaque aurore comme au soleil de midi, comme aussipar la vespre, dans les chaumes arides aussi bien que dans lesgras pturages, toujours aux cts des pasteurs, elle chante la ber-geronnette, elle chante son hymne d'esprance indestructible

    CHARLES LANCELIN.(Droits rservs.)

    CONTES DU VIEUX JAPON

    III

    MOMOTAR (LE PREMIER-N DE LA PCHE)

    Dans une certaine contre, vivaient autrefois un vieil homme etune vieille femme. Le vieil homme tait bcheron et passait toutes

  • 140 LA TRADITION

    ses journes dans la fort couper du bois et l'aire des fagots.Pendant ce temps, la vieille femme blanchissait du linge.

    Un jour qu'elle tait sur le bord de la rivire, occupe laver,son attention fut attire par quelque chose qui passait devant elle,entran par le courant. C'tait une pche magnifique qu'elle nevoulut pas laisser chapper.

    S'tant donc, mise sa poursuite, elle russit l'atteindre et laretirer de l'eau, l'aide d'un bton de bambou qui se trouva l parhasard. Elle tait heureuse comme une enfant de possder cettepche.

    La pense lui tant venue d'en faire prsent au vieux bcheron,elle se hta d'achever son ouvrage pour rentrer la maison demeilleure heure ; il lui tardait de faire partager sa joie et sonbonheur au vieillard. Elle ne fut pas due dans son attente, car ilfut saisi d'admiration la vue de ce fruit merveilleux. Aprs l'avoircontempl ensemble tout leur aise, ils dcident enfin qu'ils le par-tageront en deux et qu'ils en mangeront chacun une moiti.

    Mais prodige ! La pche n'est pas plus tt ouverte qu'il en sortun charmant petit garon. Qu'on juge de l'tonnement des deuxvieilles gens cette apparition subite et inattendue !

    Ils le considrent quelques instants en silence, et, lorsqu'ils sontun peu remis de leur motion : C'est un don du ciel, se disent-ils ;nous n'avons pas d'enfant; adoptons celui ci. Ils le prennentaussitt dans leurs bras et le comblent de caresses. Pour rappelerson origine, ils lui donnent pour nom Momotaro, qui signifie le Pre-mier n de la Pche, parce que, dans ce pays, la pche se dit Momo.Grce aux soins aussi clairs qu'affectueux qui lui furent prodi-gus par ses parents adoptifs, ses forces physiques, ainsi que sonintelligence, prirent un rapide et heureux dveloppement. A me-sure qu'il avanait en ge, il devenait plus robuste et plus entre-prenant. Aussi faisait-il la joie et la consolation des deux vieillards.

    A quelque distance de l'endroit o ils demeuraient, il y avait unele appele Onigachima, qui tait habite par des Gnies, posses-seurs de richesses immenses.

    Momotaro, devenu jeune homme et comptant sur sa force hercu-lenne, rsolut de passer dans cette le pour s'emparer des trsorsqui y taient amasss. Ayant fait part de son projet ses parentsadoptifs, ceux-ci, non-seulement l'approuvrent, mais se mirentimmdiatement faire les prparatifs du voyage. Quelques joursayant suffi pour runir tout ce qui lui tait ncessaire, Momotaroprit cong de ses parents et se mit en route.

    Au moment du dpart, la vieille femme lui avait remis une saco-che remplie de petits pains, appels dangos, qu'elle avait fait cuireelle-mme. Chemin faisant, Momotaro rencontra d'abord un chienqui lui dit

  • LA TRADITION 141

    Momotaro, que portez-vous dans votre sacoche ? Ce sont des dangos faits avec le meilleur millet du Japon. Si vous voulez m'en donner un, je vous accompagnerai, con-

    tinua le chien. Bien volontiers, fit Momotaro ; et aussitt, tirant un dango

    de sa sacoche, il le lui donna.Un peu plus loin, un singe et un faisan se prsentrent successi-

    vement sur le bord du chemin. Ayant fait la mme demande et lamme proposition que le chien, ils reurent des dangos. Puis, tout coup et comme par enchantement, ces trois animaux se trouv-rent vtus en guerriers.

    Momotaro s'embarqua ensuite avec sa petite troupe, et, aprs uneheureuse navigation de quelques jours, le navire aborda l'le desGnies.

    A ce moment, la porte d'entre du chteau tait ferme. L'enfon-cer et se prcipiter l'intrieur, ce fut l'affaire d'un instant.

    Cependant les serviteurs des Gnies se jettent la rencontre desassaillants et font tous leurs efforts pour les arrter; mais, malgrleur nombre,ils sont refouls et obligs de fuir jusque dans le palaiscentral. Akandji, leur chef, s'y trouvait, arm de sa lourde massuede fer dont un seul coup tait suffisant pour craser un homme.

    Momotaro vita adroitement, par son agilit, plusieurs coups, etrussit, la fin, saisir son adversaire bras de corps, Ds lors,la lutte ne dura plus longtemps. Akandji ne. tarda pas en effet, tre renvers par terre, et il fut garott si troitement qu'il lui taitimpossible de faire un mouvement.

    Le courage et la bravoure dont Momotaro avait fait preuve dansce combat, lui avaient acquis le respect et la sympathie du chef desGnies qui se dcida lui livrer ses trsors.

    Sur son ordre, les serviteurs vont chercher des montagnes d'ob-jets prcieux, qn'ils talent devant le jeune vainqueur. Celui-ci faitun choix et, aprs avoir charg son navire d'autant d'objets qu'ilen peut contenir, il quitte l'le avec ses compagnons d'armes pourrevenir chez ses parents.

    Momotaro tmoignait par sa dmarche noble et fire la satisfac-tion qu'il prouvait d'avoir ralis son projet. Mais il n'avait garde,cependant, d'oublier ce qu'il devait ses compagnons ; il se plaisait,au contraire, rpter que c'tait leur concours qu'il attribuaitson prompt et facile succs. Grande fut la joie des deux vieillards,lorsqu'ils virent rentrer leur enfant sain et sauf et charg de ri-chesses ! Pendant plusieurs jours, ce ne furent que ftes magnifi-ques auxquelles le jeune hros convia ses parents et amis pour leurmontrer ses trsors et leur raconter les divers incidents de- sa glorieuse expdition,

  • 142 LA TRADITIONPar le bon usage qu'il fit de sa fortune, Momotaro eut la satis-

    faction de la voir s'augmenter encore ; il sut, en outre, se conciliersi bien l'estime et la confiance de ses concitoyens que, la mort deleur chef, ils l'appelrent l'honneur de lui succder. Heureux Mo-motaro !

    Traduction de J. DAUTREMER.

    CE MATIN JE ME SUIS LEVE

    II

    Dans mon jardin, je suis alleCueillir la rose blanche ;J'n'y tais pas sitt entre.Que mon amant-z-y entre !Ah! que l'amour est charmante !

    III

    J'n'y tais pas sitt entre,Que mon amant-z-y entre !Il mdit: Charmante beaut,Marions nous ensemble ! Ah ! que l'amour est charmante !

  • LA TRADITION 143

    IV

    Il me dit:Charmante beaut,Marions-nous ensemble ! Moi, si ma tante le vent bien,J'y suis bien consentante!Ah! que l'amour est charmante!

    V

    Moi, si ma tante le veut bien,J'y suis bien consentante,Mais s'y ma tante ne veut pas,Dans un couvent j'y entre!Ah! que l'amour est charmante !

    VI

    Mais si ma tante ne veut pas,Dans un couvent j'y entre !J' prierai Dieu pour mes parents.Mais non pas pour ma tante ! Ah ! que l'amour est charmante!

    LES GANTS DE LA MONTAGNEEt les nains de la plaine.

    Lgende alsacienne

    Ce qui charme le plus les yeux, quand on parcourt les magnifiquesmontagnes boises de l'Alsace, c'est la contemplation des ruines de cesanciens chteaux, dont quelques-uns perchs comme des nids d'aigles surles plus hauts sommets, sont placs au bord de prcipices d'une hauteurvertigineuse. La plupart de ces chteaux datent de la fodalit ; maisplusieurs avaient t difis l'poque romaine et, comme ces construc-tions, d'une hardiesse prodigieuse, ne pouvaient moins faire que de faci-lier la cration des lgendes les plus fantastiques, il en est qui ont passpour avoir t l'oeuvre de gants.

    Un jour, que je venais de faire l'ascension du chteau du Nydeck, aprsavoir visit la cascade dont les flots cumeux grondent sans cesse au piedde la montagne, sous le poids d'une chute de plus de cent pieds de haut,je rencontrai, sur la route de Wangenbourg, un vieil Alsacien qui meraconta la lgende suivante :

    II tait une fois un gant qui habitait avec sa famille, un chteau denos montagnes. Ce gant avait une fille qui, bien qu'elle ne fut ge quede six ans, tait plus grande qu'un peuplier et curieuse comme une

  • 144 LA TRADITION

    femme. Malgr la dfense de son pre, elle avait grande envie de descendredans la plaine, pour voir ce qu'y faisaient les hommes d'en bas qui d'enhaut lui semblaient des nains.

    Un beau jour.que son pre gant tait all la chasse et que sa mamanfaisait un somme, sur le coup de midi, la grande petite fille prit ses jam-bes son cou et, en un temps de galop, dvala de la montagne dans un

    champ que les paysans labouraient. Alors, elle s'arrta toute surprise regarder la charrue et les laboureurs

    car elle n'avait jamais rien vu de pareil. Oh ! les jolis joujoux ! s'cria-t-elle. Puis, s'tant baisse, elle tendit son tablier qui se trouva couvrirle champ presque tout entier. La jeune gante y mit les hommes, les che-vaux, la charrue; puis, en deux enjambes, elle regrimpa sur la montagneet regagna le chteau paternel.

    Le pre gant tait table.Qu'apportes-tu l, ma fille? lui demanda-t-il . Regarde ! dit-elle,

    en ouvrant son tablier, les jolis jouets; je n'en ai jamais vu de si beaux. Et en disant cela, elle posa sur la table, l'un aprs l'autre, la charrue, leschevaux et.les laboureurs. Ceux-ci n'taient pas la fte ; les pauvrespaysans tout tremblants et tout effars ressemblaient des fourmis qu'onaurait tires de leur fourmilire et portes dans un salon.

    Cela fait,, la petite gante se mit battre des mains et rire de toutesses forces. Mais son pre frona le sourcil.

    Tu as fait une sottise dit-il. Ce ne sont pas l des jouets, mais gens

    et choses utiles. Remets tout cela doucement dans ton tablier et reporte-lebien vite l'endroit o tu l'as trouv : car les gants de la montagne mour-raient de faim si les nains de la plaine cessaient, de labourer et de semer lebl.

    Le lendemain, j'arrivais , Ste-Odile, par les sentiers sous-bois duHohwald et j'avais dj oubli la lgende des gants, quand, prs dumonastre bti sur l'emplacement du chteau-fort romain, dtruit en 407,par les Vandales, je restai stupfait en prsence de l'immense panoramaqui se droulait sous mes yeux : De cet endroit on dcouvre la magni-fique plaine d'Alsace tout entire, et, quand le temps est clair on distinguejusqu'aux glaciers de l'Oberland ; au loin et en de des montagnes de laFort Noire, le Rhin apparat comme un ruban d'argent, enfin les regardstonns embrassent la fois plus de 300 villes ou villages qui semblenttre des jouets de Nuremberg.

    Instinctivement, je me ttai pour voir si je n'tais pas devenu gant.Et quand plus tard dans la soire, assis sur une pierre du mur paen (1),

    (1) Le mur paen, qui commence 25 mtres du monastre de Ste-Odile,est une enceinte aux proportions formidables qui contourne la montagnetout entire et renferme un espace de cent hectares environ. Cette enceinte,qui date de plus de deux mille ans, fut d'abord, la retraite des druides,ces premiers dominateurs et exploiteurs des nains de lu plaine; puis elle

  • LA TRADITION 145

    je cherchais retrouver sous le ciel toile, le tableau si saisissant de lariche plaine d'Alsace, je compris mieux que jamais, la posie, la mora-lit et la profondeur des contes et des lgendes qui, avec les proverbes,constituaient tout le bagage littraire de nos pres et leur tenaient lieu debibliothque, de ces contes que les nourrices narraient encore quandnous tions jeunes et que nos enfants sont tents de mpriser comme desniaiseries, de ces contes qui, sous la forme amusante qui convient aujeune ge, renferment un si haut degr les meilleurs principes de mo-rale et d'enseignement

    ALPHONSE CERTEUX.

    HORIZONSLes vastes horizons font les larges penses :Celui qui vient s'asseoir au bord de l'Ocan,Promenant son regard sur le gouffre bant,Ecoutant le bruit sourd des vagues cadences ;

    Celui qui vient rver au front du mont gant.Voyant se drouler les plaines nuancesO les villages, blancs comme des fiances,'Semblent des astres clairs mergs du nant;

    Ah ! celui-l n'a pas de mesquines envies,De basses passions toujours inassouvies,De sentiments troits ni de fbrile ardeur.

    Le spectacle imposant de ce lointain espaceEst une source pure oh l'esprit se dlasse ;Il y boit la vertu, la paix et la grandeur.

    ED. GUINAND.

    devint la barrire protectrice oppose par les Celto-Gaulois aux attaqueset invasions des Romains. Ce mur, dont il reste de trs beaux vestiges, taitconstruit ayec des pierres normes superposes deux deux, donnant enhauteur cinq mtres sur deux mtres de largeur, et qui devaient tre jointes, chaque extrmit, en queue d'aronde. On voit que cette construction pouvait tre qualifie, elle aussi, de travail de gants. A.C

  • 146 LA TRADITION

    LES RUSSES CHEZ EUX (1)LA PETITE-RUSSIE

    II.

    Kiev. Le Raskol.

    En remontant le Kres chatik, regardons de droite et de gauche sinous ne rencontrons pas quelque dtail caractristique. Les Mougiksvonlles bras ballants regardant sans voir, je le crains, vu leur ignorance ex-traordinaire ; mais leur pit ne le cde en rien leur ignorance, car ilsne laissent pas passer une glise sans s'arrter ; tte nue. ils font une

    prire qu'ils entre mlent de nombreux signes de croix et de rvrences;deux pas plus loin, ils recommenceront devant la moindre chapelle.Vous pouvez juger ainsi du chemin que peut faire un Mougik fanatiquedans une journe, Moscou, par exemple, la ville aux quarante quaran-taines, c'est--dire aux 1000 coupoles !

    Nous observons cependant que quelques-uns de ces paysans ne s'arr-tent pas devant les glises, mais devant les maisons ordinaires, pourfaire les mmes signes de croix et les mmes rvrences. Un Russe pro-fesseur l'Universit (je cite cette qualit pour que vous voyiez combienl'instruction en Russie n'exclut pas les plus tonnantes croyances), rpon-dit mes questions ce sujet :

    Vous vous tonnez, et vous avez bien raison; malheureusement cescoutumes se perdent tous les jours et il arrivera bientt qu'on ne secroira plus oblig de prier Dieu, si ce n'est dans l'glise et par mode. Nos

    grands seigneurs, nos nobles, soutiennent la religion nationale de toutesleurs forces parce qu'elle est troitement lie au respect d au Tsar, c'est--dire qu'ils vont aux offices, font lever leurs enfants chrtiennement,donnent de l'argent aux monastres et ftent exactement les principauxsaints du Calendrier, mais chez lequel d'entre eux trouverez-vous encoreles Saintes-Images dans le coin le plus apparent de sa demeure? Quandles verrez vous baiser avec la vnration qu'elles mritent les toffes sacresqui recouvrent les dpouilles des Saints dans les chapelles ? Quand les verrezvous communier? Ils ont oubli non-seulement le russe en parlant conti-nuellement le franais, mais la langue liturgique, la vieille langue slave,ils l'ont abandonne en sortant du collge o ils l'avaient peine apprise!

    Vous me demandiez pourquoi ceux-ci ne s'arrtent pas devant les

    glises, mais devant certaines maisons particulires? C'est l une des

    (1) Voir le n du 15 juin de la Tradition, page 65.

  • LA TRADITION 147

    plaies de notre religion orthodoxe : ces paysans sont des Ras Kolniks ; quelle branche du schisme appartiennent-ils, je n'en sais rien ; mais jeles ai vus se signer, non pas avec les trois premiers doigts de la maincomme doit le faire tout bon orthodoxe, mais avec les trois derniers, ce

    qui prouve videmment le schismatique. Or, on sait que le diable est tou-jours dans le petit doigt, dit le proverbe.

    Qu'est ce que le Raskol ? C'est une secte qui a sa source dans les pro-testations souleves autrefois par les nouvelles doctrines de Nikne. Leplus curieux, c'est que ces doctrines, adoptes partout aujourd'hui et for-mant le fond de la religion dite orthodoxe, sont toujours considrescomme des innovations par les orthodoxes eux-mmes. Il rsulte de lque les Vieux-Croyants, traqus autrefois, prennent aujourd'hui une ex-tension inquitante et qu'ils jouissent mme d'une grande estime parmile peuple russe, parce qu'on les considre quand mme comme ayant con-serv les vieilles traditions. On ne parle d'eux qu'avec respect, comme desvritables dpositaires et gardiens de la vieille foi slave.

    L'crivain russe Melnikof, prtend aussi que la situation peu satisfai-sante du clerg des campagnes a surtout favoris le dveloppement duRaskol.

    Dans les villages, crivait-il en 1853 au Ministre de l'Intrieur, la si-tuation est dplorable. Le paysan, dont le prtre devrait tre le conseillernaturel, n'a pour lui que du mpris ; les popes sont continuellement enbutte leurs moqueries et il ne se dit presque pas de contes la veilleo ils ne soient ridiculiss, eux et leurs femmes. Les fables, proverbes etdictons sont autant, d'attaques contre le clerg. On les appelle voleurs de

    gteaux et cette injure est leur sobriquet habituel. Cela vient de ce que lebas clerg est trop nglig ; il reoit une demi instruction qui n'lve passon me; la distance laquelle il est tenu par la socit l'empche de

    prendre sa charge au-srieux ; il montre trs frquemment un manque defoi absolu et fait du service divin un mtier plus ou moins lucratif.

    Le nombre des Ras Kolniks est inconnu ; les statisticiens sont loin d'tred'accord et varient entre six et dix-huit millions : eux-mmes ne sont pasfixs cet gard.

    Il n'y a pas de pays o les sectes se forment plus facilement qu'en Rus-sie. Un pope disait un jour : Je n'ai jamais vu un de nos paysans appren-dre lire et commencer penser par lui-mme, sans qu'il devienne im-mdiatement hrtique.

    Il serait impossible de citer tous les noms des sectes : vous avez toutd'abord les quatre grandes branches du Raskol : les Molokani ou buveursde lait ; les Khlisty ou flagellants ; les Skopts ou mutils, et de cesquatre branches sortent une multitude de rameaux, comme les sans pr-tres, les avec-prtres, les errants, les ctiers. les monnayeurs, les no-maris,les fugitifs, les piqueurs, les nouveaux aptres, etc., et une nouvelle sectequi date de quelques annes et fait en ce moment des progrs considra-bles, les Schloundistes.

  • 148 LA TRADITION

    Une grande partie de ces hrtiques ne fument pas, ne boivent pasd'eau-de-vie; d'autres ne mettent pas de sucre dans le th; ceux-ci nemangent jamais de pommes de terre ; ceux-l n'admettent pas le mariage;les sectes les plus nombreuses sont composes de paysans d'une conduiteexemplaire et des moeurs les plus douces. Ces moeurs tonnaient mmefort autrefois les popes, et on cite ce propos une amusante rponsed'un prtre Samarine, qui lui demandait des nouvelles de ses paysans.

    De pis en pis, tous Ras Kolniks !- Quoi ! quel signe les reconnaissez-vous ?Ne vont-ils plus l'glise ? Si, ils y vont rgulirement. Eh bien ! Les jours de fte, ils se runissent chez l'un d'eux, ils lisent, et on

    ne les voit presque jamais au cabaret ni dans la rue ! Tant mieux ! Par Dieu ! Tant mieux ! Non, jugez-en vous-mme : ils ont lch le cabaret, ils ne disent plus de

    gros mots, ils se runissent pour lire : ce sont des Ras Kolniks, n'en pasdouter.

    L'auteur o je prends ce dialogue ajoute avec assez de raison : Triste,mais caractristique.

    D'autre part, les sectes qui s'loignent le plus des schismes primitifsconsistent au contraire en crmonies mystiques souvent d'une rvoltanteobscnit.

    Quand vous entrez chez un dissident, l'aspect de la chambre vous mon-tre tout de suite qui vous avez affaire. Des images tapissent la murailleau-dessus et de chaque ct de la porte d'entre; toutes ces images, mau-vaises peintures entoures d'ornements en cuivre dor, sont celles desdfunts de la famille; le matre de la maison a bien les siennes accro-ches dans le coin oppos ainsi que celles de sa femme et de ses enfants,avec force lampes de diverses couleurs pendues au-dessus et allumesavec soin tous les soirs; devant ces images il s'incline et prie ; mais touttranger qui entre dans cette chambre, doit d'abord se tourner sur le seuilet ne s'incliner que devant celles des dfunts.

    Leurs chapelles sont disperses dans des maisons particulires (il y ena une Ptersbourg au fond de la cour d'un htel princier. ; elles sontd'ailleurs d'une grande simplicit ; c'est la plupart du temps une chambretapisse de vieilles peintures devant lesquelles brlent des lampes ; surla muraille sont inscrits les noms des marchands qui entretiennent ceslampes; il y a de plus une petite pice pour les prires des morts quidoivent durer quarante jours. Les mariages ne se clbrent pas toujoursdans ces chapelles ; les Pildvls se marient par exemple chez un vieil-lard de leur secte.

    Ordinairement une pice part est rserve au public qui ne peut as-sister au service qu'en regardant par les carreaux mnags dans lacloisonqui le spare de la chapelle.Dans ces derniers temps cependant, les vieux

  • LA TRADITION 149

    croyants ont consenti admettre le public dans la chapelle mme, lacondition de regarder seulement sans faire aucun simulacre de prire.

    Le service religieux est toujours trs long, il dure trois ou quatre heu-res et souvent plus. C'est l'ancien service byzantin. Chez les Phodocief,qui ont un couvent de femmes joint leur glise, les rgles sont les m-mes que dans tout autre monastre et d'une grande austrit.

    A Ptersbourg on compte environ deux ou trois mille vieux croyants,pas plus ; ils reoivent des noms de Moscou, le centre du Raskol.

    La secte des Chalopoutes ou fous est particulirement attrayante pourle sexe faible raison de la grande libert que ces Raskolniks accordentaux femmes. Les prophtesses, disent-ils, doivent vivre en bonne in-telligence et n'employer les unes vis--vis des autres que des expressionscaressantes, des diminutifs, etc; ils encouragent la strilit . On aremarqu nanmoins que beaucoup de femmes, et non des plus laides,embrassaient cette secte. La rgle est cependant assez svre notamment propos du jeune qu'ils poussent souvent une extrme rigueur. Voici

    Ce chemin conduit la vie ternelle,

    !

    Evite le mal Ta femme aime Le pch dtruis

    le bien rcolte hais l'erreur respecte ton pre

    L'aumne fais recherche le mariage le diable maudis

    Ne fais pas l'adultre l'erreur fuis . coute ta mre

    Ne sois pas orgueilleux le diable maudis au cabaret ne va pas

    Obissant sois coute les vieux va prier

    L'ennemi liais n'apprends pas l'hrsie Satan n'obis pas

    Cherche ton frre le bien apprends obis Dieu

    .

    Ce chemin conduit la vie ternelle.

  • 150 LA TRADITION

    un de leurs versets cet gard: Qui jeune un jour est agrable Dieu; Qui jeune trois jours, met son Ame l'abri de la chair ; Unjeune de quatre jours prouve une me solidement trempe ; Un jeunede cinq jours annihile la chair ; L'esprit saint viendra au secours decelui qui jenera six jours; celui qui jenera sept jours aura l'me tout--fait pure . : Ces jenes sont absolus ; on ne mange pas de pain, on nuboit mme pas d'eau. Une prophtesse, qui on avait impos un jene dedouze jours, est morte avant la fin de sa pnitence.

    Voici encore une sorte de calendrier assez curieux en usage dans plu-sieurs sectes du Raskol. Le sens est chang, suivant qu'on le lit de hauten bas ou de droite gauche. Il faut se rappeler seulement que le russetant une langue flexions, le complment se met indiffremment avantou aprs le verbe. (Voir ce calendrier la page prcdente.)

    Parmi les secles nouvellement sorties du cerveau inventif de quelquesruss paysans ou de marchands avides, celle des Colombes n'est pas lamoins curieuse. Ce serait, dit-on, un marchand de Moscou ou des envi-rons qui aurait prch le nouvel vangile; il s'adjoignit une compagne,une Colombe, qui fut charge de prophtiser et de jouer le rle de lapro-phtesse. Le nouvel aptre, comparant notre vie un vaisseau, batott

    par les lments, donna en effet le nom de vaisseau (Korabl) son asso-ciation; chaque membre du Korabl devait avoir deux pouses, une lgi-time et une Colombe.

    La compagne du marchand, dans les assembles, danse sur un rythmelent d'abord, puis de plus en plus prcipit, jusqu' ce qu'elle tombe terre ; c'est alors qu'elle prophtise dans un langage inintelligible, mais

    qui frappe d'autant plus l'imagination des nafs adeptes. Les hommesassis sur des bancs, chantent des cantiques, Les femmes dpouillant leursvtements, revtent une chemise blanche, et se mettent danser en frap-pant des mains. Il y a trois espces de danses : en rond, la David, et encroix. Tous les mouvements sont soigneusement rgls et dirigs par l'a-ptre.

    Aprs une foule de crmonies plus ou moins bizarres, la prophtesseprend une colombe par la main et l'unit l'un des colombins ; aprs quoi,on soupe et on boit largement.

    Tout cela ne vous semble-l-il pas extraordinaire en ce sens que nous yretrouvons de curieux points de ressemblance avec des faits videmmeniinconnus ces paysans illettrs ? Cela ne nous rappelle-t-il pas le dliredes pythonisses, les derviches tourneurs, les phnomnes extatiques du

    Dauphin, les colombes de Caglioslro, les tuniques blanches du fameuxsouper des trente-six adeptes de Lorenza? Mme en fait de religion et de

    mysticisme, l'esprit humain semble tourner dans un cercle et n'inventerien de nouveau.

    Les Schlondislcs, la dernire secte parue, semble prendre une extensioninusite ; ils n'taient que 560 en 1875; ils taient 2.000 en 1885, c'est un

  • LA TRADITION 151

    progrs extraordinaire. On a prtendu que le dveloppement rapide duSchtoundisme avait t favoris singulirement par la vente qui se fait, enRussie (dans un tout autre but naturellement) d'un nombre considrabled'exemplaires petit format du Nouveau testament en langue russe. Lessectaires ont rpandu leur doctrine partout, un de ces vangiles lamain, dans les ateliers, dans les champs, la forge, au moulin, dansles runions familiales, aux veilles, interprtant les textes leur faon.

    Ainsi, chose cnrieuse, ces petits livres qui taient vendus dans un butde propagande au profit de la foi chrtienne dans les campagnes sontdevenus une arme efficace dans les mains des missionnaires allemandspour le protestantisme d'un ct, et de l'autre, dans celles des sectaires,pour la diffusion du Schtoundisme !

    Une autre secte de Raskol, les Pachkovts, leur vint mme en aide, etd'une faon inattendue. On sait qu'il y avait Ptersbourg une socitfonde pour la diffusion des critures et des livres religieux pour l'ensei-gnement populaire. Celle socit tait patronne par la famille imp-riale et il n'tait bruit partout que du bien qu'elle faisait ; les journauxne tarissaient pas de louanges. Or. que firent les Pachkovts? Leurs agentsen qualit de colporteurs vinrent s'lablir en plein centre du Schtoun-disme, dans le gouvernement de Kiev, et non seulement firent, de largesdistributions gratuites de ces vangiles, mais encore prirent sur eux deprcher la nouvelle religion et se firent aptres.

    Nous l'avons dit le paysan russe est raisonneur et se plat l'tude deslivres saints, les seuls qu'il ait entre les mains ; il cherche se rendrecompte, il communique ses ides ses voisins et voil un schisme entrain de se former. Nous en voyons une nouvelle preuve dans l'origineprtendue du Schtoundisme. Voici ce que disait il y a quelques annesun des plus importants propagandistes de celle secle, Michel Ralouchni:

    Vous me demandez d'o me vint l'ide d'une nouvelle prdication?Tout--fait par hasard. Un jour pendant une de nos runions, on vint parler de la manire de vivre religieusement cl le plus selon Dieu : leprtre qui tait avec nous ne trouva le moyen de rpondre aucune denos questions. C'est alors qu'il me vint l'esprit de chercher seul une ex-plication aux thories vangliques et de communiquer aux autres le r-sultat de mesmditations. Le nombre de mes auditeurs s'accrut de jouren jour et je continuai dvelopper ma faon la. parole divine.

    Il est vident, d'aprs ce tmoignage que le Schtoundisme a eu la mmeorigine que la plupart des sectes du Raskol et n'a rien de commun avecla propagande luthrienne.

    Le service religieux des Schtoundisles consiste surtout en explications,Voici quelques points de leur doctrine: Ce n'est que dans la socitdes Schtoundisles que se trouve Dieu, parce que les Schfoundistes seulsne reconnaissent rien des oeuvres des hommes, et ne leur adressent au-cun culte, ainsi que le pratiquent les autres peuples ; Ds que les Sch-

  • 152 LA TRADITION

    toundistes ont reconnu la vrit, Dieu a lu domicile dans leur coeur etdans leurs entrailles, et comme Dieu lui-mme est dans leur coeur et dansleurs entrailles, ils sont devenus eux-mmes Dieu, et Dieu ne saurait trenulle autre part; Ils sont seuls ressussits avant le Christ, alors mmeque le Christ tait tendu sur la croix; L seulement on sera sauv,aucun des autres ne le sera ; Le Christ qui a t crucifi est encoresous terre, et il n'est pas encore ressussit, et si les Schtoundistes sontressuscites, c'est aussi le Christ qui habite dans leur coeur et dans leursentrailles que personne n'a encore vu ni ne connat.

    Quelques publicistes rapportent l'closion du Schloundisine l'exten-sion des doctrines rationalistes, et la considrent comme une. rformeinvitable des vieilles croyances des Molokanes et des Douhobords tom-bes en dsutude.

    Quoiqu'il en soit, le gouvernement russe a intrt se mettre bienavec les diverses branches du Raskol ; un rcent ukase en effet leur aaccord la libert des cultes et leurs mariages sont rgulirement ins-crits sur les registres de l'tat civil, ce qui ne leur avait jamais t ac-cord. Cette sorte de fusion l'amiable est d'autant plus facile que leurreligion ne diffre pas sensiblement des dogmes de l'orthodoxie russeet que, comme je l'ai dit, l'opinion publique est en dfinitive pour eux.

    ARMAND SINVAL.

    SONNETSMYTHOLOGIQUES

    I

    AUX PIEDS D'OMPHALE

    Quand Hercule eut longtemps bris toutes les chanes,Veng tous les affronts, redress tous les torts,Ayant bu le sang rouge et noir, ce vin des forts,Il connut le nant des volupts humaines.

    Alors, abandonnant les batailles lointaines,Indolent sans faiblesse et lche sans remords,Il vint aux pieds d'Omphale oublier ses dieux morts,Et dans l'amour jaloux se consoler des haines.

    Tel je veux dsormais, ayant beaucoup lutt,Ayant connu du sang l'amre volupt,Et suivi des combats la marche triomphale,

  • LA TRADITION 153

    Oui, je veux, dlaissant le farouche devoir,Ne plus rien entreprendre et ne plus rien savoir,Mais ternellement filer aux pieds d'Omphale !

    II

    TANTALE

    Eternellement seul, ternellement las,Tantale, dont le ciel a dfendu qu'il meure,Tend ses lvres en feu vers le flot qu'il effleure,Mais le flot dcevant glisse et s'enfuit plus bas.

    A lors Tantale crie, il se rvolte, il pleure ;Enchan sans espoir, puis de combats.Il appelle la Mort, mais la Mort ne vient pas,Et l'air brle, et l'eau fuit, et l'acre soif demeure.

    Tel, d'un suprme espoir je me croyais sauv,Mais on subit son rve aprs avoir rv, Et voil que mon coeur, pris d'une amour fatale,

    Mon coeur, ne pouvant boire aux lvres que j'aimais,Trane ternellement cette soif de Tantale,Qui le brle toujours sans le tuer jamais !

    III

    PROMTHEIvre de la douleur dont il est tortur,Levant sous l'infini sa tte ensanglante,Clou sur le rocher qui brle, PromtheLivre au vautour muet son coeur dsespr.

    La Nature en frisson le voit d'un oeil navr,La solitude a peur, et l'aurore attristeDepuis des milliers d'ans s'arrte pouvantes,Devant ce grand maudit qui n'a jamais pleure.

    0 martyr douloureux et sombre, je t'envie !Sois heureux, toi qui meurs sans puiser ta vie,Et dont le coeur en sang renat pour mieux souffrir !

  • 154 LA TRADITION

    Pour nous, martyrs moins grands, qui maudissons l'aurore,Notre coeur saigne et crie, et nous avons encoreL'effroyable douleur de l'couter mourir.

    CHARLES POSTER.

    LA CHAIRE DU DIABLELGENDE DU BOCAGE NORMAND

    Bien avant la naissance du Christ, dans la partie de notre paysqui forma le Bocage-Normand, Lucifer tablit sur une colline peuleve Rochefort, village loign de trois kilomtres environ dela ville de Tinchebray, un poste avanc pour y donner ses instruc-tions aux paens et leurs ministres. Au sommet de cette collinese trouvait une grande pierre mgalithique que Lucifer prit poursige; de l le nom de Chaire du Diable. Les diables infrieurs et lesprtres paens se contentaient des roches plus modestes qui envi-ronnent encore le monument.

    Cela durait depuis des sicles.Or, l'poque o les paens taient les plus nombreux s'assem-

    bler dans ce lieu, un saint ermite s'installa trois kilomtres deRochefort, au village de Jrusalem, dans une grotte o il se livra des mortifications de toutes sortes.

    Le diable en fut trs alarm. D'o venait donc cet intrus quin'assistait point aux crmonies qu'il prsidait, et suivait les loisnouvelles prches au-del des mers par le fils de Joseph le Char-pentier?... Il envoya plusieurs diables qu'il chargea de se livrer une enqute des plus srieuses sur le pass de cet ermite et sapersonnalit; mais ses lieutenants chourent dans leur mission.

    Lucifer, furieux, rsolut d'agir lui-mme et de convertir le reclus ses maximes.

    Dpouillant donc un matin sa longue queue et ses cornes, il sedonna un aspect vnrable, et se rendit prs de l'inconnu aveclequel il engagea la conversation.

    Il ne tarda pas reconnatre qu'il avait affaire forte partie. Jlsongea tout coup au fils de Dieu fait homme, descendu sur laterre pour rgnrer les humains et leur enseigner la voie du ciel,et il pensa qu'il se trouvait peut tre en sa prsence. Aussi, vou-lant savoir si ses prsomptions taient fondes, il rsolut de tenterce saint aachorte et d'apprendre qui il tait.

    Il le saisit donc par la ceinture, le transporta aussi rapidement

  • LA TRADITION 155

    que la pense au sommet de la Chaire du Diable, et lui dit, en luilui montrant un horizon trs peu tendu : Tout ce que tu voisest mon domaine : je te le donne, si tu veux te prosterner devantmoi et m'adorer !

    Mais Jsus car c'tait lui-mme, tendit sa main puissantesur Satan et criant : Arrire ! il le projeta d'une telle force dansles airs que celui-ci alla tomber, aussi rapide qu'une flche, unevingtaine de kilomtres de l, sur un des rochers de Mortain o ilenfona profondment ses pieds. L'empreinte existe encore.

    Le vieillard qui racontait cette tradition ajoutait d'un air nar-quois : Ce n'est pas tonnant que Jsus-Christ ne se soit pas laisstenter, car du haut de la Chaire du Diable il ne pouvait apercevoirque des collines dnudes et des vallons couverts de mousse et debruyres, et vraiment on ne se damne pas pour si peu de chose !

    VICTOR BRUNET.

    LE DMON MAHIDISDans le nouveau volume des oeuvres indites de Victor Hugo, Choses vues (Hetzel

    et Quantin), nous trouvons une bien curieuse lgende, que les traditionnistes noussauront gr de leur faire connatre :

    Le dmon Mahidis tait un diable persan que saint Louis avaitrapport de la croisade. Il avait cinq ttes, et chacune de ces cinqttes avait compos un de ces chants qu'on nomme rangs dansl'Inde, et qui sont la plus ancienne musique connue. Ces rangs sontencore clbres et redouts dans tout l'Hindoustan, cause de leurpouvoir magique. Il n'est pas un jongleur assez hardi pour les chan-ter. L'un de ces rangs, chant en plein midi, fait venir la nuit tout coup, et fait sortir de terre un immense cercle d'ombre qui s'tend iaussi loin que la voix du chanteur peut porter. Un autre rang s'ap-pelle le rang Ihupuck. Quiconque le chante prit par le feu. Unetradition conte que l'empereur Akbar eut un jour la fantaisie d'entendre chanter ce rang. Il fit venir un fameux musicien, appelNak-Gopaul,et lui dit:Chante moi le rang Ihupuck ! Voil le pau-vre tnor qui tremble de la tte aux pieds et se jette aux genoux del'empereur. L'empereur avait sa fantaisie et fut inflexible. Tout ceque put obtenir le tnor, ce fut la permission d'aller revoir une der-nire fois sa famille. 'Il part, retourne dans la ville, fait son testa-ment, embrasse son vieux pre et sa vieille mre, dit adieu toutce qu'il aimait dans ce monde, et revient prs de l'empereur. Sixmois s'taient couls. Les rois d'Orient ont des caprices mlancoli-

  • 156 LA TRADITION

    ques et tenaces. Ah ! te voil, musicien, dit Ihah-Akbar d'un airdoux et triste ; sois le bienvenu. Tu vas me chanter le rang Ihupuck.Nouveaux tremblements et nouvelles supplications de Nak-Gopaul.L'empereur tint bon. C'tait l'hiver. La Jumne tait gele, on y pa-tinait. Nak-Gopaul fait casser la glace et se met dans l'eau jusqu'aucou. Il commence chanter. Au deuxime vers, l'eau tait chaude ; la deuxime strophe, la glace tait fondue; la troisime strophe,la rivire se mit bouillir. Nak-Gopaul cuisait, il tait couvertd'ampoules. Au lieu de chanter, il se mit crier: Grce, sire ! Continue, dit Akbar, qui n'aimait pas mdiocrement la musique.Le pauvre diable se remit chanter; sa face tait cramoisie, lesyeux lui sortaient de la tte : il chantait toujours; l'empereur cou-tait avec volupt: enfin quelques tincelles ptillrent dans les che-veux hrisss du tnor. Grce! cria-til une dernire fois.

    Chante, dit l'empereur. Il commena la dernire strophe en hurlant.Tout coup les flammes jaillirent de sa bouche, puis de tout soncorps, et le feu le dvora au milieu de l'eau. Voil un des effetshabituels de la musique de ce dmon Mahidis. Il avait une femmeappele Parbutta, qui est l'auteur de ce que les lndous appellent lesixime rang. Trente rangines, musique d'un ordre femelle et inf-rieur, ont t dictes par Bomha. Ce sont ces trois diables ou dieux,qui ont invent la gamme compose de vingt et une notes qui formela base de la musique de l'Inde.

    VICTOR HOGO.

    VOCEROHier, prs du foye rassise,Je filais en invoquant DieuLorsque soudain trois coups de feuRetentissent.Mon coeur sebrise,a Viens, disait-on, viens secourirTon pauvre frre.... Il va mourir.

    Je descends dans la chambre basseO mon frre s'tait tran. Adieu! me dit l'infortun; .0 ma soeur, venge-moi, de grce,Au lieu de gmir sur mon sort. Puis m'embrassantmon frre est mort.

    Seigneur Jsus ! si bon, si brave !Quand sa vie peine avait lui,Quand son ardeur autour de luiGomme un volcan jetait la lave.Il tombe, hlas !... A grand effort I.J'ensevelis mon frre mort.

    Sonfront quedemes pleurs j'arroseAu sommeil suprme est livr.Ah ! sur toi je ne rpandraiNi parfums ni feuilles de rose.Il te faut un plus noble sort,Il te faut trois morts pour ta mort.

    (1) En Corse, on appelle Voceri des chants lgiaques improviss par lesfemmes auprs d'un cercueil.

  • LA TRADITION 157Dans le pril trouvant des charmesPour accomplir la vendettaJ'ai pris poignard et tarzetta.Coule, flot de sang...Plus de larmes,J'irai, l'oeil fixe, le coeur fort,En m'criant: Mon frre est mort!

    Ferme-toi, maison de mes pres,Je ne franchirai plus ton seuil;Dans les maquis, abris du deuilO sifflent les noires vipres,O sous le vent l'arbre se tord,J'irai, crancire de mort.

    L'aigle dans son aire sauvageEst devenu mon compagnon;Il sait ma douleur et mon nom ;A la bataille, il m'encourage,Et me dit : Que ton bras soit fort !A toi la ranon de la mort!

    Ah! d'une race qui s'honoreDe si grands noms, d'exploits si beaux,Seul dbris parmi les tombeauxPauvre fille, j'existe encore..Eh bien, quand l'heure sonneraLa pauvre fille suffira.

    ALFRED DES ESSAETS.

    LA SAINT-MARTIN

    CHANSON DE LA BRESSE

    IVetia la St-Martin qu'approuce,Neutron vaule, vu s'in n'all.Si nou predan, neutron vauleNous predan tou,Nou farain mauve main-nazouMa pi vou.

    Refrain.Tra la,Ia,la,la,la,la,la,Ia,la,la,la.Trala, la,la,la,la,la,la,la,la,la,la.

    IIKy'a n'a fr MontmarlouNeutron vaule, vu m'y men,A pi vou, vou vous garder

    Vou t vioeuA pi ma, pi lou vaul

    Nou-z-allain mireu.

    IIISi vou savo ce que ze. mzouQue z'entrou dans ma mzon,Neutron vaul, neutra mtrecha

    De bon pan blan.A pi m de pan de seillaPeuvrou Zan.

    IVOh ! sete-vou, ce que ze bavotiQue ze si dans ma mzonNeutron vaule, neutra mtrecha

    De bon vin blan,Api ma de la pcqueta

    Peuvron Zan.

    VDeven va su qu ze cuouQue ze si dan ma mzonNeutron vaule, neutra mtrecha

    Dans on biau lia blanA pi m dessu la paille

    Peuvrou Zan.

    VIStevou, ce que z'inbrachou,Que z'introu dan ma mzonZ'inbrachou les lieu de la porta

    In attaindin.Pi lou vaule carche ma fena

    In s'abouijin.

  • 158 LA TRADITIONI

    Voil la St-Martin qui approche,Notre valet, veut s'en aller,Si nous perdons notre valet,

    Nous perdrons toutEt nous ferons mauvais mnage

    Moi pi vous.

    IIIl y a une foire Montmerle,Notre valet veut m'y mener.Vous, vous vous garderez,

    > Vous tes vieux.Moi et notre valet

    Nous marquons mieux.

    IIISi vous saviez ce que je mange,Quand j'entre dans ma maison,Notre valet, notre matresse,

    Du bon pain blanc,Et moi du pain de seigle,

    Pauvre Jean.

    IVOh ! Savez-vous ce que je bois,Quandje suis dans ma maison,Notre valet, notre matresse

    Du bon vin blanc,Et moi de la piquette,

    Pauvre Jean.

    VDevinez sur quoi je couche,Quand je suis dans ma maison,Notre valet, notre matresse.

    Dans un beau lit blanc,Et moi sur la paille,

    Pauvre Jean.

    VISavez-vous ce que j'embrasse,Quand j'entre dans ma maison.J'embrasse les clous de la porte,

    En attendant,Le valet carresse ma femme,

    En s'amusant.

    Chanson recueilie Ceyzenal (Ain), par CHARLES GUILLON.

    A TRAVERS LES LIVRES ET LES REVUESi

    LE GRILLON QUI CHANTE.

    Un de nos bons amis, dit l'Epargne du Travail, de Lille, nouscrit ce qui suit :

    n Jeudi pass, jour de l'Ascension, les Florentins, fidles une coutumelocale, se sont rendus le matin, entre six et neuf heures, au bois des Cascine(leur bois de Boulogne, mais qui ne vaut pas celui de Paris, bien qu'il soittrs beau), pour aller chercher le Grillon. Il s'agit de ces petits grillons noirsqui chantent la nuit, dans les prairies et dans les foyers, des cris-cris, enfin. Onles prend, on les met dans une petite cage qui cote de 30 50 centimes ; etles fiancs changent leurs grillons. C'est le symbole de la fidlit. Ayant,comme vous le savez, du got pour les traditions locales, je n'ai eu garde demanquer une pareille occasion. Tout le monde florentin y tait, depuis lesplus grands jusqu'aux plus petits, riches et pauvres. Il parat que lorsqueFlorence tait capitale, les dames de la cour y allaient aussi : seulement lacage, dans cas, cotait plus de cinquante centimes.

    Vous pensez bien, n'est-ce pas, que tous ces gens no sedonnent pas la pei-ne de chercher eux-mmes leur grillon ; on les vend avec les cages, en criantavec l'accent florentin : Grillons qui chantent t Grilli he hanlano ! (pour

    he cantano) On sait que des superstitions de nature oppose ont cours au sujet des cris

    cris. Les uns considrent leur chant comme tant do mauvaise augure, tandis

  • LA TRADITION 159

    que les autres croient que ce bruit prsage un heureux vnement. A Lille notamment, on dit que ces insectes portent bonheur aux gens de la maison o ils setrouvent et, par suite, on n'aime pas de les dtruire.

    On vient de voir qu' Florence ils sont chris des amoureux. C. DE VARLOY.

    BIBLIOGRAPHIEMiscelIanea Folk-Lorica. Tome X de la Biblioteca popular de la

    Associacio d'Excursions Catalana. \ vol. in-8 de V1I-184 pages, avec mu-sique. Barcelone, 1887. libreria de Alvar Verdaguer, rambla del Mitji, 5 (8rals).

    Barcelone est un des principaux centres do l'Espagne. Le mouvement litt-raire et scientifique y est soigneusement entretenu par la socit de l'Associa-cio d'Excursions Calalana, qui publie tous les mois un bulletin fort intressant,et, de temps autre, des monographies consacres aux traditions populaires dela Calalogne. Cette dernire collection comprend dj quatre volumes : LoLlamp y'ls Temporal, par D. Cels Gomis ; Cuenlos populars catalans, par D.Francisco de S. Maspons y Labros; Elhologia de Blans, par D. Joseph Cortilsy Vita ; Miscellanea Folk-lorica, par divers crivains.

    Ces volumes renferment de curieux renseignements sur les moeurs, coutumes,traditions et lgendes populaires de la Catalogne.Les traditionnistes liront avecintrt les chapitres consacrs au Dmon dans les contes populaires, aux Coutu-mes des Tziganes, aux Chansons catalanes, etc. dans les Missellanea Folk-Loricaqui viennent d'tre publis par l'Association d'Excursion.

    Alcide Bonneau. Curiosa, Essais critiques de littrature ancienne igno-re ou mal connue. Paris, Isidore Liseux, diteur, 19, passage Choiseul.

    M. Alcide Bonneau, qui s'est consacr l'tude des vieux conteurs et qui apubli chez l'diteur Liseux tant do curieux ouvrages peu prs oublis ouinconnus de la gnration actuelle, vient de runir, sous ce titre Curiosa, lestudes et les notices qu'ils a crites en tte de ses rimpressions ou de ses tra-ductions. Quelques-unes de ces tudes critiques n'ont aucun intrt pour les tra-ditionnistes. Mais la partie consacre aux Novelliristes sera lue avec profit. .

    Nous signalerons tout spcialement les recherches sur les Facties du Pogge.leDcamron de Boccace, les Nouvelles de Saccheti, le Nouvelles de Bandello, les Ra-gionamenli de P.. Aretino, les Nouvelles de Batacchi, de l'abb Casti, de Firen-zu, le Jardin parfum du ckeikh Nefzaoui, etc.

    Raoul Gineste. Le Rameau d'Or. (Posies). Un joli volume in-12.Alphonse Lemerre, diteur, passage Choiseul. (3 francs).

    Il y a quelque temps, nous avons eu lo plaisir de donner nos lecteurs laprimeur d'une charmante posie : Tant que l't durera, que nous retrouvonsdans un bien joli volume que notre collaborateur Raoul Gineste vient de publierchez Lemerre. Le Rameau d'or, voil un titre charmant et bien trouv, emprun-t sans doute la tradition populaire du Rameau merveilleux qui ne fleurit

    qu' l'heure juste o dans la nuit de Nol sonnent aux horloges villageoises lesdouze coups annonant la naissance de l'enfant de Bethlem.

    M. Raoul Gineste est avec Emile Blmont, Gabriel Vicaire, Frdric Mistral,Thcuriel, Achillo Millien, Jean Aycard, etc. l'un de nos potes naturalistes les

  • 160 LA TRADITION

    plus estims Ses vers souples, harmonieux, colors, pussent aux sujets, au*sentiments et aux motions les plus divers, sans perdre de leur franche origi-nalit. Nos lecteurs, nous en sommes convaincu, effeuilleront avec le mmeplaisir que nous y avons trouv, les fleurs d'Or que M. Raoul Gineste a su ras-sembler en quelque bonne nuit de la Nativit, autour du Rameau merveilleux.

    HENRY CARNOY.

    NOTES ET ENQUETESGuillaume Fichet. Notre confrre M. Emile Maison nous communique

    la note suivante que l'abondance des matires nous a forcs remettre au nu-mro d'aot de la Tradition.

    Tout un ct de la salle XXI du Salon est tenu par la fresque que M. Fran-ois Flameng a peinte pour la dcoration de l'escalierde la Sorbonne, et qu'ilintitule modestement : Histoire des Lettres. Cette fresque a trois parties : 1.SaintLouis remet Robert de Sorbon la charte de fondation de la Sorbonne; 2.Ablard etson cole sur la montagne Sainte-Genevive; 3. Le prieur Jean Heyn-lin installe dans les caves de la Sorbonne la premire imprimerie qui ait fonc-tionn en France.

    Avant de commencer sa peinture, ce no-primitif et pu, m'est avis, con-sulter le dernier ouvrage publi sur la matire ; savoir : Origines de l'impri-merie Paris, d'aprs des documents indits, par M. Jules Philippe, dput dela Haute-Savoie (Charavay, 188o). Jean Hoynlin, en effet, n'tait pas seuldans les caves de la Sorbonne ; il n'tait pas seul sur lo mtier. A GuillaumeFichet revient la mme part de gloire qu' celui-l ; pourquoi donc alors effa-cer ou taire ici son nom?...

    Mais on ne l'a pas effac ; regardez bien plutt! va sans doute me rpon-dre M. Flameng. Il faut croire que j'ai mauvaise vue car je ne distingue pasGuillaume Fichet. parmi ces braves gens qui font oeuvre diabolique en compa-gnie du prieur Heynlin; peut-tre y est-il dans l'intention du peintre capricant,mais c'est tout, et ce n'est pas assez, puisque les deux noms sont insparablesl'un de l'autre.

    N'est-il pas singulier que les gens de Sorbonne, qui sont qualifis doctes etrudits,'n'aient pas song complter, ou du moins rectifier les connaissan-ces historiques et littraires de ce fabricant de panneaux ? M. Paul Maulz, deson cot, quoique d'habitude si consciencieux, cite ngligemment GuillaumeFichet, d'aprs M. Henri Bouchot. Par fortune, M.Jules Philippe met la derni-re main on ce moment une biographie du glorieux Savoyard,qui complterason premier livre.

    Guillaume Fichet est ntre, puisque la Savoie est franaise ; c'est donc undevoir filial de proclamer son nom. et cela sans faire tort celui de son Com-plice.

    Le Grant : HENRY CARNOY,

    Laval. Imp. et str. R. JAMIN, 41, rue de la Paix.

  • Laval. Imprimerie et strotypie E. JAMIN.