te fait découvrir un extrait de c'était mieux après écrit

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Sur le chemin de l’école – un des seuls avantages, c’était qu’elle se trouvait à cinq cents mètres à pied de notre nouvelle maison –, je me suis demandé qui pouvaient être les parents de mes camarades de classe. Des parents capables de faire bouillir du chou en pensant que c’était un repas d’enfant ou d’oublier de décongeler et de faire cuire des croquettes de poulet. J’ai observé les familles qui se dirigeaient vers l’EEIP. Il y avait des papas, des mamans, des papas-et-mamans tenant ou non la main de leurs enfants ; ils n’avaient l’air ni plus ni moins dérangés que les parents d’élèves habituels. Certains courroucés, certains souriants, d’autres le portable vissé à l’oreille, des papas avec barbe, des papas sans barbe, des mamans à talons, des mamans à plat, une avec les cheveux rouges (il y en a toujours au moins une 1 te fait découvrir un extrait de C'était mieux après, écrit par Agnès Desarthe et illustré par Grégory Elbaz. Du haut de ses dix ans, Vladimir a déjà connu beaucoup d’écoles. C’est à cause de ses parents qui ne savent pas rester au même endroit. Cette fois, il se retrouve avec de drôles d’élèves : surdoués, précoces, totalement inclassables ! Comment les accepter ? Et comment se faire accepter ? Vladimir imagine alors un truc génial qui va en étonner plus d’un… Gallimard Jeunesse

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Page 1: te fait découvrir un extrait de C'était mieux après écrit

Sur le chemin de l’école – un des seuls avantages, c’était qu’elle se trouvait à cinq

cents mètres à pied de notre nouvelle maison –, je me suis demandé qui pouvaient

être les parents de mes camarades de classe. Des parents capables de faire bouillir

du chou en pensant que c’était un repas d’enfant ou d’oublier de décongeler

et de faire cuire des croquettes de poulet. J’ai observé les familles qui se dirigeaient

vers l’EEIP. Il y avait des papas, des mamans, des papas-et-mamans tenant ou non

la main de leurs enfants ; ils n’avaient l’air ni plus ni moins dérangés que les parents

d’élèves habituels. Certains courroucés, certains souriants, d’autres le portable

vissé à l’oreille, des papas avec barbe, des papas sans barbe, des mamans à talons,

des mamans à plat, une avec les cheveux rouges (il y en a toujours au moins une 1

te fait découvrir un extrait de C'était mieux après,

écrit par Agnès Desarthe et illustré par Grégory Elbaz.

Du haut de ses dix ans, Vladimir a déjà connu beaucoup d’écoles. C’est à cause de ses parents qui ne savent pas rester au même endroit. Cette fois, il se retrouve avec de drôles d’élèves : surdoués, précoces, totalement inclassables ! Comment les accepter ? Et comment se faire accepter ? Vladimir imagine alors un truc génial qui va en étonner plus d’un…

Gallimard Jeunesse

Page 2: te fait découvrir un extrait de C'était mieux après écrit

avec les cheveux rouges ; même dans mon école

de campagne où on n’était que douze, il y avait

le spécimen indispensable).

Je suis arrivé en même temps que Lou-Maltais

qui, comme moi, faisait le trajet seul. Je lui ai

dit bonjour, en essayant de capter son regard

derrière ses lunettes à verres miroirs. Il ne m’a

pas répondu. La journée commençait bien.

Mais je n’allais pas me laisser décourager.

J’étais en mission. Je devais me faire accepter et

les accepter. Tirer le meilleur parti de l’EEIP, afin

que mes parents aient enfin envie de demeurer

plus que trois mois quelque part.

En plus, j’aimais bien l’appartement que ma mère avait trouvé dans le même

journal que l’annonce passée par la faïencerie. On était en hauteur, avec un balcon

qui dominait le village, et j’avais une salle de bains rien que pour moi, minuscule

mais privée. Avant ça, nous avions vécu dans des granges, d’anciennes fermes,

des endroits géants pleins de courants d’air et d’araignées tellement grosses qu’on

les entendait marcher sur le plancher. J’aimais bien notre immeuble. C’était

une ancienne villa divisée en appartements. Le nôtre était tout propre, tout neuf,

avec de vrais radiateurs qui chauffaient sans menacer d’exploser ni de répandre

des effluves de fioul.

J’allais appliquer les conseils de mes parents, coûte que coûte. Même si personne

ne me disait bonjour, je ferais des efforts pour aller vers les autres élèves.

En entrant dans la salle turquoise, j’ai été devancé par Loïs qui s’est approchée

de moi, s’est collée à mon épaule et a glissé son nez dans mon cou. Je me suis

écarté vivement, sans le vouloir.

– Excuse, excuse ! a-t-elle fait. Mais là, tu t’es lavé avec un gel douche à la lavande

et je suis hyper allergique à la lavande, donc il fallait que je vérifie.

– C’est pas un gel douche, j’ai répondu, c’est un répulsif contre les poux.

– Ah, génial, un répulsif ! Donc il y a des produits chimiques dedans, tu crois ?

– Peut-être.

Elle s’est approchée à nouveau en ouvrant les narines :

– C’est dingue ! elle a dit.

– Quoi ?2

Page 3: te fait découvrir un extrait de C'était mieux après écrit

– Je ne m’évanouis pas. C’est bio, ton truc que tu te mets sur

la tête ?

– Non, je ne crois pas. Ça vient du supermarché.

– Encore plus dingue.

Reynaldo est passé devant nous, juste à ce moment-là.

– Bonjour Reynaldo, j’ai dit parce que Loïs commençait

à me mettre mal à l’aise avec ses histoires d’allergie

et sa façon de me renifler sans arrêt.

Reynaldo s’est arrêté sur le pas de la porte et m’a regardé, l’air étonné.

– Tu ne te souviens pas de moi ? Je suis Vladimir, le nouveau. Je suis arrivé hier.

Reynaldo a hoché la tête sans me répondre.

– Qu’est-ce qu’il a ? j’ai demandé à Loïs. Pourquoi il ne dit pas bonjour ?

– Je ne sais pas. On ne dit jamais bonjour ici.

– Pourquoi ? C’est facile de dire bonjour. C’est normal.

– Oui, mais nous, on n’est pas normaux.

– Vous êtes quoi ?

– Chacun de nous est spécial et c’est pour ça qu’on est à l’EEIP. Les autres

établissements scolaires ne peuvent pas nous prendre en charge. C’est trop

compliqué pour eux.

– En gros, vous vous êtes tous fait renvoyer des écoles où vous étiez avant ?

– Non, pas tous. Enfin, je n’en sais rien. J’imagine. Parce qu’on ne se parle pas

entre nous. Mais moi, par exemple, je n’étais jamais allée à l’école avant l’EEIP.

C’était mes parents qui s’occupaient de moi. Je suivais des cours par correspondance.

– Pourquoi ?

– À cause de mes allergies. Et aussi à cause des multiplications. J’ai besoin

d’effectuer énormément de multiplications et il paraît que mon cerveau

fonctionne trop vite.

– Au fait, tu es une fille ou un garçon ?

Je ne sais pas ce qui m’a pris de poser cette question. Elle n’avait aucun lien avec

notre conversation.

– À ton avis ? a dit Loïs.

– Aucune idée. Enfin si. Ne le prends pas mal si c’est le contraire surtout, mais

j’ai l’impression que tu es une fille.

Loïs a souri et m’a donné un petit coup de poing sur la joue, comme un boxeur

à la retraite le ferait pour encourager un cogneur débutant.3

Page 4: te fait découvrir un extrait de C'était mieux après écrit

Après ça, j’ai dit bonjour à Catel qui n’a pas sorti son pouce de la bouche pour

me répondre, à Frédéric du Buisson de La Pointe qui a fermé fort les yeux au moment

de me croiser comme s’il cherchait à m’effacer de son champ de vision et qui a failli

se prendre le mur, et à Miguel, notre maître, qui s’est exclamé :

– Bonjour, Vladimir, bonjour, tout le monde. J’espère que vous êtes en forme

aujourd’hui parce qu’on va commencer à préparer l’expo de Noël. On a un thème

par couleur et on va déterminer le thème turquoise, un truc génial qui va étonner

tout le monde. J’écoute vos propositions, je note tout, laissez fuser les idées.

– On pourrait étudier la XVIIe dynastie, a proposé Catel. Ça changerait de la XVIIIe

et de la XIXe ! Qui a encore envie d’entendre parler d’Aménophis et de Ramsès,

franchement ?

– Pourquoi pas des expériences sur les gaz rares ? a proposé Lou-Maltais.

– Ou une grille de mots croisés en trois dimensions ? a suggéré Reynaldo.

– Une compétition de calcul mental, ce serait bien, a ajouté Loïs.

– La construction d’une ruche à échelle humaine pour sensibiliser les gens

à la disparition des abeilles, a murmuré d’une voix très faible Frédéric du Brochet

de La Martre.

– Et toi, Vladimir, qu’est-ce que tu as envie de dire à ce sujet ? a demandé Miguel.

Ce serait chouette si c’était toi qui lançais le thème pour cette année. Vas-y, n’aie

pas peur, ne te laisse pas impressionner par tes camarades. Allez, la première chose

qui te vient à l’esprit.

– C’était mieux avant.

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Découvre la suite Dans

C'était mieux après

Dès maintenant en librairie

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