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Seul sur les flots

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Titre original : Escape to the Sea

En dépit de nos recherches, nous n'avons pu retrouverles ayants-droit de Fred Rebell. Nous tenons à leur disposition

les droits usuels en notre comptabilité.

© Flammarion, Paris, 2018 pour la présente édition87, quai Panhard-et-Levassor

75647 Paris Cedex 13Tous droits réservés

ISBN : 978-2-0813-9861-0

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Fred Rebell

Seul sur les flots

Traductiond'Olivier Le Carrer

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Voyage de Fred Rebell

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AVANT-PROPOS

par Olivier Le Carrer

Traverser le Pacifique – le plus grand océan dumonde – sur une coque de noix non pontée ?Aucun marin digne de ce nom ne s'y risquerait. Etpourtant, c'est bien ce qu'a réussi au début desannées 1930 un émigrant sans le sou ne connais-sant rien à la navigation à voile. Parti en touteillégalité de la côte est australienne à bord d'unpetit dériveur conçu pour naviguer en eaux abri-tées, il atteint un an plus tard les États-Unis. Cetteaventure injustement méconnue mérite une placeà part dans l'histoire maritime. En raison de ladimension de cet exploit, mais aussi de la person-nalité de son auteur.

La vie de Fred Rebell, alias Paul Sproge, sonvrai nom, est à elle seule un roman. Né le 22 avril

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1886 en Lettonie, à Windau (dénomination alle-mande de la future Ventspils), il fuit son paysen 1907 pour échapper à la conscription russe,prend à Hambourg l'identité d'un marin déserteurnommé Fred Kuball, avant de maquiller son pas-seport pour devenir Fred Rebell. Il travaillecomme soutier sur un cargo puis se fait passagerclandestin pour quitter l'Europe. Après quelquesdétours, il rejoint l'Australie où il exerce toutessortes de métiers et finit par trouver une certainestabilité.Las ! Un mariage malheureux gâche ce fragile

bonheur avant que la crise de 1929 ne le ruinetotalement. Bouleversé ensuite par un nouveauchagrin d'amour, il pense mettre fin à ses joursmais décide finalement de refaire sa vie aux États-Unis. Ne pouvant s'y rendre légalement faute depapiers valides et d'argent, il conçoit le projetapparemment insensé de faire cette traversée sansrien demander à personne, seul sur une embarca-tion de fortune. Il achète à cette fin, pour une bou-chée de pain, un vieux couta, voilier en bois sanscabine d'un peu plus de 5 mètres utilisé principa-lement pour régater en baie de Sydney.

La fortune sourit aux audacieux : à l'issue d'unpérilleux voyage ponctué de péripéties à peinecroyables, il arrive donc en janvier 1933 à

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Los Angeles… où il est aussitôt incarcéré pourimmigration illégale, n'ayant bien sûr pas lesvisas adéquats sur le passeport qu'il s'est fabriquélui-même. Son exploit ayant été salué par toutela presse américaine, il est rapidement libéré souscaution, la justice n'ayant aucune envie de semettre l'opinion à dos en maintenant ce héros endétention. Il passera ensuite plusieurs années pai-sibles en Californie, travaillant à l'entretien et à larénovation de bateaux de plaisance, avant de sefaire expulser « de son plein gré » vers la Lettonie,le mal du pays commençant à le tourmenter.

En 1937, désireux de reprendre le large, PaulSproge modifie un petit bateau de pêche avecl'idée de repartir en Australie. Mais l'histoire nerepasse pas les plats : ce qu'il avait si bien impro-visé à bord d'une embarcation minimaliste dans levaste Pacifique ne fonctionne plus avec un bateauplus lourd et somme toute moins bien adapté. Etles eaux européennes ne sont pas toujours facilesà négocier. Après plusieurs échouements, PaulSproge jette l'éponge sans avoir dépassé le golfede Gascogne et finira par se faire embarqueren 1939 comme marin à tout faire sur un yachtde Jersey – le Reine d'Arvor – en partance pourl'Australie, via le canal de Panama. Il s'installeensuite pour de bon à Sydney comme charpentier,

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Avant-propos

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obtenant la nationalité australienne une quinzained'années plus tard. Il y meurt le 10 novembre1968, à l'âge respectable de 82 ans.

C'est le récit original de l'auteur, rédigé enLettonie après son retour des États-Unis, que l'ontrouvera traduit ici. Il raconte sa première émigra-tion vers l'Australie et bien sûr le fameux voyagetranspacifique entre 1931 et 1933. Paul Sprogedésespéra un temps de réussir à le faire publier,avant de convaincre l'éditeur anglais John Murrayen 1939.Faut-il prendre ce texte à la lettre ? Pour l'essen-

tiel, oui. La réalité de son parcours ne fait aucundoute, tout comme les dates et les lieux desescales, ses déboires conjugaux, les conflits avecles différentes administrations, et jusqu'au maté-riel utilisé. Oui, cet homme qui ne doutait de riena bien pris le large en fabriquant lui-même sesinstruments de navigation à l'aide de vieillespièces de ferraille ; sans autres cartes que cellesrecopiées à la main sur un vieil atlas trouvé à labibliothèque municipale…

Peut-être a-t‑il enjolivé certains épisodes, etparfois péché par omission : quand il oublie parexemple de mentionner lors de ses débuts d'agri-culteur près de Perth, en Australie-Occidentale, que

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le choix de cette région ne doit rien au hasard. Sonfrère Richard y est déjà installé comme bûcheron.On peut aussi sourire de ses envolées mys-

tiques et des «miracles » que lui valent ses prièresau milieu de l'océan. Au moins faut-il reconnaîtreque l'homme a de la suite dans les idées : aprèsavoir eu la révélation pendant ces mois de soli-tude en mer, il ne cessera ensuite d'approfondir lesujet, consacrant une partie de son temps à ren-contrer les représentants de toutes les Églises deLos Angeles afin de choisir le mouvement chré-tien qui lui conviendrait le mieux… Il deviendraainsi – et jusqu'à la fin de ses jours – une sorte deprédicateur laïc pour l'Assemblée de Dieu, l'undes courants du pentecôtisme.

Avant-propos

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Première partie

L'exil

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Chapitre 1

C'est pendant l'année 1900 que ma vie a com-plètement changé de direction. Par hasard, à caused'un roman que l'on m'a fait lire au collège. C'estincroyable comment un petit rien peut bouleverserune existence. Un incident banal, une lecture, unmot entendu, et vous voilà parti autour du monde.Si ce texte ne m'était pas tombé entre les mains,

j'aurais sans doute fini ma vie prématurémentdans la boue d'une tranchée, le corps dévoré par lavermine et truffé d'acier. Le plus étonnant, c'estque je suis incapable de me souvenir du titre de celivre qui m'a sauvé. Il racontait l'histoire affreused'une jeune femme perdant toute sa famille au filde plusieurs conflits successifs et devenant unepacifiste convaincue1. Sa description des horreurs

1. Il s'agit de Die Waffen nieder! (traduit en françaissous le titre Bas les armes !) écrit par Bertha von Suttner,

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de la guerre m'impressionna tant que je me disaussitôt : «Non ! Jamais ! Sous aucun prétexte jene participerai à une telle folie ! »Étant né en Lettonie, pays placé alors sous la

botte de l'Empire russe, je n'avais pas la moindrechance d'échapper au service militaire obliga-toire. Pour ne pas renier mes convictions, il neme restait plus que la solution de partir. Ce que jefis sitôt atteint l'âge d'être appelé sous les dra-peaux. Tromper les gardes-frontières pour passeren Allemagne fut un jeu d'enfant, mais je n'étaispas pour autant tiré d'affaire. Je croyais naïve-ment trouver ainsi la liberté, mais l'Empire alle-mand ne ressemblait pas du tout au pays fraternelet ouvert que j'imaginais sottement. Il n'avaitrien à envier à la Russie des tsars en matière detracasseries stupides, bien au contraire. Impos-sible par exemple d'obtenir ici le moindre emploisans montrer un passeport valide.J'allai donc rendre visite au consul de Russie,

en espérant que ma détresse saurait l'émouvoir.Hélas, il me reçut sans aménité, se bornant à direqu'il n'était pas question de donner un passeport

baronne autrichienne et militante pacifiste. Publié en 1889,ce livre connut un grand succès dans toute l'Europe etvalut à son auteur de recevoir le prix Nobel de la paixen 1905. (NdT, comme toutes les notes de l'ouvrage.)

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à un déserteur et m'indiquant l'adresse d'uneœuvre religieuse qui pouvait venir en aide auxjeunes gens comme moi.Mais je me fichais complètement que l'on me

fasse la charité ! Je voulais juste un passeport et laplus généreuse des associations était bien inca-pable de fournir ce genre de choses. J'en étais làde mes réflexions quand la vue d'un magasin debrocante où se pressaient des citoyens visible-ment peu argentés me donna une idée : si un litd'occasion convenait bien pour dormir, pourquoiun passeport de seconde main ne serait-il pasaussi bon qu'un neuf ? Certes, il ne serait pasaussi chic et brillant, mais qu'importe pour undocument qui traîne au fond d'une poche et necesse d'être manipulé par des fonctionnaires auxdoigts graisseux !Il y avait alors à Hambourg un bistrot nommé la

Taverne des Bandits. Je découvris vite qu'en plusde débiter de la bière et du schnaps, l'endroit abri-tait une sorte de marché aux « documents d'occa-sion ». Exactement ce qu'il me fallait : pour unprix défiant toute concurrence – un demi-dollar –,j'y trouvai un passeport usagé, mais apparemmentparfait.Malheureusement, cette bonne affaire cachait

une mauvaise surprise. J'avais l'intention dem'embarquer comme matelot sur un navire de

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commerce ; il me fallait donc aller au bureau desAffaires maritimes allemandes pour me procurerun permis de navigation. En consultant mon pas-seport, l'employé me demanda si j'avais déjànavigué. Je lui répondis naturellement par lanégative.— Attendez ! Comment pouvez-vous dire que

vous n'êtes jamais allé en mer alors que votrenom est répertorié sur mon registre pour troisembarquements sur trois navires différents ?

Maintenant, je comprenais pourquoi ce docu-ment m'avait coûté si peu cher… « Fred Kuball »(l'ancien titulaire du passeport et donc mon nou-veau nom) était vraisemblablement un marin peuconsciencieux qui avait déserté au cours de sondernier voyage, abandonnant son permis dans lecoffre du commandant qui le gardait sous cléselon l'usage. Et ce passeport ne pouvait guèreservir qu'à m'envoyer au cachot. Je tentai pour laforme d'expliquer à l'employé que j'avais perdumon permis. Mais sa réponse fut sans appel :— Arrêtez de me raconter des histoires ou

j'appelle la police !

Je n'insistai pas et filai au plus vite, évidem-ment contrarié par cette malchance. Mais à bien yréfléchir, je conclus que ce passeport n'était pas si

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mauvais, il avait juste besoin d'une petite amélio-ration : un nouveau nom. J'achetai donc le néces-saire chez un pharmacien et me mis au travail. Cefut la fin de « Fred Kuball » et la naissance de« Fred Rebell ». Les services des Affaires mari-times ne trouvèrent évidemment aucune trace dece nom dans leurs registres puisqu'il était né unedemi-heure plus tôt, et j'obtins sans mal ce pré-cieux permis de navigation qui fit de moi le marinle plus jeune de tout Hambourg.

Vous pensez peut-être que j'ai mal agi ? Maisqu'y a-t‑il là de répréhensible ? C'est l'hommeet son travail qui valent quelque chose, pas lespapiers. Si une administration est folle au pointde ne pas laisser quelqu'un travailler sous pré-texte qu'il n'a pas de passeport, eh bien il fautjuste lui faire plaisir, comme on s'efforce de nepas contrarier une personne dérangée. Ils medemandaient d'avoir un nom et des papiers ? Jepossédais maintenant les deux, et nul doute quej'étais bien Fred Rebell puisque ce nom figuraitsur mon passeport.

Ami lecteur, je sais qu'il n'est pas d'usage delivrer la morale dès le début d'une histoire, maisje vais le faire tout de même (et j'en garde d'autrespour plus tard !). Vois toutes ces nations aux

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armées puissantes, avec leurs stocks de canons,leurs frontières, leurs gardes-frontières et leurspasseports. De l'autre côté, regarde-moi, jeuneétudiant idéaliste sans le sou, vivant d'expédientsloin de chez lui. Qui aurait pu penser alors que leplus fragile durerait plus longtemps que les puis-sants, que ces États autoritaires seraient sous peuanéantis, tandis que moi je vivrais une longue vieheureuse ?Mais je reviens à mon histoire. Fred Rebell était

donc devenu un marin, rapidement familier detous les ports européens. À Anvers, je croisais descentaines de jeunes gens, pacifistes comme moi,qui avaient fui la conscription dans leurs pays etse mêlaient ici aux marins et aux plus pauvres. Le«marché du passeport d'occasion » ne pouvaitrépondre à la demande. Un atelier clandestin tour-nait ici à plein régime, capable de fournir pourquelques dollars des faux papiers – de n'importequel pays – plus vrais que nature.De mon côté, je réalisais que la vie de matelot

n'était pas un chemin de roses. Mes parentsm'avaient donné une excellente éducation, jesavais tout ce que doit savoir un jeune passé parun bon collège, mais il me manquait la force etl'endurance nécessaires pour ma nouvelle fonc-tion. Un jour, alors que je m'échinais avec des

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quintaux de charbon dans la cale d'un cargo alle-mand, je fus stupéfait d'entendre le chef mécani-cien me lancer :— Tu as un bon boulot tranquille ici.

Tranquille ? Mais à quoi pouvait-il donc pen-ser ? Était-il abruti au point de ne pas comprendreà quel point mon dos me faisait mal et combiencette brouette pesait dans mes bras ? Je n'avaisjamais travaillé aussi dur de ma vie !Heureusement, les choses s'améliorèrent avec

le temps. L'entraînement finit par rendre moncorps plus résistant, et après une année de cerégime, je me sentais presque prêt à partager lepoint de vue du mécanicien : finalement, ce tra-vail n'était pas si mal. Le métier rentrant, je pro-fitais même d'une petite promotion en tant quechauffeur-soutier.Pour compenser les rigueurs de ma tâche,

j'avais aussi eu plaisir à goûter le charme decette vie itinérante, accédant à des paysages etdes villes qui m'étaient totalement inconnusjusqu'ici. Mais la magie ne devait pas durer long-temps. Assez rapidement, tous ces lieux finirentpar se ressembler et j'aspirai à poser pied à terreafin de m'installer quelque part. Il me fallait justetrouver le bon pays pour cela. Dans un premier

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Cet ouvrage a été mis en page par IGS-CPà L’Isle-d’Espagnac (16)