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LA GESTION DE L'ENVIRONNEMENT DANS LES ENTREPRISES INDUSTRIELLES EN FRANCE : UNE MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE (1950-1990) Daniel Boullet ESKA | Entreprises et histoire 2006/4 - n° 45 pages 54 à 73 ISSN 1161-2770 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-entreprises-et-histoire-2006-4-page-54.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Boullet Daniel, « La gestion de l'environnement dans les entreprises industrielles en France : une mise en perspective historique (1950-1990) », Entreprises et histoire, 2006/4 n° 45, p. 54-73. DOI : 10.3917/eh.045.0054 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ESKA. © ESKA. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Stanford University - - 171.67.34.69 - 17/04/2013 00h48. © ESKA Document téléchargé depuis www.cairn.info - Stanford University - - 171.67.34.69 - 17/04/2013 00h48. © ESKA

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LA GESTION DE L'ENVIRONNEMENT DANS LES ENTREPRISESINDUSTRIELLES EN FRANCE : UNE MISE EN PERSPECTIVEHISTORIQUE (1950-1990) Daniel Boullet ESKA | Entreprises et histoire 2006/4 - n° 45pages 54 à 73

ISSN 1161-2770

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-entreprises-et-histoire-2006-4-page-54.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Boullet Daniel, « La gestion de l'environnement dans les entreprises industrielles en France : une mise en perspective

historique (1950-1990) »,

Entreprises et histoire, 2006/4 n° 45, p. 54-73. DOI : 10.3917/eh.045.0054

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54 ENTREPRISES ET HISTOIRE, 2006, N° 45, pages 54 à 73

© Éditions ESKA, 2006ENTREPRISES ET

DÉVELOPPEMENT DURABLE

Si le concept d’environnement s’estrapidement imposé vers 1970, la référenceau concept de développement durable nes’est affirmée que dans la deuxième moitiédes années 1980. Cette seconde notion enri-chit assurément le concept, un peu passif, deprotection de l’environnement. Néanmoinsson apparition tardive par rapport au champchronologique envisagé ici, obligera à laisser

de côté la question de son impact sur la ges-tion de l’environnement dans les entreprises.Cette restriction étant posée, il reste que l’en-vironnement n’a pas saisi l’industrie françai-se à n’importe quel moment de son histoire(2).« La sensibilité écologique » apparaît eneffet à une époque où attitudes critiques etmouvements de contestation se sont déve-loppés, avec pour effet de mettre « l’entre-

LA GESTIONDE L’ENVIRONNEMENTDANS LES ENTREPRISES

INDUSTRIELLES EN FRANCE :UNE MISE EN PERSPECTIVE

HISTORIQUE (1950-1990)par Daniel BOULLET

docteur en histoire

Comment des entreprises françaises se sont-elles impliquées dans la

gestion de l’environnement ? Quelles incitations leur ont paru impor-

tantes en la matière ? Quelle a été la part de l’action collective des

associations entre firmes et des syndicats professionnels ?(1)

(1) Pour le contexte et plus de précisions cf. D. Boullet, Entreprises et environnement en France de 1960 à 1990 :les chemins d’une prise de conscience, Genève, Librairie Droz, 2006.

(2) Les ouvrages traitant à titre principal de l’histoire de l’industrie française sous l’angle des questions environ-nementales sont peu nombreux, spécialement pour la période la plus récente. En dehors de notre thèse (cf. note pré-cédente), on pourra se reporter pour une approche générale à A. Corvol (dir.), Les sources de l’histoire de l’envi-ronnement, t. III : Le XXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2003 ; pour la période antérieure (1800-1950) à A. Guillerme,A.-C. Lefort et G. Jigaudon, Dangereux, insalubres et incommodes : paysages industriels en banlieue parisienne,XIXe-XXe siècles, Seyssel, Champ Vallon, 2004 ; pour son ouverture au comparatisme et son ampleur chronologiqueà C. Bernhardt et G. Massard-Guilbaud (dir.), Le démon moderne : la pollution dans les sociétés urbaines et indus-trielles d’Europe, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2002. La branche la plus étudiée est cellede l’industrie de l’aluminium : cf. le chapitre II, Protection de l’environnement autour des usines d’électrolyse, parD. C. Ménégoz, in P. Morel (dir.), Histoire technique de la production d’aluminium, Grenoble, PressesUniversitaires de Grenoble, 1992, p. 131-174 ; le chapitre XIV, L’environnement et les industries chimiques, le casde l’aluminium, par M. Le Roux, in A. Corvol (dir.), Les sources…, op. cit., p. 171-195 et notre article « Pechiney

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prise et l’industrie en question »(3). C’estaussi un moment où tout un « mouvement deconcentration et de restructuration » touchal’industrie française, notamment pour faireface à la « réalisation du Marché Commun »(4),en attendant les prochains défis de la mon-dialisation. Sans doute le processus d’inté-gration de l’environnement dans la vie desentreprises a-t-il bénéficié de la mobilité quia caractérisé ce contexte.

On s’efforcera donc de dégager iciquelques grands traits, représentatifs del’évolution des modes de prise en comptedes réalités environnementales(5) dans lesentreprises industrielles en France. Lechamp chronologique retenu intéresse unepériode se situant en amont comme en avaldu tournant qui vit ces préoccupations s’af-firmer autour de 1970. On distinguerad’abord différents niveaux d’implicationdes entreprises, dont l’histoire est marquéepar des phénomènes à la fois de différencia-tion et de convergence des attitudes. Onreplacera ensuite les changements interve-nus dans le cadre des incitations et motiva-tions ayant pu sous-tendre l’action desentreprises. On s’interrogera enfin sur laplace à accorder dans ces évolutions à l’ac-tion collective des industriels.

Faute d’archives proprement dites faci-lement accessibles s’agissant d’une périodeencore proche, le travail présenté ici sefonde surtout sur des sources imprimées :presse professionnelle (industrielle, tech-nique, juridique) ; journaux d’entreprise ;publications d’origine associative ou écolo-giste ; documents variés de sociétés, de syn-dicats de branches, de services administra-tifs, d’organismes spécialisés. La réalisationd’entretiens avec d’anciens acteurs outémoins a permis de nuancer la perceptiond’évolutions souvent symétriques, maiscomplexes dans leur accomplissement.

1. TROIS DEGRÉS D’IMPLICATION

L’industrie française est schématique-ment passée par trois degrés d’intégrationde l’environnement à la gestion des entre-prises. Toutes n’ont cependant pas parcouruces étapes au même rythme, ni atteint, dansla période considérée, le troisième degré.Dans les grandes entreprises, l’attitudeadoptée a en plus souvent varié selon lesétablissements en fonction notamment decontextes géographiques spécifiques ou

et l’environnement (1960-1980), précocité et diversité d’une expérience », Cahiers d’Histoire de l’Aluminium, n°26, 2000, p. 10-37. Pour ses nombreux rapports avec l’environnement, voir le numéro consacré par Entreprises etHistoire à La sécurité dans l’industrie (n° 17, 1997). Pour l’articulation – dans une perspective historique – desproblématiques environnementales avec celles du développement durable, jointe à l’étude d’exemples d’entreprisesdéterminées, voir F. Aggeri, É. Pezet, C. Abrassart et A. Acquier, Organiser le développement durable : expériencesd’entreprises pionnières et formation de règles collectives, Paris, Vuibert, 2005. Deux grands témoins ont livré, enrendant compte à dix ans d’intervalle de leur expérience ministérielle, une approche assez synthétique du contex-te général de prise en compte de l’environnement en France : R. Poujade, Le ministère de l’impossible, Paris,Calmann-Lévy, 1975 et H. Bouchardeau, Le ministère du possible, Paris, Moreau, 1986. Au-delà de la disciplinehistorique et sans oublier la littérature technique, de nombreux ouvrages de droit, de sociologie, d’économie appor-tent eux-mêmes de fréquentes informations historiques : c’est par exemple le cas des éditions successives de M.Prieur, Précis de Droit de l’Environnement, Paris, Dalloz.

(3) D. Woronoff, Histoire de l’Industrie en France du XVIe siècle à nos jours, 2e éd., Paris, Éditions du Seuil, 1998,p. 585 et 588.

(4) P. Cayez, Rhône-Poulenc, 1895-1975, Paris, Armand Colin-Masson, 1988, p. 269.

(5) L’environnement sera envisagé ici dans le sens où l’ont entendu les industriels : autrement dit « celui qui peutêtre affecté par les pollutions de l’air, de l’eau, par le bruit, par les déchets mal maîtrisés », ainsi que par le risquetechnologique majeur en ce qu’il est capable de porter atteinte à un espace important.

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plus encore de l’âge des installations. Ellesont ainsi souvent offert des images contras-tées. Le facteur humain a également beau-coup compté, les évolutions analyséesdevant beaucoup – dans les entreprises – àl’action « durable » de personnalités muespar des prises de conscience précoces. Toutechronologie ne saurait donc être que ten-dancielle. On observera enfin que des inves-tissements favorables à l’environnement ontpu être décidés sans être prioritairementguidés par cette motivation : la raffinerieEsso de Port-Jérôme substitua ainsi en1952, plus pour garantir son approvisionne-ment régulier en eau que pour diminuer sapollution, un système de réfrigération pareau en circuit fermé à un autre en circuitouvert.

1.1. Un degré de départ

Dans un premier temps a très majoritai-rement régné l’inaction. C’est la situationcourante jusqu’à la fin des années 1950,même si des entreprises ont déjà pu anté-rieurement réaliser de-ci de-là des aménage-ments. Inaction n’a cependant pas vouludire ignorance complète.

Les entreprises exploitant des établisse-ments classés(6) disposaient en effet depuislongtemps d’un minimum d’information surles nuisances générées par leur activité.Leur exploitation était soumise à une autori-sation préfectorale assortie de prescriptionsà respecter. Elles étaient habituées à remplirdes dossiers de demande d’autorisation.Qu’il se soit agi, en raison de l’inexistenced’un système efficace de contrôle, d’une« réglementation, plus sévère dans son prin-cipe que dans son application »(7) n’altèrepas deux faits : le sujet des nuisances, liédès l’origine à celui du danger industriel, estun sujet constitué depuis déjà longtemps

quand apparaît à la fin des années 1960 leconcept d’environnement ; l’industrie esthabituée à ce que les pouvoirs publics exer-cent dans son traitement des responsabilitésparticulières.

Ce premier degré d’information se trou-ve renforcé, dans le domaine de la pollutiondes eaux, par la surveillance exercée par lesservices des Eaux et Forêts et les Fédé-rations de pêcheurs sur les déversementsd’effluents industriels. Les procès-verbauxd’empoisonnement de poissons, dressés enapplication d’une législation remontant à1829, mènent effectivement de nombreuxindustriels devant les tribunaux. Le caractè-re répétitif des faits indique qu’ils préfèrentgénéralement s’acquitter d’amendes et d’in-demnités à payer pour le rempoissonnementdes rivières plutôt que de modifier leurs ins-tallations et procédés. Mais à voir la placetenue par ce sujet dans L’Usine Nouvelledes années 1950, on devine qu’il a joué unrôle dans la constitution d’un problème del’eau pour l’industrie en ces premièresannées de reprise de la croissance.

Deux traits dessinent à la fin des années1950 le cadre dans lequel pourrait évoluer lerapport entre les entreprises et les pro-blèmes des nuisances. La réalité est queleurs intérêts n’avaient jusque-là guèresouffert d’un traitement réglementaire dusujet : les pouvoirs publics comme les entre-prises s’attacheront par la suite à faire per-durer cet état de fait, en ne cessant derechercher la définition d’une légalité dontces dernières ne puissent pas trop seplaindre. On cherchera à plier les évolutionsà cette constante, qu’on pourrait qualifier deconservatrice : ce fut malgré tout un moyende faire évoluer les situations suivant unedynamique lente. Mais les faits sont têtus,parfois imprévisibles, et obligeront, suivantune dynamique plus rapide, à des change-

(6) Il s’agit des établissements dangereux, insalubres ou incommodes, classés d’après leur niveau de risques sui-vant la loi, alors en vigueur, du 19 décembre 1917, elle-même héritière d’un décret napoléonien de 1810.

(7) CNPF, Rapport pour l’Assemblée Générale du 16 février 1960.

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ments plus profonds et plus prompts queprévus. L’existence à la fin des années 1950,de la part des entreprises, d’une demande defixation d’une nouvelle règle du jeu de l’uti-lisation de l’eau en offre un exemple : ellefut source d’une mise en mouvement, danslaquelle la protection de l’environnement atrouvé une des bases de son organisation enFrance.

1.2. Un degré d’adaptation

Dans un deuxième temps, des entre-prises en sont venues à des attitudes d’adap-tation. Il ne s’est agi cependant en généralque de formes de prises en compte partielleset encore peu coordonnées. Mais le simplefait d’essayer de se conformer davantage àla réglementation, souvent en réponse à desincitations, doit être regardé comme lamanifestation d’une attitude nouvelle, tantl’inaction ou ses déguisements pouvaienttrouver de facilité à se perpétuer.

La presse professionnelle et techniqueen donne d’assez nombreux exemples dèsles années 1960. On suit aussi dans cespublications le développement des publici-tés émanant du secteur de l’antipollution,encore modeste dans les années 1960 maisdéjà plus net dans les années 1970. On peuty voir le signe du développement d’un mar-ché, la publicité par ses pleins mais aussi sesvides disant ce qui se vend (épurateurs,dépoussiéreurs, filtres…) et ce qui se vendmoins (par exemple ce qui a trait aux nui-sances sonores). Les salons professionnelssont aussi l’occasion de vérifier le dévelop-pement de l’offre de matériels et servicespropres à limiter les nuisances, même s’ilfallut attendre la naissance du salon Pollutecen 1974 pour que la France se dote d’unemanifestation spécialisée capable de rivali-ser avec des salons équivalents déjà apparusen Allemagne ou en Suisse. Dès son démar-rage en 1970, le CFDE intègre à ses stagesdes visites de sites industriels, souventencadrées par des inspecteurs des établisse-ments classés, afin de présenter des modes

de traitement de cas précis. La variété descas abordés n’a d’égale que celle des éta-blissements visités.

Pour réel qu’il ait été, l’importance de cemouvement s’agissant des années 1960 etmême encore des années 1970 ne doit pasêtre amplifiée. L’action menée s’est souventlimitée au strict nécessaire réglementaire-ment parlant et encore, tant il semble avoirété facile de trouver des accommodementsavec une administration avant tout désireu-se d’éviter les conflits. Les efforts accom-plis intéressent en priorité des installationsneuves. Ceci est sans doute un acquis desannées 1960, car on sent bien les rectifica-tions auxquelles des entreprises durentassez rapidement se prêter lorsque celan’avait pas été suffisamment prévu, commepour la SNPA à Lacq. Sinon, on est prêt àtout envisager mais avec délai, l’administra-tion n’usant – cela vaut pour toute la pério-de étudiée – que rarement des moyens decontrainte à sa disposition (telles des consi-gnations de sommes à obligatoirementaffecter à la réalisation de travaux détermi-nés). A l’égard des installations ancien-nes nécessitant un rattrapage, la diligencemanifestée apparaît nettement moindre. Onle voit dans le secteur cimentier dans lesannées 1970 où les industriels réclamaientun assouplissement du contrôle des prixpour s’engager dans la voie demandée.Chacun resta sur ses positions et l’adminis-tration dut finalement se résoudre à aban-donner ses objectifs de mise aux normespour une partie des cimenteries, celles vrai-semblablement appelées à disparaître àmoyen terme.

1.3. Un degré d’intégration

Des entreprises enfin ont atteint un troi-sième degré d’implication à travers l’inté-gration à leur stratégie de préoccupations deprotection de l’environnement. L’essentieldes mesures concrètement appliquées dansles usines a certes continué d’être guidé parl’obligation d’aller dans le sens d’un plus

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grand respect de la réglementation, maisune part dans l’attitude des entreprises acommencé de s’élaborer hors du champ dela contrainte. La pression de différentesdonnées matérielles y a contribué (prix desmatières premières, concentration d’activi-tés sur un nombre réduit de sites, contraintesrelatives aux disponibilités d’espace, ges-tion des déchets dans des entreprises qui ensont souvent encombrées(8)…). Si le traite-ment d’un élément ne suffit pas à faire à luiseul une stratégie, la considération d’unensemble permet d’y parvenir.

Le passage au niveau stratégique suppo-se ainsi des initiatives coordonnées sur unecertaine durée. Il se produit à partir dumoment où on perçoit que l’environnementne se sépare pas du reste, que le niveau tech-nologique général d’une entreprise n’est passans lien avec celui des solutions qu’elleadopte en vue de limiter ses nuisances. A lafin des années 1980, on commence même àassister à un renversement de l’image del’environnement dans les entreprises :moins vécu comme une contrainte quecomme un test de qualité. Un sondage(9) faiten 1989 auprès de 600 entreprises amèneprès de 75 % de réponses exprimant leuraccord avec la proposition selon laquelle« les entreprises propres sont aussi les plusmodernes et les plus performantes ».

Elles ont aussi découvert l’ampleur, sou-vent insoupçonnée au départ, de leur res-ponsabilité en matière d’environnement. Ils’agit d’une responsabilité multiforme, juri-dique et financière mais aussi médiatique etfinalement morale. Ces deux derniers pointsnotamment sont bien ressentis dans lesentreprises qui ont connu l’accident ou l’ontfrôlé. Les choses deviennent vite alors affai-re de personnes. L’usine Duolite de Chauny

connut en 1983 une fuite de produit à partird’un wagon avec formation d’un nuagegazeux ; le risque d’explosion avait amenél’évacuation d’une partie de la population ;rien ne se passa, mais le directeur de l’usinede l’époque en avait tiré le sentiment queface à cela il y avait « des discussions [quin’avaient] plus lieu d’être » et que face au« pépin » dont on n’est jamais à l’abri « ilfaut ouvrir le site et montrer comment ontravaille »(10). La même année, la découverteen France des fûts de Seveso avait montréque la sous-traitance du risque ou de la ges-tion des déchets – il s’agissait en l’occur-rence de la firme suisse Hoffmann-Laroche– ne valait pas dégagement de responsabili-té, au plan médiatique au moins. On estfrappé par l’impact qu’ont eu en 1984 et1986 les accidents de Bhopal et de Bâle,ainsi bien sûr que celui de Tchernobyl. Dansles deux premiers cas, il s’agit d’entrepriseschimiques – Union Carbide et Sandoz –semblables à bien d’autres. Sitôt après lacatastrophe indienne, l’usine de Béziers dela filiale française d’Union Carbide, LaLittorale, s’est retrouvée sous les projec-teurs, comme soumise à la question.Sandoz, de son côté, avait été obligé de par-tir à la reconquête d’une image après que leRhin ait charrié de la façon la plus visibleune faune aquatique anéantie suite à unefuite issue de son usine de Bâle. La catas-trophe de Tchernobyl se mua en accident decommunication pour EDF qui avait nié ouminoré certains de ses effets. De tout cela,nombre d’industriels acquirent un sens deseffets potentiellement ravageurs de répon-ses inadaptées.

Certaines entreprises se sont ainsi enga-gées dans des programmes de travaux ouencore dans des actions de formation, facili-tées par les dispositions fiscales de la loi sur

(8) Voir L’Usine Nouvelle, n° 41, 9 octobre 1975, p. 75 : « 7,5 millions de tonnes de résidus chimiques à vendre ».

(9) Les industriels français et l’environnement, étude réalisée par M2S pour GDF et le Secrétariat d’Etat àl’Environnement.

(10) Entretien avec Yves Hubert, ancien directeur de l’usine.

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la formation permanente(11). L’inflexion cor-respondant à ce troisième degré se traduitgénéralement par un passage à un niveausupérieur d’organisation et de coordinationdes actions entreprises. Elle s’accompagnesouvent aussi de l’apparition d’une commu-nication environnementale. Rappelons ce-pendant qu’une entreprise n’est pas un objetunique et qu’elle peut mettre en place unestratégie différenciée, fondée sur des choixet des priorités, l’environnement devenantbien alors une affaire de gestion.

Intégrer l’environnement à la stratégiede l’entreprise a pu aussi consister à se posi-tionner sur le marché en développement del’antipollution (produits, publicité, salons),afin d’en tirer parti. Beaucoup de pollueursont fini par venir sur ce type de créneau,n’entendant pas le laisser entièrement auxindustriels spécialisés. « L’action de l’in-dustrie cimentière en matière d’écologie –note en 1977 le directeur technique duSyndicat des Fabricants de Ciments etChaux – ne doit pas être seulement défensi-ve mais aussi offensive, ou plutôt active, parla mise à la disposition de l’administrationet d’autres branches industrielles, de ses ser-vices et de ses produits »(12). Et en fin depériode, le président de l’Union des Indus-tries Chimiques exprime de même saconfiance dans le fait que, si « la plupart despollutions se décrivent en termes chimi-ques… la plupart des solutions seront four-nies par des voies chimiques »(13).

1.4. L’intégration de l’environnement dans l’organisation de l’entreprise

Des entreprises se sont organisées poursuivre les questions d’environnement selon

des modalités variées. Cela peut se limiter àcréer un poste spécifique pour une fonctionnouvelle ou à étendre les responsabilitésd’une fonction existante (services tech-niques, services de sécurité, services juri-diques…). Mais cela peut aussi débouchersur la création de véritables structures.L’apparition explicite de l’environnementdans un organigramme constitue un signemanifestement stratégique. Et de même,lorsqu’il est décidé de faire une place parti-culière aux questions environnementalesdans les services d’études et de recher-ches (Laboratoire de Recherche et deFabrication de Saint-Jean de Mauriennechez Pechiney, Centre de Recherche deDécines chez Rhône-Poulenc).

Il est intéressant de voir le cheminementayant mené à la création de structures spéci-fiques. Elf-Aquitaine crée formellement uneDirection Environnement en 1982. Mais ils’agit en fait du développement d’une struc-ture fondée dès 1971, le Centre d’Infor-mation et de Recherche sur les Nuisances(CIRN), dont la responsabilité avait étéalors confiée au chef du Laboratoire anti-pollution créé à Lacq au sein de la SNPA en1959 : en clair une généalogie qui indiqueune recherche de plus en large de solutionstechniques à des problèmes touchant aussibien à l’environnement des usines qu’à laconception des produits. La voie suivie chezRenault a des origines plus commerciales.La firme au losange – ses rapports annuelsen font foi depuis le milieu des années 1960– n’a évidemment pas attendu de se doterd’un Délégué Environnement auprès de laDirection Générale au début des années1990 pour s’occuper des questions relevantde l’environnement. On peut néanmoins dese demander s’il ne lui a pas manqué unestructure capable de porter une vision pluslarge de l’environnement, lui permettant

(11) PCUK, la branche chimie de Pechiney Ugine Kuhlmann, réserva même parfois auprès du CFDE des stagesentiers.

(12) Ciments et Chaux, n° 672, octobre 1977, p. 30.

(13) Rapport annuel de l’UIC pour 1990.

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dans les années 1980 de moins tarder àprendre le virage du pot catalytique. C’est labaisse de ses ventes à l’exportation vers cer-tains pays qui l’amène à désigner pour ceposte Paul Percie du Sert, précédemmentdirecteur commercial.

Les postes à responsabilités, créésauprès de directions générales, semblentainsi avoir été en général confiés à des per-sonnes présentes de longue date dans l’en-treprise, comme Bernard Tramier chez Elfou Jacques Salamitou chez Rhône-Poulenc.En revanche pour le suivi quotidien (tech-nique, juridique), le recrutement semble êtreresté ouvert tantôt à des personnes confir-mées auxquelles l’environnement a été rat-taché, tantôt à des personnes plus jeunesdisposant de formations spécifiques. Lespolitiques de financement des dépensesd’environnement ont par ailleurs évolué.Les entreprises tentées au début des années1970 par la formule d’emprunts collectifs –il y en eut quatre – mise en place à l’initia-tive de la Banque Lazard à travers leGroupement Interprofessionnel FinancierAntipollution, s’en sont assez vite détour-nées : pour retrouver la voie de l’indépen-dance, mais sans doute aussi parce qu’ellesont mesuré la difficulté de séparer, sur unplan comptable, les investissements anti-pollution des autres.

1.5. La communication sur l’environnement

Les investissements anti-pollution desentreprises ont précédé leur communication

sur l’environnement. Absente dans lesannées 1950, rare encore dans les années1960, elle se développe dans les années1970 et s’impose dans les années 1980.

Elle a revêtu des formes variées, repo-sant tantôt sur un contact direct (visites desites industriels ; interventions de représen-tants d’entreprises dans des débats et col-loques ou encore – forme de contact plustardive – réception d’associations de protec-tion de l’environnement), tantôt sur l’utili-sation de différents supports : presse d’en-treprise offrant des moyens de communica-tion interne, en direction du personnel(14), ouexterne, en direction du grand public ou departenaires professionnels(15) ; rapports an-nuels dont le rôle d’instrument de commu-nication grandit durant la période ; publica-tions ponctuelles(16) ; mais encore célébra-tion d’événements divers (inaugurations ouanniversaires), messages publicitaires,cinéma, sponsoring et mécénat pour la na-ture(17).

Le choix de communiquer sur l’environ-nement signe une volonté plus offensive,s’inscrivant dans une démarche stratégique.Cette communication ne peut bien sûr sesubstituer à l’action réelle mais elle ne peutnon plus exister longtemps sans s’appuyersur des actes concrets.

2. TROIS TYPES D’INCITATIONS

Les entreprises n’agissent pas indépen-damment d’un contexte. Précisons que lepoids de la conjoncture générale, s’il a pu

(14) Pechiney s’adresse en 1973 à son personnel via son bulletin interne – « Si l’on vous posait la question » luidit-il – pour l’aider à distinguer les boues rejetées par son usine de Gardanne de celles rejetées par Montedison aularge du Cap Corse (Aluminium Pechiney, n° 8, 1973, p. 22).

(15) Gervais-Danone en 1973-1974 dispense, à propos de la pollution du lait par les pesticides, des conseils de pru-dence aux agriculteurs lui fournissant du lait dans le bulletin qu’il leur distribue.

(16) Par exemple, pour Pechiney, les brochures Alumine et Méditerranée (1966) et Pollution : où en sommes-nous ?(1977).

(17) Elf-Aquitaine signe en 1987 une « convention pluriannuelle » dans le cadre d’un « partenariat avec laFédération des parcs naturels de France » (Rapport annuel 1989, p. 35 ; … 1990, p. 43 ; Combat Nature, n° 84,février 1989, p. 66).

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ralentir certaines évolutions dans des entre-prises déterminées lorsqu’elle n’était pasfavorable, n’a jamais entraîné de véritableinversion de tendance pour la raison princi-pale que les problèmes concrets d’environ-nement industriel en sont indépendants. Onse contentera d’évoquer ici le rôle de troistypes d’influences.

2.1. Les incitations de la puissance publique

L’influence des pouvoirs publics a pus’exercer indirectement, du fait de leuraction dans des domaines traités indépen-damment des problématiques environne-mentales. On en donnera trois exemples. Laloi votée en 1971 sur la formation perma-nente a eu un effet immédiat sur le dévelop-pement des stages environnement : il n’estpas indifférent que l’environnement et laformation permanente soient en quelquesorte apparus en même temps. Deux loisvisant à accroître le niveau de transparencede l’action administrative ont eu pour effetde faciliter l’action des associations de pro-tections de la nature et de l’environnement :la loi du 17 juillet 1978 relative à « la liber-té d’accès aux documents administratifs » etcelle du 11 juillet 1979 relative à la motiva-tion des actes administratifs. La premièrepar exemple fonde en droit leur possibilitéd’obtenir communication des résultats demesures de pollution effectuées en applica-tion d’obligations réglementaires.

On évoquera cependant davantage l’ac-tion directe de la puissance publique. On avu que jusqu’aux années 1950 les pouvoirspublics n’avaient guère cherché à faire pres-sion sur l’industrie pour l’inciter à limiterconcrètement ses nuisances. Mais au tour-nant des années 1950 et 1960 un change-ment est intervenu. Un temps de mise enmouvement de la puissance publique, lent

mais de plus en plus net, a commencé, fai-sant des années 1960 une époque fondatricedans la constitution d’une politique françai-se de protection de l’environnement. Lacréation du ministère de l’Environnementen 1971 habillera – en les fédérant – les élé-ments d’une construction déjà avancée.L’évolution tient davantage à un concoursde circonstances qu’à la réalisation d’unepolitique définie à l’avance. Trois faits ontalors joué un rôle important.

Chronologiquement une première im-pulsion vint de la fondation en 1958, à l’ini-tiative de milieux médicaux et hygiénistestout à fait officiels, de l’Association pour laPrévention de la Pollution Atmosphérique(APPA). Inquiets de son accroissement etdu risque de voir se produire, spécialementà Paris, une catastrophe du type du smog quiavait entraîné plusieurs milliers de décès àLondres en 1952, ils convoquèrent unCongrès qui se tint en 1960. Le souffléretomba vite. Dès 1959, les industriels grosconsommateurs d’énergies fossiles créèrentun Comité d’Action Technique contre laPollution Atmosphérique (CATPA), créa-tion dans laquelle on vit alors pour une partla main du ministère de l’Industrie : certai-nement instrument d’identification des pro-blèmes pour les industriels, le CATPA avaitaussi pour objectif de canaliser les « me-sures législatives et réglementaires » prévi-sibles dans des limites qui tiennent compte« des réalités économiques »(18). De tout celasortit la loi sur l’air de 1961 qui créa l’ins-trument des Zones de Protection Spéciale(ZPS), coquille restée sur le moment cepen-dant largement vide du fait d’une applica-tion limitée à quelques zones d’habitaturbain à Paris. Pour l’essentiel les indus-triels restèrent maîtres de l’organisation dela lutte contre les nuisances atmosphériquesd’origine industrielle. Un organisme patro-nal, le Centre Interprofessionnel Techniqued’Etude de la Pollution Atmosphérique

(18) Pollution Atmosphérique, juillet-septembre 1960, p. 334.

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(CITEPA), fut créé pour suivre la ques-tion. Un cadre d’action était néanmoins né,qui servira davantage à partir des années1970 (création de nouvelles ZPS en zonesindustrielles, création d’associations de ges-tion de réseaux de mesure de la pollutionatmosphérique).

La question de l’eau suscita de plusamples réponses. La croissance retrouvée,les industriels en vinrent en divers points duterritoire à manquer d’eau dès les années1950. Sensible à cette préoccupation, leCommissariat du Plan crée en 1959 uneCommission de l’Eau et met en chantier lapréparation d’une loi, qui serait fondée surun classement des cours d’eau, assortid’obligations de protection différenciées.Ce principe satisfaisait l’industrie mais,quoique soutenu par le gouvernement, il futà la fin écarté par le Parlement. La loi votéeen 1964 créa les Comités et les Agences debassin, structures paritaires financées parune taxe parafiscale. Ces organismes, char-gés de mettre en œuvre une politique del’eau tant sur le plan de la quantité que de laqualité, sont devenus opérationnels tout à lafin des années 1960. Ils se sont rapidementrévélés des partenaires importants des entre-prises, participant au financement de nom-breux travaux en leur redistribuant sousforme de subventions et prêts une partimportante des taxes perçues. Ils jouerontaussi un rôle actif dans les domaines desdéchets ou du développement des technolo-gies propres.

Enfin une réforme de l’inspection desétablissements classés intervint en 1968. Sanécessité était généralement admise pourdes raisons d’efficacité et de clarté. En sep-tembre 1958, une ordonnance avait instituéle principe d’une taxe sur les établissementsclassés, capable d’assurer le recrutement

d’inspecteurs. Mais elle tardait encore à êtremise en œuvre lorsqu’intervint l’accident deFeyzin en 1966(19). L’enquête sur les causesde l’accident avait posé – certes pour larepousser à la fin – la question d’une res-ponsabilité de l’administration. Soucisd’économie et de rapidité se sont conjuguésà certains soucis de corps pour écarter lacréation d’un corps national d’inspecteursdes établissements classés, du type de celuicréé dans le département de la Seine sous leSecond Empire. Les tâches d’inspectionfurent désormais confiées aux services desMines. Un Service de protection contre lesnuisances industrielles fut constitué auministère de l’Industrie, à l’initiative duquelfut encore créé en 1969, pour assurer la for-mation des fonctionnaires chargés des ins-pections, le Centre de Formation et deDocumentation sur l’Environnement Indus-triel(20). Le CFDE est resté depuis le princi-pal organisme de formation permanentecréé en France dans le domaine de l’En-vironnement industriel, au sein duquel ins-pecteurs d’une part, cadres d’entreprisesd’autre part, furent appelés à se former enmême temps et au contact les uns des autres.Le nombre d’inspections réalisables n’enfut pas révolutionné, mais la pression sur lesentreprises en devint plus sensible.

Au-delà des années 1960, le renforce-ment des contraintes réglementaires est tou-jours resté l’un des principaux motifs à agir.Il a aussi obligé à mieux connaître et à pré-voir : par exemple à travers les études d’im-pact instituées par la loi du 10 juillet 1976ou encore à travers le développement de lamesure, pour vérifier le respect ou non denormes, qui sans incitation réglementaire« serait rarement pratiquée »(21). Mais en toutcela l’Etat a, généralement, évité de déciderseul, ayant de fait défini à l’égard des entre-prises une méthode d’entraînement partena-

(19) Cf. A. Beltran, « Feyzin, Isère, 4 décembre 1966 », Entreprises et Histoire, n° 17, décembre 1997.

(20) Le CFDE s’appela en ses débuts Centre de Formation et de Documentation sur les Nuisances (CFDN).

(21) Annales des Mines, août 1984, p. 53.

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rial en leur laissant du temps pour s’adapter,davantage parfois que la concurrence neleur en laissera finalement. Les branchesévoquent fréquemment les discussions parlesquelles elles se trouvent associées auxdécisions prises, en matière de normes, dedélais… L’Etat tend à laisser les industrielsdéfinir les moyens d’atteindre un objectif,avec la menace d’institution d’une taxe des-tinée à financer des actions qui tarderaientpar trop à être entreprises. Cela oblige àprendre un minimum d’initiatives dans lecadre d’un contrat souvent tacite, mais par-fois aussi explicite, comme par exempledans le cas des contrats de branche du débutdes années 1970, voire de contrat d’entre-prise dans le cas – resté unique – dePechiney en 1975(22). L’industrie se prêteassez volontiers à ce genre de compromis,car elle tient à sa position d’interlocuteurprivilégié des pouvoirs publics. Cela a, sansdoute, contribué à mieux faire accepter auxentreprises les principes mêmes de la pro-tection de l’environnement, mais au prixsouvent d’une atténuation des obligationsdécoulant de nouvelles réglementations. Lacréation en 1980 du Prix TechnologiePropre, avec un jury principalement compo-sé d’entrepreneurs, en plus du PrixInstallations Classées créé près de vingt ansplus tôt, vaut quelque part constat d’insuffi-sance et expression du désir des pouvoirspublics de voir les entreprises s’impliquerdavantage qu’ils ne parvenaient à l’obtenird’elles ou d’une partie d’entre elles.

Indépendamment des règles et de l’ap-plication qu’en fait l’administration, il fautsouligner le rôle des tribunaux des diffé-rents ordres et de leur jurisprudence. Uneplace importante doit ainsi être accordée àla justice qui apparaît comme une sorted’électron libre, assez imprévisible. Lecontentieux de l’environnement n’a cesséde s’élargir, amplifié par la faculté donnéeaux associations agréées par la loi du

10 juillet 1976 de se porter partie civile aupénal, quoique ce soit par leurs actionsdevant les cours administratives qu’ellesaient souvent cherché le plus – de manièreindirecte certes – à peser sur les entreprises(par exemple par l’attaque d’autorisationspréfectorales).

2.2. L’influence de l’opinion

La pression du corps social n’a pas enFrance atteint un degré d’intensité aussi fortque dans les pays de l’Europe du Nord,entendus au sens large de la Scandinavie àl’Allemagne ou à la Suisse. Elle s’est cepen-dant approfondie au fil du temps. En raisond’atteintes ou de risques d’atteinte à lasanté, au paysage ou à l’équilibre desmilieux naturels, des entreprises ont étéinterpellées sur des sites existants ou sur desprojets d’implantation ainsi que sur des pro-duits, les obligeant à agir ou au moins àcommuniquer pour expliquer. On rappelleral’impact, dans le pays, de la pollution descôtes bretonnes consécutive au naufrage duTorrey-Canyon en 1967 qui représenta uneétape dans la prise de conscience de l’opi-nion, que le second sinistre de l’AmocoCadiz en 1978 viendra encore renforcer.

Des manifestations locales de prise deconscience existent cependant dès ladeuxième moitié des années 1950 comme àSaint-Gaudens avec l’implantation de l’usi-ne de La Cellulose d’Aquitaine ou à proxi-mité du complexe de Lacq. Dans les années1960, la baie de Cassis représente un champde pression sociale pour Pechiney désireuxde rejeter au large dans une fosse sous-mari-ne les boues de son usine de Gardanne. Enfin de décennie, un mouvement de protesta-tion contre la pollution par les poussièreseut lieu dans le Mantois en 1969, visantnotamment l’activité cimentière, avec péti-tion et manifestation menée par des « élus

(22) Cf. D. Boullet, « Pechiney et l’environnement… », art. cit., p. 28-30.

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de toutes tendances »(23). Les années 1970,indépendamment de la contestation anti-nucléaire, voient des mobilisations faireéchec à un projet d’implantation d’une raf-finerie de Total à proximité du Beaujolaisou aboutir à faire condamner Montedisonpour ses rejets au large du Cap Corse. Desintérêts variés, notamment ceux de l’agri-culture et de la pêche professionnelle, sansoublier ceux du tourisme et de la villégiatu-re, ont souvent été à leur origine. De telsantagonismes d’intérêts ont représenté unvecteur de prise de conscience pour lesindustriels, dont certains purent ainsi mesu-rer sur le terrain l’importance pour leurdéveloppement du contexte représenté parles nuisances.

Réalité préoccupante pour l’industrie,une dégradation de leur image dans l’opi-nion touche certains produits : le béton, lesproduits chimiques, l’automobile même,subissent ainsi pour différentes raisons desattaques, notamment dans les années 1970.Les entreprises y répondent en développantleur communication, en défendant l’utilitésociale des produits. Elles se regroupentsouvent en associations pour le faire : lesfabricants, transformateurs et utilisateurs dePVC fondent ainsi en 1975 le GECOM(Groupe d’Etude pour le ConditionnementModerne) pour en défendre l’usage. Pourcontrecarrer les reproches d’atteinte à lasanté ou au milieu naturel, elles recherchent– parfois maladroitement – des cautionsscientifiques, n’y récoltant souvent qu’uneincertitude décevante.

On n’exagérera pas cependant la profon-deur du mouvement intervenu dans l’opi-nion. L’industrie en a souvent bien senti lescontradictions. Des cas existent en plus où,dans des conflits d’ordre environnemental,des directions d’usines reçurent au nom dela défense de l’emploi le soutien de leurssalariés, y compris sous forme de manifes-

tations comme à Calais pour Tioxyde. Deuxfaits ont néanmoins contribué à affermircette forme d’influence. C’est d’abord lefait que l’environnement, la protection de lanature et des sites, ont rapidement trouvédes défenseurs parmi des personnalitésconnues (Jean Rostand, Alain Bombard etbeaucoup d’autres), parmi des universitairessans oublier beaucoup de « notables ayantpignon sur l’Océan »(24). C’est ensuite le faitque la nature de la pression des écologistesa changé. Mobilisés par la lutte anti-nucléai-re et la recherche de projets de vie alterna-tifs dans les années 1970, les mouvementsécologistes se sont assez peu préoccupés del’activité industrielle dans un premiertemps. Mais différentes crises internes lesont amenés à réorienter leur action dans unsens plus concret selon une évolution jalon-née notamment par le mort d’un manifestantà Malville en 1977, le moratoire nucléairedécidé en 1981 et l’entrée d’HuguetteBouchardeau au gouvernement en 1983.Leur pression s’accrut ainsi sur les entre-prises dans les années 1980, qu’elle se soitexercée directement ou indirectement.

2.3. Des influences extérieures

De différentes manières enfin, desinfluences extérieures à la France ont éga-lement pesé. Des situations frontalières ontpu y être propices au départ comme enAlsace, concernée par exemple par lasignature en 1963 de la Convention deBerne sur le Rhin. Il s’y est fait sentir unepropédeutique d’origine allemande et sur-tout suisse (quoiqu’on se soit rendu comptelocalement, par exemple à proximité deBâle, et de bonne heure, que certaines ver-tus pouvaient souffrir de non négligeablesexceptions).

Mais c’est surtout leur développementinternational qui a amené des entreprises à

(23) C. Garnier-Expert, L’environnement démystifié, Paris, Mercure de France, 1973, p. 67.

(24) La Gueule Ouverte, n° 3, janvier 1973, p. 40.

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éprouver dans différents pays des pressionsréglementaires plus prononcées qu’enFrance. Cela est intervenu lors de la créationde sites de production dans des contexteslocaux déjà sensibilisés. Pechiney dut ainsis’adapter aux règlements américains puishollandais pour construire ses usinesd’Eastalco (1970) et de Flessingue (1971)(25).Dans d’autres cas, les pressions subies tien-nent à des « difficultés d’exportation » vers« certains pays » tels « la Suisse, le Canadaet les USA » pour Gervais-Danone, suite àla fixation de nouvelles normes quant auxteneurs en organochlorés tolérées dans lesproduits alimentaires, si bien que le groupelance en 1973-1974 des « Opérations Pes-ticides » auprès des agriculteurs lui fournis-sant du lait « afin de déterminer le taux depollution et les mesures à prendre pour lediminuer le cas échéant »(26). Les rapportsannuels des constructeurs automobiles sou-lignent bien les difficultés d’exportationrencontrées pour ce type de raisons auxEtats-Unis vers 1968-1970 et, fait plusgrave du fait de l’importance des marchésconcernés, dans différents pays européensdont l’Allemagne à la fin des années 1980.

On ne négligera pas enfin l’influenceintellectuelle qui a pu s’exercer sur lesmilieux industriels depuis certains pays,notamment au départ depuis les Etats-Unis,avec lesquels existe un lien intellectuelvalant potentiel d’attention : on note vers1970 une grande sensibilité des journauxprofessionnels aux informations en prove-nant, ce qui a sans doute contribué à accré-diter l’image de modernité du sujet de l’en-vironnement. Aucun suivisme néanmoins :les débats américains des années 1960, surla pollution par l’automobile ou les produitsphytosanitaires n’ont guère eu d’effets surle moment en France. D’autres influencesnationales (notamment allemandes et plus

secondairement suisses, hollandaises, sué-doises ou encore japonaises), européennesou internationales se sont par la suite affir-mées et finalement substituées dans lesannées 1980 aux influences américaines.Mais il faut surtout évoquer le rôle joué parle développement de la législation euro-péenne dans la montée des préoccupationsenvironnementales dans l’industrie. Lesentreprises ont souvent escompté un allége-ment des règles fixées via des négociationsentre Etats. Mais la règle s’est souvent véri-fiée que la bonne tend à chasser la mauvai-se, et ce d’autant que la concurrence en secalant sur la bonne peut ainsi prendre uneposition d’avance, un choix stratégique sou-vent effectué en Allemagne. Devant unetelle diversité et une telle mobilité, le plussolide a pu apparaître de sortir du cas parcas pour globaliser les problèmes et les trai-ter à une échelle internationale : en sommed’intégrer l’environnement – à un niveauélevé – à la gestion d’ensemble de l’entre-prise. Cela intervient néanmoins rarementavant la fin des années 1980, voire l’aubedes années 1990.

3. L’ACTION COLLECTIVE

Des organismes variés ont pu concourirà la mise en œuvre d’une action collectivedans le domaine de l’environnement indus-triel. Certains trouvent leur origine dans desinitiatives publiques, tels différents orga-nismes paritaires spécialisés. Parmi cesorganismes on soulignera l’importance desCentres Techniques de branche, créés enapplication d’une loi votée en 1948 et dotésde ressources provenant d’une taxe parafis-cale prélevée sur les entreprises. Le CentreTechnique des Industries Mécaniques, leCentre Technique du Papier, le Centre

(25) Cf. R. Lesclous, Histoire des sites producteurs d’aluminium. Les choix stratégiques de Pechiney 1892-1992,Paris, Presses de l’Ecole des Mines, 1999.

(26) Contact Gervais-Danone, n° 1, juin 1973, p. 11 ; n° 4, printemps 1974, p. 8.

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d’Etudes et de Recherches de l’Industrie desLiants Hydrauliques, le Centre Techniquedu Cuir et d’autres encore ont ainsi souventjoué un rôle moteur dans les études etrecherches appliquées à la protection del’environnement, peu à peu devenues unaspect notable de leur activité. Leur actionapparaît avant tout déterminée par le soucide trouver des solutions à des problèmesconcrets et d’accompagner les entreprisesdans leur traitement, notamment par la réa-lisation sur site de pilotes industriels tou-jours pour une part financés par eux. C’estaussi le cas des organismes – Comités etAgences – créés en application de la loi de1964 sur l’Eau dans les six bassins entre les-quels le territoire national a été divisé. Lestaxes qu’ils perçoivent sur les utilisateurs(et pollueurs) de l’eau servant entre autres àparticiper au financement de travaux de trai-tement de l’eau dans les entreprises, la dési-gnation de leur représentants donne lieu àune concurrence entre branches qui suffit àétablir l’importance de ces organismes àleurs yeux(27).

Mais nous nous intéresserons ici surtoutà l’action collective proprement dite desentreprises, à travers quelques exemplesrelevant du syndicalisme patronal ou de laconstitution d’associations. Principalementfondés sur des objectifs de défense des inté-rêts industriels, ce genre de groupementsont pourtant été souvent amenés à ne pas s’ycantonner et à entrer dans des démarchesprenant aussi en compte – à des degrésdivers – des objectifs de protection de l’en-

vironnement. Cette action groupée a repré-senté un élément essentiel à l’élaborationdes attitudes d’abord d’adaptation, ensuited’intégration évoquées ci-dessus.

3.1. Le rôle des syndicats patronaux

Les syndicats patronaux et spécialementles syndicats de branche, forts d’une capaci-té à conjuguer représentativité et expertisetechnico-juridique, ont souvent représentéun canal majeur de la relation entre les pou-voirs publics et les entreprises, notammentlorsqu’il s’agissait de définir des règles etd’élaborer des textes. L’obligation d’adapterleur discours à la responsabilité dont ils seréclament les conduit nécessairement àadopter une position évolutive au nom de laprofession représentée, de fait invitée às’inscrire dans ce sillage. Les branches ontainsi été amenées à définir, souvent au caspar cas, des attitudes dont l’ensemble a finipar composer, avec leurs limites et leurslacunes, de véritables politiques environne-mentales.

Les pouvoirs publics se sont d’ailleurstoujours montrés favorables à de tellesdémarches, notamment lorsqu’ils agissentdans une perspective libérale. Ils ont eneffet besoin d’une prise de relais au niveaudes entreprises, pour ne pas trop s’engagereux-mêmes sans abandonner leur objectifde faire progresser la protection de l’envi-ronnement(28). Il convient toutefois de remar-

(27) Il conviendrait encore de citer : les Associations de gestion des réseaux de mesure de la pollution atmosphé-rique ; les Secrétariats Permanents pour la Prévention des Pollutions Industrielles (SPPPI) ; l’Agence Nationalepour la Récupération et l’Elimination des Déchets (ANRED) créée en 1975 et l’Agence pour la Qualité de l’Air(AQA) créée en 1980, fusionnées en 1990 dans l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie(ADEME). On observera à propos de ces dernières qu’elles ne se déclinent qu’au singulier et n’ont été dotées quede pouvoirs et de moyens réduits par comparaison avec les Agences de Bassin. Diverses réticences ont eu raisonde l’extension du modèle des organismes de bassin, jugé trop dirigiste par certains, aux domaines de la lutte contrela pollution atmosphérique et de la gestion des déchets.

(28) A la charnière de l’initiative publique et de l’initiative privée se situe l’action des Chambres de Commerce etd’Industrie. Beaucoup ont localement joué un rôle dans la sensibilisation des entreprises, abritant réunions, confé-rences ou stages, éditant des brochures d’information. Certaines ont contribué – en cela souvent fortement sollici-tées par les pouvoirs publics – à la mise en place d’une gestion régionale des déchets industriels. Le caractère public

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quer que le schéma décrit ici ne représentequ’une tendance d’évolution, suivant uncap toujours difficile à fixer au quotidien,et jamais un accomplissement. On s’enconvaincra en suivant dans les numéros deCiments et Chaux du début des années 1970le feuilleton de la négociation, entre lescimentiers et les pouvoirs publics, destinéeà élaborer un accord sur une mise auxnormes des cimenteries les plus anciennes.Des sociétés, d’ailleurs, ont assez souventmanifesté des réserves vis-à-vis des formesd’action collective : crainte de se laisserfinancièrement entraîner ou d’être amenéesà divulguer des informations qu’elles nesouhaitent pas donner ? La force de l’actioncollective trouve toujours sa limite dans lefait que c’est l’entreprise individuelle quireste responsable et non pas l’inverse.

Dans ce champ collectif, le rôle joué auniveau national par le CNPF apparaît avoirété assez modeste, toujours présent maissouvent réservé. Légaliste assurément, sonattitude apparaît cependant guidée parl’analyse profondément libérale, presqueidéologique même, qu’il fait des situations.Cela apparaît bien quand on voit Jacques dePerthuis, le président de sa CommissionEnvironnement, affirmer en 1987 que « lavocation des agences financières de bassinest de disparaître, lorsque le rattrapage dupassé aura été accompli » et ajouter que « lefait que cette échéance soit relativementlointaine ne doit pas masquer sa nécessi-té »(29). Le CNPF, fidèle à ses principes deresponsabilité, n’en a pas moins toujoursappelé les entreprises à agir intelligemmentface à l’environnement, comme il le fait au

même moment en éditant un guide pratiqueà leur usage(30). Certains syndicats de bran-che ou encore certaines de ses unionslocales apparaissent toutefois avoir été plusprésents, plus pragmatiques même parfoisdans leurs attitudes. On se contentera d’exa-miner ici un cas, celui de la fédérationpatronale de la Chimie.

3.2. L’exemple d’un syndicat de branche : l’Union des Industries Chimiques(UIC)

Il convient de rappeler en préalablequelques réalités valant pour l’industrie chi-mique d’une manière générale. Toutes lesformes de pollution ou presque la concer-nent, tant pour la marche de ses ateliers quepour les effets de l’utilisation de nombre deses productions. Elle est apparue aussicomme une des sources principales derisque technologique majeur. Il suffit derappeler qu’on nomme « installationsSeveso » les établissements à risque indus-triel élevé. Le fait est que, dix ans avantTchernobyl, « le coup de semonce [étaitvenu] de la chimie, alors que beaucoup l’at-tendaient du nucléaire civil »(31). Le secteurest cependant de ceux qui identifièrent – leplus tôt et le plus largement – à la fois l’ef-fet de l’activité industrielle sur l’environne-ment et en retour l’impact de la montée despréoccupations liées à sa protection sur lefonctionnement des entreprises. Dès 1966,l’UIC évoque ainsi dans son Rapportannuel la question de « l’environnement desusines » auquel – constate-t-elle déjà – ten-

de leur statut n’a pu qu’aider à officialiser le sujet de l’environnement dans le monde de l’entreprise, d’autant quec’est à l’Assemblée Permanente des CCI, que le ministère de l’Industrie résolut en 1969 de confier la prise en char-ge du CFDE. Sur ces sujets, cf. notre article : « Les CCI et la politique de l’environnement », Revue d’HistoireConsulaire, n° 29, février 2003, p. 3-10.

(29) Intervention lors de la journée du Xe anniversaire de l’ASICEN, Rouen, 3 décembre 1987.

(30) R. Leygonie, L’entreprise et l’environnement : guide pratique, Paris, CNPF-ETP, 1986.

(31) Annales des Mines, août 1984, p. 49.

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dent à s’appliquer de nouvelles « prescrip-tions protectrices »(32). L’émergence des pré-occupations environnementales s’est faitedans un contexte clairement défavorable àl’industrie chimique. Avant même la fin desannées 1960, la profession perçoit une chi-miphobie ambiante(33). Du PVC aux produitsphytosanitaires, les produits chimiques sontceux qui focalisent le plus de critiques, sou-vent accusés d’avoir des effets cancéri-gènes, un questionnement encore amplifiépar les problèmes posés par la gestion desdéchets chimiques.

L’UIC apparaît avoir été assez rapide-ment active sur le sujet, jouant en fait plu-sieurs rôles, en premier lieu évidemmentcelui de représenter et de défendre les inté-rêts de ses adhérents. Elle ne prend audépart guère de gants pour définir son« action dans l’élaboration même des textesréglementaires que nous avons à tâche – dit-elle dans son Rapport pour 1965 – de rendrele moins contraignants possible ». Mais il ya bien des manières de défendre des intérêts.

Elle a manifestement cherché à fonderson action sur la connaissance des sujets.Cela vaut sur le plan technique. Elle réagitvite à la création en 1959 d’une Commissionde l’Eau au sein du Commissariat du Plan encréant elle-même dès 1960 un Groupe tech-nique des eaux au sein de son ComitéTechnique. Elle lance de même en 1972 uneCommission Environnement, bientôt organi-sée en cinq groupes de travail sectoriels :eau, air, mer, déchets et usage des produits.Elle suscite la création en 1974 de l’associa-tion Chimie et Ecologie, dans le but de« faciliter les échanges d’information », et

de « favoriser le développement de laconnaissance des effets des produits chi-miques sur l’homme et l’environnement »(34).

Les exemples sont aussi assez nombreuxoù l’UIC a servi de relais à la puissancepublique. Elle édite à différentes reprisesdes documents d’information (par exempleun Répertoire des produits chimiques dan-gereux soumis à une réglementation en1965 ou, plus tard en 1983, un Guide deSécurité). En 1975 elle participe aussi, auxcôtés de la Direction des IndustriesChimiques et de l’IRCHA(35), à la créationde la Bourse des Résidus Chimiques : lesprécautions avec lesquelles elle présente leprojet indique cependant qu’elle le faitdavantage sous l’influence des pouvoirspublics que sur sa propre initiative. En1978 elle réunit 300 personnes pour uneprésentation, par « les principaux respon-sables des administrations intéressées » dela nouvelle procédure de l’étude d’impact.« Dans le domaine de la sécurité sur leslieux de travail, comme à l’égard de l’envi-ronnement », elle prend l’initiative de créeren 1985 un « Comité technique de l’inspec-tion de l’industrie chimique » et met enplace une « certification professionnelleavec le label UIC »(36). Cette qualificationest conférée dès 1986 après un « examenprivé » à « 120 inspecteurs d’usine… enactivité »(37). Le souci de prévention rejointvraisemblablement ici celui de préserverl’autonomie de la profession, « mieux pla-cée que quiconque pour connaître les vraisproblèmes » et donc « dégager les méthodespréventives les plus appropriées »(38). En1990, l’UIC lance officiellement devant 120chefs d’entreprise l’Engagement de Progrès

(32) Rapport de l’UIC pour l’année 1965, p. 11.

(33) La revue Chimie Actualités déplore ainsi en 1969 l’existence d’une presse « intoxiquée par des contre-véritésémises par des ornithophiles « chimiphobes » » (n° 1393, 4 juillet 1969, p. 11).

(34) Nuisances et Environnement, mai 1974, p. 7.

(35) Institut de Recherche Chimique Appliquée.

(36) Rapport annuel de l’UIC pour l’année 1985, p. 17-27.

(37) Rapport annuel de l’UIC pour l’année 1986, in chapitre « Affaires techniques », p. 15-23.

(38) Rapport de l’UIC pour l’année 1985 : cf. note ci-dessus.

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de l’Industrie chimique pour la protectionde l’environnement, de la santé et de lasécurité, « basé sur l’adhésion volontairedes entreprises » et destiné à se concrétisersous forme d’engagements individuels.L’UIC mesure cependant son optimisme enprésentant ce texte dans ses Rapportsannuels 1989 et 1990. Ses responsables neméconnaissent pas les limites d’une métho-de fondée sur le volontarisme. Son prési-dent, Jean-Claude Achille, le dit sansdétour : l’obtention de « nouveaux pro-grès » en matière de sécurité et de protec-tion de l’environnement est un « défi »nécessitant d’être « appréhendé de façonplus complète par toute la profession ».

Elle développe parallèlement sa com-munication sur l’environnement, celle-ciintervenant dans le cadre d’un développe-ment général de sa communication : créa-tion en 1977 d’un service de relationspubliques ; lancement en 1980 de la revueMolécules, dans le but d’atteindre les lea-ders d’opinion, laquelle publie en 1984 un« dossier sur la préservation de l’environne-ment ». Elle constitue en 1986 un « groupede travail mixte, composé de spécialistes del’environnement et de responsables de lacommunication de l’industrie chimique »,chargé de préparer un « programme d’ac-tions » pour l’Année Européenne de l’En-vironnement prévue pour 1987. A l’occa-sion de l’Assemblée générale du CEFIC(Conseil Européen des Fédérations desIndustries Chimiques) qui se tient à Paris en1990, elle invite cinquante journalisteseuropéens à un voyage de deux jours ayantpour thème l’environnement en Rhône-Alpes et en Normandie.

La voie suivie par l’UIC apparaît cepen-dant étroite. Elle a affiché une présence deplus en plus soutenue, souvent concrète-ment positive, sur les questions d’environ-

nement et de sécurité. Elle s’est indiscuta-blement efforcée de développer la sensibili-sation des industriels de sa branche. Il lui estarrivée de critiquer l’incompréhension àlaquelle elle se heurtait auprès de certainscar « à défaut d’une action volontaire de laprofession, n’est pas exclu le risque d’unemise en place d’un système d’interventiongénéralisé et obligatoire »(39). Ecarter cetteperspective est toujours demeuré l’un desfondements de son action. L’esprit réel deresponsabilité qui l’anime, ne l’empêchepas – justifie même à ses yeux – de chercherà freiner, autant que faire se peut et tantqu’elle ne s’est pas concrétisée dans desdécisions définitives auxquelles elle s’adap-tera alors par légalisme, l’action volontaris-te des pouvoirs publics, qu’ils soient natio-naux ou européens. Cela ne la retientd’ailleurs pas d’en appeler à des « mesuresinterventionnistes de la part des pouvoirspublics » face à « la difficulté de la créationde nouveaux centres de traitement » dedéchets du fait des oppositions qu’ils susci-tent(40).

3.3. Des associations d’entreprises

On mentionnera d’abord l’existence deformes de coopération intermédiaires entreaction individuelle et action collective, dansle but de réaliser des équipements communs(construction à frais partagés d’une stationd’épuration en 1977 à Saint-Fons parRhône-Poulenc et Ciba-Geigy) ou desrecherches (élaboration autour de 1990 d’unprogramme expérimental de recyclage desdéchets plastiques automobiles entre PSA,Renault, Rhône-Poulenc et Atochem(41)).

Des associations spécifiques, s’apparen-tant à des organismes de lobbying, crééespour promouvoir ou défendre des produits

(39) Affirmation faite à propos du problème du transport de produits dangereux. Rapport UIC pour l’année 1972.

(40) Rapport annuel de l’UIC pour 1990.

(41) L’Usine Nouvelle, n° 2272, 14 juin 1990, p. 48.

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déterminés (PVC, emballages perdus), ont étéamenées à donner à leur action une dimensionenvironnementale lorsqu’ils étaient mis encause pour des raisons liées à la protection dela santé ou de l’environnement.

Mais les plus intéressantes à étudier, à lafois pour l’ampleur de leur objet et leur dif-fusion géographique, sont les associationssyndicales de riverains industriels (ASRI).Ce sont aussi les plus anciennes, puisque detelles associations se sont créées sous desnoms variables et en différents points du ter-ritoire (Roanne, Mulhouse, vallée de laChiers en Lorraine, etc.) dès le début desannées 1950. Les entreprises à l’origine deces créations ont pu appartenir selon lesbassins industriels à des secteurs déterminés(textile, sidérurgie…). A l’échelle nationalese constitue en 1953 une Fédération Natio-nale des Associations de Riverains Indus-triels (FENARIVE). La création de cesassociations, parfois malaisée, s’échelonnejusqu’aux années 1960, bénéficiant souventde l’aide des CCI ainsi que des Fédérationslocales de syndicats patronaux. Leur objec-tif au départ est d’assurer une défense col-lective des entreprises sur les questions del’eau, notamment dans leurs rapports avecl’administration et les associations depêcheurs. Il est aussi, comme le CNPF lereconnaît, d’aider les « industriels riverainsd’un même cours d’eau » à « concilier leursintérêts parfois contradictoires »(42), l’intérêtde certains étant que d’autres réduisentleur pollution des eaux. Mais c’est unsujet sur lequel les sources restent très dis-crètes.

La plupart étendront dans les années1970 leur compétence aux différentsdomaines relevant de la protection de l’en-vironnement. Ces associations sont depuisdevenues localement des interlocuteurspour les pouvoirs publics sur ces questions,jouant un rôle important dans tous les orga-nismes paritaires locaux ou régionaux. De

cela on retirera l’observation que l’attitudede défense, lorsqu’elle n’est pas seulementcirconstancielle mais se déploie dans ladurée, qu’elle est organisée et s’appuie surune étude approfondie des données d’unequestion, a souvent mené à un infléchisse-ment des attitudes. Ces associations ontcontribué à mettre en valeur les liens exis-tant entre problèmes. Elles ont en fait pré-paré les industriels à l’élargissement de leurvision des choses.

3.4. En marge et au cœur des entreprises

On terminera enfin en évoquant seule-ment, faute de place suffisante ici, l’influen-ce importante sur la sensibilisation desentreprises d’autres manifestations de la vieprofessionnelle dans l’industrie.

De L’Usine Nouvelle à Industries etTechniques, de Ciments et Chaux à Chimie-Actualités, de nombreux organes de presseen prise directe avec l’activité industrielleattestent, suivant un mouvement qui semanifeste dès les années 1960 et s’amplifiedans la décennie suivante, une montée desquestions liées à l’environnement. Le mêmephénomène touche de nombreux salons pro-fessionnels.

Il est nécessaire aussi de souligner le rôlejoué dans ces évolutions par les ingénieurs,les écoles qui les forment, les associationsqui les rassemblent et les revues qui leur sontliées. On reste frappé aujourd’hui par l’in-flexion soudaine apportée au contenu de larevue par la rédaction des Annales des Mines,à travers la place faite à partir de 1970 auxsujets se rapportant à l’environnement. Effetdu contexte de l’époque assurément, maissans doute aussi effet du rattachement del’inspection des Etablissements Classés auxservices des Mines à un moment où le déclindes activités minières posait un problème deréorientation de leurs missions. Arts et

(42) L’Usine Nouvelle, n° 7, 17 février 1955, p. 77.

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Manufactures, la revue des Centraliens,connaît une semblable évolution. Plusieursnuméros des années 1970 vont même au-delàen s’ouvrant à différents débats révélant cer-taines fissures dans le consensus liant lesingénieurs (notamment sur les questionsénergétiques(43)). Sans exagérer ces tensions,on les reliera aux témoignages d’ingénieursengagés dans les entreprises dans le traite-ment des nuisances qui disent facilement lesdifficultés rencontrées sur le terrain, les réti-cences de collègues à voir évoluer les atti-tudes et les habitudes. Malgré la richesse dutravail des Centres techniques – nécessaire-ment dispersé – il a sans doute manqué à laFrance un équivalent de l’Association desIngénieurs Allemands (VDI) dont l’autoritétechnique jointe à celle des syndicats debranche valut souvent à ses avis d’expertiseconsignes d’action pour les entreprisesd’Outre-Rhin. Beaucoup d’ingénieurs disentnéanmoins l’intérêt qu’ils ont trouvé àrechercher des solutions aux problèmesposés par la protection de l’environnement,vécue comme une sorte de challenge à rele-ver. Ceci prouve au moins qu’une partie dutravail de sensibilisation s’est faite directe-ment à l’intérieur des entreprises par des gensd’entreprise : il a vraisemblablement été l’undes plus efficaces.

CONCLUSION

« Découvrez vous-même l’antipollutionaux USA » et « en 15 jours… prenez quin-ze ans d’avance contre la pollution », pro-mettait une publicité, parue en 1974 dansNuisances et Environnement, qui proposaitun voyage d’étude pour découvrir « lesmeilleures techniques américaines decontrôle de la pollution ». Un trait, parmibeaucoup d’autres, propre à accréditer lesentiment répandu d’un retard français dansla prise en charge des questions environne-

mentales. Les évolutions décrites ci-dessus,par leur importance, invitent au moins àtenir ce sentiment à distance.

L’histoire de la prise en compte de l’en-vironnement dans l’industrie française necommence pas avec l’apparition du conceptd’environnement autour de 1970. Elle a uneprofondeur chronologique plus grande etinclut d’abord, si on remonte le temps, lesannées 1960. De cette décennie, fondatriceà plus d’un égard, date la mise au point deplusieurs instruments d’action intéressantdirectement les entreprises, liée notammentà la redéfinition de la politique de l’eau et àune réorganisation, consécutive à la catas-trophe de Feyzin, de l’administration desétablissements classés et de la formation desingénieurs appelés à y travailler ou à y exer-cer des inspections de contrôle. C’est grâceà cet acquis, qui trouve son origine dans unedynamique proprement nationale, qu’il a puse produire en France une concordanceentre la possibilité d’agir concrètement pourla protection de l’environnement et la prisede conscience environnementale qui saisitvers 1970 le monde industrialisé. Mais onpeut remonter plus loin et se rappeler que lalégislation – bientôt bicentenaire – des éta-blissements classés a doté le pays d’unebase réglementaire ancienne. Toute défi-ciente qu’ait été son application, elle a dotéles pouvoirs publics d’un cadre disponiblepour agir le moment venu et les entreprisesd’un repère propre à fonder leur légalisme.

Les pouvoirs publics occupent une placecentrale dans le mouvement d’adaptationdes entreprises encore pour une autre raison.Ils ne se sont jamais départis à leur égard,d’une méthode fondée sur une volonté d’en-traînement et sur un traitement non conflic-tuel des problèmes, base d’une relation pri-vilégiée offerte aux industriels. Ceux-ci, etnotamment leurs organisations de branche,resteront toujours attachés à son maintien. Ilen a résulté une sorte de compromis évolu-

(43) Arts et Manufactures, n° 259, mars-avril 1975 : « L’énergie du désespoir », p. 12-16.

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tif, sans doute source à chaque étape d’unelimitation des exigences mais garant néan-moins d’une prise en compte croissante del’environnement.

Une seconde dynamique, d’origine exté-rieure au pays, est cependant venue renforcerla première. Déjà perçue dans les années 1960par des sociétés désireuses de s’implanterhors de France, elle exerça cependant sonpoids surtout à partir de 1970, lorsque lethème environnemental apparut d’embléecomme une question d’envergure internatio-nale. Le fait qu’il se soit trouvé posé alorsavec le plus de vigueur aux Etats-Unis n’a enplus pu que retenir l’attention des entreprises :on soulignera à ce propos le caractère plustardif – qu’on ne pense habituellement – del’influence allemande en ce domaine.

On doit encore reconnaître une relativeimperméabilité du sujet aux variations de laconjoncture. Le profond renouvellement de lalégislation française dans la deuxième moitiédes années 1970 associé à l’extension desrèglements européens, un poids croissant desopinions, dans un contexte neuf d’attention aurisque technologique, se sont conjugués pourque les difficultés économiques, notammententre 1975 et 1985, n’aient pas eu pour effetde remettre en cause l’évolution engagée. Aucontraire à l’approche de la fin des années1980, a tendu à s’imposer la nécessité d’inté-grer l’environnement aux stratégies des entre-prises Une autonomisation relative de leuraction par rapport aux pouvoirs publics acommencé d’intervenir. S’ajoutant aux obli-gations réglementaires, des considérationsinternes (nécessités matérielles, enjeux com-merciaux, internationalisation, questionsd’image…) les ont amenées à globaliser leurapproche des problèmes environnementaux età les intégrer en terme de structures dans leurorganisation.

Ce mouvement d’intégration n’est pasencore achevé quand se profilent à la fin desannées 1980 les nouvelles exigences dont setrouve porteur le concept de développementdurable. Les entreprises sont-elles prépa-rées à les intégrer à leur tour ? L’ap-

prentissage de la prise en charge de l’envi-ronnement n’a pu que les aider à appréhen-der les aspects correspondants de ce nou-veau challenge. Mais la dissociation desproblématiques sociales et environnemen-tales, la relative évacuation par rapport à cesdernières de la référence à la qualité de lavie, pourtant importante au moment de leurémergence, risquent cependant de les avoirprivées d’outils utiles pour se saisir desautres objectifs du développement durable.

Prolonger l’étude présentée ici apparaîtdonc indispensable.

On pourrait envisager d’approfondirl’étude : 1) de branches déterminées, uneplace étant à faire aux entreprises interve-nant sur les marchés de la lutte antipollu-tion ; 2) d’entreprises précises, afin d’ysuivre le mode d’intégration des conceptsd’environnement et/ou de développementdurable à leur gestion ; 3) du rôle de struc-tures ou institutions couramment en rapportavec les entreprises sur les questions d’en-vironnement (administration préfectorale,centres techniques de branches, Comitéconsultatif des établissements classés…) ;4) du poids des médias dans ces évolutions(médias audiovisuels, grande presse de pro-vince) ; 5) de cas de mobilisation de l’opi-nion, afin de mieux saisir comment s’estaffirmé un tiers-intervenant dans un débatinitialement restreint aux représentants desentreprises et des pouvoirs publics).

L’élargissement s’impose du champchronologique, en amont comme en aval(l’entre-deux-guerres et le temps qui s’estécoulé depuis 1990, en s’interrogeantnotamment sur les effets de la prise encompte du concept de développementdurable). Il pourrait s’appliquer aussi auchamp spatial (en reprenant dans une pers-pective comparatiste tel ou tel aspect duquestionnement à propos d’autres paysindustrialisés), ainsi qu’à d’autres secteurs(banques, assurances, transports, commer-ce, tourisme, sans oublier l’agriculture)pour les liens qu’ils entretiennent avec l’in-dustrie.

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LA GESTION DE L’ENVIRONNEMENT DANS LES ENTREPRISES INDUSTRIELLES EN FRANCE

DÉCEMBRE 2006 – N° 45 73

Principal organisme français de formation continue dans le domaine de l’environne-ment industriel, le CFDE a été créé en 1969 à l’initiative des pouvoirs publics, maisimmédiatement rattaché aux institutions consulaires. Dès 1970 il organise desstages hebdomadaires à la double destination des ingénieurs d’entreprises et desingénieurs des services d’inspection des établissements classés. L’anniversaire desa fondation est célébré pour la première fois en 1990 (Première page du numérode novembre-décembre 1990 de son bulletin mensuel, publié depuis 1974).

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