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UNIVERSITÉ DE LYON UNIVERSITÉ LYON 2 Institut d'Études Politiques de Lyon LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DE CONTESTATION POLITIQUE AULOMBARD Noémie Diplôme de quatrième année de l’IEP de Lyon Mots et symboles du politique Sous la direction de M. Denis Barbet (3 septembre 2012) Jury : M. Michel Senellart, M. Denis Barbet.

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UNIVERSITÉ DE LYON UNIVERSITÉ LYON 2Institut d'Études Politiques de Lyon

LA CONSTRUCTION DE DISCOURSAUTOUR DE L’USAGE DU CORPSDANS DES ACTES DE CONTESTATIONPOLITIQUE

AULOMBARD NoémieDiplôme de quatrième année de l’IEP de Lyon

Mots et symboles du politiqueSous la direction de M. Denis Barbet

(3 septembre 2012)

Jury : M. Michel Senellart, M. Denis Barbet.

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Première partie : De la puissance persuasive des discours sur le corps, comme instrumentde la contestation politique et de ses conditions de possibilités . . 11

Actualité et devenir du pouvoir du corps : médiatisation, spectacularisation et théâtrocratie. . 12

Contestation politique et médias . . 12Les journalistes, comme premiers spectateurs . . 14Le corps contre la théâtrocratie ? . . 15

Un long héritage culturel . . 16Le rapprochement entre corps, politique et pouvoir : une tradition dans l’histoire dela pensée politique . . 16La présence du sacré et du religieux . . 21

La relation entre le corps et la société . . 24Le corps, entre sacrifice et don de soi . . 25Le façonnement et la disciplinarisation du corps par la société et l’État . . 28

Seconde partie : quatre cas d'usage contestataires du corps : discours, images etentrechocs des représentations. . . 36

La mise en présence du corps dans l’espace public . . 37Les manifestations anti-C.P.E. . . 37Les kiss-in . . 42

Des interventions plus ou moins violentes sur son propre corps . . 47Les violences contre soi : l’exemple de la grève de la faim . . 47

Une transformation de son corps : la stérilisation choisie à visée contraceptive 165

. . 53Conclusion . . 58Bibliographie . . 60

Ouvrages . . 60Ouvrages numériques . . 61Sites Web . . 62Documents . . 62Articles . . 63

Annexes . . 64Annexe n°1 :Ce que dit le mouvement anti-C.P.E sur la France . . 64Annexe n°2 :Paroles de militants anti-C.P.E. . . 65Annexe n°3 : soutien au mouvement anti-C.P.E. : les sondages . . 66Annexe n°4 : Les antiblocages . . 67Annexe n°5 :Comportements illégaux dans le mouvement anti-C.P.E. . . 68Annexe n°6 :Les violences et les dégradations, vues par les militants . . 69Annexe n°7 : Le rapport aux médias . . 70Annexe n°8 : Autour des premiers kiss-in français . . 71

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Annexe n°9 :Sondages sur l’acceptation des personnes homosexuelles par lesfrançais . . 72Annexe n°10 :Images de deux kiss-in, à Lyon . . 74

Annexe n°11 :Quelques commentaires 170 d’internautes à propos des kiss-in . . 75

Annexe n°12 : Paroles autour du kiss-in du 18 mai 2010 . . 77Annexe n°13 : Conférence de presse . . 77Annexe n°14 : Article de presse . . 78Annexe n°15 : Article de presse . . 78Annexe n°16 : Article de presse . . 78Annexe n°17 : Diverses réactions à propos de la grève de la faim de J. Lassalle . . 79Annexe n°18 : Article de presse . . 79Annexe n°19 : Article de presse . . 79Annexe n°20 : Un témoignage sur la stérilisation choisie . . 79Annexe n°21 : Récit d’une action militante autour du thème de la stérilisationchoisie . . 81Annexe n°22 : Entretien avec une femme désireuse de subir une intervention destérilisation . . 81Annexe n°23 : Témoignage d’Héloïse, orthophoniste . . 83Annexe n°24 : Entretien avec Marylin, agrégée de philosophie . . 84Annexe n°25 : Entretien avec une étudiante en cinquième année de philosophie . . 86Annexe n°26 : Entretien avec Patrick, biologiste . . 87Annexe n°27 : Entretien avec Anne, médecin du travail . . 88Annexe n°28 : Entretien avec un homme, ayant une expérience de stérilisation . . 90Annexe n°29 : Entretien avec Jacqueline, institutrice à la retraite . . 92Annexe n°30 : Entretien avec Philippe, enseignant . . 94Annexe n°31 : Entretien avec Alexandra, en réflexion féministe . . 95Annexe n°32 : L’infécondité volontaire . . 96

Résumé . . 98Mots-clés . . 99

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Remerciements

AULOMBARD Noémie 5

RemerciementsAvant tout, je tenais à remercier chaleureusement toutes les personnes qui m’ont apporté leur aide,me guidant dans l’élaboration de ce travail et dans ma réflexion personnelle et m’apportant toutleur soutien.

Je tiens, tout d’abord, à remercier sincèrement M. Denis Barbet, professeur à l’Institut d’EtudesPolitiques de Lyon, dans le cadre du séminaire « Mots et Symboles du politique », d’avoir encadrémes recherches durant toute cette année et pour sa disponibilité, son écoute et ses précieux conseils.

Je remercie aussi ma famille et mes ami(e)s de leur soutien et de leur patience pour avoirsupporté ma monomanie et mes états d’âme estivaux à propos de mon mémoire, notamment Jan,Natacha et Constance, sans oublier mon frère et mes parents. Une pensée particulière à Natachapour m’avoir fait découvrir les travaux et la pensée d’E. Dorlin. Un grand merci aux « copines »lyonnaises (et alentours) qui, par leur solidarité et leur sororité féministes, ont aidé à faire avancer etmûrir ma réflexion. Merci, également, à tous ceux qui ont pris le temps de répondre à mes questions.

Une dernière pensée pour un de mes anciens professeurs, M. Sébastien Cote, qui, par un deses cours, m’a donné l’idée et l’envie de travailler sur le corps dans sa relation avec la contestationpolitique.

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

6 AULOMBARD Noémie

Introduction

Dans le système de représentation du monde occidental, le corps est perçu comme unélément passif, déprécié, car associé à la matière, et donc au monde temporel, au mondeterrestre qui s’oppose au monde spirituel, au royaume des cieux, au royaume de Dieu. Ladichotomie entre le monde spirituel et le monde terrestre se fait donc toujours à l’avantage dupremier, considéré comme le lieu où règne exclusivement le Bien. Le corps est donc rejeté

dans le domaine du Mal 1 . Mais tout au long de l’histoire de la pensée, on a assisté à un long

processus de réhabilitation du corps. Par exemple, certains philosophes tentent de penser lerapport entre le corps et l’âme en termes de complémentarité, et non en termes d’opposition

ou de hiérarchie. Ainsi, Spinoza 2 critique le dualisme cartésien ; pour lui, l’Homme n’estpas composé d’une âme et d’un corps, mais l’Homme est un élément unifié, l’âme – oul’esprit – n’étant que la conscience du corps. Spinoza est profondément moderne, en ceci

qu’il affirme l’identité de l’individu humain en tant que corps. À la suite de Nietzsche 3 et de

la psychanalyse 4 , le corps est considéré comme un reflet de la psyché. Ainsi, on constateune fusion du corps et du psychisme, le corps devenant partie intégrante de l’individualité dechaque homme. Le corps fait être l’individu humain. La mise en place de la correspondanceentre l’individu et son corps change la perception que l’on a du corps : le corps est ainsivécu comme un être-là, en ceci qu’il participe à la présence de chacun : sans notre corps,nous ne serions pas dans le monde.

Par ailleurs, à partir de la fin du XIXème siècle et tout au long du XXème siècle,on assiste, partout dans le monde, au développement de la démocratie, ou du moins àla propagation progressive des velléités démocratiques. Or, qu’est-ce que la démocratie,si ce n’est la valorisation, voire l’exaltation au plus haut niveau, de la présence – dumoins symbolique –, sur la scène politique du peuple, c’est-à-dire de tous les individus

1 Cette idée est présente dans l’Ancien Testament, comme dans le Nouveau : « Ainsi parle l’Eternel : Maudit l'homme qui se confieen l'homme, et qui fait de la chair son bras, et dont le cœur se retire de l'Eternel ! » (Bible, Ancien Testament, Les Prophètes, Livrede Jérémie, chapitre 17, verset 5, trad. Louis Segond) ; « Car la chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit, et l’Esprit en a decontraires à ceux de la chair ; ils sont opposés entre eux, afin que vous ne fassiez point ce que vous voudriez ». (Bible, NouveauTestament, Les Epîtres de Paul, Epître aux Galates, 5, 17, trad. Louis Segond)2 « Là [proposition 7 de la partie II], en effet, nous avons montré que l’idée du Corps est le Corps, c’est-à-dire (Prop. 13) l’Âme etle Corps, sont un seul et même individu qui est conçu tantôt sous l’attribut de la Pensée, tantôt sous celui de l’Etendue ». (Spinoza,Baruch, Ethique, partie II, prop. 21, scolie, trad. Ch. Appuhn, éd. GF Flammarion, p.99)3 « Seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose » (Nietzsche, Friedrich, Crépuscule des idoles, « Maximes ettraits », trad. J.-C. Hémery, 1974, éd. Gallimard, p.16). A travers cette citation, Nietzsche érige le corps – par la marche, et donc lemouvement du corps – comme lieu même de la pensée. De plus, toujours par la même démarche, il pense la corporéité comme seuleréalité (« Je ne pourrais croire qu’à un dieu qui saurait danser », Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, partie I, chap. « Lire et écrire »,trad. Henri Albert, éd. Société du Mercure de France, 1898, p.50).4 Voir Psychopathologie de la vie quotidienne de Freud, et plus précisément le chapitre 9 « Actes symptomatiques et accidentels ».

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Introduction

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qui composent la société 5 ? La mise en avant du corps, son usage, voire soninstrumentalisation, dans la contestation politique semble donc prendre logiquement placedans le système de symboles qui tourne autour de la démocratie. En effet, l’idéaldémocratique ne va pas sans le versant de la contestation politique, où des citoyenss’opposent, de manière plus ou moins violente, à une décision du pouvoir étatique, ou aupouvoir étatique lui-même. Ces citoyens affirment donc, si ce n’est leur présence, du moinsleur volonté de présence, dans la sphère décisionnelle. Or, nous avons dit que le corpsaffirmait, en quelque sorte, la présence de l’individu dans le monde. Utiliser son propre corpsen vue de contester ou de porter une revendication politique permettrait donc aux citoyensd’affirmer leur présence au sein de l’espace politique, présence légitimée par l’instaurationde l’ordre démocratique – ou du moins par l’espoir de cette instauration.

Nous allons donc étudier les façons dont le corps devient l’instrument même dela contestation politique. Nous allons nous intéresser plus précisément aux cas demanifestations et d’interventions – violentes ou non – sur son propre corps. Notre proposconcernera les sociétés occidentales et démocratiques, et plus particulièrement la France.Ces actes n’ont pas la même signification, selon qu’ils sont commis dans un paysdémocratique ou non ; leur sens diffère même d’une société démocratique à l’autre, suivantles spécificités nationales de chaque pays.

Dans le cadre des régimes démocratiques, il faut voir, dans les démarchesde manifestations, de transformations de son propre corps, de grèves de la faimou d’automutilations, qui sont des violences paroxystiques contre soi, une sorte degradation dans l’implication plus ou moins grande du corps – et de tout ce qu’il implique –dans le geste de contestation politique. En effet, la manifestation, ainsi que les autres formesde rassemblement qui en découlent comme les sit-in, les kiss-in, ou les flashmob, consistentseulement en la mise en avant du corps dans l’espace public, dans l’espace consacréà la contestation politique ; au centre de la symbolique du geste manifestant, se trouvel’affirmation, voire la revendication, de la présence des individus dans la sphère politique et

décisionnelle 6 . Au contraire de la grève de la faim (ou de toute transformation moins violentede son propre corps), la manifestation n’engage pas – ou engage moins – la question mêmede la vie, de la survie, de la santé. En effet, la grève de la faim et l’automutilation constituentun danger direct pour le corps ; cet usage du corps est directement lié à l’idée de mort,ou du moins à l’idée de mettre en jeu sa propre vie dans le message contestataire. Cetteidée est moins prégnante dans l’acte manifestant : manifester comporte beaucoup moins derisques pour sa vie. Il semblerait même qu’il y ait un lien consubstantiel et d’interdépendanceentre la manifestation et les principes démocratiques, en ceci que la manifestation ne vapas sans l’idée démocratique, mais la démocratie a aussi besoin de la manifestation pour

5 Cf. : l’association entre la démocratie et le principe de souveraineté du peuple, présente dans toute l’histoire de la philosophiepolitique. Elle était déjà présente chez Platon, mais perçue de manière dépréciée : « La troisième classe, c’est le menu peuple, tousceux qui travaillant de leurs bras sont étrangers aux affaires et ne possèdent presque rien. Dans la démocratie, cette classe est laplus nombreuse, et la plus puissante, lorsqu’elle se rassemble. » (Platon, La République, Livre VIII, §172, trad. V. Cousin). À partir

du XVIIème siècle, la notion de démocratie revêt une apparence davantage méliorative : « On voit, par cette formule, que l’acted’association renferme un engagement réciproque du public avec les particuliers, et que chaque individu, contractant pour ainsi direavec lui-même, se trouve engagé sous un double rapport : savoir, comme membre du souverain envers les particuliers, et commemembre de l’État envers le souverain » (Rousseau, Jean-Jacques, Du Contrat Social, Livre I, Chapitre 7).

6 « Forme d’expression politique, elle [la manifestation] renvoie à un univers de pratiques multiples mais pas infinies,codifiées et routinisées, mais susceptibles de transformations, historiquement constituées et culturellement délimitées mais toujoursen évolution » (Fillieule, Olivier et Tartakowsky, Danielle, La manifestation, Presses de Sciences Po, 2008, p.11)

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

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exister et continuer à exister. Donc, dans les sociétés démocratiques contemporaines, lamanifestation implique moins le corps, dans sa dimension vitale, que la grève de la faim7 ou l’automutilation. L’idée d’intervention sur son propre corps, telle que la stérilisation àvisée contraceptive, constituerait un entre-deux, car elle induit moins l’idée de danger pourle corps, tout en le mettant en avant.

La seconde différence, que l’on peut mettre en exergue entre la manifestation et lesinterventions plus ou moins violentes sur le corps, est le rapport qu’ont ces deux usagesdu corps dans la contestation avec l’idée d’action collective. En effet, la manifestation estperçue comme un acte collectif, avant tout : plus un rassemblement réunit du monde,plus il peut prétendre peser sur la scène médiatique et publique, et donc sur les choix dugouvernement. Nous pouvons dire que les corps des individus fusionnent les uns avec lesautres, pour ne plus former qu’une masse qui est seule prise en compte ; l’individu n’est

considéré qu’à travers le collectif 8 . La relation de la grève de la faim, ou de quelque autre

intervention sur le corps, au collectif est plus complexe, puisqu’il s’agit du corps d’un individu.Certes, il y a des grèves de la faim collectives, de sans-papiers notamment, mais même

dans ce cas-là, l’idée de collectivité est beaucoup moins forte 9 . Il en va de même pourles autres transformations du corps. Toutefois, si le lien entre ces interventions sur le corpset l’idée de collectif est moins évident, il existe tout de même. En effet, dans le cas d’unegrève de la faim, le rôle du comité de soutien au gréviste de la faim est primordial dansla logique contestataire dans laquelle s’inscrit ce geste. Ainsi, le comité de soutien va bien

souvent relayer le message du gréviste dans les médias et devant le grand public 10 . Legréviste et son comité de soutien vont ensemble construire un discours cohérent autour del’usage contestataire de son corps et vont donner un sens souvent plus général à un actequi n’implique, au départ, que l’individu.

Cependant, nous pouvons faire le même constat à propos de la manifestation : lesmanifestants ont besoin de construire un discours autour de leur acte, lui donnant ainsi

sens, cohérence et pertinence 11 .Néanmoins, plusieurs discours peuvent être tenus à propos d’un seul et même acte

contestataire. Ces discours peuvent être élaborés par différents acteurs. En effet, celui qui

7 « Par grève de la faim, on entend une privation de nourriture à caractère public, associée à une revendication, face à unadversaire ou une autorité susceptible de satisfaire la revendication proclamée, et impliquant le plus souvent la mise en danger dugréviste, sous des formes et des modes d’action très différents. » (Siméant, Johanna, La grève de la faim, Presses de Sciences Po,2009, p.8)

8 La manifestation de rue consiste en toute "occupation momentanée par plusieurs personnes d’un lieu ouvert public ou privéet qui comporte indirectement l’expression d’opinions politiques" (Fillieule, Olivier, Stratégies de la rue, Presses de Sciences Po, 1997,p.44) et « exprime des exigences tout en affirmant l’identité du groupe » (O. Fillieule et D. Tartakowsky, op. cit., p.12)

9 « Le statut ambivalent de cette pratique [la grève de la faim], à la frontière de l’individuel et du collectif (…) peut expliquercette place particulière » (J. Siméant, op. cit., p.7)

10 « Les grèves de la faim ne peuvent être pensées en dehors de leurs relations aux médias, parce qu’elles reposent sur l’appelà l’opinion et la mobilisation de tiers, mais aussi sur la recherche de soutien et de publics » (ibid., p.63)

11 Nombre d’auteurs ont travaillé sur la relation entre mouvements sociaux et médias. Parmi eux, G. Wolfsfeld qui nousrenseigne sur « le principe de résonance », c’est-à-dire que « les contestataires capables de mener des activités qui entrent enrésonance avec la culture professionnelle et politique des grands médias peuvent entrer en compétition avec leurs adversaires, bienque ceux-ci soient plus puissants. ». (Media and Political Conflict, cité dans O. Fillieule et D. Tartakowsky, op. cit., p.145)

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Introduction

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porte le message contestataire n’a pas le monopole de cette construction ; l’adversaire,c’est-à-dire l’acteur qui est visé par le geste (une institution étatique, une multinationale,etc.), les médias et le grand public peuvent aussi construire du sens autour de ces actes.Ces quatre acteurs élaborent des discours autour de cet usage du corps qui divergent lesuns des autres. Ces divergences de discours témoignent de leur perception différente del’acte contestataire, perception qui découle du système de représentations et de valeursdans lequel sont plongés les différents acteurs. Nous allons centrer ici notre réflexion surles discours politiques, c’est-à-dire sur les systèmes de sens qui font percevoir l’usagecontestataire du corps, comme un acte destiné à défendre une cause publique et légitimépar l’apparent combat pour l’intérêt général auquel se livrent ceux qui contestent par leurcorps.

Dans ce mémoire, nous allons aborder la construction de discours autour de l’usagedu corps dans des actes de contestation politique. Plus précisément, nous allons nousdemander en quoi la construction d’un discours sur l’usage du corps dans la contestationpolitique met en lumière le rapport entre le corps, le politique et le social, dans nos sociétéscontemporaines ? Nous allons soutenir la thèse selon laquelle la puissance, c’est-à-direl’efficacité de persuasion et de réceptivité, des discours autour des actes contestatairesqui mettent en exergue le corps, naît d’un dispositif alliant divers éléments. En effet, lapuissance de ces discours et de ces actes dépendrait, en premier lieu, des structures de lasociété actuelle, dans sa dimension médiatique et spectaculaire. Cette dépendance obligeles contestataires à soigner la présentation de leurs actes, à jouer sur les représentationssociales qui sont à l’œuvre dans les usages du corps qu’ils pratiquent. Ces représentationsseraient issues d’une longue construction culturelle, tiendraient d’un héritage culturel,intellectuel et conceptuel, qui se serait construit depuis l’Antiquité et mettrait en contactpermanent des représentations du corps avec des réflexions sur le politique, le pouvoiret le religieux. Enfin, l’efficacité de ces représentations – et de ces discours – découleraitd’élaborations anthropologiques et historiques qui mettraient en relation le corps et le social,le corps et l’État. Ainsi, ce dispositif assemble deux modalités temporelles : le présent etle passé, qui sont ici intrinsèquement entremêlés et que nous ne devons pas cloisonner sil’on veut rendre compte de la puissance symbolique du corps, comme instrument même dela contestation politique.

Par ce sujet et le traitement que nous nous proposons de lui appliquer, nous seronsamenés à voir le corps sous deux angles différents : le corps, au sens de soma (corps)c’est-à-dire le corps physique et extérieur, et le corps, au sens de sarks (chair) c’est-à-direle corps vécu.

Nous l’avons dit : nous traiterons exclusivement de cas survenus en France, afin d’évitertoute généralisation abusive qui nous ferait plaquer une grille de lecture propre à desréalités présentes dans la société et la culture françaises, mais qui ne saurait conveniraux circonstances sociales et culturelles spécifiques à d’autres pays. En effet, la sociétéet la culture françaises comportent des caractéristiques qui leur sont propres : la Franceappartient au groupe des pays d’Europe latine, ce qui implique des vues philosophiques,religieuses et culturelles particulières, qui ont forgé un certain paradigme du corps, de larelation au corps, du politique et de la relation au politique. Ainsi, la culture de ce payss’enracine dans un syncrétisme où se mêlent philosophie occidentale et tradition judéo-chrétienne, ce qui peut éclairer, en partie, les structures mentales des individus résidanten France. Bien sûr, d’autres spécificités, qui ne sont pas issues du patrimoine culturel,viendront s’ajouter pour mieux comprendre la construction de discours autour des usagesdu corps dans la contestation politique.

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

10 AULOMBARD Noémie

Nous allons élaborer notre réflexion en deux moments : tout d’abord, nous allonsmontrer comment s’élabore la puissance symbolique de ces discours et comments’articulent les trois composantes,sociologique,culturelle et anthropologique, du dispositifsur lequel se fonde cette puissance. Ensuite, nous étudierons trois situations d’usage ducorps dans la contestation politique –lecas de manifestations et de kiss - in, le cas d’ungréviste de la faim et celui de la stérilisation à visée contraceptive– et mettrons en exerguelesressortssociologiques, culturels et/ou anthropologiquesqui transparaissent dans ces cas.

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Première partie : De la puissance persuasive des discours sur le corps, comme instrument de lacontestation politique et de ses conditions de possibilités

AULOMBARD Noémie 11

Première partie : De la puissancepersuasive des discours sur le corps,comme instrument de la contestationpolitique et de ses conditions depossibilités

Comme nous l’avons annoncé dans l’introduction, nous occuperons le premier temps dece mémoire à analyser les trois éléments du dispositif dans lequel s’enracine la puissance– i.e. l’efficacité persuasive des discours construits autour des actes de contestationpolitique qui mettent en jeu le corps et le rapport au corps. Ces actes n’ont de réelimpact, voire designification, que dans la relation construite entre l’acteur (les acteurs) dugeste contestataire et un public (des publics), relation presque toujours instrumentalisée parles deux protagonistes en question et médiatisée. Or, toute relation – surtout si elle doit êtrecouverte par les médias et si elle a un objectif à atteindre – nécessite la mise en place – lamise en scène – d’un lien de communication entre les diverses parties et, donc, l’élaborationde discours cohérents, susceptibles d’avoir un impact sur la perception de ces actes par lespublics visés et ainsi, d’avoir une certaine efficacité sur la scène publique. En effet, l’idée dediscours est intrinsèquement liée à l’idée de perception : la perception que l’on a d’une chosese construit à partir du discours que l’on tient sur cette chose, et inversement. Cependant,

la perception du monde que chacun acquiert se fonde sur l’élaboration d’un paradigme 12 :ce cadre mental, cette clé d’interprétation du réel constitue un système de représentationsdu monde et de valeurs qui orientent et déterminent les manières dont chacun perçoit etinterprète le donné sensible et empirique. Un paradigme peut être propre à chaque individu,mais aussi à chaque société : c’est une représentation commune du monde, à laquelle un

individu adhère. Selon Foucault 13 , les représentations du monde conditionnent le discours

que nous portons sur celui-ci ; ces conditions du discours varient d’une société à l’autre,mais aussi, dans une même société, d’une époque historique à une autre. Ces paradigmes– ou ces épistèmês – ne sont donc pas immuables ; ils peuvent évoluer au fil du tempset des ruptures intellectuelles. Cela implique l’idée que les paradigmes, ces conditions dediscours, se construisent par rapport à l’environnement historique et social.Ce sont cesparadigmes qui font que certains discours sont plus ou moins bien reçus, qu’ils ont une plusou moins grande force de persuasion et une plus ou moins grande portée sur un publicdonné. Nous pouvons alors nous poser la question des fondements et des conditions depossibilités de cette puissance persuasive. Quels sont-ils ? Nous allons centrer la questionsur les termes du sujet qui nous intéresse, le corps et les rapports entre corps et politique,

12 Voir, sur ce point, M. Foucault, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines et la notion d’épistèmê qu’ily développe. Voir aussi T. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, et son concept de paradigme. Même si ces deux idéesconcernent davantage dans le domaine épistémologique et scientifique, elles sont facilement transposables au sujet qui nous occupe.13 op. cit.

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

12 AULOMBARD Noémie

pouvoir et religion, car s’interroger sur la genèse des représentations de ces rapports, c’estaussi – et surtout – se demander quelles sont les conditions de possibilités des discours surle corps, pensé comme instrument de la contestation politique.

***

Actualité et devenir du pouvoir du corps :médiatisation, spectacularisation et théâtrocratie

Voyons tout d’abord les conditions de possibilités sociologiques de la puissance persuasivedes discours sur le corps, comme instrument de la contestation politique. Ainsi, les discours

sur ces usages du corps ont besoin d’adopter une structure ternaire 14 : l’émetteur s’adresseà la fois à celui à qui il s’oppose, mais aussi à l’opinion publique, voire internationale, àtravers le monde médiatique. En effet, afin d’être entendus et compris, afin de trouver unecertaine résonance parmi les publics, ces discours doivent s’ancrer dans les structures de lasociété actuelle et utiliser ses logiques, telles que la spectacularisation de l’espace public, lamédiatisation de plus en plus grande de la scène politique et d’autres réalités sociologiquesque nous aborderons dans quelques instants. Commençons tout d’abord par nous interrogersur ce qui, dans notre époque actuelle, permet, en partie, la construction, la diffusion et lacompréhension de ces discours.

Nous remarquons que, tout au long de ce début de rédaction, nous avons utilisé –et ce, presque malgré nous – un vocabulaire en fort lien avec le théâtre : « acteurs »,,« scène », « publics », « mise en scène », etc. À l’aune de cette constatation, nous pouvonsmettre en exergue la relation entre le monde (de la contestation) politique et celui du théâtre.En effet, à l’instar de l’acteur qui s’adresse non seulement à un (aux) autre(s) acteur(s)qui est (sont) sur scène, mais aussi à un public, celui qui met en avant son corps dansla contestation politique s’adresse autant à celui à qui il s’oppose et résiste, qu’à l’opinionpublique. Cependant, si l’acteur s’adresse directement à son public, c’est presque toujourspar le biais des médias que l’individu qui conteste peut toucher l’opinion publique. De plus,au théâtre, le public ne peut pas intervenir sur l’intrigue qui se déroule sur scène, alors queles spectateurs d’usages contestataires du corps peuvent interagir avec les acteurs que cetacte politique met en présence : ils sont invités (incités) à prendre part à ce combat physiqueet symbolique. Ainsi, bien que le parallèle entre la contestation politique et le monde duthéâtre ait des limites, il donne tout de même lieu à des analyses fécondes.

Contestation politique et médiasTout acte de contestation politique puise son efficacité dans son rapport aux médias. Lacontestation politique a besoin des médias pour se développer, avoir un impact sur l’opinionpublique et atteindre son but. C’est ainsi que le rôle des journalistes et des médias, que cesoit la presse écrite, radiophonique, télévisuelle et/ou Internet, s’avère primordial dans ladiffusion d’informations et dans la sensibilisation des publics à une cause.

14 « La grève de la faim a par nature une structure ternaire. Elle ne mobilise pas seulement la victime contre son persécuteur : ellefait le pari d’un public, voire elle l’engendre, ce public n’étant jamais a priori connu. » (J. Siméant, op. cit., p.44)

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Première partie : De la puissance persuasive des discours sur le corps, comme instrument de lacontestation politique et de ses conditions de possibilités

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Mais encore faut-il que les journalistes s’intéressent à ces actes. En effet, le monde

médiatique s’inscrit dans la logique du « neuf » et du « spectaculaire » 15 . Ainsi,les manifestations peinent à attirer l’attention des grands médias, du fait de leursrelatives institutionnalisation et routinisation dans l’espace public français. Pour prétendreà l’attention médiatique, l’action manifestante doit « être pensée, mise en œuvre et "jouée"

pour les publics et donc les médias » 16 . Elle doit donc s’inscrire dans la logique duspectacle, voire du spectaculaire. Le nombre de manifestants dans un défilé de rue peutparticiper du caractère spectaculaire et devenir un enjeu pour les organisateurs : « le chiffredu million de participants est devenu un objectif explicite, un gage de réussite et, parfois

même, la condition d’une réponse favorable des pouvoirs publics aux revendications » 17 .La recherche du caractère non routinier, neuf et spectaculaire, dans l’action manifestante,peut expliquer l’apparition de phénomènes, comme les kiss-in, les die-in et les flashmobs,phénomènes tous trois très liés à l’idée de mise en scène. C’est la fameuse thèse de la

« manifestation de papier » de P. Champagne 18 , selon laquelle les manifestations peuventêtre construites comme des événements politiques, produits pour les médias. L’auteurmontre comment, dans les manifestations d’agriculteurs, les syndicats agricoles cherchentà construire, devant les médias, une image positive d’un groupe paysan bien organisé etuni autour de ses syndicats.

Les violences contre son propre corps, telles que la grève de la faim ou lesautomutilations, attirent davantage l’attention des médias, en ceci qu’elles sont moinsinstitutionnalisées et routinisées que les actions manifestantes. De plus, elles s’inscriventd’emblée dans la logique du spectaculaire, car elles s’accompagnent souvent du registre

compassionnel et d’une stratégie de scandalisation dont les médias raffolent 19 . Ainsi,

le gréviste de la faim se mettra lui-même en scène, ainsi que ses souffrances et sonoppresseur, devant les yeux de l’opinion publique, par le biais des journalistes. On peut

parler de stratégies médiatiques 20 . Dans la monstration des souffrances physiques etdes séquelles engendrées par la privation de nourriture, le gréviste, d’une part, émeut

les publics 21 et, d’autre part, « témoigne de l’authenticité de son engagement » 22 afinde contrer tout soupçon d’alimentation clandestine qui pourrait être utilisé par l’adversairepour discréditer le gréviste dans son combat. L’appel au monde médical (obtention decertificats médicaux, hospitalisations, etc) répond, non seulement à cette nécessité, mais

15 O. Fillieule et D. Tartakowsky, op. cit. Voir p.135-136.16 Ibid., p.9317 ibid., p.13618 Voir : Champagne, Patrick, Faire l’opinion, cité dans O. Fillieule et D. Tartakowsky,op. cit., p.14619 J. Siméant, op. cit. Voir p.6320 ibid., p.64. Voir l’encadré 4. : « On a réussi à faire venir FR3, on avait bien travaillé le cameraman. Il me filmait en plongée,

j’avais l’air bien malheureux, le patron lui était filmé en contre-plongée.. […] »21 « Ce public, susceptible d’être ému par la souffrance des grévistes et indignés par l’indifférence ou la violence des autorités,

est essentiel. Il peut très bien se situer à [l’]extérieur de l’arène où se joue la protestation […] Une part de l’efficacité de la grève de lafaim repose sur la sensibilisation de ce public tiers qui, sans être forcément sensible à la cause défendue, sera ému par la souffrancedes grévistes et le risque de leur mort » (ibid., p.45)

22 ibid., p.47

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14 AULOMBARD Noémie

aussi à la logique de la nouveauté qui caractérise le monde médiatique 23 . Cependant,les médias contribuent à la « montée en généralité » des discours autour de ces violencescontre soi à vue contestataire, souvent nées d’une démarche individuelle. En effet, lesjournalistes « pourront en proposer une lecture, symptôme d’un problème ou d’une "question

de société", reliés à d’autres événements, ou à une problématique plus générale […] » 24

On voit donc que les auteurs d’actes de contestation politique doivent prendre encompte et s’adapter à la logique du monde médiatique, pour pouvoir prétendre occuperl’espace des médias et attirer l’attention de l’opinion publique sur la cause qu’ils défendent :ils doivent donc « jouer » devant les médias et le grand public.

Les journalistes, comme premiers spectateursDans le spectacle du corps comme instrument de la contestation politique, entre les publicset les acteurs, se trouvent toujours les journalistes, qui ont leurs propres paradigmes etdiscours à propos du corps, des acteurs en présence, du monde politique, des prioritéspolitiques et sociales. On peut introduire ici la notion de l’intériorisation de l’habitu s, sichère à certains sociologues, comme Bourdieu, c’est-à-dire la façon dont les individuss’approprient les codes sociaux et les représentations du monde propres à un certainmilieu donné. Les paradigmes des journalistes dépendent donc de l’habitus dans lequelils évoluent. Ainsi, ils peuvent donner une image valorisante ou à l’inverse, dégradanted’un acte de contestation politique : les manifestations anti-C.P.E., en 2006, acquièrentune représentation méliorative dans les médias, tandis que les mouvements dans lesbanlieues, qualifiés d’ « émeutes », sont vus de façon beaucoup plus péjorative. Cettedifférence d’appréciation s’explique par la proximité sociale dans le premier cas – lesacteurs du mouvement anti-C.P.E. et les journalistes ont la même appartenance sociale –,alors que dans le second cas, la distance socio-ethnique ne permet pas au « principe de

résonance » (cf. : note 11) de s’instaurer 25 .

Selon leur habitus et leur sensibilisation à une cause, les journalistes peuventaussi juger de la légitimité ou de l’illégitimité de l’acte de contestation politique et des

revendications qu’il porte, et décider de diffuser cette information ou non 26 .Donc, le monde journalistique est pris dans divers systèmes de représentations,

qu’ildiffusedevant les yeux du grand public. Ces représentations, les protagonistes del’action contestataire doivent les prendre en compte pour avoir une chance d’influencerl’opinion publique et la sphère décisionnelle (hommes politiques, hauts fonctionnaires).

23 « […] ils [les journalistes] peuvent estimer, après avoir évoqué une première fois une grève de la faim, que rien ne justifiequ’ils en parlent à nouveau tant que rien de neuf ne s’est produit. D’où l’intérêt stratégique des bulletins de santé et des hospitalisationsde grévistes de la faim, qui fournissent du "neuf" » (ibid., p.65)

24 ibid.25 Voir le cours de P. Corcuff, Sociologie de l’action collective, année universitaire 2011-2012, suivi à Sciences-Po Lyon, et plusparticulièrement la partie 3.3. « Mouvements sociaux et médias ».

26 « Harcelés par des militants, certains journalistes choisissent parfois de ne plus parler des jeûnes, façon de répondre àce qu’ils considèrent comme des "fausses" grèves de la faim. Les journalistes hostiles à telle ou telle cause dénoncent souvent le"chantage" attaché aux grèves de la faim, ou déplorent le fait qu’il "suffise" de faire une grève de la faim pour obtenir gain de cause » (J.Siméant, op. cit., p.65-66)

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Cependant, il faudrait penser la relation entre journalistes et militants en termesd’interdépendance, et non en termes de domination des journalistes sur les acteurs de lacontestation politique, car il y a souvent des négociations entre journalistes et militants: les

journalistes ont aussi besoin des mouvements sociaux 27 , pour faire vivre l’information etapporter des perspectives nouvelles à leurs propos.

Le corps contre la théâtrocratie ?Shakespeare s’écrie : « All the world’s a stage / and all the men and women merely

players » 28 et nous pousse à considérer les modalités dramatiques de la réalité sociale.Beaucoup plus proche de nous, G. Balandier dit, à propos de notre époque moderne : « C’estl’avènement du pouvoir comme spectacle et simulation […]. L’âge des media impose le

pouvoir permanent des images, et donc la contrainte de fonder sur elles le pouvoir » 29 , puisplus loin : « […]il [le pouvoir] recourt à cette fin [s’imposer] aux moyens du spectaculaire,aux images capables de renforcer l’adhésion et de mettre en mouvement les sujets. Lacontrainte théâtrocratique s’impose à toutes ses formes, dans tous les régimes et de tous

temps » 30 . Pour Balandier le pouvoir se définit en théâtrocratie, c’est-à-dire qu’il se met lui-même en scène, à travers les instances et les hommes qui le composent.

Nous pouvons alors nous demander quelle est la relation entre le pouvoirthéâtrocratique et les contestataires qui mettent en scène leur propre corps. Deuxhypothèses nous viennent, mais nous ne ferons que les évoquer ici. De prime abord, nouspouvons penser que puisqu’ils s’opposent au pouvoir, les contestataires refusent aussi sonaspect théâtrocratique et la façon dont le pouvoir les met en scène, eux et leurs corps, dansl’espace public. Manifester ou faire violence à son propre corps serait affirmer la réalité denotre propre corps et de notre propre identité sociale, ou du moins nous (ré)approprier notrecorps que le pouvoir a pris et a mis en scène, souvent à notre insu et contre notre gré. Ainsi,J. Siméant affirme que « la grève de la faim révèle de facto l’idée de valeurs du corps, celuid’individus réduits à leur corps : corps destiné au travail et/ou à la reproduction, corps des

prisonniers dont la prison dispose, corps de personnes dépourvues de statut juridique » 31

. Puis, plus tard, parlant de violences contre soi en milieu carcéral, elle ajoute : « Grèvesde la faim et mutilations deviennent une façon de se réapproprier un corps soumis à lasurveillance et à la discipline carcérale ».Ces considérations peuvent être élargies à l’actionmanifestante : le pouvoir, dans sa dimension théâtrocratique, nous imposerait des rôles,que les manifestants ou les grévistes de la faim refuseraient d’assumer, par la monstrationde leur corps dans l’espace public ou par des violences dirigées contre eux-mêmes. Nousreviendrons plus tard, et de façon beaucoup plus précise, sur la mainmise du pouvoir surles corps.

27 Voir le cours de P. Corcuff, déjà cité.28 Shakespeare, William, As you like it, Acte II, scène 7 (“Le monde entier est un théâtre / et tous les hommes et femmes seulementdes acteurs »)29 Balandier, Georges, Le détour,éd. Fayard, 1997, p.1130 ibid., p.12-13

31 J. Siméant, op. cit ., p.51

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Cependant, les contestataires se mettent en scène dans les médias pour avoirdavantage d’impact sur les publics. Ils créent eux-mêmes leurs propres images ets’inscrivent donc dans la continuité théâtrocratique. L’autre hypothèse que nous pouvonsavancer serait que les contestataires s’opposent au pouvoir, mais ne refusent pas sadimension théâtrocratique. Au contraire, ils s’approprient la dimension théâtrale du pouvoir,pour mieux lutter contre lui. Ils utilisent les mêmes logiques et s’attribuent eux-mêmes desrôles, qu’ils ont choisis plus ou moins sciemment.

Donc, les actes contestataires ne vont pas sans une certaine idée de théâtralité,s’inscrivant ainsi dans les logiques du monde médiatique : ils jouent avec les codesthéâtrocratiques des médias.

Toutefois, il faut nuancer la dimension stratégique et rationnelle des actes decontestation politique et de leur jeu sur la construction de discours et donc, sur lesreprésentations communes qui sont à l’œuvre dans ces actes. En effet, ces représentationsse sont tellement distillées dans les consciences individuelles que nous ne les voyons plus.Or, c’est cette invisibilité qui les rend si puissantes et si importantes à mettre en exergue età étudier aujourd’hui. C’est ce que nous allons voir maintenant en divisant notre démarcheen deux temps : d’abord, les représentations issues de l’héritage culturel ; et ensuite, cellesdécoulant de processus anthropologiques et historiques.

***

Un long héritage culturelNous allons nous intéresser maintenant aux conditions de possibilités culturelles de lapuissance persuasive des discours sur le corps, comme instrument de la contestationpolitique. Ces conditions de possibilités se situent dans un long héritage culturel quia engendré des constructions symboliques et, ainsi, des élaborations paradigmatiques.De ces paradigmes, ont pu naître certains schémas de pensée, de représentations,d’associations d’idées, certains langages.

C’est ainsi que l’on peut expliquer un des éléments sur lesquels se fonde lareprésentation du corps, en tant qu’instrument de la contestation politique. En effet, ilexiste toute une tradition philosophique, remontant à la philosophie grecque et présentechez certains penseurs médiévaux, qui associe représentations du corps et représentationsdu politique et du pouvoir. Parallèlement, on remarque une superposition d’une certaineconception du corps à des conceptions politiques et religieuses. C’est ce que nous allonsvoir maintenant.

Le rapprochement entre corps, politique et pouvoir : une traditiondans l’histoire de la pensée politique

Nous l’avons dit : il y a toute une tradition philosophique, s’étendant de l’Antiquité au

XVIIIème siècle, en passant par le Moyen-Âge et la Renaissance, quiassocie le corps aupolitique et au social – en tant qu’organisation de la vie de la cité, organisation parmi lesmembres de la communauté –, donnant lieu à une métaphore et à une fusion symbolique

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du corps et du politique. Ainsi, le corps apparaît comme un lieu où réside et transparaît lepolitique, voire comme un instrument du politique.

Une métaphore récurrenteLes syntagmes « corps politique » et « corps social » ne sont pas de simples tournuresde langage ; ils mettent en lumière une certaine vision de l’organisation politique de la cité,qui est interprétée selon le fonctionnement du corps humain. Cette analogie entre le corps

et l’organisation sociopolitique « traduit la logique du vivant en logique du social » 32 . En

effet, la métaphore corporelle a tout d’abord une valeur descriptive et explicative 33 : elledonne à voir le fonctionnement interne de la Cité comme étant identique à celui du corpshumain. Ainsi, le corps, longtemps perçu comme une mécanique complexe – car identifiéuniquement à la matière – se trouve dans un rapport de subordination avec l’âme, rapportinstauré à l’avantage de cette dernière. Il en va de même pour la société qui est prise dans unrapport de soumission au pouvoir politique, c’est-à-dire à l’État. Cette métaphore corporelledoit se lire tout d’abord en termes de hiérarchie, mais aussi d’équilibre entre les diversesparties. On le voit bien chez Platon qui est le premier à user de cette analogie, dans lelivre II de la République, où Socrate dialogue sur ce qu’est le juste et les conditions dans

lesquelles la justice peut régner dans la Cité. Même si l’analogie est assez diffuse 34 , ellepermet à Socrate de développer l’idée d’un corps vu comme une totalité harmonieuse et dontl’équilibre des différentes parties assumant leurs propres fonctions – que ce soit l’âme ou lesdifférentes composantes de l’organisme – assure la bonne santé du corps et, parallèlement,le juste fonctionnement dans la Cité. Cela amène à considérer aussi la métaphore corporelle

dans sa dimension médicale : la figure du « législateur, en habile médecin de l’État » 35 vientenrichir l’analogie. Cette figure met aussi en exergue le rôle ancillaire du corps par rapportà l’âme, qui fait écho à la subordination entre l’État et la société. Dans le sillage de Platon,Aristote continue de filer la métaphore : pour lui, le corps humain et la Cité suivent les mêmes

lois de composition qui peuvent être résumées par ces trois termes : l’indissociabilité 36 ,

l’inégalité 37 et la proportionnalité 38 . Si l’un de ces termes n’est pas respecté, l’harmoniede la Cité et la santé du corps sont menacées.

32 G. Balandier, op. cit. , pp.23-2433 « Elle [la métaphore corporelle] permet à la fois de proposer une description et une interprétation de la société, et de définir enla légitimant la relation du Prince à l’ensemble de ses sujets. » (ibid., p.22)34 « Je vais te le dire. La justice ne se rencontre-t-elle pas dans un homme et dans un État ? – Oui. – Mais un État est plus grandqu’un homme ? – Sans doute. – Par conséquent la justice pourrait bien s’y trouver en caractères plus grands et plus aisés à discerner.Ainsi nous rechercherons d’abord, si tu le trouves bon, quelle est la nature de la justice dans les États : ensuite nous l’étudierons danschaque homme, et nous reconnaîtrons en petit ce que nous aurons vu en grand. » (Platon, op. cit., §67)35 ibid., Livre VIII, §17036 « On ne peut douter que l’État ne soit naturellement au-dessus de la famille et de chaque individu ; car le tout l’emportenécessairement sur la partie […] Il est donc important de veiller à l'équilibre du rôle des parties, puisque malgré leur hiérarchie, ellesfonctionnent en étroite collaboration, chacune étant nécessaire à l'existence des deux autres. » (Aristote, La Politique, Livre I, ChapitreI, §11, trad. J.-B. Saint-Hilaire)37 « Il faut donc, je le répète, reconnaître d’abord dans l’être vivant l’existence d’une autorité pareille tout ensemble et à celle d’unmaître et à celle d’un magistrat ; l’âme commande au corps comme un maître à son esclave ; et la raison, à l’instinct, comme un

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Avec l’avènement du christianisme, la métaphore corporelle se dote d’une nouvellesignification mystique ; l’expression « corps mystique » apparaît et désigne l’Église, en

tant que corps du Christ 39 . Dès lors, avec la dichotomie entre pouvoir spirituel et pouvoir

temporel, la conception du corps politique change : elle passe d’un mode hiérarchiquebinaire à un mode ternaire. En effet, affirmant ainsi la supériorité du spirituel sur le temporel,le pouvoir temporel – le Prince – commande ses sujets, mais est soumis à l’Église, comme

la tête qui dirige le reste du corps, mais n’est rien sans l’âme 40 .La métaphore corporelle se double alors d’une fonction prescriptive, se centrant

davantage sur la relation entre la tête et les autres membres, i.e. la relation entre le Princeet ses sujets. En effet, les théoriciens politiques du Moyen-Âge et de la Renaissancetrouvent dans cette analogie la justification de divers régimes politiques d’alors, que cesoit la monarchie partagée ou l’absolutisme ; puisque le corps humain est ainsi organisé,l’État doit adopter la même organisation. On voit la volonté de trouver en l’ordre naturelune légitimation de l’ordre politique, ainsi que la justification de la source du pouvoir duPrince. Mais la justification de tel ou tel régime politique varie selon l’interprétation qu’ontces auteurs de la métaphore corporelle : les versions absolutistes, certes rares, considèrentle corps politique comme une totalité qui prévaudrait sur les parties qui le constituent et qui

doivent assurer sa sauvegarde, quitte à se sacrifier 41 . Tout est soumis au corps politique

et la justice n’existe plus. Quant aux partisans de la monarchie partagée, plus nombreux,ilsconsidèrent qu’une atrophie ou une hypertrophie d’un membre ou d’un organe du corpspeut nuire à sa santé, créer un déséquilibre au sein de l’ensemble : le Prince – ou toutautre groupe social – qui aurait des pouvoirs excessifs risquerait de mener la société à saperte. Cela conduit ainsi à une légitimation et à une préconisation d’un régime politique quiconnaîtrait un partage équilibré des pouvoirs.

Au XVIIème siècle, lors de l’institution de la théorie politique en tant que telle avecHobbes, le rapport entre matière et forme s’accentue davantage dans l’analogie corporelle42 . Ainsi, à l’instar de la matière du corps qui prend forme sous l’impulsion de l’âme, la

société, traversée par une multitude d’intérêts particuliers et contradictoires 43 a besoin de

magistrat, comme un roi […] L’égalité ou le renversement du pouvoir entre ces divers éléments leur serait également funeste àtous. » (ibid., Livre I, Chapitre II, §11)38 « L’accroissement disproportionné de quelques classes de la cité cause aussi des bouleversements politiques. C’est comme lecorps humain, dont toutes les parties doivent se développer proportionnellement, pour que la symétrie de l’ensemble continue desubsister […] » (ibid., Livre VIII, Chapitre II, §7)

39 « Car, comme nous avons plusieurs membres dans un seul corps, et que tous les membres n’ont pas la même fonction,ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps en Christ, et nous sommes tous membres les uns des autres. » (Bible,Nouveau Testament, Les Epîtres de Paul, Epître aux Romains, 12, 4-5, trad. Louis Segond)

40 Voir G. Balandier, op. cit., p.23 sqq.41 « Certains hommes doivent "souffrir", même "s’ils n’ont pas mérité leur châtiment", si leur présence dans le corps politique

provoque sa perte et si leur "amputation" en rétablit au contraire la santé » (G. Balandier, op. cit., p.24)42 Notons que le sous-titre du Léviathan n’est autre que : « Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république

ecclésiastique et civile »43 « L’union qui se fait de cette sorte, forme le corps d’un État, d’une Société, et pour le dire ainsi, d’une personne civile ; car les

volontés de tous les membres de la République n’en formant qu’une seule, l’État peut être considéré comme si ce n’était qu’une seule

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AULOMBARD Noémie 19

l’État, considéré comme un artifice nécessaire, pour se réguler, s’ordonner, se structurer.De là, s’instaurent une dépendance de la société par rapport à l’État et donc, une relationhiérarchique à la faveur de celui-ci : le corps social doit se soumettre à un souverain absolu

afin de garantir sa survie et son unité 44 .

Au XVIIIème siècle, la justification hobbesienne de la monarchie absolue est remise encause, notamment par Rousseau, qui reprend lui aussi la métaphore corporelle ; mais à ladifférence de Hobbes, il délivre le corps politique de sa soumission au seul État, justifiant

la séparation des pouvoirs et s’opposant ainsi à toute idée absolutiste 45 . Rousseau donneau corps politique une volonté cohérente, malgré la contradiction des intérêts particuliers.En effet, chaque membre « met en commun toute sa personne et sa puissance sous la

suprême direction de la volonté générale » 46 , participe de la volonté généraleau moyende la législation ; elle peut donc se conserver : « Par le pacte social, nous avons donnél’existence et la vie au corps politique : il s’agit maintenant de lui donner le mouvement et

la volonté par la législation » 47 .Donc, de Platon à Rousseau, l’analogie entre le corps et l’organisation politique, ayant

une double valeur descriptive et prescriptive, semble d’une récurrence notable tout aulong de l’histoire de la pensée politique. Dès lors, nous pouvons penser que des schémasmentaux de rapprochement entre le corps humain et la chose politique ont pu se constituer,de façon diffuse, et être intériorisés par les individus qui partagent la même culture, icioccidentale. Le corps est alors vu comme un chemin d’accès symbolique vers le politiqueet vers les sphères du pouvoir.

Cela nous amène, en toute logique, à considérer ces schémas mentaux et ce chemind’accès symbolique du corps vers le politique comme une condition de possibilités desdiscours autour de l’usage du corps dans la contestation politique et leur impact sur despublics. En effet, le fait qu’un public a souvent les mêmes prismes culturels et les mêmesreprésentations du corps que les acteurs, peut aider au relais et à la compréhension et donc,à la légitimation des conceptions et des discours que véhicule l’acte de contestation.

« Le roi est mort ; vive le Roi »La métaphore corporelle semble aussi présente dans les institutions du pouvoir et dansl’imaginaire construit autour de ces institutions. Mais ici, la simple analogie se trouveintensifiée, se transformant en une sorte de superposition du corps mystique et politique sur

tête ; aussi a-t-on coutume de lui donner un nom propre, et de séparer ses intérêts de ceux des particuliers. » (Hobbes, Thomas,LeCitoyen, Section II, Chapitre V, §9)

44 G. Balandier, op. cit., pp.21-2245 « Le principe de la vie politique est dans l’autorité souveraine. La puissance législative est le cœur de l’État, la puissance

exécutive en est le cerveau, qui donne le mouvement à toutes les parties. Le cerveau peut tomber en paralysie et l’individu vivreencore. Un homme reste imbécile et vit ; mais sitôt que le cœur a cessé ses fonctions, l’animal est mort. » (Rousseau, op. cit.,, LivreIII, Chapitre 11, §3)

46 ibid., Livre I, Chapitre 6, §947 ibid., Livre II, Chapitre 6, §1

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le corps individuel. En effet, E. Kantorowicz 48 , dans Les Deux Corps du roi, met au jour une

fiction théologico-politique, apparue au XIIIème siècle selon laquelle, au corps physique etmortel de l’individu se superpose un autre corps, un corps mystique, symbole de pouvoir etde souveraineté, une image du corps du Prince qui porterait en son sein mille vertus. Cettefiction permet d’ancrer le pouvoir dans la pérennité, le soustrayant à la loi de la corruption dutemps, propre au monde physique. Autrement dit, le corps physique du roi peut disparaîtredans la maladie et la mort, le corps mystique du Roi demeure et affirme la durabilité dupouvoir. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’apparent paradoxe de la phrase : « le roi estmort ; vive le Roi »

Le point de départ de cette nouvelle institution imaginaire du pouvoir temporel se trouvedans le modèle christologique : l’expression de « corps mystique du Christ », désignant

l’Église, effectue un glissement sémantique, au cours des siècles 49 . De l’ensemble descroyants, on passe à une définition plus restreinte : celle de la hiérarchie ecclésiale. Le Papedevient la tête visible du Christ, l’incarnation de la présence de la puissance divine sur terre,tout en lui retirant une part certaine de sa transcendance. De ce fait, l’Église et son pouvoirapparaissent comme éternels et le Pape peut ainsi revendiquer une suprématie sur lespouvoirs temporels, terrestres, pris dans la loi du temps et de la dégradation. Afin de contrerces velléités de mainmise de la sphère spirituelle sur la sphère temporelle, les entouragesintellectuels des Princes affirment une pérennité des pouvoirs étatiques semblable à cellede l’Église et donc, une égalité entre la sphère spirituelle et la sphère temporelle.

Par ailleurs, le corps est souvent vécu comme un marqueur d’appartenance à

une communauté afin d’affirmer son identité 50 , mais aussi comme un marqueur dedifférenciation entre communautés et de distinction hiérarchique au sein d’une mêmecommunauté. A. Liarte, dans son article « Le corps comme territoire politique du sacré »,met en exergue la relation entre corps et sacré, une conception du corps comme demeuredu sacré, comme symbole de la présence de Dieu, ou du moins comme ce qui permet lamédiation entre Dieu et l’Homme. Nous y reviendrons par la suite plus longuement. Mais cequi nous intéresse maintenant, c’est de voir comment le corps devient insigne de pouvoir, parla médiation même qu’il permet d’instituer entre l’Homme et la divinité. Ainsi, dans une mêmecommunauté de croyants, le corps d’un individu peut porter des marques signifiantson statutau sein de sa communauté, ce statut différant selon le pouvoir de communication qu’ontces individus avec le monde divin ; cet individu a le corps marqué de signes distinctifs,manifestations de leur proximité avec la divinité et donc, de leurs supériorité et autorité

morales, et finalement, de leur pouvoir sur l’ensemble des membres de la communauté 51 .Or, avec l’apparition de la fiction à propos des deux corps du Roi, nous voyons bien que

le religieux opère un glissement vers le politique. Les deux pouvoirs – spirituel et temporel– tendent à se fondre l’un dans l’autre et, par là, le corps devient donc, pourrait-on dire, un

48 Cité dans G. Balandier, op. cit., p.27, et dans Liarte, Aurélien, « Le corps, territoire politique du sacré », Noesis [En ligne], N°12| 2007, mis en ligne le 28 décembre 2008, consulté le 08 juillet 2012. URL : http://noesis.revues.org/index1343.html

49 Voir G. Balandier, op. cit., p.2850 « Cette manifestation, pour discrète et intime qu’elle soit, est signe visible, « extime » (sic.), d’élection et de différenciation » (A.

Liarte, op. cit., §23)51 « Qu’il s’agisse des chamans ou des évêques, nul ne fait ici exception à la règle. Chacun porte une tenue qui rend visible

son sacerdoce, sa charge sacrée. Or ce phénomène est loin d’être un cas isolé : moines, sœurs, mais aussi prêtres, pasteurs ouimams portent également, de manière plus ou moins discrète, un signe de leur statut à part. » (A. Liarte, op. cit., §26)

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Première partie : De la puissance persuasive des discours sur le corps, comme instrument de lacontestation politique et de ses conditions de possibilités

AULOMBARD Noémie 21

réceptacle du pouvoir non plus seulement religieux, mais du pouvoir en général, du pouvoir

du souverain 52 .Cependant, avec le processus de légitimation du régime démocratique qui a débuté

entre le XVIIème et le XVIIIème siècles, le pouvoir politique s'est vu progressivementincarné, non plus dans un seul corps, c’est-à-dire le Prince, mais dans le corps de tousles membres de la communauté, devenant ainsi des citoyens. Souvenons-nous de laconception rousseauiste de la volonté générale (cf. : note 46)

Nous pouvons donc penser que dans les actions de contestation politique qui mettenten avant le corps, ceux qui participent à ces actions procèdent à la monstration de leur corps,et donc à la (ré)affirmation symbolique de leur pouvoir. Par exemple, les manifestationset les sit-in permettent aux participants, par la monstration de soi et de son corps dansl’espace public, d’affirmer leur statut et leur pouvoir de citoyens. Preuve en est que lamanifestation est devenue l’équivalent du vote, qui est l’instrument, par excellence, del’expression, et donc du pouvoir, des citoyens. En effet, le droit à la manifestation estdevenu tout aussi fondamental que le droit de vote. Consacrée par divers textes juridiques

notamment européens 53 , la manifestation se voit légitimée car elle est progressivement

considérée comme un dialogue entre les citoyens et le gouvernement, à l’instar du vote 54 .Ainsi, par toute une construction culturelle et conceptuelle, les schémas mentaux

occidentaux, que l’on peut percevoir dans les discours, associent corps et pouvoir etfondent le corps comme symbole de pouvoir. Un tel paradigme peut rendre intelligibles àdivers publics les discours qui font percevoir le corps comme instrument de la contestationpolitique, car la question que le corps pose, certes de manière différente, c’est toujourscelle du pouvoir et de la participation au pouvoir.

La présence du sacré et du religieux

Le corps, entre sacré et transgressionLe discours religieux sur la relation entre corps et sacré est très ambivalent. En effet, nousl’avons déjà évoqué, d’une part, le corps est sujet d’une forte dépréciation de la part desdiscours religieux, notamment chrétien (cf. : note 1). Mais, d’autre part, le christianismeaccorde une place importante au corps dans sa pensée : en témoigne le dogme de

l’Incarnation 55 . Ainsi, le corps est perçu comme une médiation entre l’Homme et ce quile transcende : le corps est le premier moyen de communication avec le divin, que cettemédiation soit positive ou non ; par exemple, la mortification est un moyen de purifier soncorps et d’accéder à Dieu. Le corps peut donc être marqué du sceau de la divinité, ou du

52 Voir A. Liarte, op. cit., §3153 « Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association à tous les niveaux, notamment dans

les domaines politique, syndical et civique […] » (art. 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne)54 « La France s’est progressivement inscrite dans une telle perspective […] la manifestation s’est imposée comme une

manière de référendum d’initiative populaire qu’aucun législateur n’aurait initié et elle s’intègre furtivement au nombre des libertésfondamentales […] » (O. Fillieule et D. Tartakowsky, op. cit., p.46)55 A. Liarte, op. cit., §69

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moins, du lien à la divinité. En ce sens, le corps peut être vécu comme un espace du sacré,voire comme un espace sacré.

Dans son article déjà évoqué, A. Liarte étudie la notion du sacré. Il en donne unedéfinition tout à fait intéressante par rapport au sujet qui nous occupe. En effet, cettedéfinition met en relation et en tension plusieurs éléments. Tout d’abord, le sacré est

indissociable du divin, sans toutefois s’identifier à lui 56 . Le sacré se conçoit alors comme

le témoignage de la présence de la puissance divine, pourtant en-dehors du monde : deslieux, des temps, des règles de vie, etc. La sacralité de ces éléments spatiaux, temporels,moraux et juridiques se ressent par le déploiement d’un halo de fascination et de crainte

à l’endroit de ces objets 57 . Voilà le deuxième couple d’éléments que la notion du sacrémet en tension : la fascination et la crainte, voire la répugnance, la répulsion, élémentsqui peuvent s’appliquer au corps. En effet, notre rapport au corps oscille sans cesse entrel’intérêt, l’attention les plus grands et une méfiance ou une défiance parfois violente. Nosconsidérations à propos de la sacralité d’espaces, de temps et de lois, nous emmènentà considérer un troisième et dernier couple d’éléments que la notion de sacré impliqueici : le respect et la transgression (ou la profanation). Notons que profaner enhébreu se ditlehatel, qui signifie littéralement rompre l’enclos. Le sacré peut donc être considéré commeun « "enclos" qu’il n’est pas possible d’approcher, mais qui inspire (ou est censé inspirer)

un respect mêlé de crainte » 58 . Or, les représentations actuelles du corps ne rassemblent-elles pas toutes ces caractéristiques ? Ainsi, on pourrait dire que le corps est un « territoire »

du sacré, voire un « territoire sacré » dont l’inviolabilité est affirmée et consacrée 59 .Les représentations du corps font voir le corps comme symbole de la relation au sacré,

voire comme un objet sacré : toute atteinte à l’intégrité du corps d’un individu suscite souventune vive émotion de la part de la collectivité, voire l’opprobre générale jetée sur l’agresseur.

Certes, les sociétés occidentales, dont la société française, ont connu un fortmouvement de déchristianisation et de sécularisation, qui a estompé fortement la présencedu religieux dans la vie sociale et politique. Cependant, on peut penser que le sacré n’a paspour autant disparu ; il constitue un des ressorts de beaucoup de schémas mentaux, ressortd’autant plus puissant qu’il est diffus et que l’on n’y prête plus attention.

On peut interpréter, à la lumière de la relation entre le corps et le sacré, la puissancepersuasive des discours autour des violences contre soi portant un message de contestationpolitique, que ce soit la grève de la faim ou l’automutilation. En effet, la très forte expressivitéde ces actes a comme fondement la symbolisation du corps, comme réceptacle du sacré.Cette expressivité cause une vive émotion chez les publics qui assistent directementou indirectement au spectacle des meurtrissures d’un corps violenté. Cette émotion està l’instar de l’effroi suscité par la profanation de tout espace ou objet sacré et par la

56 « Le sacré est à la fois plus ou moins que la divinité et, en tout état de cause, ne se confond pas avec elle. Plus, carla destinée par exemple peut être dite supérieure aux dieux, et moins car une montagne, par exemple, peut aussi être considéréecomme « sacrée » (ibid., §6 )

57 « L’ambivalence foncière du sacré apparaît en tout cas clairement, puisqu’elle fascine autant qu’elle repousse, pour reprendrela célèbre distinction d’Otto entre mysterium tremendum et mysterium fascinans» (ibid., §11)

58 ibid., §3659 « Considéré parfois comme inviolable et sacré, sa « profanation » ou sa « souillure » s’apparente très souvent à une menace

pour l’ensemble de la collectivité. » (ibid., §16)

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transgression de toute loi sacrée, dans les sociétés anciennes – en témoigne la sanctiontout aussi effroyable des crimes touchant au sacré, en Rome antique, par exemple.

Cela ne rend les publics que plus réceptifs au message politique que l’acte de violencecontre soi renferme, car ce geste touche directement à la sensibilité de ces publics,acquérant ainsi une force de persuasion qui lui est propre. Les publics ne peuvent plusrester neutres, face à la non-intégrité, à la douleur et au risque de destruction d’un corps.Ils sont implicitement sommés de réagir et de prendre parti.

Cependant, dans le cadre de violences contre soi, l’opprobre ne va pas sur les auteursdes violences contre soi, mais le plus souvent sur les institutions (État, administration,multinationale, etc.) que l’acte vise. En effet, comme le montre J. Siméant dans son ouvragesur la grève de la faim, les actes de violence contre soi s’érigent autour d’une structureternaire qui met en présence l’auteur du geste, son destinataire et l’opinion publique (cf. :note 14). Cette dernière perçoit d’une façon positive l’auteur du geste, tout en élaborantune image négative des personnes – physiques et/ou morales – visées : elle les rend ainsiresponsables, coupables, des violences que l’auteur s’inflige, ce qui délégitime les positionset les discours de l’institution en question et fait pression sur elle. A contrario, les positionset le discours du gréviste ou de l’automutilé sont légitimés, ou du moins davantage compriset écoutés.

Nous pouvons alors nous demander ce qui rend possible la perception positive desauteurs de violences contre soi.

Le martyr, comme figure légitimatriceLà encore, notre propos sera en lien avec le discours religieux et la notion du sacré. Eneffet, les discours qui tendent à légitimer les violences contre soi ayant une portée politiquenous poussent à considérer maintenant la figure sacrée du martyr et de la mort sacrée.

Mais, tout d’abord, qu’est-ce qu’un martyr ? La première définition 60 que l’on peuten donner, est : « Chrétien mis à mort ou torturé en témoignage de sa foi » ; de là, endécoule une seconde : « Personne qui a souffert jusqu’à la mort pour sa foi religieuse oupour une cause ». Cela n’est pas sans rappeler la figure du Christ, se sacrifiant pour larédemption de l’humanité. Ainsi, la notion de martyr est – étymologiquement – liée à l’idée

de témoignage 61 , le mot martyrvenant du grec ancien martus qui désignait le témoin, c’est-à-dire celui qui savait quelque chose et qui voulait en attester la réalité devant Dieu et lesautres hommes. Le christianisme élabore un discours très mélioratif autour des premiersmartyrs chrétiens : leurs souffrances et leurs morts sont considérées, si ce n’est commeune répétition du modèle christique, du moins comme untémoignage voulu, assumé, deleur foi au message du Christ. Le discours chrétien entoure d’une aura de légitimité lesfigures de martyr. À l’inverse, le Nouveau Testament jette le discrédit et l’opprobre sur ceux

qui persécutent ces martyrs, que ce soit les Juifs 62 ou les Romains 63 . Par là, on voit la

60 Le Petit Larousse, 2004, p.63261 Vallet, Odon, Petit lexique des mots essentiels, Albin Michel, 2002, p.147-15062 Les juifs sont dits fils de Satan, dans l’Évangile selon Jean (« Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les

désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui.Lorsqu’il profère le mensonge, il parle de son propre fonds ; car il est menteur et le père du mensonge » Bible, Nouveau Testament,Évangile selon Jean, 8, 44, trad. Louis Segond)

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construction théologique d’un discours manichéen qui légitime celui qui se sacrifie pour safoi; à l’inverse, ce discours à structure binairedélégitime la figure persécutrice. La structurede ce discours théologique manichéen n’est pas sans rappeler la vision binaire qu’a l’opinionpublique face à un acte de violence contre soi, opposant l’acteur martyrisé et sacralisé, àl’institution persécutrice. Voilà donc un premier élément qui permet d’expliquer la perceptionpositive de l’opinion publique envers ceux qui commettent des violences contre leur proprecorps, en vue de défendre une cause. Afin de susciter l’adhésion,les discours construitsautour de ces violences cherchent à faire écho à un imaginaire, élaborés à partir de figureset de valeurs positives, puisées dans l’héritage religieux et culturel.

Nous reviendrons plus tard sur la figure du martyr et sa force légitimatrice, pour l’aborderdans sa dimension anthropologique et politique.

Ainsi, les discours autour des actes de contestation politique qui mettent en avantle corps dans divers usages et états, tirent leur puissance persuasive d’un long héritageculturel et religieux, à partir duquel s’élaborent des schémas mentaux, un système desymboles et un imaginaire qui s’érigent autour du corps, chez les publics que ces actesvisent. Ces représentations le font percevoir comme un chemin d’accès au politique,au pouvoir et au sacré ; et une sorte de sacralité s’érige autour du corps lui-même, lefaisant sentir comme un espace sacré qu’il est interdit de transgresser, de profaner. Touteprofanation volontaire de son propre corps suscite donc une vive émotion et somme lespectateur de réagir et de prendre parti pour celui qui s’inflige lui-même ces violences,tirant ainsi une certaine légitimité dans la construction d’une figure de martyr, supérieuremoralement, et donc sacrée.

Cependant, les systèmes de symboles et de représentations sont intrinsèquement liésaux faits anthropologiques et politiques – au sens de l’organisation de la Cité, de la vie encommunauté. Il y a un dialogue incessant entre le symbolique et l’anthropologique, et desfaits anthropologiques peuvent influer sur la perception que nous avons d’un élément duréel.

***

La relation entre le corps et la sociétéVoyons maintenant les conditions de possibilités anthropologiques et historiques de lapuissance persuasive des discours sur le corps, comme instrument de la contestationpolitique. En effet, des éléments anthropologiques et historiques peuvent influer sur laperception, et donc la construction des discours, que l’on a sur tel ou tel fait social : desphénomènes anthropologiques et historiques peuvent engendrer l’élaboration de certainesperceptions, positives ou négatives, du fait considéré. Ainsi, des processus permettant auxgroupes humains de se constituer et de se consolider sont valorisés, alors que ce qui détruit– ou ce qui est pensé susceptible de détruire – les sociétés, est vu de façon péjorative. C’est

63 Dans l’Apocalypse, Rome est comparée à Babylone. Ces deux villes y sont personnifiées en « grande prostituée » (« […] Etje vis une femme assise sur une bête écarlate, pleine de noms de blasphème, ayant sept têtes et dix cornes. Cette femme étaitvêtue de pourpre et d’écarlate, et parée d’or, de pierres précieuses et de perles. Elle tenait dans sa main une coupe d’or, remplied’abominations et des impuretés de sa prostitution. Sur son front était écrit un nom, un mystère : Babylone la grande, la mère desimpudiques et des abominations de la terre. Et je vis cette femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus […] »ibid., Apocalypse, 17, 3-6)

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le cas du sacrifice et du don de soi, qui permettent de (re)structurer la société, après unecrise, et qui sont donc vus de façon positive.

Le corps, entre sacrifice et don de soiNous retrouvons ici la figure sacrée du martyr, sur laquelle nous avons déjà travailléun peu plus tôt. En effet, outre le prisme théologique, on peut interpréter la figure dumartyr à travers le prisme politique et anthropologique, car comme le pense T. Maalouf,les phénomènes religieux et politiques se nourrissent les uns des autres, le religieux sesécularisant et s’actualisant, le politique devant trouver, face aux mouvements religieux,

« de nouvelles réponses politiques écrites dans une syntaxe religieuse » 64 . Cela revient ànous demander pourquoi le martyr est une figure sacralisée.

En effet, dans la plupart des mythes, cette figure est marquée par l’ambivalence entre ledon de soi volontaire pour le bien collectif et le sacrifice imposé sur l’autel de la communauté.Ainsi, le Christ, certes, s’offre à la mort pour la rédemption de l’humanité ; mais sa mort estaussi un sacrifice voulu par les autorités afin de ramener l’ordre social et la paix au sein de lasociété juive. En témoigne la phrase que Jean met dans la bouche du grand prêtre, Caïphe,lors du débat qui s’achève par la condamnation à mort de Jésus : « vous ne réfléchissezpas qu’il est dans votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple, et que la nation

entière ne périsse pas. » 65 .Ainsi, cela nous permet d’appréhender la dimension anthropologique du sacrifice et du

don de soi, et d’expliquer la perception sacrée et extrêmement méliorative de la victime plusou moins volontaire, qui se sacrifie ou qui est sacrifiée pour la communauté.

Pour cela, nous fonderons notre réflexion sur les travaux de deux auteurs : R. Girard,sur la notion de sacrifice, et Mauss, sur le don et l’échange.

Le sacrifice, comme acte fondateur d’une communautéLa phrase sentencieuse de Caïphe, rapportée par Jean, met au jour l’utilité sociale du

sacrifice.Même si le sacrifice de Jésus rompt avec la conception archaïque du sacrifice 66

, cela corrobore la théorie mimétique de R. Girard, dont le sacrifice est un des principauxéléments qui constituent cette théorie.

Rappelons tout d’abord sur quoi portent les propos de R. Girard. Selon lui, la violenceest inhérente aux rapports humains, du fait de la structure mimétique du désir humain

64 Maalouf, Tina, « Le Martyr, du religieux au politique », Sens public [En ligne], mis en ligne le 14 février 2005, Consulté le 19juillet 2012. URL : www.sens-public.org/spip.php?article120

65 Bible, Nouveau Testament, Évangile selon Jean, 11, 50, trad. Louis Segond66 « On trouve partout dans la Bible des violences collectives semblables à celles qui engendrent les sacrifices mais, au lieud’être attribuées aux victimes qui ne sont réconciliatrices qu’en apparence, […] la Bible et les Évangiles attribuent la responsabilitéde ces violences à leurs auteurs véritables, les persécuteurs de la victime unique. […] Si le terme de sacrifice est utilisé pour lamort de Jésus c’est dans un sens absolument contraire au sens archaïque. Jésus accepte de mourir pour révéler le mensonge dessacrifices sanglants et les rendre impossibles désormais. » (Girard, René, Le sacrifice, éd. de la Bibliothèque Nationale de France,coll. Conférences del Duca, 2003, p.8)

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67 . Cependant, cette violence ne permet pas à la société de se constituer, car c’estune force destructrice pour les individus. Afin de pacifier les relations entre les membresd’une même communauté, on va désigner un bouc émissaire, quelqu’un sur qui, par unphénomène de transfert, va se décharger la violence de tous les membres du groupe. Ainsipeuvent s’apaiser les tensions au sein même de la communauté, car « ce que le désir d’unmême objet ne fait jamais – réconcilier les adversaires –, la haine pour un même ennemi

paradoxalement le fait. » 68 . Le bouc émissaire, en étant sacrifié, concentre contre lui toute laviolence qui menaçait la société. S’instaurent alors les rites et les rituels qui commémorent le

sacrifice fondateur et permettent de renforcer le groupe 69 . Le « miracle du sacrifice » permet

de fédérer la société autour d’un coupable qui deviendra ensuite victime, puis sauveur 70 .

Ainsi, la figure du martyr peut être du ressort de ce processus victimaire. Le martyr sesacrifie pour, ou est sacrifié par sa communauté. Il sert à la régulation de la violence dansla société, ayant une fonction cathartique.Évoquant le supplice de Jésus, la Bible rapporte :

« Ce jour-là, Hérode et Pilate devinrent amis, eux qui auparavant étaient ennemis » 71 . Ainsi,le martyr est associé à l’idée de réconciliation, permettant à la société de se fonder et deperdurer. Une société a donc besoin de ses martyrs, car ils la font être. Cela peut expliquerl’image extrêmement positive que donne la communauté de ses martyrs et sacrifiés.

Parfois sacrifié contre sa volonté, le martyr se donne parfois pour sa communauté.

Le don de soi, dans la structure des échangesNous pouvons considérer le don de soi du martyr, ce sacrifié plus ou moins volontaire,comme un phénomène social, qui s’inscritdans la dynamique permanented’échanges, ausens où Mauss l’entend. En effet, dans son Essai sur le don : forme et raison de l’échangedans les sociétés archaïques, Mauss étudie, à partir d’exemples de diverses sociétéstraditionnelles, les structures qui se sont élaborées autour des phénomènes sociaux ducontrat, du don et de l’échange. Ces phénomènessont très complexes, car d’une part, ilsorganisent toute la vie des sociétés et des groupes qui les composent ; et d’autre part,c’est à travers eux que transparaissent et sur eux que se fondent les institutions de toute

société humaine 72 . De plus, il serait bon de préciser que l’échange ne se fait pas toujours67 « Lorsque les rivalités mimétiques franchissent un certain seuil d’intensité, les rivaux oublient, égarent ou détruisent les

objets qu’ils se disputaient et ils s’en prennent directement les uns aux autres. La haine du rival l’emporte alors sur le désir de l’objet.C’est l’instant où tout semble perdu et dans bien des cas, peut-être, cette perte est effective » (ibid., p.26)

68 ibid.69 « Elles [les communautés humaines] essaient de reproduire le miracle qui les a sauvées en immolant une nouvelle victime

à la place de la première, dans l’espoir que la mme cause produira les mêmes effets. Et c’est bien ce qui se passe partout où lescommunautés survivent et prospèrent. […] chaque fois qu’on immole une victime de rechange, conformément au modèle initial, laviolence s’apaise. La première initiative culturelle de l’humanité est l’imitation du meurtre fondateur, qui ne fait qu’un avec l’inventiondu sacrifice rituel. » (ibid., p.27)

70 « La communauté se trouve soudain dépourvue d’ennemi et la tranquillité se rétablit. Universellement honnie d’abord, lavictime, en raison de sa puissance réconciliatrice, fera bientôt figure de sauveur » (ibid.)

71 Luc, XII, 12, cité dans R. Girard, op. cit., p.5372 « Il y a là tout un énorme ensemble de faits. Et ils sont eux-mêmes très complexes. Tout s'y mêle, tout ce qui constitue la vieproprement sociale des sociétés qui ont précédé les nôtres […] Dans ces phénomènes sociaux « totaux », […] s'expriment à la fois

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qu’entre deux individus ; le groupe, dans son ensemble, peut être l’entité qui reçoit ou qui

donne 73 . Enfin, il ne faut pas limiter les considérations sur le don et l’échange aux seuls

objets concrets ; ces phénomènes concernent aussi – et surtout – le champ symbolique 74 .Ainsi, selon Mauss, le don et l’échange induisent toujours des obligations morales et

symboliques, dont l’obligation de donner, l’obligation de rendre le présent 75 et celle de

recevoir 76 . Même si le propos de Mauss est centré sur les sociétés traditionnelles, « il est

possible d'étendre ces observations à nos propres sociétés » car « une partie considérablede notre morale et de notre vie elle-même stationne toujours dans cette même atmosphère

du don, de l'obligation et de la liberté mêlés » 77 . On peut donc penser que les schémasmentaux de nos sociétés occidentales se sont construits autour de l’idée de don et desobligations qui en découlent.

La figure du martyr peut donc être mise en relation avec la notion du don et del’échange. En effet, le martyr se donne lui-même, sacrifiant son propre corps et sa proprevie pour que la communauté retrouve ordre et équilibre. S’instaure ici un processusd’échange symbolique, car, à l’instar de ce que dit Mauss à propos du principe socialiste

de reconnaissance de l’État envers le travailleur 78 , ce don de soi implique une obligation,

pour la communauté ou pour la société, de rendre ce que l’individu lui a donné. Enacceptant de mourir pour elle, le sacrifié est implicitement promis à une gloire éternelle,une sorte d’immortalité dans la mémoire des survivants. En gage de la reconnaissancecollective, la communauté lui érige – symboliquement et concrètement – un monument,pour commémorer l’acte héroïque et d’ultime générosité que constitue le sacrifice de soi. En

et d'un coup toutes sortes d'institutions : religieuses, juridiques et morales - et celles-ci politiques et familiales en même temps ;économiques - et celles-ci supposent des formes particulières de la production et de la consommation, ou plutôt de la prestation etde la distribution […] » (Mauss, Marcel, Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, 1923-1924,p.9, version numérique conçue par J.-M. Tremblay, coll. « les classiques des sciences sociales », URL. : http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/2_essai_sur_le_don/essai_sur_le_don.html ). Consulté le 16 juillet 2012.73 « D'abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s'obligent mutuellement, échangent et contractent, lespersonnes présentes au contrat sont des personnes morales clans, tribus, familles, qui s'affrontent et s'opposent » (ibid., p.11)74 « Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes,des foires dont le marché n'est qu'un des moments et où la circulation des richesses n'est qu'un des termes d'un contrat beaucoupplus général et beaucoup plus permanent. » (ibid., p.12)

75 « D'abord ce système de cadeaux contractuels à Samoa s'étend bien au-delà du mariage […]. Ensuite deux élémentsessentiels […] sont nettement attestés : celui de l'honneur […] et celui de l'obligation absolue de rendre ces dons sous peine de perdre[…] cette autorité, ce talisman et cette source de richesse qu'est l'autorité elle-même » (ibid., p.15-16)

76 « car la prestation totale n'emporte pas seulement l'obligation de rendre les cadeaux reçus ; mais elle en suppose deux autresaussi importantes : obligation d'en faire, d'une part, obligation d'en recevoir, de l'autre. La théorie complète de ces trois obligations,de ces trois thèmes du même complexus, donnerait l'explication fondamentale satisfaisante de cette forme du contrat entre clanspolynésiens […] Refuser de donner, négliger d'inviter, comme refuser de prendre, équivaut à déclarer la guerre ; c'est refuser l'allianceet la communion » (ibid., p.22-23)

77 ibid., p.10478 «[…] le travailleur a donné sa vie et son labeur à la collectivité d'une part, à ses patrons d'autre part […] et l'État lui-même,

représentant la communauté, lui doit, avec ses patrons une certaine sécurité dans la vie, contre le chômage, contre la maladie, contrela vieillesse, la mort. » (ibid. , p.106)

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témoignent les cérémonies commémoratives 79 et les monuments aux morts des martyrs dela Résistance ou des soldats « morts pour la patrie » pendant la Première Guerre mondiale.Cette reconnaissance, dont témoigne l’ensemble de la société envers l’individu sacrifié ouqui s’est donné pour elle,participe de la construction de la figure exemplaire du martyr,comme un être à la supériorité morale incontestée et incontestable.

Ainsi, c’est à la lumière des fonctions anthropologiques des notions du sacrifice et dudon de soi, contenues dans la figure du martyr, que l’on peut analyser l’élaboration de laperception méliorative des violences contre soi à visée politique : les actes du gréviste dela faim, par exemple, peuvent faire naître ou renforcer un sentiment d’appartenance à ungroupe, à une identité communautaire. C’est ce qu’explique J. Siméant, au sujet des grèves

de la faim, faites par les activistes de l’I.R.A. 80

De plus, l’acte manifestant peut aussi faire naître un sentiment d’appartenance à unecommunauté. Ce sentiment repose, somme toute, sur les mêmes mécanismes que R.Girard met en exergue dans sa théorie du bouc émissaire. En effet, s’appuyant sur lestravaux de Park et de Blumer, O. Fillieule et D. Tartakowsky évoquent l’idée d’un « esprit de

corps » 81 , sorte de force unificatrice des individus en foule. Cet « esprit de corps » peut sefonder sur « une dialectique unanimité/exclusion qui permet au groupe (we) de se distinguer

d’autres que l’on rejette (they) » 82 – les boucs émissaires que l’on rejette –, ainsi que sur« des comportements cérémoniels et rituels, tels que manifestations, meetings, parades,etc. », rites souvent accompagnés de symboles(slogans, chants, banderoles, etc.), « censés

accroître le sentiment de communauté et d’appartenance au groupe » 83 .Cependant, d’autres faits anthropologiques peuvent intervenir dans la construction de

discours autour du corps, comme instrument de la contestation politique.

Le façonnement et la disciplinarisation du corps par la société etl’État

Nous allons maintenant considérer l’emprise de la société – et l’État – sur le corps desmembres qui la composent. En effet, les actes de contestation politique qui mettent en avantle corps peuvent vouloir faire monstration de cette emprise, voire la dénoncer, et permettreainsi à leurs auteurs d’échapper – du moins, symboliquement – à cette mainmise, parfoisviolente, de la société et de l’État, notion déjà plus ou moins abordée dans notre propos surla théâtrocratie. Nous allons maintenant l’analyser plus en détails, en montrant tout d’abord

79 Voir l’article de T. Maalouf, déjà cité80 « Certaines grèves, marquées par une forte logique communautaire, contribuent au renforcement d’un groupe réel ou

imaginé, lequel sortira plus soudé encore si un deuil survient, comme ce fut le cas pour les détenus irlandais. Le décès desdétenus nationalistes convoqua et réactiva une martyrologie, arrimée au catholicisme irlandais – les grèves de la faim associées ausoulèvement de Pâques de 1916 furent liées au sacrifice du Christ –, et au-delà, à toute l’histoire de l’Irlande et de ses souffrancesdepuis la grande famine. » (J. Siméant, op. cit., p.44-45)

81 O. Fillieule et D. Tartakowsky, op. cit., p.8982 ibid.83 ibid.

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Première partie : De la puissance persuasive des discours sur le corps, comme instrument de lacontestation politique et de ses conditions de possibilités

AULOMBARD Noémie 29

le façonnement du corps par la société, et ensuite, la mainmise disciplinarisatrice de l’Étatsur le corps.

Corps et société : un travail invisibleLa société façonne le corps des individus à son image. Le corps des individus est le refletde la société dans laquelle ils vivent. C’est, en tous cas, ce que tendent à montrer diverstravaux anthropologiques, dont ceux de Mauss à propos des techniques du corps.

Dans son article consacré à ces faits sociaux,Maussconsidère le corps de l’individucomme « le premier et le plus naturel instrument de l'homme. Ou plus exactement, sansparler d'instrument, le premier et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen

technique, de l'homme […] » 84 . Le corps est donc techniquement modelé et formé. Ceciétant posé, la notion de « techniques du corps » découle logiquement de cette définitiondu corps : toujours considérées dans leur pluralité,les techniques du corps désignent « lesfaçons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir

de leur corps » 85 .Ainsi, par un processus d’idiosyncrasie sociale, l’individu intériorisel’habitus inhérent à la société au sein de laquelle il vit ; il y a appropriation individuelle despratiques collectives. Chaque société possède ses propres manières de faire, ses propresgestes. De plus, en mettant en exergue ce processus d’idiosyncrasie, Mauss déconstruittoute apparence naturelle des façons de se servir de notre corps, dénotant ainsi une

prévalence de la construction sociale sur le caractère naturel 86 : le groupe social modèle les

mouvements du corps de l’individu à son image. Cette prévalence du social sur le naturel,dans l’acquisition des mouvements par le corps humain, est d’autant plus frappante lorsquel’on considère l’évolution, au sein d’une même société, des techniques du corps, d’unegénération à l’autre, sous l’impulsion d’un facteur extérieur quelconque.En témoignent les

exemples du plongeon 87 et de la marche, grâce auxquels Mauss met en exergue lerôle important de la transmission et de l’enseignement qui constituent les deux principauxmécanismes de l’intériorisation individuelle de pratiques sociales, issues des traditions.Ainsi, parlant de la démarche particulière appelée l’oino i que les mères Maori inculquentà leurs filles, Mauss dit : « C'était une façon acquise, et non pas une façon naturelle de

marcher. En somme, il n'existe peut-être pas de "façon naturelle" chez l'adulte. » 88 . Par là,il met en lumière le rôle de l’éducation dans l’acquisition de ces techniques du corps : il y a

84 Mauss, Marcel, « les techniques du corps », 1934, p.10-11, version numérique conçue par J.-M.Tremblay, coll. « les classiques des sciences sociales », URL. : http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/6_Techniques_corps/Techniques_corps.htm l . Consulté le 18 mai 2012.

85 ibid., p.586 « C'était une idée que je pouvais généraliser. La position des bras, celle des mains pendant qu'on marche forment une

idiosyncrasie sociale, et non simplement un produit de je ne sais quels agencements et mécanismes purement individuels, presqueentièrement psychiques » (ibid., p.7)

87 « « Autrefois on nous apprenait à plonger après avoir nagé. Et quand on nous apprenait à plonger, on nous apprenait àfermer les yeux, puis à les ouvrir dans l'eau. Aujourd'hui la technique est inverse. On commence tout l'apprentissage en habituantl'enfant à se tenir dans l'eau les yeux ouverts. Ainsi, avant même qu'ils nagent, on exerce les enfants surtout à dompter des réflexesdangereux mais instinctifs des yeux, on les familiarise avant tout avec l'eau, on inhibe des peurs, on crée une certaine assurance,on sélectionne des arrêts et des mouvements. » (ibid., p.6)

88 ibid., p.9

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

30 AULOMBARD Noémie

donc un processus de transmission, d’enseignement par la société et ses traditions à l’égarddes enfants et des jeunes adolescents : l’enfant a des postures normales, naturelles, quel’éducation, dans certaines sociétés, modifie complètement. On note donc un estompementdu caractère naturel des façons dont l’individu se sert de son corps : du fait de l’éducation,l’individu acquiert des comportements corporels construits par l’ensemble de la société.

Mais par quels mécanismes la transmission de ces techniques du corps s’opère-t-elle ?Mauss met l’imitation au cœur de ce dispositif de transmission des techniques du corps89 .L’auteur met aussi l’accent sur le rôle de l’autorité sociale, par laquelle et pour laquelle

ces séries d’actes sont montées. Il parle d’« imitation prestigieuse » 90 pour qualifier, chezl’enfant, le processus d’acquisition des techniques du corps des personnes qui exercent surlui une certaine autorité. On note donc une sorte de verticalité dans la transmission de cestechniques du corps. Cependant, il peut y avoir une imitation prestigieuse, dont la verticalitéest un peu moins prononcée, car l’autorité sociale se trouve moins en jeu dans la notion deprestige, que les représentations symboliques. On le voit avec l’exemple de la transmission

de la démarche des femmes américaines aux françaises, par l’intermédiaire du cinéma 91

. Ainsi, la transmission, l’imitation et la notion de prestige de la personne imitée jouent unrôle primordial dans l’acquisition des techniques du corps.

Grâce aux travaux de Mauss, on voit que le corps est anthropologiquement vécucomme un instrument dont on se sert pour avoir un impact sur le monde qui nous entoure,comme un moyen d’accès à quelque objectif, qu’il soit concret ou symbolique. On voit aussique l’imitation d’une figure caractérisée par un certain prestige et qui exerce une autorité,est centrale dans le processus d’acquisition des techniques du corps. Ainsi, à partir de cesconsidérations, notre réflexion sur l’usage du corps dans la contestation politique pourraits’ancrer dans d’autres perspectives. En effet, puisque le corps est considéré comme uninstrument, utiliser son corps à des fins politiques revient à parler le même langage quecelui qui s’est établi au fil du temps. Il s’inscrit toujours dans le même paradigme du corpscomme moyen d’accès à quelque fin, mais y ajoutant une portée politique et contestataire.On pourrait considérer les usages politiques du corps, tels que la manifestation, lestransformations de son corps et les violences contre soi, comme des techniques du corps,

au sens où Mauss l’entend, qu’elles soient violentes ou non 92 . Il y aurait donc destechniques politiques du corps. Ces techniques politiques du corps obéissent au mêmemode d’acquisition que les autres techniques : l’imitation prestigieuse. Un gréviste de la faimva refaire des gestes qu’il a vu réussir chez un autre, ayant, pour lui, figure d’autorité, cesuccès ne se limitant pas à atteindre le but recherché, mais à attirer aussi l’attention desmédias et de l’opinion publique sur la cause défendue. Donc, on a vu comment le corpspouvait être éduqué à être un instrument technique, tout d’abord, mais aussi politique.

89 « L'enfant, l'adulte, imite des actes qui ont réussi et qu'il a vu réussir par des personnes en qui il a confiance et qui ontautorité sur lui. » (ibid ., p.8)

90 ibid.91 « Une sorte de révélation me vint à l'hôpital. J'étais malade à New York. Je me demandais où j'avais déjà vu des demoiselles

marchant comme mes infirmières. J'avais le temps d'y réfléchir. Je trouvai enfin que c'était au cinéma. Revenu en France, je remarquai,surtout à Paris, la fréquence de cette démarche ; les jeunes filles étaient Françaises et elles marchaient aussi de cette façon. En fait,les modes de marche américaine, grâce au cinéma, commençaient à arriver chez nous. » (ibid., p,7)

92 J. Siméant considère la grève de la faim et les automutilations comme « des "techniques du corps" de violences faites àsoi » (J. Siméant, op. cit., p.53)

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Première partie : De la puissance persuasive des discours sur le corps, comme instrument de lacontestation politique et de ses conditions de possibilités

AULOMBARD Noémie 31

Les travaux de Mauss permettent aussi de mettre en exergue l’apposition (l’imposition)de la marque de la société sur le corps, voire la marque de l’organisation sociale. En effet, lastructuration de la société se fonde sur une division première, celle des sexes, entre hommeet femme. Ainsi, la société a besoin d’assigner un sexe à tout individu qui la compose, sansquoi l’organisation sociale et la distribution du pouvoir au sein de cette société en seraitfortement perturbée. Or, « […] le corps est l’indicateur premier du sexe. C’est l’une de sesfonctions sociales que d’actualiser, de rendre visible ce qui est considéré comme la division

fondamentale de l’espèce humaine : le sexe […] » 93 . La nécessité de connaître le sexe d’unindividu engendre une construction du corps en tant que corps sexué. Cette sexuation neserait pas naturelle, ne serait pas donnée, mais serait fabriquée par les institutions sociales94 . Cette fabrication sociale du corps agirait non seulement sur le corps lui-même, dans

l’ornementation ou la transformation de celui-ci 95 ou dans l’acquisition de techniques du

corps 96 ; mais elle agirait aussi sur la conscience que l’individu a de son propre corps 97

. On voit donc que le corps est pris dans la logique idiosyncrasique que la société crée etentretient. Là, est mis en exergue le contrôle social sur le corps des individus, la mainmisede la société sur le corps.

Cette mainmise est plus flagrante encore dans la question de la relation entre lesindividus, leur corps et l’État.

Le contrôle de l’État sur les corpsMais, tout d’abord, qu’est-ce que l’État ? L’État est la forme moderne que prend, à partir du

XVIème siècle, le pouvoir politique. Ce sont les institutions du pouvoir qui, sur un territoiredonné, mettent en forme – et au pas – la société, qu’il organise, régule, contrôle. Selon

Weber, l’Étata « le monopole de la violence physique légitime » 98 . Ainsi, confisquant aux

93 Guillaumin, Colette, Sexe, Race et Pratique du pouvoir (L’idée de Nature), côté-femmes éditions, coll. Recherches, 1992,« le corps construit », p.117

94 « Ceci implique une intervention constante des institutions sociales, tout au long de la vie d’un individu, intervention quicommence à la naissance [...]. Et cette construction sociale est inscrite dans le corps lui-même. Le corps est construit corps sexué[...]. En d’autres termes si le corps sexué ne l’est pas de la même façon [dans les différentes sociétés], il n’en est pas moins construit(et non pas donné) dans les sociétés que nous connaissons aujourd’hui. » (ibid., p.118)

95 Voir ibid., p.1201-12296 « Ce qui concerne les « façons » propres à chaque sexe de tenir son corps et d’en user, de le mouvoir dans la marche ou

de le garder au repos, de le mettre en rapport avec les autres. Il y a des façons spécifiques de marcher pour les hommes et pour lesfemmes, tout comme il y a des façons spécifiques de s’asseoir, de tenir les jambes une fois que l’on est assis, une façon spécifiquede saisir les objets au repos et de les attraper au vol » (ibid., p.125)

97 « Cette "fabrication" ne se limite pas à des interventions purement anatomiques qui concernent la seule apparence du corpset ses réactions motrices mais, par le biais de ses pressions et incitations physiques, elle construit également une forme particulièrede conscience. La conscience individuelle […] est déterminée par, et dépendante de, ces interventions physiques et mentales quepratique sa société. La continuité entre les conditions matérielles et les formes de conscience est particulièrement marquée par lesappartenances de sexe » (ibid., p.119)98 « De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. […] Par contre il faut concevoir l'État contemporaincomme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques- revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. Ce qui est en effet le propre de notre

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

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particuliers l’usage de la violence et de la contrainte, le pouvoir étatique s’arroge le droitexclusif d’user de ces mêmes violence et contrainte, non seulement à l’extérieur desesfrontières, mais aussi – et surtout – à l’intérieur de son territoire.

Ainsi, par le biais de cette violence légitime, l’État contrôle et disciplinarise le corpsdes hommes et des femmes qui vivent sur son territoire. Dans Surveiller et Punir, Foucaultmontre la toute-puissance que l’État exerce sur les corps. En effet, la violence légitimede l’État vise essentiellement le corps. On le voit dans la longue pratique des supplices,où les souffrances physiques du condamné étaient publicisées et mises en scène. Ainsi,l’ouvrage de Foucault débute par la description détaillée du supplice de Damiens, un criminel

du XVIIIèm e siècle 99 . Cependant, à partir de la fin du XVIIIèmesiècle et du début du

XIXème siècle, les exécutions publiques disparaissent peu à peu, car « on soupçonne cerite qui "concluait" le crime d’entretenir avec lui de louches parentés : de l’égaler, sinon dele dépasser en sauvagerie, d’accoutumer les spectateurs à une férocité dont on voulait lesdétourner […]. L’exécution publique est perçue maintenant comme un foyer où la violence

se rallume. » 100 .La prison naît de ce long processus d’invisibilisation de la punition ; laviolence demeurepourtant, passant du champ physique au champ symbolique, mais visant

toujours le corps, de façon certes davantage pudique 101 . Donc, par le supplice ou par laprison, l’État exerce sa toute-puissance sur le corps des individus.

On voit aussi la mainmise de l’État sur les corps par l’instauration de techniques dediscipline corporelle.Mais tout d’abord, qu’est-ce que la discipline ? Foucault en donne unedéfinition tout à fait explicite : « Ces méthodes qui permettent le contrôle minutieux desopérations du corps, qui assurent l’assujettissement constant de ses forces et leur impose

un rapport de docilité-utilité, c’est cela qu’on peut appeler les "disciplines". » 102 . Ainsi, parle biais d’institutions comme l’armée, l’école, la prison,l’État peut appliquer ces méthodesqui rendent dociles les corps et permettent d’assurer un meilleur contrôle sur les individus.Ces méthodes sont apparues à l’âge classique, où il y a eu « toute une découverte du corps

comme objet et cible de pouvoir » 103 . L’émergence de la discipline du corps serait en lien

avec la notion de l’Homme-machine, qui se forge à la même époque 104 . Le corps est donc

époque, c'est qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesureoù l'État le tolère : celui-ci passe donc pour l'unique source du "droit" à la violence. » (Weber, Max, Le savant et le politique, 1919,p.32, version numérique conçue par J.-M. Tremblay, coll. « les classiques des sciences sociales », URL. : http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/savant_politique/Le_savant.html . Consulté le 25 juillet 2012.

99 Foucault, Michel, Surveiller et Punir, 1975, éd. Tel-Gallimard, p.9-12100 ibid., p.15-16101 « On dira : la prison, la réclusion, les travaux forcés, le bagne […] sont bien des peines "physiques" : à la différence

de l’amende, ils portent, et directement, sur le corps. Mais la relation châtiment-corps n’y est pas identique à ce qu’elle était dansles supplices. Le corps s’y trouve en position d’instrument et d’intermédiaire : si on intervient sur lui en l’enfermant, ou en le faisanttravailler, c’est pour priver l’individu d’une liberté considérée à la fois comme un droit et un bien » (ibid., p.17-18).

102 i bid ., p.161103 ibid., p.160104 « Le grand livre de l’Homme-machine a été écrit simultanément sur deux registres : celui anatomo-métaphysique […]

celui, technico-politique, qui fut constitué par tout un ensemble de règlements militaires, scolaires, hospitaliers et par des procédésempiriques et réfléchis pour contrôler ou corriger les opérations du corps » (ibid.)

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Première partie : De la puissance persuasive des discours sur le corps, comme instrument de lacontestation politique et de ses conditions de possibilités

AULOMBARD Noémie 33

dans « une machinerie de pouvoir qui le fouille, le désarticule et le recompose » 105 . Eneffet, par les méthodes disciplinaires, l’État façonne des corps plus performants, tout en les

soumettant 106 . Donc, on voit comment s’instaurent le contrôle et la mainmise de l’État sur

les corps des individus, grâce au monopole de la violence légitime et de la contrainte.Cependant, nous pouvons prolonger ces analyses foucaldiennes, avec l’ouvrage d’E.

Dorlin, La matrice de la race, en nous demandant ce qu’il en est du rapport entrel’État,les institutions qui le composent et le corps des femmes. En effet, dans ce livre, l’auteuremet en rapport l’idée de contrôle du corps féminin par les institutions médicales et celle de

nation. Ainsi, au milieu du XVIIIème siècle, alors que « la santé est en passe de devenirun objet de préoccupation sociale et politique qui nécessite la mise en œuvre de moyens

à l’échelle du royaume » 107 , le concept de santé féminin e émerge, marquant le point dedépart de l’instauration de la mainmise des médecins sur le corps des femmes.En témoignel’arrivée des hommes de l’art dans l’univers de l’accouchement, jusqu’alors marqué par

la prédominance des sages-femmes 108 . Cette intrusion des médecins dans les mondesféminins dénote la volonté étatique de mettre en place « une politique nataliste,considérée

comme le dispositif central du renouveau de la Nation française » 109 , établissant ainsi

sa mainmise sur le corps des femmes, par l’intermédiaire des institutions médicales 110

. E. Dorlin insiste sur le rôle de mise en ordre sociale de la médecine, notamment par

l’élaboration de normes qui doivent définir ce qui est sain et ce qui est malsain 111 et décrire

de bons modes de vie pour les femmes 112 .Ainsi, la société et l’État ont instauré une mainmise et un contrôle sur le corps des

individus. Par le monopole qu’a l’État sur la violence physique, on voit le pouvoir qu’ontles institutions étatiques sur les corps. Dès lors, on peut comprendre, à la lumière decette mainmise et de ce contrôle, les usages du corps dans la contestation politique. Eneffet, même si les manifestations violentes sont de plus en plus rares, la violence peutsurvenir tout de même dans les défilés, de façon plus ou moins ponctuelle, et notammentdans des affrontements entre manifestants et policiers, c’est-à-dire des représentants del’État et à qui l’État délègue le droit d’user de la violence pour maintenir l’ordre. Cependant,

105 ibid., p.162106 « La discipline fabrique ainsi des corps soumis et exercés, des corps "dociles". La discipline majore les forces du corps (en

termes économiques d’utilité) et diminue ces mêmes forces (en termes politiques d’obéissance) » (ibid.)107 Dorlin, Elsa, La matrice de la race, 2009, éd. La Découverte, p.109108 ibid., voir p.110109 ibid., p.118110 « Il s’agit donc de confier aux médecins […] la gestion de cette nouvelle politique nataliste » (ibid.)111 « Petit à petit, on voit donc se dessiner une véritable échelle de tempéraments féminins, sur laquelle un type physiologique

sain, celui de la bonne mère […] fonctionne comme une norme à l’aune de laquelle l’ensemble des femmes seront jugées saines oumalsaines, et au nom de laquelle on contrôle définitivement l’accès au genre et au statut social et symbolique de mère » (ibid., p.124)

112 « La santé est, dans la vie des femmes, étroitement liée au coït. L’injonction à l’hétérosexualité reproductrice relève ainside la prescription médicale. Ce n’est donc pas simplement la maternité qui devient la marque de la santé et la quintessence de laféminité, c’est aussi l’hétérosexualité. Le mariage et la maternité fonctionnent tous deux comme des antidotes, comme un contrepoisonprovisoire à la morbidité et à la faiblesse naturelle de la féminité » (ibid., p.135)

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

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l’émergence de la violence peut avoir plusieurs facteurs 113 (structurels, interactionnels,conjoncturels, morphologiques) et être marquée par l’irrationalité due aux comportementsen foule. Les actes violents sont rarement issus d’un discours rationnel et construit a priori.

Cela dit, la construction d’un discours en opposition avec l’État est bien plusmarquée lorsqu’il s’agit d’actes de transformations du corps, comme la stérilisation àvisée contraceptive, ou de violences contre soi, telles que la grève de la faim ou lesautomutilations, et en particulier en milieu carcéral. Ils s’inscrivent dans un mouvementde refus de l’emprise du pouvoir de l’État et de la société sur le corps des individus :intervenir sur son propre corps ous’infliger des souffrances, c’est reprendre possession desoi et remettre en cause le pouvoir que s’octroie l’État sur le corps des individus, sur les

individus eux-mêmes 114 .Cependant, nous pouvons noter un élément intéressant : afind’affirmer son opposition à la discipline que lui impose l’État et aux techniques du corps quelui impose la société, celui qui conteste doit tout de même s’imposer une autre discipline etd’autres techniques du corps. La discipline corporelle devient alors une arme contre l’État,et non plus un moyen de l’État.

Ainsi, les discours sur les divers usages du corps dans la contestation politique sefondent sur un système de représentations et de symboles qui s’enracinent, notamment,dans des constructions anthropologiques et historiques. Ainsi, la perception positive dugréviste de la faim se fonde sur le symbole légitimateur du martyr, ancré dans un processusvictimaire et dans l’idée de don de soi. Les usages du corps dans la contestation politiquepeuvent aussi s’élever contre la mainmise disciplinarisatrice de la société et le contrôle dupouvoir sur les corps.

***Nous avons donc vu que la puissance persuasive des discours construits autour

du corps, comme instrument de la contestation politique, reposait sur un dispositif quialliedes éléments sociologiques, culturels et anthropologiques, qui se répondent et secroisent continuellement les uns les autres. Il y a donc de fortes interactions parmi tousces éléments et une analyse pluridisciplinaire est nécessaire pour rendre compte dela construction de discours autour des usages contestataires du corps. Tout d’abord, ilfaut considérer les structures de la société actuelle, car ces usages corporels s’ancrent,avant tout, dans l’époque présente et doivent donc prendre en compte certaines logiques« théâtrocratiques » de la société, notamment la spectacularisation et la médiatisation, pourespérer un impact assez fort sur l’opinion publique et influencer la sphère décisionnelle. Pourcela, ils doivent se mettre en scène et créer – plus ou moins consciemment – des systèmesd’images et de représentations, des systèmes de sens autour de leurs actes et d’eux-mêmes. Cet ancrage dans la société des médias est une première condition de possibilités,que l’on pourrait qualifier de sociologique, de la puissance persuasive des discours autourdu corps, comme instrument de la contestation politique. Ensuite, vient une deuxièmecondition de possibilités, que l’on pourrait dire culturelle : en effet, les représentations surlesquelles jouent les militants se fondent sur un long héritage culturel, qui met en relation lanotion de corps avec celle de politique, de pouvoir et de sacré ; de là, naissent des symboles,

113 O. Fillieule et D. Tartakowsky, op. cit. Voir p.83 sqq.114 « Les prisonniers "ont pouvoir" d’affirmer que le pouvoir n’aura jamais prise sur eux. Ils pourront toujours s’imposer plus

de souffrance que le camp de l’adversaire n’y parviendra […] Disposer de son corps n’a pas seulement une dimension stratégique– s’appuyer sur le seul moyen disponible –, cela remet en cause le monopole supposé de la violence physique légitime de l’État, etaffirme sa supériorité morale et symbolique par rapport à lui » (J. Siméant, op. cit. p.50)

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Première partie : De la puissance persuasive des discours sur le corps, comme instrument de lacontestation politique et de ses conditions de possibilités

AULOMBARD Noémie 35

à partir desquels les discours sur les usages contestataires du corps se construisent. Dessymboles peuvent aussi émerger de constructions anthropologiques et historiques, quimettent en prise le corps avec la société et éclairent la relation entre corps et État. Ainsi,c’est la troisième condition de possibilités de l’élaboration des discours autour du corps priscomme instrument de la contestation politique.

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

36 AULOMBARD Noémie

Seconde partie : quatre casd'usage contestataires du corps :discours, images et entrechocs desreprésentations.

Nous allons maintenant nous intéresser à quatre cas d’usages du corps dans la contestationpolitique et aux discours que les militants, leurs adversaires, les journalistes et le grandpublic développent autour de ces actes et gestes et donc, des représentations qui ysont à l’œuvre. En effet, pour être entendus et compris du grand public, les discoursdoivent s’ancrer dans l’actualité de la situation en usant aussi de représentations propresà l’événement auquel ils donnent sens ; mais ils doivent aussi faire appel à des imagespuisées dans le passé – voire le passif – de la population à qui ils s’adressent.

Ainsi, nous avons conçu une typologie des usages contestataires du corps, marquéepar une double gradation. En effet, elle va de la simple mise en présence du corps dansl’espace public aux gestes qui ont un effet plus important sur le corps et sur l’organisme :la première gradation est donc l’implication plus ou moins forte du corps dans l’actecontestataire. La seconde gradation est, quant à elle, marquée par le rapport entre individuelet collectif : en effet, l’action manifestante emprunte davantage des logiques collectives quela grève de la faim ou la stérilisation à visée contraceptive. Nous allons donc analyser toutd’abord la simple mise en présence du corps dans l’espace public ; et plus précisément,nous allons étudier le cas des manifestations anti-C.P.E. qui ont eu lieu en 2006 et celuide plusieurs kiss-inorganisés en France. Cela nous permettra de mettre en rapport laforme institutionnelle et routiniséede la manifestation avec une forme nouvelle, puisque lespremiers kiss- in , organisés en France,ont eu lieu à Paris en 2007 ou à Lyon, en 2009.Nos analyses porteront sur des articles de journaux, des textes écrits par des militants,des reportages audiovisuels, ainsi que les commentaires d’internautes à propos de cesreportages que nous avons trouvés sur des sites de partage de vidéos, tels que Youtube.

Par ailleurs, nous étudierons les usages contestataires qui impliquent une interventionplus ou moins violente sur son propre corps. Ainsi, nous analyserons un cas de grève dela faim, celle du député Jean Lassalle. La grève de la faim constitue, avec l’automutilationou l’immolation par le feu, le paroxysme des violences contre soi. Mais à la différence desdeux autres cas, la grève de la faim est davantage perçue comme un geste politique etévoque un peu moins l’image misérabiliste d’un acte désespéré, les automutilations et lesimmolations par le feu étant souvent réduites à des gestes inconsidérés et irraisonnés, voire

à des conséquences de troubles psychopathologiques 115 . Pour étudier le cas de J. Lassalle,nous avons pris appui essentiellement sur les sources journalistiques : nous nous sommesconstitué un corpus d’articles de presse et nous les avons analysés en nous interrogeantsur les diverses représentations sous-jacentes. Le cas de J. Lassalle a ceci d’intéressantqu’il s’agit d’un gréviste de la faim, qui était, au préalable, particulièrement ancré dans les

115 Voir Le Breton, David, Anthropologie du corps et modernité, 1990,Presses Universitaires de France.

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Seconde partie : quatre cas d'usage contestataires du corps : discours, images et entrechocs desreprésentations.

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institutions politiques, quand d’autres jeûneurs contestataires sont mis, ou s’affichent, à lamarge du système politique.

Cependant, parmi les interventions sur son propre corps, on peutcréer une subdivision.En effet, les violences contre soi divergent de ce que nous appellerions des transformationsdu corps, car l’idée de violence est moins prégnante, même si elle y est tout de mêmeprésente. Ainsi, on peut voir, dans les transformations du corps, des formes aussi variéesque le body art ou les moyens contraceptifs, dont la stérilisation à visée contraceptive,en vue d’infécondité volontaire. Nous insistons bien sur l’aspect volontaire de ce type destérilisation, délibérément choisi par un individu, car nous craignons de créer une confusionentre la stérilisation volontaire et la stérilisation imposée, qui est une problématique toutaussi intéressante politiquement mais, somme toute, dénuée du caractère contestataireet donc, assez éloignée du sujet qui nous occupe. Ceci étant posé, travailler sur lesreprésentations qui gravitent autour de ce type de contraception comporte diversesdifficultés, car il n’y a pratiquement pas de travaux de sciences sociales et peu d’articles dejournaux, autres que médicaux, à propos de ce thème. Nous avons donc travaillé à partirde nombreux entretiens que nous avons réalisés par correspondance électronique.

Au cours de cette étude, nous développerons l’idée d’entrechoc des représentations.En effet, un même usage du corps peut véhiculer, dans des contextes variés, desreprésentations différentes, voire totalement opposées ; ou une modification de ce mêmeusage engendrera de nouvelles images qui se surajouteront aux premières, créantainsi un choc avec elles. De ce choc, peuvent naître de nouveaux discours et denouvelles cohérences, ou a contrario, de nouveaux paradoxes. L’idée d’entrechoc desreprésentations vaudra aussi dans la comparaison entre eux de deux usages du corps :selon la façon dont ils pensent le corps dans la contestation politique, les acteurs vontprivilégier telle image, au détriment de telle autre.

***

La mise en présence du corps dans l’espace publicIntéressons-nous tout d’abord à des usages du corps, qui consistent en l’affirmation dela présence du corps dans l’espace public, et aux discours construits autour de cetteaffirmation. Comme nous l’avons précédemment dit, nous allons nous intéresser auxmanifestations et aux kiss-in, que nous pouvons considérer comme une nouvelle formede mise en présence du corps, découlant directement de la manifestation ou du sit-intraditionnels. Pour corroborer l’idée d’un lien entre le corps et tout type de manifestations, onpeut avancer que ce mot est formé de manus (la main en latin) et de defendere (défendre) et« exprime dès l’origine, à la fois l’idée de défense, de revendication, et celle d’une présence

physique » 116 . C’est donc bien le corps qui est ici en jeu, ainsi que les représentations quidécoulent de sa relation avec le politique. Nous allons voir lesquellesdans un instant.

Les manifestations anti-C.P.E.

116 O. Fillieule et D. Tartakowsky, op. cit., p.14

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Commençons tout d’abord par faire un petit rappel des faits 117 : liés aux émeutes debanlieue de 2005 par diverses problématiques communes, telles que la jeunesse et sonavenir, ou l’insertion dans le monde du travail, les mouvements anti-CPE, composésinitialement de lycéens et d’étudiants, naissent en réaction au projet de loi qui vise àaméliorer l’égalité des chances et dont l’article 8 édicte les dispositions du Contrat PremièreEmbauche (C.P.E.). Assorti d’une période d’essai de deux ans pendant laquelle l’employeurpeut licencier l’employé sans justification, c’est un contrat de travail à durée indéterminéepour les moins de 26 ans employés dans des entreprises de plus de 20 salariés. Sesconcepteurs le présentent comme un moyen de lutte contre le chômage des jeunes, sesdétracteurs y voient, au contraire, une facilitation des licenciements abusifs et donc, unfacteur de précarisation pour la jeunesse.

Les mobilisations étudiantes et lycéennes, bientôt rejointes par les syndicats de salariéset les partis politiques de gauche, s’étendent de février à avril 2006. Malgré de trèsnombreuses manifestations, qui réunissent de 1 à 3 millions de personnes, le projet de loiest adopté par le Parlement le 9 mars, et validé par le Conseil Constitutionnel le 30 mars.Mais la mobilisation ne faiblit pas et le 10 avril, le Président, Jacques Chirac, annonce que leC.P.E. sera remplacé par un autre dispositif, marquant ainsi la fin de la « crise du C.P.E. ».

Ainsi, la « crise du C.P.E. » allie des aspects sociaux – les questions de la jeunesse,de l’emploi, de la précarité, des risques, de l’adaptation à la mondialisation – à des aspectsplus politiques – les dissensions internes au parti de la majorité présidentielle (U.M.P.) etles rivalités entre D. de Villepin, alors chef du gouvernement, et N. Sarkozy, alors ministrede l’Intérieur, président de l’U.M.P. et futur candidat à l’élection présidentielle de 2007.

Les mouvements anti-C.P.E. se sont implantés dans toutes les grandes villesuniversitaires de France (Paris, Lyon, Grenoble, Rennes, Montpellier, etc.). Beaucoupd’universités sont bloquées, des défilés de rue sont organisés. La mobilisation reçoit lesoutien de la majorité de l’opinion publique, mais doit, au fur et à mesure qu’elle se prolongedans le temps, faire face à deux adversaires : le gouvernement et les partisans antiblocages.Nous pouvons nous demander quelles sont les représentations en jeu, autant dans lesdiscours de soutien que dans ceux d’opposition aux mouvements anti-C.P.E.

Le pouvoir de la rue et l ’imaginaire de Mai 68Avant tout, rappelons que la pratique de la manifestation est assez ancrée dans les esprits,en France. De 1983 à 2004, le taux de participation aux manifestations a progressé de

27 points 118 . La manifestation est perçue de manière plutôt positive. Cette perceptionrepose, en partie, sur des éléments historiques : les mentalités françaises sont fortement

empreintes d’une culture de la contestation 119 et toute action contestataire est, sommetoute, valorisée.À l’instar des autres actions manifestantes,les mouvements anti-C.P.E. ont

aussi bénéficié du soutien de l’opinion publique 120 .

117 Vas sdon frere neveu, tn je nexisté"usent oir l’article « Actualité de la vie publique : rétrospective 2006 » ( http://www.vie-publique.fr/actualite/dossier/actualite-2006/actualite-vie-publique-retrospective-2006.html ). Consulté le 30 juillet 2012.118 O. Fillieule et D. Tartakowsky, op. cit., p.52119 Voir annexe n°1, document 2.120 Voir annexe n°3

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Seconde partie : quatre cas d'usage contestataires du corps : discours, images et entrechocs desreprésentations.

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Mais il ne faut pas s’imaginer que le retrait du C.P.E. ait été la seule revendication desmanifestants. En effet, la « crise du C.P.E. » est le reflet d’une crise sociale plus globale121 . On peut y voir le désarroi d’une jeunesse qui n’a plus confiance en son avenir, qui al’impression de ne plus avoir prise sur le monde et ne se reconnaît plus dans ce que le

système institutionnel lui propose 122 . Ainsi, comme l’exprime un militant anti-C.P.E 123 . :Nous nous reconnaissons dans la rue sans nous connaître. Nous ne sommesplus des anonymes. Sans faire de l’émeute un mythe, la concrétisation de notreforce nous lie plus à chaque confrontation. Nous ne voulons pas de chefs, ni

de porte-parole. Celleux 124 qui existent, nous ne les reconnaissons pas. Quecertain-e-s s’assoient à la table du gouvernement et illes** seront désavoué-e-s.Nous n’avons rien à négocier et tout à prendre. Nous le savons maintenant plusque jamais.

Manifester serait donc se réapproprier le pouvoir politique, comme si la mise en présence deson corps et de sa force physique dans la rue serait une appropriation du pouvoir politiquepar chaque citoyen, l’affirmation de la présence de chaque citoyen dans l’espace public(politique) et la volonté de maîtriser le présent et l’avenir du pays – ou du moins de pesersur les décisions prises. Or, l’image du peuple prenant en main son destin politique est trèsvalorisée (et valorisante) pour l’opinion publique française.

On peut aussi interpréter, à la lumière de cette affirmation, les violences et lesdégradations qui ont eu lieu pendant les manifestations et les occupations des locaux

universitaires 125 . Nous y reviendrons un peu plus tard, car la violence est un élémentambivalent puisqu’elle s’affiche comme le paroxysme de l’opposition entre l’État et lesmanifestants, tout en étant un facteur de discrédit et de méfiance envers les manifestants.Toutefois, la violence qu’ont pu subir certains étudiants de la part des forces de l’ordre peutcontribuer à faire naître une certaine sympathie– au sens étymologique du terme – pources jeunes de la part du grand public.

Le propos du militant, que nous avons cité, donne également à voir le caractèrefédérateur de la manifestation. On se reconnaît en l’autre, même si on le connaît pas :tous tendent vers un même but et luttent contre un même adversaire ; l’individu fusionneavec le collectif, formant ainsi une communauté d’intérêts et de personnes. Ainsi, l’opinionpublique, par les médias, a construit une image de la jeunesse, comme une sorte de classesociale, chaque jeune devant faire face aux mêmes problématiques et se révoltant. Cetteimage d’une jeunesse qui se révolte est plutôt valorisée, car elle est reliée à l’imaginairede Mai 68. En effet, même si ces deux révoltes étudiantes comportent beaucoup dedifférences, les mouvements anti-C.P.E. ont souvent été comparés aux événements de Mai

121 Voir annexe n°1122 Voir annexe n°2123 Un occupant de l’E.H.E.S.S., CPE – « Le monde se referme-t-il ? » suivi de « Pousser le monde qui s’écroule », « l’Appel

de Raspail » et « Mais où est passé le mouvement réel », mars 2006. URL : http://infokiosques.net/lire.php?id_artic l e=332

. Consulté le 1er août 2012. l'yen.voir oirb so,e, comme si nl'enté de 27 pio fenete, etn , mars124 Celles et ceux ** Ils/ellesllles et ceuxL:l’E.H.E.S.S.

125 Voir annexes n°5 et 6.

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68 126 , preuve que, dans les esprits des Français, ces deux mouvements étudiants et lesreprésentations qui en découlent ont de forts points de contact. Or, Mai 68 est un événementde l’histoire perçue de façon méliorative, par beaucoup de Français. On peut donc penserque les mouvements anti-C.P.E. ont été irradiés de l’aura de l’imaginaire construit autourde Mai 68, renforçant ainsi l’opinion favorable envers eux.Cependant, les représentations –mélioratives et péjoratives – tissées autour de Mai 68 vont être reprises pour décrédibiliserles mouvements étudiants de 2006.

Ainsi, nous voyons comment deux représentations – ici, la reprise en main du pouvoirpar le peuple et le mouvement anti-C.P.E. en nouveau Mai 68 – se complètent pour renforcerl’opinion positif du grand public sur une action manifestante.

Bien sûr, tout le monde, en France, ne se représente pas les mouvements anti-C.P.E.de la même manière.

La démocratie en question ?Nous l’avons dit : des comportements illégaux, tels que des violences durant lesmanifestations ou des dégradations lors d’occupations de locaux universitaires, ont eu lieude février à avril 2006. Ces comportements illégaux peuvent être perçus de deux façonsdifférentes : on peut tout d’abord les interpréter de manière plutôt positive en les situantdans la cohérence et la continuité de la dynamique de désobéissance, de l’affirmation desoi face à l’État et à son contrôle – mais il est vrai que c’est un point de vue minoritaire tenu,

par exemple, par les membres d’un collectif militant grenoblois 127 :La délinquance, comme désobéissance spontanée, comme opposition radicaleà la citoyenneté, porte en elle la contradiction profonde de l’organisation deslois de cette société. Face au mépris généralisé qui lui est renvoyé sous formepassive (désintérêt massif pour la vie citoyenne ou la politique institutionnelle)ou active (délits de toutes sortes - émeutes, sabotages, destructions, vols,économie parallèle, etc.), le pouvoir ne cesse d’accroître les moyens dont ildispose pour contrôler la population.

Mais pour une tranche plus importante de l’opinion publique, ces violences et cesdégradations sont, au mieux, le reflet d’un désespoir latent ; au pire, un élément quidécrédibilise les militants. D’une part, elle donne l’impression d’un mouvement divisé etenclin au désordre, impression entretenue par des journalistes qui affirment, ainsi, leur

hostilité envers les militants, en développant une rhétorique manichéenne 128 à proposde gentils manifestants et de méchan t s casseurs. C’est en tous cas ce que déplore le

même collectif grenoblois 129 :On a une fois de plus constaté, lors du mouvement contre le CPE et son monde,que le pouvoir comme les médias ne parlent de nous en termes "positifs"que quand ils nous considèrent comme inoffensifs, comme pour canaliser

126 Voir annexe n°1, document 1.127 Collectif Les enragé-e-s ouvrent le bal, Le CPE : une goutte dans un lac de rage. Quelques remarques sur la violence, l’illégalité et

l’orientation des luttes sociales, avril 2006. URL : http s://www.infokiosques.net/spip.php?article340 . Consulté le 1er août 2012.128 Voir annexe n°5, document 1.129 Collectif Les enragé-e-s ouvrent le bal, op. cit.

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l’orientation de notre lutte. Quand nous devenons menaçant-e-s, dangereux-euses pour leurs privilèges, pour le statu quo, pour la paix sociale, le discourspeut changer du jour au lendemain et nous sommes alors transformé-e-s en"casseurs", "voyous", qui n’avons "rien à voir avec les manifestant-e-s".

Les journalistes sont donc accusés de déformer la réalité et le discoursdu mouvement, par

les militants 130 , preuve que ces derniers ont bien compris l’influence qu’avaient les premierssur l’opinion. Certains médias renvoient donc l’image du mouvement anti-C.P.E. comme unmouvement divisé et désorganisé, car incapable de maintenir l’ordre dans ses rangs. Or,le désordre, voire le chaos social, estsource de crainte et donc, facteur de dévalorisationpour l’événement qui l’occasionne – ou du moins, qui risque de l’occasionner. On retrouvelà encore l’imaginaire construit autour de Mai 68, mais cette fois un imaginaire péjoratif,que les contemporains des mouvements anti-C.P.E. ont rattaché aux manifestations et auxoccupations du printemps 2006. En effet, Mai 68 évoque, certes, l’image d’une jeunessevivante et contestataire qui veut changer le monde, mais aussi l’image d’un pays en proie

au chaos et d’un événement qui serait source de désordre social, voire moral 131 . Ainsi,

on voit comment des images péjoratives associées à une situation r éférence peuvent êtreappliquées à des situations ultérieures et nourrir la perception et les discours des détracteurscontemporains de ces dernières : les mouvements anti-C.P.E. sont alors vus comme undanger pour l’État et pour l’ordre social qu’il est censé protéger.

Ceci dit, il arrive qu’un aspect mélioratif de l’imaginaire d’une situation référencesoit utilisé pour décrédibiliser une situation ultérieure. On observe ce renversement dereprésentations dans le cas des mouvements antiblocages qui s’opposent aux bloqueurs,pendant le printemps 2006. En effet, les partisans antiblocages jouent sur l’image libertairede Mai 68 et, par opposition à cela, représentent les mouvements anti-C.P.E, comme une

mouvance autoritaire, liberticide, voire antidémocratique et obscurantiste 132 . En témoignele message inscrit sur une banderole d’un rassemblement antiblocage, sur la place duPanthéon : « Il est interdit d’interdire aux étudiants d’étudier ». Cette image antidémocratiqueque ses détracteurs construisent autour du mouvement anti-C.P.E. est renforcée par lerécit de ce qui se passe dans les Assemblées Générales. Selon les partisans de la reprisedes cours et de la fin du blocage des Universités, leur parole n’est pas prise en compte

et les A.G. ne seraient que des mascarades 133 . Ce qui est intéressant, c’est que l’onretrouve, somme toute, les mêmes critiques dans la bouche de militants, pourtant partisansdu blocage. L’aspect jugé trop institutionnel des A.G. ou des Coordinations NationalesÉtudiantes rappelle à certains bloqueurs le jeu actuel de la politique actuelle, voire desapparatchiks soviétiques. Ainsi, un « Compte-rendu politique, critique et subjectif d’unmandaté de la Sorbonne au sujet de la Coordination Nationale Étudiante s’étant tenue à

130 Voir annexe n°7131 « […] La morale, après 1968, on ne pouvait plus en parler […] Les héritiers de mai 68 avaient imposé l'idée que tout se valait, qu'iln'y avait donc désormais aucune différence entre le bien et le mal […] Ils avaient proclamé que tout était permis, que l'autorité c'étaitfini, que la politesse c'était fini, que le respect c'était fini, qu'il n'y avait plus rien de grand, plus rien de sacré, plus rien d'admirable, plusde règle, plus de norme, plus d'interdit. […] » (Extrait d’un des discours de campagne de N. Sarkozy, prononcé à Bercy, le 29 avril 2007,URL. : http://sites.univ-provence.fr/veronis/Discours2007/transcript.php?n=Sarkozy&p=2007-04-29 . Consulté le 31 juillet 2012)

132 Voir annexe n°4133 Voir annexe n°4, document 2.

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Aix-en-Provence les 25 et 26 mars 2006 » 134 revient sur une réunion de ce genre, mettantainsi en exergue l’impression de facticité.

Ça démarre vers midi. Des délégations venant de villes proches se sont fait leplaisir d’arriver en retard. La tribune se présente, elle sera tournante. Granddiscours d’inauguration d’un type de l’Union des Etudiants Communistes,beau comme un jeune cadre stalinien des années 80. […] Après une nouvellepause surgit une idée mystérieuse : le cahier de doléances. Un grand sac pourmettre toutes ces revendications nouvelles, dans la grande tradition du cause-toujours […] Après une nouvelle pause surgit une idée mystérieuse : le cahierde doléances. Un grand sac pour mettre toutes ces revendications nouvelles,dans la grande tradition du cause-toujours. […] Je n’en peux plus, je m’énerve,décide d’aller me coucher. Il est six heures du matin. Les deux autres mandatéesrestent, dorment à tour de rôle. À dix heures, après vingt-deux heures d’AG, estproposé un bureau national, refusé in extremis. Les vingt porte-parole sont élu-e-s, et affublé-e-s d’un mandat impératif (illes ne peuvent donc en principe exprimerleurs positions personnelles). Une bonne moitié, semble-t-il, viennent de l’UNEFmino (la tendance minoritaire du syndicat) : la coord a donc à sa tête la partie del’UNEF qui n’a pas prise sur le porte-parole.

Ainsi, afin de décrédibiliser l’ensemble du mouvement anti-C.P.E. ou une faction particulièrequi le compose, leurs détracteurs mettent en avant l’illusion de démocratie, voirel’aspect antidémocratique du mouvement (filiation ambivalente à Mai 68, comparaisonau stalinisme…), dont les militants jouent, eux, sur les représentations qui ont trait à ladémocratie et au registre libertaire, s’appuyant parfois sur les mêmes images que leursdétracteurs, pour rendre crédibles leurs revendications auprès du grand public.

On assiste donc à un premier entrechoc des représentations. Cependant, commentexpliquer que l’opinion publique ait perçu favorablement les manifestations anti-C.P.E.,malgré tous les débordements qu’elles ont engendrés, alors qu’elle porte un jugementnégatif sur les émeutes des banlieues de l’automne 2005. Nous pouvons avancercomme éléments d’explication leur traitement favorable de la part des journalistes et lesreprésentations qui se sont tissées autour de la forme traditionnelle des manifestations.

Les kiss-inIntéressons-nous maintenant à un nouveau mode d’action collective, apparu trèsrécemment : les kiss-in. Voyons d’abord les points de contact et de divergence entre undéfilé de rue classique et unkiss-in.

Un nouveau type d’action manifestanteIls peuvent être apparentés aux sit-in ou aux flas h mobs, qui sont eux-mêmes liés à l’idéed’action manifestante. En effet, à l’instar de ces deux premiers modes d’action collective,les kiss-in, par le rassemblement d’une multitude d’individus dans un lieu public, affichent lamême démarche symbolique de mise en avant du corps à l’extérieur et donc, la volonté des’affirmer soi-même et d’affirmer sa présence et son pouvoir, dans l’espace public et sur la

134 Kamo, CPE – « Le monde se referme-t-il ? » suivi de « Pousser le monde qui s’écroule », « l’Appel de Raspail » et « Maisoù est passé le mouvement réel », mars 2006. URL : http://infokiosques.net/lire.php?id_article=332 . Consulté le 31 juillet 2012 ?

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Seconde partie : quatre cas d'usage contestataires du corps : discours, images et entrechocs desreprésentations.

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scène politique. Ainsi, sur certains aspects importants, les kiss-in s’inscrivent dans la lignéede la manifestation. Ils en diffèrent pourtant sur d’autres. Tout d’abord, les kiss-in sont unmoyen d’action propre à un seul groupe d’individus : les personnes non hétérosexuelles. Parle fait de s’embrasser, à la vue de tous, dans un espace public, autre que les lieux habituelsde convivialité gay, les couples homosexuels, présents lors des kiss-in, interrogent lesmentalités sur l’acceptation de leur différence par la société. Par ailleurs, en raison de leurtrès récente apparition, les kiss-in donnent une très large place aux médias ; contrairementaux manifestations où le rapport entre journalistes et militants est ambivalent, oscillantparfois entre méfiance et collaboration, la relation entre kiss-in et médias de masse semblebeaucoup plus nette, les organisateurs des kiss-i n utilisant clairement les médias pourdonner davantage de visibilité à leurs actions. Nous pouvons même noter une corrélationentre l’omniprésence des médias dans la société actuelleet l’apparition des kiss-i n. Àl’heure de l’avènement d’Internet et de son intégration dans la vie quotidienne, les kiss-in s’inscrivent donc dans la logique de médiatisation, qui caractérise la société française

actuelle, et se servent de cette logique 135 . Cette inscription dans la logique médiatique sevoit aussi dans le fait que les organisateurs des kiss-injouent sur l’élément, sinon théâtral,du moins spectaculaire, de ce type d’action.On retrouve ici l’idée de la spectacularisationdes moyens d’action : pour rendre visible le mouvement et audibles les discours autourde cette action, il faut le penser comme un spectacle qui pourrait interpeller journalistes etopinion publique, les rendant plus réceptifs aux discours. L’aspect de la nouveauté aidant– le premier kiss-infrançais s’est tenu en 2007 à Paris –, les organisateurs jouent sur troiséléments, le caractère inattendu, l’insoliteet la rapidité, afin de construire l’action comme unspectacle. Toutefois, le rapport au spectaculaire est ambivalent : c’est une mise en scène del’ordinaire, et non pas un spectacle extravagant, que les organisateurs tentent d’instaurer.

Donc, les kiss-in sont un nouveau mode d’action qui s’ancre davantage dans lasociété, renforçant ainsi la puissance persuasive de leurs actes et des discours qu’ilssuscitent.

Les ressorts de l’affirmation d’une minorité dans la sociétéNous l’avons dit : les kiss-in, par la mise en avant du corps des participants dans un lieupublic, permettent d’affirmer la présence de la minorité homosexuelle dans l’espace public.Ainsi, on peut noter ici une tension entre l’intérieur et l’extérieur, la sphère privée et la sphèrepublique, ce qui doit être dissimulé et ce qui peut être montré. Or, la monstration de soi etd’un acte qui met en exergue leur différence – embrasser son/sa partenaire - permet à laminorité homosexuelle de se rendre visible aux yeux de tous, d’accéder à la sphère publiqueet de questionner ainsi les raisons de cette homophobie latente, les normes sociales, lesinterdits moraux qui en découlent, les notions d’égalité et de liberté individuelle, etc.

Toutefois, la visibilité ne va pas toujours de pair avec le spectacle : à l’inverse de la GayPride, moment de fête carnavalesque, les kiss-inveulent afficher un caractère ordinaire ets’ancrer dans le quotidien. En effet, la majorité des personnes homosexuelles revendiquent

d’être « non pas devant la foule mais DANS la foule » 136 . Le caractère spectaculaire, s’iln’est pas nuancé, risque de séparer du public ceux qui sont sur la scène, ceux qui se donnenten spectacle à la foule. Les organisateurs des kiss-in et ceux qui y participentdoivent doncjouer avec une représentation de l’ordinaire pour ne pas devenir l’objet du regard de la

135 Voir annexe n°8136 Voir annexe n°8

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foule et rester dans la foule de sujets ; mais ils doivent aussi mettre en scène cet ordinairepour susciter l’intérêt des médias et l’adhésion de l’opinion publique. On peut voir là unpremier entrechoc des représentations,entre la représentation de l’ordinaire – et tout cequ’elle implique – et celle du spectaculaire, la première se servant et se nourrissant de laseconde.

L’ordinaire est, nous l’avons dit, mis en scène afin de susciter l’adhésion du grandpublic. L’élément principal de mise en scène est, bien sûr, le baiser qui permet de mettreen exergue l’homosexualité des participants, tout en affirmant l’ordinaire de la chose : lebaiser est un geste fait par tous, que l’on soit hétérosexuel ou non. De plus, le baiser estassocié à un imaginaire très positif : c’est un symbole d’union, de respect, d’amour, de paix137 . Donc, on peut penser que ceux qui organisent les kiss-injouent avec cette connotationpacifique du baiser, pour susciter la sympathie du grand public et des médias. De plus, onpeut penser que le baiser renvoie à tout un imaginaire cinématographique et renforce doncl’aspect de mise en scène et l’attrait des médias pour ce type d’action.

Le choix du lieu est aussi très important dans la mise en scène. En effet il faut que cesoit un lieu de passage, un lieu très fréquenté, sans toutefois être un lieu de convivialitéhomosexuelle ; sinon la revendication de visibilité au sein de la société perdrait son sens.Cependant, outre cette volonté de visibilité, l’espace choisi est également porteur de senset la signification du kiss-in diffère en fonction de l’endroit où il se déroule, ainsi que ledestinataire des revendications que porte l’action.Notons aussil’idée d’appropriation del’espace public par cette minorité qui est, en quelque sorte, dépossédée de l’ensemble del’espace public et reléguée à d’autres lieux moins visibles. Ainsi, les deux kiss-i n de Lyon, quise sont déroulés en 2009 et 2010, n’ont pas la même portée, selon qu’ils sont faits Place des

Terreaux ou sur le parvis de la cathédrale Saint-Jean 138 . Dans le premier cas, la Place desTerreaux est un des lieux emblématiques de Lyon : la visibilité de l’action y est donc optimaleet l’appropriation de l’espace public y est, somme toute, mieux acceptée, car c’est un espaceneutre. On peut voir aussi, dans le choix de ce lieu, un message politique : comme il s’agitaussi de la place de l’Hôtel de Ville, l’action se déroule devant ce monument, symbole del’État ; par ce kiss-in , les organisateurs et les participants envoient donc un message à l’Étatet au gouvernement d’alors, qui était contre le fait d’accorder des droits supplémentaires auxcouples homosexuels (mariage, adoption, etc.). Dans le second cas – le kiss-in du 18 mai2010 devant la cathédrale Saint-Jean –, le message est tout aussi politique, mais s’adressemoins à l’État qu’à la société civile, et plus précisément, à ses groupes les plus religieux. Encette journée mondiale contre l’homophobie, les participants ont voulu interroger la relationconflictuelle entre religion et homosexualité. On peut lire dans le choix du lieu – à forteconnotation religieuse – une volonté d’aller s’approprier un espace considéré comme lapropriété exclusive d’une population : les personnes catholiques. Certaines d’entre elles,nous allons le voir dans un instant, ont d’ailleurs perçu cette action comme une provocation.

Ainsi, le discours construit autour des kiss- in par leurs organisateurs et leursparticipants met le corps en première ligne. Cette mise en avant du corps dans l’espacepublic s’affirme dans une volonté de visibilité de la minorité homosexuelle dans la sphèrepublique et de son appropriation par les personnes homosexuelles. Le discours est marquéaussi par ce que l’on pourrait nommer : la mise en scène de l’ordinaire. En effet, ce discoursoscille entre la volonté d’afficher le caractère ordinaire de l’amour entre deux personnes du

137 Chevalier, Jean, et Cheerbrant, Alain, Dictionnaire des symboles, éd. Robert Laffont/Jupiter, coll. Bouquins, 2005, p.97-98138 Voir annexe n°10

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même sexe et la mise en scène qui, par divers éléments, vise à renforcer les messagesportés par l’action et d’atteindre ainsi les médias et l’opinion publique.

Les ressorts des autres discours : de la sympathie à la véhémencehomophobe Nous l’avons dit : les kiss-in sont pensés pour susciter des réflexions et pour interroger surl’homophobie latente. Notons que l’opinion publique, dans son ensemble, est de plus en

plus favorable à l’acceptation de l’homosexualité par la société 139 . Cela tient à plusieurs

facteurs 140 : la législation française est de plus en plus favorable à la reconnaissancedes droits pour les personnes homosexuelles. Cette reconnaissance juridique contribueà donner à voir les gays et lesbiennes comme des citoyens à part entière. Or, l’opinion

publique est empreinte de « "l’habitus psychique" spécifique à l’État-Nation 141 » c’est-à-

dire la perception de la citoyenneté, comme un ensemble uni et indivisible d’individus ayantles mêmes devoirs, mais aussi les mêmes droits. De plus, la télévision donne davantagede visibilité à l’homosexualité et, comme dit M. Cadot, « plus de visibilitééquivaut à plus de

tolérance » 142 . Donc les représentations forgées par la législation et les médias, qui nestigmatisent plus l’homosexualité, font que les discours tendent de plus en plus à considérerl’homosexualité comme une sexualité égale à l’hétérosexualité, ne l’infériorisant plus. Enoutre, la référence à la Seconde Guerre mondiale et à la déportation des populationshomosexuelles par les nazis est souvent utilisée pour légitimer la présence et l’acquisitionde droits de cette population, par le biais de la construction d’images de martyrs autour decette catégorie de personnes. Enfin, ce qui est aussi intéressant, c’est que certains utilisentune rhétorique à connotation religieuse fondée sur l’idée fraternelle d’« aimer son prochain »143 . Or, l’argument religieuxva aussi être utilisé par ceux qui s’opposent.

Cependant, si l’homosexualité semble assez bien acceptée par l’opinion publique,

les kiss-in semblent déranger. En effet, comme le montre M. Cadot 144 , même si les

médias rendent l’homosexualité plus visible dans la société dans les œuvres de fiction,la logique hétérocentrique fait que l’homosexualité devient uneabstraction. En effet, dansles reportages, cette réalité est souvent oblitérée. De plus, l’homosexualité féminine est

moins visible dans les médias 145 ; c’est donc encore tout un pan de la réalité socialequi est oubliée. Ainsi, les kiss-in donne à voir l’homosexualité dans toute sa réalité, etnon plus à travers le prisme de la fiction. Donc on peut penser que du fait de l’imagetronquée de l’homosexualité que fournissent les médias, le grand public la perçoit davantage

139 Voir annexe n°9, document 1.140 M. Cadot, Visibilité, acceptation et hétérocentrisme : les représentations actuelles de l‘homosexualité à la télévision française,mémoire sous la direction d’I. Garcin-Marrou soutenu en septembre 2004, à l’I.E.P. de Lyon,p.17-22. URL : http://doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/Etudiants/Memoires/Cyberdocs/MFE2004/cadot_m/pdf/cadot_m.pdf août 2012.141 J. Siméant, op. cit.,p.58142 M. Cadot, op. c it., p.13143 Voir annexe n°11

144 M. Cadot, op. cit., p.80 sqq.145 ibid., p.85 sqq.

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

46 AULOMBARD Noémie

comme un concept abstrait et sont surpris, voire choqués, quand ils sont confrontés àla réalité concrète. En outre, la dissimulation, dans la rue, de marques d’affection entredeux personnes du même sexe n’aide pas le grand public à voir l’homosexualité danssa concrétude.On peut voir là un autre choc des représentations entre tolérance face àl’abstraction d’une idée et paradigme hétérocentrique confronté à une réalité. Ainsi, même sice mode de vie semble de plus en plus accepté par l’opinion publique, les réactions aux kiss-

in sont mitigées : des applaudissements, des huées, des moqueries. 146 Les participants

sont parfois accusés d’impudeur ou sont réduits à de simples provocateurs. Ici, les kiss-ins’inscrivent moins dans une opposition à l’État que dans une opposition aux normes socialeset aux mentalités qui en découlent.

On perçoit cette opposition, lors du kiss-i n du 18 mai 2010 qui s’est déroulé sur le

parvis de la cathédrale Saint-Jean 147 . Il faut d’abord rappeler que toutes les religionschrétiennes – et leurs institutions – rejettent l’homosexualité, considérée comme un péché.

Ce rejet se fonde sur une certaine représentation de la nature 148 : tout péché est un actecontre nature. Or, il ne faut pas aller contre la nature car Dieu, dans sa parfaite bonté, acréé la nature. Donc l’ordre naturel est parfait et bon ; tout acte qui irait à l’encontre de cetordre tombe dans le domaine du Mal et de l’imperfection. L’homosexualité est donc perçue,par l’Église catholique, de manière très péjorative.C’est ainsi que se justifie l’aversion decertains croyants à l’égard des gays et des lesbiennes, dont témoigne l’attitude véhémentedes contre-manifestants catholiques, présents lors du kiss-i n du 18 mai 2010. C’est, eneffet, au nom de la religion que ces contre-manifestants protestent. On le voit notammentpar le crucifix brandi par un des manifestants, en signe d’affirmation et/ou de défensecontre ce qui lui paraît être le diable. La défense de la religion est un premier élément desdiscours des contre-manifestants catholiques. De plus, on peut noter une récupération dustatut de victime, d’opprimé, par ces contre-manifestants, statut qui revenait initialement auxparticipants du kiss-i n. On voit cette attitude victimaire par le slogan scandé : « Cathophobieça suffit ». On le voit aussi par l’accusation adressée aux organisateurs du kiss-in de vouloirvenir provoquer, voire agresser, les catholiques, sur leurs terres. Cette accusation tend àdiscréditer les revendications des militants homosexuels, en donnant du kiss-i n l’imaged’une action agressive. L’appropriation de cet espace public est un enjeu qui semble ici

problématique 149 . La défense de leur foi et de leur religion et l’attitude victimaire sontles deux principaux ressorts du discours construits autour des kiss-in par leurs opposantscatholiques.

Cependant, de la confrontation entre le discours des partisans des kiss-in et celui deleurs opposants, naissent plusieurs entrechocs des représentations. Un premier entrechoca pour objet la religion. En effet, l’injonction d’« Aimer son prochain comme soi-même »est propre au message chrétien et sert de justification pour l’acceptation des populationshomosexuelles dans la société. En face, les opposants en appellent aux interdits religieuxen matière d’homosexualité.Ici s’opposent donc deux images de la religion : la religion quiprône la fraternité et la religion qui désigne de bons et de mauvais modes de vie. Il y a un

146 Voir annexe n°8147 Voir annexe n°10, documents 2 et 3148 Catéchisme de l'Église Catholique, partie III, section I, chapitre 1, article 8, §. 2. URL. : http://www.vatican.va/archive/

FRA0013/__P64.HTM ; Consulté le 5 août août 2012.149 Voir annexe n°12

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Seconde partie : quatre cas d'usage contestataires du corps : discours, images et entrechocs desreprésentations.

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second entrechoc de représentation qui concerne cette fois, le statut de victime. En effet, lesdeux camps jouent sur la représentation légitimatrice de la victime et du martyr. Cependant,on peut se demander quel effet aura ce jeu des représentations auprès du grand publicet à quel camp il profitera le plus. Nous pouvons penser que le grand public sera plutôtfavorable aux partisans des kiss-in, au vu de la déchristianisation de la société française, desa libéralisation, de la perception péjorative de ces croyants par l’opinion publique, souventqualifiés d’« extrémistes » et taxés d’avoir des attitudes passéistes et d’être coupés desréalités du monde actuel.

Donc, l’opinion publique semble être partagée à propos des kiss-in. Action sympathiqueou pure provocation, les kiss-in n’en restent pas moins une affirmation de soi dans la sphèrepublique et une appropriation de l’espace public, par le biais du corps.

Ainsi, la mise en présence du corps dans l’espace public permet la monstration descitoyens sur la scène politique et l’affirmation de leur pouvoir ou de leur réalité, en tantqu’individus possédant des droits et une légitimité à être écoutés. Toutefois, pour susciterl’adhésion des médias et de l’opinion publique à la cause qu’ils défendent, les militantsdoivent mettre en scène leur corps dans l’espace public et faire appel à des représentationset des symboles qui peuvent être compris de tous.

***

Des interventions plus ou moins violentes sur sonpropre corps

Nous allons maintenant nous intéresser à d’autres usages contestataires du corps : aprèsla mise en présence du corps dans l’espace public, nous allons voir des cas d’interventions,marquées ou non par la violence, sur son propre corps afin de protester contre l’ordrepolitique et social, de le contester et/ou de l’interroger. Mais à la différence de l’affirmationde la présence du corps dans l’espace public, ces interventions plus ou moins violentesimpliquent un engagement du corps plus important. De plus, le rapport du collectif estdifférent, les violences contre soi et autres transformations du corps laissant davantage deplace à l’expression d’une individualité : l’action n’a pas besoin de la collectivité pour prendresens.

Ainsi, nous allons étudier deux types d’interventions sur son propre corps : les violencescontre soi, à travers l’exemple de la grève de la faim, qui est une des formes paroxystiquesde l’engagement du corps ; et les transformations du corps, et plus précisément, le choixde la stérilisation à visée contraceptive.

Les violences contre soi : l’exemple de la grève de la faimTout d’abord, il ne faut pas s’imaginer que les violences contre soi ne se résument qu’auxgrèves de la faim. En effet, on compte, parmi elles, les automutilations et les immolations par

le feu 150 . Cependant, nous l’avons déjà évoqué, la grève de la faim semble, dans l’opinion150 « La grève de la faim, forme dominante du répertoire d’atteinte à sa propre personne, s’accompagne souvent de techniquesd’automutilation, d’autres types de dégradation du corps, voire de suicide » (J. Siméant, op. cit., p.42)

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

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publique, davantage légitimée à entrer dans le champ politique que les automutilations etles immolations par le feu, rejetés dans le domaine des troubles psychopathologiques. Lagrève de la faim bénéficie donc d’une perception plus méliorative que les deux autres typesde violences contre soi évoqués. Ainsi, nous pouvons expliquer cela par trois éléments : le

premier est la référence aux célèbres figures de la non-violence, telles que Gandhi 151 qui,

par le jeûne protestataire, portait des messages éminemment politiques, instaurant ainsi larelation traditionnelle entre grève de la faim et contestation politique. La deuxième raisonsemble être la représentation positive du jeûneur, instaurée par le discours religieux : citons,

pour seul exemple, l’épisode évangélique du jeûne de Jésus 152 .Enfin, la grève de la faimaffiche – relativement – moins un caractère irrémédiable que l’automutilation ou l’immolationpar le feu. Ainsi, ces deux dernières violences contre soi sont, au mieux, perçues comme

des gestes désespérés 153 , du fait de leur caractère irrémédiable ; au pire, elles choquentprofondément le grand public, car, comme nous l’avons vu, ces gestes vont brutalement àl’encontre de la conception du corps, comme objet sacralisé.

Même si nous pensons qu’une lecture politique de ces violences contre soi est possible,nous avons préféré aborder seulement la grève de la faim, car cela nous semble un objetplus facile à saisir, du point de vue du politiste.

Ainsi, nous allons nous pencher sur la grève de la faim, que Jean Lassalle a observée,de mars à avril 2006. Ce cas a retenu notre attention car ce gréviste a la particularité d’avoirun fort ancrage institutionnel ; or, la grève de la faim est généralement le moyen d’action des« "petits" isolés, face à la machine toute-puissante d’une institution ou d’une entreprise »154 . De plus, cette action a été simultanée au mouvement anti-C.P.E. que nous avons déjàétudié : elle possède donc, avec lui, des points de contact, certes indirects, mais réels.

Commençons tout d’abord par un rappel des faits : Le 7 mars 2006, J. Lassalle, alorsdéputé U.D.F. de la troisième circonscription des Pyrénées-Atlantiques, commence unegrève de la faim. En effet, l’usine Toyal d’Accous, située dans la vallée d’Aspe et détenuepar le groupe japonais Toyo Aluminium, risque de fermer, car l’entreprise projette d’ouvrir,à quelques dizaines de kilomètres de là, un autre site de production d’aluminium, plusfacile d’accès. Inquiet pour le sort des 150 employés de l’usine d’Accous et pour l’aveniréconomique et social de la vallée, J. Lassalle observe une grève de la faim et établit sapermanence dans la salle des Quatre Colonnes, à l’Assemblée Nationale, engendrant unesituation inédite dans les annales de l’institution. En avril, après plus d’un mois de grèvede la faim, le député, très affaibli, est hospitalisé en urgence. Avec l’intervention conjointede J. Chirac, alors Président de la République, de D. de Villepin, son Premier Ministre, deN. Sarkozy et de F. Loos, respectivement ministre de l’Intérieur et ministre de l’Industrieà l’époque, la crise se dénoue et un accord est signé entre les dirigeants de l’entreprise

151 « La large palette de significations du jeûne gandhien, faisant tour à tour appel à l’exemplarité de celui qui le mène, au risque demort, au danger de honte porté sur les adversaires, à l’instauration d’un rapport de force, en même temps qu’à une pratique rigoureusede l’ascèse physique, va indéniablement contribuer au succès de la grève de la faim et à ses multiples appropriations, au-delà mêmedes luttes anti-coloniales. » (J. Siméant, op. cit., p. 19)152 Voir Luc, 4, 1-13153 Voir Le Breton, Davrd, La Peau et la Trace, éd. Métailié, 2003, où il analyse l’automutilation comme une forme particulière delutte contre le mal de vivre.

154 J. Siméant, op. cit. p.73

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japonaise et l’État français pour maintenir la production du site d’Accous. Le 14 avril, J.Lassalle cesse sa grève de la faim, ayant obtenu gain de cause.

Nous l’avons dit : cet épisode doit être considéré dans le contexte de la « crise du

C.P.E. » 155 . Ainsi, la grève de la faim de J. Lassalle s’est déroulée en même temps que lesmanifestations anti-C.P.E. et autres rivalités au sein du gouvernement. Par certains côtés, onpeut penser cet épisode, comme une issue de secours pour un gouvernement en grandedifficulté face à la crise du C.P.E. D’un point de vue structurel, même s’ils ne visent pas lesmêmes adversaires, on peut également établir des points de contact entre le jeûne de J.Lassalle et les manifestations anti-C.P.E. : même peur de l’avenir, de la mondialisationet dela précarisation,même impression de l’impuissance du politique.

Ces éléments vont être au fondement de l’argumentation rencontrée dans les discoursqui vont se construire autour de cette grève de la faim : ainsi, qu’ils soutiennent l’actiondu député béarnais ou qu’ils s’y opposent, ces discours ont besoin de s’ancrer dans lespréoccupations et les inquiétudes de l’époque pour être entendus et compris du grandpublic. C’est ce que nous allons voir maintenant.

Les réactions face à la grève de la faim de J. Lassalle 156

Commençons tout d’abord par les discours construits en opposition à la grève de la faim dudéputé béarnais. On peut les classer en trois séries d’argumentations.

La première série se fonde sur des arguments économiques. Les opposants, àcommencer par les dirigeants de Toyal, évoquent la menace de l’absence de perspectiveséconomiques pour la région, qui serait due à la réticence des multinationales d’investirdans la région de Pyrénées-Atlantiques, voire en France, au vu de l’intervention politiquedans le domaine économique et des contraintes qui semblent peser, dans ce pays, surles entreprises. Cela rappelle au système de valeurs libérales et à la sacralité de la libertéd’entreprise : l’action de J. Lassalle est ici discréditée, car elle va à l’encontre d’une libertéfondamentale. Cela fait aussi écho à la peur de l’avenir très présente en 2006 : à cause dujeûne de J. Lassalle, la vallée d’Aspe est condamnée à une mort économique et sociale,par l’absence d’investissements. On le voit donc : l’argument économique est tenu par desacteurs, qui jouent sur les peurs à propos de l’avenir et qui prône la mondialisation comme lemeilleur remède à ce manque de perspectives d’avenir, pour peu que l’on ne s’y oppose pas.

La deuxième série de discours se fonde sur l’argument de l’impuissance du politique,face aux logiques de mondialisation. Ici, loin de considérer la globalisation comme unremède, certains opposants au geste de J. Lassalle la considèrent comme un malinéluctable : J. Lassalle s’est donc fourvoyé en croyant que son geste pouvait empêcherla fermeture de l’usine d’Accous. À l’inverse, un autre élément entre en contradiction avecle premier, mais qui use toujours du thème de l’impuissance du politique. En effet, loin dese fourvoyer sur cet état des choses, J. Lassalle, au contraire, formulerait, par le caractèreexcessif de son geste, un aveu d’impuissance et de désespoir. Pour certains, cet aveu seraitindigne d’un député car il remettrait en question la sacralité et le pouvoir de l’État, voire lepouvoir sacré des citoyens. Ces considérations à propos de la perte du pouvoir de l’Étatdémocratique, sa place dans un espace mondialisé et la perte de confiance des citoyens

155 Voir annexe n°18156 Ce passage se fonde essentiellement sur les annexes n°13, 16 et 17.

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

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dans leurs élus étaient très présentes en 2006 et influencent la perception de ce jeûnecontestataire, aussi bien que les discours des manifestants anti-C.P.E.

Enfin, une troisième série d’arguments, qui portent, quant à eux, sur le geste en lui-même et qui interrogent sa moralité. En effet, du fait du danger de mort lié à la grève de lafaim, certains y voient un chantage pour faire céder ses adversaires ou un acte irresponsableet irréfléchi car il oublierait sa famille. Cette dernière série d’arguments vise davantage àdiscréditer J. Lassalle et son geste que les sens attribués à son action. Il n’en reste pasmoins vrai que le degré absolu de cet engagement du corps ne laisse personne indifférentet suscite beaucoup de réactions négatives, mais aussi positives.

Dans les discours d’adhésion, on retrouve les mêmes thématiques d’arguments :économiques, politiques et morales. En effet, par cette action protestataire, J. Lassalle auraitpermis de sauver la vie économique et le développement social de la vallée d’Aspe, ainsique le moyen de subsistance de nombreuses familles de bergers, d’agriculteurs et d’artisansqui ne pourraient survivre sans la pluriactivité que permet la présence de l’usine.

La deuxième série d’arguments se fonde sur des considérations plus politiques : onnotera le soutien en demi-teinte de certains hommes et femmes politiques, car un soutientotal serait faire écho à cette impression d’impuissance du politique, évoquée tout à l’heure,

ce qui leur nuirait. Ils admettent tout de même qu’il y a « un déficit d’écoute » 157 pourles parlementaires, qui sont contraints de reconnaître leur pouvoir limité. Leur adhésion sefonde plutôt sur un certain imaginaire de l’oppression, une vision domino-centrée qui obligeà la solidarité envers les opprimés et les victimes. Cela dit, cette idée d’impuissance – oud’inaction – du politique face aux logiques économiques de la mondialisation va alimenterune autre représentation à propos de l’action de J. Lassalle : par contraste avec tous ceshommes politiques qui semblent abandonner le pays aux mains des multinationales, J.Lassalle serait le seul à lutter contre les logiques de la mondialisation : on peut voir ici le

thème de David contre Goliath ou du « village gaulois attaqué et résistant » 158 qui est unereprésentation extrêmement positive dans l’imaginaire collectif.

Cette dernière image gauloise et davidienne engendre enfin des considérations sur lamoralité de J. Lassalle et de son geste : c’est la troisième série d’arguments étayant lesdiscours d’adhésion à l’action protestataire du député béarnais. En effet, certains évoquentson attachement et sa fidélité envers sa terre natale, son abnégation et son courage. Ainsi,par l’engagement paroxystique de son corps et le risque de mort qui en découle, J. Lassallea acquis une figure de héros, à la supériorité morale – voire physique –. D’autres grévistes

de la faim se réfèrent à lui et le prennent en exemple 159 , ce qui tendrait à montrer quela grève de la faim peut se penser comme une technique du corps, qui se diffuse par unphénomène d’imitation prestigieuse. De plus, le jeûneur béarnais, par sa grève de la faim,est perçu comme un symbole de résistance à une source de pouvoir. Par l’intermédiaire deson corps, il manifeste son pouvoir d’opposition à des logiques qui dépassent généralementles individus ; il a opposé son corps à la « machine » (cf. : note 153). Ce n’est pas sansrappeler les discours élaborés autour des manifestations anti-C.P.E.

157 Voir les propos de S. Royal, annexe n°17158 Voir annexe n°18159 Voir annexe n°19. Voir aussi J. Siméant, op. cit., p.72 : « […] après un jeûne très médiatisé, comme celui du député Jean

Lassalle en France en 2006 qui connut une succession de grève de la faim, parfois déconcertantes ou fantaisistes, le mois suivant. »

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Seconde partie : quatre cas d'usage contestataires du corps : discours, images et entrechocs desreprésentations.

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Ainsi, dans les discours d’adhésion, comme d’opposition, à la grève de la faim de J.Lassalle, diverses représentations entrent en connexion et en contradiction les unes avecles autres, s’entrechoquent pour donner des sensnouveaux à cette action. Ce choc desimages a aussi lieu dans la comparaison entre les discours qui s’élaborent autour de l’actionmanifestante et ceux qui se construisent autour du jeûne protestataire. On pourrait doncdire que le manifestant etle gréviste de la faim disposent d’une même palette d’imageset de significations, du fait qu’ils utilisent tous les deux leur corps comme instrument decontestation politique : lutte contre le pouvoir, figure du martyr, affirmation de leur pouvoir decitoyen contenu dans leur corps même, etc. Cependant, puisque le degré d’engagement deleur corps est différent, chacun va appuyer son discours sur telle ou telle image et insister surtelle ou telle façon de se représenter, lui-même et son geste, devant les médias et l’opinionpublic. Ainsi, J. Lassalle va davantage insister sur la notion du sacrifice et du don de soi etva élaborer, autour de lui et de son geste, tout un imaginaire relatif à la figure du martyr,qu’il présentera auprès des médias et du grand public, afin d’en être compris. C’est ce quenous allons montrer maintenant.

Le discours de J. Lassalle à propos de sa grève de la faim 160

Soulignons tout d’abord un élément biographique qui nous semble important : J. Lassalle a

été influencé par la mouvance non-violente et la mouvance chrétienne de gauche 161 . Cesinfluences se retrouvent non seulement dans sa pratique de la grève de la faim, mais aussi– et surtout – dans les discours qu’il construit autour de cette pratique.

Ainsi, le député béarnais tend à élaborer, consciemment ou non, toute une imageriede martyr, autour de son action. Se présenter sous les traits d’un martyr accroît la portéede ses revendications et légitime son discours, car, du fait de la perception positive de lafigure du martyr, le public éprouve de la sympathie et du respect pour celui qui a souffertpour défendre une cause. Mais quels sont les divers éléments qu’utilise J. Lassalle pourconstruire cette représentation victimaire autour de sa personne et de son acte ?

Un premier élément réside en la monstration, devant le public par le biais des médias,dela lente dégradation physique subie pendant sa grève de la faim. En effet, la perte de21 kg, l’épuisement, l’affaiblissement physique sont autant de stigmates qui témoignentde la souffrance ressentie par le député, durant ces trente-neuf jours de jeûne. De plus,les nombreux examens médicaux, auxquels il se soumet, permettent de constater qu’il ne

« triche » 162 pas et, par là, le caractère véridique de son engagement. Ainsi, par sonengagement incontestable, J. Lassalle se donne corps et âme.

Ce don de soi – ou ce sacrifice –, plein et entier, constitue le deuxième élément quipermet l’instauration de la figure du martyr dans le discours du député jeûneur. En effet, c’està la communauté qu’il dédie son geste, qu’il se donne. On le voit à travers la thématique del’utilité qu’il développe : son jeûne aurait été bénéfique pour le groupe. On voit ici se dessiner

160 Voir annexes n°13 à 15, pour ce passage.161 « Tous les jeûnes ne s’inscrivent pas dans la mouvance non-violente, mais beaucoup bénéficient du savoir-faire des militantshéritiers de ce courant, ou des mouvances chrétiennes de gauche, elles aussi très marquées par cette référence. Jean Lassalle,par exemple, au-delà de sa pratique très ouverte et non conventionnelle du catholicisme, a été marqué par son passage dans lacommunauté, installée dans le Larzac, de Lanza del Vasto, un disciple de Gandhi et l’une des grandes figures françaises de la non-violence. » (J. Siméant, op. cit., p.41-42)

162 Voir annexe n°13

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une relation entre individuel et collectif : une action individuelle semble avoir besoin de serattacher à l’idée de collectivité, pour être crédible et légitime aux yeux du grand public. Parses souffrances physiques, il donne corps aux souffrances psychologiques et symboliquesque tous ressentent, il les met en lumière, il en témoigne. On note ainsi plusieurs montéesen généralité présentes dans le discours de J. Lassalle. Mais la communauté, à laquelle ilse rattache, est difficile à définir et à circonscrire. En effet, J. Lassalle fait le lien entre sonaction et différents groupes de personnes : ainsi, il s’érige en porte-parole des habitantsde la vallée d’Aspe ; puis, par extension, de tous les habitants des campagnes dépeupléeset abandonnées par l’État, mais aussi de tous ceux qui n’ont pas d’avenir, y compris lesjeunes – on peut voir là un écho au mouvement anti-C.P.E. et aux émeutes de banlieuesde l’automne 2005 –. J. Lassalle se fait aussi le témoin de la souffrance de ses collèguesdéputés, en montrant le manque de considération qu’ils subissent de la part du mondeéconomique. En outre, le député béarnais inscrit son jeûne protestataire dans la traditionhistorique de la France :

[…] parce que l’histoire de notre peuple et des peuples s’est faite parfois avecdes gens dont on pense qu’ils n’ont pas de choses à dire ou à exprimer, desinconnus et des sans-grade qui sont sortis de l’ombre l’espace d’un instant, poury re-rentrer d’ailleurs tout de suite après, mais qui avaient quelque chose au fond

d’eux-mêmes qui les dépassait et une souffrance qu’ils ne pouvaient pas taire. 163

J. Lassalle rattache donc son geste à l’évolution historique et à tous les mouvements delutte des « inconnus » et des « sans-grade », ce qui entre aussi en résonance avec lesmouvements sociaux contemporains à l’action du député. Enfin, ce jeûne, au départ liéà la simple anecdote de l’usine d’Accous, permet d’interroger les logiques économiquesissues de la mondialisation et de mettre en exergue des problématiques plus globales.Donc, J. Lassalle présente la grève de la faim comme une action de défense des faibles etdes « petits », et comme un témoignage du malaise de la société entière.

Enfin, le troisième élément qui permet l’élaboration de la figure du martyr, dans lediscours de J. Lassalle à propos de sa grève de la faim, consiste en la suggestion d’unecertaine probité morale, voire en l’instauration implicite d’une position de supériorité morale.On pourrait dire que les deux premiers éléments – la monstration des stigmates et le sacrificepour le groupe – participent de la perception méliorative de l’action du député et donc, decette impression de probité et de supériorité morales. De plus, il affiche un certain respectpour ses adversaires et une certaine humilité, alors même qu’il a obtenu gain de causecontre eux. Il refuse le terme de « victoire » et la dialectique habituelle gagnant/perdant.Cette volonté de ne pas écraser ses adversaires contribue à l’élaboration de la perceptionpositive de la personne de J. Lassalle. En outre, il développe les thématiques de la vie,de l’amour pour son prochain, de l’espoir en de meilleurs lendemains, qui sont des thèmesextrêmement positifs, surtout en des temps, comme en 2006, où l’idée d’égoïsme politiqueet l’impression d’absence de perspectives d’avenir sont assez récurrentes. J. Lassalle, parson discours, amène donc l’espoir d’une issue de secours pour la société française :

Il faut retrouver, il faut que les yeux se décillent, il faut que les bouches s’ouvrentde nouveau. Il faut que nous sachions retrouver le langage des hommes libresqui se parlent. A ce moment-là, les hommes et les femmes politiques reprendrontde la force et ils recueilleront dans les institutions de la France, de l’Europe, les

163 Extrait de la conférence de presse tenue par J. Lassalle, le 14 avril 2006, à l’hôpital de Garches. URL. : http://didier-

rychter.typepad.com/mon_weblog/files/conference_de_presse_jean_lassalle_14_avril.pdf . Consulté le 9 août 2012.

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Seconde partie : quatre cas d'usage contestataires du corps : discours, images et entrechocs desreprésentations.

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moyens de régulation qui manquent tant dans le monde qui s’est aujourd’huiinvité à nous et dont nous devons impérativement tenir compte. Et à ce moment-là, c’est une grande phase d’espoir, d’humanité et d’avenir qui va s’ouvrir à nouscomme à ceux qui, au lendemain de la guerre, lorsque l’Allemagne et de Franceétaient hachées, se sont mis gentiment au travail et ont reconstruit pierre par

pierre. 164

Donc, le discours de J. Lassalle se fonde sur la figure légitimatrice du martyr qui, elle-même, repose sur trois idées : la monstration des stigmates, le sacrifice pour le groupeet l’instauration d’une position de supériorité morale. Ainsi, il rend son action crédible etrecevable auprès de l’opinion publique ; et son discours, relayé par les médias, est trèscohérent : l’image du martyr traverse toute la production de son discours et aucune autrereprésentation ne vient s’entrechoquer avec elle. Il fait de son corps un témoin de lasouffrance générale de la société.

Ainsi, par la mise en relation entre l’action manifestante et la grève de la faim, à traversdeux événements de l’année 2006, on voit que le manifestant et le jeûneur disposent dela même palette de représentations, du fait de l’idée commune d’engagement du corpsdans la contestation politique. Cependant, selon le degré de cet engagement – entre simplemise en présence et violence paroxystique contre soi –, chacun va fonder son discourssur telle représentation plutôt que sur telle autre. De plus, la relation entre individuel etcollectif est différente entre une manifestation et une grève de la faim. Ainsi, on remarqueaussi, par la présence de plusieurs montées en généralité dans le discours du jeûneur, unevolonté de rattacher son action individuelle à une idée de collectif, afin de le rendre crédibleet légitime aux yeux de l’opinion publique. Or, dans une manifestation, le rapport au collectifest immédiat : le discours des manifestants sur leur action a moins besoin de revendiquerleur lien avec l’idée de collectivité puisque l’action manifestante est une action collective,par excellence.

Nous allons voir maintenant un autre usage contestataire du corps, où le rapport entreindividuel et collectif semble encore plus problématique.

Une transformation de son corps : la stérilisation choisie à visée

contraceptive 165

Intéressons-nous maintenant au choix de certain(e)s de se faire stériliser et de supprimerainsi toute fonction procréatrice du corps. Cette transformation du corps est intéressante,mais en même temps difficile, à étudier, car, nous l’avons dit, très peu de travaux desciences sociales traitent de ce sujet et on remarquera l’épais silence des médias à proposde ce sujet. Pourtant, il existe une loi qui autorise, depuis 2001, chacun(e) d’accéder àla vasectomie ou à la ligature des trompes, sans autre motivation que de ne pas vouloir

d’enfant 166 . Cependant, cette loi autorise le refus des médecins, sans avancer d’autres

solutions, ce qui rend difficile l’accès à la stérilisation choisie.164 Fin de la conférence de presse tenue par J. Lassalle, le 14 avril 2006, à l’hôpital de Garches.165 Voir annexes n°20 à 30 pour ce passage.166 Il s’agit de la loi n°2001-588, chapitre III : Stérilisation à visée contraceptive : « Art. L. 2123-1. - La ligature des trompes ou descanaux déférents à visée contraceptive […] ne peut être pratiquée que si la personne majeure intéressée a exprimé une volonté libre,

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Ce qui gêne aussi l’étude de ce fait social, réside en la difficulté de le définir et de ledélimiter à un champ particulier de la réalité sociale et à une seule catégorie d’images. Eneffet, certaines personnes se représentent ce choix comme une violence contre soi ou uneautomutilation – physique et/ou symbolique. Pour d’autres, c’est une transformation de soncorps qui induit, certes, des effets irréversibles, mais ce choix ne semble pas les heurter.Nous avons pris le parti de considérer cette intervention sur son propre corps, comme unetransformation – importante, car cela peut modifier le rapport à soi, son rapport au corps, sonrapport à la société –, et non comme une violence contre soi ou une automutilation, parceque cette décision n’implique pas la volonté de se faire mal ou de se mettre en danger ; et,comme nous l’avons déjà évoqué, on lie généralement l’idée d’automutilation à des troublespsychopathologiques ou à l’expression d’un certain désespoir ; or, même si la stérilisationchoisie peut être liée à des considérations psychologiques, on ne peut pas réduire l’analysede ce phénomène à une lecture psychologisante. De plus, le rapport entre l’individuel et lecollectif n’est pas le même dans la stérilisation choisie que dans les actes de violence contresoi. En effet, cette décision est marquée par un caractère fortement personnel : la personnefait cette démarche, avant tout, pour elle-même, et non pas pour – ou contre – la société ;elle ne veut pas dédier son corps, encore moins sa souffrance, à la société ; au contraire,par ce geste, elle veut signifier que son corps lui appartient pleinement. Ce geste ne visedonc pas de personnes physiques ou morales, mais seulement les normes sociales, en lesinterrogeant. C’est en ce sens que cet acte est politique : l’individuel sert alors à mettre enexergue les lois invisibles du collectif, un corps étant utilisé pour interroger les normes quipèsent sur les corps, et peut-être pour les rendre plus flexibles.

Ce phénomène nous intéressait également dans notre travail de mise au jourdes représentations et de discours élaborés autour du corps comme instrument de lacontestation politique, en ceci qu’au contraire des manifestations et des grèves de la faim,cette transformation du corps était très peu médiatisée. Le grand public peut donc lui-mêmeforger directement des discours sur la stérilisation choisie, sans passer par le prisme desjournalistes. Or, il y a une kyrielle d’images et de références, bien souvent inconscientes,quisont à l’œuvredans les discours tenus sur cette transformation du corps.C’est ici quel’entrechoc des représentations semble le plus important car des images différentes,contradictoires ou complémentaires peuvent s’entrechoquer, au sein du discours tenu surce sujet par une même personne. Pour effectuer cette mise en lumière des représentations,nous avons procédé de la manière suivante : nous avons recueilli des témoignages depersonnes plus ou moins concernées par ce sujet, sur des sites Internet de médiasalternatifs et à travers des discussions par courrier électronique. Nous les avons ensuiteanalysés, en nous demandant quels étaient les ressorts représentationnels de ces discours.

Commençons par étudier les discours de celles et ceux qui font le choix de lastérilisation.

Une affirmation de soi face au contrôle de l’État et de la sociétéLe choix de se faire stériliser résulte d’une réflexion, avant tout, individuelle. En effet, lapersonne prend une décision qui implique son avenir, le rapport à son corps, la perceptionqu’elle a d’elle-même. C’est donc une décision qui engage profondément son intimité. Lesraisons peuvent être très variées, selon qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme : outre lenon-désir d’enfant (supplémentaire), le refus des effets secondaires des moyens habituels

motivée et délibérée en considération d'une information claire et complète sur ses conséquences. Cet acte chirurgical ne peut êtrepratiqué que dans un établissement de santé et après une consultation auprès d'un médecin […] Un médecin n'est jamais tenu depratiquer cet acte à visée contraceptive mais il doit informer l'intéressée de son refus dès la première consultation. »

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Seconde partie : quatre cas d'usage contestataires du corps : discours, images et entrechocs desreprésentations.

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de contraception ou le rejet de l’idée de grossesse peuvent contribuer, chez une femme,à cette prise de décision. Chez un homme, peuvent le guider dans ce choix le refus depaternité, ou la peur de ne pouvoir ou de ne savoir s’occuper d’un enfant, la volonté, s’ilest en couple, de ne pas laisser à sa conjointe la responsabilité d’assurer seule la prise encharge de la contraception du couple.

Toutefois, ces considérations personnelles peuvent se doubler de considérationsphilosophiques, politiques et d’interrogations sociales. Cela concerne tout d’abord le non-désir de devenir père ou mère. En effet, le choix de ne pas avoir d’enfant, et donc d’aller àl’encontre de la loi de la nature qui dit que chaque être vivant est amené à se reproduire,ainsi que de la norme sociale qui ordonne à chaque individu d’être parent : on le voit par

la pression sociale qui pèse sur les personnes sans enfant 167 . Cette décision a donc une

portée philosophique, en ceci que, par elle, l’individu refuse l’emprise de la nature et del’animalité : il affirme ainsi le fait d’être humain, en contestant l’ordre naturel. Cependant, lanotion d’ordre naturel sert souvent d’allégation à l’instauration d’un ordre social : la sociétéprend pour modèle la nature, ou ce qu’elle croit interpréter dans les mouvements naturels.La réflexion philosophique se double alors d’une réflexion politique et sociale, visant àinterroger la notion de descendance et l’obligation sociale d’assurer une fonction parentale.Par cette décision d’intervention sur son propre corps, l’individu affirme sa liberté et sonindépendance face à des impératifs sociaux qui impliquent une idée de mainmise de lasociété – et de l’État – sur le corps des individus : la personne qui projette de se faire stérilisersignifie ainsi son refus de remplir la fonction procréatrice que lui assigne la société. De plus,cette réflexion politique peut aussi s’élargir à des considérations qui remettent en questionle rapport entre hommes et femmes, ainsi quela place de celles-ci dans la société. En effet,un homme, qui serait en couple et qui se fait stériliser ou projette de le faire, ne veut pas quela responsabilité de la prise en charge de la contraception du couple incombe uniquement àsa conjointe. Sachant que les moyens de contraception impliquent parfois une modificationdu rapport au corps, chez les femmes, cet homme veut instaurer un rapport d’équité dansson couple, tout en soulageant sa conjointe des désagréments importants occasionnéspar la prise de pilule ou la pose d’un stérilet. Le choix de la stérilisation masculine vaà l’encontre des représentations sociales à propos de la position inférieure des femmesdans le couple, de l’obligation de souffrances de celles-ci et de la responsabilité qu’ellesdoivent endosser sur l’avenir familial, représentations sociales, certes en relatif déclin, maisencore présentes dans la société. Le choix de la stérilisation féminine va à l’encontre desmêmes représentations, mais il faut aussi considérer d’autres problématiques : le rapportentre féminité et maternité, l’infantilisation des femmes, voire l’aliénation des femmes quecertaines refusent, l’emprise de la médecine sur le corps,etc. C’est ce que nous allonsdévelopper dans un instant.

Donc, le choix de se faire stériliser résulte, avant tout, d’une réflexion qui touche àl’intime. Cependant, l’individu peut faire intervenir des considérations plus philosophiqueset politiques. Son geste interroge les normes sociales. Dans le choc entre la représentationd’un individu qui clame sa liberté et revendique la maîtrise de son corps et celle de l’emprisede l’État, de la société ou de la médecine sur les personnes, le corps est toujours unenjeu individuel, social et politique.

Analysons maintenant les discours construitsautour de la stérilisation choisie par despersonnes moins directement concernées par cette décision.

167 Voir annexe n°31

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La liberté de disposer de son corps contre le choix d’être parent ?Commençons par les réactions du corps médical face aux patients qui veulent se fairestériliser. Beaucoup de refus sont essuyés par ceux-ci, de la part des médecins. Eneffet, les médecins évoquent souvent l’impossibilité de pratiquer ce genre d’interventionsur le corps des patients, au nom de la déontologie et de la morale. Toutefois, on peutremarquer une légère différence de traitement, selon le sexe, l’âge et la situation familialedu patient. Ainsi, un homme, déjà père de famille, aura davantage de facilité à accéderà cette opération qu’une jeune femme sans enfant. On peut tout d’abord se demandersur quelles représentations sociales et mentales se fonde cette appréhension du corpsmédical envers le choix de se faire stériliser. Déjà, l’impression de mutilation relative àla stérilisation évoque l’idée d’irréversibilité, liée à cette transformation du corps, et soncaractère définitif et irrémédiable. Cette irréversibilité irait à l’encontre du mouvement trèschangeant de la vie, que les médecins se sont justement engagés à protéger et à sauver(serment d’Hippocrate). Ainsi, la conception de sacralité de la vie, et donc du corps, qu’ilfaut à tout prix préserver, même contre la volonté du patient, s’oppose assez fermement àl’idée libérale, déjà évoquée, de disposer de son corps, voire de son existence, comme onl’entend. Par là, on voit aussi le postulat selon lequel on ne peut s’accomplir dans l’existenceque par le prolongement de soi, qui passerait surtout par la constitution d’une descendanceet l’idée de transmission qui en découle, cela se voit par l’évocation assez récurrente, dela part des médecins, de potentiels regrets, chez l’individu qui aurait choisi cette méthodede contraception. Ainsi, on voit deux subjectivités, deux conceptions de l’existence et del’accomplissement de soi, qui se font face. De plus, on remarque que la stérilisation choisien’est pas exempte de représentations relatives à la violence, en général, et à la violencecontre soi, en particulier. En témoigne le présupposé d’éventuels troubles psychiques, qu’ilssoient en amont ou en aval de cette intervention sur le corps. Cela rejoint l’impression demutilation, qui entre en confrontation avec l’idée de liberté et de rapport au corps qui varientselon les individus. Le refus du corps médical peut enfin être expliquée par la peur depoursuites judiciaires, que le patient intenterait plus tard au médecin tenu pour responsablede sa stérilité définitive. Cette peur du procès rejoint l’idée de possibles regrets face à unavenir sans enfant et la notion de violence, déjà évoquées. De plus, on pourrait expliquerle refus plus péremptoire fait à une femme qu’à un homme, en mettant en rapport l’idée depaternité ou de maternité avec les notions de masculinité et de féminité. En effet, dans lesreprésentations sociales, la masculinité ne s’accompagne pas forcément de la paternité : unhomme peut très bien s’accomplir dans l’existence sans avoir d’enfants. Pour les femmes,cependant, l’association entre féminité et maternité est très présente. Une femme ne peuts’accomplir qu’en devenant mère ; dans le cas d’une femme, la mutilation physique sedoublerait d’une mutilation symbolique : on ôterait, à cette femme, le pouvoir de donner lavie, pouvoir ancré dans son corps, voire la possibilité de s’accomplir dans l’existence. Onvoit bien deux représentations – celui d’un homme qui ne doit pas forcément être père etcelui d’une femme qui doit être mère – qui s’entrechoquent, là encore.

Dans nos discussions avec différentes personnes appartenant ou non au corps médical,nous avons demandé, entre autres choses, ce que pensaient les personnes entretenues del’attitude des médecins face à cette situation. Les avis sont partagés. Cela dit, on rencontresouvent la représentation d’un corps médical qui exerce, sous prétexte de détenir un certainsavoir sur le corps et ses mécanismes, une certaine autorité et un pouvoir social sur lesindividus, ce qui va à l’encontre de la liberté individuelle de disposer de son propre corps etde sa propre existence. Les médecins sont souvent taxés de conservatisme et toléreraientmal les idées libérales. Cependant, on trouve aussi l’idée de légitimité relative au refus des

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Seconde partie : quatre cas d'usage contestataires du corps : discours, images et entrechocs desreprésentations.

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médecins : l’irréversibilité du geste semble parfois délégitimer la volonté rationnelle de sefaire stériliser ; les médecins apparaissent donc comme une sorte de garde-fous.

Outre les considérations sur le refus des médecins à pratiquer cette intervention, nousrelevons, dans les propos des personnes avec qui nous avons discuté, deux séries deremarques, l’une sur la stérilisation à proprement parler, l’autre concernant le non-désird’enfant.

Concernant le choix de la stérilisation proprement dite, on retrouve les considérationsdéjà évoquées au sujet des médecins : l’appréhension envers l’irréversibilité du geste,la notion de mutilation et de violence contre son corps, d’atteinte à soi-même. L’individunuirait à sa propre liberté par un choix circonstancié et temporaire. Cette impression deviolence, relative à la stérilisation, peut s’expliquer par l’évocation des campagnes d’Étatde stérilisation forcée à visée eugéniste ou dans le cadre d’une politique de dénatalité,qui ont eu lieu en Allemagne nazie ou en Chine communiste : là encore, le spectre del’autoritarisme, du totalitarisme, du fascisme et du nazisme, qui suppose la mainmiseabsolue de l’État sur les corps et les personnes, hante encore les esprits. A contrario,l’imaged’un État qui aurait, par le biais du corps médical, un certain pouvoir sur les personnes etsur leur vie, est souvent utilisée, cette fois, pour corroborer le bien-fondé de la stérilisationchoisie : pour beaucoup de personnes interrogées, c’est un moyen pour l’individud’affirmerle pouvoir de maîtriser son corps, d’en disposer, une revendication de liberté face à lamainmise étatique et sociale du corps. De ce point de vue-là, le lien est souvent fait avec ledébat sur l’euthanasie ou sur l’avortement, qui sont d’autres moyens de pourvoir son droitde disposer de son corps et de sa vie comme on l’entend. Donc, les discours à propos dela stérilisation proprement dite se construisent autour des représentations du corps, de lasociété de l’État et de la liberté, qui s’entrechoquent et s’opposent entre elles.

Ensuite, concernant le non-désir d’enfant, on rencontre très souvent le postulat qu’êtreparent est un aboutissement dans l’existence : on ne peut s’accomplir qu’en ayant desenfants. La parentalité semble donc un espoir très ancré dans les mentalités, ou du moinsparaît bénéficier très largement d’une aura positive. On le voit par l’évocation de possiblesregrets, qui est assez récurrente dans les discussions que nous avons pu avoir. De plus,même s’ils n’adoptent pas cette position, nombreux sont ceux qui rappellent la différence dereprésentations sociales et de jugements moraux qui environnent l’idée de féminité, dansson rapport à la maternité : une « vraie femme » est (veut être) mère. Cela dit, ce postulatsemble s’estomper quelque peu, progressivement substituée par la considérationqu’unefemme peut très bien, comme un homme, s’accomplir ailleurs que dans la maternité. Cetteconsidération ne va pas sans une réflexion de l’égalité entre homme et femme, tant au pointde vue du rapport à la parentalité qu’au point de vue de la prise en charge de la contraceptionau sein du couple. Néanmoins, on trouve parfois une légitimation du non-désir d’enfants etqui pourrait être résumée par la phrase de Sophocle, dans Œdipe à Colone : « ne jamaisêtre né vaut mieux que tout ».

Ainsi, le choix de se faire stériliser est une intervention sur son corps qui implique, avanttout, l’individu et des déterminations intimes. Considérer le degré de violence dépend dereprésentations que chacun a de son corps et du corps en général. Toutefois, l’ancragede tout individu dans la société prête à ce choix et à ce geste une signification politique,en ceci que cette décision interroge les normes sociales qui régissent la relation entre lessexes, la relation de chaque individu à la parentalité et à soi-même. C’est là que les discourss’opposent le plus entre eux et que les représentations s’entrechoquent le plus, du fait dela confrontation de la multitude de paradigmes en présence.

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

58 AULOMBARD Noémie

Conclusion

Dans ce mémoire, nous avons cherché à comprendre comment se construisaient lesdiscours autour des usages du corps dans la contestation politique. Plusieurs acteurscontribuent à cette construction : celui qui use de son corps pour contester, la (les)personne(s) à qui cet usage du corps est directement adressé et les autres publics qui yassistent. Tous ces acteurs élaborent des discours sur ce qu’ils font, et ce qu’ils voient, afinde rallier l’opinion publique à sa cause, de dire son soutien ou son opposition, de persuaderenfin les autres de la légitimité de sa position et du bien-fondé de sa posture. Cela nousa amenées à nous demander ce qui fondait la puissance persuasive de ces discours, ànous interroger sur ses conditions de possibilités. En effet, un discours n’est efficace ques’il est entendu et compris par un public, que s’il touche son auditoire, que s’il parle le mêmelangage qu’eux. Or, ce langage s’ancre dans l’époque et dans la société au sein desquellesvivent les principaux protagonistes de la production de discours : il doit donc s’adapter auxstructures de la société, les épouser. Ainsi, la société française actuelle s’inscrit de plus enplus dans un mouvement de spectacularisation, du fait du développement très importantdes médias. Les acteurs de la contestation politique – et leurs opposants – utilisent doncces logiques de la médiatisation, voire de la théâtrocratie, pour porter leur discours auprèsde l’opinion publique, la toucher et influencer sa perception du message politique affichédans les divers usages contestataires du corps. Or, la perception qu’un individu a de ce quil’entoure dépend des représentations que l’on a des éléments qui composent le monde etdes paradigmes à partir desquels on a structuré notre psyché. Ces clés d’interprétation, quimettent en avant le corps comme instrument de la contestation politique, se sont construitesà partir de l’héritage culturel, qui mêlent conceptions du corps et conceptions politiques etreligieuses. Ainsi, le corps apparaît comme une voie d’accès au politique, voire comme unréceptacle du pouvoir civique : il ne semble donc pas incohérent de se servir de son corpsdans la contestation politique, d’avoir un usage politique de son corps. De plus, le discoursreligieux sacralise le corps, puisqu’il en fait une médiation vers le divin : toute atteinte à lachair devient donc sacrilège et suscite une profonde émotion. Dans la religion, le martyrest également sacré car il bénéficie d’un certain prestige moral et donc, il apparaît commeune figure d’autorité. Les souffrances infligées à son corps sont autant de témoignagesdes souffrances de sa communauté de foi ou d’idées. Ces considérations théologiques sedoublent d’observations anthropologiques et historiques : le sacrifice d’un seul permet à lacommunauté de se forger une identité, ce qui explique la perception positive de celui quise sacrifie ou se donne au groupe. La figure du martyr a donc une portée légitimatrice etenvelopper un geste de l’aura du martyre renforce la vision positive qu’a le grand public de cegeste. De plus, les anthropologues et les historiens nous montrent la mainmise et le contrôleexercés par l’État et la société sur les corps, ce qui donne lieu à l‘émergence d’autres senset renforce la puissance persuasive : celui qui conteste, par son corps, s’oppose à la volontéétatique et manifeste son pouvoir : le corps du peuple s’oppose au corps d’État. Ainsi, lecorps apparaît comme une médiation entre soi et le monde, entre l’intériorité et l’extériorité,entre l’intime et le public, entre l’individualité et la collectivité.

Après cette étude des formes de contestation politique par le corps et desreprésentations qu’elles engendrent et qui contribuent à la puissance persuasive desdiscours construits autour de ces usages corporels, nous nous sommes intéressées à

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Conclusion

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quatre situations où le corps est pris comme instrument de la contestation politique. Cesusages peuvent aller de la seule mise en présence corporelle dans l’espace public à uneintervention sur le corps plus ou moins violente. Cette gradation implique un engagementdu corps – et de sa santé – plus ou moins important, engagement qui est corollaire au degréd’individualité de l’acte politique. De plus, selon qu’il s’agit d’une action manifestante, d’unkiss-in, d’une grève de la faim ou de stérilisation choisie, celui qui conteste dispose d’unepalette de mises en scène, d’images, de significationsqui découlent de la mise en rapportentre le corps et le politique ; il va alors choisir – consciemment ou non – de jouer surtelle ou telle image, sur telle ou telle évocation. Ces représentations qui naissent du rapportentre corps et politique, corps et pouvoir, corps et religieux, corps et social, sont, pourrait-ondire, au fondement des discours autour de ces actes de contestation politique qui mettenten avant le corps. Viennent, ensuite, se surajouter, dans ces discours, des représentationsqui s’ancrent dans l’époque et le contexte de chacun de ces actes contestataires. Cesreprésentations surajoutées varient en fonction des acteurs en présence, de l’évolutiondes mentalités, des structures et de la conjoncture sociales, des différentes formes de lacontestation. Cela donne lieu à une véritable bataille de mots et de représentations : lesimages s’entrechoquent et donnent de nouvelles cohérences et de nouveaux paradoxesà exploiter. Entre la monstration d’une opposition et l’interrogation des normes sociales, lecorps est toujours un champ de bataille.

Nous aimerions maintenant élargir notre réflexion sur d’autres problématiquesqu’implique le traitement du corps, comme instrument de la contestation politique. Déjà, celaouvre des perspectives de réflexion à propos du thème de la désobéissance civile. En effet,les usages contestataires du corps sont intrinsèquement liés à la notion de désobéissancecivile : on y rencontre les mêmes idées de contestation, de réflexion sur les normessociales, d’exposition de soi face à l’opinion publique et aux médias. Mais le désobéissantcivil va encore plus loin dans sa mise en avant par rapport aux risques qu’implique sonaction : ce n’est pas seulement son corps qu’il engage dans son acte, mais c’est aussi sapersonne tout entière, qui inclut la dimension juridique. On peut observer ce glissement del’engagement du corps à celui de la personne juridique dans les actions de fauchage dechamps d’O.G.M., mais aussi d’auto-réduction, qui engagent à questionner les prix d’achatdes produits, ou encore dans les squats qui interrogent le droit au logement et les modesde vie actuels. L’analyse du rapport au corps s’estompe ici, au profit de considérations surla relation entre lois et citoyens, mais aussi sur la corrélation entre actions et risques.

De plus, on peut ouvrir la voie à une autre réflexion, cette fois sur l’idée de Nature. Eneffet, quand on pense le corps et les discours qui l’accompagnent, on est amené à réfléchirsur les différentes interprétations que les hommes ont élaborées, à partir des phénomènesnaturels. Or, le corps est certes un élément naturel, mais c’est aussi un objet qui est investi,de toutes parts, par la culture. On travaille le corps ; parfois, on en fait même un objet d’artou un moyen d’expression artistique, qui peut mêler considérations esthétiques et réflexionspolitiques. On rejoint ici l’idée de spectacularisation de la société en général, et du corpsen particulier. Ainsi, dans le théâtre forum (ou de l’opprimé), sorte de théâtre où les acteursinteragissent avec le public, le corps devient le moyen d’entamer une réflexion sur le théâtreet sur des thèmes relatifs à l’actualité politique. Il en va de même pour le New Burlesque,pour les cirques féministes qui engagent une réflexion sur l’esthétique du corps des femmeset sur leur place dans la société, ou pour les Mujeres Grafiteando, femmes qui parcourent lesrues de Bolivie pour y couvrir les murs d’empreintes de mains et de pieds et y apposer leurssignatures corporelles. Quand le langage et l’art investissent le corps, un des principauxmarqueurs de la nature chez l’Homme, la contestation politique n’en est que plus puissante.

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Bibliographie

Ouvrages

Spinoza, Baruch, Ethique (trad. : Charles Appuhn). Paris : GF Flammarion, 1965, 378p., ISBN : 978-2-0807-0057-5

Nietzsche, Friedrich, Crépuscule des idoles (trad. : J.-C. Hémery). Paris : Gallimard,1974, 151 p. Collection Folio/Essais, ISBN : 978-2-07-032474-3

Fillieule, Olivier et Tartakowsky, Danielle, La manifestation. Paris : Presses de SciencesPo, 2008, 184 p. Collection « Contester », ISBN : 978-2-7246-1008-6

Siméant, Johanna, La grève de la faim. Paris : Presses de Sciences Po, 2009, 142 p.Collection. « Contester », ISBN : 978-2-7246-1104-5

Foucault, Michel, Les Mots et les Choses. Paris : éd. Gallimard, 1990 (1969), 360 p.Collection Tel, ISBN : 978-2070293353

KUHN, Thomas, La structure des révolutions scientifiques (trad. Laura Meyer). Paris :Flammarion, 2008, 284 p. Collection « Champs », ISBN : 978-2081214859

Balandier, Georges, Le détour. Paris : Fayard, 1997, 266 p. Collection. « L’espace dupolitique », ISBN : 2-213-01619-4

Vallet, Odon, Petit lexique des mots essentiels. Paris : Albin Michel, 2001, 300 p. ISBN :2-226-12540-X

Girard, René, Le Sacrifice. Paris : Bibliothèque Nationale de France, 2003, 69 p.Collection « Conférences del Duca », ISBN : 978-2-7177-2263-5

Guillaumin, Colette, Sexe, Race et Pratique du pouvoir (L’idée de Nature). Paris : côté-femmes éditions, 1992, 239 p. Collection « Recherches »

Foucault, Michel, Surveiller et Punir. Paris : éd. Gallimard, 1975, 360 p. Collection Tel,ISBN : 978-2-07-072968-5

Dorlin, Elsa, La matrice de la race – 2e éd. Paris : La Découverte, 2009, 300 p., ISBN :978-2-7071-5905-2

Chevalier, Jean et Gheerbrant, Alain, Dictionnaire des symboles – édition revue etcorrigée. Paris : Robert-Laffont/Jupiter, 1982, 1060 p. Collection « Bouquins », ISBN :978-2-221-08716-9

LE BRETON, David, Anthropologie du corps et modernité – 4e éd. Paris :Presses Universitaires de France, 2005, 280 p. Collection « Quadrige », ISBN :978-2130552475

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Bibliographie

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LE BRETON, David, La Peau et la Trace : Sur les blessures de soi. Paris : éd. Métailié,2003, 143 p. Collection « Traversées », ISBN : 978-2864244660

Ouvrages numériques

Bible [en ligne], Ancien Testament – trad. Louis Segond de 1874, révisée en1910 – [page consultée de juin à août 2012]. <http://fr.wikisource.org/wiki/Bible_Segond_1910/Ancien_Testament>

Bible [en ligne], Nouveau Testament – trad. Louis Segond de 1880, révisée en1910 – [page consultée de juin à août 2012]. < http://fr.wikisource.org/wiki/Bible_Segond_1910/Nouveau_Testament>

NIETZSCHE, Friedrich, Ainsi parlait Zarathoustra, [en ligne] – trad. Henri Albertde 1903 – [page consultée le 24 juin 2012]. <http://fr.wikisource.org/wiki/Ainsi_parlait_Zarathoustra>

FREUD, Sigmund, Psychopathologie de la vie quotidienne [en ligne], – trad. SamuelJankélévitch de 1922 – [page consultée le 24 juin 2012]. <http://fr.wikisource.org/wiki/Psychopathologie_de_la_vie_quotidienne>

ROUSSEAU, Jean-Jacques, Du Contrat Social [en ligne]1762. [page consultée de juinà juillet 2012], <http://fr.wikisource.org/wiki/Du_contrat_social/%C3%89dition_1762>

PLATON, La République [en ligne] – trad. Victor Cousin entre 1822 et 1840– [page consultée de juin à juillet 2012]. <http://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_de_Platon,_traduites_par_Victor_Cousin>

ARISTOTE, La Politique [en ligne] – trad. Jules-Barthélémy Saint-Hilaire de 1874 –[page consultée de juin à juillet 2012]. <http://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Aristote_-_La_Politique.djvu>

HOBBES, Thomas, Le citoyen [en ligne] – trad. Samuel Sorbière de 1649 – [pageconsultée en juillet 2012]. <http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Citoyen>

MAUSS, Marcel, Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétésarchaïques (1923-1924) [en ligne] – version numérique conçue par J.-M.Tremblay pour la collection « les classiques des sciences sociales » – [pageconsultée le 16 juillet 2012]. <http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/2_essai_sur_le_don/essai_sur_le_don.html>

MAUSS, Marcel, « les techniques du corps » (1934), [en ligne] – version numériqueconçue par J.-M. Tremblay pour la collection « les classiques des sciencessociales » – [page consultée le 18 mai 2012]. <http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/6_Techniques_corps/Techniques_corps.html>

WEBER, Max, Le savant et le politique (1919) [en ligne] – version numérique conçuepar J.-M. Tremblay pour la collection « les classiques des sciences sociales »– [page consultée le 25 juillet 2012]. <http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/savant_politique/Le_savant.html>

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Articles de recherche

LIARTE, Aurélien, « Le corps, territoire politique du sacré », Noesis [En ligne], N°12 | 2007, mis en ligne le 28 décembre 2008, consulté le 08 juillet 2012. < http://noesis.revues.org/index1343.html >

MAALOUF, Tina, « Le Martyr, du religieux au politique », Sens public [En ligne], misen ligne le 14 février 2005, Consulté le 19 juillet 2012. < www.sens-public.org/spip.php?article120 >

Littérature grise

CADOT, Mathieu, Visibilité, acceptation et hétérocentrisme : les représentationsactuelles de l‘homosexualité à la télévision française, mémoire de fin d’études, Institutd'Etudes Politiques de Lyon. Université Lumière Lyon II, 2004, 149 p.

Sites Web

Infokiosques : brochures subversives à lire, imprimer, proposer [en ligne]. [pageconsultée en juillet 2012]. <http://infokiosques.net/>

Bulletin de contre-info en Cévennes [en ligne]. [page consultée en juillet 2012] <http://contreinfo7.internetdown.org/>

Le Monde [en ligne]. [page consultée en juillet 2012]. <http://www.lemonde.fr/>

Le Figaro [en ligne]. [page consultée en juillet 2012]. <http://www.lefigaro.fr/>

France 2 [en ligne]. [page consultée en juillet 2012]. <http://www.france2.fr>

L’Expansion [en ligne]. [page consultée en juillet 2012]. <http://lexpansion.lexpress.fr>

L’IFOP [en ligne]. [page consultée en juillet 2012]. <http://www.ifop.fr>

SOS Facs Bloquées [en ligne]. [page consultée en juillet 2012]. <http://sosfacsbloquees.hautetfort.com/>

Univers-L [en ligne]. [page consultée en juillet 2012]. <www.univers-l.com>

Huffington Post [en ligne]. [page consultée en juillet 2012]. <www.huffingtonpost.fr>

Youtube [en ligne]. [page consultée en juillet 2012]. <www.youtube.com>

Documents

Retranscription du discours de campagne de N. Sarkozy, prononcé à Bercy, le 29avril 2007. [page consultée le 31 juillet 2012]. <http://sites.univ-provence.fr/veronis/Discours2007/transcript.php?n=Sarkozy&p=2007-04-29>

Retranscription de la conférence de presse tenue par J. Lassalle,le 14 avril 2006, à l’hôpital de Garches [page consultée le 30

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Bibliographie

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juillet 2012]. <http://didier-rychter.typepad.com/mon_weblog/files/conference_de_presse_jean_lassalle_14_avril.pdf>

Articles

ROGER, Patrick, « Le député UDF Jean Lassalle poursuit sa grève de la faim pour uneusine de la vallée d’Aspe », Le Monde, édition 8 avril 2006, p.14

PERRAULT, Guillaume, « Lassalle cesse sa grève de la faim », Le Figaro, édition du 15avril 2006, p.11

PERROMAT, Prune, « Jean Lassalle, héros pour les uns, bravache pour les autres »,Libération, édition du 17 avril 2006, p.11

GURREY, Béatrice, « La grève de la faim du député Lassalle entre conflit du CPE etguerre des chefs », Le Monde, édition du 23 avril 2006, p.15

ROGER, Patrick, « Jean Lassalle fait des émules », Le Monde, édition du 30 mai 2006,p.32

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Annexes

Annexe n°1 :Ce que dit le mouvement anti-C.P.E sur laFrance

Document 1. : Extraits du débat avec François Dubet, sociologue Ed : Le mouvementanti-CPE est-il une réplique de la crise des banlieues ? François Dubet : Le mouvement anti-CPE est une réplique dans le sens où les jeunes étudiants, même s'ils sont majoritairement desclasses moyennes et beaucoup mieux traités que les jeunes de banlieue, sont aussi très inquietsface à l'avenir qu'on leur réserve. Mais ce sont deux jeunesses très différentes, qui sont dans desconditions sociales elles aussi très différentes. […] Katnoz : Le mouvement anti-CPE a-t-ildes aspects comparables au mouvement de 1968 : grève générale annoncée, étudiants,lycéens en phase... ? François Dubet : Je dirais que dans l'ordre politique, ce mouvement ades aspects comparables, parce que la crise gouvernementale est extrêmement forte, que lesrisques de violences incontrôlées sont de plus en plus grands, et qu'il peut y avoir une crisequi dure. Mais sur le plan sociologique, ce mouvement n'est pas comparable à celui de mai1968, car les étudiants de 1968 étaient une jeunesse relativement favorisée, confiante dans sonavenir et dans son intégration sociale, mais très critique à l'égard de la culture, jugée répressive,autoritaire, vieillotte, de la société dans laquelle ils s'apprêtaient à entrer. Aujourd'hui, les étudiantsne critiquent guère cette société, ils sont surtout soucieux d'y trouver une place. […] Géraldine : Le CPE n'est-il pas le révélateur d'une crise sociale profonde et latente de notre pays ?Crise qu'on a pu voir notamment avec la crise des banlieues, le "non" au référendum quitémoigne entre autres d'une France qui a peur de son avenir, du chômage, mais aussi dela mondialisation... François Dubet : Je partage totalement cet avis. Je crois que la crise duCPE signifie que la France n'a pas été véritablement capable de réagir aux transformations denotre monde. Elle a préféré se crisper sur des acquis, sur un imaginaire, plutôt que de chercher[…] à se transformer de façon maîtrisée. Il me semble, comme à vous, que le CPE s'inscrit dansune série de refus qui peuvent tous paraître légitimes, mais qui révèlent surtout notre incapacitéà construire un avenir collectif. […] Extraits de la discussion entre le sociologue F. Dubet etdivers internautes, sur LeMonde.fr, 22 mars 2006. URL: :http://www.lemonde.fr/old-societe/chat/2006/03/22/mouvement-anti-cpe-qu e -veulent-les-jeunes_753638_3226.html

Document 2. : Extrait de l’interview de David Dufresne 168 Quand la France s’embrase

revient sur deux crises récentes comme symboles du maintien de l’ordre à la française.Quelle est en la spécificité ? Nous vivons tout de même dans un pays dont la fête nationalecélèbre la prise du pouvoir par la rue ! La contestation plutôt que la négociation : c’est une marquehexagonale. Dès lors, on comprend mieux comment il a pu se développer, en France, un savoir-faire particulier à la fois du côté de la gestion de l’ordre et de l’organisation du “désordre”. A partirdu XIXe siècle, le maintien de l’ordre français a été peu à peu confié à la police, autrement dit à

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Annexes

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une autorité civile et non plus militaire comme auparavant. En près de cent ans […] le maintiende l’ordre français s’est ainsi démilitarisé au profit d’une conception moins répressive et plus oumoins accommodante des manifestations de rue. Grosso modo, on ne tire plus dans la foule, maison l’encadre, on la surveille. Ce passage du militaire au policier traduit également l’importancepolitique prise par la question du maintien de l’ordre. L’Etat doit être à la fois le meilleur rempartcontre le chaos et le garant de la libre expression. […] Source : http://programmes.france2.fr/documentaires/index-fr.php?page=infrarouge&id_rubrique=46&id_article=73

Annexe n°2 :Paroles de militants anti-C.P.E.

Document : Le monde se referme-t-il ? Il y a ce sentiment qui est là : que cela sereferme, que l’histoire se clôt progressivement, que les possibles diminuent. C’est déjàarrivé de multiples fois, quand chacun et chacune sombrait dans le blues, avec cette idéeque décidément les autres étaient trop embourbé-e-s, trop pris-es par leur quotidien, parleurs crédits, leur travail. Trop pris-es par le cours normal des choses, par une sorte demanque de recul. Comme si tout le monde était trop collé au présent pour imaginer autrechose que sa répétition. Le constat, aujourd’hui, pourrait encore se faire. Course aprèsles nouveautés technologiques débiles, désertification des sols, air et eau viciés, alimentspesticidés, un écran toujours allumé, lucarne pour faire oublier le monde ou pour le rétrécir àvolonté. Consensus autour du travail salarié, horizons réduits, objectifs sans intérêts, sourire,dynamisme, tristesse intime, pas de grandeur, enfermement. La politique loin, très loin, unjeu de parti, avec des gueules de costard et de la com’, des associations qui colmatent, descitoyen-ne-s qui désirent plus que jamais aider l’État dans son œuvre d’éducation, de gestion,de limitation des dérives. […] Tou-te-s singulier-e-s et en même temps : mêmes avenirs,mêmes médicaments, mêmes enfants délaissés à l’État, mêmes relations, des séries télés,des bons films, un moment d’éclate, un beau voyage, de la mauvaise solitude, le sentimentde s’être trompé à un moment. Un blues.Trop criant d’horreur, trop criant d’ennui. Des toursqui tombent ; fanatisme contre fanatisme, désastre. Gênes, un mort, des dizaines de milliersd’émeutier-e-s et l’effet carabine, désastre. Des nabots qui gouvernent, leurs corps qui suentle fascisme post-moderne, gestionnaires de la haine et de l’angoisse, désastre. […]; descaisses qui brûlent, on demande plus de service public, désastre. Pickpockets, bagagesabandonnés, vigilance, désastre. Méduses géantes, brasiers de volaille, désastre. Asthme,nosocomie, cancers, sauveurs du monde en combinaison blanche, désastre. Désastre.Finde la tristesse. D’autres lignes, que nous oublions peut-être. La situation est trop clairepour que rien n’en déborde. Et ça déborde de partout. Ça fissure. Des refrains nous parlentde joie, d’anarchie. Les facs, les ANPE sont remplies de celles et ceux qui veulent fairedurer ce moment où l’on ne s’engage pas pleinement dans le désastre. Quand elles nebrûlent pas. Nous sommes tellement à retarder ce moment que le chômage des jeunesest devenue une cause nationale, le grand drame à propos duquel il faut se mobiliser.Ça se réjouit. Les drogues circulent à l’échelle de l’ivresse dans le silence des salons […]Comme des expédients qui font oublier et intensifient, parviennent à nous emporter, malgrétout.Ça rigole, ça jouit, ça s’en fout, ça se moque des managers. Parfois ça s’ennuie, maisça rêve. Ça se rappelle les rêves adolescents d’îles désertes habitées en commun, […]Ça tente de s’exprimer malgré tout, malgré la langue du psy qui évite de parler de soi,malgré la langue du politique qui évite de parler de nous, malgré la langue du travail quiévite de parler d’œuvre, malgré la langue de la pédagogie qui évite de parler des mômes.

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Ça poétise, ça espère, ça s’emballe. Ça vit toujours, même au fond du gouffre. Ça susurred’espoir .Alors parfois, il est possible de reprendre du souffle, de se dire qu’au fond, c’est

possible ; […] Trop tristes qu’illes 169 sont - à l’image du désastre qu’illes combattent […] […]Comment ne pas refermer le monde sur nos rêves, ne pas nous faire avaler par les nichesqui combattent déjà, ne pas nous laisser dépasser par nos débordements ? D’où partir et oùconstruire ? de moi, de ma bande de potes, de cette lutte, dans un ghetto, sous un olivier, surles ruines du désastre ? Comment concrétiser une vie en commun solide sans éventer nosemportements ? […] Extraits de la brochure « Le Monde se referme-t-il ? », écrite par Kamoet Kalo, mars 2006, Paris. URL : http://infokiosques.net/lire.php?id_article=332

Annexe n°3 : soutien au mouvement anti-C.P.E. : lessondages

Document 1. : Les syndicats confiants sur la journée anti-CPE [… ] Les opposantsont aussi l'impression d'avoir rallié l'opinion publique. Les plus récents sondages indiquentque les Français sont plutôt hostiles au nouveau dispositif. Selon un sondage Ifop à paraîtremardi dans L'Alsace-Le Pays, 62% des sondés estiment que le CPE va accroître la précaritédes jeunes, contre 35% qui estiment au contraire qu'il fera reculer le chômage des jeunes.Selon un autre sondage, publié lundi par Libération, le contrat suscite désormais 58%d'opinions hostiles. "Ils ont compris que s'ils ne bougeaient pas, le gouvernement mettraiten branle une troisième étape en généralisant ce type de contrat à tous les salariés" résumeJacky Dintinger de la CFTC. [… ] Extrait d’article tiré de l’Expansion.fr, 6 mars 2006. URL : http://lexpansion.lexpress.fr/economie/les-syndicats-confiants-sur-la-journee-anti- cpe_113781.html

Document 2. : Attitude rétrospective à l’égard du Contrat Première Embauche URL : http://www.ifop.com/media/poll/barocev i pofv2.pdf (p.28)

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Annexes

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Annexe n°4 : Les antiblocages

Document 1. : Les étudiants bâillonnés Contre les blocages des universités et pour laliberté d'étudier ! Tract du collectif des « étudiants bâillonnés », distribué à Caen. URL : : http://photos1.blogger.com/blogger/661/2491/1600/deces.jpg

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

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Document 2. : Les antiblocages, aussi, mobilisent ! D'un côté, les anti-CPE mobiliséspour le retrait du nouveau contrat ; de l'autre, les antiblocages qui refusent de voir leurs coursannulés. Entre les deux camps, la tension est désormais maximale. Hier […] environ 250étudiants se sont rassemblés sur la place du Panthéon, à Paris, derrière une banderole :«Il est interdit d'interdire aux étudiants d'étudier.» Véronique, 20 ans, étudiante en histoire,expliquait : «On est très nombreux à être contre le blocage des universités mais on nenous laisse pas parler dans les assemblées générales.» […] Dans les universités deLyon, où la mobilisation anti-CPE ne prend pas, une fédération d'étudiants a égalementprotesté contre les blocages hier, tandis que le syndicat centriste Idée regrettait «que seulsles durs aient la parole». «Des caricatures d'AG reconduisent grèves et blocages dansdes votes à mainlevée. L'intimidation et les insultes sont les seuls arguments qu'on nousprésente pour nous empêcher d'étudier», déplore le Collectif des étudiants bâillonnés quia mis en ligne un blog sur Internet pour faire entendre la voix de la «majorité silencieuse».[…] Dans le même temps, l'UNI, principal syndicat étudiant de droite, s'est lancé dansune contre-offensive pour venir au secours du contrat décrié. Des «collectifs pro-CPE»ont été créés. Hier, sa pétition contre les blocages des facultés avait recueilli, selonl'UNI, 36 120 signatures. Le syndicat a par ailleurs conseillé aux étudiants de saisir lajustice. […] D. Ch. Article tiré du Figaro.fr, 16 mars 2006. URL : http://www.lefigaro.fr/france/20060316.FIG000000093_les_antiblocages_aussi_mobilisent.html

Annexe n°5 :Comportements illégaux dans lemouvement anti-C.P.E.

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Document 1. : CPE : les casseurs éclipsent la manifestation parisienne SOUDAIN,un murmure inquiet saisit le cortège parisien. Il est 14 heures à peine, au début de l'avenuedes Gobelins et, déjà, plusieurs groupes de jeunes encagoulés se mettent à harceler lesmanifestants, visiblement à la recherche de proies faciles. […] Plus haut, place d'Italie, 23000 étudiants et lycéens, selon la police, entament leur marche. […] «Faire pencher labalance» […] Victor, également de Lyon où il suit un BEP, confirme : «J'ai dû promettreà l'entrepreneur qui m'emploie en alternance que je rattraperais ma journée de travailsamedi. Alors, si je suis venu, je peux vous dire que c'est pas pour donner l'image d'unejeunesse qui casse.» Il n'empêche : hier, tout l'après-midi, plus de 2 000 casseurs, selonles renseignements généraux, ont écumé le cortège, courant le long des trottoirs poursaccager des Abribus et «dépouiller» méthodiquement des manifestants isolés. […]. Elèvede seconde au lycée Fustel-de-Coulanges, à Massy-Palaiseau (Essonne), Emilie s'est ainsifait voler par «un gars d'une quinzaine d'années». «Il m'a arraché mon portable avant departir en courant. […] » Cafés attaqués Vavin, 15 h 30. Le gros du cortège se hâte endirection des Invalides et chante […] Pourtant, à quelques dizaines de mètres de là, placeEdgar-Quinet, l'ambiance n'est pas à la fête. Peu auparavant, le carrefour s'est soudain vidélorsque quelques dizaines de casseurs se sont attaqués aux cafés. Avant de s'échapper,sous l'oeil des forces de l'ordre visiblement surprises par l'assaut. Plus personne, dès lors,ne cache sa déception. Philippe, militant CGT venu prêter main forte au service d'ordre,confie : « […] cette fois, on a passé notre temps à charger pour protéger les gosses, ensachant qu'on arrivait souvent trop tard.» Au micro, un militant assure : «La vraie violence,c'est pas les casseurs, c'est la précarité.» […] Aux Invalides, plusieurs manifestants ontété frappés par des groupes très mobiles de casseurs, qui ont aussi saccagé des dizainesde véhicules […] Article tiré du Figaro.fr, 16 mars 2006. URL : http://www.lefigaro.fr/france/20060324.FIG000000008_les_casseurs_eclipsent_la_manifestation_parisienne.html

Document 2. : Dégâts : honte aux bloqueurs Thierry Breton, ministre de l'économie et desfinances, a évalué sur France Inter à "quelques centaines de milliers d'euros par université"les dégâts infligés par les bloqueurs. Voici quelques chiffres (source Le Monde ici) Sorbonne :500 000 à un million d'euros Rennes II : 100 000 euros Toulouse II : 150 000 euros Nantes :40000 à 50000 euros Les universités devront régler la facture ….et cela se fera au détrimentdes investissements pour les étudiants. […] Article tiré du blog du collectif national « SOSfacs bloquées », 19 avril 2006. URL : http://sosfacsbloquees.hautetfort.com/

Annexe n°6 :Les violences et les dégradations, vuespar les militants

Document 1. : Pousser le monde qui s’écroule... Il n’y a jamais de casse ou de violences« gratuites ». Certes, certaines sont stupides ou peu stratégiques, mais toutes traduisent unerage, une détermination qui avait disparu depuis des années. Nous y trouvons de l’espoir,mais nous en voulons pas nous en contenter. Nous voulons parler, élargir et donner del’épaisseur au mouvement en cours. Nous ne souhaitons pas reproduire les conditions etles erreurs qui ont fait échouer les mouvements précédents : séparation entre nous et avecle monde qui nous entoure, jonction impossible avec les salarié-e-s, invisibilisation de l’au-

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delà que nous portons, stigmatisation médiatique et citoyenne des minorités violentes...Ne laissons pas dispositifs et dispositions jouer contre nous. […] Extraits de la brochure« Pousser le monde qui s’écroule », écrite par un occupant de l’EHESS, mars 2006, Paris.URL : http://infokiosques.net/lire.php?id_article=332

Document 2. : Le CPE : Une goutte d’eau dans un lac de rage […] Le 18 mars, en fin demanif, alors que la BAC en était encore à parader au milieu des manifestant-e-s, une grossepartie du rapport de force s’est joué pour la suite du mouvement à Grenoble : après avoirarrêté deux personnes, la BAC est obligée de sortir flashballs et tonfas pour repousser lesmanifestant-e-s en colère, qui se mettent à caillasser en vrac la BAC et les CRS. Les mecsde la BAC reviendront casqués et resteront dès lors bien à part des manifestant-e-s. La prisede conscience et la révolte prennent de l’ampleur. […] Dans l’ensemble du mouvement, lesactions directes ont été utiles. Caillasser les flics, briser une vitrine ou retourner une voiture,ça n’a pas forcément un impact direct sur le pouvoir en place, mais ça augmente la tension,ça nuit à la paix sociale, ça augmente l’impact de notre lutte. Bien sûr, il reste encore plusintéressant, dans la mesure du possible, de cibler nos actions. […] Extraits de la brochure« Le CPE : Une goutte d’eau dans un lac de rage » , écrite par le collectif « les enragé-e-s ouvrent le bal », avril 2006, Grenoble. URL : http://www.infokiosques.net/spip.php?article340

Document 3. : Rapport aux dégradations Dans la bouche de ceux qui s’en offusquentles « dégradations » renvoient aux graffitis présentés de manière négative. Pour ceuxqui les pratiquent, ils s’agit avant tout d’un mode d’expression, d’un détournement, d’uneréappropriation de l’espace. Au demeurant, le fait que cela soit perçu comme « dégradation »par les autorités ne leur déplaît pas, mais au contraire cela leur paraît être un moyen d’actioncomme un autre inscrit dans leur répertoire. Mais il s’agit avant tout, la plupart du temps,d’un message souvent explicite et humoristique destiné à tous ceux qui évoluent dansl’environnement. L’université et plus particulièrement l’amphithéâtre occupé étaient recouvertsde telles inscriptions et il serait impossible d’en faire un relevé, d’autant que les personnesqui s’y opposaient nettoyaient régulièrement les tables et les murs - sans jamais parvenir àenrayer le phénomène. Au-delà du discours sur la « crédibilité », les critiques mettaient enavant l’idée selon laquelle il s’agissait en quelque sorte d’un coup porté à soi-même, puisqueles étudiants abîmaient leur propre outil de travail. […] Si pour certains les dégradationsdu matériel scolaire nuit d’abord aux étudiants, celles-ci ne dérangeaient pas ceux qui lescommettaient. Ils mettaient en avant une critique profonde du rôle de l’institution scolairecomme mode de sélection et de reproduction sociale. Extrait de la brochure « Récits etimpressions sur le mouvement dit "Anti-CPE" à Montpellier, Printemps 2006. », écrite parNadarlana. URL : http://www.infokiosques.net/spip.php?article400

Annexe n°7 : Le rapport aux médias

Document 1.: Conflit entre médias et militants Il s’agit, selon certains étudiantsexpérimentés, du premier mouvement où l’on a pu observer une réelle méfiance à l’égard desmédias. L’image qui est renvoyée du mouvement paraît déformée : seule la problématique du

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CPE est évoquée alors que les étudiants s’opposent à l’ensemble de la loi et votent en AGune multitude de revendications, la part belle est faite à la personnification du mouvementà travers quelques leaders syndicaux, la polémique autour du blocage de la faculté leursemble grossie et nombre d’actions menées n’apparaissent pas. Certaines AssembléesGénérales vont interdire l’accès aux journalistes, nombre d’étudiants vont refuser de leurparler, voire les agresseront verbalement. Un tag sur un mur extérieur de la fac ordonne :« Médias casse-toi » (sic). Les opposants aux médias s’inspirent des analyses de GuyDebord, de Pierre Bourdieu, des films de Pierre Carles (qui viendra par deux fois projeterl’un de ses films), du journal de critique des médias PLPL, du site Internet Acrimed. Ilsvalorisent les alternatives comme les radios alternatives ou les sites Internet d’informationcomme Indymedia. Il ne faudrait cependant pas croire que cette opposition faisait consensus.Le discours syndical, notamment, mettait en avant la nécessité de toucher l’opinion publiquedans un sens favorable (argument de la « crédibilité » repris pour critiquer égalementl’élargissement des revendications, les dégradations, les violences en manifestation...). J’aiégalement pu observer que cette relation d’« associés rivaux », propre aux mutations dumilitantisme, existait plus largement puisque la question des médias s’est posée lors descoordinations nationales auxquelles j’ai assisté à Poitiers, Dijon et Aix. A Poitiers, l’assembléea d’abord voté contre la présence des médias puis, le bureau de l’assemblée cachant malsa partialité, un autre vote a permis d’autoriser leur présence pour un unique point de l’ordredu jour dans lequel chaque ville faisait état du bilan de sa mobilisation. C’est ce compromisqui sera par la suite reconduit. Il est intéressant de noter que les journalistes présents lorsde ces assemblées où leur professionnalisme est mis en doute manifestent une totaleincompréhension voire de l’hostilité, alors même qu’ils trouvent parfaitement normal dene pas assister à un Conseil des Ministres. C’est pourtant précisément cette différencede traitement qui leur est reprochée. Extrait de la brochure « Récits et impressions sur lemouvement dit "Anti-CPE" à Montpellier, Printemps 2006. », écrite par Nadarlana. URL : http://www.infokiosques.net/spip.php?article400

Document 2. : Des médias et de l’orientation des luttes sociales Les médias, tentant defabriquer la réalité, ne cessent de relayer des propos anti-grévistes au moindre blocage. Cen’est pas nouveau, et cela s’est vérifié lors de ces deux derniers mois. Les journalistes, dansleur grande bonté, donnent la parole au peuple. Mais pas n’importe quel peuple, plutôt celuiqui se plaint, celui qui se lamente, celui qui est une victime perpétuelle, celui qui n’a rien àredire des patrons et de l’Etat mais qui ne supporte pas qu’on l’empêche d’aller travailler,celui qui n’envisage pas un seul instant de se placer en solidarité avec les grévistes. Extraitsde la brochure « Le CPE : Une goutte d’eau dans un lac de rage », écrite par le collectif« les enragé-e-s ouvrent le bal », avril 2006, Grenoble. URL : http://www.infokiosques.net/spip.php?article340

Annexe n°8 : Autour des premiers kiss-in français

Document : Interview d'Arthur Vauthier, organisateur des Premiers Kiss-In de France Les premiers kiss-in organisés aux Etats-Unis, ceux de Rome et de Paris en 2007...Est-ce cela qui vous a donné l'idée d'organiser des kiss-in en France ? L'idée m'estvenue tout à fait par hasard. J'en ai parlé autour de moi, on m'a soutenu et appris que des

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« kiss-in » avaient déjà eu lieu par le passé. Nous avons décidé d'utiliser l'efficacité dumédia Facebook pour réunir le plus de gens possible à ce happening, car il s'agit moins eneffet, à la base, d'un mouvement militant à proprement parler que d'un symbole, à la foisbeau et sans prétention. Ces kiss-in avaient une connotation fortement militante [...]Quel est, selon vous, l'objectif de vos kiss-in ? Augmenter la visibilité ? Lutter contrel'homophobie et les discriminations ? Le fun ? Tout ça à la fois ? Notre mouvementvisait dès le début à augmenter notre visibilité et à nous donner du courage tout en envoyantun message sympathique à la foule (dont nous faisons partie) : nous réclamons le droit denous embrasser où nous le voulons, si nous le voulons, quand nous le voulons, sans subirles regards de mépris, la gêne, voire les insultes ou la violence d'autrui. Et ce quelle que soitnotre orientation sexuelle. […] Il ne s'agit pas de provocation, mais d'une piqûre de rappel :oui, nous sommes là, et oui, certains d'entre nous souffrent de cette discrimination, de cettehomophobie latente. […] L'expérience a été réitérée en septembre, dans plusieurs villes,cette fois-ci. Mais comment gérez-vous l'organisation dans tant de lieux à la fois ? Quelle place occupent les « délégués kiss-in de chaque ville » ? [… Encore une fois,c'est principalement sur Facebook que nous gérons l'ensemble des kiss-in. Nous avonsdélégué l'organisation dans les différentes villes de France […] à des volontaires motivéset courageux […] Cela nécessite une communication intensive, des échanges de mailspermanents […] nous ne voulons pas qu'il s'agisse d'une festivité (comme l'est devenue laGay Pride) ni d'une manifestation : ni slogans, ni pancartes, ni déguisements. Nous devonsvenir tels que nous sommes au quotidien, simplement et sans prétention, nous embrassernon pas devant la foule mais DANS la foule, et nous disperser ensuite. […] Commentsont choisis les lieux des kiss-in dans chaque ville ? Quelles doivent-être leurscaractéristiques ? Les lieux choisis dans chaque ville pour accueillir les kiss-in doivent être,en province, des lieux de passage clé : souvent, c'est l'endroit de la ville où l'on est certainde voir le plus de monde, afin que la visibilité du mouvement soit la meilleure. A Paris, c'estun peu différent. Il existe des quartiers où s'embrasser n'est pas un problème. Ces endroitslà n'ont donc aucun intêrêt à accueillir le kiss-in […] En revanche, nous pouvons interrogerla foule en allant là où nous n'oserions jamais nous embrasser en tant normal, comme àChâtelet en septembre. Mon rêve serait de nous voir nous embrasser dans des quartiersvraiment difficiles, tels que le nord de Paris, l'est, ou même des Gares. Et pourquoi pas dansdes banlieues brûlantes ? […] Sur les lieux, quelle est la réaction des personnes auxalentours ? Y a-t-il des opposants ? Un service de sécurité ? Ou tout se passe-t-il sansproblème ? A Châtelet, en septembre dernier, il y a eu des huées, mais aucune violence.Les insultes ont fusé, mais pour finir écrasées par les applaudissements après nos cinqminutes de baisers. Même si nous n'avons pas changé les mentalités, je pense que nousavons eu le mérite d'interroger les consciences. Nous avons envoyé un message : noussommes là, nous n'apparaissons plus seulement lors de la Gay Pride […] Par ailleurs, siles mots « nous » et « vous » pouvaient tomber, et si l'on pouvait prendre conscience quel'amour est le même, qu'il s'agisse de couples homosexuels ou hétérosexuels, le combatserait complètement gagné. Interview réalisée par Lindsay Gray, le 23 Novembre 2009, pourle site Univers-L.com. URL : www.univers-l.com/interview_arthur_vauthier_page1.html

Annexe n°9 :Sondages sur l’acceptation despersonnes homosexuelles par les français

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Annexe n°10 :Images de deux kiss-in, à Lyon

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Annexe n°11 :Quelques commentaires 170

d’internautes à propos des kiss-in

Marre de pas pouvoir tenir la main de l'homme que j'aime depuis 7 ans sans me faire traiterde PD, marre de cette homophobie de base qui tue encore en France, marre des agressions,des insultes et encore plus marre de ceux qui sont "fatigués" de la "société dégénéré", vous

170 Tous ces commentaires sont à retrouver sur les URL. suivants : (*) http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/

article/2009/09/27/1714980_premier-kiss-in-a-lyon.h t ml (**) http://www.youtube.co m /watch?

v=sWwKFdG9D-E . Nous avons pris le parti de ne pas retoucher ni l’orthographe, ni la syntaxe.

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auriez aimé quoi? qu'Hitler tue tout les gays? Mais le problème c'est qu'il en nait tout les joursen même proportion !!! Il faudrait quand meme un jour apprendre à aimer son prochain!!! *

mais se cacher non, mais seulement vivre comme tout le monde...pas venir faire desprovocations c'est tout...que chacun vive peinard et n'emmerde pas les autres moi si on vientpas faire des trucs devant mes eglises, tant mieux j'emmerderai personneb **

je suis catholique et je n'ai rien contre les homosexuels, tant qu'ils vivent leur vie discrètementcomme le fait tout le monde...Ces actions ressemblent plus à de la provocation qu'autrechose...je suis évidemment contre l'homosexualité mais je n'ai absolument rien contre leshomosexuels, tout comme vis à vis des autres religions, tant qu'ils ne me dérangent pas, jeles respecte.... **

Moi sérieux hétéro,homo, gay, lesbien, fan de cloclo ou mono, ça m'insuporte les couplesqui se donnent en spectacle... Putain moi je viens pas faire mes besoins en pleine rue, je nevois pas pourquoi d'autres se sentent obligés de nous jeter à la gueule le spectacle de leurexhibition buccale *

Un baisé ne laisse pas de trace dans la rue... Et c'est quand même vachement plus discretqu'un rapport sexuel non ? Dans le cas d'un ébat public je comprends qu'il y ai des loispour limiter (afin d'éviter attroupement simièsque, envie de participation, frustration et grosbordel en gros). Mais un simple baiser, faut vraiment faire exprès de regarder pour que celas'impose à la vue non ? Dites-vous bien aussi qu'il y a une dimension culturelle à tout celaaussi et que toute cette aversion n'est -après tout- pas très justifiée. Il ne s'agit que de choixd'éducation et de code sociaux *

Mais ont ne vas pas vivrent notre vie cacher tout le temp.. Mais putain réffléchis dans ta téte,tu te vois vivre cacher toute ta vie ? On est plus a la Seconde Guerre Mondiale.. Plus nousnous affichons et plus les gens vont comprendent la normaliter de s'embrasser en public..Pourquoi vos religions sont contre l'homosexualité ? Si Dieu été gay, sa ne serais pas commesa a mon avis aujourd'hui, on est au 21e siécles, plus au Moyen-Age.. --' **

Dieu est éternel, Il a existé, Il existe et Il existera Dieu est parfait, c'est nous les Hommes quisont mauvais, pas Dieu. C'est lui qu'il faut écouter, il nous donne des regles morales: d'unepart grace a Moise et les Dix Commandements que Dieu lui a donnés et d'autre part parJésus, Dieu fait homme et son enseignement. Ces regles sont valables de tout temps ! **

Voir 2 mecs s'embrasser c'est hard pour moi, enfin je croyais, puis je suis allé à Barceloneet là c'est la fête à la galoche. / La première vue hard on s'y attends pas :p / la deuxiememouais / apres on fait même plus attention lol *

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Annexe n°12 : Paroles autour du kiss-in du 18 mai2010

Document 1. : Interview de Thibaud Vincendeau, président des Jeunes pour laFrance A la place de venir provoquer devant les églises, qu’ils rentrent, qu’ils discutent avecun prêtre, qu’ils discutent avec les croyants, au lieu de venir s’embrasser ou protester etprovoquer à la sortie de la messe. Je pense que ce serait beaucoup plus constructif, maisils ont pas l’air d’être dans cette… dans cette démarche-là, mais dans une démarche deprovocation… Retranscription

Document 2. : Interview d’Olivier Borel, vice-président de la Lesbian & Gay Pride –Lyon A un moment donné, c’est montrer aussi que l’on peut s’embrasser partout dansl’espace public ; alors, manifestement, ça en gêne certains quand c’est à proximité d’un lieude culte. Ben, moi, ça me dérange que, qu’on, que ça leur pose problème, parce que c’estquand même l’espace public ; on a droit encore de faire tout ce qu’on veut tant qu’il n’y a pasatteinte à l’ordre public. Retranscription

Extraits du reportage à propos du kiss-in du 18 mai 2010, par Sylvie Roland, diffusésur Télé Lyon Métropole, mis en ligne le 18 mai 2010. URL. : http://www.youtube.com/watch?v=rsrwUf_68Yk

Annexe n°13 : Conférence de presse

[…] J’ai eu la chance d’avoir autour de moi, pendant je ne sais combien de jours, desgarçons et des filles qui m’ont suivi […] Ils ont été formidables. Alors ce que je voudrais vousdire d’abord, c’est que vous, les médias, vous avez joué un grand rôle dans cette affaire […]mais je suis un député, et même si je ne savais pas comment l’on s’en sortirait, je voulaisen tout cas être présenté comme un député du peuple, élu par le peuple, et pour servir lepeuple. Et vous avez tous très remarquablement compris et accompagné le message […] Jean-Louis Debré, le Président de l’Assemblée Nationale, m’a mis une pression maximalepour me faire partir. Il m ‘a dit : « Un député, ce n’est pas fait pour faire la grève de la faimsurtout dans la salle des Quatre Colonnes. Cela ne grandit pas la représentation nationale.» […] Et puis ça s’est arrangé […] : j’ai été placé dès le quatrième jour sous suivi médicalcomme ça il n’y avait pas le problème […] pour moi le risque un jour d’être accusé d’avoirtriché parce que je pense, […] que les prises de sang ça ne triche pas et j’en avais tous lesjours. Tout de suite après, j’ai dû me confronter à une situation qui m’avait beaucoup effrayéet il y en avait deux : la première c’était la famille […] Le deuxième problème, c’était de savoirsi je supporterai les regards croisés que je croiserai tous les jours dans cette salle des QuatreColonnes. […] Puis, très rapidement, j’ai compris venant de tous les groupes parlementairestout simplement de l’adhésion et beaucoup d’entre eux sont venus me dire : «Tu as fait ceque nous aurions dû faire » […] Et j’ai vu que cette souffrance que j’exprimais à partir d’unfait caricatural, dans une petite vallée de 1 800 habitants où une usine qui n’avait aucunbesoin de partir, partait uniquement pour cause d’arrangement, sans que les hommes et les

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femmes, les citoyens ne comprennent rien, était partagée On m’a dit : «Ce n’est pas l’attituded’un député puisque tu es désespéré ». Alors j’ai répondu : « Mais tu crois qu’un homme quise jette à l’eau pour en sauver un autre est désespéré ? Il a peut être peur au fond de lui,mais c’est un formidable acte d’espoir qu’il pose, c’est un acte de vie et c’est un acte d’amour.» […] je me sens apaisé maintenant. Ça fait longtemps que je n’ai pas eu le sentiment […]d’avoir posé un acte aussi utile […] […] j’ai tout essayé pour que le bon sens triomphe parceque je vais vous dire qu’aujourd’hui ce n’est pas une victoire, il n’y a pas de vainqueur ni devaincu, ça n’aurait aucun sens et je serais en dessous de tout si j’imaginais l’espace d’uninstant cela. Ce qui c’est passé aujourd’hui, c’est la volonté de tous ceux qui l’ont voulu, quil’ont permis et ils ne se sont pas abaissés, même ceux que j’ai combattu. Ils ne se sont pasabaissés, ils se sont grandis. Parce qu’on grandit toujours quand on fait triompher le bonsens et le sens de la parole donnée […] Et je veux vous dire que cette vallée, comme tantd’autres vallées en France, en Europe et dans le monde […] se meurent en silence, dans lesilence angoissé des hommes qui n’osent plus parler, c'est-à-dire de ceux qui se sont tus parangoisse et par résignation parce qu’ils pensent qu’il n’y a plus rien à faire, tous les servicespublics sont partis, on ne trouve plus de médecins […] Les vieux et les paysans, ceux quirestaient pour tenir la maison, n’avaient pas de fils pour leur succéder et au soir de leurvie, ils pleuraient sur le pas de leur porte parce qu’ils savaient que depuis la longue chaînede l’humanité, la longue chaîne de l’histoire, ils étaient les seuls à ne pas avoir transmis leflambeau.[…] Et puis je veux dire que j’ai vu tout ce malheur dans un magnifique livre deJohn Steinbeck, Les Raisins de la Colère , où les mémés meurent en haut de ces convoisd’exode, avec leurs fils qui leur tiennent la main en disant : « ne t’en fais pas, on va vers unlieu où un monde meilleur nous attend et où nous sommes attendus ». Et aujourd’hui cerêve existe, pour des enfants de chez nous, de nos terres, mais aussi des enfants du mondeentier, de toutes couleurs, de toutes croyances… Et ils trouvent quoi ? Ils ne trouvent rien ! Ilstrouvent des parois immenses, ils ne trouvent pas de logement, ils ne trouvent pas de travailcar il n’y a pas de travail, […] Extrait de la conférence de presse tenue par J. Lassalle, le 14avril 2006, à l’hôpital de Garches.URL. : http://didier-rychter.typepad.com/mon_weblog/files/conference_de_presse_jean_lassalle_14_avril.pdf .

Annexe n°14 : Article de presse[A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon]

Source : Le Monde, édition du 8 avril 2006, p.14

Annexe n°15 : Article de presse[A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon]

Source : Le Figaro, édition du 15 avril 2006, p.11

Annexe n°16 : Article de presse

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[A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon]Source : Libération, édition du 17 avril 2006, p.11

Annexe n°17 : Diverses réactions à propos de la grèvede la faim de J. Lassalle

Hiroshi Hirabayashi, ambassadeur du Japon, en 2006 : « sa tactique est une tactique demenace. Finalement, cette tactique a entamé l’image de la France comme la destination desinvestissements étrangers. C’était une tactique indigne d’un député. » Retranscription

Alain Rousset, président du Conseil Régional d’Aquitaine (PS), en 2006 : « L’entreprises’est dit blessée, humiliée, aujourd’hui. Est-ce que l’entreprise va faire le maximum pourcontinuer à investir dans le Béarn, dans les Pyrénées Atlantique, après cette action-là ? » Retranscription

Ségolène Royal : « Quand il y a un déficit d’écoute, de respect et de reconnaissance, alors onen est contraint à faire des actions excessives ». Retranscription

Extraits du reportage de V. Fourcade, C. Zha, L. Feuerstein, N. Luiset, L. Linot,I. Tartakovsky, France 3. diffusé à l’émission du 15 avril 2006 du J.T. de France 2.URL http://www.dailymotion.com/video/xfcb99_20-heures-le-journal-emission-du-15-avril-2006_news

Annexe n°18 : Article de presse[A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon]

S ource : Le Monde, édition du 23 avril 2006, p.15

Annexe n°19 : Article de presse[A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon]

Source : Le Monde, édition du 30 mai 2006, p.32

Annexe n°20 : Un témoignage sur la stérilisationchoisie

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Document : « Mauvaise blague » J’ai 32 ans et je ne veux pas d’enfant. J’en suissûre, si je regrette j’y penserai quelques jours, mais je ne pourrai rien y faire, alors je feraiautre chose. C’est exactement ce que je veux, je veux faire autre chose, je ne veux pasd’enfant. Depuis quatre ans j’arpente le pays de gynéco en gynéco, avec la brochure «stérilisation à visée contraceptive » à la main. Cette brochure est publiée (mais presque pasdiffusée) par l’État depuis la loi n°2001-588 du 4 juillet 2001, date de la prétendue autorisationpour toute personne majeure de faire une « stérilisation à visée contraceptive ». Je ne veuxpas de contraception, je ne veux pas être une machine à produire des enfants, il existe desmoyens pour arrêter cette fonction, je veux une stérilisation. Il y a quatre mois de ça, unchirurgien gynécologue de l’hôpital Arnaud-de-Villeneuve à Montpellier a accepté de mefaire cette opération. […] 48 heures avant l’opération, coup de fil du chirurgien, l’opérationest annulée, ordre de sa hiérarchie. Son service s’occupe de la « fécondité de la femme». Il n’y a pas, même au niveau national, de service pour la stérilisation des femmes etc’est bien ça le problème. Enfin, il y a plusieurs problèmes. Un des problèmes c’est dene pas avoir le contrôle sur son corps, le tout-pouvoir que s’octroie le corps médical surle corps des femmes, en particulier, mais finalement, le corps de tout le monde. L’aidedemandée à l’hôpital dans ce cas était purement technique. Le choix je l’ai déjà fait, ladécision je l’ai déjà prise. L’hôpital, la hiérarchie du chirurgien décide de donner son avis,comme des dizaines d’autres gynécologues. Pourtant, des femmes stérilisées en Francesous décision ou pressions du corps médical, il y en a beaucoup : après quatre enfants et(d’origines) non-françaises, folles, transgenres, handicapées, toxicomanes... Elles n’ontpas décidé. Des copains se sont faits stériliser, ils ont cherché, parfois longtemps, puis ilsont trouvé, aujourd’hui, ils sont stérilisés. Alors que faut-il comprendre ? Le corps médical(et l’État) croit-il que les femmes sont d’éternelles mineures qui ne savent pas ce qu’ellesveulent ? La médecine qui aime toujours utiliser les corps des femmes comme point dedépart pour le contrôle des populations, aurait-elle maintenant scientifiquement prouvé queles femmes ne peuvent pas vivre sans enfant ? Qu’il y a de bons modes de vies ? Le choixde stérilisation pour des femmes en âge de procréer et sans enfant n’existe pas puisque,même s’il est possible légalement, le corps médical use de son pouvoir supra-légal (droitde réserve, code de déontologie) pour empêcher les femmes d’accéder aux techniquesde stérilisation. La société en général ne laisse de place à personne, et encore moins auxfemmes, pour se construire des imaginaires et des vies sans enfant […] Alors même siles médias se font les vecteurs d’une prétendue liberté sexuelle occidentale, de prétendusdroits des femmes à disposer de leurs corps et de leurs vies. Les marges de manœuvresont faibles et les garde-fous sont hauts. Est-ce que les couples réfléchissent quatre moisavant de faire des enfants et ne le regrettent jamais ? Est-ce que la hiérarchie de cet hôpitalmettrait autant de fougue à inséminer des couples de lesbiennes ? Est-ce que l’hôpitalreconnaîtrait la multi-paternité d’un enfant ? Qu’en est-il des jeunes filles mineures qui font/veulent des enfants ? Qu’en est-il des femmes qui demandent une insémination après 40ans ? Qu’en est-il des familles qui sont décomposées, recomposées et/ou bizarrementcomposées ? … la blague n’est pas drôle. Vos normes sont trop étroites pour imaginer nosréalités. Témoignage publié dans le Bulletin de contre-info en Cévennes, paru fin juin 2012.URL : http://contreinfo7.internetdown.org/s p ip.php?article184

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Annexes

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Annexe n°21 : Récit d’une action militante autourdu thème de la stérilisation choisie

Document : « Dans le hall de l’hôpital » Il est 11 h 15, vendredi 20 avril 2012. Unequinzaine d’individus hommes et femmes se retrouve devant l’hôpital Arnaud-de-Villeneuvede Montpellier, dans l’intention de disposer une banderole « Nos corps et nos vies nousappartiennent ! Ne laissons pas le pouvoir médical décider pour nous ! », d’installer une tablede presse abordant la médecine et le corps et de distribuer la lettre « Mauvaise blague...» (texte précédent), dans le hall. Par notre présence, nous perturbons l’ambiance « hallde gare » où les patientes patientent et le personnel médical s’agite. Réaction immédiate,deux vigiles et un bureaucrate qui se présentent en tant qu’adjoint du directeur du CHUarrivent. Les blouses blanches nous observent de la coursive. Pour eux, il est hors dequestion de lire ici une critique du corps médical. Évidemment, ils menacent d’appeler lapolice. Après une demie-heure de palabres, nous replions et sortons du hall pour continuerla distribution devant. On est mieux dehors, les discussions et les rencontres sont plusfaciles. Il est midi et nous resterons là jusqu’à la fin de l’après- midi... 500 lettres sontdistribuées à celles et ceux qui entrent et sortent des services Naissance et Pathologie dela femme et Pneumologie. Le texte est largement lu et commenté autour de nous. Nousavons des discussions avec beaucoup de femmes, du personnel hospitalier mais aucunmédecin. Que pensez- vous du message de la banderole ? Croyez-vous qu’à 30 ans, onest en âge de faire des choix pour sa vie ? Pensez- vous qu’une femme puisse avoir unevie sans enfant ? Que pensez-vous du fait qu’un homme puisse accéder plus facilementà la stérilisation qu’une femme ? Nous sommes agréablement surprises par tous lesretours, ou presque. De nombreuses femmes réagissent et se sentent concernées par cesquestions : l’assignation des femmes à la reproduction, le poids du corps médical sur leurvie, l’infantilisation de celles- ci. Parmi tout cela, on entend aussi des propos eugénistes etracistes, sur la stérilisation des handicapées mentales ou des femmes musulmanes. Touteset tous voient un rapport avec leurs propres vies et les langues se délient. Sans être vraimentinformées sur la stérilisation, beaucoup sont choquées par le refus éthique de l’hôpital depratiquer une ligature. Beaucoup nous encouragent. Il est 17 heures, nous avons croisédes centaines de personnes. Nous avons apporté une réponse inattendue face au refus depratiquer cette opération qui aurait dû n’occasionner, selon l’administration, qu’une lettreinutile à la direction. Nous partons contentes bien que tout reste à faire... Note : Ce texte estentièrement féminisé et évidemment inclut les hommes. Conseil de lecture : Paola Tabet,Fertilité naturelle, reproduction forcée, in Construction sociale de l’inégalité des sexes. (Lareproduction n’est pas une fonction naturelle de la femme mais une construction sociale biencamouflée.) Témoignage publié dans leBulletin de contre-info en Cévennes, paru fin juin2012. URL : http://contreinfo7.internetdown.org/spip.php?article183

Annexe n°22 : Entretien avec une femme désireuse desubir une intervention de stérilisation

Déjà, en quoi consiste la stérilis ation ? (ligature des trompes ? ovariectomie ?)

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La stérilisation proposée par la loi et les chirurgiens consiste à boucher, couperou agrafer les trompes, c'est-à-dire à ligaturer. Depuis quelques années la plupart deschirurgiens proposent comme la meilleure solution la méthode est sûre qui consiste a sefaire placer des implants au nickel (beaucoup de personnes y sont allergiques et on a doncdes effets secondaires graves !) dans les trompes. Apparemment cette méthode ne prendeffet que 3 mois plus tard car il faut attendre que les trompes se referment autour de l'implant.Cette méthode est conseillée car elle ne nécessite pas d'anesthésie générale, elle sepratique avec une anesthésie locale et la pub dit qu'on peut agréablement retourner travaillerdes le lendemain !! La ligature classique (par coloscopie en anesthésie générale, gazintroduit dans le corps du sexe jusqu'aux seins pour décoller la peau et rendre accessibleles organes concernés, trois ouvertures, une au niveau du nombril pour la caméra de suivie,les deux autres au niveau des trompes pour placer sur chacune une agrafe en sorte deplastique chirurgical) est la pratique la plus utilisée autant chez les hommes que chez lesfemmes. Moi j'avais donc demandé une ligature classique car je ne voulais pas d'implantsau nickel que mon corps allait soi-disant assimiler !

Pourquoi vouloir la stérilisation, et non pas un moyen de contraception plus classique ?J'ai pris des hormones, la pilule, de mes 14 à mes 18 ans et je n'ai pas du tout aimé

tous les effets de celle-ci, les mêmes que beaucoup rencontrent : plus de règles, humeurschangeantes, stress de l'oubli, hormones dégueus... Ensuite je me suis fait placé un stériletqui m'a fait tellement mal que je ne pouvais plus baiser pendant plusieurs mois, qui medonnait des douleurs pires que d'ordinaire pendant les règles, mais aussi du 13 au 15 joursd'ovulation ; génial : je pouvais vraiment suivre mon cycle.. .comme si on le subissait pasdéjà assez !! J’ai, dès la première année horrible avec ce stérilet, décidé de chercher à mefaire ligaturer, pensant que ça allait être facile. J’ai eu des réponses négatives pendant 4ans jusqu'a cet hosto a Montpellier ou un chirurgien m'a dit oui. Alors je me suis direct faitenlever ce stérilet de malheur ! Et j'ai été vraiment soulagée, plus de douleur, plus de cycleen permanence dans ma tête et mon corps... la suite c'est cette lettre "mauvaise blague".

Faut-il y voir une démarche politique et/ou (avant tout) individuelle ? Je n'aijamais voulu avoir d'enfant et réussir à trouver une solutiondéfinitive était un confort perso,mais aussi une manière de modifier unpeu mon corps et cette machine à reproduire quim'assimile à une individuefemelle avec toutes ces obligations que je refuse en bloc depuismonadolescence je pense. Cette envie de m'acharner à trouver un chirurgienétait aussiune sorte de combat pour proposer autre chose, j'étais trèsattachée au fait de trouverune solution en France pour toutes celles quicherchaient. Je projetais de faire une petitebrochure avec le protocoleet les infos nécessaires. Aujourd’hui je suis un peu lassée parcesrecherches et je pense aussi chercher à l'étranger mais sans grandemotivation pour lemoment.

As-tu déjà parlé de ton choix de te faire stériliser à ton entourage ? Quelles ont été /sont les réactions de ta famille ? (différentes générations), tes ami(e)s ? (milieux féministes,et autres) ? Autres personnes possibles ?

J'en ai évidemment beaucoup parlé avec mon entourage, mes potes. je n'ai aucunlien avec ma famille, ce chapitre est clos pour moi. Sinon les potes ont eu des réactionstrès différentes. Mes amies féministes ont plutôt soutenues mes recherches parce quecette problématique de choisir ce que l'on veut faire avec son corps est très présente. lesautres potes du milieu anar ont eu toutes sortes de réflexions, parfois similaires à celles desmédecins : pourquoi faire un choix irrémédiable? Pourquoi se fermer des portes?

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Annexes

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Considères-tu la stérilisation à visée contraceptive comme une violence contre soi, uneautomutilation ?

En quelques sortes oui, mais comme toutes les autres méthodes de contraceptionfinalement... et comme beaucoup de pratiques qu'on est contrainte à faire dans ce mondede merde ! Je n'ai jamais envie de m'habiller et pourtant je dois le faire tous les jours dema vie, est-ce que cela n'est pas une automutilation?

As-tu déjà rencontré des gens qui le pensaient ?Beaucoup de gens le pensent dans le sens, une femme qui n'a pas d'enfant se fait

souffrir !! Cette automutilation-là ne me touche pas car je pense sérieusement que l'on peutvivre sans enfant et sans frustration à ce niveau. les gens ne pensent même pas à l'actemédical sur ce sujet tant ils n'arrivent pas a comprendre qu'une femme ne veuille pas utiliserson appareil reproducteur, "ce don merveilleux à enfanter" !

Comment expliques-tu ton non désir d’enfants ?Je n'en ai jamais rêvé ni petite, ni ado, ni jamais... j'ai vécu dans une famille qui ne m'a

pas du tout donner envie de foyer, enfants, éducation, devenir parents, vieillir en famille ettout ce qu'implique la parentalité. Très vite sortie de ce cocon, j'ai croisé des féministes etcela n'a fait que renforcer ce désir de ne pas être un appareil reproducteur. Physiquement,l'enfantement m'a toujours dégoûtée, pas d'enthousiasme a imaginer quelque chose grandiren moi, jamais. Voilà depuis je n'ai jamais eu d'hésitations a ce sujet, je n'ai pas non plusl'envie de vivre en couple, je cherche d'autres moyens de créer des liens forts affectivement,ce qui éloigne donc cette question de mes préoccupations. Ma vision un peu nihiliste etindividualiste de ce monde ne fait que justifier un peu plus ce choix.

Comment est perçu ton non désir d’enfants par ton entourage ?Pour quelques personnes, un choix intéressant, je connais des potes vasectomisés et

des potesses qui cherchent comme moi. Pour beaucoup d'autres, une prise de tête un peunombriliste, je crois.

Quels ont été les motifs du refus du corps médical ?Ils pensent que je suis trop jeune à 32 ans pour choisir, que je peux toujours changer

d'avis, que je peux rencontrer un prince charmant !!! Que j'aurais qu'à revenir quand j'aurais40 ans, que j'ai qu'à utiliser des préservatifs ou prendre des hormones, que cette loisur la stérilisation à visée contraceptive est inapplicable, car à l'encontre de toutes leursrecherches sur l'ultra-fécondité. Ils veulent qu’elle soit abrogée. On m'a dit aussi que c'étaitle même processus que dans les années 70 avec l'avortement et qu'après que la loi soitpassée, il y avait eu des années, voire des dizaines d'années avant qu’elle soit appliquéepar plus que les quelques médecins militants. On m'a donc redit d'attendre... la plupart desrefus ont été directs et sans argumentation autre que le droit déontologique du médecinde refuser.

Te sens-tu infantilisée par ton entourage et/ou par le corps médical ? Parmon entourage pas du tout, mais le corps médical m'insupporte à jouerde son pouvoir dedécider, sous couvert qu'il a lajconnaissance et lestechniques pour soi-disant soigner, aider,améliorer ou simplifier la vie de toutes et tous.

Annexe n°23 : Témoignage d’Héloïse, orthophoniste

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C'est drôle, c'est une thématique abordée très sérieusement chez nous ces derniers mois(projet de vasectomie pour monsieur)...

Le projet vient de mon homme, qui ne veut vraiment plus d'enfants...et de moi qui enai marre d'assumer la contraception du couple depuis toujours (avec 2 ivg...)

il s'agit vraiment d'un choix personnel... l'aspect politique est plutôt dans le refus d'avoir3 enfants...déjà que faire des enfants relève toujours au moins d'un égoïsme de couple etrevêt un aspect irrationnel... en ce qui nous concerne il est arrivé un moment où la raisonnous a rattrapés ! D'aucuns diraient qu'on est plus à un près vu que le mal est fait...persoj'ai plus de mal, le côté "tripes" a du mal à s'éteindre et faire le deuil de la fécondité c'est unpeu accepter de vieillir et là j'ai encore un peu de mal...je serais incapable d'avoir recours àla stérilisation pour moi-même et le vivrais comme une réelle mutilation.

Mon homme a vraiment peur pour sa virilité (peur d'effets secondaires) et l'aspectchirurgical en soi, le côté inéluctable lui fait moins peur semble-t-il... mais je ne suis pasdans sa tête. et la peur des effets secondaires sur la "virilité" laisse envisager une angoissedu même ordre que la mienne sur l'association fécondité/vitalité!

Je ne le vois pas en soi comme une mutilation, encore moins un trouble psy (même si lestroubles de la psyché peuvent toucher tous les segments de la vie) des personnes peuventfaire ce choix de manière tout à fait saine et résolue...l'empêcher me parait dommage.

Une amie a voulu se faire ligaturer les trompes après le 2ème enfant, son gynéco luia répondu qu'il ne le ferait qu'après le 3ème (dont elle ne veut pas!) et voilà...les médecinspeuvent s'arroger ce pouvoir-là...totalement arbitrairement...

hommes femmes: même combat, mais je pense que le refus de maternité est encoreplus mal considéré chez la femme...une vieille vilaine petite idée perdure vicieusement quiveut qu'on est vraiment femme que quand on a enfanté...et l'aspect soi-disant naturel etinstinctif de la chose...

je crois qu'il existe cet instinct on est des animaux et l'instinct de survie et deperpétuation de l'espèce n'est réservé aux autres mammifères and co.

mais l'homme a tout de même ce petit truc "en plus" oserais-je dire, qui fait que nouspouvons agir sur ces instincts !

Annexe n°24 : Entretien avec Marylin, agrégée dephilosophie

Comment considèrerais-tu un homme qui évoque le souhait définitif de ne pas avoird’enfant ? Une femme qui a ce même désir – ou ce même non désir ?

Même réponse pour les deux questions : c’est un choix qui leur appartient pleinement,ils ne mettent par là en danger ni la liberté ni la vie de personne. Les réticences morales quemanifestent certains docteurs (en admettant que ce soit sur la base de réticences moralesqu’ils refusent de pratiquer ce type d’opération) peuvent paraître illégitimes dans la mesureoù il s’agit finalement d’un simple moyen de contraception comme un autre. Le caractèredéfinitif de l’opération peut sembler trop radical, mais est-ce être un individu anormal que

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Annexes

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de décider qu’on ne voudra jamais avoir d’enfants ? Un individu qui userait de préservatifsou qui prendrait la pilule toute sa vie durant devrait-il être considéré comme« plus moral »que le premier, sur la base de ce raisonnement ? Ce serait absurde, puisque dans les deuxcas, la stérilisation comme la contraception, le but est le même.

Quelle vision as-tu de la stérilisation à visée contraceptive ? Est-ce :Une violence contre soi ? Non : la violence implique une contrainte extérieure, et la

stérilisation volontaire relève par définition d’un choix libre de l’individu. Elle ne constitueun acte violent que dans le cas où elle est imposée à l’individu indépendamment de savolonté (cf. : la pratique de la stérilisation des gens décrétés « dégénérés » dans l’Allemagned’Hitler).

Une automutilation ? Non plus : s’automutiler, c’est chercher à se faire mal, soit parplaisir masochiste, soit par un sentiment de honte ou de culpabilité qui génère la volonté des’auto-punir. On ne pratique pas la stérilisation pour se faire du mal mais par volonté d’avoirune vie sexuelle sans prendre le risque d’avoir un enfant qu’on ne désire pas.

Une simple transformation de son corps ? C’est une transformation de son corps,oui (l’adjectif « simple » semble de trop : ce n’est pas non plus un détail à prendre à lalégère, comme un tatouage ou un piercing qui sont aussi des transformations : il s’agit d’unedécision importante qui a des conséquences non négligeables et surtout définitives pourl’existence).

Une solution de confort ? Oui, la visée principale de la stérilisation me semble êtred’ordre pratique.

Penses-tu que la volonté de se faire stériliser résulte :D’un trouble psychopathologique ? Mais bien sûr … Parce que la nature nous a

faits de telle sorte que l’on puisse avoir des rapports sexuels qui bien entendu doiventnécessairement viser à la reproduction de l’espèce, cela va de soi ! Trêve de plaisanterie :à moins de tenir un discours naturaliste servant ou non à dissimuler un conservatisme bienreligieux, je ne vois pas comment on pourrait soutenir une telle thèse : à moins bien sûr deconsidérer que l’homosexualité est, elle aussi, le symptôme d’une pathologie mentale !

D’un choix individuel ? ExactementD’une réflexion politique : C’est possible, mais dans de rares cas je pense : on peut

imaginer qu’une femme décide par exemple de se stériliser dans le but de montrer qu’ellen’a pas à endosser le rôle de mère que la société tend à imposer aux femmes.

D’une réflexion individuelle ET politique ? Voir supraQue penses-tu de la loi autorisant la stérilisation à visée contraceptive ? Quels

enjeux y vois-tu ?C’est une loi finalement ultra libérale, qui tend à confirmer l’idée selon laquelle chaque

individu est libre, maître de sa vie et de son corps.Que penses-tu de ce refus du corps médical de pratiquer ce type d’interventions ?Cela revient à imposer des considérations morales qui sont subjectives et personnelles

à d’autres individus qui ne les partagent pas. A partir du moment où les médecins acceptentde pratiquer des opérations telles que la chirurgie esthétique ou le changement de sexe, quiconsistent elles aussi à transformer son corps, pourquoi refuser la stérilisation, sinon parcequ’on y voit une sorte de crime contre la nature ? Cela me semble donc absurde, mais lemoralisme est bien souvent sélectif !

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Veux-tu ajouter quelque chose à ce sujet ? Non

Annexe n°25 : Entretien avec une étudiante encinquième année de philosophie

Comment considérerais-tu un homme qui évoque le souhait définitif de ne pas avoird’enfant ? Une femme qui a ce même désir – ou ce même non désir ?

Je répondrai de la même manière aux deux questions. Il me semble que la sociétéest indulgente envers les hommes qui ne veulent pas d’enfants, car elle considère quec’est « normal », du moins c’est courant, l’homme n’ayant apparemment pas d’ « instinctpaternel »… A contrario, une femme qui ne veut pas d’enfant est mal vue, dénigrée parles autres femmes, par la société. Je trouve ça absolument injuste. Pourtant, je pense quel’homme et la femme ne sont pas foncièrement différents sur l’absence de désir d’un enfant.Et je pense que, pour l’un comme pour l’autre, ce que qui peut les faire changer d’avis est derencontrer une personne qu’ils aimeront, et avec laquelle ils auront envie d’enfanter ; aussibien l’homme que la femme. A vrai dire, j’ai des exemples précis d’hommes et de femmes demon entourage qui ne voulaient pas d’enfants et étaient catégoriques là-dessus… jusqu’àce qu’ils trouvent la personne à aimer et avec qui les faire ! �

Mon ex n’a jamais voulu d’enfants ; pourtant, lorsque l’on était ensemble, dans lesmoments les plus intenses, nous évoquions l’envie d’en avoir.

Mon amie M., ancienne chanteuse de mon orchestre, a accouché d’un petit garçon il ya trois mois ; j’ai enfin rencontré ce petit bonhomme la semaine dernière. Son papa, K., nevoulait pas d’enfants non plus. Mais c’était avant d’aimer M., et d’être rassuré, de voir quela vie se construit toute seule et dans la sérénité, avec la personne qu’on aime. A présent,il est absolument dingue de son petit garçon. �

Sinon, je conçois absolument que l’on puisse ne pas désirer d’enfant, ça ne devrait pasêtre moralement condamnable. Mais je reste persuadée que les gens qui demeurent surcette position toute leur vie n’ont simplement pas rencontré la bonne personne. Celle quipermet d’enfanter dans le Beau, en des termes platoniciens.

Quelle vision as-tu de la stérilisation à visée contraceptive ? Est-ce :Une violence contre soi ? Sans doute, oui.Une automutilation ? Si c’est fait dans un centre hospitalier et sous surveillance

médicale, non je ne pense pas.Une simple transformation de son corps ? Non, ça ne doit pas être banalisé, c’est

une transformation trop importante.Une solution de confort ? Certainement pas. Une telle réponse, on dirait du Marine

Le Pen, transposé de l’avortement à la stérilisation !!Et pourquoi ? Je vois un peu la stérilisation à visée contraceptive comme une violence

contre son propre corps, car c’est certainement une transformation irréversible, qui porteatteinte à la féminité, et qui n’est pas nécessaire. Non nécessaire dans la mesure où il existeaujourd’hui des moyens de contraceptions efficaces, qui sont tels qu’on ne devrait jamais en

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arriver là. Mais je n’y connais rien, peut-être y a-t-il des cas où la stérilisation est nécessaireet n’est plus que le seul moyen de contraception efficace, mais dans ce cas c’est marginal.

Pensez-vous que la volonté de se faire stériliser résulte :D’un trouble psychopathologique ? Je pense que la volonté de se faire stériliser

pourrait provenir d’un problème avec son corps, avec sa féminité, avec la sexualité ; doncoui, psychopathologique. Avoir une vision faussée de soi, à tel point que c’en devientmaladif, ne pas assumer son corps de femme, la violence de l’acte sexuel, le fait que cecorps est fait pour avoir des enfants. Mais je ne suis pas sûre que cela légitime une telletransformation. Pour moi, quelqu’un qui a ce désir, à moins que l’intervention soit nécessairepour des raisons médicales, la personne qui souhaite la pratiquer n’est pas très claire dansson rapport au corps.

D’un choix individuel ? Je ne saurais dire ce qui pourrait motiver une telle décision,mais j’espère qu’elle est individuelle, le corps étant avant tout MON corps.

D’une réflexion politique ? Je sais que tu travailles sur le corps comme instrumentpolitique, et pourtant j’avoue que ton sujet ne me parle pas du tout. Je prendrai grand plaisirà te lire. En tout cas, si c’était là la réponse que tu aurais donnée, moi je n’ai rien à en dire,ça ne m’évoque rien ! Se stériliser pour porter une revendication politique, je trouve ça bête.Il faut faire avec son corps, c’est comme ça. Transformer son corps de femme et lui ôter saféminité ne peut, pour moi, pas être un acte politique sensé.

D’une réflexion individuelle ET politique ? Euh, j’espère que si la réflexion estpolitique, elle n’en demeure pas moins individuelle, dans le sens où nous ne sommes pasdes moutons dans nos décisions politiques.

Que penses-tu de la loi autorisant la stérilisation à visée contraceptive ? Quels enjeuxy vois-tu ?

J’y vois une exacerbation des droits de la femme, droits poussés à de telles extrémitésque la femme peut maintenant ne plus être femme. C’est dans l’air du temps, on penseque chacun doit avoir le droit de faire ce qu’il entend de lui-même, de son corps. Je ne suispas tout à fait d’accord avec cela, et j’espère que cette loi est accompagnée de clausesrestrictives. Selon Locke, l’homme est libre, mais le premier de ses devoirs est de conserverson propre corps, de ne pas lui porter atteinte ; toute liberté individuelle doit avoir deslimites. Avoir des revendications féministes ne veut peut-être pas dire obtenir le droit detout faire de sa féminité, de son corps. Pour les enjeux, je ne sais pas. Mais il est trèsclair que pouvoir enfanter est un symbole de la féminité, mais également de la conditionféminine, de l’assujettissement de la femme à une certaine fonction dans la société (fairedes enfants). Cela fait des années que la femme cherche à s’émanciper, à quitter ce rôle desimple mère pour être enfin active dans la société ; pour avoir un rôle politique. Néanmoins,la contraception par la stérilisation, c’est excessif.

Que pensez-vous du refus du corps médical de pratiquer ce type d’interventions ?C’est tout à fait compréhensible. Pas de retour en arrière possible après une telle

intervention, et je pense que les motifs sont souvent mauvais, ou circonstanciés. On ne peutjamais être sûrs de ne pas un jour changer d’avis.

Annexe n°26 : Entretien avec Patrick, biologiste

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Comment considéreriez-vous un homme qui évoque le souhait définitif de ne pas avoir denfant ?

Pour moi, on devrait avoir droit de disposer entièrement de son propre corps. C'est uneliberté qui me parait évidente qui a pour conséquence qu'on devrait avoir droit au suicideassisté, à l'euthanasie, à l'avortement et à la stérilisation sans même avoir à s'expliquer.

La stérilisation définitive est une décision personnelle qu'il faut bien penser puisquedéfinitive. On ne sait pas dans quel état d'esprit on sera dans 10 ou 20 ans (surtout pourles hommes qui restent fertiles très longtemps). Les raisons peuvent être (i) de vouloirse débarrasser des méthodes contraignantes comme le préservatif et la pilule ou (ii) plusphilosophique de ne pas vouloir ajouter d'autres malheureux dans ce monde de souffranceet d'injustice.

Une femme qui a ce même désir ou ce même non désir ?Je n'ai pas de point de vue différent que ce soit pour une femme ou pour un homme

Quelle vision avez-vous de la stérilisation à visée contraceptive ? Est-ce Uneviolence contre soi ? Une automutilation ? Une simple transformation de son corps ?Une solution de confort ?

C'est une solution de confort si ça correspond à la cause (i) ci-dessus et ça peut êtreune vraie action altruiste si la motivation est la (ii) ci-dessus

Pensez-vous que la volonté de se faire stériliser résulte d’un troublepsychopathologique ? d’un choix individuel ? d’une réflexion politique ? d’uneréflexion individuelle ET politique ?

C'est l'expression d'une réflexion individuelle bien sûr (je trouve inadmissible qu'onlimite cette liberté) et éventuellement politique (je comprends que les gens lucides neveuillent pas lancer un innocent de plus dans la jungle du monde actuel). Que pensez-vous de la loi autorisant la stérilisation à visée contraceptive ? Quels enjeux y voyez-vous ? Cette loi me parait indispensable (loi sur la liberté de se faire stériliser) puisquedans notre société où la morale d'origine religieuse est encore très présente, il faut légiférerpour le simple droit d'être libre.

Que pensez-vous du refus du corps médical de pratiquer ce type d’interventions ?Je trouve normal qu'on laisse au corps médical la liberté de refuser. En cas de refus

trop nombreux, l'Etat devrait alors organiser une filière acceptant cet acte pour satisfaire lesdemandes (genre "numéro vert" pour savoir où aller)

Annexe n°27 : Entretien avec Anne, médecin du travailComment considéreriez-vous un homme qui évoque le souhait définitif de ne pas avoird’enfant ? Une femme qui a ce même désir – ou ce même non désir ?

Considérations qui vont dépendre du contexte : Age, déjà parents ? En couple ? (avecune même vision pour homo ou hétéro) ; Ma position ne sera pas la même vis-à-vis depersonnes ayant déjà des enfants où je perçois cette stérilisation sous un aspect moinsviolent, comme une simple contraception définitive, une transformation du corps. Elle seraégalement différente face à un(e) jeune de 25 ans par rapport à une personne de 40 ans.Pour l’homme ce non désir à 50 ou 60 ans m’interpellera moins que face à un homme de

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Annexes

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20 ou 40 ans (compte tenu du temps biologique différent selon les sexes) En effet, la vie estpleine de surprises et nous sommes construits de nos rencontres individuelles et de notrevie sociale Ce non désir sera il définitif au vu de la vie ? L’inconscient est toujours prêt àjouer des tours également. Bref, face à une personne jeune qui peut encore avoir l’occasionde mener un projet parental et qui n’en a pas eu l’occasion je suis très réservée sur ce choixdéfinitif qui pourra être vécue comme une mutilation ultérieurement. Je n’y vois pas uneconsidération « morale « mais une « perte de chance » au cas où…

Du côté « moral », je dois ajouter que je n’ai pas le même ressenti face à un(e)célibataire ou face à un couple qui exprimerait cette même volonté. Un projet de vie decouple dans la longueur sans désir d’enfant m’apparaît triste ; or, NB perso, en me mariant,je ne rêvais pas d’avoir des enfants… (que de contradictions dans la vie… )

Quelle vision avez-vous de la stérilisation à visée contraceptive ? Est-ce une violencecontre soi ? Une automutilation ? Une simple transformation de son corps ? Une solutionde confort ? Et pourquoi ?

Je la perçois de manière assez violente pour les personnes n’ayant pas eu ou n’ayantpas encore exercé de fonction parentale (parent de famille recomposée par exemple).Comme une castration. Cf. : mes commentaires sur l’évolution de nos désirs, la vie estchangement, est mouvements ; et le caractère définitif fige ce mouvement dans une staturemortifère

Pensez-vous que la volonté de se faire stériliser résulte d’un troublepsychopathologique ? d’un choix individuel ? d’une réflexion politique ? d’une réflexionindividuelle ET politique ? Et pourquoi ?

« Choix individuel ou politique » ou « individuel ET politique ». Le pourquoi m’interroge.Cf. : le choix de Simone de Beauvoir, par exemple.

Que pensez-vous de la loi autorisant la stérilisation à visée contraceptive ? Quels enjeuxy voyez-vous ?

La loi permet a chacun d’avoir une liberté sur son corps et tant mieux, son applicationdoit être faite avec tact et mesure. On rejoint là le débat sur l’euthanasie…

Que pensez-vous du refus du corps médical de pratiquer ce type d’interventions ?Je me reconnais dans ce refus face à une personne jeune : et trop de demandes

ultérieurs avec non compréhension du caractère définitif qui ne semble pas avoir étéINTEGRE, même si ENTENDU, assurance que la technique pourra quand même faire plierle désir de …

La stérilisation est également connotée par des campagnes de stérilisations nonvolontaires, pas si lointaines, dans certains pays également occidentaux avec un caractèrepolitique de limiter les « déviants ».

Voulez-vous ajouter quelque chose à ce sujet ?Le non désir de parentalité est un sujet extrêmement tabou et je vois de nombreuses

jeunes femmes (cadres surtout) qui culpabilisent d’une maternité non épanouie, l’enfantétant venu perturber, de manière radicale, leur mode de vie, leur corps et leur couple. Pasde lieu où en parler ; Il faut être une superwoman. Je pense que c’est surtout l’isolement desparents et la prise en charge des enfants dans le couple nucléaire qui pose problème. Uneamie africaine (cadre également) me disait combien c’était difficile de se retrouver parentsseuls, sans la famille, dans une ville occidentale. Est ce que cela joue également sur cettevolonté de ne pas avoir d’enfant ?

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Annexe n°28 : Entretien avec un homme, ayant uneexpérience de stérilisation

Comment considéreriez-vous un homme qui évoque le souhait définitif de ne pas avoird’enfant?

C’est un homme qui prend en charge la question du désir / non-désir d’enfant, sansse reposer sur la femme pour assumer cette charge. Comme un homme responsable quiest conscient du problème de l’inégalité femme-homme face à la contraception. Il s’agitpour cet homme d’une projection dans l’avenir impliquant un renoncement à la procréation :ce souhait ne peut pas être considéré de la même manière selon l’âge et la situationmatrimoniale et familiale de cet homme.

Une femme qui a ce même désir – ou ce même non désir ?Soit comme une femme qui a déjà beaucoup procréé ; soit comme une femme

qui exprime une position identitaire et politique. Elle dissocie la maternité de sonépanouissement personnel. Dans le premier cas, il peut s’agir d’une femme aliénée à quiincombe la charge de la régulation des naissances.

Quelle vision avez-vous de la stérilisation à visée contraceptive ? Est-ce une violencecontre soi ? Une automutilation ? Une simple transformation de son corps ? Une solutionde confort ?

Autre : Pour l’homme, il s’agit d’une solution totalement efficace de prise en chargede la contraception.

Pensez-vous que la volonté de se faire stériliser résulte d’un troublepsychopathologique D’un choix individuel ? D’une réflexion politique ? D’une réflexionindividuelle ET politique ?

D’une réflexion individuelle ET politique ?Pourquoi ?La stérilisation de l’homme (vasectomie) représente une certaine mutilation,

au plan des capacités reproductrices qui va avoir, outre l’impact biologique, certainesrépercussions psychologiques. Cette décision implique donc un engagement personnel, laprise en charge d’un deuil personnel. Il s’agit aussi d’un choix politique du point de vue del’égalité femme-homme.

Que pensez-vous de la loi autorisant la stérilisation à visée contraceptive ? Quelsenjeux y voyez-vous ?

Je ne connais pas cette loi précisément, mais il semble que ce soit une bonne loi, quipeut aller dans le sens de la responsabilité des personnes et de l’égalité femme-homme.

Que pensez-vous du refus du corps médical de pratiquer ce type d’interventions ?Il s’agit d’une peur et/ou d’un refus d’engagement. La peur peut être liée au fort impact

psychologique supposé de ce type d’opération, ou encore aux supposées répercussionsjuridiques en cas de versatilité du patient. Il y a peut-être aussi, au sein du corps médical,une possible indifférence face aux inégalités entre les femmes et les hommes par rapport àla prise en charge de la contraception. Ils trouvent peut-être normal que cette responsabilitéet cette charge incombe presque exclusivement aux femmes, que les recherches dansce domaine se concentrent presque exclusivement sur la contraception féminine, que lesfemmes doivent assumer la plupart des effets indésirables de la contraception, y comprisjusqu’aux dysfonctionnements de celle-ci. Du point de vue de la sociologie politique, le corps

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Annexes

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médical est conservateur : cela s’exprime par exemple dans les difficultés pour accéder auxsoins pour les plus pauvres, ou bien pour les difficultés d’application du droit à l’avortement.Il n’est pas surprenant de se retrouver face à une attitude similaire avec cette loi sur lastérilisation.

Voulez-vous ajouter quelque chose à ce sujet ?J’ai une expérience personnelle de stérilisation. Cette expérience peut éventuellement

être explorée, au travers d’un questionnaire complémentaire.Vous dîtes que vous avez une expérience de stérilisation. Résulte-t-elle d’un choix ou

d’une contrainte (santé...) ?C'est un choix personnel.Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre cette décision ?J'ai fait ce choix à 40 ans, après avoir eu 4 enfants avec mon épouse. Jusqu'alors,

c'est surtout elle qui prenait en charge la contraception ; elle éprouvait de la gêne ou mêmedes douleurs avec le stérilet (alors que tout le monde disait que ce moyen ne présente pasd'inconvénients). Cela représentait un obstacle à l'épanouissement de notre sexualité. Lesautres moyens (préservatif ou pilule) ne nous convenaient pas non plus. Alors j'ai décidéde m'informer et de prendre les choses en main de mon côté.

Comment l’avez-vous éprouvé ? Votre perception de vous-même en a-t-elle étémodifiée?

L'intervention chirurgicale elle même a été plus dure que prévu. Le médecin lui-mêmeétait un peu pris au dépourvu et a commis quelques maladresses. Il devait peut-être réalisercette opération pour la première fois. Je suis resté avec un hématome mal placé et uneinflammation pendant plus d'une semaine, alors que j'étais censé être sur pied dès lelendemain. Ensuite il y a eu le prélèvement de sperme pour vérifier que l'opération estconcluante. Il y a alors la certitude objective de la stérilité. Cela ne m'a pas affecté. Aucontraire même : cette "réduction" de mon potentiel procréatif a été largement compenséepar une possibilité de vivre avec mon épouse notre sexualité dans une certaine insouciance.

Quelle a été la réaction de votre entourage (famille, amis…). ?Peu de personnes ont été mises au courant sur le moment. Il s'agissait d'un évènement

intime et j'ai préféré que la nouvelle reste confidentielle. J'étais à l'époque en analyse, surle divan et j'ai alors donné à mon analyste l'occasion de sortir de son mutisme : elle a prisposition en m'interdisant de réaliser cette opération durant mon analyse. "On ne fait pasune telle chose ou on ne divorce pas durant son analyse." Sa prise de position tranchée, sacomparaison avec le divorce, montrent bien à quel point la stérilisation masculine est perçueavec gravité dans la société. Du coté de mon épouse, les choses n'étaient pas simples nonplus. Elle m'a accompagné à reculons dans la décision, puis le jour de l'opération ; il m'asemblé qu'elle éprouvait une certaine gêne. Il me semble que c'était une manifestation deculpabilité. C'est aussi pour cette raison, sans doute, que nous sommes restés très discretssur ce sujet.

Avez-vous subi des refus de la part du personnel médical ? Si oui, quel(s) en a(ont) étéle(s) motif(s) et comment avez-vous vécu ce(s) refus ?

A l'époque (avant la loi actuelle), je crois me souvenir d'en avoir parlé à u homéopatheou un généraliste "alternatif" (je ne sais plus exactement) qui était favorable et qui m'avaitdésigné 2 urologues susceptibles de réaliser l'opération (ça, j'en suis sûr). J'étais prévenu

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qu'il était difficile de trouver quelqu'un qui accepte de pratiquer une vasectomie. Le premierurologue a refusé carrément : "c'est une mutilation" et "vous êtes trop jeune".

Que vous a dit le médecin qui a accepté de pratiquer ce type d’intervention sur vous ?A-t-il émis des réserves, des conditions, des avertissements (ou que sais-je d’autres ?)

Le deuxième a accepté de pratiquer, après m'avoir attentivement écouté, en posantune condition. Je devais consulter chez un des psychiatres dont il me communiqua la liste.Bien entendu, il m'a montré des planches anatomiques en m'expliquant en quoi consistaitl'intervention et en me prévenant de ses conséquences quasi irréversibles. Il m'a indiquéaussi les avantages : pas d'incidence sur la physiologie sexuelle, légèreté de l'interventionchirurgicale. Parmi les noms des psychiatres, j'ai évidemment choisi une femme, en pensantmettre plus de chances de mon coté. L'entretien n'a pas été très long. Mes arguments étaientrationnels et elle a accepté de faire un courrier au médecin sans émettre de réserves parrapport à ma décision.

Annexe n°29 : Entretien avec Jacqueline, institutrice àla retraite

Comment consid éreriez-vous un homme qui évoque le souhait définitif de ne pasavoir d’enfant ? Une femme qui a ce même désir – ou ce même non désir ?

Ce souhait est suffisamment grave pour que je me pose des questions et que j’en poseà la personne qui va prendre cette décision difficile parce qu’irréversible.

S’il s’agit d’un homme : Il se trouve que J.-L., mon fils a pris cette décision et que celaa fait exploser son couple, ma belle-fille souhaitant ardemment des enfants.

raison de santé d’abord : sa femme s’est révélée être atteinte d’un « lupus », maladieauto-immune qui détruit le collagène des tissus et qui rend la grossesse risquée (grandedépendance hormonale). J.-L., pharmacien dans un hôpital de Californie a assisté au décèsd’une jeune femme de trente ans, atteinte de lupus, hospitalisée durant sa grossesse.

Autres raisons de santé : risques génétiques. Sa sœur, ma fille S., aujourd’hui décédée,et un cousin germain atteints de troubles psychotiques.

D’un tempérament plutôt anxieux, et baignant dans un milieu médical, lesconnaissances acquises sur le terrain ne l’ont pas prédisposé à l’inconscience. Il ne regrettepas son choix même si son divorce l’a beaucoup éprouvé. D’autres raisons ont pesé dansson choix. Un sens des responsabilités, peut être excessif, l’ont conduit à considérer que lemonde étant ce qu’il est (et le monde aux USA est encore plus féroce qu’en France) donnerla vie à un enfant, c’est faire à cet enfant un cadeau empoisonné.

Les raisons de J.-L. sont valables pour une femme. Les idées reçues, leconditionnement de la fille par l’éducation (la femme est née pour être mère) ne peuventque susciter une interrogation accrue. La maternité, privilège féminin (supériorité, sourced’esclavage) peut aussi être considérée comme un obstacle ou un frein à une réalisationou une ascension professionnelle. Une femme, aujourd’hui peut se réaliser autrement quedans la maternité. De plus, comme pour un homme, des raisons de santé, un choix éthiquepeuvent jouer

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Annexes

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Quelle vision avez-vous de la stérilisation à visée contraceptive ? Est-ce Une violencecontre soi ? Une automutilation ? Une simple transformation de son corps ? Une solutionde confort ?

violence contre soi ? Cela peut être une violence si l’on s’impose ce choix pour préserverune descendance d’un risque génétique – sinon, c’est aussi une incroyable liberté.

automutilation ? Objectivement, c’est en effet une mutilation, « atteinte irréversible àl’intégrité physique » entraînant la perte définitive d’une capacité, non des moindres, voireessentielle : celle de donner la vie !en ce sens c’est beaucoup plus qu’une transformationdu corps.

une solution de confort ?certes mais à quel prix !! on ne peut écarter cette hypothèsepuisque la stérilisation, c’est, pour une femme, la maîtrise absolue de son corps, et, pour unhomme, l’assurance de ne jamais se faire « piéger ». Le plaisir, sans le risque ! ….vu souscet angle, le choix de la stérilisation ne peut se faire sans une certaine dose d’égoïsme,voire d’égocentrisme.

Pensez-vous que la volonté de se faire stériliser résulte d’un troublepsychopathologique ? d’un choix individuel ? d’une réflexion politique ? d’uneréflexion individuelle ET politique ?

La volonté de se faire stériliser ne devrait me semble-t-il, résulter que d’un choixindividuel. Il peut malheureusement être imposé pour des raisons politiques (réduction dela natalité en chine), sociétale (castration donc stérilisation de certains criminels sexuelsrécidivistes).

Un trouble psychopathologique peut sans doute, également, amener un homme ou unefemme à repousser la conception ou la transmission de la vie. Cette transmission de lavie, conditionnant la perpétuation de l’espèce, ne peut se dispenser d’une réflexion morale,philosophique et éthique sur le sujet. Réflexion politique également car peut-on laisser cechoix à la seule initiative individuelle sans avoir recours à la loi pour en réguler l’utilisationdans la société.

Que pensez-vous de la loi autorisant la stérilisation à visée contraceptive ? Quelsenjeux y voyez-vous ?

La loi du 4-07-01 me paraît respecter parfaitement la liberté individuelle. je ne vois pasqu’elle réponde à un autre enjeu que celui-là.

Que pensez-vous du refus du corps médical de pratiquer ce type d’interventions ?Comme pour l’euthanasie ou l’avortement, la réticence ou le refus du corps médical me

paraît reposer sur des rigidités culturelles qui, à la longue pourraient peut-être, je l’espère,l’assouplir, sur une interprétation excessive (voire bornée !) du serment d’Hippocrate quis’oppose à toute atteinte à la vie, quelle soit finissante ou potentielle.

Et pour en terminer, je mettrais seulement un bémol pour les médecins dont la réticenceviendrait de la crainte d’effets secondaires psychiques d’une stérilisation précoce pour unefemme encore jeune et dont un désir d’enfant pourrait survenir, avec du retard, à une périodeoù la conception aurait pu encore être possible .

De toute manière, je crois nécessaire qu’avant toute décision de stérilisation, uneréflexion approfondie ait lieu avec l’aide de professionnels, psychiatres, psychologues, etpourquoi pas une autre autorité morale, philosophique ou religieuse.

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Annexe n°30 : Entretien avec Philippe, enseignantComment considères-tu un homme qui évoque le souhait définitif de ne pas avoird’enfant ?

La question me semble trop vague. On manque d’informations sur cet homme quisouhaite du définitif. Quel âge a t-il ? est-il marié ? a t-il des enfants ? A-t-il une maladiegénétique transmissible ? Des troubles psychologiques importants qui l’empêcheraientd’assumer un enfant. Quel est son milieu social ? Son milieu naturel ? (entre un scandinaveet un habitant du bassin méditerranéen l’un pourra passer pour quelqu’un de réfléchi l’autrepour un original pas sérieux). Et le milieu culturel ? (il faudrait considérer la question enfonction des 4 types de culture définies par Philippe Descola).

Si je considère le cas d’un homme jeune, sans enfant, célibataire, sans problèmede maladie transmissible ou de problème psychologique et avec des revenus suffisantsvivant dans un pays où ne dominent pas la violence politique ou la guerre ni la famine oudes cataclysmes divers, alors son attitude me semble comporter beaucoup d’orgueil et deprétention, en un mots beaucoup d’immaturité. On change de certitudes aussi souvent quede chemises, alors le côté définitif fait sourire l’ancien, la vie est courte mais les soirées sontlongues. La vasectomie c’est comme un serment d’ivrogne mais sans l’avantage que peutreprésenter la gueule de bois. Bien sûr, c’est dans le cas du jeune homme etc…

Une femme qui a ce même désir – ou ce même non désir ?J’ai les mêmes réserves que pour la question 1. Certes le désir d’enfant pour une femme

commence par le désir de grossesse dit-on, mais je ne connais pas la différence. Et pourune femme jeune etc…comme pour l’homme jeune etc… Si ce non désir perdure j’y voisun côté mortifère.

Quelle vision avez-vous de la stérilisation à visée contraceptive ? Est-ce Une violencecontre soi ? Une automutilation ? Une simple transformation de son corps ? Une solutionde confort ?

(toujours dans le cas de figure 1) et 2)plus stupide que violentmutilation ouirien n’est simpleune solution de confort dans le cas d’un couple avec plusieurs enfants (donc assez

âgé) ce qui évite à la femme une prise de contraception hormonale Pensez-vous que la volonté de se faire stériliser résulte d’un trouble

psychopathologique ? d’un choix individuel ? d’une réflexion politique ? d’uneréflexion individuelle ET politique ?

Non pour le trouble psychopathologiqueUn choix individuel ou alors la personne est très influençableUne réflexion politique momentanée et idéalisteQue pensez-vous de la loi autorisant la stérilisation à visée contraceptive ? Quels

enjeux y voyez-vous ?

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Annexes

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Pour la loi, est-ce que la réduction du nombre d’avortements est visée ? Peut-être. Etsans doute dans un but d’accroître les libertés individuelles. Pour d’autres enjeux je sèche.J’ignorais l’existence de cette loi.

Que pensez-vous du refus du corps médical de pratiquer ce type d’interventions ?Le refus du corps médical me semble principalement motivé par la crainte d’un procès

dans l’hypothèse très probable d’un changement d’avis du patient. Aujourd’hui, ma « pôvre »dame, on change de mari comme de femme, de boulot comme de voiture, tout fout le camp.Aussi, les regrets se ramassent à la pelle.

Aux Etats-Unis, un gynécologue travaille forcément avec une assistante dansl’éventualité d’un procès. Depuis quelques années, en France, les primes d’assurance pourcertains spécialistes sont devenues exorbitantes (chirurgiens, gynécologues, entre autres).

Annexe n°31 : Entretien avec Alexandra, en réflexionféministe

Comment considères-tu un homme qui évoque le souhait définitif de ne pas avoir d’enfant ?Comme un homme de plus qui a fait ce choix.Une femme qui a ce même désir – ou ce même non désir ?Comme quelqu'une qui a fait ce choix et en plus qui est courageuse.Quelle vision as-tu de la stérilisation à visée contraceptive ? Est-ce :Une violence contre soi NonUne automutilation ? NonUne simple transformation de son corps ? NonUne solution de confort ? OuiPourquoi ? Parce que si on ne veut pas de mômes du tout, jamais, et qu'on a une vie

sexuelle qui nécessite une prise de contraceptif, c'est vraiment se compliquer la vie pourla gloire.

Penses-tu que la volonté de se faire stériliser résulte :D’un trouble psychopathologique ? NonD’un choix individuel ?OuiD’une réflexion individuelle ET politique ? OuiPourquoi ? Parce que avoir cette volonté, c'est entamer un processus à débouché

irréversible donc, le choix individuel et l'implication de la personne concernée me sembleprimordiaux.

Quant au politique, il me semble que pour faire un tel choix, le vivre, l'assumer, le menerau bout, il faut avoir solidement réfléchi.

� à la dimension politique de ce que représente la valeur : FAMILLE, dans notre société.Pour les femmes surtout.

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� à la norme, au fait qu'une femme c'est fait pour faire des bébés et que sinon elle estdéviante, égoïste ou qu'elle a un problème fonctionnel biologique ou psy.

Que penses-tu de la loi autorisant la stérilisation à visée contraceptive ?C'est une loi qui laisse entendre une ouverture à un droit supplémentaire en termes

de contraception. Du coup, a priori, je trouve ça plutôt positif dans l'idée. Ensuite, commebeaucoup de lois, elle se fait sauvagement (en tout cas, elle a l'air, au vue des expériencesqui me sont rapportées). C'est-à-dire sans accompagnement du corps médical...

Quels enjeux y vois-tu ? Du coup ça génère de la violence et un résultat juste opposéà celui escompté : stigmatisation de cette population, jugement de valeur, parcours ducombattant, dévalorisation, refus d'accès à ce droit.

Que penses-tu de ce refus du corps médical de pratiquer ce type d’interventions ?Bah du coup, c'est pas étonnant quand on voit déjà que ça se bouscule pas dans le

corps médical pour pratiquer les avortements. Aucune réflexion n'a été entamée, on dirait,dans ce corps de métier à propos de la liberté de chacun-e à être responsable de sesorganes génitaux, de son corps, de sa vie.

Veux-tu ajouter quelque chose à ce sujet ?Mon amie qui veut se faire ligaturer rencontre beaucoup plus de problème, jugements...

que mon ami dans le même cas. Personnellement, j'ai pas été classe avec elle. J'ai cruqu'elle voulait faire ça parce qu'elle voulait trop avoir un autre môme et qu'elle pouvait-voulaitpas se le permettre. Peu importe, j'ai cru qu'elle faisait ce choix contre elle. Pas classe...

Merci beaucoup pour tes réponses, c’est en effet intéressant de voir les contradictionsque tu évoques. J’aimerais te poser une dernière question : tu évoques ta réaction parrapport à ton amie qui voulait se faire ligaturer, mais quelle a été ta réaction par rapport àton ami qui voulait se faire vasectomiser ?

Pour mon ami (je le connais moins en fait), ça m'a pas étonné. Il n'a jamais voulu avoirde mômes, tandis qu'elle a une fille.

Annexe n°32 : L’infécondité volontaire

Document : Retranscription Nathalie Six, journaliste, auteure de Pas d’enfants, ça s’défend,éd. Max Milo, 2011, parlant de son livre : Je l’ai commencé [le livre] à 29 ans ; et quand j’aieu 30 ans, juste à ce moment-là, quelques semaines avant, j’ai remarqué un changementautour de moi, les amis, l’entourage proche, de plus en plus éloigné qui me posait la questionet qui me disait « mais alors, c’est pour quand ? ». Mais ils vous disent même pas : « Quandest-ce que tu vas faire un enfant ? », « est-ce que tu y penses ? », « est-ce que ce seraitun joli projet ? ». Non, non, « alors c’est pour quand ? », « quand est-ce que vous le mettezen route », selon l’expression très jolie que je me suis mis à détester, et comme je suisjournaliste, j’aime chercher des sujets qui font un peu mouche, donc j’avais envie de faireun peu l’avocat du diable et de dire : « tiens et si je leur répondais : "non, j’ai pas envied’avoir d’enfants" ? ». Et en fait, ça dérangeait pas mal autour de moi, donc là je me suisdit : « là je tiens un bon sujet ». Propos dits dans l’émission Mutants par Agathe André,

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Annexes

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diffusé sur France Inter, le 8 Juillet 2012, de 17 à 18h, sur « les nullipares ». URL. : http://www.franceinter.fr/emission-mutants-les-nullipares

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LA CONSTRUCTION DE DISCOURS AUTOUR DE L’USAGE DU CORPS DANS DES ACTES DECONTESTATION POLITIQUE

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Résumé

Avec l’essor de la démocratie, le corps a été utilisé, à partir de la fin du XIXème

siècle, comme un moyen d’exprimer son opposition au pouvoir, un instrument de lacontestation politique. La manifestation et la grève de la faim se comptent parmi cesusages contestataires et bien d’autres, qui, tout en montrant l’affirmation de soi contreles institutions, interrogent les normes. Mais ici, les discours qui s’élaborent autour de cetacte sont tout autant importants – si ce n’est plus – que l’acte en lui-même. Commentse construisent ces discours autour des usages contestataires du corps ? Comment lesmilitants légitiment-ils leurs actions et leurs gestes ? Comment parviennent-ils à persuaderle grand public ? Comment les détracteurs et les spectateurs élaborent-ils leurs propresdiscours à propos du geste qui les vise ? Quel langage relatif au corps commun est utilisépar les acteurs en présence ? Comment, enfin, s’effectue le passage entre l’individuel etle collectif ?

Pour répondre à ces multiples questions, c’est tout un travail de mise au jour desreprésentations, des images, des symboles et des significations, à l’œuvre dans cesdiscours, que nous avons effectué.

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Mots-clés

AULOMBARD Noémie 99

Mots-clés

corps ; contestation ; discours ; représentations ; symboles ; culture ; grève de la faim ;manifestation ; espace public