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Université Lyon 2 Léa Danilewsky IEP de Lyon. Violences et médias. Le traitement médiatique de l’affaire dite « des bébés congelés ». Représentations des figures de « femme » et de « mère » à travers le discours médiatique. Véronique Courjault, monstre ou martyre ? Sous la direction d’Isabelle Garcin-Marrou et Isabelle Hare Mémoire soutenu le 6 Septembre 2010

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Université Lyon 2Léa Danilewsky

IEP de Lyon.Violences et médias.

Le traitement médiatique de l’affaire dite« des bébés congelés ». Représentationsdes figures de « femme » et de « mère » àtravers le discours médiatique. VéroniqueCourjault, monstre ou martyre ?

Sous la direction d’Isabelle Garcin-Marrou et Isabelle HareMémoire soutenu le 6 Septembre 2010

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6

Recherche du sujet et construction d’un objet de recherche : de l’ « affaire » Humbert àl’ « affaire » Véronique Courjault. . . 6Chronologie d’une affaire judiciaire . . 7Méthodologie et problématique. . . 7Choix du corpus et outils méthodologiques. . . 8Hypothèses de recherche. . . 9Précisions terminologiques . . 11

Partie 1 : Du fait divers en Corée du Sud à « l’affaire des bébés congelés » : constructionmédiatique d’un événement. . . 12

Chapitre 1 : La violence comme récit. . . 131.1. Aux origines de l’événement : un fait dit « divers ». . . 131.2 : Les titres font exister « l’affaire » . . 14

Chapitre 2. L’intelligibilité de la violence dans les titres et les photographies : unesingularisation de la violence. . . 17

2.1. Les Courjault au centre de la mobilisation. . . 172.2. La preuve par l’image : lorsque montrer, c’est faire « croire ». . . 18

Partie 2 : La mise en récit de la violence. Véronique Courjault : mère, monstre ou victime ? . . 22

Chapitre 3: Une figure, plusieurs acteurs : analyse des figures du récit dans les schémasnarratifs. . . 22

3.1. Actants, acteurs.25 . . 233.2 Actant, acteur et figures. . . 253.3 Laquelle de ces deux femmes qui portent le même nom va être jugée à Tours ?. . 27

Chapitre 4 : Qui parle ? L’énonciation dans la qualification de Véronique Courjault. . . 284.1 La parole au cœur de l’enjeu médiatique. . . 294.2 Différentes mises en scène de l’énonciation. . . 294.3. Véronique Courjault, « elle » vs la « bonne » mère, la « bonne » femme. . . 314.4 La question de la maternité dans la polyphonie médiatique. . . 33

Chapitre 5 : Paroles « d’experts ». . . 365.1 « L’indignation éclairée » . . 375.2 La Bonne parole, celle de l’expert ? . . 385.3 Bataille de termes autour du déni . . 40

Partie 3 : Les symboliques de dominations construites par le discours médiatique : uneimage figée de la femme ? . . 42

Chapitre 6 : Une violence « féminine » ? . . 426.1. Discours « chevaleresque » ou discours de condamnation ? . . 436.2 Vers une critique de la norme de genre. Judith Butler et la déconstruction dugenre. . . 446.3 Culpabilité vs responsabilité. . . 46

Chapitre 7. La maternité institutionnalisée. . . 47

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7.1 La maternité « naturelle » . . 487.2 La maternité comme statut. . . 50

Conclusion . . 52Limite de l’étude. . . 52Pour aller plus loin. . . 53

Bibliographie . . 54Ouvrages . . 54Articles de revues . . 54Corpus . . 55

Annexes . . 57Annexe 1 : Libération, 11 Octobre 2006 . . 57Annexe 2 : Libération, 12 Octobre 2006 . . 57Annexe 3 : Libération, 13 Octobre 2006 . . 58Annexe 4 : Le Figaro, 11 octobre 2006 . . 59Annexe 5 : Le Figaro, 12 octobre 2006 . . 60Annexe 6 : Le Figaro, 13 octobre 2006 . . 61Résumé . . 62Mots-clés . . 63

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Remerciements

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RemerciementsJe voudrais remercier tout d’abord Isabelle Garcin-Marrou et Isabelle Hare qui ont contribué à faireémerger mon intérêt pour les diverses thématiques dont ce travail rend compte.

Je remercie également mes proches pour leur soutien toujours sans faille, en particulier DanièleDanilewsky pour ses yeux experts qui ne laissent passer aucune faute d’orthographe.

Merci également à Célia Roussin et Antoine Idier pour leurs conseils avisés et leurs relecturesprécieuses.

Et enfin, j’accorderais ici une pensée particulière à Véronique Courjault, en libertéconditionnelle depuis le 14 juin 2010. L’objet de ce mémoire n’est ni de la condamner ni de laplaindre mais je garde comme idéal féministe une certaine empathie pour les femmes en souffrance.

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Introduction

« Le tribunal médiatique ». Tel est le qualificatif utilisé par Paul Bensussan dans Le Mondedu 24 juin 2010, pour qualifier l’événement créé autour du procès de Véronique Courjault. Lamédiation exercée par les instances médiatiques aurait, selon l’auteur, contribué à rendreun verdict au nom de la société, avant que celui-ci ne soit rendu par les jurés de la courd’assise. L’objet de ce mémoire est d’étudier cette médiation afin de rendre compte dansquelles mesures celle-ci produit un discours susceptible de modifier les représentationsémanant des relations de pouvoir dans nos sociétés.

Recherche du sujet et construction d’un objet derecherche : de l’ « affaire » Humbert à l’ « affaire »Véronique Courjault.

Dans le long cheminement que représente la recherche d’un sujet, plusieurs thématiquesont inspiré la démarche. Il me paraissait intéressant dans un premier temps de centrer marecherche sur une problématique touchant aux représentations de la femme. Le cadre decette analyse semblait être pertinent à étudier dans une écriture médiatique particulière :celle du récit d’affaire judiciaire. En effet, il s’agissait d’étudier ce que les représentationsmédiatiques produisent en termes de domination symbolique des femmes, dans un autreregistre que le registre politique. L’intuition qui a guidé la recherche de sujet était que lesmédias, quel que soit le genre de discours, produisaient et reproduisaient des stéréotypessur les femmes, leurs places dans la société, etc. Il apparaissait ainsi intéressant d’observercomment l’irruption d’une violence dans l’espace public conduit à une mise en récitparticulière dans le cadre du « fait divers ». Le fait divers constitue dans un premier tempssouvent une structure fermée, puisqu’il est d’abord relayé localement et que la pertinencede sa mise en récit dépend souvent de la proximité du fait avec le lecteur. (Un braquagede banque à Charbonnière-les bains peut constituer un fait divers intéressant dans la ligneéditoriale du Progrès, mais pas dans celle du Dauphiné Libéré…)Cependant, le fait diversdevient intéressant dans le cadre des thématiques de violences et de médias lorsque l’objetde la violence devient, via le média, un objet de réflexion plus générale sur certains aspectsde la société précisément mis en évidence par l’irruption de cette violence. C’est pourquoi,le projet de départ voulait s’intéresser à l’affaire Humbert et à la mise sur le devant de laquestion de l’euthanasie par la médiatisation de cette affaire. Or, le sujet ainsi que le corpusenvisagé a semblé relativement complexe à problématiser, ce qui a poussé la rechercheà s’orienter vers une autre affaire. Alors que les questionnements qui peuvent émaner desreprésentations médiatiques sur la figure de la femme, de la mère me paraissaient restercentraux à l’objet d’étude, la diffusion du docu-fiction sur l’affaire Véronique Courjault enjanvier a motivé le choix de cet événement pour la recherche. En effet, parce que cetteaffaire traite d’une violence dont l’auteure est une femme et plus encore d’une mère, il aparu intéressant d’analyser les implications du traitement par les médias de ce type deviolences. Les caractéristiques de cette affaire mettent en évidence certaines dynamiques

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Introduction

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intéressantes. Il s’agit d’une violence perpétrée par une femme, en premier lieu, par unemère en second lieu, et enfin, il s’agit d’un infanticide. Il a semblé pertinent dans ce cadrede considérer que la mise en récit de ce type de violence pourrait permettre, de dresser uncertain nombre d’analyses sur les représentations –produites ou non par les médias- quipeuvent exister sur les auteurs de violence en général.

Chronologie d’une affaire judiciaireTentons d’abord de brosser une chronologie des événements que l’on qualifie à ce staded’ « affaire » -nous tenterons de délimiter par la suite les termes qui seront choisis danscette analyse pour qualifier cette suite d’événements.

L’affaire dite « des bébés congelés » commence le 23 Juillet 2006, lorsque Jean-LouisCourjault, mari de Véronique Courjault découvre deux cadavres dans son congélateur àSéoul, lieu de résidence de la famille, composée du couple et de deux enfants, Jules etNicolas. A la suite de tests ADN effectués par la police Coréenne révélant la « parenté » descadavres avec le couple Courjault, celui-ci conteste les résultats. Ce n’est que le 12 octobre2006, alors que le dossier judiciaire a été transmis aux autorités françaises, que VéroniqueCourjault avoue au cours de sa garde à vue avoir donné la mort aux deux nouveau-nés.Elle avouera ensuite le meurtre d’un autre nouveau-né, en 1999, dont le corps avait étébrûlé dans la cheminée du domicile. Véronique Courjault est écrouée, à la suite de sesaveux. Jean-Louis Courjault obtient un non-lieu en Janvier 2009 qui le disculpe totalementde l’affaire. En juin 2009, le procès de Véronique Courjault se tient à Tours, en public, lademande de huis clos ayant été rejetée. Le procès, qui s’étale du 9 au 18 juin 2009, setermine par la condamnation de Véronique Courjault à huit ans de prison.

Ces différentes temporalités nous permettront de comparer l’évolution de l’écritjournalistique et de déceler les éventuels glissements opérés par la presse.

Méthodologie et problématique.La méthodologie envisagée ici s’appuie sur une analyse foulcadienne du discours senséerendre compte de que produit un texte au-delà de l’explicite de sa première lecture.

« Le discours manifeste ne serait en fin de compte que la présence répressive dece qu’il ne dit pas ; et ce non-dit serait un creux qui mine de l’intérieur tout ce quise dit »1.

De ce point de vue, il s’agit dans notre étude de comprendre ce que peut produire lediscours, c’est-à-dire de voir en quoi les valeurs qu’ils portent implicitement sont liés à desreprésentations émanant des systèmes de pouvoir, et donc de domination. Ainsi, MichelFoucault exprime la perspective que nous adopterons tout au long de ce mémoire :

Si on isole, par rapport à la langue et à la pensée, l’instance de l’événementénonciatif, ce n’est pas pour disséminer une poussière de faits. C’est pour êtresûr de ne pas le rapporter à des opérateurs de synthèse qui soient purement1 Michel Foucault, L’archéologie du savoir, p 31

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psychologiques (l’intention de l’auteur, la forme de son esprit, la rigueur de sapensée, les thèmes qui le hantent, le projet qui traverse son existence et luidonne signification) et pouvoir saisir d’autres formes de régularité, d’autres typesde rapports. 2

Ainsi, il ne s’agit pas de prêter aux journalistes une intentionnalité dans les phénomènesqui seront décrits. Il s’agit d’analyser les possibilités de mise en évidence des structuresde pouvoir émanant de notre société régie par l’Etat, transparaissant au sein du discoursjournalistique. Dans notre étude, il s’agira de voir ce que le discours journalistique peutnous dire des rapports de domination, au sein d’une écriture de presse. Il sera question icide mettre en évidence la production ou la reproduction des dominations symboliques ausein du récit médiatique. Dans le cas de la violence étudiée, il s’agit de faire apparaître lesreproductions de certaines représentations de la femme, qui transparaissent dans la mise enrécit d’une violence commise par une femme. Ainsi, notre problématique s’articulera autourde plusieurs points visant à mettre en évidence, au-delà du simple « récit » médiatique,un discours médiatique, c’est-à-dire, un système, un épistème, comportant un ensemblede normes objectivées par la presse dans l’espace public. Nous avons pu étudier dans lesséances de séminaire « violences et médias » que ce discours médiatique est a priori uncadrage des normes prescrites par l’Etat. Les médias seraient donc le relai d’un discours –émanant du pouvoir –préexistant qui établie les normes de ce qui peut être dit et commentcela doit être dit. De ce point de vue, la construction médiatique autour d’un fait de violencedoit pouvoir faire émerger des systèmes de dominations symboliques agissant au sein dela société.

Ainsi, alors que l’on peut postuler que l’image de la violence est souvent, dans nossociétés caractérisées par un androcentrisme plus ou moins saillant, définie comme untrait masculin, que vient bousculer l’image d’une mère donnant la mort à ses nouveau-nésdans l’imaginaire collectif ? Quels rôles ont pu jouer les médias dans l’irruption de cetteimage de la violence? Quelles valeurs peuvent émaner du discours médiatique sur l’affaire« Courjault », en termes de représentations de la femme, et de la mère ?

Choix du corpus et outils méthodologiques.Il a été décidé que la segmentation en différentes périodes de l’événement étudié semblaitindispensable à la mise en évidence des différents processus discursifs adoptés par lesmédias. Ainsi, la première période étudiée s’étendra du 8 août –date à laquelle les premiersarticles au sujet de l’affaire paraissent –aux quelques jours suivants les aveux de VéroniqueCourjault. Cette période sera à mettre en perspective, aux vues d’une première hypothèsede recherche qui veut décrire des dynamiques d’un acte inscrit dans un registre moralde l’ordre de l’indicible : l’infanticide. Il s’agira dans cette première période d’étudier lescadrages du récit qui produisent une première représentation de la mise en récit de laviolence. En d’autres termes, face à un fait divers faisant récit d’une violence qui, parses caractéristiques, rompt avec certains fondements éthiques de nos sociétés, commentrendre compte de l’inexcusabilité d’un acte ? Dans l’analyse du traitement médiatique decette période, il s’agira d’étudier dans quelles mesures les différents choix éditoriaux mettenten scène l’événement : de l’irruption des faits – autour du 8 août – au « pic événementiel »que constituent les aveux de Véronique Courjault le 12 octobre 2006.Le second temps

2 MichelFoucault, Ibid, p 41

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Introduction

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de l’analyse s’attachera à décrypter le temps du procès et l’analyse du verdict final. Dansl’analyse de ce temps particulier dans la presse, il s’agira d’analyser les comptes rendusjudiciaires au quotidien des différentes rédactions, afin de les comparer et de mettre enperspective les différents axes choisis. La ligne de tension durant toute la période du procèsse joue autour de la personnalité de Véronique Courjault. Celle-ci est au centre de la miseen récit par les médias. Ainsi, il s’agira de s’attacher à décrire l’émergence de figures ausein du récit, et de mettre en avant les processus de mises en scène de l’énonciation. Pluslargement, l’analyse de cette période permettra de réfléchir sur la place accordée par lapresse à la parole de l’expert. C’est de cette analyse que pourra découler une réflexion surle discours porté la presse, justifiant une violence en l’attribuant à un « dérèglement », àun « bousculement » de la norme. A ce sujet, nous tenterons de faire émerger les valeursmises en avant par le discours médiatique concernant la « féminité » et la « maternité ».

La segmentation en différentes périodes de traitement médiatique, permet, en outre,de réduire quelque peu le corpus qui pourra être envisagé pour ce travail de recherche.S’il semble important, pour les périodes considérées de sélectionner un échantillonsuffisamment représentatif de la presse française, il paraît également intéressant de cibler lecorpus afin de pouvoir tirer des conclusions intéressantes. C’est pourquoi, pour la premièrepériode considérée, il s’agira de se focaliser sur la semaine suivant la découverte du fait,soit les articles écrits à partir du 8 août, jusqu’à fin août. Puis nous analyserons l’irruptiondans la presse de la parole de Véronique Courjault comme un « pic événementiel »L’analyse portera sur trois éditions de la presse écrite nationale choisies pour la diversitéde leurs lignes éditoriales : Le Monde, Le Figaro et Libération. Nous tenterons de faireémerger les différences au sein des lignes éditoriales lorsque celles-ci seront saillantes.Le choix de ces trois titres s’inscrit dans une volonté d’étudier des quotidiens de la pressenationale dite « de référence » -bien que ce titre soit généralement réservé au Monde.Les perspectives d’études de ce mémoire se concentrent moins sur la mise en évidencedes différences éditoriales des trois titres, mais plutôt sur le discours sur lequel l’ensembledes titres convergent. Durant cette période, la lecture des quotidiens s’appuiera sur unegrille d’analyse particulière : l’analyse de la titraille. Il paraît intéressant en effet dans cettepremière période de s’intéresser à la mise en « une » que peut générer ce type d’affaire,afin de focaliser dans un premier temps sur ce que le discours médiatique met en valeur àla découverte de ce type de violence. Puis nous analyserons l’irruption dans la presse de laparole de Véronique Courjault comme un « pic événementiel ». Ce pic événementiel seral’objet d’une analyse poussée, visant à mettre en évidence les différentes représentationsqui émergent lors de la mise en récit de la parole. Nous procéderons pour cette période àune étude utilisant plusieurs grilles d’analyse : d’abord l’analyse des schémas narratifs, pourfaire émerger les différentes figures du récit, puis une analyse des stratégies d’énonciation.

Enfin, il s’agira de considérer la période du procès dans son intégralité, c’est-à-dire du9 au 18 Juin 2009. L’analyse s’appuiera sur les mêmes titres, déjà évoqués précédemment.En effet, durant la mise en récit du procès, il semble intéressant d’analyser qui a la parole,et comment sont mis en avant certains propos plutôt que d’autres.

Hypothèses de recherche.Les hypothèses qui vont guider cette recherche émergent du questionnement général quia paru intéressant à la lecture des différents discours de presse sur cette affaire. L’intérêt

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de cette affaire réside dans un premier temps dans le caractère même de la violence. Eneffet, aux dynamiques de récits que constituent la narration d’un homicide, s’ajoute ici lacomplexité d’aborder l’infanticide. Il s’agit pour le discours médiatique, sinon d’expliquer,tout au moins de rendre compte d’une violence qui est de l’ordre de l’ « impensable » àpremière vue. Au sein de ce discours médiatique, il apparaît qu’un acte de ce type relèved’une violence insupportable au sein de la communauté des lecteurs, ainsi qu’au sein de lasociété en général. De ce constat, découle un questionnement dans l’analyse du discoursmédiatique de l’auteur de cette violence : peut-on faire émerger du discours médiatiqueune sanction visant particulièrement la figure de la mère ? Existe-t-il une prédisposition audiscours médiatique à mettre en avant la figure de la mère, avant même que celle-ci ne soitreconnue comme la seule protagoniste de la violence ? L’hypothèse dans la recherche estque parce que les médias cherchent à mobiliser l’émotion du lecteur3 à titre individuel,Véronique Courjault, en tant que mère est mobilisée afin d’attacher à la violence le fait d’unepersonne.. On pourra tenter de dresser une analogie avec la construction de la figure dumonstre, décrite par Isabelle Garcin-Marrou dans une analyse du traitement médiatique del’affaire « Dutroux » :

L’émotion éprouvée par le lecteur – provoquée par l’évènement et réactivée parle récit – peut se déployer en toute légitimité ; elle a été intégrée au récit quepropose le média et que la société reconnait comme justifié. L’identificationdu monstre permet au lecteur de donner une figure à l’innommable et desaisir l’agent de l’évènement insupportable. Le discours est donc le lieu dereconnaissance, par le lecteur, d’une représentation de la réalité coïncidant avecses présupposés. Dès lors, ce lecteur peut se mobiliser réellement.4

Ici, il s’agit de mesurer dans quelles mesures la mobilisation du lecteur passe dans l’affaireCourjault par l’identification, sinon du « monstre », du moins de la figure de la mère quicommet l’ « irréparable » dans une société dans laquelle la figure de la mère présupposeun certain nombre de représentations. Dès lors, de cette hypothèse découlera une secondequi permettra d’analyser la seconde période de l’affaire.

En effet, la seconde période de l’affaire se déroule plus de deux ans après la découvertedes faits. On supposera ici, qu’il y a une certaine mise à distance du discours médiatiquepar rapport à la découverte de l’événement à chaud. Il s’agit dans cette seconde période deremettre le « fait divers » dans une actualité sociétale. Dans les caractéristiques évoquéespour décrire la construction narrative du fait divers, il est souvent fait question de la structurefermée du « fait divers ». Pour Roger Grenier5, le fait divers obéit dans sa construction àune dizaine de modèles, ou récits-types, c'est-à-dire à un schéma de lecture d'une actionpublicisée: un déroulement héroïque, une transgression morale, une catastrophe naturelle,etc... Les structures de ces schémas-types sont également analysées par Roland Barthescomme les relations de causalité de deux termes posés. Il s'agit en général souvent d'unerelation de causalité étonnante ou absurde entre ces deux éléments de l'action: le délit etson mobile, l'accident et sa circonstance, etc… Dans la seconde partie, l’hypothèse estque l’on n’est plus dans une temporalité propre aux caractéristiques du fait divers. C’estdans ce cadre que l’une des hypothèses de recherche qui découle de la première serade voir dans quelles mesures la caractérisation par le discours médiatique de la violencecomme un « symptôme » ou un « syndrome » permet de faire basculer la figure de la

3 Bernard Lamizet, Esthétique de la limite et dialectique de l’émotion, Mots, n°75, 20044 Isabelle Garcin-Marrou, L’affaire Dutroux : de l’émotion à la mobilisation, Mots, n°75, 2004

5 R Grenier, « Utilité du fait divers », Temps Moderne, n°17, Février 1947

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Introduction

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mère dans une représentation plus victimisée au cours du procès. Ainsi, le fil conducteurde l’étude de la seconde période sera d’analyser dans quelles mesures l’intervention deparoles -« expertes » ou non –permet au discours médiatique d’opérer un retournement dela représentation de la « mère » Véronique Courjault. Enfin, plus largement, il s’agira devoir comment l’écriture médiatique permet de rendre une violence indicible dans l’espacepublique « lisible » pour le lecteur en excluant de facto, l’auteur de la violence, de lasociété vue comme « rationnelle ». Ainsi, la troisième partie de ce mémoire s’attacheraà décrire les mécanismes de violence symbolique établis par les médias concernant les« femmes » dans le cas précis de la mise en récit de la violence perpétrée par VéroniqueCourjault. L’hypothèse dans cette troisième partie est que le discours médiatique réitère etobjective des systèmes de domination de type sexiste, en reproduisant un certain nombre destéréotypes concernant les « femmes » -étant entendu ici que l’essentialisation des femmesau sein d’un sujet collectif unique, est d’emblée contestable –et concernant les « mères ».Grâce aux travaux dans le champ de la recherche féministe, nous tenterons de décrire cesmécanismes qui rendent objectivable un discours dominant –porté par l’Etat –sur le genre.Le plan suivra ainsi une démarche chronologique et analytique : la première partie serafocalisée sur le cadrage de l’événement dans une mise en récit de la violence aux momentsoù apparaissent les faits et l’insertion de cette violence dans le « dicible » ; la secondepartie, s’attachera à décrire les mécanismes de constructions discursives produites dansles médias pour rendre intelligible une telle violence aux lecteurs. Enfin, la troisième partiepermettra de porter une analyse critique sur de tels discours grâce aux théories sur le genre.

Précisions terminologiquesIl paraît important de préciser, avant de commencer l’étude proprement dite, les termes quiseront utilisés au sein de ce mémoire. Concernant l’appellation de la suite d’événements,de l’irruption des faits à la condamnation de Véronique Courjault, nous appelleronsindifféremment « affaire Véronique Courjault » ou « affaire » les périodes qui regroupent ladécouverte des faits ainsi que l’instruction jusqu’aux aveux de Véronique Courjault. Nousappellerons selon toute logique « procès de Véronique Courjault » ou « procès » la période… du procès. A noter que l’expression « affaire des bébés congelés » est une constructionopérée par les médias et ne sera utilisée que comme objet d’analyse, et non dans l’analyseelle-même.

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Partie 1 : Du fait divers en Corée duSud à « l’affaire des bébés congelés » :construction médiatique d’unévénement.

Il s’agit, dans cette première partie, de rendre compte du cadrage opéré pour mettre en récitce qui deviendra « l’affaire Véronique Courjault » ou encore « l’affaire des bébés congelés ».Nous prendrons comme référent dans cette analyse l’ouvrage de Maurice Mouillaud et Jean-François Tétu, Le Journal Quotidien, ouvrage qui permet de mettre en avant le caractèreconstruit d’un événement. En effet, dès les premières pages de l’ouvrage, les auteursopèrent une distinction entre événement et information :

« Nous appellerons « événement » la modalité transparente de l’information ; cequi apparaît, alors, comme figure, c’est son objet : les événements auxquels se réfèrentl’information forment Le Monde que l’on suppose réel ». 6

Ce que les auteurs mettent en avant de ce point de vue, ce sont les mécanismesqui permettent de rendre compte de la construction symbolique de l’événement. En effet,d’une définition linéaire du fait comme « surgissement inattendu de négativité susceptibled’inverser ou de bousculer un état des choses existants » - qui peut dès lors se traduire parune mise en récit élémentaire du type Qui Où Quand Quoi – à l’élévation d’un fait au statutd’événement, un certains nombres de processus discursifs se mettent en place. Il s’agit icid’en rendre compte, autrement dit, de répondre à la question : comment est cadré un faitde violence ?

Cette question intervient au sein d’une problématique plus large abordée lors desséances de séminaires « Violences et médias » qui est celle de l’indépendance desmédias vis-à-vis du pouvoir. Ainsi, il s’agit de questionner ici l’affirmation selon laquelle plusde démocratie permettrait une indépendance des médias plus importante. De nombreuxauteurs parmi lesquels Louis Quéré et Pierre Beaud ont mis en avant les modalités d’écriturejournalistiques comme relevant de logiques intrinsèquement liées aux logiques de pouvoir.Ainsi, P. Beaud affirme qu’« autant que leur rhétorique, c’est l’ensemble du vocabulaireutilisé dans les médias qui contribue à fixer les cadres de référence en dehors desquelsaucun débat n’est jugé possible » 7De ce point de vue, il semble important d’étudier les choixde langage ainsi que les stratégies de mise en récit des journaux dans la transcription d’unmême fait de violence, ici, la mise à mort de nouveau-nés par Véronique Courjault.

Nous rappelons qu’il ne s’agit pas ici de « dénoncer » ni même de porter un jugement surla manière dont les médias et les journalistes choisissent de mettre en récit une expérience,mais plutôt de déceler, à travers ces choix, les logiques symboliques qui sont rattachées à

6 Maurice Mouillaud et Jean François Tétu, Le Journal quotidien, PUL, 1989, p147 P.Beaud, La société de connivence, Aubier-Montaigne, 1984p.292

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Partie 1 : Du fait divers en Corée du Sud à « l’affaire des bébés congelés » : constructionmédiatique d’un événement.

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certains termes, et qui nous donnent à voir la construction de représentations émanant desdifférentes dynamiques de dominations présentes dans nos sociétés.

Dans cette partie, il s’agira d’abord de décrire le processus de construction d’unréférentiel discursif autour d’une suite d’événements –comment passe-t-on d’un fait diversen Corée du Sud à l’ « affaire des bébés congelés » ? Ensuite, nous décrirons de quellesmanières un récit de violence tel celui étudié peut mobiliser le lecteur. C’est grâce à cettemobilisation que l’on pourra juger des logiques médiatiques et de la façon dont celles-cirelayent des dominations symboliques relevant des dynamiques de pouvoirs ayant lieu dansnos systèmes démocratiques.

Chapitre 1 : La violence comme récit.

1.1. Aux origines de l’événement : un fait dit « divers ».Dès les débuts de la narration de l’événement, un cadrage langagier s’opère. On entendici par cadrage la mise en relation d’une expérience à un récit. Ainsi, comme le soulignentMouillaud et Tétu : « L’expérience n’est pas reproductible. Elle est liée à un site, à unpoint dans l’espace et à un moment du temps »8. Le cadrage relève ici de la possibilité dereproduction, par le langage, d’une expérience. Il est la représentation à un temps t+1 d’unréel donné à un temps t. Dès lors, on peut considérer que la mise en récit d’une expériencerelève d’une représentation, c’est-à-dire d’un choix symbolique (puisque c’est le langage,ici, l’écrit, qui permet cette représentation) de la reproduction et de la transmission de cetteexpérience, qui est par nature, propre à un sujet.

Nous nous intéressons ici à un cadrage particulier puisque nous analysons les titres. Eneffet, le titre opère un cadrage particulier puisqu’il insère le récit dans un rapport au monde,dans un ensemble plus large composé de « savoirs présupposés » et « d’occurrence » parrapport à l’actualité de l’information.9

Nous exposerons donc dans un premier temps, les dynamiques qui permettent à latitraille de construire une continuité dans l’affaire Courjault, depuis la découverte des corpspar Jean-Louis Courjault jusqu’aux aveux de Véronique Courjault.

Le premier temps de l’affaire Courjault se situe durant le mois d’Août. En effet, il n’estfait aucune mention de l’événement dans le corpus considéré avant le 8 Août. Le 8 août,deux des trois journaux sélectionnés font récit de l’affaire, Libération et Le Figaro :

Infanticides en Corée, une mère recherchée. (Libération, le 8 Août 2006)La Corée du Sud soupçonne deux français d’infanticide. (Le Figaro, le 8 Août 2006 )Les deux brèves du 8 Août sont ainsi placées dans une rubrique « société ». La rubrique

« Société » est une sous-rubrique de la rubrique « France » pour Le Figaro. Ces titres-rubriques n’ont pas de valeur informationnelle mais indique que l’affaire est classée, c’est-à-dire qualifiée, comme un fait divers. Or, la question, sachant que le fait divers possède parnature une structure fermée autant au niveau spatial qu’au niveau temporel, est de savoircomment, au fil de l’affaire, le lien va se créer et par là-même la relation avec le lecteur. Les

8 Maurice Mouillaud et Jean François Tétu,Op. cit. p179 Ibid, p 120

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deux premiers titres ci-dessus sont informationnels. Ils ne font référence à aucun « savoir »prérequis pour le lecteur, hormis la connaissance du contenu habituel des pages « Société ».On notera simplement ici que Le Figaro choisit de placer la première brève sur le sujet dansla rubrique « France », créant, de fait, une proximité avec le lecteur. Il s’agit ici d’une descomposantes essentielles du fait divers.

On peut donc analyser les deux premières brèves construites sur le sujet commeportant des caractéristiques propres au fait divers. Ainsi, le fait divers est une « informationimmanente » comme l’analyse Roland Barthes10. Le fait divers, dans sa constructionjournalistique, obéit à des logiques d’écritures particulières qui permettent au lecteur d’avoirune lecture totale et complète de ‘l’information’, comme une structure fermée. Commel’explique Barthes, ce qui différencie le fait divers de l’information politique, c’est sonpositionnement par rapport au temps. En effet, ce qui importe ici, c’est que les éléments quiconstituent le fait divers ne renvoient pas à un implicite passé ou futur. Les personnages-nous parlerons plus tard d’actants ou de figures - les lieux qui forment le fait divers ne fontréférence qu’à la construction même du fait divers et n’ont pas de dimension politique demême qu’ils ne font appel à aucune référence historique.

La relation avec le lecteur va se créer par une dynamique de titres anaphoriques,renvoyant l’événement à un groupe nominal : « bébés congelés ».

1.2 : Les titres font exister « l’affaire »

1.2.1. Cadrage et construction du sens.Analysons maintenant les titres au sujet de l’affaire trois jours plus tard, des deux mêmesjournaux :

Titre : Bébés congelés à Séoul : une « manipulation » ?Sous-titre : L’avocat du couple français soupçonné par la Corée du Sud d’infanticide

évoque une « mise en scène »( Libération, le 11 Août 2006)Titre : Le couple de Français soupçonné d’infanticide en Corée du Sud crie au complot.

(Le Figaro, le 11 Août 2006)Il est intéressant de noter ici que dès le 11 Août, le terme de « bébés congelés »

apparaît, ici dans Libération. Le titre de Libération est anaphorique, c’est-à-dire qu’il permet« de franchir l’intervalle entre un numéro et un autre »11 Il crée un lien entre un faitpassé (qui n’est plus de l’ordre de la nouvelle) et une actualité présente. Il fait le lienentre l’actuel (au sens anglo-saxon de présent) et le virtuel, c’est-à-dire ce qui est entrain d’exister par l’ajout informationnel, ici, « une manipulation ? ».Le titre de Libérationest intéressant puisqu’il renvoie à la fois à une savoir prérequis – le lecteur est icicensé savoir quel fait l’on mentionne en parlant des « bébés congelés » – et apporteégalement un élément d’information, élément renforcé par le sous-titre qui lui a un caractèrepleinement informationnel. Le sous-titre informationnel pourrait fonctionner comme unestructure fermée, puisqu’il pourrait suffire à annoncer le sujet de l’article.

On notera ici que Libération prend dès le début un parti pris dans l’énonciation puisquele journal rapporte la parole de l’avocat du couple : « manipulation » et « mise en scène ».Une étude sur l’énonciation sera l’objet d’une analyse plus loin dans ce mémoire.

10 Barthes Roland « Structure du fait divers », in Essais critiques, Seuil. 196411 Maurice Mouillaud et Jean François Tétu, Op. cit. p120

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Partie 1 : Du fait divers en Corée du Sud à « l’affaire des bébés congelés » : constructionmédiatique d’un événement.

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Il faut ainsi retenir ici, que Libération forme dès le 11 Août un pacte avec son lecteur,puisque le journal qualifie le fait divers. Il ne s’agit plus simplement d’une information datée,temporalisée dans un espace (comme c’est le cas pour le titre du Figaro). Il s’agit d’unconstruit, structuré par une intemporalité permise par l’anaphore ; on a l’indication du lieu,Séoul, mais le terme de « bébés congelés » renvoie à un ensemble de contenus quele lecteur est censé avoir admis. On peut émettre l’hypothèse de ce point de vue que laviolence est soumise, dès le 11 Août, à une mise en récit ayant pour but de créer un lienémotionnel avec le lecteur : la violence n’est plus localisée et temporalisée dans le temps.L’acte de meurtre, dont à ce moment-là on ne connaît pas l’auteur, est désigné par uneexpression métonymique « bébés congelés ». Par cette expression indéterminée, l’auteurde l’article, du titre, exprime l’acte dans sa globalité tout en n’en évoquant qu’une partie. Laformule, qui reprend les termes utilisés par la presse Sud-Coréenne, est un acte de cadragede l’événement : elle permet de lier le lecteur à ces « bébés congelés » même si les détailsne sont encore que très vagues.

Les termes « bébés congelés » seront ainsi repris dans les trois journaux tout le long dumois d’Août comme une référence historique, c’est-à-dire qu’ils seront utilisés comme titreanaphorique, gage de contrat symbolique avec le lecteur. On notera cependant que si LeMonde reprend l’expression le 19 Août, il ne la reprend que sous forme indirecte puisqu’illui adjoint des guillemets :

Affaire des " bébés congelés " : l'avocat des suspects dénonce de « multiplesbizarreries » Le Monde, le 19 Août 2006.

Ainsi, l’auteur de l’article se désolidarise de ce construit discursif. Il crée bien uneréférence en évoquant la formule, mais, par les guillemets, il fait porter l’énonciation decette expression à quelqu’un d’autre. On peut d’ailleurs remarquer qu’une certaine confusionpeut régner quant à l’utilisation de la citation. Ainsi, le fait d’associer deux citations dans lemême titre en en indiquant qu’un seul des auteurs peut semer le trouble chez le lecteur quipeut supposer que l’expression « bébés congelés » est attribuable à l’avocat. Cependant,si l’on écarte cette confusion, on peut considérer les guillemets comme un modalisateurautonymique12, c’est-à-dire comme une marque de mise à distance du journaliste parrapport à l’expression. De la même manière que l’on utilise les guillemets pour signifier quel’on donne un terme approximatif –comme cela peut-être le cas dans une analyse menéedans un mémoire –on peut interpréter les guillemets ici comme le signe que le journalisteutilise cette expression, faute de mieux. Ainsi, comme le souligne Dominique Maingueneau,l’utilisation de modalisateur suppose un contrat tacite avec le lecteur :

Pour que les guillemets puissent faire l’objet d’un déchiffrement approprié,une connivence minimale entre énonciateur et lecteur est nécessaire.(…)L’énonciateur qui use de guillemets, consciemment ou non, doit se construireune certaine représentation de ses lecteurs pour anticiper leurs capacités dedéchiffrement : il placera des guillemets là où il présume qu’on en attend de lui. 13

Cette analyse conforte l’hypothèse que l’on peut émettre quant à la nature du lectoratdu Monde. En effet, la ligne éditoriale du journal est historiquement orientée vers une

12 Dominique Maingueneau, Analyser les textes de communication, Armand Collin, 2007, p 14213 Ibid, p 144

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neutralité de rigueur de quotidien « de référence » qui suppose une distanciation vis-à-visde l’événement.14 Il s’agit d’une dynamique éditoriale sur laquelle nous reviendrons.

On note ici que Le Monde choisit d’employer le terme d’ « affaire ». L’utilisation de ceterme dans le titre renvoie une fois de plus à une temporalité passée. Lorsqu’il y a « affaire »,cela signifie qu’un certain nombre d’actes, de « faire » ont eu lieu et ont créé un « être »dans le présent contenu implicitement dans l’expression « affaire des bébés congelés ».

Ainsi, à partir du 19 Août, les différents journaux vont faire référence à l’affaire enmentionnant presque systématiquement le terme de « bébés congelés ». Il y a grâce à cedispositif d’écriture une trame de récit et un référent permettant au lecteur de suivre l’histoirequi lui est donnée à lire.

1.2.2 Le fait « divers » devient événement : l’historicisation du présent.A partir du 19 août, « les bébés congelés » devient le référent principal de l’affaire, mêmesi les médias ne traitent pas directement du contenu de l’affaire. Il est ainsi question dela passation d’autorité entre la Corée du Sud et la France. Ce qui reste intéressant, danscette période, c’est la façon dont les journaux mobilisent l’imaginaire collectif dans le terme« bébés congelés ». L’événement renvoie déjà au registre de l’indicible alors que lescirconstances précises de la violence ne sont pas connues. On peut parler d’un phénomèned’historicisation du présent, puisque la référence met à la fois en scène le présent actuel quifait émerger l’événement comme une nouvelle, et à la fois le passé autour du passif contenudans « bébés congelés » La violence est déjà là, mais son intelligibilité n’interviendra, nousallons le voir, que bien plus tard.

Le 28 août, l’événement est érigé en une dans Le Figaro. Comme le précisent MauriceMouillaud et Jean-François Tétu :

S’il ne semble pas y avoir de classe d’événements qui puissent a priori êtreprescrite ou exclue de la une, on peut faire l’hypothèse que le critère d’admissionest d’une autre nature : non pas « de quoi » il est question, mais quelle est la« valeur » de l’information. 15

Ainsi, nous émettons l’hypothèse que c’est parce que l’événement a été historicisé qu’il est« monté » en une. Le lecteur peut ainsi reconstruire une temporalité autour du référentiel« bébés congelés ».

Si le lien entre le lecteur et son journal est opéré dans le début de l’affaire grâce auréférent « bébés congelés », nous allons voir que durant le second temps de l’affaire,va s’opérer un glissement dans la dynamique des titres : si le référentiel « bébéscongelés » sera toujours présent, on pourra également analyser de quelle manière le couple« Courjault » entre comme référence dans les titres, permettant la mise en place d’unerhétorique de l’émotion.16

14 Maurice Mouillaud et Jean François Tétu, Le Journal quotidien, PUL, 1989, p18915 Maurice Mouillaud et Jean François Tétu, Op. cit., p 116

16 Bernard Lamizet, « Esthétique de la limite et dialectique de l’émotion », Mots. Les langages du politique, n° 75, Émotiondans les médias, juillet 2004 [en ligne], mis en ligne le 22 avril 2008. URL : http://mots.revues.org/index3103.html.

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Partie 1 : Du fait divers en Corée du Sud à « l’affaire des bébés congelés » : constructionmédiatique d’un événement.

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Chapitre 2. L’intelligibilité de la violence dans lestitres et les photographies : une singularisation de laviolence.

Il s’agit ici de s’intéresser au deuxième temps de l’affaire en Octobre 2006, au moment oùl’enquête sur les nouveau-nés est prise en charge par les autorités françaises.

Dans ce second chapitre, nous nous intéressons à la manière dont les titres ont« fonction d’un écrit faisant image »17, et produisent, de ce fait de l’émotion. On émetl’hypothèse ici que l’émotion est une des dynamiques permettant de rendre un acte deviolence extrême intelligible. En effet, comme l’analyse Bernard Lamizet : L’émotion est lesiège du « réel du sujet », c’est-à-dire de ce en quoi il ne saurait s’identifier symboliquement àl’autre. L’émotion permet au lecteur d’avoir un rapport direct avec les personnages, acteursou figures du récit dont il est lecteur. Il perçoit directement le récit car l’émotion le renvoieà la singularité du sujet. Ce renvoi est d’autant plus saillant dans l’affaire que l’on observeun glissement progressif du cadrage de l’événement dans les titres. En effet, alors quelors du premier temps de l’affaire, on a analysé une construction autour de l’expression« bébés congelés », les actions qui vont faire basculer l’affaire à partir du 10 Octobrevont recentrer la représentation de l’affaire autour des « Courjault ». Ce glissement est aucœur de ce que l’on appelle la mobilisation du lecteur. Le lecteur ainsi mobilisé est plussusceptible de recevoir les représentations émanant du discours médiatique, comme desreprésentations du « réel » et sera, on peut dès maintenant le supposer, plus enclin àadhérer à la construction symbolique créée autour des acteurs de l’événement.

2.1. Les Courjault au centre de la mobilisation.Analysons dans un premier temps les titres des trois journaux au lendemain de la gardeà vue du couple :

Bébés congelés : l'ADN accable les époux Courjault. (Le Figaro, 11 octobre 2006.)Les parents des bébés congelés de Séoul trahis par leur ADN. (Libération, 11 octobre

2006.)Les Courjault seraient les parents des bébés congelés (Le Monde, 12 Octobre 2006.)Les trois titres sont à la fois anaphoriques et informationnels. Il est intéressant en

premier lieu de noter que les titres font référence aux « bébés congelés ». Figaro cependant,n’utilise pas le registre métonymique entièrement puisque le titre resitue les événementsdans un espace. Il y a dès lors une distanciation : distanciation spatiale puisque l’on évoqueles parents « de Séoul » et distanciation symbolique puisque l’on n’évoque pas leur nom.Il s’agit des « parents ».

Dans les deux autres journaux, les acteurs de l’événement sont nommés ; les « épouxCourjault » ou les « Courjault » renvoient directement à la singularité des acteurs.

L’analyse des termes utilisés montre que le déplacement du cadrage s’opère : on nes’intéresse plus, à ce moment du récit, aux « bébés » à proprement parler mais aux parents,ou époux Courjault. Le Monde, contrairement à Libération et au Figaro, se distancie parrapport à l’information qu’il émet dans son titre : l’auteur utilise le conditionnel « seraient »afin de marquer le détachement entre la source même de l’information et la mise en récit

17 Bernard Lamizet, Op. cit.

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de celle-ci. Cette approche peut être analysée comme une des caractéristiques de la lignedu Monde en indiquant, dès le titre, le degré d’engagement du journaliste dans l’informationqu’il met en récit.

La charge émotionnelle du titre semble ainsi plus saillante dans les titres des deuxautres rédactions puisque dans les deux cas, on a une dénonciation. On peut en effetnoter un champ lexical du jugement quant aux verbes choisis pour exprimer le contenuinformationnel de l’actualité : « accable » et « trahis ». On rentre ainsi, avec ces deuxjournaux dans un autre registre d’information que l’on peut qualifier de feuilleton judiciaire.Feuilleton, puisque la référence est rappelée à chaque épisode et judiciaire puisque lesmarques du jugement sont d’ores et déjà présentes à ce stade de l’enquête.

En outre, on note que le déplacement de la mobilisation est largement permis parles logiques de titrailles. On se déplace d’une violence abstraite de l’ordre de l’indicible –contenue dans le terme « bébés congelés » vers une violence dont on a ciblé les acteurs,qui, de fait encre celle-ci dans le réel. Le terme « bébés congelés » permet de créerune référence intemporelle au récit ; cependant, le déplacement discursif autour du nom« Courjault » permet d’ancrer la violence dans un « faire », dans un réel.

Le feuilleton judiciaire ainsi créé va être bousculé par les aveux de Véronique Courjaultle 12 Octobre 2006.

2.2. La preuve par l’image : lorsque montrer, c’est faire « croire ».Le parti pris initial de cette recherche visait à s’intéresser principalement au discoursmédiatique en tant qu’écrit. C’est en effet cet écrit qui peut rendre compte de certainesreprésentations sociales, et mettre en avant certaines dynamiques de pouvoir. Cependant, ila semblé intéressant, pour poursuivre la démarche de l’étude du cadrage de l’événement, denous intéresser à la production iconographique de l’affaire, au moment où l’on peut observerce que l’on appelle un pic événementiel. Ce pic événementiel, constitué par les aveux deVéronique Courjault , se déroule sous nos yeux grâce aux dispositifs iconographiques. Nousavons choisis d’étudier ici six photos de presse de deux journaux sur une période de troisjours : les 11, 12 et 13 octobre. Nous avons préféré réduire l’étude à deux journaux car lesdeux titres nous semblait proposer une mise en scène similaire de l’événement selon troistemps : le temps du doute (le 11 Octobre), le temps de la parole « performative » (le 12octobre)-nous expliquerons ce terme plus tard –puis le temps de la justice(le 13 octobre). 18

Ce qui nous intéresse dans cette optique c’est de voir dans quelles mesures lesphotographies choisies pour créer un « dire vrai »19 participent au glissement du cadragede l’événement autour de la personnalité de Véronique Courjault. Surtout, nous nousintéressons ici à la façon dont est signifiée la violence bien qu’aucune des photographieschoisies par la presse ne donne à voir l’acte de la violence.

2.2.1 Une stratégie de distanciation : le douteDans les deux photographies proposées pour illustrer la mise en garde à vue du coupleCourjault le 11 Octobre, on observe que Le Figaro et Libération choisissent de donner uncaractère probatoire à la photographie. Ainsi, nous est donné à voir dans les deux photos lecouple formé par Véronique et Jean-Louis Courjault. On insiste ici sur le caractère probatoire

18 Voir l’annexe n° 1 à 619 Maurice Mouillaud et Jean François Tétu, Op.cit., p78

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de l’image. Il s’agit d’un « avoir été là »20 que le journaliste utilise, afin de rapporter la parole.Il s’agit ici d’apporter la « caution du réel »21La photographie de Libération, apporte, de cepoint de vue, plus d’information, puisque l’on y voit également l’avocat du couple Courjault.Cependant, cet effet de réel peut être contrecarré par le co-texte qui accompagne laphotographie ; la légende nous indique que cette photographie a été prise le 10 Août. Ainsi,le but de la photographie n’est pas tant de présenter le réel dans sa temporalité juste ; lebut n’est pas la présentation du réel, mais sa représentation. Ainsi, la photographie apportela preuve à la parole, elle n’apporte pas la parole elle-même. On peut d’ailleurs supposerque la photo de Libération a été choisie pour illustrer la sanction du journaliste : Les parentsdes bébés congelés trahis par leurs ADN. La photo exemplifie cette trahison ; on y voitVéronique Courjault regarder le sol, ce qui peut symboliquement représenter sa culpabilité.Le cotexte associé à la photographie du Figaro donne un rôle différent à l’image. Il s’agit dereprésenter l’énonciation. Les corps pris dans la photographie (ceux de Véronique et Jean-Louis Courjault) permettent de témoigner de la parole que ceux-ci portent. Dans les deux cascependant, il semble pertinent de s’attarder quelque peu sur les représentations corporellesdu couple. En effet, ainsi que l’exposent Mouillaud et Tétu, la mise en scène des corpsdans une photographie relève d’une construction symbolique. Ainsi, dans notre exemple, latête baissée de Véronique Courjault (sur la photographie de Véronique Courjault) pourraithypothétiquement re-présenter un acte de Véronique Courjault, se baissant pour ramasserun objet à terre. C’est donc avec le cotexte que l’on comprend la photographie. Dans le casde Libération ce jour-là, le cotexte est constitué de la légende et du titre. Le titre nous permetainsi de comprendre qu’il faut visualiser la corporalité de Véronique Courjault comme cellede quelqu’un qui est « trahi ». De même, dans la photographie du Figaro le même jour, ilfaut voir le regard vide de Véronique Courjault, comme la preuve de l’ « accablement ». Onnote à ce propos que dans les deux photographies, si Véronique Courjault semble fuir l’axede la photographie, Jean-Louis Courjault, lui, semble représenté en mouvement. Il apparaîtdéjà une symbolique de l’action chez le mari, contre une symbolique de l’abattement chezVéronique Courjault.

S’il faut prendre l’analyse de l’image avec précaution, on peut ici conclure que les deuxphotographies ce jour-là n’apportent de réel que ce que le cotexte leur attribue. On peutrejoindre ici l’analyse de Marie-José Mondzain, 22 qui n’accorde à l’image aucune réalitéontologique. L’image, selon l’auteure, ne relève pas du réel, elle ne répond pas à la questiondu vrai ou du faux. Les différentes représentations qu’elles portent prennent origines dansla construction symbolique que porte le texte attribué à l’image. Ainsi l’image n’est pasperformative, mais, nous allons le voir, la mise en scène créée par l’image donne à voir uneparole performative.

2.2.2. La singularisation de la violence : portrait de Véronique Courjault.Nous analysons ici les photographies qui illustrent les articles du Figaro et de Libérationdatés du 12 octobre 2006. Les deux images sont issues de la même photographie, fourniepar l’Agence France presse (AFP). Cependant, les cadrages ne sont pas les mêmes. DansLe Figaro, la photo est resserrée autour du visage de Véronique Courjault, tandis quel’image de Libération, en couleurs, donne à voir le buste de la protagoniste. Il est intéressantd’observer que ces deux images ne sont pas cotextualisé de la même manière, même

20 Maurice Mouillaud et Jean François Tétu, Op.cit., p8121 Ibid

22 Marie-José Mondzain, L’image peut-elle tuer ?Bayard, 2002

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si dans les deux articles, on retrouve une légende qui ne fait pas directement rapport àla parole. Le Figaro propose un titre informationnel qui se veut détaché de la parole deVéronique Courjault : Véronique Courjault avoue avoir tué seule ses bébés. On a dans cecas une mise à distance de la parole, même si l’image nous donne à voir la symbolisationde cette information en la personne de Véronique Courjault. Le portrait dans les deux casrenvoie le lecteur à la singularité de l’acte de violence, et la façon dont est présentéeVéronique Courjault dans cette photographie permet de construire une représentation del’auteure de la violence. Ainsi, comme le souligne Bernard Lamizet :

Le portrait sert de centre symbolique à l’image: il condense sur lui l’attentiondu lecteur, précisément en raison de sa dimension de médiation. En imposantau lecteur de rechercher le regard du personnage qu’il représente, en vue deson identification, il détermine un sens de lecture de l’ensemble de l’imagedans laquelle il s’inscrit, construisant, avec le lecteur, grâce la mise en scèneesthétique de l’image, une intersubjectivité de nature à impliquer ce dernier.23

Le parti pris de personnifier la violence implique ainsi nécessairement le lecteur. Laphotographie exprime la singularité de la violence, sa personnification. On peut parlerici de mobilisation, puisque le lecteur voit, avant de lire l’article, la partie singulière del’identification de la violence, ce qui peut créer de l’émotion. Il ne s’agit pas ici d’une miseen image cherchant à provoquer une émotion collective, mais bien une émotion mobilisantl’interpersonnel.

Une différence est cependant à noter entre les deux en terme de mise en scènede l’iconographie. Libération choisit de titrer l’article en reprenant la parole de VéroniqueCourjault : « Je ne voulais pas de ces enfants ». Il y a ici une tentative de désengagementde la part du médiateur : la marque de l’énonciateur, du rapporteur –le journaliste –n’estprésente ni dans la photographie, centrée entièrement sur la personne de VéroniqueCourjault, ni dans le titre puisqu’il n’y a pas de verbe introductif. Tout se passe commesi Libération voulait s’effacer face à la parole ; une telle mise en scène rend la paroleperformative puisqu’à elle seule, elle rend compte du « faire » qui est l’objet de l’article. LeFigaro, au contraire, ne met pas en scène la parole mais son émetteur.

Dans les deux cas, le dispositif iconographique a pour but de resserrer le cadragede l’événement, de le personnifier. Cette personnification peut produire de l’émotion,selon les dispositifs visuels, mais également selon la mise en récit, que nous étudieronsplus longuement dans la seconde partie de notre étude. Il y a donc pour le lecteur undouble référentiel : un référentiel discursif (le terme « bébés congelés ») et un référentieliconographique, Véronique Courjault. La violence est devenue dicible et montrable.

2.2.3. La médiation, et la distanciation.Les photographies des deux journaux le 13 Octobre sont, une fois de plus, assez similaires.La photographie du Figaro centre l’attention sur Jean-Louis Courjault alors que celle deLibération est centrée sur Véronique Courjault. Les deux images nous montrent les acteursdu récit à travers la vitre d’une voiture. On comprend, grâce à la titraille et aux légendesque cette voiture les emmènent au Tribunal. Il est intéressant de noter, que contrairementà la veille, il ne s’agit pas de portrait. Il y a une distanciation. La mise en scène de laphotographie qui nous donne à voir le ou les protagonistes seulement à travers la vitreopère une barrière entre le lecteur et l’événement. On peut parler dans ce sens d’un lecteur

23 Bernard Lamizet, « Esthétique de la limite et dialectique de l’émotion », Mots. Les langages du politique, n° 75, Émotion

dans les médias, juillet 2004 [en ligne], mis en ligne le 22 avril 2008. URL : http://mots.revues.org/index3103.html.

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Partie 1 : Du fait divers en Corée du Sud à « l’affaire des bébés congelés » : constructionmédiatique d’un événement.

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« méta-spectateur »24, puisqu’il voit à la fois les acteurs, mais également le « faire » quiagit sur eux. Il s’agit d’une mise en abîme : la photographie opère une médiation avec lelecteur. Contrairement à la veille, le lecteur n’est pas en prise directe avec la singularitéde la violence. Dans les deux photographies, on devine un arrière-plan qui représente,symboliquement l’espace public. Alors que la veille, le lecteur était plongé dans un registrede l’intime, les deux photographies du 13 octobre montrent une mise à distance. Celle-ciest possible grâce au dispositif visuel permettant au médium de relayer le rôle de médiationà l’espace public. On note cependant que Libération poursuit une stratégie de mise enavant de la parole, en titrant « Elle a menti à tout Le Monde » Dans le dispositif visuelcréé par Libération, à première vue, une confusion peut régner quant à l’attribution de lacitation montée en titre. En effet, le lecteur peut attribuer la citation à Jean-Louis Courjault,puisque celui-ci est l’objet de la photographie associée à l’article. Or, le récit nous précisedès les premières lignes, que cette affirmation émane d’un des enquêteurs ayant participéà l’interrogatoire de Véronique Courjault.

On peut donc affirmer ici que ces deux derniers dispositifs visuels tentent de distancierle médium de l’événement. Après le pic événementiel constitué par les aveux de VéroniqueCourjault, les journaux dépeignent une violence au sein de l’espace public.

Les dispositifs visuels expriment plusieurs temps dans la mise en scène de la violence.L’image donne tout d’abord à voir l’existence de la violence, par le caractère probatoirequ’apporte la représentation des acteurs de l’événement. Ensuite, l’image personnalise dela violence, susceptible de provoquer l’émotion –imputable, entre autres à la façon dont estmise en scène Véronique Courjault le jour de ses aveux. Enfin, l’image donne à voir unecertaine distanciation de la violence. La parole ayant créé le « faire », la violence est dicible –puisque dite –dans l’espace public. L’enjeu va alors résider pour le discours médiatique dansla mise en récit en tentant tenter d’ancrer cette violence dans l’espace public. Or, la difficultéprincipale de la mise en récit de cette violence réside dans le fait que la représentation del’acteur de la violence –Véronique Courjault –est ardue puisque la figure narrative semblantconstituer son identité (Véronique Courjault est d’abord une femme, puis une mère) est,dans l’espace public comme incompatible avec un tel fait de violence. La seconde partiese concentrera sur la mise en récit en tant que telle, et focalisera l’étude sur les dispositifsnarratifs, sur l’énonciation, pour comprendre comment les médias tentent de narrer une telleviolence.

24 Isabelle Garcin-Marrou, « L’affaire Dutroux : de l’émotion à la mobilisation », Mots. Les langages du politique [en ligne], 75 | 2004,mis en ligne le 22 avril 2008. p 6

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Le traitement médiatique de l’affaire dite « des bébés congelés ». Représentations des figuresde « femme » et de « mère » à travers le discours médiatique. Véronique Courjault, monstre oumartyre ?

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Partie 2 : La mise en récit de la violence.Véronique Courjault : mère, monstre ouvictime ?

Après avoir analysé dans quelles mesures un récit de violence pouvait être construit parla presse, et comment le parti pris journalistique pouvait mettre en avant une écriture dansles topiques de la dénonciation, il s’agit ici de s’intéresser plus précisément à la mise enrécit de la figure « Véronique Courjault ». Ainsi, pour répondre à notre problématique, ils’agira ici de voir comment est dépeinte Véronique Courjault, à la fois avant et pendantle procès. Notre hypothèse de départ suppose qu’est opéré un glissement de la part dudiscours médiatique entre la découverte des faits et le procès. Ce glissement est à analyserdans le construit discursif que forment les journaux considérés ensembles. Il s’agira dedégager les principales figures offertes par l’écriture journalistique pour décrire VéroniqueCourjault. L’analyse qui pourra être faite de ce point de vue mise à mettre en avant dequelles manières le discours journalistique réitère les normes sur la violence, et réitère lesnormes sur les femmes. Le questionnement principal de cette partie vise à voir dans quellesmesures les journaux utilisent des stratégies discursives afin de décrire l’auteure d’uneviolence dans laquelle le caractère même de l’indicibilité de la violence réside précisémentdans le fait qu’elle ait été commise par une mère sur ses propres enfants. Nous tenteronsde ce point de vue d’adopter une perspective foucaldienne du discours, c’est-à-dire qu’ils’agira de voir dans quelles mesures le discours réitère et objective les normes sociétalesissues des dynamiques de pouvoir. Dans notre étude, la question est de savoir si l’écriturejournalistique nous dit quelque chose de la perception de la violence « féminine » dansla société, mais également de la violence « maternelle » de la société. En définitive, noustenterons de répondre à la question : les « médias » produisent-ils un discours dans lequel laviolence perpétrée par une femme est moins intelligible que celle perpétrée par un homme ?

Pour ce faire, nous analyserons tout d’abord les différents actants du récit, en proposantune comparaison au sein d’un même journal entre les schémas narratifs durant les aveuxde Véronique Courjault en Octobre 2006 et les schémas narratifs durant la période duprocès. Puis, nous nous attacherons à décrire les stratégies d’énonciations opérées parles différents journaux afin d’analyser les représentations produites par les détenteurs dela parole ; Enfin, nous étudierons la place particulière accordée à l’ »expertise » afinde comprendre comment peuvent émerger des représentations objectivées autour de lapersonnalité de Véronique Courjault.

Chapitre 3: Une figure, plusieurs acteurs : analyse desfigures du récit dans les schémas narratifs.

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Partie 2 : La mise en récit de la violence. Véronique Courjault : mère, monstre ou victime ?

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Dans ce chapitre, nous analyserons sur un corpus restreint à une seule rédaction, lessystèmes de construction du récit. Pour cette étude, nous nous appuierons sur les travauxde A.J Greimas, dans son ouvrage, Du Sens. Le but ici est, dans un premier temps de mettreen lumière les différents actants/acteurs du récit, pour en faire ressortir des figures.

3.1. Actants, acteurs.25

La stupéfaction produite par les révélations de Véronique Courjault le 12 Octobre 2006produit un ensemble de discours sur sa personnalité qu’il semble intéressant d’analyser ici.Nous prendrons, dans cette analyse, une sélection d’articles, parus dans Le Figaro les 12,13 et 14 Octobre 2006, que nous tenterons par la suite de comparer aux récits faits durantla période du procès de Véronique Courjault.

Dans l’article intitulé Véronique Courjault avoue avoir tué seule ses bébés, le journalisterevient sur la vie de famille de Véronique Courjault, selon le sous-titre de l’article : L’intimitédu couple au cœur d’un drame à huis clos26. Le sous-titre prépare le lecteur à la descriptionintime que l’auteur s’apprête à effectuer au sujet de l’affaire. Il est intéressant de noter que,dans cet article, Véronique Courjault n’est désignée qu’une seule fois par son patronymecomplet. L’objet de l’article est en effet de pénétrer au « cœur » des relations entre lesdifférents acteurs de l’affaire. Ainsi, Véronique Courjault est rapportée à de nombreusesreprises à son statut de femme-épouse –de nombreuses références au « couple », aux« époux », « ils », « eux », à son statut de femme au sein d’une communauté plus large–« une femme timide (…) complexée (…) à l’écoute » ou encore à son statut de mère –« uneexcellente mère de famille ». Le journaliste rapporte dans cet article les paroles des prochesde Véronique Courjault, avec pour but de décrire le sujet « Véronique Courjault ». De cepoint de vue, on constate qu’à un même sujet correspond une multitude d’attributions. C’estdans ce cadre que l’on peut parler de dichotomie acteur/actant.

En prenant appui sur l’étude des systèmes narratifs contenus dans les contes, Greimasnous permet d’envisager les relations de transcription du réel dans l’écriture à travers lessujets de l’écriture. Ainsi, au sein d’un même récit, le sujet qui agit, c’est-à-dire qui transformeun statut – « l’être » – par l’action –le « faire », peut être manifesté dans la mise en récitpar différentes structures linguistiques. On distinguera ici, trois structures : l’actant, l’acteuret la figure.

Il convient d’abord de s’intéresser à la relation entre acteur et actant, au sein de l’étudequi nous intéresse. Ainsi, comme le rappelle Greimas :

« La relation entre acteur et actant, loin d’être un simple rapport d’inclusion d’uneoccurrence dans une classe était double : que si un actant pouvait être manifestédans le discours par plusieurs acteurs, l’inverse était également possible, un seulacteur pouvant être le syncrétisme de plusieurs actant »27

Ainsi, l’actant n’est pas la simple transcription discursive de l’expérience vécue par l’acteur ;l’acteur peut rassembler plusieurs actants, sujets de plusieurs actes de « faire » et deplusieurs « être ». Dans l’article proposé, on note que selon que l’on parle de VéroniqueCourjault avant les aveux ou après, le récit ne propose pas le même lexique pour nommer lesujet. On observe ainsi un basculement dans l’article : avant que l’on évoque le « drame »,

25 A.J De Greimas, Du sens, Seuil, 1983 p 49-6726 Le Figaro, 12 Octobre 2006, p 8

27 Ibid, p 49

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Véronique Courjault est décrite à l’aide de ses attributs, de mère, et de femme. Une rupturedu récit fait exister un nouvel actant dans l’affaire :

Comment, dès lors, imaginer que Véronique Courjault a pu secrètement donnernaissance à deux bébés pour les tuer aussitôt sans que son mari s’en aperçoive ? Lesprécédents actants, de mère et d’épouse, laissent place à un nouvel actant : VéroniqueCourjault, avec son patronyme entier, qui est l’actant correspondant à l’acte d’assassinat.

On note le même procédé lorsque l’on compare les articles datés du 13 octobreintitulés : Une jeune femme timide, rongée par ses démons et Véronique Courjault avouetrois infanticides28.

Dans ces deux articles, selon le « faire » qui lui est attribué, Véronique Courjault n’estpas désignée de la même manière. Le premier article cité exprime bien la difficulté de parlerde l’acte de Véronique Courjault :

Et chacun se trouve pris de vertige à l'idée que tout, désormais, semble désigner cettepetite femme ronde au regard vague comme l'auteur d'un triple infanticide.

Ainsi, le premier article s’attache à décrire la femme qu’elle était, avant. VéroniqueCourjault est désignée par le pronom « elle », ou par son prénom seul, « Véronique ».

Au contraire, dans le second article, Véronique Courjault est désignée par sonpatronyme complet six fois au cours du récit.

On observe ici, que selon le rôle actanciel29 qui est conféré à Véronique Courjault, laterminologie adoptée pour la qualifier change. Inversement, chaque qualification attribuéeà Véronique Courjault lui attribue un rôle actanciel différent. On se trouve là dans un desdeux extrêmes des structures actorielles possibles :

La distribution actorielle peut avoir une expansion minimale et se réduire àun seul acteur ayant en charge tous les actants et rôles actanciels nécessaire(donnant lieu à une dramatisation intérieure absolue) ; la structure actorielle seradite, dans ce cas subjectivée30

Ce qui est intéressant dans cette analyse, c’est la superposition des temporalités. Ainsi,alors que Véronique Courjault avait déjà commis l’acte de meurtre, le discours journalistiquefait comme si l’actant avait changé lorsque Véronique Courjaut est passée aux aveux. Tantque l’acte de parole n’est pas signifié, Véronique Courjault est « mère » ou « femme »,« elle », « Véronique ». Lorsqu’elle passe aux aveux, elle devient « Véronique Courjault ».On peut parler ici de parole performative, puisque l’acte de parole suffit à redéfinir un nouvelactant au sein de l’acteur qu’est Véronique Courjault.

Ce changement redéfinit le rapport du lecteur au récit. Alors que les attributions deVéronique Courjault en tant que « mère », « femme » ou « épouse » renvoient à la dimensioncollective de l’identité, l’appellation par son patronyme a plus tendance à la renvoyer à sadimension singulière. Or, c’est cette dimension singulière qui est susceptible de créer del’émotion chez le lecteur.31 Nous étudierons plus tard les conditions dans lesquelles le renvoi

28 Le Figaro, 13 Octobre 200629 Greimas, Op cit, p54

30 Ibid, p5731 Bernard Lamizet, « Esthétique de la limite et dialectique de l’émotion », Mots. Les langages du politique, n° 75, Émotion

dans les médias, juillet 2004 [en ligne], mis en ligne le 22 avril 2008. URL : http://mots.revues.org/index3103.html.

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Partie 2 : La mise en récit de la violence. Véronique Courjault : mère, monstre ou victime ?

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à la dimension collective de l’identité favorise une indignation « communautaire »32 alorsque la dimension singulière elle, renvoie à une indignation plus « éclairée ».

L’hypothèse initiale supposait que s’opérait un changement dans le cadrage du récit.Ainsi, à partir des aveux de Véronique Courjault, les récits se recentrent sur la structureactancielle et actorielle que constitue le personnage Véronique Courjault. Ce resserrementpeut être vu comme le résultat d’un discours médiatique qui tente de rendre dicible unacte a priori indicible. Pour tenter de comprendre –c’est-à-dire ici de mettre en récit –l’actede violence, l’actrice du récit est décomposée selon différents actants correspondant àdifférents rôles. On peut en déduire ici, qu’il semble nécessaire pour l’auteur de détacher lerôle « mère » ou « femme » du rôle « meurtrière »

Analysons maintenant, la façon dont est narré ce changement de rôle actanciel, àtravers l’étude d’un article paru dans Le Figaro magazine intitulé Les aveux effarants d’unemère infanticide.33

3.2 Actant, acteur et figures.Nous allons d’abord analyser le schéma narratif correspondant à l’article, afin d’y distinguerles différents sujets et les rôles qui leur sont conférés.

Comme nous l’avons vu, il semble difficile de narrer la violence selon une temporalitécontinue, sans changer de référentiel. Ainsi, le discours journalistique semble construiredifférentes images de Véronique Courjault afin de dire l’acte commis. Dans l’article du Figaromagazine, une chronologie de la garde à vue des Courjault est proposée afin de mieuxcerner les circonstances des aveux, d’ores et déjà qualifiés « d’effarants ». On note ici que,dès le titre, une sanction est opérée quant à la parole de Véronique Courjault. Le titre peutêtre vu dans ce cas comme une rupture dans la continuité du récit :

« Il représente l’information de base, en lui donnant la consistance visuelle d’uneorganisation iconique de l’espace rédactionnel. Dans le journal, les titres sont làmoins pour expliciter que pour construire un espace symbolique en le jalonnantde points de repère. Dans son immédiateté, il suspend la linéarité du discours. »34

Il est bien question ici, d’une rupture dans le temps afin de comprendre le passage du rôlede la « mère » ou de la « femme » au rôle de la meurtrière.

De ce point de vue, le parti pris d’écriture semble préférer une narration du point devue des enquêteurs. En effet, puisque l’objet du récit consiste à faire émerger la parole deVéronique Courjault, le sujet principal de cet objet dans l’article est le groupe d’enquêteurs.

Décrite comme « froide » et « déterminée », se contentant seulement d’ânonnerdes « je ne sais pas » aux trois enquêteurs de la PJ venus se relayer pour lesinterroger(…)

La parole de Véronique Courjault émerge directement d’eux, et l’on peut supposer quele journaliste du Figaro a obtenu ses informations de l’un des enquêteurs. Ils sont ainsidoublement sujets : sujet de la quête –obtenir des aveux de Véronique Courjault –et sujet durécit. Ils sont ainsi désignés plusieurs fois comme les acteurs principaux de l’action (section

32 Luc Boltanski, La souffrance à distance, Maitailié, Paris, 1993 p9133 Dominique Rizet, Les aveux effarants d’une mère infanticide, Le Figaro Magazine, 21 octobre 2006, p30

34 Bernard Lamizet, Op cit.

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criminelle de la police judiciaire de Tours, les hommes de la PJ de Tours, les officiers, lespoliciers, …).

Selon cette même logique narrative, Véronique Courjault prend le rôle d’anti-sujet35,c’est-à-dire que dans cet article, elle tente d’empêcher le sujet d’accomplir sa quête –lesaveux. Or, si, comme le précise Greimas, les fonctions de sujet ou d’anti-sujet sont a prioriinterchangeables et ne comportent pas de jugements de valeur, le fait que la parole émanedes enquêteurs construit une représentation du rôle que tient Véronique Courjault dansle récit : elle est une femme abominablement humaine, selon les policiers. Comme l’anti-sujet est également objet de la quête, le but, pour les sujets, est de convaincre que ledestinateur de la quête (ce ou celui pour lequel on agit) est commun au sujet et à l’anti-sujet ;il s’agit ici d’une modalisation du type « faire croire »36. Reste la question de savoir qui estle destinateur ? Là encore, c’est par l’emploi de modalisateur que le récit construit commedestinateur la famille de Véronique Courjault ; l’article nous explique que l’argumentaireentier des policiers reposent sur le fait que la parole est nécessaire afin d’apporter la vérité.On a ainsi un ensemble lexical reposant autour du carré sémiotique vérité/doute :

Or, autour de ce carré sémiotique, la parole de Véronique Courjault constitue le « faire »,l’acte de la quête. Ainsi, le récit du journaliste montre que c’est lorsque Véronique Courjaultse décide à parler, c’est-à-dire à transformer son « pouvoir faire », en « vouloir faire »,que la quête est accomplie, et que peut s’opérer une sanction de la part de l’auteur. Ainsi,le journaliste laisse entendre en filigrane de son récit que le destinateur et le destinatairede la quête se retrouvent dans la révélation de la vérité. Et c’est parce que le destinatairede la parole est à la fois Jean-Louis Courjault, mais également les policiers, et, en fin deprocessus, le lecteur, que l’auteur peut opérer une sanction quant aux actes qui ont conduitVéronique Courjault à la parole. Ainsi, le journaliste décide de retranscrire le témoignagedes sujets de l’article, les policiers :

Véronique Courjault a cette réponse d’enfant, ou d’inconscience totale : « C’estpas bien... »

Il est intéressant ici d’observer que les paroles des sujets se mêlent à la parole du journaliste.Dans l’exemple ci-dessus, on ne saurait dire si la sanction –au sens de jugement –estopérée par les enquêteurs ou par le journaliste. On conviendra pour conclure que cetteconfusion permet au journaliste de sanctionner l’acte en se déresponsabilisant de sa propreparole.

Ainsi, l’analyse des schémas narratifs dans cet article nous permet d’affirmer que lamise en récit de la violence, qui devient indicible précisément au moment où elle est mise enparole par Véronique Courjault, n’est rendue possible que par la construction de figures.37Lafigure de Véronique Courjault au terme de tous les écrits médiatiques est un construitcomplexe, polysémique, qui regroupe plusieurs actants au sein d’une même personne.Comme le décrit Greimas, la figure est un élément essentiel du discours :

« Le discours, considéré au niveau de la surface, apparaît ainsi comme undéploiement syntagmatique parsemé de figures polysémiques, chargées devirtualités multiples, réunies souvent en configuration discursives continuesou diffuses. Certaines seulement de ces figures, susceptibles de tenir des rôles

35 Greimas, Op cit, p5136 Greimas, Op cit, p7437 Ibid, p 66

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actanciels, se trouvent érigées en rôles thématiques. Elle prennent alors le nomd’acteurs »38

Ainsi, selon la situation et selon le temps du récit, la figure de Véronique Courjault estdéclinée en différents acteurs, qui permettent au journaliste de détacher le caractèreinnommable de la violence (le fait que celle-ci soit produite par une femme, une mère) dela violence elle-même. Projetons à présent cette analyse et confrontons-là à une analysed’un article du même journal, au tout début du procès, trois ans plus tard.

3.3 Laquelle de ces deux femmes qui portent le même nom va êtrejugée à Tours ?

Cette citation est extraite d’un article daté du 10 Juin 2009 paru dans Le Figaro. Il s’agitd’analyser dans cette partie, le premier paragraphe de cet article. Nous nous intéresseronsplus largement à la façon dont est mis en récit le procès dans le prochain chapitre,notamment à travers l’analyse des stratégies d’énonciations mis en place par la presse. Ici,nous tenterons de démontrer que cet article, en voulant replacer le lecteur dans le récit,réitère les structures narratives que nous avons analysées jusqu’ici.

La journaliste semble dans cet article épouser le style de la chronique judiciaire ; ellecommence son récit par un rappel chronologique.

Dans cette chronique, cependant, on note quelques effets de style qui viennentperturber l’agencement classique d’une chronique judiciaire :

En 1999, en 2002 et en 2003, une femme dénommée Courjault Véronique, néeFièvre, a accouché seule, accroupie dans une salle de bains. À chaque fois, ellea déchiré le cordon ombilical et, immédiatement, étouffé le nouveau-né.(…) Le 9juin 2009, une femme dénommée Courjault Véronique, née Fièvre, 41 ans, mèrede deux garçons de 12 et 14 ans, a pris place dans le box des assises d'Indre-et-Loire. Elle est petite et mince. Ses cheveux sont tirés en queue-de-cheval,maintenus par une barrette.

Il y a ici utilisation d’une anaphore, qui rappelle bien la tentative –consciente ou non –de lapart de la journaliste de recréer deux identités au sein de la même figure que la journalistedéfinie complètement deux fois : une femme dénommée Véronique Courjault. La journalisteva ainsi s’attacher à décrire le sujet, Véronique Courjault selon la même stylistique maisdans des temporalités différentes. Le premier rôle actoriel est le rôle de meurtrière que lajournaliste condamne aussitôt :

Pour ses gestes d'une effroyable violence archaïque, que le Code pénal qualifie d'« assassinats », pour avoir brisé un tabou absolu en supprimant, par trois fois, lefruit de ses entrailles, elle encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Il est intéressant d’observer que la journaliste se place à l’intérieur du récit. En effet, enplaçant au sein d’une chronique judiciaire une sanction aussi saillante (brisé un tabou absoluen supprimant, par trois fois, le fruit de ses entrailles), la journaliste admet en quelque sorteau lecteur, la difficulté de retranscrire cette violence. Dans cette introduction, la journalisteproduit ce que l’on peut appeler un méta-discours : elle expose les difficultés rencontréesdans la description de la figure Véronique Courjault. L’auteure met en relief les différentsacteurs de l’événement en train de se produire –le procès, et ainsi, fait coexister deux

38 Ibid, p 66

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acteurs au sein d’une même figure : la femme « petite et mince », qui « ne fait pas sonâge » et la « mère », « brune boulotte ». La façon de décrire Véronique Courjault fait existerune image que le lecteur peut facilement se représenter et renvoie le lecteur précisémentà la singularité de son identité. Pour terminer le rappel des événements, la journaliste poseune question rhétorique : Laquelle de ces deux femmes portant le même nom va être jugéeà Tours ?

On voit bien ici le mécanisme décrit par le chapitre, qui valide en partie une deshypothèses initiale. La violence décrite, parce qu’elle est perpétrée par une femme, unemère, est perçue par le journaliste et donc dans la médiation entre le réel et le sujet,comme étant de l’ordre de l’indicible ou de l’inintelligible. Le discours journalistique visant àdécrire, ou plutôt à comprendre c’est-à-dire mettre en récit cet acte de violence, produit undispositif permettant de rendre compte de la violence en se dégageant de la responsabilitéd’écrire rationnellement à propos de cette violence. Le discours journalistique préfèreraainsi créer différents acteurs, différents dispositifs de narration visant à inclure le lecteurdans le récit, par des mécanismes mobilisant l’émotion directe et individuelle du lecteur. Etc’est précisément parce que la violence est ici féminine et perpétrée par une mère que lejournaliste construit une complexité à la personne de Véronique Courjault.

Il est important de rappeler ici que le but de cette analyse n’est pas tant de savoir siles médias sont à l’origine de la représentation complexe de la personne de VéroniqueCourjault. On peut donc conclure dans ce chapitre que la mise en récit des aveux deVéronique Courjault fait apparaître un certain nombre de représentations sociales sur lesviolences, et sur leurs caractères « genrées ». Nous étudierons plus en détails la façon dontest traitée cette violence féminine.

Dans le prochain chapitre, il s’agira de revenir sur le temps du procès afin defaire émerger les stratégies d’énonciation convoquées par le discours journalistiques afinde comprendre quels sont les énonciateurs qui font figure d’autorité pour qualifier lapersonnalité de Véronique Courjault.

Chapitre 4 : Qui parle ? L’énonciation dans laqualification de Véronique Courjault.

Ce chapitre ce concentre uniquement sur le récit du procès de Véronique Courjault du 9 au17 juin 2009. Nous avons vu précédemment de quelle manière la mise en récit des aveux deVéronique Courjault faisait preuve de choix d’écritures particuliers facilitant la retranscriptionde la violence, et par là-même, son intelligibilité par le lecteur. Il s’agit dans ce chapitred’étudier les stratégies d’énonciation et de citation qui sont opérées au cours du procès deVéronique Courjault. En effet, afin de répondre au questionnement de cette partie qui vise àétudier la manière dont est médiatisée Véronique Courjault, nous analyserons ici les choixopérés par les journaux quant aux paroles rapportées pendant le procès. Il faut préciser icique l’on se situe dans une temporalité différente par rapport au chapitre précédent. En effet,plus de deux ans se sont écoulés entre les aveux de Véronique Courjault et le temps de sonprocès. Il y a donc eu, nécessairement, une mise à distance par rapport à la réaction « àchaud » des médias au début de l’affaire. De même, l’objet de l’écriture a changé. Il ne s’agitplus de dire, de rapporter une violence, mais ici, de rapporter le jugement de cette violence.Or, il semble intéressant dans cette perspective de poser la question de la place de la parole

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accordée au cours d’un procès comme un lieu de construction de « normes ». En effet, ilpeut être mis en avant dans une perspective foucaldienne, que le procès est un des lieuxde création de normes39. C’est de cette construction ou de réification de normes dont il seraquestion dans ce chapitre, en s’intéressant aux porteurs de paroles. Nous étudierons ici, demanière comparative, les choix opérés par les trois quotidiens quant à la place accordéeaux témoignages durant le procès.

4.1 La parole au cœur de l’enjeu médiatique.Les trois premiers articles analysés sont datés du 10 et 11 juin 2009, et correspondent aucompte-rendu de la première journée du procès. On reprend ici l’article du Figaro intitulé :Les premiers mots de Véronique Courjault à son procès. On note que dès le titre, il y aévocation de la parole. Ainsi, le titre sous-entend que c’est de la parole que va émergerl’intelligibilité de la violence. Ce thème est une récurrence dans la parole journalistique. Il ya l’idée, dans la représentation médiatique, que la parole est performative. On parle ici deperformativité en s’appuyant sur l’analyse des stratégies de citations mises en lumière parMaurice Mouillaud et Jean François Tétu.40 En effet, selon que la parole soit directementénoncée (sans référence à son énonciateur) ou qu’elle soit clairement mise en avant commele « dire » de l’énonciateur, l’effet produit n’est pas le même. Dans un cas, l’on insiste surl’autorité même de la parole, c’est-à-dire sur ce que la parole dit du réel, et dans l’autre, oninsiste sur la personne qui a autorité ou non sur la parole.

Libération, le même jour, choisit un titre avec un parti pris différent de celui du Figaropuisqu’il évoque la non-parole : Véronique Courjault, fille du silence. On peut d’ores et déjànoter ici que dans un cas comme dans l’autre, la parole est placée au centre de l’enjeu duprocès.

Le Monde choisit lui un titre plus informationnel : Les proches de Mme Courjault fontbloc pour lui éviter la réclusion à perpétuité.

L’enjeu de la parole est ainsi cadré par la titraille, sauf dans Le Monde, où l’on peutdès lors supposer que le discours journalistique se détache dès le départ de la parole quis’apprête à être rapportée.

4.2 Différentes mises en scène de l’énonciation.Comme le montre Dominique Maingueneau, le discours rapporté ne consiste pas en uneretranscription d’un réel. Il n’implique pas nécessairement la fidélité à l’énoncé rapporté :

« Il n’y a pas de commune mesure entre un événement de parole effectif (…) etun énoncé cité entre guillemets placé dans un tout autre contexte. La situationd’énonciation citée étant reconstruite par le rapporteur, c’est cette descriptionnécessairement subjective qui donne son cadre à l’interprétation du discourscité »41

39 Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 197540 Maurice Mouillaud et Jean François Tétu, Le Journal quotidien, PUL, 1989, p13641 Dominique Maingueneau, op.cit., p124

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Le traitement médiatique de l’affaire dite « des bébés congelés ». Représentations des figuresde « femme » et de « mère » à travers le discours médiatique. Véronique Courjault, monstre oumartyre ?

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Ce qui nous intéresse ici, ce n’est donc pas seulement à qui est donnée la parole, maiségalement, comment est retranscrite cette parole. On prendra ici l’exemple de la mêmeparole rapportée dans les trois journaux :

Entre tâches domestiques et contraintes viticoles saisonnières, Mme Fièvre ypleurait souvent " de surmenage ", a-t-elle admis, rabâchant à ses sept enfantsqu'elle " serait mieux au fond du trou ". Le Monde Elle aurait déclaré, un jourplus dur que les autres : "Je serais mieux au fond du trou. " Un peu sinistre, àl'évidence. Le Figaro Les enfants Fièvre ont dépeint une mère "accaparante" avecson époux, "n'appréciant pas que Véronique vienne sur les genoux de son père",ou une femme "jalouse qui ne veut pas partager", "aigrie" et "râleuse" qui, le soir,craque, quitte la table et répète : "Je serais mieux au fond du trou."Libération

On perçoit dans cet exemple les difficultés rencontrées quant à la mise en récit du discoursrapporté. Selon l’auteur qui rapporte, l’énonciateur n’est pas nécessairement le même. Ainsi,dans Le Monde, l’expression « au fond du trou » semble effectivement bien émaner de lamère de Véronique Courjault. Il y a, de la part de l’auteure, un détachement indiqué par unverbe dit introducteur, placé à l’intérieur du discours cité (a-t-elle admis). On a donc dansce cas de figure trois temps d’énonciation. Le temps t1, temps de la première énonciation,lorsque la mère exprime pour la première fois la formule. Puis le temps t2 de l’énonciation,lorsqu’elle le répète durant le procès. Et enfin, le temps t3, temps du discours rapporté par lejournaliste. On peut émettre l’hypothèse que cette distanciation par rapport à la temporalitéde l’énonciation produit par translation une distanciation émotionnelle par rapport à la parole.La journaliste du Monde se place dans un rôle d’observateur de la parole intime ; uneintimité dont la journaliste se détache d’emblée: Au fil de leur récit, complété par VéroniqueCourjault, on a pénétré, comme par effraction(…)

La prise de position du journaliste du Figaro est toute autre. L’enjeu pour l’auteur estde tenter d’émettre un jugement quant à la personne qui est l’objet du procès, ainsi quele rappelle la question rhétorique : Laquelle de ces deux femmes portant le même nom vaêtre jugée à Tours ? Dans notre exemple, il y a bien différenciation par rapport à l’énoncérapporté, puisque l’on trouve un verbe introductif : elle aurait déclaré. On remarque icil’utilisation du conditionnel qui permet d’insister sur la mise à distance du rapporteur surle discours rapporté. L’auteur va même jusqu’à commenter le discours rapporté : un peusinistre à l’évidence. Ce qui est intéressant, ici, c’est de voir qu’on a une double dynamique :d’une part, une dynamique de distanciation par rapport à l’énonciateur, puisque le journalistese déresponsabilise de la parole rapportée, et d’autre part, une logique de proximité, puisquele journaliste, dans le moment où il restitue le discours, le commente, comme si ce discourslui appartenait en quelque sorte. Il y a une sanction directement juxtaposée à la citation, quiproduit un effet direct sur la crédibilité voire le jugement moral que porte le journaliste à laparole. Ici commence à se dessiner dans ce journal les stratégies d’énonciations et leurseffets quant à la place accordée aux témoignages dans l’explication de la violence.

Dans le journal Libération on remarque que le discours rapporté n’est pas directementattribué par la mère de Véronique Courjault, mais par les enfants Fièvre. On retrouvedifférentes temporalité de l’énonciation puisqu’il s’agit dans ce cas d’un discours rapportéémanant lui-même d’un discours rapporté.

L’analyse qui vient d’être menée montre que selon les choix éditoriaux des journaux,les paroles rapportées ne sont pas mises en scène de la même manière.

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Partie 2 : La mise en récit de la violence. Véronique Courjault : mère, monstre ou victime ?

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Nous allons à présent étudier de quelle manière est rapportée la parole de VéroniqueCourjault durant son procès, afin de tenter de tirer une analyse quant à la représentationqui peut être perçue de la violence féminine.

4.3. Véronique Courjault, « elle » vs la « bonne » mère, la « bonne »femme.

Dans cette partie, il s’agit d’étudier la retranscription de la parole de Véronique Courjaultles 11 et 12 Juin, ainsi que les discours qui lui sont opposés, soit par le juge, soit par lesmédias directement. Nous tenterons de démontrer en quoi la mise en récit de la parole deVéronique Courjault tente d’opposer la violence perpétrée à une représentation maternelleet féminine normative.42

4.3.1 George Domergue contre Véronique Courjault : Libération ou la dualitédes figures.Dans les récits proposés par la presse durant les premiers jours du procès, il est intéressantd’observer la façon dont sont opposés la parole de Véronique Courjault et celle du présidentdu tribunal, George Domergue. Ainsi, le journaliste rapportant les deux paroles se metdans la position effective du médiateur, au sens où il apporte, au sein de l’espace public,les deux échos de l’affaire. Le Libération du 11 Juin est de ce point de vue extrêmementinstructif. Titrant A la barre; Véronique Courjault se perd dans son déni, la journaliste tentede retranscrire le dialogue qui s’effectue entre l’accusation et la défense. On note dans cetarticle que les deux discours ne sont pas introduits de la même manière. Ainsi, la journalisteemploie des verbes de parole43 pour rapporter le récit de Véronique Courjault. Au contraire,lorsque l’on a une polyphonie dans l’énonciation, les verbes introductifs sont d’un autreregistre :

Le président de la cour d'assises d'Indre-et-Loire, Georges Domergue, qui nel'épargne jamais, que ce soit sur ses qualités de mère ou de ménagère, exhibeles extraits de ses déclarations sur procès-verbaux qui sous-tendent l'accusationd'assassinat : "Ma décision était prise dès que j'ai su que j'étais enceinte, elleétait ferme et définitive, je ne voulais pas garder ces enfants".

Nous avons mis en italique le verbe introducteur, exhibe. Il s’agit ici d’un discourspolyphonique, puisque l’on a multiplication des énonciations. Ainsi, la parole du présidentdu tribunal est elle-même une parole dont celui-ci se dédouane puisqu’il rapporte les proposde Véronique Courjault lors des interrogatoires. Tout se passe comme si, dans cet articleVéronique Courjault était confrontée à sa propre parole. La parole du présent représenteraitici la parole d’une Véronique Courjault affaiblie, ayant une « voix fluette », et qui n’estpas « épargnée » par le président du tribunal. La parole du passé appartient au présidentdu tribunal, dont le discours est reporté sans verbes introductifs de parole, ce qui tend àdépersonnaliser l’acte de discours. Il y a donc ici maintient de deux figures différentes :Véronique Courjault la « meurtrière », portée par la parole du président, face à VéroniqueCourjault la « victime » -nous reviendrons sur ce terme de victime. Le début de l’articleannonce d’ailleurs le dialogue interne qui va être produit par l’article :

42 Dans cette étude, nous analyserons les articles du Figaro et de Libération du 11 juin.43 « Dire »et « expliquer » sont des verbes de paroles. Voir Dominique Maingueneau,op cit, p 126

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Là où l'accusation ne voit que mensonges, dissimulation et préméditationdes meurtres de trois de ses bébés, Véronique Courjault, 41 ans, jugée pour"assassinats" devant les assises d'Indre-et-Loire, se montre complexe, confuse,pas tout à fait lucide sur ses états de grossesse ni sur ses intentions de lessupprimer.

On a donc bien l’annonce d’un dialogue entre deux paroles, sans précision, à ce moment del’article que ce dialogue rapportera seulement les paroles d’une personne. La fin de l’articleapporte la sanction de la journaliste quant à l’enjeu du dialogue, en émettant un jugement surla légitimité d’une des deux paroles : De bonne foi sans doute, puisque la mère infanticidecroyait les avoir tous étranglés.

4.3.2. Le Figaro : Véronique Courjault actrice ou spectatrice de la parole ?Dans le chronique effectué par Le Figaro le même jour, le dialogue est décrit comme uneconfrontation ; il semble y a voir d’emblée une prise de position par rapport à la parole deVéronique Courjault sur ses actes :

Aujourd'hui encore, elle ne peut pas décrire avec précision - et c'est tantmieux, après tout -, la scène indicible de l'accouchement criminel. Elle croitencore qu'elle a étranglé ses nourrissons, alors que le médecin légiste vientd'établir qu'ils ont péri par suffocation, suscitant dans le prétoire une visioninsupportable. Heureusement, son jargon en atténue la portée...

La mise en scène dans cet article est très différente de celle privilégiée par Libération.Lorsque s’initie la confrontation, le journaliste choisit de reporter les paroles du présidentpar un discours indirect libre : Le congélateur n'est-il pas noir de crasse ? On a danscette formule ni marques de discours rapporté ni verbe introducteur. Les réponses auprésident sont elles formulées au style direct : Jean-Louis Courjault : « C'est la poudreutilisée pour relever les empreintes. ». La construction de l’article s’opère ainsi jusqu’au picdialogique opéré, où l’on observe un basculement : Le magistrat rétorque : « Ces petitsdétails permettent de construire un profil psychologique. » Me Leclerc : « Ah non ! ». Apartir de ce moment, la sanction du journaliste est perceptible à chaque fois qu’une paroleest rapportée. Pour preuve, cet énoncé auquel on ne saurait attribuer un auteur :

L'avocat a immédiatement décrypté le sous-entendu : si Mme Courjault est unesouillon, faut-il s'étonner qu'elle pratique l'infanticide en série ? C'est comme sion expliquait le caractère quelque peu emporté d'Attila au fait qu'il ne rangeaitpas sa yourte, ou qu'on note que nul n'a jamais vu Gilles de Rais épousseter sondonjon...

Une certaine confusion règne dans cet extrait quant à savoir si la parole est attribuableà l’avocat de Véronique Courjault ou au journaliste. On se trouve ici dans le cas del’amalgame, tel qu’il est défini par Maurice Mouillaud et Jean-François Tétu. 44 Dans lapremière partie de la proposition, on ne peut discerner la source de l’énonciation. Dans cetextrait, non seulement l’auteur ne marque pas de rupture entre son énoncé et celui qu’ilrapporte (celui de la défense), mais il interprète personnellement la parole initiale. On peutici postuler que cette dynamique produit un renforcement du discours de la défense, puisquele journaliste se fond dans l’énoncé comme s’il était le porteur de la parole initiale.

Le commentaire du journaliste sur le discours rapporté se poursuit :

44 Maurice Mouillaud, Jean François Tétu, op cit., p142

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Partie 2 : La mise en récit de la violence. Véronique Courjault : mère, monstre ou victime ?

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Mme Courjault n'est, évidemment, ni Attila ni Barbe-Bleue. Mais le présidentdonne l'impression de vouloir imposer de l'accusée un portrait détestable, sansnuance.

Il s’agit, dans cette dernière phrase, d’une mise en scène de la parole rapportée, d’uneconstruction mettant en avant la dualité discursive de Véronique Courjault. Le journalisteprend le parti de confronter directement le président du tribunal à Véronique Courjault,ramenant de fait la parole de cette dernière à un acte subi.

Dans cette perspective, on peut postuler ici que la personnalité telle qu’elle est décritepar le journaliste –au travers des citations choisies et mises en scène, mais également autravers des commentaires produits par le journaliste au sujet du dialogue –est construite detelle sorte que l’accusée se retrouve victimisée. Véronique Courjault joue, dans ce schémanarratif, le rôle de la victime du président du tribunal dont la quête est de confronter l’accuséeà sa propre parole. L’auteur de l’article sous-entend en quelque sorte que le procès adéfinitivement marqué une rupture entre la figure passée de Véronique Courjault meurtrière,et la figure présente, de Véronique Courjault, qui, une fois de plus dans cet article est décritecomme une femme démunie et faible.

Au-delà de la prise de position par les auteurs, nettement lisible en filigrane de cesdeux articles, il est intéressant de noter que l’on retrouve, dans les deux cas une oppositionentre deux figures, selon le discours rapporté entre une figure actrice –dans le sens del’acteur décrit dans le chapitre 4 –et une figure spectatrice, c’est-à-dire une figure confrontéeà sa propre parole. L’existence de cette dualité montre bien que la mise en récit de laviolence n’est pas, dans notre affaire, détachée de la volonté de caractériser (c’est-à-dire,ici, de construire un caractère, un ensemble de virtualités possibles pour un personnage)Véronique Courjault. Les dynamiques que nous venons de mettre en avant montre à quelpoint il est difficile pour les auteurs d’essentialiser la personne de Véronique Courjault. Cettedifficulté provient d’un ensemble de stéréotypes caractéristiques de la figure normative dela « mère », qui est mise à mal dans cette affaire. Nous allons à présent nous intéresserau bousculement de ces stéréotypes.

Ainsi, revenons sur les jours qui suivent ces deux précédents articles, les vendredi12 et samedi 13 Juin, durant lesquels est examinée en compte rendu la question dela préméditation. Il s’agit des derniers jours de témoignages de personnes dites « non-expertes » avant l’intervention, la semaine suivante, des « experts ». Là encore, nousallons démontrer que la distribution de la parole fait émerger un certain nombre de normesdiscursives, représentant les normes que l’on peut qualifier de « sociétales ».

4.4 La question de la maternité dans la polyphonie médiatique.La question de la maternité est centrale dans le cadrage opéré par les journaux lors duprocès. L’enjeu des chroniques judiciaires, est nous, l’avons vu, de retranscrire le réel duprocès (si l’on peut considérer le procès comme réel), c’est-à-dire de résoudre, au terme desquestionnements sur l’acte perpétré par Véronique Courjault, la problématique suivante :comment peut-on donner la mort après avoir donné la vie ? Ce questionnement est enfiligrane de toutes les dynamiques de récit que nous avons pu étudier jusqu’à présent. Ils’agit dans cette partie de s’intéresser à trois articles qui relatent tous trois de la question dela maternité. Ces trois articles ne sont pas sélectionnés de manière aléatoire : ils s’inscriventdans continuité de la temporalité du procès, au moment où est posée la question de lapréméditation. Nous allons tenter de démontrer que tout l’enjeu de la polysémie de lamaternité se retrouve dans la polyphonie des discours.

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4.4.1 La « maternité » par Jean-Louis Courjault dans Le Monde.Dans Le Monde, daté du 13 Juin 2009 intitulé Au procès de son épouse, Véronique,Jean-Louis Courjault, en mission, bat sa coulpe, un questionnement est opéré, au fil de laparole de Jean-Louis Courjault, sur la maternité de Véronique Courjault, en relation avecla paternité de son mari. On se situe ici dans un carré sémiotique constitué autour de ladichotomie maternité/paternité :

Le système de sens construit par Jean-Louis Courjault se construit autour de ce carré.Ainsi, la journaliste insiste sur la repentance de Jean-Louis Courjault sur la question dela maternité, et fait écho à la différenciation qu’opère Jean-Louis Courjault entre paternitéet maternité : M. Courjault assène aussi quelques évidences. « Les enfants, ce n'est pasnous - hommes - qui les portons ». Le verbe introducteur ici opère une synthèse entrela parole de M. Courjault et celle du journaliste. Ainsi, la paternité ne fait sens aux yeuxde Jean-Louis Courjault que si la maternité fait sens. Le carré sémiotique nous permet devisualiser différentes temporalités décrites par le journaliste au sein de la parole de Jean-Louis Courjault :

Le premier temps correspond au couple /Maternité-Paternité/ : « Des comme ça, tum'en fais autant que tu veux ». Il est le temps avant la violence, lorsque le couple forme lesparents de leurs deux enfants.

Le temps des actes de violence correspond au couple /Maternité-Non paternité / dupoint de vue de Jean-Louis Courjault :

" Ces enfants, je ne les ai jamais attendus puisque je ne savais pas qu'ils étaientlà, que je ne les ai pas vus naître, pas tenus. Je n'ai pas de lien affectif avec cesbébés. Ça n'empêche pas la douleur motivée par les actes et par cet énormegâchis. "

Le temps présent est celui, par projection que Jean-Louis Courjault tente de faire exister parla parole : il s’agit du couple sémiotique /Non-Maternité-Non-Paternité/. La parole de Jean-Louis Courjault tente d’articuler la maternité autour de l’acceptation « sociale » du mot. Lamaternité désignerait ici le fait d’être une mère, et cette existence ne se pense qu’en relationavec des enfants qui sont les siens.

La parole est donnée dans cet article à la famille, et plus particulièrement à Jean-LouisCourjault, ce qui favorise une définition de la maternité en rapport avec le lien que fait existerla maternité.

4.4.2 La « maternité » corporelle vue par Le Figaro.Dans l’article du Figaro, daté du 13 juin 2009, intitulé Procès Courjault : questions sur troisgrossesses sans témoin, il s’agit de faire parler des témoins concernant la maternité tellequ’elle peut être appréhendée visuellement. L’article annonce dès l’accroche l’aspect dela maternité qui sera développé dans le papier : Personne n’a rien vu, rien su. L’articles’appui principalement sur le témoignage d’une amie de Véronique Courjault, Sabine.Les paroles rapportées le sont au discours indirect. En termes de sémiotique, on pourraévoquer ici la dichotomie grossesse/non-grossesse, développée tout au long de l’article.Le discours indirect permet à l’auteur d’épouser le témoignage pour mêler l’énonciation del’amie de Véronique Courjault à la sienne : Sabine a vu à maintes reprises, dans le vestiairecollectif, l'accusée en sous-vêtements, mais jamais elle n'a soupçonné la moindre grossesse

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Partie 2 : La mise en récit de la violence. Véronique Courjault : mère, monstre ou victime ?

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alors que son amie était effectivement enceinte à cette période. Plus loin dans l’article, lejournaliste présent au procès se fait le témoin de la narration :

Le président fait projeter des photos (de fort médiocre qualité) prises à l'époquedes grossesses. La Véronique Courjault qui apparaît à l'écran n'a rien à voir aveccelle qui est jugée : c'est une femme très corpulente, mais dont les rondeurs netrahissent pas la silhouette caractéristique des futures mères.

Ici, ce qui est important, c’est la notion corporelle de la maternité. La parole rapportée a pourfonction, dans cet article d’affirmer que la maternité, au sens corporel et donc biologique duterme n’était pas visible. On se situe ici dans un autre registre que dans l’article du Monde.La maternité est appréhendée du point de vue de ce qu’elle représente corporellement ;on peut postuler que les stratégies d’énonciation dans cet article vont dans le sens d’unedualité de figures entre une maternité visible –celle qui fait exister la mère pour ses enfants–et une maternité invisible –celle qui est jugée au procès, l’autre « mère ». On note quecette construction faisant émerger une dualité chez Véronque Courjault est récurrente pourle journaliste du Figaro. Ainsi, l’auteur conclut par une réification de la dualité : (…) Pourproposer un décryptage du mystère Véronique Courjault, il leur faudra expliquer aux juréspourquoi cette femme ne se ressemble pas.

4.4.3 La « maternité » psychique vue par Libération.Dans le journal Libération, le 12 juin 2009, la maternité est appréhendée d’abord par laparole de Véronique Courjault. Une citation de ses aveux fait d’ailleurs l’objet du titre del’article : « Je l’ai su, je ne l’ai plus su ». Ainsi, dès le titre, le cadrage est opéré : c’est dela perception de la maternité par Véronique Courjault dont il va s’agir ici. L’auteur privilégiele discours direct, introduit par une mise en scène de la situation d’énonciation : La fluettefemme d'1,56 m dans sa sage robe à carreaux bleus et son gilet vieux rose secoue la tête :"J'ai eu comme un flash de conscience au début que j'étais enceinte et je l'ai comme oubliépar la suite." Il n’y a pas de verbe de parole pour introduire la citation ici, nous sommesainsi plongés dans le « réel » de la parole de Véronique Courjault. La mise en récit dupropos produit ici un nouveau cadrage sur la maternité, qui vise, pour l’accusée à définirla maternité par rapport à la perception d’être enceinte, d’être en capacité d’enfanter. Onopposera ici la maternité « normative », guidée par l’ « instinct maternel » au sentiment querapporte Véronique Courjault de ne pas entrer dans cette normativité : Elle rétorque : "Jeme considérais à l'époque comme un monstre et je m'exprimais comme tel."

On note ici que le journaliste termine son article par une référence à l’instinct animal dela maternité. Cette référence introduit le propos de Véronique Courjault quant à la maternité,qui, selon la définition qu’elle offre, n’existait pas : En tout cas, la fille de viticulteur, qui aétouffé trois garçons sitôt nés comme une portée de chatons, répète : "Pour moi ce n'étaitpas réellement des bébés."

Le « réel » de la maternité ici correspond à un ressenti. La maternité n’est pas évoquéau niveau corporel, pas plus qu’il n’est question de filiation.

De ce point de vue, les trois articles tentent de répondre à la question : commentVéronique Courjault a-t’elle pu donner la mort après avoir donné la vie ? A cette question,les journalistes fournissent, dans leurs discours une réponse quant en tentant de définirla maternité. Quelle que soit la façon dont est décrite la maternité, on retrouve un certainnombre de stéréotypes quant à la « norme » supposée attachée à la figure de la mère. Nousétudierons dans la troisième partie de ce mémoire plus précisément les représentations quiémanent du discours médiatique quant à la norme « maternelle » et la norme féminine

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Le traitement médiatique de l’affaire dite « des bébés congelés ». Représentations des figuresde « femme » et de « mère » à travers le discours médiatique. Véronique Courjault, monstre oumartyre ?

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Dans le prochain chapitre, après avoir tenté de démontrer dans quelles mesures lamise en récit médiatique participait à la construction symbolique de figures, c’est-à-direde représentations visant à faire émerger des normes générales concernant la maternité,la féminité, nous allons nous intéresser dans le chapitre suivant à un co-constructeur denormes : les « experts ». En effet, au cœur de la problématique de ce mémoire se trouveun questionnement visant à expliquer les raisons d’un éventuel basculement des médiasen faveur de Véronque Courjault. Une des hypothèses de notre recherche de ce point devue est que ce basculement a été largement permis par l’intervention des « experts » dansl’espace public. Il s’agira donc ici de mesurer l’impact de l’émergence des « experts » danscette affaire, en s’intéressant tout particulièrement à la parole des experts dans le procès.Ainsi, nous analyserons la portée normative, voire performative de la parole des experts–psychiatriques dans notre affaire. Après une analyse rigoureuse de la mise en scènediscursive de la parole des experts dans les trois journaux, nous interrogerons la portée deces discours, les limites de ces topiques, ainsi que les critiques qui peuvent être formuléesface à cet autoritarisme normatif.

Chapitre 5 : Paroles « d’experts ».Dans ce chapitre, nous analyserons les paroles mises en avant par la presse lors de ladernière phase du procès. Les derniers jours sont en effet consacrés aux témoignages desdits « experts ». Nous allons ici tenter de rendre compte du crédit accordé aux parolesexpertes par le discours journalistique, afin de qualifier les différents arguments d’autoritéque la presse met en avant face aux « autres » paroles précédemment étudiées.

On observe dans l’affaire plusieurs dispositifs, qu’il s’agit d’étudier selon deuxhypothèses :

La première hypothèse postule que la parole des « experts » participe à un processusd’objectivation de la topique de dénonciation45 au sein d’un genre décrit par Luc Boltanskicomme « la forme affaire ». Le genre « affaire » ainsi décrit serait caractérisé par un schémasimple dans lequel l’on retrouve une victime, et un persécuteur. Le persécuteur est alorsl’objet de dénonciations et de condamnations de la part de l’espace public. C’est lorsquel’ « indignation éclairée » intervient au sein du processus narratif que le basculement devientpossible, puisqu’elle s’oppose à « l’indignation communautaire » au sein de l’espace public :

C’est en effet en élisant comme malheureux un être –personne individuelle oucollective –préalablement accusé et, plus précisément, accusé par son propregroupe, que l’on peut manifester, de manière éclatante, le caractère parfaitementdésintéressé, libre de tout préjugé, de l’engagement. 46

La deuxième hypothèse postule que la parole des « experts » permet de construireun « effet de réel » au sein de la mise en récit, en invoquant un argument d’autorité.Ce désengagement de l’écriture journalistique pourrait produire une normalisation desreprésentations, notamment critiquée par Dominique Mehl dans son ouvrage La BonneParole47.

45 Luc Boltanski, La souffrance à distance, Métailié, Paris, 1993, p9546 Luc Boltanski, op. cit., p 9747 Dominique Mehl, La Bonne Parole Quand les psys plaident dans les médias, 2003

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Partie 2 : La mise en récit de la violence. Véronique Courjault : mère, monstre ou victime ?

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Dans cette optique, la parole de « l’expert » ou de « l’indignation éclairée » estd’autant plus objectivable par le journaliste qu’elle émane d’une personne appartenant à lacommunauté censée formée un front de dénonciation.

Nous verrons, au travers des articles rapportant les paroles d’experts dans le procèsde Véronique Courjault, que les discours rapportés en tant que « discours d’experts », quelsqu’ils soient ont pour objet d’encrer la violence dans le réel.

5.1 « L’indignation éclairée »Libération, au premier jour des témoignages des experts, publie un article intitulé SophieMarinopoulos, Dénidification. 48Cet article est intéressant car il se situe dans la lignée de ceque décrit Luc Boltanski au sujet de « l’indignation éclairée » En effet, comme nous l’avonsdécrit en introduction de ce chapitre, la mise en récit de la parole de Sophie Marinopoulos estidentifiable à une « indignation éclairée ». La psychanalyste est d’abord présentée dans sonenvironnement, c’est-à-dire qu’elle est rapportée à la dimension collective de son identité.C’est de cette dimension collective que va naître l’impartialité clamée par Libération :

On la rencontre dans un café parisien, un après-midi. On aurait tout aussi bien pula voir dans son hangar industriel réaménagé en nid familial, à Nantes, son portd'amarrage. Elle boit tranquillement un jus de citron.

Il n’y a pas de distanciation dans cet article entre la parole relevant de l’expertise et la parolerelevant du témoignage. D’emblée, l’article nous plonge au centre de l’intimité de cettepsychanalyste, qui, faisant elle-même partie du sujet « mère », peut, sans être soupçonnéede partialité, parler de ces mères, ces femmes. Ainsi que l’explique Luc Boltanski 49, ici, lapsychanalyste apporte sa crédibilité grâce à son identité de mère. L’énonciation dans cetarticle est particulièrement intéressante ; en effet, la journaliste utilise très peu de verbesintroductifs et comblent les vides entre deux citations par des commentaires qui veulentdécrire les propos de la psychanalyste. Ainsi, l’article porte la parole de la psychanalyste,comme si l’énonciation de la journaliste était effacée et que seule le contenu importait.Les guillemets viennent apporter les seuls marqueurs d’une pluralité d’énonciation. Ils’agit ici d’une citation « interprétée »50, c’est-à-dire que le déclaratif est transformé enfactitif, le propos des deux énonciateurs se confondent. Cependant, les rares marques del’énonciation journalistique viennent construire deux figures distinctes.

Ainsi, le récit oppose le « faire » de l’énonciatrice au « faire » de l’objet de l’énonciation.Dans la construction de figures du récit –dont nous avons expliqué les caractéristiques dansun précédent chapitre –il y a un détachement exacerbé entre la mère-énonciatrice et lamère-objet de l’énonciation :

On l'imagine ballottée : le jour, auprès de ces femmes chancelantes, mèrescassées, le soir, avec ses enfants désirés et adorés.

Ce qui est intéressant de ce point de vue, c’est qu’en accordant autorité à l’experte grâce auxattributions qui caractérisent l’identité de Sophie Marinopoulos, l’article se présente commeobjectif et désengagé, alors que l’on observe que la mise en récit de la parole fait émergerun discours opposant, encore une fois, la « bonne mère » (celle qui a des enfants désiréset adorés) à la « mauvaise mère ».

48 Charlotte Rotman, Sophie Marinopoulos, Dénidification, Libération, 15 Juin 2009, p 4049 Luc Boltanski, Op.cit., p9650 Maurice Mouillaud et Jean-François Tétu, Op. cit, p 146

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La parole « experte » est ici objectivée comme vraie car elle émane d’une personnequi appartient au groupe formée par les mères. Cette parole est exposée comme une« indignation éclairée » puisqu’elle est à contre-courant de ce que l’opinion publique estsupposée dire de l’événement. Enfin, les procédés énonciatifs de l’article, qui mêlent laparole de l’experte à son « faire », tendent à construire et normaliser une dichotomie entrela bonne mère et la mauvaise mère. Cet article montre en quoi les paroles expertes peuventêtre objectivées et érigées en « bonne parole ».

5.2 La Bonne parole, celle de l’expert ?Dans son ouvrage intitulé La Bonne Parole, Dominique Mehl analyse les dynamiques del’intervention des experts en psychanalyse et en psychiatrie dans les médias depuis quecette parole a été mise en avant. Il date cet avènement en analysant la première émission deFrançoise Dolto en 1976, « Lorsque l’enfant paraît » diffusée sur France Inter. La dynamiquequ’il expose tente de montrer que les psychanalystes, en entrant dans la sphère publique –alors qu’ils étaient jusque là contenus à la sphère on ne peut plus privée de la psychanalyse,c’est-à-dire à la relation patient-psy –ont peu à peu extrapolé leurs compétences pour fournirdes visions globales sur la famille, les mœurs, et l’espace privé en général.51

L’expérience individuelle décryptée par les psys est habilitée à nourrir la réflexionde la société sur elle-même. Les leçons tirées de l’exploration de cas particuliersacquièrent une légitimité pour le corps social dans son ensemble. La grille delecture psy se transpose sur le terrain collectif, s’appliquant désormais à tous lessujets concernant l’évolution des mœurs, de la famille, de la vie quotidienne.

Ainsi, on pourra retrouver de telles dynamiques dans les discours d’experts, qui, tout enémettant un « diagnostique» sur un cas particulier, érigent comme objectivables un certainsnombres de visions normatives sur la société. Nous analyserons sous cet angle les articlesdu Figaro, de Libération et du Monde, daté des 15 et 16 Juin 2009.

On note tout d’abord la mise en valeur de la parole experte dans quasiment tous lestitres. On pourrait opposer à cette première remarque que la parole experte, est elle-mêmed’abord mise en avant par l’appareil judiciaire, et que donc les médias ne sont que lesrapporteurs de la place qu’accorde la justice à ces paroles expertes. Ce qui est intéressantde noter ici, c’est que l’expert, qui est donc l’énonciateur principal durant ces deux jours, sesubstitue à la parole du journaliste. Il s’agit de l’argument d’autorité :

Le locuteur L0 [le journaliste] dit qu’un énonciateur L1 a dit que P, et en conclutque P. (…) Pour cela, il faut un fondement : c’est que L1, en raison de sacompétence, ne peut pas s’être trompé en disant P. 52

En effet, dans l’article du Figaro comme dans celui de Libération datés du 16 Juin, l’accrochedes articles consiste à exprimer le fondement de la parole de l’expert :

Le psychiatre Michel Dubec n'a pas examiné Véronique Courjault mais,cité comme témoin par l'accusation, c'est lui qui a donné les clés hier pourcomprendre son triple infanticide. (Libération) Le psychiatre Michel Dubec aécrit un livre partiellement consacré aux mères infanticides en 1992, bien avantle procès de Véronique Courjault qu'il n'a ni rencontrée ni expertisée. Il a été

51 Dominique Mehl, op. cit p 6552 Maurice Mouillaud et Jean-François Tétu, Op. cit, p 180

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Partie 2 : La mise en récit de la violence. Véronique Courjault : mère, monstre ou victime ?

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cité comme témoin, aux assises de l'Indre-et-Loire, non par la défense mais parl'accusation. Que faut-il de plus pour lui délivrer un brevet d'impartialité ? (LeFigaro)

On précise dans ces articles que l’énonciateur n’intervient pas en sa qualité de psychiatremais en sa qualité d’ « expert », c’est-à-dire que son titre de « psychiatre » lui permetd’intervenir au sein du procès. Les deux journaux précisent ici que le « faire » du psychiatren’émane que de sa capacité à dire un diagnostique général puisqu’il n’a pas « expertisé »Véronique Courjault. On observe déjà-là une des limites de la parole experte, qui ne visepas à décrire l’acte de violence en tant que telle, mais à décrire un ensemble de dynamiquesde relations interpersonnelles existant dans la société .Or, les deux auteurs exposent lesfondements de la vérité de la parole ; Le Figaro décrit à cet égard l’ « impartialité » de l’expert,de manière à objectiver sa parole qui sera exposée comme argument d’autorité. En effet,on note que dans les deux articles, les verbes introducteurs de l’énonciation sont construitsde façon à effacer la parole journalistique – « Michel Dubec explique », « décrit », etc.

Les journalistes s’intéressent particulièrement au discours général de ces violences.Tout au long de l’exposé entrepris par le psychiatre, le cas de Véronique Courjault estprésenté dans un ensemble plus large. Cet ensemble est désigné par des groupes indéfinis :leur génitrice, la mère infanticide [article qui définit une vérité générale], la femme, lesfemmes, elles. C’est par le renvoi à une dimension collective de la violence que la parolerapportée produit un effet de « réel ». Ainsi, cet « effet de réel », est censé inclure la violencejugée dans un ensemble plus large, il crée pour ainsi dire un sujet collectif autour de ladiversité des cas d’infanticides. Ce qui est intéressant, de ce point de vue, ce n’est pastant le résultat de la construction du sujet « mère infanticide », mais plutôt ce sujet décrità maintes reprises comme s’opposant à un autre sujet collectif, « la mère ». Or, commel’explique Dominique Mehl, cette parole est à rapprocher à une parole normative puisqu’ellene s’appuie pas sur une observation, sur une analyse individuelle ; ainsi que Dominique Mehll’explique dans le cas du pédopsychiatre Marcel Rufo, l’intervention d’experts en psychiatrieet psychanalyse dans les médias réitère en quelque sorte des visions individuelles surles mœurs, la famille, etc. Ainsi, à la mère dont l’instinct fait émerger un désir d’enfant,est opposée la mère qui ne projette aucun fantasme sur son foetus, ne dit même pas :« J'attends un enfant. »53

On notera ici que les sanctions à l’intention du lecteur vont dans le sens des parolesexpertes énoncées ce jour-là :

Qui a raison ? Question subsidiaire : comment rendre justice aux bébés morts,sans accabler plus encore deux garçons, bien vivants, attendant le retour d'unemère qui les a toujours adorés ? ( Le Figaro, 16 Juin 2009)

L’engagement du journaliste dans la parole experte est dans Libération encore plus saillantepuisque l’article se termine sur une citation de l’expert : "Je ne peux conclure à lapréméditation car ça vient comme ça vient."

Il ne s’agit pas dans cette analyse d’émettre un jugement quant à la véracité de la paroleexperte, pas plus qu’il n’est question de remettre en cause les compétences des personnescitées. Nous observons simplement que le fait d’invoquer la parole de l’expert sous formed’argument d’autorité permet à cette parole d’être objectivée et reconnue par les auteursdes articles comme vraie. Ainsi que le précisent Mouillaud et Tétu :

53 Le Figaro, 16 Juin 2009

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La clé de ce raisonnement est le crédit qu’on accorde à L1 [ici, l’expert], qu’on a tôt faitd’appeler dogmatisme quand on ne le partage pas, et vérité quand on le partage.

Dans les deux articles datés du 16 Juin 2009, la parole experte est considérée commefaisant autorité. D’où la confusion exprimée par les journalistes, lorsqu’au lendemain de cesparoles, d’autres paroles expertes viennent contredire les conclusions émises la veille. Lesjournalistes, qui accordent crédit à la parole experte comme argument d’autorité ne peuventcacher leur incompréhension, puisque la parole supposée objectivable, et rationnelle, c’est-à-dire fondée comme intelligible par tout être doué de raison, va être remise en cause.

5.3 Bataille de termes autour du déniProcès Courjault : la confusion règne parmi les experts (Le Figaro, 17 Juin 2009)

Dans cet article du Figaro, l’auteur est confronté aux contradictions des parolesexpertes, et de ce fait, la présence de son énonciation propre réapparait :

Lundi, trois spécialistes ont donné l'impression très nette que l'hypothèsedu déni tenait la route. (…)Les deux premiers [experts] n'ont pas rencontrél'intéressée : on la reconnaissait cependant à travers les propos généraux qu'ilstenaient sur la pathologie qui nous intéresse.

On a ici la marque évidente de l’énonciateur –le journaliste –se détachant, contrairementà la veille, de la parole citée.

Il est intéressant ici de noter qu’à partir du moment où la parole « experte » n’estplus normative, c’est-à-dire considérée comme la seule vérité potentielle, les auteurs vontse distancier de l’énonciation. Les journalistes devraient logiquement rentrer de nouveaudans une logique de médiation, dans la mesure où le discours médiatique expose des aviscontradictoires. Or la contradiction qui est retranscrite au second jour des témoignages desexperts, plutôt que de faire émerger un discours nuancé sur la personnalité de VéroniqueCourjault, pose problème aux médias, qui expriment leur confusion à maintes reprises :

La question du déni de grossesse divise les experts (Le Monde, 17 Juin 2009)L'accusation a exprimé hier son désarroi devant les conclusions contradictoiresdes spécialistes, dont une partie défend la thèse du déni de grossessealors que l'autre la conteste formellement.(…) La cour d'assises d'Indre-et-Loire est le théâtre d'une sorte de farce comme seuls savent en jouer les« sachants »(…)L'importance des expertises psychiatriques est, dans ce dossier,capitale. Si les médecins chicanent sur un mot ou un concept et que les assisess'y perdent, un doute, forcément, va naître dans l'esprit des jurés..( Le Figaro, 17juin 2009)

Dans ces exemples, le discours médiatique se dédouane en quelque sorte de saresponsabilité de médiateur. En effet, parce que le discours supposée scientifique n’est pasmonophonique, les rédactions semblent ne pas être en mesure de re-présenter au lecteurle « réel ». De ce fait, plutôt que de tenter de comprendre la violence en présentant lesdifférentes dynamiques exposées par les « experts » pour tenter de qualifier la personnalitéde Véronique Courjault, les médias, relayant la bataille des experts au procès, se livrent àun débat autour de la notion de « déni de grossesse ».

Ce débat est intéressant, puisqu’il permet de donner à voir une des représentations dela personnalité de Véronique Courjault : tout se passe en effet, comme si la différence entrele « clivage » et le « déni » déterminait la dicibilité et l’intelligibilité de l’acte. Ainsi, l’expertise,

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Partie 2 : La mise en récit de la violence. Véronique Courjault : mère, monstre ou victime ?

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est utilisée par les médias comme un moyen de déterminer si Véronique Courjault peutentrer dans une norme prédéfinie ; dans le cas du «déni », elle aurait totalement occultésa grossesse donc il n’y aurait pas de préméditation. Or, en poussant le commentaire plusloin, si la préméditation n’était pas retenue, Véronique Courjault pourrait être représentéeselon la représentation d’une « mère » dont les actes ont « dérapé ». En revanche, pour le« clivage », il y a un « faire » de la part de Véronique Courjault qui occulte volontairementses grossesses.

Que la sanction des journalistes soit explicite ou non, un très grand enjeu pèse surla parole de l’ « expert ». Les experts, nous l’avons vu, sont ceux qui portent la « bonneparole », puisque ce sont d’eux qu’émanent l’inscription ou non de la violence au sein de lasociété. Ce sont eux qui décrètent la responsabilité de la violence. Ainsi, on peut dresser unparallèle intéressant lorsque l’on analyse ce corpus. Les représentations produites par lesexperts sont de natures à réitérer un certains nombres de stéréotypes comme le souligneMehl, analysant le discours d’un pédopsychiatre médiatique, Marcel Rufo :

A la mère la fonction de nourricière, d’éducation et de protection du petit.Au père le soin d’opérer la sortie de l’enfant du giron martenel, de l’initierà la socialisation, de lui faire entendre la loi commune. Cette bipartisationstéréotypée entre mère fusionnelle et père séparateur et législateur ne fait plusl’unanimité dans le milieu, mais demeure néanmoins un dogme intouchablepour beaucoup de psys qui s’expriment à l’heure actuelle en direction du grandpublic alors même que, dans la pratique, l’image de la femme au foyer paraîttout à fait désuète, que le partage des tâches et des missions semble de plusen plus incertain et variable, que les enfants font, de plus en plus tôt, leursapprentissages sociaux hors du cercle familial. 54

Au cours de cette analyse, nous avons pu voir que la parole des « experts » représenteun enjeu primordial dans la caractérisation de la violence et des ses acteurs. Or, cettecaractérisation, censée encrer la violence au sein de la société, peine à faire émerger unevision nuancée de la personnalité de Véronique Courjault, puisque l’expertise telle qu’elleest retranscrite dans les médias construit une dichotomie bonne mère/mauvaise mère. Cettedichotomie, d’une part participe à la réification –c’est-à-dire l’objectivation d’une expériencesingulière –de stéréotypes concernant les normes de genre, et d’autre part exemplifie ladifficulté de mettre en récit la violence en question : Véronique Courjault peut-elle être une« bonne mère » –selon les normes exposées par les experts –et avoir commis un tel acte ?

La dernière partie de ce mémoire s’attachera donc à décrire et analyser lesreprésentations produites par le discours médiatiques. Il s’agira en particulier de s’intéresserà la façon dont les médias reproduisent et légitiment des systèmes de dominations, à traversla construction de stéréotypes concernant la « féminité », ou la « maternité ».

54 Dominique Mehl, op. cit, p 64

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Partie 3 : Les symboliques dedominations construites par le discoursmédiatique : une image figée de lafemme ?

Il a paru, au cours de cette étude, important d’accorder une place importante à une analysedes discours construits par la production médiatique. Dans le cadre de cette partie, le butde l’analyse sera de se focaliser sur une approche en termes de genre. En effet, l’étudede discours grâces aux outils offerts par les théories féministes55 semble pertinent dans lecadre de notre recherche, puisqu’il permet de faire émerger les relations de pouvoir émanantdes productions discursives sous un angle particulier. Ainsi que le définit Joan Scott,

« Le genre trouve sa définition dans la signification qu’il donne aux relationsde pouvoir. L’attention portée au genre est souvent peu explicite, mais il estcependant crucial pour tenter d’expliquer les systèmes d’égalités et d’inégalités.Les relations hiérarchiques reposent sur une appréhension objectivée de la soi-disant relation biologique entre hommes et femmes »56

Ainsi, l’approche par les études sur le genre permet de rendre compte des systèmesde pouvoirs contenus dans le discours, et plus largement, permet de rendre compte desdominations symboliques objectivés par les médias. Dans cette partie, notre approcheexclue volontairement d’autres types d’analyses pour se focaliser sur le caractère « genré »des discours journalistiques.

Chapitre 6 : Une violence « féminine » ?Après avoir analysé et identifié les différentes stratégies discursives mises en place parla presse, nous avons pu relever qu’il y a une mise en récit spécifique de la violence enquestion. Nous allons ici analyser dans quelles mesures cette spécificité est liée à l’auteurede la violence pour tenter de comprendre si les dynamiques de récit sont ancrées dansune logique de genre. Ainsi, nous répondrons dans ce chapitre à un des questionnementsde ce mémoire : Existe-t-il un traitement différentiel des femmes parce que la violence estperçue dans nos sociétés comme un trait « masculin » ? Puis, dans un second temps, nousanalyserons cette production discursive à l’aide des critiques féministes, pour envisager

55 On appelle ici « théories féministes » l’ensemble des travaux universitaires qui se réclament comme tels, ou, plus globalement,l’ensemble des productions intellectuelles liées aux questions de genre, c’est-à-dire qui tentent de produire une analyse critique dela construction culturelle du genre, quel que soit le champ de recherche.56 Joan Scott, The American Historical Review, Vol. 91, No. 5,1986, p 1072 [en ligne] http://links.jstor.org/sici?

sici=0002-8762%28198612%2991%3A5%3C1053%3AGAUCOH%3E2.0.CO%3B2-Z

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Partie 3 : Les symboliques de dominations construites par le discours médiatique : une imagefigée de la femme ?

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dans quelles mesures le discours médiatique est producteur –ou re-producteur –de normessociétales perçues comme inébranlables mais néanmoins contestables.

6.1. Discours « chevaleresque » ou discours de condamnation ?On opérera ici une analogie par rapport à certains travaux effectués sur la justice pénaleet son traitement différentiel envers les femmes. Dans un article sur la criminalité féminine,Colette Parent décrit la manière dont est perçue la violence par le système judiciaire :

Il semblerait, au regard de diverses études en la matière, que la femme bénéficied’un traitement particulier au sein du système judiciaire. Que l’on qualifiecette attitude de paternelle ou de chevaleresque, les femmes profiteraient decondamnations plus clémentes que les hommes, pour autant toutefois que lescrimes commis soient en accord avec une image stéréotypée de la délinquante.57

Dans un autre article, Colette Parent brosse dès 1984 un aperçu des représentationsmasculines au sein de la justice pénale, conduisant dans la majorité des cas à un traitementdifférent selon les genres. 58Il s’agit ici de comprendre les ressorts symboliques de lasanction –qu’elle soit directement imposée par le juge lors d’un procès ou qu’il s’agissed’une sanction discursive opérée par les médias –imposée à une violence perpétrée parune femme.

On peut formuler deux hypothèses quant à la différenciation du discours sur la violenceselon les genres.

Soit la différenciation est favorable aux femmes, et l’on parlera dans ce cas de« traitement paternaliste »59. Ce traitement différencié serait caractérisé par une visionsexiste de nos sociétés, selon laquelle, parce que les femmes occupent des positions defaiblesse, une certaine condescendance est attendue de la part des personnes qui rendentjustice.

L’autre hypothèse est que la différenciation de jugement –ou de sanction –se fasseaux dépends des femmes. Dans cette hypothèse, l’androcentrisme véhiculé dans tous leschamps sociétaux rendrait la violence féminine « contre-nature », provoquant de la part desautorités d’où émane la sanction une tolérance moindre envers les femmes.

Nous allons donc, de ce point de vue, étudier les représentations produites par la presseau regard de ces deux hypothèses, afin de déterminer si les sanctions introduites par lediscours journalistique sont de nature plus « paternalistes » ou, au contraire exagérémentsévère envers une violence « contre-nature ».

Dans le corpus étudié, les deux types de représentations ont pu être observés. En effet,selon que l’on situe à une période ou une autre de l’affaire, le discours médiatique produitune représentation stéréotypée de Véronique Courjault. Au début de l’affaire, le registre estplutôt celui de la condamnation ; le discours est prudent, et Jean-Louis Courjault n’étant pasencore disculpé, les médias n’ont pas encore la tâche de narrer la violence. A partir desaveux de Véronique Courjault va se développer d’une part un discours de condamnation(Les aveux effarants d’une mère infanticide) et d’autre part une attitude chevaleresque de la

57 Lévy Vanessa, « Femmes et délinquance : la situation aux États-Unis ».in Déviance et société. 2000 - Vol. 24 - N°1.p 7058 Parent Colette, « La protection chevaleresque ou les représentations masculines du traitement des femmes dans la justice pénale. »in Déviance et société. 1986 - Vol. 10 - N°2. pp. 147-175.

59 Parent Colette, Op. cit, p 150

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part des médias, qui vont tenter de donner une explication à un phénomène contre-nature.(Ces mères qui n’ont pas conscience de tuer leurs bébés60) Quelque soit le parti pris dudiscours, on a affaire à une réification, c’est-à-dire un processus par lequel on considère« la réalité humaine comme une réalité naturelle et la perte du sens ou de l’historicité »61

La réification est également définie par Cheryl Harris concernant la propriété. Dans sonanalyse intitulée « Whiteness as property » elle définie la propriété comme une « establishedexpectation », c’est-à-dire une expérience objectivée, rationnalisée. Cheryl Harris proposeici un exemple de réification : les colons ont pu légalement rationnaliser et légaliserl’appropriation des terres aux Etats-Unis, et établir la propriété comme un droit naturel. Dansnotre cas, la réification fait passer pour « naturelle » les caractéristiques attribuées auxfemmes, à la féminité en générale. La violence étant « par nature » masculine, l’image d’uneviolence féminine sera considérée comme « contre-nature ». Or, cette naturalisation du sujet« femme » est l’objet de nombreuses critiques émanant des recherches féministes ou des« gender studies ». Il s’agit donc d’en étudier quelques caractéristiques afin de comprendrecomment se fonde, dans le discours politique au sens large une ontologie du féminin.

6.2 Vers une critique de la norme de genre. Judith Butler et ladéconstruction du genre.

Dans cette section, nous allons, au regard des théories féministes telles qu’elles ont étédéveloppées, aborder la question de la violence « féminine » et plus largement, de ce quede telles constructions impliquent dans les symboliques de genre. Ainsi, nous étudieronsles effets que peuvent produire le discours –ici journalistique –sur les représentationsdes femmes, et comment celle-ci légitiment une différenciation des genres, et de ce fait,rationnalisent les dominations symboliques.

De nombreuses théories féministes ont en effet contribué à faire émerger desquestionnements sur les représentations des femmes dans les médias. Nous avons choisiici de nous attarder sur une critique radicale des normes sur la féminité, sur les femmeset sur les genres. Cette critique s’appuie principalement sur les travaux de la philosopheaméricaine Judith Butler, et va nous permettre de remettre en question les normes sexuéesou genrées qui émanent des discours de presse que nous avons analysés.

Dans nombre de ses travaux, Judith Butler énonce le concept de performativité dugenre. Cette performativité peut être vue comme la façon dont un corps réitère de manièreinfinie les stigmates qui sont associés à son genre. Dans le cas de notre affaire, il sembleintéressant de s’intéresser à la mise en récit des différents actes que constituent ce quenous avons circonscrit autour de l’ « affaire » Véronique Courjault.

Nous distinguons plusieurs phases dans le récit que nous découperons en trois temps.Le premier temps correspond à la découverte des faits par la presse. Nous avons pu voirdans la première partie que la construction des faits en événements relevait de dynamiquesparticulières qui visaient à créer un espace symbolique du type « Affaire des bébéscongelés ». Ce référentiel pourrait dès lors s’appliquer tout au long de l’affaire et faire entrerle lecteur dans un récit du type « feuilleton ». Il n’y a pas à proprement parler dans ce premiertemps de production discursive de figures attachée à décrire la femme ou la mère.

60 Titre du Figaro le 17 Novembre 200661 Paris Robert. « La fausse conscience est-elle un concept opératoire ? ». In Annales. Économies, Sociétés, Civilisations.18e

année, N. 3, 1963. p 557

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En revanche, le second temps de l’affaire est extrêmement intéressant à analyser dece point de vue. Nous avons pu voir de quelles manières, lors des aveux de VéroniqueCourjault, la construction de sens se faisait en attribuant plusieurs actants, plusieurscaractères à une même personne, Véronique Courjault (voir Chapitre 4). Nous avons vuque cette violence peine à être décrite, puisque par son caractère « féminin », elle sembleindicible. Or l’indicibilité de cette violence réside précisément dans le fait que la violence,est perçue comme relevant de performance masculine. Ainsi, selon la femme que l’on tentede décrire, les performances qui lui sont attribuées ne sont pas les mêmes, ainsi que le l’onpeut le voir dans cette phrase du Figaro :

Comment, dès lors, imaginer que Véronique Courjault a pu secrètement donnernaissance à deux bébés pour les tuer aussitôt sans que son mari sans aperçoive ?

Cette phrase, prélevée d’un article du Figaro au moment des aveux de VéroniqueCourjault, est particulièrement intéressante. Rappelons ici que le but n’est pas tant dedéceler une quelconque intentionnalité de l’auteur dans la production de représentationsque d’analyser dans quelles conditions les discours reproduisent des normes et lesréitèrent. Ainsi, dans cette citation, l’auteur associe plusieurs performances à la personne deVéronique Courjault. Dans la première partie de la phrase, on trouve des performances quiconstituent son état de mère ; ces performances ‘virtuelles’ deviennent ‘actuelles’ lorsqueVéronique Courjault accomplie l’acte correspondant à son appellation de « mère » : elledonne naissance. Dans la seconde partie de la phrase, V.C accomplit les performances quilui sont attribuée comme « auteure de violence » : pour les tuer. La question ainsi poséeexemplifie parfaitement la difficulté à faire correspondre ces performances à une mêmepersonne. Parce que la norme établie Véronique Courjault en tant que mère et en tantque femme, il est difficile d’imaginer –c’est-à-dire ici de se représenter – que ses actessoient en contradiction avec ce que les représentations établissent comme les performancesinséparables du sujet femme ou mère.

L’on pourrait opposer à cette analyse une critique visant à dire que ce n’est pas lediscours qui fait de Véronique Courjault une mère mais bien un ensemble de déterminationsdites « naturelles » qui l’ont conduit à faire exister cet identité de mère –ainsi, le faitd’accoucher résulte d’un ensemble d’actes ou de non-actes : le fait qu’elle ait eu des rapportssexuels, qu’elle n’ait pas utilisé de méthodes contraceptives, qu’elle n’ait pas eu recoursà l’avortement, etc… Nous postulons ici que les caractéristiques mises en avant par lediscours médiatique pour décrire le statut de mère de Véronique Courjault ne sont pasle fruit d’un rapport au réel, mais plutôt une objectivation d’une conception normative dela maternité. Judith Butler, pour tenter de déconstruire le caractère prédiscursif du sexeexplique :

Prenons l’exemple de la fécondation. Quelqu’un pourrait dire : n’est-il pas vraique certains corps vont chez le gynécologue, alors que ce n’est pas le casd’autres corps ? Je ne peux qu’être d’accord. Mais la vraie question me sembleêtre celle-ci : dans quelle mesure un corps est-il défini par sa capacité à êtrefécondé ? Pourquoi le corps est-il défini par cette capacité ? Il est possible dedire que c’est parce qu’une personne est d’un sexe donné qu’elle se rend chezle gynécologue pour effectuer un test de grossesse ; il est possible de dire aussique c’est le fait même de se rendre chez le gynécologue qui produit le « sexe »-dans les deux cas, toute pratique institutionnelle tourne autour de la questionde la grossesse. 62 Ainsi, se pose ici la question de la construction de l’identité :62 Judith Butler, Humain, inhumain, Amsterdam, Paris 2005, p 18

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est-ce le corps qui construit une identité ? Ou l’identité est-elle le résultat deperformances que nous accomplissons en fonction des normes qui pèsent surnous ? On distingue ici une des problématiques majeures des travaux de JudithButler : la question des genres, et des performances attribuées aux genres. Onconvient ici que la dichotomie sexe/genre dans la littérature féministe vise àdistinguer un sexe dit « biologique » ou prédiscursif (c’est-à-dire qu’il existe endehors de toute norme sociétale, notion contestée par Judith Butler) ou encoreontologique, du « genre », qui lui, s’inscrit dans les productions sociales et dansle discours au sens foucaldien. Cette dichotomie est parfaitement exemplifiéepar l’adage de Simone de Beauvoir, « On ne naît pas femme, on le devient ». Legenre est alors le produit des déterminations sociales qui construisent un sujet etl’établisse comme « homme » ou « femme ».

Ce qui nous intéresse dans l’exemple proposé plus haut, c’est la façon dont on peutrenverser un discours sur les supposées attributions accordées par la société aux différentsgenres. Ainsi, on peut postuler ici que l’indicibilité de l’acte de violence tel que nous l’avonsdécrit n’est pas liée aux caractéristiques intrinsèques de ce que le sujet « femme » est censérecouvrir en terme de performances. L’indicibilité de l’acte est ici liée à ce que le discoursandrocentrique produit comme représentation féminine et établit comme norme en termesde violence. Le temps des aveux de Véronique Courjault est un temps d’incompréhensionpour les journalistes, puisque ceux-ci n’arrivent pas à concilier les performances associéeshabituellement au genre « féminin » et cet acte de violence, commis par une femme. Lesaveux de Véronique Courjault et la mise en scène de sa parole telle que nous avons pul’étudier participe à ce que Judith Butler appelle la performativité du genre. Nous allonsvoir que dans le troisième temps, celui du procès, les journalistes tentent de résoudrecette tension entre performances supposées attribuables à Véronique Courjault, femme etmère, et les performances attribuées à Véronique Courjault en tant qu’auteure de violence.Cette réconciliation ne se fera qu’au terme d’un processus de parole faisant intervenir laculpabilité, à défaut de faire émerger une responsabilité.

6.3 Culpabilité vs responsabilité.Le troisième temps est celui du procès ; c’est également le temps au cours duquel lediscours médiatique tente de comprendre comment réconcilier au sein d’un même sujetdes catégories différentes. Ainsi, on retrouve cette problématique dès les premiers comptesrendus du procès :

Pour ses gestes d'une effroyable violence archaïque, que le Code pénal qualifie d'« assassinats » , pour avoir brisé un tabou absolu en supprimant, par trois fois, le fruit deses entrailles, elle encourt la réclusion criminelle à perpétuité.63

Dans cet extrait, l’auteur de l’article nous rappelle l’enjeu du procès comme le lieud’une possible réconciliation entre les performances d’une seule personne. Il est, dès lorsintéressant d’analyser le récit du procès d’un point de vue critique en suivant les travauxde Judith Butler. Dans son livre Gender Trouble, Judith Butler décrit, dans une perspectivefoucaldienne dans quelles mesures le genre est moins l’expression d’une réalité ontologiquequ’une constante performance sociale basée sur ce que l’homme et la femme doivent être.Le genre ainsi construit devient rationalisé grâce à une répétition constante et continue

63 Le Figaro 10 juin 2009

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d’actes supposées attribuées aux performances « mâles » ou « femelles ».64 Dès lors,dès qu’un acte est considéré comme étant attribuable à une performance « masculine »,il devient difficile pour le sujet considéré d’affirmer son existence en tant qu’être dotéd’un autre genre puisque les performances qui lui sont attribuées ne correspondent pasà son genre défini au départ. Ainsi, on observe dans le discours durant le procès cetype de configurations, puisqu’en effet, les paroles rapportées par la défense tendent àvouloir prouver que Véronique Courjault, malgré les actes de violence qu’elle a perpétré,appartient toujours à la catégorie « femme » et à la catégorie « mère ». Ce procédétend à essentialiser la catégorie « femme » et la catégorie « mère ». L’épilogue de lanarration arrive finalement lorsque Véronique Courjault, après les expertises psychiatriques,déclare avoir « tué [ses] enfants ». Cet acte de parole permet de résoudre la dialectique quiopposait performances féminines (de femme et de mère) et performances violentes, puisqueVéronique Courjault, en se présentant comme coupable, affirme qu’elle a rompu avec lesperformances constitutives de son identité de mère (qui « donne la vie ») en donnant la mortà ses enfants. La parole de Véronique Courjault peut être considérée comme un proposmettant en avant sa culpabilité : elle se reconnaît coupable, en tant que sujet, de n’avoir pasrespecté sa « nature ». En revanche, la question de responsabilité est plus problématique.En effet, l’identité de « mère » étant construite par le discours comme « naturellement »porteuse de vie, la mise à mort ne correspond pas aux attributions de mère. Ainsi, la questionde la responsabilité est liée à la définition du sujet, comme on peut l’observer dans ce proposde l’avocat général : « Ne diabolisez pas Véronique Courjault, mais n'en faites pas uneicône non plus »65

Ainsi, la définition de Véronique Courjault par son sexe, son genre, fait émergerune vision différente de la violence ; l’avocat général prend compte de l’« atténuation desa responsabilité »66 pour requérir la sanction. C’est également sur cette question deresponsabilité que va jouer la défense, mais aussi sur la question de la maternité.

Ainsi, il semble que le discours médiatique reproduise les stéréotypes concernantla « féminité » et les « femmes » vis-à-vis de la violence. Quelle que soit les discoursmédiatiques étudiés, il y a, à travers la production de récit la reproduction d’une certaineimage de la femme. Dans un contexte de violence perpétrée par une femme, les médiassont condamnés à réitérer l’essentialisation du sujet « femme ». de la même manière, lesdiscours produits par la presse tendent à institutionnaliser une certaine conception de lamaternité.

Chapitre 7. La maternité institutionnalisée.Après avoir tenté de montrer comment le discours médiatique construisait un dispositif deréitération des normes de genre et de sexe, il s’agit ici de s’attarder plus en détail sur lesreprésentations de la maternité que font émerger les productions journalistique au coursde l’affaire Véronique Courjault. Nous allons ainsi tenter de montrer comment, en tentantde comprendre la violence qu’ils décrivent, les médias produisent une représentation de lamaternité normative, dans laquelle on oppose la « bonne mère » à la « mauvaise mère ».

64 Judith Butler, Gender Trouble, p 183-19365 Le Monde, 17 juin 200966 Le Figaro, 18 Juin 2009

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Or, la figure de la « bonne mère » est empreinte dans notre cas d’un certain nombre destéréotypes que l’on entend décrypter ici, puisqu’ils peuvent d’une certaine manière réifier–c’est-à-dire objectiver une expérience de manière à établir un concept rationnel –desnormes sexistes au sein de la société.

Nous étudierons dans cette analyse la façon dont est opposée la bonne maternité à lamauvaise maternité dans le cas de Véronique Courjault, grâce aux travaux de la féministeAdrienne Rich, qui donnent à voir une représentation déconstruite de la maternité.67

7.1 La maternité « naturelle »Dans son ouvrage, Naître d’une femme, Adrienne Rich expose les traits de ce qu’elleappelle la maternité « institutionnelle » qu’elle oppose à la maternité singulière, telle qu’ellepeut être ressentie –ou non –par les femmes.68 Cette institution de la maternité, selonAdrienne Rich, ne correspond pas à « l’acte de porter et d’élever des enfants ». Cetteinstitution est une construction discursive patriarcale qui vise à normaliser les relationsinterindividuelles comme l’institution hétérosexuelle –Judith Butler parle à ce propos de« matrice hétérosexuelle » -ou encore le mariage. L’auteure nous invite, dans son ouvrage àrepenser la norme de la maternité en tentant d’identifier les stigmates associés à la « bonnemère ».

Au cours du procès de Véronique Courjault, l’accusation a eu loisir de tenter dedémontrer dans quelles mesures cette femme était une « mauvaise mère » :

Mais le président note qu'alors que l'aîné était scolarisé à la maternelle, cettefemme sans emploi avait recours épisodiquement à une assistante maternellepour garder le cadet. Là encore, il insiste, laissant entendre qu'elle cherchait,en réalité, à s'en débarrasser le plus possible. Véronique Courjault ne se laissepas faire : « J'aime bien le calme, mais je me suis toujours occupée de mesenfants » , déclare-t-elle d'une voix assurée. (Figaro 10 juin 2009)

La maternité, ici est exprimée comme relevant d’une obligation morale pour une femmesans activité professionnelle –c’est-à-dire dans l’espace public –d’entreprendre une activitédomestique, au sein de l’espace privé. Le statut de la mère est ici un héritage de cequ’Adrienne Rich appelle la maternité « institutionnelle » ; les stéréotypes de la « mèreau foyer » sont ici bien véhiculés : une femme qui ne s’occupe pas de ses enfants alorsqu’elle est « sans emploi » -on n’omettra pas de signaler ici le caractère restrictif du terme« emploi » qui ne prend pas en compte le travail domestique dans l’espace privé –est unemauvaise mère. Par la réponse telle qu’elle est reformulée par le journaliste, VéroniqueCourjault essaye de prouver son appartenance à la catégorie des « bonnes mères ». Dece fait, elle conforte l’autorité judiciaire dans sa vision de la bonne maternité. De la mêmemanière, dans Libération, on retrouve les traits de cette dynamique :

Les yeux rougis de larmes, l'accusée peine à raconter les six premiers moisde cris de Jules couvert d'eczéma : "J'étais incapable de le soulager, il pleuraitbeaucoup." Pour le second, qui arrive dix-huit mois plus tard, elle prend uneassistante maternelle, même lorsqu'elle ne travaille pas comme analysteprogrammeur. "Comme Jules avait eu du mal à se séparer de moi pour aller à

67 Adrienne Rich, Naître d’une femme, Denoël, 1980.68 Ibid, p 38

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l'école, je ne voulais que ça se reproduise avec Nicolas", s'excuse la mère : "Jen'étais pas sûre d'être à la hauteur." (Libération, 10 juin 2009)

Les deux journaux rapportent ici le même témoignage. Dans les deux cas, la manière dedécrire la relation maternelle qu’entretient Véronique Courjault avec ses enfants permetaux auteurs des articles d’exercer indirectement une sanction sur la mère. On peut mêmepousser le raisonnement en émettant l’hypothèse que si les deux journaux ont décidé derapporter précisément ce passage du témoignage, c’est qu’ils estiment qu’ils sont utiles àla construction symbolique du profil de Véronique Courjault. Ce choix, qu’il ne s’agit pasici de dénoncer, est cependant révélateur des normes qui pèsent sur les journalistes dansl’écriture : une mère qui faillit à ses devoirs devient une personne susceptible de perpétrerune violence. Ainsi que le décrit Adrienne Rich : L’authentique caractère de la mère, sonstatut de femme, se trouveront mis en question, si elle a « failli » à l’égard de ses enfants.69

Si l’on poursuit cette analyse, on s’aperçoit que la mise en récit de la violence perpétréepar Véronique Courjault poursuit un raisonnement logique qui suit et réitère les normessociétales sur la maternité : une mère qui faillit à ses obligations ne correspond plus au sujetcollectif regroupant sous un même terme la diversité des mères ; n’étant plus une « mère »telle qu’elle devrait être, elle peut devenir un sujet auteure de violence. A noter cependantque les propos de la défense tentent de déconstruire ce schéma :

Ainsi, lorsqu'il fait visionner des clichés pris au domicile coréen des Courjaultimmédiatement après la découverte macabre, insiste-t-il sur le désordre - relatif-, des lieux. Le congélateur n'est-il pas noir de crasse ? Jean-Louis Courjault :« C'est la poudre utilisée pour relever les empreintes. » M. Domergues ne sedécourage pas, remarquant que les lits ne sont pas faits. La défense proteste.Le magistrat rétorque : « Ces petits détails permettent de construire un profilpsychologique. » Me Leclerc : « Ah non ! » L'avocat a immédiatement décryptéle sous-entendu : si Mme Courjault est une souillon, faut-il s'étonner qu'ellepratique l'infanticide en série ? (Le Figaro 11 Juin 2009)

En revanche, le réquisitoire de la défense en fin de procès s’inscrit dans un schéma deproduction de normes sur la maternité. En effet, dans les propos de la défense rapportéspar la presse, se joue une fois de plus la dualité maternelle :

Henri Leclerc souligne "les progrès" en psychothérapie de cette femme"entourée de brumes effroyables". Il cite son fils cadet âgé de 12 ans : "Nicolas adit : "si maman a fait ça, c'est qu'elle est malade". Tu as raison Nicolas, ta mamanest malade."(…)Il évoque ses deux fils : "Permettez-leur de s'embrasser ce soir.Permettez à la maman de continuer à déchirer ses brumes." Il la regarde avectendresse : "Véronique, acceptez d'avoir tué vos enfants et allez retrouver lesautres. Les jurés de ce pays peuvent vous faire confiance."70

Ainsi, dans le discours médiatique comme dans la décision judicaire se joue la questionde la maternité telle qu’elle définit pour grande partie Véronique Courjault. Le lexique de lamaladie est même convoqué ici. La défense telle qu’elle est rapportée tente d’opposer unematernité ontologique telle celle constituée par Véronique Courjault pour ses enfants, à unacte commis par une femme ; cette femme qui a commis la violence n’est pas la même quela « mère » de Nicolas. C’est ce que le discours médiatique tente de faire comprendre au

69 Ibid, p 4870 Libération, 19 juin 2009

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lecteur. Il reproduit ainsi une vision béatifiée de la maternité telle que l’exprime AdrienneRich :

Quand nous pensons maternité, nous sommes censées penser femmes en fleurde Renoir, avec des bambins roses contre leurs genoux, aux madones extatiquesde Raphaël (..) Nous ne sommes pas censés penser à ce que ressent l’infanticide,ni à la succession de jours d’hiver qu’elle a passé à la maison seule avec desenfants malades.(…) Au cours de notre longue histoire, nous avons souffert lescontraintes de l’institution comme si elles étaient une loi de nature.71

Pourquoi le discours produit par les médias légitime t-il les systèmes de dominationsproduits par la norme, et donc par l’Etat ? Parce qu’en confinant Véronique Courjaultà un statut de « mère déchirée », il entretient l’idée selon laquelle les caractéristiquesde féminité sont liées à la maternité, contribuant ainsi à créer un sujet dont l’identité nese caractérise que selon la dimension singulière de la maternité, balayant ainsi d’autrescritères d’analyse de la violence : les logiques sociales, les logiques de « classe » sont, parexemple complètement oubliés du discours médiatique. La maternité permet de relayer unereprésentation statique de Véronique Courjault.

7.2 La maternité comme statut.Ainsi, la maternité semble être le prisme sous lequel les médias rendent compte de laviolence. Là encore, un certain nombre d’études ont mis en avant le fait que le statut de« mère » relayait dans les tribunaux toutes les autres caractéristiques identitaires au secondplan. Comme le souligne Jane Murphy au sujet du pouvoir judiciaire envers les mères :

The legal discourse about motherhood has tended toward classification-ascribinga set of criteria to a woman without any reference to her life circumstances. AsMartha Fineman describes it: "Mother has been neutered in several senses. Sheis taken out of contexts. In policy decisions, just as she is de-gendered, Motheris also de-raced and de-classed. Mother is treated as though she has no ethnic orcultural community that helps to define her."72

La mère est donc un sujet à part entière. Véronique Courjault est d’abord une mère, avantd’être une femme, avant d’être citoyenne. Ce statut de mère lui confère en quelques sortesdes circonstances atténuantes puisqu’avant de donner la mort, elle donne la vie. Cependant,son statut de mère rend l’acte de violence indicible puisque l’essence de la mère est dedonner la vie –on notera ici le caractère restrictif de la maternité qui est d’abord vu sous sonaspect biologique avant d’être considérée comme une relation interpersonnelle.

Le récit médiatique propose dans l’affaire une vision figée de la maternité à laquelleil oppose la maternité correspondant à Véronique Courjault . Or, Véronique Courjaultétant considérée en dehors de la maternité, reste le produit des images qui lui sontopposées, symbolisées notamment dans l’article de Libération par la psychanalyste SophieMarinopoulos. Cet assemblage de représentations sur la maternité réitère des normessexistes, puisqu’elle confie à la « bonne mère » la tâche de s’occuper de ses enfants,

71 Adrienne Rich, Op. cit., p 174-17572 Jane C Murphy, « Legal images of motherhood : conflicting definitions from welfare reform, family and criminal law »,

in Cornwell law review [en ligne] www. law school. cornell .edu/research/ cornell - law - review /upload/

Murphy.pdf

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rentrant ainsi dans le schéma classique de la « femme au foyer ». La « bonne mère » estrestreinte à l’espace privé, domestique.

C’est en ce sens que « le discours manifeste ne serait en fin de compte que la présencerépressive de ce qu’il ne dit pas ». 73 En érigeant comme non-norme la violence commisepar Véronique Courjault, les médias tendent à réifier un certain nombre de valeur rétrogradesur le statut des femmes au sein de la société.

73 Michel Foucault, Op Cit, p31

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Conclusion

Nous avons cherché, à travers notre étude, à mettre en évidence les représentationsproduites par les médias au sein d’un récit mettant en jeu une violence extrême. Il semble,aux vues de notre recherche, que, confrontées à une violence de l’ordre de l’indicible,les médias –plus particulièrement ici la presse écrite –reproduisent un certain nombre destéréotypes sur les normes de genre et sur les normes liées à la maternité. Dans l’affaire« Véronique Courjault », au-delà de la retranscription de l’acte de violence, nous avons pu,tout au long de l’étude, déceler un certains nombres de stéréotypes concernant les femmes,et concernant les mères. La façon dont ont été construits les récits met en évidence le faitque Véronique Courjault, par ses actes, a brisé les déterminismes « naturels » supposésappartenir aux femmes et aux mères. Véronique Courjault a brisé les représentationsnormatives sur la place des femmes et des mères dans nos sociétés. Elle représente,par ses actes, tout ce que la femme ne peut être ou ne doit être : une personne capablede violence, une personne que la maternité ne comble pas. Elle représente égalementl’inverse d’une « bonne mère » : elle confie son fils à une assistante maternelle, et, plusgrave, ne considère pas la maternité qui est en elle, puisqu’elle occulte sa grossesse.Enfin, elle représente ce que les médias nous donnent à voir de la violence commisepar une femme : une violence en tant que pathologie, aux confins de la psychose. C’estparadoxalement cette non-norme érigée comme pathologie qui va permettre à l’espacepublic via les médias d’accepter cette violence. Ainsi, nous avons cherché à montrer qu’au-delà des représentations sexistes produites au sein du pouvoir politique, ou dans la publicité,un autre type de représentations sexistes pouvait émerger du discours médiatique dansun récit d’une violence. Ces représentations sont produites dans le cadre de stratégiesd’écriture, qui ne cherchent évidemment pas à créer ces types de figure. Cependant, l’étudeprécise des dispositifs de mise en récit, des stratégies d’énonciation met en avant que lediscours médiatique est cadré et déterminé par les normes et les systèmes de pouvoirqui rendent l’écriture possible. Au sein de cette écriture, la mise en récit de la violenceobjectivent un certain nombre de représentation en définissant le cadre du « dicible » et de« l’indicible », de la « bonne mère » et de la « mauvaise mère », et , plus largement du« bien » et du « mal ».

Limite de l’étude.Il paraît important, en conclusion, de rappeler les limites de cette étude. La première deslimites d’une telle recherche vient de la méthodologie adoptée. En effet, ce mémoire étaitcentré principalement sur une analyse du discours, c’est-à-dire sur ce que le discours faitémerger en termes de représentations de systèmes de pouvoirs entre des individus etdes groupes. Nous ne nous sommes pas intéressés ici à la production en amont, ni à laréception en aval. Nous n’avons pas à chercher à expliquer la production de l’écrit grâce àcertaines caractéristiques définissant les journalistes, qui auraient pu contribuer à expliquerles dynamiques de l’information. Pas plus qu’il n’y a eu d’étude portée sur la sociologiejournalistique, qui aurait pu mettre en évidence que les représentations reproduites par la

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Conclusion

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presse sont celles d’un système de reproduction des normes discursives permises par unereproduction de l’ « élite » au sein du champ social. En outre, nous n’avons pas menéd’enquête de réception sur la manière dont pouvait être perçue la mise en récit que nousavons décrit. Ce que nous avançons dans cette étude est donc à relativiser aux vuesdes limites exprimées. Ainsi, plutôt que de dresser l’inventaire de ce qui n’a pas été traitédans ce mémoire, l’exposé des limites de notre étude permet de relativiser les processusdécrits tout au long de ce travail. Les travaux en sociologie ou en analyse de la réceptionpourraient mettre en avant d’autres problématiques non abordées dans ce mémoire. Maisceci fera l’objet d’un autre mémoire. Il reste que ce travail a permis de mettre en avant desmécanismes très diffus et nécessairement très peu saillants à première vue au sujet de lareprésentation des femmes dans les récits de violence. C’est pourquoi, s’il faut considérerles arguments considérés avec précaution, car le discours non manifeste peut être objet denombreuses interprétations, il faut cependant garder en tête les données –bien objectives,elles –qui continuent de mettre en avant le caractère androcentrique de notre société. Ainsi,les médias, comme relai de la norme érigée par le pouvoir ou comme co-auteur de cettenorme, sont emprunts de cet état de fait.

Pour aller plus loin.La sélection –restrictive –du corpus a mis de côté toute une partie de la productionmédiatique, notamment audiovisuelle. Ainsi, l’émission Procès verbale, diffusée sur FranceInter revenait dimanche 25 juillet sur l’affaire « Véronique Courjault », avec, comme invitéeSophie Marinopoulos et Mazarine Pingeot. L’émission y abordait les difficultés liées à lamise en récit par les médias d’une telle violence. Autre preuve de cette difficulté, la diffusiond’un docu-fiction sur l’affaire diffusée sur France Télévisions courant février. Le caractèrehybride de ce genre télévisuel permet de rendre compte de la difficulté d’exposer le « réel »d’une violence, lorsque celle-ci est vue comme une rupture d’intelligibilité par rapport à lanorme établie.

En guise d’épilogue, je citerais ici un titre d’un article paru sur lemonde.fr le 30 juillet2010 :

Octuple infanticide : la mère éprouve "une sorte de soulagement"En effet, alors que se termine « l’affaire Véronique Courjault » -puisque celle-ci a

été relâchée sous liberté conditionnelle en juin 2010 –une autre affaire d’infanticide vientd’émerger au sein des médias français. Il s’agit à ce jour de multiples infanticides dont lamère reconnaît la responsabilité. Il semble intéressant dans cette conclusion, de soulignerla récurrence de ce type d’affaire, mais également l’attrait des médias sur ce type d’affaire.C’est finalement parce que ces violences sont jugées « exceptionnelles » -ainsi qu’exposédans ce mémoire –qu’elles sont susceptibles d’attirer le lecteur dans un récit, et créer uncontrat de lecture, une fidélité du lecteur à son journal.

L’étude entreprise dans ce mémoire me permettra, je l’espère, d’envisager cesnouveaux événements avec le recul nécessaire à une appréhension la plus raisonnée et lamoins stéréotypée possible de cette nouvelle affaire. L’analyse du discours permet, de cepoint de vue, d’adopter une distanciation par rapport à l’écriture journalistique, toujours utileà l’appréhension critique de nos sociétés.

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2006Affaire des bébés congelés : Mme Courjault est passée aux aveux Le Monde, 13

octobre 2006Cyrille Louis, Véronique Courjault avoue trois infanticides Le Figaro, 13 octobre 2006Tourancheau Patricia, "Elle a menti à tout Le Monde" Libération, 13 Octobre 2006Dominique Rizet, Les aveux effarants d’une mère infanticide, Le Figaro Magazine, 21

octobre 2006, p30Les premiers mots de Véronique Courjault à son procès, Le Figaro, 10 juin 2009Véronique Courjault, fille du silence, Libération, 10 juin 2009Les proches de Mme Courjault font bloc pour lui éviter la réclusion à perpétuité. Le

Monde, 10 juin 2009

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Le traitement médiatique de l’affaire dite « des bébés congelés ». Représentations des figuresde « femme » et de « mère » à travers le discours médiatique. Véronique Courjault, monstre oumartyre ?

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Stéphane Durand-Souffland, Les nouveaux aveux de Véronique Courjault, Le Figaro,11 juin 2009

Tourancheau Patricia, A la barre; Véronique Courjault se perd dans son déni, Libération11 juin 2009

Au procès de son épouse, Véronique, Jean-Louis Courjault, en mission, bat sa coulpe,Le Monde, du 13 Juin 2009

Procès Courjault : questions sur trois grossesses sans témoin Figaro, 13 juin 2009.

« Je l’ai su, je ne l’ai plus su ». Libération, le 12 juin 2009

Charlotte Rotman, Sophie Marinopoulos, Dénidification, Libération, 15 Juin 2009, p 40

Courjault : parole aux psychiatres, Libération, 15 juin 2009

Patricia Tourancheau à la barre; "Il n'y a pas de préméditation" Libération, 16 juin 2009

Stéphane Durand-Souffland Véronique Courjault marque des points, Le Figaro, 16 juin2009

La défense de Véronique Courjault malmenée par les experts-psychiatres, Le Monde,16 juin 2009

La question du déni de grossesse de Mme Courjault divise les experts, Le Monde, 17juin 2009

Stéphane Durand-Souffland , Procès Courjault : la confusion règne parmi les experts.Le Figaro, 17 juin 2009

Patricia Tourancheau, Véronique Courjault voit s'éloigner la piste de l'homicideinvolontaire, Libération, 17 juin 2009

Procès Courjault : l'avocat général requiert dix ans de prison, Le Monde, 17 juin 2009

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Annexes

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Annexes

Annexe 1 : Libération, 11 Octobre 2006

Annexe 2 : Libération, 12 Octobre 2006Légende : Véronique Courjault, expatriée en Corée du Sud avec son mari était bénévoledans un lycée français de Séoul à l’époque des faits en 2003

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Annexe 3 : Libération, 13 Octobre 2006

Légende : Jean-Louis Courjault, hier à son arrivée au tribunal de Tours.

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Annexes

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Annexe 4 : Le Figaro, 11 octobre 2006

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Annexe 5 : Le Figaro, 12 octobre 2006

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Annexe 6 : Le Figaro, 13 octobre 2006

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Le traitement médiatique de l’affaire dite « des bébés congelés ». Représentations des figuresde « femme » et de « mère » à travers le discours médiatique. Véronique Courjault, monstre oumartyre ?

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RésuméL'étude vise à examiner les conditions de mise en récit de "l'affaire Véronique Courjault"dans la presse écrite. Cette affaire judiciaire, qui s'étend de Juillet 2006 à Juin 2009, datedu procès de Véronique Courjault, est l'objet d'une construction médiatique particulièrequ'il s'agit d'étudier dans ce mémoire. Ainsi, alors que l'on peut postuler que l'image de laviolence est souvent définie comme un trait masculin, dans nos sociétés caractérisées parun androcentrisme plus ou moins saillant, que vient bousculer l'image d'une mère donnantla mort à ses nouveau-nés dans l'imaginaire collectif? Quels rôles ont pu jouer les médiasdans l'irruption de cette image de la violence? Quelles valeurs peuvent émaner du discoursmédiatique sur "l'affaire Véronique Courjault" en termes de représentations de la femme,et de la mère?

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Annexes

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Mots-clésFemme, genre, analyse du dicours, médias, violence, affaire judiciaire, mère, féminisme,Véronique Courjault.