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Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d’Études Politiques de Lyon Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public Redaelli Mario Mémoire de Séminaire Aide à la décision publique : ambitions et limites de l'économie Sous la direction de : Crozet Yves Mémoire soutenu le 05 septembre 2012 Membres du jury: Crozet Yves - Raspiller Marie-Françoise

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Université de LyonUniversité lumière Lyon 2

Institut d’Études Politiques de Lyon

Prendre en charge les usagers précaires :un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

Redaelli MarioMémoire de Séminaire

Aide à la décision publique : ambitions et limites de l'économieSous la direction de : Crozet Yves

Mémoire soutenu le 05 septembre 2012

Membres du jury: Crozet Yves - Raspiller Marie-Françoise

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6

Centres d’intérêt et réflexions préalables . . 7Parcours universitaire et centres d’intérêt . . 7Premières pistes sur le sujet de mémoire . . 8

Choix du sujet et de la problématique . . 8Choix de la prise en charge de la précarité par l’hôpital public . . 8Choix de l’hôpital Saint-Antoine à Paris . . 9Choix de se centrer sur les urgences et la policlinique . . 10

Recherches menées et difficultés rencontrées . . 10Réflexions préalables . . 10Déroulement des recherches . . 11Interrogations et difficultés . . 12Problématique et annonce du plan . . 13

I. Dilemme de l’hôpital public : entre besoin de santé pour tous et poids des contraintesstructurelles . . 14

A. L’hôpital public : une évolution chargée de contradictions . . 141. L’hôpital public en France : son histoire et ses missions . . 142.Les hôpitaux publics parisiens : illustration d’un paradoxe . . 17

B. L’hôpital public en interface : les limites de la prise en charge de l’usager . . 211. La prise en charge à l’hôpital public : une notion complexe à définir . . 212. La précarité : les modalités de prise en charge remises en question . . 25

II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris : portée et limites d’une prise en charge spécifique desusagers précaires . . 33

A. Saint-Antoine enchâssé dans un univers institutionnel complexe . . 331. Un système de santé et de protection sociale français hybride et complexe . . 332. Un système hospitalier réformé en profondeur et soumis aux contraintesbudgétaires . . 373. Une prise en compte contradictoire de la précarité dans ce cadre . . 43

B. Sur le terrain, des initiatives concrètes mais qui connaissent des limites . . 511. Le rôle nécessaire des urgences et de la PASS transversale . . 512. La policlinique et la PASS dédiée au cœur du dispositif . . 583. Un travail de terrain qui n’est pas sans limite . . 65

III. Quelles perspectives pour une prise en charge renouvelée des usagers précaires àl’hôpital public? . . 72

A. Comment améliorer la reconnaissance du travail accompli ? . . 721. Réformer les professions soignantes . . 722. Repenser l’évaluation de l’activité hospitalière . . 76

B. Comment mieux prendre en compte les besoins de chaque territoire ? . . 841. Repenser l’organisation institutionnelle du système de santé . . 842. Intégrer l’hôpital dans une politique de la ville . . 89

Conclusion . . 93

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Bibliographie . . 96Ouvrages . . 96Articles de revues . . 96Littérature grise . . 97Ressources internet . . 97

Liste des sigles . . 100

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Remerciements

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RemerciementsSi le mémoire est un travail personnel, sa réalisation n'est possible que grâce au concours et ausoutien de nombreuses personnes, à qui je voudrais ici adresser ma reconnaissance.

Je tiens d'abord à remercier Monsieur Yves CROZET, économiste et professeur à Sciences-Po Lyon, pour avoir dirigé mon mémoire et m'avoir fourni de précieux conseils sur sa rédaction.

Je remercie aussi Marie-Françoise RASPILLER, praticien hospitalier que j'ai eu l'opportunitéde rencontrer durant mon stage à l'ARS d'Ile-de-France et qui a accepté de participer au jury de masoutenance, après m'avoir conseillé dans l'élaboration de ce travail.

Mes remerciements s'adressent également aux infirmiers, médecins, assistantes sociales etadministratifs de l'hôpital Saint-Antoine, qui m'ont ouvert les portes de leur univers professionnel,en me faisant partager leur expérience et en m'accordant une part de leur précieux temps pourrépondre à mes questions.

Merci également à mes collègues ainsi qu'à toutes les autres personnes rencontrées dans lecadre de mon stage à l'ARS d'Ile-de-France, pour s'être constamment intéressées à l'avancée demon travail et m'avoir apporté de précieuses suggestions.

Plus généralement, je remercie tous ceux que j'ai sollicités et qui ont eu la gentillesse derépondre à mes questions, enrichissant ainsi ce travail de leur expérience et de leurs connaissances.

Cette page de remerciements ne peut se fermer sans exprimer ma reconnaissance envers mafamille, ma compagne et mes amis, qui ont su me soutenir, m'encourager et me conseiller. Unepensée particulière va à ma mère, dont la grande disponibilité et l'expérience professionnelle desoignante m'ont été d'une aide précieuse dans ce travail.

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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Introduction

« En ce début de XXIème siècle, en France, l’hôpital soigne et prend en chargetoutes les maladies. On y naît et on y meurt, on y accueille 24 heures sur 24, etsouvent gratuitement, toutes les détresses, toutes les maladies et accidents,ceci sans discrimination d’origine, de sexe ou de fortune. Peu de pays au monde,

même quand ils sont riches, offrent ce type de service à leurs concitoyens. » 1

Ainsi Jean de Kervasdoué, économiste français de la santé, voit-il l’hôpital dans notre pays.Cet ancien directeur général des hôpitaux au Ministère de la Santé, connu des médiaset des professionnels de la santé pour ses positions très critiques envers le système desanté français, dresse ici un tableau particulièrement flatteur de l’institution qui se trouveen son cœur. Cette citation va dans le sens d’une idée largement répandue dans lesmédias français et dans la conscience collective des Français, celle de l’excellence denotre système hospitalier. Notre tradition républicaine, héritée de la Troisième République,a coutume de valoriser les institutions qui considèrent le seul citoyen, « sans discriminationd’origine, de sexe ou de fortune ». A ce titre, les discours républicains estiment toutparticulièrement l’institution hospitalière, dont la mission est d’accueillir, au-delà de seshoraires fixes, toute personne qui aurait besoin de soins et, au-delà, d’une écoute et d’uneprise en charge de son mal-être.

Pourtant, l’hôpital n’échappe pas aux critiques qui sont aujourd’hui adressées àl’ensemble des services publics. L’évolution de ses missions et de ses prises en charge,vue comme positive et nécessaire par certains, fermement critiquée par d’autres, est aucœur d’âpres débats politiques qui laissent en suspens la question de son devenir. Dans cecontexte, on peut appréhender la citation de Jean de Kervasdoué, non comme une simplevalorisation du système hospitalier, mais surtout comme un propos éminemment politique.En effet, l’économiste de la santé prend ici le contre-pied des discours alarmants proféréssur l’état de l’hôpital public et les menaces qui pèseraient sur son action dans le flot desréformes successives. Pour Jean de Kervasdoué, l’hôpital du XXIème siècle est plus quejamais capable de relever les défis auxquels il doit faire face, et il tient ainsi à rassurer lesprofessionnels de santé sur la préservation d’un système ouvert à tous.

Face à lui, de plus en plus nombreux sont les acteurs de terrain qui prennent la paroledans les médias pour tirer la sonnette d’alarme et accuser les pouvoirs publics de laissermourir l’hôpital public. Certains professionnels de santé sont devenus de vrais emblèmesde cette lutte, à l’image de l’urgentiste Patrick Pelloux. Ancien adjoint au chef de service desurgences de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, où il a travaillé de 1995 à 2008, et président del’Association des médecins urgentistes de France depuis 1998, celui qui se laisse appeler« Docteur Gavroche » s’est fait connaître du grand public en 2003, lorsqu’il a appelé à tirerles leçons du drame sanitaire provoqué par la canicule. Ses prises de position très nettessur le devenir de l’hôpital et de sa mission de service public, largement diffusées dans sesouvrages et ses articles de Charlie Hebdo, lui ont valu un renvoi de l’hôpital Saint-Antoine

1 DE KERVASDOUE, Jean. L'hôpital - 4ème éd. Paris : PUF, 2011. p. 5-6. Collection Que sais-je. ISBN 978-2-13-057185-8

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Introduction

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et une mutation au SAMU de Paris, à l’hôpital Necker – Enfants malades. Dans son livre

Urgentiste publié en 2004 2 , Patrick Pelloux déclarait notamment :« L’hôpital public est au cœur de notre façon d’être ensemble. Pourtant, il est endanger du fait de la soumission de nos gouvernants au dogme libéral. Le tout-

économique menace d’éliminer ces lieux des solidarités agissantes. » 3

Derrière la perspective commune d’un lieu d’accueil de toutes les misères humaines, on nepeut s’empêcher de remarquer le regard différencié que portent les deux hommes publicssur l’état actuel de l’hôpital public. Pour Jean de Kervasdoué, les réformes actuelles dusystème hospitalier doivent permettre de le rendre plus efficient et donc plus efficace dansl’accomplissement de sa mission de service public. Au contraire, Patrick Pelloux y voit lerègne d’un « dogme libéral », signant peu à peu la fin de l’hôpital public comme « gage ultime

d’une République solidaire » 4 . C’est très précisément cet écart de perspective que nousallons interroger dans ce mémoire. Des regards bienveillants sur l’excellence d’un systèmede santé ouvert à tous, aux réquisitoires tonitruants sur l’agonie d’un hôpital public à boutde souffle, il semble primordial de prendre la distance nécessaire en interrogeant les faitset la réalité du terrain. Dans cette même perspective, ce travail vise aussi à présenter despistes de recherche pour l’amélioration du système hospitalier et du système de santé dansson ensemble, afin que « la Nation [puisse continuer à garantir à tous] la protection de la

santé » 5 .

Centres d’intérêt et réflexions préalables

Parcours universitaire et centres d’intérêtLe choix de ce sujet de mémoire s’inscrit dans un intérêt que je nourris depuis longtempspour l’action publique. Ce dernier m’a d’abord poussé à intégrer Sciences-Po Lyon, puisà solliciter des stages dans des administrations publiques dès que mon cursus me lepermettait. Soucieux d’inscrire ma connaissance des politiques publiques dans un cadreeuropéen, j’ai entrepris deux stages dans des collectivités étrangères. A la fin de maseconde année, j’ai intégré pour un mois le service chargé du protocole au Parlementrégional allemand de Brandebourg, puis dans le cadre de ma troisième année de mobilité,j’ai participé durant quatre mois au travail du service chargé de la gestion des fondseuropéens à la Province de Milan.

Ce second stage m’a permis d’aborder des problématiques relatives aux politiquessociales et éducatives, car la Commission européenne finançait des projets menés par laProvince et ses acteurs économiques dans ces domaines. A mon retour d’Erasmus, j’aichoisi deux cours d’ouverture me permettant de traiter l’action publique dans sa mission decohésion sociale, le premier s’intitulant « Sociétés, cultures et politique : les clés du vivre

2 PELLOUX, Patrick. Urgentiste. Paris : Fayard, 2004. 257p. ISBN 2-213-61869-03 Ibid p. 2544 Ibid p. 125 Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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ensemble », le second « Institution et cohésion sociale ». Ces cours m’ont permis de saisirà quel point les politiques mises en œuvre dans le domaine social, mais aussi sanitaire,incarnent la logique de l’action publique qui est de rendre service à l’usager.

Fort de ces apprentissages théoriques, j’ai sollicité pendant les vacances de Noël2010 une rencontre avec une ancienne étudiante de Sciences-Po Bordeaux, aujourd’huiInspectrice de l’action sanitaire et sociale à l’Agence régionale de santé d’Île-de-France. Cetentretien a confirmé mon intérêt pour un métier qui permet d’aborder des problématiquestrès variées, tant dans le domaine de la santé que de l’action sociale. J’ai ensuite profité del’opportunité de stage proposée par Sciences-Po en fin de quatrième année pour intégrerpendant un mois son service, et me familiariser avec la fonction d’Inspecteur de l’actionsanitaire et sociale. Cette première expérience professionnelle en France m’a renforcé dansle choix d’intégrer la spécialité de cinquième année « Carrières publiques », en vue de mepréparer aux concours de la Fonction publique.

Premières pistes sur le sujet de mémoireEn intégrant le séminaire « Aide à la décision publique : ambitions et limites de l’économie »dirigé par Yves Crozet, il me paraissait essentiel de mettre en perspective les enjeuxéconomiques actuels avec une problématique de santé publique.

C’est pourquoi j’ai tout d’abord décidé de m’intéresser à la campagne de vaccinationcontre la grippe H1N1 menée entre 2009 et 2010 par la Ministre de la Santé RoselyneBachelot. L’action menée par le Gouvernement Fillon avait en effet suscité de nombreusespolémiques relayées par les médias, relatives à la quantité de doses produites et auxincertitudes sur les conséquences des injections autant que sur le pouvoir pathogène duvirus. Dans l’ombre, d’autres polémiques avaient été soulevées par les acteurs de terrain,concernant notamment les modes de réquisition des professionnels et la désorganisationdes services publics mobilisés. Un tel sujet permettait donc d’interroger l’organisation desacteurs publics en période de crise, en croisant des enjeux de santé publique ainsi quedes problématiques économiques, mais laissait de côté la dimension sociale de l’actionpublique.

J’ai donc choisi de m’intéresser à la santé des populations précaires, tout d’aborden étudiant les dispositifs de consultation médicale mis en place par les départements àl’adresse des usagers défavorisés. J’ai commencé mes recherches sur le site du Conseilgénéral des Hauts-de-Seine, mais je me suis alors rendu compte que ces dispositifs étaientgérés indirectement, via des associations recevant des fonds publics. Je me suis doncéloigné de ce thème car je souhaitais aborder l’action menée en direct par les pouvoirspublics. De la même manière, le réseau de santé « Ressource », visant la coordination dedifférentes disciplines médicales pour assurer la prévention et le suivi médical auprès despopulations précaires, me permettait de mettre en lien les pathologies rencontrées avec lacondition sociale des patients. Mais il relevait une nouvelle fois du secteur associatif et, enoutre, son domaine d’action se limitait à quelques communes du Sud des Hauts-de-Seine.

Choix du sujet et de la problématique

Choix de la prise en charge de la précarité par l’hôpital public

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Introduction

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Pour déterminer mon sujet définitif de mémoire, j’ai fait le choix de rester sur la prise encharge de la santé des populations précaires, mais en me focalisant cette fois sur la gestionpublique d’une telle problématique. Or, aujourd’hui en France, le lieu où l’on soigne tousles citoyens, quelle que soit leur condition sociale, reste l’hôpital public. Toutefois, aborderla prise en charge des populations précaires sous l’angle exclusif de cette institution meparaissait comprendre le risque de confondre la mission sociale avec la mission premièrede l’hôpital, qui est celle de prodiguer des soins.

Pourtant, les premières informations récoltées auprès d’acteurs de terrain ont confirméla pertinence de mon choix. Notamment en région parisienne, plusieurs hôpitaux publicssont connus pour prendre en charge de nombreux patients défavorisés, et ont à ce titredéveloppé une politique d’établissement focalisée sur l’égalité d’accès aux soins. Parmieux, il est possible de citer l’hôpital Saint-Antoine, construit près de la Gare de Lyon,

l’hôpital Bichat-Claude-Bernard, situé dans le 18ème arrondissement qui jouxte Saint-Ouenet Aubervilliers, l’hôpital Lariboisière, à proximité de la Gare du Nord, ainsi que l’hôpitalAvicenne de Bobigny, situé au cœur de la Seine-Saint-Denis. Plus tard, l’entretien organisé

avec un médecin urgentiste de l’hôpital Saint-Antoine 6 m’a permis de confirmer la missionsociale de l’hôpital public, les hôpitaux privés préférant le plus souvent s’occuper de patientsdont la situation sociale n’entrave pas la prise en charge médicale.

Choix de l’hôpital Saint-Antoine à ParisAu gré de discussions informelles avec des personnels soignants et des habitants de Paris,j’ai pris conscience de l’image conférée à l’hôpital public, qui est celle d’un acteur social depremier plan. En effet, les urgences et autres services d’accueil des hôpitaux parisiens sontle lieu de prise en charge de toutes les misères humaines, et elles sont nombreuses dansune ville aussi densément peuplée que notre capitale.

Guidé par ces premières informations, j’ai sollicité un rendez-vous avec un médecin

urgentiste de l’hôpital Saint-Antoine, qui m’a reçu le 30 décembre 2011 7 . Celui-ci m’aexpliqué le rôle précurseur qu’avait joué l'hôpital dans la prise en charge des usagersprécaires, en justifiant d'abord cela par la situation géographique de l’établissement.L'hôpital Saint-Antoine est en effet situé à proximité des gares parisiennes, lieux de viepour de nombreux sans domicile fixe, dans une capitale où les solidarités traditionnelles nejouent pas toujours leur rôle. Mais la spécificité de l’hôpital Saint-Antoine est aussi due pourune grande part aux initiatives individuelles menées par des assistantes sociales et desmédecins. Parmi eux, il faut citer Jacques Lebas, ancien Président de Médecins du Mondede 1989 à 1991 et spécialiste de médecine interne qui est à l’origine de l’Espace Baudelaire,spécifiquement créé en 1992 pour permettre l’accès aux soins des plus défavorisés.

De par son histoire et la politique menée par son personnel, l’hôpital Saint-Antoinea ainsi acquis une renommée, qui conduit les pompiers comme le SAMU social et lesassociations à y orienter les populations précaires. De la même manière, les personnessans hébergement se présentent au service des urgences pour trouver un abri, sachantqu’elles ne seront pas refoulées aux portes de l’établissement.

6 Annexe I7 Annexe I

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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Choix de se centrer sur les urgences et la policliniqueMa première idée consistait à aborder l’hôpital Saint-Antoine dans sa globalité, pour yétudier la prise en charge de la précarité par l’ensemble de ses personnels. Mais commeles autres établissements parisiens, l’hôpital Saint-Antoine est une immense structure, quis’organise autour de sept pôles médico-chirurgicaux, compte plus de 780 lits et emploieplus de 3 700 personnes. Aussi, considérer l’hôpital comme une seule entité risquait-il dem’induire en erreur. En effet, la grande diversité des pathologies prises en charge à l’hôpitalSaint-Antoine implique des problématiques très diverses et donc des modalités différentesde prise en charge de la précarité dans chacun de ses services.

Lors de notre entretien dans les locaux du service des urgences, le médecin urgentiste

de l’hôpital Saint-Antoine 8 m’a présenté son service comme une interface entre la rue etles services hospitaliers. Ainsi, les urgences sont le premier lieu d’accueil de la précarité etde la misère humaine à l'hôpital. La prise en compte de la condition sociale du patient se faitdès son arrivée, par une série de questions sur son domicile, sa situation familiale ou bienencore son niveau de couverture médicale. De la même façon, la policlinique de l’hôpitalest un lieu d’entrée privilégié des populations précaires. Elle organise des consultations demédecine générale et spécialisée ouvertes à tous et offre des prises en charge sans rendez-vous, qui sont une opportunité notamment pour les sans domicile fixe n’ayant pas l’habitudede se rendre chez le médecin. A ce titre, il est important de préciser que le site internet

de l’hôpital Saint-Antoine 9 utilise la première orthographe de policlinique, qui renvoie augrec « polis » et au latin « clinicus », pour désigner cette annexe de l’hôpital consacrée àun service de consultation externe. Pour sa part, le mot polyclinique utilise la racine du mot

grec « polus » et désigne une clinique apte à donner des soins dans diverses spécialités. 10

Recherches menées et difficultés rencontrées

Réflexions préalablesAu commencement de mes investigations, de nombreuses questions se posaient quantà la stratégie de recherche à adopter. La récolte d’informations peut revêtir beaucoup deformes différentes, et pour un sujet comme le mien, la meilleure méthode consistait à allierl’enquête de terrain et l’étude sur ouvrages. En effet, l’hôpital Saint-Antoine se distingued’autres établissements par les structures spécifiques qu’il a mises en place pour accueillirles populations précaires dans ses services. L’étude de ces dispositifs ne pouvait doncpasser que par une présence sur le terrain et une rencontre avec les professionnels quiy travaillent. Toutefois, ce travail de terrain ne devait à aucun moment m’éloigner de monprojet final. En effet, la rédaction d’un mémoire dans le cadre de Sciences-Po exige uneréflexion plus globale sur les conséquences des dispositifs mis en place, d’un point de vuesocio-sanitaire et économique. Par ailleurs, les initiatives menées sur le terrain ne peuvent

8 Annexe I9 Assistance Publique – Hôpitaux de Paris – Saint-Antoine – Portail Internet [en ligne]. [page consultée le 4 août 2012]. < http://

www.aphp.fr/hopital/saint-antoine/ >10 Opinions médicales en ligne [en ligne]. [page consultée le 4 août 2012]. < http://www.opimed.org/spip.php?breve101 >

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Introduction

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se comprendre que dans le contexte institutionnel, social et économique qui les entoure. Lecas étudié à Saint-Antoine, au-delà de sa spécificité, devait finalement me servir à appuyerune réflexion plus globale sur la prise en charge des populations précaires à l’hôpital public.

C’est pourquoi j’ai retenu l’idée d’organiser de nombreux entretiens sur le terrain,d'abord pour comprendre les dispositifs mis en place dans toute leur complexité etm’imprégner des lieux, mais aussi pour recueillir et analyser les avis et visions divergentssur la prise en charge de patients spécifiques. Ainsi, il me paraissait essentiel d’interrogerà la fois les soignants et les administratifs, cadres ou non, avant de remonter vers lesfinanceurs du système hospitalier de prise en charge. Dans un deuxième temps, les sourcesjuridiques de la politique de santé et les ouvrages traitant de l’économie de la santé devaientme permettre de compléter les informations recueillies sur le terrain et d’intégrer desconnaissances générales, nécessaires à une réflexion globale sur le système hospitalierfrançais, et le système de santé plus généralement.

Déroulement des recherches

J’ai tout d’abord sollicité un entretien exploratoire auprès d’un médecin urgentiste 11 , qui m’apermis de dresser un état des lieux sur les situations rencontrées aux urgences de Saint-Antoine et les modalités de prise en charge des patients précaires, à partir duquel j’ai puélaborer mes premières pistes de réflexion. Deux mois plus tard et par l’intermédiaire dumédecin urgentiste, j’avais rendez-vous avec une assistante sociale et une cadre de santé

de son service 12 . Le même jour, j’ai pu obtenir une brève entrevue avec une assistante

sociale de la policlinique 13 , puis avec un infirmier des urgences 14 et un de la policlinique15 , ces premières rencontres m’ayant permis d’appréhender la réalité de terrain et de poserles premières pistes d’une réflexion sur l’univers institutionnel qui l’encadre.

La longue entrevue organisée avec la responsable du service social de l’hôpital 16 m’a

ensuite permis d'entrer dans le vif du sujet en clarifiant le fonctionnement de la policliniquede Saint-Antoine. La brève rencontre organisée le même jour avec le responsable des

frais de séjour 17 fut beaucoup moins fructueuse car sa fonction concernait la facturation

des hospitalisations, tandis que l’entretien sollicité auprès du responsable de la synthèse

budgétaire au sein du groupe hospitalier 18 m’a permis de clarifier le fonctionnement

institutionnel de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris et de mieux appréhender lesproblématiques économiques liées à la prise en charge des patients précaires. Plus tard,deux nouveaux entretiens à l’hôpital Saint-Antoine, avec le médecin responsable de la

11 Annexe I12 Annexe II13 Annexe III14 Annexe IV15 Annexe V

16 Annexe VI17 Annexe VII18 Annexe VIII

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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policlinique 19 puis avec une de ses collègues 20 , m’ont permis de mieux connaîtreles origines de l’Espace Baudelaire et la fonction de médecin généraliste. Mes derniers

entretiens avec un membre de l’ARS Ile-de-France 21 et de l’AP-HP 22 m’ont permisde mettre au jour toute la complexité du financement des actions menées par l’hôpitalSaint-Antoine à l’adresse des usagers précaires. Enfin, je suis rapidement revenu surle fonctionnement du service des urgences de Saint-Antoine avec le médecin urgentiste

sollicité au début de mes recherches 23 ainsi qu’avec la cadre administrative de pôle 24 .En parallèle de mes entretiens, j’ai entrepris une vaste recherche bibliographique afin

d’acquérir de solides connaissances sur l’organisation et le financement du système desanté français, les récentes lois réformant l’hôpital et leur incidence sur la prise en chargedes populations précaires. Les ouvrages critiques de personnalités telles que de PatrickPelloux m’ont permis d’appréhender les préoccupations des professions exposées à laprécarité, tout en les mettant en perspective avec les lois et règlements qui encadrent lapolitique de santé actuellement menée, autant au niveau national que régional. Par la suite,les ouvrages relatifs à l’économie de la santé et les articles de recherche sociologique sontvenus nourrir ma réflexion sur des perspectives d’évolution du système de santé.

Interrogations et difficultésDès le début de mes recherches, de nombreuses questions se sont posées quant à lamanière de mener les premiers entretiens, dans un univers que je ne connaissais pasencore et face à des professionnels aux connaissances techniques très pointues, maisdont les propos descriptifs dissimulent aussi une vision personnelle et subjective deschoses. J’ai donc vite ressenti la nécessité de m’identifier comme étudiant à Sciences-Po et ayant reçu à ce titre une formation généraliste. A l’hôpital, il me fallait avant toutme distinguer des étudiants en médecine ou de ceux investis dans un mémoire infirmier,et notamment résister à certains professionnels qui avaient tendance à vouloir définireux-mêmes mon sujet en entretien. De même, choisir les personnes à interroger enpriorité nécessitait une connaissance préalable du schéma institutionnel des organisationsimpliquées dans la politique de santé. J’ai donc rapidement compris qu’il me faudraitreléguer mes premiers entretiens au statut d’entretiens exploratoires, et ce n’est qu’aprèsdes recherches personnelles approfondies que les entretiens menés ont apporté devéritables réponses aux questions posées par mon sujet.

Mes premières investigations m’ont permis de constater l’immense complexité duschéma institutionnel réunissant l’ensemble des acteurs impliqués dans l’organisation desdispositifs mis en place à l’hôpital Saint-Antoine. Des soignants et administratifs présentssur le terrain aux décideurs politiques, en passant par les intermédiaires de l’ARS Ile-de-France et de l’AP-HP, il m’a fallu déconstruire et analyser un nœud très complexe

19 Annexe IX20 Annexe X21 Annexe XI22 Annexe XII23 Annexe XIII24 Annexe XIV

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Introduction

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d’enchevêtrements institutionnels, de relations hiérarchiques, de jeux de pouvoir et denégociation dont les modalités ne s’arrêtent pas aux textes qui les régissent.

Une autre difficulté s’est posée, celle de parvenir à circonscrire mon sujet sans enperdre l’essentiel. Suivant les conseils de mon directeur de mémoire, j’ai commencé pardéfinir un champ de recherche finement circonscrit, avant de m’interroger sur les risquesd’un sujet trop étroit. Puis la réalité de terrain et les premières lectures m’ont ouvert unchamp d’investigation immense qu’il a fallu ensuite restreindre à nouveau. Par ailleurs, ilétait primordial de sans cesse raccorder le cas spécifique de l’hôpital Saint-Antoine à desconsidérations générales, et cette question s’est tout particulièrement posée au moment dela rédaction du mémoire. En effet, j’ai cherché à articuler les deux niveaux tout au long dela rédaction, afin de montrer au mieux la portée et les limites de la spécificité du cas étudié.

Problématique et annonce du planDans ce mémoire, nous essaierons de voir ce que nous apporte le cas particulier de l’hôpitalSaint-Antoine pour comprendre la manière dont l’hôpital public prend en charge les usagersen situation de précarité.

Pour cela, nous aborderons tout d’abord le dilemme auquel est aujourd’hui confrontél’hôpital public, qui doit soigner tout le monde et toujours mieux alors même que ses missionsont évolué et que les contraintes économiques se font jour. Nous présenterons ensuite laportée et les limites de la prise en charge spécifique des usagers précaires organisée àl’hôpital Saint-Antoine, entre l’univers institutionnel qui l’encadre et les initiatives menéessur le terrain. Enfin, à partir du constat actuel de la situation du système hospitalier et desactions engagées à Saint-Antoine, nous exposerons des pistes de réflexion pour une priseen charge renouvelée des populations précaires à l’hôpital public.

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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I. Dilemme de l’hôpital public : entrebesoin de santé pour tous et poids descontraintes structurelles

A. L’hôpital public : une évolution chargée decontradictions

1. L’hôpital public en France : son histoire et ses missionsAvant de réfléchir à l’action de l’hôpital Saint-Antoine en matière de précarité, il est importantde définir l’hôpital public et de rappeler la façon dont ont évolué ses missions au cours del’Histoire, afin de comprendre le dilemme qu’il doit aujourd’hui surmonter pour relever lesdéfis de santé publique qui lui sont soumis.

L'hôpital public dans les désignations juridiquesCe que l’on appelle hôpital public est juridiquement désigné comme un établissementpublic de santé et s’oppose tout d’abord aux établissements privés, qui peuvent être ounon à but lucratif. Avant 1941, les établissements à but lucratif accueillaient les patientsissus de la bourgeoisie, malades en attente d’une intervention chirurgicale ou femmesenceintes en attente de leur accouchement, tandis que les hôpitaux publics n’ouvraientleurs portes qu’aux indigents et aux accidentés du travail. Pour leur part, les établissementsà but non lucratif provenaient majoritairement de la générosité de personnes aisées etd’institutions confessionnelles souhaitant offrir un lieu d’accueil et de soins aux populations

les plus déshéritées. Jusqu’à la loi Hôpital, patients, santé et territoire 25 , les hôpitauxprivés pouvaient ou non participer au service public hospitalier ; ils étaient alors dits« PSPH » ou « non PSPH ». Puis c’est en 2009 que les premiers ont acquis la désignationd’établissements de santé privés d’intérêt collectif ou « ESPIC ».

Depuis la loi du 31 décembre 1970 26 puis celle du 31 juillet 1991 27 portantmodification de la première, les hôpitaux sont classés selon la nature des soins prodigués :les établissements dits « MCO » dispensent des soins de courte durée pour des affectionsaiguës et les établissements dits « SSR » assurent des soins de suite ou de réadaptationde long cours, tandis que d’autres assurent des soins de longue durée et offrent unhébergement aux personnes sans autonomie.

Jusqu’à la loi de 2009, on pouvait distinguer quatre types d’établissements publics :les centres hospitaliers régionaux ou « CHR », les centres hospitaliers régionaux

25 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l ’ hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires26 Loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière27 Loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière

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I. Dilemme de l’hôpital public : entre besoin de santé pour tous et poids des contraintesstructurelles

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et universitaires ou « CHU », les centres hospitaliers communaux, intercommunaux,départementaux, interdépartementaux ou nationaux, les hôpitaux généraux et les hôpitauxlocaux. La loi HPST a maintenu le statut établissement public de santé, qu’elle définitcomme personne morale de droit public dotée de l’autonomie administrative et financière.Toutefois, bien que les dénominations usuelles persistent, seules deux catégories juridiquessubsistent : le centre hospitalier ou « CH » et le groupement de coopération sanitaire ou« GCS », instauré en 1996 pour permettre une coopération organique entre établissementspublics et privés de santé.

L'histoire de l'hôpital publicDans les lignes qui suivent, il ne s’agira pas de nous perdre dans une série de référenceshistoriques relatant la genèse de l’hôpital public, mais plutôt d’exposer un bref récit de sonhistoire afin de rappeler la logique d’assistance qui est à l’origine de cette institution.

« L’hôpital fut pendant de nombreux siècles, jusqu’en 1941, très récemmentdonc, le lieu d’accueil exclusif des pauvres malades. [...] l’hôpital était d’abord

une institution sociale avant d’être une institution sanitaire. » 28

L’Hôtel-Dieu a été constitué au Moyen-âge et visait essentiellement la « réparation

matérielle et spirituelle des pauvres » 29 . Suivant une logique chrétienne de charité, il étaitessentiellement financé par les fonds des grands donateurs et des aumônes. Comme sonétymologie le rappelle, l’hôpital se cantonnait à une mission d’hospitalité : il se chargeaitde recueillir, nourrir et héberger les nécessiteux, faute de savoir les guérir. Derrière sonentreprise charitable, il ne faut toutefois pas oublier que l’Hôpital général créé en 1656dissimulait un projet d’ordre public et de nettoyage des rues par l’enfermement des « inutiles

au monde » 30 , en les contraignant au travail. C’est après la Révolution qu’a émergé lanotion d’assistance publique, selon laquelle la Nation se charge de garantir l’équité dansla répartition des secours. La loi de 1898 sur les accidents du travail, complétée par cellede 1905, a contraint l’hôpital à accueillir des malades autres qu’indigents, victimes del’industrialisation croissante et du statut précaire qui accompagnait alors le salariat. Ainsi,

« l’assistance religieuse » laissait place à « l’assistance médicale publique ». 31

Néanmoins, l’hôpital restait un lieu de stigmatisation sociale, or « l’hôpital toutes

classes est l’étape inévitable vers l’hôpital sans classe » 32 . C’est pourquoi les annéestrente ont vu s’engager un immense chantierqui a abouti à la loi du 21 décembre 1941,

consacrant le début de l’hôpital comme « centre de santé ouvert à tous » 33 et affirmantsa mission mixte, à la fois sociale et sanitaire. La création de la sécurité sociale en 1945lui a apporté les ressources nécessaires pour devenir progressivement un lieu de soinstechnicisé et médicalisé. La réforme de 1958 instaurant les CHU et le plein temps hospitalier

28 DE KERVASDOUE, Jean. L'hôpital - 4ème éd. Paris : PUF, 2011. p. 38. Collection Que sais-je. ISBN 978-2-13-057185-829 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presses de l’EHESP, 2012. 495p. ISBN 978-2-8109-0079-430 DODIER, Nicolas, CAMUS, Agnès. L'hospitalité de l'hôpital. Communications, 1997, volume 65, p. 109-11931 Ibid.

32 Daudignon, 1958, cité dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Op. cit.33 Bernard Chenot, 1959, cité dans Ibid.

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ont amorcé la mutation de l’hôpital en pôle d’excellence médicale.C’est enfin la loi Boulin du31 décembre 1970 qui a achevé le processus entamé en focalisant l’hôpital sur sa missionstrictement sanitaire et en laissant la mission sociale à la charge du secteur associatif.

Autrefois « lieu d’hébergement », l’hôpital est ainsi devenu « lieu de passage » 34 .

Les évolutions récentesAu-delà de ses nombreuses transformations, l’hôpital a toujours gardé sa mission de servicepublic qui consiste, comme l’indique la cadre socio-éducative interviewée à l’hôpital Saint-

Antoine 35 , à accueillir tout patient quels que soient son origine et ses moyens financiers.« Les établissements de soins participant au service public ont pour mission deprendre en charge tous les malades et, si possible, de prévenir, de diagnostiqueret de guérir leurs maladies dans les meilleures conditions humaines et

économiques, compte tenu des connaissances médicales du moment. » 36

A ce titre, il est important de noter que la loi HPST a supprimé la notion de service publichospitalier créée par la loi du 31 décembre 1970, sans pour autant faire disparaître la notionde service public qui encadre l’activité de l’hôpital. Ainsi, les missions de service publiccitées dans l’article L.6112-1 du Code de la santé publique comprennent l’enseignement,la formation continue, la recherche, la prévention et l’éducation, mais aussi l’aide médicaled’urgence et surtout la lutte contre l’exclusion sociale. A cela, la loi de 2009 ajoute lapermanence des soins, les soins palliatifs, les actions de santé publique et la prise en chargedes personnes hospitalisées sans consentement.

La loi HPST signe l’accélération d’une « dédifférenciation » des champs public et privé

ainsi que la fin d’une « vision hospitalocentriste du service public » 37 : ses missions ne sontplus accomplies par le seul service public hospitalier mais par tout établissement ayant signéun contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens avec l’ARS. Il peut s’agir d’établissementspublics de santé mais aussi d’établissements privés de santé ou d’ESPIC, qui se retrouventdès lors soumis à quatre principes fondamentaux : l’égalité dans l’accès à des soins dequalité, la continuité et la permanence des soins, la mutabilité face à l’évolution des besoinset des circonstances, et enfin la neutralité du personnel soignant.

La décomposition du service public en missions allouées « à la carte » par l’ARS a étédiversement accueillie par les acteurs de terrain. Certains voient dans cette réforme le débutd’une concurrence entre les champs privé et public et par là même une « privatisation de

l’hôpital public » 38 . Francine Demichel, professeur de droit à l’université Paris VIII, traduitcette crainte :

« L’acte médical n’est pas une prestation de services commerciaux : il estétroitement imbriqué dans une activité de service public. Tout soignant agit dans

34 DE KERVASDOUE, Jean. L'hôpital - 4ème éd. Paris : PUF, 2011. 127 p. Collection Que sais-je. ISBN 978-2-13-057185-835 Annexe VI36 DE KERVASDOUE, Jean. L'hôpital - 4ème éd. Paris : PUF, 2011. p. 47. Collection Que sais-je. ISBN 978-2-13-057 185- 8

37 COUTY Edouard et al. La loi HPST – regards sur la réforme du système de santé. Rennes : Presses de l'EHESP, 2009. 394p. Collection Droit et Santé. ISBN 978-2-8109-0022-0

38 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012.495 p. ISBN 978-2-8109-0079-4

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le cadre du service public. Face à la loi du marché, le droit des services publics

doit redevenir un droit structurant ». 39

« L’hôpital est [...] par nature une organisation complexe de par la multiplicité des rôles, desacteurs, des techniques et des attentes souvent contradictoires du public et des autorités

de tutelle. » 40 Ecartelé entre sa mission de service public, héritée d’une tradition ancestraled’accueil de tous les publics, et son évolution vers une technicité croissante, issue duprogrès médical, l’hôpital est en effet une organisation chargée de contradictions, qu’ellecherche à dépasser pour s’inscrire dans les enjeux de santé publique actuels.

Tirant profit de ses paradoxes, l’hôpital a d’abord su tisser un mythe autour de sonhumanité, héritée d’une tradition d’assistance aux plus démunis. D’un autre côté, les médiascontribuaient à véhiculer une foi dans la médecine moderne qui a construit « le rêve de

l’hôpital technologique » 41 . Ce récit s’est fondé sur les avancées considérables constatéesdans les années soixante et soixante-dix, et qui ont permis la guérison de maladies lourdesou qui étaient inconnues encore peu de temps auparavant. Malheureusement, Nicolas

Dodier et Agnès Camus 42 constatent que dans de nombreux CHU, l’intérêt intellectuelpour les pathologies rares a pris le pas sur l’exigence d’une structure ouverte à tous. Eneffet, depuis que la recherche scientifique fait partie intégrante des missions conféréesaux hôpitaux universitaires, on constate un « ajustement des patients à des protocolesde recherche », qui est « un facteur de sélection pour leur entrée dans les serviceshospitaliers ». Cette « sélection diffuse, non inscrite dans les règles écrites », prend encompte la « valeur mobilisatrice du malade dans le processus d’admission ».

Les difficultés économiques ayant rendu certaines inégalités plus visibles qu’elles ne

l’étaient auparavant, « [l]’hôpital est rattrapé par son passé » 43 et se retrouve confrontéà des missions qu’il avait eu tendance à abandonner. Les acteurs de terrain ont prisconscience de ce paradoxe, et Patrick Pelloux dénonce ainsi une « gestion bureaucratiquegénératrice de contraintes absurdes », faisant perdre « la mission humaine de l’hôpital

public » 44 . L’hôpital universitaire, lieu de recherche et de formation, pôle d’excellence enmatière médicale, semble avoir de plus en plus privilégié les pathologies rares au détrimentdes soins palliatifs, du développement des antidouleurs et de la prise en charge des plusdémunis.

2.Les hôpitaux publics parisiens : illustration d’un paradoxeLe cas des hôpitaux publics situés dans l’enceinte de la capitale rend lesparadoxes précédemment évoqués encore plus patents qu’ailleurs. Les caractéristiquesdémographiques de l’Ile-de-France et de la capitale en particulier, couplées à la spécificité

39 Ibid.p. 46440 DE KERVASDOUE, Jean. L'hôpital - 4ème éd. Paris : PUF, 2011. 127 p. Collection Que sais-je. ISBN 978-2-13-057185-8

41 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012.495 p. ISBN 978-2-8109-0079-4

42 DODIER, Nicolas, CAMUS, Agnès. L'hospitalité de l'hôpital. Communications, 1997, volume 65, p. 109-11943 Jacques Lebas, 1996, cité dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Op. cit.44 PELLOUX, Patrick. Urgentiste. Paris : Fayard, 2004. 259 p. ISBN 2-213-61869-0

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de l’institution qu’est l’AH-HP, permettent de comprendre mieux que partout ailleurs l’enjeudes inégalités de santé auxquelles se trouve aujourd’hui confronté l’hôpital public.

Le contexte démographique parisienLa capitale se caractérise par une population très fortement concentrée, ce qui n’empêchetoutefois pas nombre de ses habitants de vivre de plus en plus isolés. Le site internet

de la Ville de Paris 45 nous indique tout d’abord que sa population a décru dans lesannées cinquante, soixante et soixante-dix, après avoir connu un pic de 2,9 millionsd’habitants au lendemain de la Première Guerre mondiale. Néanmoins, la tendance estrepartie lentement à la hausse dans les années deux-mille et la population parisienne aconnu une augmentation constante jusqu’à aujourd’hui : de 2 201 578 habitants en 1999,nous en sommes cette année à 2 257 981. La croissance démographique est diffuse sur toutle territoire parisien car elle concerne seize des vingt arrondissements parisiens. Toutefois,cette tendance n’a pas résorbé les fortes inégalités dans la répartition géographique dela population parisienne, qui oscille de moins de 10 000 à plus de 40 000 habitants aukm² selon les arrondissements considérés. A ce titre, le recensement mené par l’Atelier

parisien d’urbanisme 46 nous permet de cibler le Nord-Ouest de Paris et la Seine-Saint-Denis comme lieux de forte densité, notamment car s’y sont installées de nombreusespopulations immigrées, qui représentent aujourd’hui 20 % de la population parisienne totale.Par ailleurs, la démographie parisienne se compose pour moitié de ménages ne comptantqu'une seule personne. Avec un chiffre de 1,88, Paris est ainsi le département comptant leplus faible nombre moyen d’habitants par ménage.

La population parisienne se distingue par sa richesse économique globale, dissimulantde profondes inégalités socio-économiques. L’étude de l’Atelier parisien d’urbanisme47 nous rappelle tout d’abord que globalement, « Paris demeure un pôle d’emploi

exceptionnel », tandis que le taux de chômage dépasse 15 % dans le 19ème

arrondissement. Les chiffres démontrant au mieux ces inégalités sont ceux fournis par

les études de l’INSEE 48 . Ces dernières évaluent le taux de pauvreté de la populationparisienne à 23,5 %, contre 20,5 % pour l’Ile-de-France en général et 19,1 % pour laFrance métropolitaine. De la même façon, le niveau de vie médian des personnes vivanten-dessous du seuil de pauvreté y est inférieur aux niveaux régional et national. L’INSEErévèle aussi que 5,81 % des parisiens de 25 à 64 ans bénéficient de prestations socialesde solidarité, ce chiffre étant le plus élevé d’Ile-de-France. Le Conseil général de Parisdépensait ainsi 566,4 € par habitant en aides sociales en 2010, soit plus que tous lesautres conseils généraux d’Ile-de-France. Le taux de couverture de la population parisiennepar la couverture maladie complémentaire, qui complète le dispositif de la CMU, est aussirévélateur, car il est de 7,4 % contre 5,9 % pour le niveau régional et 6,4 % pour le niveaunational.

45 Démographie – Paris.fr [en ligne]. Paris : Ville de Paris. [page consultée le 27 juin 2012]. < http://www.paris.fr/politiques/paris-d-hier-a-aujourd-hui/demographie/p5427 >46 Annexe XV

47 Annexe XV48 Institut national de la statistique et des études économiques. [page consultée le 27 juin 2012]. < http://www.insee.fr/fr/themes/

theme.asp?theme=4 >

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Ce dernier chiffre nous amène à aborder la question de l’accès aux soins de santé,qui, s’il est plus aisé dans la capitale qu’ailleurs, laisse aussi entrevoir des inégalitéspatentes. En effet, les professionnels à l’origine du livre Innover contre les inégalités de

santé 49 reconnaissent que l’Ile-de-France dispose de bons indicateurs globaux de santé,

mais déplorent en même temps de fortes disparités géographiques dans ce domaine.Selon eux, la région parisienne cumule une concentration de populations précaires etdes difficultés d’accès aux soins ambulatoires au tarif opposable, c’est-à-dire correspondantau remboursement de l’assurance maladie, en particulier dans le Nord-Est de Paris. Pourcette zone, les auteurs du livre avancent le chiffre de 9,7 médecins pour 10 000 habitants,contre une moyenne de 12,1 pour le reste de la capitale. De même, 33 % seulementseraient généralistes et 39 % appartiendraient au secteur 2, c’est-à-dire pratiquant leshonoraires libres. Rappelant le contexte régional, le Plan stratégique de l’ARS Ile-de-Francecorrobore de telles observations : les inégalités d’accès à la santé prolongent tout d’abordles inégalités socio-économiques et se distribuent ainsi selon un axe Nord-Ouest / Sud-Est.L’ARS tient à rappeler que la Région est au deuxième rang national en termes de densitémédicale, et qu’en particulier, l’offre ambulatoire francilienne est très abondante. Cependant,celle-ci est majoritairement spécialisée. Selon l’ARS, les deux tiers des médecins libérauxparisiens sont des spécialistes, et il n’y a que 87 omnipraticiens libéraux pour 100 000habitants contre 99 pour la moyenne nationale. En lien avec ce constat, on remarque unesurreprésentation des médecins pratiquant le dépassement d’honoraires, ainsi que de ceuxrefusant illicitement les bénéficiaires de la complémentaire maladie universelle et de l’aidemédicale d’Etat.

Les cas particuliers de l'AP-HP et de l'hôpital Saint-AntoinePour appréhender toute la particularité du cas parisien, il est fondamental de s’arrêter surl’institution qui fait la spécificité de la capitale en regroupant dans une entité un grand nombred’établissements de santé parisiens : l’AP-HP.

Cette institution, anciennement appelée Administration générale de l’AssistancePublique à Paris, a été mise en place en 1849 pour succéder au Conseil général desHospices Civils, qui avait autorité sur les hôpitaux parisiens depuis 1801. Elle prenaiten charge toute la politique sanitaire et sociale menée à Paris en faveur des indigents,des enfants abandonnés, des vieillards et des malades sans ressources. Son champde compétences recouvrait les bureaux de bienfaisance pour le secours à domicile, leshospices pour les enfants abandonnés, les vieillards et les incurables, et enfin les hôpitauxpour les malades démunis. Le directeur gérait les budgets et nommait les personnels,tandis que le bureau central d’admission vérifiait scrupuleusement le statut d’indigent et ledomicile des demandeurs avant d’autoriser leur entrée dans un établissement. Durant laseconde moitié du XIXème siècle, face à l’augmentation de la population hospitalière, lebureau des admissions a été remplacé par un système de circonscriptions : chaque quartierde Paris était rattaché à un hôpital et les malades indigents ne pouvaient être reçus quedans l’établissement de leur circonscription, justification de domicile à l’appui. Malgré cettebureaucratisation de l’Assistance publique, les hôpitaux parisiens ont continué durant toutle XXème siècle à distribuer des soupes chaudes aux indigents pendant les mois d’hiver.Jusque dans les années cinquante, l’admission de malades aisés dans les hôpitaux del’Assistance publique restait même fortement condamnée, et l’occupation d’un lit par unepersonne fortunée ou bourgeoise était considérée comme un véritable vol.

49 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012.495 p. ISBN 978-2-8109-0079-4

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Le gigantisme de l’Assistance publique était de plus en plus critiqué dans les annéescinquante pour être un facteur de centralisation excessive et d’inertie fonctionnelle. Dansle courant de la décennie suivante, elle s’est ainsi vue contrainte de laisser la gestion deses services sociaux à la Ville de Paris pour recentrer ses activités sur l’hôpital et les troismissions qui lui sont dévolues : le soin, l’enseignement et la recherche. Cette nouvelleorientation s'est traduite par le changement de dénomination introduit en 1991 : AssistancePublique – Hôpitaux de Paris. Ainsi, l’AP-HP a suivi le mouvement de médicalisation del’hôpital entrepris au niveau national, qui l’a notamment amené à moderniser ses structureset à construire de nouveaux établissements, face à la croissance démographique de larégion parisienne.

Aujourd’hui, l’AP-HP détient le statut d’établissement public de santé. Son directoiregère et pilote l’institution, notamment par l’adoption d’un plan stratégique qui lui est propre.En effet, les pouvoirs publics veillent toujours à maintenir son autonomie de gestion,même si, comme nous le verrons plus tard, sa gouvernance a été modifiée par la loiHPST. Cette immense structure, qui est le quatrième propriétaire foncier de la région,chapeaute 37 hôpitaux et représente ainsi un tiers des séjours hospitaliers, comme leprécise le Plan stratégique de l’ARS. Son budget s’élevait à 6,5 milliards d’euros en 2008et elle emploie 92 000 personnes, ce qui lui vaut la place de premier employeur d’Ile-de-France. On comprend ainsi que l’AP-HP sera considérée comme une entité intermédiaireincontournable dans le sujet traité ici.

Parmi les hôpitaux parisiens et ceux de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, celuide Saint-Antoine est intéressant par son histoire et la politique qui y a été menée.

Ouvert le 24 janvier 1796 par l’évacuation de l’abbaye Saint-Antoine des Champs,dans le quartier populaire du Faubourg Saint-Antoine, l’hôpital n’a connu son véritableaménagement qu’en 1801, après l’avènement du Conseil général des Hospices Civils. Sacapacité d’accueil a été considérablement développée dans la seconde moitié du XIXèmesiècle, avec notamment la construction de trois nouveaux pavillons entre 1884 et 1893.Au début du XXème siècle, l’hôpital disposait ainsi de 900 lits et totalisait plus de 300 000journées d’hospitalisation par an, ce qui le plaçait parmi les cinq hôpitaux les plus actifsde Paris, avec Saint-Louis, Lariboisière, Tenon et l’Hôtel-Dieu. Saint-Antoine accomplissaitpas moins de 200 000 consultations par an dans les années trente, et sa renommée s’estainsi construite sur la base d’une tradition généraliste et de proximité, articulée autour deses services de médecine, de chirurgie générale et de maternité. Il a joué un rôle majeurde santé publique par ses consultations antivénériennes et sa politique de lutte contre latuberculose, mais s’est aussi fait connaître par la réputation de certains pôles de spécialité,tels ceux de gastro-entérologie et de transfusion sanguine.

Etant considéré comme lieu de synthèse des différentes fonctions hospitalières, il aaccueilli la mise en place du premier CHU de Paris, avec Tenon, Trousseau et Rothschild,dans le cadre de la réforme de 1958. Ce lieu de recherche a su innover face à la diffusiondu SIDA, par la création dès 1985 du service des maladies infectieuses et tropicales.Néanmoins, sa vocation universitaire et technique ne s’est pas construite au détriment desa politique d’accueil. Celle-ci a été particulièrement développée dans les vingt dernièresannées, notamment par la mise à disposition d’interprètes pour les patients étrangers etla construction de la première cellule de précarité en janvier 1992, que nous présenteronsplus longuement par la suite. Devenu site d’accueil des urgences en 1999, on peut dire quel’hôpital Saint-Antoine a su développer une logique pluridisciplinaire, à la fois spécialisée etgénéraliste, sans jamais oublier de remplir sa mission de proximité.

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Par le biais de sa policlinique comme de ses urgences, Saint-Antoine poursuitaujourd’hui cette logique d’accueil généraliste, d’autant plus que les omnipraticiens libérauxsont rares dans le Nord-Ouest de Paris. Comme nous l’avons vu précédemment, cettezone de Paris se caractérise par une forte densité de population, une importante populationrécemment immigrée, et un taux de chômage supérieur à celui constaté dans les autresquartiers de Paris. On comprend ainsi pourquoi le service des urgences de l’hôpital Saint-Antoine a développé une mission de prise en charge sociale, qui est un point déjà spécifique

aux hôpitaux parisiens, comme le rappelait le médecin urgentiste interviewé 50 . En effet, leshôpitaux Lariboisière et Bichat sont aussi habitués à recevoir des populations fragiles, demême que l’hôpital Ambroise Paré, qui accueille de nombreuses personnes âgées isolées.Un tel phénomène s’observe moins clairement en banlieue, même dans des hôpitaux ancréssur des territoires populaires, tels que l’hôpital Jean-Verdier de Bondy, situé en plein cœurde la Seine-Saint-Denis. Le médecin urgentiste de Saint-Antoine explique cela par le fait quel’on y trouve encore des structures familiales à même de prendre le relais et de jouer leurrôle de solidarité, ce qui est de moins en moins le cas dans la capitale, où les populationsprécaires vivent le plus souvent isolées. Le médecin cite une autre spécificité de la capitale,que sont ses gares. Celles-ci sont depuis longtemps un lieu de vie pour de nombreux sansdomicile fixe, qui viennent ponctuellement chercher un abri dans les services des urgences

des hôpitaux parisiens. Situé à la frontière des 12ème et 11ème arrondissements, à deuxpas de la Gare de Lyon, l’hôpital Saint-Antoine reçoit ainsi de très nombreux patients endétresse sociale, et son activité d’accueil ne diminue pas. En 2007, il proposait ainsi 22lits en urgences et assurait 270 000 consultations. Cette spécificité explique peut-être quel’un de ses urgentistes soit devenu le très médiatisé Patrick Pelloux, défenseur de l’hôpitalpublic ouvert à tous.

Ainsi, nous avons vu que l’hôpital a connu de considérables évolutions qui le mettentaujourd’hui devant ses contradictions, illustrées mieux qu’ailleurs par le cas des hôpitauxparisiens. Au début lieu d’assistance aux plus démunis, il s’est en effet technicisé au gré desréformes successives pour laisser de côté la charité. Aujourd’hui, la diversité des situationssociales qui se présentent à lui l’oblige à se poser la question des modalités de prise encharge de ses usagers.

B. L’hôpital public en interface : les limites de la priseen charge de l’usager

1. La prise en charge à l’hôpital public : une notion complexe à définirAfin de présenter les dispositifs mis en place pour prendre en charge les usagers précairesà l’hôpital Saint-Antoine, il est important de définir la notion même de prise en charge, dansses multiples dimensions, ce qui permet de mieux comprendre l’enjeu que la précarité peutfaire peser sur l’hôpital public.

Prise en charge médicale et prise en charge sociale

50 Annexe I

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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Dans les théories de soins infirmiers élaborées depuis la fin du XIXème siècle, la prise encharge se comprend comme une réponse aux besoins de l’usager. Ceux-ci peuvent êtrephysiologiques, mais aussi psychologiques, relationnels ou éducatifs, car pour l’infirmier,l’usager est considéré dans toutes ses dimensions, c’est-à-dire comme un être bio-psycho-social. L’usager arrive souvent à l’hôpital avec une demande précise, qui correspond àdes besoins exprimés. Mais derrière cette apparente clarté, l’infirmier doit aussi prendre encompte les besoins implicites, qui nécessitent un décodage.

La prise en charge débute au premier contact qui s’élabore avec l’usager : l’infirmierobserve, écoute et recueille les données nécessaires pour identifier ses besoins,nécessairement perturbés car c’est cela qui justifie sa venue à l’hôpital. L’infirmier se fait unepremière impression du patient à sa façon de parler, de marcher et de se présenter, maisc’est l’analyse approfondie de sa situation qui permet d’entamer le processus de réponseau besoin. Dans sa démarche, l’infirmier priorise ses actions selon la hiérarchie établie

par la pyramide de Maslow 51 : il prend d’abord en compte les besoins physiologiquesdirectement liés à sa survie, à savoir le besoin de soins vitaux, d’hygiène et d’alimentation.Après seulement entrent en compte les besoins d’appartenance et d’estime, qui passentpar une prise en charge sociale et psychologique de l’usager et représentent la premièreétape du patient vers son besoin d’accomplissement.

On voit ici que les deux dimensions de la prise en charge qui nous intéresseront, àsavoir la prise en charge sociale et la prise en charge médicale, sont intimement liées etne peuvent se comprendre séparément. Ainsi, l’infirmier intègre à son rôle de soignant uneprise en compte de la dimension sociale du patient, et le recueil de données l’amèneraéventuellement à alerter l’assistant social. Il est à noter que dans la pratique, le choix d’unetelle démarche est le produit d’une réflexion élaborée en concertation entre les personnelsdu corps médical, qui regroupent les infirmiers et les médecins. Aujourd’hui, ces derniersont intégré dans leur mission la prise en compte de la situation sociale et psychologique dupatient, qui est une donnée fondamentale dans l’élaboration de la démarche thérapeutique.Alerté sur la situation d’un patient, l’assistant social va alors assurer la prise en chargesociale en amont des soins. Sa mission consiste à évaluer la situation sociale du patientau moyen des entretiens ou d’une enquête sociale plus approfondie, à jouer le rôle demédiateur entre lui et le système hospitalier, et enfin à apporter un soutien social spécifique

aux patients isolés. 52 Les prises en charge médicale et sociale étant intimement liées,

l’assistant social doit coordonner son travail avec celui accompli par les autres membresdu personnel hospitalier. Comme l’expliquaient les assistantes sociales rencontrées à

Saint-Antoine 53 , leur rôle en milieu hospitalier est d’utiliser le cadre juridique en vigueurpour protéger les personnes vulnérables, tels que les patients victimes de violences,favoriser l’accès aux soins et permettre la réinsertion sociale après les soins. Pour cela, lestravailleurs sociaux développent un réseau de partenariats extra-hospitalier, qui leur permetd’assurer le relai de la prise en charge sociale après la fin de l’hospitalisation.

Prise en charge programmée et prise en charge non programméeOutre la distinction entre prise en charge médicale et prise en charge sociale, il est importantde distinguer la prise en charge programmée de la prise en charge non programmée. En

51 Annexe XVI52 Annexe XVII53 Annexes II et III

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I. Dilemme de l’hôpital public : entre besoin de santé pour tous et poids des contraintesstructurelles

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règle générale, les services hospitaliers ont pour mission d’accueillir les personnes de façonprogrammée, pour des consultations ou des admissions. Ainsi, l'usager prendra rendez-vous à une date et une heure fixe pour solliciter une consultation dans un service demédecine générale ou spécialisée. De la même manière, les hospitalisations qui peuventêtre programmées le seront et le patient sera accueilli à la date fixée par le service. Selon lanature du suivi, du traitement ou de l’intervention prévue, le médecin peut évaluer la duréed’hospitalisation nécessaire, qui peut cependant connaître des aléas. En effet, l’évolutionde l’état de santé du patient conditionnera au jour le jour sa date de sortie, et l’on voit iciqu’une prise en charge programmée ne l’est jamais totalement. Par ailleurs, il arrive quecertaines admissions soient programmées très peu de temps avant l’arrivée du patient, carla vie des hôpitaux est aussi rythmée par l’urgence. Ainsi, un patient entré aux urgencespour un infarctus sera admis le plus rapidement possible dans un service de cardiologie carsa vie dépend du temps nécessaire à son transfert. Toutefois, même dans ces cas d’urgenceabsolue, le service de spécialité est contacté peu de temps avant l’arrivée car, le nombre delits disponibles étant toujours limité, il doit indiquer au service des urgences si l’admissionest possible ou si elle doit se faire dans le service d’un autre hôpital.

A côté de ces situations clairement tracées, il existe aussi des prises en charge nonprogrammées, dont le cas des urgences est la parfaite illustration. Ouvert sur la rue, ceservice est destiné à accueillir les usagers sans rendez-vous, à toute heure du jour et dela nuit et chaque jour de l’année. L’absence de programmation nécessite une priorisationdes cas à traiter, qui est assurée par l’infirmier d’accueil et d’orientation présent à l’accueil.On remarque alors que même les prises en charge non programmées nécessitent unerelative programmation, qui s’adapte au gré des situations à gérer. Au même titre que ladistinction entre prise en charge sociale et prise en charge médicale, on comprend ainsique la distinction entre prise en charge programmée et prise en charge non programméeest à nuancer.

La prise en charge des soins de premier recoursLa notion de soins de premier recours a été précédée par l’appellation plus connue desoins primaires. Celle-ci a été introduite par l’Organisation Mondiale de la Santé pour viserla justice sociale et permettre à terme une comparaison des différents systèmes de santénationaux. A l’origine, elle désignait en effet le niveau de soins vitaux auquel les habitantsde tous pays devaient avoir accès, et l’OMS la désignait ainsi :

« Les soins de santé primaires sont des soins de santé essentiels fondés sur desméthodes et une technologie pratiques, scientifiquement viables et socialementacceptables, rendus universellement accessibles aux individus et aux famillesdans la communauté par leur pleine participation et à un coût que la communautéet le pays puissent assumer à chaque stade de leur développement dans un

esprit d’autoresponsabilité et d’autodétermination. » 54

Cependant, la qualification de soin primaire était jugée péjorativement dans le langagefrançais, où elle renvoyait à des actes peu techniques et nécessitant finalement moins decompétences que les soins secondaires. Une telle distinction a donc rapidement été laisséede côté, avant tout par les médecins généralistes, acteurs majeurs de la prise en chargede premier recours et qui souhaitaient voir reconnaître leurs compétences médicales à leurjuste valeur.

54 OMS, 1978, citée dans Carnets de santé [en ligne]. [page consultée le 24 juin 2012]. < http://www.carnetsdesante.fr/Qu-

est-ce-que-les-soins-primaires >

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Ainsi, la récente loi de réforme de l’hôpital met fin à la dénomination de soins primaireset structure l’offre de soins en deux niveaux de recours : les soins de premier recours et lessoins spécialisés de second recours. Les premiers désignent les activités de prévention,d’éducation à la santé, de dépistage, de diagnostic et de traitement. Ils comprennent laprescription de médicaments et l’orientation éventuelle dans le système de soins. Cette offrede soins relève des missions de l’ARS, qui veille notamment au respect de l’exigence deproximité. Les acteurs de cette prise en charge peuvent être en hôpital comme en cabinetde ville. Il s’agit des médecins généralistes, mais aussi de leurs collègues spécialistes et despharmaciens, d’hôpital comme de ville. On peut ainsi désigner le soin de premier recourscomme le premier point de contact du patient avec le système de santé, où prime la logiquede coordination et de permanence pour permettre l’accès de tous à des soins généralistes.

Dans le texte, la loi HPST consacre la notion de premier recours et définit les missionsde ses acteurs dans le but final d’assurer à la population dans son ensemble une offre desoins de proximité. Si la réalité est plus complexe, comme nous le verrons plus tard, l’ARSIle-de-France considère même dans son Plan stratégique que la loi de 2009 promeut unevéritable logique de soins de premier recours en hiérarchisant les deux niveaux. Ainsi, leniveau des soins de second recours n’est pas clairement défini, contrairement au premier,et serait plutôt considéré comme un substitut des soins de premier recours. Même si ledéveloppement va nous montrer qu’il est important de savoir s’éloigner du texte, celui-ci ale mérite de nous rappeler la diversité de l’offre de soins de premier recours, qui mobiliseaussi bien des infirmiers que des médecins, des dentistes ou des kinésithérapeutes, parexemple. Or dans la réalité, on voit que les acteurs de premier recours encore privilégiés parde nombreux patients sont les services des urgences des hôpitaux, portes ouvertes sur larue. Dans son dernier Plan stratégique, l’ARS Ile-de-France explique notamment ce constatpar l’inégalité territoriale qui persiste dans l’offre de soins de premier recours.

L'hôpital en interfaceLes modalités de prise en charge permettent de comprendre dans quelle mesure l’hôpitalpublic est ouvert sur son environnement. C’est précisément l’ouverture de la structurehospitalière sur l’extérieur qui permet d’appréhender sa confrontation avec la question dela précarité.

« L’hôpital doit, on le constate encore, répondre à des exigences contradictoires.Il lui faut [...] accueillir le public et se conformer à des normes d’asepsiedifficilement compatibles avec une ouverture sur la ville, pleinement justifiéepar ailleurs. Les urgences accueillent de façon imprévue par essence toutesles détresses de la cité [...] L’hôpital est le seul lieu d’accueil permanent dudésordre et des détresses de nos contemporains et de notre vie en société.Comme toute organisation, l’hôpital cherche aussi l’ordre. Il tente de programmerles admissions, les interventions médicales ou chirurgicales et les sortiesdes patients, pour, à son tour, planifier les charges de travail du personnel etaccueillir de nouveaux patients [...] L’hôpital public enfin doit respecter [...] plus

de 40 familles de règlements très hétérogènes » 55

Jean de Kervasdoué nous décrit ainsi l’hôpital comme un lieu d’interface. Comme touteorganisation, il cherche à mettre de l’ordre dans le désordre, à ordonner ce qui ne l’est pasen le faisant rentrer dans son cadre de référence. Comme toute organisation publique, il

55 DE KERVASDOUE, Jean. L'hôpital - 4ème éd. Paris : PUF, 2011. p. 7-8. Collection Que sais-je. ISBN 978-2-13-057185-8

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est écartelé entre une exigence de prise en charge de tous les publics et une structure qui,nécessairement, restreint l’accès à ses locaux.

Au-delà de nous faire réfléchir sur le rôle d’interface de l’hôpital, l’économiste nousinvite aussi à nous centrer sur les services qui se caractérisent par leur ouverture sur lemonde extérieur. En effet, « l’essentiel de la littérature s’intéresse aux problèmes de santédes usagers pris en charge par les hôpitaux dans le cadre de l’hospitalisation, rarement

des consultations » 56 . Or, ici,nous nous intéressons aux lieux d’entrée de la précarité, quisont avant tout ceux proposant des consultations sans rendez-vous et où la question durèglement ne se pose qu’après la prise en charge médicale du patient. A l’hôpital Saint-Antoine, nous ciblerons ainsi le service des urgences, mais aussi la policlinique Baudelaire,qui se caractérise par des tranches horaires de consultations sans rendez-vous. Dans ceslieux ouverts sur l’extérieur et ses aléas, la gestion de la précarité est quotidienne et obligeles personnels soignants à adapter leurs modalités de prise en charge.

2. La précarité : les modalités de prise en charge remises en questionLa précarité remet inévitablement en question la façon dont l’hôpital public prend en chargeses patients. En effet, la condition sociale du patient influe sur son état de santé, de mêmeque son état de santé peut avoir des répercussions sur sa situation sociale en général. Ainsi,la précarité intervient dans les conditions de prise en charge et met l’hôpital public face àun dilemme crucial, qui l'amène à redéfinir sa mission de soin.

La notion de précaritéUne approche rigoureuse de la précarité nécessite une tentative de définition. Ce termerecouvre en effet des aspects très différents de difficulté sociale et il importe d’en clarifier lasignification, afin de développer ensuite les problématiques sanitaires liées à cette précarité.

Pour l’Institut national de veille sanitaire, le décompte semble clair et précis. Ainsi,Françoise Hamon-Mecki reprend cette source pour affirmer qu’en France, « entre 3,5 et 7,1

millions de personnes vivent en situation de précarité » 57 . Pourtant, la définition de ce termene semble pas faire consensus, et il suffit de discuter avec quelques membres du personnelhospitalier pour s’en rendre compte. Dans cette perspective, un module interprofessionnel

publié par l’Ecole des hautes études en santé publique 58 présente le compte-rendud’une série d’entretiens menés avec le personnel d’un établissement de santé parisien.L’entretien mené avec le médecin membre du Département d’information médicale révèleune définition purement administrative de la précarité, qui se distinguerait par l’absence decouverture sociale ou le bénéfice d’une CMU. En effet, cette structure est centrée sur letraitement administratif des patients car elle organise le recueil confidentiel, la circulation etle traitement des données médicales des patients, notamment dans le but de produire lerapport d’activité de l’hôpital. Pour leur part, le chef de service des urgences et l’infirmierinterrogé ciblent les cas qui leur sont quotidiennement soumis, à savoir les personnes âgées

56 PASCAL, Jean et al. Peut-on identifier simplement la précarité parmi les consultants de l'hôpital ? Sciences sociales et santé,2006, volume 25, n°3, p. 33-58

57 HAMON-MECKI, Françoise et al. Les maladies de la précarité. Soins, mai 2011, n°755, p. 32-34. ISSN 0038-081458 BISSARDON, Christian et al. La prise en charge des patients en situation de précarité. Le point de vue des acteurs hospitaliers

dans le cadre de la T2A. Module interprofessionnel de santé publique. Ecole des hautes études en santé publique, 2010, 70 p.

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souffrant de polypathologies, les sans domicile fixe souvent prisonniers de l’alcoolisme, lesétrangers en situation irrégulière mais aussi les femmes battues, en somme tous ceux dontla situation sociale nécessite une prise en charge globale sur un plan médico-psycho-social.

Les entretiens menés à l’hôpital Saint-Antoine dans le cadre du mémoire révèlent aussila vision concrète qu’ont les soignants de la précarité, l’infirmier des urgences insistant par

exemple sur « les petites retraites » et « les SDF ». 59 Le cadre de santé est dans une

fonction intermédiaire qui l’amène à poser un regard plus distancié sur la notion de précarité.Il est en effet présent dans les services de soins mais remplit en même temps une fonctionglobale d’organisation de l’activité et de gestion économique, qui recouvre notamment lemanagement des ressources humaines. Ainsi, le travail de terrain les amène tout d'abordà cibler les personnes isolées, sans logement et sans couverture sociale, tandis que lecadre de santé du service des maladies infectieuses cible le cas des patients étrangersséropositifs. En même temps, leur fonction d’encadrement les amène à une approcheglobale mais aussi administrative de la précarité, notamment inspirée par le contenu deleurs études. La personne interrogée par les étudiants de l’EHESP regroupait tous ceux« dont les conditions de vie mettent en danger leur santé, ainsi que les personnes sans

couverture sociale », en pointant les difficultés de repérage de la précarité. 60 De même,

la cadre de santé interviewée à Saint-Antoine insistait sur l’existence « des précarités »et sur la nécessité d’une définition large incluant la dimension du travail, des ressources

financières et de la couverture maladie, mais aussi de l’accès à la culture. 61 Ayant étudié

la notion de précarité dans leurs études tout en la côtoyant au quotidien, les assistantessociales mêlent aussi dans leurs propos une approche concrète et globale de cette notion.

Les deux personnes rencontrées à Saint-Antoine 62 insistaient sur une définition large dela précarité, qui dépasse la dimension économique et prend aussi en compte la dimensionde souffrance psychologique. Toutefois, le traitement quotidien des situations difficiles surle terrain les amène à restreindre leur définition, car elles opèrent ce que les étudiantsde l’EHESP appellent une « accoutumance à la précarité modérée ». Ainsi, la personnerencontrée dans le cadre du module interprofessionnel distingue les « précaires » des « avec

difficultés », mais dont la situation est jugée moins grave. 63

Afin de concilier ces différents regards et d’en décliner une approche concrète dans ledomaine sanitaire, nous allons tout d’abord partir des origines et de la définition littéraire

de ce mot. Cité dans un article de la Société Française de la Médecine d’Urgence 64 , ledictionnaire Larousse définit la précarité comme le « caractère de ce qui est précaire, c’est-à-dire qui n’a rien de stable, qui est incertain, provisoire, fragile ». Bien que très concise,cette définition nous amène dès lors à comprendre la précarité, non comme un état mais

59 Annexe IV60 BISSARDON, Christian et al. Op. cit.61 Annexe II62 Annexes II et III63 BISSARDON, Christian et al. La prise en charge des patients en situation de précarité. Le point de vue des acteurs hospitaliers

dans le cadre de la T2A. Module interprofessionnel de santé publique. Ecole des hautes études en santé publique, 2010, 70 p.64 VALLEJO R. et al. Urgences et précarité : tri et gestion de la salle d'attente [PDF]. Urgences 2007 – 1er congrès de la Société

Française de Médecine d'Urgence. [page consultée le 24 juin 2012]. < http://www.sfmu.org/urgences2007/donnees/fs_tout_conf.htm>

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comme un processus. La définition la plus souvent utilisée pour appréhender cet aspect,notamment par les professionnels interrogés à l’hôpital Saint-Antoine, est celle de JosephWresinski, fondateur du mouvement ATD Quart Monde :

« La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notammentcelles de l’emploi, permettant aux personnes et aux familles d’assumer leursobligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droitsfondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendueet avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduità la grande pauvreté, quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence,qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer sesresponsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir

prévisible. » 65

Ainsi, la précarité renvoie à une absence de sécurité, qui couvre plusieurs domaines de lavie individuelle, à la fois économiques et sociaux, et peut conduire à la grande pauvretélorsqu’elle s’installe durablement. Comme nous le rappelle Jacques Lebas, elle recouvredes aspects aussi larges que l'emploi, le niveau de revenu, l'accès aux soins et à la

prévention, le niveau d'instruction, mais également l’isolement social et affectif. 66 Pour

souligner la dimension d’instabilité liée à la précarité, ainsi que les multiples domainesqu’elle recouvre, nous pourrons dans ce travail nous appuyer sur la définition plus conciseproposée en 2000 par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion :

« un ensemble de facteurs de risques et d’incertitudes sur l’emploi et lesressources qui conduirait à la pauvreté, liée à l’absence simultanée de facteursde stabilité, notamment, dans le travail, les revenus, les conditions de logement

ou la situation individuelle (réseaux sociaux) non identifiables à la pauvreté » 67

Cette définition nous permet de comprendre la précarité comme une « expérience

d’incertitude et de doute », une « situation de fragilité » 68 qui ne se réduit pas à la pauvretémonétaire. En effet, comme nous le rappelle le professeur de philosophie Pierre Le Coz, « onpeut vivre au-dessus du seuil de pauvreté sans pour autant avoir les moyens psychiques et

moraux de développer les germes qui sommeillent en soi » 69 . La précarité ne peut doncpas « se comprendre uniquement à travers les statistiques et les courbes », elle doit bien

plus s’appréhender comme « un rapport aux autres et au temps ». 70 A terme, la précarité

peut mener à l’exclusion, qui se définit comme un phénomène de « rupture des liens quiunissent la personne avec son environnement familial, social, amical ». Dans cette situationextrême, l’individu perd « la grammaire du temps », sa vie n’étant plus rythmée par les

65 Joseph Wresinski, 1987, cité dans PASCAL, Jean et al. Peut-on identifier simplement la précarité parmi les consultants

de l'hôpital ? Sciences sociales et santé, 2006, volume 25, n°3, p. 33-5866 Jacques Lebas, 1996, cité dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes :Presse de l’EHESP, 2012. 495 p. ISBN 978-2-8109-0079-467 Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, 2000, cité dans Ibid.68 Ibid.69 Ibid.70 Ibid.

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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activités sociales qui remplissent nos journées habituelles, et « les rituels de l’échange et

de la rencontre sont réduits au minimum ». 71

La définition retenue nous permet d’élaborer un premier contour des patients pouvantêtre qualifiés de précaires à l’hôpital. Parmi ceux-ci, nous pourrons retenir le cas typique dessans abri, qui subissent tous les aspects de la précarité. La plupart du temps, l’absence delogement s’ajoute à la rupture des liens sociaux ainsi qu’à une perte de la notion de temps etd’espace, qui les empêche de s’extraire de leur situation et de s’intégrer dans des activitéssociales. De même, nous retiendrons le cas de certains migrants, pour qui la précaritééconomique se surajoute à une précarité administrative. Cette dernière peut venir de lacrainte d’être expulsé, éloignant les personnes en situation irrégulière de lieux institutionnelsqui parfois même seraient chargés de les aider. La précarité de certains migrants est aussiaffective, car ces derniers ont laissé leur famille au pays et se retrouvent parfois isolés,exposés alors à toutes les violences. Enfin, la précarité psychologique est illustrée par labarrière linguistique, empêchant par exemple au migrant malade d’exprimer sa douleur etses angoisses. Nous pouvons aussi inclure dans la catégorie des patients précaires denombreuses personnes âgées, chez qui l’isolement social et la pauvreté s’ajoutent auxpolypathologies, maladies qui s’aggravent les unes les autres et peuvent aboutir à dessyndromes gériatriques sévères.

« Non seulement les disparités physiques entre les individus ne sont pas fondéesde manière absolue en nature, dans une sorte d’essence biologique de l’être

humain, mais elles sont déterminées par les inégalités que la société institue » 72

Cette citation nous montre que la précarité pèse sur l’état de santé des personnes qui lasubissent, de même, nous allons le voir, qu’un état de santé précaire peut favoriser desaspects plus étendus de la précarité. C’est pourquoi le Haut conseil de la santé publique atrès tôt reconnu le lien entre inégalités de santé et inégalités socio-économiques, en parlant

d’inégalités « sociales de santé » 73 .

Le lien entre précarité et santéSans établir explicitement de lien de cause à effet entre la situation sociale et lasituation médicale, les personnes interrogées à l’hôpital Saint-Antoine ont toutes indiqué laprédominance de certaines pathologies chez les sujets précaires. Ainsi, l’infirmier rencontré

au service des urgences 74 a cité les polypathologies et les traumatismes dus aux chuteschez les personnes âgées isolées, les infections par plaie ou injection de drogue chez lessans abri,ainsi que l’éthylisme et les problèmes psychiatriques qui peuvent en découler,tels que les dépressions et les psychoses. L’assistante sociale et le médecin responsable

de la policlinique 75 ont pointé du doigt le diabète, les pathologies cardiovasculaires et leshépatites, ainsi que les problèmes dermatologiques. Le médecin urgentiste de Saint-Antoine

71 Ibid.72 Annette Leclerc et al. 2000, citée dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de

santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012. 495 p. ISBN 978-2-8109-0079-473 Haut conseil de la santé publique, cité dans Ibid.74 Annexe IV75 Annexes III et IX

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76 a évoqué la traumatologie chez les nouveaux arrivants, qui vivent dans des milieuxexposés à la violence, mais a tenu à préciser qu’il s’agit de prédominance et qu’il n’existeaucune pathologie spécifique à la précarité. De même, la cadre de santé et l’assistance

sociale des urgences 77 ont tenu à mettre en garde sur la complexité du lien qui unit laprécarité aux troubles psychiatriques. Ces derniers sont en effet surreprésentés dans lespopulations précaires, mais autant comme cause que comme conséquence de leur situationsociale.

Les études menées à propos du lien entre santé et précarité confirment lesobservations faites par les personnels hospitaliers. Un article publié dans la revue Soinscite prioritairement les pathologies cutanées, qui représenteraient 20 à 30 % des motifsde consultations et d’hospitalisations des personnes précaires, provenant du manqued’hygiène, de la promiscuité, de la violence et des carences nutritionnelles. Puis vient lediabète, à l’origine d’un nombre accru d’amputations, de rétinopathies et de neuropathies.Les auteurs évoquent ensuite les maladies respiratoires, telles que la tuberculose, liée auxcontaminations entre sans abri, qui sont victimes des affres du climat, et les cancers liés à untabagisme plus fréquent. L’article se clôt sur les infections au VIH, qui renforcent l’exclusionsociale des personnes contaminées et sont prédominantes dans certaines populations,telles que les toxicomanes et les migrants venus d’Afrique. Dans la même perspective,

un article publié dans la revue Population 78 référence des études comme celle deKaminski, qui met en lien les caractéristiques sociales des populations avec les niveaux demortalité et de morbidité périnatale, ou bien celles de Guildea et Krieger, qui se focalisentsur la prévalence des cas de naissance prématurée et de petit poids à la naissance. Plusgénéralement, l’étude menée par O’Campo en 2003 met en évidence les problèmes desanté accrus rencontrés dans les quartiers jugés pauvres, selon une série de critères relatifsà la privation matérielle et sociale de ses habitants.

Les raisons d’un lien entre santé et situation sociale sont à trouver dans le phénomènede renoncement aux soins, qui recouvre des dimensions économiques, mais aussi

psychologiques et culturelles. Isabelle Hirtzin 79 rappelle tout d’abord dans son ouvrage lesenjeux financiers de l’accès aux soins, tels que le bénéfice d’une couverture complémentaire

et le niveau de revenu. A ce titre, Damien Bricard 80 considérait dans le cadre d’un colloqueorganisé le 14 septembre 2011 par le Mouvement ATD Quart Monde que les inégalitéssociales d’accès à la santé en France étaient croissantes. En effet, même si la CMU-C apartiellement tenté de résoudre le problème, 8 % de la population ne bénéficie toujours pasde complémentaire santé, tandis que ce taux s’élève à 19 % chez les 10 % de la populationaux revenus les plus bas. Chez les bénéficiaires de la CMU, on constate par ailleurs un tauxde renoncement aux soins de 25 %, qui s’élève à 30 % chez les non-bénéficiaires, contre 10à 15 % chez les souscripteurs d’une mutuelle privée. On peut voir dans ces chiffres les effets

76 Annexe I77 Annexe II

78 LASBEUR, Linda et al. Analyser les inégalités socio-économiques de santé à partir des données du recensement. Population,avril 2006, volume 61, p. 567-584

79 HIRTZIN, Isabelle. Economie de la santé – 4ème éd. Paris : Archétype 82, 2009, 280 p. Collection Les Cours de Droit, Eco,Gestion. ISBN 978-2-915973-71-6

80 BRICARD, Damien. Les inégalités de santé en France [vidéo]. Editions Quart Monde, 2012. [page consultée le 27 juin 2012].< http://www.dailymotion.com/video/xozli1_les-inegalites-de-sante-en-france-damien-bricard-universite-paris-dauphine_news >

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d’une crise économique qui voit augmenter le nombre de chômeurs, de familles modestesdépassant de peu le seuil admis pour la CMU et de personnes âgées aux faibles retraites.

Cependant, la composante financière n’est qu’une dimension du renoncement auxsoins, qui comporte aussi une dimension culturelle et psychologique. En effet, « l’accès aux

soins ne veut pas dire l’accès à la santé » 81 et notamment, on remarque que ceux éligiblesà une prise en charge gratuite n’en bénéficient pas forcément, car « c’est parmanque

d’information que certaines personnes omettent de faire valoirleurs droits » 82 . Les auteurs

de l’ouvrage Innover contre les inégalités de santé 83 rappellent aussi que « la précarité

expose à la méconnaissance de son humanité », l’individu anesthésiant sa souffrance etne manifestant ainsi plus de demande de soins. La précarité provoque une absence dereprésentation corporelle et temporelle, qui met au second plan la préoccupation sanitaire.La santé est un bien à conquérir, or la perte d’estime de soi freine la demande de ce qui

est jugé comme des « soins de confort » 84 . Patrick Declerck définit très précisémentce phénomène de désinvestissement de l’espace corporel opéré en particulier par les

personnes sans abri, qui suscite une « moindre [...] écoute du corps » 85 :« Dans les cas les plus graves, la désertification du sujet exilé au cœur de lui-même, coupé du sens de son passé, et sans avenir, s’accompagne souvent d’unechosification du corps. Celle-ci se manifeste par une indifférence à la douleuret par une tendance à ignorer l’urgence de pathologies somatiques parfois

gravissimes. » 86

On peut ainsi dire que la perception des symptômes est « inégalement acérée dans les

différentes classes sociales » 87 , ce qui crée un phénomène de « retards au soin » 88 .Chez les migrants en situation irrégulière, c’est plus précisément la précarité administrativequi pousse à fuir des lieux institutionnels comme l’hôpital, en plus d’une méconnaissancede l’organisation du système de soins et d’une barrière linguistique qui freinent l’accès àla prévention.

Au-delà du renoncement aux soins favorisant l’aggravation des pathologies, on peutmentionner des facteurs environnementaux qui favorisent la récurrence de certainespathologies, ces dernières pouvant elles-mêmes contribuer au maintien de la situation deprécarité. Ainsi, les migrations favorisent le risque épidémiologique en général, tandis que la

81 Pierre Micheletti, 2009, cité dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé.Rennes : Presse de l’EHESP, 2012. 495p. ISBN 978-2-8109-0079-4

82 DESPRES, Caroline. La couverture médicale universelle : des usages sociaux différenciés. Sciences sociales et santé. 2005,volume 23, n°4, p. 79-110

83 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Op. Cit.84 DESPRES Caroline. Op. cit.85 Ibid.

86 DECLERCK, Patrick. Les naufragés. Avec les clochards de Paris. Paris : Plon, 2001. p. 306. Collection Terre humaine.

ISBN 2-259-18387-587 Luc Boltanski, 1971, cité dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Op. cit.88 Michel Morin, 2004, cité dans Ibid.

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I. Dilemme de l’hôpital public : entre besoin de santé pour tous et poids des contraintesstructurelles

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sédentarité et la mauvaise alimentation des populations précaires accroissent les problèmesde santé. Les étrangers en situation irrégulière, pour leur part, sont particulièrementexposés à la pénibilité et à la dangerosité d’un travail non déclaré. Le cas particulierdes pathologies psychiatriques permet d’illustrer une influence mutuelle de la situationsociale et de l’état de santé des populations précaires. Une des premières causes destroubles psychiatriques constatés chez les précaires est tout d’abord l’abus d’alcool, qui est

utilisé comme « l’anxiolytique du solitaire » 89 , selon les termes de Patrick Pelloux. Parailleurs, l’isolement social lié à la précarité peut favoriser la survenue de psychoses ou dedépressions, qui favorisent elles-mêmes la rupture des liens sociaux. En effet, de tellespathologies peuvent entraîner un rejet social et une impossibilité à travailler, qui accélèrentl’isolement.

Les conséquences sur la structure hospitalièreLa problématique sociale s’interpénétrant avec la problématique sanitaire, on comprendaisément que la précarité puisse influencer la prise en charge hospitalière, jusqu’à mettrel’hôpital face au dilemme posé par sa mission de soin.

Comme nous l’avons vu, les patients précaires arrivent souvent à un état déjà avancéde leur maladie, et la difficulté de prise en charge est encore accentuée par la détressesociale. Le médecin urgentiste interrogé à Saint-Antoine précisait en effet que le choix dutraitement devait être adapté à la situation sociale du patient, car « on soigne des gens, on

soigne pas des maladies » 90 . De ce fait, le temps maximal de passage aux urgences, quiest censé être de six heures, et le temps maximal d’hospitalisation en aval, qui est censéêtre de vingt-quatre heures, ne sont parfois que théoriques. Le médecin de Saint-Antoinea notamment présenté le cas de certains patients sans domicile fixe, dont la régularité etla rigueur du traitement exclut toute vie nomade et nécessite de les garder le temps detrouver une alternative. Par ailleurs, la prise en charge de la précarité implique un temps denégociation pour libérer la parole du patient précaire en luttant contre l’auto-exclusion, luifaire comprendre l’importance de l’hygiène de vie et faire accepter les soins nécessaires,ainsi que les traitements qui devront être suivis dans la durée. Elle nécessite donc un tempsde travail supplémentaire de la part des médecins, des infirmiers, et des assistants sociaux,ainsi que l’emploi d’interprètes professionnels, pour pouvoir rompre la barrière de la languetout en respectant les exigences de confidentialité médicale. Ainsi, l’Inspection généraledes affaires sociales a reconnu en 2006 que « la précarité est un facteur régulièrement

documenté d’accroissement des coûts de prise en charge hospitaliers » 91 , et la Directionde la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques a confirmé cette évaluation

en chiffrant l’impact de la précarité à un temps supplémentaire de soignant de 10 à 20 %. 92

Ainsi, l’hôpital doit supporter une tension entre le souci de non-discrimination communà tous les services publics et la nécessité d’une prise en charge spécifique des plusdémunis. Il doit aussi résoudre le dilemme entre la segmentation accrue de ses activités

89 PELLOUX, Patrick. Histoire d'urgences. Paris : Le Cherche Midi, 2007. 331 p. ISBN 978-2-7491-0896-490 Annexe I91 IGAS, 2006, citée dans BISSARDON, Christian et al. La prise en charge des patients en situation de précarité. Le point

de vue des acteurs hospitaliers dans le cadre de la T2A. Module interprofessionnel de santé publique. Ecole des hautes études ensanté publique, 2010, 70 p.

92 DREES, 2008, citée dans BISSARDON, Christian et al. Op. Cit.

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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et la pluridisciplinarité nécessitée par la prise en charge des plus démunis, comme nousl’évoquions plus tôt. En effet, « l’hôpital est devenu progressivement le mode principal,

voire exclusif, d’accès aux soins de ces populations » 93 , il peut se comprendre comme« une échappatoire par rapport à la rue », comme le dit le cadre de santé interrogé par les

étudiants de l’EHESP 94 . Patrick Pelloux nous raconte ainsi comment les personnels sont

quotidiennement amenés à prendre en charge la misère et la précarité. 95 L’une des raisons

en est l’inadaptation de la médecine libérale aux contraintes liées à la prise en charge dela précarité, que nous expliquent les auteurs de l’ouvrage Innover contre les inégalités desanté. Les cabinets de ville pratiquent en effet le paiement à l’acte et le patient doit avancerle prix des médicaments, des soins paramédicaux et des examens complémentaires, quipeuvent être dans certains cas financés par l’hôpital, comme nous le verrons plus tard.L’augmentation du ticket modérateur et le développement des dépassements d’honorairesalourdissent encore le coût des soins en ville, que la CMU-C et l’aide à l’acquisition d’unecomplémentaire ne suffisent plus à pallier. Enfin, de nombreux bénéficiaires de la CMU oude l’AME sont amenés à l’hôpital par le pur et simple refus de prise en charge que leuropposent certains médecins libéraux. Ainsi, le profil socio-économique des patients étudiéà partir d’un panel de personnes fréquentant la policlinique Baudelaire de l’hôpital Saint-Antoine et les cabinets de ville de l’Est parisien montre la surreprésentation des hommesâgés et récemment arrivés en France, des bénéficiaires de la CMU, des chômeurs, des

sans abri et des personnes à faible revenu dans la structure hospitalière. 96

Dans la deuxième partie, nous allons donc appréhender les dispositifs de prise encharge spécifique de la précarité mis en place à l’hôpital Saint-Antoine, en partant del’univers institutionnel qui entoure cet établissement. Pour cela, il est important de rappelerbrièvement la typologie des patients précaires se présentant à Saint-Antoine.

Les infirmiers, médecins et assistantes sociales de l’hôpital citent avant tout lesétrangers sans titre de séjour, parmi lesquels de nombreux mineurs, et les sans domicilefixe, qui reviennent parfois plusieurs fois par jour. Certains mentionnent aussi les personnes

âgées isolées habitant dans les 11ème et 12ème arrondissements de la capitale, dont lesrevenus sont parfois trop élevés pour bénéficier de la CMU mais trop bas pour souscrireà une mutuelle privée.

93 PASCAL, Jean et al. Peut-on identifier simplement la précarité parmi les consultants de l'hôpital ? Sciences sociales et santé,2006, volume 25, n°3, p. 33-58

94 BISSARDON, Christian et al. Op. cit.95 PELLOUX, Patrick. Histoire d'urgences. Paris : Le Cherche Midi, 2007. 331 p. ISBN 978-2-7491-0896-496 Annexe XVIII

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II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris : portée et limites d’une prise en charge spécifique des usagersprécaires

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II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris :portée et limites d’une prise en chargespécifique des usagers précaires

A. Saint-Antoine enchâssé dans un universinstitutionnel complexe

1. Un système de santé et de protection sociale français hybride etcomplexe

Nous essaierons ici de comprendre la logique hybride du système de santé et de protectionsociale français, afin de comprendre par la suite en quoi il suscite une prise en comptepartielle et contradictoire de la prise en charge de la précarité dans l’hôpital public.

Un système à la croisée des typologiesUne première typologie relative aux systèmes de protection sociale distingue les modèlesbismarckien et beveridgien. Le premier modèle se fonde sur la solidarité professionnelle,dont les intermédiaires sont des mutuelles gérées par des organisations paritaires etfinancées par des cotisations prélevées sur les salaires. Le second modèle adosse laprotection sociale à la citoyenneté, chacun bénéficiant d’une aide financée par l’impôt,indépendamment de ses revenus. On voit ici que le cas français se situe à la frontière desdeux modèles. Celui-ci reprend par exemple du modèle beveridgien le système d’allocationsfamiliales destinées à tous et la production publique de biens tels que la santé, parl’intermédiaire de l’hôpital public. En outre, la contribution sociale généralisée créée en1991 a introduit la fiscalisation d’une partie du financement de l’assurance maladie, etla CMU introduite en 2000 a permis d’affilier à un régime de Sécurité sociale ceux quin’en bénéficiaient toujours pas, découplant ainsila prise en charge des soins de l’activitéprofessionnelle. Par contre, le système de cotisations sociales, qui reste à la base dufinancement de la Sécurité sociale, les régimes spéciaux liés à certaines professionspersistant au sein ce système ainsi que l’existence de la médecine libérale relèvent pourleur part du modèle bismarckien.

La typologie développée par l’économiste et sociologue danois Gøsta Esping-Andersendistingue pour sa part trois manières de prendre en charge les quatre risques sociaux quesont la maladie, la vieillesse, le chômage et la grossesse. Dans l’Etat providence libéralou résiduel, la responsabilité individuelle est forte et la régulation se fait par le marché,créant ainsi une société duale dans laquelle seuls ceux qui ont les moyens ont accès à lasanté et à la protection sociale. Dans l’Etat providence conservateur ou corporatiste primele rôle de la famille et des corporations professionnelles, favorisant ainsi l'émergence d'unesociété de classe où le degré de protection dépend du groupe social auquel on appartient.Le dernier régime est celui de l’Etat providence universel ou social-démocrate, chéri par

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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Esping-Andersen car la politique de protection sociale est complètement extraite du marchéet le rôle de l’Etat y est prééminent, via l’impôt redistributif. Si l’économiste danois situe le casfrançais dans le deuxième régime de protection sociale, la réalité nous montre un systèmeplus complexe, essayant de concilier les logiques libérale et sociale. Dans le préambule dela Constitution de 1946, « la nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère ou auvieux travailleur la protection de la santé ». C’est dans cette perspective qu’a été instituéle droit à la Sécurité sociale, pour permettre aux individus de faire face à la maladie, àl’incapacité, au chômage et à la vieillesse. Ainsi, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurancemaladie déclarait en 2004 :

« La généralisation de l’assurance maladie à toute la population et la diffusiondes couvertures complémentaires permettent à pratiquement tous les assurés,quel que soit leur état de santé, leur âge ou leur revenu, d’avoir un accès aisé aux

soins, avec un bon niveau de prise en charge. » 97

Placé sous la tutelle étatique, notre système national associe un secteur public majoritaire àun secteur privé moins développé. Néanmoins, la réforme de la Sécurité sociale menée en

1996 et retenue sous le nom de « Plan Juppé » 98 visait la baisse de la part du financementpublic dans les dépenses de santé, notamment par une hausse du ticket modérateur etune baisse de la couverture garantie par l’assurance maladie. Ainsi, la participation desmutuelles complémentaires n’a cessé d’augmenter depuis ce moment, même si le principede solidarité les différencie des assurances privées, qui elles-mêmes, prennent une placecroissante bien que toujours minoritaire dans le financement de la protection sociale. Parailleurs, le ticket modérateur, introduit dès 1945, laisse une partie des dépenses de santéà la charge des patients. La CMU-C, créée pour proposer une complémentaire santé auxbénéficiaires de la CMU, a laissé des personnes hors du système par un effet de seuil.Si l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé est venu répondre à ces critiques, lesnon-bénéficiaires de la CMU-C font de plus en plus appel aux complémentaires privées. Or,ces dernières ont un fonctionnement moins solidaire car notamment basé sur des primesforfaitaires et une tarification au risque. Ainsi, le HCAAM a certes reconnu en 2011 quel’assurance maladie obligatoire jouait son rôle de solidarité en réduisant « nettementl’inégalité devant la maladie ». Toutefois, il a notamment rappelé l’importance de « veiller àce que les restes à charge peu élevés ne constituent pas un obstacle à l’accès aux soins

pour les niveaux de revenus les plus faibles ». 99

La répartition des compétencesComme nous venons de le voir, l’Etat joue un rôle prééminent dans la protection sanitaireet sociale de sa population. En particulier, le Parlement édicte les lois concernant lespolitiques à mener et participe à la détermination des priorités de santé publique avec leGouvernement. Ce dernier soumet des projets de loi au Parlement, applique celles votéeset coordonne les différents niveaux de gouvernance dans la mise en place des politiquessanitaires et sociales. La loi centrale de détermination de la politique de santé est la loide financement de la sécurité sociale, contenant notamment les objectifs de recettes, de

97 HCAAM, 2004, cité dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes :

Presse de l’EHESP, 2012. 495 p. ISBN 978-2-8109-0079-498 Ordonnance n°96-345 du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins99 HCAAM, 2011, cité dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Op. cit.

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II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris : portée et limites d’une prise en charge spécifique des usagersprécaires

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dépenses et de solde pour chaque branche de la Sécurité sociale, que sont la branchemaladie, la branche accidents du travail et maladies professionnelles, la branche vieillesseet veuvage, ainsi que la branche famille. Elle détaille aussi la structure des dépenses etrecettes pour l’ensemble des régimes de base, ainsi que la répartition entre les régimes debase et les régimes complémentaires obligatoires. La partie centrale de la loi de financementde la sécurité sociale, et celle qui nous intéressera ici, est l’objectif national de dépenses del’assurance maladie. Voté en globalité par le Parlement, l’ONDAM est ensuite réparti par leGouvernement entre les dépenses de ville, l’ONDAM médico-social et l’ONDAM hospitalier.Ce dernier recense d’un côté les objectifs de dépenses pour le secteur médecine-chirurgie-obstétrique et les missions d’intérêt général, que nous définirons par la suite. D’un autrecôté, il fixe les objectifs de dépenses pour les établissements non soumis à la T2A, systèmede financement spécifique sur lequel nous reviendrons plus tard.

Les niveaux décentralisés, pour leur part, participent notamment au Groupementrégional de santé publique, à l’origine chargé de mettre en œuvre le plan régional desanté publique. Parmi ces échelons, la région soutient le financement et la réalisation

d’équipements sanitaires depuis la loi de 2004 100 , et a compétence en matière de formationdes professions médicales et de sages-femmes. Le département est le plus actif en matièrede santé publique et d’aide sociale. Il assure en effet des missions de prévention sanitaireet gère l’attribution du revenu de solidarité active comme de l’allocation personnaliséed’autonomie. Enfin, la commune intervient dans la mission d’aide sociale par l’intermédiairede son Centre communal d’action sociale. Ainsi l’on peut distinguer le niveau national dedéfinition des priorités, le niveau régional de relais et le niveau local d’exécution.

Un mouvement contradictoire de régionalisationToutefois, cette répartition apparemment claire des compétences dissimule un processuscontradictoire de régionalisation, qui a réellement débuté avec les trois ordonnances de

1996 101 et a conduit à la mise en place des Agences régionales de santé en 2010.

A la suite de la loi Boulin de 1970 102 , qui élevait dans le texte la région en cadre

de référence des politiques de santé, la loi du 31 juillet 1991 103 a créé des instancesde concertation régionales intitulées Commissions régionales de l’organisation sanitaireet sociale, notamment compétentes pour donner un avis sur l’élaboration du Schémarégional de l’organisation sanitaire, en conformité avec les objectifs du Programme régionald’action. Puis la création des Agences régionales de l’hospitalisation proclamée par le PlanJuppé a réellement annoncé la volonté de régionaliser les décisions encore imparties auxreprésentants de l’Etat. La loi de 2002 a accentué la régionalisation de l’élaboration de lapolitique de santé, notamment par la création des Conseils régionaux de santé chargés dedéfinir les priorités des Programmes régionaux de santé à partir des Programmes nationauxde santé. Pour leur part, les Comités régionaux de l’organisation sanitaire et médico-socialeétaient chargés d’évaluer les besoins sociaux et médicaux du territoire pour proposer despriorités. Par la suite, la loi de 2004 a cherché à concilier un schéma ascendant et un

100

101 Ordonnance n°96-344 portant mesures relatives à l'organisation de la sécurité sociale, ordonnance n°96-345 relative à la maîtrisemédicalisée des dépenses de soins, ordonnance n°96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée

102 Loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière103 Loi n° 91-748 du 31 juillet 1991portant réforme hospitalière

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schéma descendant en réaffirmant l’autorité de l’Etat en matière de santé publique. Pourcela, elle a introduit deux nouveaux outils articulant les niveaux national et régional : lesPlans régionaux de santé publique ont succédé aux Plans régionaux de santé pour déclinerla loi nationale relative à la politique de santé publique, tout en tenant compte des besoinsrégionaux, tandis que les Groupements régionaux de santé publique visaient à exécuterces Plans régionaux de santé publique.

Cette volonté de concilier le pilotage national de la politique de santé et la

régionalisation accrue des décisions a été incarnée par la loi HPST 104 , qui a portéla création des Agences régionales de santé. Ce texte affichait l’ambition de simplifierl’organisation territoriale du système de santé tout en adaptant les politiques de santé auxbesoins et spécificités de chaque territoire. Les ARS représentent l’échelon déconcentréde la politique de santé et à ce titre, ce sont des établissements publics de l’Etat àcaractère administratif, placés sous la tutelle des ministres chargés de la santé, del’assurance maladie, des personnes âgées et des personnes handicapées. Elles jouentdonc un rôle d’unification des politiques de santé au niveau de la région et regroupentpour cela la quasi totalité des structures régionales existantes : les ARH, une partiedes services des Directions départementales et régionales des affaires sanitaires etsociales, les Groupements régionaux de santé publique, les secteurs sanitaire et médico-social des Caisses régionales d’assurance maladie ainsi que les services des Unionsrégionales des caisses d’assurance-maladie. Elles sont responsables de la veille sanitaireet de la surveillance épidémiologique, mais surtout de la régulation, de l’orientation etde l’organisation de l’offre de soin. A ce titre, elles assurent la régulation régionale dusystème hospitalier et médico-social, ainsi que de la médecine libérale. Pour améliorer lacoordination des parcours de santé, le Plan stratégique de l'ARS Ile-de-France expliqueque la création des ARS a suivi une logique de décloisonnement. Il s'agissait de promouvoir« une approche intégrée des parcours de santé », qui permette aux usagers de circulerfacilement entre les secteurs de la prévention et du soin, de l’ambulatoire et de l’hospitalier,du sanitaire et du médico-social.

Dans cette perspective, la création des ARS portait l’objectif de prendre en compte lesbesoins de santé du territoire, en y impliquant ses acteurs. Ainsi, les ARS se composentd’un siège et de délégations territoriales, qui placent le personnel de l’Agence au plus prèsdu territoire et assurent notamment le recensement des besoins exprimés par les acteursde terrain. Ensuite, le dispositif de gouvernance régionale prévoit l’existence de plusieursstructures de négociation : le Conseil de surveillance vise à garantir la représentationéquilibrée de tous les acteurs locaux, la Conférence régionale de la santé et de l’autonomiepermet aux différents acteurs de santé d’adresser des recommandations et des avis àl’ARS, et les Commissions de coordination des politiques permettent de coordonner l’ARSavec d’autres autorités intervenant dans le champ de la santé, telles que les collectivitésterritoriales. Enfin, la Conférence de santé de territoire garantit la participation des acteursinfra-régionaux à l’identification des besoins et à la mise en œuvre des actions de l’ARS.

Toutefois, la structure des ARS et leur subordination au pouvoir central suivent en mêmetemps une logique opposée de centralisation, qui vise l’efficience dans les choix effectués.Ainsi, le directeur général de l’ARS détient tous les pouvoirs de l’Agence, même si lesactions menées, les résultats obtenus et les états financiers sont examinés par le Conseilde surveillance. Ce dernier est une instance délibérante aux attributions finalement limitées,face au pouvoir de l’organe exécutif. Il n’est par exemple que consulté sur l’élaborationdu Projet régional de santé, qui est du ressort du directeur général. Ce document couvre

104 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires

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II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris : portée et limites d’une prise en charge spécifique des usagersprécaires

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le domaine de la prévention, des soins et du médico-social. Il contient le Plan stratégiquerégional de santé, qui fixe les orientations et objectifs de santé régionaux, les Schémasrégionaux de prévention, d’organisation des soins et d’organisation médico-sociale, ainsique des programmes déclinant ces derniers, tels que le programme régional d’accès à laprévention et aux soins des personnes les plus démunies. En particulier, le Schéma régionald’organisation des soins fixe les objectifs de l’offre de soins, les créations et suppressionsd’activités de soins, les regroupements d’établissements et les missions de service publicconfiées à ceux-ci. L’ARS étant soumise à la tutelle de l’Etat, son Projet régional de santédoit avant tout se conformer aux orientations fixées par la politique nationale, notammentpar l’intermédiaire de la loi de financement de la Sécurité sociale. De cette façon, elle définitpar exemple les territoires pertinents, infra-régionaux, régionaux ou interrégionaux, pour lesdiverses activités, et constitue dans chacun une Conférence de territoire, chargée d'assurerla cohérence de la politique sanitaire territoriale avec les programmes de santé publiquemenés au niveau national. Si une telle conclusion semble réductrice, on comprend toutefoispourquoi de nombreux acteurs de terrain critiquent l’institution des ARS, comme lieux desimple adaptation régionale de la politique de santé publique menée par l’Etat.

Philippe Mossé 105 distingue deux types de référentiel traversant les restructurationshospitalières : un référentiel « technique et descendant », dans lequel le niveau nationalimpose un calendrier contraignant et des indicateurs quantitatifs, et un référentiel « politiqueet ascendant », où priment la négociation et la délibération locale, valorisées par l’utilisationd’indicateurs qualitatifs. Si la loi de 1991 était plutôt traversée par le premier référentiel et lesordonnances de 1996 par le second référentiel, la loi HPST cherche à mêler les deux, touten consacrant finalement le référentiel descendant, dans un objectif d’efficience. En effet,alors que la loi de 2004 avait conforté l’autonomie de l’assurance maladie en confirmantnotamment l’Union nationale des caisses d’assurance maladie dans son rôle de gestion desrisques, les ARS ont réuni les structures de l’Etat et de l’assurance maladie pour rapprocherla responsabilité de gestion et celle de financement des soins. Ainsi, malgré les multiplescontradictions qui la traversent, on peut affirmer que la loi HPST a tranché en faveur dela centralisation de la régulation du système de santé, comme moyen d’assurer une plusgrande efficience dans les actions menées.

2. Un système hospitalier réformé en profondeur et soumis auxcontraintes budgétaires

Nous verrons ici que les récentes réformes de l’hôpital public l’inscrivent dans une logiqued’efficience. Suivant le concept de la Nouvelle gestion publique développé dans les années1970, elles accordent une plus large autonomie à l’institution hospitalière au prix d’uneresponsabilité financière accrue.

Un financement essentiellement assuré par le système de la T2AAfin d’expliquer le mode de financement introduit par la T2A et de comprendre la logiquesous-tendue par ce nouveau système, il est important de rappeler que l’activité hospitalièrese divise en deux catégories. L’hôpital assure tout d'abord l’activité externe, valoriséepar une tarification spécifique. Celle-ci inclut les consultations et actes de laboratoire,codifiés par la Nomenclature générale des actes professionnels et dits « NGAP », les

105 Philippe Mossé, 2001, cité dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé.Rennes : Presse de l’EHESP, 2012. 495p. ISBN 978-2-8109-0079-4

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actes thérapeutiques accomplis hors de l’hospitalisation et recensés dans la Classificationcommune des actes médicaux, dits « CCAM », les actes d’imagerie, tarifés par des forfaitstechniques, et enfin les actes d’Accueil et de traitement des urgences « ATU ». Ces dernierssont financés par le Forfait annuel urgences ou « FAU », attribué en fonction du nombre depassages au service des urgences. Au-delà de cette activité externe, l’hôpital assure uneactivité de séjour, qui applique le système de la T2A dans le champ dit « MCO », recouvrantla médecine, la chirurgie et l’obstétrique. En effet, d’autres champs médicaux, tels que lessoins de suite et de réadaptation ou bien la psychiatrie, relèvent de modes de financementspécifiques.

Le système de la T2A est venu révolutionner le financement des hôpitaux en changeantune logique de financement très critiquée. Auparavant, lesressources hospitalières étaientdirectement fixées par la tutelle étatique. Le système de prix de journée était jugé inéquitableet particulièrement inflationniste car il consistait à verser une somme fixe en fonctiondu nombre de journées passées à l’hôpital, en fonction d’un calcul établi par l’hôpital etsans considérer les activités accomplies dans ce cadre. C’est pourquoi a été instauréle système de dotation globale de financement, en 1984 pour les Centres hospitaliersrégionaux et en 1985 pour les autres établissements publics. Même s’il a été remaniépar la suite, ce mécanisme consistait originellement à attribuer une enveloppe baséesur le budget de l’année précédente et non modifiable en cours d’année. Ce systèmene prenait donc toujours pas en compte les variations d’activité et faisait perdurer lesproblèmes de sur-dotation comme de sous-dotation. Ainsi, le jugement de l’économisteJean de Kervasdoué est particulièrement sévère à propos de ces « méthodes antérieures,purement administratives, où le lit et la journée d’hospitalisation étaient quasiment lesseules références et étaient totalement inadaptées à une médecine qui, enfin, soigne ses

malades » 106 .

Le système de la T2A, introduit le 1er janvier 2004, consiste à allouer les ressourceshospitalières en fonction d’une activité mesurable. Le budget de l’hôpital est ainsi fixé parl’ARS et ajusté en fonction du niveau d’activité et de la lourdeur des actes accomplis. Eneffet, le programme de médicalisation du système d’information ou « PMSI » permet d’abordde classer les malades en groupe homogène de malades ou « GHM », par un algorithmequi prend en compte l’âge, le diagnostic principal, les diagnostics secondaires ainsi que lesactes médicaux et chirurgicaux accomplis. Puis à chaque GHM est affecté un ou plusieurstarifs « GHS », correspondant à des groupes homogènes de séjour, à partir du nombre depoints ISA retenus, qui chiffrent l’indice synthétique d’activité et considèrent notamment lalourdeur des soins prodigués. Les tarifs ne sont pas négociables car fixés au niveau national,à partir de l’Etude nationale des coûts à méthodologie commune, qui observe un échantillond’une cinquantaine d’établissements publics et privés participant au service public. Ils sontdonc les mêmes partout, sauf pour Paris et sa petite couronne, ainsi que les départementsd’outre-mer, qui bénéficient d’une majoration. De manière générale, les exceptions à la règlesont fixées au niveau national. En effet, chaque année sont publiées la borne haute et laborne basse de durée de chaque GHS, puis les séjours jugés « extrêmes » et dépassantces bornes permettent à certains services particuliers, comme ceux des soins intensifs oudes soins palliatifs, de recevoir un financement spécifique.

« Sans se focaliser sur les exceptions, il convient de retenir la règle de cesystème de tarification à savoir qu’à terme un séjour d’un malade donnera lieu

106 DE KERVASDOUE, Jean. L'hôpital - 4ème éd. Paris : PUF, 2011. 127 p. Collection Que sais-je. ISBN 978-2-13-057185-8

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II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris : portée et limites d’une prise en charge spécifique des usagersprécaires

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au versement d’un forfait unique lié aux raison cliniques de son hospitalisation et

comparable d’un hôpital à un autre. » 107

Par cette citation, Jean de Kervasdoué nous résume très bien le principe de la T2A, qui,si elle semble permettre une reconnaissance de l’activité accomplie et une équité entreles établissements, n’en suscite pas moins de nombreux débats. Pour les tenants de cesystème, l’objectif est atteint d’accorder sur tout le territoire le même budget pour desactivités similaires, et d’inciter de cette façon les établissements les plus coûteux à baisserleurs coûts unitaires, sans imposer pour autant d’objectif d’économies au plan global. Il estnotamment précisé que la T2A n’oblige pas à un équilibre financier de chaque séjour maisplutôt à un équilibre global sur l’ensemble des séjours et services de l’hôpital. Ainsi, pourJean de Kervasdoué, la T2A « marque un considérable progrès en gestion hospitalière »car elle « rend visible l’activité des services hospitaliers » et permet ainsi de comparer

l’efficacité de chaque établissement, selon une logique de « benchmarking ». 108 C’est très

précisément cette logique de concurrence et de convergence qui est pointée du doigt par lesadversaires de la T2A. Ces derniers critiquent une « idéologie gestionnaire », dans laquelle« l’idéal de la moyenne nationale » fait que « tout écart par rapport à la moyenne est perçu

comme un dysfonctionnement ». 109 Les effets collatéraux d’une telle réforme seraient la

limitation des durées de séjour, ainsi qu’une priorité donnée aux soins programmables et àtarif élevé, provoquant de ce fait le déversement des situations à faible tarif sur les servicesdes urgences. A côté, le médecin et écrivain Denis Labayle précise que « les servicesqui font l’effort de collaborer avec les urgences en accueillant des patients non liés à leur

spécialité, se trouvent pénalisés » 110 . L’urgentiste Patrick Pelloux 111 exprime les mêmesréticences, en expliquant que la logique de rentabilité introduite par la T2A disqualifie lesfonctions essentielles de l’hôpital, qui sont notamment la veille et le soin.

Des modalités de gouvernance hospitalière entièrement revuesLa gouvernance hospitalière a connu une révolution lors du Plan Hôpital 2007, lancé dès le

20 décembre 2002 et concrétisé par l’ordonnance du 2 mai 2005 112 . Cette réforme avaitpour objectif d’accorder davantage de confiance et donc de responsabilité aux dirigeantsdes structures hospitalières, en leur fournissant une plus grande capacité d’initiative etd’innovation, pour s’adapter aux nécessaires transformations du monde de la santé. Danscette perspective, le Schéma régional d’organisation des soins de troisième génération apermis le passage d’une « planification en structures » à une « organisation en autorisations

et volumes d’activité » 113 basée sur la contractualisation. Par l’intermédiaire des contrats

107 DE KERVASDOUE, Jean. L'hôpital - 4ème éd. Paris : PUF, 2011. p. 86. Collection Que sais-je. ISBN 978-2-13-057185-8108 DE KERVASDOUE, Jean. L'hôpital - 4ème éd. Paris : PUF, 2011. 127 p. Collection Que sais-je. ISBN 978-2-13-057185-8109 DANET, François. Où va l'hôpital ? Paris : Desclée de Brouwer, 2008. 222 p. Collection L'époque en débat. ISBN978-2-220-05948-8110 Denis Labayle, cité dans Ibid.111 PELLOUX, Patrick. Urgentiste. Paris : Fayard, 2004. 257 p. ISBN 2-213-61869-0 112 Ordonnance n°2005-406 du 2 mai 2005 simplifiant le régime juridique des établissements de santé113 BRECHAT, Pierre-Henri et al. Eléments pour un premier bilan et des perspectives du plan Hôpital 2007. Santé publique, juin 2008,volume 20, p. 611-621

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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pluriannuels d’objectifs et de moyens, des objectifs à cinq ans étaient conclus entre l’ARHet les établissements publics ou privés, en volume d’activité par thématique et par territoire,ce mécanisme servant de base au financement par T2A. Chaque chef d’établissement avaitainsi la responsabilité de développer des activités en cohérence avec le CPOM. Pour cela, ilsignait à son tour un CPOM interne avec les responsables des pôles hospitaliers, sur la basedu projet de pôle. En effet, il est important de préciser que le Plan Hôpital 2007 a aussi portéle regroupement des services hospitaliers en pôles d’activités médicales, codirigés par uncadre infirmier, un médecin chef et un cadre administratif. Ce dernier est hiérarchiquementsoumis au directeur d’établissement, car il est nommé par lui pour quatre ans et voit sarémunération modulée selon l’atteinte des objectifs fixés dans le projet de pôle. La logiquede rationalisation de l’offre de soins poursuivie par le Plan Hôpital 2007 a aussi poussé lemouvement de coopération interhospitalière, débuté par la loi du 31 décembre 1970 quiavait porté création des Groupements interhospitaliers et des Syndicats interhospitaliers.Face à la nécessité de supprimer 60 000 à 100 000 lits, l’ordonnance du 24 avril 1996avait incité le regroupement des activités logistiques et médicales par la constitution desCommunautés d’établissements de santé et des Groupements de coopération sanitaire.

Elaborée à partir du rapport Larcher publié en 2008, la loi HPST a suivi la logiqueinaugurée par le Plan Hôpital 2007. Les CPOM sont désormais conclus entre l’ARSet les établissements de santé. Sur la base du PRS, ils déterminent des objectifs queles hôpitaux s’engagent à accomplir, l’ARS s’engageant en retour à les financer. De lamême façon, la logique de coopération hospitalière a été poursuivie par l’instauration desCommunautés hospitalières de territoire, se concrétisant par des « transferts ou délégations

de compétences et d’activités » 114 facultatifs entre les établissements partenaires. Parcontre, l’ARS peut obliger un établissement à rejoindre un Groupement de coopérationsanitaire, qui, au-delà de permettre la coopération organique, est devenu un véritableinstrument d’intégration. Au niveau de chaque établissement, les trois instances codifiéespar l’article L.6141 du Code de la santé publique ont vu leurs relations et leurs missions

clarifiées, comme le montre le graphique en annexe 115 , mais de façon asymétrique. Nomméen Conseil des ministres, le directeur a ainsi récupéré la quasi totalité des pouvoirs dedécision de l’ancien Conseil d’administration, tandis que le Conseil de surveillance qui leremplace a vu son rôle restreint à la définition de la stratégie globale, auxquels s'ajoutentquelques pouvoirs de délibération. Le Conseil exécutif, instance médico-administrativeprésidée par le directeur et ayant pour vocation de mieux associer les médecins à la politiqued’établissement, a été remplacé par un directoire, aux compétences essentiellementconsultatives. Une autre institution, la Commission médicale d’établissement, a perdu sonpouvoir dans la définition des moyens et est passé à une logique de résultat, en définissantnotamment les programmes d’action de l’établissement.

Cet aperçu des changements amorcés depuis les années 2000 nous permet decomprendre les réticences exprimées sur le terrain, face aux difficultés de fonctionnementqui ont pu se poser. On remarque tout d’abord le paradoxe de la contractualisation, outild’autonomisation qui est à la fois un outil de coercition, car il détermine une partie desressources de l’établissement et permet ainsi à l’ARS d’affirmer son pouvoir hiérarchique.C’est pourquoi les auteurs du livre La loi HPST – regards sur la réforme du système de

114 COUTY Edouard et al. La loi HPST – regards sur la réforme du système de santé. Rennes : Presses de l'EHESP, 2009.394 p. Collection Droit et Santé. ISBN 978-2-8109-0022-0

115 Annexe XIX

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santé 116 emploient le terme de contrat « léonins » pour désigner les CPOM, qui enfreignent

en réalité la liberté contractuelle en ne fixant des obligations que pour l’une des deux parties.Cette tutelle de l’ARS sur l'hôpital est d’ailleurs illustrée par le fait que ce dernier ne peutrésilier le CPOM et s’expose à des charges financières alourdies en ne respectant pasles engagements fixés. De la même façon, l’ARS approuve le projet d’établissement etpeut insérer toute question dans l’ordre du jour de son Conseil de surveillance. En cas dedéséquilibre financier, elle peut enfin exiger la présentation d’un plan de redressement etplacer en dernier recours l’établissement sous administration provisoire. Ainsi, malgré le faitque les hôpitaux soient « des personnes morales [...] dotées de l’autonomie administrative

et financière » 117 , Jean de Kervasdoué indique que « diriger un hôpital » relève plus d’untravail d’administration que de gestion, car la réforme de 2009 « a étatisé l’hôpital » encréant « une ligne hiérarchique directe entre le ministre, l’ARS et le directeur ».

Des financements qui évoluent dans le sens des restrictions budgétairesDans la logique des réformes visant l’efficience et l’efficacité du système de santé,l’hôpital public voit ses financements évoluer de plus en plus lentement, dans un contexteéconomique qui appelle à la maîtrise de l’augmentation des dépenses publiques. Le Planstratégique élaboré par l’ARS Ile-de-France pour la période 2011-2016 s’inscrit dans cetteligne, et l’indique dans son paragraphe intitulé « Le risque que les contraintes liées aufinancement font peser sur la solidarité nationale ». Celui-ci rappelle que la France occupele deuxième rang, parmi les pays de l’OCDE quant au rapport des dépenses de santé sur lePIB national. Il reconnaît ainsi qu’une réelle contrainte pèse sur les ressources financièresdes hôpitaux, en notant un taux d’évolution de l’ONDAM à son plus bas niveau depuis1999. En effet, le Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé Xavier Bertrand avait alorsannoncé dans la circulaire tarifaire de 2011 que les établissements hospitaliers publics etprivés devraient effectuer 365,7 millions d’euros d’économies dans le courant de l’année.

La consultation des chiffres de l’ONDAM publiés par la DGOS, Direction généralede l’offre de soins travaillant au sein du Ministère chargé de la santé, confirment unralentissement de l’augmentation du budget attribué pour les dépenses d’assurancemaladie. Le taux d’évolution de l’ONDAM est en effet passé de 3,3 % pour 2009 à 3 % pour2010, à un montant de 162,4 milliards. Le taux a continué de baisser à 2,9% pour 2011 puis à2,5 % pour 2012, chiffre qui devrait rester stable jusqu’en 2015 dans le cadre de la projectionquadriennale. Au sein de l’ONDAM, le resserrement de l’ONDAM hospitalier s’avère toutaussi net : alors que son taux d’augmentation était de 3,1 % pour 2009, il est passé à 2,8 %en 2010 et 2011, puis à 2,6 % pour 2012, prévoyant un montant de 74,34 milliards d’euros.118 Pour cibler plus précisément la situation de l’hôpital Saint-Antoine, qui accomplit desactivités de type « MCO », il est intéressant de voir que les circulaires tarifaires initiales de laDGOS montrent le même type d’évolution pour ce secteur d'activité en particulier. En effet,

116 COUTY Edouard et al. La loi HPST – regards sur la réforme du système de santé. Rennes : Presses de l'EHESP, 2009.394 p. Collection Droit et Santé. ISBN 978-2-8109-0022-0

117 Loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière118 Campagne tarifaire 2012 – Les grands équilibres [PDF]. Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France, 2012. [page

consultée le 05 août 2012]. < http://www.fhp.fr/1-/fichiers/20120424161728_FT_CT2012__Les_grands_equilibres_v2.pdf >

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le taux d’augmentation de l’objectif national dit « ODMCO » était prévu à 3,2 % pour 2009119 , à 2,7 % pour 2010 120 et 2011 121 , et enfin à 2,6 % pour 2012 122 .

La position et l’organisation institutionnelles de l’hôpital Saint-AntoineAfin de présenter les dispositifs spécifiques de prise en charge de la précarité mis en place àl’hôpital Saint-Antoine, il est essentiel de préciser sa situation institutionnelle, dans le cadreprécédemment décrit.

Comme nous l’avions évoqué plus haut, l’hôpital Saint-Antoine appartient à l’AP-HP, cequi le met dans une situation toute particulière. En effet, au sein du système hospitalier, ilest important de distinguer le régime commun, décrit dans le Code de la santé publique, etle régime dérogatoire, qui concerne trois établissements en raison de la taille et du nombredes sites qui les composent. Il s’agit des Hospices Civils de Lyon, de l’Assistance Publiquedes Hôpitaux de Marseille et enfin de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris. De parsa situation particulière, cette dernière structure était habituée à traiter directement avec leMinistère chargé de la santé, jusqu’à la loi HPST qui l’a faite rentrer dans le régime communen lui donnant comme interlocuteur l’ARS Ile-de-France. L’AP-HP est donc considéréecomme un établissement public de santé et détient à ce titre la personnalité morale etjuridique, à l’inverse des hôpitaux qui le composent. La structure de l’AP-HP s’apparented’ailleurs à celle de tout autre établissement de santé, avec un directeur et des directionsfonctionnelles. Les règles qui régissent ses relations avec l’ARS sont les règles communesà toute relation entre l’ARS et ses établissements de santé, tandis que les règles internesde l’AP-HP lui sont propres. L’interlocuteur exclusif de l’ARS est donc le siège de l’AP-HP, et à ce propos, il était intéressant de remarquer en entretien que le responsable de

la synthèse budgétaire au sein du Groupement Hospitalier Est Parisien 123 n’était pas aufait du Schéma régional de l’organisation sanitaire comme du CPOM liant l’ARS à l’AP-HP.De la même manière, l’état des prévisions de recettes et de dépenses ou « EPRD » estproposé par l’AP-HP et validé par l’ARS, à partir de la consolidation des EPRD des différentsgroupements hospitaliers, auxquelles s'ajoutent les charges gérées centralement. Ainsi, lesenveloppes d’investissement sont distribuées aux groupes hospitaliers par l’AP-HP selonsa propre stratégie, ce qui permet d’ailleurs aux établissements de porter des projets qu’ilsne pourraient supporter eux-mêmes, l’emprunt étant ici géré par l’AP-HP.

On comprend donc que les directeurs de groupe et leurs adjoints, ainsi que lesdirecteurs de chaque site, n’ont de pouvoir que par délégation de gestion de l’AP-HP. Ilssont une force de discussion et de proposition au niveau local, mais l’arbitrage et le pilotageen matière de stratégie reviennent au siège de l’AP-HP. A ce propos, il est important depréciser que l'AP-HP a suivi le mouvement de regroupement des structures hospitalièresordonné par la loi HPST, et se compose ainsi de douze groupes hospitaliers, qui réunissentce que l’on appelle désormais des sites, à l’image de l’hôpital Saint-Antoine. Aujourd’hui,les décisions de fonctionnement se prennent au niveau des groupes hospitaliers et del’AP-HP, les sites n’ayant plus d’autonomie, à part pour quelques activités propres tellesque l'exécution de travaux, les achats et la gestion des ressources humaines. La cadre

119 Circulaire n°DHOS/F2/F3/F1/DSS/1A/2009/78 du 17 mars 2009120 Circulaire n°DGOS/R1/DSS/2010/177 du 31 mai 2010121 Circulaire n°DGOS/R1/2011/125 du 30 mars 2011122 Circulaire n°DGOS/R1/2012/DGOS/R1/131 du 16 mars 2012123 Annexe VIII

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administrative du pôle UMAG à Saint-Antoine l’affirmait d’ailleurs très simplement enentretien : « Nous, c’est les hôpitaux de l’AP-HP… on est les agents d’exécution d’un siège »124 .

L’hôpital Saint-Antoine appartient au Groupe Hôpitaux Universitaires de l’Est Parisien,avec les quatre autres sites que sont Tenon, Rothschild, Armand-Trousseau et La Roche-Guyon qui est rattaché à celui-ci. La policlinique Baudelaire et le service des urgences,qui nous intéressent ici, appartiennent tous deux au pôle Urgences médicales et avalgénéraliste appelé « UMAG ». Celui-ci comprend aussi les services de réanimation,d’orthopédie et de médecine interne, la psychiatrie ayant été récemment rattachée à unautre pôle. Il est important de préciser que les pôles hospitaliers traversent plusieurs sitesau sein du groupe hospitalier. Ainsi, le pôle UMAG contient à la fois l’unité fonctionnelledes urgences de Tenon, l’unité fonctionnelle de l’accueil des urgences de Saint-Antoine,et une unité d’hospitalisation. Celle-ci comprend l’UHTCD, ainsi que l’UHCD ou « serviceporte », tous deux basés à l’hôpital Saint-Antoine. L’Unité d’hospitalisation de très courtedurée est située au rez-de-chaussée du service des urgences pour accueillir les patientsayant besoin d’une surveillance particulière, pour vingt-quatre heures au maximum. L’Unitéd’hospitalisation de courte durée est située en arrière du service des urgences, au premier

étage du bâtiment Robert André 125 , et accueille pour six jours au maximum les patientsen attente de transfert. Une restructuration en cours prévoit de supprimer le service porteet d’intégrer ses lits dans un Département d’aval des urgences, qui ne dépendra alors plusdes urgences mais de la médecine interne, et sera situé dans le bâtiment Maurice Mayer de

l’hôpital Saint-Antoine 126 , qui accueillait le service de maternité jusqu’à son récent transfertsur le site d’Armand-Trousseau. Cette modification s’accompagnera du passage de vingt àvingt-quatre lits, qui, compte-tenu de la localisation du service, seront surtout destinés auxpatients de Saint-Antoine, même si ceux de Tenon pourront également y être admis.

3. Une prise en compte contradictoire de la précarité dans ce cadreNous allons maintenant montrer en quoi le contexte institutionnel précédemment décritpermet une prise en compte contradictoire de la précarité, qui, comme nous l’avons vu, semanifeste au quotidien dans les locaux des hôpitaux publics.

Les dispositifs d'aide financière pour l'accès aux soinsLes principaux dispositifs de prise en charge des soins des patients démunis ont été misen place par le Gouvernement Jospin, entre la fin des années 1990 et le début des années2000. Martine Aubry, alors Ministre de l’Emploi et de la Solidarité, a tout d’abord instauré la

couverture maladie universelle par la loi du 27 juillet 1999 127 , permettant aux moins riches

de passer du statut « d’assisté » à celui « d’assuré ». 128 La CMU a en effet créé un régime

124 Annexe XIV125 Annexe XX126 Annexe XX

127 Loi n°99-641 du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle128 CLEMENT Jean-Marie. Droits des malades – Les répercussions de la loi du 4 mars 2002 dans le champ du droit hospitalier.Paris : Les Etudes Hospitalières Editions, 2002. 87 p. Collection Essentiel. ISBN 2-912359-75-9

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d’assurance maladie supplémentaire pour les personnes n’y étant pas encore affiliées. Telque décrit par l’article L.380-1 du Code de la sécurité sociale, elle est accessible à toutepersonne ayant un titre de séjour ou étant français, ayant des minima sociaux ou étantdemandeur d’asile politique. Les conditions générales ne prévoient donc pas de plafondde ressources, mais pour bénéficier gratuitement de cette affiliation, il faut justifier d’unrevenu fiscal annuel inférieur à 9 164 €. Cependant, le ticket modérateur reste à la chargede l’assuré, et c’est pourquoi la CMU s’accompagne d’un dispositif de couverture maladieuniverselle complémentaire, accessible selon les mêmes critères et aux personnes justifiantd’un revenu fiscal annuel inférieur à 7 771 €. Pour les revenus excédant moins de 20 %

de ce plafond, la loi du 13 août 2004 129 a créé l’aide à l’acquisition d’une complémentairesanté, dispensant aussi ses bénéficiaires de l’avance des frais pour la partie remboursée parl’assurance maladie. La loi portant création de la CMU et de la CMU-C a aussi, dans l’articleL.251-1 du Code de l’action sociale et des familles, transformé l’aide médicale qui existaitdepuis 1954 en aide médicale d’Etat. Celle-ci permet à « tout étranger résidant en Francede manière ininterrompue depuis plus de trois mois » et en situation irrégulière de voir sesfrais de santé avancés, sans pour autant devenir assuré social. Si l’AME ne consiste pas enun régime supplémentaire d’affiliation à l’assurance maladie, il est important de préciser quedepuis le 1er janvier 2012, celle-ci en gère le remboursement pour le compte de l’Etat. Pouren bénéficier, il faut justifier d’un revenu fiscal annuel inférieur à 7 934 €, mais au mêmetitre que le plafond fixé pour la CMU-C, le montant à inscrire dans les textes fait chaqueannée l’objet d'un vif débat au sein de la classe politique, et son évolution est ainsi trèsirrégulière au fil des Gouvernements qui se succèdent. Par ailleurs, l’article 49 de la loi de

finances rectificative pour l’année 2003 130 a ajouté la condition de résidence ininterrompue,qui n’était pas présente dans le texte originel, puis la loi de finances rectificative pour l’année

2010 131 a ajouté un droit de timbre de 30 € pour limiter le nombre d’AME accordées.Cependant, il est à noter que Marisol Touraine, nouvelle Ministre des Affaires sociales etde la Santé, vient de supprimer cette franchise, appuyant son argumentation sur un rapport

de l’IGAS et invoquant les « exigences de l’humanisme et [...] de la santé publique » 132 .Enfin, précisons que ceux exclus du dispositif de l’AME peuvent, selon l’article L.254-1 duCode de l’action sociale et des familles, bénéficier d’une prise en charge « des soins urgentsdont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération graveet durable de l’état de santé de la personne ou de l’enfant à naître ».

Le texte fondateur des permanences d’accès aux soins de santéToutefois, ces dispositifs assurent la prise en charge des soins dans un cadre général, et

nous allons maintenant nous arrêter sur la loi de lutte contre les exclusions 133 , qui va nouspermettre de comprendre la structure de prise en charge hospitalière des plus démunis miseen place à l’hôpital Saint-Antoine. Son article 67, qui sera repris par la loi du 9 août 2004,annonce les ambitions du texte :

129 Loi n°2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie130 Loi de finances rectificative n°2003-1312 du 30 décembre 2003131 Loi de finances rectificative n°2010-1657 du 29 décembre 2010132 Question au Gouvernement – AME – Marisol Touraine – 17/07/12 [vidéo]. Youtube, 2012. [page consultée le 6 août 2012]. <http://www.youtube.com/watch?v=cM_AzNI8kQg&feature=player_embedded >133 Loi n°98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions

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« L’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies constitueun objectif prioritaire de santé. Les programmes mis en œuvre par l’Etat ainsi quepar les collectivités territoriales et les organismes d’assurance maladie prennenten compte les difficultés spécifiques des personnes les plus démunies. »

Suite au rapport publié en février 1998 par le Haut Comité de Santé Publique 134 , faisantétat de la progression de la précarité en France et de ses effets néfastes sur la santé,la loi de lutte contre les exclusions annonçait déjà l’instauration de la couverture maladieuniverselle. Mais surtout, elle a introduit dans son article 71 les Programmes régionauxpour l’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies, qui doiventêtre mis en œuvre dans chaque région par coopération entre l’ARS, les collectivitésterritoriales, les établissements sanitaires et sociaux, ainsi que d’autres institutions locales.Ces programmes visent à « définir des actions pour lutter contre les pathologies aggravéespar la précarité ou l’exclusion sous toutes leurs formes, notamment les maladies chroniques,les dépendances à l’alcool, à la drogue ou au tabac, les souffrances psychiques, les troublesdu comportement et les déséquilibres nutritionnels ». Le Conseil national de lutte contre lapauvreté et l’exclusion sociale rappelle que dans la pratique, les PRAPS doivent notammentviser à « accompagner les plus démunis vers l’accès aux droits et aux soins », « mobiliserle secteur sanitaire » et « coordonner les actions au niveau régional », en « [tenant] compte

des spécificités locales ». 135

Comme l’indique l’article L.6112-6 du Code de la santé publique, c’est « dans lecadre des programmes régionaux pour l’accès à la prévention et aux soins des personnesdémunies » que les établissements de santé sont appelés à mettre en place « despermanences d’accès aux soins de santé [...] adaptées aux personnes en situation deprécarité, visant à faciliter leur accès au système de santé, et à les accompagner dansles démarches nécessaires à la reconnaissance de leurs droits ». Nous allons brièvementprésenter le concept de PASS, qui sera plus longuement développé dans la partie suivante,dédiée à la PASS de l’hôpital Saint-Antoine. Il s’agit donc de cellules de prise en chargemédico-sociale poursuivant l’objectif suivant :

« faciliter l’accès des personnes démunies, non seulement au systèmehospitalier, mais aussi aux réseaux institutionnels ou associatifs de soins,d’accueil et d’accompagnement social et de les accompagner dans lesdémarches nécessaires à la reconnaissance de leurs droits, notamment en

matière de couverture sociale » 136

Il est essentiel de distinguer les PASS dites « identifiées » ou « dédiées », qui disposent delocaux spécialisés pour fournir des consultations médicales et sociales, et les PASS dites« transversales », consistant en un système d’accès aux soins délivré par une assistantesociale et permettant d’avoir accès à toutes les consultations proposées par l’hôpital. LesPASS mobiles, qui correspondent théoriquement à un troisième type de PASS tout en étant

134 HCSP, 1998, cité dans Assistance Publique – Hôpitaux de Paris – 2011, année des patients et de leurs droits [en ligne]. [pageconsultée le 8 juin 2012]. < http://2011anneedroitspatients.aphp.fr/Policlinique-Baudelaire-la-permanence-d-acces-aux-soins-PASS-de-Saint-Antoine.html?article>135 Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale [en ligne]. [page consultée le 12 juin 2012]. <http://www.cnle.gouv.fr/Les-Programmes-regionaux-pour-l.html >136 LEBAS, Jacques. Permanences d'accès aux soins de santé : dix ans d'expérience méconnus. La revue de médecine

interne, juin 2009, volume 30, n°S2, p. 8-9.

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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moins développées, consistent par exemple en un autocar qui va à la rencontre de certainespopulations pour leur fournir des soins et de la prévention. Parmi les PASS médicales, c’est-à-dire non mobiles, on distingue aussi les PASS généralistes, qui sont les plus nombreuses,des PASS psychiatriques et bucco-dentaires.

La prise en compte de la précarité dans le cadre de la T2ALe système de financement spécifique de la T2A a été fortement critiqué pour considérer le

« malade normal » 137 et oublier la précarité. Mettant au premier plan le diagnostic principalpour le traiter, il semble avoir oublié que de nombreux patients souffrent de polypathologiesqui s’influencent mutuellement, comme nous l’avons particulièrement vu dans le cas despatients précaires. En réalité, un regard plus assidu porté sur les modalités de financementpar la T2A permet de voir que ce système a partiellement pris en compte les cas depolypathologies et de difficultés sociales, qui peuvent entraver la prise en charge médicale.Néanmoins, le système de codification mis en place a été reconnu insuffisant, et c’estpourquoi un dispositif de financement spécifique a été mis en place.

Le système de financement introduit en 2004 pénalisait les hôpitaux prenant en chargela précarité, car celle-ci induisait souvent des durées de séjour plus longues que cellesprévues dans la classification des séjours. Comme nous l’avons évoqué plus tôt, l’une desconséquences était la difficulté d’entrée des patients précaires dans les services d’aval,et c’est pourquoi il a fallu remédier aux failles du système existant. Le système PMSI adonc prévu la codification de scores de gravité pour augmenter le tarif de certains séjours.

Ce système est concrétisé par les codes Z55 à Z65 138 , qui inscrivent des facteurs telsque l’analphabétisme, le faible niveau éducatif, le faible revenu, ou encore la solitude. Ilspermettent ainsi de prendre en compte les « sujets dont la santé peut être menacée pardes conditions socio-économiques et psychosociales ». L’Agence technique de l’informationsur l’hospitalisation, versant technique du Ministère de la Santé, gère le traitement deces codages, dont l’ARS a validé la remontée à partir des établissements. Toutefois, ellen’en contrôle pas la qualité, qui est souvent aléatoire. En effet, l’optimisation des séjoursnécessite une parfaite maîtrise de la codification, or la complexité de la nomenclature faitque les médecins référents sont rarement exhaustifs dans le codage, malgré les formationsqui leur sont proposées. C’est pour cette raison qu’un tel système n’existe aujourd’hui qu’àtitre statistique et ne génère aucune augmentation de tarif. Pour comprendre ce que la T2Aa apporté sur la gestion de la précarité, on peut reprendre l’idée exprimée par le responsable

de la synthèse budgétaire du Groupement Hospitalier Est Parisien 139 : ce mécanisme de

financementa finalement été neutre dans la prise en charge financière de la précarité, maisil a permis de révéler des difficultés existantes et donc de réfléchir à de nouveaux systèmesd’évaluation.

Ainsi, l’article L162-22-13 du Code de la sécurité sociale a porté la création desmissions d’intérêt général et des aides à la contractualisation, en parallèle de la constitutionde la T2A. Cette dernière comporte en effet deux volets complémentaires, le législateurayant reconnu que certaines ressources nedevaient pas être soumises aux variations del’activité réalisée. Les MIGAC visent à couvrir les missions et activités spécifiques qui ne

137 BISSARDON, Christian et al. La prise en charge des patients en situation de précarité. Le point de vue des acteurs hospitaliersdans le cadre de la T2A. Module interprofessionnel de santé publique. Ecole des hautes études en santé publique, 2010, 70 p.

138 Annexe XXI139 Annexe VIII

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II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris : portée et limites d’une prise en charge spécifique des usagersprécaires

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peuvent être financées au séjour ou à l’acte. On distingue trois catégories de MIGAC : lesmissions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation dites « MERRI », lesautres missions d’intérêt général, et enfin les aides à la contractualisation entre ARS etétablissements dites « AC ». Ainsi, une liste de quatre-vingt MIG a été arrêtée en 2004 parenquête auprès des établissements. L’enveloppe nationale est fixée dans l’ONDAM puisventilée par chaque ARS, qui l’affecte aux établissements concernés par la signature de

contrats. L’arrêté du 13 mars 2009 140 indique que les missions d’intérêt général peuventnotamment servir à financer « la prise en charge spécifique des patients en situation deprécarité » et « les permanences d’accès aux soins de santé », que nous évoquionsprécédemment. En effet, comme le reconnaît le rapport remis en 2010 au Parlement

concernant les MIGAC 141 , « la classification des séjours et l’échelle des tarifs n’ont pasvocation à tenir compte de ce facteur », et il est donc indispensable de sortir du système dela T2A le financement des « surcoûts liés à l’accueil de patients en situation de précarité ».Deux MIG ont été créées pour financer ces surcoûts, la première étant retenue comme la« MIG précarité ». Celle-ci a donné lieu à une première dotation de 100 millions d’euros en

2009 142 , dont la répartition est directement fixée par le Ministère car fondée sur la basede données du système d’information de l’assurance maladie. En effet, les établissementsintègrent dans leur codification PMSI leur nombre de patients bénéficiaires de la CMU, dela CMU-C, de l’AME ou bien des soins d’urgences prévus par l’article L.254-1 du Code del’action sociale et des familles. Ainsi, les établissements déclarant le plus grand nombrede patients précaires selon ces critères reçoivent une dotation particulière et sont à ce titreattributaires de la mission de service public relative à la lutte contre l’exclusion sociale. Laseconde et dernière MIG consacrée à la prise en charge des populations précaires est celleintitulée « MIG PASS », s’inscrivant dans la même mission de service public que la première.Autrefois financées dans le cadre de la dotation globale, les PASS ont donc dès 2005reçu une dotation spécifique. Cette MIG soutient l’activité des PASS médicales généralistesen tenant compte du temps de personnel qui y est dédié. Ainsi, elle finance au minimumun équivalent temps plein d’assistant social, auquel s’ajoutent des frais de structure quireprésentent 20 à 30 % des charges de personnel.

La politique nationale et régionale dans la conduite du financement de laprécaritéSi le dispositif précédemment exposé permet de prendre en compte au moins partiellementles coûts liés à la prise en charge de la précarité par l’hôpital public, les choix nationauxretenus dans l’évolution de ce financement ne vont pas au bout de la logique originellementpoursuivie et n’intègrent pas pleinement ce dispositif au système de financement hospitalier.

En effet, comme l’expliquait la personne chargée du suivi du financement des MIGAC

au sein de l’ARS Ile-de-France 143 , le législateur a choisi de conserver la T2A commerègle générale et les MIGAC comme exceptions. Ainsi, l’objectif final est de chercherl’atténuation des financements au titre des MIGAC, qui doivent rester compensatoires et

140 Arrêté du 13 mars 2009 pris pou r l'application de l'article D.162-8 du code de la sécurité sociale141 Rapport 2010 au Parlement sur les missions d'intérêt général et l'aide à la contractualisation des établissements de santé.

Ministère de la Santé et des Sports.142 Annexe XI143 Annexe XI

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ne visent finalement pas à prendre en charge la totalité des frais générés par la mission

de service public attribuée. C’est ce qu’exprime d’ailleurs le rapport publié en 2010 144

: « D’une manière générale, la dotation MIGAC n’est pas sanctuarisée, elle doit êtreutilisée par les ARS comme un instrument de mise en œuvre dynamique des politiquesnationales et des reformes régionales ». Suivant cette logique, le guide de contractualisationdes dotations finançant les MIG, sorte d’avant-projet visant à accompagner les ARS dansleur démarche de contractualisation avec les établissements, précise que « le CPOM doitpréciser explicitement la durée pendant laquelle l’établissement est éligible à la dotation »

et qu’en aucun cas il ne doit aboutir à « créer une surcompensation ». 145 Les chiffres

présentés dans le rapport de 2010 et issus de la DGOS confirment l’aspect non pérennedes MIGAC, l’évolution annuelle de la dotation globale n’étant plus que de 5,6 % en 2010alors qu’elle était de 9,7 % en 2007. C’est dans cette logique que le montant de la dotationattribuée au titre de la « MIG PASS » ne prend pas directement en compte les fluctuationsd’activité et le nombre de patients reçus, mais s’en tient au temps de personnel dédié à laprise en charge de ces derniers. De ce fait, les frais supplémentaires engagés par les PASSse retrouvent financés par un reliquat, qui correspond aux frais de structure et est égal à20-30 % des frais de personnel. Le caractère strictement compensatoire des MIGAC permetde mieux comprendre la crainte des professionnels de terrain rencontrés à l’hôpital Saint-Antoine, qui déplorent la fragilité de ce type de financement. Toutefois, il est important demodérer ce propos en rappelant que devant la nécessité exprimée, la reconduction des MIGa été menée sans problèmes, le pouvoir central ayant préféré réduire la part des AC, quiavaient originellement vocation à accompagner les établissements dans la mise en œuvrefonctionnelle de la réforme de la T2A. Le même rapport de 2010 indique en effet, à partir deschiffres de la DGOS, que le périmètre des « autres MIG », dont les « MIG PASS » et « MIGprécarité », a évolué plus rapidement que celui des MERRI et des AC entre 2006 et 2009.Une autre difficulté posée, cette fois par le financement de la « MIG précarité », est l’effetde seuil créé par la volonté d’éviter le saupoudrage de cette dotation. Le dispositif oubliaiten effet certains établissements, pourtant confrontés à la prise en charge de la précarité.Les nouvelles modalités d’attribution ont partiellement répondu à cette problématique en2010, en baissant le seuil plancher à 10,5 % de séjours CMU ou AME ainsi qu’en portantle montant de la dotation à 150 millions d’euros.

Dans l’attribution des MIGAC, la région Ile-de-France bénéficie, au même titre que laCorse, la Réunion et les DOM-TOM, d’un coefficient prenant en compte une particularitégéographique générant des surcoûts. Pour le cas de la région parisienne, ce coefficient estsurtout indexé sur le coût de l’immobilier, et permet ainsi d’augmenter les frais de structureattribués aux établissements. Ainsi, les derniers chiffres, délivrés lors d’un entretien à

l’ARS 146 , indiquent que l’Ile-de-France a reçu 36 millions d’euros de dotation au titredes MIG. Ces financements permettent à l’ARS Ile-de-France d’inscrire au rang de sespriorités la réduction des inégalités sociales de santé, comme on peut le voir dans le Planstratégique élaboré pour la période 2011-2016. Les PASS permettent en effet de rejoindredes objectifs fixés tels que « la promotion de la santé » auprès des populations précaires

144 Rapport 2010 au Parlement sur les missions d'intérêt général et l'aide à la contractualisation des établissements de santé.Ministère de la Santé et des Sports.

145 Guide de contractualisation des dotations finançant les missions d ’ intérêt général – version 0 [PDF].DGOS - Ministère de la Santé et des Sports. [page consultée le 5 juin 2012]. < http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_de_contractualisation_des_dotations_financant_les_MIG-3.pdf >

146 Annexe XI

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et le renforcement des « pratiques cliniques préventives ». Elles accompagnent aussi lesobjectifs plus précis annoncés pour le prochain PRAPS en attente de publication, tels quela garantie de « l’ouverture et l’effectivité des droits » à une couverture sociale, « la prise en

compte de la souffrance psychique » et les activités de dépistage. 147 En conformité avec

les décisions prises au niveau national, l’ARS Ile-de-France fait actuellement le choix degarder stable le montant des MIG et de faire supporter les mesures d’économie nécessairessur les AC. Dans la répartition de la MIG PASS, l’ARS avait aussi le choix de favoriserles établissements qui en disposaient déjà, ou bien de permettre la création de nouvellespermanences. Encore une fois en accord avec l'Etat, l’Ile-de-France a choisi de ne pas« effilocher » cette dotation, l’objectif n’étant pas forcément d’avoir une PASS dans chaqueétablissement mais de distribuer les ressources de manière efficiente, afin d’avoir « une

réponse adaptée » là où il y a de la précarité. 148 Par ailleurs, le responsable en charge du

suivi du financement des MIGAC 149 a réaffirmé en entretien le caractère compensatoiredes MIGAC, que l’ARS ne compte pas recalibrer chaque année en fonction des aléasde l’activité. Le financement de la « MIG précarité » répondant à un calibrage national,comme nous l’avons vu précédemment, l’ARS ne joue dans ce domaine qu’un rôle de

« boîte aux lettres » 150 . Néanmoins, elle peut mener des études et former des groupes detravail, notamment par le biais de ses délégations territoriales, qui travaillent au plus prèsdes établissements, dans le but de remonter au Ministère des informations relatives à desspécificités territoriales et des surcoûts qui ne seraient toujours pas pris en charge.

Comme nous l’évoquions plus tôt, l’AP-HP est considérée par l’ARS comme unétablissement public de santé, au même titre que les autres hôpitaux. Toutefois, sataille importante et sa tradition de prise en charge de la précarité lui font absorber unegrande partie des dotations distribuées par l’ARS Ile-de-France au titre des MIGAC. Les

chiffres de la dernière année révélés en entretien 151 indiquent par exemple que l’AP-HPa reçu 21 millions d’euros sur les 36 millions versés à la Région Ile-de-France. En tantqu’établissement public de santé, l’AP-HP est totalement autonome dans la répartition desdotations reçues, et c’est elle qui remonte ensuite à l’ARS l’activité des établissements.En entretien, le responsable du suivi des MIGAC de l’ARS a d’ailleurs insisté sur lefait que l’Agence n’a aucun droit de regard sur la manière dont les crédits MIGAC sontrépartis entre les différents établissements de l’AP-HP. Toutefois, l’ARS est responsabled’une juste répartition territoriale de l’activité et à ce titre, elle vérifie a posteriori quel’activité est suffisamment développée au regard des crédits reçus par l’AP-HP. Elle peuten effet revoir le montant de ces crédits, par rapport aux indicateurs d’activité qui lui sontremontés et analysés par des experts connaissant le terrain. Néanmoins, l’ARS ne prendqu’exceptionnellement des mesures, lorsque les problèmes de disparité de l’activité sontflagrants. L’AP-HP compte une vingtaine de PASS médicales généralistes, dont la grandemajorité est intégrée à une policlinique. Les PASS restantes sont associées à un servicedes urgences ou de médecine interne. L’AP-HP a des comptes à rendre à l’ARS dans laventilation des crédits MIGAC et suit donc globalement les recommandations de la DGOS.

147 Annexe XXII148 Annexe XI149 Annexe XI150 Annexe XI151 Annexe XI

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Elle reprend sa définition de ce qu’est une PASS, qui doit se composer au minimum d’unéquivalent temps plein d’assistant social. Pour ventiler l’enveloppe attribuée par l’ARS, elleutilise ensuite sa propre clef de répartition, qui fixe le montant alloué par personnel et paractivité. En effet, l’AP-HP se distingue du niveau national en prenant aussi en compte la fileactive, c’est-à-dire le nombre de patients vus dans le cadre d’une consultation de précarité.Selon la responsable des PASS à la Direction de la politique médicale de l’AP-HP, contactéedans le cadre des entretiens, la file active s'élevait à 1 600 patients précaires en 2011 sur

l’ensemble des sites de l’AP-HP. 152 La prise en compte de l’activité permet d’attribuer plus

de ressources aux groupes hospitaliers du Nord-Est de Paris et de sa région, qui reçoiventtraditionnellement plus de précarité. Ainsi, la dotation attribuée au Groupement HospitalierEst Parisien au titre de la « MIG PASS » s’élevait à 2 000 000 € en 2011, ce groupecomprenant les PASS de Saint-Antoine et de Tenon. Toutefois, la répartition est encoredéterminée par site et non par groupe hospitalier, ce que critiquent certains professionnelsde terrain, qui aimeraient voir l’AP-HP s’adapter plus rapidement au mouvement national derestructuration hospitalière. Ces remarques ont toutefois été prises en compte, car, si celan’est pas encore fait, l’objectif exprimé par l’AP-HP dans son Plan stratégique pour la période2010-2014 est bien de voir se constituer un dispositif de PASS par groupe hospitalier.

Ainsi, nous avons pu voir l’étendue des mesures introduites par les autorités publiquespour permettre à l’hôpital d’assurer sa mission de prise en charge de la précarité. Enparticulier, nous avons exposé les dispositifs mis en place pour prendre en charge lessurcoûts liés à l’accueil de patients précaires, mais nous avons aussi pu en voir les limites.Ces dernières tiennent notamment à la complexité et à la diversité des situations présentessur le terrain. En effet, la précarité ne se laisse pas si simplement appréhender par les loiset les règlements administratifs. Sa prise en charge appelle à l’inventivité et à l’engagementdes professionnels de terrain, qui sont quotidiennement confrontés à de telles situations.Ils sont en effet amenés à développer des stratégies adaptées à chaque cas, car laprécarité nécessite de « repenser chaque situation individuelle », en étant « créatif dans

les modes de soins ». 153 De ce fait, même si elles bénéficient d’une reconnaissance des

autorités publiques, les structures d’accueil mises en place sont des lieux d’innovation et de

« destruction créatrice » 154 , au sens de Schumpeter, elles ont souvent des caractéristiquesuniques car elles ont su s’adapter aux spécificités du lieu où elles sont ancrées. Pourcette raison, leurs modalités de fonctionnement ainsi que les difficultés exprimées par lesacteurs de terrain doivent nous amener à revisiter les indicateurs généraux et schémas

institutionnels sous le prisme du « singulier » et de « l’invisible ». 155 C’est pourquoi nous

allons nous arrêter maintenant sur le fonctionnement des deux structures qui assurentl’accueil des usagers précaires à l’hôpital Saint-Antoine : son service des urgences et sapoliclinique.

152 Annexe XII153 Annexe II154 Joseph Schumpeter, cité dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé.

Rennes : Presse de l’EHESP, 2012. 495 p. ISBN 978-2-8109-0079-4155 Ibid.

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B. Sur le terrain, des initiatives concrètes mais quiconnaissent des limites

1. Le rôle nécessaire des urgences et de la PASS transversale

L’ambiguïté du rôle des urgences« Urgence et précarité, les deux termes pourraient sembler contradictoires, tantl’un doit se résoudre dans un temps bref alors que l’autre ne se constitue et nepeut envisager de se résoudre que sur le temps long ; et pourtant ils touchentpareillement un grand nombre d’individus qui se retrouvent, en un temps plusou moins bref, en situation de détresse physique et sociale, avec une intense

demande de règlement rapide de leurs problèmes. » 156

Cette citation montre toute l’ambiguïté qui caractérise ces services, qui sont la « porte »157 de l’hôpital. Aussi qualifiés de « vitrine » de l’établissement, les services d’urgencesont tenus d’assurer un accueil de qualité sur un plan médical, mais aussi social etpsychologique. Les patients qui se présentent aux urgences viennent pour une douleurressentie, liée à une souffrance qui n'est pas seulement physique mais aussi morale,psychologique et parfois sociale. Certains viennent parce qu’ils n’ont pas accès à lamédecine libérale ou parce qu’ils ne souhaitent pas s’y rendre, et face à eux, les servicesd’urgence doivent être un garant absolu d’accès aux soins, leur réponse devant être fonctiondes demandes exprimées et non pas de ce qu’ils souhaitent traiter. Or, si l’on peut direque les urgences ont toujours existé sous différents aspects, les services d’urgence àproprement parler ont été créés dans les trente dernières années pour remplir une missionambitieuse : réguler l’accès à un hôpital de plus en plus spécialisé en procédant à un

minutieux travail de sélection parmi la foule qui se présente quotidiennement. 158

Peu à peu, « l’accueil et le soin des personnes en situation de vulnérabilité sociale »

sont devenus une « mission » à proprement parler des services d’urgence. 159 Pour de

nombreux précaires, ils sont en effet « un lieu où l’on peut trouver un accueil permanent,de jour comme de nuit, du maternage, une réponse quasi immédiate ». Pour eux, « lafréquentation assidue et tournante des sites d’urgence médicale est une forme de stratégie

de survie. Rester en situation d’urgence permet paradoxalement de rester en vie ». 160 La

DREES a confirmé ce phénomène dans une de ses études, en indiquant que les services

156 VALLEJO R. et al. Urgences et précarité : tri et gestion de la salle d'attente [PDF]. Urgences 2007 – 1er congrès de la

Société Française de Médecine d'Urgence. [page consultée le 24 juin 2012]. < http://www.sfmu.org/urgences2007/donnees/

fs_tout_conf.htm >157 DODIER, Nicolas, CAMUS, Agnès. L'hospitalité de l'hôpital. Communications, 1997, volume 65, p. 109-119158 DANET, François. Où va l'hôpital ? Paris : Desclée de Brouwer, 2008. 222 p. Collection L'époque en débat. ISBN978-2-220-05948-8

159 VALLEJO R. et al. Op. cit.160 MERCUEL, Alain. Psychiatrie et précarité : permanence du lieu ou permanence du lien ? Annales médico-psychologiques,

décembre 2011, volume 169, n°10, p. 615-694. ISSN 0003-4487

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d’urgence accueillent seulement 2 % de situations nécessitant une réanimation ou des soinsintensifs et 8 à 15 % de situations nécessitant une hospitalisation, tandis qu’une grandeproportion est constituée de patients âgés fragiles, de personnes en crise psychosociale

et de cas non urgents. 161 Le Plan stratégique de l’ARS Ile-de-France exprime aussi un

« constat de modification du rôle des urgences » en région parisienne, de plus en plusconfrontées à de nouvelles missions : « développement d’un mode d’accès spécifique auxsoins hospitaliers, réponse à des besoins non satisfaits, notamment pour la prise en chargedes populations à faible niveau de ressources, substitution partielle à la médecine de villeet à la permanence des soins ambulatoire. ».

Dans un hôpital comme Saint-Antoine, réputé pour sa prise en charge de la précarité,

c’est la création du SAMU social qui a joué un rôle important, selon Patrick Pelloux 162 .Ses équipes ont en effet pris l’habitude d’adresser les sans logis aux services d’urgenceprêts à les accueillir, qui sont devenus pour certains un lieu familier. Cette systématisationdu lien entre urgence et précarité est quelquefois dénoncée, mais il est intéressant de voirque les professionnels du SAU de Saint-Antoine ont pleinement intégré cette culture de la

prise en charge sociale. Ainsi, le médecin urgentiste rencontré là-bas 163 tenait à préciserqu’il n'y avait aucune contradiction entre la mission d’urgence que remplit son service etcelle d’accueil de la précarité. Pour lui, celle-ci peut être considérée comme une urgencesous certains aspects, et en tous les cas, les services hospitaliers ouverts sur l’extérieursont chargés de la prendre en charge au même titre qu'un autre type de souffrance.

Le parcours des patients au SAU de l’hôpital Saint-AntoineLes usagers se présentant au service des urgences de Saint-Antoine arrivent par leurspropres moyens ou bien sont amenés, en ambulance, par les pompiers ou par le servicemobile d’urgence et de réanimation. Ils sont accueillis dans un bâtiment situé à l’arrière del’hôpital. Le SAU dispose en effet de sa propre entrée, ouverte sur la rue Crozatier, tandisque l’entrée historique se trouve à l’opposé du site et donne sur la rue du Faubourg Saint-Antoine. Le rez-de-chaussée du service se compose d’une borne d’accueil construite enarc-de-cercle, qui dissimule un box d’accueil. Celui-ci permet à l’infirmier de prendre encharge les personnes dès leur arrivée, pour relever les principales informations, mesurerles paramètres vitaux et repérer ainsi les cas les plus urgents. Sa mission est « de se faire

une idée, en à peu près une à deux minutes, de son problème » 164 . A partir des donnéesrecueillies et de l’observation clinique infirmière, un dossier de soins est constitué, puis lepatient est accompagné en salle d’attente, une zone étant réservée aux piétons et une autreaux brancards. Les dossiers sont ordonnés en classes d’attente, fixées par un délai enminutes, allant de plus de 240 minutes aux urgences dites « absolues ». Les patients dontle pronostic vital est engagé sont orientés en zone de déchoquage pour une prise en chargemédicale immédiate, les autres étant reçus dans un box de consultation pour être vus parun médecin. Suivra ensuite une sortie, avec ou sans traitement, ou bien une hospitalisation.

La détection des problèmes sociaux commence dès l’accueil, les pompiers transmettantparfois à l’accueil des premières informations. Ensuite, l’infirmier alerte l’assistante

161 DREES, citée dans DANET, François. Op. cit.162 PELLOUX, Patrick. Urgentiste. Paris : Fayard, 2004. 257 p. ISBN 2-213-61869-0163 Annexe XIII

164 Annexe IV

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sociale ou les médecins lorsqu’il suspecte une situation nécessitant une prise en chargespécifique.Par ailleurs, l’inscription administrative du patient, qui se fait en demandantnotamment le numéro de téléphone et le nom d’une personne à prévenir, peut permettre derepérer des cas d’isolement social. La cadre de santé des urgences pointait ainsi des critèresobjectifs de repérage, tels que l’absence de logement, de couverture sociale, de mutuelle, lecas d’étranger en situation irrégulière, de mineurs isolés ou encore de femmes victimes de

violences. Toutefois, l’infirmier rencontré au SAU de Saint-Antoine 165 a tenu à préciser quela précarité s’exprime rarement de manière évidente à l’arrivée, mais plutôt au moment dela consultation, voire plus tard. En effet, l’expression de difficultés sociales peut être difficile,la honte empêchant de se livrer aux soignants. En outre, le rythme des urgences fait que letemps consacré à chaque entretien infirmier est souvent limité à trois minutes environ, cequi oblige les soignants à poser des questions fermées appelant à des réponses précises.La brièveté de l’entretien amène souvent l’infirmier à utiliser des critères d’apparence pourrepérer les cas de grande précarité, tels que la tenue vestimentaire et l’hygiène corporelle.Une attention particulière est portée aux personnes âgées, chez qui la précarité peut êtremoins visible et qui nécessitent donc un entretien plus long. En tous les cas, l’activité derepérage n’échappe pas à une dimension subjective, qui relève de la capacité de perceptiondes infirmiers, différente selon leur expérience, les jours et les moments de la journée. Lemédecin, prévenu ou non par l’infirmier, peut aussi décider de contacter l’assistante socialelorsqu’il repère des difficultés sociales au cours de sa consultation.

La vie des urgences, l’accueil des précaires dans les couloirs du serviceDe nombreux sans abri sont amenés par les pompiers, car des passants les ont appelésaprès les avoir croisés dans la rue, en état d’hypothermie ou d’ivresse. Les pompiers ontdésormais obligation de les amener dans un service d’urgence, à moins que la personneconcernée ne signe une décharge. Certains, moins nombreux, viennent aussi par eux-mêmes pour se réchauffer, prendre une douche ou un café, ou bien encore parce qu’ils setrouvent en situation de détresse, alcoolisés ou exprimant des idées suicidaires. Certainsviennent pour fuir la rue qui, par moments, leur fait peur. Ainsi, Patrick Pelloux cite le cas

d’un sans abri venu se réfugier en disant : « j’ai peur, ils sont tous saouls dehors ». 166

En réalité, l’infirmier du SAU estime globalement à 3 % la proportion de sans domicile fixe

nécessitant réellement des soins médicaux urgents. 167 En hiver, de nombreux sans abri

sont admis à dormir dans les couloirs d’attente du service, puis repartent le lendemain aprèsavoir bu un café. En effet, nombre d’entre eux souhaitent repartir à la rue après avoir étéhébergés ou soignés, dont beaucoup reviendront un ou deux jours plus tard. L’infirmier décrit

cette situation de répétition comme un « serpent qui se mord la queue » 168 . Toutefois,certaines personnes sans logement ayant reçu des soins peuvent être accueillies dans leslits infirmiers, ouverts depuis l’hiver 2005 par le SAMU social pour leur offrir quelques tempsdes conditions leur permettant de suivre correctement leur traitement. Il est intéressant deremarquer que la problématique de la violence n’a pas été abordée et ne semble en toutcas pas mise directement en lien avec celle de la précarité, contrairement aux idées reçues.

165 Annexe IV166 PELLOUX, Patrick. Histoire d'urgences. Paris : Le Cherche Midi, 2007. 331 p. ISBN 978-2-7491-0896-4167 Annexe IV168 Annexe IV

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A ce titre, Patrick Pelloux 169 ne cite qu’un cas, celui d’un homme arrivé en état d’ébriété etayant tenté d’étrangler une infirmière qui insistait pour lui proposer une prise en charge.

Parmi les personnes venant sans problème de santé et surtout pour trouver un

hébergement, le médecin urgentiste 170 citait aussi les migrants demandant asile, lesfemmes victimes de violences ou chassées de chez elles, qui sont alors directementadressés à l’assistante sociale du service. Dans son ouvrage relatant son expérience de

médecin urgentiste 171 , Patrick Pelloux cite le cas d’une centaine de personnes de tousâges adressées aux urgences par des associations de sans papiers car elles venaient d’êtreexpulsées de leur lieu de vie, et que l’administrateur de garde a accepté de loger pour la nuitdans les couloirs du service. Il mentionne aussi les prostituées, qui, de tous âges et de toutesnationalités, sont accueillies pour une prise en charge physique autant que psychologique.Ainsi, sur les50 436 passages recensés en 2011 au SAU de Saint-Antoine, seuls 13 498

patients étaient destinés à être hospitalisés par la suite. 172

Pour leur part, les personnes âgées sont souvent amenées par les pompiers et leurétat de santé nécessite presque toujours une prise en charge médicale d’un problème aigu,

qui sera parfois suivi d’un bilan ultérieur plus approfondi. Parmi ces cas, Patrick Pelloux 173

évoque les personnes âgées seules, victimes de tuteurs abusifs et parfois de maltraitances.La cadre de santé interrogée notait aussi les couples de personnes âgées amenés par lespompiers. En effet, les arrondissements situés à proximité de l’hôpital Saint-Antoine abritentde nombreux couples retraités dont l’un, par exemple atteint de la maladie d’Alzheimer,dépend de l’autre. N’ayant pas les moyens de vivre en maison de retraite et les enfantsvivant parfois éloignés, le second se retrouve parfois seul pour s’occuper de son conjoint.Or, comme nous l’avons évoqué précédemment, les personnes âgées et fragiles sont plusvulnérables à la survenue d’un problème aigu, qui peut provoquer une décompensationfonctionnelle générale. Lorsqu’elles se retrouvent dans cette situation, les personnes âgéesen couple sont donc amenées aux urgences, accompagnées de leur conjoint souffrant d’unepathologie chronique et ne pouvant rester seul.

L’admission des patients précaires dans le service d’aval des urgencesLa vie aux urgences de Saint-Antoine nous montre que l’accueil quotidien de personnes

précaires « est une sorte de tradition » 174 dans ce service. Cette « particularité » 175 amèneà gérer des situations sociales qui se règlent dans un temps long, certains patients ayantbesoin d’un hébergement temporaire dans l’attente d’une solution alternative.

169 PELLOUX, Patrick. Histoire d'urgences. Paris : Le Cherche Midi, 2007. 331 p. ISBN 978-2-7491-0896-4170 Annexe I171 PELLOUX, Patrick. Op. cit.172 Chiffres de l'AP-HP173 PELLOUX, Patrick. Op. cit.

174 Annexe I175 Annexe I

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II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris : portée et limites d’une prise en charge spécifique des usagersprécaires

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Les patients dont la situation médicale est jugée « instable » 176 peuvent tout d’abordêtre admis en Unité d’hospitalisation de très courte durée. Comme son nom l’indique, cetteunité est censée recevoir des patients pour une journée au maximum, même si la nécessitéde prolonger certaines surveillances rend cette règle partiellement caduque dans les faits.Pour une durée maximale de six jours, les patients peuvent ensuite être hospitalisés enservice d’aval. A ce propos, le médecin urgentiste et l’infirmier interrogés à Saint-Antoineont tout d’abord tenu à indiquer que cette procédure nécessitait toujours un motif médical.Néanmoins, ils ont tous deux reconnu que la dimension sociale rentrait en compte dans lechoix d’admission. Le médecin précisait qu’une telle prise en compte était inscrite « mêmedans les livres de médecine », citant l’exemple des patients dont l’absence de domicile rendcompliqué voire impossible le suivi de certains traitements. Là aussi, la durée maximaleest parfois dépassée par la difficulté d’organiser certains transferts vers des services despécialité. Pour ceux qui ne sont pas destinés à rester en hospitalisation, le travail d’enquêtesur leur situation sociale afin d’y apporter une réponse tangible peut prendre plus de tempsque prévu. Toutefois, les deux personnes interrogées ont tenu à préciser que de tels cassont assez rares, car les sans abri restent le plus souvent dans les couloirs des urgences

ou les box de consultation, le service porte étant avant tout un lieu « tampon » 177 visantle transfert de ses patients dans un autre service.

Pour nous recentrer sur le cas des patients précaires malades, il est à noter un projetactuellement en marche et débattu lors d’une conférence tenue le 23 mai 2012 en vue defluidifier l’aval des urgences au niveau du groupe hospitalier, c’est-à-dire à la fois le passagedu SAU à l’UHCD et le passage de l’UHCD aux services de spécialité. Il est notammentprévu de fiabiliser l’information sur les disponibilités de lits dans les divers services dugroupe hospitalier, en harmonisant les pratiques de recherche de lits et en sensibilisantles services d’aval à la nécessité d’utiliser un outil de communication commun. Ce projetconduirait notamment à inscrire la fluidité de l’aval des urgences dans le projet médical dugroupe hospitalier et à favoriser la contractualisation entre les urgences et les différentspôles, pour fixer par exemple un volume de séjours d’aval des urgences pour chaquespécialité.

La mission des assistantes sociales dans le cadre de la PASS transversaleComme nous l’avons dit plus tôt, la dotation attribuée à l’hôpital Saint-Antoine au titre dela « MIG PASS » finance l’activité de PASS dédiée comme de PASS transversale. Dansle cadre de cette dernière, la dotation reçue est répartie sur l’ensemble des services del’hôpital, pour financer la part de l’activité des travailleurs sociaux dédiée à la précarité.Les urgences de Saint-Antoine comptent ainsi deux assistantes sociales au SAU et une au

service porte, un nombre que le médecin urgentiste juge « suffisant » 178 .L’assistante sociale interrogée en entretien décrivait sa mission particulière aux

urgences en évoquant l’orientation et l’accueil, l’accompagnement du patient et desa famille, mais aussi et surtout l’aide au retour à domicile. Les assistants sociauxaccompagnent les patients dans la reconnaissance de leurs droits, et Patrick Pelloux cite àce propos la venue d’un homme de 68 ans, contraint de faire le ménage dans une brasseriecar, seul et malade, il n’avait pas fait les démarches nécessaires au versement de sa

176 Annexe I177 Annexe I

178 Annexe XIII

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pension. Son admission pour traiter une pneumonie a été l’occasion pour les assistantessociales d’entamer les procédures administratives pour que lui soit reconnu son droit àla retraite. Dans beaucoup de cas cependant, la reconnaissance de droits concerne lacouverture sociale, afin que le patient puisse se soigner sans obstacle financier à l’avenir,mais aussi pour que l’hôpital se voie rembourser les soins délivrés. L’assistant social estaussi chargé d’utiliser le réseau créé par la PASS transversale avec ses collègues desautres services, pour faciliter le transfert des patients nécessitant une hospitalisation dansle service correspondant à leur pathologie.

Aux urgences, le travail des assistants sociaux est majoré par le temps passé à devoirconvaincre certains patients, venus chercher des soins mais refusant de se voir apporterune aide autre que strictement médicale. A ce titre, Patrick Pelloux cite le cas d’un hommevenu aux urgences pendant un an, à raison de trois à six fois par jour. Il absorbait de l’alcool,était victime de violences mais refusait toute aide, ripostant aux assistantes sociales : « jeveux crever comme je veux ». Un jour, celles-ci sont allées à sa rencontre devant l’hôpital et

sont parvenues à le convaincre de prendre en charge son dossier social. 179 La « mosaïque

de problèmes » 180 qui se présente aux assistantes sociales nécessite de très longuesenquêtes sociales et les a poussé à développer le plus possible leur réseau professionnel.Ainsi l’on peut évoquer le cas d’un jeune de 15 ans, pour lequel il a fallu trouver un foyerd’hébergement, ou encore d’une adolescente du même âge dont la situation a nécessité une

coordination avec les services sociaux de la Ville de Paris. 181 Le « carnet d’adresse » des

assistantes sociales leur a permis de gérer des crises de grande ampleur, comme celle de

trente-cinq « Roms » venus en même temps demander un hébergement. 182 Leur travail les

amène aussi à contacter des associations pour permettre la protection de mineurs menacésou de femmes victimes de violences, mais aussi pour trouver un hébergement de long termeà certains sans abri, qui, contrairement aux idées reçues, sont nombreux à être déjà assurésvoire souscripteurs d’une mutuelle.

Toutefois, le travail des assistantes sociales travaillant aux urgences connaît des limites.Notamment, de nombreux patients en fin de droit ne poursuivent pas les démarchesentamées par l’assistante sociale lors des entretiens successifs. Comme l’expliqueun médecin de la policlinique Baudelaire, la détresse sociale s’accompagne souventd’une détresse psychique, qui n’encourage pas à prendre en main les problématiques

administratives. 183 Par ailleurs, les médecins et assistantes sociales sont déjà débordés

par le travail d’urgence et le cas de patients âgés, pas forcément précaires mais dont l’étatde santé rend le transfert difficile. Ainsi, les patients en fin de droit mais valides passent àla fin du rang des priorités. D’où la nécessité d’une collaboration étroite avec la policliniqueBaudelaire et sa PASS identifiée, dont une grande partie de l’activité est consacrée à cetype de prise en charge.

Un travail de concert avec la policlinique Baudelaire

179 PELLOUX, Patrick. Histoire d'urgences. Paris : Le Cherche Midi, 2007. 331 p. ISBN 978-2-7491-0896-4180 Ibid.181 Ibid.182 Annexe XIII183 Annexe X

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II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris : portée et limites d’une prise en charge spécifique des usagersprécaires

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Le premier aspect illustrant la proximité du SAU avec la policlinique Baudelaire est

géographique, car le plan de l’hôpital 184 nous montre l’existence d’un bâtiment commun

qui est le pavillon « UPR ». Ouverte en 2009 et « clairement identifiable au cœur del’assemblage hétéroclite des bâtiments de la "machinerie" hospitalière de Saint Antoine »,cette construction autonome et conçue en forme de croix a affirmé l’entrée de la rue

Crozatier comme « la nouvelle porte de l’hôpital ». 185 Le rez-de-chaussée bas accueille

les urgences médico-chirurgicales et le rez-de-chaussée haut la policlinique, tandis quele deuxième étage est occupé par le service de réanimation médicale. La construction dupavillon a donc encore facilité la collaboration de deux services, qui ont toujours travailléensemble.

En effet, le questionnaire rempli par les personnels de la policlinique Baudelairedans le cadre de l’enquête menée sur les dispositifs PASS en Ile-de-France indique une

procédure formalisée entre les deux services. 186 Cela s’explique par la nature de l’activité

accomplie par la policlinique, qui fournit des soins de premier recours et permet à ce titre le

« désengorgement des urgences ». 187 Elle accueille ainsi les personnes dont l’état de santé

nécessite une intervention médicale mais sans caractère d’urgence. Ainsi, c’est d’abordle caractère urgent de la pathologie et non le critère social qui amène à orienter l’usagervers l’une ou l’autre des deux structures. Il est donc fréquent que la policlinique se retrouve

à prendre en charge des cas de « bobologie » 188 adressés par les urgences. Mais ellegère aussi de nombreux cas de pathologies chroniques dont l’épisode de décompensationa été traité par les urgences. La policlinique accomplit aussi des activités de « traumatologie

post-urgence » 189 et reçoit à ce titre de nombreux patients adressés par le SAU aprèsles premiers soins. Comme nous l’avons vu précédemment, les sans abri en recherched’un hébergement ont l’habitude de se présenter, seuls ou accompagnés, au service desurgences, qui est réputé pour sa tradition d’accueil. C’est pourquoi les responsables de lapoliclinique cherchent à faire connaître leur structure, non seulement auprès des sans abrimais aussi des associations de maraude, qui gardent encore l’habitude de les adresser auxurgences. Ils souhaitent en effet présenter leur structure comme une réelle alternative auxurgences dans la prise en charge de la précarité sur le long-terme.

La procédure d’orientation inverse se pratique aussi, d’abord parce que la policliniquedispose d’horaires d’ouverture, contrairement au service des urgences. Elle ouvre en effetà 7h30 et ferme à 18h, cinq jours par semaine, sauf le jeudi où la fermeture est retardéeà 20h. Si de tels horaires sont déjà larges pour une structure de ce type, ils nécessitentl’activité complémentaire des urgences, qui sont ouvertes 24h sur 24. Celles-ci accueillentaussi bien entendu les cas présentés à la policlinique pendant ses horaires d’ouverture et

184 Annexe XX185 Architopik.com [en ligne]. [page consultée le 8 août 2012]. < http://architopik.lemoniteur.fr/index.php/realisation-architecture/hopital_saint_antoine/550 >

186 Annexe XXV187 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012.

495 p. ISBN 978-2-8109-0079-4188 Annexe II189 Annexe XIII

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pour lesquels on détecte un caractère de gravité nécessitant une prise en charge immédiate,que la policlinique n’est pas en mesure d’assurer.

2. La policlinique et la PASS dédiée au cœur du dispositif

L’Espace Baudelaire, lieu d’expérimentation et d’innovation« L’aventure avant, fut médicale. Nous étions quelques-uns que le malheurdes autres ne trouvait pas inactifs. Nous avions conjugué nos efforts sousdes latitudes extrêmes auprès de gens différents, dont nous découvrions les

douleurs semblables et les plaintes identiques. » 190

Commençons par la grande particularité de la PASS localisée à la policlinique Baudelaire,qui est la première à avoir vu le jour au niveau national, à titre expérimental. Elle a eneffet été ouverte en janvier 1992, sous l’impulsion de médecins et d’assistantes socialesengagés dans des missions humanitaires. Le chef de file de cette démarche a été JacquesLebas, cofondateur de l’ONG Médecins du Monde qui a lutté pour apporter des soins dansles pays en conflit. Cette expérience l’a sensibilisé aux problématiques d’accès aux soins,qui sont devenues en même temps plus prégnantes en France dans les années 1980. Laraison en était les difficultés croissantes d’accès aux soins en Ile-de-France, corrélées àla montée de l’épidémie de SIDA. En effet, cette maladie s’est d’abord diffusée dans desmilieux marginalisés, et les personnes porteuses du virus se sont retrouvées encore plusexclues d’un système hospitalier qui n’était pas capable de les soigner. Ainsi a été crééela structure appelée « Espace Baudelaire » au sein de la policlinique médicale de l’hôpitalSaint-Antoine, suivie entre 1993 et 1997 par une quinzaine de dispositifs semblables au seinde l’AP-HP et dans des hôpitaux ailleurs en France. Ce sont ensuite les manifestations etcolloques organisés par la policlinique Baudelaire et d'autres structures analogues qui ontcontribué à une reconnaissance nationale de ces dispositifs, concrétisée par la loi contre

les exclusions de 1998 191 et la reconnaissance officielle des PASS.

L’avance des frais de santé par le bon BaudelaireLa policlinique est un lieu de médecine générale et spécialisée ouvert à tous, que l’on soit ounon précaire. Elle propose des consultations médicales et infirmières, autant que sociales etpsychologiques, ainsi que des permanences associatives. Ce qui fait toute la spécificité dela policlinique Baudelaire est « la notion du sans-rendez-vous », qui permet de « toucher despopulations en rupture qui peuvent avoir des difficultés à s’inscrire dans une consultation

programmée ». 192 A l’intérieur de la policlinique, la permanence d’accès aux soins de

santé doit se comprendre comme un dispositif particulier permettant de soigner les maladesprécaires et plus particulièrement sans couverture sociale.

Dans cette perspective a été mis en place le « bon Baudelaire », qui peut être distribuépar toute assistante sociale de l’hôpital et s’assimile à une « sécurité sociale locale et

190 Annexe XXIII191 Loi n°98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions192 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012. 495p. ISBN 978-2-8109-0079-4

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ponctuelle » 193 . Il représente en effet une avance sur les frais engagés par l’hôpital poursoigner le patient sans couverture sociale. Il finance des consultations médicales, desradiographies et des scanners, des prélèvements sanguins, des séances de kinésithérapie,ainsi que l’acquisition de certains médicaments délivrés par la pharmacie de l’hôpital, maisen aucun cas des hospitalisations, qui relèvent de modes de financement spécifiques. Lespersonnes admissibles à ce dispositif sont d’abord celles ne disposant pas de couverturesociale, mais aussi parfois les bénéficiaires de la CMU et les assurés sans complémentaire

santé, qui ne peuvent pas toujours avancer le prix de leurs médicaments. 194 Le bon est

remis après évaluation de la situation sociale et administrative du patient, et pour une duréed’un jour à un mois, renouvelable après des entretiens ultérieurs.

Toutefois, le médecin responsable de la PASS a insisté en entretien sur les

phénomènes de fraude et la nécessité de s’en prémunir. 195 De la même manière, l’infirmier

rencontré à la policlinique insistait sur l’importance de repérer la triche, car selon lui, laPASS est vue comme « un bon plan » pour de nombreux étrangers en situation irrégulière.196 Ces discours rappellent le principe de régulation économique et de sélection pourl’accès au système de soins, qui est aussi à la base de la fondation des PASS. En effet,les professionnels de la policlinique sont soucieux de respecter « l’impératif économique »197 et l’enquête sociale éventuellement menée permet d’évaluer les capacités financièresdu patient. De la même manière, l’assistante sociale sensibilise systématiquement lepatient aux dépenses occasionnées par la délivrance du bon Baudelaire, afin de lui fairecomprendre que les soins dont il bénéficie ne sont pas gratuits. Si les maladies gravesnécessitant des soins urgents poussent à délivrer immédiatement un bon Baudelaire àcertains étrangers en situation irrégulière, tous ne sont pas dans cette situation. Ainsi, parmiles migrants arrivés en France depuis moins de trois mois et donc non bénéficiaires del’AME, il importe de repérer ceux qui se destinent à rester sur le sol français et ceux quisont venus exclusivement pour recevoir des soins, voire ceux venus faire du tourisme enFrance. A ce propos, les professionnels de la policlinique ont rapporté certaines scènes deplainte ou d’agressivité auxquelles ils ont dû faire face en annonçant le refus de prise en

charge dans le cadre du dispositif Baudelaire. 198

L’entretien infirmier et la consultation médicaleLa policlinique Baudelaire peut être présentée comme un « plateau technique où différents

acteurs interviennent » 199 . L’accueil du patient commence par une consultation infirmière,suivie d’une consultation médicale, et se termine par un entretien avec une assistante

193 Annexe II194 Annexe VI195 Annexe IX196 Annexe IV197 Annexe II198 Annexes II et IX

199 Assistance Publique – Hôpitaux de Paris – 2011, année des patients et de leurs droits [en ligne]. Paris. [page consultéele 8 juin 2012]. < http://2011anneedroitspatients.aphp.fr/Policlinique-Baudelaire-la-permanence-d-acces-aux-soins-PASS-de-Saint-Antoine.html?article>

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sociale dans environ un tiers des cas 200 . Ce parcours fléché permet de cibler les troisprofessions qui se coordonnent pour permettre une prise en charge globale des usagersprécaires, dans ses dimensions médicale, sociale et psychologique.

Le patient est d’abord accueilli par un aide-soignant ou un agent, chargé de releverle motif de consultation et l’identité, ce qui n’est pas toujours aisé chez les personnesdésorientées ou ne parlant pas français. Ensuite, le patient rencontre l’infirmier, qui évaluenotamment sa situation médicale pour l’orienter au mieux selon la nature de sa ou sespathologies. Cet entretien est aussi l’occasion de « la mise à plat des problèmes », tantmédicaux que sociaux et psychologiques, qui facilitera la consultation médicale ultérieure et

déterminera l’orientation vers l’assistante sociale. 201 De nombreux étrangers en situation

irrégulière ou sans abri sont amenés par des organismes, tels que le SAMU social, Médecinssans frontières, Médecins du Monde ou encore l’Aide Sociale à l’Enfance. Ceux-ci ont déjàentamé certaines procédures et en informent alors le personnel de la policlinique, pour qu’ilsache par où commencer son travail. L’entretien infirmier permet aussi « d’aborder deséléments de prévention », qui feront progressivement intégrer au patient l’importance de

surveiller sa santé. 202

Ce premier entretien permet de « couper le cordon » 203 qui sépare l'individu de l'hôpital,d’instaurer un lien de confiance qui devra progressivement s’élargir aux autres acteurs dela prise en charge. En effet, l’entretien infirmier ne peut pas être infini, et c’est souventle médecin qui aura la possibilité d’approfondir le lien instauré. L’infirmier inscrit donc lepatient dans une consultation du matin ou de l’après-midi, en fonction de son état de santéet de son éventuelle désorientation. Le fait de ne pas aborder la question du règlementavant la consultation médicale évite de faire fuir dès le début les patients sans ressources.Il est à noter que beaucoup de gens viennent régulièrement à la policlinique sans passerpar l’accueil car ils ont déclaré la structure comme médecin référent auprès de l’assurancemaladie. Cette possibilité est un élément supplémentaire permettant de construire « un lien,un fil conducteur », qui permettra progressivement au patient précaire de « tendre vers

l’autonomie », pour pouvoir ensuite « réaliser seul sa prise en charge ». 204

Vient ensuite la consultation médicale, douze généralistes étant disponibles, dont deuxà plein-temps. La policlinique propose aussi des consultations réalisées par quelquesspécialistes vacataires. Parmi eux, on peut citer un orthopédiste, un diététicien, un gériatre,un psychiatre et un dermatologue. Les patients ayant besoin d’une autre spécialité serontorientés ailleurs dans le cadre de la PASS transversale. La prise en charge psychologique,pour sa part, peut être sollicitée pour les patients dont la détresse psychique participe aux

200 Annexe XIV201 Assistance Publique – Hôpitaux de Paris – 2011, année des patients et de leurs droits [en ligne]. Paris. [page consultée

le 8 juin 2012]. < http://2011anneedroitspatients.aphp.fr/Policlinique-Baudelaire-la-permanence-d-acces-aux-soins-PASS-de-Saint-Antoine.html?article >

202 Assistance Publique – Hôpitaux de Paris – 2011, année des patients et de leurs droits [en ligne]. Paris. [page consultéele 8 juin 2012]. < http://2011anneedroitspatients.aphp.fr/Policlinique-Baudelaire-la-permanence-d-acces-aux-soins-PASS-de-Saint-Antoine.html?article >

203 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012.495 p. ISBN 978-2-8109-0079-4

204 Ibid.

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symptômes ou entrave le processus de soin. Le psychologue libère alors la parole du patientpour lui permettre d’entamer un projet de soin durable.

L’accompagnement social et l’ouverture des droitsL’assistante sociale est contactée systématiquement pour les patients amenés par desassociations, ainsi que pour ceux ne disposant pas de couverture sociale ou bien d’unecouverture partielle. Les critères semblent donc objectifs, mais cela dissimule une réalitéplus complexe. En effet, de nombreux patients ne savent pas s’ils sont encore couverts, ou

bien font croire qu’ils le sont pour dissimuler dans un premier temps leur situation. 205 Les

soignants sont aussi alertés par les cas de difficultés de logement, de séjour irrégulier, ouencore de mineurs isolés ou de femmes victimes de violences. De manière plus subjective,l’orientation vers l’assistante sociale peut aussi être proposée par cette dernière elle-même,ou bien par concertation entre les infirmiers et les médecins, qui suspectent une situationcompliquée sans forcément en savoir plus. Il est à noter que l’entretien social peut aussiêtre sollicité par le patient lui-même ou par son accompagnant, et que dans l’autre sens, lepatient peut aussi refuser de rencontrer l’assistante sociale. Dans tous les cas, l’assistantesociale intervient après les infirmiers et les médecins, car il ne faut pas oublier que la priseen charge en policlinique est avant tout d’ordre médical, même pour ceux qui ne présententpas de pathologie apparente et sont habitués à venir pour solliciter un entretien social.

Dans un premier temps, l’assistante sociale pose des questions qui suivent globalementle dossier social. Elles concernent des informations telles que le lieu de résidence, lanationalité, la couverture sociale ou le statut conjugal. Néanmoins, l’entretien social nes’arrête pas au recueil d’informations et vise aussi à installer une relation de confianceavec le patient, qui est souvent en situation de rupture sociale. Il peut être l’occasionde sensibiliser le patient à la prévention, en lui proposant une éventuelle orientationvers d’autres médecins, pour des consultations spécialisées ou des dépistages. Certainesinformations recueillies sont insérées dans le dossier médical, mais la plupart descommunications entre les assistantes sociales et les médecins restent orales.

L’entretien social vise aussi à poser la question cruciale de l’ouverture des droits. Lebon Baudelaire n’est en effet qu’un dispositif temporaire, permettant de mettre à plat lasituation administrative du patient et de constituer éventuellement son dossier de couverturesociale. Le travail de l’assistante sociale permet ainsi de récupérer l’AME pour un patientétranger qui a bénéficié du bon Baudelaire jusqu’à être arrivé à trois mois de résidencesur le sol français. Il est également beaucoup de patients qui ne sont pas couverts parcequ’ils n’ont pas fait les démarches nécessaires. Le travail de l’assistante sociale consistealors à reconstruire leur histoire pour savoir comment rétablir leurs droits, mais aussià leur expliquer le fonctionnement des diverses institutions sociales et administrativesauxquelles ils auront affaire dans leurs démarches. L’ouverture des droits permet au patientde retrouver une couverture sociale, mais il représente aussi le moyen pour l’hôpital de sefaire rembourser les frais avancés. En effet, dans le cadre de sa convention avec la Caisseprimaire d’assurance maladie, la PASS demande la rétroactivité des droits ouverts et obtientainsi le remboursement des soins qu’elle a pratiqués.

Toutefois, la mission de l’assistante sociale ne s’arrête pas à une procédure d’ouverturedes droits. Elle est aussi chargée d’organiser la période qui suivra les soins, et pour cela,elle s’appuie sur un réseau d’associations que s’est constitué la policlinique Baudelaire,dont nous allons parler maintenant.

205 Annexe IV

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Le réseau associatifL’important réseau que s’est constitué la policlinique Baudelaire vient de sa tradition de priseen charge de la précarité et de l’engagement de son personnel, notamment ses assistantessociales, pour lesquelles le travail en partenariat avec les réseaux extra-hospitaliers fait

partie des missions principales. 206 Le volontarisme du personnel et la réputation de la

structure permettent d’abord à la policlinique Baudelaire de recevoir des dons privés, quis'ajoutent au fonds subventionnel attribué par l’AP-HP pour apporter une aide temporaireaux patients. Ils permettent d’acheter quelques vêtements, cannes ou encore prothèsesauditives, mais aussi d’apporter un soutien financier aux patients dans leurs premièresdémarches administratives. Parallèlement, un réseau associatif s’est construit sur la basede rencontres avec des associations qui traitaient des problématiques communes et qui ontdonc accepté de formaliser par convention leur collaboration avec la policlinique. Ce réseaupermet de compléter la prise en charge médicale et administrative par « une prise en chargesociale globale autour des principaux axes suivants : la recherche d’hébergement, l’aide

alimentaire et l’accès aux droits » 207 .Certaines associations bénéficient, dans le cadre d’une collaboration étroite avec la

policlinique, d’une permanence hebdomadaire dans ses locaux, qui permet d’aller à larencontre du public fragile, là où il a l’habitude d’aller. Parmi elles, l’association Droitsd’urgences s’est constituée en 1995 pour apporter un conseil et une aide juridique,en particulier aux migrants, qui ont dû faire face dans les quinze dernières années àde nombreuses réformes durcissant leurs conditions de séjour. L’association tient sapermanence le jeudi soir dans les locaux de la policlinique, qui accepte pour l’occasion deprolonger son horaire d’ouverture jusqu'à 20h. Une autre association qui a été évoquée partoutes les personnes rencontrées à l’hôpital Saint-Antoine, aussi bien des urgences quede la policlinique, est celle appelée « Les amis du bus des femmes ». Créée à l’initiatived’anciennes prostituées en 1990, cette association se matérialise par un siège social dit« abribus » et un minibus aménagé en lieu d’écoute, qui sillonne les rues de Paris et de sacouronne. Depuis octobre 2010, « Les amis du bus des femmes » tiennent une permanencele jeudi à la policlinique, qui invite des femmes habituellement confrontées aux jugementsde valeur à pousser de nouveau la porte de l’hôpital.

Parmi les organismes collaborant avec la policlinique Baudelaire, nous pouvonségalement citer les institutions d’hébergement d’urgence, tels que le SAMU social, lesFrères missionnaires de la charité et la Mie de pain, mais aussi les centres d’hébergementet de réinsertion sociale et les appartements de coordination thérapeutiques. La Haltesociale fournit une aide caritative et notamment alimentaire, l’association Aurore prend encharge le relogement, l’Aide sociale à l’enfance est contactée lorsque la policlinique a affaireà des mineurs, et l’association Solidarité SIDA propose un lieu d’écoute aux personnesséropositives.

Une structure qui sert de modèle pour les autres PASS

206 Annexe XVII207 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012. 495p. ISBN 978-2-8109-0079-4

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« L’impulsion historique de la policlinique » 208 ainsi que l’engagement de son personnel,aidés par la politique menée par les dirigeants successifs de l’hôpital Saint-Antoine, ontpermis à la PASS de Saint-Antoine d’être reconnue par les autorités publiques, jusqu’àservir de modèle pour des structures similaires. Comme nous le disions au début, ellereste en effet la première structure de ce type créée en France, et qui a sollicité à ce titreune reconnaissance nationale pour permettre le développement de cette activité dans lesautres hôpitaux de France. Avant de conduire à l’officialisation des PASS, obtenue en 1998,cette reconnaissance a été initiée par Simone Veil en 1994, alors Ministre des Affairessociales, de la Santé et de la Ville dans le Gouvernement conduit par Edouard Balladur.Elle déclarait ainsi que « cette consultation a fait les preuves de son efficacité sociale »,

qu’elle est « exemplaire » car elle évite les « dispositifs discriminatoires ». 209 Elle appelait

ainsi à la généralisation de structures basées sur la modèle de l’Espace Baudelaire. Cettereconnaissance est validée sur le terrain, pas de nombreux patients précaires venant s’yfaire soigner régulièrement, après avoir été orientés par les associations ou leur propreentourage. Le médecin responsable de la PASS estime ainsi à 20 % la proportion de patients

ayant choisi la policlinique pour médecin référent. 210 Par ailleurs, le succès du bouche-à-

oreille est montré par le fait que sur les 14 000 venues recensées en 2010, 75 % procédaient

d’une démarche spontanée. 211 Plus surprenant, la cadre socio-éducative, responsable du

service social de l’hôpital, révélait en entretien que la structure était connue jusqu’à Bamako,

par l’intermédiaire des migrants retournés au pays. 212

C’est d’abord la structure très complète de la PASS Baudelaire qui a fait sa réputation.Elle dispose en effet de locaux clairement identifiés et très vastes au sein de la policlinique,dans un bâtiment moderne qui répond à toutes ses attentes en termes d’espace. Il comprendnotamment une grande salle d’attente, deux cabinets infirmiers, six cabinets médicaux, unaccueil social avec deux cabinets d’assistantes sociales, ainsi qu’une salle de surveillance,

une salle de bain et une salle à manger. 213

Par ailleurs, la spécificité de prise en charge des patients complexes qui caractérisela policlinique Baudelaire a permis à son personnel de développer une connaissanceparticulière des problématiques qui lui sont liées. L’effort de coordination professionnelle quenécessite un tel travail permet à chacun de développer un savoir-faire interdisciplinaire, enpartageant ses connaissances et sa perception de la précarité avec les autres professions.Le savoir-faire du personnel médical et paramédical est aussi aidé par un service detraduction, complétant les langues déjà parlées par certains soignants. Cette possibilitépermet de mettre en confiance les patients étrangers et parfois désorientés dès le début de

208 Annexe XXV209 Simone Veil, 1994, citée dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes :Presse de l’EHESP, 2012. 495 p. ISBN 978-2-8109-0079-4210 Annexe IX211 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012. p.372. ISBN 978-2-8109-0079-4212 Annexe VI

213 Annexe XXVI

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l’entretien, en respectant l’anonymat que requiert toute consultation médicale. 214 Ainsi, la

cadre de santé référente à la policlinique estime à 150 le nombre de langues parlées à la

policlinique 215 , permettant ainsi de franchir les barrières linguistiques qui sont un premierfrein à la démarche de soin. Enfin, l’engagement des médecins, infirmiers, aides-soignantset assistantes sociales a été épaulé par celui des pharmaciens et préparateurs, qui se sontinvestis dans une activité bénévole pour permettre l’accès gratuit à certains médicaments.216

L’expérience acquise par les professionnels de la policlinique Baudelaire permet à cettestructure de jouer un rôle de formation et de sensibilisation dans le domaine de la priseen charge médicale des patients précaires. Tout d’abord, la PASS déclare des activitésd’encadrement de thèse, de participation à des colloques et des séminaires. Il arrive aussique son personnel intervienne à la radio, à la télévision ou dans les journaux, comme nous lemontrent de très nombreuses sources disponibles sur internet. Pour apporter son regard surles inégalités de santé et des propositions concrètes à partir de leur expérience personnelle,

l’ensemble des professionnels de la PASS a par ailleurs contribué à la rédaction d’un livre 217

, qui fut une source majeure d’information pour la rédaction de ce mémoire. Par ailleurs, laPASS envoie des intervenants dans les Instituts de formations en soins infirmiers et participe

à des réunions organisées au siège de l’AP-HP, 218 sans oublier qu’elle collabore avec

l’Inserm sur la réduction des inégalités de santé. 219 Mais la majeure partie des activités de

sensibilisation a lieu au sein du collectif PASS, créé en 2007 et qui a donné naissance enjanvier 2011 à l’association éponyme, domiciliée à l’hôpital Saint-Louis. Un bref passage sur

le site internet de l’association 220 permet de voir que les intervenants de la PASS de l’hôpitalSaint-Antoine sont très présents et actifs dans les travaux menés. L’association « CollectifPASS » vise à sensibiliser les professionnels de terrain comme les autorités publiques auxenjeux de la prise en charge des patients précaires, et son activité a par exemple incité lesiège de l’AP-HP à mettre en place un groupe de travail sur ce thème dans le cadre de sonPlan stratégique pour la période 2010-2014.

Lorsque les PASS ont commencé à se développer dans Paris et ailleurs, celle deSaint-Antoine était encore la seule à bénéficier de locaux identifiés et d’un personnel aussi

214 Assistance Publique – Hôpitaux de Paris – 2011, année des patients et de leurs droits [en ligne]. Paris. [page consultéele 8 juin 2012]. < http://2011anneedroitspatients.aphp.fr/Policlinique-Baudelaire-la-permanence-d-acces-aux-soins-PASS-de-Saint-Antoine.html?article >

215 Annexe II216 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012.

495p. ISBN 978-2-8109-0079-4217 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012.

495p. ISBN 978-2-8109-0079-4218 Annexe XXV219 Assistance Publique – Hôpitaux de Paris – 2011, année des patients et de leurs droits [en ligne]. Paris. [page consultée

le 8 juin 2012]. < http://2011anneedroitspatients.aphp.fr/Policlinique-Baudelaire-la-permanence-d-acces-aux-soins-PASS-de-Saint-Antoine.html?article >

220 Collectif PASS – Permanences d’Accès aux Soins de Santé [en ligne]. Paris. [page consultée le 15 juin 2012]. < http://collectifpass.org/ >

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II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris : portée et limites d’une prise en charge spécifique des usagersprécaires

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important, qui lui ont valu sa réputation. Ainsi, elle a rapidement reçu une part importante desdotations versées par l’AP-HP, et cette situation favorable s’est perpétuée. A titre d’exemple,l’hôpital Saint-Antoine a reçu en 2009 991 000 € au titre de la « MIG précarité » et 2 688 459€ au titre de la « MIG PASS », dont 1 916 770 € étaient réservés à la PASS dédiée dela policlinique Baudelaire. Cette somme vient notamment s’ajouter aux dons privés, qui

s’élevaient la même année à 11 000 €. 221 De telles ressources ont permis à la policlinique

d’augmenter son activité au fil des années, comme le montre l’évolution du nombre annueld’entretiens sociaux. Celui-ci a augmenté de 13 %, passant de 4 148 en 2009 à 4 693en 2010. La même année, son service social a obtenu l’ouverture de 150 AME, ainsique de 226 CMU, CMU-C, et exonérations du ticket modérateur, qui correspondent à desremboursements intégraux pratiqués par l’assurance maladie pour des affections de longue

durée. 222 Plus récemment, il est intéressant de voir que sur les 11 444 accueils réalisés

en 2011, la policlinique a reçu pas moins de 1 247 nouveaux venus 223 , ce qui montre sacontinuelle attraction.

3. Un travail de terrain qui n’est pas sans limite

Une convergence vers Saint-Antoine qui pose questionNous l’avons vu, le travail mené sur le terrain par les professionnels des urgences commede la policlinique permet une prise en charge globale des patients en situation de précarité,censée leur permettre de réintégrer durablement la filière de soin ordinaire. Néanmoins,ces efforts connaissent des limites qui doivent amener à réinterroger la manière dont lesautorités publiques prennent en compte cette activité.

Nous pouvons commencer par noter, au risque de reprendre un proverbe bien connu,que les points de force de la policlinique sont aussi ses faiblesses. Précédemment, nousavons en effet pointé une augmentation constante de l’activité, qui est reconnue par toutesles personnes interrogées et amène à s’interroger sur la pérennité d’une telle situation. Eneffet, la réputation de l’hôpital Saint-Antoine fait que les patients y convergent parfois de

loin, tendance que la cadre de santé interrogée semblait de plus en plus déplorer. 224 Ainsi,

à la population précaire des 11ème et 12ème arrondissements, déjà nombreuse, s’ajoutentdes personnes venant de tout le reste de la capitale, ainsi que de départements de banlieuedésertés par la médecine, tels que la Seine-Saint-Denis. En effet, les services ouverts surl’extérieur ne peuvent être contraints à aucune règle de sectorisation, et de toute manière, ilest au moins une part de la population par définition difficile à sectoriser : les sans domicilefixe. Ceux-ci sont nombreux à venir et revenir à l’hôpital Saint-Antoine, même sans problème

de santé particulier, simplement « parce qu’ils savent qu’ils ne vont pas être refoulés » 225

221 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012.p. 372-373. ISBN 978-2-8109-0079-4

222 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012.p. 235-236. ISBN 978-2-8109-0079-4

223 Annexe XXV224 Annexe II225 Annexe II

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. Le médecin responsable de la PASS insistait aussi sur les cas d’immigrés venant se fairesoigner en France, parfois dans des situations désespérées, et poussés par des passeurs

peu scrupuleux. 226

Si les moyens sont présents à Saint-Antoine, il n’est donc pas sûr qu’ils permettentde prendre en charge une augmentation infinie de l’activité. En particulier, la PASS dela policlinique Baudelaire supplante la plupart des autres PASS de l’AP-HP en termesd’activité, ce qui montre le phénomène de convergence auquel elle doit faire face. C’estpourquoi son personnel appelle aujourd’hui à une répartition plus équitable des efforts

de prise en charge. 227 S’il n’a pas été possible de recueillir les informations relatives à

l’activité des autres PASS auprès de la Direction de la politique médicale de l’AP-HP, le seulchiffre fourni donne une idée du déséquilibre existant : la PASS de Saint-Antoine représenteenviron 10 % de la file active totale des PASS généralistes médicales de l’AP-HP, qui sontau nombre d’une vingtaine. Toutefois, il convient de nuancer la portée de cette informationen approfondissant notre analyse.

L’absence de référentiel commun pour l’activité de PASSNous avons vu que, suivant une logique de compensation suivie par l’ARS Ile-de-France,les dotations allouées au titre des MIGAC n’étaient pas destinées à couvrir tous les aléasde l’activité accomplie au titre de la PASS. C’est précisément cette lacune qui est pointée dudoigt par les professionnels rencontrés à l’hôpital Saint-Antoine. Ainsi, les niveaux nationalet régional ne fixent qu’un critère minimum de personnel pour admettre la qualification dePASS, puis les dispositifs mis en place sur le terrain diffèrent totalement selon la politiquestratégique et médicale menée par les établissements. Ainsi, l’existence de dispositifs telsque le bon Baudelaire n’est pas prise en compte et se retrouve financée par le surplusalloué au titre des frais de structure, ou bien encore directement par le budget de l’hôpital,lorsque ce surplus n’est pas suffisant. L’ensemble du personnel de Saint-Antoine a reconnuque les sommes versées lui permettaient pour le moment de mener à bien ses missions,mais tout en dénonçant un mode de financement trop arbitraire. Si les activités de médecine

« lucrative » 228 telles que les actes répondant à la Nomenclature générales des actesprofessionnels et à la Classification commune des actes médicaux, sont enregistrées dansun logiciel de recueil, comme cela se fait dans tout service hospitalier, il n’en est pas demême pour l’activité accomplie par les assistantes sociales. Aucun logiciel commun n’aété mis en place pour suivre le nombre d’entretiens sociaux, de droits ouverts, et plusgénéralement le parcours des patients suivis. Ainsi, l’activité sociale remontée par les

établissements ne s’appuie que sur « du déclaratif, du doigt mouillé » 229 . Par ailleurs, lestextes ne formalisent pas précisément le profil des personnes pouvant être admises à entrerdans le cadre de la PASS. S’ils laissent comprendre qu’elles s’adressent aux précaires etsans-droits ayant besoin de soins médicaux, ils ne sont pas contraignants en tant que tels230 , laissant un vide juridique critiqué par certains.

226 Annexe IX227 Annexe IX

228 Annexe IX229 Annexe XII230 Annexe XI

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La problématique présentée ici permet de comprendre la nature des divergences quiopposent le siège de l’AP-HP à l’hôpital Saint-Antoine, et que les entretiens ont permis demettre en lumière. Le personnel de la policlinique Baudelaire met tout d’abord en avantsa PASS identifiée, qui permet un recensement rigoureux de son activité, notamment parle biais des conférences de pôles régulièrement organisées. Il déplore par contre que leschiffres retenus ne soient pas utilisés par le siège pour la répartition de la dotation MIGAC,par manque d’un référentiel commun de saisie de l’activité. Ainsi, l’hôpital Saint-Antoine neconnaît pas l’activité des autres PASS de l’AP-HP, ni même celle de l’hôpital Tenon, qui

appartient pourtant au même groupe hospitalier. 231 Selon les personnes travaillant à la

policlinique, ces lacunes seraient la source de versements inéquitables. Ainsi, les auteursdu livre Innover contre les inégalités de santé nous expliquent :

« C’est tout d’abord l’utilisation des moyens alloués à ces missions qui posequestion. En effet, les crédits PASS au sein des missions d’intérêt généralet à l’aide à la contractualisation (MIGAC) peuvent être utilisés à Paris et enIle-de-France pour équilibrer les comptes d’un établissement ou localementpour d’autres priorités institutionnelles. Les activités PASS dépendant le plussouvent d’un service (Urgences et Médecine interne en particulier) ou d’un pôlecomprenant des activités parfois disparates, les moyens de la PASS ont pu êtreutilisés pour d’autres activités. Parfois même dans un hôpital une PASS existesur le papier (on en reçoit les financements) mais en réalité, aucune PASS n’est

opérationnelle. » 232

Les personnes rencontrées sur place ont confirmé ce point de vue, considérant quel’augmentation constante de l’activité de la policlinique Baudelaire était en partie due au

fait que certaines PASS « ne [jouaient] pas le jeu » 233 . La distinction est principalementétablie entre d’une part les PASS dédiées, présentes à Saint-Antoine, Saint-Louis, L’Hôtel-Dieu, Lariboisière et la Pitié-Salpêtrière, et d’autre part les PASS transversales. Celles-ci

sont considérées comme plus opaques et pour certaines « un peu fictives » 234 , provoquantun « saupoudrage » arbitraire de la dotation MIGAC.

Le point de vue de la personne contactée au siège de l’AP-HP, qui gère la répartitionde la dotation, est bien entendu différent. Celle-ci rappelle qu’un questionnaire est adressétous les ans aux PASS de l’AP-HP pour qu’elles y recensent leur file active de patients.Néanmoins, l’absence d’harmonisation des pratiques amène certaines structures à nerecenser que les patients non couverts ou partiellement couverts, tandis que d’autrescomptent tous les patients jugés précaires, à l’image de la PASS de Saint-Antoine. Selonla responsable des PASS au siège de l’AP-HP, l’incompréhension résiderait dans la naturede la policlinique Baudelaire. En effet, celle-ci s’est spécialisée dans la prise en charge dela précarité et aurait donc tendance à recenser en file active l’ensemble des patients reçus,sans distinguer l’activité de PASS de l’activité générale de policlinique. Cela a été confirmépar la cadre administrative du pôle UMAG, qui assimilait l'ensemble du travail accompli par

231 Annexe IX232 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP,

2012. p. 326-327. ISBN 978-2-8109-0079-4233 Annexe VI234 Annexe IX

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les assistantes sociales de policlinique à de l'activité relevant de la PASS dédiée. Noustouchons là le nœud du problème, ce qui nous amène à nuancer la part d’activité recenséepour l’hôpital Saint-Antoine, et surtout à comprendre les différentiels constatés dans lesdotations reçues. Ainsi, en 2012, l’hôpital Saint-Antoine a reçu 1 460 000 € au titre de la« MIG PASS », tandis que l’hôpital Tenon se contentait de 180 900 € et l’hôpital Armand-

Trousseau de 1 000 €. 235

Des accueils sans finalitéNous décrivions plus tôt la tradition d’accueil qu’a depuis longtemps développée le servicedes urgences de l’hôpital Saint-Antoine. Mais si l’accueil n’est jamais refusé, il ne trouvepas toujours de finalité concrète, et la policlinique, censée prendre le relais, constate aussiles limites de ses actions.

De plus en plus, le rôle de prise en charge de la misère humaine n’est plus connectéà une demande de soins, de nombreux services d’hébergement adressant par exempleaux urgences les personnes qu’ils n’ont pas la place de loger. Certains restent plusieursjours dans les couloirs le temps que soit connue leur identité, et il est des périodes encoreplus complexes que d’autres à gérer. Ainsi, lors de ma venue en février 2012, la cadrede santé et l’assistante sociale des urgences me décrivaient une situation particulièrementdifficile, notamment favorisée par la saison hivernale. Toutefois, elles ont tenu à contrer lesidées reçues en précisant que la situation est parfois plus difficile délicate en été. En effet,l’isolement social est plus présent du fait des associations fermées et des voisins partis envacances. En outre, le climat parisien ne rend pas forcément plus tenable la vie dehors,alors même que les services ne bénéficient pas du Plan grand froid qui peut les aider en

hiver. 236 A ce propos, le médecin urgentiste a tenu à préciser que, s’il apportait certes « une

aide concrète », notamment en renforçant les capacités d’accueil extra-hospitalier, ce typede mesure ne réglait pas pour autant les problèmes d’organisation qui se posent sur place.Lors de ma venue, le personnel des urgences a évoqué un afflux de personnes, parfoislaissées plusieurs jours sur des brancards, et dont certaines revenaient pour la énième foiscar les solutions d’hébergement initialement trouvées ne s’étaient pas avérées viables.

Malgré l’activisme et l’engagement de son personnel, l’action de la policlinique atteintparfois aussi ses limites. En effet, à part pour celles qui sont venues dans cet objectif, raressont les personnes à demander ou accepter d’emblée une prise en charge globale de leursituation. Comme nous l’avons vu plus tôt, la précarité est un phénomène complexe, porteurde honte mais aussi de déni, qui est bien souvent dissimulé par ceux qui en sont victimes.Une grande partie du temps du personnel est donc occupé par un travail minutieux depersuasion et de négociation, qui ne paie pas toujours. En effet, il s’agit de construire unlien avec une personne qui a besoin d’être à nouveau reconnue en tant que sujet. Or celien est fragile, long à nouer et très rapide à défaire. Il peut donc se rompre à tout moment,donnant l’impression d’avoir travaillé pour rien, jusqu’à se reconstruire petit à petit, parfoisbien plus tard. Ainsi, de nombreuses personnes viennent pour une consultation médicale,se rendent à la pharmacie munis de leur bon Baudelaire, récupèrent le médicament à lapharmacie et ne reviendront plus jamais. D’autres encore s’en vont immédiatement aprèsla consultation médicale, ayant appris que leur médicament ne rentrait pas dans le cadredu bon Baudelaire, qui finance d’abord les traitements les plus coûteux.

235 Annexe XII236 Annexe II

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II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris : portée et limites d’une prise en charge spécifique des usagersprécaires

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Des transferts freinés en service de spécialitéNous en parlions au début de ce mémoire, l’hôpital d’aujourd’hui cherche à soigner despathologies plutôt qu’à prendre en charge des situations sociales difficiles. Il a donc unepréférence pour les admissions programmées, qui rentrent dans le cadre de ses servicesmédicaux sans bouleverser leur organisation. A ce titre, on peut dire que « l’hôpital netourne pas autour des urgences », qui, au contraire, « embêtent tout le monde » car elles

sont facteur de désorganisation. 237 Comme nous l’avons vu, le système de financement

privilégie la prise en charge strictement médicale d’une pathologie unique, et si la « MIGprécarité » est venue compenser une partie des surcoûts liés à la prise en charge despatients précaires, elle n’a pas révolutionné la situation. En effet, de nombreux servicesse retrouvent sous-dotés, du fait d’une procédure de codage complexe et qui n’est doncpas rigoureusement effectuée par tous les chefs de services. Qui plus est, ces dernierssont nombreux à continuer de privilégier les hospitalisations programmées, dans le contexted’une culture gestionnaire de plus en plus largement diffusée.

Ainsi, les médecins et infirmiers, de la policlinique comme des urgences, ontunanimement exprimé la difficulté de transférer les patients précaires, due à la « relative

inertie de [...] certains services » 238 , même dans un hôpital imprégné d’une culture del’accueil, tel que l’est Saint-Antoine. On comprend ainsi mieux le rôle de tampon qu’estamené à jouer le service des urgences, et plus particulièrement en son sein le serviceporte. L’infirmier des urgences le décrivait comme « pris entre deux feux » car chargé degarder les malades que les services de spécialité ne peuvent ou ne veulent pas accueillir.Au premier rang de ces malades se trouvent les patients précaires, souvent atteints depolypathologies et dont le traitement d’un problème aigu ne signifiera pas forcément unesortie immédiate. Particulièrement réactif sur un tel sujet, Patrick Pelloux dénonce les« patrons des spécialités », qui verrouillent la fluidité des transferts et, en particulier,n’admettent des patients qu’après s’être assurés de l’effectivité de leur couverture sociale.239

Par ailleurs, le cas de l’hôpital Saint-Antoine se caractérise par une démarche actuellede restructuration de son service d’urgence, dont nous avons parlé plus haut. Si celui-ci nedevrait pas avoir d’impact majeur sur la prise en charge de la précarité, le médecin urgentisteinterrogé craint que certains services ne freinent encore plus les transferts, en considérantque les patients peuvent rester plus longtemps dans un service d’aval qui n’est plus étiqueté

« urgences » mais « médecine interne ». 240 Enfin, nous parlions plus tôt de la constitution

des groupes hospitaliers, qui favorise les regroupements d’activité. Dans cette logique, leservice de maternité de l’hôpital Saint-Antoine, lieu important d’entrée de la précarité, aété transféré sur le site comprenant Armand-Trousseau et Tenon, tandis que le service depneumologie sera transféré en septembre prochain sur ce dernier hôpital, alors qu’il reçoitde nombreux patients précaires atteints d’affections respiratoires telles que la tuberculose.Si les transferts entre sites sont censés s’accomplir sans difficultés après ouverture desdroits, la cadre administrative du pôle UMAG reconnaît que le manque de coordination entre

237 Annexe I238 Annexe V239 PELLOUX, Patrick. Histoire d'urgences. Paris : Le Cherche Midi, 2007. 331 p. ISBN 978-2-7491-0896-4240 Annexe XIII

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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les PASS transversales du Groupement Hospitalier Est Parisien ne rend pas toujours aisés

le transfert et le suivi des patients bénéficiant de ce dispositif. 241

Le poids croissant des difficultés administrativesLes entretiens effectués à la PASS de l’hôpital Saint-Antoine ont permis de mettre enlumière un autre obstacle à leur travail de prise en charge de la précarité, qui est celui desprocédures administratives, jugées de plus en plus compliquées et dissuasives. Ainsi, cette

situation de « labyrinthe administratif » 242 amenait la responsable du service social duGroupement Hospitalier Est à parler d’une restriction croissante dans l’accès aux droits,

plus que d’une restriction dans l’accès aux soins. 243

Tout d’abord, nous avons précédemment mentionné le délai de trois mois de séjourainsi que les frais de 30 € nécessaires pour l’accès à l’aide médicale d’Etat. Si la secondeprocédure a été récemment abrogée, la première court toujours et crée un vide juridiquedifficile à gérer sur le terrain. Si le droit de séjour accordé pour les soins d’urgence est prévupar l’article L.254-1 du Code de l’action sociale et des familles, il exige que la maladie soitsévère et non soignable dans le pays d’origine, autant de critères subjectifs ou du moinsdifficilement vérifiables en un temps court. En outre, les auteurs du livre Innover contreles inégalités de santé déplorent une pratique préfectorale faisant barrage à cet accès,par l’exigence de pièces supplémentaires et d’une présence continue en France depuis au

moins un an. 244 Par ailleurs, ils évoquent des « délais contraignants » dans l’accès à la

CMU et l’AME, qui provoquent « des abandons fréquents en cours de route ».L’assistante sociale interviewée à la policlinique, dont la « connaissance des dispositifs

législatifs et réglementaires » 245 fait pourtant partie des compétences requises, avouaitelle-même se trouver perdue dans les procédures actuelles. Elle mentionnait à ce proposle dossier d’accès à la CMU-C, faisant remarquer, non sans humour, qu’il avait dû être « fait

par des énarques... ou par des personnes qui sortent de Sciences-Po ! ». 246 Une lecture

rapide permet en effet de remarquer un très long formulaire, même si le paragraphe relatifà la composition du foyer montre un effort d’explication par la citation d’un exemple. Demême, la partie consacrée à la description des ressources du foyer semble très fastidieuseà remplir, même si le paragraphe introductif permet d’aiguiller le lecteur. En tous les cas, oncomprend qu’il nécessite l’intervention d’une assistante sociale, malgré la note bienveillanteinscrite en haut du formulaire : « nous sommes là pour vous aider ». Celui-ci s’accompagneaussi d’un bref questionnaire, qui redemande des informations déjà fournies et pose unequestion complexe sur la situation actuelle de la personne concernée vis-à-vis du dispositifde la CMU-C. Pour terminer, le dossier accepté sera transmis par l’organisme d’assurancemaladie déjà retenu à l’organisme complémentaire choisi, ce qui annonce un délai de

241 Annexe XIV242 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012. 495p. ISBN 978-2-8109-0079-4243 Annexe VI

244 Ibid.245 Annexe XVII246 Annexe III

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II. L’hôpital Saint-Antoine à Paris : portée et limites d’une prise en charge spécifique des usagersprécaires

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traitement possiblement indéterminé, même si la procédure a le mérite d’être codifiée et

clairement expliquée au bénéficiaire. 247

Le dernier obstacle administratif mentionné à la policlinique Baudelaire est la fermeturedu bureau de la CPAM dans les locaux de l’hôpital Saint-Antoine. Ce choix est constaté dansles autres hôpitaux de l’AP-HP et procéderait d’un souci d’économie, selon la responsabledes PASS au siège de l’AP-HP, qui ne semblait pas convaincue par le système de plate-forme téléphonique utilisé en remplacement. En effet, le moindre oubli dans la constitutiond’un dossier nécessite souvent de recontacter plusieurs fois l’assurance maladie, ce qui

prolonge des délais déjà dissuasifs. 248 Pour le personnel de la PASS, cette difficulté

supplémentaire freine encore les ouvertures de droits et alourdit donc les frais à la charge

de l’hôpital. 249

Dans cette seconde partie, nous avons étudié les dispositifs spécifiques de prise encharge des patients précaires. Nous avons vu la façon dont ils s’ancrent dans les structuresréglementaires nationales et régionales, leur portée sur le terrain mais aussi les limitesauxquelles ils se trouvent aujourd’hui confrontés. Dans la troisième et dernière partie quiva suivre, nous allons présenter quelques pistes pour des perspectives d’amélioration desmodalités actuelles de prise en charge des patients fragiles. Il ne s’agira en aucun cas dedicter avec prétention des choix qui devraient, ou pire, qui auraient dû être pris, tant surle terrain qu’au niveau des autorités. Il s’agit bien plutôt de partir d’une analyse fine desproblématiques posées par l’observation menée tout au long du mémoire, pour émettre desperspectives d’améliorations, appuyées sur des avis et des propositions recueillies lors desentretiens comme dans les ouvrages lus au gré des recherches.

247 Annexe XXVII248 Annexe XII249 Annexe II

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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III. Quelles perspectives pour une priseen charge renouvelée des usagersprécaires à l’hôpital public?

A. Comment améliorer la reconnaissance du travailaccompli ?

1. Réformer les professions soignantes

Revaloriser le travail mené sur le terrainLes opinions recueillies à l’hôpital Saint-Antoine, de même que les ouvrages écritspar certains professionnels du terrain, ont permis de mettre en évidence un sentimentd’abandon dans le travail mené à l’égard de la précarité. En particulier, les médecinsgénéralistes et urgentistes souffrent d’un déficit de reconnaissance par comparaison à leurscollègues des diverses spécialités médicales.

Patrick Pelloux fait tout d’abord remarquer que l’urgence n’est pas suffisammentreconnue en termes d’enseignement, même si quelques grands professeurs sont parvenusà susciter l’attrait pour cette spécialité dans les années 1980. Il déplore aussi la tropgrande complexité du système de formation actuel, éloigné des modèles nordique et anglo-

saxon, sachant considérer le patient comme sujet. 250 Le médecin généraliste rencontré

à la policlinique expliquait en effet que « la médecine occidentale dissèque le corps », enoubliant de le considérer dans son ensemble. Dans cette médecine « hyperspécialisée » et« hypersophistiquée », les six premières années d'études sont consacrées à l’apprentissagedes diverses spécialités, et charge au médecin généraliste de savoir en faire une synthèse

à l’issue de son enseignement. 251 Le dernier Plan stratégique de l’ARS Ile-de-France

admet aussi que le cursus hospitalo-universitaire prépare mal à la médecine générale enfavorisant l’hyperspécialisation des étudiants. Ce manque de reconnaissance se poursuitdans l’exercice de la profession : « ainsi à l’hôpital, peuvent devenir indésirables non

seulement les pauvres, mais aussi les médecins des pauvres » 252 . Certains auteurs

reprennent la notion de « sale boulot » ou « dirty work » 253 , pour exprimer le mépris auquel

250 PELLOUX, Patrick. Histoire d'urgences. Paris : Le Cherche Midi, 2007. 331 p. ISBN 978-2-7491-0896-4251 Annexe X252 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presses de l’EHESP, 2012.

495 p. ISBN 978-2-8109-0079-4253 E.C. Hughes, cité dans Ibid.

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III. Quelles perspectives pour une prise en charge renouvelée des usagers précaires à l’hôpitalpublic?

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se sentent confrontés les généralistes et urgentistes, dans la « tour technologique » 254

qu’est devenu l’hôpital. Patrick Pelloux fait référence à son propre cas en montrant que les

urgences sont devenues le lieu de concentration des médecins « insoumis » 255 , qui refusentle fonctionnement en « technostructure » de l’hôpital. Ce terme est utilisé par l’universitairecanadien Henry Mintzberg et permet ici de comprendre le champ sanitaire comme uneorganisation où le pouvoir des décideurs entrave la démarche innovante des professionnels

de santé. 256 Le médecin urgentiste interviewé faisait le même constat, remarquant toutefois

que la médecine urgentiste est plutôt mieux reconnue à Saint-Antoine qu’ailleurs. Selon lui,la médecine d’urgence et généraliste doit être complémentaire de la médecine de pointe,tandis que « l’hyperspécialisation » a peu à peu oublié la première. Pour appuyer sonpropos, il donnait l’exemple des médecins spécialisés dans le traitement de l’hépatite A, quine sont plus les mêmes que ceux traitant l’hépatite B, et rappelait aussi que tous les prix

Nobel de médecine sont aujourd’hui des spécialistes. 257 Patrick Pelloux tient cependant à

mentionner le rapport rédigé en 1988 par le Professeur Steg, qui a cherché à valoriser lamédecine d’urgence en proposant une réelle formalisation de ses services. Mais selon lui,cette démarche favorisait plutôt sa médicalisation et sa technicité que le travail au chevetdu patient. Ainsi, face à cette évolution du champ médical, « il est à craindre que ne sedéveloppent ces contrastes entre le soin, toujours plus technicisé, et le prendre soin, qui

inclut la personne dans son devenir ». 258

L’un des enjeux futurs consiste donc à réconcilier la « médecine scientifique » et la« médecine humaniste », dépasser l’attachement à une médecine exclusivement technique,pastorienne et curative pour prendre en charge le patient dans tous les aspects de sa

souffrance. 259 C’est dans cette perspective que le Plan stratégique de l’ARS appelle à

revaloriser les professions consacrées aux soins de premier recours, notamment dansleur mission essentielle de prévention sanitaire. La loi HPST annonce vouloir rendre lemédecin généraliste « pivot de l’organisation de l’offre de soins ambulatoire », même si samise en vigueur ne semble pas avoir encore convaincu tous les acteurs concernés. Unemesure centrale à noter est toutefois la réforme de la médecine d’urgence, qui deviendral’an prochain une spécialité à part entière, après avoir été une spécialité complémentaire.Dans la pratique, cela signifie que le choix de cette spécialité se déterminera en sixièmeet plus en huitième année, afin de laisser aux étudiants le temps d’apprendre toutes les

spécificités de la médecine d’urgence. 260

254 Jacques Lebas, 1996, cité dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé.Rennes : Presses de l’EHESP, 2012. 495 p. ISBN 978-2-8109-0079-4

255 PELLOUX, Patrick. Histoire d'urgences. Paris : Le Cherche Midi, 2007. 331 p. ISBN 978-2-7491-0896-4256 J.-E. Sorensen, J.-L. Sorensen, H. Mintzberg, cités dans DANET, François. Où va l'hôpital ? Paris : Desclée de Brouwer,

2008. 222 p. Collection L'époque en débat. ISBN 978-2-220-05948-8257 Annexe XIII258 QUESEMAND-ZUCCA, Sylvie. Malades de la rue, malades à la rue. La revue de médecine interne, juin 2009, volume 30,

n°S2, p. 6-7259 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Op. cit.260 Annexe XIII

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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Revoir les formations et faciliter les coopérations entre professionsLes médecins généraliste et urgentiste rencontrés à l’hôpital Saint-Antoine m’ont confirméla faiblesse des cours théoriques sur la relation au patient et la prise en compte de sasituation sociale, en précisant toutefois que cette sensibilité s’acquiert progressivement lors

des stages et avec l’expérience professionnelle. 261 Les étudiants en médecine contactés

ont cité quelques cours de première année abordant la relation au patient, mais tout enprécisant que les sciences fondamentales monopolisent presque tous les enseignements àpartir de la deuxième année, les sciences humaines et l’éthique ne représentant ainsi que 15des 380 items qui composent le concours de fin de sixième année. Par ailleurs, si les stagespeuvent être l’occasion de collaborer avec des assistantes sociales, aucune interventionn’est prévue dans le cursus hospitalo-universitaire pour les familiariser avec cette professionet l’approche de la précarité qui y est développée. Si les études d’infirmier mettent beaucoupplus en avant la dimension de relation au patient, qui fait partie intégrante des missions decette profession, l’aspect technique y reste prééminent. Les enseignements du programmepublié en 1979 étaient ainsi répartis en sept modules dont les intitulés commençaientpar « Soins aux personnes atteintes d’affections de l’appareil... ». On retrouvait dans cesenseignements des pathologies touchant les personnes en état de précarité, mais jamaisétudiées comme telles. Les objectifs assez larges fixés par le programme permettaient parexemple aux écoles situées près des hôpitaux spécialisés dans la prise en charge de laprécarité de développer cette dimension dans leurs études. Toutefois, le programme insistaitsur l’individualisation de la prise en charge, qui implique nécessairement la prise en comptedes aspects sociaux du patient, ainsi que sur la collaboration avec les travailleurs sociaux.La précarité était aussi abordée mais surtout dans des dimensions particulières, telles que lavieillesse et la marginalité. Le programme de 1992 a mis l’accent sur la nécessité de prendreen compte l’individu dans ses dimensions psychologique et culturelle mais n’a fixé aucuneconsigne précise pour le contenu du module de sciences humaines, bien que les institutsde formations en soins infirmiers aient pris l’habitude d’y aborder le thème de l’exclusion.Le programme de 1992 a par contre accentué la place de l’enseignement sur le travail auxurgences et donc sur les particularités qui y sont associées.

Ainsi, nous pouvons repenser aux perspectives émises par le module interprofessionnelde santé publique rédigé par les étudiants de l’EHESP et que nous avons déjà mentionnédans ce travail. Celui-ci propose d’instaurer un volet social plus conséquent dans leprogramme d’études des professionnels de santé, et notamment de ceux spécialisés dans lamédecine d’urgence. En particulier, il pourrait inclure la connaissance des droits des patientsprécaires et la gestion des situations difficiles, où l’agressivité est parfois une traduction dela détresse sociale. Toutefois, il ne s’agit en aucun cas d’associer systématiquement cesdeux phénomènes, ni de lier la précarité aux problématiques psychiatriques, comme nousl’avons vu en début de mémoire. Néanmoins, l’acquisition de certaines compétences sur laprise en charge psychiatrique aiderait sans doute de nombreux soignants dans la gestion

des cas de patients désorientés, n’ayant pas toujours la notion de l’espace et du temps. 262

Dans cette même perspective, les professionnels à l’origine du livre Innover contreles inégalités de santé proposent de renforcer les compétences pluridisciplinaires desurgentistes, dont la formation reste encore trop spécifique et peu adaptée à la diversité

261 Annexe X et XIII262 BISSARDON, Christian et al. La prise en charge des patients en situation de précarité. Le point de vue des acteurs

hospitaliers dans le cadre de la T2A. Module interprofessionnel de santé publique. Ecole des hautes études en santé publique, 2010,70 p.

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III. Quelles perspectives pour une prise en charge renouvelée des usagers précaires à l’hôpitalpublic?

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des cas qui se présentent dans les services d’urgence. Ils proposent aussi d’instaurerun stage obligatoire dans une PASS, afin d’apprendre à décrypter la parole du patientprécaire et ce qui se cache derrière les maux exprimés. Allant plus loin, les auteursévoquent même l’idée d’une « université de santé », qui regrouperait les étudiants de toutesles professions du champ sanitaire, dans le but de favoriser les échanges de pratiques,nourrir une complémentarité professionnelle et l’émergence d’une culture commune. Detelles réformes des études de médecine nécessiteraient certes un changement complet deréférentiel, mais il faut déjà noter l’existence d’un item de cinquième année intitulé « Sujetsen situation de précarité : facteurs de risque et évaluation. Mesures de protection. ». Cetenseignement vise à « évaluer la situation médicale, psychologique et sociale d’un sujet ensituation de précarité », et permet notamment de présenter les dispositifs de lutte contre les

inégalités de santé, ainsi que leurs limites. 263 Mentionnons aussi le programme infirmier

mis en place en 2009 et qui concernera donc les professionnels opérationnels en juillet2012. Celui-ci insiste sur la prise en compte des aspects sociaux et culturels dans le recueilde données et l’interaction avec le patient. De manière plus générale, il accentue l’idée deprise en charge globale du patient, en proposant d’aborder des situations sociales diversesdans les cas cliniques étudiés.

La mutualisation des connaissances introduite dans les études doit pouvoir sepoursuivre dans la pratique professionnelle, comme nous en avons vu un exemple dansla PASS de l’hôpital Saint-Antoine. A ce titre, il est important de rappeler que l’échangede connaissances et de pratiques ne doit surtout pas signifier la confusion des rôles,comme ont tenu à le préciser les médecins urgentiste et généraliste interrogés à proposdu rapprochement des formations d’assistant social et de médecin qui est actuellement endiscussion. Car avant tout, c’est bien la pluralité des approches et des connaissances, doncla diversité des professions, qui permet une prise en charge globale des patients en situationde précarité. Néanmoins, il semble nécessaire de continuer à encourager la coopération etla coordination entre les professions sanitaires et sociales, exigence déjà contenue dans

les compétences requises chez les assistantes sociales 264 et les infirmiers. Dans cetteperspective, il est à noter que l’interdisciplinarité est encouragée par la loi HPST, qui proposedans son article 51 de formaliser des protocoles de coopération entre professionnels desanté auprès de l’ARS, celle-ci étant chargée de vérifier qu’ils répondent à des besoinsspécifiques de santé. Au quotidien, la collaboration entre professions peut aussi être facilitéepar une diffusion plus large de l’outil informatique. Cette préconisation fait suite au constatd’une communication majoritairement orale utilisée à la policlinique Baudelaire entre lesprofessionnels sanitaires et sociaux. Elle est aussi avancée par Jean de Kervasdoué, quidéplore le « royaume de la communication verbale » qu’est resté l’hôpital, faisant perdre untemps précieux et ne permettant pas de résoudre « la forte division du travail » imposée parle progrès médical. Toutefois, l’économiste reconnaît lui-même que « dans de nombreuxcas, des systèmes manuels sont plus performants », par exemple dans les informationsplus subjectives qu’échangent les professionnels de santé et les assistantes sociales sur

l’évolution de la situation des patients. 265 En effet, il est illusoire et même dangereux de

penser que l’informatique puisse remplacer la parole dans les hôpitaux, où le secret médicalexige le respect d’une confidentialité absolue.

263 Annexe XXVIII264 Annexe XVII265 DE KERVASDOUE, Jean. L'hôpital - 4ème éd. Paris : PUF, 2011. 127p. Collection Que sais-je. ISBN 978-2-13-057185-

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2. Repenser l’évaluation de l’activité hospitalière

Améliorer le repérage de la précarité« Si le phénomène s’appelle précarité, les gens qui viennent vous voir n’ont paspour autant une tête de phénomène social, ce sont des personnes. Il faut doncdéfinir des concepts, des méthodes, quantifier pour prévoir des moyens ou pourtenter d’évaluer ce que l’on fait, avoir les yeux fixés sur le général et s’occuper

personnellement de chacun » 266

Une réforme de l’évaluation de l’activité hospitalière nécessite au préalable de repenserl’évaluation de la précarité dans les hôpitaux. Nous l’avons vu sur le terrain, les critèresde repérage sont multiples. Les médecins et infirmiers rencontrés se référaient à certainscritères objectifs dans le choix de faire appel à l’assistante sociale, tels que l’absence decouverture sociale, mais aussi à des éléments plus subjectifs relevant par exemple de laprésentation de soi. L’assistante sociale rencontrée à la policlinique mettait en garde contrece mode de repérage, qui associe la précarité au manque d’hygiène ou à la désorientation,

et prête aux idées reçues pour se figurer la précarité. 267 Au niveau central, les critères sont

beaucoup plus restreints, le financement de la « MIG précarité » se fondant essentiellementsur le nombre de patients bénéficiaires de la CMU et de l’AME. Cette catégorisation se réfèreau paradigme de l’assistance, développé par Serge Paugam et qui reconnaît les précaires

par leur affiliation à des dispositifs d’aide sociale. 268 Elle a le mérite d’être équitable et

transparente mais elle aplanit une réalité plus complexe. En effet, elle oublie tout d’abordceux qui ne bénéficient d’aucun de ces dispositifs et qui, à ce titre, sont peut-être lesplus en difficulté. Par ailleurs, comme nous l’évoquions plutôt, certaines personnes affiliéesà un régime de la Sécurité sociale peuvent être jugées précaires car leurs revenus neleur permettent pas de bénéficier d’une mutuelle, aujourd’hui indispensable. Sans espérerchiffrer la précarité, qui est bien plus un processus qu’un état, il s’agit plutôt ici de réfléchiraux manières d’évaluer un phénomène pesant sur la prise en charge médicale, afin d’yapporter les réponses que la réalité de terrain exige. Car inévitablement, « catégoriser

constitue à un moment donné un outil nécessaire pour l’action » 269 .L’un des premiers dispositifs à avoir tenté de cerner le plus rigoureusement possible

la précarité, afin de lui donner une signification socio-administrative, est le score dit« EPICES ». Elaboré par le réseau des 112 centres d’examens de santé financés parl’assurance maladie, à partir d’un échantillon de 7 208 patients âgés de 16 à 59 ans. Cescore était construit à partir d’un questionnaire comprenant 42 questions qui exploraienttous les facteurs constitutifs de la précarité : l’âge, le sexe, la nationalité, le niveau d’études,la situation professionnelle, la composition du ménage, le logement, la protection sociale,

266 Antoine Lazarus, cité dans BISSARDON, Christian et al. La prise en charge des patients en situation de précarité. Le

point de vue des acteurs hospitaliers dans le cadre de la T2A. Module interprofessionnel de santé publique. Ecole des

hautes études en santé publique, 2010, 70 p.267 Annexe III268 BRESSON, Maryse. Sociologie de la précarité – 2ème éd. Paris : Armand Collin, 2010. Collection Domaines et approches. ISBN973-2-200-24819-2269 PASCAL, Jean et al. Peut-on identifier simplement la précarité parmi les consultants de l'hôpital ? Sciences sociales et santé,2006, volume 25, n°3, p. 33-58

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III. Quelles perspectives pour une prise en charge renouvelée des usagers précaires à l’hôpitalpublic?

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la santé ressentie, les revenus, les difficultés financières, l’insertion sociale ou encore le

recours aux soins. 270 Ainsi, le score doit s’en trouver augmenté proportionnellement au

degré de précarité, permettant un repérage des plus minutieux. De la même manière, lesauteurs de l’article « Handicap social et hôpitaux publics : pour un modèle d’allocation de

ressources dans le cadre d’une politique de santé » 271 ont présenté un modèle de mesurede la précarité chez les patients hospitalisés, transmis par les informations PMSI pourpermettre d’en déduire les surcoûts hospitaliers engendrés en termes de durée de séjour.Expérimenté auprès de 696 patients du groupe hospitalier Lariboisière – Fernand-Widal del’AP-HP du 14 mars au 4 avril 2007, il se fondait sur le concept de handicap social, proposantune définition large de la précarité en retenant une longue série d’indicateurs, regroupésen six domaines : la santé, les ressources, l’insertion culturelle, les relations avec autrui,le logement et le patrimoine. Néanmoins, l’intégration de ces informations complexifieraitencore un peu plus la procédure de codage PMSI et ferait perdre un temps précieux enadministration de questionnaires, d’autant que ce procédé ne s’appliquerait pas aux servicesde consultation. Ainsi, il est aisé de comprendre que le rythme de travail dans les hôpitauxrend inutilisables de tels outils et appelle à un outil de repérage plus facilement mobilisable.

C’est pourquoi les médecins et le sociologue à l’origine de l’article « Peut-on identifier

simplement la précarité sociale parmi les consultants de l’hôpital ? » 272 ont cherchéà concilier les exigences d’efficacité et d’accessibilité dans l’outil de repérage qu’ils ontproposé, comme ils l’expliquent eux-mêmes : « Les caractéristiques choisies ne cherchaientpas à décrire finalement les personnes en situation de précarité sociale, mais à enidentifier le plus grand nombre par une procédure légère ». Les auteurs retiennent cinqcaractéristiques :

le bénéfice de la CMU ou de l’AMEl’absence de complémentaire santé ou de mutuelledes difficultés déclarées à payer les médicaments ou examens médicauxle bénéfice d’un minimum socialla recherche d’emploi depuis plus de six moisA partir des réponses aux 255 questionnaires distribués dans le service des urgences

du CHU de Nantes entre le 14 mai et le 6 juillet 2001, les auteurs ont retenu comme précairesles personnes concernées par au moins un de ces cinq cas :

avoir répondu « oui » à la question 1avoir répondu « oui » à la question 4avoir répondu « oui » aux questions 2 et 3avoir répondu « oui » aux questions 2 et 5avoir répondu « oui » à et 5

270 ROYER Bernard et al. Situations de précarité, santé perçue et troubles anxiodépressifs : une étude dans 12 centresd'examens de santé. Pratiques et organisation des soins, octobre-décembre 2010, volume 41, n°4, p. 313-321

271 CASTIEL, Didier et al. Handicap social et hôpitaux publics : pour un modèle d'allocation de ressources dans le cadre d'unepolitique de santé publique. Santé Publique, février 2009, volume 21, p. 195-212

272 PASCAL, Jean et al. Peut-on identifier simplement la précarité parmi les consultants de l'hôpital ? Sciences sociales etsanté, 2006, volume 25, n°3, p. 33-58

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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L’avantage de cet instrument est d’élaborer, à partir d’un questionnaire rapide à remplir,des combinaisons permettant de limiter les biais. Son croisement avec les conclusionsissues d’entretiens approfondis avec des assistantes sociales a par ailleurs validé sarigueur, en révélant un taux de concordance situé entre 92 et 93 %. Si son grand avantageest sa simplicité, qui ouvre la perspective d’une automatisation du repérage dans leshôpitaux, il oublie de nombreux aspects de la précarité et ne doit rester qu’un systèmed’alerte, utilisé en complément des entretiens sociaux traditionnels.

Par ailleurs, un cas particulier risque d’échapper à cet outil de repérage, c’est leservice des urgences, où le rythme de travail ne rendrait pas toujours applicable ladistribution de questionnaires. Le caractère d’urgence doit amener à utiliser un outil « simple

d’emploi » et surtout, « permettant d’adopter une conduite pratique » 273 sur le moment,l’approfondissement de la situation sociale relevant de l’assistante sociale, qui interviendraaprès la résolution de la phase aigüe. C’est pourquoi la Société française de médecine

d’urgence 274 propose de distinguer quatre situations de précarité « visible et urgente » :la personne âgée ou dépendante dont la demande médicale dissimule un maintien à

domicile devenu impossiblela personne en danger (enfant ou femme battue, par exemple)le toxicomane ou l’alcoolique en demande de sevragele sans domicile fixeLes auteurs de l’article proposent l’utilisation de grilles d’informations, remplies par

les infirmières chargées de l’accueil et qui permettent de prendre en compte la situationsociale dans la priorisation des patients : « la notion de précarité devrait, sans aucundoute, entraîner une prise en charge plus rapide que ne le voudrait la simple problématiqueorganique ». Cet outil simple de repérage peut donc servir de base à une réflexion sur lescritères d’alerte du service social aux urgences. Toutefois, il ne doit pas oublier de considérer

la « précarité moins visible » 275 , qui, elle, nécessite la sensibilisation du personnel. Parailleurs, la prise en compte de la précarité dans la priorisation des situations ne doit pasretirer au SAU son caractère principal, qui est de gérer avant tout les urgences vitales.

En conclusion, nous pouvons noter la proposition d’une grille individuelle d’évaluationdu niveau de fragilité, émise en 2009 par le GTR Bien Vieillir et le réseau RéGéCA de

Champagne-Ardenne 276 , qui peut permettre de déceler la précarité chez une populationpotentiellement plus exposée que les autres : les personnes âgées. Celle-ci comprendnotamment le lieu de résidence, la nutrition, le niveau d’indépendance, les capacitéscognitives, le soutien social, l’adaptation de l’habitat aux besoins et enfin la situation sociale.Cette grille permet d’élaborer un score qui sera d’autant plus élevé que le niveau de fragilité

273 VALLEJO R. et al. Urgences et précarité : tri et gestion de la salle d'attente [PDF]. Urgences 2007 – 1er congrès de la SociétéFrançaise de Médecine d'Urgence. [page consultée le 24 juin 2012]. < http://www.sfmu.org/urgences2007/donnees/fs_tout_conf.htm>

274 VALLEJO R. et al. Urgences et précarité : tri et gestion de la salle d'attente [PDF]. Urgences 2007 – 1er congrès de la SociétéFrançaise de Médecine d'Urgence. [page consultée le 24 juin 2012]. < http://www.sfmu.org/urgences2007/donnees/fs_tout_conf.htm>

275 Ibid.276 Annexe XXIX

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III. Quelles perspectives pour une prise en charge renouvelée des usagers précaires à l’hôpitalpublic?

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estimé est important. Au même titre que les autres outils présentés, cette grille est unélément non exclusif du repérage de la précarité, permettant à l’hôpital d’estimer le taux depatients précaires dans ses locaux et ainsi aux autorités publiques d’évaluer son activitévis-à-vis de cette population spécifique.

Repenser l’évaluation de la performance hospitalièreLe manque de reconnaissance déploré par les professionnels de terrain invite à interrogerla manière dont est évaluée l’activité accomplie dans les hôpitaux. Les professionnels desanté rencontrés à l’hôpital Saint-Antoine se sont tous rejoints sur le manque de prise encompte des activités accomplies auprès des patients précaires, qui « ne rapportent rien »277 mais demandent beaucoup d’investissement sur le terrain. Ils déplorent une logiquecomptable qui cherche les résultats immédiats et oublie de valoriser les activités porteusesde bénéfices à long terme. En effet, les professionnels rencontrés sur le terrain et auteursd’ouvrage ont insisté sur la nécessité économique d’une prise en charge spécifique despatients précaires, qui permet de réguler l’accès aux hospitalisations, mais aussi de préparer

en amont et donc anticiper la sortie. Il s’agit bien ici d’éviter « l’effet boomerang » 278

d’une vision de court terme, en améliorant l’accès aux soins de premier recours, moinscoûteux que les soins secondaires et tertiaires, qui interviennent après l'aggravation despathologies. Ainsi, nous pouvons dire que « la santé est à la fois un droit individuel et une

nécessité collective » 279 , car une prise en charge minutieuse de l’état de santé des plusprécaires permet aussi d’éviter la diffusion des contaminations qui pourraient peser surla santé publique. C’est dans cette logique que la policlinique Baudelaire vient épauler leSAU de Saint-Antoine dans ses missions, tenant compte du fait qu’une prise en chargepluridisciplinaire dans ses locaux coûte en moyenne 95 €, contre le coût moyen de chaque

passage aux urgences, qui peut aller de 223 à 263 €. 280 Ainsi l’on peut reprendre les mots

de Simone Veil pour affirmer que la PASS de Saint-Antoine est « un facteur d’économies

pour l’hôpital, non de gaspillage » 281 .Ces observations nous amènent à devoir repenser les méthodes d’évaluation de

l’activité hospitalière, en partant des principes généraux fondant actuellement l’évaluationde l’action publique. Il est important de rappeler que l’ère de l’évaluation a été amorcéeen France au début des années 1990, suivant la logique de la Nouvelle gestion publiquequi appelle à retirer le monopole de l’expertise légitime aux acteurs publics, désormaissommés de rendre des comptes sur les résultats de leur action. L’évaluation est uneavancée dans le sens où, contrairement aux procédures d’audit et d’inspection, elle nes’arrête pas à la réalisation effective des actions attendues mais s’intéresse aussi aux effetsde celles-ci sur la société. On peut distinguer différents types d’évaluation, dont l’évaluationexperte, sollicitant le jugement d’un expert indépendant, l’évaluation pluraliste, favorisantl’expression d’opinions différentes en réunissant les parties concernées, et l’évaluation

277 Annexe II278 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presses de l’EHESP, 2012. 495p. ISBN 978-2-8109-0079-4279 Ibid.280 Cour des comptes, 2006, citée dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Op. cit.281 Simone Veil, 1994, citée dans Ibid.

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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citoyenne, donnant la parole directement aux citoyens, mais qui est encore très peudéveloppée en France. Dans la pratique, l’évaluation part d’un mandat adressé, souvent parla puissance publique, à un service d’évaluation qui va mettre en place le cahier des chargeset réaliser les travaux. Ces derniers conduiront à la rédaction d’un rapport d’évaluationet à l’émission de recommandations, sur lesquelles les pouvoirs publics pourront appuyerleurs prochaines décisions. L’évaluation des politiques publiques distingue quatre critèresprincipaux : l’efficacité, mettant en relation les résultats obtenus avec les objectifs fixés,l’efficience, comparant les résultats aux ressources engagées, la pertinence, interrogeantle lien entre le problème posé et les objectifs fixés pour le résoudre, et enfin l’utilité, quicherche à voir si l’ensemble des impacts constatés à long-terme a permis de résoudre leproblème initial. Les finalités de l’évaluation sont ensuite l’apprentissage et la formation, lamodification des pratiques sur le terrain et des décisions politiques en amont, mais aussil’imputation des acteurs de l’action publique évaluée. Les résultats revêtent donc un enjeumajeur, et c’est pour cette raison que les évaluations sont le plus souvent confiées à desautorités publiques indépendantes, qui jouent un rôle de fusible au moment de l’engagementdes responsabilités de chacun.

Dans le champ sanitaire, il s’agit actuellement de la Haute autorité de santé, créée par

la loi du 13 août 2004 282 . Cette « autorité indépendante à caractère scientifique dotée de la

personnalité morale » 283 succède à l’Agence nationale de développement et d’évaluationmédicale, créée en 1989 et devenue Agence nationale d’accréditation et d’évaluationen santé en 1996. Dans le domaine sanitaire, la HAS remplit notamment des missionsd’évaluation du service attendu et rendu, d’évaluation des pratiques professionnelles,d’information des professionnels et du public sur les bonnes pratiques à adopter, ainsique de certification des établissements de santé. L’évaluation menée dans le champsanitaire vise notamment les pratiques médicales, aboutissant à des recommandations debonnes pratiques, les technologies médicales, conditionnant leur autorisation par l’Etat,et la prévention. Les établissements hospitaliers sont aussi concernés, par l’intermédiairede la procédure de certification, qui s’effectue tous les quatre ans et vise notamment à« assurer la sécurité et la qualité des soins donnés au patient et à promouvoir une politique

d’amélioration continue de la qualité au sein des établissements » 284 . Les politiques desanté publique, quant à elles, sont évaluées sous trois prismes différents : une approchequantitative des résultats appelée « coûts-efficacité », une approche qualitative des résultatsnommée « coûts-utilité », et enfin une approche monétaire des résultats dite « coûts-bénéfices ».

S’il ne fait aucun doute que les actions menées dans les établissements autant que parles politiques dans le domaine sanitaire doivent être évaluées au même titre que les actionsmenées dans d’autres domaines, cette évaluation doit être aussi complète et minutieuseque possible, pour permettre une reconnaissance du travail accompli sur le terrain et uneamélioration des dispositifs en place à long terme. L’argent public étant un bien précieux,il est juste de considérer les coûts engagés, mais il est aussi essentiel, comme nousl’avons dit, de prendre en compte les impacts économiques de long terme. La diversitédes approches proposées dans les méthodes d’évaluation permet de prendre partiellement

282 Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie283 Article L.161-37 du Code de la santé publique284 BRIGNON, Jean, GALLOUJ, Camal. Précis de santé publique et d'économie de la santé – 2ème éd. Rueil Malmaison :

Lamarre, 2011, 309 p. Collection Etudiants IFSI. ISBN 978-2-7573-0331-3

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III. Quelles perspectives pour une prise en charge renouvelée des usagers précaires à l’hôpitalpublic?

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en compte cette exigence, mais il ne fait aucun doute que des pistes d’amélioration sontenvisageables. Celles-ci doivent notamment permettre de préciser le mode d’évaluation desétablissements de santé, encore centré sur la notion de qualité du soins, mais aussi demieux considérer les démarches innovantes initiées sur le terrain, afin que l’évaluation despratiques médicales ne conduise pas à une standardisation des pratiques. Comme nousl’avons vu, la pratique médicale doit en effet pouvoir s’adapter aux situations individuelles,et en particulier, la prise en charge de la précarité appelle à l’inventivité, au dépassementdes normes en vigueur.

Ces observations nous amènent à proposer un enrichissement des modes d’évaluationde la performance hospitalière, appuyé sur certains critères proposés par Jean Brignon etCamal Gallouj. En 2011, ceux-ci ont proposé une grille d’analyse multicritères associant six

catégories de critères à deux niveaux de regard. 285 Il s’agit pour les auteurs de distinguer

les résultats de court-terme et ceux de long-terme, car comme ils nous l’expliquent :« les hôpitaux comme la plupart des services publics d’ailleurs ne peuventpas être jugés uniquement sur les qualités de leurs prestations immédiates oudirectes, mais également sur leur contribution indirecte à l’amélioration de la

situation individuelle ou collective auxquels ils sont confrontés » 286

Parmi les critères proposés, arrêtons-nous sur ceux qui pourraient concerner un hôpitalcomme celui de Saint-Antoine, engagé dans l’accueil des patients précaires et connupour cette spécificité. Les critères relationnels prennent tout d’abord en compte « lesarrangements sur mesure rendus possibles et renforcés par la proximité » et qui favorisentla fidélité des usagers. On pense par exemple aux attentions particulières accordées auxsans domicile fixe dans le service des urgences de Saint-Antoine, telles qu’une douche, uncafé ou encore un petit-déjeuner. Ces actes quotidiens ne relèvent pas du soin mais visentle réconfort ponctuel et surtout la mise en place d’un premier lien avec l’individu précaire,qui peut être le point de départ d’une reprise en main de soi et de sa santé. Ces actionspeuvent aussi être prises en compte dans les critères civiques et écologiques. Ceux-ci fonten effet référence aux « quasi-prestations sociales » fournies par l’hôpital « aux usagersen difficulté cognitive, économique et sociale », pour favoriser le lien social et la réductiondes inégalités, tant au niveau local que national. Les critères de créativité et d’innovationpermettent de reconnaître une mission essentielle des CHU et qui ne dispose pas encored’évaluation spécifique : la contribution à la recherche scientifique. Cependant, les auteurssouhaitent élargir cette notion à « l’expérimentation de projets innovants », qui permettraitde reconnaître les initiatives menées par certains professionnels de santé dans la priseen charge des patients précaires, à l’image de la première PASS créée en 1992 à Saint-Antoine. Enfin, les critères d’image et de réputation sont la résultante des précédents etpermettraient sans doute de valoriser l’hôpital Saint-Antoine en tant que lieu reconnu deprise en charge de la précarité, même si la subjectivité de ces critères doit nous amener àrester prudents quant à leur utilisation.

Recenser l’activité accomplie dans les PASSUne évaluation renouvelée de l’activité hospitalière doit aussi amener à mieux prendre encompte le travail mené dans les permanences d’accès aux soins de santé. En effet, nousparlions précédemment des lacunes d’un système de financement jugé opaque par les

285 Annexe XXX286 BRIGNON, Jean, GALLOUJ, Camal. Op. cit.

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acteurs de terrain. Ce manque de reconnaissance des efforts menés nourrit la crainte desprofessionnels quant à la pérennité de leur structure. Ce sentiment est exprimé par ClaireGeorges et Caroline Apricio :

« Dans le contexte de restrictions budgétaires et d’équilibre financier dans lesstructures hospitalières, les PASS ne constituent pas une activité prioritaire. Eneffet, dans un raisonnement strictement comptable, les consultations dispenséespar les PASS peuvent être considérés comme non rentables dans un hôpital dansune logique de tarification à l’activité qui privilégie les actes techniques et leshospitalisations. C’est en suivant ce genre de raisonnement que la PASS d’unhôpital de la Seine-Saint-Denis a été supprimée, indépendamment du service

rendu et des besoins de la population. » 287

Le manque de valorisation de l’activité accomplie par les PASS participe aussi de leursdysfonctionnements et de leur invisibilité persistante dans les structures hospitalières, quine leur permettent pas de jouer pleinement leur rôle d’intégration des patients précairesdans le système de soins. Si la PASS de Saint-Antoine a acquis une notoriété auprès despopulations précaires de la capitale et d’ailleurs, grâce à son ancienneté et ses conditionsde travail favorables, ce constat est loin d’être applicable aux autres PASS de France. Ainsi,une enquêté menée par Médecins du Monde sur 37 PASS entre 2009 et 2010 révèle lemanque d’information pour situer les structures dans chaque hôpital, des horaires souventinadaptés, une répartition très inégale des moyens et enfin une saturation du dispositif par la

mauvaise orientation des patients. 288 Moins sévère dans son jugement, le responsable du

suivi du financement des MIGAC au siège de l’ARS 289 reconnaissait lui-même la nécessitéde rendre les PASS plus visibles dans les hôpitaux, non seulement pour le public maisaussi pour le personnel qui y travaille. Le collectif PASS cité précédemment est précisémentune réponse au manque de reconnaissance du travail mené. Il regroupe les responsablesmédicaux et sociaux des PASS opérationnelles d’Ile-de-France, qui ne représentent que la

moitié du nombre de PASS initialement envisagé. 290 Il vise à la fois à défendre le dispositif

des PASS, le rendre visible dans les structures hospitalières et enfin solliciter la création

d’un référentiel commun sur l’activité menée, principal oubli du système actuel. 291

Preuve que le travail de sensibilisation mené sur le terrain a porté ses fruits, lamise en place d’un référentiel commun est un travail qui rassemble aujourd’hui tous lesacteurs impliqués dans le financement des PASS, même si les divergences persistent quantau nouveau système de financement à mettre en place. L’effort porte d’abord sur unenécessaire coordination et harmonisation au niveau des PASS du Groupement HospitalierEst Parisien, tenant compte du fait que les sites de Tenon et Armand-Trousseau reçoivent

287 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presses de l’EHESP,

2012. p. 327. ISBN 978-2-8109-0079-4288 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presses de l’EHESP, 2012. 495p. ISBN 978-2-8109-0079-4289 Annexe XI290 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Op. cit.291 Annexe IX

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III. Quelles perspectives pour une prise en charge renouvelée des usagers précaires à l’hôpitalpublic?

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aussi de nombreux précaires. La cadre administrative du pôle UMAG 292 annonçait la miseen place d’un tel système pour l’an prochain, avec à terme le projet d’identifier une PASSréférente pour chacun des groupes hospitaliers de l’AP-HP. Mais déjà, les entretiens ontpermis de pointer des divergences entre la policlinique Baudelaire et le comité de pilotagemonté au niveau du siège de l’AP-HP, en particulier sur la manière de considérer le dispositifde PASS. En effet, la personne interrogée à la Direction de la politique médicale de l’AP-HP293 insistait sur l’importance de réserver ce dispositif aux personnes ne disposant pas decouverture sociale effective. Si elle reconnaît la nécessité de continuer l’accompagnementde certains patients précaires ayant vu ouvrir leurs droits, cette démarche devrait sepoursuivre hors de la PASS, pour laisser la place à ceux ne disposant pas encore de droits.Il s’agit notamment d’éviter le double-financement engendré par le fait que les patients sevoient remboursés leurs soins en tant qu’assurés sociaux, en même temps qu’ils entamentle budget alloué au titre de la « MIG PASS ». Selon elle, les PASS parisiennes reçoiventainsi 70 % de patients bénéficiant déjà d’une couverture sociale, la PASS de Saint-Antoineparticipant de cette pratique. De son côté, le personnel de la policlinique Baudelaire insistesur la nécessité d’accompagner les patients précaires sur le long terme dans le cadre du

dispositif PASS. 294 Dans le discours, le siège de l’AP-HP et la PASS de Saint-Antoine

semblent d’accord pour ne pas créer de locaux dédiés et intégrer les PASS dans despolicliniques accueillant une population hétérogène. Ainsi, le médecin responsable de la

PASS 295 insistait sur la nécessité d’accueillir tout le monde et de ne pas créer un « ghettode pauvres » au sein de la policlinique. C’est pourtant la crainte exprimée par la personne

contactée au siège de l’AP-HP 296 , qui mettait en garde contre le risque de créer une« policlinique précaire » à Saint-Antoine. On voit ici que le manque de définition communeaux PASS suscite des incompréhensions parmi les acteurs concernés, et que la mise enplace d’un référentiel national devrait permettre de clarifier.

Un groupe de travail a en effet été constitué pour mener à bien cette mission. Celui-ci est parti d’un objectif commun poursuivi par le siège de l’AP-HP et l’ARS Ile-de-France,qui ont donc choisi de prendre contact avec le Ministère chargé de la santé. Actuellement,le groupe de travail réunit notamment la DGOS, l’ARS et ses délégations territoriales, l’AP-HP, les CPAM, mais aussi des centres hospitaliers tels que celui de Saint-Denis. La finalitédu travail mené est de définir les critères qui désignent une structure comme PASS etd’élaborer un référentiel commun de recensement de l’activité qui y est accomplie. Toutefois,

la personne contactée au siège de l’ARS 297 a tenu à préciser qu’il ne s’agissait pas deremettre en cause les divers modes de fonctionnement des PASS mais plutôt de trouverdes éléments communs, ni trop restrictifs ni trop larges, afin de concilier l’élaboration d’unréférentiel commun avec la nécessité de prendre en compte les spécificités locales defonctionnement. Dans la même logique, il a insisté sur l’importance de ne pas mettre finaux structures existantes, et a rejoint par là l'avis du siège de l’AP-HP, qui appelle à ne

292 Annexe XIV293 Annexe XII294 Annexe IX295 Annexe IX296 Annexe XII297 Annexe XI

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pas favoriser les PASS très élaborées au détriment des structures plus modestes. L’objectifest en effet de conserver un maillage territorial important, afin de se situer au plus prèsdu patient précaire, qui ne sera pas toujours disposé à traverser la capitale pour recevoirdes soins, parfois considérés comme un bien secondaire. La position du personnel dela policlinique Baudelaire semblait moins claire à ce propos, les personnes rencontréesayant plutôt insisté sur l’importance de contrôler l’activité de terrain pour favoriser les PASSstructurées et repérer celles plus modestes, recevant des ressources jugées illégitimes.298 Sans vouloir mettre fin à ces petites structures, la DGOS a néanmoins revu soncritère de personnel minimum constituant une PASS, dans son guide de contractualisation

des dotations finançant les MIG 299 . Ainsi, le financement ne sera pas attribué dès lepremier équivalent temps-plein d’assistant social mais nécessitera aussi la déclaration d’unéquivalent temps-plein infirmier. Le groupe de travail monté au niveau national doit aussi

préciser la notion de file active, qui se définit comme le nombre de patients reçus du 1er

janvier au 31 décembre. L’un des sujets polémiques consiste à savoir, comme nous ledisions juste avant, si la file active doit inclure les patients ayant des droits ouverts, l’ARSsuivant plutôt le point de vue exprimé par l’AP-HP.

Comme nous l’avons compris, le travail mené actuellement devrait aboutir à unemodélisation nationale des conditions d’attribution de la « MIG PASS », comme c’est déjàle cas pour d’autres missions d’intérêt général. Celle-ci devrait notamment améliorer lavisibilité des structures sur le terrain, même si les diversités de fonctionnement serontrespectées. De la même manière que cela a été fait jusqu’ici, l’ARS pourra ensuite remonterà la DGOS des éventuelles insuffisances constatées dans les crédits alloués. Toutefois, la

personne rencontrée à l’ARS 300 a tenu à préciser que le référentiel national devra être suiviaussi scrupuleusement que possible, car les MIG sont vues comme des aides d’Etat parla Commission européenne et leur versement doit être rigoureusement justifié, pour éviterqu’un établissement ne se retrouve avantagé par rapport à un autre. A ce titre, il a aussiinsisté sur le fait que le volume d’activité, s’il peut être pris en compte, ne doit surtout pasdevenir central dans ce qui influencera le montant des financements attribués aux PASS.Pour lui, « tout n’est pas une question de financements », il s’agit avant tout de « redéfinirles missions » pour parvenir à un « niveau attendu d’activité ». A ces mots, on voit déjà queles divergences sont loin d’être résolues, et que certains acteurs de terrain demanderontsans doute une reconnaissance plus fine des efforts accomplis.

B. Comment mieux prendre en compte les besoins dechaque territoire ?

1. Repenser l’organisation institutionnelle du système de santé298 Annexes VI et IX299 Guide de contractualisation des dotations finançant les missions d ’ intérêt général – version 0 [PDF].

DGOS - Ministère de la Santé et des Sports. [page consultée le 5 juin 2012]. < http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_de_contractualisation_des_dotations_financant_les_MIG-3.pdf >

300 Annexe XI

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Achever le processus de régionalisationLe dilemme que nous venons de décrire traverse tous les secteurs de l’action publiqueet explique notamment les freins et accélérations successifs qu’a connu le processus dedécentralisation, initié en France en 1983. Il s’agit en effet de trouver un équilibre entrele nécessaire pilotage national des actions menées et la prise en compte des besoinsde chaque territoire. Celle-ci implique de donner la parole et un pouvoir de décision auxacteurs locaux ancrés sur le territoire, tant par nécessité démocratique que dans un soucid’efficacité. En effet, impliquer dans les décisions ceux qui sont concernés au premier chefpermet aussi de favoriser leur application sur le terrain. A l’inverse, les décisions jugéesarbitraires et déconnectées des préoccupations suscitent le désengagement voire l’hostilitédes personnes chargées de les mettre en œuvre. Dans les protestations de celles-ci, ilne faut d’ailleurs pas toujours voir une critique du contenu des mesures instaurées, maisaussi et surtout de leur mode de délibération. L’enjeu consiste donc à concilier une logiqueascendante et une logique descendante dans la mise en place des politiques publiques,deux approches apparemment opposées.

Renforcer la démocratie sanitaireRappelons tout d’abord que le concept de démocratie sanitaire a été introduit par le titre

premier de la loi de 2002 301 et concernait en premier lieu les droits et la place du maladedans l’organisation de ses soins. Il incluait notamment les exigences de transparence dusystème de santé et de responsabilité du médecin vis-à-vis de son patient. Ce dernierbénéficie en particulier d’un droit à l’information préalable aux soins, concernant entre autresle coût et les conditions de remboursement des actes envisagés. Les droits du patient ontaussi été concrétisés par la mise en place d’une Commission des relations avec l’usager etde la qualité de la prise en charge, pour favoriser le dialogue entre usagers et professionnelsde santé, ainsi que par la reconnaissance officielle des associations d’usagers des hôpitaux.On peut donc reprendre les termes du professeur de droit hospitalier Jean-Marie Clémentpour dire que progressivement, les usagers « objets de droit » sont devenus des « sujets de

droits ». 302 Toutefois, le concept de démocratie sanitaire a été élargi et l’on peut aujourd’hui

le comprendre comme « une démarche qui vise à associer l’ensemble des acteurs dusystème de santé dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de santé, dans un

esprit de dialogue et de concertation » 303 .En premier lieu, il s’agit d’accentuer la capacité des ARS à développer des projets

autonomes de santé, grâce à des marges de manœuvre financières et organisationnellesaccrues à partir des orientations fixées par l’Etat. C’est aussi la structure interne de chaqueagence qui doit permettre de favoriser la démocratie sanitaire, en donnant plus de placeaux instances représentatives de la diversité des acteurs de santé. Parmi elles, on peutciter la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie, qui a remplacé avec la loiHPST les Conférences régionales de santé introduites en 1996. Dans chaque ARS, ellereprésente les collectivités territoriales, les usagers, le tissu associatif, les professionnels

301 Loi n°2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé302 CLEMENT Jean-Marie. Droits des malades – Les répercussions de la loi du 4 mars 2002 dans le champ du droit hospitalier.Paris : Les Etudes Hospitalières Editions, 2002. 87 p. Collection Essentiel. ISBN 2-912359-75-9303 Agence Régionale de Santé Ile-de-France [en ligne]. [page consultée le 7 juin 2012]. < http://www.ars.iledefrance.sante.fr/Democratie-sanitaire.81526.0.html >

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de santé, les gestionnaires des établissements, les organismes de protection sociale, ainsique les Conférences de territoire. Ces dernières sont des structures similaires aux CRSAmais qui s’ancrent dans un territoire de santé, pour représenter ses différents acteursauprès de l’ARS : établissements sociaux, sanitaires et médico-sociaux, organismes depromotion et de prévention de la santé, professionnels de santé libéraux, usagers etcollectivités territoriales. A ce titre, il est important de noter que la notion de territoire desanté a été introduite pour désigner le découpage opéré par chaque ARS de son propreterritoire, dans le but de regrouper des communes et favoriser une approche infrarégionaledes problématiques sanitaires. Ainsi composée, la CRSA dispose d’une compétence deproposition sur l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de la politique régionale desanté. Elle est notamment consultée sur le Plan stratégique de l’ARS, mais ne disposed’aucun pouvoir sur ses décisions. Citons aussi l’existence des Unions régionales desprofessionnels de santé, également créées dans le cadre de la loi HPST. Ces organismesregroupent chaque profession de santé libérale et ont notamment pour mission de contribuerà la préparation du Projet régional de santé ainsi qu’à sa mise en œuvre, même si une foisencore, ils ne disposent d’aucun pouvoir décisionnel.

On voit donc que les instruments de la démocratie sanitaire ont été mis en place,mais qu’ils ne sont pas suffisamment opérationnels pour permettre une réelle prise encompte des spécificités de chaque territoire. C’est pourquoi des pistes d’amélioration sontenvisageables, et nous pouvons pour cela notamment nous appuyer sur les perspectivesannoncées par l’ARS Ile-de-France. S’il paraît essentiel de ne pas s’arrêter aux mots et derappeler que l’ARS a une marge de manœuvre limitée dans son organisation interne, il estintéressant de suivre l’orientation proposée par le directeur général de l’Agence, ClaudeEvin :

« Je souhaite que l’ARS inscrive son action dans une démarche de démocratiesanitaire qui permette à toutes les parties prenantes de la politique de santéet aux franciliens de participer au plus près du terrain à la construction et à

l’application de la politique régionale de santé . » 304

Dans ce cadre, l’ARS Ile-de-France a annoncé la création de la Direction de la DémocratieSanitaire, de la Communication et des Partenariats, dont le Pôle démocratie sanitaireassurerait notamment la coordination de la CRSA et des huit Conférences de territoire d’Ile-

de-France. 305 Dans son Plan stratégique, l’Agence précise ses ambitions, en annonçant

notamment vouloir « donner leur essor aux instances régionales », « développer lesconsultations thématiques et le débat public », « répondre aux besoins d’information desusagers » et « mobiliser le tissu associatif ».

Il ne fait aucun doute que les perspectives annoncées vont dans le sens d’une meilleureprise en compte des préoccupations des acteurs locaux et des besoins des territoires qu’ilsreprésentent. La démarche de démocratie sanitaire est particulièrement facilitée en Ile-de-France par la grande richesse du réseau associatif agissant dans le domaine de la réductiondes inégalités de santé, comme de la cohésion sociale et de la lutte contre la précarité.Néanmoins, il y a fort à parier que les ambitions annoncées ne resteront que des vœuxpieux si le mode de gouvernance du champ sanitaire n’est pas remis en question et nesurmonte pas les contradictions évoquées en début de mémoire. En particulier, le problème

304 Agence Régionale de Santé Ile-de-France [en ligne]. [page consultée le 7 juin 2012]. < http://

www.ars.iledefrance.sante.fr/Democratie-sanitaire.81526.0.html >305 Ibid.

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continuera d’être contourné si aucun pouvoir de décision n’est attribué aux instances dedémocratie sanitaire que sont la CRSA et les Conférences de territoire, par exemple viaun système de vote collectif au sein des ARS. Naturellement, cette procédure devrait êtrerationnalisée pour garantir le bon fonctionnement de l’Agence et la prémunir contre toutblocage dans le processus décisionnel.

Un autre enjeu semble crucial et n’est pourtant pas évoqué dans la Plan stratégiquede l’ARS : l’information des professionnels de terrain sur l’organisation et le fonctionnementdu système de santé. En effet, les entretiens sollicités au cours des recherches ont misen évidence une répartition inéquitable de l’information au sein des personnels soignantsautant qu’administratifs. Il est normal que selon leur place dans l’organisation institutionnelledu champ sanitaire, les professionnels n’aient pas les même perspectives sur la globalité du

fonctionnement. Par exemple, la personne rencontrée à l’ARS 306 était tout naturellementplus au fait des modalités de financement des MIGAC que l’infirmier rencontré à la

policlinique Baudelaire 307 , qui, lui, était plus à même d’exposer les enjeux de la gestionde la précarité dans les services hospitaliers. De la même manière, l’infirmier interrogé

au service des urgences 308 s’est très logiquement montré hostile au système de laT2A, en pointant ses défaillances au moment de la confronter à la réalité de terrain. Le

responsable de la synthèse budgétaire du Groupe Hospitalier Est Parisien 309 , pour sa part,a préféré valoriser la T2A comme un dispositif permettant de révéler les lacunes du systèmeexistant. Si ces différences de point de vue sont inhérentes aux fonctions occupées, etont d’ailleurs contribué à concilier plusieurs approches dans ce travail, elles révèlent aussiune circulation imparfaite de l’information, qui empêche tous les personnels impliqués detrouver un terrain d’entente commun à l’atteinte des objectifs de santé. Le cas des MIGACillustre mieux que tout autre ce constat. En effet, le médecin responsable de la PASS310 déplorait la « grande nébuleuse » qui entourait ces dotations et semblait en attented’informations complémentaires, qui seront peut-être en partie présentes dans ce mémoire.

De la même façon, la personne responsable des PASS au siège de l'AP-HP 311 ne semblaitpas connaître les modalités de répartition de la « MIG PASS » arrêtées par l'ARS Ile-de-France. La circulation de l’information semblait toute aussi imparfaite dans l’autre sens. A

titre d’exemple, le responsable du suivi du financement des MIGAC 312 apparaissait trèspeu au fait du dispositif particulier mis en place à l’hôpital Saint-Antoine, pourtant initiateur

du concept de PASS, et la personne du siège de l'AP-HP 313 exprimait aussi ses incertitudesquant aux réalités de fonctionnement de la policlinique Baudelaire sur le terrain. Cesobservations nous amènent donc à encourager une meilleure diffusion des connaissances

306 Annexe XI307 Annexe V308 Annexe IV309 Annexe VIII310 Annexe IX311 Annexe XII312 Annexe XI313 Annexe XII

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parmi les acteurs destinés à travailler ensemble pour mener à bien des projets d’actionpublique, tels que l’accueil des patients précaires à l’hôpital. En particulier, l’ARS, en tantqu’instance coordinatrice de la politique de santé au niveau régional, doit mieux informerl’ensemble des acteurs concernés sur les missions de chacun et les mécanismes en vigueurdans le circuit de financement et de décision. Elle doit aussi assurer la sensibilisation dessalariés impliqués dans ce circuit aux enjeux révélés sur le terrain. Ainsi, à défaut de mettretout le monde d’accord sur les réponses à apporter aux enjeux sanitaires de demain, ellenourrira une compréhension commune des problématiques actuelles pour engager tout lemonde dans le même effort d’amélioration de la santé.

Décloisonner les champs sanitaire et socialComme nous le disions au début de ce travail, la création des ARS visait notammentle décloisonnement des champs social et sanitaire. En effet, elles se distinguent trèsclairement des anciennes Agences régionales de l’hospitalisation, qui n’avaient en chargeque l’organisation de l’hospitalisation publique et privée. En regroupant toutes les structuresque nous avons citées précédemment, les ARS ambitionnaient de coordonner l’ensembledes politiques menées par les acteurs des domaines médical et médico-social. Ce projet aété en partie atteint mais il est à noter que les ARS ne gèrent pas les politiques sociales.En effet, elles ont récupéré les pôles sanitaire et médico-social des DDASS et des DRASSmais leurs pôles sociaux ont été laissés aux Directions régionales de la jeunesse, des sportset de la cohésion sociale, créées en même temps que les ARS. Ainsi, on remarque quela loi HPST a paradoxalement dissocié les problématiques sociale et sanitaire en voulantregrouper les champs médical et médico-social. Or comme nous l’avons vu tout au longde ce travail, ces thématiques sont intimement liées et doivent être coordonnées pourpermettre une prise en charge efficace des patients précaires. En effet, les inégalités desanté trouvent leur origine dans des domaines où l’ARS n’a pas compétence, ce qui doitl’inviter à entreprendre des partenariats en dehors de son organisation interne.

Cette démarche est déjà en cours grâce aux PRAPS. Leur élaboration est en effetle produit d’une large collaboration, impliquant notamment l’ARS, la DRJSCS, la Directionrégionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement, ainsi que les collectivitésterritoriales. Intégrés au Projet régional de santé, les PRAPS se concrétisent ensuitepar « des actions coordonnées de prévention et d’éducation à la santé, de soins, de

réinsertion et de suivi » 314 , qui nécessitent la coopération du plus grand nombre d’acteursrégionaux impliqués dans les problématiques sanitaires et sociales. Elles sollicitent en effetles services de l’Etat en région, ceux de l’ARS, mais aussi les collectivités territoriales,les associations, les professions de santé, ainsi que établissements sanitaires et sociaux.Dans le cadre du PRAPS, l’ARS peut notamment conclure ave les collectivités territorialesce que l’article L.1434-17 du Code de la santé publique appelle des « contrats locaux desanté ». Ceux-ci portent sur « la promotion de la santé, la prévention, les politiques desoins et l’accompagnement médico-social ». Ils sont donc un instrument privilégié pourorganiser la prise en charge globale des patients précaires, et l’ARS Ile-de-France s’estrésolument inscrite dans cette démarche, avec 20 CLS conclus et 70 autres en cours de

négociation au 7 février 2012. 315 Ils visent à décliner le Projet régional de santé sur les

314 Article L.1411-5 du Code de la santé publique315 Contrats locaux de santé – note établie à partir de la communication de Laurent Chambaud [vidéo]. Assemblée des

Communautés de France, 2012. [page consultée le 11 juin 2012]. < http://www.adcf.org/files/Note-Contrats-locaux-Sante-fev2012.pdf>

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territoires, en croisant les problématiques sanitaires avec des thématiques sociales trèslarges, telles que les transports, l’habitat ou encore l’éducation. La liberté accordée auxARS dans la détermination des enveloppes budgétaires allouées aux CLS leur permet unerelative autonomie dans la politique menée. Cependant, les contraintes financières limitentl’efficacité de ces contrats car elles poussent le plus souvent les ARS à privilégier lesterritoires les plus en difficulté, qui sont nombreux dans certaines régions. Le plus souvent,les contrats locaux de santé sont conclus avec des territoires où préexistaient souvent desdémarches locales non contractuelles. Parmi elles, nous pouvons mentionner les contratsurbains de cohésion sociale et les ateliers santé-ville. La création de ces derniers a étéimpulsée en 2000 par la Délégation interministérielle à la ville, la Direction générale dela santé et la Direction générale de l’action sociale, pour faciliter la coordination entre lesdifférents acteurs locaux et consolider les dynamiques déjà à l’œuvre sur le terrain. Lesateliers santé-ville permettent l’application locale des objectifs mentionnés dans le PRAPS.Ils articulent notamment la politique de la ville et la politique de santé pour permettre laréduction des inégalités de santé au niveau local.

2. Intégrer l’hôpital dans une politique de la ville

Conférer à l’hôpital une plus grande autonomie d’organisationL’une des pistes envisageables pour améliorer la gouvernance hospitalière peut être deconférer une nouvelle place aux instances impliquant le corps médical dans la politiqued’établissement. Il ne s’agit pas ici d’opposer le personnel administratif au personnelmédical et de conférer l’administration de l’hôpital à ce dernier. Comme toute organisation,l’institution hospitalière s’est développée en diversifiant les professions qu’il emploie.La complexité administrative des structures hospitalières est aujourd’hui telle que cettediversité est devenue nécessaire, permettant la complémentarité des savoirs, autant quela cohérence des actions menées. A ce titre, il est légitime de penser que l’activitéadministrative de l’hôpital doive relever avant tout du personnel qualifié pour cette mission.Néanmoins, cette division du travail ne doit pas nous empêcher de reconnaître lanécessité de mieux intégrer le corps médical à la politique d’établissement. Les structureshospitalières ont en effet été créées autour de l’exploitation d’un savoir médical, et ce n'estque justice de rendre au moins en partie aux professionnels de santé la gouvernance deshôpitaux. Par ailleurs, leur expérience professionnelle est un élément précieux à intégrerdans les orientations choisies par l’hôpital. En effet, le contact quotidien avec les usagerset la spécificité de leur pathologie les rend plus aptes à repérer les besoins sanitaires dela population locale. Plus généralement, leurs compétences leur permettent d’estimer lacapacité de la structure à répondre aux besoins de santé, ce qui leur donne une légitimépour intervenir dans les orientations fixées par l’établissement. Cette nouvelle répartitionde la gouvernance hospitalière doit aussi s’accompagner d’une représentation plus justedes différentes professions de santé. En effet, le système de gouvernance actuel estcritiqué pour sous-représenter les professions de santé, mais aussi pour surreprésenterles médecins parmi ces professions. Or, au cours de ce mémoire, nous avons pu voirque l’approche du patient et de ses besoins différait chez le médecin et chez l’infirmier, àtitre d’exemple. Là aussi, nous pouvons donc affirmer que c’est la diversité des approchesau sein des instances décisionnelles qui pourra garantir la mise en place d’une politiqued’établissement adaptée aux besoins sanitaires recensés.

Les instances impliquant les professionnels de santé sont au nombre de trois. LeConseil de surveillance est originellement l’organe délibérant de l’établissement. Les

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représentants du personnel hospitalier y travaillent notamment auprès de représentantsdes collectivités territoriales et d’usagers. Par rapport à l’ancien Conseil d’administration, leConseil de surveillance a vu son rôle recentré sur la définition des orientations stratégiques.Ainsi, son pouvoir de délibération a été conservé mais réduit : il concerne toujours le projetd’établissement et le compte financier, mais le CPOM et l’EPRD relèvent désormais duDirectoire. De même, il ne « délibère » plus mais « donne son avis » sur « la politiqued’amélioration continue de la qualité, de la sécurité des soins et de la gestion des risques

ainsi que les conditions d’accueil et de prise en charge des usagers ». 316 On voit donc que

son rôle a été réduit dans un domaine qui nécessite pourtant l’expérience des professionnelsde santé, et l’une des pistes envisageables serait avant tout de redonner au Conseil desurveillance un pouvoir de délibération sur ce point précis. De la même façon, le Directoirea remplacé le Conseil exécutif pour impliquer plus fortement les médecins, mais en leréduisant dans le même temps à un rôle purement consultatif. Ainsi, on peut imaginerque le directeur soit plus fermement tenu de suivre les conseils procurés par le Directoire

dans « la gestion et la conduite de l’établissement » 317 . Enfin, notons que la Commissionmédicale d’établissement, lieu premier de représentation des professionnels de santé, a vuson rôle recentré sur la surveillance de l’atteinte des objectifs fixés, notamment en proposantau Directoire « un programme d’actions assorti d’indicateurs de suivi ». Il conviendraitde redonner à la Commission médicale d’établissement la parole concernant la politiquede moyens menée par l’hôpital. Il s’agit aussi de renforcer son rôle dans la « politiqued’amélioration continue et de la qualité des soins, ainsi que des conditions d’accueil et deprise en charge des usagers », car pour le moment, elle ne fait que « contribue[r] à [son]

élaboration ». 318

Favoriser la coordination de l’hôpital avec les autres acteurs locauxCes initiatives s’appuient tout d’abord sur la notion de filière de soins et de réseaude santé. Il faut la comprendre la première comme un mode d’organisation interne àl’établissement, visant à instaurer « un continuum dans la prise en charge » en favorisant« l’interdisciplinarité » au sein de la structure. L’objectif est donc d’organiser les différentesphases de la prise en charge du patient en coordonnant tous les acteurs qui y sont impliqués.La filière de soins peut ensuite se prolonger à l’extérieur de l’établissement, éventuellement

par la création d’un réseau de santé. 319 Cette notion a été insérée dans l’article L.6321-1

du Code de la santé publique par la loi du 4 mars 2002, qui le définit ainsi :« Les réseaux de santé ont pour objet de favoriser l’accès aux soins, lacoordination, la continuité ou l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires,notamment de celles qui sont spécifiques à certaines populations, pathologiesou activités sanitaires. Ils assurent une prise en charge adaptée aux besoinsde la personne tant sur le plan de l’éducation à la santé, de la prévention, dudiagnostic que des soins. […] Ils sont constitués entre les professionnels

316 COUTY Edouard et al. La loi HPST – regards sur la réforme du système de santé. Rennes : Presses de l'EHESP, 2009.394 p. Collection Droit et Santé. ISBN 978-2-8109-0022-0

317 Ibid.318 Ibid.

319 CAILLAVET-BACHELLEZ, Viviane. Le parcours de soins du patient : un dispositif fédérateur pour les Communautés Hospitalièresde Territoire. Mémoire. Ecole des hautes études en santé publique, 2010, 50 p.

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de santé libéraux, les médecins du travail, des établissements de santé, desgroupements de coopération sanitaire, des centres de santé, des institutionssociales ou médico-sociales et des organisations à vocation sanitaire ou sociale,ainsi qu’avec des représentants des usagers. »

Dans la pratique, on peut distinguer quatre principaux types de réseau : les réseauxd’établissements, qui relient entre eux des établissements de santé aux spécialitésdifférentes, les réseaux de soins, centrés sur la prise en charge de pathologies trèsspécifiques, et les réseaux ville – hôpital monothématiques, qui intègrent les acteurs dela politique de la ville pour prendre en charge des pathologies chroniques complexes.Enfin les réseaux de santé de proximité contribuent surtout à la prise en charge médico-sociale des personnes à l’échelle d’un quartier ou d’une ville, notamment lorsqu’existent desproblématiques spécifiques d’accès aux soins. Plus que les établissements eux-mêmes,ces réseaux associent les professionnels de santé et les services publics locaux dans des

projets de santé publique, de prévention et d’échange de connaissances par la formation. 320

On comprend donc que les réseaux de santé peuvent créer un maillage territorial permettantd’apporter une prise en charge complète à des personnes fragiles, souvent sujettes au

« nomadisme médical » 321 . Ils permettent en effet à l’hôpital de se coordonner avec lesacteurs municipaux, la commune ayant des missions sociales propres, mais aussi avec lesassociations, les médecins de ville ou encore les centres de santé.

Si pour la fin de ce mémoire, nous nous éloignons quelque peu de l’institutionhospitalière, c’est pour évoquer brièvement ces structures particulières que sont les centresde santé, et dont il est important de comprendre les missions, complémentaires de l’hôpital.L’article L.6323-1 du Code de la santé publique les décrit ainsi :

« Les centres de santé sont des structures sanitaires de proximité dispensantprincipalement des soins de premier recours. Ils assurent des activités de soinssans hébergement et mènent des actions de santé publique ainsi que des actionsde prévention, d’éducation pour la santé, d’éducation thérapeutique des patientset des actions sociales »

La nature de leurs missions explique que de nombreux centres de santés soient situés dansdes zones économiquement défavorisées. De la même manière que nous l’avons vu pourl’hôpital, ils contribuent au moins partiellement à compenser la faiblesse d’offre de soinsambulatoires dans ces quartiers. Le cas de l’Ile-de-France confirme cette hypothèse. Trèsimplantés dans cette région, leur activité est inégalement répartie sur le territoire. En effet, ilsne désemplissent pas en Seine-Saint-Denis, et même à Paris, on constate qu’ils effectuentjusqu’à 15 % des consultations en ambulatoire dans les quartiers où l’offre de soins au tarifopposable est limitée. Leur taille réduite leur permet de mailler le territoire plus finement queles hôpitaux, qui, par ailleurs, jouent de moins en moins leur rôle de proximité en obéissantà la logique des regroupements. Ils sont parfois situés à quelques rues du domicile de leurspatients, qui, pour certains, ne seraient pas prêts à prendre la voiture ou les transports afind’aller chercher dans le service de consultation d’un grand hôpital des soins ambulatoiresjugés secondaires.

320 Qu'est-ce qu'un réseau de soin ? un réseau de santé ? [PDF]. Resodys, 2008. [page consultée le 17 août 2012]. < http://www.resodys.org/IMG/article_PDF/article_a110.pdf >321 Dir. BRECHAT Pierre-Henri et LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012. 495p. ISBN 978-2-8109-0079-4

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Bien que le Plan stratégique de l’ARS Ile-de-France annonce vouloir « consoliderles centres de santé », ces structures semblent de plus en plus fragilisées. Ainsi, PatrickPelloux déplorait en 2007 la fermeture de plusieurs centres de santé en Seine-Saint-Denis, qui risque selon lui de rompre « un lien social indispensable » avec les populationsprécaires. Par ailleurs, les activités de prévention accomplies sont coûteuses et pas toujoursrémunérées, ce qui met les centres de santé encore existants face à des difficultésfinancières interrogeant leur avenir.

Aujourd’hui pourtant, il apparaît nécessaire de valoriser ces structures et de coordonnerleurs actions avec les établissements de santé, pour que chacun puisse aider l’autredans la prise en charge de patients réclamant une attention particulière. L’ARS Ile-de-France annonce en effet vouloir favoriser ce rapprochement, en proposant notammentaux centres de santé de se focaliser sur l’offre de consultations de médecine spécialisée.Cette collaboration faciliterait la prise en charge hospitalière des patients précaires, dontles pathologies seraient plus clairement ciblées à l’arrivée et dont l’avenir à la sortie neserait plus une source de préoccupation pour les personnels hospitaliers. Cependant, un telrapprochement ne peut devenir effectif que lorsque les centres de santé serontsuffisammentvisibles auprès du public, mais aussi des professionnels hospitaliers. A ce titre, il estintéressant de noter qu’aucune des personnes rencontrées à l’hôpital Saint-Antoine n’en amentionné l’existence en prenant connaissance de mon sujet. S’il ne fait aucun doute queles professionnels de santé connaissent l’existence de ces centres, elles restent bien peuvisibles à côté des immenses structures hospitalières telles que Saint-Antoine, et la naturede leurs missions reste encore mal connue. C’est pourquoi le Plan stratégique de l’ARSpropose d’améliorer la connaissance de l’exercice en centre de santé auprès des étudiantsen médecine, et notamment d’en faire des lieux de stage privilégiés.

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Conclusion

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Conclusion

Du décalage entre les actes et les faits, l’Etat a de tout temps envoyé des signauxcontradictoires aux professionnels de santé exerçant dans les hôpitaux. Entre restrictions

budgétaires et grands discours sur « l’hospitalité de l’hôpital » 322 , ce dernier n’a cessé denaviguer entre deux eaux et de se chercher. D’abord lieu d’accueil pour les indigents dontla rue ne voulait plus, il est devenu un véritable plateau technique, centre de recherche etd’innovation médicale, avant que les contraintes économiques ne voient émerger « l’hôpital

des managers » 323 , remettant en question la finalité de ses missions.Aujourd’hui, les pouvoir publics semblent avoir pris conscience des nouveaux enjeux

suscités par la crise économique, la précarisation de certaines couches de la populationet ses conséquences sur la santé. Ainsi, les récentes lois de réforme de l’hôpitalont acté la nécessité de reconnaître la mission sociale de l’hôpital public. Mais desfinancements MIGAC aux regroupements de services hospitaliers, les pouvoirs publicscontinuent de vouloir combiner des logiques divergentes, qui laissent souvent perplexes lesprofessionnels de terrain. Ces derniers ont depuis toujours appris à innover pour répondreaux besoins de santé qui se présentaient à eux. Leurs initiatives ont permis d’assouplir lefonctionnement institutionnel du système de santé en prenant en compte les spécificitésdes populations concernées. Peu à peu, ces acteurs de proximité ont su acquérir unereconnaissance des pouvoirs publics, mais le chemin est encore long pour que l’attentionaccordée à ce travail soit proportionnelle aux efforts investis. Aujourd’hui, l’enjeu est dedonner toute sa valeur à l’action de terrain, sans pour autant mettre de côté l’interventionglobale des pouvoirs publics, nécessaire à une mise en œuvre cohérente de la politiquenationale de santé.

Mais quelle que soit la direction retenue dans les prochaines années, une chose estsûre : on ne retirera jamais à l’hôpital public sa mission sociale, qui est indissociable de samission de soins et en assure l’efficacité sur le terrain. Pour autant, il ne faut pas laisserl’institution hospitalière seule face à cette tâche de plus en plus lourde, les pouvoir publicsdevant continuer d’accompagner les initiatives menées et favoriser les coopérations avecles acteurs du champ social comme avec les institutions locales.

Cependant, toute initiative portée à l’attention de la santé des plus précaires doit tenir

sur un équilibre très instable, celui de parvenir à « différencier sans discriminer » 324 . En effet,il s’agit d’apporter à chacun une aide proportionnée à ses difficultés, sans chercher à scinderla population en deux catégories : les précaires et les non-précaires. Le philosophe RuwenOgien nous rappelle en effet les enjeux, notamment politiques, qui peuvent se dissimuler

322 DODIER, Nicolas, CAMUS, Agnès. L'hospitalité de l'hôpital. Communications, 1997, volume 65, p. 109-119323 Dir. BRECHAT Pierre-Henri, LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012. 495p.ISBN 978-2-8109-0079-4

324 Dir. BRECHAT Pierre-Henri, LEBAS Jacques. Innover contre les inégalités de santé. Rennes : Presse de l’EHESP, 2012.495 p. ISBN 978-2-8109-0079-4

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derrière la « catégorisation de la précarité » 325 . Améliorer la prise en charge des plusdémunis doit avoir comme préalable de repenser sa compréhension de la précarité. Le plusimportant est de retirer de son esprit une explication par la paresse, que dénonce Serge

Paugam 326 , car une telle approche de la précarité pousse à apporter une aide chargée deculpabilisation. Cette notion doit plutôt se comprendre par rapport à notre environnement.En effet, « la perception de la précarité varie d’une culture ou d’une époque à l’autre »,et de ce fait, « on peut se sentir précaire aujourd’hui tout en vivant dans des conditionsd’existence qui n’auraient pas été catégorisées dans la rubrique de la pauvreté dans toutes

les époques du passé ». 327 Ainsi, la pauvreté a régressé mais les dépenses d'aide

publique ont augmenté, tout simplement parce que le progrès technique et les évolutionsde la société ont favorisé la précarité de certaines populations. C’est pourquoi cette notionpeut se comprendre comme « l’instabilité d’une situation dans une société sans cesse en

mouvement » 328 . En particulier, le sociologue Alain Ehrenberg pointe du doigt « une logique

de la performance » 329 , qui caractérise la société actuelle et conduit de plus en plus depersonnes à se sentir exclues. « Nos représentations standardisées de la vie réussie »330 mettent notamment au premier plan l’acquisition de biens chers et nombreux. Ainsi, lesindividus sont de plus en plus compris par rapport à ce qu’ils possèdent, et enfin de compte,

« qui n’a rien n’est rien » 331 . Ce constat doit nous amener à nous interroger sur ce qui fait laréussite d’une vie et sur ce que l’on doit attendre des êtres humains en société. Cette remiseen question amènera peut-être beaucoup de gens qui n’en trouvaient plus à redonner unsens à leur existence, à retrouver un rôle dans la société qui les entoure.

Repenser la précarité appelle donc à repenser les dispositifs destinés à lutter contreses effets, en luttant tout d’abord contre le risque majeur qu’ils dissimulent et qui est décritpar Maryse Bresson dans son ouvrage Sociologie de la précarité :

« La simple désignation d’individus ou de groupes comme pouvant légitimementprétendre à un traitement social différencié, même s’il s’agit d’une aide sociale,ou de toute autre mesure de discrimination positive, contient un risque

d’enfermement sous une étiquette qui discrimine négativement. » 332

L’aide aux plus démunis doit donc autant correspondre à une prise en charge des facteursvulnérants qu’à une libération des potentialités que chacun renferme en soi. Il s’agit depermettre aux bénéficiaires de développer les points forts qui leur permettront ensuite de

325 BRESSON, Maryse. Sociologie de la précarité – 2ème éd. Paris : Armand Collin, 2010. Collection Domaines et approches.ISBN 973-2-200-24819-2

326 Serge Paugam, 2007, cité dans Dir. BRECHAT Pierre-Henri, LEBAS Jacques. Op. cit.327 Ibid.328 BRESSON, Maryse. Op. cit.329 Ibid.330 Dir. BRECHAT Pierre-Henri, LEBAS Jacques. Op. cit.331 Ibid.

332 BRESSON, Maryse. Sociologie de la précarité – 2ème éd. Paris : Armand Collin, 2010. p. 20. Collection Domaines et

approches. ISBN 973-2-200-24819-2

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s’émanciper et de retrouver une autonomie, préalable indispensable pour redonner un sensà sa vie et à sa place dans la société. En particulier, la réinsertion sanitaire doit être unpréalable à la réinsertion sociale, et c’est très précisément cette démarche que nous avonsvu avec le dispositif des permanences d’accès aux soins de santé. En effet, l’ambition de cesstructures n’est « pas tant de proposer une filière spécifique de soins mais une filière d’accès

spécifique aux soins » 333 . C’est pour cette raison que les auteurs du livre Innover contreles inégalités de santé proposent que les PASS ne soient plus des dispositifs isolés maisdeviennent un point de départ pour une réflexion renouvelée sur l’approche des patients,qui puisse rassembler tous les acteurs concernés.

Néanmoins, nous avons vu que l’objectif commun qui réunissait les professionnelsdes PASS dissimulait de profondes divergences quant à la manière de concevoir leurmission, et que les débats sur la mise en place d’un référentiel commun ont contribuéà mettre en lumière. Notamment, certains mettent en avant la nécessité d’accompagnerle précaire sur le long terme via le dispositif spécifique de la PASS, tandis que d’autresrappellent l’importance de les orienter au plus vite vers la filière de soins classique. C’estainsi que la personne contactée au siège de l’AP-HP appelait à « amener le précaireau médecin », non « le médecin au précaire ». Selon elle, les PASS doivent rester desdispositifs temporaires et n’ont surtout pas vocation à empêcher l’accès des précaires aux

lieux de soins ordinaires. 334 De la même façon, le débat évoqué autour de la constitution

de locaux dédiés aux PASS traduit deux approches différentes de l’accompagnement desprécaires et, plus généralement, de la notion de précarité. Il s’agit en effet de savoir si lespolicliniques accueillant une PASS doivent se spécialiser ou non dans la prise en chargedes plus démunis. Pour la responsable de PASS à la Direction de la politique médicale del’AP-HP, les locaux des policliniques doivent favoriser la mixité sociale, afin de ne pas voir

se reconstituer la « médecine à deux vitesses » que l’Histoire a connue. 335

Les divergences que nous venons de présenter montrent que le dispositif des PASS estencore au cœur des débats. Leur activité a été reconnue par les autorités publiques maisla nature de leurs missions ne fait pas encore consensus, et l’avenir de ces structures estincertain. La complexité et les contradictions du circuit de financement des PASS, ainsi queles incompréhensions qui persistent entre les décideurs publics et les acteurs de terrain,nourrissent encore l’incertitude quant à l’avenir de ces structures. Le rapport que nousvenons de lire a voulu privilégier une approche pluridisciplinaire et globale de la prise encharge de la précarité à l’hôpital, plutôt que de s’arrêter à la description d’un dispositifparticulier. Néanmoins, il ne fait aucun doute que le thème des PASS et de leur financementpourrait constituer à lui seul le sujet d’une autre recherche universitaire. En effet, les débatsqu’il suscite ont déjà nourri une très abondante littérature, qui a en partie servi pour larédaction de ce mémoire et qui appelle à être encore enrichie.

333 MERCUEL, Alain. Psychiatrie et précarité : permanence du lieu ou permanence du lien ? Annales médico-psychologiques,décembre 2011, volume 169, n°10, p. 615-694. ISSN 0003-4487

334 Annexe XII335 Annexe XII

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Prendre en charge les usagers précaires : un enjeu d'avenir pour l'hôpital public

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Bibliographie

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Articles de revues

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Bibliographie

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Liste des sigles

∙ AME : aide médicale d’Etat∙ AP-HP : Assistance Publique - Hôpitaux de Paris∙ ARH : Agence régionale de l’hospitalisation∙ ARS : Agence régionale de santé∙ CHU : Centre hospitalier universitaire∙ CLS : contrat local de santé∙ CMU : couverture maladie universelle∙ CMU-C : couverture maladie universelle complémentaire∙ CPAM : Caisse primaire d’assurance maladie∙ CPOM : contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens∙ CRSA : Conférence régionale de la santé et de l’autonomie∙ DDASS : Direction départementale des affaires sanitaires et sociales∙ DGOS : Direction générale de l’organisation des soins∙ DRASS : Direction régionale des affaires sanitaires et sociales∙ DREES : Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques∙ DRJSCS : Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale∙ EHESP : Ecole des hautes études en santé publique∙ EPRD : état des prévisions de recettes et de dépenses∙ HAS : Haute autorité de santé∙ HCAAM : Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie∙ HPST : Hôpital, patients, santé et territoire∙ IGAS : Inspection générale des affaires sociales∙ MIGAC : mission d’intérêt général ou aide à la contractualisation∙ ONDAM : objectif national des dépenses d’assurance maladie∙ PASS : permanence d’accès aux soins de santé∙ PMSI : programme de médicalisation des systèmes d’information∙ PRAPS : programme régional pour l’accès à la prévention et aux soins∙ PRS : Projet régional de santé∙ SAU : service d’accueil des urgences∙ T2A : tarification à l’activité∙ UHCD : Unité d’hospitalisation de courte durée∙ UHTCD : Unité d’hospitalisation de très courte durée