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PORTRAITS A CHARGE : LEON BLUM ET LES LEADERS DU RASSEMBLEMENT POPULAIRE DANS LE DESSIN POLITIQUE DE TROIS JOURNAUX DE DROITE : L’Echo de Paris, Gringoire, Je Suis Partout 1936-1937 Tania Charles Mémoire de séminaire Séminaire d’histoire politique XIXe-XXe Sous la direction de Gilles Vergnon Mémoire soutenu le 6 septembre 2010 Membres du jury : Gilles Vergnon et Bruno Benoît

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PORTRAITS A CHARGE : LEON BLUMET LES LEADERS DU RASSEMBLEMENTPOPULAIRE DANS LE DESSIN POLITIQUEDE TROIS JOURNAUX DE DROITE :L’Echo de Paris, Gringoire, Je Suis Partout1936-1937

Tania CharlesMémoire de séminaire

Séminaire d’histoire politique XIXe-XXeSous la direction de Gilles Vergnon

Mémoire soutenu le 6 septembre 2010

Membres du jury : Gilles Vergnon et Bruno Benoît

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Chapitre Introductif . . 12

I. caricature et histoire: de la satire au discours politique . . 121. La charge caricaturale . . 122. Caricature, contestation et propagande : les dimensions politiques de lacaricature . . 133. Images du politique : la question de l’impact . . 15

II. La presse du Front populaire : des dessinateurs et des journaux politisés . . 161. La presse dans les années 1930 . . 162. Trois journaux, trois dessinateurs . . 18

Premiere partie : le rassemblement trait pour trait ? . . 26I. Avant les elections : la mise en place des principales attaques . . 26

1. Février 1936 : le mois des tensions . . 272. Politique étrangère : de Hitler à Staline . . 293. La fronde anticommuniste . . 33

II. Le rassemblement a l’epreuve . . 341. Les grèves de l’été 1936 . . 342 Un nouveau souffle donné au dessin anticommuniste . . 363. Le front de la discorde : de la querelle à la violence . . 38

III. Le bilan avant la fin : la faillite économique du front populaire . . 411. L’ironique résignation des caricaturistes . . 412. La faillite économique : la dévaluation du franc et la pause . . 423. La chute du gouvernement Blum . . 45

Deuxième partie : arrets sur images, le cas blum . . 47I. les « procédés élémentaires » : les principales représentations graphiques de Léon Blum. . 47II. Léon Blum : agent du communisme mais faux-ami du peuple . . 49

1. Blum communiste : agitateur révolutionnaire ou simple pantin de Staline ? . . 492. Le faux-ami du peuple . . 50

III. Antiblumisme et antisemitisme . . 511. Images de clichés : la représentation du Juif Blum . . 512. La figure du juif apatride : Blum antipatriote et belliciste . . 533. La duplicité dupliquée . . 53

Conclusion . . 56Bibliographie . . 58

Ressources sur la caricature . . 58Ressources sur le dessin de presse . . 58Ressources générales sur l’image . . 59Ressources historiques sur la période et le Front Populaire . . 59Ressources sur la presse et la presse de droite . . 60

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Sites Web . . 60Annexes . . 61

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Remerciements

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RemerciementsJe tiens à remercier en premier lieu mes deux directeurs mémoire, Gilles Vergnon et Bruno Benoît,qui m’ont aidé à forger mon sujet de recherche. Merci à Gilles Vergnon tout particulièrement pourses suggestions, son soutien et pour m’avoir fait partager ses connaissances sur la gauche française.

J’ai aussi reçu l’aide précieuse de Frédéric Cépède, responsable de la Bibliothèque et desarchives de l’Office universitaire de recherche socialiste (OURS), qui est à l’origine des principalesorientations de mon travail. Ses contacts et sa connaissance encyclopédique de la presse et de lagauche en France m’ont fait économiser du temps et de l’énergie dans mes recherches.

Je voudrais également remercier tout le personnel de la Bibliothèque Nationale de France dusite Richelieu – Estampes & Photographies pour leur disponibilité, leur aide et leur gentillesse.En particulier, je remercie Fabienne Guéné, directeur de salle de lecture, pour sa détermination àm’appuyer dans mes recherches malgré les travaux en cours!

Enfin je remercie bien évidemment mes proches qui m’ont soutenu, mes camarades deséminaire avec qui j’ai pu échanger des conseils et Joëlle Anthoine, professeure des écoles etcorrectrice de mémoire à ses heures perdues.

« La caricature est avec le journal le cri des citoyens »Champfleury

« Le dessin politique est un instrument de combat offensif»Christian Delporte

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PORTRAITS A CHARGE : LEON BLUM ET LES LEADERS DU RASSEMBLEMENT POPULAIREDANS LE DESSIN POLITIQUE DE TROIS JOURNAUX DE DROITE : L’Echo de Paris, Gringoire, JeSuis Partout 1936-1937

6 Charles - Tania 2010

Introduction

Lorsque le 10 novembre 1970 Le Figaro rendait hommage au général de Gaulle, onretient surtout aujourd’hui la puissance du dessin de Jacques Faizant représentant Mariannepleurant la mort du grand chêne. Le pouvoir évocateur du dessin de presse se mesure àl’impression qu’il laisse sur ses contemporains mais aussi sur les traces qu’il laisse dansl’histoire. La caricature n’a pourtant pas toujours été jugée suffisamment édifiante pour êtreconsidérée comme faisant partie de l’histoire en tant que telle.Voici ce qu’écrivait, l’écrivainfrançais Jules Champfleury à l’occasion de son étude sur la caricature moderne :

« La caricature tient un rang très bas dans l’histoire, peu d’écrivains s’étantpréoccupé de ses manifestations ; mais aujourd’hui que l’érudit ne se contenteplus des documents historiques officiels et qu’il étudie par les monumentsfigurés tout ce qui peut éclairer les évènements et les hommes, la caricature sortde sa bassesse et reprend le rôle puissant qu’elle fut chargée de jouer de touttemps 1».

Champfleury, un pionnier dans l’étude des caricatures, n’a pas su de suite inspirer d’autreshistoriens. L’étude de l’image dans le champ historique va de concert avec une nouvellefaçon d’écrire l’histoire, qui s’attache davantage aux représentations des contemporains.Le champ d’étude dit des images fixes n’a cessé de s’étendre ces dernières années, enparallèle du développement de l’étude de l’image en mouvement (cinéma, télévision…).L’image, la vidéo et le dessin sont le fruit de nos représentations, au delà même decelles de leurs auteurs. Ainsi, la caricature par son objet (un homme, une politique)et par la représentation de cet objet est à la croisée des chemins entre histoire etreprésentation. Le dessin de presse ou dessin d’actualité a cette qualité informative malgrésa charge humoristique. En tant que tel, le dessin de presse suffit-il à rendre comptedes polémiques, inquiétudes et grands sujets d’actualité d’une époque ? Dans quelle

1 Champfleury, Histoire de la caricature moderne, E. Dentu, Paris, préface, p. VII

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Introduction

Charles - Tania 2010 7

mesure ces représentations sont-elles représentatives ? En dehors du contenu que l’on peutretrouver dans les caricatures, on peut penser que sa dimension nécessairement critiqueen fait également un outil d’influence.

Et quelle meilleure époque que celle du Front Populaire, avec les antagonismesqu’elle suscite, pour observer la façon dont le dessin peut se révéler une « redoutablearme politique 2» ? Période de « surchauffe politique et sociale 3» et de cristallisation desidéologies sur fond de montée des périls, les années de Front Populaire se caractérisentégalement par une violence politique inouïe. Et peu de gouvernement ont suscité tantde haine dans ce XXe siècle. Tout est sujet à polémique, à droite comme à gauche.Les évènements du 6 février 1934 constituent la pierre angulaire des ressentimentsentre « fascistes » et antifascistes. Dans notre analyse, nous verrons que la soi-disantinstrumentalisation de la manifestation de 1934 est restée en travers de la gorge desprincipaux rédacteurs de journaux de droite, qui n’hésitent pas à revenir dessus pourdélégitimer le gouvernement Blum4. Car là est la source de tous les maux ; Blum et lesmembres de la coalition ne doivent leur succès que grâce à la peur qu’ils ont su inspirer.Sans nul doute, l’année 1934 et les semaines qui suivirent la manifestation sanglante ontvu la publication déjà de nombreuses caricatures. Dans l’Action Française notamment, lesappels au meurtre de Blum sont souvent accompagnés de dessins tout aussi assassins.Aussi, quel autre mode d’expression que la caricature, basée sur l’image-choc, peut enretour témoigner de la violence du discours politique de l’époque ? Et en effet, commele souligne Christian Delporte, « à aucune autre époque, les caricaturistes n’avaientautant cherché à susciter chez le lecteur une répulsion aussi viscérale pour des ennemispolitiques 5».

La période de Front Populaire est évidemment peu propice aux caricatures dansla presse de gauche. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, c’est pourtant lesjournaux et revues de gauche comme L’Humanité, L’Œuvre ou encore Le Canard Enchaîné,qui font preuve d’une certaine assise en matière de dessin politique6. La chambre bleuehorizon ne bénéficie plus de la trêve de l’union sacrée ; la presse de gauche se rattrapepour ainsi dire. La règle en matière de caricatures étant que, de par sa vertu agressive,elles s’amplifient évidemment lorsque l’adversaire est au pouvoir. De fait, la presse de droitene ressent que timidement l’appel du crayon dans les années 1920. Pourtant, l’accessionau pouvoir du gouvernement du Cartel des Gauches va inspirer dès 1924 le dessin dansles titres de droite, alors que jusque là l’arme graphique était plutôt l’apanage des artistesde gauche. Avec l’émergence à droite dans les années 1920 de nouveaux « maîtreshumoristes » comme Sennep, Phil ou Chancel, le dessin satirique prend une nouvelleassise, si bien que dans les années 1930 il est capable de rivaliser avec les plus grandsà gauche (Gassier ou Cabrol par exemple). Leur ascension repose sur les appels d’offresrépondant aux nouveaux besoin de la presse en matière de caricatures mais surtout, elleaccompagne la crise politique qui s’ouvre pendant ces années noires et qui bouleverse levisage de la droite, et donc de la presse de droite.

2 Ibidem3 Henry Noguère, La Vie Quotidienne en France au Temps du Front Populaire 1935-1938, Hachette 19774 Dans l’Action Française du 6 février 1937, les formules sont toujours aussi assassines trois ans après. Le journal affiche en

une « le Front Populaire ou la perspective du bagne ou de l’échafaud » aux côtés des articles commémoratifs.5 Christian Delporte, Dessinateurs de Presse et Dessin Politique en France des années 1920 à la Libération, Thèse présentée

en vue du doctorat de l’IEP de Paris sous la direction de René Raymond, 1991 p. 3206 Ibidp. 224

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PORTRAITS A CHARGE : LEON BLUM ET LES LEADERS DU RASSEMBLEMENT POPULAIREDANS LE DESSIN POLITIQUE DE TROIS JOURNAUX DE DROITE : L’Echo de Paris, Gringoire, JeSuis Partout 1936-1937

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Les années 1930 constituent en effet une période de recomposition à droite, uneévolution qui se traduit manifestement dans la presse de l’époque qui voit de nombreuxnouveaux titres se créer. La nouvelle droite réclame de nouveaux lieux d’expression. Lacrise politique et la crise économique que traverse l’hexagone entraîne une partie de ladroite conservatrice et libérale vers une forme plus extrême ayant pour principal vecteurl’antiparlementarisme. Antiparlementarisme, anticommunisme et insécurité internationalesont les trois pôles de crispation de la classe politique à droite, qui finit par tendre vers unecertaine « fascisation » selon l’expression même de René Rémond, expression à utiliseravec toute la prudence que l’on lui connaît à ce sujet7.

A tire d’exemple, voici ce que dit Je Suis Partout, digne représentant de cette droiteextrême à propos de l’essence et du but du Front populaire :

« Le front commun est le parti des émigrés : juifs, allemands, sociaux-démocrates, défaitistes italiens, antifascistes de Milan ou de Naples. La politiquedu front commun est une politique d’émigrés : il s’agit de réinstaller de force àBerlin et à Rome les épaves du communisme et du socialisme. Le Front communveut la guerre contre l’Allemagne et contre l’Italie pour y ramener les débris del’Internationale dans les fourgons de l’armée française 8»

La trajectoire d’André Tardieu, parlementaire de droite, que nous serons amené à citersouvent en tant que rédacteur de Gringoire, est aussi exemplaire de cette radicalisation.L’ex-président du conseil appartenant à la droite libérale de tradition orléaniste glissevers les extrêmes via l’antiparlementarisme9. Mais nous reviendrons plus largement surle cas Tardieu lorsque nous aborderons Gringoire. Malgré les trajectoires idéologiquesdiverses, le message qui transparait parmi toutes les caricatures dans la presse de droite estrelativement homogène. En tout cas, il l’est beaucoup plus que dans la presse de gauche où,hormis pendant l’unité de façade dur Rassemblement Populaire, la scission communiste/socialiste empêche l’unité du discours10. Ces deux titres auquel nous ajoutons L’Echo deParis en tant que représentant d’une droite plus classique constituent le corps à la base denotre étude. Ces journaux, comme beaucoup d’autres, se situent dans la tendance de lapresse d’opinion qui jouit à plein d’un régime de liberté de la presse particulièrement flexible.

La IIIe République fut sans doute le régime le plus libéral en matière de libertéd’expression. Les lois sur la presse de 1881 ont l’ambition d’encadrer la libre parole avecl’avantage donné à l’expression l’emportant sur la censure. A gauche comme à droite, onsait faire (bon ?) usage de cette liberté, qui précède certes la période qui nous intéresse,mais qui dévoile toute son étendue dans la bataille violente des mots et des images quis’annonce à mesure que l’opposition se radicalise. « Fascistes » à gauche, « agents del’étranger » à droite, chaque camp situe la critique politique dans un registre de plus en plusoutrancier. Le pendant pictural de ces attaques se situe-t-il dans le même registre ? Si celafut avéré pour les mots, cela le fut aussi pour les images. Certes, es mots les plus virulentsne sont pas forcément transposables en un coup de crayon. Les dessins, plus subtils –parfois non- ont davantage recours au symbole, aux insinuations. Leur force réside ailleurs,

7 René Rémond, Le Droites en France, Paris, Aubier-Montaigne, 1982, p. 2248 Je Suis Partout, 11 avril 19359 René Rémond, Le Droites en France, p. 22510 Christian Delporte, Dessinateurs de Presse et Dessin Politique en France des années 1920 à la Libération, Thèse de doctorat enHistoire du XXe siècle en quatre volumes, dir. René Rémond, Paris, Institut d’Etudes Politiques de Paris, 1991, p. 320

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Introduction

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dans la formulation implacable d’une image et la simultanéité qu’elle crée entre le visuel etl’intellectuel : le lecteur voit, comprend en un instant le message du dessinateur.

Et dans quelle mesure cette force, dans un tel contexte, a pu contribuer à l’agitationpolitique menée par les droites ? L’étude qui nous occupe se situe également en plein cœurdu développement de la communication moderne et massive dont les techniques employéespar les régimes totalitaires ont su montrer le lourd potentiel. Avec le développement desmédias, avec notamment l’apparition de la radio vers la fin des années 1920, se développeconjointement la notion d’opinion publique qui ne tardera pas à devenir une questionimportante pour les hommes politiques. Reste à savoir si les dessins de presse, par leurimpertinence et leur humour, ont un quelconque impact sur l’opinion publique. La questionde l’impact du dessin humoristique reste entière, à une époque où la photographie n’estpas encore systématisée et par conséquent, le dessin se trouve par défaut être une desprincipales sources visuelles pour les lecteurs.

Dès lors, les éléments nous conduisent immanquablement à poser le problème suivant :le dessin politique dans la presse de droite se révélant une arme abritant tous les excès,dans quelle mesure la caricature politique, qui constitue un discours à la fois individuel etcollectif, peut-elle agir sur l’image des hommes politiques au point d’affaiblir son rôle decontre-pouvoir ?

La caricature et plus particulièrement le dessin de presse ont déjà fait l’objet detravaux qui font autorité. Jacques Lethève, dans son œuvre La caricature sous la TroisièmeRépublique revient sur les grandes tendances de l’époque, ne se limitant pas au dessinpolitique mais en intégrant également la caricature de mœurs, autre champ bien étudiélui aussi. Pour le pendant plus politique et de façon plus exhaustive sans doute, nousne pouvions faire l’économie de l’excellente thèse non publiée et en quatre volumes deChristian Delporte, Dessinateurs de presse et dessin politique en France des années1920 à la Libération. L’auteur, spécialiste des images en histoire et de l’histoire desjournalistes en France, revient sur plus de 20 ans de dessins de presse dans les principauxtitres de l’époque, droite et gauche confondues. Plus qu’une étude historique, Delportedresse également un portrait sociologique de cette classe qui n’en est pas une, celle desdessinateurs. Ce panorama de l’évolution de la place du dessin politique dans la presseet du statut des dessinateurs constitue une puissante entrée en matière pour l’étude plusprécise du dessin politique sous le Front populaire. A ce titre, nous ne manquerons pasde nous référer aux travaux de Delporte pour éclaircir le contexte. Christian Delporte anotamment fait état des incroyables tensions relayées par le dessin de presse au sortirdes années 1920 jusqu’à l’orée de la Première Guerre Mondiale, avec des paroxysmes deviolence atteint pendant la crise du 6 février 1934 et l’union des gauches.

Aussi, il semblait plus opportun pour notre étude de choisir un cycle se situant dansl’apaisement, dans une certaine mesure bien évidemment. Les gouvernements de droitepuis Herriot et Sarraut ont permis le reflux des pires commentaires à l’égard de la gauche.

L’année 1936, d’un point de vue purement iconographique commence dans un climat,à droite comme à gauche, de défiance générale vis-à-vis des politiques. Dans la presse dedroite, le ton monte en matière d’antiparlementarisme et toute la classe politique est viséepar ces attaques11. Après le déchaînement de 1934 et les appels aux complots consécutifsaux diverses étapes du rassemblement à gauche en 1935, les compteurs sont en quelquesorte remis à zéro au début de l’année 1936 : nous le verrons, les premiers dessins del’année ne visent pas forcément la gauche. Herriot et Sarraut par exemple sont largement

11 Gringoire, 1935, dessin de Roger Roy de Pierre-Etienne Flandin flanqué sur une colonne à l’abri des critiques.

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représentés. Le personnel politique peu renouvelé est régulièrement appelé à la barre desaccusés, ce qui fait que l’on retrouve souvent les mêmes têtes de turcs. Ceux qui cristallisentles critiques ne sont pas les mêmes d’un journal à l’autre, même si il est incontestable queLéon Blum est le plus mis en scène. Toutefois, ce dernier est relativement épargné au débutde l’année 1936.

La grande liberté des dessinateurs vis-à-vis de l’actualité fait que l’étude des dessinssur une période donnée fournit un discours propre à l’univers graphique, parfois distinctdes sujets traités dans la presse. On retrouve néanmoins d’un dessinateur à l’autre, despersonnages et des thèmes communs. Ce sont les leaders de la gauche, au sens large,qui sont particulièrement visés, beaucoup plus que les membres réels du Front Populaire.Herriot, Daladier, Cachin, Jouhaux sont surreprésentés par rapport à Jean Zay ou PierreCot.

Enfin, la chute du gouvernement Blum vient clôturer notre séquence. La forcesymbolique de l’abdication du Front populaire n’a sans doute pas échappé auxcaricaturistes, qui expriment dès l’année 1937 l’aspect inévitable de la chute. De plus,l’abondance de dessins nécessitait de fixer des limites claires pour garder une certaine unitédans nos conclusions.

Les principaux points évoqués nécessitent au préalable, dans un chapitre introductif,de revenir sur la définition et le rôle politique de la caricature/dessin de presse. Explicitéepar le contexte médiatique des années 1930, nous présenterons ensuite L’Echo de Paris,Gringoire et Je Suis Partout ainsi que leurs illustres illustrateurs. Les éléments de base ainsiposés nous permettrons de nous plonger dans l’étude des dessins satiriques en tant que tel,dans un deuxième chapitre. Il nous faudra distinguer dans un premier temps la mise en placedes principaux angles d’attaques : l’anticommunisme et l’antiparlementarisme s’alimentantmutuellement. L’anticommunisme s’affranchit par la suite, ayant pour inspiration principalela victoire des gauches et la montée en puissance du parti communiste. L’équilibre desforces internes au front mis à l’épreuve pendant la prise de pouvoir n’échappe pas non plusaux dessinateurs. La séquence finale du premier gouvernement Blum met en lumière lesproblèmes de nature économiques auxquels il est confronté ; l’incompétence des leadersde gauche en la matière rassemble également de nombreuses compositions. La démissionde Blum ne fait que mettre un point final aux dégâts que lui imputent la presse et lesdessinateurs de droite. Enfin, amplement représentatif de la nature des critiques formuléesdans le dessin de presse et des méthodes graphiques utilisées par les dessinateurs, lafigure du seul Léon Blum dans la caricature occupera notre troisième partie. La violenceparfois très drôle des critiques à son égard révèle toute l’ambigüité du dessin de presse,notamment quand il s’agit des compositions antisémites à son égard.

Notes sur le corpusLa sélection des caricatures s’est faite sur la base des personnages suivants : Léon

Blum, Edouard Herriot, Edouard Daladier, Marcel Cachin, Maurice Thorez, Léon Jouhauxet les membres du gouvernement de Front populaire associés à ses personnalités. Lesdessins évoquant de façon claire une politique spécifique menée par le gouvernement oumentionnant simplement le Front populaire ont aussi été retenus du moment qu’un desleaders susnommés était également présent ou cité. Les dessins évoquant l’affaire Salengroont volontairement été écartés pour deux raisons : la première étant qu’il n’est pas unepersonnalité politique majeure pouvant être considéré comme un leader de la gauche ; laseconde raison réside dans l’intuition que l’affaire Salengro mériterait une attention touteparticulière, dans une étude qui lui serait dédiée. La sélection s’étend donc de janvier 1936à l’été 1937.

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Introduction

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Quant aux journaux sélectionnés, il faut souligner que de l’été 1936 au début de l’année1937 L’Echo de Paris ne publie aucune illustration dans ses colonnes, le journal ne confiantla tâche illustrative qu’à la photographie de presse. Je Suis Partout commence par contre sacampagne graphique anti-gauche à partir de mai 1936 ; les dessins précédents les électionssont essentiellement orientés sur l’anticommunisme ou même évoquent curieusement lesinondations que connaît une grande partie du pays en 1935-1936.

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Chapitre Introductif

Le dessin de presse, à la frontière des disciplines, ne fut toujours pas un objet historique ensoi. Il nous faut revenir sur les qualités propres au dessin de politique afin d’en dégager lesprincipaux enjeux. Des enjeux qui prennent corps dans un contexte particulier : la pressedes années 1930, un secteur en pleine évolution économique et politique. L’Echo de Paris,Gringoire et Je Suis Partout sont trois titres qui représentent chacun à des degrés différentsles évolutions de la presse autant dans la forme que dans le discours véhiculé.

I. caricature et histoire: de la satire au discourspolitique

Ignoré des historiens de l'art, la caricature a longtemps souffert d'un déficit d'intérêt par denombreuses disciplines, notamment l'histoire. Image aux contours incertains, la caricaturese distingue par ses identités multiples. Les nombreuses dénominations existantes àson sujet illustrent la difficulté de saisir son essence: dessin satirique, charge – saracine étymologique, dessin humoristique, dessin critique, dessin d'actualité, de presse,politique...et bien sûr caricature. Le terme prend ses racines étymologiques dans Italie duXVIe siècle. Il vient du latin caricare qui signifie « charger ». Le mot porte ainsi en lui uneidée ancrée dans la caricature, celle d'appuyer, insister, d'exagérer. Sans faire une histoiredes emplois du mot, plusieurs tentatives de définition peuvent inspirer notre étude.

1. La charge caricaturaleQu’est-ce qu’une caricature ? Le mot renvoie effectivement à une série de notions quirévèlent ses subtilités. Pour commencer, la caricature peut simplement se définir commeune « exagération des défauts à des fins comiques et satiriques 12». La philosophie de lacaricature peut se résumer ainsi : déformer pour mieux représenter.

Bertrand Tillier nous livre une définition plus complète dans A la charge! La caricatureen France de 1789 à 2000 . Selon lui, la caricature est une « représentation révélant desaspects déplaisants ou risibles d'un sujet ou d'une situation, en en accentuant des traits, descaractères ou des détails choisis au préalable. Le plus souvent, la caricature est donc unecharge qui outre pour ridiculiser13 ». Les professionnels de l’image et de la communicationrejoignent une telle définition. Le Dictionnaire de l’Image parle d’une :

12 Laurent Baridon et Martial Guédron,L’Art et l’Histoire de la Caricature, Paris, Editions Citadelle et Mazenod, p.613 Bertrand Tillier, A la charge! la caricature en France de 1789 à 2000, Paris, Editions de l'Amateur , 2005

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Chapitre Introductif

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« représentation de quelque chose ou de quelqu’un, visant à en donnerune image déformée, outrée, en soulignant et en accentuant certainescaractéristiques de structure ou de détail, dans une intention satirique 14».

« L’intention » satirique ou humoristique est un élément fondamental de définition de lacaricature. L’intention de l’auteur de façon générale, bien qu’elle ne soit pas facilementidentifiable, nous permet de passer d’un simple dessin à un dessin humoristique.

C’est sa principale composante : la caricature représente des hommes de façon àprovoquer le rire. En ce qui concerne sa classification, la caricature semble échapperaux frontières de l'art, au point qu'elle en a longtemps été exclue. L'écrivain et critiquelittéraire Charles Baudelaire s'est penché sur ce problème de la classification de la caricatureainsi que sur sa dimension comique. Pour lui, elle revêt un intérêt tout particulier dans lamesure où elle permet d'introduire la laideur de l'homme, dans ses aspects physiques oumoraux, dans un domaine communément régi par le beau. La quête du beau que représentel’art traditionnellement se heurte à la simplicité du trait caricatural et aux distorsions qu’ilimplique. La déformation et l’enlaidissement sont un moyen de traduire l’immoralité despersonnages, aussi bien dans la caricature morale que dans la caricature politique. Cettedéformation provoque de surcroît le rire, quand elle ne choque pas.

Delporte dans Le Dictionnaire Mondial de l’Image complète: « la caricature est unecharge qui exploite les formes multiples de l’humour, visuelles ou écrites (comme l’indiquentles légendes ou les bulles), mais aussi qui, à la manière du pamphlet, dénonce, condamne,stigmatise ».

Delporte souligne la dimension politique et accusatrice de la caricature, qui possède unintérêt supérieur au-delà de l’humour. L’humour n’est pas une fin en soi, le dessin d’humoura un objectif critique et un caractère fondamentalement subversif. Au-delà du grotesque,il y a la dénonciation, la condamnation. Cet aspect du dessin d’humour lui donne toute salégitimité pour prétendre figurer parmi les plus grands travaux historiques.

2. Caricature, contestation et propagande : les dimensions politiquesde la caricature

Le développement de la discipline historique sur des bases scientifiques aux XIXe et XXesiècles s'est traduit par un élargissement des ses objets. Champfleury dans Histoire dela Caricature Moderne 15(1865) soutient que les historiens ne peuvent continuellementse limiter aux seuls documents officiels pour appréhender l'histoire mais se devaientde consacrer également leur recherche aux « monuments figurés » parmi lesquels, lacaricature.

Il ne faut pas voir dans la caricature seulement un indicateur historique qui relèveraitde l'anecdotique. Bien souvent, la caricature n’est utilisée que pour ses vertus illustratrices,dans les livres d’histoire. Son usage et son histoire renvoient pourtant à un caractèreéminemment politique. La caricature politique est à distinguer de la caricature de mœurs,une critique sociale que nous délaisserons ici. Les codes graphiques et symboliquesprésents dans une caricature reposent sur les représentations sociales à un moment donné.Ces deux formes constituent donc une mine d’information, sur les critères moraux d’uneépoque et sur l’actualité politique d’une autre. Les ignorer, c’est aussi disqualifier une forme

14 Françoise Juhel (dir.), entrée « caricature » du Dictionnaire de l’Image, Paris, Vuibert,200615 Champfleury, p.135

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d'art pour les historiens de l'art, et un discours politique pour l'historien politique. Avecle développement de l’histoire culturelle d’une part et de la reconnaissance de l’intérêtscientifique du document iconographique d’autre part, l’image fixe est devenue un objetd’histoire16.

Sans faire ici une histoire de la caricature qui est consubstantielle au développementde la presse et de la démocratie, nous pouvons néanmoins revenir sur une règle intangibleselon laquelle elle s’épanouit sous l’oppression mais est alors forcément vouée à la censureet la clandestinité. Avant et pendant l’Ancien régime, elle n’est tolérée par le pouvoir qu’àdes fins de propagande17. L’émergence des notions de liberté d’expression et d’opinionpublique au cours du XVIIIe siècle marque un tournant essentiel dans la place de lacaricature. Cependant, entre instrumentalisation officielle et contestation élitiste, elle n’a pasl’audience correspondant à ses ambitions critiques. Il faut attendre les lois sur laliberté de lapresse de 1881 et l’essor véritable de la presse à grand tirage pour que le dessin satiriqueprenne une dimension semblable à celle d’aujourd’hui. Elle devient ensuite un instrumentpolitique de premier plan après la Première Guerre Mondiale, période durant laquelle lacaricature bénéficie des développements de la presse à grand tirages18. L’entrée dans l’èredémocratique modifie le rôle contestataire de la caricature qui se place désormais dans lesrangs de l’opposition. Et si l’on considère comme le poète Léo Larguier, que « les grandsjournalistes sont toujours de l’opposition19 », on peut penser la même chose au sujet descaricaturistes. La caricature est ainsi considérée comme le bras armé de la démocratie,celle qui permet l’expression de la critique politique. Si bien qu’aujourd’hui, la caricature estdevenue l’indice de la bonne santé démocratique dans une société. Le degré de toléranceface au choc, à la provocation d’un dessin, d’une légende permet de considérer dans quellemesure la liberté de la presse est respectée.

Dessin de presse, dessin politique, dessin d’actualité : l’art du simultanéLa caricature, nous l’avons vu, existe au-delà même de son support, en tant que telle. Or

comme tout document iconographique, la caricature se définit également par le destinataireet la destination de l’œuvre. Est-elle réservée à l’usage seul du dessinateur ? De soncercle privé ? Ou au contraire est-elle destinée à être exposée, reproduite ou publiée ?Certainement, une caricature destinée à ne faire rire que son propre créateur n’a pasd’intérêt. Mais par exemple, exposé, le dessin est certes mis à la disposition du public maisdans un contexte différent : l’exposition appelle à une réflexion sans doute plus esthétique etl’attention se porte sur les qualités intrinsèques de l’œuvre. Une œuvre destinée à la presseprend à l’inverse une toute autre dimension puisqu’elle intègre les éléments autres, aveclesquels elle interagit – ou pas. Publiée dans la presse, la caricature devient un moyen decommunication de masse. Sa portée se voit décuplée et multipliée.

Il faut s’attacher ensuite à la nature de titre. Est-ce une revue satirique ? Un quotidienpolitique ? Ou alors un hebdomadaire littéraire ? Dès lors, la caricature devient dessinde presse et le dessin de presse, dessin d’actualité. L’objet du dessin a une certainerésonnance avec l’actualité, mais si elle n’est presque jamais immédiate.

16 Christian Delporte, Les Crayons de la Propagande : Dessinateurs et dessin politique sous l’Occupation, Paris, CNRS Editions,p.8

17 Christan Delporte, Dictionnaire mondial de l’image, p. 16618 ibid19 Léo Larguier in Préface de Sennep, Collection Art et technique, Editions du livre, Monte-Carlo, 1943, p. 2

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Quand le dessin a pour objet des personnages ou des évènements politiques répondantà une actualité plus ou moins récente, on peut alors le qualifier dessin politique. Et c’estjustement ce qui nous intéresse ici.

3. Images du politique : la question de l’impactDans toute étude qui porte sur la presse et ses émanations se pose la question durapport à l’opinion publique et par extension de l’impact d’un journal, d’un article, d’undessin sur celle-ci. Cependant, analyser l’impact des caricatures sur le public n’est passcientifiquement possible. Dans l’époque qui nous intéresse, l’usage des sondages n’estpas encore systématisé20 et même si il avait été possible de mener une enquête d’opinion àce sujet, quels critères choisir ? Car il est toujours difficile d’apprécier l’influence ou l’impactd’un élément – d’un dessin qui plus est- sur la population. Nous aurions pu comparer lesdates de certaines caricatures avec les résultats d’élections suivant sa publication, maisseulement si l’on est prêt à conférer à un dessin de presse un tel pouvoir.

Il nous faut par conséquent dépasser la question de l’impact en termes quantitatifs pourobserver l’influence de la caricature sous un autre angle : quelle est la nature de son apportau débat politique ? La caricature est d’abord une « source d’information visuelle 21». Parceque la photographie n’est pas encore systématisée dans tous les quotidiens, le dessin estparfois la seule façon pour les gens de connaître le visage des hommes qui composent lavie politique. Le dessin de presse a donc également un aspect purement pratique pour lapresse. Mais au-delà de ça, le récepteur-lecteur qui regarde une caricature publiée dansson journal est souvent décrit comme le « complice de quelques instants 22». Le temps d’unregard, d’un sourire, dessinateur et lecteur sont reliés par une invisible « connivence 23».A partir de là, cette connivence peut exprimer une forme d’impact sur le lectorat. Le rire,le recours aux symboles présents dans l’imagerie politique de l’époque, tous ces élémentsvont d’une certaine manière forcément influencer le lecteur, prisonnier de cette complicité.Baridon et Guédron, les auteurs de L’Art et l’Histoire de la Caricature,vont en ce sens :

« La caricature politique, quand elle s’en prend à l’effigie de l’homme public,rejoint celle des types sociaux ou les charges de célébrités. Son impact estconsidérable car, dans les sociétés démocratiques surtout, le résultat d’uneélection tient souvent à l’image du candidat24 ».

Cependant, le lectorat, déjà acquis à la cause de sa feuille, d’autant plus si elle se situe dansles extrêmes, ne peut qu’adhérer aux diverses déformations dont font l’objet ses ennemispolitiques. La conquête du lecteur peut-elle se faire dans un titre comme Je Suis Partout ?

C’est là que réside toute l’ambigüité de la caricature politique. Au service de ladémocratie ou véhicule de propagande, le rôle contestataire qu’elle endosse semblepourtant plus légitime quand il s’agit de lutter contre l’absolutisme que lorsqu’elle se sertdes handicaps physiques ou des origines raciales pour dénoncer une politique. Ainsi,même lorsqu’elle n’est pas instrument du pouvoir, la violence qu’elle dégage au titre de la

20 L’IFOP (Institut Français d’Opinion Publique) n’est créé qu’en 1938 par le sociologue Jean Stoetzel21 Ibid p.922 Hifzi Topuz, Caricature et Société, Maison Mama, 197423 Christian Delporte, Images et politique en France au XXè siècle , Paris, Nouveau-Monde Editions, 2006 p.12

24 Laurent Baridon et Martial Guédron,L’Art et l’Histoire de la Caricature, Paris, Editions Citadelle et Mazenod, p.291

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liberté d’expression peut se retourner contre la démocratie elle-même. Ce qui soulève desinterrogations en temps de crise politique comme ce fut le cas sous le Front Populaire ; lerôle des journaux d’extrême droite tels que l’Action Français dans l’agitation ligueuse desannées 1930 laisse supposer que l’efficacité du dessin satirique n’y est pas étranger nonplus. Le dessin de presse se révèle alors une arme redoutable par ses procédés suscitantl’émotion et provocant une forme de persistance rétinienne dans l’imaginaire politique deslecteurs.

II. La presse du Front populaire : des dessinateurs etdes journaux politisés

1. La presse dans les années 1930Les années 1930 constituent bien le « temps des masses » selon l’expression de Jean-François Sirinelli25. La culture de l’imprimé bat son plein avec pour socle la pressequotidienne. Les années 1930 voient l’essor des journaux d’opinion dans un climatd’ébullition politique. Déjà en difficulté au sortir de la Première Guerre Mondiale, le secteurdoit ensuite faire face à la contraction de l’activité économique suite à la crise de 1929; lesquotidiens surtout pâtissent de la morosité des conditions économiques étant donné leurcoût.

Malgré un contexte économique difficile, et sans doute justement pour sortir dulot, la tendance est à l’illustration : photographies, portraits, bandes dessinées et doncdessins politiques. Les années 1930 correspondent en effet au début de la systématisationdu recours à l’image dans la presse26. De nombreux journaux et revues satiriques sedéveloppent et donnent à la caricature une place de premier choix.

Depuis le lendemain de la guerre déjà, les différents gouvernements ont tentéd’apporter de nouveaux éléments à la loi de 1881. Si la liberté de la presse était garantie vis-à-vis du pouvoir politique, il fallait également protéger la presse de l’ascendance de la sphèreéconomique et des concentrations. Le problème de la liberté de la presse dans les années1930 est réactualisé après la crise économique qui frappe le pays au début de la décennie. Ilne s’agit plus seulement de garantir son indépendance vis-à-vis du politique mais aussi parrapport aux « puissances de l’argent ». L’arrivée au pouvoir du Front Populaire coïncide avecle sentiment pressant d’une réforme du régime de presse27. L’assouplissement des régimesde presse et le soutien actif du gouvernement Blum envers les entreprises de presse ontpour ainsi dire encadré, voire favorisé la critique à son égard.

Seulement le déchaînement de la presse de droite à l’égard du Front Populaire, l’affaireSalengro et les multiples altercations judiciaires avec l’Action Française inspirent à la gaucheune volonté de « moraliser » l’environnement médiatique. Gringoire est tout particulièrementvisé suite à la campagne diffamante lancée à l’égard de Roger Salengro durant l’été 1936.

25 Histoire culturelle de la France, p. 18826 Le Siècle de la presse, Seuil, 2004, p.1127 Bellanger, p. 36 et 490

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Nous reviendrons plus particulièrement sur cette affaire lorsque nous aborderons l’histoiredu journal. Aussi l’annonce du suicide du ministre de l’Intérieur n’a fait que renforcer ladétermination de ceux qui souhaitaient à gauche la production d’un nouvel arsenal juridiqueafin de lutter contre les dangers de la calomnie. Cette radicalisation du front a accouchéd’un projet de loi modifiant la loi de 1881 ; les contours des délits de presse en matière dediffamation et de « fausses nouvelles » sont redéfinis de façon plus répressive28. Présentépuis approuvé par la chambre le 8 décembre 1936, le texte est finalement rejeté par leSénat en juin 1937 – peu avant la chute du front-, qui ne pouvait approuver ces mesuresrestreignant la liberté de la presse et qui finalement ne relevait pas de la tradition politiquede la gauche alors29.

28 Pascal Ory, La Belle Illusion. Culture et Politique Sous le Signe du Front Populaire 1935-1938, Plon, Paris, 1994, p. 535.Les peines de prison pour le délit de diffamation sont alourdies et la loi instaure le délit de « fausses nouvelles », une notion largepuisque la fausse nouvelle est celle qui nuit à l’ordre public et international.

29 Ibid, p. 536 le projet de loi prévoyait également l’application du droit de rectification gouvernemental

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La réaction des revues et journaux de l’opposition ne se fait pas attendre. S’en est tropde la frénésie antifasciste et liberticide du gouvernement. Les dessinateurs d’emparent del’affaire également et ne manquent pas de dénoncer le projet de loi. Roger Roy publie undessin sur ce thème peu de temps après les annonces concernant le projet de loi (illustre n°1). On peut lire ci-dessus la légende accompagnant le dessin : « c’est un journaliste qu’onarrête pour fausses nouvelles ! ». Ce journaliste c’est Blum bien évidemment, lui-mêmeporteur de fausses nouvelles, résumées en haut à gauche30. Tardieu, révolté, consacre surla même page tout un article dénonçant « la presse muselée » et menaçant « on a, en 1830et 1848, renvoyé pour beaucoup moins Charles X et Louis-Philippe ».

Hermann-Paul souligne également ce que la droite relève comme une véritablehypocrisie de la part du gouvernement. Il va même plus loin en insinuant que les secrétairesde rédaction sont directement « envoyé[s] par le ministère », comme indiqué en légende(illustration n°36). Daté du 5 décembre 1936, le dessin précède de peu le vote parl’Assemblée du projet de loi et opère comme une mise en garde, forcément abusive, contreles éventuels excès du gouvernement.

2. Trois journaux, trois dessinateursLes trois titres qui retiennent notre attention sont particulièrement représentatifs de larecomposition des transformations à l’œuvre dans le milieu de la presse et de l’évolution destendances politiques à droite. Si L’Echo de Paris représente la droite nationale républicaine,les deux autres titres, en témoigne leur jeunesse, sont l’émanation d’une certaineradicalisation de la droite avec l’antiparlementarisme comme vecteur « d’extrémisation ».Nos trois journaux reflètent également les évolutions en cours dans la presse d’information.Une tendance à la diversification des contenus pousse de nombreux titres à davantagetraiter les questions de politique étrangère en développant l’activité de grand reporter.L‘Echo de Paris, Gringoire et Je suis Partout- qui affiche l’international comme sa vocation

30 On peut lire : « Hitler est exclus de l’espérance du pouvoir…je dis que Locarno existe…Relativement à l’Allemagne, nouspourrons dès maintenant, entamer le désarmement…Grâce aux chefs socialistes, et communistes, la Sarre ne sera pas allemande…La grande offensive triomphale dont était chargé Badoglio n’inspire pas beaucoup d’espoir…Il n’y a pas a redouter que je fasse ladévaluation…Si les communistes me retiraient leur confiance, ce serait la fin de mon gouvernement et la dissolution…J’espère quele parti socialiste restera fidèle à la compétence du jury, principe essentiel de la liberté de la presse »

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première- accordent tous trois une large place aux affaires extérieures. Ces journaux ontprincipalement pour modèle Candide aussi bien au niveau du format que par rapport à laplace donnée au dessin de presse-en bas à droite31.

De même, sans renier le talent des autres contributeurs graphiques des journauxretenus dans notre étude, il nous faut ici nous arrêter sur trois d’entre eux. Non seulementparce qu’ils sont, numériquement parlant, les principaux dessinateurs de leurs titresrespectifs mais aussi les plus présents sur la période du Front Populaire. Ils sont également,de par leur popularité, représentatifs des tendances du dessin de presse à l’époque etsavent inspirer des réflexions générales à ce sujet.

L’Echo de Paris (1884-1938) et Sennep : plume pondérée contre crayon acéréQuotidien fondé par Valentin Simond en 1884, L’Echo de Paris est le succès le plus viablede cet entrepreneur jusque là malheureux. Se positionnant en concurrent direct de Gil Blas,le nouveau titre parvient difficilement à s’installer durablement dans le paysage médiatiquemais creuse définitivement son sillon au cours de l’Affaire Dreyfus, le journal adoptant uneposition résolument antidreyfusarde ; une ligne éditoriale qui attira les lecteurs déçus par lafrilosité de leur quotidien habituel- comme par exemple Le Figaro 32.A l’époque, le journalpeut se targuer d’avoir pour collaborateurs Maurice Barrès, Albert de Mun ou encore JulesLemaître. D’un style léger et peu subtil dans la veine de Gil Blas, le journal acquiert peu à peuun statut plus respectable grâce à ces illustres noms, devenant une référence pour la droitenationaliste et catholique – mais pas monarchique33. Son succès se mesure à l’évolution deson tirage : en 1897, le titre était disponible en 53 000 exemplaires puis passa à 105 000en 1906. De sorte que le tirage moyen de l’Echo de Paris dans les années 1930 se chiffraità 150 000 par jour, après une période d’état de grâce au lendemain de la guerre (autourde 300 000 exemplaires)34.

Depuis le début du siècle et toujours en 1936, le propre fils de Valentin Simond,Henry Simond occupe le poste de directeur du journal et sait cultiver un puissant réseaud’influence localisable autour du siège du journal, à Opéra. Le journal est par ailleurs unsoutient inconditionnel du Centre de Propagande des Républicains nationaux, affichant plusfranchement son orientation politique35. Henri de Kérillis, un des rédacteurs politiques lesplus influents du journal et député de Neuilly en 1936, est justement un des principauxanimateurs du Centre.

Représentant d’une droite classique, l’Echo n’est pas un journal polémique, mais seveut davantage orienté sur les faits divers et les faits de politique intérieure. La rédactionconsacre aussi une bonne partie de ses articles, en ces années sombres, à la politiqueétrangère, avec pour principal rédacteur André Géraud, alias Pertinax dans les colonnes dujournal. On suit d’ailleurs la montée en puissance d’Hitler avec une légère inquiétude dans

31 Le commentaire de document iconographique en histoire, p. 10932 Bellanger, p. 34733 Ibid34 Ibid, p. 532

35 René Rémond, Les Droites en France, p. 188. Le Centre de Propagande des Républicains Nationaux est un organisme crééen 1927 animant des réunions d’orateurs de droite et qui publie des affiches de propagande, comme son nom l’indique. Il peut êtreconsidéré comme la première tentative d’union à droite après la Première Guerre Mondiale. Il est aussi plus officieusement chargéde l’investiture des candidats de la droite nationale. L’Echo soutient l’organe via des campagnes de souscription annuelle publiéesrégulièrement dans ses colonnes.

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les bureaux de la rédaction – loin de la fascination exercée sur celle de Je Suis Partout 36.Au cours des années de Front Populaire, l’Echo de Paris connaît pourtant des difficultés,d’abord inhérentes à la situation économique de la presse, mais également du fait desdissensions internes à la rédaction. Il pêche notamment par son orientation sur la politiqueétrangère, de plus en plus clémente vis-à-vis de l’Italie ou de l’Allemagne, provocant ladissidence de Kérillis et Pertinax qui quittent le journal. Les lecteurs se détachent eux ausside l’enseigne et le tirage tombe à près de 100 000 exemplaires par jour en 193737. La chutedes ventes ne cessera de s’amplifier, si bien que le journal fusionne avec un autre titre dumême groupe, Le Jour, en 1938.

Cette orientation plus pondérée laisse donc toute sa place au dessin de presse, quipeut dès lors occuper le créneau satirique délaissé par le journal.

La tâche est essentiellement confiée à Sennep, même si d’autres noms apportent leurcontribution au journal (Del, Vois, Bol et on retrouve même Chancel).

L’actualité à la rentrée de 1936 est dominée par la situation en Espagne. L’Echo préfèrefaire de la place à son autre support graphique, la photographie, peut être jugée mieux àmême de rendre compte de la gravité des évènements. La photographie n’est pourtant pasune garantie d’objectivité, pas plus que le dessin38. Cela pose la question du sérieux dansle dessin de presse. Sa vocation humoristique le disqualifie pour le moins de la catégorieinformation, donc journalistique à laquelle les dessinateurs peuvent prétendre.

Sennep (1894-1982)Jean Sennep est le plus célèbre des caricaturistes de droite, y compris durant les

années de Front Populaire. De son vrai nom Jean Pennès, il est le fils d’un pharmacienparisien qui fut également maire adjoint du Ve arrondissement de Paris, ceci expliquantsans doute le goût de l’homme pour les affaires politiques39. Même s’il commence à publierses premiers dessins avant la Première Guerre Mondiale, c’est lors de sa collaborationà l’Action française sous le chapeautage de Léon Daudet que débute véritablement lacarrière du dessinateur. Après un passage à Candide où il a fortement contribué à larenommée du journal, quand il arrive à L’Echo de Paris, Sennep est déjà connu et son traitreconnu. Indépendant, Sennep refusait tout contrat d’exclusivité et s’épanouissait dans sescollaborations multiples40 : Candide, Le Rire, L’Assiette au Beurre, Je Suis Partout et biensûr L’Echo de Paris figurent parmi les titres où Jean Pennès a officié.

Sennep incarne la seconde génération des illustrateurs du XXe siècle, celle qui acompris l’intérêt de la presse d’opinion et les changements qu’elle induit dans la façon depenser la caricature. C’est en intégrant la dimension grand public que le dessinateur se doitd’aller à l’essentiel, en cherchant à créer des images symboliques à la fois simples et trèsfortes. Un trait franc et simple, des formules chocs, le dessin de Sennep exprime l’efficacité

36 Dans le numéro du 8 février 1936 de Je Suis Partout, Louis Bertrand revient sur un congrès nazi à Nuremberg : « nousétions là quelques Français qui regardions, le cœur serré et pourtant bouleversés par la beauté d’un tel spectacle ‘Pourquoi ne voit-on rien de pareil chez nous ?...Ces multitude, cette discipline, cette unanimité surtout qui donne l’idée d’une force invincible ‘» ²

37 Bellanger, p. 53238 L’Echo publie en sa une du 8 septembre 1936 la photo d’une petite fille des Asturies « sur laquelle un marxiste tira deux

fois », encore « un exemple des atrocités commises par les ‘’Rouges’’ »39 Commentaire de document iconographique en histoire p. 11040 Marcus Osterwalder, Dictionnaire des Illustrateurs 1905-1965. Illustrateurs, Caricaturistes et Affichistes du Monde Entier.

XXe Siècle. Deuxième Génération, Ides et Calendes, Neuchâtel (Suisse), 2005, p. 1476

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tranchante du dessin de presse de l’époque. Un esprit qui demeure aujourd’hui et que l’onretrouve dans les caricatures de Plantu par exemple.

Gringoire (1928-1944) et Roger Roy : l’esquisse de l’extremismeGringoire est un hebdomadaire politique et littéraire français fondé en 1928 parHorace de Carbuccia , riche député de Corse à la tête des Editions de France et beau-frèrede Chiappe, assisté de Georges Suarez et Joseph Kessel 41 .

Clairement antiparlementariste, Gringoire peut être qualifié de journal d’extrême droite.Les années 1930 voient l’émergence de l’hebdomadaire comme le nouveau refuge dela presse idéologique, les quotidiens allant vers une certaine dépolitisation compte tenudu contexte économique difficile42. Gringoire appartient clairement à cette vogue, qui enchoisissant la forme hebdomadaire se garantit une audience fidèle.

Gringoire est surtout connu pour ses campagnes de diffamation ayant parfois desconséquences dramatiques. L’exemple emblématique étant la campagne lancée contreRobert Salengro, alors ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Front Populaire.Accusé d’avoir déserté durant la guerre de 1914, il est l’objet d’une campagne diffamante àson égard, témoignant de l’extrême violence de la presse de l’époque. Roger Roy soutenaitla campagne de dessins ridiculisant Salengro. Coursier à vélo pendant la guerre, il futmaintes fois caricaturé dans Gringoire en cycliste au long nez. Le « rétro-pédaleur » estimplicitement « soupçonné » d’homosexualité, allégation sans fondement également. Leministre se suicide le 18 novembre 1936.

Avant même la campagne anti-Salengro, le journal jouissait déjà d’un certain succès :de moins de 200 000 tirages à sa création, le titre est disponible en plus de 500 000exemplaires en 1936 avec des pics à 700 00043. Et à la veille de la Deuxième GuerreMondiale, Gringoire est lu par un Français sur dix, ce qui fait du titre le journal le plus lude notre série. Les raisons d’un tel succès viennent en partie de la qualité de ses plumes.Parmi elles, le personnage emblématique du journal, bien évidemment Henri Béraud. Avecson arrivée mais surtout après l’affaire Stavisky et le 6 février 1934, Gringoire prend unvirage plus à droite et un tournant plus polémique qui permet à Béraud de s’exprimerlibrement à la hauteur de son talent provocateur44. Béraud rejoint donc le journal en 1934 etpeu après publie un célèbre pamphlet au titre provocateur « Faut-il réduire l’Angleterre enesclavage ? » lui vaut une certaine renommée45. Béraud est un digne représentant de cettedroite extrême qui hait l’anti-France (juifs, franc-maçons, communistes) et ne se prive pas dele faire savoir dans les colonnes de Gringoire 46. André Tardieu, l’autre grand collaborateurdu journal, est aussi à l’image de cette droite libérale qui se radicalise dans l’entre-deux-guerres. L’ancien président du conseil, représentant de la droite qui a failli face à la criseéconomique, avait une conception des institutions, et du pouvoir exécutif notamment, qui

41 Bellanger, p. 59042 Claude Bellanger (dir)…, Histoire Générale de la Presse Française, Tome 3: de 1871 à 1940, Paris, PUF, 1972 p. 48243 Bellanger, p. 591. Gringoire ne manque pas de publier chaque jour le nombre d’exemplaires vendus ; on peut ainsi aisément

suivre l’évolution spectaculaire du journal.44 Auquel il faut ajouter le départ de Kessel et de Suarez, plus modérés.45 Ecrit en réaction à la politique belliciste, selon Béraud, de l’Angleterre, le pays exigeant des sanctions contre Rome pour

l’affaire d’Ethiopie.46 Pauline Froissard, Henri Béraud du flâneur salarié au polémiste déclaré

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l’a conduit à se détacher peu à peu de la droite parlementaire traditionnelle. Son échec auxélections de 1932 conjuguée aux scandales politiques, dont l’affaire Stavisky, vont propulserl’homme hors de la sphère politique traditionnelle puisqu’il renonce au parlementarisme, qu’ils’engage désormais à dénoncer, notamment dans Gringoire donc. Avec Béraud, Tardieuécrit des articles toujours plus assassins, criant à la perte imminente de la France. Béraudà ce sujet, pour montrer son sérieux, écrit : « vous riez ? Je n’écris pas pour faire rire. Lestemps s’y prêtent mal47 ». La division des tâches est assumée ; l’humour est délégué audessin satirique qui prend toute sa place dans le journal à partir de 1933-1934.

Roger RoyLe principal artisan des caricatures publiées dans Gringoire fut Roger Roy, même si

l’on compte quelques compositions de Bib, Chancel ou Ferjac.Il débute sa carrière en tant que dessinateur pour les chroniques judicaires et

sportives dans des revues de gauche, alors que l’homme est déjà bien ancré à droite48 :anticommuniste, xénophobe et parfois antisémite, Roy est sans doute un des dessinateursle plus virulent de son époque. Ce passage à gauche, Roy l’explique avec le même cynismeque celui qu’il dénonce chez le Front Populaire : « en collaborant à gauche on vit ; encollaborant à droite on gagne de l’argent ».

D’un trait efficace et clair, Roger Roy compose des dessins d’un comique implacable.A l’instar de Sennep, il n’hésite pas à piétiner l’imaginaire symbolique français en lesutilisant pour mettre en scène ses personnages. Malgré l’humour qui ressort de toutes sescompositions, les thèmes qu’il aborde de façon parfois très excessive dans ses charges enfont un dessinateur à double tranchant, qui incarne justement le piège du dessin d’humour.Dans son article, Henri Béraud poursuit : « vous riez ? [ …] ce qui semble une chargeaujourd’hui pourrait bien être la réalité de demain49 ». C’est bien cette idée qu’essaie devéhiculer Roy à travers ces dessins qui, comme ceux de Hermann-Paul mais un peu pluslégers, sont souvent catastrophistes. Roger Roy tire une certaine popularité de ces dessinsqui contribuent à partir de 1934 à la renommée de Gringoire. Cepednant, exclu de la sociétédes journalistes, les positions parfois extrêmes de Roger Roy ne jouent pas toujours en safaveur.

Je Suis Partout (1930-1944) et Hermann-Paul : la ligne dureLe journal d’inspiration maurassienne est créé le 20 novembre 1930 sous l’impulsion dumagnat de la presse Fayard. Au départ, l’idée est de faire de ce nouveau titre une référenceen matière d’international en complément de Candide 50. Le sous titre de la revue présenteJe Suis Partout comme « le grand hebdomadaire de la vie mondiale ». Dans la tendancedu grand reportage durant l’entre-deux-guerres, de nombreux envoyés spéciaux écriventdans le journal qui a instauré une collaboration avec des titres étrangers. Les articles enune et dans les premières pages sont consacrées à la vie politique française. Le reste dujournal est consacré à l’actualité dans des pays occidentaux, avec la part belle faite à l’Italieet l’Allemagne, et aux critiques littéraires qui accueillent les plus belles plumes de l’extrêmedroite française. Sensible dès ces débuts au dessin de presse, une page d’illustration

47 Henri Béraud, Gringoire, 5 juin 193648 Catherine Saint-Martin (dir.), 5 000 dessinateurs de presse et quelques supports en France de Daumier à nos jours, Limoges,

Té Arte, 199649 Henri Béraud, Gringoire, 5 juin 1936

50 Christophe Charle, Le siècle de la presse, Seuil, p. 262

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est consacrée au dessin humoristique dans les autres pays ; « L’Humour Anglais » ou« L’Humour Italien » laisse place au dessin de presse étranger. Les pages consacrées àl’actualité outre-manche ou outre-rhin sont souvent illustrées par des dessins de presseproduits par les autochtones. Bien entendu, on retrouve également en première page lesdessins d’un Ralph Soupault puis surtout d’Hermann-Paul, sur qui nous reviendrons.

A sa création, le titre n’a pas réellement d’orientation politique définie. Son axeinternational permet même la collaboration d’écrivains de gauche, le journal se réclamantà la fois de la politique et de la littérature. C’est à partir de 1934 que l’on peut observerla radicalisation de la feuille, à travers l’antiparlementarisme et l’antisémitisme déclarésans ambigüité51. Sous l’influence notamment de Pierre Gaxotte, l’hebdomadaire épouseune ligne éditoriale de plus en plus nationaliste et réactionnaire en adoptant un ton pluspolémique par ailleurs. Il faut bien entendu attendre les années de guerre et d’Occupationpour le caractériser de « fasciste » au plus, ou de collaborationniste au moins. En 1936,Je suis Partout présente déjà une position radicale qui fera de lui l’une des revues les plusextrêmes à droite. Ce qui lui vaut la même année de perdre le soutien de Fayard52. Le journala pour rédacteurs et collaborateurs les principales figures de l’extrême droite intellectuelleen France : Pierre Gaxotte, Robert Brasillach, Maurice Bardèche, P-A Cousteau, LucienRebatet. La « petite équipe de fascistes53 » se compose de beaucoup de transfuges del’Action Française, venus trouver asile auprès de la nouvelle enseigne, à la recherche deplus de radicalité. Le journal se définit lui même ainsi :

« Rédigé en collaboration amicale, en véritable coopérative par un équiped’écrivains et des journalistes parfaitement unis dans la défense des mêmesidées, Je Suis Partout est un journal LIBRE. […]Mais, bien qu’il ne soit jamaissatisfait de lui-même, JE SUIS PARTOUT a vraiment un mérite : il est partout.54 »

Dans cette distribution des rôles, la plume et le crayon se rejoignent. Pour illustrer le journal,Ralph Soupault et le célèbre Hermann-Paul sont aux commandes. Sennep participe aussià l’illustration du journal mais sa contribution se limite à de petits portraits qui illustrentla chronique parlementaire de Dorsay – alias Pierre Vilette. Soupault est passé à lapostérité comme le dessinateur emblématique du journal. Seulement il rejoint tardivementla rédaction ; ce n’est qu’à partir de 1938 qu’il vient en soutien du vieillissant Hermann-Paul,qui fut le dessinateur principal –aux côtés de Phil- du titre entre 1936 et 193755.

Hermann-Paul (1864-1940)Hermann-Paul, pseudonyme de Paul Hermann, présente un profil différent de celui

de ses collègues dessinateurs. Né en 1864, il est un homme du XIXe siècle issu de lahaute bourgeoisie et représente la vieille garde de l’illustration, celle issue de la BelleEpoque56. D’abord peintre puis graveur après une formation aux Arts Décoratifs, le crayonde Je Suis Partout est attaché aux techniques traditionnelles du dessin. Hermann-Paul

51 Pierre-Marie Dioudonnat, Les 700 Rédacteurs de ‘Je Suis Partout’ 1930-1944, Sedopols, Paris, 199352 Ibib, p. 25-2653 René Rémond, Les droites en France, p. 402

54 Je Suis Partout, 2 janvier 193755 Pierre-Marie Dioudonnat, Je Suis Partout 1930-1944, La Table Ronde, Paris, 1973, p. 120

56 Christian Delporte, « Le dessinateur de presse, de l’artiste au journaliste », Vingtième Siècle. Revue d'histoire , n°35, 1992, p. 33

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consacre une partie de son œuvre à la caricature de mœurs57, une autre marque del’illustration traditionnelle qui transparaît dans ses dessins futurs. Plus artiste que journaliste,Hermann-Paul n’en reste pas moins un homme engagé à droite même si comme beaucoupd’autres, il a commencé sa carrière de dessinateur de presse dans les journaux de gauche,plus demandeurs. Sa trajectoire professionnelle est à l’image de ses opinions politiques :dreyfusard au moment de l’affaire, il devient un fervent antisémite et nationaliste après laPremière Guerre Mondiale58. Puis il travaille pour l’Assiette au Beurre, Candide, le Rire…dans lesquels il met en place les différents éléments de son iconographie. Il collabore à JeSuis Partout dès la création de l’hebdomadaire, où il travaille en toute liberté et ce jusqu’àsa mort en 1940.

Hermann-Paul a conservé un style plus chargé, au trait fort et leste. Ainsi la plumede Hermann-Paul (ou HP comme il aimait signer parfois) ne débouche pas sur les mêmesressorts comiques que ses comparses dessinateurs. La profusion de détail et dans le mêmetemps la dilution des traits de ses personnages jouent plus sur le registre du ridicule etde l’ironie en adoptant un ton calomniateur. Il n’appartient pas à l’école de la déformationvisuelle et de la mise en scène comique. Aussi, HP ne choisit pas souvent de dépeindrel’ennemi politique en le représentant directement, mais se plaît à dessiner une idée, unprogramme. Son dessin plus abstrait rend donc plus ardue la classification et l’identificationdu sujet. Il nous a fallu écarter de nombreux dessins, surtout de la période 1936, car s’ilssont ouvertement anticommunistes ils ne relèvent pas de la critique du Front ou de Blum,ni par la légende, ni par les personnages présents.

Les dessinateurs de presse dans les années 1930Hermann-Paul et Sennep présentent un parcours assez représentatif des tendances et

bouleversements dans le milieu du dessin de presse à cette époque. L’un, issu de la vieillegarde, et l’autre, relevant d’une ligne plus moderne. La nouvelle génération d’illustrateursest à l’œuvre. On reconnaît toujours l’influence des Daumier, Gassier, les grands maîtresdu dessin satirique. Depuis 1935, les dessinateurs de presse obtiennent les mêmes droitsque les journalistes : le passage de l’artiste au journaliste est désormais officiel.

La réputation de Roy, Hermann-Paul et Sennep n’est pas non plus à faire. Lestémoignages d’époque confirment la popularité de ces dessinateurs, que l’on attend avecune certaine régularité. Les auteurs de droites sont évidemment bien appréciés à droite.Dans l’Etudiant Français on profite d’une exposition réunissant des dessinateurs au seindu collectif « Satire 3659 » pour revenir sur les gloires du dessin de droite mais aussi surla place de la « satire dessinée »:

« Celui-ci [le dessin politique] est de beaucoup le plus important car il est undes éléments de polémique les plus efficaces, surtout lorsqu’il atteint la forcecomique de Sennep ou la virulence amère et passionnée de Hermann-Paul[…]Avec Sennep, Effel, Chancel, Roger Roy, la satire dessinée est devenue une sorted’écriture peu soucieuse du noir et du blanc et préoccupée surtout de ridiculiseren déformant 60»

57 Hermann-Paul, Les maîtres humoristes, les meilleurs dessins, les meilleurs légendes : Hermann-Paul, Paris, Société d’éditionet de publications, 1905

58 Pierre Dioudonnat, Je Suis Partout, p. 48159 Salon des dessinateurs de journaux

60 Pierre Monier dans L’Etudiant Français, 10-25 février 1936

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Chapitre Introductif

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S’en suit dans le même article, une partiale comparaison entre Cabrol le communiste etSennep décrit comme « le maître incontesté du genre ».

Les dessinateurs humoristiques sont organisés au sein de diverses associations etorganisations, entre sociétés d’artistes et castes de journalistes. Ils exposent leurs œuvresrégulièrement au même titre que les artistes plus classiques.

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Premiere partie : le rassemblement traitpour trait ?

Deux années de front populaire, deux années riches en dessins politiques. L’évolution dudessin de presse entre 1936 et 1937 témoigne à elle seule des différents faisceaux depolémiques qui ont agité la sphère politico-médiatique – à droite. Période de déchaînementverbal et graphique, les années de gouvernement Blum furent propices à l’expressiondes sentiments les plus violents au gré des controverses. Marqués par un fort sentimentantiparlementaire, les dessins d’actualité consacrent cependant la plupart de leurs dessinsaux mêmes personnages de la vie politique française. Malgré les crises qui secouentla République, le personnel politique évolue peu et on retrouve souvent les mêmesparlementaires d’un gouvernement à un autre. Herriot, Chautemps, Daladier, Cachin, lesgrandes figures politiques sont omniprésentes dans les dessins de presse, traduisant àla fois leur popularité – s’ils sont si souvent décriés c’est qu’ils sont les plus connus- etl’inquiétude que leur visage incarne. Car au-delà de leur propre personne, les personnalitéspolitiques représentent un courant, un épisode de la vie politique et à ce titre sont amenésà être dépeints plus souvent en fonction de l’actualité mais aussi des angoisses.

Si les premiers mois de l’année 1936 se caractérisent par la multitude des anglesd’attaque, l’imminence des élections puis l’arrivée du gouvernement de Front Populaire àMatignon crée une vague de critiques, plus concentrées sur la politique intérieure et lesétapes du programme de rassemblement populaire. Cette critique, comme nous le verrons,se polarise autour de différents axes mais se cristallise surtout autour d’un personnage :Blum.

I. Avant les elections : la mise en place des principalesattaques

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Premiere partie : le rassemblement trait pour trait ?

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La séquence de constitution du Front populaire achevée, le Rassemblement publieson programme en janvier 1936. Compte tenu de l’avantage électoral de la gauche à cemoment là, les éditorialistes ne se privent pas de commenter immédiatement le programmecommun. Sennep aussi. Dès janvier 1936, le dessinateur dénonce l’inspiration staliniennedu programme commun dans le « marchand de programme » (illustration n° 22). Onreconnaît de suite Cachin, Blum et Daladier (de gauche à droite) travestis en soubrettes/ouvreuses du théâtre tragi-comique qui s’apprête à entrer en représentation dès avril 1936,selon les plans du maître de cérémonie, qui d’après la légende est aussi le parrain financier–« Staline - Je le paie plusieurs millions de roubles, monsieur ». Pourtant, le programmecommun, fruit de longues discussions mettant en lumière les profonds désaccords entresocialistes et radicaux, s’avère relativement proche de la plate-forme politique du partiradical61. Les socialistes renoncent à leur ambitieux programme de nationalisations, unélément qui aurait pu conforter la thèse de l’inspiration soviétique du Front populaire. Maiscela importe peut Sennep pour qui l’objectif reste de discréditer le front et il suppose dans cebut que la simple présence de Staline suffit à effrayer l’opinion. Nous reviendrons à plusieursreprises sur l’évolution de l’anticommunisme dans le dessin de droite.

1. Février 1936 : le mois des tensionsLe programme commun n’est encore qu’une menace couchée sur le papier pour lescaricaturistes. Ils vont trouver dans l’attentat contre Blum puis la manifestation de soutientqui suivit une occasion d’ouvrir le bal des hostilités.

La présence de Blum pendant le cortège de l’enterrement de Jacques Bainville62 bienque fortuite, est perçu comme une provocation. Les conditions de l’agression, si ellessont largement dénoncées dans les articles de presse de droite63, ne sont pas relatées

61 Serge Berstein et Pierre Milza, Histoire de la France au XXe siècle Tome 2 : 1930-1958, Paris, Perrin, 2009, p. 14762 Bainville fut une des grandes figures de l’Action Française et grand ami de Charles Maurras63 L’Action Française notamment

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graphiquement de suite. Gringoire ou plutôt Roger Roy n’a pas de réaction immédiatepuisque le numéro du 14 février, soit le lendemain du rassemblement, n’en fait pas mention,sans doute à cause de l’immédiateté de l’évènement. Il se rattrape largement dans lenuméro suivant (illustration n°2). « La vie est belle » pour Léon Blum : le peuple menaçantdéfile tandis que le bourgeois se prélasse sur le bon dos du singe Sarraut. Satisfait deson effet, Blum est dans la posture du leader qui trompe et manipule les foules depuis sonappartement cossu. Non seulement le peuple, mais c’est aussi le gouvernement qui se jettelittéralement à ses pieds sous les traits d’Albert Sarraut, ainsi dessiné sous la plume de Roy.Blum est l’inconscient qui s’amuse à déclencher des révolutions de salon en conservantmalgré ses discours son costume de dandy. Ce dessin traduit bien la tendance à droite àminimiser, nier voire crier à l’instrumentalisation de l’agression du 13 février. Tandis que LePopulaire affiche une photographie frappante de réalisme de Blum dans ses bandages64,les dessins de Roy annulent l’effet choc : la bataille de l’image commence. Les mots sontdurs eux aussi. En « une » de Gringoire ont peut lire :

« M. Léon Blum a semé la haine. Est-il vraiment surpris de ne pas être adoré ? Lescoups que M. Blum a reçus étaient d’ailleurs inutiles. Electoralement nous n’avons rien ày gagner ».

Le journal reconnaît la véracité des faits; mais Blum n’a eu que ce qu’il méritait.L’Echo de Paris n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de dénoncer la manifestation qui a suivil’agression. Quand Albert Sarraut, président du conseil, célèbre le soulèvement populairedevant l’Assemblée Nationale le 21 février, le journal titre « M. Albert Sarraut fait à laChambre une apologie scandaleuse de la manifestation révolutionnaire du 16 février ». Enfinpour Je Suis Partout, l’attitude hypocrite du chef socialiste déclenche les hostilités. Dansun article sobrement intitulé « les larbins de Staline passent à l’attaque », on peut lire enconclusion « somme toute, par ses démarches incohérentes, par son agitation provocatrice,par ses mesures de force, par sa soumission aux partis de guerre civile, le gouvernementSarraut rouvre l’ère des désordres ».

Dans le numéro de la semaine suivante de l’hebdomadaire d’extrême droite, c’est uneautre agression qu’Hermann-Paul choisit de présenter, celle du docteur Golse65. Peu aprèsl’attentat contre Blum, les « Faucons rouges » investissent une réunion à la permanencede l’Action Française. Dans l’agitation, un docteur, le docteur Golse reçoit des débris deverre dans les yeux et est grièvement blessé66. Hermann-Paul réagit de suite à l’atrocitéde l’attaque qui visiblement l’émeut plus que celle de Blum. Il dessine un homme à terre,couché sur le dos. Son agresseur se défend auprès d’un témoin en disant en légende « C’estun patriote, j’ai l’autorisation du Ministère ».

Pourtant, l’année 1936 inaugurait une forme de continuité dans le dessin de nostrois journaux. À vrai dire, la véritable cible en ce début d’année c’est Herriot. Le radicalne peut plus échapper au regard moqueur des caricaturistes pour la simple et bonneraison qu’il incarne, par ses participations fréquentes dans les différents gouvernements,la longévité parlementaire intolérable à ces hommes de droite qui y voient le signe d’uneforme de corruption. Les dessins de presse conservent, parallèlement à ce danger quereprésente le front populaire, une dynamique résolument antiparlementariste. Herriot etDaladier sont la cible de nombreux dessins mais pas forcément en tant que membres de lacoalition de gauche. La critique s’exerce dans un registre qui tend surtout vers le ridicule.

64 Le Populaire, 14 février 193665 Hermann-Paul, Je Suis Partout, 22 février 193666 L’Echo de Paris, 19 février 1936

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L’aspect débonnaire d’Herriot et le prétexte à toutes sortes de déformations, jamais gratuitescependant puisque malgré son air bête et méchant, il s’active pour que la France coure àsa perte. Voici trois dessins qui figurent les différentes facettes de Herriot dans la caricatureavant les élections de mai 1936.

Sennep, dans son dessin légendé « le nouveau timbre antiherrioteux » se plaît à insistersur le gros ventre du président démissionnaire du parti radical, faisant de son handicapphysique un défaut susceptible de manipulations (illustration n°23). La preuve, de simplesenfants jouent avec lui comme s’il s’agissait d’un ballon de plage. Pendant ce temps, PierreLaval, voilé comme une bonne sœur, reçoit une fleur des mains d’un petit garçon coiffé« majorité ». On peut imaginer que les enfants sur la plage sont à l’image du gouvernementLaval avec lequel Herriot est en constant désaccord, notamment sur la politique étrangère,et qu’il finira par quitter.

Roger Roy publie le même jour dans Gringoire une œuvre qui représente un EdouardHerriot beaucoup plus maître des évènements (ill. n°2). Herriot « sur la pente » chausseses skis à l’effigie de Cachin et Blum ; il dévale la pente gouvernementale, se rapprochantde plus en plus de la sortie. Il peut toutefois se reposer sur ses deux alliés, instruments desa survie politique, puisqu’il est prêt à participer à l’aventure front populaire. Roger Roy, voitdans la lourdeur d’Herriot à la différence de Sennep le signe d’une prépotence. Du Herriotcalculateur au Edouard tout-puissant, Roy voit d’un œil plus cynique les aléas politiques dudéputé lyonnais. Son célèbre dessin « le bœuf sur le toit » présente un Herriot écrasant lachambre des députés de tout son poids (ill. n°3). Les colonnes du palais Bourbon supportentle bœuf Herriot bon gré mal gré67.

2. Politique étrangère : de Hitler à StalineL’actualité dans les années de 1930 est pour partie largement dominée par les crainteset incertitudes inspirées par les crises internationales. Les deux grands sujets de politiqueétrangère qui échauffent les esprits et les sales de rédaction en ces années de FrontPopulaire sont bien entendu l’Allemagne nazie, avec notamment la remilitarisation de laRhénanie en mars 1936, et l’Espagne, après la victoire des républicains du Frente Popular.A l’image des « unes » qui se succèdent, les images elles aussi font grand cas desévènements dans les deux pays.

67 On reconnaît entre autres Pierre-Etienne Flandin, Yves Delbos, Pierre Laval…

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Hitler est une cible de choix pour nos caricaturistes tant son goût de la mise en scèneest facilement exploitable. Le sujet Hitler à lui tout seul mériterait une étude, d’ailleurs lestravaux à ce sujet ne manquent pas, notamment dans la recherche anglo-saxonne. En ce quiconcerne la France et les journaux de notre sélection, Sennep se plaît à publier de comiquescompositions du chancelier allemand dans L’Echo de Paris surtout dans les premiers moisde l’année 1936 (ill. n°24) – avant de se recentrer sur la politique intérieure avec l’arrivée aupouvoir du front. Même si la situation en Allemagne est aussi beaucoup traitée dans les deuxautres titres, aucun ou peu de dessins viennent étayer les articles. Quand à l’associationd’Hitler avec les représentants du Front Populaire en général et de Léon Blum en particulier,les dessins se situant dans ce registre datent du moment de l’ascension et de l’accession aupouvoir du Führer, quand Blum, Herriot et autres multiplient les gestes d’apaisement et parconséquent font preuve d’une certaine faiblesse pour les uns, de servilité pour les autres68.Mais à l’heure de l’antifascisme, difficile de continuer sur ce terrain là. On va alors chercherà traiter cette servilité sous un autre angle, dans la mesure où la recherche constanted’un terrain d’entente avec les autres puissances étrangères constitue un motif certain decritique pour la droite nationaliste. Particulièrement vigilant sur les questions internationales,Sennep toujours dans L’Echo de Paris ne manque pas de tacler les membres du front àce sujet.

Un autre personnage, une autre menace internationale présente de biens meilleursqualités polémiques.

La guerre d’Espagne : Staline sur tous les frontsMis à part les provocations d’Hitler et les inquiétudes ou fascinations qu’elles suscitent

selon les journaux, la guerre d’Espagne est l’autre grand sujet médiatique de l’époque.Le parallèle entre les deux fronts populaires inquiète à droite et beaucoup de « unes »sont consacrées à l’évolution de la situation politique entre franquistes et républicains. Ceparallèle est particulièrement exploité par les dessinateurs qui y voient un exemple del’influence des soviétiques dans les partis communistes d’Europe de l’Ouest. La guerre

68 Christian Delporte, « Blum, l’Europe et la Patrie Dans la Caricature des Années 1930 » in Gérard Bossuat et Liliane Perrein.Leon Blum, Socialiste Europeen: [Actes du Colloque organisé par la Société des amis de Léon Blum]. Bruxelles: Ed. Complexe, p. 207

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Premiere partie : le rassemblement trait pour trait ?

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d’Espagne est d’ailleurs également appelée « guerre Hispano soviétique » dans lescolonnes de la rédaction de Je Suis Partout 69.

En février 1936, le Frente Popular remporte les élections en Espagne. Une victoire dufront populaire français étant de plus en plus probable, l’attention se porte sur l’évolution dela situation dans la péninsule ibérique. Lorsqu’en juillet le général Franco perpétue un coupd’état, le pays entre en guerre civile. C’est la question de l’intervention française alors, qui sepose à droite comme à gauche. Les révélations d’aide matérielle aux républicains espagnolsjettent un violent soupçon sur les véritables intentions du gouvernement ; à droite on nese prive pas de dénoncer la pression des communistes français –et étrangers, soviétiquesmême- pour soutenir une guerre dont les Français ne veulent pas.

Il y a donc deux pôles de critiques à droite, matérialisées par les dessins : l’idéed’un complot communiste mondial, étayée par la victoire quasi-simultanée des deuxfronts, évidemment chapeautée par l’URSS ; d’autre part, après le soulèvement franquiste,une féroce critique dans un premier temps de la non-intervention puis de l’interventiondissimulée. Ces deux tendances sont exprimées dans des compositions qui ne concernentpas tous notre étude. En effet, il nous faut écarter les caricatures qui concernent uniquementl’Espagne sans faire mention, soit dans la légende soit dans le dessin, du front populaireou d’un de ses membres. La plupart d’entre elles mettent en scène Staline, le grand Satan,qui a des vues sur le pays. Par exemple, dans Gringoire Roger Roy dessine Staline sefaisant renverser par un taureau espagnol avec pour légende «Bravo Toro » ne pouvants’empêcher de rajouter une deuxième légende « l’Espagne aux Espagnols »70.

L’absence d’intervention voulue par le président Blum est critiquée à droite mais aussi àgauche, déclenchant les premières attaques de la gauche communiste71. A droite d’abord,dans son article du 11 septembre 1936, André Tardieu dénonce vivement le choix de la non-intervention. Il évoque les discours du 3 et 6 septembre durant lesquels Blum s’est exprimésur la question72. « Il a seulement ajouté, en agitant son petit mouchoir, que si une fractiondu front populaire jugeait son action contraire à l’engagement commun, elle n’aurait qu’àle dire tout haut ». D’autant plus qu’une autre déclaration d’un tout autre genre reprendl’icône du « petit mouchoir ». Dolores Ibarruri que l’on surnomme la Pasionaria, icône desrépublicains espagnols et du monde communiste, évoque une entrevue qui s’est tenue le

1er septembre 1936 avec le président du Conseil à propos de la situation en Espagne ences termes « j’ai vu Blum sortir son mouchoir de soie blanche pour essuyer une larme quine coulait même pas »73.

La députée républicaine des Asturies, démonisée à droite74, est encensée à gauche ;cette femme courageuse tranche face à la soi-disant couardise de Blum. Un dessin de JeanEffel publié dans L’Humanité raille la position de Blum avec pour légende cette présentation :

« - La Pasionaria69 Je Suis Partout, 22 août 193670 Roy, Gringoire, 21 août 193671 Jean Vigreux, « Léon Blum vu par les communistes, 1919-2000 ». Recherche Socialiste, mars 2000, n°10, p. 6572 Discours devant l’Union des syndicats de la métallurgie le 3 et de Luna Park le 6 septembre 193673 Jean Vigreux, « Léon Blum vu par les communistes, 1919-2000 ». Recherche Socialiste, mars 2000, n°10, p. 6574 On peut lire en légende d’une satire de Dolores Ibarruri par Roger Roy intitulé « l’héroïne du Frente Popular » dans le

Gringoire du 25 septembre 1936 « la pasionaria s’est rendue célèbre en se précipitant sur un malheureux petit prêtre en pleine rueet en lui tranchant la gorge à coups de dents ».

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La Pas d’invertioniaria… »

En plus de mettre l’accent sur la position difficile de Blum sur l’Espagne, ces deuxdéclarations font apparaître un élément récurrent dans la représentation graphique de Blum,le fameux mouchoir. Un autre témoignage, encore à gauche, vient confirmer la présence del’objet, toujours sur le sujet sensible de l’Espagne. Un militant socialiste, Maurice Jacquierdécrit son interpellation de Léon Blum au sujet de la non-intervention :

« ‘‘ Je veux seulement te dire combien tous attendent de toi une décisionconforme à tes fonctions et à ton honneur de socialiste’’. Ma diatribe a jeté unfroid. Elle a manifestement irrité Blum et mon tutoiement bien davantage encore.Sa main serre nerveusement son mouchoir… c’est un tic familier75. »

Ce « tic familier » a aussi été saisi par nos dessinateurs qui ne se privèrent pas de faireapparaître, notamment pour appuyer les manières de Blum. Le mouchoir de Blum constitueun exemple de la familiarité de certains dessinateurs avec le monde parlementaire. Sinon,comment savoir l’importance du bout de tissu pour le président du conseil ?

(Voir illustrations n°26, 27 et 5)Si la guerre d’Espagne permet de mettre en lumière l’indécision et l’inconsistance

du gouvernement, elle est aussi selon la presse de droite la preuve ultime del’interventionnisme soviétique dans les affaires mondiales et donc française. A ce titre,Staline est perçu comme « la main invisible » derrière tous les évènements mondiaux, etoccupe lui aussi une place de choix dans la caricature. Son action en sous-marin ne faitpas de doute et on fait état à droite d’une véritable machination bien huilée. L’Echo titre en« une » : « Comment dès le mois d’avril 1936 le parti Communiste Français avait préparéla révolution en Espagne »

75 Maurice Jaquier, Simple Militant, Paris, Les Lettres Nouvelles : Denoël, 1974, p. 126. Maurice Jaquier s’est engagé

comme volontaire pour combattre auprès des républicains espagnols et s’est entretenu de la situation avec Léon Blum,

regrettant vivement la décision de ce dernier.

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Premiere partie : le rassemblement trait pour trait ?

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Les premiers mois de l’année sont principalement consacrés à l’actualité étrangère tantdans les dessins que dans les articles, on voit donc souvent apparaître Staline, associé ounom à des visages du front. L’association ou la simple évocation de Staline est pour lesdessinateurs un moyen efficace de traduire le téléguidage soviétique du Front Populaire.

3. La fronde anticommunisteLe Rassemblement populaire a mis en branle la machine à fantasmes des anticommunisteset a été le ciment de la nouvelle droite qui s’est manifestée lors du 6 février 1934, etqui se retrouve parfois derrière les plumes de nos journaux. Selon Berstein et Beckerl’anticommunisme rassemble « tous ceux qui refusent le communisme et le font savoir, d’unemanière ou d’une autre, par la plume, le discours ou l’action76 ». On pourrait même ajouter,par le crayon tant la symbolique soviétique se prête aisément aux allusions graphiques. Ladroite plus classique, ici représentée par L’Echo de Paris, n’est pas sans reste et a aussi pourprincipal levier la thèse du complot communiste. Sennep utilise l’image même de Staline et« soviétise » le personnel politique dans certains dessins77. Il n’est donc pas surprenant deretrouver dans les dessins des attaques de ce type, au contraire, sachant que le supportgraphique permet de jouer avec les symboles créant de fait un langage plus évocateur.Alors que la filiation au communisme se fait plus « subtilement » dans Je Suis Partout aumoyen d’une faucille et d’un marteau placé ici ou là, Roger Roy dans Gringoire préfère yajouter les représentants en personne, même si il ne se prive pas lui non plus de jouersur les associations de symboles. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, Hermann-Paul,dessinateur plus allégorique, fait plus rarement appel aux personnages de la vie politique– et quand il le fait, c’est pour viser Blum.

Dans ce dessin issu d’une planche de Roger Roy célébrant la « mi-carême », toute lafamille de la gauche défile derrière Staline (voir illustration n°6). On voit le style moderne deRoy qui a une approche parfois très « cartoon » du dessin de presse (l’alliance petit corps/grosse tête). Plus que la gauche, c’est l’ensemble de la classe politique qui est considéréecomme sous l’influence soviétique : Cachin et Blum en tête, comme à l’accoutumée. Maissuivent Herriot, Sarraut, Cot, Frot, Daladier, Paul-Boncour et même Flandin et Albert Lebrun.La simplification des enjeux inspire Roger Roy qui rejette en bloc les hommes politiques.

76 Serge Berstein et Jean-Jacques Becker, Histoire de l’anticommunisme en France, Tome 1 : 1917-1940, Paris, Olivier Orban,1987, p. 577 Voir illustration n° trois dessins de Sennep où Herriot notamment est déguisé en soviétique et dispose d’attributs typique de laculture russe.

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L’anticommunisme est encore diffus en ce début d’année, se focalisant surtout surl’image de Staline, et c’est pour les humoristes une façon de jeter l’anathème surune classe politique qu’ils méprisent. L’anticommunisme est en réalité le corollaire del’antiparlementarisme. L’accession au pouvoir de la gauche unifiée redessine les contoursdes attaques qui deviennent plus ciblées et plus virulentes.

II. Le rassemblement a l’epreuveLes mois d’avril et mai 1936 voient l’élection puis la constitution du gouvernement de frontpopulaire. Cette période inaugure une nouvelle tendance dans le dessin de presse de droitedans la mesure où les hypothèses et les affabulations provocantes prennent une tournureplus concrète avec notamment l’arrivée effective au pouvoir des communistes qui comptedésormais 72 députés dans « la chambre rouge horizon78 ». L’imminence des élections setraduit par une inquiétude montante que l’on peut observer à travers l’augmentation desdessins prenant pour cible des membres du Parti Communiste Français (voir graphique n°1). Leur stratégie de « nationalisation » du parti ne passe plus inaperçue et est amplementdénoncée, le danger se faisant plus proche. Les grèves de 1936, même si elles ne sontpas profusément commentées, ne font qu’accroître les craintes d’une droite qui s’attend aupire. En clair, à partir de juin 1936, l’anticommunisme devient le discours dominant dans ledessin de droite et d’extrême droite.

L’entrée de 72 députés communistes ne constitue pas pour autant un renouvellementde la classe politique. Les figures individuelles de la vie politique restent les mêmes pourSennep et consorts. Aussi l’antiparlementarisme demeure un élément majeur dans lesdifférentes caricatures. Seulement les acteurs du front populaire sont représentés sousl’angle de la discorde. La désunion de l’union des gauches s’ajoute à l’arsenal graphique ;les dessinateurs investissent le champ des rapports de force politique avec une intensitécomique remarquable.

1. Les grèves de l’été 1936

Avec les grandes grèves de 1936, l’expérience Blum débute dans un climat quasi-révolutionnaire. Le mois de mai 1936 voit l’éclosion de grèves spontanées à travers le

78 Henri Béraud, Gringoire, 5 juin 1936

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pays alors que Léon Blum n’a même pas encore formé de gouvernement. La ConfédérationGénérale du Travail (CGT) et le PCF n’ont pourtant pas de responsabilité dans cette amorcerévolution sociale qui fait craindre le pire à droite. La vague sporadique du mouvement degrève et d’occupation d’usine déclenche en effet l’épouvante dans l’opinion et donc dans lapresse de droite. Le sentiment peut une fois de plus être résumé par un seul dessin, publiédans Gringoire figurant Hitler attendant tranquillement que l’insurrection fasse son œuvre enFrance (ill. n° 7).De multiples drapeaux du PC, de la SFIO et d’autres sur lesquels on peutlire « grèves » sont disséminés à travers la France, pour souligner le caractère national etinstrumental des grèves. On retrouve ici la thèse selon laquelle la gauche fait le jeu d’Hitler ;trop occupée à déclencher la révolution, l’instabilité détourne le pays du danger Hitlérien.Et Hitler de se féliciter : « tout va très bien, tout va très bien » sur un « air connu ».

Avec les grandes grèves de 1936, l’expérience Blum débute dans un climat quasi-révolutionnaire. Le mois de mai 1936 voit l’éclosion de grèves spontanées à travers lepays alors que Léon Blum n’a même pas encore formé de gouvernement. La CGT etle PCF n’ont pourtant pas de responsabilité dans cette amorce révolution sociale qui faitcraindre le pire à droite. La vague sporadique du mouvement de grève et d’occupationd’usine déclenche en effet l’épouvante dans l’opinion et donc dans la presse de droite. Lesentiment peut une fois de plus être résumé par en un seul dessin, publié dans Gringoirefigurant Hitler attendant tranquillement que l’insurrection fasse son œuvre en France.Demultiples drapeaux du PC, de la SFIO et d’autres sur lesquels on peut lire « grèves » sontdisséminés à travers la France, pour souligner le caractère national et instrumental desgrèves. On retrouve ici la thèse selon laquelle la gauche fait le jeu d’Hitler ; trop occupéeà déclencher la révolution, l’instabilité détourne le pays du danger Hitlérien. Et Hitler de seféliciter : « tout va très bien, tout va très bien » sur un « air connu ». D’un air moins jovialmais tout aussi catastrophiste Hermann-Paul tient aussi à évoquer l’épisode des grèvesestivales (voir illustration n°37). Deux ouvriers discutent d’un ton morne. L’un, défaitiste, dit àpropos des grèves: « le patron en crèvera, l’usine en crèvera… » et l’autre de renchérir « etnous aussi ! ». Le jugement d’Hermann-Paul sur la situation se veut plus « moral » dans lamesure où son dessin indique clairement que cette grève irraisonnée ne mènera nulle part,sauf vers la mort. On peut lire sur les murs de l’usine à gauche « Vivent les soviets », uneinscription qui juxtapose le symbole communiste de la faucille et du marteau. A droite, on estdonc persuadé que le mouvement gréviste n’a rien de spontané car il est difficile d’imaginerque la grève générale n’est pas la seconde partie du plan des communistes, après la victoireélectorale. Cela émane forcément des forces de l’étranger présentes en France à traversle PCF et la CGT. Les grandes grèves de l’été 1936 enracinent définitivement l’idée que lagauche est toujours soupçonnable, quoi qu’elle fasse. La coïncidence de la grève généraleet des résultats de la gauche n’en est pas une ; la gauche française ne sait pas ce qu’ellefait et ne parvient pas à maîtriser les assauts révolutionnaires qu’elle a elle-même contribuéà créer79. Il faut dire que les scores impressionnants des communistes aux élections d’avrilet mai 1936 n’ont fait qu’attiser la peur et lancer la machine à fantasmes.

79 Serge Berstein et Pierre Milza, Histoire de la France au XXe siècle Tome 2 : 1930-1958, Paris, Perrin, 2009, p. 164

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2 Un nouveau souffle donné au dessin anticommunisteLes résultats électoraux de 1936 témoignent d’une forte progression du parti communiste :recueillant moins de 800 000 voix lors des élections de 1932, ils obtiennent en 1936 plus de1 millions 400 00 votes en leur faveur80. La possibilité de voir des communistes accéder aupouvoir ne constitue plus une attaque polémique mais correspond bien cette fois à la réalité.Le péril rouge ne représente plus une menace hypothétique et les élections marquent unenouvelle étape dans l’épouvante dans l’opinion publique en général et dans la presse dedroite encore plus. Cela a pour conséquence le déclenchement d’une seconde vague dedessins anticommunistes, en mettant toujours l’accent sur la présence diffuse de Stalinemais aussi en dépeignant des visages plus concrets, comme celui de Marcel Cachin.

80 Ibid., p.151

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Ci-contre, Roger Roy compose un Staline qui, une fois n’est pas coutume, n’a pasde couteau entre les dents mais bien la France entière. Il avale « la tartine de caviar »russe et du même coup tous les artisans – malheureux- de son triomphe (illustration n°8). On distingue les visages de Daladier, Blum, Herriot, Pierre Cot, Salengro, Auriol, YvonDelbos… Ce dessin répand le sentiment que les membres du front populaire travaillent à laperte du pays mais pas forcément consciemment. Car après les élections d’avril-mai 1936,l’anticommunsime que l’on perçoit à travers les caricatures de droite induit désormais l’idéeque les hommes qui conduisent la nation ne savent pas ce qu’ils font. L’image précédenteva également en ce sens : les dangers extérieurs sont nombreux et le gouvernement ne s’enrend même pas compte. Mais vis-à-vis de Staline et de l’Union Soviétique, il faut désormaisintroduire la notion de manipulation. Cette idée contribue à discréditer davantage la classepolitique bien évidemment car cela n’en souligne que plus la bêtise.

L’Echo de Paris prend pour cible la stratégie nationale des communistes

Compte tenu de la proximité des élections sans doute, le journal et ses dessinateursreviennent à partir d’avril 1936 sur la stratégie que le PCF a adopté en amont duRassemblement Populaire. L’initiative de rapprochement des gauches a jeté les soupçonssur la formation qui jusque là ne jurait que par le Komintern. Inféodé à l’Union Soviétique, lePCF a entreprit d’associer son parti aux plus forts symboles de la République. Sennep tientà démontrer par de nombreux dessins qu’il n’est pas dupe de la stratégie des communistesfrançais qui tentent de s’emparer des attributs de la France pour mieux dissimuler leurconspiration internationale. Sennep se plaît ainsi à les affubler de costumes ridicules sensésrendre compte d’une stratégie soudainement patriotique toute aussi ridicule. Il dessineles trois leaders communistes accoutrés respectivement en Vercingétorix, Jeanne d’Arc etBayard, le chevalier sans peur et sans reproche (illustration n°28). « La nouvelle tactiquecommuniste » consiste à ancrer le parti dans l’histoire de France pour lui donner uneconsistance patriotique. Les « agents de l’étranger » n’emploient ce stratagème sournoisque pour mieux tromper le pays. Dans ce but, tous les symboles de la France sontvisés : la Marseillaise, les grands personnages historiques, Marianne, le drapeau que lescaricaturistes n’hésitent pas à détourner. Une autre composition revient sur la tentative demystification du PCF. Cachin est une nouvelle fois pris pour cible. On peut ainsi le voirdans un dessin de ETap chanter la Marseillaise à plein poumons, en costume d’époque(ill. n°29). Cœur sur la main, partition dans l’autre, le dessin traduirait un parfait patriotismesur Marcel Cachin n’était pas sur un piédestal particulier : celui-ci, composé de diverses

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« unes » de L’Humanité, le journal de Cachin, rappelant l’aversion du parti pour le chantpatriotique. Sur ces « unes », fictives évidemment, nous lisons « l’odieuse Marseillaise,ce chant pour hystériques » et de l’autre côté « cette Marseillaise bonne à accompagnerle torchon tricolore ! ». Les lampions qui surplombent l’installation sont bien entendu auxmotifs communistes. La tenue portée par Cachin rappelle en outre l’époque révolutionnaire,un thème qui fut souvent exploité par les caricaturistes de l’époque afin de dénoncer lecaractère sanglant de la gauche française81.

3. Le front de la discorde : de la querelle à la violencePlus que l’incarnation du complot communiste, le front populaire est aussi composéd’hommes qui incarnen les méfaits du jeu parlementaire sous la IIIe République. L’unité desgauches est un visage de façade pour les caricaturistes. Cet argument est d’autant plusfort qu’il prend corps dans les faits, la critique la plus virulente étant celle qui a un semblantde vérité.

La présence de tel personnage aux côtés d’un autre révèle les rapports de force, desubordination ou de complicité –machiavélique forcément. Et les apparitions ou disparitionsde certains visages indiquent non pas leur côte de popularité mais bien au contraire. Uneimage frappante par son ingéniosité peut résumer le rapport de force entre les différentes

81 Delporte, Christian Delporte, Dessinateurs de Presse et Dessin Politique en France des années 1920 à la Libération, Thèseprésentée en vue du doctorat de l’IEP de Paris sous la direction de René Rémond, 1991, p.311

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composantes du front populaire. Jak, dessinateur occasionnel de L’Echo de Paris se saisitde l’image de la troïka, l’équivalent russe du ménage à trois politique (illustration n°30); ils’agit à la base d’un traîneau tiré par trois chevaux. Appliqué à la politique française, latroïka est le « nouveau char de l’Etat » comme l’indique la légende, avec pour chevauxde trait : Herriot, Blum et on distingue la barbichette de Léon Jouhaux. Marcel Cachin tientles rennes, Jak attribuant de fait la conduite des affaires au PCF. Et derrière Marianne,visiblement perdue à l’image du peuple français et pour cause : les trois chevaux tirentdans trois directions différentes. Le symbole de la troïka a certainement été emprunté àRoger Roy qui dans le passé s’était déjà servi de l’outillage russe en août 1935( illustrationn°9). Lui par contre, marquait plus encore son anticommunisme : Staline est placé auxcommandes tandis que Daladier, Cachin et Blum tirent la troïka avec sévérité mais d’unmême mouvement sous la direction de Staline. On aperçoit en arrière plan Herriot tentantde rattraper l’engin – une image plus proche de la réalité politique d’alors.

Nous avions déjà évoqué le dessin de Roy « la vie est belle » (ill. n°2) où on peutvoir Léon Blum piétiner Albert Sarraut. Sennep reprend ce thème dans une série de deuxdessins publiés au début de l’année 1936, intitulée « Travail en liberté » avec de nouveauSarraut et Blum en personnages principaux (ill n° 31 et 32).

Voilà l’auteur de la célèbre phrase « le communisme, voilà l’ennemi82 ! » en bienmauvaise posture devant celui qui fait un faux semblant d’allégeance. Car la presse de droiteen veut beaucoup à Albert Sarraut que l’on accuse clairement d’avoir retourné sa veste.

La gauche du front populaire en proie aux divergences, notamment sur la guerred’Espagne, est forcément et férocement la cible des dessinateurs.

Roy exploite de façon significative les dissensions internes dans la gestion des affaires.Dans « une réunion du front populaire » il dépeint carrément une bagarre générale (voirillustration n°10). Parmi cette agitation, on reconnaît : Daladier, Cachin, Delbos, Vaillant-Couturier…

Le visage brutal et la violence de ces hommes politiques se veut le reflet duparlementarisme. Le discrédit jeté sur l’ensemble de la classe politique passe aussi parune mise en scène quasi bestiale des rapports entre les hommes. Un procédé classiquemais efficace, renforcé qui plus est par la profusion des personnages et le désordre dutableau. Seul Léon Blum, spectateur de la scène, ne participe pas aux échauffourées. Royle dessine s’arrachant les cheveux, posture classique de celui qui est impuissant. A d’autres

82 Gringoire, 15 mai 1936. Tardieu écrit « à droite, depuis qu’est officielle la victoire électorale des gauches, on se confond ensilences, en politesse, ou en bassesse […] C’est M. Albert Sarraut, auteur de la formule : ‘le communisme voilà l’ennemi‘ »

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occasions pourtant, le leader socialiste est présenté en bien meilleure posture. Hermann-Paul prend le parti prit de dénoncer son comportement autoritaire et son ascendant surla majorité parlementaire, comme le suggérait Sennep plus haut. A deux reprises, HPreprésente Blum entouré d’une horde d’admirateurs ou d’un chien rampant représentantla« majorité » (voir ill n°39 et n°40.). Les luttes internes au front sont parfois relatées avecune dose supplémentaire de violence.

En effet, l’année 1937 se caractérise par un redoublement de la violence dans lesthèmes et dans l’esprit des caricatures. D’abord, la violence des rapports de force estreprésentée plus crûment. La classe politique est criminalisée ; un nouveau cap estfranchi dans la dénonciation de l’immoralité des hommes politiques. La malhonnêteté estsupplantée par le crime, ils sont dépeints comme des voyous qui agissent selon desméthodes de voyous. L’antiparlementarisme primaire bat de nouveau son plein.

La nouvelle forme de violence à l’égard du gouvernement Blum prend racine dansl’actualité. Il ne s’agit pas là d’un revirement idéologique. La droite se saisit précipitammentsur les évènements de Clichy : en mars 1937, la police réprime sévèrement unemanifestation contre la tenue d’une réunion du Parti Social Français. Bilan : 5 morts etprès de 200 blessés83. La fusillade de Clichy est mise sur le compte du gouvernementBlum. Dès le numéro suivant de Gringoire (illustration n°11), Roger Roy compte les morts.Cinq cerceuils alignée dessinés moins en leur honneur que pour souligner l’horreur de« l’expérience Blum ». Et il revient à la charge quelques mois plus tard avec cette autrecomposition (illustration n°12).

Léon Blum et Marx Dormoy en commanditaires de meurtres directement inspirés dela mafia contemplent le cadavre d’un membre du P.S.F. Pour souligner l’impunité de lafusillade de Clichy, Roy faire dire à Blum : « aucune importance Dormoy. Ce n’est qu’un‘fasciste’ ». Marx Dormoy, socialiste aussi, est le nouveau ministre de l’Intérieur depuis lesuicide de Salengro, en novembre 1936. Il incarne en tant que tel la lutte antifasciste ausein du gouvernement : il lutte activement contre la Cagoule et démet Jacques Doriot, leleader du Parti Populaire Français, de ses fonctions de maire. Dormoy fait donc son entréedans Gringoire mais sous un jour peu comique puisqu’il y est décrit comme un assassin.Quoique, les deux hommes préfèrent ne pas se salir les mains qu’ils gardent dans leurspoches d’un air désinvolte ; un groupe d’hommes armés s’en sont chargés et s’éloignentmaintenant d’un pas coupable. On ne peut s’empêcher à la vue de ce dessin de penser à lacélèbre affiche de l’Action Française reprenant les mots que Marx Dormoy avait prononcéà l’Assemblée en avril 1937 pour défendre le futur président du Conseil : « Un Juif vaut bien

83 Berstein et Milza, p. 167

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un breton »84. Le dessin fut publié un mois après, le 5 mai 1937 et il est difficile d’imaginerque Roy n’ait pas eu à l’esprit la réplique du ministre au moment d’esquisser ce tableau.

Le dessin politique datant d’après les élections est donc empreint d’une déterminationsupplémentaire dans la dénonciation de l’anticommunisme, reposant cette fois sur desbases plus concrètes. La peur et la violence ressenties à l’égard du Rassemblementpopulaire redouble à cet effet. A vrai dire, les occasions de représenter la violence réelleou fictive ne manquent pas : les difficultés éprouvées au sein de la coalition commeles évènements extérieurs sont un moyen pour les caricaturistes d’injecter toujours plusd’animosité dans leurs représentations.

Parallèlement à ce déchaînement sur les questions politiques, les dessinateurs tententd’apporter une nouvelle preuve de l’incompétence et l’inefficacité de la coalition en placeen s’attaquant aux questions économiques, voyant dans les difficultés auxquelles esteffectivement confronté le gouvernement la possibilité d’annoncer déjà la fin imminente de« l’expérience Blum ».

III. Le bilan avant la fin : la faillite économique du frontpopulaire

Pour nos dessinateurs, c’était écrit : le Front populaire ne pouvait pas durer. Représentantde la gauche la plus détestable aux yeux de la droite, le Rassemblement est toutefois chargélui aussi de redresser le pays. L’échec annoncé par les caricaturistes, qui ne cesseront decrier à l’incompétence des dirigeants en chœur avec les rédacteurs, ne provoque pas parconséquent des effusions de joie ; ce n’est qu’un juste retour des choses.

1. L’ironique résignation des caricaturistesDans les journaux de droite, on enterre bien vite l’expérience du Front Populaire. Avantmême la chute du premier gouvernement Blum on compte de nombreux numéros proposanten « une » un « bilan du front populaire »85. Les dessins quant à eux affichent une certaineabnégation face à la politique du gouvernement. Ce dessin de Roy reprend un motif que Royaffectionnait particulièrement : le bec benzène expérimental (voir illustration n°13). Il s’agitlà d’une représentation amusante du jeu parlementaire pratiqué à tâtons par les hommespolitiques. Et l’expérience Blum se fait au détriment des français : « vie plus chère, grèves,faillites, chômage… » : voilà sur quoi débouche le programme commun, selon Roger Roy.Le chef Blum sue pourtant à grosses gouttes, la preuve étant faite que lui-même ne maîtrisepar les effets de sa propre politique. La légende du dessin, plutôt classique, traduit unecertaine lassitude ; Roy suggère la vanité des réformes et la résignation des Français face àcette succession d’expériences. L’expression de Roy « l’expérience Blum continue » revientrégulièrement dans les dessins qu’il publie chez Gringoire. Ce dessin, dressant un premier

84 Vincent Doumerc, « Léon Blum et le Front populaire face au attaques antisémites » in Rmn (Réunion des musées nationaux),l’Histoire par l’image, adresse URL : http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?liste_analyse=791, consulté le 17 mars2010.85 Par exemple, dans Gringoire, le journal semble faire un décompte du temps écoulé : Le 16 octobre 1936, on peut lire « Quatremois de Front Populaire », le 11 décembre « six mois de Front populaire » etc.

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bilan peu flatteur des réformes entreprises selon le programme commun, nous introduit lesprincipaux objets de la critique économique par nos illustrateurs.

2. La faillite économique : la dévaluation du franc et la pauseLes caricaturistes ne se limitent pas aux champs politiques de l’anticommunisme ou desluttes internes au sein du front. Ils savent également de saisir des questions économiques,sans plus de tendresse pour autant. À droite on ne donnait pas cher déjà des chancesdu front populaire de résorber la crise. On peut résumer le sentiment de Je Suis Partoutà ce sujet dès janvier 1936, avant même les élections : la politique économique duRassemblement Populaire « c’est l’art d’être heureux à coups de réglementation, decontrôle et de confiscation ». Un discours typique de la droite libérale, projetant ses apriorissur la gauche sociale.

Il est vrai que l’ampleur des défis économiques auxquels doit faire face le gouvernementBlum est considérable, dans un pays qui essuie toujours les contrecoups de la crise de1929. L’inefficacité des gouvernements précédents à ce sujet (Tardieu, Laval, Herriot) aécourté leur longévité. Le Front Populaire s’est pourtant risqué à promettre du « pain » auxélecteurs et une politique économique d’inspiration socialiste – même si elle a été en grandepartie bridée par les radicaux et les communistes- qui devait tenter d’apporter des solutionsneuves.

Les grandes réformes de l’été 1936 (les accords Matignon, la loi sur les congés payés,la semaine de 40 heures) sont accueillies plus ou moins fébrilement selon l’électorat. Etdans les faits, les mesures prises par le gouvernement ne sont pas vraiment efficaces.En premier lieu, la dévaluation du France décidée le 26 septembre 1936, très critiquée àdroite, est la première preuve de l’échec du gouvernement à résorber les effets de la crise86.Hermann-Paul réagit dans le numéro suivant de Je Suis Partout du 3 octobre 1930. Ledessinateur étant toujours en léger décalage avec l’actualité, quand il ne l’évoque pas dutout, se montre particulièrement réactif aux questions économiques. Il consacre plusieursdessins à la pause, des dessins dans lesquels Marianne défend la bouse de France… Ici onvoit bien Marianne ou plutôt Blum déguisé en Marianne, un travestissement récurrent chezHP 87; à son cou pendent la faucille et le marteau. Il s’agit d’un dialogue entre Marianne/Blum et le trésorier du pays, avachi tel un démuni qui garde à ses côtés les derniers deniers

86 Tardieu dans Gringoire, 2 octobre 1936 parle du « drame de la dévaluation »87 Voir en annexe « la vache à lait » visant la loi sur les 40 heures, Hermann-Paul, Je Suis Partout, 5 juin 1937 (illustration n°)

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de la France. On peut lire derrière lui les inscriptions « faillites » et « fermé ». La légendedécrit ce dialogue : « encore 30% ! Où voulez-vous que je les prenne ? ». Et Marianne/Blum de rétorquer : « mais c’est moi qui les prends ! ». Le message est suffisammentclair. Les déboires économiques du gouvernement Blum s’expliquent schématiquement parl’anticommunisme. C’est une idée que l’on voit surtout à travers les dessins de presse, lesarticles, même s’ils sont polémiques, nécessitant une argumentation plus habile. Les agentsde l’étranger, à qui ont a maladroitement confié le coffre-fort de la nation, travaillent à lafaillite de l’Etat88.

L’incompétence des hommes de Matignon et de leurs alliés du Rassemblement est unautre sujet de moquerie. Sennep s’en prend à Léon Jouhaux, le leader syndical (ill. n°33).En réunion avec Léon Blum pour discuter du « programme des ‘grands travaux’» celui-cipropose : « eh bien ! Par exemple je pourrais préparer mon certificat d’études ». Sennep semoque ouvertement du statut de cet ancien ouvrier89. Blum l’écoute pourtant sérieusement,décidé à trouver les idées qui sortiraient le pays de l’impasse.

88 Un dessin de Roger Roy dans Gringoire datant du 6 mars 1936 explicite clairement l’idée : Un homme chaussé des bottessoviétiques fouille honteusement dans le coffre-fort du Trésor Public. La légende dit : « les soviets partout », un des refrains préférésdu dessinateur. (voir illustrant n°14)

89 Et pourtant, Léon Jouhaux a bien obtenu son certificat d’études !

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L’expérience du Front Populaire a beaucoup contribué à forger l’idée que la gauchen’était pas efficace en matière économique. L’incapacité du front à susciter la confianceet apporter sa solution à la crise économique que le pays connaît depuis cinq ans a nonseulement en partie provoqué sa chute, mais aussi ancré durablement la croyance enune gauche incapable de gérer les affaires économiques de la France. Les réformes sontjugées inefficaces et le soupçon se trouve ainsi jeté sur les méthodes du gouvernement. Al’heure où la communication politique s’attaque aux masses, le gouvernement Blum tente àcoups de discours de convaincre l’opinion de la légitimité des réformes. Sennep détournele modèle du grand discours dans une œuvre fort comique : « l’arithmétique organisée » (ill.n° 34). On voit Vaillant-Coutier s’époumoner devant une foule de chiffres qu’il nomme« camarades », une tentative désespérée de relance de l’économie. En arrière-plan, labanderole « les chiffres avec nous » donne le coup de grâce comique.

Avec la dévaluation, la pause est l’autre versant de la critique économique desdessinateurs de presse. Annoncée en début de l’année 1937, elle est principalementà l’origine de l’enterrement prématuré dont fait l’objet le Front populaire. La pause dugouvernement Blum est raillée, notamment dans Je Suis Partout qui lui consacre une sériede trois dessins en ce même début d’année90. La pause est bien la preuve ultime del’incompétence déjà soulignée de ce gouvernement.

90 Voir notamment illustrations n°45 et 49

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Premiere partie : le rassemblement trait pour trait ?

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3. La chute du gouvernement Blum L’évidence née depuis des mois prend corps : le gouvernement Blum prend fin le 22juin 1936 lorsque la confiance lui est refusée. Si les journaux désignés dans notre étudecélèbrent sa démission avec de gros titres, les dessins sont beaucoup plus sobres oualors ne font même pas cas de l’affaire. Hermann-Paul par exemple continue de dépeindrel’actualité comme si de rien n’était. Il faut noter que celui-ci continue de s’attaquerau gouvernement Blum jusque très tardivement et sans lien apparent avec l’actualitéparlementaire91. A vrai dire l’efficacité politique du dessin de presse est encore démontréeici. Après tout, que peut-on ajouter de plus face à ce dessin de Roy (illustration n° 15) quien un mot et un coup de crayon résume le sentiment de la droite toute entière? :

91 Il ne fera jamais mention par exemple du retour de Blum quelques mois après mais se contente de dessiner relativementrégulièrement Blum en compagnie de Marianne.

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Deuxième partie : arrets sur images, le cas blum

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Deuxième partie : arrets sur images, lecas blum

En tant que cible privilégiée des animateurs de la presse de droite, Léon Blum est enpremière ligne dans de nombreux dessins. Déclaré « ennemi juré de la France » dansGringoire 92 , il est la cible principale des quolibets des journalistes de droite. Bien avantl’exercice du pouvoir, Blum est déjà régulièrement moqué dans les dessins de presse. Avrai dire, il essuyait même davantage de critiques puisque la presse communiste avantle Rassemblement consacrait également de nombreuses caricatures au « bourgeois »Blum.Il est l’image symbolique du Front Populaire et à ce titre n’échappe pas non plus àl’œil des dessinateurs. Nous avons vu que d’autres, Edouard Herriot notamment sont trèsreprésentés dans le dessin de droite. Toutefois les charges personnelles, et notammentantisémites, ne permettent pas de mettre Léon Blum exactement sur le même plan queles autres personnalités politiques composant le front populaire. Les attaques semblent eneffets plus mordantes. Bien qu’une étude des caricatures d’Herriot ou de Daladier serait toutaussi fascinante, le cas Blum semble plus fécond et captivant tant il agit en paratonnerre dela droite. A ce titre, il semble justifié de consacrer une partie à cet homme qui sous la plumecomme via le crayon fut critiqué avec véhémence. Se pencher sur le cas Blum, c’est aussiune façon d’observer de façon plus précise les mécanismes graphiques et idéologiques enjeu dans le dessin de presse pour tous les autres personnages politiques de la gauche ;de nombreuses observations établies pour le compte de Léon Blum étant valables pourd’autres.

Les dessinateurs vont trouver en Blum particulièrement une inspiration inépuisable ;socialiste, juif, bourgeois, tous les aspects publics du personnage sont à l’occasion tournésen dérision. Mais pourtant Blum n’était pas le simple représentant de « l’anti-France » ni dansson gouvernement ni parmi les autres leaders de la gauche. Pourquoi, par exemple, JeanZay, juif et franc-maçon, ne subit-il pas le même sort? Seul Roger Roy évoque timidementle ministre de l’Education Nationale93. Un seul dessin de Zay pour des dizaines d’autresreprésentant Blum, c’est bien peu et c’est aussi la preuve que ce dernier encourage malgrélui sa caricature. Jugé austère, sérieux et froid, l’homme irrite les dessinateurs.

I. les « procédés élémentaires » : les principalesreprésentations graphiques de Léon Blum

92 Gringoire, 21 février 193693 Roger Roy, Gringoire, 2 octobre 1936. Dans la planche « les tombeurs du franc », Roy reprend une phrase que Jean Zay

aurait prononcé des années plus tôt et qu’il retranscrit sur le dessin (à voir en annexe) : « le drapeau, ce torche cul – Jean Zay». JeanZay incarne de ce fait l’antipatriote par excellence, pourtant figure loin derrière Blum ou même Cachin en nombre de caricatures.

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Selon l’expression de Christian Delporte94, les procédés élémentaires relèvent desreprésentations récurrentes d’un personnage dans le dessin de presse. Il s’agit desprincipaux procédés graphiques partagés par la plupart des dessinateurs. Ce sera parexemple, la pipe pour Herriot, le visage primate pour Sarraut, des traits que l’on retrouveeffectivement chez quasiment tous les caricaturistes. Nous avions déjà évoqué plus hautle « petit mouchoir » de Blum qui est aussi un bon exemple de procédé élémentaire. Lemouchoir blanc à dentelles du président de conseil cache en réalité une marque de féminitépour nos caricaturistes. Léon Blum fut très régulièrement représenté en personnage féminin.Sa silhouette svelte se transforme en une extrême maigreur qui vient appuyer sa féminité.Hermann-Paul combine sa prédilection pour Marianne et cette représentation de Léon Blumau féminin : Blum se retrouve de nombreuses fois affublé de la tenue de Marianne, bonnetphrygien et robe blanche (ill. n° 39, 40 et 41). Dans ce dessin datant du début de l’année1937, Hermann-Paul légende : « Bonne année – en attendant, dites-vous que M. Léon Blumest très content »95.

Le personnage se singularise également par certains éléments permettant sonidentification immédiate comme ses fidèles lunettes. Les lunettes de Blum vont avoir lamême efficacité graphique que la pipe d’Herriot : son effet métonymique permet uneidentification rapide et un résultat comique garanti. Sa moustache joue le même rôle.Elément indispensable du personnage96, elle est parfois détournée elle aussi à des finscomiques. Sennep par exemple l’utilise régulièrement dans L’Echo de Paris en guise debalai (ill. n°34). La moustache-balai apparaît peu après la victoire électorale du Frontpopulaire. Elle est le signe du grand ménage gouvernemental qui s’annonce pour les« nettoyeurs ». Dans le dessin ci-contre, Blum est aussi rachitique qu’un manche à balai. Iltouche de son nez-moustache-balai une personnification de la Finance qui l’interpelle alors :« Enfin quoi ! Est-ce qu’il me balaye ou est-ce qu’il m’embrasse ? »

Au-delà de ces synecdoques visuelles, le visage de Blum lui-même est quasimenttoujours présenté sous des traits durs, secs avec cette forme allongée lui donnant unair animal. La zoomorphie n’est pas un procédé nouveau dans la caricature. Ci-contre,le portrait de Blum par Sennep, illustrant l’éditorial parlementaire de Dorsay. Le visageallongé lui donne cet air ovin particulièrement risible. Et nous l’avons plus haut, Blum peutêtre cheval, chèvre ; on le voit également en dromadaire ou en bœuf – mais maigre,pas comme son camarade Herriot97. Sur ce même dessin figure un autre attribut dupersonnage : le chapeau noir. Un chapeau qui n’a pas grand choses à voir avec le feutreporté habituellement par le leader socialiste. Celui-ci rappelle surtout la coiffe traditionnelleportée par les juifs orthodoxes. Mais nous nous attarderons là-dessus plus longuementlorsque nous aborderons le traitement du judaïsme du plus célèbre juif de France – aprèsDreyfus.

Les récurrences graphiques ne sont qu’une partie des conclusions que l’on peut tirerde l’étude des caricatures de Léon Blum. Ils sont souvent le prélude à une critique plusvirulente. Plusieurs grandes tendances dans le dessin de droite permettent d’établir unetypologie des facettes de Blum dessinées par la caricature.

94 Delporte, Dessinateurs de Presse et Dessin Politique en France des années 1920 à la Libération, Thèse présentée en vue dudoctorat de l’IEP de Paris sous la direction de René Rémond, 1991, p. 1195 Voir illustration n°41

96 Face au trait large et vague d’Hermann-Paul, la moustache de Blum s’avère un élément essentiel pour simplement lereconnaître.

97 Voir Annexe n° et n°

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II. Léon Blum : agent du communisme mais faux-amidu peuple

Comme les autres leaders de la gauche, Léon Blum en tant que meneur de la SFIO estbien entendu suspecté sur la nature de ses liens avec les communistes. Nous avons déjàévoqué longuement la place de l’anticommunisme dans les dessins publiés dans les troisjournaux. Léon Blum présente toutefois un profil intéressant car sa caricature permet debrosser un tableau complet de toutes les manifestations et évolutions de l’anticommunismedans le dessin de droite.

1. Blum communiste : agitateur révolutionnaire ou simple pantin deStaline ?

On décèle d’abord une complicité idéologique car Léon Blum ne l’oublions pas lutte pourla révolution malgré sa politique très respectueuse des institutions républicaines. Blum estalors l’agent infiltré des soviétiques. Phil dans Je Suis Partout appuie cette thèse d’unepetite bande dessinée explicative : quelques artifices suffisent au président du conseil pourarborer l’apparat soviétique (ill. 43).

Par ce simple dessin, Phil entend dénoncer la stratégie de dissimulation de Blum.Parallèlement à la vision de Blum en tant qu’agent actif de l’avènement du communisme

en France, on décèle un autre discours sur la véritable position de Blum dans cejeu politique. En effet, certaines compositions insinuent un lien de subordination oumême l’exercice d’une contrainte s’exerçant sur le socialiste. Cela expose la férocité descommunistes qui ne voient en Blum qu’un pantin tout juste bon à exécuter les ordres.

Le dessin d’Hermann-Paul ci-contre illustre ce point de vue (ill. n° 44). Blum, l’air terrifié,reçoit un appel. L’homme en face lui tend la communication : « de la part de M. Staline ».

De ces deux discours émane alors une double représentation de Blum, tantôt affublédes pires desseins pour la France et en conséquence, sous les traits du communiste

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malicieux et assoiffé de sang, tantôt Blum présente le visage de la peur ou plutôt de lalâcheté, de la fourberie. Dans le registre du communiste sanguinaire, remarquons que Blumest souvent accompagné du reste de ses acolytes du Rassemblement Populaire commesi ses seuls qualités individuelles ne suffisaient finalement pas à faire de lui une véritablemenace. Par conséquent, et malgré une large prédominance faite aux dessins de Blumefféminé, ce dernier se trouve parfois frappé d’une véhémence, d’une hargne qu’il gagneraitau contact des autres. Cette duplicité est une constante et n’a rien de surprenant98. Carnous l’avons vu les déclinaisons caricaturales de Blum sont nombreuses. Néanmoins, il estintéressant de relever cette contradiction entre l’image déjà bien répandue du communisteporteur de toute la violence politique inhérente à son idéologie et cette représentationefféminé, tout en finesse de Blum. En comparaison, les traits d’un Cachin par exemple, d’unecertaine brutalité, sont plus à même de représenter le « rouge ». En réalité, là est le proprede la caricature, qui ne peut jamais totalement s’affranchir de la réalité. Un dessin destiné àla presse doit conserver un rapport avec le réel car la caricature a aussi valeur d’information,d’une part. Il ne s’agit pas d’art, au sens où la subjectivité l’emporterait sur l’objet, au pointde ne pas pouvoir le reconnaître. D’autre part, et on en revient aux définitions vues plushaut, la caricature exagère, déforme, donc part toujours d’un trait existant, biaisé certes,mais qui correspond dans une certaine mesure à la réalité. Il est donc impossible pour Royde dessiner Blum en communiste hargneux tout simplement parce qu’il ne possède pas lestraits pour cela. Et cela serait sans doute moins drôle.

Les dessinateurs parviennent pourtant à retourner cette apparente contradiction dans lebut une nouvelle fois de desservir Blum. Blum, le précieux, le raffiné peut-il en effet incarnersérieusement le peuple de gauche ? L’air suffisant qu’il arbore dans de nombreux dessinssuffit à le disqualifier en tant que leader de la révolution. Le « bourgeois marxiste 99», selonl’expression d’André Tardieu, fut une autre figure de Blum particulièrement exploitée dansles pages des journaux.

2. Le faux-ami du peupleLa fondamentale fracture entre son statut de bourgeois et son combat socialiste est au cœurde la critique, aussi bien dans les articles que dans les dessins. Tardieu toujours s’interroge :« M. Blum s’est d’abord réjoui que son Front, qu’il nomme populaire, ait ‘’accédé au pouvoirpar les voies légales’’. Mais alors ? Que devient la révolution ? Que devient la lutte desclasses ? ». Les contradictions du front, des socialistes, de Blum sont du pain béni pourla critique.

Il faut avouer que l’attaque prend une tournure beaucoup plus frappante et, disons le,plus drôle lorsqu’elle est dessinée par un Roger Roy qui, d’un coup de crayon, dénoncecette contradiction tout en la ridiculisant. En témoigne un dessin de son « excellence »comme Roy aime l’appeler (ill. n°20). Blum apparaît très souvent dans l’iconographie deRoy en costume soyeux, chaussures vernies et allure élégante. La tenue vestimentaire estun premier élément de dé crédibilisation de Blum en tant que socialiste révolutionnaire. Lesorigines bourgeoises de Blum sont décriées au même titre que ses réformes qui semble-t-il ne vont pas non plus dans le sens du peuple. Une attaque plus politique soutenuenotamment par Roy et HP qui mettent en scène Blum aux côtés de représentants du peuple.

98 Christian Delporte, Images et politique en France au XXè siècle , Paris, Nouveau-Monde Editions, 2006, p. 5699 Gringoire, 25 septembre 1936

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Les dessinateurs rencontrent le même problème quant au peu de ressemblance entreLéon Blum et les stéréotypes juifs courants à l’époque. Le « nouveau Salomon100 » a unphysique qui ne prête pas facilement à la critique de type antisémite. Cela explique peut êtrele relativement faible nombre d’attaques à ce sujet –du moins durant les années qui nousintéressent101. En effet, au début et même une bonne partie de l’année 1936, les dessins denature antisémite sont encore assez rares. Il faut attendre l’élection puis la mise en œuvredu programme de Rassemblement populaire pour que finalement les dessins représentantle Juif Léon Blum apparaissent franchement.

III. Antiblumisme et antisemitisme A l’image des réactions violentes dans la classe politique comme dans l’opinion quant à lareligion de Blum102, les dessins de presse ont eux aussi glissé dans l’antisémitisme. Notonstout d’abord que, bien évidemment, nos journaux ne sont pas à mettre sur le même planen matière d’antisémitisme. Dans L’Echo de Paris, seules quelques références implicitessont observables sous la plume de Sennep. En revanche dans Gringoire, Roger Roy sepermet certaines allusions plus franches sans être ouvertement antisémites (voir ill. n° 21).C’est manifestement dans JSP que se concentrent la majeure partie des compositionsantisémites. Selon un raisonnement en toile d’araignée, la « judaïté » de Léon Blum est aucentre de toutes les critiques qui lui sont formulées. C’est un point de départ à toutes sortesd’essais de définir la ligne de conduite secrète du président du Conseil.

1. Images de clichés : la représentation du Juif Blum

100 Jean-Jacques Brousson, Je Suis Partout, 16 mai 1936101 Christian Delporte, Images et politique en France au XXè siècle , Paris, Nouveau-Monde Editions, 2006p. 101.

Delporte menant son étude sur une durée plus large, spécifie que les attaques antisémites se font rares jusqu’en 1936 puis ne vontse cesser de croître à mesure que la guerre approche. Et il vrai que102 On se souvient de la fameuse déclaration de Xavier Vallat sur ce « vieux pays gallo-romain […] gouverné par un juif »

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Comme évoqué plus haut, Léon Blum ne présente pas spontanément des attributssupposés de son appartenance juive- personne d’ailleurs. Il n’a pas l’opulence du marchandjuif ni le grand nez que l’on prête de façon si caricaturale, pour ainsi dire, aux sujets del’antisémitisme de l’époque. Notre sujet Blum est donc dessiné avec des attributs réelsou présumés du judaïsme pour souligner son appartenance. Dans un dessin de Payenpublié dans Je Suis Partout en mars 1937, on retrouve la panoplie du « Juif errant », toutdroit venu de Babylone et qui fait comme indiqué sa « pause » (ill n°45). La qualité soidisant apatride des Juifs s’en trouve une fois de plus mise en avant. La pause, Blum lafait en lisant tranquillement Karl Marx. Le Juif errant Blum est une des figures récurrentesde l’antiblumisme103. Payen ne manque donc pas de souligner cet aspect dans un desdessins franchement antisémite publié par le journal en cette année 1937. On constatepar ailleurs une légère augmentation des dessins à caractère antisémite à partir de 1937 :Hermann-Paul, peu enclin à représenter les personnages existants consacre 4 dessinsvisant expressément Blum en tant que juif (voir graphique n°). Certaines attaques sontpurement gratuites et ne font référence à aucun sous-bassement intellectuel. Quand, parexemple, Hermann-Paul évoque ci-contre l’argenterie de Blum, il ne fait référence à aucuneactualité en particulier (ill n°46). Nous avons là un exemple du racisme pur qui pouvait êtreà l’usage dans Je Suis Partout. HP reprend dans ce dessin les rumeurs persistantes sur larichesse supposée de Blum et notamment sur une impressionnante collection d’argenterie

103 Ilan Greislamer, Blum, Paris, Flammarion, p. 337

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qu’il conserverait jalousement104. Dans la légende du dessin, Blum se défend face à uncolossal camarade communiste- comme l’indique son tatouage de la faucille et du marteau:« vous savez, camarade, pour mon argenterie on a beaucoup exagéré ». L’image typiquedu juif idolâtrant l’argent s’insère alors dans un discours politique corrosif. Hermann-Paultoujours fait le lien entre ce goût pour l’argent et la politique économique menée par legouvernement Blum. Il apparaît alors jouant dangereusement avec la trésorerie ou biengardant jalousement la grosse bourse qu’il a volée à la France. Hermann-Paul nous livreégalement l’image de Blum se frottant les mains en conseillant au boulanger de faire grimperles prix (voir ill. n°).

2. La figure du juif apatride : Blum antipatriote et bellicisteLes clichés véhiculés par certaines compositions sont aussi parfois porteurs de messagespolitiques plus insidieux. Les dessinateurs vont mettre en œuvre des raccourcis édifiantspour expliquer la conduite, tragique selon eux, des affaires du pays. L’importance desdessins antisémites se révèle quand ils expriment une idée politique.

Le Juif errant participe à la construction du mythe du juif apatride (ill. n°21 et n°45).Par conséquent, selon les théorèmes en vigueur dans l’extrême droite dont Je Suis Partoutfait partie, le juif est antipatriote. Il n’a que faire de la bonne conduite de son pays, puisqu’iln’en a pas. Blum étranger est l’explication totalisante qui permet d’incriminer Blum pour lescrises économiques, sociales, politiques et internationales que traverse le pays. Blum le juifn’est attiré par les hautes sphères de pouvoir que pour son enrichissement personnel.

En tant qu’incarnation de la déviance, Blum est aussi dépeint en homme dévoyé,sans morale. Selon Pierre Birnbaum, Blum est parfois pensé comme un être immoral venupervertir les bonnes mœurs105. C’est toute la rhétorique de l’agent étranger qui est pousséeà l’extrême par l’antisémitisme.

3. La duplicité dupliquéeDu fait de l’anticommunisme d’un côté, Blum a cette image d’agent infiltré sous les ordresdes communistes français, voire de l’étranger directement. Et du fait de l’antisémitisme del’autre, Blum est perçu plus ou moins franchement comme un personnage sans nation,extérieur à la France à l’image du Juif errant que nous avons évoqué tout à l’heure. Aussi,en définitive, Léon Blum apparaît dans le dessin de presse comme un personnage double,inconstant aussi bien dans sa position politique que dans sa nature. Et les dessinateurs nevont pas tarder à résumer de la sorte leur sentiment à l’égard de Blum ; sa duplicité inspire.

Hermann-Paul saura particulièrement exploiter ce créneau qui présente un intérêtgraphique pour ce dessinateur à la plume métaphorique. Au début de l’année 1937,Hermann-Paul publie dans Je Suis Partout un dessin de Blum une fois de plus travestien Marianne. Celui-ci porte les deux drapeaux auxquels il ferait allégeance : le drapeautricolore et la faucille et le marteau (ill n°47). On peut lire en légende « hélas je n’ai quedeux mains », suggérant ainsi que la versatilité de Blum va au-delà de ce double discours.Le dessin fait référence à un discours de Blum en particulier, celui prononcé à Lyon commel’indique le titre « après le discours de Lyon ». Le 24 janvier 1937 un banquet est organisé

104 Ibid. p, 138105 Pierre Birnbaum, Un Mythe Politique: "la Republique Juive" : De Leon Blum A Pierre Mendes France. Paris, Gallimard,

1995, p. 201

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en l’honneur de la réélection d’André Février, député socialiste ; l’évènement se transformeen démonstration d’unité de la part des membres du Front Populaire, présents en grandequantité. Un article publié dans L’Echo de Paris à ce sujet reflète sans doute l’inspirationd’Hermann-Paul. Relatant le déroulement de la journée à Lyon, le journaliste indique queBlum s’est rendu dans un premier temps à une réunion rassemblant les socialistes avantde se rendre aux premières festivités à l’Hôtel de Ville, accueilli par Edouard Herriot : « Onvenait de vivre des minutes rouges ; il suffit de passer le Rhône pour retrouver, entre lahaie des troupes presqu’au garde à vous, une atmosphère presque nationale ». Le passaged’un registre à l’autre, de la condition d’homme de gauche à celui d’homme d’Etat soi-disant neutre suscite les plus grandes critiques.. La duplicité Blum nourrit inlassablement leséditoriaux d’André Tardieu ; dans la plupart il le surnomme « l’homme aux deux visages 106».

Léon Blum rassemble la plupart des critiques et catalyse la violence de celles-ci, à lafois en tant que figure de proue du Rassemblement populaire mais aussi à cause des sesorigines juives. Il est donc nécessaire d’établir la distinction entre les dessins relevant dela critique politique et ceux de la critique plus personnelle. Cela n’est pas toujours facilecompte tenu de la forte teneur allusive du dessin politique. Un dessin évoquant le « prophèteBlum » ou fournissant au personnage un chapeau de juif orthodoxe est-il nécessairementantisémite ? La religion du président du Conseil était connue de tous. Le fait que lesdessinateurs soient tentés de reprendre la riche symbolique iconographique du judaïsmeest-il répréhensible ?

Malgré le caractère subversif de la caricature et l’acception nécessaire de son but –choquer- on peut toutefois qualifier ces dessins d’antisémites dans la mesure où le lien estfait entre l’appartenance religieuse du chef de la SFIO et sa politique gouvernementale.Nous avions vu en deuxième partie qu’Edouard Herriot n’était pas épargné, notammentà travers l’incroyable exagération de son embonpoint. Ou encore qu’Albert Sarraut n’étaitautre que le singe de la République pour Roger Roy et Sennep. Les déformations physiquessont le propre de la caricature mais jusqu’où la caricature peut-elle aller dans l’exagération ?L’appartenance religieuse doit-elle échapper au crayon ravageur des caricaturistes ?

106 Tardieu, Gringoire, 11 septembre 1936 et 16 octobre 1936

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La tolérance vis-à-vis des objets de la caricature appartient à chaque société quiles délimite selon la loi. Le contexte politique des années 1930 explique bien entendu latolérance de ces dessins, qui seraient probablement censurés aujourd’hui. Il ne faut pasoublier non plus que ces dessins de presse sont le fruit de dessinateurs de droite plusou moins extrême qui collaborent avec des journaux plus ou moins extrêmes également.Nonobstant ces considérations contextuelles, le cas Léon Blum cristallise néanmoins lesquestions de liberté de la presse face aux provocations racistes ou homophobes, de l’impactde la dégradation de l’image par l’image et de la force des campagnes anti-démocratiquesen situation de crise par des moyens censés garantir cette même démocratie.

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Conclusion

Le discours caricatural que nous avons pu observer sur la période du Front populaire nousdonne un éclairage capital sur les rapports entre expression et extrémisme. Nous avonsretenu dans un premier temps pour cette étude la qualification de dessin politique incluantla dimension évènementielle et satirique de la caricature. Le panel médiatique à disposition,à savoir L’Echo de paris Gringoire et Je Suis Partout n’était, qui plus est, pas familier avecd’autres formes de satires – de mœurs par exemple. La presse des années 1930, fortementpolitisée offre donc un terreau d’une richesse inestimable pour les études de ce type. Lesdessins de presse et les caricatures politiques sont par essence un appel à la critique ;toutefois, leur ambivalence naît d’une propension inhérente également à l’utilisation d’undiscours réducteur. La forme même du dessin de presse à vrai dire empêche toute autreforme de communication. La forte dimension populiste du dessin de presse dans les années1930 est donc un élément essentiel à la compréhension des enjeux.

Après avoir vu toutes ces compositions, après avoir fait l’expérience visuelle du dessinsatirique, qu’en est-il de l’image des hommes que nous venons de voir déformés, ridiculisés,moqués ? Jacques Lethève, qui a exploré la caricature sous la IIIe république l’assure : « lacaricature éclaire et souvent renforce son action sur l’opinion »107.

La caricature des hommes que nous venons de côtoyer le temps de quelques imagesne cesse évidemment pas à la chute du premier gouvernement Blum. La victoire électoraledu front a occulté pour un temps les questions de politique internationale, qui retrouvent uneplace de choix dans le dessin de presse à partir de la rentrée 1937, reflétant les angoissesde la marche vers la guerre. Mais nous avons pu voir sur cette courte période commentl’actualité politique peut influencer la teneur des dessins de presse, et le dessin de pressecontribuer à l’agitation politique. Les leaders du Rassemblement populaire ont été de façonindifférenciée – par rapport à leur clan politique- la cible d’attaques répétées, ancrant dansl’opinion un discours appuyant les thèses de l’anticommunisme et de l’antiparlementarisme.Bien sûr, l’éventail très large des trois journaux sur lesquels nous avons basé notre étudenous oblige à relativiser cet impact, ne serait-ce vis-à-vis du tirage. Le plus extrême, JeSuis Partout, est le plus virulent mais aussi le moins lu. L’Echo de Paris, plus modéré,est sur le déclin durant la période de référence et la publication de dessins de presse estinterrompue sur une longue période. Finalement, Gringoire, qui est lui aussi un journalradical mais attirant une audience beaucoup plus large, est le plus susceptible d’avoir eu unimpact certains sur ses lecteurs et contemporains. La régularité des attaques et l’évolutionfulgurante du journal dans les années 1930 en font la plus grande menace.

Pourtant le journal, à travers les compositions de Roger Roy, a-t-il pour autant réussià mettre en péril les institutions, ou du moins les modifier comme le souhaitait le rédacteurAndré Tardieu ? Comme nous l’avions souligné en introduction, on ne peut pas décemmentprêter une telle influence à un journal. L’Action Française est capable de soulever les foules,Gringoire de contribuer au suicide d’un homme mais où se situe le pouvoir des dessins depresse face a telles conséquences ?

107 Jacques Lethève, La Caricature sous la III république, Paris, Armand Colin, 1986, 272, p. 3

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Conclusion

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L’influence du dessin se situe dans l’opinion qu’elle tend à forger par la puissance del’ironie et l’immédiateté du message. Ce qu’écrit Léo Larguier à propos de Sennep est aussivrai pour tous les dessinateurs de presse de l’époque : « Sennep n’écrit pas de longs rapport.Il lui suffit d’un alerte et vif dessin au-dessous duquel il sait mettre une ligne, quelques motsau vinaigre et au vitriol108. »

Sur la question de son influence sur le rapport entre liberté d’expression et démocratie,nous avons que la violence de certains dessins on pu en retour engranger des processuslégislatifs visant à réduite la liberté d’expression. Et c’est de ce point qu’il faut voir leproblème : ce n’est pas dans son influence directe que la caricature joue contre la libertéd’expression, ce n’est pas en soulevant les foules ou en contaminant le lecteur. Mais savéritable responsabilité réside dans l’irritation qu’elle peut créer dans certains régimes.

Nous ne pouvions terminer cette étude sans en venir au rôle de la caricatureaujourd’hui. L’affaire des caricatures de Mahomet publiées en France par le journal satiriqueCharlie Hebdo ont rappelé le pouvoir du dessin dans sa dimension choquante et lesimplications politiques qu’il pouvait susciter.

Aujourd’hui le dessin de presse toujours présent dans la presse, connaît un certaindéclin. Toujours à l’image des évolutions de la presse, la contraction du marché à aussiconduit à une réduction des dessinateurs et des dessins de presse. Il faut dire que la simplenécessité pratique du dessin de presse n’a plus lieu d’être suite à la généralisation de laphotographie de presse puis de la télévision. Les restrictions, en matière de diffamationnotamment, n’autoriseraient pas par ailleurs la publication de certains dessins que nousvenons de voir. Aussi sommes nous tentés de nous demander si l’écueil de l’image satiriquene peut se résumer en un paradoxe : l’image satirique, test démocratique, n’existe librementque si elle jouit des libertés fondamentales en matière de liberté d’expression. Elle inciteirrémédiablement alors, par ses multiples provocations, la restriction de cette même liberté.

108 Sennep, préface de Léo Larguier. Collection des Grands Humoristes (n°4) Monte-Carlo, Editions du livre, 1945, p. 2

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PORTRAITS A CHARGE : LEON BLUM ET LES LEADERS DU RASSEMBLEMENT POPULAIREDANS LE DESSIN POLITIQUE DE TROIS JOURNAUX DE DROITE : L’Echo de Paris, Gringoire, JeSuis Partout 1936-1937

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Bibliographie

Ressources sur la caricature

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Bertrand Tillier, A la charge! la caricature en France de 1789 à 2000, Paris, Editions del'Armateur , 2005, 255 p.

Hifzi Topuz, Caricature et Société, Tours, Mame, 1974, 136 p.

Ressources sur le dessin de presse

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Christian Delporte, « Document n°10 » in Sophie Cassagnes, Christian Delporte,Georges Miroux, Denise Turrel, Le commentaire de document iconographique enhistoire, Paris, Ellipses, 1996, p. 86-101

Christian Delporte, « Le dessinateur de presse, de l’artiste au journaliste », VingtièmeSiècle. Revue d'histoire , n°35, 1992, p. 29-41

Christian Delporte, Les Crayons de la Propagande : Dessinateurs et dessin politiquesous l’Occupation, Paris, CNRS Editions, 223 p.

Christian Delporte, « Blum, l’Europe et la Patrie Dans la Caricature des Années 1930 »in Gérard Bossuat et Liliane Perrein. Le#on Blum, Socialiste Europe#en: [Actes duColloque organisé par la Société des amis de Léon Blum]. Bruxelles: E#d. Complexe,1995, p. 201-223

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Bibliographie

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Jacques Lethève, La Caricature sous la III république, Paris, Armand Colin, 1986, 272p.

Hermann-Paul, Les maîtres humoristes, les meilleurs dessins, les meilleures légendes :Hermann-Paul, Paris, Société d’édition et de publications, 1908

Roger Roy, Nos Oiseaux par Roger Roy, Les éditions de France, 1936

Sennep, préface de Léo Larguier, Collection des Grands Humoristes (n°4) Monte-Carlo,Editions du livre, 1945

Ressources générales sur l’image

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Christian Delporte, Laurent Gervereau et Denis Maréchal, Quelle est la place desimages en histoire ?, Paris, Nouveau monde éditions, 2008

Laurent Gervereau (dir.), Dictionnaire mondial des images, Paris, Nouveau mondeséditions, 2006, p. 1119, entrée « caricature et dessin de presse » par ChristianDelporte p. 165-168

Laurent Gervereau, Voir, comprendre, analyser les images, Paris, La Découverte, 2004,191 p.

Françoise Juhel (dir.), Dictionnaire de l’Image, Paris, Vuibert, 2006, 398 p.

Solo, Catherine Saint-Martin (dir.), 5 000 dessinateurs de presse et quelques supportsen France de Daumier à nos jours, Paris, Té Arte, 1996, 688 p.

Ressources historiques sur la période et le FrontPopulaire

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Maurice Jaquier, Simple Militant, Paris, Les Lettres Nouvelles : Denoël, 1974, 356 p.

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PORTRAITS A CHARGE : LEON BLUM ET LES LEADERS DU RASSEMBLEMENT POPULAIREDANS LE DESSIN POLITIQUE DE TROIS JOURNAUX DE DROITE : L’Echo de Paris, Gringoire, JeSuis Partout 1936-1937

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Henry Noguère, La Vie Quotidienne en France au Temps du Front Populaire1935-1938, Hachette, 1977

Pascal Ory, La Belle Illusion. Culture et Politique Sous le Signe du Front Populaire1935-1938, Paris, Plon, 1994, 1033 p.

Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire de la Vie Politique Française au XXe siècle,PUF, 1995

Jean Vigreux, « Léon Blum vu par les communistes, 1919-2000 ». RechercheSocialiste, mars 2000, n°10, p 47-71

Ressources sur la presse et la presse de droite

Claude Bellanger (dir), Histoire Générale de la Presse Française, Tome 3: de 1871 à1940, Paris, PUF, 1972

Pierre-Marie Dioudonnat, Je Suis Partout 1930-1944, La Table Ronde, Paris, 1973

Pierre-Marie Dioudonnat, Les 700 Rédacteurs de ‘Je Suis Partout’ 1930-1944,Sedopols, Paris, 1993

Pauline Froissard, Henri Béraud du flâneur salarié au polémiste déclaré, mémoire de find’études en Histoire politique, Institut d’Etudes Politiques de Lyon, 2007,

Ilan Greilsammer, Blum, Flammarion, Paris, 1996

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Sites Web

Vincent Doumerc, « Léon Blum et le Front populaire face au attaques antisémites » inRmn (Réunion des musées nationaux), portail l’Histoire par l’image, adresse URL :http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?liste_analyse=791, consulté le17 mars 2010.

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Annexes

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