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  • 7/18/2019 Edition du jeudi 5 decembre 2013

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    LESANNONCESDELASEINE

    JournALoFFiCieLdAnnonCesLgALes- inFormAtionsgnrALes, JudiCiAireset teChniquesbi-hebdomadaire habilit pour les dpartements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne

    12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS - Tlphone : 01 42 60 36 35 - Tlcopie : 01 47 03 92 15Internet : www.annoncesdelaseine.fr - E-mail : [email protected]

    FondAteuren1919 : rentAnCrde - direCteur: JeAn-rentAnCrde

    Jeudi 5 dcembre 2013 - Numro 69 - 1,15 Euro - 94eanne

    Le Prsident Gilles Touvenin, qui a succd Didier Le Prado en janvier 2012, aprs Les principes essentiels lexercice de laprofession davocat au Conseil dEtat et la Cour

    de cassation , a consacr, lundi dernier 2 dcembre 2013,son discours Lindpendance des avocats aux Conseils .Investis dune mission de service public, les avocats auConseil dEtat et la Cour de cassation sont la foisavocats libraux et offi ciers ministriels.Avec un remarquable talent, lorateur, face uneprestigieuse assemble runie dans la GrandChambrede la Cour de cassation, a dmontr que, vertueux,indpendants, dsintresss et dvous en raison desgaranties professionnelles issues des rgles statutaires etdontologiques imposes par lOrdre des Avocats aux

    Conseils, les avocats au Conseil dEtat et la Cour decassation assuraient lgal accs de tous les justiciablesaux Cours suprmes et remplissaient pleinementleur rle de sentinelles dun systme juridique fond surle droit .Avant de cder la parole au premier Secrtairede la Confrence du Stage 2012/2013 ArmandKacenelenbogen, qui a brillamment retrac les grandeslignes de laffaire Lally-ollendal, le Prsident GillesTouvenin a cit le Chancelier dAguesseau afin deconvaincre ses confrres de la ncessit de chrir et deprserver quotidiennement le prcieux trsor quest notreindpendance sans laquelle il ne peut y avoir ni vritabledfense, ni vritable justice devant les cours suprmes .

    Jean-Ren ancrde

    Ordre des Avocats au Conseil dEtatet la Cour de cassation

    Confrence du Stage - Paris, 2 dcembre 2013

    PhotoJ

    ean-Ren

    Tancrde-Tlphone:01.42.60.36.35

    Bndicte Moulinier, Anne-Laure Valluis, Gilles Thouvenin, Nicolas Kilgus et Armand Kacenelenbogen

    RENTRESOLENNELLEOrdre des Avocats au Conseil dEtat et la Cour de cassation- Les avocats aux Conseils, intercesseurs du Droit

    par Gilles Thouvenin........................................................................ 2- Laffaire Lally-Tollendalpar Armand Kacenelenbogen ...............5

    ECONOMIESommet de lElyse pour la paix et la scurit en Afrique-Un partenariat pour lavenir ..................................................................10-15 propositions pour une nouvelle dynamique conomique

    entre lAfrique et la France................................................................... 11- Regarder lAfrique autrement par Franois Hollande ................ 13

    PASSATIONDEPOUVOIRSCongrs National des Experts-Comptables de Justice..........15

    AUFILDESPAGESLe guide 2014/2015 des expertises judiciaires ........................15

    ENVIRONNEMENTSocit de lgislation compare (SLC) Droits fondamentaux et gaz de schiste ........................................16

    ANNONCESLGALES...................................................22

    CHRONIQUE Un avocat aux Conseils en ses Cours :

    fragments dun discours amoureux par Jean Barthlmy.........26

    DCORATIONJean Barthlmy Officier de la Lgion dhonneur ...................31

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    2/322 Les Annonces de la Seine - jeudi 5 dcembre 2013 - numro 69

    Rentre solennelle

    Les avocats aux Conseils,intercesseurs du Droitpar Gilles Thouvenin

    A

    coups de bton Cest ainsi que, Rome, les esclaves taient affranchis.Conduits par leurs matres devantle prteur, ils recevaient de ce

    magistrat un coup dune baguette en boisappele vindicte , ce qui marquait leuraccession la libert.Lindpendance tait-elle ce point coupablequelle appelait, demble, une sanctionsymbolique ?Elle peut tout le moins paratre extravagantedans un monde o mme les Etats souverainsne sont pas pleinement indpendants.Lindpendance serait-elle de ces vertus qui ne

    vivent que dans notre imagination ?Sagissant des avocats au Conseil dEtat et la Courde cassation, leur indpendance se prsente deprime abord sous la forme dun paradoxe assezcruel : comment peut-on tre la fois avocat libral,cest--dire libr de toute hirarchie, et officierministriel, cest--dire investi de la mission decollaborer lexcution dun service public ?Deux tats aussi dissemblables peuvent-ilscoexister au sein dune mme personne sanslexposer aux dangers psychiatriques de laschizophrnie ?Si lavocat aux Conseils est reconnu dabordcomme un auxiliaire du service public de la justice,parler de son indpendance sonne au surpluscomme un acte de rbellion. Non contents ainsi,selon notre fire devise, dtre les seuls pouvoirregarder le soleil en face, nous prtendrionspouvoir nous soustraire ses rayons ?

    On pourrait alors lgitimement sinterroger sur lasant morale de notre profession.Et, pourtant, lindpendance est la vertu cardinaledes avocats aux Conseils, cest la poutre matresse deldifice, celle qui assure sa cohrence et sa solidit.Imprativement, nous devons tre la fois avocatslibraux et officiers ministriels pour accomplir lamission qui nous a t confie.La rsolution du paradoxe nous est, en ralit,offerte par le gardien tutlaire de notre Ordre,celui dont le buste vnrable trne dans notrebibliothque. Lauteur desPhilippiques, Cicron,nous rappelle que lindpendance et le refusde lobissance nont de raison dtre que silssont au service de la dfense et de la justice,

    cest--dire du bien commun. Lindpendanceindividuelle na de sens que si elle contribueau respect de valeurs transcendantes quisatisfont lintrt gnral. Laffranchissementpermet alors de servir au mieux les intrts deceux-l mmes desquels on entend saffranchir.Nouveau paradoxeComme la dit Oscar Wilde le chemin desparadoxes est le chemin du vrai. Pour prouverla ralit, il faut la voir sur la corde raide .Empruntons donc un tel chemin et mettons lpreuve les vertus de lindpendance desavocats aux Conseils.

    I LES VERTUS DE LINDPENDANCE

    DES AVOCATS AUX CONSEILSQuelle sexerce de manire interne etindividuelle, cest--dire au sein des cabinetset dans le for intrieur de chaque avocat,ou de manire externe et collective, cest--dire en dehors des cabinets par le biais de la

    communaut des avocats constitue en ordre,notre indpendance est vertueuse.Notre indpendance est vertueuse car elle serttout aussi bien la dfense, cest--dire lintrtdes justiciables, que la Justice, cest--direlintrt gnral.

    Les vertus de lindpendance interneAu titre de lindpendance interne,charitbien ordonne commence par soi-mme.Le premier devoir de lavocat aux Conseils,lorsquil est sollicit, est dimposer unedistance par rapport ses propres prjugset ses propres passions afin daccueillir avecbienveillance les causes qui lui sont soumises.Il doit regarder en lui-mme comme lauraitdit un Baudelaire et considrer que Je est unautre la manire dun Rimbaud. Ce soliloqueintrieur, combien de fois lavons-nous tenupour mettre de ct, le temps de linstructiondun dossier, nos convictions intimes ?Cette premire dissociation assure un gal accsde tous les justiciables aux Cours suprmes,rpondant ainsi la vocation dmocratiqueet non aristocratique quelles se sont donnes,tout en garantissant aux justiciables une dfenseobjective fonde sur le Droit.Il est une autre indpendance que les avocats auxConseils se doivent de prserver : cest celle quisexerce lgard de ceux qui, bien souvent avocatseux aussi, nous transmettent leurs affaires avec, onle devine, des sentiments mls de soulagement etdinquitude. Il nous faut alors rsister la tentationtoujours facile de suivre sans discernement lessuggestions qui nous sont, par ailleurs, souventlgitimement proposes.Ce regard extrieur et neuf pos sur ledossier permet l encore de dvelopper une

    argumentation objective chappant auxcontingences propres au dbat devant lesjuges du fond, mais aussi de librer la crativitjuridique au service tant de ceux que nousdfendons que des juridictions suprmes ausein desquelles se forge la jurisprudence.L o lindpendance des avocats aux Conseilsest soumise la plus rude preuve, cest lgardde ceux qui sont les plus directement concernspar le sort des litiges, ceux avec qui se nouentdes relations faites tantt de confiance et decomplicit, tantt de passions et de tumultes.Nos clients.Mme si la tche est loin dtre aise, lavocat auxConseils doit sefforcer de rsister aux desiderata

    et aux emportements de ses mandants qui, biensouvent on le sait, desservent leurs propres intrts.Il lui faut ainsi cultiver une saine distanciationpar rapport ses clients en appliquant unemthode toute cartsienne qui consiste nepas prendre pour soi ce qui nest pas soi et enrefusant ainsi toute assimilation avec ceux quildfendEntretenir cette indpendance vis--visde nos mandants nest pas seulement lemeilleur moyen de dfendre leurs intrts,cest aussi collaborer efficacement la bonneadministration de la justice en exerant cerle de filtre , si essentiel notre missionqui exige de ne pas soumettre aux juridictions

    suprmes des pourvois tmraires ou vous lchec, et dallger leurs charges afin quelles seconsacrent pleinement leur mission de Coursrgulatrices du droit.Cette double vertu de lindpendance auservice des intrts particuliers des clients et

    LESANNONCESDELASEINESige social :

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    Directeur de la publication et de la rdaction :Jean-Ren Tancrde

    Comit de rdaction :

    Thierry Bernard,Avocat la Cour, Cabinet BernardsFranois-Henri Briard,Avocat au Conseil dEtatAgns Bricard, Prsidente de la Fdration des Femmes AdministrateursAntoine Bullier, Professeur lUniversit Paris I Panthon SorbonneMarie-Jeanne Campana, Professeur agrg des Universits de droitAndr Damien,Membre de lInstitutPhilippe Delebecque, Professeur de droit lUniversit Paris I Panthon SorbonneBertrand Favreau, Prsident de lInstitut des Droits de lHomme des Avocats Europens,ancien Btonnier de BordeauxDominique de La Garanderie,Avocate la Cour, ancien Btonnier de ParisBrigitte Gizardin,Magistrat honoraireRgis de Gouttes, Premier avocat gnral honoraire la Cour de cassationChlo Grenadou,Juriste dentrepriseSerge Guinchard,Professeur de Droit lUniversit Paris II Panthon-AssasFranoise Kamara, Conseiller la premire chambre de la Cour de cassationMaurice-Antoine Lafortune,Avocat gnral honoraire la Cour de cassationBernard Lagarde,Avocat la Cour, Matre de confrence H.E.C. - EntrepreneursJean Lamarque, Professeur de droit lUniversit Paris II Panthon-AssasChristian Lefebvre,Prsident Honoraire de la Chambre des Notaires de ParisDominique Lencou,Prsident dHonneur du Conseil National des CompagniesdExperts de JusticeNolle Lenoir,Avocate la Cour, ancienne MinistrePhilippe Malaurie, Professeur mrite lUniversit Paris II Panthon-AssasJean-Franois Pestureau,Expert-Comptable, Commissaire aux comptesGrard Pluyette, Conseiller doyen la premire chambre civile de la Cour de cassationJacqueline Socquet-Clerc Lafont,Avocate la Cour, Prsidente dhonneur de lUNAPLYves Repiquet,Avocat la Cour, ancien Btonnier de P arisRen Ricol,Ancien Prsident de lIFACFrancis Teitgen,Avocat la Cour, ancien Btonnier de ParisCarol Xueref,Directrice des affaires juridiques, Groupe Essilo r International

    Publicit :Lgale et judiciaire :Didier ChotardCommerciale :Frdric Bonaventura

    Commission paritaire : n 0718 I 83461I.S.S.N. :0994-3587Tirage :13 196 exemplairesPriodicit :bi-hebdomadaire

    Impression :M.I.P.3, rue de lAtlas - 75019 PARIS

    Copyright 2013

    Les manuscrits non insrs ne sont pas rendus. Sauf dans les cas o el le estautorise expressment par la loi et les conventions internationales, toute re-production, totale ou partielle du prsent numro est interdite et constitue-rait une contrefaon sanctionne par les articles 425 et suivants du Code Pnal.

    Le journal Les Annonces de la Seine a t dsign comme publicateur ofciel pourla priode du 1erjanvier au 31 dcembre 2013, par arrts de Messieurs les Prfets:de Paris, du 27 dcembre 2012 ; des Yvelines, du 31 dcembre 2012 ; des Hauts-de-Seine,du 31 dcembre 2012 ;de la Seine-Saint-Denis, du 27 dcembre 2012 ;du Val-de-Marne,du 27 dcembre 2012 ; de toutes annonces judiciaires et lgalesprescrites par le Code Civil, les Codes de Procdure Civile et de Procdure Pnaleet de Commerce et les Lois spciales pour la publicit et la validit des actes deprocdure ou des contrats et des dcisions de justice pour les dpartements de Paris,des Yvelines, de la Seine-Saint-Denis , du Val-de-Marne; et des Hauts-de-Seine .N.B. : Ladministration dcline toute responsabilit quant la teneur des annonces lgales.

    -Tarifs hors taxes des publicits la ligneA) Lgales :

    Paris : 5,48 Seine-Saint-Denis: 5,48 Yvelines : 5,23 Hauts-de-Seine : 5,48 Val-de-Marne : 5,48

    B) Avis divers : 9,75C) Avis nanciers : 10,85 D) Avis relatifs aux personnes :Paris : 3,82 Hauts-de-Seine : 3,82 Seine-Saint Denis : 3,82 Yvelines : 5,23 Val-de-Marne : 3,82 - Vente au numro :1,15 - Abonnement annuel :15 simple35 avec supplments culturels95 avec supplments j udiciaires et culturels

    CompositiondesAnnonCesLgALesnormestypogrAphiques

    Surfaces consacres aux titres, sous-titres, lets, paragraphes, alinas

    Titres :chacune des lignes constituant le titre principal de lannonce sera compose en capitales (oumajuscules grasses) ; elle sera lquivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi 4,5 mm.Les blancs dinterlignes sparant les lignes de titres nexcderont pas lquivalent dune ligne de corps6 points Didot, soit 2,256 mm.Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de lannonce sera compose en bas-de-casse(minuscules grasses) ; elle sera lquivalent dune ligne de corps 9 points Didot soit arrondi 3,40 mm.Les blancs dinterlignes sparant les diffrentes lignes du sous- titre seront quivalents 4 points soit 1,50 mm.

    Filets :chaque annonce est spare de la prcdente et de la suivante par un let 1/4 gras. Lespace blanccompris entre le let et le dbut de lannonce sera lquivalent dune ligne de corps 6 points Didot soit2,256 mm. Le mme principe rgira le blanc situ entre la dernire ligne de lannonce et le let sparatif.Lensemble du sous-titre est spar du titre et du corps de lannonce par des lets maigres centrs. Le blancplac avant et aprs le let sera gal une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm.

    Paragraphes et Alinas :le blanc sparatif ncessaire an de marquer le dbut dun paragraphe o dunalina sera lquivalent dune ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces dnitions typographiquesont t calcules pour une composition effectue en corps 6 points Didot. Dans lventualit o lditeurretiendrait un corps suprieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.

    2012

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    au service de lintrt gnral du public, on laretrouve galement lorsquelle sexerce hors lesmurs de nos cabinets.

    Les vertus de lindpendance externe

    Lindpendance vis--vis de ltattout dabord.Cest tout lhonneur de notre dmocratie quede constater que les avocats aux Conseils sontindpendants des gouvernements depuis fortlongtemps.Nous ne sommes plus lpoque des empereursqui, au premier sicle avant notre re, faisaientassassiner les avocats pour leurs diatribes ouqui, au XIXme sicle, souhaitaient que l onpuisse couper la langue un avocat sil sen sertcontre le gouvernement .Ces relations sont dsormais si parfaitementapaises quil serait impertinent de mettre endoute leur qualit.Il est une autre indpendance traditionnelle

    des avocats aux Conseils par rapport lautoritpublique : cest celle qui leur est reconnuevis--vis des juridictions suprmes. Une telleindpendance est ici encore dautant plusaccepte que la mme vertu est partage par tousles membres des Cours suprmes.En vrit, ce nest pas tant lgard des autoritsconstitues que les avocats aux Conseilsdoivent dsormais revendiquer et cultiver leurindpendance. Il est dautres pouvoirs plus diffus,plus subtils mais non moins forts auxquels ilsdoivent se garder de succomber pour mieuxservir la mission qui leur a t confie.Je veux parler tout dabord de ce nouveau soleilautour duquel semble graviter lensemble des

    acteurs de notre systme le march, oui lemarch, son expansion parat illimite et ses loisont, semble-t-il, vocation tout rgir. La vocationdes avocats aux Conseils est tout au contraire dersister son attraction.Notre Ordre promeut une ide simple, celle

    en vertu de laquelle le droit, qui constitue lamatire premire de nos prestations, nest pas unemarchandise interchangeable sur un march dontle seul intrt serait de crer le profit. La course larentabilit et la croissance capitalistique na aucun

    sens dans notre Ordre.Il ne sagit pas ici daffirmer que les avocatsaux Conseils doivent tre hors du mondeconomique, ce qui serait irraliste, mais quilsdoivent sefforcer dchapper lemprise dunelogique mercantile qui les contraindrait, parsouci de rentabilit, multiplier le dpt despourvois ou augmenter leurs honoraires et,finalement, abaisser la qualit de leurs services.Lindpendance des avocats aux Conseils lgard des rgles du march leur permetdassurer lgal accs de tous les justiciablesaux Cours suprmes, de leur apporter une

    vritable plus-value moindre cot, mais ausside remplir pleinement leur rle de sentinelles

    dun systme juridique fond sur le droit.La rentabilit nest pas la seule tentation quiguette lavocat aux Conseils. Il pourrait galementsuccomber aux charmes, combien persuasifs,de la popularit. Redoutable sirne car, si lemarch est roi, Pascal nous a appris que lopinionpublique tait comme la reine du monde .Ce tribunal indpendant de toutes les puissanceset que toutes les puissances respectent , selon lemot de Malesherbes, privilgie lmotion etsduit en promettant celui qui le courtise laplus large des publicits. Sachons garder nosdistances face cette changeante desse comme lavait qualifie Balzac.Chaque fois quune tribune mdiatique nous

    est offerte, il convient toujours de privilgierla rhtorique de linformation celle de lacommunication et de faire oeuvre de pdagogieplutt que de dmagogie. Nous devons sanscesse expliquer et non chercher plaire,imposer le temps de la rflexion plutt que de

    subir les caprices de linstantanit, prfrer laprudence et la retenue lostentation.Cest ce prix et ce prix seulement quenous pourrons remplir pleinement notrerle d intercesseur du droit au service de

    la communaut. Il nous appartient de ne pasflatter les passions humaines, mais bien pluttde les interprter avec sollicitude et altruismepour en tre les authentiques mdiateursauprs des Cours suprmes. Ce nest qualorsque nous pourrons servir au mieux non paslopinion publique mais tout simplement lepublic qui constitue la finalit ultime de notremission.Si, interne ou externe, lindpendance desavocats aux Conseils est vertueuse, en ce quellesert tant les intrts des justiciables que ceux dela justice, cette indpendance doit tre protge.Elle est protge. Notre droit lassortitde multiples garanties qui en assurent la

    permanence et la solidit.

    II LES GARANTIES DE LINDPENDANCEDES AVOCATS AUX CONSEILSCes garanties sont professionnelles etinstitutionnelles.Les garanties professionnellessont celle issuesdes rgles, tant statutairesque dontologiques,propres notre profession.La premire des garanties statutairesest lalimitation de nos effectifs. Elle nous permetdtre indpendants financirement vis--visde nos clients en nous procurant un volumede dossiers suffisant pour ne pas dpendredun seul apporteur daffaires. Elle constitue

    galement une garantie contre toute tentationde crotre de manire capitalistique et nousprserve ainsi des affres de la logique du marchet de la rentabilit tout prix.La seconde des garanties statutaires est notre officeministriel. Cest parce que nous sommes officiers

    Rentre solennelle

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    Gilles Thouvenin

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    ministriels que nous ne sommes pas soumis la libert des prestations de services et la libertdtablissement prvues par les rgles europennes.Loffice ministriel nous protge ainsi dun libre jeuconcurrentiel o toutes les parties, juges, avocats,

    justiciables seraient perdantes.Et cette protection se retrouve jusque dans la cessionde loffice dont le prix est agr, contrl par laChancellerie, ce qui vite spculation et marchandage.Des offi ciers en nombre restreint pour une plusgrande protection de lEtat de Droit Voil unequation que devrait nous envier le Ministrede la Dfense.Lindpendance des avocats aux Conseils estgalement garantie par tout un rseau de rglesdontologiques que lon peut regrouper autourde deux principes cardinaux : le dsintressementet le dvouement.Le dsintressement est une vertu qui nouspermet dabord dentretenir notre indpendance

    vis--vis de nos clients. Mfions-nous, en effet, denos clients lorsquils nous offrent des cadeaux.La trs ancienne prohibition du pacte dequota litiscomme linterdiction plus gnralede tirer profit des affaires de nos clientsgarantissent notre indpendance matrielle etdonc intellectuelle lgard des plaideurs. Laprohibition de toute forme de publicit, quant elle, nous prmunit contre la tentation desduire lopinion publique et de rentrer dansune prilleuse logique mercantile.Le dmarchage comme le racolage doiventnous rester trangers.Lindpendance des avocats aux Conseils estensuite garantie par le dvouementquils doiventdontologiquement leurs clients (Loysel disaitque ltat davocat dsire son homme tout entier ).

    Les incompatibilits qui frappent la profession, luiinterdisant notamment des cumuls intempestifsavec des activits commerciales, mais aussiladhsion tout rseau interprofessionnel, ontpour vocation de permettre aux avocats auxConseils de consacrer pleinement leur temps leurs affaires et den matriser parfaitement lecours, sans devoir en rendre compte dautrespersonnes que leurs clients ou lOrdre auquel ilsappartiennent.Les rgles dontologiques prohibant toutconflit dintrt garantissent de la mmemanire que les avocats aux Conseils dfendentexclusivement les intrts de leurs clients sansrisque que des influences extrieures alinentleur jugement.Enfin, gnrale et absolue, la protection dusecret professionnel, que mme la lutte contrele blanchiment de capitaux et le financementdu terrorisme ne peuvent remettre en cause,prserve les avocats aux Conseils de touteingrence illgitime dans la dfense de leursclients.Beaucoup de garanties dj mais, cesgaranties dordre professionnel, sajoutent desgaranties institutionnelles qui renforcent encore,en lui donnant toute sa lgitimit, lindpendancedes avocats aux Conseils.

    Les garanties institutionnellesde lindpendanceLes garanties institutionnelles sont pluriellesmais il est dsormais temps daller vite.Lessentiel de ces garanties institutionnellesrside - on nest jamais si bien servi que parsoi-mme - dans lexistence mme de lOrdredont la vocation primordiale est de dfendrelindpendance de ses membres.

    LOrdre y veille de deux manires.Dabord, en tant que corps gr de manireautonome : mme sil est domicili dans leslocaux de la Cour de cassation, lOrdre desavocats aux Conseils sadministre librement,matrise son tableau, arrte son budget et gnresa propre rglementation.Ensuite, lOrdre veille lindpendance de sesmembres lorsque, sous le contrle des courssuprmes, il exerce un pouvoir disciplinaire quilui permet de sanctionner de manire impartialedventuels manquements au devoir dindpendance.Lindpendance, en effet, nest pas un privilgemais dabord et avant tout une obligation.Evoquer la sanction du devoir dindpendance,nous ramne ce rituel romain (ou vindicatif)que jvoquais au dbut de ce discoursUne fois battu, lesclave nouvellement affranchise voyait tout de mme offrir une rcompensesous la forme dun bonnet lepileus secondsymbole, aprs le coup de bton, de son accession la libert. Ce couvre-chef, qui ntait pas trsloign de notre bonnet phrygien, est devenu,au fil du temps, la toque des avocats, dont le porta toujours t le symbole de leur indpendance.Je ne vous proposerai pas ici de remettre cetusage la mode Dautres sen sont toutrcemment chargsJe souhaite seulement vous convaincre de lancessit de chrir et prserver quotidiennement ce prcieux trsor , selon la belle formuledu Chancelier dAguesseau, quest notreindpendance, sans laquelle il ne peut y avoir ni

    vritable dfense, ni vritable justice devant lesCours suprmes.Cultiver cette vertu, cest se mettre au service desplus grands idaux.

    Rentre solennelle

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    Bernard Stirn, Jean-Claude Marin et Jean-Marc Sauv

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    Laffaire Lally-Tollendalpar Armand Kacenelenbogen

    Sur une terre rouge, gaye par quelques

    manguiers, les Franais ont tir une villeau cordeau.Pondichry ! Les fines colonnades de ses villas

    jaunes ou blanches feraient presque oublier la chaleurqui sabat en grumeaux.Cest le sicle des Lumires, en Inde.Lempire mogol smiette : des nababs, lointainsvassaux de lempereur, se disputent une poussiredtats.Ces princes naiment pas la mer ; ils laissent lesEuropens riger des comptoirs sur les ctes1.Cotonnades, poivre ou cannelle viennent ainsicolorer lOccident.En ville, les marchands malabars, qui rentrent chezeux dans un palanquin orn divoire, suivi dun

    orchestre, croisent les lgantes en mousseline2

    .Au milieu du XVIIImesicle, une guerre menace cebel chiquier.En Angleterre, un puissant mouvement incite chasser les Franais dAmrique du Nord, o leurspossessions empchent la progression vers lOuest3.Pour la premire fois, on savise quil faut frapperlennemi partout o ses intrts fleurissent.Cette guerre de Sept ans sera mondiale avant lheure.Ds lors, puisquon se dispute la valle de lOhio, il fautaussi aller livrer bataille sur la cte orientale de lInde.Les Anglais prennent la main, en faisant tomberChandernagor, la ville de la Lune .Il est temps de ragir, car plus bas sur la cte,Pondichry est menace.

    Le pril est encore intrieur : le comptoir franais estdirig par un conseil dont les membres semploient charger des vaisseaux pour leur propre compte.Du sucre, de lor ou de lopium croisent ainsi deCanton Bassorah, au grand dam de la Compagniedes Indes qui les a dsigns.

    Affronter lennemi et reprendre en main le comptoir : Versailles, le nom de Tomas-Arthur, comte deLally-ollendal simpose.Ce gnral, descendant de jacobites irlandais, sest

    illustr Fontenoy.Il est brave et surtout incorruptible, prne la guerre demouvement, la dteste en dentelles, dort tout habillsur le sable lorsquil est en campagne4. Les manires de France,disait Madame de Lafayette,plaisent toutes les nations 5.Lui a le parler dru, le propos carabin.Il doit cependant composer avec les moyens limitsquon lui compte.Sans doute, il est nomm la tte des tablissementsfranais aux Indes orientales, avec les pleins pouvoirspour rtablir lordre et chasser lennemi.Mais il nobtient pas le commandement naval, quiest confi au prudent comte dAch : jamais les deuxhommes ne sentendront.

    Et sur les six millions de livres quon lui promet, seulsquatre sont avancs : les caisses sont vides.Le voyage est trs long aussi : il faut quitter la Bretagneen plein hiver, puis contourner lAfrique tempspour se laisser porter, jusquau golfe du Bengale, parla mousson du sud-ouest qui souffl e davril octobre6.Le 28 avril 1758, aprs quatorze mois de navigation,Lally arrive enfin Pondichry.Il dcouvre le Conseil de la ville trs attach ltiquette.Escorte, parasols, couleurs des coussins et jusquauxglands dors sont strictement rglements selon lesgrades7.Les tambours et les trompes ont peine fini de saluerlarrive du gnral, et le voil qui demande les livres

    de compte.Linimiti sera immdiate.Qu cela ne tienne, sans tarder, Lally part en campagne.Les dbuts sont prometteurs : un mois aprsson arrive, les Franais se rendent matres dunimportant fort anglais sur la cte.

    Mais dj largent vient manquer, et le gnral paieses hommes sur sa cassette personnelle.Le pre Lavaur, suprieur des Jsuites, lincite allerranonner un prince indigne, qui serait crancier de

    la Compagnie des Indes.Or non seulement cette expdition ne rapporterien, mais quatre Indiens, qui passent pour tre desespions, sont excuts.Les Indiens taient des brahmanes : dans un payso la courtoisie spuise en politesses, loutrage estconsidrable.Quand Lally rentre Pondichry, cest pour y trouverla famine provoque par la scheresse.Enfin, le gnral commet une erreur en faisantrappeler auprs de lui Charles de Bussy.Cest un aventurier habile qui rgne en seigneur dansle centre de la pninsule.Il y a acquis une immense fortune sans scrupulesexcessifs.

    Si Lally sassure par l du contrle des oprations, ildgarnit une rgion stratgique.Les vents sont par trop contraires.Le 10 octobre, il crit au ministre : Je demande () de quitter un pays pour lequel jene suis point fait et dont les habitants ne sont pas faitspour moi. Je suis malheureusement arriv trop vieuxpour en contracter la contagion, et jespre que vousme trouverez aussi honnte homme en arrivant, queje ltais quand je vous ai quitt8.Mais quoi bon ce courrier, qui arrivera Versailles,au mieux, au printemps ?Dans son jeu, il est toutefois une carte dont il ne sestpas avis.Cest ladmiration de ses hommes, ces offi ciers qui le

    suivent et lencouragent depuis les polders hollandais.Leur soutien lui font reprendre ses accents toniques.Avec 2 700 hommes, il part faire le sige de Madras,la place forte des Anglais, quarante lieues au nord.Dans ce pays au climat excessif, cest la mousson quiembourbe cette fois les soldats.

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    Armand Kacenelenbogen

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    6/326 Les Annonces de la Seine - jeudi 5 dcembre 2013 - numro 69

    Les troupes parviennent cependant prendre la villebasse.Mais leurs coups de poudre ne suffi sent qu fairetinter la ville haute.Ce sont les vaisseaux de lescadre franaise quimanquent cruellement.Or sils ne paraissent pas, cest parce que la moussoncontraire leur interdit de remonter depuislle Maurice9, o ils ont pris abri.Lally parvient tout de mme ouvrir une brche.Au moment mme, six puissants vaisseaux de laNavy viennent mouiller dans la rade et bombardentles Franais.Cest la retraite.Au retour, largent fait toujours dfaut, le Conseil de

    Pondichry se dresse contre les enqutes du gnral,et cest bientt au tour des Anglais dassiger la ville.Pour organiser le rationnement, Lally fait fouillerdautorit les demeures o les victuailles sentassent.Les rumeurs, les placards anonymes insinuentquavec ses prises, le gnral constituerait bas bruitses propres cargaisons.Pendant six mois, il oppose pourtant une rsistancehroque.Il fait fondre sa vaisselle pour payer ses soldats, asscheles douves pour en recueillir le poissonEt toujours il espre larrive de lescadre.Il y a du Robinson Cruso chez cet homme.Mais lamiral dAch, lui, sest retir aux Mascareignes.Il na jamais voulu, pour des cotonnades, exposer

    ses vaisseaux dans une rade inhospitalire o ilspourraient se briser.Lorsquun cyclone finit par ensabler la flotte qui luireste, dAch prfre rentrer en France et plaider lecas fortuit.Louis XV dira que les seules marines que nous ayonssont celles du peintre Vernet10.Pendant ce temps, bombard, affam, Pondichryest bien isol.La place capitule en janvier 1761, et Lally est faitprisonnier de guerre.out juste son adversaire anglais lautorise-t-il emporter deux malles et son lit.Quant la ville, elle est traite comme une arme deguerre.

    La Compagnie des Indes anglaise la fait raser.Elle ne veut pas que, dans le cadre du trait de paixque lon pressent, le comptoir soit restitu la Franceavec sa puissance passe11.Alors que Lally est transfr Londres, ce quil restede la colonie rentre Paris.

    Bussy y est depuis six mois.Les membres du conseil de Pondichry, les agentsde la Compagnie des Indes et leurs familles suivent. Versailles, cest un dfil daigris.Les actionnaires de la Compagnie agitent leurs titresdprcis.Lally a pill, Lally a trahi, Lally est coupable de lse-majest.Dans sa prison anglaise, le gnral bout dimpatience.Il demande, et il obtient, de rentrer en France poursexpliquer.Un mois peine aprs son arrive en Angleterre, ilest Calais, do il gagne Paris.Mais il na pas mesur lhostilit de lopinion.Au Canada, aux Antilles, les dfaites saccumulent.

    Le duc de Choiseul, arriv aux affaires, se faitphilosophe : force daller mal, tout ira bien 12.Mais sous peu, ce sera lhumiliant trait de Paris, quinous fait perdre les arpents de neige dAmriquedu Nord13. la Comdie Franaise, on se consolera en faisant untriomphe une obscure tragdie, Le Sige de Calais,o le noble cur franais terrasse la sournoiserieanglaise14.Les Philosophes sont consterns.Cest dans ce climat tendu que Lally dnonce leconseil de Pondichry et ses prvaricateurs.En retour, ses membres sestiment outrags, etdemandent rparation au roi.Face ses accusateurs, le gnral cherche prouver

    trop : dans ce sicle o la plume abat, ses motslacrent, et il indispose ses propres soutiens.Ltoile de la marquise de Pompadour, qui lavaitsoutenu, a pli.Choiseul ne veut pas sembarrasser dun vaincu : ilaime mieux ne pas le recevoir.Louis XV, si souvent hsitant, finit par cder.Une lettre de cachet embastille Lally.oujours droit, il ne cherche pas esquiver.Mais ce quil ignore, ce sont les annes de rclusionqui lattendent.Puisque cest en vertu dune lettre de cachet quil a tarrt, il ne bnficie pas de lune des rares garantiesde lordonnance criminelle de 1670 : le droit dtreentendu par un juge dans les vingt-quatre heures de

    lemprisonnement 15

    .Ce nest quau bout de dix-huit mois que le gnralsera interrog pour la premire fois16.Encore cet change sera-t-il de pure forme.Lally se retrouve seul face une procdure et deshommes quil ne connat pas.

    Car linstruction est secrte, et lavocat en est exclu.Pour notifier des charges, nul dlai.Quant la phase de jugement, elle se tient huis clos,aucun tmoin ny est entendu, et si laccus peut enfindsigner un conseil, cest seulement pour rdiger descritures.Lavocat ne plaide pas en matire criminelle.Voil un domaine o le sicle de Louis XIV staitsouci dgalit : il avait supprim lavocat pour assurer tous le mme traitement !17Limportance de laffaire, la qualit doffi cier suprieurde Lally conduisent le roi, par lettres patentes, renvoyer la cause devant le parlement de Paris, quitient lieu alors de cour dappel.Le parlement devra statuer, en premier et en dernierressort, sur tous les dlits commis dans les Indesorientales soit avant, soit depuis lenvoi des troupessous la conduite du sieur de Lally 18.Mais cest surtout le gnral qui est vis parlinstruction.Un fait la marque.Le pre Lavaur, le jsuite dont Lally avait fait sonconfident Pondichry, dcde.Dans sa chambre, une mauvaise valise, dans laquelleon trouve un pais journal.Or ce carnet accable Lally : il voque la haine contreM. de Bussy et linsatiable dsir dargent du comtequi aurait absorb toutes ses ides, ses rflexions ()et servaient de mobiles 19.Le religieux ajoute quavec la perte de Pondichry, M. de Lally tait parvenu son but 20.Avec le recul, il est pourtant diffi cile de croire que cejournal na pas t crit aprs coup.Comment un homme qui navait cess, sur le terrain,dappuyer laction de Lally aurait-il pu, au jour le jour,le charger avec une telle frocit ?Linstruction est confie au rapporteur Denis LouisPasquier.

    Cest un homme svre et rigide, pntr delimportance de sa mission, qui impressionne sescollgues.Cest lui qui, dj, avait rapport contre Damiens,lauteur du coup de lame qui avait tant chagrin le roi.Cest lui encore qui devait entraner ses collguescontre le chevalier de La Barre.Or Pasquier croit beaucoup au journal du preLavaur.Il croit encore aux tmoins qui se succdent dansson cabinet, et dont nombre sont pourtant lesdnonciateurs de Lally.Les autres tmoins dclarent surtout que personnenignorait , que tout le monde disait , ou que lesoupon tait public

    Si les anciens conseillers de Pondichry dcrivent lenvi un traitre, il ne se trouve pas un militaire pouravancer ce terme contre le gnral21.Quant laccus, enferm dans la Bastille bouillantelt, glaciale lhiver, qui ne peut toujours passexpliquer, il se dchane.On finit par lui accorder la visite de son mdecinpersonnel, le docteur Hostie.Pour calmer un dbordement de bile , il lui ordonnede prendre du poisson ses repas, soit soles, merlans[et] carrelets 22.Le remde est inoprant.Lorsquenfin Lally est confront aux tmoins, ilexplose en invectives contre des hommes qui ne luiinspirent que du dgot.

    Pasquier peine entendre ceux qui ne parlent passa langue.Il en vient mme demander quun conseil puisseassister laccus ; mais cette faveur est refuse.Aprs trois ans et demi, il dpose enfin son rapport.Lally nest ni un voleur ni un traitre.

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    Remise du premier prix de lOrdre des Avocats aux Conseils par Christine Maugu Armand Kacenelenbogen 1erSecrtaire de la Confrence du Stage

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    7/32Les Annonces de la Seine - jeudi 5 dcembre 2013 - numro 69 7

    outefois, crit le rapporteur, il a constammentabus de ses pouvoirs dans lInde et a dtermin lacatastrophe 23.Certes, aucun fait pris isolment ne justifie unecondamnation.Mais il ne sagit pas de dlits simples qui naffectentque les particuliers : il faut donc examiner lensemble.Et cet ensemble, le rapporteur en fait un crime delse-majest.Lally aurait prfr les noires passions de la haine, aubien rel de la colonie, de sorte quil ne mrite pasdtre conserv au rang des humains, seule cettepunition clatante pouvant essuyer les larmes deceux quil a rduits la dernire misre24.Les erreurs de loffi cier sont devenues des fautes, etces fautes un crime.Face ces charges, laccus peut enfin choisir unconseil, sans toutefois pouvoir le rencontrer.Seule la premire partie du mmoire de son avocatparviendra aux conseillers.Le lundi 5 mai 1766, quelques pas dici, laudienceest ouverte devant la Grand Chambre du parlementde Paris, six heures du matin.Lally est contraint de sasseoir sur la minuscule selletteface ses trente-trois juges et limmense bois peintde la Crucifixion qui surplombe lensemble.Il tonne contre les conseillers : vous navez aucunecomptence pour vous prononcer sur la conduitedune guerre.Le Prsident se borne lui rappeler les griefs formulscontre lui ; Lally dnie.On lui demande de sarrter : laccus est ramen la Bastille.Le rapporteur, qui sige dans la formation dujugement, est le seul avoir vritablement lu les sacsde la procdure.On fait donc fond sur lui.Le lendemain, en fin de matine, Lally est dclar

    coupable davoir trahi les intrts du Roi, de sontat et de la Compagnie des Indes, dabus dautorit,vexations et exactions envers les sujets du Roi ettrangers, pour rparation de quoi il est condamn avoir la tte tranche .Nulle motivation nest requise : larrt nen comportedonc pas.Quant au dispositif, il est ce que les juges ont vouluen faire, car ce sont eux qui ont dtermin les dlitset les peines.Lordonnance criminelle prescrit en tout cas queles sentences soient excutes le jour mme dujugement afin quune trop longue attente naugmentepas la peine du condamn 25.Lally aurait volontiers patient un peu.

    Le premier prsident Maupeou lui consentseulement un dlai de trois jours pour que la grcesoit demande.Une requte en cassation est inutile, puisquelle nesuspend pas alors lexcution .Cest seulement la loi des 16 et 29 septembre 1791qui rendra le pourvoi suspensif en matire pnale27.Jamais plus ce principe ne sera remis en cause28.Lally sollicite donc la grce, mais le roi ne veut pasajouter au conflit qui loppose au parlement de Paris.Comme souvent, il laisse faire.La suite relve de la litanie macabre des excutionspubliques.Billonn, cest un homme de soixante-quatre ansqui est amen dans un tombereau drap de noir en

    place de Grve.Les fentres se sont loues prix dor.Lexcuteur des hautes uvres lui fait tourner le dos lHtel de Ville.On lui bande les yeux, et son crne chauve apparatlorsquon lui retire sa perruque.

    Le premier coup de sabre ne fut, dit-on, pas le bon.Mais le bourreau est encore jeune, cest Sanson,auquel la Rvolution allait bientt pourvoir lamcanisation de loffi ce29.On sassura finalement de la dcollation.Le propos aurait pu sarrter l si, arriv sur la placequelques minutes aprs lexcution, un jeune hommenavait vu les dernires traces du sang de son pre.Car Lally avait eu un fils, Grard-rophime, mis enpension rue Saint-Honor.Ladolescent na appris sa filiation que la veille delexcution.Le combat pour la mmoire de son pre allait trelaffaire de ses jeunes annes.Mais quinze ans, on est peu de chose sans rseauxsociaux. qui peut-il sadresser pour laider dans cetteentreprise ?Voltaire, hlas ! diront ses dtracteurs.Voltaire qui brocardait lexpdition indienne comme une querelle de commis pour de la mousseline et destoiles peintes 30.Il tait pourtant lui-mme actionnaire de laCompagnie des Indes31.Mais Voltaire tout de mme.Lui dont larme, disait Hugo, la lgret du vent etla puissance de la foudre : une plume 32.Voltaire ne rechigne pas ferrailler, une fois encore,contre le parlement qui na cess de combattre lesPhilosophes.Surtout, il conseille la prudence au jeune Lally :trop de protagonistes occupent dsormais lesplus hautes places.Bussy a pous une cousine de Choiseul.Il faudra pargner les ennemis du gnral.Pour sa part, le chtelain de Ferney semploie sedocumenter.Il en ressort convaincu de linnocence du condamn.

    Fidle sa manire, il lexpose dans une brochureanonyme parue Londres.Sans doute, crit-il, le gnral Lally a manqu dgards,de circonspection, de biensance.Mais aucune loi ne dispose que tout gnral darme,qui sera un brutal, aura la tte tranche 33.Voltaire note encore que larrt du parlement acondamn Lally payer 300 000 livres aux pauvresde Pondichry.Or la fortune du comte sest rvle si mdiocre quilny a pas eu de quoi les acquitter.Comment, ds lors, lui imputer des prvarications ?1777 : Mozart compose son concerto Jeune homme

    et Lally fils introduit sa requte en cassation auprsdu Conseil du roi34.On croirait presque que luvre lui est ddie,tant il met de conviction et de sensibilit dans sadmarche.Cest bien la cassation, et non la rvision de larrtquil sollicite.Car le dlai du pourvoi est alors suspendu jusqu lamajorit du requrant35.Louons en tout cas la virtuosit des avocats auxConseils, qui doivent alors attaquer des jugementsdpourvus de motifs.Cela na pas impressionn Matre Voilquin.Son mmoire de 841 pages fait montre dun lyrismequi est en ce temps un gage de sincrit.En voici lamorce : La Cause dun infortun est celle de tous leshommes, la Cause dun innocent est celle de tous lessicles : je viens aujourdhui prsenter lune & lautreau Tribunal de lUnivers .Une telle entre en matire ne pouvait quappelerdes moyens pertinents36.Comment - souligne le mmoire a-t-on pu jugerLally sans poursuivre les administrateurs de lInde ?Car les lettres patentes imposaient de se prononcersur tous les dlits commis aux Indes, soit avant, soitaprs lenvoi des troupes.Si le parlement avait rempli son offi ce, les juges seseraient convaincu que les accusateurs du gnraltaient ceux-l mme qui staient enrichis audtriment de la Compagnie37.Comment, encore, a-t-on pu prononcer la mortdu chef dun vague abus dautorit ?Comment, enfin, ne pas voir la partialit durapporteur ?Linterrogatoire de Poully en fournit lillustration.Le tmoin tait prvt de larme de lInde et, cetitre, au fait des mouvements de marchandises.

    Or Poully stait aperu quon dictait ses rponsesautrement quil ne les avait faites.Ne vous inquitez pas, lui rpondit-on, on metseulement vos rponses en bon franois, parceque, sans cela, messieurs les juges ne pourraientpas les entendre.Quand, derechef, Poully se rendit compte que cespropos taient par trop dforms, il insista pourntre pas mis en bon franois ! 38

    Vient la sance du Conseil du roi. Le rapporteur dnonce vigoureusement lapartialit du conseiller Pasquier, et approuve lesgriefs formuls dans la requte39.

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    Remise du second prix de lOrdre des Avocats aux Conseils par

    Jean-Marc Sauv Nicolas Kilgus 2meSecrtaire de la Confrence du Stage

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    8/328 Les Annonces de la Seine - jeudi 5 dcembre 2013 - numro 69

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    Mais il faut dire aussi que, faute dobligation demotiver les arrts, les conseillers ne descendentpas ncessairement dans largumentation durequrant.Le Conseil du roi est dailleurs davantage un organede lexcutif par lequel le monarque raffi rme quilest source de toute justice quune garantie pourses sujets.La cassation finit par lemporter ; nul motif bienentendu.Le Conseil renvoie linstruction de laffaire auparlement de Normandie40.Dans sa demeure, sur le quai qui porte aujourdhuison nom, Voltaire est lagonie depuis plusieursjours.Il ne reprend connaissance que pour apprendre

    la nouvelle.La dernire de ses quelque vingt-trois mille lettres,il la fait dicter ladresse du jeune requrant : Le mourant ressuscite en apprenant cette grandenouvelle ; il embrasse bien tendrement M. de Lally ; ilvoit que le Roi est le dfenseur de la justice ; il mourracontent 41.Dj Lally est Rouen.Ce dont il ne se doute pas, cest que ses nouveauxjuges nont nulle envie de ddire ce qui a tprononc par leurs collgues parisiens.Car si cette magistrature est franaise, elle nestplus la ntre.Certaine de rendre la justice au nom du roi, ellevit la cassation de ses arrts comme un outrage42.

    Ce sentiment est dautant plus fort que le droit derendre la justice shrite ou se monnaie.Il est ainsi des conseillers gs de dix-neuf ans43, quivoisinent avec des collgues aux tats de servicesimmmoriaux.Et dans une socit sans reprsentation politique, lesparlements deviennent, mesure que le sicle avance,des lieux o les courants dopinion saffrontent.Cest exactement ce qui advient au parlement deNormandie.Une premire diffi cult est surmonte grce aux gens du Roi , comme on dsigne alors le Parquet.Car laction publique sest teinte avec la mort ducondamn.Le Procureur Gnral suggre la solution.

    Puisque la plainte initiale portait accusation de lse-majest, lordonnance criminelle permet de faire leprocs la mmoire de laccus.Aussi, Lally est nomm curateur la mmoire deson pre.Le public se passionne alors pour la cause de Lally fils.

    Marie-Antoinette lappelle son petit martyr .Mais le jeune homme, qui se dfend seul, a oubli lesconseils de prudence.Il attaque dsormais frontalement ceux qui ont ruinla Compagnie des Indes.Jean-Jacques Duval dEprmesnil entre alors en scne.Conseiller au parlement de Paris - mais sa famille estnormande - il est aussi le neveu de Duval de Leyrit,qui fut gouverneur de Pondichry pendant que Lallycommandait les forces militaires.Replet mais ardent, il a le geste thtral, le verbe incisif.Le voici arrivant Rouen en carrosse pour venirdfendre la mmoire de son oncle44.Cest en ralit un prtexte pour lutter contre lesPhilosophes et la reine quil abhorre.Les juges suspendent le procs principal : ils veulent

    statuer dabord sur son intervention.Ce sera loccasion dune des premires audiencespubliques dans un procs criminel45.La foule se presse au parlement.Le parti bleu, de la couleur de luniforme des offi ciersque porte dsormais le jeune Lally, soppose au partinoir des gens de robe46.Les dames, dit-on, ont remis tout enjouement etsaffrontent coup de cartes savantes de la cteindienne.DEprmesnil moque Voltaire qui, de soncabinet, prononait sur les affaires sans connatreles pices .En rponse, Condorcet raille dans une brochure

    ces juges qui cachent dans lombre les motifs deleurs arrts.Quon ne nous force pas, ajoute-t-il, dadorer uneprocdure qui permet de refuser laccus un conseil,qui lui te ce conseil quand il est en prsence du jugeet des tmoins, et qui ne permet pas laccus davoircopie des procdures faites contre lui47.Cette faiblesse dune dfense sans avocat, on la peroitencore lorsque le premier prsident Montholon,bless dans un accident de voiture Paris, ne peutrentrer Rouen pour assister laudience.DEprmesnil laisse croire Lally quil demeurera Paris, mais, la veille au soir, il part subitement pour laNormandie, fait trente lieues dans la nuit, et parat auPalais six heures du matin.Il plaide toute la matine en labsence de sonadversaire48.Cest lui qui lemporte finalement, et son interventionest juge recevable49.Pour la dfense, un nouveau pourvoi simpose, car unchapelet dinterventions se profilent dj, retardantdautant le procs principal.Paradoxalement, cest labsence de huis clos qui estinvoque.Pour la seconde fois, le Conseil du roi casse laprocdure, par un arrt qui nest pas plus motiv quele premier : le parlement de Bourgogne est saisi50.Le Conseil du roi a rdig son arrt pour viter quedEprmesnil nintervienne encore au procs.Il est pourtant bien l Dijon, et il distribue desbrochures que le public sarrache.Une fois encore, ce nest pas une nouvelle instructionqui est mene, cest seulement lexamen, par le seulrapporteur, de tmoignages et de pices pourtantdouteuses.Une fois encore, Lally fait une vritable plaidoirie lorsde son interrogatoire.Il y met plus de fougue que de rfutation mthodique.

    Le curateur omet de critiquer le journal du preLavaur.Il a pourtant produit les tmoignages degentilshommes qui dmontrent les inepties de cettepice essentielle.De toute faon, le procs est devenu trop politiquepour que Dijon renie Paris.Les plus anciens conseillers font bloc pour que le partides Philosophes choue.En aot 1783, en Italie, le parlement de Bourgognecondamne la mmoire de Tomas-Arthur de Lallyet ordonne que le mmoire produit par son filssoit lacr et brl par lexcuteur public, commecontraire au respect d la magistrature.

    Remise de la mdaille de lOrdre des Avocats aux Conseils par Vincent Lamanda Anne-Laure Valluis 3meSecrtaire de la Confrence du Stage

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    Remise de la mdaille de lOrdre des Avocats aux Conseils par Jean-Claude Marin Bndicte Moulinier 4meSecrtaire de la Confrence du Stage

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    9/32Les Annonces de la Seine - jeudi 5 dcembre 2013 - numro 69 9

    Infatigable, Lally introduit une troisime requteen cassation51.rois ans plus tard, le Conseil du roi rend un arrtpar lequel il ordonne au parlement de Dijon de faireconnatre les motifs de sa dcision.Mais il est dj bien tard.Le crpuscule de lAncienne France sannonce, etla procdure sera engloutie avec le Conseil du roi.Louis XVI optera finalement pour une rhabilitationpolitique, en exprimant au curateur tout le bien quilpense de sa famille52.Et le juriste davancer que, puisquune requte encassation est demeure pendante, aucune dcisiondfinitive na jamais condamn le gnral Lally sibien quil est toujours prsum innocent.Avec son franc-parler, il nous aurait sans doutesignifi quil aurait bien voulu quune prsomptionlui remt la tte sur les paules.Lpilogue de laffaire Lally se droule salle des Menus-Plaisirs Versailles.De ladversit est n un engagement. la veille de la Rvolution, le fils du gnral est connu,populaire mme, passionn, volontaire .La noblesse parisienne llit aux tats Gnraux : il estlun des quarante-sept nobles qui se rallient ensuite lAssemble nationale54.Lui, le descendant dIrlandais, le voil qualifidanglomane, parce quil veut une monarchieconstitutionnelle fonde sur lgalit des droits.Et ces droits, il souhaite quils soient exposs non pasde faon mtaphysique, mais de manire concrte etconcise dans la Dclaration qui se prpare55.LAssemble le dsigne, avec arget, houret etronchet, au sein du Comit des Sept charg derformer lordonnance criminelle.Il fait ainsi voter la premire loi qui accorde laccus,ds linterrogatoire initial, lassistance dun avocat56.Et si cest la fougue du jeune alleyrand que nous

    devons lessentiel de larticle 6 de la Dclaration quipose le principe de lgalit devant la loi57, Lally faitajouter que laccs aux places et emplois publics sefera sans autre distinction que celle [des] talents et[des] vertus 58.Sa vie mme illustrait la libration quimpliquait cettegalit nouvelle.Nous voil parvenu au terme de ce priple.Il a dabord t lhistoire dun homme, le gnral Lally,qui avait sans doute trop cru aux seules forces de lavolont.Il a ensuite t lhistoire dune dfaite.Dfaite de la parole dun accus, dont on attendait desmots dans une langue quil ne parlait pas.Dfaite de la parole des parlements, qui sexprimaient

    beaucoup en politique, et trs peu en droit.Dfaite de la parole de la Loi, qui dpouillait tantlaccus quon en vint la contourner.Mais de ces preuves, de nouvelles formes sont nes.Ma poussire sera seme pour refleurir, senthousiasmele Pote59.On croit voir le brahmane opiner.En termes juridiques, cela a donn la stricte sparationdes fonctions dinstruction et de jugement, la lgalitdes dlits et des peines, la motivation des dcisionsde justice, les droits de la dfense.Ce sont videmment des garanties pour lesjusticiables.Cest aussi une protection pour le juge contre lafacilit des dcisions insuffi samment labores.

    Un regard sur la justice dAncien Rgime nousplonge enfin dans les sources de lpouvantail du gouvernement des juges .On pouvait craindre lquit des parlements lorsquele droit de juger sachetait, lorsque le juge dterminaitlui-mme les dlits et les peines correspondantes,

    dans une procdure dont lavocat tait absent.Mais les traces de lHistoire seffacent.Rien ne justifie plus que la justice rpublicaine portele poids dun autre monde.Dans le cercle dlimit par les lois, avec les garantiesquelles confrent, la jurisprudence a aujourdhuitoute sa place pour parfaire ce que dicte la consciencejuridique60. 2013-839

    1. Cf. Ph. Haudrre, La Compagnie des Indes , in R. Vincent (dir.), Pondichry,Autrement, 1993, p. 44, spc. p. 62.2. Cf. G. Frmont, Un comptoir en plein essor , in Pondichry, op. cit., p. 81.3. Sur la guerre de Sept ans, cf. A. Zysberg, La monarchie des Lumires, d. duSeuil, 2002, p. 238 et s.4. Cf. P. A. Perrod, Laffaire Lally-Tolendal. Le Journal dun Juge, Klincksieck, 1976,p. 62 sur les conceptions du soldat au XVIIIe sicle, cf. H. Drvillon, LIndividuet la guerre, Belin, 2013, p. 111 et s.5. Cit par Ph. Raynaud, La politesse des Lumires, Gallimard, 2013, p. 23.6. Cf. Ph. Haudrre, op. cit., p. 47-48.7. Cf. R. Vincent, Dupleix : une ambitieuse politique , in Pondichry, op. cit.,p. 124.8. Lettre cite par P. A. Perrod, op. cit., p. 77.9. Alors appele le de France.10. Cit par A. Zysberg, op. cit., p. 268.11. Cf. C. Manning, Un tournant dans la politique des Anglais, in R. Vincent(dir.), Pondichry 1674-1761, Autrement, 1993, p. 206.12. Cit par A. zysberg, op. cit., p. 274.13. La clbre formule est de Voltaire, cf. Candide ou lOptimisme, chap. XXIII.14. Sur le succs de cette pice de Buirette de Belloy, cf. O. Chaline, La Franceau XVIIImesicle (1715-1787), Belin, 2012, p. 320.15. Cf. P. A. Perrod, op. cit., p. 131, note 1.16. Embastill le 5 novembre 1762, Lally est entendu par le conseiller Pasquier

    pour la premire fois le 22 mai 1764. Sur ce premier interrogatoire, cf. P. A.Perrod, op. cit., p. 149.17. Cf. J.-M. Carbasse, Histoire du droit pnal et de la justice criminelle, PUF,2edition, 2009, n 107, p. 211.18. Les lettres patentes sont en date du 12 janvier 1764.19. Cit par P. A. Perrod, op. cit., p. 134.20. Eod. loc.21. Cf. P. A. Perrod, op. cit., p. 146.22. Ibid., p. 151.23. Ibid., p. 171.24. Ibid., p. 174-175.25. Titre XXV, art. 21.26. Cf. J.-M. CARBASSE, op. cit., n 109, p. 215.27. Cf. E. CHENON, Origine, conditions et effets de la cassation, L. Larose etForcel, 1882, n 56, p. 188.28. Cf. Code de Brumaire an IV, art. 443 ; Code dinstruction criminelle, art.373-4 ; CPP, art. 569.29. Cf. Mmoires des Sanson : Sept gnrations dexcuteurs, 1688-1847,ditions Jrme Millon, 2013.30. Cf. Ph. Haudrre, La Compagnie perptuelle des Indes , in R. Estienne, LesCompagnies des Indes, Gallimard / Direction de la mmoire, du patrimoine et desarchives du ministre de la Dfense, 2013, p. 62, spc. p. 72.31. Ibid., p. 64.32. Cf. V. HUGO, Politique, Discours pour Voltaire , Robert Laffont, coll. Bouquins , 1985, p. 984 et s.33. Cf. Fragmens sur lInde, sur le gnral Lalli, sur le procs du comte deMorangis et sur plusieurs autres sujets, Londres, 1774, p. 129.34. Sur cette institution, v. M. Antoine, Le Conseil du roi sous le rgne de LouisXV, Droz, 1970.35. Cf. X. Godin, La procdure de cassation au XVIIImesicle , in Histoire,conomie & socit, 2010/3, p. 21, spc. p. 25. Le mme auteur relve tmoignage du temps alors ncessaire aux dplacements lexistence dundlai de distance de deux ans pour les habitants des colonies indiennes.36. Au total, dix-sept moyens taient soutenus.37. Cf. H. CARR, La rvision du procs Lally (1778-1786), in Rev. historique,1903, p. 1, spc. p. 3.38. Cf. E. BOS, op. cit., p. 231.39. Cf. Compte rendu de la sance du Conseil dtat priv du roi, Bibliothquenationale de France, Dpartement des manuscrits, NAF 9233, f 124 et s.40. Larrt est du 25 mai 1778.41. Cf. Voltaire, Correspondance, tome XIII, Gallimard, Bib. de la Plaide, lettredu 26 mai 1778.42. Sur lensemble de la question, v. J. gret, Louis XV et loppositionparlementaire, 1715-1774, A. Colin, 1970.43. Ce fut le cas du conseiller Louis-Philippe Joly de Bvy (1736-1822), conseillerau parlement de Bourgogne en 1755, qui y joua un rle important lors delexamen de laffaire Lally-Tollendal.44. Pour son portrait, cf. Orateurs de la Rvolution franaise, tome I : lesConstituants, dition tablie par F. Furet et R. Halvi, Gallimard, Bib. de laPlaide, 1989, p. 1300.45. Cf. E. Bos, op. cit., p. 250.46. Cf. H. Carr, op. cit., p. 9.47. Cf. Condorcet, uvres, dites par F. Arago et Mme O Connor, F. Didot,1847-1849, tome VII, p. 30 et s. Sur son rle dans laffaire Lally, v. aussi E. et R.Badinter, Condorcet, Fayard, 1988, p. 167 et s.48. Sur cette priptie, v. E. Bos, op. cit., p. 46 ; H. Carr, op. cit., p.16.49. Arrt du parlement de Normandie du 12 mai 1780.50. Arrt du Conseil dtat priv du Roi du 31 juillet 1780.51. Pour le dtail des moyens nouveaux soutenus, cf. P. A. Perrod, op. cit., p. 424.52. Plus prcisment, il exprimera sa satisfaction en considration des servicesde sa famille et du rgiment de son nom .53. Cf. Orateurs de la Rvolution franaise, tome I : les Constituants, op. cit.,p. 1312.54. Ibid., p. 1314.55. Ibid., Second discours sur la dclaration des droits de lhomme, 19 aot1789, p. 355, spc. p. 356-357.56. Et ce ds le 8 octobre 1789 cf. J.-M. Carbasse, op. cit., n 222, p. 414.57. Cf. J. Mavidal et E. Laurent, Archives parlementaires de 1787 1860, tome

    VIII, sance du 21 aot 1789, p. 465 sur la discussion de ce texte, v. aussi :S. RIALS, La Dclaration des droits de lhomme et du citoyen, Hachette, coll.Pluriel, 1988, p. 229 et s.58. Ibid., p. 466.59. Cf. F. G. Klopstock, Die Auferstehung.60. Lauteur entend remercier tout particulirement Matre Jean Barthlmy,avocat aux Conseils, ainsi que Matre Carole Brullebaut-Brs, ancien secrtairede la Confrence du stage, des trs prcieux conseils quils lui ont prodigus lorsde la prparation de ce discours.

    Rentre solennelle Agenda

    CLUB DES MARCHS FINANCIERSCLUB DES JEUNES FINANCIERS Financement alternatif /financement participatif :quelles perspectives ? Le 11 dcembre 2013Auditorium Espace Bernanos4, rue du Havre

    75009 PARIS01 44 94 02 [email protected]

    2013-840

    RAVIVAGE DE LA FLAMMEPAR LES AVOCATS EN ROBE2meditionLe 14 dcembre 2013date de la restaurationde lOrdre par NapolonInscriptions auprs de :Monique Boury et de Xavier [email protected] : 01 48 87 33 09 2013-841

    REVUE BANQUESEPA : une rvolution en risque.Comment sorganiser face auxmigrations de dernire minute ?Le 17 dcembre 2013Salons Hoche9, avenue Hoche75008 PARIS01 48 00 54 [email protected] 2013-842

    CONFRENCE INTERNATIONALEDES BARREAUX DE TRADITION

    JURIDIQUE COMMUNE28meCongrs OrdinaireGouvernance et redevabilitDu 18 au 22 dcembre 2013Htel Ivoire99 ABIDJAN - CTE DIVOIRE01 40 53 10 10www.congresabidjan2013.org 2013-843

    ASSOCIATION FRANCAISEDARBITRAGEFormation approfondie :le cas pratique de lAFA 2013Les 19 et 20 dcembre 2013

    Maison du Barreau2, rue de Harlay75001 PARIS01 53 77 24 [email protected] 2013-844

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    Economie

    Un partenariatpour lavenir

    L

    e monde entier regarde aujourdhui verslAfrique subsaharienne, parce quelleaffi che une situation conomique flatteuse

    quand celle-ci se dgrade ou montre dessignes de ralentissement dans de nombreux paysavancs et mergents. Les appels linvestissementet la confiance dans lveil conomique ducontinent africain se multiplient depuis quelquesannes1, lAfrique est prsente comme la nouvellefrontire , le dernier eldorado qui aiguise unevritable course aux marchs engage par des paysde plus en plus nombreux.Si la notion dAfrique subsaharienne reste encorecouramment retenue, le continent africain doitdsormais tre apprhend dans sa totalit, le Saharane constituant plus une barrire la circulationdes flux de toutes sortes (humains, conomiques,financiers, culturels, etc.). Ainsi, la coopration des

    pays dAfrique du Nord est trs active au Sud duSahara et les investissements marocains en particulierdans le secteur financier sont devenus consquents.Pour autant, la relation entre la France et chacun desdeux espaces reste encore fortement diffrencie, dufait de la proximit gographique plus grande et duniveau de dveloppement plus lev de lAfrique duNord, mais aussi de la persistance dune perceptionfranaise du continent qui reste encore parfoisarchaque et dpasse. La mission a dcid de mettreun accent particulier sur la relation conomiqueentre la France et les pays au Sud du Sahara, car cestcette relation qui apparat devoir tre renouvele enpriorit, tout en tenant compte des flux entre cetespace et les pays dAfrique du Nord.

    LAfrique subsaharienne2

    dispose en effet aujourdhuidune conjoncture et dun potentiel conomiquesexceptionnels qui devraient faire delle un plemajeur de lconomie mondiale : elle est jeune etsa dmographie dynamique ; elle affi che des tauxde croissance levs ; elle est une terre daffl ux de

    capitaux ; son agriculture, ses ressources naturelleset ses richesses minires constituent des atoutsconsidrables pour assurer au continent croissance etdveloppement ; les avances sociales sont relles etsignificatives ; elle est, enfin, un carrefour stratgiquequi concentre les grands dfis mondiaux : scurit,conomie, enjeux lis aux matires premires,

    lenvironnement, lnergie et la gouvernancemondiale.Pourtant, en dpit de ces changements majeursintervenus il y a dj une dizaine dannes, deleffervescence actuelle des affaires en Afriquesubsaharienne et de loffensive mene par sesconcurrents, la France ne semble pas avoir totalementpris la mesure du nouveau contexte africain ni de labataille conomique quelle doit y livrer.Il est vital et urgent de ragir, et il nest pas trop tard.Alors quelle y dispose datouts considrables, laFrance est la fois peu offensive sur des marchsanglophones et lusophones dynamiques et endclin commercial sur ses positions historiques .Sa place a fortement recul sous leffet conjugu

    dune implantation massive des pays mergents (laChine, lInde, le Brsil mais galement la urquie,les pays du Golfe ou les pays dAfrique du Nord) etdu dveloppement de la prsence conomique despuissances industrielles dans une Afrique prise dansle mouvement de la globalisation et lextinction de chasses gardes post-coloniales .La France nest plus le partenaire privilgi, voireexclusif, quelle pouvait tre dans certains paysafricains ; elle est dsormais largement considrepar les Africains comme un partenaire conomiqueparmi dautres. Elle conserve toutefois une placeparticulire du fait :I) de la prsence importante de communautsdorigine africaine en France ; II)de lexistence

    de communauts franaises en Afrique ;III)dupartage de la langue et donc de la culture dans unegrande partie de lAfrique ; IV)du rle militairereconnu la France par la communaut africaineet internationale ; V)des actifs conomiques nonngligeables (des implantations, des relations, une

    offre adapte) ; VI) dune prsence du secteurpublic qui reste forte malgr une diminutionrcente (rseau diplomatique et des oprateurs) ;VII) dun soutien constant aux organisationsrgionales africaines (UEMOA, CEMAC, Banqueafricaine de dveloppement, OHADA...).Plus de cinquante ans aprs les premires

    indpendances, les relations de la France aveclAfrique subsaharienne ne sont pas exemptes dupoids de lhistoire, et ce malgr les appels rpts aurenouveau y compris au plan europen3: lopinionpublique franaise peroit encore assez largementlAfrique comme le continent de la pauvret et desguerres, et quil convient daider. Ladministrationfranaise ne semble pas avoir encore pleinementintgr la transformation du continent africain. Lesecteur priv a une perception africaine varie : lesgroupes historiquement prsents se sont souventredploys en partie vers dautres continents, lesgrands groupes vocation mondiale considrentdsormais lAfrique comme un lieu dinvestissementparmi dautres et privilgient leur relation daffaires

    avec les pays forte croissance et conomiquementstables (Nigria, Ghana, Kenya, Afrique du Sud...).Les PME qui ntaient pas traditionnellementen Afrique restent peu enclines sintresser aumarch africain quelles peroivent comme trsrisqu. LAfrique subsaharienne devient ainsi lemiroir des forces et faiblesses de la France dans lamondialisation.La pr-mergence de lAfrique subsahariennereste fragile et htrogne selon les zones et les pays.Des dfis socio-conomiques majeurs demeurent.La rapidit, voire la brutalit, et le caractreingalitaire des changements gnrent et risquentde gnrer des crises pas toujours prvisibles. Unecroissance plus inclusive serait de nature modrer

    leur frquence et leur ampleur. Ces fragilits freinentla relation conomique et sollicitent linterventionde la puissance publique pour mieux clairer etventuellement allger le risque.La France doit appeler de ses vux et soutenir lacroissance africaine. Cest ainsi quelle fortifiera sa

    Sommet de lElysepour la paix et la scurit en Afrique

    Bercy, 4 dcembre 2013

    A loccasion du Sommet de lElyse pour la paix et la scurit en Afrique, qui se tiendra les 6 et 7 dcembre 2013, PierreMoscovici, Ministre de lEconomie et des Finances a organis le 4 dcembre 2013 Bercy, avec le MEDEF International,un Forum pour un nouveau modle conomique de partenariat entre lAfrique et la France.Cette manifestation fut marque par la prsence du Prsident de la Rpublique, Franois Hollande, qui cltura lvnement,accompagn de S.E.M. Macky Sall, Prsident de la Rpublique du Sngal, de S.E.M. Alassane Dramane Ouattara, Prsidentde la Rpublique de Cte dIvoire et de S.E.M. Jakaya Mrisho Kikwete, Prsident de la Rpublique unie de anzanie.Six cents participants, chefs dentreprises, membres de gouvernement africains, reprsentants dorganisations rgionalesafricaines et dirigeants dinstitutions financires taient prsents au Forum, entirement consacr au thme des partenariatsconomiques, industriels et financiers entre entreprises africaines et franaises. Les dbats ont par ailleurs accord une place

    centrale aux propositions de la mission confie par Pierre Moscovici, ministre de lEconomie et des Finances Hubert Vdrine,ancien ministre des Affaires trangres, Hakim El Karoui, Jean-Michel Severino, idjane Tiam, Lionel Zinsou, dont lerapport fut offi ciellement remis loccasion de cette journe et dont nous publions ci-aprs les 15 propositions pour unenouvelle dynamique conomique entre la France et lAfrique. Chlo Grenadou

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    Economie

    place en Afrique et y trouvera le relais de croissancedont elle a besoin. Pour cela, elle doit modifierles fondements de sa relation conomique aveclAfrique : ltat franais doit mettre au cur desa politique conomique le soutien la relationdaffaires du secteur priv et assumer pleinementlexistence de ses intrts sur le continentafricain ; laide publique au dveloppement,qui constituait le noyau central de la politiquepublique conomique, devient lun des outils delaction publique vis--vis de lAfrique, tout envoluant vers une relation partenariale tournevers laccompagnement des pays bnficiairesdans leur croissance. Pour jouer ce rle de

    fdrateur du renouveau, ltat doit rexamineravec lensemble des acteurs franais les intrtsconomiques nationaux en Afrique et donc sespriorits, connatre la situation et lvolution desbesoins de ses partenaires africains.Un dbut de prise de conscience de la ncessitdu changement sest amorc en France, et lamission confie une Commission composede personnalits franaises et franco-africainesdu monde politique et conomique traduit lavolont des pouvoirs publics de promouvoirune dynamique de remobilisation de ltat, desentreprises et de la socit civile autour de lAfrique.LAssemble nationale vient de publier un rapportrecommandant de faire de lAfrique anglophone

    une priorit des investissements de la France surle continent Le Snat a galement publi trsrcemment un rapport dense et trs document, LAfrique est lavenir de la France , dans lequella haute assemble exprime avec force la ncessitde se rinvestir en Afrique.Sans prtendre dresser un diagnostic aussi completni traiter des aspects gopolitiques, culturels et descurit de la relation entre la France et lAfrique,le rapport propose des pistes conomiques pourrelancer la France dans une Afrique en marche.

    1 - Le Temps de lAfrique , de Jean-Michel Severino et Olivier Ray,2010 ; Lheure des Lions : LAfrique laube dune croissance prenne ,McKinsey Global Institute, juin 2010, The African Challengers :Global Competitors Emerge from the overlooked Continent , Boston

    Consulting Group, juin 2010, How Exciting is Africas Potential ? ,Goldman Sachs, 14 octobre 2010.2 - LAfrique subsaharienne est comprise comme lensemble des paysafricains lexception de lAfrique du Nord (Algrie, Maroc, Tunisie,Libye, gypte) soit 49 des 54 pays africains.3 - Ds 2005, lUnion europenne a dfini un nouveau cadre stratgiquede ses relations assis sur les signes durables du changement avant

    de proposer en 2007 un partenariat plus global entre parties gales.

    15 propositions pourune nouvelle dynamiqueconomique entrelAfrique et la France

    1 Poursuivre et amplifier les mesures rvisant lapolitique franaise de visas conomiques afin defaciliter la circulation des acteurs conomiquesentre la France et lAfrique.

    2 Relancer la formation du capital humain,la coopration universitaire et de recherche,

    les changes intellectuels et les orienter vers ledveloppement :tablir des frais dinscription significatifs pourles tudiants trangers en France ; en diriger leproduit, partiel ou total, vers un programme debourses dexcellence, dont la priorit sera donneau continent africain ;Ralimenter la coopration en matire derecherche et dchanges universitaires, en associantles entreprises franaises aux orientations et enfavorisant le mcnat dentreprise ;Encourager le dveloppement dune offre deformation dexcellence de niveau technicien etingnieur rpondant aux besoins du march dutravail en Afrique, fonde sur des partenariats

    entre tablissements et entreprises, notammentfranaises; Articuler les programmes de formationprofessionnelle avec des bourses ;Identifier une enveloppe spciale de thses CIFREconsacres au dveloppement, et donner accs ceprogramme un nombre significatif dtudiants etchercheurs africains;Dvelopper des Contenus en ligne ouverts et massifs(CLOM ou MOOC) destination de lAfrique ;Dvelopper des programmes de dtection,de formation et de suivi de jeunes talentsconomiques africains ;Promouvoir des espaces de dialogue entre femmesafricaines et franaises exerant des responsabilits

    en entreprises et dans ladministration.

    3 Soutenir le financement des infrastructures enAfrique :Au niveau multilatral, appuyer le Fonds Africa50de la BAfD en dtachant des experts franais ;

    Au niveau europen, largir le champ gographiqueet sectoriel dintervention de lInfras- tructure rustFund et en assouplir les modalits dutilisation ;Au niveau national, rapprocher la CDC et lAFDpour crer un vhicule significatif de finan- cementdes infrastructures Afrique, qui soit rapidementmobilisable et ayant un pouvoir dentranementsur les autres oprateurs conomiques.

    4 Rduire le cot de mobilisation des capitauxprivs et des primes de risques appliques lAfrique :Au plan multilatral, introduire lOCDE uneproposition de rexamen technique du modledvaluation des risques financiers africains,assortie dune confrence internationale, faisantintervenir agences de notation et institutionsfinancires, pour discuter du renforcement descapacits, de la transparence et des modles denotation du risque priv africain ;Au plan national, ouvrir le guichet ARIZ delAFD aux fonds propres, de manire couvrirgalement les prises de participations en plus desprts, notamment pour encourager les projets delconomie sociale et solidaire ; Cofinancer la notation dune quinzainedentreprises africaines pour amorcer lobjectivationde la ralit du risque africain.

    5 Contribuer au renforcement des capacits definancement de lconomie africaine :Crer en France un espace de place rassemblantles acteurs financiers publics (CDC, AFD)et privs (banques, assurances) orients verslAfrique pour traiter des sujets communs ;larticuler avec un miroir africain pour crerun espace partenarial ; Encourager le private equity en Afrique(micro finance, capital dveloppement, fonds

    de pension), en dveloppant des structuresjuridiques de capital investissement telles que lesFonds communs de placement risques (FCPR) ;Encourager le dveloppement de lassurance-vieet de lassurance-retraite en Afrique et soutenirla Confrence Interafricaine des MarchsdAssurances (CIMA) ;Dvelopper les partenariats avec les boursesafricaines les plus demandeuses pour soutenir ledveloppement local (marchs dactions...).

    6 Augmenter les capacits dintervention delUnion europenne en faveur de lAfrique :largir les capacits dintervention de la BEI enAfrique ;

    Mettre en place un outil financier permettant demixer prts et dons, partir de lInfrastructure rustFund (IF) ;Initier un sminaire spcifique sur lAfrique desbanques de dveloppement multi et bilatrales,continentales et infra-rgionales.

    7 Susciter des alliances industrielles franco-africaines dans des secteurs cls pour les conomiesfranaise et africaine : agriculture, nergie,transport, dveloppement urbain, biens de grandeconsommation, numrique, industries culturelles,sant, tourisme et scurit : Faire connatre aux entreprises et filiresfranaises : a) les outils financiers mobilisables

    par les bailleurs de fonds etb)les projets et lesopportunits en Afrique, en les associant desgroupes de travail thmatiques ;Engager des partenariats institutionnels entrela France et les pays africains qui permettentde donner une assise la cration dalliances

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    ean-RenTancrde-Tlphone:01.42.60.3

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    Pierre Moscovici et Hubert Vdrine

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    Economie

    entre entreprises et de favoriser les transferts detechnologie ;Favoriser des initiatives pilotes dentreprisesprives afin de dgager des business modles danschaque secteur concern ; Associer les collectivits locales franaiseset africaines (rgions, villes...) aux groupes detravail thmatiques, aux initiatives pilotes et auxpartenariats institutionnels.

    8 Promouvoir lconomie responsable etlengagement socital des entreprises :Amplifier la politique franaise en faveur de laresponsabilit sociale et environnementale desentreprises (RSE) et du soutien apport aux paysafricains pour une meilleure prise en compte de la

    RSE, en tenant compte des propositions africainesen la matire ; Dans les processus dappels doffres desfinancements de lAFD et ds la pr-qualification,

    veiller la pr cision et au niveau dexigence enmatire de RSE ;Crer au sein du groupe AFD un point dentrepour le financement de lconomie sociale et solidaireet de limpact investment, tourn notamment ouexclusivement vers le continent africain ;Ouvrir le dispositif de garanties ARIZ de lAFDaux oprations de fonds propres, de quasi- fondspropres et de prts accompagnant la cration etle dveloppement de projets de financement delconomie sociale et solidaire.

    9 Acompagner lintgration rgionale de lAfrique : Poursuivre lappui apport par la France laconsolidation de lOHADA, notamment pourrenforcer son attractivit, en amliorant en prioritlefficacit de la justice commerciale et le fonctionnementdes commissions nationales, et pour faciliter lextensionde la zone go- graphique couverte ;largir la Zone CFA pour en faire un blocrgional renforc et une instance de dialogueconomique rgulier avec les anglophones etlusophones. Proposer un plan daction aux paysmembres visant accentuer le rle des banquescentrales de la Zone CFA comme moteur dela croissance ;

    Continuer daccompagner les pays africains dansleur ngociation avec lUnion europenne sur lesAccords de Partenariat conomique (APE).

    10Renforcer linfluence de la France en Afrique :Relancer les relations de haut niveau de ltat

    franais vers le continent africain : augmenter lesvisites prsidentielles et ministrielles dans les paysdAfrique en forte croissance et le- ver le niveaude rception des dirigeants politiques africainsen France ; intensifier laccueil dans les grandesinstitutions franaises et les changes avec leurshomologues africains ;Investir les enceintes de dcisions conomiquespubliques et prives sur lAfrique en dfi- nissantune politique de dtachement dans les enceintespubliques rgionales et multi- latrales quiconcernent lAfrique, au regard des intrtsstratgiques et conomiques de la France, et enassurer un meilleur suivi ;Mieux dtecter et faire vivre le rseau des cadresfranais employs dans des entreprises trangres

    prsentes en Afrique subsaharienne, et assurer lesuivi des cadres conomiques africains forms surun modle franais.

    11Rinvestir au plus vite la prsence conomiqueextrieure franaise en Afrique subsaharienne :Associer davantage encore la diaspora africainede France la dfinition et la mise en uvre dela politique conomique africaine de la France, la conception et la participation des projetsdchange et de coopration avec lAfrique et auxorganisations professionnelles du secteur priv.La diaspora africaine doit tre pleinement partieprenante de la Fondation franco-africaine pour lacroissance ;

    Augmenter les moyens des servicesconomiques, ventuellement rgionaux, et lesmoyens dUbifrance sur le continent ; Augmenter le nombre des volontairesinternationaux en entreprises (VIE) en Afriquesub- saharienne et donner une plus grande placeaux volontaires de solidarit internationale (VSI)orients vers les secteurs conomiques ;Mieux associer les collectivits territoriales, enparticulier les Rgions, la conception, la mise enuvre et lvaluation de la politique conomiqueafricaine de la France, pour exporter les PME et lessavoir-faire franais locaux en Afrique ;Dvelopper la coopration technique en Afriqueen lien avec loffre commerciale franaise.

    12 Intensifier le dialogue conomique entrelAfrique et la France :Entamer un dialogue structur entre ltatfranais, le Medef international, le CIAN, lesentreprises issues de la diaspora africaines et les

    principales chambres de commerce : constituer uncercle de travail associant les principales structurespubliques (DG rsor, MAE, AFD, BPI, CDC...),co-anim par une personnalit du monde desaffaires et une personnalit du monde public, quipermettrait notamment de btir un plan dactionpour lAfrique subsaharienne ;Rinvestir financirement et intellectuellementdans les think tanks et fondations existantes (Ferdi,Ifri, Institut de lEntreprise, Institut Montaigne,Aspen...) pour intensifier la recherche et la veille, soitdans les structures spcialises, soit dans les structuresgnralistes ; constituer un outil de veille conomiquepublic permettant de dfinir et dactualiser la politiqueconomique africaine de la France ;Mettre en place un forum daffaires franco-africain annuel.

    13 Favoriser linvestissement des entreprisesfranaises en Afrique :Crer un rgime temporaire dassurance-crditdu risque politique Afrique au profit desinvestisseurs ;Renforcer le dialogue entre les acteurs financierspublics (CDC, Bpifrance, Ubifrance, Coface, DGrsor, Proparco) et les milieux daffaires franaispour utiliser au mieux leurs connaissances du tissuconomique africain au service des entreprisesfranaises ;Dvelopper une approche par filires et organiserle rle dassembleur doffres commerciales franaises,incluant la dimension technique et financire ;Encourager les entreprises franaises dvelopperdes logiques de grappes dentreprises ou clusterslocaux ;Rapprocher Bpifrance et le groupe AFD pourquils structurent une offre commerciale quidynamise le financement des petites et moyennes

    entreprises et des entreprises de taille intermdiairefranaises vers lAfrique. Inclure les autres dispositifspublics existants (RPE, FASEP...) dans cette offre ; Accrotre significativement lactivit nonsouveraine du groupe AFD, et notamment deProparco, en cherchant des prises dintrt et desparticipations en gouvernance dans des entreprisesde taille plus significative autant que dans les PME ;Soutenir la cration par Proparco dun fonds decapital-risque visant appuyer les dve- loppeursde projets dinfrastructures prives.

    14Faire de la France un espace daccueil favorableaux investissements financiers, industriels,commerciaux et culturels africains :

    Mobiliser les places financires franaises pourattirer les investisseurs et les entreprises africaines ;Inciter les tablissements financiers franais proposer aux autorits de march ladaptation de larglementation qui permette la transformation delpargne collecte en France en produits destins linvestissement en Afrique ;Identifier les partenariats stratgiques que laFrance pourrait conclure avec des pays tiers pourco-investir en Afrique.

    15 Crer une fondation publique-prive franco-africaine qui sera le catalyseur du renouveau de larelation conomique entre la France et lAfrique :Structurer le dialogue entre les secteurs public

    et priv franais et africains sur les questionsconomiques ;Dvelopper le capital humain conomique ;Promouvoir les relations conomiques entre laFrance et lAfrique, et assurer la production et ladiffusion dinformations conomiques.

    PhotoJ

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    Jean-Michel Severino et Hubert Vdrine

  • 7/18/2019 Edition du jeudi 5 decembre 2013

    13/32Les Annonces de la Seine - jeudi 5 dcembre 2013 - numro 69 13

    Economie

    Regarder lAfriqueautrementpar Franois Hollande

    Pour passer de lElyse Bercy, il fallaitun vnement exceptionnel, une

    justification hors norme.Cest le colloque que vous avez organis

    aujourdhui et cest lAfrique.Jai voulu en effet que se tienne, Paris, un Sommetdes chefs dEtats africains avec la France, maisaussi avec lEurope, avec la prsence du Secrtairegnral des Nations Unies, avec les plus grandesinstitutions internationales, pour que nouspuissions voquer la scurit et la paix, parce quecest la condition de tout : la condition dune viedigne et dcente, la condition du dveloppement,la condition du progrs.Mais jai souhait, quautour de cet vnement, ilpuisse y avoir un certain nombre de rencontreset notamment celle-l pour lconomie, pour ledveloppement, pour linvestissement. Cetterencontre marque, sans doute, un changementdapproche vis--vis de lAfrique, y compris ici enFrance.Trop souvent, nous avons le regard tourn

    vers le pass et parfois la compassion. Nousregardons lAfrique comme si elle tait lecontinent souffrant. Nous ne voyons pas encoreque lAfrique est le continent de demain, lecontinent davenir et quil y a l une opportunit: dabord pour les Africains de marquer encoredavantage leur affi rmation, leur volont, leurscapacits ; mais une opportunit aussi pour lesgrands pays industrialiss de venir investir enAfrique. Les pays mergents ont eu parfois plus

    de svrit le faire et ont compris plus tt queles autres quel tait le parti gagner nouer desrelations avec lAfrique.

    Pourtant, les chiffres sont implacables,incontestables. Ils ont t rappels.La croissance en Afrique dpasse 5 % par an,quand en Europe, nous sommes contents quandnous faisons 0,5 %. Plutt, nous ne sommespas contents quand on fait 0,5 % ! Mais nousregardons un continent qui, bien sr, est enrattrapage, qui, bien sr, est en expansion, maisqui a russi durablement porter une croissance un niveau lev.Ensuite, les changes avec le reste du monde sesont multiplis. Autrement dit, lAfrique nestpas un continent ferm sur lui-mme, dont lacroissance serait endogne. Elle est vritablementun continent qui sest ouvert pour exporter etpour importer.Les activits sy diversifient. Ce nest plussimplement lutilisation des ressources naturelles.Cest leurs transformations. Les investissementsqui sy multiplient confirment bien quil y a unintrt de toutes les entreprises du monde

    venir commercer, travailler, raliser des projetsen Afrique.Cest pourquoi jai une conviction et, en mmetemps, une volont.Ma conviction, cest que le temps de lAfriqueest venu et ma volont, cest que la Franceconsidre que cest une chance, une chancepour ce continent quelle aime, une chancepour elle-mme, parce que la France est lun desgrands partenaires du continent africain et depuislongtemps.Aujourdhui, notre commerce extrieurest quilibr avec lAfrique : 30 milliardsdexportations, 30 milliards dimportations. Nousavons en plus un atout que dautres nont pas :des communauts franaises qui sont installesen Afrique. Il y a de plus en plus de Franais qui

    vont en Afrique travailler et faire connatre leurstalents. Nous avons aussi un atout, cest quil y a descommunauts africaines en France. Cela permet

    davoir une comprhension mutuelle et aussi desentrepreneurs que nous pouvons former, ici, pourquils aillent ensuite en Afrique ou quils puissentattirer des capitaux, ici, en France, avec la volontde pouvoir travailler pour lAfrique.Nous avons aussi ce privilge, cen est un,daccueillir de nombreux tudiants africainsqui vont pouvoir tre, demain, ceux qui vonttre la tte des entreprises africaines. Je naipas dit des Etats pour neffrayer personnemais des entreprises ! Vous voyez, je neffraiepersonne. Ils sont plutt contents de savoir quele renouvellement est l. Cest vrai en France aussi.Mais le fait mme que nous puissions tre uneterre daccueil pour ces tudiants, pour ces litesafricaines, nous permet de pouvoir envisagerlavenir avec confiance.Un rapport a t command Hubert Vdrine.Ses conclusions sont claires. Si nous ne regardonsque lintrt de la France, nous pouvons valuer 200 000 en France les emplois qui pourraienttre crs en cinq ans, si nous doublions nosexportations vers le continent africain. Alors,

    je retiens cet objectif. La France doit doublerses changes avec lAfrique. Echanges dans lesdeux sens - exportation et importation - puisquenous voulons aussi quilibrer notre commerceextrieur.Trois principes doivent fonder ce partenariat sinous voulons atteindre cet objectif.Premier principe : colocalisation.Faire en sorteque linvestissement qui va se porter en Afrique- dans toute lAfrique francophone, anglophone,lusophone, arabophone - puisse avoir un effeten France et quil puisse y avoir une forme derciprocit.Le deuxime principe, cest la transparencedans les mcanismes daides au dveloppement.

    Cest notre responsabilit. La transparence danslutilisation de ces ressources et, en mme temps,la transparence dans les appels doffres.

    PrsidencedelaRpublique/C.ALIX

    Franois Hollande

  • 7/18/2019 Edition du jeudi 5 decembre 2013

    14/3214 Les Annonces de la Seine - jeudi 5 dcembre 2013 - numro 69

    Economie

    Je reviens l-dessus parce que, plusieurs fois, lesPrsidents men