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COMPTES RENDUS Après le Centenaire de l'abbé Br émond Entretiens sur Henri Bremond, sous la direction de Maurice Nédoncelle et Jean Dagens. Décades du Centre Culturel International de Cérisy-la- Salle, nouvelle série 4, Mouton, Paris-La Haye, 1967, 24 x 16 cm, 252 p. Henri Bremond (1865-1933). - Actes du Colloque d'Aix-en-Provence. Publi- cations des Annales de la Faculté des Lettres d'Aix, nouvelle série 58, Ophrys, Gap, 1967, 24 x 16 cm, 167 p. L'abbé Bremond a suscité ces derniers temps un intérêt que l'oubli quasi total il était tombé depui s de longues années ne pouvait laisser prévoir. La publication toute récente des Actes du Colloque d'Aix qui lui fut dédié en mars 1966, à l'occasion du centenaire de sa naissance, en est l'ultime preuve. La Faculté des Lettres avait été précédée de quelques mois, pour une semblable bration, par le Centre culturel de Cérisy-la- Salle. Si l'on considère qu'une réédition de l'Histoire Littéraire du Senti- ment Religieux en France est en cours 1, qu'une collection d 'Etudes bre- mondiennes a été créée chez Aubier, qu'une thèse a éconsacrée au défen- seur de la Poésie pure 2, on ne peut manquer de s' interroger sur la signi- fication d'un tel phénomène de réhabilitation. Aura-t-il une suite? Bremond est·il vraiment sort i du "purgatoire des auteurs" il séjournait, enseveli sous le faix de son di scours aux cinq Académies? Les communications qui furent données à Aix et à Cérisy sont autant de témoignages passionnants, et souvent passionnés, sur l'écrivain, l'homme, sa pensée. N'osant nous attarder dans le désert des idées - « la zone aristotélicienne, semée de maigres cactus, qu'éclaire la lumière froide de la raison raisonnante S » - c'est à la personne de Bremond que nous nous attacherons, soutenue en cela par le R. P. Bla nchet qui, pour répondre aux objections que l'on pouvait faire à l'historien du sentiment religieux, affirmait : " dans la mesure vous prouverez que Bremond a éclairé de façon contestable, trop liée à sa propre spiritualité, l'histoire 1. Aux éditions Armand Colin. 12 volumes parus. 2. Clément MOYSAN, Henri Brémond et la poésie pure, Lettres Modernes- Minard , 1967, XIII-245 p. Du même auteur aux mêmes éditions, collection "Archi- ves des lettres modernes", 1967, une plaquette: Les débuts de critique littéraire d'Ho Bremond. 3. Manuel illustré de la Littérature catholique .. , Spes, 1925. p. LI (cf. infra).

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COMPTES RENDUS

Après le Centenaire de l'abbé Brémond

Entretiens sur Henri Bremond, sous la direction de Maurice Nédoncelle et Jean Dagens. Décades du Centre Culturel International de Cérisy-la­Salle, nouvelle série 4, Mouton, Paris-La Haye, 1967, 24 x 16 cm, 252 p.

Henri Bremond (1865-1933). - Actes du Colloque d 'Aix-en-Provence. Publi­cations des Annales de la Faculté des Lettres d'Aix, nouvelle série 58, Ophrys, Gap, 1967, 24 x 16 cm, 167 p.

L'abbé Bremond a suscité ces derniers temps un intérêt que l'oubli quasi to tal où il était tombé depuis de longues années ne pouvait laisser prévoir. La publication toute récente des Actes du Colloque d'Aix qui lui fut dédié en mars 1966, à l'occasion du centenaire de sa naissance, en est l'ultime preuve. La Faculté des Lettres avait été précédée de quelques mois, pour une semblable célébration, par le Centre culturel de Cérisy-la­Salle.

Si l'on considère qu'une réédition de l'Histoire Littéraire du Senti­ment Religieux en France est en cours 1, qu'une collection d 'Etudes bre­mondiennes a été créée chez Aubier, qu'une thèse a été consacrée au défen­seur de la Poésie pure 2, on ne peut manquer de s'interroger sur la signi­fication d'un tel phénomène de réhabilitation. Aura-t-il une suite? Bremond est·il vraiment sort i du "purgatoire des auteurs" où il séjournait, enseveli sous le faix de son discou rs aux cinq Académ ies?

Les communications qui furent données à Aix et à Cérisy sont autant de témoignages passionnants, e t souvent passionnés, sur l'écrivain, l'homme, sa pensée. N'osant nous attarder dans le désert des idées - « la zone aristotélicienne, semée de maigres cactus, qu'éclaire la lumière froide de la raison raisonnante S » - c'est à la personne de Bremond que nous nous attacherons, soutenue en cela par le R. P. Blanchet qui, pour répondre aux objections que l'on pouvait faire à l'historien du sentiment religieux, affirmait : " dans la mesure où vous prouverez que Bremond a éclairé de façon contestable, trop liée à sa propre spiritualité, l'histoire

1. Aux éditions Armand Colin. 12 volumes parus. 2. Clément MOYSAN, Henri Brémond et la poésie pure, Lettres Modernes­

Minard, 1967, XIII-245 p. Du même auteur aux mêmes éditions, collection "Archi­ves des lettres modernes", 1967, une plaquette: Les débuts de critique littéraire d 'Ho Bremond.

3. Manuel illustré de la Littérature catholique .. , Spes, 1925. p. LI (cf . infra).

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spirituelle du XVlI", dans la même mesure vous ramènerez l'attention sur sa personne et sur son drame, et je crois que sa personne ct son drame sont plus intéressants encore que son œuvre » (Aix, p. 21).

Fixons notre attention sur Tes sommaires des colloques, un simple coup d'œil comparatif permet de constater que la rencontre de Cérisy a ménagé une part plus grande à l'œuvre:

Aix-en·Provence

J . Mesnard, Bremond et Port-Royal. 95·112.

J.-L. Garé, Bremond ct Fénelon, 113·128.

G. Mounin, Une relecture de Poé­sie Pure, 145·156.

Cérisy·Ja Salle

L. Cognet, Bremond et Port-Royal, 99·112.

J. Dagens, De saint François.de­Sales à Bossuet, 151·166.

G. Germain, Prière et Poés ie, 187-214.

Cérisy·la Salle

M. Nédoncelle, Newman selon Bremond, ou le procès d'un procès, 43-68.

M. de Cerleau, La Métaphysique des Saints. - Une interprétation de l'expérience religieuse moderne, 11 3-150.

H. Bernard-Maître, Les Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola, interprétés par l'abbé H. Bremond, 167·185.

Aix-en-Provence

M. Vénard, Histoire littéraire et sociologie historique : deux voies pour une histoire religieuse, 75-86.

M. Regard, L'abbé Tempête ou le silence intérieur, 129- 144. J. Onimus, Bremond et l'enseignement des Lettres, 157-1 67.

A Cérisy, seules les communications de E. Goichot, Bremond et Loisy, à propos d'un petit livre, 227-242, el E. Poulat, Bremond et le Modernisme, 69-98, concernaient des points de biographie".

Il était normal qu'à Aix, l'homme fût davantage au centre des débats. Le R. P. Blanchet, artisan du renouveau bremondien ii, fut le coryphée de ces rencontres. Ayant ébauché à Cérisy « quelques traits pour un portrait futur» (19-41), il reprenait à Aix son esquisse en préconisant une « redécouverte de Bremond» (11-25), e t en étudian t les rapports Bremond·Blondel (67·74).

4. Sur ce même sujet cf. Clément MOISAN , « Henri Bremond et le Moder· ni sme », Revue de l'Université de Laval, Québec, vol. XX, n" 8, avril 1966, p.724·745.

5. Instigateur de la réédition de l'H.L.S.R.F., animateur du débat radio· phonique diffusé sur les antennes de France-Culture les 15-22 av ril dernier. éditeur de la correspondance Bremond-Blondel à par:tÎtre, le R.P. Blanchet a en outre écrit plusieurs articles; « Henri Bremond, Notes autobiographiques -, dans Revue d'Ascétique el de Myst ique, 1965 (XLI), n° 164, p. 433-439 . « Claudel. lecteur de Bremond, dans Etudes, sept. 1%5 (t. 323), p. 155·167.

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Le docteur F. Charpin, évoquant ses souvenirs Sur l'abbé Bremond, le situait dans Je paysage a ixois (27-36 ) tandis que le doyen J .-R. Palanque délimitait la place des Provenç,wx dans son œuvre (87-93). Tous deux insis tent sur Je sérieux de ces derniers, e l rappellent combien le génie de Bremond reste lié à sa terre natale.

M. le professeur P. Guiral fait le point sur les divers griefs m êlés dans le désaccord qui opposa Bremonù à Maurras (3749) : l'influence grandissante de Bremond sur Barr ès d 'abord, puis les divergences de vues sur la Grèce, le romantisme, la poésie, enfin sur les questions reli­gieuses crista llisant autour de la personne du pape Pie X. Conflit qui ne signifiait pas seulement la division entre les deux anciens condisciples du collège catholique d 'Aix, mais qui traduit aussi l'opposition de deux familles d 'esprits, les uns vouant , avec Maurras, un culte à la raison, les autres menés, comme Bremond, par un antira tionalisme avoué.

Maurras avait l'admiration de Bernanos, cependant celui-ci n 'inter­vint pas direc temen t dans le différend Maurras·Bremond. Si nous le rencontrons au colloque d 'Aix, c'est au sujet d'une affaire toute person­nelle : la genèse de son roman, l'Im posture. Dans sa communication (51-65), Mgr. D. Pézeril montre comment l 'abbé Cénabre, dont le person­nage fut inspiré à Bernanos par le type d'écriture qu 'adopte Bremond dans son Histoire Littéraire, d 'une caricature monstrueuse de Bremond devient peu à peu une créature romanesque indépendante de son modèle, qui commande à son créateur. Bremond n'est pas Cénabre, mais il demeure que son œuvre a p rovoqué l'invention du personnage. Ainsi est à nouveau posé le problème du s tyle de Bremond, que plusieurs lui repro­chent encore: faiblesse du lettré désireux de plaire, souci d 'ê tre accessible à tous, plus encore, humilité de l'écrivain devant son sujet, qui traitan t des saints, ne voula it êt re pris lui-même pour l'un d 'entre eux, e t pOUl' cela Il. s'exprimait toujours en dessous de ce qu'il pensait» (Aix, 64).

« Incorrigible gamin ... , personnalité complexe », Drcmond est réputé insaisissable, a ussi n 'essaierons-nous pas de le sais ir, mais de le suivre seulement quelques instants. D'ailleurs comment l'enfermer dans une défini tion, lui qui avC\it en horreur les classifications, bien qu'il se laissât parfois prendre à leur pi t'ge, comme le remarque le 1<. . P. Blanchet avec beaucoup de pénétration (Cérisy, 24-25).

Bremond n'est pas assez pratiqué. Il est curieux, par exemple, de constater que pas une fois dans les Actes du Colloque d 'Aix ou de Cérisy, n'est citée l'Introduction au Manuel illustré de la Littérature Catholique qui comprend pourtant cent pages admirables 0 . Ecrites à la hâte, elles sont d'autant plus révélatrices. En les lisant, du collégien qui apprenait à reconnaître chez un auteur « le mérite littéraire, refle t d 'une âme char·

6. Manuel illustré de la litt érature catholique e ll France de 1870 à nos jours, Ir6 édition, Spes, 1925, p Vl1-CXVL On sc méfiera de la réédition de cet ouvrage sortie en 1939 des presses du même éditt!ur qui ne donne que des fragments de l'Introduction de Bremond reietés en conclusion sous forme d 'un chapitre X , p. 383-464. Quelques bonnes feuilles ava ient été publiées par H. B. lui-même dans Le Correspolldallt, t. 298, (1925) , p. 227, 344, 684.

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mante» (Manuel, XIII), à l'historien des mystiques qui retient le témoi­gnage d 'un écrivain « parce qu'un je ne sais quoi [l']assure qu'il ne parle que d'après son expérience personnelle » (Manuel, LXXII) , on refait le parcours critique de Bremond.

On sait la préoccupation qui commande toute son œuvre - il s'en confesse à un disciple, Don de Luca; « l'unique curiosité : Qu'est-ce que prier? Est-ce qu'on prie? »T. Non moindre que sa recherche de la prière, Je souci d'authenticité. Ami de Tyrrel, Bremond dénonce une tendance moderne qu'on peut qualifier de snobism e spirituel,' {( nous sommes tous nobles, rappeJle+il, c'est-à-dire capables de Dieu ... Roturiers, néanmoins, les pauvres de cœur, roturiers plus encore, ceux qui, persuadés qu'ils ne le sont pas, s'installent d'emblée à la première place du festin» (Manuel, LXIX). Nous sommes loin des coquetteries de Cénabre.

C'est le même souci qui, dans le domaine littéraire, lui faisait admi­rer l'art sans artifice de Marie Noël, à qui il consacre quelques pages qui seraient peut-être le meilleur éclaircissement en marge du discours sur la poésie pure. Sans doute cst<:e la raison pour laquelle Bremond les a préservées, loin du bruit (LXXVI - LXXXI).

Hanté par une « unique curiosité J) qui ne l'empêche point d'être bavard, à la fois secret et primesautier, Bremond déroute. Plus que qui­conque il déconcerte l'homme du Nord. C'est ce qui a tant gêné Bernanos, ct qui gênait encore à Aix (63) un membre du colloque qui sans mettre en question la foi de Bremond s'étonnait de son parti pris d'écrivain, décrétant l'amalgame impossible. On pense irrésistiblement avec un sourire au scandale de don Léopold-Auguste dans le Soulier de satin : « Là, là, sous mes yeux, un poisson qui tète! »

S'il paraî t avoir parfois un côté tambourinaïre, soyons cependant assurés que, Provençal authentique, Bremond cache sous ce masque « cette sagesse plus profonde encore que grise, cette grandeur simple et qui n'eut jamais recours aux échasses, cette rustique noblesse, cette vive ardeur toujours maîtrisée» (Manuel, XXXV!) ...

Hélène QUINEMANT.

André BLANCHET. - Histoire d'une mise à l'Index. La Saillte Chantal de l'abbé Bremond, Aubier, Etudes Bremondiennes, 1967, 20 X 13 cm, 292 pages.

On achève la lecture du très bel ouvrage par lequel le R. P. Blanchet ouvre la collection des Eludes Bremondiennes, partagé entre l'admiration que l'on ne peut ménager à l'auteur pour la remarquable contribution ainsi apportée aux travaux d'histoire religieuse contemporaine et ~ l'écœu­rement causé par tant dc bassesses qui ont poussé comme des champi­gnons sur tout ce fumier» pour reprendre les termes mêmes d 'une lett re de Bremond à Barrès (p. 136).

7. Don Giuseppe de Luca et l'abbé H. Bremond, Rome, 1%5 (lettre du 16 janvier 1932), p. 136-137.

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L'enquête est conduite par Je R. P. avec une rigueur de détective : Sainte Chantal a été brûlée .. . par qui , pourquoi? et l'affaire est exposée avec une maîtrise de grand historien qui sait éclairer à partir d 'un cas précis toute une page particulièrement sinistre de l'his toire de l'Eglise à l 'orée de ce siècle.

La Sainte Chantal de l'abbé Bremond a donc été suppliciée propter odium auctoris, par une clique d'intégristes savoyards tôt relayés par leurs homologues romains qui ont nom Mgr. Benigni, Emmanuel Barbier, Bernard Gaudeau, etc., gens qui pour leur courte honte ont voulu lire dans cette biographie ce qui n 'y était pas, et ne se trouvait sans doute que dans leur subconscient chargé. En 1929, Bremond écrira à un ami: « Voici quinze à seize ans, Gaudeau, alors tout~puissan t auprès de Pie X et de Merry dei Val, étant venu à moi les mains tendues - me supposant aussi vil que lui - je lui ai brutalement tourné le dos. Si j 'avais marché, ma Sainte Chantal eût évité aisément l'Index 1. »

Ce qui rend à certains moments l'atmosphère de ce livre irrespirable, ce sont les relents de haine qui ne cessent d'y flotter. Citant le mot qu'un catholique scandalisé de voir Elisabeth Leseur prodiguer tant de dévoue~ ment auprès des juifs, des incroyants et des athées, disait de cette der~ nière : « Cette femme n 'a pas de haine », Bremond commentait : « Près de 2.000 ans après la mort du Christ, cette parole, plus elle est impie et bête, plus elle me paraît, en quelque façon, magnifique. Chez un catholique pratiquant, une telle tranquillité dans la résistance à l 'esprit de l'Evan· gile! Ce que dit ce malheureux, d'autres le pensent qui n'oseraient le dire: d'autres le vivent 2 . »

Au nombre de ces derniers, force nous est de compter en bon rang les membres du Sodalicium Pianum, vulgairement dit 'La Sapinière", parmi lesquels se sont recrutés les persécuteurs de l'abbé Bremond. Ce qui pose inévitablement la question du rôle joué dans cette affaire par le saint pape Pie X qui a couvert de son autorité tout ce remugle de dénon· ciations, ragots et calomnies: n'a·t·i! pas laissé les délateurs s'abriter sous son nom sodaliciwn Pianum? C'est sur ce point que le travail du R. P. Blanchet déçoit un peu : il eût fallu aborder de front ce point de parti­culière difficulté, qui n'est ici traité que par le biais du changement de pontificat (p. 169-177). N'est-ce pas une échappatoire? Cal' lorsqu'un biogra· phe de saint Pie X nous assure que le serviteur de Di<;:u, qui a adressé à partir de 1911 t rois autographes de bénédiction pontificale à La Sapinière et lui a fait obtenir une subvention annuelle, ne peut ê tre taxé d'avoir encouragé cette officine sous prétexte que l'approbation de 1913 dont il la gratifia était "générique" mais non pas "canonique", nous sommes en droit de demander: de qui se moque·t~n 3 ?

D'ailleurs , la haine vaticane à laquelle Bremond s'est trouvé en butte ne s'est pas éteinte avec la disparition de saint Pie X. C'est en effet sous le pontificat de son successeur, Benoît XV, que l'on a tout fait, depuis Rome, pour, dans les années 1919~1921, littéralement l'affamer. Plongé

J. BLONll.I3L.vALENSIN, Correspondance III, Aubier, 1965, p . 148. 2. Manuel de la littérature catholique .. , Spes, réédit. de 1939, p. 411412. 3. Pierre FERNESSOLE, Pie X, essai historique, 1. II, Lethielleux, 1953, p . 245.

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dans une grande détresse, Bremond doit tendre la main à Blondel, l'ami fidèle, à Francisque Gay, son éditeur, auprès d'autres correspondants, et la lettre écrite de Pau à l'abbé Baudin le 31 janvier 1920, prend un son tragique quand on y voit revenir quatre fois dans une seule page le mot assiette, image obsessionnelle de l'affamé qu'il était (p. 232).

C'est une haine identique qui a acculé le Père Laberthonnière au désespoir; n'oublions pas que c'est le même décret, du 5 mai 1913, qui porta condamnation, en même temps que de la Sainte Chantal, des Annales de Philosophie Chrétienne : le R. P. Blanchet a bien raison de parler de « strangulation pure et simple )) (p. 149). C'est la même haine au front borné qui a conduit Mgr. Lacroix, évêque de Tarentaise, à démissionner après l'encyclique Pascendi. De cc dernier nous possédons une lettre à Paul Desjardins trop peu connue, qu'il n'est pas inutile, dans ce contexte, de citer: « .•• A vrai dire, il n'y a plus parmi nous de liberté de pensée. Chacun paraît avoir peur de ses propres idées. Par crainte de sortir de l'orthodoxie, on renonce à user de :: . .:1. propre raison et à faire œuvre de critique. Pour chaque chose on s'en remet à l'autorité. Elle seule est chargée de penser pour le troupeau d'esclaves qu'e lle a mission de conduire. Dans les paroisses, c'est le curé qui pense pour les fidèles; dans les diocèses, c'est l'évêque qui pense pour ses prêtres et dans l'Eglise, c'est le pape qui pense pOUl' les évêques, pour les prêtres ct pour les fidèles. En réalité, je serais porté à croire que personne ne pense, à part quelques chefs de congrégations romaines qui restent dans la coulisse et qui se croient chargés de surveiller la mentalité de tous les catholiques; à part encore certaÎns esprits comme ceux que vous citez, qui ne reçoivent leurs idées de personne et tâchent d'être silencieusement les ouvriers souvent gémissants ùe leur propre foi. Au fond, c'est comme en Russie ... Seulement, chez nous comme sur les bords de la Néva, 011 entend de sourds grondements qui sont inquiétants pour l'avenir de l'absolutisme intellectuel, lequel n'est pas moins absurde ni même moins odieux que }'autre 4 • »

Après lecture d'un tel document qui ne cesse de dix en dix ans de retrouver une valeur d'actualité, moins optimiste que ne l'cst le R. P. Blanchet dans sa conclusion, nous inclinerions à penser que le dossier de la Sainte Chantal reste ouvert, tout comme le procès Galilée, et partage­rions volontiers l'opinion qu'exprimait le 17 mai 1913, au lendemain de la condamnation, dans un billet à Bremond, le très sage secrétaire général de La Revue des Deux-Mondes, ViclOr Giraud: « Espérons que nous pour­rons sans trop d'accrocs attendre le pontificat de Léon XIV. Je nous le souhaite passionnément en tout cas» (p. 100) .

P.-A. AMARGIER.

4. Paul Des;ardins et les décades de Pontigny, P.U.F., 1964, p. 98.

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Une monographie de Saint-Chamas

Paul LAFRAN. - Sain/-Chamas, pages d'his/Dire (1712-1914), Uzès, 1966, in-8·, 310 pages.

Paul Lafran a déjà donné sur Saint-Chamas des articles ayant trait à la préhistoire et à la protohistoire, ct un livre très utile : Saint-Chamas des origines à 1800. L'ouvrage qu'il fait paraître aujourd'hui a trait à l'histoire de cette commune de 1712 à 1914.

Le livre comporte quatre parties: une première partie de 1712 à 1789, une seconde partie de 1789 à 1815, la troisième partie de 1815 à 1870, la quatrième partie de 1870 à 1914. Son originalité consiste en la diversité des sources et de son plan. Les parties sont divisées en de petits chapitres très inégaux qui sont fondés tantôt sur les archives municipales, tantôt sur les archives départementales, tantôt sur des ouvrages éprouvés et sur la tradition orale ; donc, on ne peut pas demander d'homogénéité à ce volume; par contre, on y trouve des détails inédits en grand nombre, très intéressants et vérifiés sur place, étant donné la connaissance que l'auteur a de la région, des familles et de l'environnement agraire et maritime.

Dans l'Ancien Régime, les confréries de Pénitents étaient florissantes ; les passages SUT l'église paroissiale et les chapelles sont très attachants. La peste de 1720 a sévi avec grande brutalité; mais ce sont les pages sur le port et sur la modification du site du Baou qui retiendront le plus l'attention.

Le chapitre sur la Révolution et l'Empire n'est pas moins suggestif. La France a été peu ou prou touchée par le grand ébranlement révolu­tionnaire, mais il semble qu'à Saint-Chamas, les idées nouvelles ont trouvé un terrain assez propice et elles se développeront dans tout le cours du dix-neuvième siècle, jusqu'à triompher au début du vingtième. Le Consulat met un semblant d'ordre, mais on sent que la misère n'est pas légère et que les charges de l'Ancien Régime sont au moins égalées: nous sommes assez bien renseignés sur les difficultés économiques de cette commune modeste, malgré une manufacture entretenue par l'Etat et sur les débuts de l'ère technique dans les premières années de l'Empire. La gloire impé­riale a des revers assez attristants avec le chômage et les désordres; l'émigration à Marseille est soulignée. M. Lafran a bien fait de publier le passage vivant et très peu connu, consacré à Saint-Chamas, dans la Statis­tique des Bouches-du-Rhône. Les éphémérides du Second Empire sont déjà marquées par la lutte entre cléricaux e t laïques; des travaux d'urba­nisme se poursuivent marqués de catastrophes, d'éboulements; les progrès de J'école publique sont très lents, mais fertiles en dévouements obscurs des instituteurs laïques ou religieux!

La Troisième République n'est pas très riche en archives, mais les témoins sont encore vivants. Les travaux publics sont poussés avec assez d'activité, l'Hôtel de Ville neuf est construit, on voit apparaître le nom du peintre Seyssaud dans les délibérations du Conseil Municipal, pour commande d'un tableau qui est toujours à la Mairie. Le choléra sévit en 1884, assez fortement, mais M. Lafran montre que l'imagination popu­laire en a assez exagéré les ravages! Saint-Chamas est définitivement

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converti à la République, République sociale, certes, mais dans ses années de jeunesse! L'auteur consigne des détails très pittoresques sur la mino­rité blanche et la majorité rouge.

Au cours de ces 300 pages de lecture, nous avons montré quelques points dignes d'intérêt, le lecteur attentif en dénombre ra d'autres. Expri­mons un regret : la division de 1712 se justifie peu, il faudrait une date ultérieure ou postérieure. Je sais bien que les archives présentent des lacunes entre 1700 et 1712. L'excellent connaisseur du vieux Saint-Chamas qu'est M. Lafran aurait pu nous donner, en quelques pages à la fin, une courte conclusion de l'histoire de cette commune. On souhaiterait voir mettre l'accent sur Je caractère de cette petite ville, maritime et agricole à la fois, que le Grand roi a voulu doter d'une industrie d'Etat. M. Lafran a le mérite de nous avoir fait méditer sur le sort incertain des habitants de cette ville, à qui les soucis quotidiens ne laissaient guère le temps d'être sensibles à la beauté du pont romain, de leur église du dix-septième siècle, et des rivages de leur étang.

André VILLARD.

Les mésaventures d'un colporteur provençal sous la Révolution

Pierre DUBOIS. - La vie pénible el laborieuse de Jean-Joseph Esmieu, marchand colporteur en Provence sous la Révolution Française. Toulon, impr. nouv., 1967. In-12", 91 pages.

En 1823, marchand de tissus et de mercerie à Hyères, marié, père de famiUe et heureux (quand il n'est pas cambriolé), Esmieu rédige son autobiographie. Il est né à Méolans (Basses-Alpes, arrondissement de Barcelonnette), en 1762, d'un père "ménager" et négociant en bestiaux. A onze ans {!L il a quitté la maison paternelle pour chercher fortune en basse Provence_ Il est finalement devenu, après diverses expériences à Marseille, marchand colporteur, puis marchand en boutique, et s'est trouvé à Toulon en 1793 (an II). L'essentiel du récit est constitué par la course­poursuite aux miJle rebondissements qu'Esmieu dut alors engager contre un autre colporteur qui lui avait volé une très précieuse malle de dentelles. C'est un véritable petit roman picaresque qui jette un jour très curieux sur les conditions concrètes - mélange de bagarres physiques, de pour­suites en tous les sens du mot, et du plus strict formalisme -, dans lesquelles s'exerçait la police criminelle, au plus fort de la Révolution.

Ainsi, le premier intérêt de l'ouvrage est d'être curieux, pittoresque, amusant. Disons tout de suite que le second et plus grand intérêt que présentent ces quatre-vingt-dix pages est de fournir des dizaines de petits faits vrais à l'histoire du commerce intérieur, - à l'histoire de la vie quotidienne (les voyages, les auberges, la vie de la route; la médecine, les mœurs) - à J'histoire de l'apprentissage, - à l'histoire de la crimi­nalité, - éléments importants pour une histoire sociale qualitative. Enfin, troisième et dernier intérêt, Toulon pendant la Révolution : une scène de "lanterne" manquée, la répression après le siège, les exodes et remplace­ments de population, l'interférence entre vengeances privées et luttes poli­tiques, le rôle des liens personnels. L'auteur assure avoir été présent aux

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fusillades du Champ de Mars et n'y avoir échappé qu'en faisant in extremis examiner son cas par Robespierre le jeune, qu'il aurait osé interpeller sur place.

Mais, comme on l 'a dit, le principal apport à l'histoire de la révolu­tion à Toulon, à Marseille et sa région, c'est évidemment le témoignage sur le fonctionnement concret des institutions. On retiendra aussi (p. 48) l'idée qu'Esmieu semble suggérer : pour lui, simple marchand, avide de gain, débordant d'activités fructueuses, et totalement indifférent aux affaires publiques, la "Révolution" véritablement perçue serait moins celle de l'année 89 que le rebondissement jacobin de 1791-92_

.'. Après avoir remercié M. Dubois pour avoir livré au public ce beau

document, il faut exprimer à regret les raisons qui empêchent d'en faire un éloge sans réserves : Il n 'y a pas beaucoup de précision sur la prove­nance et la garantie d'authenticité du manuscrit d'Esmieu, dont aucune description technique n'est donnée. Il n'y a pas beaucoup de précision non plus sur la méthode et les principes selon lesquels l'éditeur a tra· vaillé (<< Mon rôle, dit-il seulement, a été d'élaguer, de choisir, de corri· ger », et il explique ensuite qu'il a supprimé les provençalismes).

Les notes sont insuffisantes et arbitrairement choisies : pourquoi expliquer "ménager", mais pas "bourgeois" ou "paysan", dont l'acception est moins simple qu'il n'y paraît? pourquoi identifier par une référence d'archives un personnage très subalterne (p. 54) alors que maints autres plus importants ne le sont pas (passim) ou le sont trop vaguement (p. 74) ? Mais, le plus choquant est ceci. On lit (p. 48) que « le maire de Marseille (en 1792) était un vieux groulier de la place des Hommes )), et, en deux notes infrapaginales, M. Dubois nous "apprend" que ce maire était Mourraille et que "groulier", d'après Albert Dauzat, signifie « qui grogne, qui gronde )). Or, il suffisait d 'ouvrir le Trésor du Félibrige, de Mistral, pour savoir qu'un "groulier", dans l'ancienne Provence, était un savetier , ce qui coïncide très bien avec ce que la suite montre du caractère e t de l'inculture du personnage. Mourraille, il est vrai, n'était pas savetier, c'était un savant distingué, astronome et mathématicien, comme nous l'apprend l 'Encyclopédie des Bouches-du-Rhône. Il fallait donc conclure que le narrateur avait pris pour le maire de Marseille un fonctionnaire beaucoup moins important, ce qui est très plausible puisque (p. 66) il allait faire de Dugommier un membre de la Convention (erreur signalée, celle-là, par M_ Dubois)_

C.es remarques ne sont pas inspirées par un esprit chagrin ou par quelque déformation professionnelle, mais par un sincère intérêt pour l'œuvre de M. Pierre Dubois, dont les historiens risquent d'hésiter à uti­liser, à citer et à diffuser l'apport, ce qui serait bien dommage.

Nos dernières observations seront plus générales. M. Dubois souligne lui-même la portée de son texte: « Le petit peuple de Provence grouille de vie », dit·il, ce qui est vrai. Il pense qu'on devrait réviser bien des "idées préconçues" sur la "misère populaire", ce qui est plus contestable: le peuple extraordinairement industrieux des colporteurs issus de la

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Haute-Provence était très loin de représenter, sous l'Ancien Régime, la couche sociale la plus modeste, et le niveau de vie du véritable prolé­tzxiat des villes et bourgades de Basse-Provence était très inférieur au sien.

Enfin, pour M. Dubois, son héros est un Provençal-type, plein de mille qualités attachantes et, notamment, de "gentillesse", etc. Or, il est impossible de lire ces pages sans être frappé au contraire par l 'âpreté de ia vie. Oui, on s 'entraide entre parents, entre amis, au sein des réseaux de relations s tables (commerçants et clients habitués, par exemple), mais cn dehors de cela comme on se trompe, comme on se vole, comme on se brutalise! et de quel cœur léger on voit partir un voleur pour la potence (p. 42) ! et avec quel cynisme on traite les problèmes de l'amour et ceux du mariage (p. 27; p. 85 sqq.) ! C'était la dure vie d'autrefois, il serait naïf d 'en gémir. Mais il est naïf aussi de croire que la Provence ait pu en être exempte. A cet égard, prisonnier d 'une certaine mythologie de la "Provence éternelle", M. Dubois n'a pas vu ce qu'il nous apportait peut­êt re de plus intéressant.

Mais, encore une fois, qu'il soit tout de même remercié pour cette éJition.

Maurice AGULHON.

Un socialiste d'origine provençale : Raspail

François-Vincent Raspail ou le Bon usage de la Prison précédé de l'Etude impartiale sur lean-Paul Marat. Présentation, Préface et notes par Daniel LlGOU. Paris, Jérôme Martineau, 1968, 731 pages.

Que François-Vincent Raspail in téresse plus particulièrement les Provençaux, ce n'est pas douteux : il est né à Carpentras, le 25 janvier 1794; il y a fait ses études et a notamment profité de l'enseignement de t'abbé Eysseric; il a commencé très tôt, dans la petite vil1e vauclusienne, son aposlolat d 'homme de gauche. Il a été, en outre, élu député dans la deuxième circonscription de Marseille, le 5 mars 1876, et c'est en sa qualité de député de la grande métropole qu'il prononce son discours en faveur tic l'amnistie des condamnés de la Commune, en faveur de l'amnistie toujours nécessaire aux moments les plus divers de notre histoire troublée. Discours qui atteste que la générosité reste intacte, mais, à suivre les inter­ruptions de la droite, il est facile de comprendre que l'ardeur de Raspail s'émousse et que sa voix s'éteint. De la sorte, la vie de François-Vincent Raspail commence en Provence et finit en Provence; il est un des "rouges du Midi" . Mais, on le sait, François-Vincent Raspail échappe à l'histoire locale; on le retrouve à tous les détours du XIX" siècle, dans ses démar· ches et recherches scientifiques, dans son activité maçonnique qui achève ùe le rapprocher du docteur Guépin, dans son ardeur politique, dans ses "': tudes historiques (Elude impartiale sur lean-Paul Marat , où il affirmerait volonliers, avant le poète, que « lean-Paul Marat, l'ami du Peuple, était très doux »), par sa dénonciation du régime des prisons don t il parle en conna issance de cause, en ayant eu une expérience douloureuse et répétée. Pour ces fOisons essentielles, il était plus qu'opportun de donner une réédi-

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tion, non pas complète mais très large, de l'œuvre de Raspail. M. Daniel Ligou, professeur à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de l'Université de Dijon, s 'en est acquitté avec beaucoup de chaleur et de soin.

M. Ligou se sert à propos de Raspail de l'expression d 'incorruptible. Il y a effectivement en Raspail une m anière de saint de la démocratie, une figure de vitrail. On re tiendra notamment son p rojet de loi tendant à réformer le sys tème des lois pénales et établissant, notamment, pour chaque commune un jury préventif et pour chaque arrondissement un jury de réparation e t de réhabilita tion. Citons au moins l'un des articles qui fait penser à Victor Hugo dont ce fut la revendication fondamentale: « Tous les moyens de souffrance quelconque, morale ou physique, sont définitivement abolis, en tê te de toutes ces lois, la peine de mort, l'une des dernières taches qui restent des tortures du Moyen Age et de nos mauvais jours . li) Ce socialiste sait, au surplus, s'attirer l'amitié des grands de ce monde, notamment lorsqu'il est en Belgique et qu 'il conserve ou gagne l'amitié du comte Vilain XIV, président du Sénat, de Charles de Brouckère, du général Chazal, de la famille de Marnix, du comte et de la comtesse de Marneffe au nom balzacien , du docteur de Pieter, le meilleur des amis. Raspail a été naturellement le médecin des pauvres et l'ami des riches : les uns et les autres l'on t pris tel qu'il était.

M. Ligou est plus réservé lorsqu'il s'agit de la pensée politique de Raspail. Effectivement, Raspail ne repense pas le monde : il n'est ni Marx, ni Proudhon, ni même Peequeur : très quarante-huitard, très libertai re (son social isme n'a rien d 'un credo, ni d 'une doctrine aux contours fermes, c'est une orientation), très anticatholique et décidé à rappeler toutes les faiblesses de l'Eglise, très antiétatique surtout. Il r edoute, dans l'Alma­nuach pour 1849, un président de la République aux larges pouvoirs et aux grandes responsabilités. « Si vous cherchez à le rendre aussi puissant, aussi riche qu 'un roi, pourquoi avez-vous chassé la royauté? N'avez-vous pas toujours ainsi un maître ? ... La force du p résident, c'est la faiblesse de la République, ear il ne peut être fort qu'aux dépens de la patrie. JI

Comme on s'en doute, Raspail est des nombreux, plus nombreux qu'on ne l'a dit, esprits de gauche, favorables à la décentralisation. Raspail ne manque pas de comparer la France aux autres pays européens et d 'en tirer des conclusions justement désabusées. « Ce système étouffant de centr a­lisation pour le talent, si l'on excepte la Russie , ne se retrouve presque plus qu'en France. En Allemagne, grâce au mo!"ce!lement mal entendu, il est vrai, de la surface politique, on trouve des centres de civilisation et de progrès à chaque vingtaine de lieues ; et toutes ces universités se sur­veiUent mutuellement, se tiennent pour ainsi di re en arrêt, s'aiguillonnent par leurs succès, se contrôlent par leur critique, r éparent l'une les injus­tices de l'autre, en offrant au talent malheureux dans le concours voisin, une lutte plus égale et une place assiégée par moins de rivalités. »

Encore une fois, que penser de Raspail? Il marque moins le socia­lisme que la sensibili té de l'époque qu'il inspire autant qu'il la reflète; il manque à maintes reprises d'esprit critique et ne le montre que trop par sa comparaison de Lacenaire, l'assassin, et du grand roi Guillaume qui a fait )a guerre à la France « pour emporter nos joyaux, nos bijoux, nos pendules, à l'aide de la meute de juifs voleurs que chaque capitaine entraînait à sa sui te, afin de partager en secret avec eux. » On notera, au

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passage, en même temps que le nationalisme de la gauche, la trace d'un antisémitisme beaucoup plus répandu dans la pensée démocratique qu'on ne veut généralement l'admettre. Mais, encore une fois, recoI?Jlaissons la diversité de ses curiosités et la générosité de sa pensée.

P. GUlRAL.

Un astronome et botaniste provençal : Louis FeulUée

M. Charles Bourgeois a publié, dans la Revue d'histoire de la phar· macie, t. XVIII , n° 192, mars 1967, une brève mais excellente étude sur le Père Louis Feuillée, astronome et botaniste du roi (1660-1732) . Le Père Louis Feuillée, savant de mérite et de haute réputation, intéresse la Provence puisqu'il est né à Mane, a poursuivi ses études au couvent des Minimes à Marseille, a fait profession dans l'ordre des Minimes à Avignon, en 1680, a tenu un journal de la peste de Marseille dont quelques extraits ont été publiés par Jauffret dans le Conservateur marseillais.

P. GUIRAL.

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A VIS AUX LECTEURS

Le catalogue des œuvres d'Emile LOUBON (1809-1863) étant actuel­lement en voie d'achèvement:

Mlle Paule GUIRAL, Résidence "le Pigonnet", A 1, route de Marseille, 13 - AIX-EN-PROVENCE, prie toute personne possédant une œuvre de ce peintre de bien vouloir se faire connaître.

BARTHELEMY (M.), docteur en histoire de l'Art et archéologie, conser­vateur adjoint des musées de Liège, 7, rue des Rivageois, Liège Belgique.

GRILLON (Pierre), maitre-assistant en Sorbonne, rue des Frères-Moreau - 77 - Combs-la-Ville.

PILLORGET (René), maitre-assistant en Sorbonne, 58, boulevard du Couchant - 92 - Nanterre.

QUINEMANT (Hélène), diplômée d 'Etudes supérieures d'anglais, 42, bd Rabatau, Marseille.

TRESSE (René), Bloc D, 31, boulevard Gorbella, Nice.