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Un étrange miracle arlésien Dans son remarquable ouvrage Recherches sur l'hellénisation du midi de la Gaule 1 M. Fernand Benoit touche occasionnell ement aux origines de l'église Notre-Dame-de-la-Mer, plus connue aujour- d'hui sous Je nom des Saintes-Maries-de-la-Mer. Il la raUache à un port fluvial, cet oppidum· priscum Ra, indiqué pal' Festus Avienus, poète géographe du IV' siècle - oppidum où Camille Jullian pro- posait de voir lc site primitif de Nolre-Dame-de-la-llfer 2. F. Benoit va plus loin et donne à ce sujet des précisions nou- velles: « Ce port existait au Bas-Empire; c'est dans l'église dédiée il Notre-Dame (Beala Maria ), « aux limites de l'Océan (in ref/ui Oceani flnibus), qu'aborde un pèlerin, qui s'était embarqué à Arles, s ur le Rhône, pour denlander l'intercession des nombreuses reliques possédées par l'église J ••• •• L'indication est troublante; historiens provençaux ou arlésiens semblent tout ignorer de ce pèlerinage comme de la renommée faite à cette église mariale par de nombreuscs reliques 4. Il s'agit ici du sanctuaire de Sancla Maria de ratis, l'ancêtre de l'église actuellc des Saintes .) , et notre auteur n'hésite pas à affirmer leur identi- lication. Et même, pour mieux ét ablir la célébrité de ce pieux édifice, F. Benoit ajo ute le témoignage d'un texle hagiographique, emprunté à la ViiII S. Hippolyli, dans les Ac/a Sanctorum des bollandistes '. 1. Dans • Publications des Annales de la Faculté des Lettres :t (Editions Ophrys, Aix-en-Provence, 1965), gr. in-4°. 335 p., 50 pl. 2. te Rufus Festus Avienus » (éd. Holder), Ora maritima, vv. 701-703; cf. F. B ENOIT, op. cil., p. 125, n. 157; M. ClIAILLAN, Les Saintes-Maries-de-la-M er. Recherches archéologiques et !lis/oriques, p. 27. 3. F. BE..'iOIT, op. cit., p. 125, n. 156. 4. Aucun témoignage dans FAILLON, Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Madeleine. 2 vol. (Paris, 1865) qui, ses attaches li'aditionnalistes, donne de bons documents sur ces problèmes. 5. Acta Sanctorum, August., III, 13 aoOt, p. 4-15. PROVENCE HISTORIQUE, t. XIX, fasc. 75 - JANVIER-MARS 1969

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Un étrange miracle arlésien

Dans son remarquable ouvrage Recherches sur l'hellénisation du midi de la Gaule 1 M. Fernand Benoit touche occasionnellement aux origines de l'église Notre-Dame-de-la-Mer, plus connue aujour­d'hui sous Je nom des Saintes-Maries-de-la-Mer. Il la raUache à un port fluvial, cet oppidum · priscum Ra, indiqué pal' Festus Avienus, poète géographe du IV' siècle - oppidum où Camille Jullian pro­posait de voir lc site primitif de Nolre-Dame-de-la-llfer 2.

F. Benoit va plus loin et donne à ce sujet des précisions nou­velles: « Ce port existait au Bas-Empire; c'est dans l'église dédiée il Notre-Dame (Beala Maria ), « aux limites de l'Océan • (in ref/ui Oceani flnibus), qu'aborde un pèlerin, qui s'était embarqué à Arles, sur le Rhône, pour denlander l'intercession des nombreuses reliques possédées par l'église J ••• • •

L'indication est troublante; historiens provençaux ou arlésiens semblent tout ignorer de ce pèlerinage comme de la renommée faite à cette église mariale par de nombreuscs reliques 4. Il s'agit ici du sanctuaire de Sancla Maria de ratis, l'ancêtre de l'église actuellc des ~ Saintes .) , et notre auteur n'hésite pas à affirmer leur identi­lication. Et même, pour mieux établir la célébrité de ce pieux édifice, F. Benoit ajoute le témoignage d'un texle hagiographique, emprunté à la ViiII S. Hippolyli, dans les Ac/a Sanctorum des bollandistes '.

1. Dans • Publications des Annales de la Faculté des Lettres :t (Editions Ophrys, Aix-en-Provence, 1965), gr. in-4°. 335 p., 50 pl.

2. te Rufus Festus Avienus » (éd. Holder), Ora maritima, vv. 701-703; cf. F. B ENOIT, op. cil., p. 125, n. 157; M. ClIAILLAN, Les Saintes-Maries-de-la-Mer. Recherches archéologiques et !lis/oriques, p. 27.

3. F. BE..'iOIT, op. cit., p. 125, n. 156. 4 . Aucun témoignage dans FAILLON, Monuments inédits sur l'apostolat de

sainte Madeleine. 2 vol. (Paris, 1865) qui, ma~gré ses attaches li'aditionnalistes, donne de bons documents sur ces problèmes.

5. Acta Sanctorum, August ., III, 13 aoOt, p. 4-15.

PROVENCE HISTORIQUE, t. XIX, fasc. 75 - JANVIER-MARS 1969

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D. BUENNER

A voir s'aligner tant de r éférences, la surprise s'accroît. En dehors du « Testament de saint Césaire d'Arles 6 >, je ne croyais pas qu'il y eût d'autres documents pa léa-chrétiens signalan t notre sanctuaire camarguais. D'sutre part, l'autorité dont jouit à juste titre M. F. Benoit, membre de l'Institut, portail 11 la prudeuce ct conseillait de regarder de très près les textes invoqués. Il fallait voir de quel sainl Hippolyte, au juste, il s'agissait; quelle poU\'ait hien être celte église mariale? en q uoi consistait le mil'acle ? enfin, à quelle SOUfce ancienne avaient puisé ses narrol eul's ?

.... Il cst dangereux, en hagiographie, de mettre en avant le sain t

Hippolyte du 13 aoft!. C'est l'un des saints les plus malmenés du calendrier romain. Prêtre et docteur très cn vlIe :\ Rome au 11--111- siècle, ses écrits lui valurent une grande autorité 7, II vivait entre 170-175 et 235; vers 222, ses démêlés avec les papes Zéphyrin el Calliste le portèrent à des tendances schismatiques ' . Condamne à l'exil avec Pontien, deuxième successeur de Calliste, il fut déport é en Sardaigne. Hippolyte se soumit et mourut en exil, d'où son corps fut ramené avec celui de Pontien 9. Réconcilié avec l'Eglise. on l'honora comme martyr 10; mais ses anciens détracteurs dépecèren t sa mémoire qui fut fragmentée en plusieurs a ntres sainls homo­nymes, hisloriques on non : tel celui du 30 j anvier, dont on a fait nn Syrien d'Antioche 11, ou celui du 22 août, transformé en évêq ue 12,

a lors qu'il faut y voir l'anniversaire de la dédicace d'une basilique à Porto en l'honneur du prêtre martyr romain n - lanlaene un;mis coeleslibus ...

--6.-0ans FAILLON, op. cil. , t. II, p. 6OS..()()8. 7. A. d 'AI.ts, La Théologie de saint Hippolyte (Paris, 1906), p. 63 55. En

1551, on trouva, à Rome, via Tiburtina, une statue cn marbre, représentant Hippolyte assis et portant sur l'un des côtés de son siège la liste des ouvrages composés par lui avant 224 ; cf. Dictionl1. d'arc11éol. et de litllrg., 1. \'1 , col. 2421·2422.

8. Cf. J . LEORETON, dans FUCIIE et MARTIN, Histoire de l'Eglise, L Il, p.101·105.

9. Cf. J. LeoREToN, op. cil., p. 106. 10. Prudence, qui ne savait à peu près rien sur Hippolyte, décri t l'empres·

sement des fidèles à visiter le tombeau le jour de la fête du saint (Peris tep/!anoll, XI, 195, 196, 199, 201); cf. H . DaEIIAYE, Recherches ~lIr le légel1dier romaitl, dans Analecta Bollalldiarw, t. u (1933), p. 65. B. de GAIFFIER, Etudes critiques d'hagio· graphie (Bruxelles, 1967), p. 19.

U. Cf. I L Dl!LEHAYE, art. cité, p. 65·66. 12. Ibid., p . 62-é6. 13. I bid., p. 62: te on sait avec certitude qu'Hippolyte était titulaire d'une

église à Porto ; avant le IXe siècle ... Hippolyte de Rome, honoré à Porto, est devenu Hippolyte de Porto. »

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MIRACLE ARLIlSIEN

Au 13 aoîtt, anniversaire du retour des corps des deux martyrs 14, la vindicte s'esl manifeslée en adjoignant à Hippolyte sa nourrice, Concordia - qui ne le fut jamais -, plus dix-neuf compagnons, de la maison d'Hippolyte. On a costumé le personnage en soldat, suppléant un geôlier - vicarius - du diacre Laurent. Tous meurent sous la persécution de Valérien (253-260) - ce qui est faux - , les uns par les fouets plombés, Hippolyte traîné par des chevaux sauvages 15. Aucune mentioll d 'exil sarde; le supplice du fils de Thésée couronne la fin du prêtre tenu pour schismatique et antipape 16.

On voit l'incertitude qui règne encore au v' siècle à Rome ou en Espagne (Prudence est espagnol) sur notre Hippolyte. Pour le P. Oelehaye, la notice martyrologique du 13 aoîtt fourmille d'erreurs, fabulis consarcinatam ; tout le culte d'Hippolyte en est affecté 17.

Le P. Pien, dans sa notice des Ac/a Sanctorum du 13 aoît!, se demande quel est le saint Hippolyte dont le corps fut transporté à Saint-Médard de Soissons sous l'empereur Charlemagne, avec ceux d 'autres martyrs romains 18. Il ne croit pas que ce soit le compagnon d'exil du pape Pontien. De plus, après enquête, le bollandiste a découvert que des corps de saint Hippolyte et de sainte Concordia étaient vénérés en bon nombre d'endroits: Sainte-Ursule de Cologne, cathédrale de Lucques, les Quatre-Couronnés à Rome, Sainte-Justine de Brescia; il y a là de quoi se perdre 19. Tant et si bien que le P. Pien, pour donner un r és umé des Acta de son héros, ne voit ricn de mieux que de reproduire, en l'abrégeant, la notice du martyrologe

14. Ibid., p. 60: « la date du 14 août n 'est pas celle de la mort de Pontien et d 'Hippolyte. Cc jour-là leurs corps furent ramenés du lieu d'exil et déposés, l'un au cimetière de Calliste, l'autre dans un cimetière de la voie Tiburtine • . Ainsi le portent de très anciens documents romains, comme le Férial Philocalien et le Sacramentaire dit Léonien: te [dus Augusti, Ipolili in Tiburtina, et Pontiani in Callisti • ; 1< Natale san.ctorum Hippolyti et Pontiani •. La notice actuelle du Martyrologe Romain, héritée d'Usuard et d'Adon-Florus, marque assez nette.. ment de quelle rancune certains milieux romains poursuivirent la mémoire d 'Hippolyte, usque ad aras.

15. H. DELEHAYE, dans Martyrolog. Hieronym. (Acta Sanctorum, Nov., t.. Il, p. 440) et Recherches sur le légendier romain, p. 61.

16. Hippolyte, personnage mythologique, était fils de Thésée; accusé injus­tement par Phèdre. seconde femme de son père, celui-ci, pour se venger, le voua à la mort: Poséidon fit sortir de la mer un monstre qui effraya les chevaux d'Hippolyte; les bêtes, emballées, traînèrent le corps du jeune homme sur les rochers et le mirent en pièce; Prudence fut séduit par la réminiscence.

17. Martyrol. Rom. , scholiis irutr., p . 336. 18. Acta Sanctorum, Aug., III, p . S-13. Sur le P. PieD, cf. B. de GAIFFIER,

op. cit., p. 330. 19. Ib id., D. 31·32.

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D. BUENNER

d'Adon, qu'il fait suivre de celle de Concordia et de ses dix-neuf compagnons 20. Tissus de fabl es, sans valeur historique, pour reprendre le j ugemen t du P. Oelehaye.

De qllel Hippolyte s'agit-il dans le texle ill\'oqu é par M. F. Benoit? Impossible de le savoir. Et surtout, impossible dr faire intervenir le martyr romain a uthentique, le compagnon d'exil du pape Ponlien. Son culte n'était pas répandu à Rome plus qu'ail­leurs. Les plus sùres autorités chrétiennes du IV e_V' siècle connais­saient à peine son nom et ignoraient tout de son exil 21. On le voit difficilement jouir d'une particulière dévotion dans une église du littoral méditerranéen, proche de ces régions hispaniques d'où venait le poète Prudence à cette m ême époque. Si le poèle Prudence ignorait Hippoly te, à plus forle raison les pêcheurs el a ulres gens de mer de l'oppidum priscum Ra ne devaient-ils pas êlre mieux instruits 21 bis .

: . . Jusqu 'à maintenant. on a accepté l'identification entre l'église

mariale du miracle de saint Hippolyte et Notre-Oamc-de-la-Mer, alias « les Sain les-Maries » ; mais, après ce que l'on a vu du clIIle rendu à ce saint en ces âges paléo-chréticns, quelques doutes sont permis.

Cette église, indiquée dans le récit ùu miracle, es t située an bord de la mer, assez loin, in reflui oceani /inibus i distante d'Arles de trois milles. tribus milliaribus, elle Il'a rien de remarquable, quamdam Dei genitricis ecclesiam, sinon qu'elle est renommée par ses miracles, celebriblls usque diu miraculis insignitam 22. M. Benoit la présente comme célèbre par ses reliques 23 : le pèlerin s'y fait

~~: IJ~~iY;~l.lt~!;o~:'· ::r ~dËI~·s~:~\~c t~a1~X~!~. ~gli1 3i9it~1 ~véquc ; ct, ce qui est plus fort, saint Jérôme et Rufin en sont au même point. » H. DIlLEHAYE, Recherches (art. cité supra, n. 10), p, 61. Toute la question bien embrouillée de saint Hippolyte de Rome a été remarquablement exposée avee tex tes à l'appui par le cardinal Schuster, archevêque de Milan, très compétent en hagiographie romaine, dans son Liber Sacramel1torUnI (Bruxelles, 1932),

t. VIIIil'bj~3-~~ ~c:. 8AI~~~E:~P~~.d~1:~~~.d~l.a l~~t~era~~o:llr J~ècl~itice de saint Hippolyte dans le fi Libellus orationum. » de Vérone.

22. Acta Sanctorum, At/g. III . p. 15, n. 4, 23. Recherches sur ['hellénisation ... , p. 125.

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MIRACLE ARLÉSIEN

c~nduire pour « demander l'intercession des nombreuses reliques possédées par l'église 24 >. Or, le texte édité par les Acla Sane/orum ne fait pas é tat de « reliques :. , mais bien de « miracles 2' :t. Ce sanctuaire n'est pas seulement consacré à la Vierge, Mère de Dieu; en plus on y gardait la mémoire du martyr Hippolyte (habebal el Hippolyti mar/gris memoriam) 26. La suite de cet article montrera la fragilité de cette « mémoire » ; il sumt de reconnaltre ici que l'on ne connut jamais à Notre-Dame-de-la-Mer, comme à Sancla Maria de ratis, une particulière dévotion à un martyr Hippolyte v.

Il est vrai que le goùt prononcé des analogies en religions comparées pourrait aider à découvrir une raison à ce culte d'Hippolyte en région camarguaise. A. Villard, pris d'un grand zèle pour l'antiquité de l'église des « Saintes >, déclare qu'elle fut « commencée vers 1144, sur un très ancien lieu de culte, probable­ment antérieur au christianisme 28 . ; mais, il n'en donne pas de preuves. De son côté, E. Seillens, en plusieurs pages d'une grande fantaisie, s'applique à démontrer que les noms de l'église -Saintes-Maries-de-la-Mer 29 - « rappellent deux modalités reli-

24. Le texte du miracle ne dit pas que l'infIrme eut l'intention d'implorer $a guérison par l'intercession des reliques , mais simplement qu'il demanda à ê tre conduit dans cette église ; ad hanc (ecclesiam) cwn se devehi impetrasset

(cf. sï~~a's~~~)c:ioute les miracles se produisent·ils souvent au contact de reliques ; mais il est de fait que le texte ne parle aucunement de reliques, ce qui ne permet pas d'écrire: « L'église des Saintes-Maries, connue dès le VI- siècle, était déjà célèbre par ses reliques à l'époque paléQ..chrétienne. » (F. BENOIT, L'Art roman en France. Provence, Paris , 1961. p. 461; cf. dans Bulletin monumental, 1936).

26. Acta Sanctorum, vol. cité, p . 15, n° 4. 27. Quoi qu'il en soit de cette église mariale en pays rhodanien , il me

faut signaler le culte particulier rendu en Provence-Languedoc à saint Hippolyte. Trois localités dans le Gard se réclament de son patronage: Saint-Hippolyte-de­Caton, Saint·Hippolyte-du-Fort, Saint·Hippolyte·de-Montaigu; en Vaucluse, Saint-

I!~~li~f~~~1f~~b~~n dj~~d~e~n Ill~~~Vi\~f~~.s ~~~-d~-Dë!:;!: ep;,~':t~~i-i;~::l~~: Bas·Rhin, à Andolsheim, ubi S.lpolitus requiescit. Il semble que le Midi rhoda· nien ait été le plus dévot à saint Hippolyte; mais auquel? (cf. DAUZAT - RoSTAING,

~~~~~~hajr~,trl~s n~~s p:;aîiie~e dl~ ï,~~f~eP~ss.h9fJPofYte~~rrr:;!S S~1li~I~~ Iyti, à Saint-Martin-de-Crau. Cf. F. REYNAUD, Les Saintes-Maries (Paris-Marseihe.

1874), lt ~. VILLARD, L'Art en Provence, Grenoble, 1957, p. 98. 29. M. Seillens doit ignorer que l'expression « Les Saintes-Maries-de-Ia­

Mer » est civile, nullement religieuse en ses origines. Ce nom fut donné à la « commune :. en 1837 ; ]a « paroisse » et son église restent sous le vocable de Notre-Dame, fêtée le 15 août; c'est toujours Notre-.Dame-de-Ia-Mer.

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gieuses : un polythéisme qui va des Trois Mères aux Trois Maries et, d'autre part, une dévotion à la Mère de Dieu, héritière de la Grande Ephésienne et de la Mère des dieux JO ».

Le lieu de culte préchrétien de M. A. Villard lui a été peut-être suggéré par le puits qui gît vers le centre de l'église, ou par quelques vestiges subsistant des Anatiliens, vieille peuplade ibéro-celte dont M. Benoil rejeUe même l'exislence JI. Quant au saint Hippolyte, que Prudence, après Damase, assure avoir cu la même mort violenle que le fils de Thésée, traîné sur les roches par des chevaux sauvages. ce pourrait bien être une réminiscence ùes petits chevaux camar­guais, à supposer éYideUlment que la Camargue, en ces temps bien reculés, ait déjà vu galoper des manades de « Crin-Blanc

On peut aller loin avec ceUe méthode analogique, qui passe de la ressemblance il la dépendance. On l'applique avec une sorte d'assurance voisine de l'incurie. Ainsi, M. Seillens voulant donner la genèse de la procession des « Saintes » le 24 mai : « On porle les deux Sain les de l'église à la mer dans une mênle barque, qui est mise à flot ct aspergée par les assistants, tandis que le prêtre fait le geste de bénir avec un bras-reliquaire en argent. On ne peut s'enlpêcher de songer que l'Isis Pelagia élait promenée sur lIll

vaisseau, devant lequel était portée ulle nlain gauche ouverte, symbole de la justice. » M. F. Benoit voit avec raison dans celle lustration « la survivance d'un rite primitif ct général, bien antérieur à l'Isis romaine J2 ».

--30-. E. SmLLBNs, Nos Vierges Noires (Paris, 1945), p. 127. Ce travailleur fécond n'a pas rencontré de Vierges Noires aux Saintes·Maries, mais il suppose que la « mystérieuse Sara, servante des Maries », a dû avoir .<;a statuette de plâtre « précédée par quelqu'image basanée ». Il a rédigé ainsi pas mal de pages (p. 125-130) pour délayer les origines pagano·chrétiennes de Sancla Maria de ratis.

31. M. CHA[LAN, Des Saintes-Maries-de-la-Mer. Recherches archéologiques el historiques (Aix-Marseille, 1926), p. 11-12, donne une inscription, perdue. dont la reproduction semble bien conventionnelle: Corn(elius} Balbus P(ontifex) Allat i/io rll1n ad Rhodalli Ostia Sacr(am) Aram - V(ota) S(olvcllS) L(ibelller) M(erito). Mais le texte de Chailan ici es t obscur; il ne souffle mot des Anatiliens ni de l'inscription votive de Cornelius Balbus. On ne peut retenir ce texte épigraphique. F. Benoit n'hésite pas à dire que l'Anatilôn polis et l 'Anatilia oppidum latinum de Ptolémée et de Pline, son t légendaires , mauvaise graphie de Anatixôn Maritima (op. cité, p. 116, n. 33, p. 129, n. 42); cf. du même, La Camargue (Paris, 1930, p. 10).

de sll;~'iva~'c;Ed~lii~s o~·ri~titif~· J;~·s F~o~e~i~~~ ad~~;:~:n~i:lle«uri.c C~it~ld~lt~;:~ dans la Cête du solstice d'été en Provence et en Afrique », dans Revue AI1thro­pologique, 1935 ; « L'immersion des reliques, les processions riveraines ~t le rite de la "barque cultuelle" en Provence », dans Revue de Folklore françats et de Folklore colo~ial, 1935, p. 75-108. C'est à ce dernier article qu'es~ empruntée la citation de E. Seillens; artIcle qui se réfère à la procession des Samtes-Marics et à celle de Saint-Tropez; deux rites qui ne sont ni très anciens et encore moins primitifs.

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>URACLE ARLÉSIEN

Le lieu n'es! pas ici ùe discuter pareils propos, tissus d 'erreurs qui méritent réfutation sommaire, car leur valeur critique est nulle. Il suffit de dire que celte procession n'a rien d'ancien: t elle qu'on la pra tique aujourd'hui, elle remonte à 1862. On la faisait avant la Révolution, el son institution était a lors récente; au xv· siècle. conUlle auparavant, on l' ignorait. Ml F. Benoit ne saurait y voir survivance d'un c rite primitif et général JJ » .

Il ne me parait dOllC pas prudent d'accepter les conclusions de cet a uteur sur l'identification de Sancta II/aria de ratis avec une église toariale incertaine, où l'on avait spéciale dévotion à saint Hippolyte. On ne sait trop sur quel point du littoral elle se trouvait, si elle était près d'un port de mer 34. Le récit du miracle rapporté par F. Benoit para it bien être l'unique témoin qui la signale; reste à établir la valeur de ce témoin et à examiner son témoignage.

J.

Cette narration thaumaturgique est rapportée dans les Acta Sanctorum, à la suite de la Vi/a S. Hippolyli ; mais elle ne fait pas corps avec cell e-ci; le flliracle est ajouté comme un appendice. qui a bien embarrassé le bollandiste collecteur, le P . Pien ". A lire cet exposé miraculeux, on se trouve dans une ambiance du tout au tout étrangère au résumé d'Adon dans la Vi/a. C'est un récit vivant, ha utem ent coloré, qui ne parait pas avoir été composé dans un but d'édification; le na rra teur primitif a voulu frapper ses lecteurs en montrant les personnages sous des aspects violents; brillant moins par la piété, la r eligion, que par l'intention d'impressionner le lecteur. Il n 'est pas jusqu'à la Sainte Vierge, dont les façons désin­voltes et autoritaires déconcertent le dévot.

33. « En 1862 a lieu pour la première fois depuis la Révolution la procession à la plage et la bénédiction de la mer » (A. CHAPEI.J..E, Les Saintes­Maries-de-la-Mer. Notice historique, Marseille, 1926, p. 92), cf. ibid., p. 86-87, la récupération, le 16 mai 1797, de l'un des bras d 'argent emportés à Arles avec tou te l'argenterie de l'église le 5 mars 1794. Procès-verbal de cette restitution ~u presbytère. M. Chapelle fut curé des "Saintes" au cours du xxe siècle ; comme ses prédécesseurs ou successeurs, il ne paraît pas avoir ouï parler d'Isis Pelagia. Et ce bras lui-même manque d 'historicité; on ne sait à quelle époque, entre le XV" et le XVIœ siècle, telle relique fut sortie des châsses.

34. La position géographique importait, puisqu'on identifiait généralement Sancta Maria de ratis avec l'oppidum priscum Ra.. le narrateur du miracle connaît bien l'église; son pèlerin infirme y vient en bateau, mais il ne paraît pas connaître j'existence toute proche d'un port de mer.

35. Acta Sanctorum. Aug., III , p . 14-15 ; le récit du miracle nOI 3-8; les citations latines, sauf indications expresses, sont empruntées à ces numéros.

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10 D. BUENNER

Le personnage le plus saillant est le héros même du miracle : lin jeune garçon, prénommé Pierre, du lieu dit Amili a, a il bourg de la Pinède, où il exerçait le mé tier de bouvier, viirico SUD o/Iicillm bubulci exercens. Doué d'une grande force physique, c'est une brute épaisse, pell intelligent e ct dénuée de sentiment s reli gieux; il ne connaît que son travail ct ses bê tes. Il veut trava iller le jour de la fète de sainte Madeleiue, qui est chôm é dans le pays. Il part avec ses bœ ufs, so us les reproches du prêlrc chargé du \'ill agc. Celle admonition le met en colère; tlne furcur dénl.cnliclle le saisit; il s'cn prend à sun attelage; il tombe sur ses bè les à coups redoubl és, brise leur joug, c l tout ce qui lui tombe so us la main; il finit par nssammcr les bœ ufs, puis s'effondre lui-même inanimé, paralysé.

Celte première partie, vrai prologue du miracle, es t décrile avec une force inconnue en ces pieux murcea ux boves aralro jungens, cum ipsius operis alque animalillm e;l:ccralionc. c:reqllilllr ... Boves nUllC pungit , nUllC verberat, llUllC trahit pcr cornua, nllllC an/cccllii , nUllC sequitur ; nunc impellit cos seapu.lis , nunc manibus 1 lUira res ! m oriuntur boves sub jugo. Lui-même es t jc lé a1l sol, privé de l'usage de ses membres, ne sachant même plus s'il lui en res te encore, tant est rude le feu qui le dévore : eadem enim coeles lis flamma , quae bruta voraverat ... in brevi exc.um reddidit .. . tibiam pervadere ... , eruris pariter suprema corripllit ; carn es quoql.l e vorans, duritia nervorUffi fabidis fluoribus {la ccescente, oS.fla retexeral, llsque ad genicllillm hae iUaeque disperserai . La même fl anuue, qui avait abattu ses bœ ufs, a raison ùe son corps: membres, chairs , nerfs, tout est anéanti. Le Inalh eureux Pierre est traité brut alement, CQnllne il a vécu, eomme il a traité ses animaux.

Devenu objet de honte ct d'horreur pour les siens, pu/ori et pudori, la famille veut l'apporter dans IIne église dédiée il sainte Madeleine pour qu'il soit guéri par celle qu'il a oITensée ; il y trou\'c une accalmie, non une amélioration ; pour retrouver quelqlle vigu eur dans ses membres, il demande à être emmené à celle égli se de la Vierge où ene accomplit tant de prodiges.

Et c'est alors que le miracle commence ... Je l'ai appcJé dès )(' début un « étrange » miracle; les phases de sa réali sation ne m'apporteront pas de démenti.

En effet, dès que le garçon est déposé sur le ba teau (car il ne peut se mouvoir, on le porte, on le pose conlffie un coJis inerte). s itôt à bord, première intervention de la Mère de Dieu : elle r end la vie

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aux jambes du pauvre bouvier. Il ne peut marcher ni se lever; mais il lui es l possible de se trainer (replare). Tout heureux, il vocifère son bonheur et passe les cinq jours de son voyage à interpeller la Vierge pour q u'elle obtienne un complet l'établissement.

Toujours sc traînanl sur ses janlbes, il gagne la basilique où un militaire, le prenant pour un nlcndiant, lui offre l'hospitalité dans sa maison. Alors, seconde intervenlion de Notre-Dame, accompagnée ceUe foi s de saint Hippolyte. Le militaire et sa servante entendent les cla meurs de l'infirme et les réponses de la Mère de Dieu . Les deux apparitions se tiennent au pied du lit de Pierre. Ahurissement du soldaI, épouvante de la pedissequa ! Et la Vierge de commander à Hippolyte de rendre la santé au garçon (Restitue eum antiquo vigori ... ) ; pour ce, il lui suffira de Inettre chacun de ses membres sur le m embre correspondant du jeune homme. Saint Hippolyte obtempère, m ais le malheureux bouvier se trouvait dans un état si misérable que ses membres en étaient tout recroquevillés sur eux­mênlcs, et il lui senlbla alors que d'autres menlbres lui poussaient sur le corps. Le narrateur va jusqu'à nous dire que saint Hippolyte ayant son pied plus grand que celui de Pierre, il lui rendit un pied plus long qu'il ne l'avait a uparavant (pes novus prominentior altero Iribus digitis in m ensura).

Miracle étrange, on le voit, et qui fit grand bruit. Le soldat et la gouvernante ne le gardèrent pas pour eux. Tout le monde le sut rapidement. Joie, énlolion, générosité. Les aumônes affiuèrent, que le luiraculé distribua aux pauvres. Puis, il s'en fut un peu partout publier le prodige et montrer ses membres raj eunis; tant et si bien qu'il en boita de fatigue durant toute une année (unde ad publica­tionem miraculi claudicauit per annum).

Pierre d'Amilia n'était pas au bout de ses malheurs. Le diable, qui croyait bien le tenir par son caractère violent, était mécontent des prévenances de la Sainte Vierge et de saint Hippolyte à l'endroit de l'impétueux bouvier. Aussi, voyant que celuiacÎ é tait entré en une recluserie, se mitail à le harceler de vilains rêves pendant la nuit, avec apparitions de formes féminines. Le pauvre Pierre lulla; mais, n'y tenant plus, il alla se faire moine à Cluny 36.

36. Cette finale aurait dû mettre en éveil les utilisateurs de ce texte: Cluny ayant été fondé au début du xe siècle, un pèlerin du VIC n'aurait pu s'y rendre, même après une guérison miraculeuse.

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Tel est l'exposé du miracle ct ses suites, avec intervention de la Mère de Dieu, accompagnée d ' un saint Hippolyte touj ours bien ténébreux.

II n'en va pas de même pour la localisation géograpbique : on est dans le voisinage d'Arles; c'est dit ouvertemen t, et la navigation sur le Rhône le confirme 37. De plus, vers la fin <lu réci t, le conteur précise : Est aulcm nomCn Penedae, oppido .llimiae, undc die /us bubulcus Iraxit origill em . Sans voir dans Peneda, C0I11111C le P. Pien des localités provençales - La Penne-sur-Huveaulle ou Les Penllcs­Mirabeau -, on peut simplement voir là des « pinèdes » ou bois de pins, assez répandus dans le Midi. Quant à « Alimia > , c'est un lieu-dit, un vill age peul-èlre disparu 38, compte tenu des erreurs de transmission qui ont pu se glisser dans un texte composé, transmis par des étrangers à travers des vicissitudes bizarres 39.

Tel est donc le réci t du miracle. De tout le dossier formé par les bollandistes sur saint Hippolyte, il est la pièce la plus importante, bien qu'il n'apporte aucun élément nouveau concernant la person­nalité du martyr. Le P. Pien le donnc comme extrait du Lcgendier de Pierre Calo, dominicain n6 à Chioggia, en Vén étie, ct mort en 1348. Comme on le verra plus loin, cetle attribution n'est pas exacte ; le texte est plus ancien que le XIVe siècle ct son auteur a repris un original assez archaïque, d'origine méridionale - je n'ose­rais dire provcnç.ale. La localisation finale - Peneda, Alimia -le fixe en terres méridionales. Je ne crois pas que l'on pui sse ètre plus précis. La question se pose néanmoins: d'où peut provenir ce texte attribué à Pierre Calo?

... A le juger par le morceau que les bollandistes ont publié, notre

narrateur est un écrivain très averti; il possède les talents ÙU 111étier. Ses trois personnages sont fortement présentés, avec toutes astuces

37. On pourra discuter ces cinq jours de. navigation s!lr le Rhônt! pour couvrir les trois milles qui séparent Arles des SaIntes·Maries ; 11 raut abandonner ce sujet aux spécialistes camarguais.

38. Ou être absorbé, transformé, par s~ite d'invasions,. colonisation; cL (~:~:;,a~~~), t~~s l~~~~es de Ch. ROSTAING, Essm sur la toponymie de fa Provence

39. M. le professeur Ch. ROSTAING n'identifie Amilia avec aucune localité correspondante en nos régions méridionales.

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voulues. Pierre d 'Amilia r este une brute jusqu'au bout, avant, pendant et après son miracle; une fois guéri, on ne le voit pas retourner à la basilique de Nolre-Dame crier sa reconnaissance; il s'en va courir par toute la région montrer qu'il est délivré; il court tellement qu'il en sera boiteux pendant une année; son départ à Cluny termine l'odyssée non moins brusquement ; et la Sainte Vierge ne paraît pas lui en être devenue plus chère. La Sainte Vierge ? .. NoIre conteur lui donne un rôle bien ?riginal. Elle aurait pu guérir d'el1e-nIème, et entièrement, Pierre d'Amilia; elle est intervenue au départ du bateau pour rendre au jeune bouvier l'usage partiel de ses jambes; sa nouvelle intervention se produira cinq jours après, en compagnie de saint Hippolyte, lequel va remplir les fonctions d 'exécuteur des bonnes œuvres de Notre-Dame. On se souvient de l'ordre qu'elle lui donne : « Rends-lui son ancienne vigueur en mettant tes membres sur les siens. » Procédé pour le moins original. Historique ou légendaire, la trouvaille est tout à l'honneur du rédacteur, même s'il l'a reprise dans un texte plus ancien. Il pouvait intituler son récit « Miracle de saint Hippolyte . : le saint martyr intervien t comme l'instrument de la Sainte Vierge ; celle-ci garde l'initia tive du proj et.

Son récit est indépendant de la Vita 40. Le texte donné dans les A cta Sanctorum d'août dépend d'un manuscrit assez fautif; aussi le P. Pien s'abstient-il d'en indiquer la provenance et la date : quia vero nostrum apographl/m erat m endosl/m , jl/vare iIll/d necessarium fuit et, ubi se occasio se obtulit, ad intelligibilem sensum reducere 41;

il a fa llu bien des fois reprendre ce latin pour le rendre intelligible. De pll/s, ces feuillets de pa rchemin sont marqués comme appar­tenant à Illl volume coté 529 (ex-codice 529), sans indication de la bibliothèque où se trouve le reste du volume. Venai t-il de la Barberini ? On pouvait le supposer par des ressemblances d 'écriture entre le texte de saint Hippolyte et d'autres marqués comme venant de cetle bibliothèque-là 42.

40. Les deux pièces, Vila et Miracula, étant étrangères l'une à l'autre, parce que rédigées à des époques très différentes et par des mains non moins distinctes; aucun lien ne pouvait les rapprocher.

41. Acta Sanctorum, Aug., p. 14, n . 2. 42 . Ibid.

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Donc, imprécision générale. T outefois l'œuvre hagiographique de Pierre Calo a été très sérieusement étudi ée par I1n aulre bollan­disle, le P . Albert Poncelel '), qui, di stinguant Martyrologes et Légendier s, montre cn ces derniers des recueil s d'abord édifiant s dont les plus anciens remonteraient au Vil e siècle '14 : leur nombre fui lrès grand du XI ' a u XIII '4l ; mais, à partir de la flll du XIII ' , au Légendier « édifiant » s'ajoute - ou se subslitue - un Légiendier « instruclir » pour les prédica leurs. Celui de Pierre Calo appar­tiendrait à ce groupe.

Le P. Poncelet en a étudié les principaux manuscrits. L'auteur lui en parait lin c modeste :t ct un « laborieux 46 », ayan t su all er aux bonnes sources . Calo a laissé un g l'OS recueil de 863 notices, ùont on connaît au moins quatre exemplaires compl f? ls : à. Saint­Dominique de Bologne (auj ourd'hui perdu), ù la bibliolhèque Barberini (Valic., Barber. lat. 713), à Saints-Jean-et-Ps ul ùe Veuise (Ven., Marcia/la lat . LX. 15-IX.20J, à la cathédrale d'York (XVI, G 23). On ne trouve pas, da ns ces cata logues, un m s. 52B. cclui dont le P. Pieo aurait utilisé les feuill ets pour notre miracle et où il lui avait été impossible de découvrir le moindre indice chrono­logique 47. Le P. Poncelet a même donné la liste des 863 notices, uvee incipit et desinit, début et conclusion, d'après les manuscrits de Venise ct de la Barbe!'ini "; celle de saint Hippolyle esl cotée 55", nIa is sans mention du miracle 49. II faut admettre que ce martyr romain est un saint bien dérouta nt ponr ceux qui cherchent à mettre son nom il profit 50.

M. F. Denoit a voulu renforcer l'ancienneté de Notrc-D:une­de-la-M er en y plaçant à des époques lointaines un e église célèbre pa!' ses reliques el qui le devi nl encore plus il la suitc d'une double apparilion de lu Mère de Dieu accompagnée de sainl Hippolyle,

43. A. PONCELIIT, Le Légendier de Pierre Calo, d::ms A1tuieCla Bollalldiww, t . XIX (1910), p . 4·1I6.

44. Ib id .• p . 7. 45. Ibid., p. 13. 46. Ibid. , p . 7. 47. u Circa scription is f1laleriem ... quo lempore miracu fa jfftl tlcc:iderill l

mlilo indicio prodit Calocius » (Acta Sanctorum, Allg., p. 14, nO 2). 48. A. PONCELET, art. cité, p . 48-108. 49 . Ibid., p. 85. 50. (Hippolyte) t: personnage dont les hagiographes et les critiques se

sont trop occupés pOUl' qu'on puisse se flatter de s'y reconnaître a isément .. , H . DELEHAYE, art. cité, p . 59.

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entraînant une guérison miraculeuse. Or, rien de tout cela n'est assuré : M. Benoit parle de « reliques • là où il est question de • miracle >, et il a pris pou r un écrit homogène la Vita Hippolyli, qui est une composition Cactice ; il a tenu Je récit miraculeux pour une suite de la Vila, à laquelle il est tout à fait étranger ". Et, en fln de COInpte, on se trouve devant une histoire de miracle attribuée à un saint Hippolyte douteux, voire composée par un narrateur qui n'cst pas du tout Pierre Calo, dominicain italien du Xlll e·XIV· siècle.

Tout n'est pas perdu, peut-être, dans cette recherche de ... pater­nité. La finale du ms. anonyme du P. Pien pourrait aider à découvrir l'anonymal. Ces folios manuscrits du miracle s'achèvent sur cette phrase qui veut metlre un terme aux tribulations diaboliques de Pierre d'Amilia : ... et ut dicilur in Mariali, saniori usus consilio Cluniacum adiil, el ibi faclus esl monachus ". Il convient de retenir la référence, lit dicifur in Mariali. L'auteur n'est donc pas Pierre Calo, ma is celui du Mariale, autre spécialité de légendier, consacré aux miracles accomplis par la Vierge Marie. Il était m ême béné­dictin, cal' ce tic phrase saniori us us consi/io semble lui être une réminisceuce de la règle de saint Benoit (chap. LXIV) : saniori consilio elegerit, expression moins fanlilière à un frère Prêcheur.

Or, le poète marial le plus en vue à la fin dn XIII ' siècle parait bien être Gautier de Coincy (1177-1178 - 1236). Moine à l'abbaye Saint-Médard de Soissons, puis prieur de Vic-snr-Aisne, il revint à SainL-Méda rd comme grand-prieur en 1233 " . D'une dévotion ardente envers Notre·Dame, il avait fait le vœu de lui consacrer un poème par jour ; de fait un Recueil des miracles de la Sainte Vierge en Lrois livres, le Mariale, comptant dans les 30.000 vers "'. Sa mariologie lui est spéciale : une Mère du Christ audacieuse, très secourable et sans trop de scrupule sur les moyens ; cette « Toute­puissance Suppliante . (Omnipolenlia Supplex) tend à user lar­gement de sa toute-puissance, supposa nt incluse d'avance la suppli-

51. \II L'annonce du 13 août est tirée de la passion fabuleuse» (H. "DBLBHAYE, art. cité, p. 66). Cf. PI NI , dans Acta Sanctorum, Aug., p . 14, n . 2: an de nostra Iwdierno S. Hippoly to, ail de aUo 11Omonymo si aralia (dans le récit du miracle), ldeo rem hic producimus.

52. Acta Sanctorum, Aug., p . 15, n. 8. 53. CL M. VLOBliRG, La légende dorée de Notre-Dame (Paris, 1921), p. 7 55.;

il appelle Gautier tE le prince des conteurs pieux ». 54. el Il ne se pose pas en conteur original , mais en vulgarisateur ... ; il

met en Times romanes une compilation latine trouvée à la bibliothèque de Saint-Médard, et y choisit les miracles de san goût lt (VLOBERG, op. cil., p . 8).

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cation. On a rencontré de tels procédés avec saint Hippolyte". Et n'a-t-on pas vu que Charlemagne procura aux moines de Saint­Médard de Soissons le corps d 'un sain t Hippolyte?

Les circonstances mêmes de la guérison de Pierre d'Amilia sont d'un réalisme bien dn genre de Gantier de Coincy 56. Un genre qui heurtait jadis Paulin Paris, très monté contre ce moine-trouvère, qu'i! avait peine à ne pas traiter de paillard 57 • .l'émets timidement l'hypothèse de décharger Pierre Calo du péché de paillardise pOlir le rejeter sur Gautier de Coincy. Ce n'est pas dans le Légendicr du dominicain de Chioggia, mais dans le Mariale du grand-prieur de Soissons que devait être contée l' ~trange guérison miJ'3cukuse du jeune bouvier de la Pinède 18.

Comment expliquer la localisation arlésienne ou rhodanienne? Comme toutes les autres légendes ou narra tions de miracles: col­portées de cloitre en cloitre, elles se son t amplifiées, déformées. Ces récits de moines - des « moniages », poètes el trouvères les ont arrangés, codifiés, à Jeur guise, pÏC,'/oriblls afqlle poetis ... Et rien ne s'oppose à une origine arlésienne 59,

Quelques points à en retenir: il n'est pas sl1r que, au v'-v,' siè­cle, Sancta Maria de ratis ait été célèbre par l'abondance de ses l'eliques ; peut-être y eut-il des miracles, mais ce récit de guérison est surtout l'œuvre de con leur habile, qui savait user des licences littéraires.

D. RUENNER, O.S.B.,

55. Gautier fait preuve d'une aisance de style, ou de composition, \..lui lui est propre; Pierre Calo, bon Vénitien du XIV" siècle, n'aurait pas imaginé pareils propos ou gestes chez la Mère de Dieu.

56. Les interpellations, consignes, adressées à Hippolyte détonnent dans la littérature édifiante; cette mariologie surprend même dans les huit contes édités par Vloberg.

57. Histoire littéraire de la France, 1. Xl[ (Paris, 1879), p. 295: « Gautier a ajouté quantité de fables qui choquent le bon sens, blessent la pudeur et déshonorent la religion ». Vloberg parle plus simplement de « l'ardente et mordante piété du prieur de Vic·sur·Aisne » (op. cit., p. 9).

58. Il manque, je crois, une table de trois recueils de Gautier, qui recons· tituent son Mariale, comme le P. Poncelet l'a dressée pour le légendier de Pierre Calo (cf. supra, n. 48) .. Vloberg n'a donné que huit récits, où ne se retrouve pas l'histoire de Pierre le bouvier. L'excellente introduction de cct auteur (op. cit., p. 1-35), qui traite surtout de Gautier, ne fournit aucun argu­ment qui autorise à rejeter le le miracle arlésien » de la production mariale de notre grand-prieur. Je ne l'ai pas encore trouvé dans l'édition des Miracles de N.-D., de Gautier, publiée par Fr. Kœnig, 3 vol., Genève, Droz 1961·66 (en cours de publication).

59. Gautier a pu trouver ce récit d'importation méridionale dans cette compilation latine de Saint-Médard de Soissons à laquelle se référait plus haut M. Vloberg (cf. supra, n. 55).