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Bonnes pratiques d’utilisation des curares en 2011
Professeur Benoît Plaud
Université Paris Est CréteilService d’anesthésie,réanimation chirurgicale,
Samu94 - Smur
GHU Albert Chenevier - Henri Mondor, Créteil
Points abordés
� Circonstances d’utilisation des curares� Modalités de la surveillance et de la décurarisation pharmacologique
2
Indications de la curarisationau cours de l’anesthésie générale
� Faciliter� L’intubation trachéale� L’acte chirurgical� La ventilation contrôlée
Les différents curares : lesquels utiliser ?
TH25% : durée d’action clinique = récupération de 25% de la force musculaire initialeTH90% : durée d’action totale = récupération de 90% de la force musculaire initiale* : retiré du marché en mars 2011
Utilisation (%) des curares en France(2008-2009)
� 2,5 à 3 millions de patients bénéficient d’une curarisation en France chaque année.� Clergue et coll. Anesthesiology 1999:91:1509-20
Source : IMS Health®
Critères de choix du curare
� Pas de curare pour la chirurgie� Intubation avec ou sans curare
� Intubation sans curare� Allergique
� Actes brefs� La succinylcholine peut être utilisée (adulte)
� Curare pour la chirurgie et > 30 min� CND durée intermédiaire
Contre-indications absolues àla succinylcholine
� Antécédent personnel ou familial d’HM� Fragilité musculaire : myopathie, myotonie(rhabdomyolyse)
� Hyperkaliémie ou situations à risque d’hyperkaliémie (dérégulation haute)� Brûlures étendues ( > 48 h )� Paraplégie, hémiplégie, dénervation ( > 48 h )
� Allergie documentée au suxaméthonium� Déficit en butyrylcholinestérases (Bche)
Plaud et coll. Ann Fr Anesth Réanim 2002;21:247-8
Arrêt cardiaque après succinylcholine
Arrêts cardiaques ( n ) Décès (n)
Rhabdomyolyse
Duchenne Boulogne 23 2
Becker 4 2
Autre myopathie 10 7
Idiopathique 20 6
Total 57 17
Gronert. Anesthesiology 2001;94:523-9
Arrêt cardiaque après succinylcholine
Arrêts cardiaques ( n ) Décès (n)
Dérégulation haute
Brûlés 28 1
Traumatisme musculaire 4 0
Dénervations 17 2
Neuropathies de réanimation 16 3
Divers 7 2
Total 72 8
Gronert. Anesthesiology 2001;94:523-9
Curares et intubation en France
Duvaldestin et coll. Ann Fr Anesth Reanim 2008;27:483-9
Analyse bénéfice-risque
� Sans curare� Pneumopathie d’inhalation (estomac plein)� Morbidité laryngée� Retentissement hémodynamique
� Avec curare� Allergie� « Cannot ventilate – cannot intubate »� Curarisation résiduelle
Définition
� La curarisation résiduelle est actuellement définie par un rapport de train de quatre àl’adducteur du pouce inférieur à 0,9.
� Plaud et coll. Anesthesiology 2010;112:1013-22
� Selon ce critère, plusieurs études rapportent une fréquence (très) élevée de patients manifestant une curarisation résiduelle en SSPI.
� Murphy et coll. Anesth Analg 2010;111:120-8
Fréquence comparée entre les pays et les CNDPays Curares Fréquence (%) Référence
Danemark Long 73 Viby-Mogensen et coll.Anesthesiolgy 1979, 50: 539-41
États-Unis Long 85 Murphy et coll.Anesth Analg 2004, 98: 193-200
États-Unis Int. 29 Murphy et coll.Anesth Analg 2004, 98: 193-200
France Int. 45 Debaene et collAnesthesiology 2003, 98: 1024-8
France Int. 3,5 – 62 Baillard et coll.Br J Anaesth 2005, 95 : 622-6
Royaume Uni Int. 52 Hayes et coll.Anaesthesia 2001, 56: 213-8
Monitorage de la curarisationGrands principes
� Les curares agissent en bloquant la transmission neuromusculaire.
� L’effet des curares peut être estimé en mesurant la réponse d’un muscle à la stimulation du nerf moteur.
� Le monitorage implique au moins un neurostimulateur.
� La réponse musculaire peut être évaluée de façon� Visuelle
� Tactile
� par la force� Jauge de contrainte (la référence)
� Accélération (TOF-Watch®)
� Déplacement (NMT®)
� EMG
� Sons (microphone)
Appareils de monitorage
� Neurostimulateur� Intérêts: : simple d’emploi, permet de répondre à 90% des besoins
� Limites : ne permet qu’un monitorage qualitatif de la curarisation
Appareils de monitorage
� Accélérométrie : TOF-Watch® de SPC™� Mesure de l’accélération (F = m γ)
� Intérêts : quantitatif, plusieurs sites
� Limites : fragilité du capteur, non intégrable
(adaptateur pourmaintenir le pouceen bonne position)
Appareils de monitorage� Accélérométrie : STIMPOD® (Téléflex™)� Mesure dans les trois dimensions
� En cours d’évaluation
Appareils de monitorage� NMT® de GEMS™ (ex Datex™)� mesure un déplacement par une lame (cinémyographie)
� Intérêts : intégrable, simple d’emploi
� Limites : site unique, dégradation du capteur au fur et à mesure des impulsions
Les modes de stimulation
� Stimulation simple (single twitch)� Train de quatre (train-of-four)� Stimulation en double salve (double burst stimulation : DBS)
� Le compte après tétanos (post tetaniccount : PTC)
La stimulation par train - de -quatre
Stimulation
B /A = rapport de train de quatre
Réponse musculaire
Viby-Mogensen. Anesthesia, 5ème édition, Miller ed. 2000;1351-66
Avantages inconvénients de la mesure du rapport T4/T1 en SSPI
� Avantages� Simple et sensible� Peu douloureuse� Pas de valeur contrôle
� Inconvénients� Fiabilité de la mesure� Conditions de mesure
Samet et coll. Anesthesiology 2005; 102:51-6Baillard et coll. Anesth Analg 2004; 98:854-7
Claudius et coll. Anesthesiology 2009;110:1261-70
En pratique, en fin d’intervention
� Monitorage du T4/T1 au bloc opératoire, situation stable
� Décurarisation pharmacologique� Contrôler l’efficacité� Extuber� Transférer en SSPI
Les tests cliniques sont pris en défaut pour le diagnostic de la curarisation résiduelle.
1
0,6 Seuil de détection au Double Burst Stimulation (DBS)
0,4 Head Lift Test (HLT)
0
0,2 Ventilation minute adéquate
Seuil de détection visuelle au Train-de Quatre (Td4) 0,3
0,7 Traction canule buccale
Rapport de Td4
0,9
Décurarisation adéquate (pas de test clinique à ce niveau)
Le PTC
Viby-Mogensen. Anesthesia, 5ème édition, Miller ed. 2000;1351-66
La pratique du monitorage de la curarisation en France
� Utilisation du monitorage de la curarisation� 50% dose unique� 75% injections répétées
25
Duvaldestin et coll. Ann Fr Anesth Reanim 2008;27:483-9
0
20
40
60
80
100
Danemark Etats-Unis Italie Allemagne Royaume-Uni Mexique
Et ailleurs?% d’utilisation
France
Sorgenfrei et coll. Ugeskr Laeger 2005;167:3878-82Naguib et coll. Anesth Analg 2010 (accès en ligne)
Di Marco et coll. Acta Anaesthesiol Scand 2010; 54: 307–312Fuchs-Buder et coll. Anaesthesist 2003;52:522-6
Grayling et coll. Anaesthesia 2007;62:806-9Nava-Ocampo et coll. BMC Anesthesiol 2002;2:2
La curarisation résiduelle est-elle un problème clinique significatif?
Naguib et coll. Anesth Analg 2010;111:110-9
Méconnaissance de la valeur de 0,9 duT4/T1 comme seuil de décurarisationcomplète
8.2
20.6
12.7
22.8
10.3
22.8
2.6
0
5
10
15
20
25
1.00 >0.90 0.80–0.85 0.75 0.70 0.0–0.69 Other
Re
sponde
nts
(%
)
TOF RatioQuelle valeur de T4/T1 nécessaire
pour une extubation en toute sécurité (N=534)?
Grayling et coll.. Anaesthesia. 2007;62:806–9
Méconnaissance de la valeur de 0,9 duT4/T1 comme seuil de décurarisationcomplète
8
39
29
24
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
Res
pond
ents
(%)
≥≥≥≥0.5 ≥≥≥≥0.7 ≥≥≥≥0.8 ≥≥≥≥0.9TOF Ratio
Quelle valeur de T4/T1 nécessairepour une extubation en toute sécurité (N=754)?
Di Marco et coll. Acta Anaesthesiol Scand 2010;54:307–12
Traçabilité dans la dossier d’anesthésie
� 1453 dossiers dans 9 centres français� Mention du monitorage
� 43% (intubation)� 53% (entretien)� 43% (décurarisation)
D’Hollander et coll. Ann Fr Anesth Reanim 2011 (accès en ligne)
Au total, en 2011
� Malgré l’existence de recommandations de bonne pratique et des risques documentés de la curarisation résiduelle, l’utilisation du monitorage de la curarisation demeure limitée en France, en…Europe…et dans le monde.
Conséquences (<1-5%)
� Dépression respiratoire� ↓ de la réponse ventilatoire à l’hypoxie� Complications pulmonaires post-opératoires� ↓ des réflexes de protection des voies aériennes supérieures� Régurgitation� Inhalation
� Décès
Curarisation résiduelle et durée de séjour en SSPI
� La curarisation résiduelle (RTd4 < 0.9) est associée de manière indépendante à une augmentation de la durée de séjour en SSPI :
� 323 (299) min (curarisation résiduelle) vs 243 (185) min (absence de curarisation résiduelle)
� Le délai de séjour prolongé en SSPI augmente la probabilité d’attente pour les patients suivant d’y être admis.
Butterly et coll. Br J Anaesth 2010;105:304-9
Cis-atracurium ou vécuroniumDécurarisation pharmacologique : 78%
Fréquence de la curarisation résiduelle: 22%
La pratique de la décurarisation.Où en sommes-nous en France?
� Pratique de la décurarisationpharmacologique avec la néostigmine en France� < 15%
� Duvaldestin et coll. Ann Fr Anesth Reanim 2008;27:483-9
� Conséquence� Augmentation d’un facteur 10 de la mortalité ou de la morbidité grave
� Arbous et coll. Anesthesiology 2005;102:257-68
0
20
40
60
80
100
Italie Etats-Unis Europe France
Et ailleurs?% d’utilisation
Di Marco et coll. Acta Anaesthesiol Scand 2010; 54: 307–312Naguib et coll. Anesth Analg 2010 (accès en ligne)
Duvaldestin et coll. Ann Fr Anesth Reanim 2008;27:483-9
La décurarisationpharmacologique avant avril 2009
� Avec quoi ?� Un inhibiteur de l’acétylcholinestérase
� La néostigmine
� Dans quel but ?� Accélérer la vitesse de la décurarisation lorsqu'elle a déjà commencé.
� Comment cela marche ?� Inhibition réversible de l’acétylcholinestérase� ↑ la durée de vie de l’acétylcholine
Inconvénients de la néostigmine
� Impossibilité de décurariser un bloc profond� Le cas habituel d’emploi : bloc partiellement levé
� Décurarisation complète parfois impossible� Pic d’action lent
� 10 – 20 min
� Effets parasympathomimétiques� Bradycardie et hypotension� ↑ secrétions salivaires & bronchiques
� Nécessité d’administrer des parasympatholytiques� Atropine avec ses effets secondaires propres
Pic d’action de la néostigmine(2 réponses au TOF, 50 µg/kg, n = 30 / groupe)
Cisatracurium Rocuronium
Td4 5 min (%) 0,49 ± 0,11 0,61 ± 0,14
Td4 10 min (%) 0,72 ± 0,10 0,76 ± 0,11
Td4 < 0,7 10 min n (%) 9 (30) 9 (30)
Td4 < 0,9 30 min n (%) 2 (7) 5 (17)
Kopman et coll. Anesth Analg 2004;98:102-6
N < 4Attendre et maintenir
l’anesthésieRecontrôler le Td4
N = 4néostigmine (0,04 mg/kg)
+atropine (0,02 mg/kg)
Efficacité (rapport de Td4 ≥ 0,9) en 10 − 30 min
Evaluation visuelle, tactile du nb de rép. après Td4 à l’adducteur du pouce
(N : 0 − 4)
Après CND (benzylisoquinoline ou stéroïdiens)
Pour la pratique.Mode opératoire de la décurarisationavec la néostigmine
Plaud et coll. Anesthesiology 2010;112:1013-22
Le sugammadex encapsule le rocuronium pour former un complexe sugammadex-rocuronium.
Sugammadex
Rocuronium
O
N
H
H
H
O
N+
O
O
Forces de liaison• Van der Waals
• Interactions électrostatiques
Complexe
sugammadex-rocuronium
Adam J et coll. J Med Chem 2002;45:1806-16
Utilisation clinique validée par l’AMM
� Bloc au rocuronium ou au vécuronium
� Décurarisation dès la fin de l’acte� Posologie: 2 ou 4 mg/kg selon le niveau de bloc
� En cas de reprise précoce utiliser l’atracurium ou le cisatracurium
� Intubation impossible après rocuronium� Posologie: 16 mg/kg
� Récupération d’un rapport T4/T1 > 0,9 en 2 à 3 minutes environ
Sugammadex vs néostigmine
� Décurarisation à T2 (visuel), n=25/groupe, moy ± ET
� RTd4 à l’extubation� Néostigmine
� 0,82 ± 0,14 (0,44 – 1,00)� Sugammadex
� 0,99 ± 0,02 (0,93 – 1,04)
� Délai RTd4 0,9 - extubation (min)� Néostigmine
� 2,4 ± 3,4 (0,0 – 14,0)� Sugammadex
� 0,0 (0,0 – 0,0)
Illman et coll. Anesth Analg 2011;112:63–8
Temps (min)
Sugammadex vs néostigmine
"période potentiellement dangereuse de la récupération":intervalle de temps entre la perte de la sensation visuelle ou tactile de fatigue
au Td4 et l’obtention d’un RTd4 ≥ 0,90 (ou encore la «période de non détection de la fatigue visuelle ou tactile»).
Illman et coll. Anesth Analg 2011;112:63–8
En pratique.Mode opératoire de la décurarisationavec le sugammadex
Pré requis : utiliser du rocuronium ou du vécuronium
0 réponseTester le PTC à l’AP
2 réponsessugammadex 2 mg/kg Td4 > 0,9 en 3 - 5 min
PTC = 0 réponseAttendre et maintenir l’anesthésie
Contrôler le PTC plus tard
PTC = 1 ou 2 réponsessugammadex 4 mg/kg
Rapport de Td4 > 0,9 en 3 - 5 min
Estimation visuelle des réponses du Td4 à l’AP n = 0 - 4
Décurarisation immédiate sugammadex 8 - 16 mg/kg
Rapport de Td4 > 0,9 en 3 - 5 min
Plaud et coll. Anesthesiology 2010;112:1013-22
Perspectives
� L’enjeu c’est la stratégie médicale sur la période entourant le retrait de la sonde d’intubation.
� Quel que soit le choix l’agent décurarisant.
Pour / contre� Les « risques » du réveil sont comparables à ceux de l’induction.
� Monitorage multimodal� TOFW ou NMT ou Stimpodcalibré
� Si complication dans les min suivant l’extubation tout est disponible (humain & matériel) sans délai.
� Risques du transport d’un malade intubé.� Auto-extubation� Sédation?...
� Perte de temps (rotation des salles)
� A quoi sert la salle de « réveil »?
� « Les docteurs ne sont pas là. »
Sécurité et transport intubéN=100
Conduite pratique� 1. Pendant l’intervention
� Cinétique des hypnotiques (inh>IV) et des morphiniques (AIVOCp ou c)
� Contrôle volémique� Température (seuil?)� Monitorage de la curarisation plus simple de mise en place et d’interprétation
� Analgésie anticipée (IV, ALR, infiltration…) et combinée
� 2. A la fin de l’intervention� Stratégie médicale définie àl’étape précédente
� Décurarisation sous anesthésie� Rien� Néostigmine (dose adaptée)� Sugammadex (dose adaptée)� Mesure du rapport de Td4
� Ne pas aspirer dans la trachée.� Inspiration profonde avant le retrait de la sonde?
� Après une ventilation en oxygène pur?
Perspectives
� En matière de monitorage de la curarisation et de décurarisation pharmacologique la marge de progression semble importante.
� Le problème n’est pas d’opposer néostigmine et sugammadex mais de définir des stratégies médicales d’utilisation, notamment à la phase de retrait de la sonde d’intubation.
Merci de votre attention