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Introduction Les Indiens d’Amérique du Sud (des bords de l’Amazone et de l’Orénoque) connaissaient depuis fort longtemps l’effet paralysant d’extraits végétaux issus d’une plante tropicale, Chondodendron tomentosum. Les Indiens se servaient de cette action paralysante mortelle des curares (principe actif de ces extraits) pour chasser le gibier. Claude BERNARD, en 1850, démontra à partir d’expériences réalisées sur le muscle gastrocnémien de grenouille, que l’action des curares est périphérique et spécifique de la jonction neuro-musculaire [6]. Dès le début du siècle dernier (1911), HOLMES a démontré qu’après l’administration de curares, les animaux pouvaient rester en vie, à condition d’être sous assistance res- piratoire. Tous les curares ont des propriétés voisines de celles des extraits végétaux naturels, ils bloquent le fonctionnement de la jonction neuro-musculaire ou plaque motrice. La d-tubo- curarine, première molécule isolée et utilisée, reste l’agent neuro-musculaire bloquant pris classiquement en référence [1, 17]. Depuis, de nombreuses molécules semi- ou totale- ment synthétiques ont été fabriquées et sélectionnées selon leur spécificité, leur durée d’action et l’importance de leurs effets indésirables. Bien que présentant l’avantage majeur de permettre une myorelaxation parfaite et un contrôle précis de la fonction SYNTHÈSES SCIENTIFIQUES Les curares : étude bibliographique ° M. BESSET, °° P. VERWAERDE et °° A. AUTEFAGE ° Clinique Vétérinaire, 29 avenue du Maréchal-Juin, F-11000 Carcassonne °°École Nationale Vétérinaire de Toulouse, Unité de Chirurgie/Anesthésie-Réanimation, 23 chemin des Capelles, F-31076 Toulouse Cedex RÉSUMÉ Les curares sont des myorelaxants qui, à posologie adaptée, permettent d’induire une paralysie musculaire contrôlée. Il existe des molécules dépolarisantes et non dépolarisantes. Facilement antagonisables et mieux tolérées, les deuxièmes sont les plus couramment utilisées en médecine vétérinaire et humaine. En médecine vétérinaire, une des molécules les plus connues est le bro- mure de Vécuronium (Norcuron ND). A la dose de 0,1 mg/kg, il permet d’obtenir, chez le chien, un bloc neuro-musculaire d’environ vingt minutes. Les curares restent cependant d’utilisation très ciblée chez l’animal : chi- rurgie ostéo-articulaire difficile et longue, thoracotomie,... Ils devront être administrés à la demande, toujours après stabilisation de l’anesthésie géné- rale. Cette dernière est alors plus difficile à évaluer et doit faire appel à un monitoring précis. La profondeur de la curarisation sera estimée soit à l’ai- de d’un stimulateur, soit par visualisation des signes cliniques de décurari- sation. Pour les curares non dépolarisants, à la fin de l’intervention, un éventuel bloc résiduel peut être réversé par l’administration de molécules à proprié- té anticholinestérasique. Il est tout à fait possible d’utiliser des molécules curarisantes en médeci- ne vétérinaire courante et leur participation aux anesthésies par inhalation peut permettre de diminuer le temps opératoire de façon considérable. MOTS-CLÉS : chien - curares - anesthésie. SUMMARY Neuromuscular blocking agents : a bibliographic study. By M. BES- SET, P. VERWAERDE and A. AUTEFAGE. Muscle relaxants allow to induce a specific and controlled neuromuscu- lar blocking action. According to their properties, the muscles relaxants are classified in non depolarizing and depolarizing agents. The first one are commonly used in veterinary and human medicine because they are better tolerated and their action is reversible. In veterinary medicine, Vecuronium bromide is the most used. At dose 0,1 mg/kg, it induces a twenty minutes neuromuscular blockade in the dog. Muscle relaxants could be used as anaesthesia adjuvant for long and dif- ficult osteo-articular surgery, thoracotomy,... They must be on request injected, only when anesthesia is stabilized. However, clinical monitoring of anesthesia is more difficult and the dog must be monitorized. Quality blokade can be assessed with a stimulator or by visualization of relaxants antagonism clinical signs. When surgery is finished, a possible residual blockade can be reversed with an anticholinesterasic drug. It is possible to use neuromuscular blocking agents in veterinary anaes- thesia. Their administration can allow to reduce surgery time. KEY-WORDS : dog - muscle relaxants - anaesthesia. Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680

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Page 1: Les curares : étude bibliographique - RevMedVet · 2010. 5. 8. · respiratoire (paralysie des muscles respiratoires), les curares demeurent actuellement peu utilisés en anesthésie

IntroductionLes Indiens d’Amérique du Sud (des bords de l’Amazone

et de l’Orénoque) connaissaient depuis fort longtemps l’effetparalysant d’extraits végétaux issus d’une plante tropicale,Chondodendron tomentosum. Les Indiens se servaient decette action paralysante mortelle des curares (principe actifde ces extraits) pour chasser le gibier. Claude BERNARD, en1850, démontra à partir d’expériences réalisées sur le musclegastrocnémien de grenouille, que l’action des curares estpériphérique et spécifique de la jonction neuro-musculaire[6]. Dès le début du siècle dernier (1911), HOLMES adémontré qu’après l’administration de curares, les animaux

pouvaient rester en vie, à condition d’être sous assistance res-piratoire.

Tous les curares ont des propriétés voisines de celles desextraits végétaux naturels, ils bloquent le fonctionnement dela jonction neuro-musculaire ou plaque motrice. La d-tubo-curarine, première molécule isolée et utilisée, reste l’agentneuro-musculaire bloquant pris classiquement en référence[1, 17]. Depuis, de nombreuses molécules semi- ou totale-ment synthétiques ont été fabriquées et sélectionnées selonleur spécificité, leur durée d’action et l’importance de leurseffets indésirables.

Bien que présentant l’avantage majeur de permettre unemyorelaxation parfaite et un contrôle précis de la fonction

SYNTHÈSES SCIENTIFIQUES

Les curares : étude bibliographique

° M. BESSET, °° P. VERWAERDE et °° A. AUTEFAGE

° Clinique Vétérinaire, 29 avenue du Maréchal-Juin, F-11000 Carcassonne°° École Nationale Vétérinaire de Toulouse, Unité de Chirurgie/Anesthésie-Réanimation, 23 chemin des Capelles, F-31076 Toulouse Cedex

RÉSUMÉ

Les curares sont des myorelaxants qui, à posologie adaptée, permettentd’induire une paralysie musculaire contrôlée.

Il existe des molécules dépolarisantes et non dépolarisantes. Facilementantagonisables et mieux tolérées, les deuxièmes sont les plus courammentutilisées en médecine vétérinaire et humaine.

En médecine vétérinaire, une des molécules les plus connues est le bro-mure de Vécuronium (Norcuron ND). A la dose de 0,1 mg/kg, il permetd’obtenir, chez le chien, un bloc neuro-musculaire d’environ vingt minutes.

Les curares restent cependant d’utilisation très ciblée chez l’animal : chi-rurgie ostéo-articulaire difficile et longue, thoracotomie,... Ils devront êtreadministrés à la demande, toujours après stabilisation de l’anesthésie géné-rale. Cette dernière est alors plus difficile à évaluer et doit faire appel à unmonitoring précis. La profondeur de la curarisation sera estimée soit à l’ai-de d’un stimulateur, soit par visualisation des signes cliniques de décurari-sation.

Pour les curares non dépolarisants, à la fin de l’intervention, un éventuelbloc résiduel peut être réversé par l’administration de molécules à proprié-té anticholinestérasique.

Il est tout à fait possible d’utiliser des molécules curarisantes en médeci-ne vétérinaire courante et leur participation aux anesthésies par inhalationpeut permettre de diminuer le temps opératoire de façon considérable.

MOTS-CLÉS : chien - curares - anesthésie.

SUMMARY

Neuromuscular blocking agents : a bibliographic study. By M. BES-SET, P. VERWAERDE and A. AUTEFAGE.

Muscle relaxants allow to induce a specific and controlled neuromuscu-lar blocking action.

According to their properties, the muscles relaxants are classified in nondepolarizing and depolarizing agents. The first one are commonly used inveterinary and human medicine because they are better tolerated and theiraction is reversible. In veterinary medicine, Vecuronium bromide is themost used. At dose 0,1 mg/kg, it induces a twenty minutes neuromuscularblockade in the dog.

Muscle relaxants could be used as anaesthesia adjuvant for long and dif-ficult osteo-articular surgery, thoracotomy,...

They must be on request injected, only when anesthesia is stabilized.However, clinical monitoring of anesthesia is more difficult and the dogmust be monitorized.

Quality blokade can be assessed with a stimulator or by visualization ofrelaxants antagonism clinical signs.

When surgery is finished, a possible residual blockade can be reversedwith an anticholinesterasic drug.

It is possible to use neuromuscular blocking agents in veterinary anaes-thesia. Their administration can allow to reduce surgery time.

KEY-WORDS : dog - muscle relaxants - anaesthesia.

Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680

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respiratoire (paralysie des muscles respiratoires), les curaresdemeurent actuellement peu utilisés en anesthésie vétéri-naire. Adjuvants forts utiles de l’anesthésie générale lors dechirurgies orthopédiques, thoraciques et ophtalmologiques,la faible utilisation vétérinaire de ces médicaments résidenotamment dans une méconnaissance de leurs effets pharma-cologiques et dans la réticence des cliniciens à pratiquer unecurarisation. Dans cette synthèse bibliographique, nous nousproposons de faire le point sur les données pharmacologiquesdes curares et de décrire la réalisation pratique d’une curari-sation chez les carnivores domestiques.

1. Mode d’action des curaresPharmacologiquement, on reconnaît deux grandes familles

de curares, les cholinomimétiques appelés encore curaresdépolarisants et les cholinocompétitifs aussi appelés nondépolarisants. Afin de parfaitement appréhender le moded’action des curares, il apparaît utile de rappeler quelqueséléments de la physiologie de la jonction neuro-musculaire.

A) TRANSMISSION NEURO-MUSCULAIREL’acétylcholine, synthétisée dans la cellule nerveuse à par-

tir de la choline et de l’acétyl co-enzyme A, est stockée ausein de vésicules présynaptiques [15, 17, 32]. Lors de stimu-lation nerveuse (arrivée d’un influx nerveux au niveau dubouton synaptique), des ions Ca2+ entrent massivement dans

la terminaison nerveuse et entraînent la libération d’acétyl-choline dans l’espace synaptique par fusion de la membranedes vésicules à la membrane plasmique présynaptique [15]. Ilest à noter qu’en l’absence d’ions Ca2+, la libération d’acé-tylcholine devient impossible [32] (Figure 1).

Les molécules d’acétylcholine libérées se fixent sur lesrécepteurs cholinergiques post-synaptiques qui, au niveau dela jonction neuro-musculaire, s’avèrent spécifiques (récep-teurs nicotiniques de type NM) (Figure 2). Cette fixationinduit une augmentation de la conductance ionique à diverscations. La stimulation des récepteurs nicotiniques de typeNM génère, d’une part, une entrée de sodium et de calciumdans la cellule musculaire et, d’autre part, une sortie conco-mitante de potassium [17, 32]. Ces mouvements ioniquessont à l’origine d’une dépolarisation membranaire post-synaptique localisée. La différence de potentiel de la mem-brane musculaire passe brutalement de - 90 mV à - 10 mV.

Lorsque cette dépolarisation atteint une valeur seuil comprise entre - 60 mV et - 40 mV, un potentiel d’action sedéclenche. En se propageant le long de la membrane muscu-laire, ce potentiel d’action dit «post-jonctionnel» provoque lacontraction des myofibrilles sous-jacentes [32]. La propaga-tion de la dépolarisation, et donc de la contraction muscu-laire, reste essentiellement sous l’influence de canauxsodiques membranaires qui s’ouvrent lors de la dépolarisa-tion et se ferment spontanément. Ces canaux restent en phaseréfractaire (état inactif : canaux fermés) tant que la dépolari-sation persiste. Très rapidement, l’acétylcholine libérée dans

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FIGURE 1. — Anatomie de la jonction neuro-musculaire : site d’action des curarisants [33].

Ac : acétylcholine

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la fente synaptique est hydrolysée en choline et acétate parune enzyme l’acétylcholinestérase. L’essentiel de l’acétyl-cholinestérase se trouve localisé à la surface externe de lamembrane post-synaptique et participe au rétrocontrôle de ladépolarisation [15, 17].

B) MÉCANISME D’ACTION DES CURARES

La distinction pharmacologique des deux grandes famillesde curares repose sur leurs différences de mécanisme d’ac-tion.

a) Action des curares non dépolarisants

Pharmacologiquement, ces curares influencent à la foisl’électrophysiologie des membranes présynaptiques (neuro-nales) et post-synaptiques (musculaires). Leurs effets myore-laxants résident essentiellement dans leurs conséquences surles mécanismes post-jonctionnels.

a) Mécanismes post-jonctionnels

Les curares non dépolarisants agissent par compétition, onles nomme aussi curares cholino-compétitifs. Ils occupent lesmêmes récepteurs post-synaptiques que l’acétylcholine maisn’engendrent aucun effet biologique, ils sont antagonistes[33]. Au fur et à mesure de l’occupation croissante de cesrécepteurs par les agents neuro-musculaires bloquants, l’am-plitude de la dépolarisation de la membrane post-jonction-nelle diminue progressivement. A terme, ce blocage se tra-duit par l’impossibilité d’apparition d’un potentiel d’action[33]. Il s’agit d’un mode d’action par compétition réversible.Ainsi, toute augmentation de la concentration en moléculeagoniste (acétylcholine) déplacera l’équilibre de la réaction(déplacement des antagonistes) dans le sens d’une reprise decontraction musculaire [17, 13]. En outre, comme il existeplus de récepteurs et de molécules d’acétylcholine que néces-saire à une contraction musculaire physiologique, les molé-cules d’acétylcholine en surnombre peuvent se fixer sur lesrécepteurs restés libres et déclencher une contraction muscu-laire. Une contraction musculaire pourra ainsi être obtenuemême si une fraction relativement importante de récepteurs’avère occupée par les curares [17, 32].

Chez le chien, la souris, le chat et l’homme, 70 à 75 % desrécepteurs post-synaptiques doivent être occupés par unagent neuro-musculaire bloquant pour provoquer un début deparalysie musculaire [15, 17]. En conclusion, il faudra uneconcentration élevée d’agent neuro-musculaire bloquant etun nombre important de récepteurs bloqués pour empêcher lacontraction musculaire. C’est ce qui est couramment appelé«marge de sécurité».

En outre, il existe d’une part des différences de sensibilitédes divers types de muscles à l’effet bloquant des curares et,d’autre part, les curares semblent présenter un tropisme pré-férentiel pour les muscles striés squelettiques. Ainsi, la para-lysie diaphragmatique ne débute que pour un blocage de 80 à85 % des récepteurs post-synaptiques. Cette observationexplique en partie la relative résistance du diaphragme auxagents curarisants et sa récupération spontanée plus précoceque les autres groupes musculaires [17].

b) Mécanismes pré-jonctionnels

Concomitamment aux phénomènes post-jonctionnels,l’action présynaptique des curares non dépolarisantsexplique la diminution de la libération d’acétylcholineobservée. En effet, il existe des récepteurs cholinergiquesprésynaptiques qui facilitent la mobilisation axonale del’acétylcholine [17]. Ces récepteurs présynaptiques s’avè-rent inhibés en présence de ces molécules curarisantes etgénèrent donc une réduction de la libération des moléculesd’acétylcholine [5, 13]. Cet effet présynaptique vient renfor-cer l’effet post-synaptique.

b) Action des curares dépolarisants

Les curares dépolarisants présentent une pharmacodyna-mie très différente des précédents. En effet, ces agents neuro-musculaires dits cholinomimétiques provoquent une dépola-risation continue et permanente de la membrane post-synap-tique de la jonction neuro-musculaire. Leur temps de contactavec la membrane post-synaptique s’avère plus durable car

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FIGURE 2. — Schéma simplifié de la physiologie de la jonction neuro-mus-culaire.

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ces molécules résistent à l’action de l’acétylcholinestérase.Elles déclenchent une dépolarisation prolongée rendant lamembrane musculaire inexcitable, car les canaux sodiquesparticipant à la propagation du potentiel post-jonctionneldemeurent en état inactif (maintien des canaux en conforma-tion «fermée»). Cet état se traduit par un arrêt de la transmis-sion neuro-musculaire [15, 17, 33].

Les effets de ces molécules curarisantes sur le fonctionne-ment de la jonction neuro-musculaire restent fonction de leurconcentration et du temps de contact des molécules sur lamembrane musculaire. Ainsi, l’administration prolongéed’un curare dépolarisant aboutit plus ou moins rapidement àun bloc neuro-musculaire ayant les caractéristiques d’un blocnon dépolarisant (paralysie flasque progressive) [17].Cliniquement, le bloc neuro-musculaire engendré par lesagents dépolarisants se produit en deux temps, d’abord unbloc dit de phase I correspondant à l’activité dépolarisante dela molécule puis, un bloc dit de phase II traduisant la périodede paralysie. Pendant la période de dépolarisation initiale, onpeut observer un court laps de temps pendant lequel se pro-duisent des excitations musculaires répétitives se traduisantcliniquement par des fasciculations [33]. Ces contractionsinitiales peuvent également résulter d’une libération accrued’acétylcholine par une action présynaptique des substancesdépolarisantes [13]. Bien qu’il soit possible d’observer lesconséquences de cette fasciculation sur la pression intra-ocu-laire du chien (hypertonie), ces deux phases ne sont en faitque très rarement observées en médecine vétérinaire.

Parallèlement à ce mode d’action principal, les curaresdépolarisants agissent également par d’autres mécanismes [5,13] :

— «désensibilisation» à court terme des récepteurs choli-nergiques post-synaptiques, ces derniers deviennent alorsinactivables,

— interférence avec le fonctionnement des canauxioniques de la plaque motrice,

— action directe sur les canaux sodiques de la membranepost-synaptique.

La figure 3 résume le mode d’action des curarisants dépo-larisants et non dépolarisants.

2. Éléments de pharmacociné-tique générale des curares

A) ABSORPTIONAux pH physiologiques, les curares sont des molécules

ionisées. Ces ammoniums quaternaires sont lipophobes ettraversent difficilement les membranes cellulaires. L'admi-nistration entérale est cliniquement inefficace, cette observa-tion est par ailleurs à mettre en relation avec l'habitudequ'avaient les Indiens d'Amérique du Sud de se nourrir dugibier tué avec des flèches enduites de curare. En pratique,ces médicaments devront être administrés par voie intravei-neuse stricte. La voie intramusculaire peut éventuellementêtre utilisée, mais la vitesse de mise en place du bloc neuro-musculaire s'avère alors très variable et peu reproductible [1].

B) DISTRIBUTIONLes volumes de distribution des molécules curarisantes

sont précisés dans le tableau I. Ces valeurs demeurentproches de celle de l'espace extracellulaire. La clairance et letemps moyen de transit sont différents selon les molécules.Ces différences s'expliquent par des particularismes en termed'élimination et de métabolisation. Les myorelaxants possé-dant les clairances les plus élevées ou les temps moyens detransit les plus faibles apparaissent comme ayant une duréed'action brève [5].

C) ÉLIMINATIONL'élimination et la métabolisation des différents agents

neuro-musculaires bloquants sont rénales et/ou hépatiques.L'état fonctionnel des émonctoires s'avère donc susceptibled'influencer la pharmacocinétique des curares [5]. Seul,l'atracurium fait exception à cette règle car il subit une auto-élimination (voir ci-après).

3. Les agents neuro-muscu-laires bloquants utilisés

Les curares ont des modes d'action apparentés à ceux desextraits végétaux de curares naturels. Actuellement, de nom-breuses molécules ont été expérimentées puis utilisées.Seules les plus courantes seront décrites ici [15, 17, 25]. Lesprincipales caractéristiques de ces médicaments sont résu-mées dans le tableau II.

A) CURARES DÉPOLARISANTSLe seul encore utilisé est le suxaméthonium (encore appelé

succinylcholine) (Célocurine ND).

La succinylcholine est hydrolysée par les pseudocholines-térases plasmatiques [25] dont les concentrations sanguiness'avèrent diminuées par certains composés organophospho-

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TABLEAU I. — Pharmacocinétique des curares non dépolarisants [5].

VDOT (ml/kg) : volume de distribution total ; TMT : temps moyen de tran-sit ; N : normal ; IR : insuffisant rénal ; IH : insuffisant hépatique (* cirrhose,** cholestase) ; ND : non déterminé.

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FIGURE 3. — Mode d’action des agents neuro-musculaires bloquants non dépolarisants (panneau du haut) et dépolarisants (panneau du bas).

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rés. Il est donc déconseillé d'utiliser cette molécule chez unanimal traité avec un antiparasitaire de cette famille [25]. Desétats de cachexie ou de malnutrition, souvent associés à undéfaut de synthèse de pseudocholinestérases, peuvent être àl'origine d'un prolongement des effets des curares dépolari-sants [15, 25].

Utilisation

Chez l'homme, la durée d'action du suxaméthonium est dequelques minutes pour une dose de 1 mg/kg [5]. Chez lechien, la dose de 0,3 mg/kg induit un bloc neuro-musculaired'environ 20-25 minutes [25]. Chez le chat, la durée d'actionde ce curare est d'environ 5-6 minutes pour une dose de 3 à 5mg in toto. Chez le porc, on observera un bloc de 2 minutespour une dose de 2 mg/kg [15]. Le suxaméthonium n'est pasutilisé fréquemment en médecine vétérinaire et ne présenteen fait de véritable intérêt que pour l'intubation du chat et duporc (a priori plus difficile) [15, 25]. Chez le chien, la duréeest bien trop longue pour réaliser une simple intubation endo-trachéale. De même, chez l'homme, la molécule agit de façonpréférentielle au niveau des muscles laryngés. Sa durée d'ac-tion fait que cette molécule reste encore largement utiliséepour l'intubation chez l'homme (intérêt clinique majeur) [5].

Effets indésirables du suxaméthonium

— Des fasciculations musculaires, dues à la dépolarisationinitiale de la membrane post-synaptique ont été décrites chezl'homme et l'animal [25]. Leur durée peut être de vingt-quatreheures chez l'homme [15]. Chez l'homme, elles peuvent êtreà l'origine de douleurs musculaires post-opératoires [15, 25],non décrites chez l'animal. Bien que certains auteurs aientproposé de prévenir ces fasciculations par une administrationpréalable de curare non dépolarisant [5], cette approche restediscutée [7].

— Une hyperkaliémie peut résulter de l'utilisation du suxa-méthonium. Lors de la dépolarisation permanente, une sortiemassive de K+ est associée à l'entrée de Na+. Ainsi, lors d'unehyperkaliémie préexistante, l'usage de ce curare s'avèrecontre-indiqué.

— Une augmentation de la pression intra-gastrique avecune majoration du risque de reflux au moment de l'intubationet une élévation de la pression intracrânienne ont été décrites[5, 31]. En outre, il est fréquemment observé avec ce type decurare, une élévation de la pression intra-oculaire à l'originede sa contre-indication en chirurgie ophtalmologique.

— Une libération dose dépendante d'histamine est décritechez l'homme avec la possibilité de choc anaphylactiqueassocié.

— Concernant l'appareil cardiovasculaire des troubles durythme [15] ainsi qu'une élévation de la pression artérielleavec tachycardie ou bradycardie peuvent être rencontrés chezl'homme et le chien [15, 25]. Les arythmies décrites semblentêtre liées à la libération des ions K+ dans le sang [25, 31]. Desprécautions doivent donc être prises chez l'insuffisant car-diaque.

B) CURARES NON DÉPOLARISANTSa) Bromure de pancuronium (Pavulon ND)

Anciennement très utilisé, ce curare sans effets indésirablesmajeurs graves, présente une durée d'action moyenne [15].

Précautions d'emploi, contre-indications du pancuro-nium

— Appareil cardiovasculaire : Une injection intravei-neuse entraîne chez le chien et le chat de légères modifica-tions de la fréquence cardiaque ou de la pression veineuse

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TABLEAU II. — Principales caractéristiques des curares utilisables en médecine vétérinaire.

I.R. : Insuffisant rénal : I.H. : Insuffisant hépatique ; I.C. : Insuffisant cardiaque ; IV : intraveineux.

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centrale mais sans altérations du tracé électrocardiogra-phique [15]. Une hausse de la fréquence cardiaque et de lapression artérielle chez le chien constituent les effets indési-rables les plus fréquemment décrits [25].

— Fonction rénale : L'action est prolongée chez le chieninsuffisant rénal.

— Fonction hépatique : La durée du bloc neuro-muscu-laire est également augmentée lors d'obstruction des voiesbiliaires.

Élimination

Le pancuronium est éliminé essentiellement par voierénale (90 % de la dose administrée) et pour une faible partpar voie biliaire (10 %) [15, 25]. Seulement 30 % de la molé-cule sont métabolisés, le reste est éliminé sous forme primi-tive [25].

Utilisation

Chez le chien une dose de 0,06 mg/kg par voie intravei-neuse induit en 3 minutes un bloc neuro-musculaire d'ap-proximativement 35 minutes [15, 25]. L'antagonisation complète de ce bloc s'avère possible par l'administrationd'anticholinestérasiques, comme la néostigmine [15].

b) Bromure de vécuronium (Norcuron ND)

Le vécuronium est un analogue monoquaternaire du pan-curonium [15, 20, 24]. Il s'agit du curare le plus courammentutilisé en médecine vétérinaire, car sa durée d'action est unpeu plus courte que celle du pancuronium.

Précautions d'emploi, contre-indications du vécuronium

— Peu d'effets indésirables sont rencontrés lors de l'utilisa-tion de vécuronium [8, 20], il est très faiblement histamino-libérateur chez le chien et l'homme [15, 20, 24]. Son effetganglionnaire reste négligeable [15, 20, 24, 25]. Le transfertplacentaire existe, mais demeure relativement faible [15].

— Appareil cardiovasculaire : L'utilisation d'une dose de0,1 mg/kg chez le patient insuffisant cardiaque n'est pascontre-indiquée [15, 20]. Chez le chien sain, la fréquence etle rythme cardiaque restent pratiquement inchangés [20].

— Fonction rénale : Certains auteurs ont utilisé avec satis-faction le vécuronium chez l'homme insuffisant rénal [20,25]. Seules les doses doivent être adaptées [24]. Il a été mon-tré que chez le chat insuffisant rénal, la concentration envécuronium excrétée dans la bile est augmentée [4].

— Fonction hépatique : A la dose de 0,1 mg/kg, peu d'ef-fets indésirables ont été décrits chez l'homme insuffisant hépa-tique [20]. Cependant, il existerait un effet cumulatif [15, 25],ainsi certains auteurs recommandent la prudence lors d'utilisa-tion de vécuronium chez l'insuffisant hépatique [25].

A la vue de ces données, il semblerait que le vécuroniumreste le curare non dépolarisant de choix chez l'animal insuf-fisant rénal et hépatique [20].

Élimination

Le vécuronium est éliminé sous forme inchangée dans labile (70 %) et dans l'urine (30 %). En fait, il existe trois méta-bolites qui ne sont rencontrés qu'en faible proportion dans labile [24].

Utilisation

— Chez le chien, la dose préconisée par voie intraveineuseest de 0,1 mg/kg. Quatre minutes après l'injection, un blocneuro-musculaire d'environ 25 minutes est obtenu [20, 22,25]. Le taux de reconversion est de 50 %, 17 minutes aprèsl'injection [20]. Par la suite, des bolus itératifs à la dose de0,04 mg/kg peuvent être réalisés si nécessaire. Il faut laisserapproximativement 15 à 20 minutes entre chaque injection.Chez le chien sain, six injections répétées à 0,04 mg/kg n'ap-paraissent ni nocives, ni cumulatives [20, 25].

— Chez le chien, dix minutes après un bolus de 0,1 mg/kg,l'administration peut être entretenue par une perfusion intra-veineuse à la dose de 0,1 mg/kg/h [24, 25]. La curarisation enperfusion a été utilisée avec succès chez l'homme adulte etchez l'enfant [24]. Le plus pratique est de composer une solu-tion à 0,01 % par dilution de 1 mg de vécuronium dans 10 mlde NaCl et d'utiliser un pousse-seringue [24].

L'administration du vécuronium en bolus répétés permetune bonne relaxation musculaire, mais chez l'homme il existealors des variations dans le degré de réponse à la moléculecurarisante (variations dues à l'âge). Ces variations ne sem-blent pas rencontrées lors de perfusion [24]. Chez le chien,l'administration en bolus ne pose pas de problèmes.L'association néostigmine-atropine permet une décurarisa-tion rapide et efficace [20, 24].

c) Atracurium (Tracrium ND)

Il s'agit d'une des molécules les plus récentes dont l'origi-nalité reste son mode d'élimination très particulier.

Précautions d'emploi, contre-indications de l'atracurium

— Peu d'effets indésirables sont décrits avec l'atracurium[22]. Ce curare peut provoquer une libération d'histamine etdoit donc être utilisé avec précaution chez l'animal ayant desantécédents allergiques [15, 25].

— Appareil cardiovasculaire : L'atracurium est classi-quement décrit comme hypotensif, mais chez le chien à unedose comprise entre 0,2 et 0,6 mg/kg, on ne rencontre pasd'anomalies cardiovasculaires importantes [19]. De faiblesvariations de la fréquence cardiaque et de la pression arté-rielle systolique et diastolique sont décrites [25, 29].

— Fonction rénale : Chez l'homme insuffisant rénal,l'atracurium s'avère être le curare de choix [22] car il ne pré-sente pas d'effets cumulatifs et son élimination est aussirapide que chez l'individu normal [19]. Il en est de mêmechez le chien.

— Fonction hépatique : Son mode d'élimination particu-lier explique qu'il n'existe pas de précautions à prendre chezl'homme ou le chien insuffisant hépatique [19].

Élimination

Contrairement aux autres curares non dépolarisants, ladégradation de l'atracurium ne dépend ni de l'activité hépa-tique, ni de l'activité rénale. A température corporelle, le pro-duit est instable [15, 25] et se trouve dégradé dans l'orga-nisme par deux voies distinctes :

— hydrolyse enzymatique par les pseudocholinestérasesplasmatiques avec production de métabolites monoquater-naires,

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— dégradation selon la voie d'Hoffmann. Cette voies'avère prépondérante et dépend du pH sanguin et de la tem-pérature corporelle [19, 22, 25].

Utilisation

— Chez le chien, à la dose de 0,5 mg/kg par voie intravei-neuse, le bloc neuro-musculaire est obtenu après 2 minutes etdure en moyenne 40 minutes. Cependant la durée demeuretrès variable selon les individus (10 à 45 minutes) [22, 29].Des injections successives à la dose de 0,2 mg/kg peuventêtre réalisées, produisant des blocs de 10 à 20 minutes [19,25, 26]. Leur durée moyenne est de 17 minutes [25].

— A la dose de 0,5 mg/kg intraveineuse, le bloc neuro-musculaire induit par l'atracurium peut être prolongé par uneperfusion à raison de 0,5 mg/kg/h chez le chien. Cette possi-bilité repose sur l'absence d'effets cumulatifs [22]. En pra-tique, il convient de diluer une ampoule de 2,5 ml (25 mg]dans un volume équivalent de NaCl isotonique (diluant per-mettant la meilleure stabilité) et d'utiliser un pousse-seringue[22]. Comparativement aux bolus itératifs, la perfusion per-met de réduire la dose totale d'atracurium de 33 à 50 % chezl'homme et de 20 % chez le chien. En effet, par ce procédé, onobtient un bloc plus profond permettant ainsi de réduire ladose utile d'atracurium [22]. Une réversion correcte du blocest obtenue par une combinaison d'atropine et de néostigmineou d'édrophonium [19, 22].

d) Bromure de pipécuronium

Apparu dans les années 1980, ce curare de synthèse n'estpas encore disponible en France.

Précautions d'emploi, contre-indications

— Même à une dose de 1 mg/kg, l'utilisation de ce curaren'entraîne pas de libération d'histamine [27]. Le transfert pla-centaire du pipécuronium apparaît très faible [27].

— Appareil cardiovasculaire : Très peu d'effets indési-rables cardiovasculaires ont été décrits [18, 30]. Cependant,un cas d'hypotension sévère a été rapporté chez un chien [18].Dans l'espèce canine, il n'y a pas d'effets cumulatifs et desdoses de 10 mg/kg n'entraînent pas de modifications du tracéélectrocardiographique.

— Insuffisant rénal : En situation d'insuffisance rénale,l'élimination du pipécuronium demeure réalisée par le foie,cependant sa durée d'action apparaît prolongée [2]. Le tempsde demi-vie est allongé et la clairance plasmatique réduite[2].

— Insuffisant hépatique : Aucune contre-indication n'a étédécrite à ce jour [2].

Élimination

La majeure partie de la molécule est éliminée par voierénale sous forme inchangée. Le foie et la bile participentégalement à l'élimination mais dans une proportion moindre[2].

Utilisation

Des doses de 0,025 à 0,05 mg/kg permettent d'obtenir unbloc neuro-musculaire chez le chien anesthésié [18]. Ladurée d'action semble variable d'un individu à l'autre [18],elle est en moyenne de 40 minutes [30]. Le pic d'action est

obtenu environ 150 secondes après une injection intravei-neuse [30]. L'effet myorelaxant du pipécuronium est réversépar une injection de néostigmine et d'atropine [18].

e) Bromure de rocuronium (Esméron ND)

Le bromure de rocuronium est un curare de synthèse dis-ponible en France depuis 1994.

Précautions d'emploi, contre-indications du rocuronium

— Bien que considéré comme non histamino-libérateur,des augmentations plasmatiques d'histamine (sans répercus-sions cliniques) ont été observées après injection de bromurede rocuronium. Le rocuronium semble ne pas présenter detoxicité fœtale.

— Comme avec l'ensemble des agents neuro-musculairesbloquants, il importe de diminuer les doses utilisées chez lesanimaux obèses afin d'éviter une prolongation non recher-chée du bloc.

— Appareil cardiovasculaire : Le rocuronium peut être àl'origine d'une faible tachycardie sans modification de lapression artérielle moyenne. Très peu d'effets indésirablescardiovasculaires sont rapportés [28].

Utilisation

La durée d'action de la molécule est semblable à celle duvécuronium (15 minutes chez le chien). Une de ses particula-rités est sa rapidité d'action, chez le chien le bloc neuro-mus-culaire est généralement effectif en 2 minutes [28]. Danscette espèce, la dose classiquement utilisée par voie intravei-neuse est comprise entre 0,18 à 0,2 mg/kg.

Élimination

Le rocuronium présente un métabolisme hépatique et uneélimination principalement biliaire mais aussi rénale (moinsde 10 %). Bien que la littérature vétérinaire ne rapporte pasde modification de la métabolisation et de l'élimination chezles insuffisants rénaux ou hépatiques, ces affections sont àl'origine de précautions d'emploi chez l'homme.

4. Principe d’une curarisation

A) LE BLOC NEURO-MUSCULAIRE

a) Mise en place d'un bloc neuro-musculaire

L'injection d'un curare non dépolarisant produit initiale-ment une réduction de tonicité musculaire puis très progres-sivement une paralysie flasque [33]. De façon constante, laparalysie ne s'installe pas à la même vitesse sur tous lesgroupes musculaires.

Les petits muscles à mouvements rapides, comme ceux desyeux, sont atteints en premier [33]. Les muscles de l'expres-sion faciale, des joues et de la queue s'avèrent paralysés 30 à60 secondes après une injection intraveineuse de curare. Laparalysie atteint ensuite les muscles du cou et des membres.Puis, la déglutition devient difficile [15, 17, 26]. A ce stadede curarisation, l'animal respire encore de façon normale[33]. Progressivement, les muscles abdominaux et intercos-

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taux se paralysent. La respiration devient diaphragmatique,puis s'interrompt [15, 17, 26, 33]. Lorsque les concentrationsplasmatiques d'agent neuro-musculaire bloquant diminue, lafonction diaphragmatique est la première à réapparaître. Engénéral, la décurarisation se fait dans l'ordre inverse d'appari-tion de la paralysie [15, 17, 26, 33].

b) Facteurs interférant avec le bloc neuro-musculaire

La littérature scientifique se révèle riche d'informationsdémontrant l'influence de différents facteurs sur les qualités(durée, intensité) du bloc neuro-musculaire engendré par lescurares dépolarisants ou non dépolarisants. Bien que l'essen-tiel de ces facteurs reste issu d'études menées chez l'homme,certains d'entre eux présentent une pertinence clinique enmédecine vétérinaire [26].

Température corporelle

La température corporelle apparaît comme un facteuressentiel en modifiant la durée du bloc neuro-musculaire.Présentant une forte incidence en anesthésiologie vétérinaire,l'hypothermie diminue l'élimination rénale, hépatique etbiliaire des curares. Dans ces conditions, le bloc neuro-mus-culaire apparaît généralement prolongé [15, 26]. A l'inverse,l'atracurium (curare non dépolarisant) dont l'élimination seréalise selon la voie d'Hoffmann sera, en situation d'hypo-thermie, éliminé plus rapidement [26].

Maladies neuro-musculaires

Chez les chiens atteints de myasthénie grave, le vécuro-nium ou l'atracurium peuvent être administrés afin d'obtenirun bloc neuro-musculaire pharmacologique. Il importecependant d'adapter les doses utilisées à l'existence de cetteaffection neuro-musculaire en les réduisant au 1/5 à 1/10 dela dose normale [26].

Age

Du fait de leur résistance particulière à l'action paralysantedes curares, des doses plus importantes s'avèrent nécessaireschez les jeunes animaux [26].

Électrolytes

Lors d'hypokaliémie et d'hypernatrémie, l'intensité du blocneuro-musculaire induit par les curares non dépolarisantspeut être accrue. Une hyperkaliémie et une hyponatrémieapparaissent susceptibles de la réduire. A l'inverse, cestroubles électrolytiques (hyperkaliémie et hyponatrémie)potentialisent l'action du suxaméthonium (curare dépolari-sant) [15, 26]. D'autres électrolytes plasmatiques influencentles effets pharmacologiques des curares. Le Ca2+ peut anta-goniser le bloc neuro-musculaire obtenu avec des curares nondépolarisants [26]. En effet, l'augmentation de la concentra-tion en Ca2+ induit une élévation de la quantité de moléculesd'acétylcholine au niveau de la plaque motrice. Inversement,une hypermagnésémie et une hypocalcémie potentialisent lescurares non dépolarisants par diminution de la libérationd'acétylcholine [15, 26].

Équilibre acido-basique

Une acidose respiratoire (hypercapnie) prolonge la duréedu bloc neuro-musculaire créé par l'administration de vécu-ronium et d'atracurium (non dépolarisants). L'influence est

inverse sur un bloc obtenu avec le suxaméthonium (dépolari-sant) [26].

Interactions médicamenteuses

• Tous les médicaments ayant des propriétés anticholines-térasiques tendent, en réduisant l'hydrolyse de l'acétylcho-line, à antagoniser les curarisants non dépolarisants.L'équilibre acétylcholine/curare est alors déplacé en faveurde l'acétylcholine, la contraction musculaire devient alorspossible. A l'inverse, ces médicaments renforcent la curarisa-tion observée avec le suxaméthonium (curare dépolarisant).Les organophosphorés présents dans les préparations de pes-ticides et d'anthelmintiques augmentent cliniquement ladurée d'action du suxaméthonium.

• Les anesthésiques généraux majorent l'intensité et ladurée du bloc : l'halothane, l'isoflurane et la kétamine poten-tialisent les curares non dépolarisants [15, 26] et permettentune diminution des doses d'entretien des myorelaxants [5].Pharmacologiquement, la potentialisation obtenue avec lakétamine repose sur une altération fonctionnelle des canauxioniques de la plaque motrice [5].

• De nombreux antibiotiques, comme la gentamicine, latobramycine, les tétracyclines, les antibiotiques polypepti-diques, la lincomycine et la clindamycine interfèrent avec lebloc neuro-musculaire et prolongent la durée de curarisation.Le métronidazole ne semble pas influencer la durée ou l'in-tensité du bloc neuro-musculaire induit par les curares dépo-larisants ou non [14, 15, 17, 26].

• Les anti-arythmiques, les anesthésiques locaux et les diu-rétiques hypokaliémiants potentialisent les curarisants. Lesinhibiteurs calciques présentent également la mêmeinfluence [3, 15, 17, 26].

• Les curares non dépolarisants s'opposent aux effets desdépolarisants [21].

B) MONITORING DE LA CURARISATIONLa surveillance de la curarisation s'avère indispensable

notamment en fin d'anesthésie générale pour s'assurer de l'ab-sence d'un bloc résiduel [8, 26]. En effet, il importe d'être sûrque l'animal soit totalement décurarisé avant d'interrompre lasurveillance rapprochée de l'animal en cours de réveil.Cliniquement, les signes de la décurarisation reposent soitsur l'observation de mouvements respiratoires spontanés, soitsur la réapparition d'une hypertonie musculaire de la sangleabdominale ou encore sur la mise en évidence de mouve-ments limités aux racines des membres [15, 17].

Moyens de surveillance instrumentale

Même si cette évaluation clinique demeure un point majeurde la surveillance de l'animal curarisé, une appréciation sen-siblement plus objective peut être obtenue instrumentalementen stimulant un nerf moteur et en observant en réponse lescontractions musculaires des fibres musculaires. Cette mani-pulation requiert un stimulateur portable. Chez le chien, lenerf facial, le nerf ulnaire et le nerf fibulaire peuvent être sti-mulés [15, 26]. Chez l'homme, on stimule le nerf cubital etl'on enregistre la réponse du muscle adducteur du pouce.

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En pratique, différents types de stimulations électriquespeuvent être utilisés :

— Stimulation unique : Une seule stimulation à basse fré-quence (0,1 ou 0,15 Hz) est appliquée au voisinage du nerf etl'on enregistre la réponse musculaire. La stimulation peut êtrerépétée toutes les dix secondes. L'avantage de cette techniqueest sa simplicité d'utilisation. Son inconvénient majeur restele manque de sensibilité et la nécessité d'avoir une valeurtémoin précédant l'administration du curare.

— Stimulation type "train de quatre" : Cette surveillancedemeure la plus utilisée en pratique courante d'anesthésiehumaine ou vétérinaire. On applique une suite de quatre sti-mulations à une fréquence de 2 Hz et l'on enregistre soit lenombre de réponses visibles (pouvant varier de zéro à quatreselon la profondeur du bloc musculaire), soit l'amplitude desréponses musculaires (hauteur de la réponse numéro 4 parrapport à la hauteur de la réponse numéro 1). Cette méthoden'apparaît pertinente que pour les blocs non dépolarisants caravec les curares dépolarisants, il n'est pas possible d'observerdes modifications de la réponse musculaire (les quatreréponses ont la même amplitude). D'un point de vue pratique,ce procédé présente une plus grande sensibilité et ne néces-site pas de valeur témoin car on compare les quatre réponsesentre elles. Le "train de quatre" stimulations ne doit pas êtrerépété à des intervalles inférieurs à dix secondes.

— Stimulation tétanique : On applique pendant cinq à dixsecondes une stimulation électrique de 50 à 100 Hz. Lorsd'un bloc non dépolarisant, la contraction musculaire n'estpas soutenue à la différence d'un bloc dépolarisant où laréponse obtenue reste soutenue [15, 17, 26].

Évaluation de la réponse musculaire

On peut mesurer la réponse mécanique (jauge decontrainte) ou la réponse électromyographique. Cesméthodes d'enregistrement des réponses engendrées par leneurostimulateur s'avèrent plus fiables que la simple obser-vation visuelle ou tactile de la contraction musculaire, maisrestent aussi plus coûteuses. Chez l'homme, les anesthésistescalculent le rapport entre l'amplitude (mesurée par électro-myographie) de la 4ème réponse (T4) et l'amplitude de la 1ère

réponse (T1) [26].

En pratique chez le chien, la réponse reste estimée visuel-lement. Pour une stimulation type "train de quatre", oncompte le nombre de réponses. Le bloc neuro-musculaire estconsidéré profond si aucune ou une seule réponse musculaireest observée [13, 24]. A 90 % de blocage, une seule contrac-tion peut être visible. A 25 % de décurarisation, trois contrac-tions sont généralement visibles. A ce stade, si cela s'avèrenécessaire, la prolongation du bloc neuro-musculaire est pos-sible par ré-administration de curare [26].

L'interprétation de ces réponses musculaires ne doit pasomettre qu'il existe des différences dans la vitesse de décura-risation des muscles striés stimulés et d'autres groupes mus-culaires, comme ceux du diaphragme [33]. Le diaphragmeest particulièrement résistant aux curares. Il a été montré chezl'homme que chez certains sujets on peut observer un dys-fonctionnement respiratoire alors qu'un rapport T4/T1 supé-rieur à 70 % est enregistré au niveau des muscles périphé-

riques. Par extrapolation chez l'animal, il faut donc dans tousles cas essayer d'évaluer cliniquement la fonction respiratoirede l'animal avant la fin de l'intervention (respiration ample etrégulière ou discordance respiratoire, tirage costal, ...).

C) DISPARITION D'UN BLOC NEURO-MUSCULAIREOU DÉCURARISATION

La décurarisation correspond à la disparition des effetsneuro-musculaires des curares. D'un point de vue clinique,l'enjeu de la décurarisation réside essentiellement dans la dis-parition complète et durable des effets des curares sur lafonction respiratoire. Elle peut être obtenue de différentesfaçons.

a) Décurarisation spontanée

Progressivement et spontanément, la paralysie musculaireinduite par les curares disparaît quelques temps après la der-nière administration. Le délai d'apparition de cette décurari-sation s'avère directement fonction de la durée d'effet ducurare utilisé. La décurarisation spontanée repose sur les pro-cessus d'élimination propres à chacun des curares, mais resteinfluencée par l'existence ou non de facteurs modulant ladurée du bloc neuro-musculaire [17]. En pratique, pour obte-nir une décurarisation spontanée, il suffit d'attendre la dispa-rition du bloc neuro-musculaire tout en maintenant l'animalinconscient sous assistance respiratoire jusqu'à ce qu'elle soitcomplète. Même si cette méthode de décurarisation reste laplus simple et la plus utilisée en pratique vétérinaire, elle peutaussi être obtenue par un procédé pharmacologique.Cependant, cette décurarisation provoquée doit être réservéeau seul bloc neuro-musculaire induit par les curares nondépolarisants.

b) Décurarisation provoquée

L'objectif de cette décurarisation provoquée consiste phar-macologiquement à déplacer l'équilibre entre les moléculesde curares et d'acétylcholine en augmentant la concentrationd'acétylcholine au niveau de la plaque motrice. La décurari-sation provoquée repose sur l'utilisation d'agents inhibiteursréversibles de l'acétylcholinestérase comme la néostigmine,l'édrophonium ou la pyridostigmine [4, 12]. Pour antagoniserun bloc neuro-musculaire, la néostigmine est l'anticholinesté-rasique le plus fréquemment utilisé en médecine [15, 17, 26].Il est à souligner que pharmacologiquement, les anticholines-térasiques ont un effet synergique sur l'effet des curares dépo-larisants [33] et ne peuvent en aucun cas être utilisés pourantagoniser de tels curares.

A moins que le bloc neuro-musculaire ne soit contrôlé parune technique de stimulation nerveuse, l'antagoniste ne doitjamais être administré avant la reprise d'une activité respira-toire spontanée même faible. D'un point de vue pratique, ladécurarisation peut être provoquée dès que les effets descurares s'estompent. Lors d'utilisation d'une technique type"train de quatre", il convient d'attendre d'obtenir au moinsdeux réponses pour quatre stimuli avant de décurariser [15,17, 26]. Certains auteurs recommandent même attendre d'ob-server quatre réponses pour une stimulation "train de quatre"ou lors de stimulation unique d'obtenir une réponse supé-rieure à 25 % de la valeur de référence [5, 8]. En effet, une

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décurarisation pharmacologique trop précoce par rapport à ladernière administration de curare non dépolarisant peut avoirun effet inverse à celui recherché, en prolongeant la durée deparalysie notamment respiratoire [5, 15, 17, 26]. Cetterecommandation repose sur le fait qu'il existerait d'autressites de fixation des molécules curarisantes où celles-ciseraient, en quelque sorte, mises en réserve. Lorsque l'oninjecte un anticholinestérasique alors que la concentration encurare est encore élevée, les molécules "mises en réserve"seraient relarguées dans l'espace synaptique entrant à nou-veau en compétition avec les molécules d'acétylcholine. Cephénomène prolongerait la durée du bloc neuro-musculaire[13].

Effets indésirables des anticholinestérasiques utilisés pourune décurarisation

Les anticholinestérasiques induisent une élévation de laconcentration en acétylcholine au niveau des sites muscari-niques (au niveau du cœur) et nicotiniques (ganglions sym-pathiques et parasympathiques) [9]. Les symptômes cli-niques les plus souvent rencontrés sont alors une bradycar-die, une augmentation des sécrétions bronchiques, diarrhées,vomissements et mictions [5]. Ces effets indésirables doiventêtre prévenus par une administration d'antagoniste muscari-nique (glycopyrrolate ou sulfate d'atropine) quelques minutesavant celle d'anticholinestérasique [33].

La néostigmine peut induire des arythmies cardiaquessévères principalement si l'animal a été insuffisamment oxy-géné. Une dose de 0,1 mg/kg peut entraîner une bradycardieavec troubles du rythme (bloc auriculo-ventriculaire de degréII ou arrêt sinusal). Ces effets indésirables apparaissent dosedépendants car la bronchosécrétion et le ptyalisme observéchez le chien à 0,1 mg/kg ne sont pas décrits pour une dose de0,05 mg/kg [10]. Les anticholinestérasiques présentent enoutre une activité agoniste cholinergique directe. L'activitémuscarinique de l'édrophonium semble minimale par rapportà celle de la néostigmine [27] et son pic d'action plus rapide[16]. Il semble cependant que l'antagonisation d'un blocneuro-musculaire par la néostigmine soit plus efficacequ'avec l'édrophonium [27].

Utilisation pratique des anticholinestérasiques

Néostigmine (Prostigmine ND) : La dose recommandée,lorsque la décurarisation est cliniquement visible, est de 0,01mg/kg par voie intraveineuse. Une dose de 0,1 mg/kg s'avèrenécessaire pour antagoniser un bloc neuro-musculaire plusprofond, cependant cette pratique demeure risquée (possibi-lité de prolongation du bloc) [23, 26].

Édrophonium (Reversol ND) : Les doses utilisées variententre 0,1 et 0,2 mg/kg par voie intraveineuse [12, 26].Certains auteurs ont même utilisé chez le cheval une dose de1 mg/kg, sans observer d'effets indésirables [16].

Afin de prévenir les effets indésirables des anticholinesté-rasiques, il est recommandé d'injecter un anticholinergiquecomme le sulfate d'atropine (à raison de 0,04 mg/kg) ou leglycopyrrolate (à 0,01 mg/kg), 1 à 2 minutes avant de réver-ser le bloc neuro-musculaire. D'un point de vue pratique, ilest aussi possible d'administrer l'anticholinergique dans lamême seringue que l'anticholinestérasique mais en réalisant

une intraveineuse lente [24]. L'injection doit être réalisée en30 secondes minimum [10]. Si l'activité respiratoire sponta-née ne reprend pas, le mélange peut être réinjecté toutes les 5minutes [11, 15, 26].

5. Pratiques de la curarisationen médecine vétérinaire

A) CHOIX D'UN AGENT NEURO-MUSCULAIRE BLO-QUANT : COMPARAISON DE L'EFFICACITÉ DES DIF-FÉRENTS CURARES

En pratique, le clinicien doit, parmi l'ensemble des curaresdisponibles, réaliser un choix en tenant compte non seule-ment de l'état de santé du patient et des effets indésirablespropres à chacun de ces médicaments, mais aussi des qualités(essentiellement de durée) que doit présenter le bloc pourrépondre aux besoins chirurgicaux.

Ainsi, en médecine vétérinaire l'utilisation de la succinyl-choline est à l'heure actuelle tombée en désuétude car elleprésente divers effets indésirables très gênants et son actionne peut pas être réversée. En outre, sa courte durée d'action etsa pharmacocinétique considérée comme idéale, qui justi-fient encore son utilisation en médecine humaine, ne sont pasvérifiées chez le chien. Par ailleurs, les indications vétéri-naires de la curarisation requièrent généralement des blocsneuro-musculaires durant plusieurs dizaines de minutes.

D'un point de vue pratique, le choix d'un curare doit, enmédecine vétérinaire, se porter préférentiellement vers uncurare de type non dépolarisant en fonction de sa durée d'ef-fet. Ainsi, par exemple la durée du bloc neuro-musculaireobtenu avec le vécuronium s'avère 20 à 25 % plus courte quecelle du pancuronium [31] et son pic d'action est atteint plusrapidement [20, 24, 25]. Chez les animaux souffrant d'insuf-fisances hépatique ou rénale, l'atracurium ou le mivacurium,qui induisent peu d'effets indésirables notamment cardiovas-culaires peuvent être utilisés [19, 25]. Cependant chez lechien, la durée d'action de l'atracurium apparaît variable d'unindividu à l'autre.

B) EXEMPLE DE L'UTILISATION D'UN CURARE : LEVÉCURONIUM (NORCURON ND)

Les curares sont des médicaments myorelaxants à actionpériphérique n'ayant aucun effet de narcose (inconscience,sommeil artificiel) ou d'analgésie (absence de perceptiondouloureuse). Leur utilisation ne doit donc être envisagéeque dans le cadre d'une anesthésie générale parfaitementcontrôlée [Tableau III].

a) Pré-anesthésie

Cette étape préparatoire comporte notamment une prémé-dication dont l'un des objectifs majeurs reste l'améliorationdes qualités cliniques de l'anesthésie générale. Parmi lesmédicaments de la prémédication, un phénothiazique commel'acépromazine (Calmivet ND) à la dose de 0,05 mg/kg parvoie intra-musculaire peut être utilisé. Cette prémédicationdoit être réalisée 20 à 30 minutes avant l'induction de l'anes-

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TABLEAU III. — Protocole d’utilisation des curares - Exemple du Vécuronium (Norcuron ND).

IM : Intra-musculaire ; IV : Intra-veineuse

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thésie générale. L'animal doit ensuite être maintenu au calmeen attendant la mise en place de ses effets. Le rapport béné-fice/risque de l'administration pré-anesthésique d'anticholi-nergiques (sulfate d'atropine ou le glycopyrrolate) fait qu'ac-tuellement ces médicaments ne sont injectés qu'en cas denécessité per-opératoire comme lors de bradycardie sévèreou d'encombrement respiratoire par une hypersécrétion bron-chique et salivaire [17, 26]. La valence analgésique du proto-cole anesthésique doit être améliorée en administrant en pré-anesthésie ou juste après l'induction notamment du chlorhy-drate de morphine (0,05 à 0,1 mg/kg chez le chat, 0,1 à 0,2mg/kg chez le chien).

Lorsque l'on envisage d'adjoindre une curarisation au pro-tocole anesthésique, l'utilisation en prémédication d'une ben-zodiazépine, myorelaxant à action centrale n'est pas recom-mandée. En effet, les benzodiazépines majorent l'intensité etla durée du bloc neuro-musculaire induit par les curares.

b) Induction de l'anesthésie générale

L'induction se fera après mise en place d'un cathéter dans laveine céphalique. Une voie veineuse doit être conservéedurant toute la durée de l'anesthésie. Les agents inducteursutilisés peuvent être par exemple le thiopental sodique(Nesdonal ND) ou le propofol (Rapinovet ND). L'animal estalors intubé à l'aide d'une sonde endotrachéale de taille adap-tée [15, 26]. Indispensable dans la majorité des anesthésiesgénérales, l'intubation endotrachéale est rendue obligatoirepar la nécessité de pratiquer une ventilation mécaniquecontrôlée pendant la curarisation.

c) Entretien de l'anesthésie générale

L'anesthésie générale peut être entretenue par des agentsinjectables (propofol) ou volatils (halogénés). L'inhalationd'un mélange de vapeurs d'isoflurane (Forène ND) ou d'halo-thane (Fluothane ND) avec un gaz vecteur constitué préfé-rentiellement de 100 % d'O2 (ou d'un mélange O2/N2O à rai-son de 1/3 - 2/3 ou 1/2 - 1/2) permet très aisément de mettreen place une ventilation contrôlée pendant la curarisation[15, 26].

d) Curarisation

En médecine vétérinaire, il est préférable de ne curariser unanimal que lorsque son anesthésie générale est stabilisée :respiration ample et régulière, œil basculé et pupille en myo-sis, pourcentage constant en halogéné. Le vécuronium serainjecté par voie intra-veineuse lente à la dose de 0,1 mg/kg.L'animal interrompt peu à peu sa respiration. A ce moment,l'assistance respiratoire devient indispensable. Cette ventila-tion sera réalisée soit manuellement, soit à l'aide d'un respira-teur [15]. Initialement assistée, l'assistance respiratoire seracontrôlée dès l'arrêt complet des mouvements respiratoiresspontanés.

Après curarisation, la surveillance de la profondeur del'anesthésie ne peut plus faire appel aux critères cliniqueshabituels car les yeux débasculent, l'animal est en apnée et n'aplus aucun tonus musculaire ou réflexe musculaire.L'allègement de l'anesthésie peut se traduire par l'apparitionde signes évocateurs d'une perception douloureuse (pâleurdes muqueuses, tachycardie). L'animal se réveillant peut pré-senter une salivation accrue et des larmoiements. Dans la plu-

part des cas, la tachycardie reste le seul signe de réveil [15,26]. À l'inverse, une bradycardie peut évoquer une profon-deur trop importante de l'anesthésie. Une contraction desmuscles de la langue et des muscles faciaux est observable sila curarisation n'est pas suffisamment profonde. En pratique,la surveillance de l'animal anesthésié et curarisé requiertl'emploi d'instruments de surveillance des fonctions cardio-vasculaire et respiratoire (oxymétrie de pouls, capnographie,capnométrie, mesure doppler de pression artérielle et électro-cardiographie).

Dans la majorité des indications vétérinaires, la curarisa-tion s'avère nécessaire pour un temps chirurgical assez court(20 à 30 minutes). Le vécuronium n'est généralement pas ré-administré et l'animal reprend peu à peu une respiration spon-tanée alors que la chirurgie se termine. L'assistance respira-toire sera poursuivie jusqu'à ce que l'amplitude respiratoiresoit jugée normale [15]. Dans certains cas, lors de chirurgiethoracique par exemple, il est plus confortable pour le chirur-gien de pouvoir imposer une fréquence respiratoire. Le vécu-ronium est alors ré-administré dès les premiers signes de res-piration spontanée [15, 26]. La curarisation peut être égale-ment entretenue par une perfusion continue [22, 24].

e) Réveil

Lors du réveil, il faut s'assurer qu'il ne subsiste pas de blocneuro-musculaire résiduel. L'animal ne doit être extubé quelorsque la respiration spontanée est d'amplitude physiolo-gique. L'idéal est de posséder un neurostimulateur afin d'ap-précier parfaitement la profondeur du bloc neuro-musculaireet l'éventualité d'une décurarisation incomplète. En fin d'in-tervention chirurgicale, si un bloc résiduel semble présent, lacombinaison d'un anticholinestérasique et d'un anticholiner-gique peut être injectée (voir paragraphe 4.C) [15, 26]. Danstous les cas, l'animal doit être surveillé pendant les 2 heuresqui suivent la dernière injection de curare. Cette surveillancepost-opératoire est justifiée par la possibilité d'apnée post-opératoire impromptue.

f) Complications

La complication majeure de la curarisation reste la prolon-gation "anormale" de l'apnée. La meilleure prévention est derespecter les doses et de ne pas réinjecter trop souvent decurare. Par exemple, il faut respecter des intervalles de 20minutes avant de ré-administrer du vécuronium. Si la prolon-gation de l'apnée semble bien due à la paralysie des musclesrespiratoires, elle peut être traitée par l'administration d'unanticholinestérasique et d'un anticholinergique (voir para-graphe 4.C). Il n'existe pas d'antidote pour les curares dépo-larisants, le seul traitement de l'apnée est la poursuite d'uneventilation contrôlée jusqu'à ce que la respiration spontanéereprenne. La prolongation de l'apnée peut être aussi liée à unehyperventilation prolongée qui induit une hypocapnie(PaCO2 ≤ 30 mmHg) et donc une absence de stimulation descentres respiratoires bulbaires. Dans ce cas, le traitementconsiste à favoriser une normocapnie en diminuant la venti-lation ou en insufflant de l'air un peu enrichi en CO2.

En hypothermie, il est difficile de réverser un bloc produitpar un curare non dépolarisant [13]. En premier, il faut tou-jours tenter de réchauffer l'animal avant d'essayer de réverser

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Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680

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le bloc. Le mieux est de prévenir l'hypothermie : bloc opéra-toire chauffé, utilisation d'alèse ou de tapis chauffant afin quel'animal ne soit pas au contact d'une table métallique froide.

Par prudence, l'animal ne doit jamais être remis au chenil siun bloc neuro-musculaire résiduel demeure présent : ampli-tude respiratoire restreinte ou tonus musculaire insuffisant.Le mieux est d'estimer le tonus du muscle masséter par unetraction douce sur la mandibule. A priori, si celui-ci est rede-venu normal (le tester avant la curarisation afin de pouvoircomparer), il y a peu de risques de complications (re-curari-sation) [15, 26].

ConclusionLes curares sont des molécules peu connues en médecine

vétérinaire, mais leur usage devrait se vulgariser. En effet, unexamen pré-opératoire, un respect des règles simples de lacurarisation et de son contrôle, une bonne attention au réveilde l'animal permettent de prévenir la survenue de complica-tions, en général conséquences d'erreurs d'anesthésie. Endehors du fait qu'ils alourdissent un peu les protocoles anes-thésiques, les curares s'avèrent particulièrement utiles enmédecine vétérinaire pour améliorer le confort opératoire.Ces molécules sont utilisées en médecine humaine pour faci-liter l'intubation. En médecine vétérinaire, l'intubation endo-trachéale est généralement aisée, sauf éventuellement chez lechat ou le porc. Les curares demeurent indiqués lors chirur-gies spécialisées en orthopédie pour faciliter la réduction decertaines fractures notamment chez des individus de grandetaille ou en ophtalmologie afin de notamment diminuer lerisque de réflexe oculo-cardiaque. La pratique de la curarisa-tion requiert cependant une parfaite maîtrise des principes dela ventilation mécanique.

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